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Introduction :
Au début des années 1930, George Horace Gallup mit au point une technique de sondage
qui, contre toute attente, prédisait la victoire de Roosevelt aux États-Unis en 1936.
Pourtant, son échantillon représentatif était très faible : 5 000 personnes seulement ! De
plus, une célèbre revue annonçait dans le même temps la victoire de son adversaire sur
la base d’une consultation de plus de 2 millions d'individus. Cette anecdote montre à quel
point l'opinion publique est difficile à mesurer.
S'agit-il de l'opinion d'un petit nombre ou de celle de la majorité des individus ? Comment
l'opinion publique évolue-t-elle et comment la mesure-t-on ?
Définition
Opinion publique : L'opinion publique est l'ensemble des convictions et des valeurs
partagées, des jugements, des préjugés et des croyances de la population d'une
société donnée.
L'opinion publique se diffuse grâce à des textes variés : pamphlets, brochures, etc.
La diffusion de l’opinion publique éclairée est rendue possible par d’autres évolutions
sociales. Au cours du XVIIIe siècle, on observe notamment :
une évolution du statut du livre : des textes de plus en plus nombreux et de moins
en moins onéreux.
N.B.
L’opinion publique n'est, au départ, que celle d'une minorité critique vis-à-vis du
pouvoir de l’État et de l’Église. Il s’agit de l’opinion d’une élite cultivée et
bourgeoise qui s’oppose aux classes laborieuses de la population (la majorité) et
entend préparer l’avènement d’une société nouvelle.
L’opinion publique est alors indissociable du régime représentatif. Elle est la voix
du peuple souverain, par l’intermédiaire de ses représentants.
Ce phénomène est surtout visible au cours de la IIIe République entre 1870 et 1940.
Victor Hugo, Georges Clemenceau ou encore Léon Blum incarnent à merveille cet
élargissement de l’opinion publique : les grands discours des personnalités politiques sont
relayés par la presse et se diffusent dans l’opinion publique. Les partis politiques
organisent l’expression de l’opinion publique grâce au militantisme et aux manifestations
de rue.
Définition
Sondage d’opinion : Un sondage d’opinion désigne une enquête statistique visant à
donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions d’une
population par l’interrogation d’un échantillon.
Le développement de cet outil commence dans les années 1930, mais le sondage devient
central dans l’opinion à partir des années 1960. Il s’impose comme un procédé scientifique
permettant de faire parler le peuple sans intermédiaire.
Pour de nombreux observateurs (journalistes, personnel politique, entreprises, instituts…)
les sondages enrichissent la démocratie représentative en permettant de reconstituer
le principe de publicité.
Définition
Principe de publicité : Principe introduit par le philosophe Jürgen Habermas selon
lequel les choix politiques doivent être soumis à la critique et au jugement des
citoyens.
Le sociologue français Pierre Bourdieu se montre très critique à l’encontre des sondages.
Il publie un célèbre article en 1973 intitulé « L’opinion publique n’existe pas ». Selon lui,
les sondages ne mesurent pas l’opinion, ils produisent de l’opinion.
D’ailleurs, ils sont très souvent commandés par les partis politiques eux-mêmes puis
relayés dans les médias. Les instituts de sondage considèrent comme acquis le fait que
tout le monde peut avoir une opinion, que toutes les opinions se valent et que les questions
posées doivent être posées. Pour Bourdieu, tout cela est illusoire. Pour preuve, il insiste
sur le nombre très élevé de non réponse au cours des sondages. De nombreuses personnes
refusent de répondre aux questions posées. Pourtant, les instituts de sondages ne donnent
jamais à voir ce chiffre. De plus, ce sont souvent les individus les plus défavorisés
M. DJEGUE – COIURS DE SES – 1ERE GENERALE 3
culturellement et économiquement qui s’abstiennent de répondre. Dès lors, le sondage
n’est qu’une opinion parmi d’autres, qui plus est une opinion socialement située.
L’effet Tocqueville
Les individus qui répondent à un sondage ont également tendance à ne pas forcément
répondre par rapport à leur opinion personnelle mais plutôt par rapport au résultat
attendu du sondage. C’est ce qu’indique un des précurseurs de la sociologie, bien avant
le développement des sondages : Tocqueville. Ce dernier observe qu’au moment de la
Révolution, l’opinion exprimée était anticléricale alors qu’en réalité, une majorité de la
population conservait « l’ancienne foi ». Les individus sont incités à rejoindre le camp
majoritaire pour ne pas être isolé, même s’ils pensent le contraire.
N.B.
Les sondages soulèvent à la fois des limites quantitatives et qualitatives en matière
de mesure de l’opinion publique. Ils supposent que tous les individus ont un avis à
donner, même lorsque ceux-ci choisissent de ne pas se prononcer. De plus, les
sondés sont influencés par le résultat attendu du sondage et peuvent donc émettre
une réponse contraire à leur opinion réelle.
Définition
Démocratie d’opinion : Le terme démocratie d’opinion désigne un mode d’exercice
du pouvoir politique dépendant fortement de l’opinion publique entendue comme la
volonté de la majorité des citoyens. Par extension, cette notion renvoie à la
tendance à recourir à des enquêtes et des sondages dans le but d’orienter les choix
politiques avec une plus grande réactivité.
La mesure la plus ancienne est celle de l’Ifop qui demande aux sondés leur degré
de satisfaction.
N.B.
Les côtes de popularité sont fortement dépendantes des événements. Si un sondage
mesurant la popularité est effectué après un évènement défavorable, il montrera un
résultat sans doute moins bon qu’un autre sondage effectué avant cet événement.
Mais alors, le sondage a-t-il réellement une influence sur le vote final ?
Avec l’essor des sondages, les électeurs deviennent stratèges : un vote stratégique se
développe.
Par exemple, les sondages d’intention de vote peuvent créer une logique de « vote utile » :
les électeurs reportent leur intention de vote sur un candidat en position d’emporter le
suffrage (et non vers le ou la candidate la plus appréciée). C’est ce que l’on appelle, en
sciences politiques, les effets bandwagon (« prendre le train en marche »)
et underdog (« celui que l’on donne vaincu »).
Pour Jean Stoetzel (1910-1987) qui a théorisé la méthode des sondages d’opinion en
France, un sondage n’influence pas plus l’issue d’une élection qu’un autre type
d’information. Selon lui, les sondages n’ont que des « effets limités » :
ils confirment les électeurs dans leurs intentions de vote ;
ils permettent aux indécis de se décider ;
ils permettent aux décidés d’être indécis.
Lorsque l’on interroge les électeurs sur le rôle joué par les sondages, ces derniers déclarent
que lors d’une campagne, les sondages ont un impact important. Pourtant, quand on leur
demande si leur choix est influencé par les sondages, ils répondent majoritairement que
ceux-ci n’ont aucun impact sur leur vote.
Conclusion :
L’histoire de l’opinion publique est relativement récente puisque cette notion est apparue
au siècle des Lumières. C’est seulement avec le développement de la démocratie
représentative qu’elle renvoie à l’opinion du plus grand nombre, notamment grâce à
l’ouverture du suffrage universel, à l'instruction et à l'essor de la presse. Ce n’est pourtant
qu’à partir des années 1960 que l’opinion publique commence véritablement à se
médiatiser, notamment grâce au développement des sondages.
Depuis quelques années, une alternative aux sondages semble se dessiner avec le
développement des réseaux sociaux, bien que ces derniers ne soient pas encore
totalement représentatifs de l’opinion publique.