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Tilemsin
et autres sources…
(textes et poèsies)
I- Divaguer
II- L’orthographe des lieux
III- Tilemsin
IV- N’être
V- Le parchemin
VI- A hauteur d’homme
VII- tamassin
-I-
DIVAGUER
EPILOGUE (*)
J’étais parti
La tête pleine
Du chant de la brouette
Mon seul repère
Dans cet eternel chantier que je traverse
Depuis mon enfance;
Jétais parti à la recherche de mon camarade le Maçon.
CATASTROPHE !
C’est qu’aujoud’hui, on n’aime pas les travailleurs et les ouvriers; ils n’ont rien volé. Ils n’ont
que leur force et leur savoir-faire; alors que les faux seigneurs, qui se présentent en sauveurs,
ont acquis des fortunes à l’ombre des fausses croisades contre l’impérialisme.
Dans ma téte
Le chant de la brouette
Persistait s’amplifiait
Jusqu’à devenir
L’INTERNATIONALE DES BROUETTES
Je ne pouvais oublier que la brouette avait besoin de graisse et d’un gîte.
Elle me disait que l’été tirait à sa fin et que l’automne menait à l’hiver…
Dans ma quête (ma fuite ?),j’ai tourné en rond dans ce vaste chantier qui dure depuis mon
enfance. J’ai parcouru le moindre projet que j’ai vu entamé.
Entrant dans un hôtel, j’ai rencontré mes vingt ans dans un miroir ; je leur ai serré la main et
j’ai brisé le miroir.
Depuis j’ai toujours vingt ans. Ma révolution est d’actualité.
Dans mes rêves, les gens d’armes avaient pour mission d’arrêter à tout prix l’influence néfaste
de cette brouette en folie dans un chantier à l’arrêt .Pour cela, ils se mirent à bourdonner à
l’oreille de la population, pour détourner son attention et noyer son avenir, ils libérèrent la
consommation de toutes les drogues et lui firent miroiter des séries de voitures mirobolantes
qui arrivaient des quatre coins de la terre.
Etrange ! Nous entendîmes et vîmes déferler toutes les brouettes grinçantes de la terre…
Un jour, un grand jour où la jeunesse décida de se ré- approprier la mémoire de son peuple,
j’étais de retour parmi eux, pour assister à une autre naissance. Un événement qui propulsa la
brouette et son chant au delà de son chantier à l’abandon.
Ce jour là, la jeunesse a reconquit son droit à la parole et les nouvelles autorités réinventèrent
le mensonge.
Ce jour là, un jeune homme s’avança au devant de ses camarades et lança au ciel perturbé de
Novembre :
Nous avons froid
Et l’hiver est à nos portes
Nous sommes sans abri
Et les chantiers sont à l’arrêt
Les brouettes à la fourrière
Et nous rêvons toujours en pleine intempérie !
La brouette, exilée de son chantier, évadée des fourrières, touchée en son âme ouvrière,
souhaita ardemment se rendre utile une dernière fois. Elle s’embrasa au milieu des jeunes,
libéra son chant.
La communion eu lieu.
La brouette avait enfin trouvé un gîte dans le cœur de la jeunesse et la jeunesse avait trouvé
un idéal dans le chant de la brouette.
Un tison à la main
Le chant sur les lèvres
Ils se mirent en marche…
DIVAGUER
DIVAGUER
IMAGINATION,
DIVAGUER
Pour ne pas voir le désastre présent conjugué à toutes les couleurs.
Les générations d’après-guerre font la queue à l’abattoir ; rien ne justifie leur amour
de la vérité.
L’école de la rue est digne des grandes universités occidentales.
Je ne jure plus que par mon petit frère, revendeur de cigarettes. Je reste ébloui par ses
rêves précoces ! Perché sur un paquet de Marlboro, il évoque pour nos sens usés, les grands
espaces qu’il a le devoir de conquérir.
DIVAGUER
Pour ne pas parler de révolution d’une manière archaïque.
DIVAGUER
A mes risques et périls
Je transforme les pénuries en abondances et j’invite mon Amour à dîner sur les
terrasses gorgées de viandes fraîches et de fruits exotiques.
DIVAGUER
Avec mon âge imprécis
Je racole les sourires juteux et les poitrines printanières.
DIVAGUER
La tête ailleurs
Irresponsable comme jamais
De vos misères oh ! Mes frères
De vos chaînes oh ! Mes sœurs
De vos déboires oh ! Camarades.
Vos idoles se rétractent, ne savent plus quelle couleur endosser.
Vos bourreaux se changent dans l’antichambre du pouvoir.
Et moi, je divague
Pour ne pas me taire
Pour ne pas me soustraire
Au feu de l’enfer
Qui hante ce pays
Cette PLANETE !
Je n’ai plus de culture
J’ai tout oublié
Des enseignements des hommes
Par ma barbarie je réintègre l’universel
J’ai survécu à toutes les tentatives d’assassinat civilisé en usant de mes réserves de
primitif.
Nos vaillants combattants, écartés des djemââs, réapparaissent avec leur mine de
spectateur satisfait du gâchis perpétré sur scène.
Ils reviennent, armés d’un verset coranique, d’une citation marxiste et d’une couleur
libérale.
Ils reviennent nous dire leur désolation et nos erreurs qu’ils avaient prévues !
Je reprends moi aussi mes airs d’adolescent, voyou jusqu’à la moelle et irrespectueux
des engagements !
Je repars à la conquête de mes boulevards.
AILLEURS
La terre entière, au peigne fin, me rejetait sans cesse dans ce berceau hérissé d’épines
où je m’entête toujours à découvrir la rose insensible au temps et à la débâcle de l’histoire.
« CETTE ROSE MON AMOUR, NOUS L’AVIONS FROLEE DES LEVRES UN MATIN D’ETE, NOUS
AVONS EU DROIT A UNE GOUTTE DE ROSEE SUR UN PETALE POUR ETANCHER NOTRE SOIF.
DEPUIS CE N’EST PLUS QU’UNE COURSE QUI MENE…MAIS NE RAMENE JAMAIS VERS NOS
PREMIERS PAS. »
DIVAGUER
Pour échapper à la mort lente de nos sens.
Tous les alcools n’ont pas suffi à abrutir l’adolescent en crise. Sa quête n’est plus qu’un
étrange mal incurable.
Les adultes ne pensent qu’à récupérer, comme si la jeunesse n’était qu’un déchet…
Ma mémoire est saturée.
J’en suis à me demander par quel miracle justifier mon droit à la vie après avoir été
convaincu du contraire.
Autant refouler mes questionnements vers les abîmes et laisser mon présent se justifier
par les autres…
I-2
MAINTENANT
CORPS-PLUME
Tu, s'affole et trace des vers en spirale pour échapper à la froideur horizontale des
jours.
Entre mes doigts, ton corps parle si violemment que la page blanche en rougit.
II
III
Chacun de nous est le centre d'un monde mais pas du monde. Un monde peut-il être le
monde ? Peut- on vivre dans ce seul monde qu'on se serait choisi ?
Malgré tous nos efforts et la force de notre désir nous ne pourrons qu'errer à travers
des mondes, cumulant des impressions qui font le monde .
IV
Corps - plume fascinant. Raide souple entraînant son ombre toujours en avant
virevoltant pour repartir de nouveau ravalant la ponctuation se moquant de l'orthographe
évoluant en spirales vers un objectif qui nous ramène toujours en début de page ...
VI
II
L'automne des idées est bien installé dans nos contrés pourtant prédestinées a une
floraison permanente .
Les branches mortes craquent mais ne cèdent pas aux vents du renouveau .
J'engage un duel décisif avec le spectre de mes années désertiques et je trompe
l'hypocrisie ambiante en jonglant des bulles éphémères produites par mes
piaffements.
Se déclenche l'avalanche des interrogations qui provoquent des remous parmi les
eaux mortes des étangs artificiels .
Rien à faire
Ni poids ni mesure; une bulle de savon qui éclate à l'air libre .
Ni haine ni amour ; une indifférence calculée à l’échelle Richter .
Un rêve sans arme contre un monde sans âme .
III
IV
L'horreur élevée en chef d'œuvre futur écrase la moindre idée de révolte parmi les
hordes de jeunes conditionnés aux odeurs des égouts.
L’éternité n'a pas d'autre visage et ceux qui espèrent ne font qu'engraisser l'ogre qui les
dévore...ra.
MAINTENANT !
Maintenant
Que la tempête a révélé tes multiples visages
Qui balancent du démon à l'ange
Que ton livre a livré son titre
Que la raison fait corps avec la nécessité
Marchons
En désordre
En veillant à toujours briser la cadence
Pour éviter
De nous endormir
Encore
A l'ombre des bottes cirées
Aux sangs des révoltés .
Maintenant
Que l'angoisse a pris visage
Que la peur porte un nom
Que l'amour s'annonce comme l’adolescence
Que la nécessité s'est faite raison
Marchons
En désordre
En veillant a toujours briser
La cadence
Pour réveiller ceux qui s'endorment
En sécurité
Sous les bottes
Cirées aux sangs des insurgés
Maintenant
Que l'avenir se joue de nous
Que le passé nous raille au présent
Que le moment n'est qu'illusion
Et toi une simple supposition
Reprends ton " A SEFRU " à l'envers
Pour démystifier ton auditoire.
-II-
Il y a des brouettes qui vivent le temps d’un chantier et d’autres qui traversent la
durée et sèment derrière elles des villes aux noms Lumineux, des hôpitaux au grand cœur
et des prisons à double sécurité...
Il est une brouette qui s’est consumée pour que je(u)nesse se souvienne.
Se souvienne d’un chant qui se perpétue à travers chantiers pour se faire sources... d’autres
villes d’autres hôpitaux... d’autres chants.
Se souvienne et marche de ce pas habité par
Des idéaux jamais éteints
Se souvienne et marche de ce pas habité par
Des idéaux jamais atteints.
Alors se fait entendre le chant de la brouette qui grince pour que jeunesse se réveille.
Se réveille au grincement qui persiste et s’amplifie jusqu’à devenir source lumineuse,
force agissante et chant de renouveau,
Et que renaisse l’étincelle au coin de l’œil l’ardeur du premier jour la fougue du premier
amour et se dessine l’architecture des nouvelles villes, des nouveaux hôpitaux...
Se réveille et marche de ce pas hérité
Des premiers bâtisseurs
Se réveille et marche de ce pas inspiré
Des futurs régisseurs.
FEMME-LIVRE
Qui que tu sois
Qui que je sois
Lecteur et poète
Faisons l’amour dans ce texte maladroit comme nos premiers pas .
Où as-tu égaré ta boussole pour t’attarder sur les rivages d’un territoire autre ?
La tempête m’a ramené à la surface, il me reste à parcourir la distance qui me sépare de moi-
même.
Je m'appelle DIHYA, j'ai vingt quatre ans et la vie me brûle alors que tout me
conditionne à vivoter, à végéter dans un quotidien minable. Dihya n'est pas mon premier
prénom. Celui-là, je me le suis offert toute seule, après OCTOBRE. Comme d'autres se
sont offerts des partis à la mesure de leurs ambitions. Moi, j'ai choisi le Parti d'un nom
prestigieux. Dihya pour mieux dire mon état d’ébullition et ma nouvelle façon de dire
non. Dihya pour mon camarade mort bêtement
d'une balle perdue. Nos protecteurs ont montré leur vrai visage. Voilà, je refuse de me
laisser berner plus longtemps par un prénom qui me prédestinait à la paix et au
bonheur.
Qu'est ce que la paix et le bonheur dans ce monde quand tous nos élans sont brisés
au seuil de la maison paternelle ?
Ceux que je traitais hier de barbares et de saboteurs (c'est ainsi que mon père, la presse
et le président de la république les désignaient.), se trouvent aujourd'hui être du coté de la
raison. Tous s’étaient ligués pour me tromper ! C'est comme si j'avais été complice de tous
ces crimes. Je déborde de nausée quand je relis mes poèmes...
Et ce camarade, mort bêtement d'une balle perdue, cela aurait pu être moi ou un
autre. Cette balle nous visait tous . C'est une balle affolée ou sadique; sinon quel sens lui
donner ?
Quel sens donner à ce pays qui n'arrête pas de gémir, stoïque et révolté, devant ses
contractions permanentes ?
L'accouchement sans douleur, est-il une simple vue de l'esprit ? Naîtra-t-il enfin cet
enfant, tant attendu de ses parents; ou bien leur vie sera-t-elle faite d'attente et d'espoir
déçus ? Vivront-ils tournés vers un fabuleux passé, ou le regard moiré sur un lointain
avenir, oubliant le douloureux présent ?
D'où vient notre incapacité à vivre aujourd'hui, au présent, tous nos élans ?
Mes parents sont fiers de leur descendance. Venus de la cité aux mille coupoles pour
s'installer dans cette ville au nom lumineux, ils ne songèrent jamais à repartir. Et moi, j'ai
grandi parmi les enfants d'ici, sans autre mémoire que celle acquise sur le terrain.
Et le père marmonnait ces lointaines origines qui ne correspondaient à rien dans mon
présent, mais que je m'entêtais à vouloir ressusciter dans ma poésie.
J'étais toute fière de me savoir concernée par le discours paternel et officiel que je
reproduisais naïvement dans la langue du prophète. C'était la partie visible de l'iceberg.
Ecrire, dire à la page blanche ce qu'on ne peut dire au grand jour et à tout le monde. Dire
mes obsessions, mes cauchemars, mon désir de vivre.
Mais personne n'a jamais compris mon acte. Ecrire sans demander la permission, voilà
la grande aventure !
