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Dossier scientifique

Bactéries anaérobies
et résistances aux antibiotiques
Yann Dumont1,2,*, Remy Froissart2, Anne-Laure Bañuls2, Lucas Bonzon1, Hélène Jean-Pierre1,
Sylvain Godreuil1,2
1 Hôpital Arnaud de Villeneuve, CHU de Montpellier, Laboratoire de bactériologie, Université de Montpellier, Montpellier, 191 Avenue du
Doyen Gaston Giraud, 34295 Montpellier Cedex 5, France.
2 UMR MIVEGEC IRD-CNRS-Université de Montpellier, IRD, Montpellier, France.
*Auteur correspondant : y-dumont@chu-montpellier.fr (Y. Dumont).

RÉSUMÉ
Le terme « bactéries anaérobies » recouvre de nombreuses
espèces phylogénétiquement très différentes. Ainsi, si on retrouve
quelques résistances naturelles communes, chaque espèce pré-
sente des résistances naturelles et une épidémiologie de la résis-
tance différente qu’il faut connaître pour orienter les médecins
vers des antibiothérapies efficaces. Les résistances acquises
peuvent toucher la majorité des molécules utilisées dans les infec-
tions à anaérobies, même si dans la majorité des cas les souches
restent fréquemment sensibles aux associations pénicilline inhibi-
teur de béta-lactamase (et notamment à la pipéracilline tazobac-
tam), aux carbapénèmes et au métronidazole. Cependant, la mise
en évidence de souches multirésistantes parmi les Bacteroides du
groupe fragilis, très fréquemment impliqué dans les infections, les

© DR KARI LOUNATMAA/SPL/PHANIE
échecs cliniques associés à ces souches, et l’évolution des résis-
tances pour certains antibiotiques, montre que, comme pour les
entérobactéries au cours des dernières décennies, la situation est
en train de changer. Il est donc essentiel de tester la sensibilité des
souches isolées dans les situations cliniques critiques et pour les
espèces les plus pourvoyeuses de résistance. Pour les souches les
plus résistantes, l’utilisation d’autres classes antibiotiques (oxazo-
lidinones, nouvelles cyclines) devra alors être envisagée.

MOTS CLÉS
ABSTRACT
Anaerobic bacteria and antibiotic resistances
◗ antibiotiques The term “anaerobic bacteria” covers many phylogenetically very different species.
◗ bactéries anaérobies Thus, if we find some common natural resistance, each species has natural resis-
◗ épidémiologie tance and epidemiology of the different resistance that must be known to guide
◗ Europe physicians to effective antibiotic therapy.The resistances acquired can affect most of
◗ résistance the molecules used in anaerobic infections, although in most cases the strains are
frequently sensitive to penicillin-beta-lactamase inhibitor associations (and especially
KEY WORDS piperacillin tazobactam), carbapenems and metronidazole. However, the demonstra-
◗ anaerobic bacteria tion of multiresistant strains among the Bacteroides of the fragilis group, which is very
◗ antibiotics frequently involved in infections, the clinical failures associated with these strains, and
◗ epidemiology the evolution of resistance for certain antibiotics, shows that, as for enterobacteria-
◗ Europe ceae during in recent decades, the situation is changing. It is therefore essential to
◗ resistance test the susceptibility of isolated strains in critical clinical situations and for the most
resistant species. For the most resistant strains, the use of other antibiotic classes
© 2018 – Elsevier Masson SAS (oxazolidinones, new cyclins) should then be considered.
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Introduction La résistance à l’aztréonam est quant à elle due à la


