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Documents - chapitre 5 : Explorer la structure sociale : la mobilité

sociale
Document 1 : Exercice 1 : Associez chacun
La mobilité sociale, qui n’implique pas de déplacement physique, se distingue de la des exemples suivants à une
mobilité géographique, qui ne donne pas nécessairement lieu à un changement de forme de mobilité sociale.
niveau social.
La mobilité individuelle, qui est celle d’individus quittant une catégorie sociale pour une a - Un étudiant qui déménage
autre, se différencie de la mobilité collective, qui implique des groupes ou des catégories pour réaliser un stage dans une
sociales dans leur ensemble dont le statut se modifie. [...] La mobilité peut être étudiée entreprise.
également de différents points de vue selon qu’on ne considère que la carrière d’un b - Un ouvrier qui change
individu, qui peut changer ou non de statut au cours de son existence d’adulte, ou que d’entreprise pour se rapprocher
l’on réfère les individus à leur origine familiale, en comparant leur statut à celui des de son domicile.
membres des générations antérieures, comme leur père ou leur grand-père. On parle c - Un fils d’agriculteur qui
alors de mobilité intragénérationnelle et intergénérationnelle. Dans les publications de reprend l’exploitation agricole de
l’Insee, la première est désignée comme mobilité professionnelle, la seconde comme son père.
mobilité sociale. [...] La mobilité sociale est aussi un enjeu politique : il semble logique d - Un fils de cadre qui devient
qu’à l’égalité formelle des citoyens et à la liberté d’entreprendre corresponde dans le infirmier.
domaine social l’égalité des conditions d’accès aux différentes situations. L’analyse de la e - Un employé de commerce
mobilité sociale renvoie au principe de “l’égalité des chances”, et les sociétés dont la fille devient cadre.
démocratiques et libérales peuvent chercher à évaluer la réalité ou l’efficacité de leurs f - Un ouvrier dont le père était
principes de fonctionnement à l’importance des flux de mobilité sociale qu’elles lui-même ouvrier qui accède à un
permettent. poste d’encadrement en fin de
carrière.
Louis Chauvel, Anne Lambert, Dominique Merllié et Françoise Milewski, Les mutations de
la société française, 2019

Document 2 : Document 3 :
“Ascenseur en panne”, “mobilité bloquée”, “déclassement” : le concept de mobilité sociale est très
souvent invoqué dans le débat public, rarement de façon très claire. Il mérite quelques
explications.
L’étude de la mobilité sociale cherche à mesurer les changements de position sociale entre les
enfants et leurs parents. Pour mesurer cette position, l’Insee s’appuie sur les catégories
socioprofessionnelles réparties en six grands groupes au niveau général. Les statisticiens
comparent le plus souvent la situation des hommes d’un âge donné à celle de leurs pères au
Les pieds sur terre - même âge. L’Insee, par exemple considérait habituellement les hommes de 40 à 59 ans dans sa
L’ascenseur social, dernière étude qui porte sur l’année 2014. Une fois que l’on dispose des données sur les enfants
Sonia Kronlund et les parents, on peut observer deux types d’évolution que l’on présente sous forme de tables de
(19min30 - 25min15) mobilité. D’un côté les origines sociales : pour 100 enfants d’une catégorie sociale donnée au
30/11/2015 : moment de l’enquête, il s’agit de connaître la répartition de celles de leurs pères. On indique alors
https://www.francecultur “X % des cadres ont un père cadre, Y % un père ouvrier, etc.”. De l’autre les “destinées sociales” :
e.fr/emissions/les-pieds
-sur-terre/lascenseur-so pour 100 enfants dont le père était d’une catégorie donnée, on mesure la répartition de leurs
cial positions sociales. On indique alors “X % des enfants de cadres supérieurs sont devenus cadres
supérieurs, Y % sont devenus ouvriers, etc.”.
“Comprendre la mobilité sociale”, www.observationsociete.fr, 2017
Exercice 2 :

Questions :
a - Quelles sont les deux interprétations
possibles de la donnée entourée ?
b - Calculez la part de fils de cadres qui sont
devenus cadres. À partir de ce premier calcul,
complétez la table de destinée.
c - Calculez la part de cadres qui ont un père
cadre. À partir de ce premier calcul, complétez la
table de recrutement. 1/6
Document 4 : Table de destinées en 2015

