Les tables de mobilité : présentation et application au cas
français La mobilité sociale est le passage d’individus ou de groupes d’individus d’une catégorie sociale à une autre. Une table de mobilité est un outil statistique qui se base sur un échantillon représentatif de personnes pour observer des tendances de mobilité. Chaque personne y est caractérisée par sa PCS (profession et catégorie socioprofessionnelle). Les PCS sont au nombre de huit : agriculteur·rice·s exploitant·e·s ; artisan·e·s, commerçant·e·s et chef·fe·s d’entreprise ; cadres et professions intellectuelles supérieures ; professions intermédiaires ; employé·e·s ; ouvrier·ère·s ; retraité·e·s ; sans activité professionnelle. Il existe deux types de tables de mobilités : les tables de destinées (observent et évaluent le devenir des individus), et les tables de recrutement (illustrent l’origine des personnes actives qui appartiennent à une catégorie sociale particulière). Ces outils posent cependant plusieurs problèmes : o ils ne prennent pas en compte les évolutions récentes dans les parcours de vie (on peut changer de métier ou de secteur au cours d’une vie professionnelle) ; o les PCS sont des catégories larges et qui ne présentent pas une homogénéité parfaite ; o les tables de mobilité sont traditionnellement basées sur la PCS des hommes, en particulier du père (invisibilisant notamment les femmes) ; o la perception qu’ont les individus de leur réussite sociale ou de leur place dans la hiérarchie sociale n’est pas prise en compte. o Les données qui en résultent sont donc partielles et déformées. o L’analyse des tables de mobilité aide à déterminer si la société française est plutôt mobile ou plutôt rigide. o Toutes les sociétés humaines ne sont, en effet, pas mobiles : on appelle le contraire de la mobilité la rigidité sociale. o Le mécanisme entretenant la rigidité est ce que Pierre Bourdieu appelle la reproduction sociale. o La plupart des travaux sur la reproduction sociale montrent que la France d’aujourd’hui est moins « fluide socialement » qu’il y a une quarantaine d’années. o Durant les Trente Glorieuses les mobilités sociales s’étaient accrues mais depuis la fin des années 1970, cette situation semble terminée, on observe même de plus en plus de phénomènes d’hérédité sociale depuis les années 2000.
Évolutions structurelles et formes de fluidité sociale : ce
qu’il y a derrière la mobilité observée La mobilité sociale concerne les individus mais aussi les collectifs. Deux questions peuvent être soulevées : o celle de l’ascenseur social (possibilité d’améliorer sa situation sociale) ; o celle du destin (responsabilité ou non de sa trajectoire sociale). o Les tables étudiées dans le cours permettent d'observer : o des mobilités intergénérationnelles (d'une génération à l’autre) ; o des mobilités intragénérationnelles un individu peut occuper une position et un statut social différent au cours de sa carrière. o Il convient en outre de distinguer : o la mobilité horizontale (changement n'affectant pas la position dans la hiérarchie sociale) ; o de la mobilité verticale (changement affectant la position dans la hiérarchie sociale). o Quand elle est verticale, la mobilité peut être une forme de progression sociale ou, au contraire, de régression. On parle de mobilité ascendante et de mobilité descendante. o Qu’elle soit ascendante ou descendante, la mobilité sociale s’explique en rapport à l’évolution de la société : il y a bien une mobilité, mais elle dépend moins de la capacité des membres du groupe à s’écarter ou non de leur origine sociale que de l’évolution globale de la structure socio- économique. o On parle alors de mobilité structurelle. o Enfin, la mobilité peut être : o brute (mobilité observée dans les statistiques des tables de mobilité) ; o ou nette (obtenue en soustrayant la mobilité structurelle à la mobilité brute). o Aujourd’hui, le couple « mobilité observée / fluidité sociale » se substitue de plus en plus à la distinction antérieure entre mobilité structurelle et mobilité nette. La mesure de la fluidité sociale se fait grâce à la méthode des odds-ratio, qui permet de comparer des trajectoires indépendamment des mutations de la structure sociale. o En 2003, la mobilité structurelle représentait 40% de la mobilité brute. La mobilité nette concerne donc une minorité de la population. o La mobilité se joue le plus souvent entre PCS proches : il est plus simple de passer de profession intermédiaire au statut de cadre, plutôt que de profession intermédiaire au statut d’artisan. o Ce sont en fait surtout les accès aux statuts supérieurs qui sont inégaux : les ouvrier·ère·s, les agriculteur·rice·s et les employé·e·s en sont quasiment exclu·e·s. o Seuls 9% des fils d’agriculteurs deviennent cadres et 4% des fils d’ouvriers deviennent artisans, commerçants ou chefs d’entreprise. o Pour les hommes, de façon générale, la mobilité ascendante décroît sur les dernières années au profit de la mobilité descendante. o Si l’on compare les femmes à leurs pères, la situation est assez proche de celle des hommes : la mobilité descendante est plus fréquente aujourd’hui qu’il y a vingt ans, et la mobilité ascendante, plus rare.