faible affinité de cette molécule pour les protéines liant
Comme toutes les bactéries, les bactéries anaérobies la pénicilline (PLP) des bactéries anaérobies, notam-
sont sujettes à des résistances aux antibiotiques. Si elles ment celles des PLP 1 et 3, responsable de l’activité de
ne sont pas comparables aux bactéries hautement résis- cette molécule chez les bactéries à Gram négatif [3].
La résistance au triméthoprime provient d’une forte
tantes émergentes (BHRe) comme les entérocoques
activité dihydrofolate réductase des bactéries anaé-
résistants aux glycopeptides ou les entérobactéries
robies, provoquant une hausse de CMI pouvant aller
résistantes aux carbapénèmes, les bactéries anaérobies
jusqu’au centuple comparée à Escherichia coli [4].
peuvent exprimer de nombreuses résistances, naturelles
L’activité synergique du triméthoprime avec le sulfa-
ou acquises. Si elles sont bien connues et maîtrisées
methoxazole est toutefois conservée chez une partie
pour certains genres, avec des seuils critiques de CMI
des souches [5].
et des fréquences de sensibilité concordantes dans la Enfin, une grande partie des fluoroquinolones pos-
littérature, on ne connaît pour d’autres espèces que des sède une faible activité sur les bactéries anaérobies,
répartitions de concentrations minimales inhibitrices dont l’ofloxacine, la ciprofloxacine et la lévofloxa-
(CMI), sans bien connaître la corrélation qu’il peut y cine. Il existe cependant des fluoroquinolones ayant
avoir entre ces CMI et la probabilité d’un échec clinique. une forte activité contre les bactéries anaérobies [6].
Par conséquent, seules des valeurs critiques communes Parmi celles-ci, seule la moxifloxacine est actuellement
à l’ensemble des anaérobies (cas du référentiel CASFM) disponible en France, mais des résistances acquises
ou séparés en aérobie à Gram positif ou négatif (cas peuvent être rencontrées.
des seuils de l’Eucast) ne sont donnés, accompagnées
de quelques règles d’expertises. L’objectif de ce chapitre
est de décrire les résistances observées chez les bacté- Bactéries à Gram négatives
ries anaérobies et leurs mécanismes, illustrées par les
données récentes de la littérature Européenne quant Genre Bacteroides
à leurs incidences.
Le genre Bacteroides, et notamment le groupe Bacte-
roides du groupe fragilis, est le plus grand porteur de
résistance chez les anaérobies. Ces bactéries étant
Résistances naturelles fréquemment rencontrées en pratique clinique (infec-
tions intra-abdominales ou gynécologiques), leurs
Le référentiel du Comité de l’antibiogramme de la résistances naturelles et leurs résistances acquises les
société française de microbiologie liste quatre résistances plus fréquentes doivent régulièrement être prises en
naturelles chez les bactéries anaérobies : les aminosides, compte dans les antibiothérapies probabilistes. Ces
l’aztréonam (exception faite des Fusobacterium), le tri- espèces sont naturellement résistantes aux aminopé-
méthoprime et les quinolones. Il est cependant à noter nicillines, au céfamandole, au céfuroxime et à la céfa-
que, les bactéries anaérobies n’appartenant pas à une lotine, ainsi qu’à la fosfomycine, aux glycopeptides et
entité phylogénétique unique et ces résultats ayant prin- aux polymyxines (colistine et polymyxine B). La pré-
cipalement été mis en évidence chez les Bacteroides et sence d’une pénicillinase naturelle (CepA) est asso-
les Clostridium, des exceptions pourraient être trouvées. ciée à la résistance aux aminopénicillines. Cette péni-
La résistance aux aminosides est directement due au cillinase n’est cependant pas présente ou exprimée
métabolisme des bactéries anaérobies. Si les ribosomes chez toutes les souches, et certaines souches peuvent
d’espèces anaérobies sont bien sensibles à ces molé- donc avoir des concentrations minimales inhibitrices
cules, ces dernières nécessitent un transport actif à tra- (CMI) sensibles [7]. La sensibilité des Bacteroides aux
vers la membrane pour rejoindre leurs cibles. Or, du fait céphalosporines de 3 e génération est considérée
des différences métaboliques spécifiques aux bactéries comme médiocre, et tout résultat sensible doit être
anaérobies, ce transport actif est absent (Clostridium considéré comme intermédiaire (CASFM 2013, encore
perfringens) ou déficient (Bacteroides fragilis) chez les valable pour l’interprétation des sensibilités chez les
bactéries anaérobies, expliquant l’absence d’activité bactéries anaérobies). Les antibiotiques fréquemment
de cette famille d’antibiotique [1]. Cependant, comme sensibles sur ces espèces sont le métronidazole, les
pour les streptocoques, une activité synergique de la associations pénicillines-inhibiteurs (contrairement
gentamicine avec la pénicilline, la clindamycine et, plus aux associations céphalosporines inhibiteurs, l’adjonc-
rarement, le métronidazole chez certaines souches de tion de ce dernier ne suffisant pas à rattraper la faible
Prevotella et de Porphyromonas a pu être observée in affinité des premières pour les PLP), la céfoxitine, les
vivo et chez l’animal [2]. Cette activité est toutefois à carbapénèmes, la clindamycine, la tigécycline, le métro-
relativiser, la baisse de pH fréquemment constatée loca- nidazole, et aussi le linézolide.
lement lors d’une infection étant un autre mécanisme De nombreux mécanismes de résistance peuvent
limitant l’action de ces molécules. être retrouvés chez Bacteroides. Le principal méca-

