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PÉDAGOGIE - Les problèmes contemporains

HAMELINE Daniel, professeur à l'université de Genéve.

L'un des traits marquants de la pensée pédagogique dans le dernier quart du XXe siècle
tient, sans nul doute, à un constat qui s'est généralisé à partir du début des années
soixante au point de devenir aujourd'hui une banalité : le " pédagogique " est plus totalisé
qu'il ne totalise. Cette formule prend un sens au moins sur deux plans : celui de la
connaissance et celui de l'action.

Una de las características del pensamiento pedagógico en el último cuarto del siglo XX es, sin
duda, a la conclusión de que se ha extendido desde los años sesenta para convertirse en comunes
hoy en día: el "enseñanza "es que se sumaron los totales. Esta fórmula tiene sentido por lo menos
en dos niveles: el del conocimiento y de la acción.

Sur le plan de la connaissance , la réflexion sur l'éducation ne rend pas raison, en dernier
ressort, de ce qui se fabrique dans le lieu éducatif. L'éducation est d'abord une pratique
sociale parmi d'autres, justiciable d'une analyse qui tente de les prendre comme un tout
significatif. Ainsi le " ras-le-bol " lycéen des années soixante-dix, comme la morosité des
années quatre-vingt, ne s'explique que superficiellement par la désuétude des
programmes et des manières d'enseigner. C'est au sein d'une nouvelle " donne "
économique que le système d'enseignement révèle à ceux qui sont soumis à l'obligation
légale de le fréquenter sa vérité de " fabrique de chômeurs ". Le problème, évidemment,
possède une dimension pédagogique. Mais la clé de sa compréhension n'est pas détenue
par les pédagogues en leur champ propre d'analyse.

En términos de conocimiento, la reflexión sobre la educación no lo hace porque, en última


instancia, de lo que hace que el lugar en la educación. La educación es ante todo una práctica
social, entre otros, susceptibles de un análisis que trata de tomarlos como un todo significativo. Así,
el "ras-le-bol" estudiante de secundaria de los años setenta, como la oscuridad de los años
ochenta, sólo se explica superficialmente por la obsolescencia de los programas y formas de
enseñanza. Es dentro de un nuevo "trato" que el sistema económico de la educación era a los que
están sujetos a la obligación legal de asistir a su verdad "fábrica de parados". El problema, por
supuesto, tiene una dimensión educativa. Pero la clave para entender que no se lleva a cabo por
los profesores en su propio campo de análisis.

Sur le plan de l'action , ces derniers ne détiennent pas davantage les moyens de porter
remède à une situation qui, pourtant, étale ses contradictions dans les salles de classe.
Peut-être est-ce une des constantes des tentatives d'innovation pédagogique dans le
troisième quart du siècle, et quelles qu'en fussent les orientations doctrinales (méthodes
actives, dynamique des groupes appliquée à la situation scolaire, non-directivité,
individualisation des apprentissages et travail indépendant, introduction des aides de
l'audiovisuel et des divers médias, etc.), que d'avoir, tôt ou tard, éprouvé la résistance des
institutions  et d'avoir servi d'analyseurs de leurs contradictions. Dans le lieu même de la
formation, l'innovation manifestait que la solution des problèmes " pédagogiques " n'était
pas entre les mains des acteurs immédiats de la relation éducative (maîtres et élèves,
formateurs et stagiaires), mais renvoyait à d'autres agents, voire à d'autres instances
anonymes, absents physiquement de l'interface éducative, mais l'habitant de leur
présence " instituée " jusque dans la conformation des locaux et la conception du mobilier.

En cuanto a la acción, los maestros no tienen más formas de remediar una situación que, sin
embargo, se extiende a sus contradicciones en el aula. Tal vez este es uno de los constantes
intentos de innovación pedagógica en el tercer trimestre del siglo, y cualquiera que sea su
orientación doctrinal (métodos activos, dinámicas de grupo aplicadas a la situación de la escuela,
no directiva, individualizado aprendizaje y trabajo por cuenta propia, la introducción de medios
audiovisuales y diversos medios de comunicación, etc.), para que, tarde o temprano, a prueba la
fortaleza de las instituciones y para funcionar como un analizador de sus contradicciones. En el
lugar de la formación, la innovación puso de manifiesto que la solución de la "enseñanza" no
estaba en las manos de los actores inmediatos de la relación educativa (profesores y estudiantes,
instructores y aprendices), pero en referencia a otros agentes u otros organismos anónimos,
físicamente ausente de la interfaz de la educación, sino la presencia viva de su "set" en el espacio
de conformación y diseño de muebles.