Etre seule à manipuler les mots, à leur faire dire l'insoupçonné, l'inattendu. Peuvent-ils
goûter à cette jouissance ? Jusqu'à mon malin de fiancé qui essaie de déceler, là, un autre
amour qui lui échappe; qui recherche la trahison entre les lignes, alors que je lui offrais le
secret de mon être. Non, vraiment, trop occupés d'eux même pour éprouver autre chose que
ces sentiments mesquins.
Puis, il y a eu ce poète, ce lecteur des âmes, qui va droit au but, qui ne connaît ni les
déviations ni les passages interdits. Il défonce les portes sans se soucier des habitants qui
grouillent à l’intérieur des demeures; à croire, qu'il n'est à l'aise que mêlé au
bouillonnement des âmes. Ce n'est pas un poète, c'est un poète. Rien d'autre pour qualifier
ce doigté à déshabiller le mystère sans briser le charme et à transformer une blessure en
coquelicot éphémère.
- Serais-tu
Femme - livre
Qui ne veut s'ouvrir
A aucun lecteur ?
- Peut-on
Lire
Dans un livre
Fermé ?
Parce que je suis un livre fermé que personne n'a encore ouvert. Et si je le restais
pour de bon ? J'emporterais mes secrets avec moi. Mais quels secrets ? Je divague
J'ai rêvé
Que je te poignardais
A plusieurs reprises
Je retirais le poignard
Couvert de sang
Mon amour
N'aie crainte
C'était moi
que j'assassinais
Quel sens donner à ces mots ? Quel lecteur assouvira ma soif ? Ce poète me fascine,
il finira par ouvrir le livre que je suis. Je n'aurai plus qu'à fuir à la recherche d'un lecteur
moins assidu. Finalement je veux garder mes secrets. Mais quels secrets ?
Qui suis-je ?
Peut-on
Lire
Dans un livre
Fermé ?
Sur un livre
Fermé
Je peux rêver
Mon rêve sera
Une lecture probable
Du livre
Que tu es
- Je redoute le premier regard, je ne veux pas qu'on l'ouvre. Et si on le déchirait...? O !
poète, dis-moi la douleur et la délivrance; écris pour moi les mots durs que mon corps ne
possède.
Qui de moi parle ? Le poète est plus fort, mais je suis sa raison subversive. Je peux me
tromper comme les autres. Non ! Non, il décode tout, il ne sait que gommer les faux effets,
démaquiller...
- Ecris
Ta douleur
Ta joie
Sans en parler
Dénoues
Tes nœuds
Sans en faire d'autres
Délies
Tes mystères
Sans les dévoiler
Offre
Ton poème
Sans le travestir
Et laisse
Le silence
Plus fort que les mots
Dire
Le reste
- Qui suis-je ?
- Dt tajegjigt yesseftahen
tevgha tafat
Tugad itij
Itij yesluyuten
Faut-il le laisser continuer ? Pas moyen de fuir. Il faut faire face. Il faut aller jusqu'au
bout. Affronter sa propre vérité.
Ses paroles me harcèlent et ne me laisse aucun répit. Moi qui voulais faire de
l'écriture mon refuge, voilà qu'elle se transforme en chemin qui mène...à l'autre.
- Il sont nombreux ceux qui restent dans la foule jusqu'au jour où ils reçoivent la gifle
fatale... Alors, écris et ne te soucie point de ton lecteur; il est quelque part à l'affût de ta
voix unique...
Le poète parlait sans chercher ses mots, à croire qu'il était au cœur de la langue, qu'il
était sens, que...
- Peu importe la langue de ton écrit, pourvu que ton message ne soit pas trahi.
D'autres reprendront ta douleur pour la polir et en faire un joyau. Ne te soucie point de ton
lecteur, il est à l 'affût, il suffit de l'atteindre et ta voix se multipliera à l'infini pour vouloir
vivre autrement.
Et puis, garde ton prénom, tu es vraiment destinée à vivre la paix et le bonheur. Qu'est
ce qui te fait croire le contraire ? Déchire tes cahiers et garde ton livre fermé. Ne tombe pas
amoureuse des mots:
Aime ton fiancé.
Pacte rompu. Moi aussi je sais déchiffrer, je sais troubler l'apparente sagesse des mots.
Il gardait ses distances, et moi, pareille à la vague d'une mer docile, je taquinais le
rocher que mon trouble apparent rendait méfiant.
Quand je lui ai parlé de mon fiancé, incrédule d'abord, croyant à un stratagème ou une
stratégie de femme, il s'est senti plus rassuré, puis tout à fait en sécurité, il s'est donné à la
mer, sûr que son flanc ne servira pas d'attache à un bateau en détresse; lui-même se
présentait comme une épave en dérive.
- Ton apparition a été pour moi un éclair dans ce ciel oublié de toute perturbation. Ta
jeunesse, ton innocence, étaient trop voyantes pour que le jour se trompa. ton passage était
attendu.
Dans le désert de mon cœur, ton rire a soulevé les premières traînées de sable
annonciatrices du sirocco qui allait bouleverser ma géographie.
- Trop longtemps que j'étais condamnée à subir ce désert qui s'affichait comme unique
destin des gens nés à la croisée des époques.
Trop longtemps..
Si longtemps que j'ai décrit les prémices de ta venue que le jour de ton arrivée j'avais
oublié le visage que tu aurais.
Ton visage m'était si familier à la source de mon poème...
Dois-je l'arrêter ? Troubler mon eau un instant, pour lui rappeler sa fragilité, mon
immensité. Je suis femme, mer de tous les corps perdus que je ramène vers le rivage.
- J'ai connu l'attente et la joie du retour, mais le temps, ce facteur imperturbable, m'a
détournée de ma source, et mon poème n'était plus qu'une branche morte qui refusait
d'annoncer le printemps.
Hors des saisons, au creux d'une vague de sable, scorpion porteur de sa propre fatalité,
seule la tempête
m 'était salutaire. Aucune progression envisageable, hors de mon repère, sans y être forcée.
Mer docile qui porte la tempête dans ses entrailles. Ma seule présence réveille les
vielles angoisses. Les monstres marins , tapis dans mon ombre, inquiètent les pécheurs qui
n'osent pas s'aventurer au large...
Et la tempête
est arrivée, soufflant de partout, empruntant les boulevards, les ruelles, les vallées, les
oasis et les dunes oubliées; déterrant les scorpions, les bestioles; mettant à nu les monstres
de notre société...
La bourrasque a surgi, me projetant dans la foulée des épaves arrachées, emportées;
sans comprendre que c'était ma tempête, celle sur laquelle a séché mon poème.
Aussi toute poésie est fin et commencement, jamais un but atteint, mais l'éternel chant
d'une mort et d'une naissance, de l'une dans l'autre...
La tension permanente de l’être
L'arc qui propulse l'homme ...
Où as-tu égaré ta boussole pour t’attarder sur les rivages d’un territoire autre ?
Transhumance
- Ne va pas trop loin, le large ne pardonne pas après une telle hibernation !
- Du désert à la mer. Mon meilleur refuge reste l’immensité. Exposée à tous les vents, à
tous les soleils, mon ombre me perdrait encore une fois, une dernière fois, complètement
détachée de mon corps. Que puis-je espérer d’une ombre infidèle ? Je préfère ton texte (à
la limite) qui m’offre l’appui de tes incertitudes, de tes violents refoulements !
Pour l’instant, je ne peux que ramper. Chaque fois que je lève la tête, je suis pris de
vertige devant l’immensité qui m’attend. Réapprendre progressivement la station debout
pour redécouvrir mon ombre et la perspective du large. Réapprendre à marcher et à me
mouvoir à l’air libre,..., il me faudra toute une autre vie !
- Tout est en toi, continue ta mise à jour, tu verras que la vie de tunnel ne t’a pas vidée.
- Ton texte m’abreuve de jouvence, ton corps me rappelle un autre corps . Qui étais-je ?
Qu’ai-je pu faire de mes vingt ans ?
Et moi par ta fausse patience qui m’a fait entrevoir un océan de paix, une montagne pour
soutenir ma tête lourde
D’incommunication.
Ton profil a réveillé tous les éléments que j’avais cru définitivement domptés. J’entrais
dans mon âge, peinard et je commençais à regarder de haut toute cette agitation juvénile, me
considérant à l’abri.
Ton profil a démoli tous mes remparts, m’a fait prendre conscience de l’irréductible révolte
qui m’habite. Ton profil m’a réveillé d’un long sommeil auquel j’avais pris goût !
Je n’ai jamais voulu me consumer à l’improviste. Ma jeunesse s’est voulu une lente
montée vers les cimes où m’attend l’autre.
Ton profil a rallumé la braise d’un feu éteint depuis si longtemps... Que comptes-tu en
faire ?
Je n’ai jamais voulu ébranler de montagne ni soulever d’océan...
Et MACHAMAN
Roi déchu
Parti en guerre
Contre le sommeil
Une guerre au compte de
RENZA
Oui, atteindre
La terre promise
La colline aux sept fontaines
Où
RENZA s’impatiente
A piéger le soleil
De sa crinière de feu .
RENZA
Assise sur un rocher
Repoussa le soleil
D’un battement de cils
Où est-il ?
Comment viendra-t-il ?
Quand viendra-t-il ?
RENZA
Femme amoureuse
Que courtisent les éléments de la nature
Maîtresse agitée
Maîtresse gâtée
Se laissa gagner
Par la torpeur des midis méditerranéens
Ici maintenant
Murmura le Roi
A demi nu
A bout de souffle
En s’effondrant
Aux pieds de
RENZA...
DEPARTS
Malade comme ce pays qui nous supporte. Ennui, désespoir, angoisse, stress, misères
morales et physiques, absence totale de perspective...
Mon appartenance est sans cesse remise en cause. Etat de transition permanente. Telle
est mon identité.
Si vous voyez mon amie, dites-lui que le rendez-vous est encore reporté, faute d’avoir
respecté l’orthographe des lieux et l’usage des mots, l’histoire nous a faussé
compagnie.
L’ENFANT ET LE POEME
Ta destinée transitoire
Traverse mon territoire
Comme un astre en veilleuse
Et je me surprends
A guetter l’instant
De toutes les éclosions !
Ton regard
Prodigue l’étincelle
Qui ravive l’espoir
Et se remet en état
La glorieuse flotte Numide
Ses navires chargés
D’éternels partants...
Ta main
Prodigue la caresse
Qui soulage et guérit
Et se relève
La glorieuse armée Numide
Ses hommes imprévisibles
Ces éternels résistants...
Tes lèvres
Prodiguent le frisson
Qui libère le poème
Et se réveillent
Les passions nomades
Sauvées des noyades
Par le poète maudit...
PAYS LOURD DE GENERATIONS FRUSTREES
QUELLE SECOUSSE METTRA BAS TON REVE ?
Je n’ai pas changé, je n’ai pas bougé. Pourtant je ne suis plus le même et je ne réside
plus dans ce pays que je portais en moi. Errant à la limite de l’humain, au frontière de la
survivance et à contre vent de mes contemporains.
J’ai souvent pensé à toi, et chaque fois je me sentais hors du temps, incapable de réagir
au présent. Je laissais cette fatalité envahir mes sens par crainte, peut être, de découvrir
mes limites quand à changer le cours de l’Histoire, de ton histoire.
Tu pousses au gré des rafales nourries par des courants insoupçonnés.
Nos jeux d’hier se transforment en d’irréelles entreprises.
Comment imaginer ta frêle silhouette rasant le présent ? La prochaine fois, je
n’écouterai plus ton sermon ; aucun peintre au monde ne détournera mon regard, je me
pencherai gravement sur ton cœur, j’épongerai toutes tes angoisses, je dénouerai un à un les
nœuds de ta gorge, et tu étancheras ta soif dans ma coupe...
J’arpente les ruelles d’une ville qui n’est plus ma ville, une ville qui n’a plus
d’imagination, une ville qui se nourrit de souvenirs.
Et je pense à la vague salutaire que chaque été libère pour balayer nos cœurs meurtris !
Et je pense à toutes ces voix qui se sont tues et à toutes celles qui tentent de les
relayer !
Et je pense à toutes ces envolées juvéniles sur une scène hantée !
Et à contre cœur je me soumets au rythme des saisons.
TILEMSIN
TILEMSIN
Tlemcen,
Cette fois tu m’as surpris dans ma torpeur.
Ma fougueuse jeunesse t’avait terrassée sur un banc public pour s’en aller chantant son
éphémère conquête juvénile.
Aujourd’hui, je reviens lourd de rêves fanés et de fausses victoires …
Tlemcen,
je reviens vers toi,
Lourd de rêves dissous dans l’illusion victorieuse, revisiter cet alphabet que tu m’as
servi dans un ordre serré. Je me dois de déchiffrer la formule …
Tala yemsan,
source souillée par ton obscur tuteur .
Si mes pas s’appesantirent à proximité de Sidi Haloui, c’est que à force de médisance
nous finirons tous décapités pour être réhabilités plus tard …
Je prends mes devants et je prône l’exil contre le lynchage populaire …
Pendant que j’arpentais les larges ruelles, une voix me chuchota que quelque part
j’avais mon logis et qu’ailleurs j’habitais toujours …
Telem sin,
Dualité originale. Rien de surprenant. Un tueur vient de s’accoupler avec sa victime
agonisante.
L’envie de fuir me pris soudain, à proximité d’une mosquée au nom prestigieux d’un
saint plus chanceux …
Telam sin,
Vous étiez deux … je suis seul.
Tilemsin,
Sources plurielles, dynasties aux quatre vents. Tes ruelles trop large traduisent une
autre version de la concertation. Amechoar.
El Mechoar, concertation infructueuse qui dégénéra en fitna. Je suis à la recherche de
la source, de ma source.
De Tilemsin à Tala yemsan, l’Histoire a perdu sa majuscule pour que Tlemcen puisse
accueillir son invité en son sein protecteur .