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Les bactéries anaérobies
nisme de résistance à la céfoxitine est une diminution inhibiteurs de béta-lactamase pour lesquelles moins
de l’affinité de certaines PLP à cette molécule, mais de 1 % des souches étaient alors résistantes [12].
cette résistance peut aussi être imputable à un autre Ces taux de résistance relativement faibles ne doivent
type de béta-lactamase, CfxA, transportée par un élé- pas pour autant rassurer : de nombreuses souches mul-
ment génétique mobile [7,8]. La béta-lactamase de tirésistantes (résistance à au moins 3 classes d’antibio-
type métalloprotéinase CfiA (aussi appelée ccrA) peut tiques différentes) ont été décrites depuis le début des
être responsable d’une perte d’activité de l’ensemble années 2000, causant plusieurs décès. De même, un clone
des béta-lactamines, mais de nombreuses souches portant nimB et cfiA en plus de plusieurs autres gènes
conservent une sensibilité aux carbapénèmes du fait de résistance aux antibiotiques (tet, erm) a été récem-
d’une expression variable du gène en fonction de l’in- ment mis en évidence dans plusieurs pays d’Europe [14].
sertion d’un promoteur efficace en amont (élément Ce clone semble toutefois garder une sensibilité à la
d’insertion notamment) [7]. Une imperméabilité de la tigécycline, au linézolide et, dans une moindre mesure,
paroi peut être associée à chacun de ces mécanismes, à la moxifloxacine.
renforçant la résistance et diminuant l’effet des inhi-
biteurs [9]. Genre Prevotella
De nombreux types de gènes nim ont été mis en évi-
dence chez des Bacteroides, portés soit par des plas- Le genre Prevotella, séparé du genre Bacteroides depuis
mides, soit par des transposons. Ils entraînent la fin des années 1980, est naturellement résis-
une diminution de la sensibilité au tant aux sulfamides, à la fosfomycine, à
métronidazole, mais d’autres méca- l’acide fusidique, et aux glycopeptides.
nismes de résistance non-trans- Ce genre ne possède pas de pénicilli-
missibles à cet antibiotique sont De nombreuses nase constitutive, et peut donc être
sensible aux pénicillines sans inhi-
aussi rencontrés [10]. Plusieurs souches biteurs. De nombreuses souches
gènes de résistance aux macro-
lides et apparentés ont été multirésistantes ont sont toutefois porteuses du
gène cfxA, induisant une résis-
décrits chez Bacteroides (gènes été décrites depuis le tance aux pénicillines mais sur
erm, linA, mefA, msrSA), parfois
retrouvés associés dans une début des années 2000, laquelle les inhibiteurs sont actifs
même souche, et fréquemment causant plusieurs [15,16]. Cette béta-lactamase à
responsables de résistances in spectre étendu peut aussi induire
vitro [7]. Le gène tetQ est respon-
décès une résistance au céphalosporine
e
sable, quant à lui, de la majorité des de 3 génération, mais elle n’est pas
résistances à la tigécycline observées, active sur la cefoxitine [17]. Comme
même si d’autres gènes ont été décrits [7]. pour le genre Bacteroides, des gènes de résis-
Enfin, il n’a pas encore été décrit de souche résis- tances aux macrolides et apparentés (erm not-
tante au linézolide, mais cet antibiotique reste peu tamment) et aux cyclines (tetQ) ont été décrits [17],
fréquemment testé, même dans les cas les plus ainsi que la présence de gènes nim, et notamment le
problématiques [11]. gène nimI chez P. baroniae (qui pourrait être constitutif
Certains taux de résistances observés en Europe chez cette espèce, mais n’est pas systématiquement
sont relativement faibles : environ 90 % des souches exprimé) [18].
sont sensibles à l’association amoxicilline acide cla- Deux études européennes récentes, une publiée par
vulanique, et aussi à l’association pipéracilline-tazo- Ulger Toprak et al. portant sur 508 souches, et l’étude
bactam (à l’exception notable de B. thetaiotaomi- T.E.S.T. portant sur 1 106 souches, montrent que le
genre Prevotella est fréquemment sensible aux asso-
cron, pour lequel entre 55 % et 70 % des souches
ciations pénicilline-inhibiteur (> 90 %), à la cefoxitine
sont sensibles) et à la céfoxitine, plus de 95 % des
(99,6 %), aux carbapénèmes (> 99 %), au métronidazole
souches sont sensibles au méropénème et plus de
(> 99 %) et à la tygécycline (100 %). La moxifloxacine
99 % au métronidazole [12,13]. La clindamycine, à l’in-
reste fréquemment sensible (81,7 %) mais, à l’instar
verse, est régulièrement retrouvée résistante. Alors
des Bacteroides, un tiers des souches sont résistantes
que seulement 12 % des souches étaient résistantes
à la clindamycine [13,19].
avant les années 1990, leur fréquence a fortement
augmenté : si moins de 22 % des B. fragilis stricto sensu
restent sensibles, les autres espèces ont un taux de
Genre Porphyromonas
résistance avoisinant les 50 % [13]. De même, le Le genre Porphyromonas, lui aussi distingué du groupe
taux de résistance à la moxifloxacine s’élève jusqu’à Bacteroides depuis la fin des années 1980, est naturel-
13 %  [12]. L’ensemble de ces résistances est en lement résistant à la fosfomycine et aux polymixines.
augmentation nette depuis le début des dernières Peu de résistances ont été décrites en Europe chez les
années, surtout pour les associations pénicillines différentes espèces de Porphyromonas. Seule la présence