Ainsi, le troisième quart du siècle semble avoir vu le déclin du " pédagogisme ".


L'éducation n'est pas à même de modifier l'état d'une société et, en particulier, de réguler,
au mieux des intérêts de la collectivité et de ceux des individus, la promotion égalitaire et
différenciée des talents. Mais, symétrique opposé de l'" illusion " (R. Lourau, 1971) ou de
la " mystification " (B. Charlot, 1976) pédagogiques, un fatalisme sociologique  semble
avoir marqué les années soixante et soixante-dix d'une manière que résume bien la
phrase de J.-C. Passeron (1967) : " Rien de ce qui advient dans l'amphithéâtre n'a sa
résolution dans l'amphithéâtre. "

Por lo tanto, el tercer trimestre del siglo parece haber visto el declive de "pedagogismo". La
educación no es capaz de cambiar el estado de una sociedad anónima y, en particular, para
regular en los mejores intereses de la comunidad y los de los individuos, promover la igualdad y el
talento diferenciado. Pero opuesto simétrico de la "ilusión" (R. Lourau, 1971) o "spoofing" (B.
Charlot, 1976), pedagógica, sociológica fatalismo parece haber marcado los años sesenta y
setenta de una manera que resume la frase de Passeron (1967): "Nada de lo que sucede en el
anfiteatro tiene su resolución en el anfiteatro".

Les grands ébranlements de la fin des années soixante (1967 aux États-Unis, 1968 en
Europe) marqueraient le sursaut des " maximalismes ". Fonction critique et fonction
utopique uniraient pour un court moment leurs efforts et feraient penser autrement
l'éducation. Mais les années soixante-dix verraient la décrue, la double désillusion
symétrique des enthousiastes et des planificateurs. Au début du dernier quart de siècle, la
pédagogie recourt à l'idéologie de la gestion pour sauver la fonction éducative par un
surcroît de rationalité, aussi bien à l'échelle des grands systèmes d'enseignement qu'à
l'échelle du " sous-système enseigner-apprendre ", où les acteurs concrets de la relation
pédagogique sont appelés à " gérer " les apprentissages. À partir de 1975, l'analyse de
système se généralise comme outil favori des pédagogues quand ils tentent de faire la
théorie de leur pratique.

1945-1965 : de grandes espérances

La Seconde Guerre mondiale, pourtant, avait donné lieu, tant de la part des instances
nationales ou internationales que de la part de nombreux " activistes " de la pédagogie, à
des résolutions, sinon à des déclarations fort parentes de celles qui avaient pu fleurir au
lendemain de la Première Guerre mondiale, telles que la Charte de Calais (1921), du nom
du célèbre congrès où fut fondée la Ligue internationale pour l'éducation nouvelle.

Les années cinquante constituent ainsi pour l'innovation pédagogique une période
apparemment faste, au sujet de laquelle quatre remarques peuvent être faites. En premier
lieu, une sorte de consensus semble s'établir autour des valeurs de l'éducation nouvelle,
qui passent à l'état de lieux communs pédagogiques et sont même consacrées par le
discours des instructions officielles : tenir compte des rythmes et des stades du
développement de l'enfant, lutter contre l'encyclopédisme et le psittacisme, rendre l'enfant
actif, partir de ses centres d'intérêt, susciter la coopération au lieu de la compétition,
donner le pas à la découverte sur l'exposé, à la démarche inductive sur la démarche
déductive. Toutes ces propositions constituent désormais une espèce de doctrine
commune de la novation, difficile à contester pour qui ne veut pas passer pour
réactionnaire. Elles ont pour elles de refléter la valeur dominante de modernité .