Document 5 : Table de recrutement en 2015

Document 6 :
L’interprétation des [tables de mobilité] est parfois délicate et leur intérêt pour la connaissance de la mobilité sociale reste limité,
notamment en raison de leur échelle d’observation :
- La signification sociale du passage d’un groupe à un autre n’est pas toujours déterminée, car les PCS ne sont pas entièrement
hiérarchisées sur une échelle verticale. Ainsi, le passage de la catégorie ouvrier à celle d’employé doit-il être interprété comme
une relative ascension sociale ou une mobilité horizontale ? Comment situer la catégorie “artisans, commerçants, chefs
d’entreprise”, très hétérogène, dans la hiérarchie sociale ?
- Les tables de mobilité agrégées tendent à surestimer l’immobilité sociale du fait de leur échelle de construction. Elles ne
permettent pas de saisir certaines formes de mobilité à l’intérieur des catégories agrégées, telles que le passage de la catégorie
ouvrier non qualifié à celle d’ouvrier qualifié, ou de contremaître à technicien au sein des professions intermédiaires. Or les
“petits” déplacements sont statistiquement beaucoup plus fréquents que les grands déplacements entre des catégories
socialement éloignées.
- Plus généralement, la “mobilité objective” appréhendée à partir des statistiques peut difficilement être confrontée à la “mobilité
subjective” ressentie par les individus, qui est sensible à la fois aux trajectoires individuelles et familiales et à l’évolution du statut
et des conditions de vie attachés aux catégories professionnelles.
Cédric Lagrée et Anne Châteauneuf-Malclès, “La mobilité intergénérationnelle des actifs au début des années 2010”, SES-ENS,
2016

Document 7 :
L’évolution de la structure sociale (en % de
la population active)

Source : Louis Maurin, “Classes sociales : la


vraie-fausse fin des ouvriers”, Alternatives
économiques, 2018

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Document 8 : Document 9 :
Les situations de mobilité peuvent s’expliquer
largement par les changements de la structure
sociale (part des différentes catégories dans la
population) entre les générations. [...].
Ainsi, dans un contexte de déclin de l’emploi
agricole et de croissance des emplois ouvriers, par
exemple, nombreux sont les enfants d’agriculteurs
qui deviennent ouvriers, tandis que les agriculteurs
sont très rarement recrutés en dehors de leur
milieu. À l’inverse, avec la croissance forte des
emplois classés comme cadres, leurs titulaires ont
souvent leurs origines dans d’autres catégories.
C’est en ce sens que la mobilité peut être qualifiée
de structurelle : elle est portée par les changements
d’ensemble ou de structure de la société. [...].
Ces causes structurelles ne suffisent cependant
pas à rendre compte de tous les flux observés et
les sociologues ou les statisticiens ont parfois
cherché à évaluer une mobilité nette, à calculer
comme différence entre la mobilité totale ou brute et
la “mobilité structurelle”. [...] Les spécialistes du
domaine lui ont substitué la distinction entre
“mobilité absolue” ou “observée” et “mobilité Document 10 :
relative” ou “fluidité”. [...] Un progrès de la “fluidité” Il faut [...] prolonger l’examen en adoptant le point de vue [...] des taux
signifie que la force du lien statistique entre origines relatifs de mobilité - ou encore de la fluidité sociale [...] grâce aux odds
et destinées tend à s’affaiblir, ou que l’on tend à se ratio [...]. Chaque odds ratio - ou rapport de chances relatives -
rapprocher d’une situation où les destinées seraient exprime l’avantage (ou le handicap) dont disposent les individus d’une
indépendantes des origines, les inégalités sociales première origine sociale par rapport à ceux d’une seconde pour
d’accès aux différentes positions sociales se atteindre (ou éviter) l’une plutôt que l’autre des deux catégories de
réduisant globalement. destination. Plus la statistique est proche de 1, plus cela signifie que
l’inégalité est faible.
Dominique Merllié, “La mobilité sociale”, in Louis
Chauvel, Les mutations de la société française, Louis-André Vallet, “Mobilité observée et fluidité sociale en France de
2019 1977 à 2003”, Idées économiques et sociales, 2014