De sites en cité , de mythes en miroir, vers tes profondeurs , tes cieux primaires .
Du Mansourah, je garde la fragilité de ton regard qui hésite devant la tourmente de
l’olivier pour ensuite s’élancer dans les certitudes de la pierre taillée d’édifices en ruine,
réveillant en toi une nostalgie d’enfant injustement abandonné .
El Mechoar aujourd’hui,
Un musicien – taxi man
Un médecin – cafetier
Et un maître luthier que sa nouba ensorcelante n’a pu sauver d’une bureaucratie
sécuritaire.
Mes amis d’un jour peuplent mes nuits de toujours.
TELAM G SIN …
Vous étiez deux… et le lourd souvenir d’un saint décapité.
Le Rbab brisa la dualité humaine pour rejoindre l’unicité du dieu créateur. Naissance
dans la douleur.
Grave, grave la voix du solitaire qui cherchait sa destinée parmi d’étranges ruelles
dépeuplées qui ne porte même pas de noms. Les saint se sont accaparés de toutes les
places, de toutes les collines et de tous les espaces. Aucun lieu propice pour fixer un repère
où la rencontre serait possible.
Tilemsin, sources plurielles, je repart sans avoir retrouvé ma force. L’orthographe des
lieux a encore dévoyé ma recherche, m’obligeant à laisser des messages un peu aux
hasards, dans l’espoir qu’ils tomberont entre des mains amis qui me guideront sur le
chemin de ma source …
VOTRE APPEL NE PEUT ABOUTIR
Le profil sourit aux anges.
Mourad va au fond du couloir, après avoir pris son ticket.
Nora est à l'avant. Elle regarde droit devant elle. Elle a vu Mourad, cet ancien
camarade de classe, puis de bureau, puis..."Belle lurette qu'il s'est marié, avec sa cousine
parait-il; il m'a dit bonjour, pourquoi ? Chaque ami, chaque camarade qui se range est un
espoir qui s'envole. Dès qu'ils se casent, ils vieillissent..."
..."Toujours la même, malgré toutes ces années, toujours aussi douce, aussi attirante. Prête
à tomber au premier regard pour s’échapper aussi rapidement et narguer son naïf
conquérant du haut de son perchoir...
Nora accompagne sa question-réponse par un sourire; port que Mourad sait inaccessible...
Epave condamnée aux remous d'une mer dont il ne maîtrise plus les courants depuis...
Comment fait-on pour entretenir une conversation avec une jeune fille, dans un lieu
public, sans paraître intéressé ?
Une connaissance vous sourit de loin, d'un air entendu;
une autre baisse les yeux pudiquement et la troisième fait semblant de ne pas vous avoir
vu .
Vite culpabilisé, le couple se disloque et s'égare parmi les tissus poussiéreux pour se
reformer, accidentellement et temporairement, à la sortie. Un groupe de connaissances
ramène Mourad à l'intérieur...
Nora est partie. Mourad ne peut que rire aux éclats pour cacher son désarroi.
Midi.
Dans son appartement, Mourad retrouve un semblant de dynamisme, pour se
préparer une salade verte et une omelette.
Que faire ?
Mourad cherche du coté des souvenirs. Il a tout détruit avant son mariage, convaincu
qu'il n'en avait plus besoin. Lettres, cartes postales, photos...Tout a été nettoyé pour se
consacrer uniquement au présent. L'avenir se créait au jour le jour. Etait-il d'ailleurs
question d'avenir ? Le jour où il avait décidé de se marier, il était persuadé que l'avenir
n'était que chimère. Condamné à vivoter, oui vivoter, c'était effrayant de se retrouver,
chaque fin d'année, avec un bilan égal au précédent. Un bilan qui se résume en une attente
sans fin, une addition d'années, de cheveux blancs et de rides. Des espoirs vite déçus, des
révoltes étouffées, des amours impossibles et pour finir les cuites des jeudis soir, qui le
vidaient complètement jusqu'à la prochaine . "Finalement, c'est tout ce que j'ai appris à
faire correctement, jusqu'au bout: me saouler."
La nausée rugit, menace. La dernière beuverie lui est restée sur le cœur. Il se lève pour
une dernière tentative.
Au moment de reposer la pile de livre et de revues mêlées, qu'il avait retirée d'un
carton oublié au fond d'un placard, tombe à ses pieds, un carnet. Une lueur d'espoir
traverse Mourad.
198... Année où il a nettoyé son antichambre et sa cour pour s'inventer une autre vie.
Pas de temps à perdre. Il enfile sa veste, se peigne et se retrouve dans la rue, à héler un
taxi, en sifflotant.
Pour payer sa course, il prend la précaution de présenter un billet de cent dinars, pour
se faire de la monnaie. Le chauffeur hésite avant de lui rendre la différence en pièces de
dix et cinq dinars, pensant peut-être, narguer son client.
00 33...
Veuillez consulter votre annuaire. votre appel ne peut aboutir.
00 33 ...
Votre appel ne peut aboutir,
00 33 ...
Ne peut aboutir,
00 33 ...
aboutir,
......
Au bout d'une dizaine d'essais, Mourad se décide à appeler le service des renseignements.
Une voix féminine répond qu'ils sont en grève. Surpris Mourad prétexte une urgence.
00 33...
Ne peut aboutir...
00 33...
Aboutir...
Vidé par cet effort surhumain, à vouloir convaincre cet être d'un autre monde, Mourad
abandonne la cabine. Que faire ?
Boire ! NON ! Il remonte le boulevard sans objectif.
Cette errance lui rappelle ses années de lycée. Il consacrait ses Jeudis après midi à
sillonner la ville, un brasier au fond de lui, ne s'expliquant pas la nonchalance des gens.
Comment font-ils pour être bien dans leurs souliers ? Aujourd'hui comme hier, il se pose la
même question.
Comment ? Il lui semble que, depuis sa naissance, il n'a fait que chercher comment
pénétrer le monde des autres qui lui était apparemment étranger." sûrement pas par la porte
du mariage !" Un monde qu'il ne fait que côtoyer depuis... Un monde, au seuil duquel il ne
fait que s'ennuyer depuis... Il s'est fait mal plus d'une fois, en voulant briser la vitre qui
l'isolait. Il se faisait mal en cognant contre un mur - un vrai - des fois, sur une personne. Il
recevait la riposte, indifférent. Pour lui, la douleur n'était qu'une feinte.
L'est-elle toujours ?
Mourad sent la certitude et l'équilibre, acquis ces dernières années, vaciller ." Ça ne va
pas recommencer! J'ai cru avoir mis un point final à ces questionnements sans queue ni
tête. Oui, j'avais cru me soustraire à pas mal de choses."
La cinémathèque. "Le cinéma, voilà un autre revenant ! Combien d'années me
séparent d'une salle de cinéma ? La télévision a tout remplacé, théâtre, cinéma, randonnées
nocturnes... Eh bien ! je renoue avec la salle obscure ; on verra..."
Corps lascifs, amour déstructuré. Le feu qui le consume et sa nausée permanente lui
empêchent toute concentration. "Je fous le camp !".
La rue est morne , sans femme, la vie est froide. "Il me faut téléphoner !".
Pendant qu'il tourne en rond, les piétons se raréfient, les lampadaires s'allument et la
transition vers la nuit se fait sans heurt, à petit pas, pour les bonnes gens; laissant Mourad
à sa quête du fil conducteur, de la voix qui le mettra en contact du monde des vivants dont
il se sent injustement exclu.
Il entre dans un café, repère le téléphone au fond de la salle, s'y dirige sans un regard
alentour. Il introduit deux pièces de monnaie dans la fente de l'appareil et commence à
composer son numéro sans grand espoir.
33...
Votre appel ne peut aboutir.
Mourad rejoint la rue. Il marche à pas rapides, tourne à chaque coin de rue rencontré,
fuyant ou cherchant quelque chose.
Il s'arrête devant une librairie encore ouverte, entre, parcoure les rayons poussiéreux
d'un regard fiévreux. Au bout d'un instant, son attention est attirée, par un titre,
étrangement lumineux, isolé sur une étagère. Un nom de femme qui résonne quelque part
dans sa mémoire...
ISABELLE EBERHARDT
En attendant que le garçon le serve, Mourad fait semblant de s’intéresser à son paquet
qu'il ouvre. il tourne la couverture du livre, tombe sur Isabelle Eberhardt, dans sa tenue
d'homme, à dix huit ans. Le serveur arrive avec la commande.
Pour le moment, il s'attaque à son poisson et à son vins. Il se réserve le plaisir de
découvrir la femme, la plus mystérieuse, plus tard...
Dans la nuit, il hèle un taxi, dans lequel il s'installe à coté du chauffeur . Il ne donne
pas d'adresse, mais demande au chauffeur de taxi de faire le tour de la ville, en mettant de
la musique.
Après un long silence, d'une voix pâteuse, Mourad demande à son compagnon :
-Tu connais Isabelle Eberhardt ?
- Non, c'est une française ?
- Non, c'est une femme.
les mots qui sauvent
Je te parlerai de cet autre exil qui consiste à se retirer au fond de sois pour créer
d’autres dimensions qui sauvent l’humain au moment des catastrophes.
Parles et je serai ta voix pour l’éternité. Je dépasserai avec toi ces rideaux de fer pour
atteindre l’autre versant.
N’entends pas cette vaine fierté qui n’est que la peur du vide qui me hante.
Oh toi la belle, je ne peux qu’être la bête dans ce monde qui nous oblige à être l’un ou
l’autre alors que nous sommes l’un et l’autre, l’un dans l’autre.
Pareil au rocher rongé par la vague, toujours sur le point de s’effondrer et pourtant
plus provoquant que jamais avec ses poings tendus vers d’autres horizons…
« Je suis là, toujours à l’affût de ton apparition. Je savais que les courants marins
finiront par te ramener, ni trop tôt ni trop tard, mais juste en pleine saison des
accouplements parce que la terre se doit de se repeupler après chaque catastrophe.
La fin d’un siècle n’est pas la fin. Cette arithmétique humaine ne nous résume plus.
Nous préférons inventer d’autres unités de mesure, moins angoissantes, moins pointues.
Vas-y, il faut que je sache, pour que je puisse me regarder dans mon propre sang
quand l’heure sonnera.
Dis moi, cet exil refuge, est-ce ma défaite ou la tienne ? Est-ce le parcourt nécessaire à
nos retrouvailles ? Est ce le sacrifice exigé de notre appartenance ?
Est ce le grand détour pour rejoindre le chemin qui mène, qui mène mais ne ramène
jamais !
Des voix dans la nuit
I
Brouhaha
Entraînes moi dans la nuit pour me libérer de mes chaînes et laisser parler mon corps opprimé
par la lumière.
J’ai fui la société pour me retrouver dans les bras de l’héroïne d’un livre
Femme rencontrée dans une librairie, adorée dans un bar et abandonnée dans un taxi.
II
Lui
La dernière fois que je vous ai déposé, il y a dix ans, vous étiez ivre et vous parliez d’une
certaine Elisabeth. Je disais que c’était une française vous répondiez que c’était une femme !
Aujourd’hui je vous retrouve dans le même état et je vous pose la question : pourquoi une
femme ?
Ce n’est pas une femme, c’est la femme. Faites sept fois le tour de la ville et déposez-moi sur
le quai.
Vous embarquez ?
Non je l’ai rencontré, c’est une de mes plus fidèles clientes depuis presque une dizaine
d’année.
- Les années ont fini par avoir raison des derniers hommes lucides de ce pays ; y compris
les chauffeurs de taxi.
- Où étais tu passé pendant toutes ces années ? A l’étranger ?
- J’ai tourné en rond.
- A la recherche d’Elisabeth ?
- J’ai tourné en rond dans une cellule.
- Je te dis que je l’ai rencontré dans cette ville, je t’ai vainement cherché pour vous mettre
en contact. J’en ai fait un truc personnel. Ton état, ton instruction, ta profondeur m’avait
tellement impressionné que je m’étais juré de t’aider à retrouver ou à rencontrer cette
femme.
- T’es devenu fou cher monsieur ! C’est un personnage… plutôt un écrivain disparu.
- Mais non ! Elle existe ! Quand je l’ai rencontrée c’était toi qui avais disparu. Où étais tu ?
à l’étranger ?
- Non en prison
- Quoi ? qu’as tu fait ? Pour des raisons politiques sûrement ? Quel mal peux tu faire ?
- Le plus grand mal c’est de ne pas en faire. Vous devenez le mauvais exemple. Un miroir
dangereux. Une possibilité monstrueuse pour EUX.
- Oh non ! Pendant que je scrutais les horizons à ta recherche et que je questionnais la
vague tu croupissais dans les geôles de ton propre pays !
- Toute promotion sociale se paie. J’ai cru, je me suis cassé la gueule. Triste sort, j’essai
d’en sortir.
- Raison de plus pour te faire rencontrer Elisabeth
- Emmène-moi au bord de la mer
- C’est son endroit de dérive
- C’est le mien tu veux dire
- C’est là que je l’emmène à espace régulier
- C’est là que j’évacue …
- Elle a fuit le terrorisme
- Je me fuis
- C’est une enseignante
- Je ne vous demande rien, de quel droit vous divulguez la vie de vos clients ?
III
Elle
Voilà bientôt dix ans que je m’adapte à ce destin qui m’a été imposé à l’instar de nombreux
compatriotes. Victime, je ne sais pas. Du terrorisme, on me le dit, de vive voix et sur papier.