On notera, en deuxième lieu, que c'est précisément cette valeur qui préside à la politique
de l'éducation dans les années où les sociétés développées, comme les pays en
développement, ont à construire, parfois de toutes pièces, un système d'enseignement à
la mesure du décollage de l'économie d'après-guerre. La croissance démographique
impose l'urgence des réalisations et leur planification. Mais les besoins de l'industrie, dans
le bond en avant que la guerre elle-même a inauguré, semblent capables d'occuper pour
longtemps une main-d'œuvre nombreuse et de haute qualification. Se renforce alors le
profil idéologique du travailleur moderne, capable d'initiative, de décision, de participation
et de mobilité dans un monde en mutation, où le pouvoir et le savoir ont opéré leur alliance
définitive grâce à l'emprise technologique sur la matière et le destin des sociétés. Mais ce
profil est aussi bien celui de l'élève  que conçoit l'éducation moderne. Ainsi la valeur de
modernité s'impose à la pédagogie suivant une loi de la double échelle. À l'échelle des
systèmes  d'enseignement, vont se succéder de vastes plans d'investissement intellectuel
du potentiel humain des nations. Le volontarisme est de rigueur. L'U.N.E.S.C.O. décrétera
que la décennie soixante sera la décennie du développement et de l'alphabétisation. Mais,
à l'échelle des initiatives de nombreux acteurs , correspond un même volontarisme
traduisant en termes idéaux, à connotations souvent progressistes et critiques, les
impératifs de la croissance dont, à cette époque, on ne conteste ni le bien-fondé, ni le rôle
moteur dans les orientations de l'éducation. L'après-guerre voit fleurir de nombreux
groupements ou mouvements pédagogiques.

En troisième lieu, on constate que des moyens nouveaux sont, par ailleurs, disponibles.
La technologie des moyens de communication permet d'introduire les médias
audiovisuels  dans la pratique de l'enseignement. Marshall McLuhan (1962) ferme l'ère de
la " galaxie Gutenberg " et annonce que " le medium est  le message ", ce qui, transposé
dans la classe, impose une extrême attention à la forme de la communication.
L'enseignement programmé constitue un autre progrès de la technologie des
apprentissages. Application de la psychologie du comportement au processus enseigner-
apprendre, il adapte, dans sa version skinnérienne (1954), l'enseignement aux rythmes
individuels et élimine les effets nocifs de l'erreur (enseignement programmé linéaire). Dans
sa version crowdérienne (1958), il diversifie les itinéraires dans la poursuite d'objectifs
terminaux identiques (enseignement programmé à branchements).

Enfin, il apparaît que, déjà, ce progrès technologique témoigne de l'influence des sciences
humaines sur la pédagogie. Mais d'autres courants vont se manifester, ouvrant l'arsenal
des attitudes et des méthodes. Retenons deux exemples où l'influence américaine est
déterminante. Le transfert de la psychosociologie des groupes restreints à la situation
scolaire (à partir de 1956) focalise l'attention sur ce qui se passe " ici et maintenant " dans
une salle de classe. La relation entre maître et élèves, la perception des individus les uns
par les autres, la dynamique propre du groupe sont des éléments déterminants du
processus éducatif, voire de la performance scolaire elle-même. L'enseignant peut troquer
son pouvoir magistral de diffuseur de connaissances et de prescripteur de normes contre
le pouvoir clinique de " facilitateur " d'événements éducateurs. Cette inversion de la
fonction enseignante sera connue autour de 1960 sous le nom de non-directivité et
souvent rattachée au psychothérapeute américain Carl Rogers. En France, le colloque de
l'A.R.I.P. de 1962 (Pédagogie et psychologie des groupes ) marquera toute une
génération de novateurs. Autre importation américaine, les travaux sur la créativité datent
de 1942 avec les recherches de J. P. Guilford. Appliqués à l'éducation scolaire, ils mettent
théoriquement fin au monopole de l'intelligence du " bon élève " définie par le style
convergent de la pensée. Ils imposent la supériorité de la pensée divergente  face aux
exigences de la vie moderne. " Penser l'impensé " sera la consigne du siècle, consigne
dont les premiers pas de l'homme sur la Lune constitueront la mise en œuvre
spectaculaire. La pédagogie ne peut préparer à de tels problem-solving  en encourageant
à la reproduction conforme des habitudes et des stratégies intellectuelles.

