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Vivre et mourir sur les navires du siècle d’or

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dirigée par Annie Molinié
n° 20

Fêtes et divertissements (n°8)


Lucien Clare, Jean-Paul Duviols et Annie Molinié (dir.)
La Violence en Espagne et en Amérique (xve-xixe siècles) (n° 9)
Jean-Paul Duviols et Annie Molinié (dir.)
Les Voies des Lumières (n° 10)
Carlos Serrano, Jean-Paul Duviols et Annie Molinié (dir.)
Philippe II et l’Espagne (n° 11)
Annie Molinié et Jean-Paul Duviols (dir.)
Des taureaux et des hommes
Tauromachie et société dans le monde ibérique et ibéro-américain (n°12)
Annie Molinié, Jean-Paul Duviols et Araceli Guillaume-Alonso (dir.)
Charles Quint et la monarchie universelle (n° 13)
Annie Molinié et Jean-Paul Duviols (dir.)
Inquisition d’Espagne (n° 14)
Annie Molinié et Jean-Paul Duviols (dir.)
L’Espagne et ses guerres
De la fin de la Reconquête aux guerres d’Indépendance (n° 15)
Annie Molinié et Alexandra Merle (dir.)
Les Sépharades en littérature. Un parcours millénaire (n° 16)
Esther Benbassa (dir.)
Miroir du Nouveau Monde. Images primitives de l’Amérique (n° 17)
Jean-Paul Duviols
Les Jésuites en Espagne et en Amérique
Jeux et enjeux du pouvoir (xvie-xviie siècles) (n° 18)
Annie Molinié, Alexandra Merle et Araceli Guillaume-Alonso (dir.)
Des marchands entre deux mondes
Pratiques et représentations en Espagne et en Amérique (xve-xviiie siècles) (n°19)
Béatrice Perez, Sonia V. Rose et Jean-Pierre Clément (dir.)

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Delphine Tempère

Vivre et mourir
sur les navires du Siècle d’Or

préface d’Annie Molinié

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Ouvrage publié avec le concours de l’IETT de l’université Lyon III
et du CLEA de l’université Paris-Sorbonne

Les PUPS sont un service général de l’université Paris-Sorbonne

© Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2009


isbn : 978-2-84050-636-2
Emmanuel Marc Dubois
Réalisation 3d2s (Paris)
d’après le graphisme de Patrick Van Dieren

Sophie Linon-Chipon Sébastien Porte


PUPS
Maison de la Recherche
Université Paris-Sorbonne
28, rue Serpente
75006 Paris

Tél. : (0)(33)1 53 10 57 60
Fax : (0)(33)1 53 10 57 66

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web : http://pups.paris-sorbonne.fr

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PRÉFACE

Annie Molinié

Voici la première thèse – devenue un beau livre – soutenue en France, à


l’université Paris-Sorbonne, il y a quelques années sur les Bienes de Difuntos,
une série de documents remarquables et inédits conservés à Séville, dans les
Archives des Indes.
L’institution des Bienes de Difuntos – expression quelque peu sibylline à
première vue – renvoie à une réalité prégnante de l’Espagne moderne et du 
Nouveau Monde. Cette administration royale de tutelle, mise en place sous

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Préface


les Rois Catholiques, assure la gestion, pendant trois siècles, des patrimoines,
des successions, des biens laissés par les Espagnols partis aux Indes depuis la
Castille et morts sans héritiers. Testaments et inventaires après décès des biens
des défunts devinrent en effet une exigence de l’administration royale, dès les
premières découvertes.
Delphine Tempère, après s’être intéressée aux « biens des défunts » laissés par
les Espagnols morts à Cuba a choisi d’étudier par le menu, parmi les milliers
de dossiers déposés à la Casa de la Contratación de Séville, ceux des Espagnols
morts en mer. Elle a entrepris de scruter le monde mal connu de la mer, celui
des navigations de la fameuse Carrera de Indias et de restituer les attitudes
devant la vie et devant la mort de plus de mille anonymes embarqués sur les
galions de la Flotte des Indes. Ce monde des navigations était un sujet peu
traité pour l’Espagne, hormis l’ouvrage magistral de Pierre Chaunu consacré
à Séville et l’Atlantique. Les autos de bienes de difuntos sont encore peu connus
des hispanistes/historiens, même si, récemment, les Archives des Indes ont
commencé de les numériser.
Delphine Tempère, pionnière en la matière, réfléchit ici sur le destin de tous
ces gens de mer qui ont vécu et sont morts – pendant de longs trajets « entre
ciel et mer », selon la belle formule d’Alain Cabantous : marins de tous grades,
des capitaines aux jeunes mousses, pilotes, greffiers si essentiels au moment de
rédiger le testament à bord, barbiers, religieux guidant la prière et assistant le
moribond au moment du grand passage et de la redoutée immersion du corps,
loin des familles et du cadre protecteur de la paroisse d’origine dans la lointaine
Espagne.

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Delphine Tempère observe également le long temps écoulé entre la mort du
défunt sur les navires de la Flotte et la remise des biens (une fois soustraits le
paiement des dettes, les frais de l’enterrement, les messes et legs faits aux Indes
en faveur des domestiques et esclaves, voire des enfants illégitimes) – après
affichage sur la porte de la Casa de Contratación et sur celle du Pardon de la
Cathédrale de Séville – aux héritiers.

Il s’agit, somme toute, dans ce livre important et novateur, d’histoire sociale,


de relations familiales, de réalités économiques, mais aussi d’histoire des
comportements religieux face à la mort dans le cadre déstabilisant et frustre
d’un navire. L’histoire culturelle n’est pas absente de ces vies à bord, avec la
présence de quelques livres, essentiellement des bréviaires et vies de saints et
d’objets de piété, agnus dei ou images pieuses retrouvées au moment des ventes
aux enchères, un moment fort, obligé et hautement symbolique de ces voyages,
 finement analysé par Delphine Tempère.
L’intérêt principal d’une telle source documentaire et de la thèse est de
saisir ce qui subsiste des relations entre ceux qui ont émigré pour des raisons
économiques ou administratives ou bien ceux qui se sont rendus en Amérique
le temps d’une mission militaire ou religieuse, et les familles demeurées en
Andalousie ou en Estrémadure. Les bienes de difuntos, on l’aura compris à la
lecture de cette étude originale et fort bien documentée, sont un lien privilégié
pour étudier les relations entre l’Espagne et l’Amérique. Il faut encore saluer ici
la mémoire du grand historien Antonio Domínguez Ortiz qui avait attiré notre
attention sur ce document exceptionnel.

Le livre de Delphine Tempère, riche, utile et suggestif, répond à cette attente.

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Abréviations utilisées

AGI : Archivo General de Indias


AHN : Archivo Histórico Nacional de Madrid
AGN : Archivo General de la Nación de México
RAH : Real Academia de la Historia
Cont. : Contratación
Ind. : Indiferente General
leg. : legajo

Dans toutes les citations, nous avons respecté la graphie des documents 
originaux.

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Abréviations

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REMERCIEMENTS

Ce livre est la version remaniée d’une thèse de doctorat soutenue en 2004 à


l’université Paris-Sorbonne et qui a obtenu le prix Louis Forest de la Chancellerie
des universités de Paris.
Je voudrais exprimer ici toute ma gratitude à Annie Molinié-Bertrand, mon
directeur de thèse, qui m’a permis par ses conseils de mener à terme ce travail,
et de le publier. Je souhaite également exprimer ma plus grande reconnaissance
à Carlos Alberto González Sánchez pour son soutien et les conseils sans cesse
prodigués.
Je voudrais également remercier très chaleureusement les personnes qui m’ont 11
entourée et encouragée tout au long de cette étude, ma famille – mon père, ma

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or • pups • 2009


mère, mon frère, ma tante – et mes amis qui ont partagé ces belles années de
recherches à Séville et enrichi ce travail lors d’intéressantes discussions : Agnès,
Concha, Bernd et Takeshi. Je pense également à Antonio Castillo Gómez qui
m’a suggéré des pistes d’enquête novatrices et fait bénéficier de ses connaissances,
mais aussi à Nadia, à Catherine, à Mélanie, à Flora et à Anne-Hélène pour son
aide précieuse, notamment, dans l’élaboration des cartes et dans la relecture
du manuscrit. Mes remerciements s’adressent également à Jean-Marc qui m’a
accompagnée et conseillée pendant ces années de thèse, à Nicolas Balutet, ami
et collègue, pour son soutien et pour la relecture de ce travail. Que toutes et tous
soient vivement remerciés de m’avoir accompagnée.
Je me souviens naturellement du personnel des Archives générales des Indes de
Séville : Jésus, Guillermo et Socorro. Leur patience, leur savoir et leurs conseils
m’ont été d’un grand secours.
Enfin, je voudrais exprimer toute ma gratitude à Hugues Didier pour le soin
qu’il a pris à lire ce manuscrit.
Le concours du Rectorat de Paris qui m’a accordé une allocation de recherches,
de l’université Jean Moulin (Lyon III) et du centre de recherches CLEA ont
permis l’élaboration, puis la publication de cet ouvrage.

Delphine Tempère

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Introduction

Y no miréis que hay agua en el camino,


que cuando Dios quiere, tan presto
se muere uno en la tierra como en el agua 1.