Cela m’a valu l’exil dan cette ville que j’adore à présent. Le poète avait recouvert la raison en
arrivant vers Bougie l’éclairée, Emma Gouraya l’incomprise. De même je retrouve mon émoi
au pied de la vague face à Gouraya la montagne. Emma Gouraya lui a rendu la raison et la foi,
pour qu’il soit plus tard une victime consciente : Il a été assassiné dans sa chambre parmi ses
livres. J’ai échappé à cette horde je me suis réfugiée auprès d’Emma Gouraya la chaude, notre
espoir à tous. Notre pays en entier devrait transiter par Bougie. Bgayet, j’ai appris les
différents vocables qui désignent cette ville. J’ai aussi retrouvé la trace de nobles voyageurs
récemment disparus, assassinés par ces hordes qui m’ont ratée.
Bgayet, terre d’asile. Capitale décapitée. Sa chaleur est dans la souplesse linguistique de ces
habitants. Balade incessante entre l’olivier le figuier et le cerisier en perte de vitesse. Bgayet,
ma douleur n’arrête pas de te rendre hommage. Tu m’as rendu supportable ce pays. Je ne
cesse d’arpenter ton port, pourtant aucun bateau ne me paraît plus beau que tes quais. La
Passe, ce voyage au bout de ma nuit. Chuchotements nocturnes d’une population qui a
« choisie » la périphérie pour se recycler. Mon déguisement était inutile. Une femme à cet
endroit la nuit ? Sans la complicité de mon chauffeur de taxi ? Moussa s’est montré très
disponible dès le premier jour. Il a toujours été au devant de mes désirs même inconscients. Il
m’a d’abord suggéré la ville à travers des allusions, des cartes postale vielles d’un siècle, des
biographies d’illustres étrangers qui ont séjourné dans l’hôtel ou je suis descendue, des
anecdotes d’actualité. Il me rapportait la ville de son quotidien avec toute la profondeur de
son histoire.
Je l’écoutais et je me demandais comment il faisait pour donner cette sensation de profondeur
dans la simplicité de son verbe.
Il me contait les soufis des siècles …
D’une nuit à l’autre, le cauchemar s’est stabilisé, a pris l’allure de flash d’un film que la
censure a fini par rendre inoffensif. La ville m’a pris en sympathie. Plus d’homme dans ma
vie. Quel homme voudra épouser la nuit pour réveiller ses frayeurs en écoutant les ombres des
disparus ?
Le clapotis des vagues me distrait et me voilà à sourire à l’enfant que j’étais les pieds dans
l’eau de la piscine… Vie paisible au soleil parental. Paix sécurité joie de vivre … Où étais-
je ? Dans quel pays ? Un pays que le malheur ne pouvait atteindre. Une Algérie artificielle.
Mais le malheur rôdait et le rayon de la spirale diminuait jusqu’à être au centre de l’ouragan
… Hamy ! Mon adolescent, mon poète qu’as tu fais pour disparaître juste après notre
premier baiser ? Tu disais que chaque baiser sera le début d’un poème... Baiser interdit …
Qu’ai-je fait pour que je te perde sans avoir bu suffisamment de ta poésie pour aborder mon
age intermédiaire sans cette soif permanente qu’aucune boisson n’arrive à étancher, mais juste
à calmer temporairement ?
Ton rire me donne des ailes jusqu’à vouloir m’envoler définitivement de ce monde pour te
rejoindre. Comment se donner raison quand la vie ne vous laisse pas le temps de réaliser, de
prendre conscience de votre bonheur, éphémère certes, mais tellement nécessaire pour
traverser ce désert …
Tilemsin
AMRAA Amentar
Mezena tafriqit.
Lzayer azuliq n tefriqt.
Cfi f tikelt tamezwarut, m’itid kecme deg it. Seg Qsentina m tqentrin…
Timzuert teâya, teâya g ayn tetawi. Allen callunt.
Timdint d ajajih. Kecme t am erda, yiwen ur iyi wala.
Ulac Lekwaet d imsulta! Amzun swagade. Fki asent, uri aqermud bu itran ur isutur
urag…
Lzayer, suq Iherrac, dina takren ula d imca. Isehsab Salah unguf n taddart. Nemsâaef i
Qsentina, acku Inuzen i Laasker.
Ilaq as teslem i Salh!
Bgayet.
af temdint n Bgayet
Asefru yiw yehlek
Yegguma ni yesguma ad yehlu. Ni a Bgayet, ula d kem tetbeddilet imawlan am… Ah ! ya
mu hayek igan anubi yetazal ! D kem maci
D Sidi Twati ig sselben Nnaser. Nnaser iban akem irr d lullu !
Lullu g iwf n ttuttu.Ta ttamacahut, tessent it ni ur t sinet ?
Nek am d ini d acu id yeggran mi teli lullu : D amezu !
Ihi a kem g’ mejj iw inna s usahli !
Wahran sudne gar lemwagi, idefr iyi d lâud n wahbi s Iliwan is.
Tlemcen,
Cette fois tu m’as surpris dans ma torpeur.
Ma fougueuse jeunesse t’avait terrassée sur un banc public pour s’en aller chantant son éphémère
conquête juvénile.
Aujourd’hui, je reviens lourd de rêves fanés et de fausses victoires …
Tlemcen,
Je reviens vers toi,
Lourd de rêves dissous dans l’illusion victorieuse, revisiter cet alphabet que tu m’as servi dans
un ordre serré. Je me dois de déchiffrer la formule …
Tala yemsan,
Source souillée par ton obscur tuteur.
Si mes pas s’appesantirent à proximité de Sidi Haloui, c’est que à force de médisance nous
finirons tous décapités pour être réhabilités plus tard …
Je prends mes devants et je prône l’exil contre le lynchage populaire …
Pendant que j’arpentais les larges ruelles, une voix me chuchota que quelque part j’avais mon
logis et qu’ailleurs j’habitais toujours …
Te lame sin,
Dualité originale. Rien de surprenant. Un tueur vient de s’accoupler avec sa victime agonisante.
L’envie de fuir me pris soudain, à proximité d’une mosquée au nom prestigieux d’un saint plus
chanceux …
Te Lam sin,
Vous étiez deux … je suis seul.
Tilemsin,
Sources plurielles, dynasties aux quatre vents. Tes ruelles trop larges traduisent une autre version
de la concertation. Amechoar.
El Machoar, concertation infructueuse qui dégénéra en fitna. Je suis à la recherche de la source,
de ma source.
De Tilemsin à Tala yemsan, l’Histoire a perdu sa majuscule pour que Tlemcen puisse accueillir
son invité en son sein protecteur.
De sites en cité, de mythes en miroir, vers tes profondeurs, tes cieux primaires.
Du Mansourah, je garde la fragilité de ton regard qui hésite devant la tourmente de l’olivier pour
ensuite s’élancer dans les certitudes de la pierre taillée d’édifices en ruine, réveillant en toi une
nostalgie d’enfant injustement abandonné .
El Machoar aujourd’hui,
Un musicien – taxi man
Un médecin – cafetier
Et un maître luthier que sa nouba ensorcelante n’a pu sauver d’une bureaucratie sécuritaire.
Mes amis d’un jour peuplent mes nuits de toujours.
El Machoar, portes ouvertes au visiteur désintéressé par ces ruines maquillées. Premiers pas
hésitant
Il fallait descendre dans ces entrailles pour accéder à ses délices.
Seule une femme pouvait ressusciter cet endroit et lui rendre sa chaleur.
Ses doigts de fée ont repeuplé de “ chuchotements ” les sous sols qui ont abrité les chevauchées
d’antan. De jeunes couples échappent au présent en s’enfonçant dans le temps. Dehors la horde
traque la tendresse …
TELAM G SIN …
Vous étiez deux… et le lourd souvenir d’un saint décapité.
Le Rbab brisa la dualité humaine pour rejoindre l’unicité du dieu créateur. Naissance dans la
douleur.
Grave, grave la voix du solitaire qui cherchait sa destinée parmi d’étranges ruelles dépeuplées
qui ne porte même pas de noms. Les saints se sont accaparés de toutes les places, de toutes les
collines et de tous les espaces. Aucun lieu propice pour fixer un repère où la rencontre serait
possible.
Le lourd souvenir du saint décapité me laissa sans voix au crépuscule et me contraint à plier
bagages sans avoir assouvi ma soif.
Tilemsin, sources plurielles, je repars sans avoir retrouvé ma force. L’orthographe des
lieux a encore dévoyé ma recherche, m’obligeant à laisser des messages un peu au
hasard, dans l’espoir qu’ils tomberont entre des mains amies qui me guideront sur le
chemin de ma source …
Déc.2000
Sur les traces de Sidi Boumediene
L’arrivée
Dans mon enfance, un jour, lassé des travaux des champs, je confiais, révolté, à mon
ami, sur la route de l’école : j’en ai marre du travail des champs ! Je n’en peux plus de suivre
les bœufs, sur les rocailles de ces terres en pentes et de ces champs loin des hameaux ! Si
c’était un petit jardin, je le travaillerai volontiers. Des pommes de terre et des fleurs, qui n’en
veut pas !
Aujourd’hui ; cette parcelle rêvée, est en la possession de l’adulte qui ne sait plus la
mettre en valeur alors qu’il rêve d’hectare …
Aujourd’hui, l’adulte est marié, père, fonctionnaire et bedonnant. Est-ce la réussite ?
Afin de fuir les questions gênantes et troublantes, l’être humain recherche des repères
mesurables, matériels, à travers la comparaison et autre subterfuge. Remontent à la surface,
des amis d’enfance, des camarades de classe. Quels points communs, quelle différence, quel
…qu’est ce que la réussite ? Qu’est ce que l’échec ? Ces mots ont ils un sens ?
L’air de Tlemcen lui faisait vraiment du bien ! Arrivé malade comme jamais dans la
soirée d’hier, Mourad a passé la nuit brûlant de fièvre et suant jusqu’au matin. Après une
douche qui l’a remis un peu d’aplomb, il a pris son petit déjeuner avec l’équipe organisatrice
du séminaire, pour se retrouver, déambulant, véritable convalescent, le long de la route
principale du Mansourah.
Il était là, assis sur un tronc, à contempler, au loin le reste de muraille en terre rouge.
« Revenir à Tlemcen, cela me fait tout drôle ! Je ne sais pourquoi ce sentiment de retrouvaille
puisque je ne tiens à retrouver personne ! »
Jardin d’enfance au secours de l’adulte malade !
Pourquoi cette image de l’enfance ressurgit-elle en ce moment ? Pourquoi cette
histoire de jardin ?
Pendant qu’il cherchait le lien qui le liait à ces lieux, il se laissait aller à cette fraîche
sensation de communion avec la nature et buvait à grandes bouffées ce bien être inattendu que
lui sert l’endroit.
Eviter les questionnements inutiles, vivre l’instant uniquement !
Cela pouvait durer une éternité, il ne se lassera pas ! Le temps s’était arrêté, il lui
donnait un répit pour que le corps rejoigne l’esprit. Il avait la nette impression d’un
disfonctionnement, d’un décalage. Et les choses se remettaient lentement en place. Le corps
vide se remplissait, goutte à goutte, de cette énergie qui émane de tout ce qui l’entoure :
pierres, arbres, murailles, troncs, verdure… le merle au bec jaune semblait pourtant
s’accommoder de sa présence, un moment, avant de déferler de son cri d’alarme le long de la
clôture d’arbres … ce qui le fit sursauter et se lever pour continuer machinalement sa
promenade.
Sur les traces de Sidi Boumediene
A Agadir – Tagrart, tout inconnu de passage, est un saint potentiel ! Les dévots et
autres politiques se chargeront de le couvrir de mystère et de pouvoir…
Reposer à El Eubad, où chaque porte est gardée par un saint, parait raisonnable pour
le maître des maîtres.
Mais je resterai sur mes gardes à l’affût d’un regard, du seul regard qu’il m’est permis
de croiser pour m’y noyer. Y retrouver la limpidité de mes désirs primaires.
Les femmes et les filles déambulent confiantes dans cette ruelle aux mille saints. Le
sacré fait parti de leur quotidien, il n’émeut que les touristes crédules et obéissants.
Que faire quand les colères se noient dans un verre d’eau puisé dans le puits que cette
même colère a fait jaillir il y a vingt siècles.
Non, ma colère n’a pas été provoquée par la désobéissance d’une femme. Ma colère
coule d’une source qu’on ne peut dompter par des saints fictifs puisqu’elle se nourrit
d’injustice.
Autour du puits s’agglutinent des grappes de femmes qui remplissent des récipients en
plastique. Quelle colère voulez vous éteindre bonnes femmes ? Est ce la votre ou celle de vos
maris malades d’injustice et soumis aux supplices des temps modernes ? Quand ils pleurent
la tête enfuit dans vos corsages, que vous les bercez d’une nouba à la Cordoue, ne leur offrez
pas d’eau bénite qui les calme et les endort. Donnez-leur vos seins gorgés de vin et de fruits!
Maintenez-les éveillés jusqu’à ce que le feu embrase les mauvaises herbes qui ont envahi leur
cœur et neutralisé leur géni libérateur !
Oh enfant de Séville, es-tu vraiment celui qui entreprit ce long voyage pour finir piégé
sur les hauteurs d’El Eubad à la merci d’hordes sauvages qui dévastèrent ton mausolée au
nom de la même religion ?
Ton voyage vers Fès n’aurait pas dû s’achever parmi les vergers de cette contrée. Tu
as beau resté muet, Lalla Setti a parlé pour toi !
C’est à Lalla Setti, l’inconnue sans histoire ni Histoire que fut confier la protection des
tribus et de la ville. C’est à elle que je m’en vais confier mes peines.
Non, je ne suis pas là pour m’apitoyer sur le sort de mon peuple qu’on assassine
quotidiennement pour le momifier et l’exposer aux touristes.