1965-1975 : les pédagogues désenchantés

La suite du troisième quart du siècle sera l'ère de la désillusion, que les " événements " de
mai 1968 viendront marquer de leur ambivalence. Tout d'abord, le consentement sur les
valeurs de modernité se révélera fragile. La pratique enseignante, à leur égard, sera celle
du " oui, mais... ". Au nom d'orthodoxies diverses, voire opposées (marxisme avec
G. Snyders : Où vont les pédagogies non directives ? , 1973 ; psychanalyse avec
A. Stéphane : L'Univers contestationnaire , 1969 ; humanisme traditionnel avec G.
Gusdorf : Pourquoi des professeurs ? , 1963), des théoriciens se lèveront pour dénoncer
les ambiguïtés de l'éducation nouvelle en ses prolongements interminables. On rappellera
les incertitudes de la pédagogie de la découverte, l'irresponsabilité des jeunes, l'illusion de
la " spontanéité ", l'indispensable structuration des connaissances et des esprits, les
avantages de la mémoire, la nécessité des modèles. Il faut, certes, apprendre à
apprendre, mais apprendre quand même des choses... Aussi bien en Belgique qu'en
France ou en Suisse romande, les débats autour de la réforme de l'enseignement du
français, langue maternelle (1970-1980), verront la montée des affrontements et des
malentendus au fur et à mesure que l'on prendra conscience de la dimension
sociopolitique du problème. La fonction de l'école, diront certains sociologues, après Basil
Bernstein (1950) ou William Labov (1964), est de châtier les parlers des classes
défavorisées, de promouvoir le parler des classes cultivées, prorogeant ainsi les privilèges
de ces dernières (voir Bourdieu et Passeron, 1970). Quant à l'idée d'accorder la priorité
pédagogique à l'enfant et à la vie de la classe, la grande masse des agents d'éducation
n'y fait pas opposition ; cela ne l'empêche pas, dans la pratique, de rester centrée sur les
contenus de connaissance, le plus souvent programmés de manière monodisciplinaire.

Il est vrai que, à l'échelle des systèmes d'enseignement, les stratégies d'innovation ont
échoué. Pressés par les besoins quantitatifs, les pouvoirs publics ont investi dans la
pierre, voire dans le préfabriqué. Le surgissement hâtif et improvisé d'" écoles-casernes "
(F. Oury et J. Pain, 1971) fait passer brutalement à l'ère industrielle le traitement du
potentiel intellectuel des sociétés. L'" exportation " des modèles occidentaux dans les pays
en développement s'effectue le plus souvent au détriment des cultures et des économies
locales. Les impératifs de la croissance requièrent une pédagogie de dépistage et de
formation préférentielle des " élites ", en même temps qu'une élévation du niveau général
d'éducation des masses. Pour réaliser cette élévation, les impératifs de l'heure conduiront
à multiplier et à vulgariser une formation conçue pour être élitaire. Ainsi en arrive-t-on à
des impasses : le thème de l'égalité des chances sera de plus en plus verbalement
invoqué, dans la mesure où l'on constatera que, malgré d'indéniables progrès dans la
démocratisation, les privilèges des privilégiés augmentent en proportion plus grande. Il
s'ensuit aussi un décalage, de plus en plus cruellement ressenti par les activistes de la
pédagogie, entre les nécessités de la mise en système de l'éducation de masse et les
exigences de la formation à échelle humaine. Enfin surgissent les conflits entre
l'innovation planificatrice suscitée d'en haut, réforme après réforme, et l'innovation
sauvage née des impatiences d'une base de pédagogues minoritaires de plus en plus
radicalisés. On trouve, en France, une illustration parlante de ce divorce dans le fait qu'en
1972 les Cahiers pédagogiques , qui symbolisaient, depuis 1945, la coopération heureuse
de la recherche officielle et des initiatives des praticiens, sont évincés de l'Institut
pédagogique national sous le motif de politisation.