CAS D’ÉTUDE 1 : La mobilité sociale des hommes


Document 12 :
Document 11 : En 2015, 65% des hommes relèvent d’une catégorie
socioprofessionnelle différente de celle de leur père.
La reproduction sociale est très marquée parmi les cadres : un
fils de cadre sur deux est devenu cadre à son tour. Elle est
également à un niveau élevé (autour de 43%) parmi les
employés et ouvriers qualifiés. L’immobilité sociale est moins
marquée pour les hommes dont le père exerçait une profession
intermédiaire (31%). Enfin, c’est pour les fils d’employés et
d’ouvriers non qualifiés que la reproduction sociale est la plus
faible (22%).
La mobilité verticale masculine reste majoritairement une
mobilité ascendante. Les hommes en ascension sociale sont 1,8
fois plus nombreux que ceux dont la trajectoire a été
descendante. Les ascensions sociales des fils d’employés et
ouvriers qualifiés sont 4 fois plus fréquentes que les
déclassements. À l’inverse, les déclassements des professions
intermédiaires sont 1,3 fois plus fréquents que les ascensions.
Les mouvements des fils de cadres vers les employés et
ouvriers qualifiés et non qualifiés sont de 17%. Les
Document 13 : déclassements sociaux des fils de cadres vers les professions
intermédiaires sont plus fréquents et concernent une personne
sur quatre. 13% des fils d’employés et ouvriers qualifiés sont
devenus cadres, 27% professions intermédiaires et 10% non
qualifiés. Enfin, l’ascension sociale des fils d’employés et
ouvriers non qualifiés reste polarisée vers la catégorie des
employés et ouvriers qualifiés (plus de 40%) et demeure assez
rare vers les professions de cadres (8%).
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Insee, Portrait social 2019, 2019
CAS D’ÉTUDE 2 : La mobilité sociale des femmes
Document 15 :
Document 14 : Le faible taux d’activité des femmes et les caractéristiques
de leurs emplois ont longtemps rendu difficile la
comparaison de leur position professionnelle avec celle
de l’un ou l’autre de leur parent. Au cours des dernières
décennies, les comportements d’activité des femmes se
sont cependant rapprochés de ceux des hommes. En
2015, 71% des femmes appartiennent à une autre
catégorie socioprofessionnelle que celle de leur mère.
Une partie de la mobilité sociale des femmes par rapport à
leur mère est directement liée à l’évolution
intergénérationnelle de leurs professions. Stable autour de
43% entre 1977 et 1993, la part de cette mobilité dite
“structurelle” a [atteint] 35% en 2015. Une baisse plus
modérée que celle observée pour les hommes montre
que la structure des emplois féminins s’est davantage
modifiée. La mobilité non verticale des femmes par
rapport à leur mère a fortement diminué, encore plus que
pour les hommes, le déclin des travailleuses non salariées
Document 13 : étant plus forte que celle des hommes. Au sein de la
mobilité verticale, la part des mouvements ascendants est
plus importante pour les femmes que pour les hommes.
Cela s’explique en grande partie par le niveau
socioprofessionnel des mères, nettement inférieur à celui
des pères.
Si la mobilité verticale des femmes par rapport à leur mère
est majoritairement ascendante, elle est au contraire plus
souvent descendante par rapport à leur père.
Marc Collet et Émilie Pénicaud, “En 40 ans, la mobilité
sociale des femmes a progressé, celle des hommes est
restée quasi stable”, Insee Première, 2019