En 1606, le soldat Felipe de Ortega, atteint de fièvres tierces, décède à bord


du galion San Vicente qui navigue vers Carthagène des Indes. Les hommes du
navire, en présence du capitaine et de l’aumônier, se réunissent alors autour de
sa dépouille et la jettent à la mer. Felipe de Ortega meurt dans le plus grand
dénuement et son corps, abandonné aux immensités océanes, disparaît sans 13
laisser de traces 2. Sombre destin que celui de cet homme qui, parmi tant

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Introduction


d’autres à cette époque, participe aux liaisons maritimes transatlantiques ou
transpacifiques. Au xviie siècle, en effet, les flottes espagnoles, composées de
milliers d’individus, relient inlassablement le port de Séville aux Amériques et
aux Philippines : elles se trouvent au centre d’une confluence d’intérêts entre
l’Europe, les Indes de Castille et les confins du monde. Les enjeux sont multiples,
d’ordre commercial, religieux mais aussi culturel et affectif. Pourtant, à cette
période charnière de l’histoire de l’Espagne, les hommes, délaissés, apparaissent
souvent en filigrane. Dans cette étude, nous souhaitions en fait « remettre en
mémoire ces oubliés de l’Histoire » 3, rappeler le destin de ces hommes jusqu’alors
relégué au fond des archives. Acteurs anonymes pour la plupart, marins, soldats,
officiers des flottes et passagers représentent les maillons essentiels d’une chaîne
de communication qui se perpétue au fil des ans. Ils se déplacent sur les océans,
travaillent sur les galions, survivent aux dangers de la mer ou périssent lors d’une
traversée. Leur participation reste discrète, certes, elle constitue néanmoins les
rouages d’une mécanique de commerce et de communication qui fonctionne
pendant plus de trois siècles.
Éloignés sur les océans, les hommes, on le sait, sont en rupture avec le monde
des « terriens », toutefois le navire recrée également, à l’échelle du microcosme,

 Lettre de Juan Muñoz, adressée à son neveu et écrite en 1595 à Puebla de los Ángeles, citée
dans Enrique Otte, Cartas privadas de emigrantes a Indias, Sevilla, Consejería de Cultura de
la Junta de Andalucía, 1988, p. 228.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 498B, n° 4, ramo 2(6).
 Nous empruntons cette formule à Jean-Claude Schmitt : « L’histoire des marginaux », dans
La Nouvelle Histoire (1978), sous la direction de Jacques Le Goff, Paris, Éditions Complexe,
1988, p. 277-305.

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la société espagnole. Afin de comprendre si les conditions de navigation sont
à l’origine de nouvelles formes de vie sociale, il conviendra tout d’abord de
s’interroger sur les mécanismes liés à l’enrôlement. Face aux piètres conditions
de travail et à une reconnaissance sociale dévalorisée, pourquoi gens de mer et
de guerre s’embarquent-ils ? Certes, l’océan séduit les hommes pour ses espaces
de liberté et pour le rêve doré américain qu’il fait miroiter ; mais que représente
vraiment le voyage océanique au xviie siècle ? Un simple déplacement, une
échappatoire économique, une étape professionnelle transitoire voire durable ?
Il s’agira d’autre part d’expliquer le fonctionnement du travail sur les océans.
Ce dernier constitue, en effet, une donnée fondamentale puisqu’à travers son
exercice chaque homme se situe par rapport aux autres. Le travail en mer ne se
réduit pas à une simple activité professionnelle, on le verra, il régit également
les attitudes face à la vie, il modèle des comportements et dessine des frontières
entre les différents corps de métiers.
14 Les réalités matérielles et symboliques du navire susciteront ensuite de
nouvelles interrogations. Le vaisseau représente un espace qui se découvre « au
délicat miroir de l’altérité » 4, on pourra dès lors se demander s’il reproduit à
l’identique les schémas sociologiques d’une société donnée. L’inventaire des
pratiques dans le vêtir, le manger, le boire, le repos et l’hygiène apportera de
nombreux éléments de réponse. Face aux évolutions sociales et culturelles qui
marquent le xviie siècle espagnol, il conviendra de cerner leurs représentations
sur les océans et de se demander si la culture dite « populaire » ainsi que celle des
élites se trouvent plus malléables dans un contexte microcosmique.
Dans cet ensemble de pratiques quotidiennes, on sait que le temps sacré
s’adapte au contexte océanique. Des fêtes religieuses sont célébrées en mer et
permettent ainsi de maintenir un lien avec la communauté des fidèles. Elles
offrent la possibilité de reproduire les cadres religieux et représentent également
un exutoire social dont les mécanismes sont bien connus. Les réjouissances
profanes et les célébrations religieuses canalisent-elles pour autant les
inimitiés, apaisent-elles les tensions ? On s’interrogera donc sur la question des
comportements agressifs. Il est clair que la vie en mer exacerbe les différences,
mais c’est un monde contrasté qui se dévoile à bord. Creuset de la société,
violente et hiérarchisée, le monde maritime est dominé par un ordre social que
l’on transgresse facilement.
Enfin, les attitudes face à la mort sur les océans retiendront toute notre
attention. En effet, dans la société espagnole du xviie siècle, la mort est
omniprésente. Sur les océans, cependant, elle sort du cadre qui rassure les

 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime. xvie-xixe siècles,
Paris, Fayard, 1990, p. 12.

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fidèles. Elle provoque d’autre part, au regard des étendues marines dont les
profondeurs sont inconnues et sans doute démoniaques, les plus grandes
craintes. Comment les hommes appréhendent-ils par conséquent les dangers
menaçant ? Pour combattre les périls, on le sait, des rites protecteurs légendaires
et bibliques apaisent depuis toujours les peurs. Dans un enchevêtrement de
pratiques magiques et dévotionnelles parfois difficiles à distinguer, il conviendra
de cerner les rapports qui s’installent entre le croyant face au danger, ses rites
protecteurs ancestraux et la religion dominante.
D’autre part, l’encadrement religieux en mer fera l’objet d’une attention
particulière puisque l’Église, après le concile de Trente, place la mort au centre
de sa nouvelle pastorale. On pourra dès lors se demander quelles alternatives
religieuses sont proposées aux navigants. Comment l’angoisse eschatologique
est-elle apaisée en de telles circonstances ? En l’absence de sépulture en terre
chrétienne, il faut en effet se contenter d’une immersion et renoncer au souvenir
matériel du disparu. Quelles dimensions prend alors le testament rédigé en 15
mer ? Les populations maritimes, délocalisées, sont-elles pour autant moins

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Introduction


sensibles à la pastorale chrétienne ?
Pour répondre à ces interrogations et comprendre les enjeux de ces déplacements
maritimes, l’étude des attitudes face à la vie et à la mort en mer s’impose 5. Si les
sources documentaires sont parcellaires et les témoignages directs – comme les
journaux de bord, les récits de voyage et les lettres de navigateurs – peu prolixes,
une documentation peut en revanche livrer les informations souhaitées : il s’agit
du fonds des Bienes de Difuntos conservé aux Archives générales des Indes de
Séville. Cette documentation émane d’une administration originale unissant le
monde américain à celui de l’Espagne : l’Institution des Biens des Défunts. Peu
connue, elle revêt une importance manifeste car elle garantit un lien permanent
entre les émigrants partis aux Indes et leurs héritiers restés dans la Péninsule 6.
Cette institution étend également son action sur les océans puisqu’elle gère les
héritages et les soldes des personnes décédées à bord des vaisseaux qui naviguent
entre l’Espagne, l’Amérique, les Philippines et le continent africain. Le dossier

 Comme le remarque Antonio García Baquero les sources font cependant défaut et les ouvrages
se fondent essentiellement sur des séries statistiques illustrées par de rares descriptions ou
anecdotes : La Carrera de Indias: Suma de la Contratación y Océano de Negocios, Sevilla,
Algaida Editores, 1992, p. 168. Exception faite de deux études complètes sur la vie en mer
au xvie siècle – José Luis Martínez, Pasajeros de Indias. Viajes transatlánticos en el siglo xvi,
Madrid, Alianza Editorial, 1983 et Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres del Océano. Vida
cotidiana de los tripulantes de las flotas de Indias. Siglo xvi, Sevilla, Diputación Provincial de
Sevilla, 1992 – on n’en compte aucune pour le xviie siècle espagnol.
 Faustino Gutiérrez Alviz a été le premier en 1942 à étudier l’Institution des Biens des Défunts :
« Los Bienes de Difuntos en el derecho indiano. El Juzgado de Bienes de Difuntos » (1942),
dans Estudios Jurídicos. Anales de la Universidad Hispalense, Sevilla, Universidad de Sevilla,
1978.

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d’un simple mousse, d’un capitaine d’infanterie ou d’une passagère livre alors
des informations détaillées sur les navigations espagnoles : les conditions
de disparition, l’état du patrimoine du défunt ou encore la teneur de son
testament.
Dans cette étude, 1 046 dossiers – autos de Bienes de Difuntos – ont été
sélectionnés. Marins, calfats, barbiers, pilotes et greffiers enrôlés auprès de
soldats, de capitaines, de maîtres et de passagers pendant plus d’un siècle
constituent l’objet fondamental de ce travail. S’ils disparaissent en mer, ne
laissant pour seule trace qu’une solde d’une centaine de réaux, un héritage de
quelques pesos ou encore des milliers de maravédis pour fonder une chapellenie,
ces anonymes jouent un rôle fondamental aussi discret soit-il. Jeunes hommes en
quête d’aventures, marins pressés d’appareiller, commerçants anxieux d’arriver
ou capitaines militaires avides de commander un galion, il s’agit bien dans cette
étude de s’intéresser aux hommes, à toute une population d’anonymes. Nous
16 avions en effet le sentiment qu’un aspect fondamental avait été quelque peu
négligé : la force de cet impressionnant mécanisme des flottes des Indes réside
dans ses hommes.
Le champ de l’étude s’articulera autour d’un plan tripartite. L’Institution
des Biens des Défunts fera tout d’abord l’objet d’une analyse afin d’identifier
son processus de création, son mode de fonctionnement et par conséquent
la documentation produite sur laquelle cette enquête repose. L’étude des
structures du quotidien permettra, dans un deuxième temps, d’examiner les
comportements en mer et de voir si les évolutions sociales et culturelles que
connaît l’Espagne se reproduisent en mer. Enfin, les attitudes des hommes face
à la mort sur les océans feront finalement l’objet d’une réflexion plus vaste. Ce
travail propose donc de saisir, à partir de l’Institution des Biens des Défunts, le
fonctionnement social et culturel à bord des flottes espagnoles : des moments
les plus ordinaires de la vie quotidienne à celui extraordinaire de la mort.