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d’une béta-lactamase de type CfxA a été décrite [20]. Genre Clostridium


Les études rapportent de très faibles taux de résistance
pour l’amoxicilline, les associations pénicilline-inhibi- Les Clostridia présentent des résistances naturelles aux
teurs, la clindamycine et le métronidazole [21]. Il faut polymyxines et à la fosfomycine. Cependant beaucoup
cependant noter que des résultats radicalement diffé- d’espèces possèdent des résistances propres. C. per-
rents ont été obtenus dans une étude Colombienne, où fringens est sensible à l’ensemble des béta-lactamines
des taux de résistance de 20 à 25 % ont été observés (céphalosporines comprises), à l’inverse de C. difficile qui
pour l’amoxicilline, la clindamycine et surtout le métro- possède une résistance naturelle aux céphalosporines
nidazole [22]. et à la céfoxitine. C. innocuum possède une résistance
de bas niveau à la vancomycine (mais pas à la teicopla-
Genre Fusobacterium nine) du fait d’une modification des précurseurs du
peptidoglycane [29]. Les espèces C. butyricum, C. clos-
Les Fusobacterium possèdent une résistance naturelle
tridiiforme et C. ramosum peuvent posséder des béta-
de bas niveau aux macrolides. Deux espèces, F. varium et
lactamases. Celles de C. butyricum sont sensibles aux
F. mortiferum, possèdent de plus une résistance natu-
inhibiteurs de béta-lactamase, mais celles portées
relle à la rifampicine. La production d’une béta-
lactamase est possible, mais reste cepen- par C. clostridiiforme et C. ramosum ne peuvent
dant rare [21]. Très peu de résistances être inactivées aux concentrations théra-
ont été décrites jusqu’alors dans ce peutiques. C. tertium, enfin, est résistant
genre [21]. à l’ensemble des béta-lactamines, au
métronidazole et à la clindamycine,
Peu d’études récentes ne laissant comme seules alterna-
Genre Veillonella
se sont intéressées aux tives que les glycopeptides et les
Les espèces du genre Veillo- oxazolidinones. Des résistances
nella possèdent un bas niveau taux de résistance des à la clindamycine et aux cyclines
de résistance aux macrolides, clostridia, à l’exception liées à des gènes erm (ermQ et B
et une résistance aux glycopep- chez C. perfringens, et ermB et Z
tides. Environ 60 % des souches
de C. difficile
chez C. difficile principalement) et
sont résistantes à la pénicilline, et tet (tetP nottamment), respective-
40 % à l’amoxicilline [23]. Un peu ment, ont été mises en évidence.
plus de 10 % des souches ont une Peu d’études récentes se sont intéres-
résistance à la tétracycline, de par l’ac- sées aux taux de résistance des clostridia, à
quisition d’un gène tetM [24]. l’exception de C. difficile. L’étude T.E.S.T. rapporte
chez C. perfringens des taux de sensibilité de 82 % pour
Autres bacilles à Gram la pénicilline, 90 % pour la clindamycine, 98 % pour la
pipéracilline-tazobactam, et enfin plus de 99 % pour le
négative métronidazole et le méropénème [13]. Wybo et al. ont
rapporté en 2014, sur une collection de souches belges,
Suterella wadsworthensis présente fréquemment une des taux de sensibilité similaires (sans distinguer les
résistance au métronidazole, à la pipéracilline et à espèces de clostridia), ainsi que des taux à 90 % pour la
l’association pipéracilline tazobactam. L’amoxicilline céfoxitine, 100 % pour l’amoxicilline acide clavulanique,
acide clavulanique, la cefoxitine et le méropénème et 66 % pour la moxifloxacine [30].
sont très sensibles. Un quart des souches observées Pour l’espèce C. difficile, outre un très faible niveau de
présentaient une résistance à la clindamycine [25]. sensibilité à la clindamycine, les souches restent très
Chez les souches de Campylobacter, C. gracilis peut sensibles au métronidazole et aux glycopeptides, ainsi
présenter des résistances à la pipéracilline avec et qu’aux carbapénèmes [31].
sans tazobactam, ainsi qu’à la clindamycine et à la
tétracycline. L’espèce C. rectus apparaît souvent sen- Genre Actinomyces
sible [26].
Les Desulfovibrio sont résistants à la pipéracilline Les bactéries du genre Actinomyces sont naturellement
avec ou sans tazobactam, et à la céfoxitine. Cer- résistantes au métronidazole (absence du métabolisme
taines souches sont porteuses d’une béta-lactamase ciblé), mais sont fortement sensibles aux aminopénicil-
inhibable par l’acide clavulanique. L’imipenème et le lines. Des souches de sensibilité diminuée à la pipéra-
métronidazole ont une très bonne activité [27]. cilline-tazobactam ont été rencontrées chez certaines
Enfin, les Dialister restent très sensibles, même si espèces (A. europaeus, A. funkei et A. turicensis), ainsi qu’à la
certaines souches présentent des sensibilités dimi- ceftriaxone (A. europaeus) [32]. Le linézolide et la clinda-
nuées à la pipéracilline, à la rifampicine ou encore au mycine sont aussi très fréquemment sensibles et peuvent
métronidazole [28]. donc être utiliser en alternative aux pénicillines [33].

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Les bactéries anaérobies

Genre Propionibacterium Parmi les Mobiluncus, M. curtisii est résistant au métroni-