Document 16 : Document 17 :
La fluidité sociale semble plus forte en France que dans les pays anglo- Une partie de la mobilité sociale masculine
saxons, mais moins forte que dans les pays scandinaves. [...] Au-delà observée en 2015 résulte directement de
de ces grandes tendances, il y a également d’importantes fluctuations l’évolution de la structure des emplois entre les
d’une génération à l’autre, des hauts et des bas de la fluidité sociale. générations d’hommes nés entre 1955 et 1980 et
Les générations entrant sur le marché du travail au moment des celles de leur père. Cette mobilité dire
récessions ont davantage de mal à s’insérer dans l’emploi que les “structurelle” reflète les profonds changements de
autres, notamment les personnes issues de milieux défavorisés. Mais la société française depuis la fin des Trente
ces effets sur l’emploi ne persistent guère au-delà de dix ou quinze ans Glorieuses : poursuite du déclin de l’emploi
de carrière. [...]. agricole, baisse de l’emploi industriel, salarisation
Il est important de bien distinguer le déclassement lui-même, le et tertiarisation croissantes de l’économie se sont
sentiment éprouvé par ceux qui ont réellement fait l’expérience du traduites par une baisse du nombre de travailleurs
déclassement, et la peur d’être un jour déclassé. Avoir peur, c’est indépendants et d’ouvriers, au profit des emplois
fondamentalement un rapport à l’avenir. [...] La peur du déclassement de cadres et professions intermédiaires. En 2015,
est une réalité bien plus universelle, permanente et mobilisatrice que le 24% de la mobilité sociale masculine observée
déclassement lui-même. Peur de perdre son statut pour les plus correspond à de la mobilité “structurelle”. Depuis
anciens, peur de ne jamais parvenir à en acquérir un pour les plus la fin des années 1970, la structure des emplois
jeunes. Le déclassement fait d’autant plus peur que ses conséquences des hommes est de plus en plus proche de celle
sont profondes et difficilement réversibles. C’est la raison pour laquelle de leurs pères. La part de la mobilité “structurelle”
la peur du déclassement augmente partout dans le monde en période s’est ainsi nettement réduite (elle était de 40% en
de récession, spécialement dans les milieux sociaux les plus favorisés, 1977) et les mouvements qui n’y sont pas liés ont
ceux qui “tombent” du plus haut en cas de déclassement effectif. C’est donc fortement augmenté au cours des quatre
aussi la raison pour laquelle la peur du déclassement est d’autant plus dernières décennies.
forte que la réglementation nationale protège les emplois existants. De
Marc Collet et Émilie Pénicaud, “En 40 ans, la
fait, ce sont dans ces pays à forte protection des emplois que les
mobilité sociale des femmes a progressé, celle
durées de chômage sont les plus longues et que les emplois stables
des hommes est restée quasi stable”, Insee
perdus sont les plus difficiles à retrouver.
Première, 2019
Éric Maurin, “La peur du déclassement, ciment de l’ordre sociale ?”,
Regards croisés sur l’économie, 2010

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Document 18 : Document 22 :
[Les diplômés du supérieur long] deviennent sensiblement
moins souvent cadres supérieurs qu’il y a vingt-cinq ans :
s’ils sont encore 45% dans ce cas, ils étaient 65% au milieu
des années 1980. La même évolution s’observe pour les
diplômés du supérieur court qui étaient 70% à accéder à
une profession intermédiaire, proportion tombée à 56%
aujourd’hui.
Si le diplôme constitue aujourd’hui, plus que jamais, la
meilleure protection contre le chômage et les emplois
précaires ou routiniers, chaque diplôme pris isolément voit
sa valeur absolue diminuer. Ces deux constats ne sont
nullement contradictoires, contrairement à ce que laisse
trop souvent penser le débat entre ceux qui soulignent les
bénéfices de la démocratisation scolaire et ceux qui
mesurent la dévalorisation des diplômes. [...] Obtenir un
diplôme de l’enseignement supérieur est plus nécessaire
que jamais pour s’insérer dans de bonnes conditions sur le
marché du travail, mais avoir un diplôme élevé n’offre pas
Document 19 : Nombre d’étudiants inscrits dans
une protection absolue contre le déclassement.
l’enseignement supérieur, en milliers
Camille Peugny, Le Destin au berceau, 2013