Les techniciens de l'éducation doivent d'ailleurs déchanter aussi. En 1970, on est forcé de
constater que les systèmes d'éducation dans leur ensemble n'ont pas pris ou ont mal pris
leur virage technologique. L'enseignement programmé régresse et montre ses
insuffisances. Quant aux équipements audio-visuels, leur sous-emploi est patent. Passé le
temps de leur usage ostentatoire, on découvre que les investissements étaient
anarchiques, que la maintenance n'a pas suivi et, pas davantage, la formation des
éventuels usagers. La curiosité ou le mépris pour le gadget l'ont souvent emporté sur la
conception d'un véritable système de communication intégrant tous les médias.

Du côté des théories de référence, l'évolution de beaucoup de pédagogues novateurs


dans les années soixante présente une caractéristique constante : la mise en évidence du
fait que le " pédagogique " est traversé par le " politique ". Le transfert des pratiques des
sciences humaines appliquées n'est jamais purement instrumental. Ainsi souligne-t-on, par
exemple, l'ambiguïté de la non-directivité  en éducation : est-elle une subversion libertaire
de l'autorité traditionnelle des maîtres et des habitudes mentales instituées chez les élèves
ou, au contraire, une diversion libérale permettant, sous couvert de promouvoir
l'autonomie des élèves, d'empêcher les maîtres de transmettre des contenus de
connaissance peu favorables à l'ordre établi ? Et l'on voit, par ailleurs, se réclamer de la
créativité  aussi bien des pratiques de récupération de la matière grise par les managers
de la productivité que des initiatives non conformistes d'individus et de groupes tentés de
vivre autrement les choses de la vie et de l'éducation.

L'éducation contemporaine : redéfinir les fonctions de l'école

À partir de 1974, en Europe occidentale, diverses tentatives sont perceptibles qui


s'essaient à reformuler des stratégies éducatives. Ainsi peut-on constater une nette
évolution des esprits en ce qui concerne, par exemple, l'éducation des adultes (cf.
B. Schwartz, 1977 ; M. Lesne, 1977 ; P. Dominicé, 1979 ; C. Pantillon, 1983 ; F. Fappani
1998 ), la formation des enseignants (G. Ferry, 1983) ou la pédagogie universitaire
(comme le marque la création, en 1979, d'une Association internationale francophone qui
publie la revue Pédagogiques  à l'initiative du Québec). Guy Avanzini (1975) a analysé ce
phénomène global du début des années soixante-dix comme l'apogée puis la retombée
des " maximalismes ". Les pédagogues " activistes ", qu'ils soient libertaires ou
technologistes, ont trop demandé au système d'enseignement. Et leurs interlocuteurs,
quant à eux, en ont aussi trop attendu. L'itinéraire de l'essayiste américain Neil Postman
illustre bien l'évolution qui s'est produite. Avec Weingartner dans la foulée des
mouvements contestataires américains de 1967, il s'était fait connaître par son livre
Teaching as a Subversive Activity  (1969). Il y assignait à l'éducation scolaire la tâche de
subvertir la culture reçue du passé. Dix ans après, cet enseignant, qui prétend bien ne pas
être devenu un réactionnaire, voit l'avenir de l'école dans une pure et dure résistance  à la
culture que distillent les mass media et dont il dénonce la perversité éducative. Une
dénonciation voisine est perceptible chez un " homme de gauche " comme M. T. Maschino
quand, en 1982, il parvient à cette conclusion, dont il fait le titre provocateur d'un essai sur
l'enseignement : Vos enfants ne m'intéressent plus .

Bien des éducateurs scolaires ont désormais la conviction qu'un " autrement " de la