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première partie

Les Biens des Défunts

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chapitre i

L’Institution des Biens des Défunts

I- AUX ORIGINES : LA NAISSANCE D’UNE INSTITUTION

Les voyages de Christophe Colomb et les premières explorations du continent


américain génèrent de profonds bouleversements. Dès la fin du xve siècle, des
hommes quittent leur terre natale, s’aventurent sur les océans et explorent des
contrées inconnues. Dans cet élan conquérant, d’insolites réalités se dessinent et
la mort en ces terres lointaines devient à ce titre une nouvelle donne. Loin de leurs
parents et de leur patrie, des conquistadores décèdent isolés de leurs proches.
Dans ce contexte, la naissance d’un droit indiano est tout à fait significative des 19
nouvelles réalités américaines et l’Institution des Biens des Défunts en est une sorte

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Les Biens des Défunts
d’emblème. Cette administration extrêmement élaborée vise à rapatrier les biens
des sujets du roi d’Espagne morts sans héritiers aux Indes. Les Rois Catholiques
prennent soin de réglementer ces nouveautés juridiques dès les premières années
de la Conquête 1. Ils s’engagent de la sorte à surveiller le rapatriement des biens
que leurs sujets défunts laissent en ces terres lointaines 2.
A- Les premières mesures législatives

Plusieurs étapes marquent le processus de création de l’Institution des Bienes


de Difuntos. Le juriste Fautisno Gutiérrez Alviz les a distinguées 3. Il précise,

 Dans une minute dressée par les officiers royaux de la Casa de la Contratación en 1511, un document
datant de 1507 est inclus. Les Rois Catholiques y invitent les héritiers des personnes parties avec
Christophe Colomb à se présenter aux autorités sévillanes pour faire valoir leurs droits et obtenir de
la sorte les biens laissés par les premiers conquérants : « Así mismo parece por una nómina de sus
Altezas que el año pasado de 1492 años fueron con el Almirante D. Cristóbal Colón, por mandado
de sus Altezas, a descubrir con tres carabelas, en el cual viaje descubrió la Isla española, y el dicho
Almirante dejó ende treinta y siete personas de los que consigo llevó, los cuales cuando el dicho
Almirante volvió desde España a poblar la dicha isla con diez y siete naos de armada, halló que
los indios de las isla los habían muerto […]. Y si algunos herederos de los dichos difuntos hobiere,
vayan a la Casa de la Contratación de Sevilla con los poderes y probanzas bastantes, e luégo los
Oficiales de sus Altezas se los pagarán… », cité par José María Ots Capdequi, Estudios de Historia
del Derecho Español en las Indias, Bogotá, Universidad de Bogotá, 1940, p. 283.
 Nous avons consulté des liasses dans lesquelles les premiers autos de Bienes de Difuntos
sont conservés. On peut citer le dossier de Sancho García Villarte datant de 1507 ou encore
celui du gouverneur Badillo datant de 1531. Respectivement, AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1507, leg. 570, n° 1 et AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1531,
leg. 5709, n° 1.
 Faustino Gutiérrez Alviz, « Los Bienes de Difuntos en el derecho indiano. El Juzgado de Bienes de
Difuntos » (1942), Estudios Jurídicos. Anales de la Universidad Hispalense, Sevilla, Universidad
de Sevilla, 1978, p. 280.

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tout d’abord, que la première cédule royale sur les Biens des Défunts date du
26 août 1504, date à partir de laquelle les premières autorités américaines
vont pouvoir assurer un juste rapatriement des patrimoines pour faire face
aux abus commis en ces terres lointaines. Un an plus tard, l’administration
royale édicte une ordonnance qui détaille les obligations des maîtres de
navire et des représentants de la Couronne aux Indes 4. L’ordonnance du 15
juin 1510 confère ensuite à la Casa de la Contratación un rôle primordial.
Parmi ses nouvelles obligations, elle est chargée de surveiller et de gérer avec
la plus grande attention les Bienes de Difuntos en provenance d’Amérique 5.
Cette nouvelle attribution octroyée à la Casa de la Contratación lui accorde
une importance notoire. Peu connue, cette véritable prouesse administrative
requiert un nombre important de fonctionnaires et occupera l’administration
royale pendant plus de trois siècles. Toutefois, parmi ses vastes compétences,
cette gestion des successions est souvent passée sous silence 6.
20 Malgré ces premières initiatives législatives, la fraude sévit toujours en Amérique.
Abus et pratiques corrompues incitent les monarques à légiférer de manière plus
précise afin de mettre bon ordre dans l’administration des Biens des Défunts. La
Real Provisión du 9 novembre 1526, promulguée par Charles Quint, récapitule
toutes les ordonnances et les harmonise 7. Quelques années plus tard, on assiste
à un véritable tournant dans la création de l’Institution. La Carta Acordada du
16 avril 1550 donne en effet corps à une administration juridique en Amérique
en établissant des tribunaux des Biens des Défunts. Ce texte instaure ainsi un
processus judiciaire et de tutelle des patrimoines visant à garantir transparence et
probité 8. L’organisation des tribunaux, leurs compétences et la qualité de leurs
fonctionnaires se précisent au fil des ans et de multiples ordonnances royales
viennent compléter les obligations de chacun 9.

 « Que los Maestres e los que truxeren bienes de defuntos que mueren en los viaxes de Indias,
que entreguen a los dichos Oficiales para ponerles en arca de tres llaves […]. Que los bienes
de los que mueren en las Indias los ofyciales de allá ymbien a los de acá para entregar a sus
herederos… », cité par José María Ots Capdequi, Estudios…, op. cit., p. 281.
 Ordonnances tirées de la Colección de Documentos Inéditos del Archivo de Indias et citées
par José María Ots Capdequi, Estudios…, op. cit., p. 282.
 Horst Pietschmann, par exemple, décrit minutieusement les compétences de la Casa de
la Contratación, mais ne mentionne pas cette gestion institutionnelle des patrimoines qui
lui incombe. Horst Pietschmann, « Les Indes de Castille », dans Le Premier Âge de l’État en
Espagne 1450-1700, Paris, CNRS, 1989, p. 159.
 Faustino Gutiérrez Alviz, « Los Bienes… », art. cit., p. 280.
 Décision prise afin de ne pas répéter les erreurs commises : « En su administración y
cobranza [de los Bienes de Difuntos] se ha procedido con notable descuido, omisión y falta
de legalidad, mediante las usurpaciones de ministros que lo han divertido en sus propios
usos y granjerías… », dans Recopilación de las Leyes de los Reynos de Indias (1681), Madrid,
Ediciones Cultura Hispánica, 1973, libro II, título XXXII, ley I.
 Faustino Gutiérrez Alviz, « Los Bienes… », art. cit., p. 281 : « Aquella categoría o clase especial
de bienes dejados en las Indias por los españoles o extranjeros que, fallecidos en aquellas

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La dernière étape de la création de l’Institution se déroule à la fin du xviie siècle
et les mesures prises par Philippe IV à partir de 1639 scellent les caractéristiques
juridiques des Biens des Défunts. La législation culmine définitivement en 1680
avec la publication, un an plus tard, de la Recopilación de las Leyes de Indias.
De prime abord, cette institution aux aspects monolithiques connaît peu
d’évolutions dans son cadre législatif. Néanmoins, le fonctionnement de
l’administration est complexe et sa capacité d’adaptation dépasse souvent les
compétences juridiques qui lui sont initialement accordées.
B- La nature des Biens des Défunts

Comprendre ce que recouvre la notion de Bienes des Difuntos afin d’appréhender


de manière cohérente la complexité de l’institution éponyme est une gageure.
Essayons toutefois de cerner avec précision les différentes réalités que sous-tend
cette administration juridique.
En 1942, Faustino Gutiérrez Alviz formule la première définition des Bienes de 21
Difuntos, notion jusqu’alors assez floue 10. Il explique qu’il s’agit non seulement

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


des biens laissés en Amérique par des émigrants espagnols sans héritiers à leurs
côtés, mais également de ceux qui échoient aux capitaines de navire lorsqu’une
personne décède sur leur bâtiment. La consultation des autos de Bienes de
Difuntos dévoile toutefois un éventail plus varié. Tout d’abord, ces rapatriements
dans la péninsule ibérique ne sont pas strictement réservés aux Espagnols.
Des étrangers peuvent également bénéficier de ce processus s’ils ont acquis au
préalable une licence leur donnant le droit de passer aux Indes. En aucun cas
les biens ne sont renvoyés dans leur pays d’origine, néanmoins, les intéressés
ont toute liberté de les réclamer auprès des autorités espagnoles. Les dossiers de
nombreux Flamands, Français 11, Génois et Portugais illustrent cette situation.
Il n’est pas rare effectivement qu’un commerçant français obtienne une licence
de passager ; il n’est pas non plus surprenant de compter parmi l’équipage d’un
galion des marins de l’Algarve ou des côtes de Lisbonne. Précisons, en revanche,
que si ces derniers n’ont pas accompli les démarches requises par la Couronne
et obtenu les droits nécessaires pour se rendre en Amérique, leurs biens sont
confisqués et intègrent les caisses de la Real Hacienda. Des procédures sont
également mises en place pour des Espagnols et des étrangers morts sans héritiers
aux Philippines. Le dossier de María Penelope Clan en est un exemple : un auto

remotas tierras, en España o en su viaje de travesía, carecían de herederos residentes


en aquellos países, con lo que tras el óbito surgía la indeterminación de quién o quiénes
pudieran ser los legítimos sucesores de tales bienes hereditarios y quién habría de pechar
con la vigilancia, conservación y tutela de los mismos hasta su adición por el sucesor ».
10 Ibid., p. 277.
11 En guise d’illustration, citons le dossier du commerçant français don Pedro Nolibot, originaire de
France et mort à La Havane. AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1749, leg. 582, n° 2.