dazole, tandis que la moitié des souches de M. mulieris
Les Propionibacterium sont aussi naturellement résistants sont sensibles.Toutes deux sont sensibles aux béta-lac-
au métronidazole, et sont très sensibles aux aminopé- tamines, à la vancomycine, à la clindamycine [41].
nicillines et aux céphalosporines, ainsi qu’à la vanco- Enfin, parmi les cocci à Gram positifs anaérobies (Fine-
mycine, aux fluoroquinolones et au linézolide [34,35]. goldia magna, Peptoniphilus harei…), peu de résistances
Cependant, en Europe, des résistances à l’érythromy- sont décrites à l’exception de la pénicilline et la clinda-
cine et à la clindamycine sont observées chez plus 15 % mycine. Dans une étude européenne publiée en 2008,
des souches de P. acnes, avec de fortes disparités en seules 7 % des souches arboraient l’une ou l’autre de
fonction des pays, la Croatie présentant par exemple ces résistances [42].
deux tiers de souches résistantes [35]. Les résistances à
la tétracycline sont principalement dues à une mutation
de l’ADN 16S, pouvant toucher les autres cyclines [36]. Conclusion
Dans les infections osseuses ou sur matériel, une associa- Au cours d’une infection, l’utilisation des principaux
tion avec la rifampicine (qui possède un effet anti-biofilm) antibiotiques anti-anaérobies est dans la plupart des
est intéressante. Cette molécule ne doit cependant évi- cas efficace sur les bactéries anaérobies en probabiliste.
demment pas être utilisée en monothérapie, et des résis- Cependant, leur phylogénie complexe est associée à de
tances acquises ont été décrites dans plusieurs phylotypes, nombreuses résistances naturelles. Plusieurs critères
illustrant le risque de résistance acquise par mutation [37]. peuvent justifier d’une exploration de leurs sensibili-
tés : sévérité de l’infection, infection dans un site où les
Genre Lactobacillus antibiotiques diffusent mal, espèce ayant une résistance
naturelle à l’antibiotique utilisé, etc. À cela s’ajoute le
Les espèces hétérofermentaires sont naturellement
fait que plusieurs antibiotiques très efficaces contre les
résistantes au glycopeptides (L. brevis, L. casei et paracasei,
bactéries anaérobies sont aussi des antibiotiques cri-
L. fermentum, L. confusus, L. plantarum, L. reuteri, L. rhamno-
tiques, comme l’association pipéracilline tazobactam ou
sus) du fait du remplacement des terminaisons D-Ala des
les carbapénèmes. Dans le but de réduire leurs consom-
précurseurs du peptidoglycanes par D-Ser ou D-lactate.
mations, et donc le risque de sélection de résistance,
En dehors de cette résistance, il y a peu d’unité entre
il est justifié de tester des molécules ayant un impact
les espèces. Quatre profils de sensibilités ont été décrits
