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L'altruisme, moteur de l'évolution ?


Genesis. The deep origin of societies, Edward O. Wilson, Allen Lane, 2019, 160 p.,
14,99 €.

Thomas Lepeltier

En 1975, l’entomologiste Edward Wilson publie Sociobiology. The


new synthesis, dans lequel il fait une synthèse des recherches sur les comportements
sociaux des animaux et, dans son dernier chapitre, transpose son analyse aux humains.
L’ouvrage suscite aussitôt des polémiques. E. Wilson est parfois accusé de soutenir un
strict déterminisme génétique, voire d’offrir une caution scientifique au racisme.
Toutefois, après quelques années de turbulences, la controverse s’apaise et E. Wilson
poursuit une brillante carrière de scientifique et d’auteur prolixe. Ce trente-deuxième
volume traite des grandes transitions de l’évolution du vivant : apparition de la vie, des
cellules complexes, des organismes multicellulaires, de la reproduction sexuée et des
sociétés animales puis humaines. Selon E. Wilson, ces transitions auraient un levier
commun : l’altruisme, qui permettrait de passer d’un niveau d’organisation à un autre.
Par altruisme, il faut entendre cette tendance à accroître la capacité de reproduction
d’autrui au détriment de la sienne. Par exemple, au sein d’un organisme, certaines
cellules sont programmées pour mourir au profit de la survie et donc de la prolifération
des autres. La question est de savoir comment la sélection naturelle peut favoriser un tel
altruisme.

Selon la théorie dite de la sélection de parentèle, l’altruisme ne s’adresse qu’à des


individus génétiquement apparentés dans la mesure où, au final, cette action favorise la
propagation de gènes communs. Par exemple, en se sacrifiant pour sa famille, un
individu ne peut assurer une meilleure diffusion de son patrimoine génétique qu’en le
laissant périr. Selon une autre théorie, dite de l’altruisme réciproque, aider autrui peut
avoir un intérêt évolutif dans la mesure où le bénéficiaire de l’aide peut retourner la
faveur et, par là même, augmenter les chances de succès de l’initiateur de l’échange.
Parmi les autres explications, on trouve encore la théorie dite de la sélection de groupe :
elle stipule que plus un groupe contient d’individus altruistes, plus il tire de cette
coopération des avantages reproductifs. Mais la plupart des biologistes estiment que
cette théorie ne fonctionne pas car, prétendent-ils, au sein du groupe, le nombre
d’altruistes ne peut que diminuer avec le temps, selon le principe du free rider
(resquilleur).
Ce n’est pourtant pas l’avis de E. Wilson. S’appuyant sur ses recherches en
entomologie, il défend l’idée que, sans la sélection de groupe, on ne peut expliquer la
mise en place de l’eusocialité, c’est-à-dire d’un mode d’organisation sociale dans
lequel, à l’intérieur d’un même groupe animal, les individus accomplissent des rôles
différents et, en particulier, sont divisés en castes fertiles et non fertiles. Le phénomène
s’observe notamment chez les insectes sociaux. Ceci posé, E. Wilson peut avancer que
les premières sociétés humaines se sont développées quand, dans certains groupes
d’hominidés, une telle structure d’eusocialité s’est mise en place, avec une distribution
des tâches de soin. C’est le cas, par exemple, des grands-parents ou des individus
homosexuels qui aident à élever les enfants des autres. Cette condition, rare dans le
monde animal, aurait permis aux humains de dominer écologiquement la Terre, à
l’instar des fourmis et des termites. Bien sûr, la thèse ne manquera pas d’être discutée.
Mais en n’attribuant pas le succès de l’espèce humaine à sa seule intelligence, elle peut
aussi inciter à une certaine forme d’humilité… 

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