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est dressé pour cette femme originaire d’Irlande qui décède à Manille dans
l’archipel philippin 12. Tout territoire sous la juridiction du Conseil des Indes
passe en effet sous la tutelle de l’Institution des Biens des Défunts. L’historien José
Muñoz Pérez a même découvert les dossiers de personnes disparues en Chine 13,
au-delà, cette fois, des terres conquises par les Espagnols.
Une autre possibilité doit encore être prise en compte : des émigrants
espagnols reviennent parfois sur leur terre d’origine en laissant en Amérique
leur patrimoine. La mort les surprenant dans la Péninsule, l’Institution des
Biens de Défunts se charge de rapatrier leurs effets. Gaspar de Conique et María
Isidora de Huarte trépassent par exemple à Séville après avoir vécu aux Indes
et un auto de Bienes de Difuntos est dressé en 1706 pour rapatrier leurs effets en
Espagne 14. D’autres cas ont encore été recensés : des dossiers concernant des
œuvres pies à réaliser en Espagne 15 voient également le jour alors que l’émigrant
espagnol, mort en Amérique, est entouré de ses héritiers légitimes 16. Le défunt
22 ayant indiqué dans ses dispositions testamentaires un legs pieux ou un don
dans sa ville d’origine, le mécanisme de rapatriement de l’argent se met en
place. Enfin, lorsqu’un Créole disparaît en Espagne ou sur les flottes espagnoles,
alors que ses héritiers se trouvent aux Indes, il peut bénéficier de cette tutelle
institutionnelle et voir ses biens rapatriés en Amérique. Don Fernando de
Montenegro, originaire de la ville de Los Reyes, décède ainsi en 1615 au cours
d’une traversée transatlantique. Lorsque ses biens arrivent à Séville, ils sont
réexpédiés par l’administration dans la vice-royauté du Pérou afin que ses
parents reçoivent l’héritage 17.

12 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1759, leg. 5638, n° 7.
13 José Muñoz Pérez, « Los Bienes de Difuntos y los canarios fallecidos en Indias », dans Actas
del IV Coloquio de Historia Canario-Americana, tomo II, Gran Canarias, Cabildo Insular de
Gran Canarias, 1982, p. 86.
14 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1706, leg. 466, n° 2.
15 Andrés Roldán Ponzán, résidant à Zacatecas, fait par exemple parvenir 21 592 pesos et
30 réaux pour fonder sept chapellenies dans la cathédrale de Tarazona. Information citée
par José Antonio Armillas Vicente, « Bienes de Difuntos Aragoneses en Indias », dans VII
Congreso Internacional de Historia de América. La Corona de Aragón y el Nuevo Mundo: del
Mediterráneo a las Indias, Zaragoza, Diputación General de Aragón, 1998, tomo 1, p. 90.
16 Juan de Matienzo, dans son ouvrage de 1567, résume dans quels cas ces Biens des Défunts
sont mis en place : « Acaece muchas veces en el Perú morir algunos españoles ab intestado,
o haciendo testamento, y dexan por sus herederos en España a deudos suyos, u a otra
personas, o hacen algunas mandas a personas particulares, o a iglesias o monasterios, o
para otras obras pías en España… », Juan de Matienzo, Gobierno del Perú (1567), édition
et étude préliminaire de Guillermo Lohmann Villena, Paris/Lima, Ministère des Affaires
étrangères, 1967, p. 351.
17 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1615, leg. 324A, n° 1, ramo 5. On peut encore
citer le cas de José de Anzures y Guevara, avocat de l’audience de Mexico, originaire de
Puebla de los Ángeles, qui décède en 1625, à bord d’un navire qui se rend en Espagne. Ses
biens sont ainsi renvoyés à son neveu, dans la vice-royauté de la Nouvelle Espagne, sous la
tutelle de l’Institution. AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1626, leg. 368, n° 7,
ramo 5.

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Ces précisions éclairent la variété des procédures traitées. La dernière,
finalement, celle qui fait l’objet de cette étude, concerne les personnes disparues
en mer. Les passagers, les officiers et tous les membres d’équipage sont placés
sous la tutelle de cette institution dès qu’un décès survient à bord. Qu’il
s’agisse d’un trajet vers l’Amérique, les Philippines, l’Afrique ou l’Espagne,
la mise en place du processus de rapatriement des biens est immédiate. Les
navigations sont étroitement liées dans un premier temps aux expéditions de
découverte, puis à celles de la colonisation. Dès lors, les problèmes de succession
à distance se posent dans les mêmes termes qu’à terre. Il n’est pas surprenant par
conséquent de constater que la législation s’adapte au contexte maritime. Des
variantes concernant la procédure et ses acteurs sont, bien entendu, à prendre
en compte. Joseph de Veita Linaje précise ainsi dans son ouvrage intitulé Norte
de la Contratación 18 que cette prise en charge commence sur le Guadalquivir
dès les premiers instants de la navigation 19.
L’Institution des Biens des Défunts embrasse donc différentes situations 23
juridiques et humaines et l’on peut dès lors imaginer la richesse procédurière

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


qui en découle. L’étude des mécanismes bureaucratiques illustre à ce sujet la
complexité de cette administration.

II- FONCTIONNEMENT – DYSFONCTIONNEMENT

L’Institution des Biens des Défunts est régie par de nombreuses ordonnances et
son fonctionnement découle d’un processus administratif très lourd. Comme
dans tous les territoires espagnols au xviie siècle, un système bureaucratique
orchestre la vie quotidienne et lorsqu’un décès survient, la machine judiciaire se
met immédiatement en marche. Les tribunaux des Biens des Défunts représentent
à ce titre les autorités compétentes en la matière.

18 Il indique ainsi que « No se limita el cuydado, y juridiccion de esta Audencia Real de la
Contratacion al cobro, y adjudicacion del caudal, que por bienes de difuntos se remite de las
Indias, sino que de la misma forma le pertenece el conocimiento del que queda por muerte
de qualesquiera passageros, dellos que con testamento, ó abintestado huvieren muerto en la
mar, ó en el rio de Sevilla, hasta llegar á tomar tierra en ella », Joseph de Veita Linaje, Norte de
la Contratación de las Indias Occidentales (1672), Buenos Aires, Publicaciones de la Comisión
Argentina de Fomento Americano, 1945, libro I, capítulo XII, n° 25.
19 Le page Juan Zamudio qui tente ainsi de rejoindre son bâtiment ancré à Chipiona et qui se
noie en tombant du frêle esquif l’y menant possède un auto de Bienes de Difuntos. Dans le
procès-verbal contenu dans son dossier et certifiant le décès, on peut lire : « El dicho Juan
Zamudio se embarcó en un barco de Antonio de Medina […] para ir a ella a traer la cajita de su
ropa por tener sentada plaza de paje en el Patache de los Galeones que están por hazer viaje
a Tierra firme y que haviendo hecho viaje hallandose en el paraje frente a Nuestra Señora de
Regla con la mucha mar que havia prozedida de la tormenta pasada y del mucho viento, el
dicho barco se perdió », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1672, leg. 973, n° 5,
ramo 5, fol. 1.

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A- La procédure à terre
1- De l’Amérique à Séville – les tribunaux des Biens des Défunts

Dans chaque audience 20 en Amérique, les présidents doivent nommer un juge


– juez-oidor – efficace et respectueux des ordonnances royales pour présider le
tribunal des Biens des Défunts pendant deux ans 21. Il doit procéder à la vérification
de toutes les démarches entreprises par un exécuteur testamentaire et garantir
une procédure qui se veut juste et exempte de toute pratique frauduleuse. Ses
compétences sont vastes. Il doit prendre connaissance de chaque décès sur le
territoire de sa juridiction et superviser l’administration, puis la vente des biens
du défunt. Toutefois, étant donné l’immensité du territoire américain, les juges
ne peuvent s’occuper de tous les cas recensés. Des tenedores de Bienes de Difuntos
sont donc nommés dans les régions les plus reculées pour exercer les mêmes
fonctions et sont tenus de posséder un coffre à trois clefs et un livre afin de
rendre compte de leur activité 22.
24 Lorsqu’un émigrant espagnol décède sur le territoire américain, le juge
intervient et tente de récolter dans un premier temps toutes les informations
concernant l’identité de ses possibles héritiers, leurs liens de parenté et leur
lieu de résidence. Des témoins sont donc appelés à comparaître et grâce aux
informations fournies par ces derniers, le juge apprend par exemple que le
défunt est marié en Espagne ou, comme dans le dossier de Juan Manuel
Fernández, que sa sœur, unique héritière, réside dans l’île de Gomera 23.
Ces informations sont indispensables lorsque le défunt meurt intestat.
Assurément, lorsque le testament apparaît, les démarches sont plus faciles.
Comme l’indiquent expressément les ordonnances, l’ensemble des biens de
la personne décédée est ensuite inventorié avec le plus grand soin. On tente
par tous les moyens de réduire la fraude, celle qui émane des exécuteurs
testamentaires comme celle des officiers de la Couronne, mais en vain. Au

20 Audiencia : tribunal suprême ou cour de justice, cette institution représente le pouvoir royal
aux Indes. Chaque vice-royauté en Amérique est subdivisée en audiences, organismes dotés
de pouvoirs administratifs et judiciaires. Annie Molinié-Bertrand, Vocabulaire de l’Amérique
Espagnole, Paris, Nathan, 1996, p. 13.
21 On lit dans la carta acordada de 1550 : « Ordenamos y mandamos, Que los Virreyes
y Presidentes de nuestras Audiencias de las Indias, cada uno en su distrito, nombren al
principio del año á un Oidor, el que tuvieren por más puntual y observante en el cumplimiento
de nuestras órdenes, [...] dandole comission para lo tocante á la judicatura, hazer, cobrar,
administrar, arrendar y vender los bienes de difuntos », dans Recopilación…, op. cit., libro II,
título XXXII, ley I. Jusqu’en 1609 le mandat du juge n’est que d’un an, mais à partir de cette
date, Philippe III décide qu’il sera de deux ans.
22 Carlos Alberto González Sánchez, Dineros de Ventura: la varia fortuna de la emigración a
Indias (Siglos xvi- xvii), Sevilla, Universidad de Sevilla, 1995, p. 33. La loi dit ainsi : « Que en
cada pueblo donde no huviere Caja Real, haya tres tenedores de bienes de difuntos, con Arca
y Libro », dans Recopilación…, op. cit., libro II, título XXXII, ley XX.
23 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1750, leg. 5610, n° 1, fol. 5.