Document 23 :
L’enquête a souligné avec force le caractère déterminant de la
certification scolaire, l’”arme du diplôme” et l’importance des
conditions de socialisation. Le suivi détaillé dans une même
famille des parcours a fait apparaître les facteurs sociaux qui
sont sous-jacents à la meilleure réussite scolaire des filles
comme aux plus grandes chances d’échec à l’école des
Document 20 : garçons [...].
L’enquête a aussi permis de relativiser la force du diplôme par
rapport à d’autres atouts moins débattus dans l’espace public,
comme l’importance des solidarités familiales. Les trois frères
peu ou non diplômés sont durablement “en emploi”, et ont évité
Pôle emploi. Les sœurs aînées ont joué en ce domaine [...] un
rôle majeur. L’enquête illustre, à cet égard, le rôle essentiel de
la redistribution dans la fratrie des petits capitaux accumulés en
cours de route par les deux sœurs aînées au profit des cadets :
capital informationnel (sur l’école et les ficelles qui mènent à
l’emploi), capital économique (quand il a fallu les aider
ponctuellement), capital culturel (accès aux livres et aux lieux
de la culture), capital moral (quand les sœurs vont aider le frère
aîné aux prises avec la police et la justice), capital
professionnel (quand Leïla contribuera à placer Azzdine à la
RATP), etc.
Source : Éducation nationale, 2019 Stéphane Beaud, La France des Belhoumi, 2018