pédagogie est concevable et souhaitable, mais qu'il faut le chercher " ailleurs ". Ivan Illich
(1971) – et, à sa suite, Verne et Dauber (1975) – s'était fait le héraut d'une société
déscolarisée où les réseaux éducatifs retrouveraient leur qualité " conviviale ". Certains
quitteront ainsi le navire pour explorer de nouvelles formes " alternatives " (dans le sens
des free schools  ou de l'" école active ") ou pour situer leur action entre formation et
thérapie (cf. Max Pagès, Le Travail amoureux , 1978). D'autres encore chercheront, à
l'extérieur de l'école, la notoriété littéraire, tel Claude Duneton (Je suis comme une truie
qui doute , 1976). On assistera, en même temps, à un certain " exil de l'intérieur " des
" saltimbanques " de la pédagogie, non sans désengagement ni attentisme de la part de
beaucoup, non sans surcroît d'initiative et d'invention chez d'autres. Ces derniers – en
France, par exemple, après 1981 – escomptent des rapports demandés par le nouveau
ministère à des pédagogues de haute notoriété (A. de Peretti, B. Schwartz, L. Legrand, A.
Prost) une stimulation nouvelle de l'action pédagogique, une meilleure formation initiale et
continue des maîtres, et la prise en compte de la " créativité " des praticiens nonobstant la
pesanteur de l'appareil administratif et les habitudes du grand nombre. Les " mouvements
pédagogiques " reprennent vigueur et espoir (G.F.E.N., C.R.A.P., C.E.M.E.A., C.E.P.I.,
équipes Freinet...) et tentent, avec des bonheurs divers, de se présenter en interlocuteurs
des pouvoirs publics et des instances traditionnelles de la formation et de la recherche.
Quoi qu'il en soit, le slogan écologiste de E. F. Schumacher (1978) semble avoir été
entendu : " Small is beautiful  ". Chercher des lieux modestes où il soit possible, avec
d'autres, de faire quelque chose, tel semble le leitmotiv de ceux qui ont vécu le double
échec des grands plans rénovateurs imposés et des grands mouvements utopiques
" spontanés ".

Une sorte de dénominateur commun semble, dans les années quatre-vingt, s'imposer à
tous ceux qui veulent " faire quelque chose ", concepteurs, décideurs, mais aussi
enseignants-chercheurs universitaires ou praticiens de l'éducation scolaire. C'est à mieux
comprendre ce que c'est qu'apprendre  (cf. O. Reboul, 1980) qu'on a quelque chance de
voir se dégager des voies neuves. La tendance est perceptible aussi bien dans les
démocraties libérales (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Suisse, Belgique, Italie,
France...) que dans les pays de l'Est (R.D.A., Pologne, Roumanie) ou les pays en
développement. Partout, on observe un retour, spectaculaire en France, aux
préoccupations didactiques. L'" ordre " pédagogique semble se reconstruire, en une sorte
de " néo-directivité ", par la rationalisation  même de l'acte d'apprendre.

Cette rationalisation revient à instaurer un équilibre ni stable, ni instable mais


" métastable " entre les trois composantes du triangle pédagogique (J. Houssaye, 1982) :
l'apprenant, l'enseignant, l'objet à apprendre et à enseigner. L'échec de bien des pratiques
pédagogiques antérieures tient à ce qu'elles ont accordé la priorité à deux de ces
composantes (par exemple, la seule relation maître-élèves, la seule relation enseignant-
matière enseignée) au détriment de la troisième qui, assumant alors le rôle du " fou ",
revient immanquablement perturber le jeu d'où on l'avait imprudemment refoulée. Mais
rationaliser l'acte d'apprendre, c'est aussi, après plus de cinquante années d'attention (ou
de refus) accordée au rôle du groupe , tenter de redéfinir la spécificité du " groupe
d'apprentissage " (P. Meirieu, 1983). La transposition à la classe  des observations
conduites sous l'égide de la psychologie des groupes amène à faire du groupe-classe le
" lieu de l'impossible ". On lui assigne, en effet, le soin de constituer, pour les jeunes qui la
fréquentent, un " lieu de vie ", accueillant, ouvert, voire " aventurier " ou, au contraire,
intime et chaleureux. On le décrit, en même temps, comme une sorte d'" atelier de
production intellectuelle " où priment l'organisation et l'interaction efficaces. La solution du
dilemme consistera à démontrer que le " groupe où l'on apprend " n'est ni l'un ni l'autre,
encore moins leur approximative synthèse. Des travaux sur l'interaction entre élèves tels
que ceux d'A. N. Perret-Clermont (1979), qui se situent dans le prolongement du
constructivisme de Jean Piaget et qui font appel, après ceux de H. Sainclair et W. Doise,
au concept de " conflit cognitif ", ouvrent, à cet égard, des voies prometteuses.