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long des siècles, les lois se succèdent, car la cupidité l’emporte souvent lorsque
les héritiers sont à des milliers de lieues 24. On espère ainsi, en procédant à une
estimation, réduire les pratiques non conformes à la loi en vendant par exemple
les biens à un prix inférieur à leur valeur. Il existe naturellement d’autres
façons pour biaiser le système : le simple fait de ne pas inventorier quelques
objets de valeur ou de l’argent liquide reste une pratique possible. Une vente
aux enchères est ensuite organisée en présence des exécuteurs testamentaires.
Elle a pour but de transformer le patrimoine du défunt en argent liquide.
La distance étant la principale raison de l’intervention de l’Institution des
Biens des Défunts, on comprend que cette solution soit adoptée pour faciliter
le rapatriement. Néanmoins, l’or, l’argent, les perles et les bijoux ne doivent
pas, en principe, être vendus. Le produit de la vente, remis aux exécuteurs
testamentaires, doit leur permettre de payer les créanciers, les frais liés aux
funérailles et au salut de l’âme du défunt. Ils sont tenus de présenter par la
suite les comptes au juge et de remettre la somme d’argent récoltée, une fois 25
les frais de la procédure soustraits, au siège de l’audience 25. En aucun cas

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


les exécuteurs ou tenedores 26 ne peuvent acquérir les biens du défunt. Il leur
est formellement interdit de participer à la vente et ceci afin d’éviter toute
corruption 27.
C’est sous la tutelle du tribunal des Biens des Défunts que le produit de la
vente aux enchères est conservé dans un coffre prévu à cet effet – arca de tres
llaves. Dans les villes et les villages éloignés où il n’y a pas d’audiencia, un coffre
identique se trouve dans les bâtiments de la Real Hacienda 28 pour recevoir les
sommes récoltées. Les différents montants sont alors enregistrés dans un livre
– libro de asientos – tenu par un notaire. Dès le début de la Conquête, une

24 Toutefois pour faire face à ce problème, la cédule royale de 1569 indique : « No se puedan
vender los bienes de difuntos, sin estar primero tassados por personas que lo entiendan y
el juez que entrare tome la cuenta que saliere. [...] y como aya tassacion no podrán ser los
fraudes tan grandes… », dans Diego de Encinas, Cedulario Indiano (1596), Madrid, Ediciones
Cultura Hispánica, 1945, p. 385.
25 L’exécuteur testamentaire de Francisco Sánchez Ruidurán procède à la remise de l’argent et
des comptes de cette manière : « Quenta y Relacion jurada de cargo y datta que doy de los
bienes que han sido a mi cargo por la muerte de Francisco Sanchez Ruidurian de quien soy
albacea, que es en la manera siguiente… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de
1752, leg. 5617, n° 3, fol. 23.
26 Les tenedores de bienes de difuntos ont les mêmes obligations que les exécuteurs
testamentaires. Juan de Matienzo rappelle les instructions à ce sujet : « Que los tenedores
de bienes de difuntos hagan las mesmas deligencias que los albaceas cuando alguno
muriere ab intestado sin hacer testamento… », Juan de Matienzo, Gobierno del Perú…,
op. cit., p. 351.
27 L’ordonnance d’avril 1550 indique à ce propos : « Los que fueren Albaceas y tenedores de
bienes de difuntos, no pueden sacar ni comprar por si ni por interposita persona, ni en otra
manera alguna, ningunos bienes de difuntos que fueren a su cargo… », ibid., p. 377.
28 Faustino Gutiérrez Alviz, « Los Bienes… », art. cit., p. 314.

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ordonnance précise l’importance de ce registre, c’est en quelque sorte le garant
d’une procédure conforme à la loi 29.
Juge des Biens des Défunts, exécuteurs testamentaires et tenedores sont alors
invités à envoyer l’argent en Espagne par le premier navire qui se présentera 30.
Rapidité et efficacité sont requises, mais il faut tout d’abord acheminer l’argent
aux ports de Carthagène pour la Terre Ferme et de La Veracruz pour la Nouvelle
Espagne. Lorsque les Biens des Défunts arrivent à bon port, ils sont ensuite remis
aux maîtres d’argent des navires avec tous les documents les concernant 31. Les
compétences du juge s’arrêtent à cet instant et les biens sont ensuite placés sous
la responsabilité des maîtres et des généraux de flottes 32. La deuxième partie
de la procédure qui se déroule en Espagne pourra donc commencer dès que les
navires auront traversé l’Atlantique.
2- En Espagne – la Casa de la Contratación

26 Lorsque les flottes arrivent en Espagne, les Biens des Défunts sont immédiatement
acheminés à la Casa de la Contratación et entreposés dans la Salle du Trésor. Dans
un coffre réservé à cet effet – arca de tres llaves – et dont l’ouverture n’est possible
qu’en présence du factor, du contador et du tesorero, on dépose les différentes
quantités d’argent, les bijoux, les pierres de valeur, les perles et les barres de métaux
précieux. Le président et les juges de l’audience espagnole doivent, compte tenu
des richesses, tenir une comptabilité séparée et irréprochable des différentes
sommes d’argent qui arrivent à la Casa de la Contratación. Dans un livre spécifique,
différent des autres registres de la Real Hacienda, ils doivent ainsi faire apparaître :
le nom du défunt, sa ville de naissance, la personne ou autorité qui a remis l’argent,
sur quel navire la traversée s’est effectuée et le nom des possibles bénéficiaires 33.

29 En 1510, il est ainsi ordonné « un buen recaudo en los bienes de difuntos para lo cual haya un
libro donde se asientan », AGI, Indiferente General, leg. 418. Ordonnance citée par Faustino
Gutiérrez Alviz, « Los Bienes… », art. cit., p. 318.
30 En 1526, on ordonne ainsi d’envoyer, dans les premiers navires en partance pour l’Espagne,
ce qui aurait été perçu desdits Biens des Défunts (Faustino Gutiérrez Alviz, « Los Bienes… »,
art. cit., p. 337).
31 En janvier 1767, le maître d’argent du navire Santiago déclare par exemple : « Maestre de
Plata, que soy del navio nombrado Santiago de España anclado, que se halla en este puerto
de La Habana proximo a hazer viaje al de Cadiz, que he recibido del dicho Juez de Bienes de
Difuntos la cantidad de tres mil quinientos treze pesos fuertes del cuño mexicano de cuenta
y riesgo de los herederos del coronel don Melchor Feliu… », AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1767, leg. 5654, n° 1, fol. 192.
32 L’instruction de 1595 indique : « luego que llegaren los Generales de Galeones y Flotas a
los Puertos de nuestras Indias, requieran a las Justicias y Oficiales Reales, que le envien los
bienes de difuntos, testamentos y inventarios […] y los hagan registrar en el registro Real, y
traer a la Casa de la Contratación », Recopilación…, op. cit., libro II, título XXXII, ley VXIII.
33 Faustino Gutiérrez Alviz, « Los Bienes… », art. cit., p. 340. Ces volumineux registres, appelés
Libros de Bienes de Difuntos, sont actuellement conservés dans la section Contratación des
Archives générales des Indes. On peut les consulter dans les liasses 576 à 589.

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L’arrivée des Bienes de Difuntos est ensuite annoncée sur la porte de la Casa
de la Contratación et sur celle du Pardon de la Cathédrale 34. On invite ainsi les
habitants de Séville à se manifester auprès des autorités compétentes pour réclamer
les biens dont ils pourraient bénéficier. Si les intéressés ne se présentent pas dans
les dix jours suivant cet avis, le portero, ou un alguazil de la Casa, va leur notifier
l’information moyennant la somme d’un réal pour son déplacement 35.
Naturellement, toutes les personnes intéressées n’habitent pas à Séville et ne
peuvent avoir connaissance, par conséquent, de cet avis d’information. Un mois
après la réception des biens, la Casa de la Contratación envoie alors des messagers
qui doivent parcourir à pied toute l’Espagne afin de faire connaître l’arrivée des
biens dans chaque ville, village ou bourgade d’où les défunts sont originaires.
Ils sont munis de documents originaux, des Cartas de Diligencia manuscrites ou
imprimées 36. Elles contiennent toutes les informations concernant l’identité de
la personne disparue, son décès et surtout le montant des sommes à percevoir.
On y inclut souvent des clauses du testament dans lesquelles sont indiquées 27
l’identité des héritiers ou encore les œuvres pies à réaliser. Dès que le messager

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


arrive dans la ville natale du défunt, un crieur public annonce, sur les places
principales du lieu, l’arrivée des biens à Séville et invite les intéressés à se
manifester auprès des officiers de la Casa de la Contratación. Le document est
par ailleurs affiché sur la porte de l’église et lu après la messe dominicale 37. Dans
certains cas, il est indispensable de traduire le document. Ainsi, dans l’église
paroissiale de Placencia, le curé lit non seulement la Carta de Diligencia à voix
haute et intelligible, mais il prend en outre la peine de la traduire en basque
pour s’assurer d’une meilleure compréhension de la part de son auditoire 38.

34 Cette annonce doit se faire dans les trois jours suivant l’arrivée des biens. Néanmoins, Joseph
de Veita Linaje indique que les formalités de la procédure ne sont pas toujours respectées :
l’avis n’est que très rarement affiché sur la porte du Pardon de la Cathédrale (Joseph de Veita
Linaje, Norte…, op. cit., libro I, capítulo XII, n° 4).
35 Manuscrit de Belmonte, conservé à l’AGI, information obtenue dans l’ouvrage de Faustino
Gutiérrez Alviz, « Los Bienes… », art. cit., p. 343.
36 Voir annexe n° 1 : Carta de Diligencia de Francisco Borges del Riego, document imprimé,
remis aux autorités de la ville de Barcelos, au Portugal, en 1605 (AGI. Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1605, leg. 271, n° 2, ramo 16, fol. 16).
37 En 1604, dans la ville de Valladolid, la Carta de Diligencia a bien été communiquée à
l’assistance et le notaire certifie à ce sujet : « Estando despues yo en el pulpito de la dicha
Santa yglesia desta ciudad que está en medio del altar mayor y coro de la dicha yglesia en
alta boz que la oyeron y entendieron la mayor parte de las personas que asistían a la santa
missa leí y publiqué la carta regia que ba cosida con este testimonio librada por los señores
presidentes y juezes de la cassa de la contratacion de la ciudad de sebilla... », AGI, Cont. Auto
de Bienes de Difuntos, año de 1603, leg. 265 B, n° 1, ramo 10, fol. 12.
38 Placencia – orthographiée avec un c – est une ville du Pays basque. AGI, Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1621, leg. 344, n° 1, ramo 3, fol. 3 : « Oyendo La missa maior del dia […] el
cura de la dicha yglesia Leyó y puvlicó del pulpito a alta e yntelegible voz la carta rrequisitoria
[…] y lo repitió y declaró en lengoa [sic] Bascongada de manera que Pudieron oyr y Entender
Bien el contenido de la dicha carta requisitoria… ».