Quand je l’ai approché, Lalla Setti s’offusqua d’abord de ce visiteur inculte chargé de
questionnement qui ne demande rien pour lui et ses proches, avant de me libérer, sans aucune
contrainte. Je m’imaginai : courtisan attendu pour combler ses solitudes séculaires. Je me
retourne vers la plaine, Taqibalt, et perdu dans mes rêveries et le bien être que procure le
printemps, j’entendis sa voix et je vis Agadir – Tagrart à travers les sièges et les siècles.
Toute histoire qui ne m’éclaire sur le présent n’a pas raison d’être.
Pierre après pierre, brique après brique, les murailles s’édifièrent et les mosquées et
les fontaines … conquérants et conquis ont la même motivation. Rois croyants ou païens ils
édifièrent des tours et des remparts pour leur défense ou à leur gloire et s’offrirent autant de
saints protecteurs pour se protéger des peuples autochtones.
Peu importe que les coupoles voyagent, si c’est pour écraser d’autres paysages.
Les sièges apportèrent leur verdict quant à la résistance et à la ruse de chacun.
Les hordes succédèrent aux hordes et l’Histoire se répéta inlassablement.
Et les vainqueurs firent toujours l’histoire et l’histoire ne retint que leur nom. Des
chefs d’œuvres naquirent ; on ne retint que le nom des dignitaires de l’époque, jamais ceux
des artistes qui eurent mal aux reins d’avoir trop visé juste.
Le politique domina l’histoire, il n’eut pas de place pour autre chose.
Le politique domine le présent, il n y a de place pour rien d’autre ! Les querelles de
rois n’ont jamais nourri les peuples de l’arrière pays. Les intrigues de palais sont la seule
culture héritée de ces citadelles ! Pourquoi Lalla Setti ne dis tu pas à tes enfants d’arrêter leur
cirque ? Les Hommes qui ont réfléchis ont laissé un lourd testament que les vivants ne lisent
qu’en cachette. Il est temps de lire tout haut l’affreuse calomnie des siècles !
Ibn Khaldoun pris la fuite quand il senti le danger l’approcher. C’est à Frenda dans
une grotte qu’il se réfugia loin des rois pour nous faire parvenir les dures réalités que l’on
continu a nous déformer à ce jour. A ce jour pour les dire il faut être loin des médinas dans un
tunnel de métro (pas celui d’Alger).
L’Emir Abdelkader prévint des dérives nedromiennes.
Sidi Boumediene n’a su que mourir à tes pieds. Bgayet n’en voulait plus, lui qui
obéissait au roi !
Toute histoire qui ne m’éclaire sur le présent n’a pas raison d’être.
Qu’attendre de cette amoureuse, qui ne cesse de fantasmer sur ces possessions, qui ne
jouit que sur le mensonge interminablement réinventé pour tenir en haleine le visiteur éblouit
mais pas séduit.
Confusion constante et volontairement entretenue jusqu’au point de se prendre à son
propre jeu.
Les remparts s’étaient transformés en collier de perles. Elle poussa sa coquetterie
jusqu’à importer virtuellement des murs d’orient pour les sacraliser !
Elle s’embrouilla dans ses descendances en inventant de fausses filiations avec les
prophètes et même des traces de leur visite dans la cité !
Qu’attendre de cette amoureuse qui ne sait fantasmer que pour tromper ses
admirateurs ?
Elle s’inventa des palais, des courtisans et des guerres qui n’eurent jamais lieu et
d’autres fantaisies de veuve enfermée qui ne peut jouir qu’en arpentant les tunnels de
l’histoire, qui tournent en rond, sans dépasser les limites de ses vergers.
Courtisane et courtisée, anonyme et renommée, piétinée et adorée, amoureuse éperdue
de son maître jusqu’au crime!
Toute histoire qui ne m’éclaire sur le présent n’a pas raison d’être.
Ah femme aux grands yeux noirs, pourquoi me refuser ce libre accès au ruisseau du
chrétien ?
Tu es témoin, Lalla Setti, j’ai tendu la main à la chrétienne sans arrière pensée, fini le
temps des croisades, je m’attendais au retour du christ dans son regard de bonne sœur
espiègle.
Mon haleine malade la répugna au point de me renvoyer à mes supposés versets. En
voulant imiter le muezzin pour faire plaisir à l’assistance et m’enfermer dans mon monastère,
elle entraîna Dieu hors des mosquées.
C’est ainsi que fourvoyé par l’accent d’une princesse étrangère, Dieu se retrouva
accoudé au bar fictif d’une ville hérissée de verges concurrentes, à méditer sur sa grandeur
égarée en ce bas monde des hommes.
L’assistance m’en voulu terriblement de profiter de la fièvre qui me faisait délirer, au
lieu de la soigner.
« Allah est au bar » insistait toute rougissante, la jeune animatrice venu de loin.
Lalla Setti se mis en colère elle aussi contre l’impudent. Venu l’écouter, il se retrouve
à radoter indéfiniment et à parasiter l’assistance.
-Moi dont le nom est juxtaposition de tribus, je n’ai jamais pu accomplir totalement la
fusion espérée, parce que nulle reconnaissance n’accompagnait la demande !
Cette voix m’arracha au brasier qui me consumait et me projeta dans le feu des années
barbares.
-Tu veux savoir, les plus malades de mes enfants sont soignés pendant que les biens
portants sont jetés en prison.
Oui, ils ont dévasté mon jardin, ma plaine ! Ils ont saccagé les mausolées et assassiné
nombre d’innocent, parce qu’on leur a dit que le crime faisait l’Histoire.
Qui sont-ils ? L’histoire regorge de ces exemples, mais cela ne l’a pas empêché de
continuer son chemin.
Toute histoire qui ne m’éclaire sur le présent n’a pas raison d’être.
Parlait – elle du passé ou du présent ? Lalla Setti parla longuement de ces hordes
barbares qui continuent à mutiler l’Histoire qui refuse de se plier.
Puis toute fière, elle évoqua l’esprit de résistance des ses enfants et la ruse innée de ses
filles !
Elle évoqua l’interminable siège qui vit la construction de la muraille et de la cité du
Mansourah pendant que la famine gagnait ses enfants assiégés qui finirent par se nourrir de
rats et autres bestioles. Au bout de leur résistance il ne leur restait plus que la capitulation.
Mais il fallait d’abord mettre fin à la vie de toute leurs femmes et filles pour éviter le
déshonneur. Au moment de mettre à exécution leur plan, une vielle femme leur indiquât
l’issue. Il fallait lâcher le dernier mouton en le couvrant d’épis de blé et autres grains. C’est
ainsi que le mouton alla se balader fièrement sur les lignes ennemies qui l’attrapèrent et le
menèrent au roi qui ordonna de lever le siège. « Si après tant d’années de siège ils ont des
moutons gras et des céréales c’est qu’il peuvent tenir indéfiniment ! ».
J’éclatais de rire en frissonnant pendant que Lalla fronçait ses sourcils. Cette image
qui fait la fierté des gens d’aujourd’hui vient me livrer le sens d’une générosité inexpliquée.
C’est une ruse pour vous faire fuir poliment !
Eh oui Setti, je me permets de reformuler l’histoire à ma guise moi aussi, je suis de ces
tribus qui repoussaient l’ennemi en le fuyant :
J’en suis tellement imprégné que le fou rire ne me quitte pas quand je vois mes
contemporains s’acharner à trouver des explications au ridicule des situations que l’histoire a
fait parvenir.
Lalla ou Setti, pléonasme pour réconcilier le petit peuple.
Toute histoire qui ne m’éclaire sur le présent n’a pas raison d’être.
NOTES MARGINALES
Etre l’invité évite d’être critiqué, la retenue est de mise de part et d’autre. C’est pour cela
qu’on insiste toujours sur l’aspect accueil d’une région et votre statut d’invité doit vous
empêcher de formuler des observations désobligeantes.
Allez en citoyen libre et avisé, et sachez que partout des hommes attendent d’être libéré de
leurs frères.
Les ex, aveuglés par la nostalgie servent d’alibi à l’incompétence aux commandes.
Je ne peux approcher un personnage qu’au moment où il trébuche et quand il prend son envol
pour échapper aux obstacles physiques. Sa gaucherie m’introduit à sa spiritualité. L’humain
est la porte d’accès au mystique.
Chaque guide vous conte l’endroit à sa manière, selon sa classe, sa culture, ses rapports…
Chaque endroit doit être revisité avec des guides différents ; comme chaque livre mérite
plusieurs lectures.
L’invité ne devient citoyen qu’après le renoncement à tous les honneurs et les privilèges.
Le retour
Nov. 2005
n’être
Durant quelques mois, j’ai fréquenté régulièrement l’atelier de l’artiste peintre Elmes.
Chaque fin de journée de travail, de 17 heures à 18 heures, je faisais irruption dans ce
minuscule aquarium perché dans un coin de l’immense et poussiéreux marché au trois quart
inutilisé, qui fait office d’atelier à notre ami Elmes. Encore heureux qu’il ait trouvé refuge,
puis qu’à la dernière exposition il était SDF ….
Ma première visite, n’a fait qu’en rajouter à toute ma lassitude et mon désarroi quand à
la place de l’expression artistique à l’heure actuelle dans notre pays.
Je m’étais interdit l’espoir et me refusait tout compromis avec lui.
Mon ami Elmes est venu me relancer à chaque fois ; puis à la dernière, il m’a parlé de
son exposition qu’il devait à tout pris préparer pour le début avril. Je me suis rendu compte
qu’il était sérieux et seul et qu’il appelait au secours !
C’est ainsi que je me suis engagé à le soutenir à défaut de l’aider d’autant plus que je
ne comprenais rien à la peinture. Pour cela j’avais besoin de me mettre dans le bain. Mon ami
fut ravi de me voir revenir et feuilleter des revues d’arts qu’il déposait exprès à porté de main.
Il me gâta à tel point que je commençais à le tarauder de mes questions d’élève qui s’éveille à
une matière qu’il a boudé dans le passé.
Elmes parlait de ses triangles comme de ses enfants terribles que l’entourage refuse
d’adopter parce qu’il ne comprenait pas cette nudité , cette arrogance de l’artiste à se
compliquer l’existence au lieu de peintre des natures mortes et des demoiselles bien
ressemblantes. Lui de son coté creusait pour montrer que cette nudité n’était qu’apparence et
que la vérité est profondeur.
Au fil des jours (des heures ?) les formes et les couleurs creusaient les murs …
Le peintre s’essaya à tous les discours.
Le poète joua au matelot raillant l’albatros dans sa démarche.
Le peintre fit appel à tous ses maîtres qu’il condensa dans des résumés géométriques
…
Notre poète ne voulant pas montrer son inculture se chercha des appuis triangulaires.
A son tour, il essaya d’entraîner le peintre dans des rimes aquatiques et des rêves catastrophes.
Celui-ci s’avéra bon nageur et habile interprète…
Au fil des heures (des mois ?) les formes et les couleurs creusaient les murs…
Le poète se hisse à proximité du pinceau : ce qu’il vit lui ouvrit d’autres perspectives.
Le peintre s’enlise dans le piège des mots avant de s’en faire des alliés sur le chemin
de sa quête.
L’artiste a mis le cadre en place. La couleur se charge de sens.
La forme est l’idée et la lumière réfléchie.
L’artiste se libère du cadre et la couleur prend forme et nourrit le sens.
L’atelier de mon ami parut spacieux et lumineux au point d’être un lieu de rencontre.
Des peintres s’y retrouvèrent, lancèrent une idée d’association.
I
De l’être au paraître
L’homme a perdu ses repères au point de ne plus savoir ce qu’il est ni ce qu’il voudrait
être. Il s’embourbe dans ce qu’on attend de lui, pour accéder à la satisfaction de ses besoins.
Ne comprenant pas la décadence des nouveax repères qu’on lui propose, il résiste un
moment, puis convaincu que c’est la nouvelle philosophie, il s'essaie aux pas qu’on lui
impose.
Se plaignant toujours, il se dénature à l’effort d’adaptation reconversion
transformation, sans jamais atteindre la complète mutation.
Ni avance ni recul, figé dans ses rictus, il recherche mentalement des points de chutes
introuvables.
Ce qu’il redoute le plus : retomber sur son derrière, sachant que ses pieds ne lui
obéissent plus.
Maintenir la tension pour que ses nouveaux sauveurs ne s’aperçoivent pas de son envie
de renoncer. Maintenir la tension au prix de crampes faciales et de risques cardiaques
constants.
A force de persévérance, les dépôts de surface finissent par lui façonner une apparence
qu’il promène comme sa nouvelle identité.
Dans sa folle envie d’échapper à sa condition par l’amnésie, il ne fait qu’absorber des
apparences croyant acquérir des connaissances. S’éloignant de plus en plus du rivage et ne
voyant pas venir de bateau il comprend qu’il ne fait ni ne fera parti d’aucun équipage.
II
La verticalité
L’homme qui a perdu ses repères, au point de ne plus savoir ce qu’il est ni ce qu’il
voudrait être, devrait se retourner vers ce qu’il a été pour éviter de s’embourber dans ce
qu’on attend de lui, pour accéder à la satisfaction de ses besoins.
Ainsi de la dynamique triangulaire surgit la démarche salutaire
Passé - présent - futur
Notre ami Elmes est totalement imprégné de ce symbole. Il est convaincu qu’à
l’origine fut une énergie triangulaire animée d’une verticalité créatrice en perpétuel
mouvement.
Ainsi de l’homme qui ne pourrait être sans
son corps, son âme et son esprit.
Sans cette trinité l’évolution ne serait pas envisageable.
L’économie serait restée au stade du troc s’il n’y avait eu l’invention de la monnaie.
Même nos sociétés policées considèrent la rencontre de trois personnes comme un
regroupement dangereux capable de faire évoluer une situation.