On peut être légitimement agacé par l'enflure verbale dont souffre le terme de gestion
dans le champ pédagogique contemporain. On peut souligner son ambiguïté dès qu'on est
tenu de choisir, en privilégiant l'un ou l'autre préfixe, entre " co gestion " ou
" auto gestion ". Il est malgré tout instructif de trouver, sous ce concept de gestion, une
définition potentielle du " bon " apprenant : " apprendre à apprendre ", formule dont on fait,
depuis plus de cent ans, le slogan de l'activité scolaire " réussie ", n'est-ce pas en
définitive se montrer capable de " gérer ses apprentissages " ? La nouvelle génération
d'E.A.O. (Enseignement assisté par ordinateur) et l'expansion, au cours des années
quatre-vingt, d'une véritable " culture " informatique favorisent le phénomène. Et l'entrée
dans la pédagogie par les objectifs  plutôt que par les contenus , l'insistance sur les
capacités terminales des apprenants et sur l'évaluation différentielle que l'on peut en faire,
la préférence donnée à une évaluation " formative ", qui intervient en cours
d'apprentissage pour remédier aux erreurs, par rapport à une évaluation " sommative ",
qui se contente, en définitive, d'enregistrer les résultats et de prononcer le jugement – tous
ces choix s'inscrivent dans la ligne des travaux de B. S. Bloom sur le Mastery Learning
(1973). L'influence de ce courant est sensible tout au long des années soixante-dix dans la
francophonie, tant au Québec (Lavallée, 1975) qu'en Belgique (A. Bonboir, 1974 ; G. De
Landsheere, 1976 ; L. D'Hainaut, 1977), en Suisse romande (J. Cardinet, 1976) ou en
France (avec les recherches d'A. Élie sur les " unités capitalisables " dès 1973 ou les
travaux de C. Delorme et du Cepec de Lyon, 1982). En même temps se renouvelle une
pédagogie du contrat et du projet personnalisés (Un collège sans classe  de J. Feder,
1980), du travail autonome et du tutorat individualisé, version spécifique de la relation
d'aide dans le champ proprement didactique (A. Moyne, 1983). Cette individualisation, les
sociologues genevois W. Hutmacher et P. Perrenoud insistent avec raison pour qu'elle ne
soit pas séparée d'une " recherche-action " globale sur les mécanismes proprement
pédagogiques des inégalités sociales (recherche " Rapsodie ", 1978-1983). Elle trouve,
par ailleurs, un regain d'intérêt psychopédagogique avec les travaux d'adaptation de
l'enseignement aux " profils d'apprentissage ", si fortement différenciés d'un élève à un
autre, et dont Claude Lamontagne (1976) et Claude Major (1978) au Québec, ainsi
qu'Antoine de la Garanderie en France (1980) ont décrit les fonctionnements et esquissé
les typologies, en proposant les réponses pédagogiques qui y correspondent.

Cette approche " gestionnaire " du sous-système enseigner-apprendre, comme on le dira


en langage d'analyse de système (U.N.E.S.C.O., 1976), revient-elle à faire de la
pédagogie un cas particulier de la gestion des ressources humaines non marchandes, à
une époque où les pays développés, comme les pays en développement, savent que le
mot " crise ", avec sa connotation de turbulence passagère, ne convient sans doute plus
pour caractériser la mutation planétaire en cours ? Quel crédit accorder, en ce contexte, à
une rationalisation par trop " managériale " de l'activité éducative scolaire ? L'idéal
gestionnaire est-il d'assujettir les hommes aux impératifs irrationnels d'une société
productiviste et consumériste qui n'a plus pour fin que le spectacle d'elle-même entretenu
à grands frais ? Ou bien ouvre-t-il la voie à une " participation " autonome et négociée des
apprenants par rapport à leurs apprentissages, l'opération donnant lieu peut-être à des
déverrouillages furtifs où de l'humain s'échange et se réinstitue ? C'est bien, en tout cas,
après la " surchauffe " utopiste de la décennie précédente, un retour au réalisme. Ce
retour est bénéfique dans la mesure où les " pédagogues " y apprennent, une fois encore,
à ne pas confondre utopie et espérance.

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