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On imagine alors quels effets peuvent produire ces annonces : l’impact de la
mort auquel s’ajoute celui des sommes d’argent à percevoir doivent bouleverser
l’assistance.
À partir de cette étape, la procédure entre dans une phase longue et laborieuse.
Les héritiers doivent entamer des démarches administratives complexes,
répétitives et d’autant plus difficiles à réaliser qu’ils vivent à des lieues de Séville.
Ils peuvent nommer un mandataire et lui donner leurs pleins pouvoirs pour les
représenter à la Casa de la Contratación. Cet homme de confiance, une personne
de la famille ou un commerçant qui se déplace souvent dans la capitale andalouse,
réside généralement à Séville et défend leurs intérêts auprès des autorités. Une
longue liste de témoignages rédigés dans la ville d’origine du défunt et certifiée
par le notaire constituera la première pièce du dossier. Ce document justifie
en effet les liens de parenté entre le défunt et les héritiers tout en rappelant les
circonstances du départ vers l’Amérique. On y lit parfois comment l’émigrant
28 espagnol entretenait des liens étroits avec sa famille en envoyant des lettres ou
quelques sommes d’argent. Mais les démarches sont longues, d’autant plus si
le défunt meurt intestat et que plusieurs personnes réclament l’héritage. Dans
ce cas, un procès s’engage entre les différentes parties et c’est aux juges de la
Casa de la Contratación de décider et de nommer l’héritier légitime 39. Enfin,
lorsque l’adjudication des biens est prononcée par ces derniers, il peut s’écouler
plusieurs années entre cette décision et le versement de l’héritage ; le dossier se
referme finalement avec l’émission d’un reçu qui certifie la remise de l’argent
aux héritiers.
Il est inhabituel que les diligences de la Casa de la Contratación restent
sans réponse, mais lorsque personne ne vient réclamer l’héritage, l’argent est
entreposé dans des coffres spéciaux. Les ordonnances indiquent à ce titre
qu’un délai de deux ans peut s’écouler et l’argent devient alors propriété de la
Couronne. Ce sont les Bienes vacantes qui viennent ainsi gonfler les caisses des
finances royales 40 ; cette précision est digne d’intérêt, car les arrivées toujours

39 Dans le dossier de Juan Laso de la Vega, un procès s’engage entre sa fille et son épouse.
Elles réclament toutes deux les 208 pesos « de a ocho reales » qui sont arrivés comme Biens
du Défunt. Sa fille aurait dû recevoir les biens, car elle en était de toute évidence la légitime
héritière. Néanmoins, c’est l’épouse qui obtient l’adjudication afin de rembourser la dot et
l’argent qu’elle avait prêtés à son époux pour acheter des marchandises. Un dossier d’une
cinquantaine de folios retrace cette difficile procédure, témoignage d’une famille déchirée
et des problèmes de succession inhérents à l’éloignement géographique (AGI, Cont. Auto de
Bienes de Difuntos, año de 1615, leg. 324A, n° 1, ramo 1, fol. 1-50).
40 « Los Bienes de Difuntos, que se tienen, y han de tener por inciertos, son aquellos de que
hechas las diligencias, conforme a las leyes, que de esto tratan, no pareciere dueño a
pedirlos, si fuere en estos Reynos de Castilla, Aragón, Valencia, Cataluña y Navarra, dentro
de dos años despues de hechas: y fuera de los dichos Reynos, dentro de seis meses », dans
Recopilación…, op. cit., libro IX, título XIV, ley XXV. On remarque que le temps imparti aux
personnes résidant à l’étranger est de plus courte durée.

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plus importantes de capitaux s’avèrent nécessaires pour que les monarques
mènent à bien leur politique.
B- La procédure en mer

À bord des navires espagnols, l’Institution des Bienes de Difuntos agit


immédiatement. Dès qu’une personne décède en mer, le système de rapatriement
des biens se met en place 41. C’est au maître de navire qu’incombent toutes
les responsabilités puisqu’il supervise la procédure et joue en fait le même
rôle que le juge des Biens des Défunts à terre 42. Sous son égide, les biens sont
inventoriés, parfois vendus aux enchères, et conservés avec le plus grand soin.
Lorsqu’il s’agit d’un bâtiment marchand, le maître doit également verser la
solde des gens de mer qui décèdent sur son vaisseau 43. L’argent de la solde,
complété par les liquidités de la vente aux enchères, est ensuite remis aux juges
de l’audience espagnole. Le greffier de chaque bâtiment, en rédigeant tous les
documents officiels – procès-verbaux, testaments et inventaires après décès 29
– joue parallèlement un rôle indispensable en assistant le maître de navire. Les

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


ordonnances lui accordent d’ailleurs une place particulière dans la législation
puisqu’il consigne chaque événement de la traversée 44.
Maîtres de navire et greffiers sont les principaux acteurs de cette procédure ;
toutefois, le général de la flotte assume des fonctions plus vastes. Il doit superviser
toutes les procédures entamées sur les bâtiments de son convoi, mais il lui est
formellement interdit de se servir de l’argent pour subvenir aux besoins de sa
flotte 45. Il peut faire appel à un defensor de bienes de difuntos, figure juridique
qui doit défendre les intérêts des héritiers. À aucun moment, les sujets du roi
ne sont donc abandonnés : à terre comme en mer, une présence royale veille sur

41 On lit dans le recueil de lois de la Recopilación de las Leyes de Indias, une instruction qui
date de 1552 et précise à ce sujet : « Que falleciendo alguno en la mar, el maestre ponga por
inventario los bienes, y los traiga a la Casa. Los Maestres de Naos merchantes, sueltas, y sin
Flota, que fueren a las Indias, quando falleciere algun passagero, o otra persona en la mar,
pongan por inventario sus bienes ante el Escrivano de la Nao y testigos… », Recopilación…,
op. cit., libro II, título XXXII, ley LXIV. Toutefois, la première ordonnance relative aux Biens des
Défunts en mer date de 1505 : « Que los Maestres e los que trujeren bienes de defuntos que
mueren en los viajes de Indias, que entreguen a los dichos Oficiales para ponelles en arca
de tres llaves […] para que los manden publicar e entregar a sus herederos », citée par José
María Ots Capdequi, Estudios…, op. cit., p. 281.
42 Carlos Alberto González Sánchez, Dineros…, op. cit., p. 38.
43 Joseph de Veita Linaje déclare à ce propos : « Hase de saber tambien si el Maestre deve
sueldo á la gente de mar, y mandarle que los pague… ». Il souligne d’ailleurs que le maître
doit payer une amende s’il ne remplit pas rapidement ses obligations : « […] que los pague
dentro de tercero dia, apercibido que passado será preso (como deve serlo) y por cada uno
de los dias que dilatare la paga deve dar á cada marinero dos reales… », Joseph de Veita de
Linaje, Norte…, op. cit., libro I, capítulo IX, n° 5.
44 Recopilación…, op. cit., libro IX, título XX, ley XIX et libro II, título XXXII, ley XXV.
45 « Que los Generales no se valgan de bienes de difuntos », ibid., libro II, título XXXII,
ley LXVIII.

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leurs intérêts ; mais, qu’ils le souhaitent ou non, ils doivent se soumettre à cette
tutelle institutionnelle à laquelle il semble assez difficile d’échapper.
La situation est identique sur les océans les plus éloignés du territoire ibérique.
La puissance de la Monarchie et l’étendue de l’application de ses ordonnances
lui permettent donc d’imposer la même législation aux Philippines et lors
de la traversée du Galion de Manille 46. Les dernières volontés matérielles et
spirituelles du testateur peuvent ainsi se réaliser telles qu’elles ont été formulées
à des milliers de lieues de la péninsule ibérique. L’éloignement géographique
dans le Pacifique impose un autre circuit aux Biens des Défunts : dès leur arrivée
à Acapulco, ils sont acheminés à l’audience de Mexico de la vice-royauté de la
Nouvelle Espagne, puis définitivement envoyés à Séville.
La procédure en mer est différente si le décès est constaté vers l’Amérique,
vers les Philippines, ou au contraire, vers les côtes de l’Espagne. Si une personne
décède en mer lors du voyage de l’aller, c’est-à-dire vers l’Amérique, ses biens
30 peuvent être vendus aux enchères puis rapatriés en Espagne, plus aisément, sous
forme d’argent liquide 47. Lorsque le décès a lieu sur un navire qui effectue le
voyage du retour, la législation précise qu’en revanche cette vente ne doit pas
avoir lieu puisque les biens du défunt sont déjà embarqués 48. La consultation des
autos de Bienes de Difuntos laisse toutefois entrevoir des mécanismes parallèles à la
procédure légale. Force est de constater une réalité qui ne correspond plus au cadre
législatif imposé. En effet, les maîtres de navire, après avoir inventorié les biens du
défunt, les proposent fréquemment lors d’une vente aux enchères alors qu’ils se
dirigent vers Séville. En 1618, Juan de Colomera, un passager du navire Nuestra
Señora de los Milagros, meurt. Alors qu’ils traversent le passage des Bermudes,
le maître fait tout d’abord inventorier ses biens, puis décide de les vendre sur le
navire. Le document est alors dressé par le greffier et la somme d’argent récoltée,
117 pesos, naturellement confiée à l’exécuteur testamentaire 49. Ce cas n’a rien

46 Au début du xviie siècle, le franciscain fray Martín de Murilla rappelle l’instruction donnée en 1606
par Pedro Fernández de Quirós pour son expédition dans la Mer du Sud : « Si alguna persona se
muriere el maestre ará luego ymbentario de sus bienes y los guardará para que se cumplan las
mandas del difunto y paguen sus deudas… », Kelly Celsus, Austriala Franciscana. Documentos
franciscanos sobre la expedición de Pedro Fernández de Quirós (1605-1606), Madrid, Franciscan
Historical Studies en colaboración con el Archivo Ibero-Americano, 1962, p. 32.
47 « Y si falleciere a la ida, los vender [los bienes] en las Indias en publica almoneda, y traigan
lo procedido y los demás que huviere, y lo entreguen en la Casa de la Contratación… », dans
Recopilación…, op. cit., libro IX, título XXIV, ley XXXVII.
48 L’ordonnance édictée par Charles Quint indique ainsi : « Y si a la buelta de viaje aconteciere
lo suso dicho traiganlo a la Casa con los demás bienes […] para que los Juezes lo hagan dar a
quien tuviere derecho ». À son tour, Joseph de Veita Linaje rappelle que les biens doivent être
remis tels quels à Séville : « y si [fuere] a la venida se traiga en ser lo que se inventariare pena
de cobrarlo de los bienes del Maestre o Capitan », Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit.,
libro II, capítulo VIII, n° 19.
49 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 335, n° 9, fol. 7-9.