Document 21 :
Malgré une massification scolaire d’ampleur au cours de la seconde moitié du XXème siècle, la démocratisation scolaire
a peu progressé. Des inégalités quantitatives d’accès aux différents niveaux du système éducatif tendent à être
supplantées par des inégalités qualitatives liées à une filiarisation croissante de ces différents niveaux. Ainsi, au moment
où les différents verrous disparaissent et où les enfants des classes populaires franchissent un nouveau palier, le jeu des
filières permet aux enfants de classes favorisées de maintenir leur avantage. L’accès d’une proportion croissante des
classes d’âge au baccalauréat n’aurait pas été possible sans la création du baccalauréat professionnel dont les enfants
des classes populaires constituent le principal vivier. L’accès d’une proportion croissante de ces derniers aux premiers
cycles de l’enseignement supérieur provoque un resserrement social du recrutement des classes préparatoires et des
grandes écoles, ainsi que des filières prestigieuses de l’université. En réalité ces stratégies d’évitement et de distinction,
de la part des familles favorisées [...], s’enracinent très tôt, dès les premières années de la scolarité.
La persistance d’inégalités sociales dans le champ de l’éducation explique que la reproduction sociale n’ait pas diminué.
Cette dernière apparaît toutefois problématique puisque ne reposant plus sur la naissance. Elle semble produite par une
“agence de sélection”, l’école, censée récompenser le mérite individuel, comme le souligne Antoine Prost en analysant
l’histoire du système éducatif depuis la Seconde Guerre mondiale.
Camille Peugny, Le Destin au berceau, 2013 5/6
Document 24 : Document 26 :
Dans le cas de réussites scolaires improbables, [...] on Le modèle développé par Boudon repose sur une analyse de
peut même parler de véritables stratégies de type stratégique du comportement des acteurs : en fonction de
surscolarisation, plus couramment associées aux classes leur origine sociale, les individus ont en moyenne une réussite
moyennes et supérieures. Parmi les facteurs qui scolaire plus ou moins bonne. En même temps, leurs
distinguent ces familles d’autres de même milieu social motivations sont affectées par leur origine sociale : les coûts
[populaire], ils tiennent à leur trajectoire sociale : la socio-économiques d’une scolarité supplémentaire tendent à
présence d’un grand-père occupant une position sociale croître à mesure que la classe sociale est plus basse ; en
plus élevée que celle d’ouvrier ou petit agriculteur, la outre, les avantages anticipés d’un supplément de scolarité
trajectoire professionnelle du père, le travail de la mère et tendent à être perçus comme d’autant plus faibles que la classe
un niveau d’instruction supérieur à la moyenne semblant sociale est plus basse (en effet, un individu de classe basse
favoriser des aspirations plus élevées concernant le atteint plus vite le niveau scolaire lui permettant d’espérer un
devenir scolaire des enfants. D’autres, comme l’insertion statut social supérieur à celui de sa famille d’origine) ; enfin, le
de la famille dans des réseaux professionnels, associatifs, risque encouru à s’engager dans un investissement scolaire
politiques ou religieux ou comme le goût pour l’école de varie avec la classe sociale. Les effets culturels de l’origine
parents contraints d’arrêter leurs études, permet de sociale, mais aussi et surtout les différences dans la logique
séparer deux groupes de familles : le premier compte des des motivations induite par l’origine sociale ont pour
parents dont la précarité économique, la distance conséquence d’engendrer un inégal investissement scolaire en
symbolique à l’égard de l’école et le repli sur la cellule fonction de l’origine sociale. Étant donné que le système
familiale font obstacle à une démarche positive en direction scolaire propose aux individus une suite d’orientations au cours
de l’école ; le second, ceux qui, connaissant une plus de leur carrière scolaire, il en résulte que l’effet des différences
grande stabilité professionnelle, plus instruits, plus ouverts de motivations est multiplicatif.
à des groupes extérieurs, plus proches subjectivement de
R. Boudon, F. Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie,
l’école, sont davantage en mesure d’intégrer celle-ci dans
2004
un projet global de mobilité sociale.
Les familles d’immigrés ont souvent des projets scolaires Document 27 :
ambitieux pour leurs enfants, liés au projet migratoire de La scolarisation de Valentine a obligé ses parents à changer de
réussite. mode de garde pour accueillir une jeune fille au pair chargée de
M. Duru-Bellat, G. Farges et A. Van Zanten, Sociologie de chercher les enfants à l’école et de s’en occuper jusqu’au soir.
l’école, 2018 Et depuis, tous les ans, ils en changent au rythme des années
scolaires. Mais surtout, ils sélectionnent leurs filles au pair sur
des critères stricts. Tout d’abord, ils ne prennent que des
jeunes filles anglophones d’Amérique du Nord : “On trouvait ça
Document 25 : bien d’avoir quelqu’un d’un peu lointain plutôt que d’Angleterre”.
Certes, tous les milieux sociaux ont autant de “culture” les L’objectif est tout d’abord de familiariser Thomas et Valentine à
uns que les autres, au sens où les anthropologues parlent la langue anglaise. La première jeune fille au pair qu’ils ont
de la “culture touareg” ou de la “culture japonaise”, par accueillie pendant l’année de petite section de Valentine ne
exemple. Mais les cultures spécifiques (cultures populaires parlait d’ailleurs pas français : “On est partis du principe qu’ils
pour les classes populaires, cultures bourgeoises pour les étaient petits, trois ans et six ans, et qu’en leur parlant en
classes supérieures) se distinguent par leur plus ou moins anglais, ils allaient comprendre.” [...]. Sonia, forte de son
fort ajustement à la culture proprement scolaire. Celle-ci expérience dans les ressources humaines, a mis en place tout
correspond aux différents savoirs, savoir-faire et valeurs un protocole pour sélectionner chaque année une nouvelle
promus par l’école et/ou considérés comme légitimes par jeune fille au pair. Elle s’y prend dès novembre pour l’année
elle. Or, les milieux les plus favorisés sont suivante, “parce qu’on veut quelqu’un qui l’ait vraiment intégré
tendanciellement les plus scolarisés et diplômés. Ils sont dans son cursus”. [...] Ils peuvent accueillir ces jeunes Nord-
ceux dont les pratiques culturelles s’ajustent le plus à la Américaines grâce aux parents de Sonia qui disposent de deux
culture scolaire. [...]. “chambres de bonne” dans leur immeuble situé à vingt minutes
Les enfants issus des milieux dotés en capitaux culturels à pied du domicile familial. Le contrat d’accueil d’une fille au
héritent ainsi, par le simple fait de “baigner” dans leur pair exige en effet de la loger gratuitement, de fournir les repas
famille, des pratiques et des références culturelles (lecture, et un petit salaire.
écriture, musique, etc.), mais aussi d’une gamme de
vocabulaire et de façons de construire des phrases, ou Bernard Lahire, Enfances de classe, 2019
encore d’habitudes d’argumenter longuement et de
démontrer en passant par l’abstraction, ou bien de
manières de se tenir, ou de poser leur voix… ajustées aux
formes imposées de l’”excellence scolaire”.
C’est ainsi, affirment Pierre Bourdieu et Jean-Claude
Passeron, que les élèves issus de milieux les plus
favorisés peuvent manifester une vaste “culture légitime”
(c’est-à-dire reconnue comme telle par l’école), “acquise
sans intention ni effort et comme par osmose”.
L. Frouillou et R. Bodin, “À l’école, tu bosses, tu réussis ?”,
in Manuel indocile des sciences sociales, 2019

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