L’évolution de la mobilité sociale
Des trajectoires sociales plutôt courtes De 1945 à 1973, PIB, a fortement augmenté entraînant en cascade : o une hausse des revenus des entreprises ; o une hausse des salaires et des revenus de transfert ; o une augmentation des revenus des ménages. o Le niveau de vie moyen a augmenté et les écarts de revenus entre les individus ont diminué : on parle de moyennisation de la société (cf. toupie de Mendras). o Les baby-boomers ont profité de cette moyennisation : leur position sociale est plus élevée que celle de leurs parents. o On appelle cela : la promotion sociale ou la mobilité sociale ascendante. o La mobilité sociale des baby-boomers résulte d’une transformation des emplois. o Le nombre d’emplois d’agriculteur·rice·s, d’artisan·e·s et d’ouvrier·ère·s a diminué au profit d’une hausse des professions intermédiaires et cadres. o On parle de mobilité structurelle. o Si le phénomène de promotion sociale est très important, on parle de transfuge de classe : l’individu occupe une position sociale beaucoup plus élevée que celles de ses parents. o Cependant, en dehors du contexte des Trente Glorieuses, les trajectoires ascendantes des individus dans l’espace social sont rarement de longue portée : o 22,9% des fils d’ouvriers font partie des professions intermédiaires et seulement 9,4% deviennent cadres ;
o 26,1% des fils d’employés font désormais partie des professions
intermédiaires et seulement 16,3% occupent des postes de cadres. o Ce sont surtout les fils de cadres qui deviennent cadres à leur tour ; il en va de même pour les fils d’ouvriers. o On parle de reproduction sociale. Elle caractérise particulièrement les catégories socioprofessionnelles extrêmes. o Les individus situés au centre de l’espace social sont plus mobiles. o On parle de mobilité sociale horizontale. o Pierre Bourdieu tente d’expliquer pourquoi l’origine sociale impacte les possibilités de promotion sociale d’un individu. o Selon lui, la culture transmise à l’enfant par la socialisation familiale conditionne la réussite scolaire et ses parcours professionnels. o En outre, les trajectoires sociales varient aussi en fonction du genre de l’individu : o les hommes connaissent davantage de mobilité ascendante que les femmes ; o les femmes ont plus tendance à occuper une position sociale inférieure à celle de leur père. o C’est encore la socialisation (Bourdieu) qui permet de comprendre l’impact du genre dans les possibilités d’ascension sociale : les apprentissages durant la socialisation primaire sont différents selon que l’on soit une fille ou un garçon.
Peur ou montée du déclassement depuis les années 1980
À partir des années 1980, la croissance économique est ralentie, les créations d’emplois sont moins nombreuses et le chômage de masse apparaît. Les trajectoires sociales des individus entrés sur le marché du travail dans les années 1980 sont donc différentes de celles des baby- boomers. Premier constat, les diplômes ne fournissent plus une ascension sociale assurée aux individus ; deux phénomènes principalement en cause : o la croissance économique et la création d’emplois ont diminué ; o l’École s’est démocratisée (augmentant le nombre d’individus diplômés). o Il y avait donc plus d’individu en recherche d’emplois de cadres, mais moins de créations d’emplois de cadres que pendant les Trente Glorieuses. o C’est ce qu’illustre le paradoxe d’Anderson : un individu, qui détient un diplôme supérieur à celui de ses parents ne parvient pas à occuper une position sociale supérieure à ceux-ci. o Le paradoxe d’Anderson met en évidence et en lien ce que l’on appelle le déclassement scolaire et le déclassement intergénérationnel. o En période de ralentissement économique, afin de trouver l’emploi correspondant aux qualifications, l’individu peut faire appel à son réseau de connaissances. o C’est ce que Pierre Bourdieu appelle le capital social d’un individu, tous n’en sont pas également dotés. o À partir des années 1980, on parle du déclassement de la classe moyenne : il ne fait pas l’unanimité chez les sociologues. o Louis Chauvel conclut qu’à diplôme égal, les individus nés dans les années 1960 ont été plus nombreux que les baby-boomers à faire l’expérience d’une mobilité sociale descendante. o Ce n’est pas la thèse soutenue par Éric Maurin pour qui il ne faut pas comparer la valeur d’un même diplôme entre deux générations différentes. o Pour lui, la valeur du diplôme dépend du contexte économique et social de l’époque. o Éric Maurin préfère donc parler de peur du déclassement des classes moyennes. o Selon lui, il y a bel et bien des individus de classes moyennes déclassés mais leur proportion n’augmente pas. o Il montre également que le diplôme constitue un solide bouclier face au chômage. o Selon cette thèse, il serait donc plus intéressant d’étudier le déclassement intragénérationnel.