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d’exceptionnel. Dans presque tous les dossiers complets mentionnant le voyage
du retour, les ventes aux enchères sont organisées de manière systématique. Seul
un dossier indique de façon précise que les biens ne sont pas proposés dans une
vente à l’équipage, mais remis tels quels aux héritiers 50. On comprend que des
intérêts d’ordre économique incitent les maîtres de navire à mettre en place ces
ventes aux enchères illégales. D’autres facteurs sont à prendre en compte, nous
les verrons par la suite.
C- Dysfonctionnements

L’étude du fonctionnement de l’Institution a permis d’analyser les différentes


étapes de la procédure et de découvrir une puissante machine administrative
dont les rouages ne sont pourtant pas parfaits. On a déjà souligné quelques
dysfonctionnements : en Amérique, la fraude est ainsi l’une des plus grandes
tares de l’Institution des Biens des Défunts. Malgré l’intervention d’un juge et
la mise en place d’un système de tutelle sur le territoire américain, la fraude des 31
exécuteurs testamentaires est difficilement jugulée 51. Ecclésiastiques et religieux

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


abusent dans certains cas du pouvoir qui leur a été conféré. Après avoir été
nommés exécuteurs testamentaires, certains soustraient par exemple des effets
personnels tandis que d’autres s’approprient l’ensemble des patrimoines 52.
Parfois, une partie des biens n’est pas inventoriée ; dans d’autres cas, ce sont les
officiers royaux qui se laissent aller à des pratiques frauduleuses. Soulignons enfin
que les juges des Biens des Défunts ne perçoivent pas de salaire pour leur charge
et qu’il leur est formellement interdit de toucher des droits sur les ventes aux
enchères 53. Naturellement, ces mesures prises par la Couronne pour empêcher
les fonctionnaires de commettre des abus produisent des effets contraires, car
la probité des ministres du roi est mise à dure épreuve. De surcroît, la vente des
offices et plus précisément celle des defensores de bienes de difuntos, comme le

50 En juillet 1676, le passager Antonio María Tasara meurt sur un bâtiment de la flotte de la
Nouvelle Espagne qui se dirige à Séville. Ses biens, inventoriés, ne sont pas vendus aux
enchères. Ils sont entreposés dans la Salle du Trésor de la Casa de la Contratación et remis
tels quels au mandataire de ses héritiers en 1677 (AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año
de 1677, leg. 974, n ° 4, ramo 8, fol. 1-18). À la fin du xviie siècle, la procédure évoluera et les
Biens des Défunts ne seront plus systématiquement déposés à l’audience de Séville, mais
directement remis aux héritiers.
51 Carlos Alberto Gonzále Sánchez, « Repatriación de capitales del virreinato del Perú en el siglo
xvi », Estudios de Historia Económica, n° 20, Madrid, Banco de España, 1991, p. 14. Il souligne
à ce sujet que les pratiques frauduleuses des personnes chargées d’administrer les biens
(exécuteurs testamentaires, juges et defensores de bienes de difuntos) restent importantes
malgré les différentes ordonnances censées les réglementer.
52 José María Ots Capdequi, Estudios…, op. cit., p. 317.
53 « Que los Juezes no lleven derechos por asistir a los inventarios y almonedas […]. Los Juezes
generales y ordinarios no lleven derechos en poca, ni en mucha cantidad… », Recopilación…,
op. cit., libro II, título XXXII, ley LIII.

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rappelle Juan de Solórzano Pereira, est irrémédiablement vouée à une vénalité
de la charge 54. Lorsque Guillermo Céspedes del Castillo fait référence aux
tribunaux des Biens des Défunts, il parle de « montage administratif » et souligne
en fin de compte le manque de crédibilité de l’Institution 55. L’historienne Della
M. Flusche a même pensé intituler son étude « the Goods of the Dead in the
hands of the living » 56.
Il faut pourtant rappeler que cet appareil bureaucratique s’inscrit dans un
contexte de développement administratif aux Indes dont le corolaire est souvent
la fraude. À ce propos, Horst Pietschmann a mis en évidence le triomphe
du pouvoir royal caractérisé par un système bureaucratique centralisé et
s’appuyant sur une législation étendue 57. Il a remarqué une intensification des
pratiques illégales des fonctionnaires et souligné que ces conduites frauduleuses
bénéficiaient en fait d’un degré de tolérance sociale fort élevé 58. Dans ce
contexte, on comprend que l’Institution des Biens des Défunts n’échappe pas,
32 elle non plus, à ce type de corruption. L’esprit des lois, visant à l’intégrité, à
la justice et au bien commun des sujets du roi, est ainsi contrecarré par une
réalité différente. La réitération des ordonnances à ce sujet révèle le malaise qui
envahit sournoisement l’administration royale d’outre-mer 59. Ainsi, lorsque
Juan Sánchez Gálvez écrit à sa sœur, en 1614, il résume la situation critique à
laquelle sont voués les émigrants espagnols en Amérique. Il remet non seulement
en cause l’honnêteté des exécuteurs testamentaires, mais également celle des
officiers royaux aux Indes et en Espagne 60. Son témoignage n’est pas isolé.

54 Juan de Solórzano Pereira, Política Indiana (1647), Madrid, Compañía Ibero-americana de


publicaciones, 1930, libro V, capítulo VII.
55 Guillermo Céspedes del Castillo, « América Hispánica 1492-1898 », dans Historia de España,
tomo 4, dirigida por Manuel Tuñón de Lara, Barcelona, Editorial Labor, 1983, p. 181.
56 Della M. Flusche, « The Tribunal of Posthumous Estates in Colonial Chile, 1540-1769: Part
4 », Colonial Latin American Historical Review, vol. 9, n° 4, Albuquerque, University of New
Mexico, 2000, p. 523.
57 Horst Pietschmann, El estado y su evolución al principio de la colonización española de
América, México, Fondo de Cultura Económica, 1989, p. 149.
58 Horst Pietschmann, « Corrupción en las Indias Españolas: Revisión de un debate
historiográfico sobre Hispanoamérica Colonial », dans Instituciones y corrupción en la
historia, Valladolid, Universidad de Valladolid, 1998, p. 45.
59 « Ordenamos y mandamos, que el juez general, ni las demás personas, que intervinieren
en la administración y cobro de bienes de difuntos, no truequen el oro, que huviere en la
Caja para interesses ni comodidad particular suya… ». Ordonnance de 1570, mais en 1630,
on recommande encore aux juges et auditeurs « que por ninguna causa, ni razon se valgan
de este genero [bienes de difuntos], para ningun efecto, porque es hazienda agena », dans
Recopilación…, op. cit., libro II, título XXXII, ley LVII et ley LIX.
60 « La hacienda de los que mueren en estas partes toda se deshace como la sal en el agua,
porque se quedan con ella los albaceas, y lo que se envía a España se quedan con ello… »,
Enrique Otte, Cartas privadas de emigrantes a Indias, Sevilla, Consejería de Cultura de la
Junta de Andalucía, 1988, p. 499. Dans sa lettre, il insiste à nouveau et écrit : « desde acá lo
que se envía a España luce poco, porque sé que se quedan con ello las personas a quien se
le entrega, y hay pocos hoy de quien fiar ».

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Quelques années auparavant, Juan de Illescas, un émigrant espagnol exhorte
sa sœur à le rejoindre. Il redoute en effet de mourir seul aux Indes et de laisser
ses biens aux mains de l’Institution 61. Les propos recueillis dans ces lettres
reflètent la méfiance des Espagnols vis-à-vis de l’Institution. La perspective de
remettre leurs biens aux officiers du roi semble tout simplement les effrayer 62.
Beaucoup d’entre eux essaient de contourner le système et supplient leurs
parents de les rejoindre pour éviter l’intervention des juges des Biens des Défunts
dans leur succession. D’autres nomment encore héritier un ami en Amérique
et lui demandent de remettre les biens aux destinataires légitimes en Espagne.
Lorsque Juan Bautista Echarri écrit à Manuel Luis de Azpíroz, il lui fait part
de son stratagème afin de nommer héritier son employé et ainsi échapper à
l’Institution 63.