Le triangle dans sa verticalité symbolise la création, l’évolution, le mouvement ... la
station debout.
La station debout a pulvérisé les limites, a ouvert les horizons et fait l’homme
d’aujourd’hui.
Alors que l’évolution horizontale est stagnation et mort comme nous l’avons vue avec
les triangles de la mort, au même titre d’ailleurs que la position par rapport au sol de nos
ancêtres.
III
Le symbole
La symbolique du triangle est très répandue dans les cultures depuis la nuit des temps.
Chez Elmes, le triangle symbolise avant tout l’Homme debout. La verticalité est la condition
indispensable qui produit l’évolution, la continuité et la création.
Dans sa recherche, appliquée à la société qui l’entoure, l’artiste découvre que chaque
individu a son double, ou plus précisément, chaque individu s'emploie a brouiller ce qu’il est.
Ainsi d’une personnalité riche d’apparence l’artiste met à jour dans la pénombre une
identité étouffée.
Celui qu’on voyait pauvre dans son effacement s’avère riche dans son intérieur.
L’autre qu’on croyait lourd de matérialité se trouve le plus rêveur d’entre nous.
Chaque tableau met en contraste le paraître et l’être relégué à l’arrière plan.
En nous regardant dans un miroir, nous voyons notre apparence. Notre être se tient
quelque part, invisible.
En contemplant l’un des tableaux de notre artiste, nous découvrons cet autre qui fait
parti de nous mais qui n’arrive pas à s’exprimer. Cette présence est rendue possible grâce au
coup de pinceau de l’artiste.
IV
Quête d’harmonie
Cette quête d’harmonie, nous est communiquée à travers le choix des couleurs et des
motifs ainsi que tout l’amour que l’artiste déploie pour ne pas gêner l’envol des formes
triangulaires. Il s’en dégage une chaleur qui nous capte et humanise cette quête, tableau après
tableau.
Tableau après tableau, une intense vie spirituelle gagne le regardeur qui est passé du
questionnement à la sensation que quelqu’un enfin s’intéresse à lui. Ce quelqu’un n’est autre
que l’artiste qui vous suggère que la partie cachée de vous même mérite d’être ... libérée.
De tableau en tableau, le désir d’être enflamme notre regard et nous fait serrer les
poings.
L’homme qui a perdu ses repères, au point de ne plus savoir ce qu’il est ni ce qu’il
voudrait être, se retourne naturellement vers ce qu’il a été pour réaliser pleinement sa
modernité.
V
Forme ultime
L'homme qui a brisé son miroir, est à la recherche de l'œuvre d'art capable de
l'émouvoir au point de lui donner l'envie de continuer, de durer...
Cette œuvre d'art unique ne peut être que semblable à nous sans être nous.
Cette œuvre d'art qui nous emballe et nous déballe, qui nous fait passer par tous ses
états, pour accomplir ce que la nature attend de nous.
Cette sensation, cette tension qui nous a fait dépasser notre propre désaccord pour
nous consacrer entièrement à cette nouvelle aventure : la conquête de l'autre.
La conquête de l'autre passe par un travail sur soit, un travail de préparation minutieux
et intense qui montre tout l'intérêt que l'on porte à l'autre : Jeux de couleurs et de lumières,
danses aux origines lointaines et immédiates. Mouvement du corps qui n'est plus que pure
forme tendue vers sa réalisation.
L'autre surgit là où on l'attend le moins. Hérissé de surprise d'abord, sa forme s'inspire
et inspire le conquérant. Ses couleurs contrastent avec son séducteur sans le contredire. Plus la
danse s'intensifie, plus les intentions s'identifient. Alors les couleurs déteignent, se rejoignent
même, dans certains détails.
Quand il arrive que le touché s'emmêle, la fusion attendue, se trans(e)forme en
bond(h)issant l(e)a temps danse vers le haut obligeant le conquérant à tendre davantage son
arc pour (at) teindre la forme ultime ... et sublime .
La danse continue au de là des territoires tracés par la matière.
VI
Hors d’atteinte
Maintenant que j’ai franchis les limites territoriales de l’interdit, que je m’adonne
librement à ma danse préférée, j’aime sans amour ni but lucratif.
J’aime l’amour sans promesse tenue ni projection à l’envers. Je me décharge de toutes
les conventions au détour d’un oued asséché par des étés trop torrides. J’aime à
califourchon sur les trônes des rois déchus. Je jouis de l’impunité passagère des dictateurs
pour éjaculer à la face cachée des dévotes.
J’entretiens des rapports douteux avec les dieux oubliés des populaces. J’accentue leur
marginalité pour faciliter leur retour inattendu sur la scène.
Je suis l’angle par lequel coule le bateau et je ne ferai rien pour en sauver l’équipage
qui a abusé de l’air marin et de la qualité du plancher qui le supporte.
Toueur des temps modernes, je fais rejoindre les rivages de l’histoire, aux habitants
des cales, à la surprise des capitaineries qui les ont abandonnés en pleine mer.
Je suis l’encre indélébile qui se répand en sens obliques sur les horizons
bariolés d’un monde éclaté, à la recherche d’une verticalité absolue.
Des foules féminines empruntent mes veines pour dire cette révolte latente et
rampante à l’insu des baromètres officiels qui passent leur temps à mesurer les passages
obligés.
Je ne recule devant aucune option, pourvu que l’option m’aspire et que l’air circule
dans mes poumons.
VII
Humain
Je reste humain jusqu’à la moindre nuance de la couleur que l’artiste m’a tendu
comme un piège qui se referme sur nous tous : lecteurs et regardeurs. Nous avancerons en
triangle, pareil aux vols des oiseaux migrateurs. L’espace nous appartient et la lumière et la
couleur. Éclaireurs, nous perçons l’instant comme le lobe de l’oreille du temps pour y
suspendre nos trophées – repères. Les signes se multiplient à l’approche de la source
d’énergie supposée. Les formes se raréfient ou s’enlisent. De l’intérieur le feu s’intensifie et
fait vibrer ta peau … tambour lointain, continent restitué, couleurs triasiques, moment de
bonheur intense. Coquille irisée dans mon ciel bigarré.
VIII
Désespoir d’être
J’aime sans amour, à chaque détour d’âge je panique sur les absences. J’aime et
j’attends ton retour pour que s’accomplisse mon désaveu.
Je me sais sans destination, c’est pour cela que j’intercepte tous les vents.
J’essaie d’enrager pour paraître vivant, je n’arrive qu’à évoquer une ombre qui m’a
quitté.
Le désespoir d’être s’incruste dans chaque parcelle de mon corps coquillé. Mon argile
se lamente de ne plus servir de matière à tes mains boudeuses. J’ai hâte de voir s’échapper
d’entre tes doigts la spirale qui me rendra à ma verticalité.
IX
*
* *
La couleur fut plénitude avant d’être perturbée par le verbe. L'arrivée de la lumière, à
travers des prismes supposés, démultiplia les protagonistes de cette rencontre. Rien n'invitait à
cette prolifération de sens. L’inflation soudaine de formes a faillit basculer vers le néant. Juste
équilibre des sens. Juste retour à la source. Le regard s'éloigne en traînant la patte.
Le verbe perturbateur s'en va, perturbé à son tour par ce dépôt de couleur au fond du
regard. Il savait sans savoir et lançait son mal-être comme une sonde à l’univers. Ce dernier le
lui renvoi amplifié jusqu'à l'asphyxie de son âme qui puise, dans cette plongée vers
l'inconscience, une ivresse momentanée qu'il s'ingénie à éterniser dans une progression en
pointillés.
Eddiq g listaa
Moh le dépressif n’arrête pas d’arpenter les rues ruelles et boulevards de la ville en
répétant indéfiniment « eddiq g listaa, eddiq g listaa … » comme une image qui l’obsède et
l’empêche de se reposer un moment. Ce jour là, il s’était fixé comme centre d’intérêt le
gargotier de la place de la révolution.
Il était midi et comme chaque jour je me précipitais vers mon restaurateur habituel
pour prendre rapidement mon sandwich et retourner à mon bureau.
« Eddiq g listaa » répétait Moh en tournant autour de la masse humaine d’où
surgissaient une multitude de mains réclamant leur casse-croûte !
La gargote, montée en bois et de forme circulaire avec une toiture en parapluie, était
installée au milieu de la place et était ouverte dans les quatre directions.
Le gargotier au sourire imperturbable, la cinquantaine, d’une carrure imposante,
moustache à la « menguelate », servi par des apprentis dont on ne voyait que la casquette,
donnait et recevait indéfiniment.
Et puis je t’ai vu venir, ce jour là, nonchalant, ailleurs, hors de la bousculade ambiante
dont tu étais pourtant l’artisan. Majestueux dans ton port, inaccessible à la foule, pourtant si
nu à mon regard … je voyais l’autre évoluer, celui qui se cachait derrière l’imperméable vieux
style, le regard attentif et le sourire qui dégage ce je ne sais quoi d’insolent … je voyais la
bête traquée, le loup affamé, le désert nostalgique et le silence d’un village abandonné…
Les officiels paraissaient piteux dans leur costume d’occasion. Piteux et ennuyeux
pendant que tu planais, là où il n’y a ni haut ni bas, tu planais à hauteur d’homme, si près de
tous et si loin de chacun. Tu te confondais avec la cause que tu servais. Les présents n’étaient
que le décor indispensable pour faire avancer la cause … tu étais là et ailleurs. Quel est ton
monde ? Ce monde qui m’échappe, pourtant si familier...
Tu es passé devant moi sans un regard ou bien non, avec ce regard destiné à
encourager les gens qui servent la cause que tu défends.
Tu as réveillé en moi le désir de braver l’interdit pour découvrir l’inédit. Ces choses
qui n’intéressent personne parce que sans profit. Toi au bout du tunnel. Toi à l’envers du
décor, de ce monde imbécile et aveugle…
Tu es venu à moi avec la naïveté des gens de chez nous : sans calcul et
provocatrice. Tu me pris par la déchirure pour m’entraîner dans tes blessures. Je ne demandais
rien tu m’offrais tout. J’étais soumis à ma trajectoire tu as décidé d’une halte salutaire pour
moi. Je prônais le durable tu revendiquais l’éphémère.
Et les feux de l’été ont calciné toute la végétation qui ombrageait la retraite du
guerrier rescapé des dernières batailles, convaincu que l’ultime se livrerait sans lui et que rien
ne justifierait sa réapparition au grand jour.
Tu es venu me réapprendre la noblesse des félins évoluant à découvert et
l’évidence animale qui régente nos sociétés.
Sans effort, tu as tissé le contour d’une odyssée dont tu prétendais maîtriser le
moindre méandre et nommer chaque nuance. Formes et couleurs émergeaient au simple
battement de tes cils et de tes frémissements fiévreux naissaient d’insondables tableaux
ensoleillés qui se mettaient à vivre au rythme de ta respiration… mirage ou miracle ? Je fus
entraîné, aspiré, inspiré … de parfum en parfum. Je m’adaptais à ce nouveau langage des
sens où la parole est bannie et la gestuelle absente, délivré de l’esclavage des mots, de la
contrainte d’usage et du soucie du signe et du sens. Tout est à propos et ne demande aucun à-
propos.
Consommer une à une les fleurs épanouies et les fruits gorgés de jus qui exhalent
moult aromes exotiques… Cueillir le pollen destiné à sauver l’espèce et laisser le miel se
constituer dans les alvéoles du temps pour nourrir les générations futures.
Faire parler les silences coincés entre les reliefs de ton corps : ombres et couleurs.
Mon sirocco dévaste tes plaines, remue tes vallées et réveille ta faune : j’attends d’être
dévorer fidèlement et royalement.
Dialogue
Je ne connais pas.
Etre ta tasse de café ! Agrippé à tes lèvres je ne me lasserais jamais de te faire aimer le café…
C’est ce qui fait l’urgence et la nonchalance des rois ! Être le lit qui t’accueille chaque soir ;
mon corps rêve d’insomnie !
L’insoumission n’est que le revers de la conquête. Nous sommes un peuple de rebelle sans
cesse conquit par la beauté des étrangères mais toujours fidèle à la fibre maternelle… nous
sommes soumis aux contradictions de la nature et vibrons devant l’incertain (l’inconnu ?).
A chaque fois que :
Je voulais te prendre par le bout des idées, tu m’opposais l’évidence de tes seins … et je
repiquais du nez dans la vallée du bonheur perdu d’une enfance déchirée par l’exil précoce.
Mangue ou pépino ? Ma seule certitude est que ce fruit exotique me fait rêver de toi, même
quand nous sommes l’un dans l’autre.
J’ai parcouru tant de déserts, que le sable a fini par envahir tous mes espaces,
remplacer le sang dans mes veines et habiller mon regard.
Palmier exposé à tous les vents, mes dattes mûres pourrissaient à défaut de nourrir ma
tribu partie en transhumance et qui tarde à revenir sur ses traces. Ce face à face avec le ciel et
le soleil a tellement duré que j’allais définitivement fermer mes pores (paupières) pour
sauvegarder l’ultime goutte pour le dernier voyage.
Je sentais me gagner une immense mer de nostalgie, monter en moi par vague,
m’étrangler jusqu’à l’asphyxie et me libérer dans un soupir qui ébranla plus d’une fois les
monts figés, ces anciens dieux vaincus par l’attente.
J’en étais là quand un tourbillon, colonne montante jusqu’au ciel qui était si bas ce
jour là, te déposa devant moi. Surpris d’abord, incrédule ensuite, je n’ai voulu voir là que
l’empreinte d’un souvenir mal enfui. Pendant toute la tempête, alors que mon corps était
affairé à se maintenir en équilibre, mon regard n’a pas arrêté un moment de scruter cette
présence incongrue au milieu des décombres de ce qui fut ma cité.