moindre sur le microbiote. Lorsque l’utilisation d’une
par Golstein et al. en 2015 [38] : cycline ou de la clindamycine est envisagée, il est essen-
◗tgroupe VR1 (L. casei, paracasei et rhamnosus) résistant tiel de vérifier la sensibilité à ces molécules pour éviter
à la vancomycine et à la ceftriaxone la diffusion et sélection des souches résistantes déjà
◗tgroupe VR2 (L. fermentum, vaginalis, etc) résistant à la nombreuses. Enfin, un clone multi-résistant de B. fragilis
vancomycine mais moins fréquemment sensible à la doit savoir être suspecté. La persistance d’une activité
ceftriaxone de la tigécycline et du linézolide dans ces cas en font
◗tgroupe VS1 (groupe L. gasseri/johnsonni, L. jensenii) des bons candidats pour une thérapie de sauvetage. QQ
sensible à la vancomycine, aux carbapénèmes et au
linézolide Liens d’intérêts :Yann Dumont déclare avoir des liens avec
◗tgroupe VS2 (L. acidophilus, crispatus, delbrueckii, iners, MSD France, Correvio, et Pfizer PFE France. Les autres
oris) sensible à la vancomycine et aux carbapénèmes, auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
mais pas au linézolide.
D’autres molécules sont inconstamment sensibles : les Points à retenir
fluoroquinolones, les pénicillines avec et sans inhibiteurs,
la daptomycine et la cefoxitine [38]. ◗tLes bactéries anaérobies présentent, sauf quelques
exceptions, des résistances naturelles diverses
◗tChez le genre Bacteroides, du fait de la description de
Autres Gram positifs nombreux mécanismes de résistance, il est essentiel de
tester les principaux antibiotiques utilisés pour dépister les
Les espèces d’Eubacterium et les anciens Eubacterium rares souches résistantes.
ayant été rebaptisés (Slackia, Flavonifractor, Eggerthella, ◗tLes résistances à la clindamycine et aux cyclines sont
Atopobium…) sont sensibles à la plupart des antibio- communes chez beaucoup d’espèces d’anaérobies.
◗tLes carbapénèmes sont fréquemment sensibles, mais
tiques. Des résistances aux céphalosporines de 3e géné-
leur impact sur le microbiote doit les faire utiliser avec
ration ont néanmoins été décrites [39].
modération
Le genre Bifidobacterium est sensible aux béta-lacta-
◗tLe métronidazole, bien que classiquement décrit comme
mines, y compris les céphalosporines de 3e génération.
l’un des principaux antibiotiques anti-anaérobies, fait l’objet
La sensibilité aux fluoroquinolones, à la clindamycine et de résistances naturelles chez plusieurs espèces
aux cyclines est variable [40].

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62 REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 505 • SEPTEMBRE-OCTOBRE 2018

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