A partir de cet instant mon combat avec les éléments était secondaire, mettant en
péril le fragile équilibre que je parvenais à maintenir malgré la violence ambiante, je
m’approchais dangereusement de ma source de distraction. Ce mouvement s’avéra salutaire.
Quand les éléments se déclenchèrent irréversiblement, j’étais à l’abri d’un sourire tellement
humain qu’il repeupla tout le désert et réinventa ma cité.
Te quitter pour te retrouver
Ta folie est ma sagesse, ta sagesse est ma folie, il faudrait aller dans des sens
opposés pour se rencontrer.
Plus tu t’éloignes plus tu m’enserres dans tes fers invisibles et m’interdis tout autre
distraction.
C’est pour cela que la distance nous rapproche pendant que la promiscuité nous
éloigne.
C’est pour cela que nous sommes faits pour nous séparer et nous retrouver
indéfiniment …
Quand je l’attends
Quand je l’attends, c’est toute la terre qui suspend ses mouvements, dans l’attente
de l’événement qui va bouleverser ma face figée, crispée, tendue…
Accroupi sur mon tronc flottant sur le fleuve du temps, je dessine dans les courants
d’air l’ambiance qui précède l’accueil. Je m’étale de tout mon long, faisant languir mes sens
et piaffer mes envies sans briser aucune attache, sans décrocher aucun fil, menant de front
toutes les tensions, négligeant les fausses pistes toujours d’accès facile, avantageant les plus
ardues dont chaque détour se complique en promettant, me maintenant toujours à proximité
de l’accessible, je largue toutes les amarres et m’assure de la complicité du large…
Quand je l’attends, c’est tout l’univers qui se met à ma disposition pour lui créer
l’instant de la reconversion, c’est l’éternité qui se met à genou pour accueillir l’improbable
rencontre, l’inattendu, l’événement…
Quand elle disparaît à l’horizon, c’est un retour d’écho qui m’apprend que je suis
seul, que ma respiration ne rencontre plus d’obstacle, que mes bras brassent l’air et que mes
lèvres embrassent le silence.
Quand elle commence à m’habiter, à me parler, à me raisonner, je sais qu’elle est
loin de moi et je commence à apprécier sa présence.
Le parchemin
La conscience tranquille
Ce matin là, j’allais sifflotant à la recherche d’une inspiration que je savais présente,
quelque part, sous le splendide soleil hivernal. J’étais léger et je chantonnais, ce qui ne m’était
pas arrivé depuis longtemps. Qu’est ce ? Peut importe, j’étais bien malgré toutes les tensions
professionnelles qui m’assaillaient de partout. J’étais bien et je sifflotais. Il me vint l’idée
lumineuse de tout laisser tomber et de rendre visite à mon nouvel ami, D. Soufi, artiste peintre
autodidacte en pleine aventure picturale.
Je voulais un peu d’espace et de liberté, et c’est naturellement que je me tournais vers
cet ami peintre qui à investi la bulle de notre ami commun, Elmes, qui s’est replié avec arme
et bagage vers son village natal où le toit paternel pouvait encore l’abriter.
Les temps sont durs pour les sans logis dans nos villes pourtant déglinguées. Un demi
siècle d’existence et toujours dépendant d’un toit dans l’indivision. Elmes avait vécu tant
d’expériences… Prometteuses au départ elles se terminaient toujours dans la désolation et le
désespoir. L’envol définitif n’a jamais eu lieu. C’était pareil à ce tableau qui n’en finissait
pas : A chaque fois qu’il approchait du but, le support craquait sous le poids du sens ou du
doute. Notre rencontre n’était pas fortuite. La similitude faisait converger nos trajectoires. Il y
avait des moments où on arrivait à se détester parce que trop ressemblant. Des fois, les
charges étaient tellement explosives qu’un délestage était nécessaire au large pour revenir
s’affronter dans le réduit qui servait d’atelier.
Après la triangulaire expérience, lui cherchait l’avoir que l’être a généré et moi un
autre miroir à briser…
J’en étais là lorsqu’un véhicule se plaça à ma hauteur et je vie son conducteur me faire
un signe qui me signifiait que j’étais ailleurs ! Je reconnu l’entrepreneur qui avait réalisé des
aménagements dans mon « logement » et avec qui je m’étais embrouillé parce qu’il avait mal
réalisé ses travaux et que je lui avais fait une retenue sur sa facture pour pouvoir les refaire.
Il me faisait signe de garer mon véhicule, ce que je fis derrière lui. On se salua et nous
entrâmes dans un café juste à coté. Le garçon, derrière le comptoir, pris nos commandes et
j’eu droit à la litanie des gens malhonnêtes : « tu sais je t’assure sur tout ce que j’ai de plus
chère, sur la tête de mes enfants, de mes parents, que j’ai été perdant dans ces travaux. Alors
si ta conscience te permet de ne pas me payer, je ne te demanderais plus rien ! »
A le regarder, je devinais que ce même discourt était servi, d’une manière
automatique, à tous ses clients.
- Ainsi toi tu as la conscience tranquille quand tu escroques tes clients pendant que
moi tu penses qu’elle va me torturer par ce que j’essai de m’en sortir à bon compte. Tu répètes
cette litanie combien de fois dans la journée ? Je préfère en rester là.
Je fais le geste de payer les consommations, il m’arrête d’un « le problème ce n’est pas
les cafés ! … » accompagné d’un geste de la main.
On se sépara précipitamment avec un salut hypocrite sous le regard interrogateur du
cafetier.
Dès que je mis le pied sur la première et unique marche d’escalier du marché couvert,
à la vue du tableau qui se présenta à moi, j’oubliai toutes les tracasseries pour me consacrer à
cette vision :
D. Soufi peignait à même le sol du couloir de l’immense marché couvert entouré des
commerçants qui ont quitté les quelques coins dispersés de leur étalage qu’ils tenaient sans
grande conviction vue l’hygiène ambiante et la consistance des produits exposés.
Il peignait une grande toile à même le sol dont on ne distingue même plus la couleur
du carrelage… je le vie, courbé, tournoyer la main tendue tenant au bout un couteau,
donnant des coups à la toile lui assenant des blessures dont le sang changeait de couleur en se
coagulant autour de la balafre encore fraîche.
Autour de lui, les commerçants vociféraient et gesticulaient pendant que lui donnait
des coups de couteau - pinceau dans la toile... quel est ce nouveau jeu inventé par mon ami
pour distraire les gardiens de cet espace abandonné ? Un combat imaginaire qui provoquait le
réel dans une mise en scène qui déclenchait l’hystérie des spectateurs ?
Scène irréelle du boucher tenant son poignard d’une main ensanglantée et de l’autre
son pantalon tombant avec un rictus dans le maquis de sa barbe dominant largement le peintre
penché en avant et concentré dans sa quête. Attendait-il l’issue du combat de l’artiste pour le
terrasser à son tour ? Le marchand de légumes tournait sur lui-même avec un encombrant et
immense chou vert entre les mains. L’herboriste inculte montrait à qui veut le voir le livre
saint qu’il serrait contre sa poitrine. ..
Tous faisaient cercle autour du peintre en guerre contre sa toile qu’il a commencé par
terrasser à même le sol crasseux de ce marché abandonné…
Au bout d’un moment, qui a duré une éternité, où j’ai eu toutes les visions d’un pays
tourmenté et à jamais perturbé, j’entrais dans cette nouvelle dimension qui promettait. Je
m’approchais, saluais et demandai ce qui se passait, en m’apprêtant à le féliciter pour cette
nouvelle création ...
« Je n’avais pas assez d’espace dans « l’atelier » alors j’ai squatté momentanément le
hall inutilisé. Les commerçants se sont sûrement dit que j’allais l’occuper définitivement s’ils
me laissaient faire. Alors ils n’ont pas trouvé mieux que de m’accuser de salir le parterre avec
ma peinture ! Regarde toutes ces saletés ! Ces araignées qui tissent dans tous les sens, ces
têtes de veaux qui traînent partout... Et ils trouvent que mes petites taches de peinture salissent
le parterre ! Je termine et je ramasse mes pinceaux ! ».
Les gardiens de cet espace abandonné se dégonflèrent un peu et se dispersèrent en
grognant leur insatisfaction. Je compris qu’Ils n’abandonnaient pas la partie, ils changeaient
seulement d’angle d’attaque.
Je ne sais pourquoi, mais je fis demi tour en lançant à haute voix « je reviens tout de
suite avec un appareil photo, surtout ne déménage pas ».
Le parchemin
« …Vivre dans un petit deux pièces avec sa progéniture, sa fratrie et ses parents relève
de l’exploit : et pourtant j’en suis là avec mon age mur et mon art nubile… »
D. a postulé à de nombreux concours de circonstances qui devaient le sortir de ce
pétrin sans résultat.
Le dernier placement était ce parchemin qui date des épopées Soufies de la région.
Les plus hautes autorités administratives et militaires de la ville, les notables et tous les
courtisans de la région étaient en quête d’un présent original à offrir à leur candidat à la
présidence de la république en campagne dans la région. Chacun y allait de sa proposition, de
son commentaire sur les goûts du visiteur, sur la symbolique du cadeau, sur la portée du geste.
Tout y passa : le burnous traditionnel, le vieux fusil du maquisard, le tableau d’un vieux
peintre mort dans la misère mais aujourd’hui vénéré à travers le monde… et chacun y allait de
sa proposition, de son commentaire …
D. ne sait comment mais la question fatale lui fut posée ! Il parait que tu possèdes un
parchemin qui date de … Les marchandages commencèrent les convocations de plus en plus
haut lieu jusqu’au dernier : que veux tu en échange ? Le plus marrant dans tout cela c’est que
lui n’a rien dit jusqu’à cette question fatidique ! Les autres parlaient et marchandaient à sa
place et lui balançait la tête en attendant qu’on lui donne la parole.
Alors au moment on il voulait signer son accord pour faire plaisir au visiteur de
marque , en annonçant sa bonne volonté et le plaisir qu’il avait à faire ce geste, au moment où
il gonflait ses poumons d’air pour dire nettement sa décision d’offrir... quelqu’un dit, le
laissant la bouche ouverte, comme un poisson hors de l’eau, quelqu’un dit à l’assistance, aux
plus hautes instances de la contrée, quelqu’un dit simplement que D. avait besoin d’un
logement et de rien d’autre. Tout le monde s’exclama devant l’indigence de la demande et
répondirent en cœur que c’était acquis. D. n’en revenait pas. Combien ces gens savaient
négocier pour tout le monde ! Ils ont vite trouvé ce qui ferait plaisir au président et au
donneur sans que les deux concernés ne prononcent un mot. Tout était rentré dans l’ordre. Ils
le reconduisirent et le rassurèrent que bientôt il serait bien logé.
Il était étourdi par la rapidité des événements. Il ne réalisait pas exactement la chose.
Mais il se disait qu’on verra…
Le candidat - président vint dans la ville, tint sa compagne électorale, reçu son cadeau
comme gage d’engagement de la région et fut élu sans surprise. Sa cours ne tint pas promesse
et lui-même parait-il aujourd’hui, est loin de son programme.
D. a perdu son parchemin et habite toujours dans un petit deux pièces avec sa
progéniture, sa fratrie et ses parents.
Il en est là avec son âge mur et son art nubile, à rêver d’un espace où il pourrait étaler
ses couleurs sans qu’on les prenne pour de la saleté…
L’abstinence
Etaler ses couleurs dans l’espace pour échapper au support matériel soumis à l’érosion
du temps. Qu’il pleuve des couleurs et que la terre entière soit toile… !
D. allait à travers la ville, convaincu que c’était la ville qui allait à travers son corps
pendant que lui était adossé à l’idée qu’il se faisait de la ville…
Tant d’idées étranges traversaient son esprit survolté …
Plus l’espèce se procrée moins il y a de place pour la création.
Chaque espèce avait sa voie de « pro-création », lui ne cherchait qu’à créer… à mettre
bas… il promenait son corps comme une outre de couleur prête à se déverser sur la face du
monde pour le transfigurer. Il sentait le mélange des couleurs se préparer dans les recoins de
sa mémoire séculaire puisant ses nuances dans la profondeur du temps de gestation.
La forme n’avait pas de sens, même pas d’existence, tant que la couleur ne quitte son
outre en peau d’homme.
Tout est dans l’abstinence, la résistance à l’envie de libérer ses entrailles trop vite ou
trop tôt, céder à la facilité, à la nostalgie du bien être, au relâchement des toilettes, à la
défécation…
Ce jour là
Quand l’abstinence aura fait ses effets et que le corps aura fondu dans l’esprit,
Ce jour là il pleuvra des bulles qui éclateront au touché du regard pour libérer leur couleur.
Ce jour là les couleurs seront surprises par la tournure que prendra l’événement.
Ce jour là l’événement perdra ses couleurs parc qu’il n’avait pas de sens.
Ce jour là les couleurs reprendront leur sens en évacuant l’événement…
A l’air libre, comme si l’air pouvait être emprisonné ! Comme l’air libre ou libre
comme l’air ? Comment cette expression se traduit-elle dans la réalité ? Comment ? D. allait,
accélérant le pas sans réaliser la distance parcourue parmi le maquis. Son esprit s’accélérait et
son pas suivait ou bien le contraire. Qui allait le plus vite ? Son pas ou son esprit ? Vers quel
but ? Qui se mettait au service de l’autre ? L’esprit ou le corps ? Dans la fusion, la question ne
se pose même pas. Tout est dans la tension, dans cette recherche d’un espace qui vous
accepte, vous intègre…
D. aperçu la clairière et compris que l’endroit l’appelait. Mais l’endroit était occupé.
L’endroit s’offrait à un groupe de personnes qui s’en donnait à cœur. L’un à la guitare, l’autre
au bendir et la musique entretenait la transe des autres… c’était un tableau des plus intégré et
pourtant D. se sentait frustré de ne pas y être. Il fit demi-tour et s’en retourna vers la ville qui
vient pourtant de lui refuser toute intimité. Il acceptait ce fait accomplit se disant que demain
il se réveillerait plus tôt et qu’il sera plus attentif au frémissement des éléments et qu’il ne se
laissera pas dépasser par les événements.
L’endroit était une clairière, face à la mer dont le bleu fascinait et absorbait, qui venait
à la rencontre de son visiteur, l’accueillait comme un destin qui se réalise. Au magnétisme du
départ se substituait graduellement la sensation d’appartenance à ce milieu, d’intégration aux
éléments, de prendre racine pour enfin se lâcher sans avoir peur du vertige qui vous prend
quand votre regard est happé par le vide qui vous plonge dans le bleu glacial et énigmatique
de la méditerranée à cette époque de l’année.
D. était bouleversé par cette perte irréversible du temps passé en dehors de ces
dimensions favorables à sa quête. Aujourd’hui il a pris ses instruments et a occupé de bonne
heure les lieux. Il a installé son chevalet au centre de la clairière, face au bleu moiré de la mer
coincé entre les deux versants de la montagne qui contient la couleur dans son verre renversé.
Il s’est assis à deux mètre sur un tronc coupé et contemplait indéfiniment les futures
merveilles qui poussent de sa toile blanche.
Il passa toute la journée à dialoguer avec les couleurs que la toile faisait jaillir de sa
blancheur virginale. Le silence ambiant l’applaudissait quand il sautillait d’avant en arrière le
pinceau en l’air, pour replonger le pinceau en avant et sa palette de couleurs comme un
bouclier à plat sur son avant bras… cet étrange oiseau tout gai dansait et de sa plume,
extrémité de son aile droite, ouvrait d’autres horizons sur le bout de ciel posé devant lui…
La mer, en bas, imperturbable, lançait ses moirures vers l’occupant des lieux, lui
donnant des ailes pour prendre de la hauteur sans avoir à quitter la terre ferme.
Ce tableau se complétait avec le soleil qui s’invitait dans la toile pour en chasser la
pénombre à l’heure où les habitués arrivaient avec leur matériel et leur provision. Ils étaient
surpris de voir l’endroit occupé par un gai luron. Ils essayèrent de l’en déloger en
l’envahissant, sans résultat aucun. Ils ne réussirent qu’à augmenter le rythme de sa danse
frénétique autour de la toile géante qu’il éclaboussait avec des gestes où le hasard et la
précision s’affrontaient jusqu’à se neutraliser au bout du pinceau … ils prirent leur bagages et
allèrent se soûler la gueule ailleurs pendant que s’accomplissait le destin fabuleux d’un
tableau.
Tamassin
TAMASSIN
A tin mi zzin u aman g tniri.
Excursion sur Tamassine. C’est sur toutes les bouches. Tamassine ? Une consonance
bien locale, pas de risque d’erreur. Mais l’interrogation était dans tous les regards sans qu’elle
passe sur les lèvres.
La semaine s’est écoulée au rythme des travaux du séminaire qu’il fallait boucler dans les
temps tout en atteignant les résultats attendus. Les animateurs, inquiets au départ, se
décrispaient davantage chaque jour, pour se libérer entièrement dans la soirée du mercredi, au
rythme de la musique locale.
Madame Anna la doyenne ne laissait passer aucune occasion de redorer le blason des anciens
sans se départir de sa fluide modestie que communiquait son large sourire et son regard bleu
d’ancienne fougueuse.
Madame Ama était redoutée pour ses torrentielles interventions qui reprenaient toutes les
brides de paroles échappées de la timide assistance, dans une cahoteuse synthèse.
Quand à Kiroc, l’animateur en chef, il se réjouissait toujours de ramener le troupeau au
pâturage vert de ses idées.
Dans l’ensemble, l’assistance participait, émerveillée de ses propres prouesses.
Excursion sur Tamassin. Que peut-on voir au-delà des palmeraies et des dunes ? Cette
curiosité était muette, je ne sais pourquoi, d’aucun n’osait la question. « Tamassin ». Mon
esprit était déjà parti, à la recherche de l’étymologie berbère de ce nom. Pendant que je
rêvassais sur chaque lettre et chaque syllabe, elle s’incrustait dans mon regard, devenait,
tantôt une lettre, tantôt une syllabe, pour finir dans un sens, loin du lieu que nous tentions
d’identifier par ses consonances. « Elle » ou son essence, créait une atmosphère de vent de
sable dans ma tête. Je jonglais sans but avec ce groupe de lettre qui se voulait la surprise de ce
weekend, aboutissement d’une dure semaine d’intense réflexion. Ta mas sin. T aman zin.
Tama szin. Aman zin. Tan mi zin waman. A wi syezzin s laman…
Je me retrouvais à fabuler sur cette présence qui s’imposait a mon insu dans cette espace que
j’avais pensé ouvert mais qui en vérité se refermait dangereusement sur le voyageur naïf qui
était là, beaucoup plus, pour vider son excédent de sédentarisme que pour une quelconque
aventure.
Hors saison, point de elegmi, disaient tous les regards interrogés. Point de elegmi, point de
jouissance parce que celle-ci était réservée au maître et l’intrus n’a pas sollicité le maître
mais l’esclave !
L’intrus venu du nord, ne connaissant pas la règle, a enfreint tous les règlements. Il est à
neutraliser jusqu'à ce qu’il rejoigne les rangs.
Faut revenir au printemps pour boire l’elegmi des gens sages. Elegmi succulent qui fortifie les
organes et non celui qui déstabilise les sens et fait entrevoir le pire. Les gens de elegmi
fermenté ne sont pas les bienvenus dans cette société.
D’elegmi j’en veux, d’elegmi je n’en aurais pas ! Parce que elegmi n’est pas encore une
valeur sure ! Non, elegmi n’est que le produit du temps, du sommeil et de l’oubli ! Comment
le commercialiser s’il n’y a pas d’impôt ? Pas d’impôt pas de reconnaissance ! Le pouvoir se
dessine au taux de profit. Le reste n’est que fabulation des gens sans attache. Ces gens là faut
s’en méfier comme d’un progrès. ?. Qu’est ce le progrès si ce n’est cette insoumission au
présent !
Las, de ne pouvoir trouver issue à mon instinct, je cherche l’ivresse dans le thé, filtre
magique, qu’on obtient après maintes distillations.
Inchalah
Départ à 11h 30. Je pris place dans le car en prenant soin d’être le plus proche de l’avant.
J’avais pris la précaution d’engloutir un sandwich et une banane pour éviter la faim de route.
La bouteille d’eau minérale coincée contre la paroi, la pile de journaux sur le coussin à coté,
je me blotti contre la vitre ignorant les allées et venues dans le couloir du car qui finit par
s’ébranler vers sa destination désertique. Je voulais être seul pour ce voyage, j’ai réussi à
sauvegarder ma solitude en l’exprimant physiquement. Ça a marché, donc je m’installe à mon
aise. Je laissais derrière moi le fonctionnaire coincé entre sa hiérarchie et sa petite famille.
L’un et l’autre rythmait sa vie quotidienne et était source de tension et de pression qui lui
faisait passer des nuits plus ou moins agitées.
Aller de l’avant, comme un adolescent qui entreprend son premier voyage.
Les paysages défilaient de part et d’autre et le car filait vers ce quelque part ….
Entre lecture et somnolence, je traversais des paysages, comme on parcourt l’album d’une vie
antérieure. La familiarité de certains n’empêchait pas l’étonnement de mes sens engourdis,
pendant que d’autres m’étourdissaient par le contraste qu’ils apportaient à ma vision livresque
de ces contrées et mon attente peu exigeante. En vérité mes sens se réveillaient, lentement, au
fur et à mesure que je m’éloignais de mon quotidien, proportionnellement à la distance qui me
séparait du bureau et de la maison, ils s’aiguisaient à la brise glacée des hauts plateaux,
jusqu’à me hisser au stade où l’ivresse se maintenaient par n’importe quel artifice. Je faisais
parti des reliefs que je traversais, comme une eau longtemps fourvoyée dans les buissons
étouffants des climats méditerranéens, qui remonte à la surface, pour vivre sa nudité, au prix
des risques qui intensifient le vécu. Toute blessure visualise notre attachement à la vie,
sachant que nous la perdrons, irrémédiablement.
Irrésistiblement, le désert m’attirait dans son piège. Je sortais régulièrement de ma torpeur
pour m’inquiéter de l’heure d’arrivée. Le convoyeur, regard fureteur et égaré, me répondait,
invariablement : inchalah ! (si Dieu le veut) à chacune de mes interrogations verbale ou
muette. A chaque fois, je le relançais, sans succès. L’heure d’arrivée posait-elle vraiment
problème ?
De temps en temps, il s’exclamait et désignait un endroit en expliquant : c’est ici que les
frères nous ont arrêtés, c’est ici qu’on a trouvé le corps sans tête d’un policier, c’est là qu’ils
ont abattu le militaire qui était dans notre bus,...
Je comprenais que cette route était aussi parsemée de drames liés au terrorisme. Ce n’est que
plus tard que je fis le rapprochement entre la réponse invariable du convoyeur et les réponses
de beaucoup d’autres interlocuteurs locaux. Les gens vivaient au jour le jour et refusaient
toute incursion dans le futur, si bien, qu’on regardait avec inquiétude, celui qui bravait
l’incertitude de survivre et s’aventurait dans une prévision, même rationnelle. C’était faire
preuve de beaucoup de zèle, mal placé, que de devancer Dieu dans sa programmation.
Le plus comique, c’est qu’on finit par être contaminé, ce qui faisait qu’on répétait à chaque
détour de phrase, « inechalah », pour devancer toute mauvaise interprétation et éviter tout
regard inquisiteur.
Cela me rappela les premières années d’ouverture de notre pays, qui vit déferler nos
concitoyens sur une France idéalisée. On était submergé par un fléau de politesse qu’on
adoptait mécaniquement ; les formules stationnaient sur le bord des lèvres, prêtes à devancer
l’interlocuteur. C’est ainsi que mon cousin Aziz disait « bonjour monsieur, merci monsieur »
aux poteaux, aux portes, aux mannequins dans les vitrines, à tout ce qui le touchait ou
s’élevait en obstacle devant lui. Une fois je le mis en défi de convaincre un répondeur
automatique. Il donna du bonjour madame, du s’il vous plait madame, toutes les formules de
politesse y passèrent sans amadouer la jolie voix, pendant que je m’écroulais de rire. A la fin,
il l’envoya balader, en kabyle et me tendit le combiné.
Jusqu’aux confins du désert, je trainais cette désagréable sensation d’être devant un répondeur
automatique, qui me signifiait, imperturbable, mon impossible quête de liberté (de réponse ?).
Aussi quand je repris le bus du retour, c’était avec le désir d’aller tout droit dans l’immensité
vierge…
L’étoile
Elle promenait sa nonchalance hors temps et hors frontière, comme une reine intemporelle et
sans territoire. Sa distance me laissait perplexe. Je n’arrivais pas à mettre un nom sur cette
impression de familiarité et de noblesse mêlée. Je mettais cela sur ma prédisposition à
théâtraliser. Toute rencontre pour moi, donnait lieu à une mise en scène, réelle ou imaginaire.
J’avais besoin de créer un décor, quand il n’existe pas, pour tout personnage rencontré au
hasard de mes pérégrinations.
Brune, élancée, sans âge, je cherchais quelle circonstance, ailleurs, nous a réunis. J’étais
convaincu de mon délire mais je cherchais toujours ma source, certain que je finirais par
trouver.
Alors que le groupe se répandait à travers les dunes, éparpillé comme une poignée de fèves
lancée par un fellah consciencieux, je m’appliquais à imaginer la meilleure trajectoire qui me
ferait heurter mon astre de front. J’escaladais une vague, complètement détaché de mon
objectif. Il me semblait que je pouvais m’orienter, les yeux fermés, dans cette étendue
d’obstacles frileux qui fondaient sous mes pas habitués au bitume des certitudes citadines. Le
désert, en habile joueur, s’offrait, sans résistance, à ces naïfs visiteurs qui s’élançaient, ivres
d’espace et d’insouciance retrouvée, à sa conquête, pendant que, Hama, le guide-chauffeur-
amuseur, s’affairait à allumer son feu de camp pour préparer le thé, aidé par les autres
chauffeurs.
Elle est partie à la dérive, livrée aux ondulations montantes des vagues sablonneuses ; je
suivis un sillon, qui me mena dans une vallée instable qui abritait quelques touffes de
végétation ; et là, occupé à scruter le sable, à la recherche d’éventuels organismes vivants, je
l’attendis.
Jusque là invisible, la vie se réveillait, à mon étonnement, sous différentes formes. J’eu le
temps de découvrir, entre autres, une araignée aux couleurs excitantes devant l’uniformité
apparente du lieu, avant de l’accueillir, gazelle évanescente, flottant sur le sommet de la vague
qui me la tendait, comme sur la pomme d’une main, dans une complicité impossible à
soupçonner.
Elle souriait, son énergie fit vibrer les antennes de l’araignée qui prit la fuite se sachant
concurrencée déloyalement.
Elle souriait, et, la vague s’effondra pour me la déposer à l’endroit libéré par la bestiole.
HASSANI M’hamed est né en 1954 à Aokas wilaya de Bejaia.
Etude primaire et moyenne à Aokas.
Etudes secondaires à Bejaia.
Formation administrative et pédagogique.
Cadre gestionnaire et conseiller en formation.
Militant et cadre associatif, fondateur de plusieurs associations.