En mer, la situation est identique. L’Institution des Biens des Défunts ne jouit
pas d’une bonne renommée, car les dysfonctionnements sont flagrants et les 33
abus commis par les maîtres et les capitaines de navire défient toute forme de

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


respect aux ordonnances royales. Joseph de Veita Linaje, en son temps, l’avait
déjà remarqué 64. Greffiers et maîtres de navire sont explicitement montrés du
doigt et leur mauvaise foi incite les juges de la Casa de la Contratación à entamer
des procès contre eux. Des généraux adoptent également des pratiques similaires.
En 1609, Andrés de Chavarría succombe des suites d’une maladie. Comme il
se doit, ses biens sont inventoriés sur le navire Capitana, mais d’importantes
sommes d’argent sont soustraites par son exécuteur testamentaire, Lope Díaz
de Amendariz, qui n’est autre que le général de la flotte ! Un procès s’engage à
la Casa de la Contratación contre ce dernier, mais on abandonne les poursuites
après deux ans de procédure 65. Un autre dossier pourrait encore illustrer cette
situation : en 1659, Pedro Velasco Mendieta meurt de tuberculose à bord d’un

61 « No aguardaría a que por bienes de difuntos se entregasen de ellos, como lo hacen de otros,
va todo con el demonio », ibid., p. 392.
62 Le Conseil des Indes exhorte ainsi les officiers de la Casa de la Contratación à agir : « porque
estas quejas que llegan alla desto Cobra mal nombre quel Juzgado y los mesmos difuntos
procuran escusar quanto pueden que no entre en las arcas de difuntos sus vienes haziendo
testamentos y nombrando herederos en confianza aunque tengan hijos e padres u otras
personas que se les quedan con sus herencias y cuesta mucho travajo desenbolver las
marañas que en ello ay… », AGI, Indiferente General, Cartas remitidas al Consejo, año de
1608, leg. 1124.
63 « Prebengo que para ebitar el que tomase conocimiento el juzgado de ultramarinos, nos
balimos del advitrio de que nombrase por heredero a mi caxero, quien lo es de confianza y
heredero aparante para cubrir la última disposición ». Cité par Jesús María Usumaríz, Una
visión de la América del siglo xviii, Madrid, Editorial Mapfre, 1992, p. 473.
64 « Y aunque en las instrucciones se les advierte [a los maestres y escribanos], veo que cuydan
poco de la observancia deste… », Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro I, capítulo XII,
n° 12.
65 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609, leg. 286, n° 1, ramo 1, fol. 1-161.

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navire de la Real Armada de la Guardia de las Indias. On dresse l’inventaire de
ses biens, mais le capitaine se dispense de les remettre aux officiers sévillans 66.
Même si le procureur engage des poursuites, aucune suite n’est finalement
donnée à l’affaire. L’aspect fragmentaire de nombreuses procédures révèle de
véritables dysfonctionnements. Des procès semblables se succèdent comme
celui de Francisco Blanco, maître du navire El Santo Cristo de San Augustín,
vainement sommé de remettre les biens du défunt José de Carrera. Une fois de
plus, la procédure reste sans suite et le dossier se referme inachevé, témoin d’un
système défaillant 67. Passagers et gens de mer ne sont pas dupes. Ils connaissent
parfaitement la réalité et savent que leurs biens seront mis sous la tutelle de
l’Institution des Bienes de Difuntos. Certains tentent donc en rédigeant un
testament d’empêcher la mise en place de la procédure. En 1601, Pedro Noguera,
marin du navire Nuestra Señora de la Rosa, souffrant du « mal de la peste »,
rédige ses dernières volontés à bord. Il nomme son frère héritier et indique
34 qu’ils ont tous deux embarqué des marchandises pour les revendre en Amérique.
Quatre jours plus tard, il décide d’écrire un codicille dont la principale clause
concerne les Biens des Défunts qui selon lui disparaissent en frais de procédure
excessifs. Il demande alors à ce qu’aucun juge ne puisse demander des comptes
à ses exécuteurs testamentaires, mais en vain 68. Ces précisions montrent que
l’Institution des Biens des Défunts au xviie siècle inspire la plus grande crainte.
Elle entrave le bon déroulement des transactions commerciales et ôte toute
liberté aux héritiers en les empêchant de jouir immédiatement des biens qui leur
ont été laissés. En 1610, un passager voyageant sur le navire Capitana de la flotte
de la Mer du Sud, rédige son testament et ne manque pas d’insérer une clause
analogue à celle de Pedro de Noguera. Il réclame qu’aucune justice ni juge des
Biens des Défunts n’intervienne dans la remise de son héritage 69.

66 En 1659, le procureur de la Casa engage alors des poursuites : « Dice que como consta del
ymbentario de los bienes de don Pedro Belasco mendieta que murio en la Capitana, la buelta
de españa, se depositaron para que los trujese a ella el capitan Martin de ansuelo, el qual no
los a remitido ni entregado en esta Real Cassa como tiene obligacion », AGI, Cont. Auto de
Bienes de Difuntos, año de 1659, leg. 439B, n° 4, fol. 4.
67 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg. 461, n° 1, ramo 10, fol. 1-14.
68 « Y porque se suele y acostumbran los que mueren en desta ramera [sic] En los vienes de
difuntos suele entremeterse en ellos el general agudizandolos al arca de los difuntos o de
otras formas de manera que los dichos vienes son retenidos y las dichas partes con ezesibos
gastos los suelen bolver a Sacar y las mandas de los dichos testamento y Cumplimiento de
alma suelen no tener efecto que los dichos testadores Pretenden asi que yo es mi boluntad
en ninguna manera que no se entremetan el dicho general, ni Juez ni otra persona alguna a
pedir ni Tomar Bienes ningunos ni ninguna quenta a los dichos albaceas… », AGI, Cont. Auto
de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 264, n° 1, ramo 8, fol. 7.
69 « Y es mi boluntad que ningunas justicias de su majestad ni otras quales que verificara de
bienes de difuntos no se entremeta ni le pida quenta [a su albacea] de la dicha mi hacienda
por que yo tengo confianca y satisfacion del dicho Juan de Salas… », AGI, Cont. Auto de
Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 294, n° 2, ramo 7, fol. 7.

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Ces différentes requêtes sont pourtant rapidement oubliées et la procédure,
dès le décès constaté, s’engage sur les navires espagnols 70. Les dernières volontés
des testateurs ne sont donc pas respectées et des autos de Bienes de Difuntos
sont systématiquement dressés. C’est sous la tutelle de l’Institution que les
biens parfois réduits à une peau de chagrin rejoignent ensuite les caisses de la
Casa de la Contratación 71. L’engrenage administratif peut même se déclencher
alors qu’héritiers et défunt voyagent sur la même flotte, voire le même navire.
Même si les ordonnances indiquent clairement que la procédure ne doit être
mise en place qu’en cas de disparition sans la présence d’héritiers à bord 72,
une tout autre réalité se dessine. En 1608, le dépensier de navire Leonardo
Infante meurt de maladie 73. Ses biens sont inventoriés alors que son frère,
voyageant sur la même flotte, réclame inutilement l’héritage laissé 74. En 1700,
un jeune mousse, Sebastián Leonicio, trépasse à bord du navire El Santo Cristo
de Burgos. Bien que son père soit enrôlé dans le même convoi, une instruction
est immédiatement ouverte : le père ne recevra la solde et les biens de son fils 35
qu’après adjudication du général 75. Même en présence de l’héritier, un décès

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


n’est jamais négligé par les autorités qui portent une attention particulière à
toutes les personnes de leur flotte. Elles s’empressent de proposer les biens d’un
défunt dans une vente aux enchères et de gérer avec vigilance le déroulement
des faits. Les autorités maritimes outrepassent donc leur rôle, et intransigeantes,
elles peuvent même intervenir de manière systématique.
Quelles raisons peuvent donc motiver ces pratiques ? Plusieurs hypothèses
peuvent expliquer ce phénomène. Tout d’abord, les ventes sont sans doute
mises en place sous la pression de l’équipage qui souhaite acquérir les biens
d’un compagnon. Il s’agit indéniablement d’un événement social qui unit
les hommes et les regroupe autour d’une personne disparue. Par ailleurs, les
autorités, en décidant de mettre en place ces transactions maritimes, tentent

70 Des clauses semblables sont introduites dans les testaments des émigrants morts en
Amérique et ne sont pas non plus respectées. Dès 1567, Juan de Matienzo objectait à ce
propos : « No embargante que los testadores digan que no les tomen cuenta a los albaceas,
ni se entremetan Justicias ningunas a cobrar sus bienes, que el Juez Mayor las pueda tomar,
y mandar cobrar y inviar a España… », Juan de Matienzo, Gobierno…, op. cit., p. 355.
71 Évidemment, toutes les procédures parallèles qui échappent à l’Institution des Biens
des Défunts n’apparaissent pas dans la documentation. Les lettres des émigrants citées
auparavant confirment néanmoins leur existence.
72 « Pero si […] el difunto dejare nombrado o tuviere heredero forzoso en la dicha armada, flota
o provincia donde fuere, o testamentario […] ; no se introduzca en ello el General y déjelo
administrar o disponer a quien fuere nombrado… », José María Ots Capdequi, Estudios…,
op. cit., p. 335.
73 « Le dépensier d’un vaisseau est celui qui distribue les vivres, aujourd’hui cambusier », dans
Émile Littré, Dictionnaire de la langue française (1876), Chicago, Encyclopaedia Britannica
Inc, 1978.
74 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 1, ramo 6, fol. 1-25.
75 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1700, leg. 982, n° 2, ramo 2, fol. 1-4.

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certainement de soustraire quelques réaux. En effet, le greffier pour chaque
acte notarié perçoit des droits et les exécuteurs testamentaires, en dépit des
ordonnances, s’octroient des indemnités pour leur travail. D’autre part, dans
ces ventes en « circuit fermé », les biens proposés peuvent être achetés à des
prix inférieurs à ceux pratiqués à terre. En effet, seuls l’équipage et les officiers
fixent, en fonction de leurs besoins, les prix des effets à acquérir. Ainsi, des
marchandises exotiques ramenées par les marins peuvent éveiller la convoitise
de l’équipage souhaitant investir quelques réaux avant de débarquer à Séville.
Le 24 août 1619, Alonso Martín Sevillano travaille sur les vergues, lorsqu’il
tombe de la mâture et se noie. Le maître de navire propose alors, le jour même
de son décès, les biens du défunt dans une vente aux enchères sans même les
inventorier. Des petits coussins en velours de Chine, du taffetas de Mexico,
des pains de chocolat et de sucre sont mis en vente et l’on récolte la somme de
1 710 réaux 76. Toutefois, les marchandises, chargées d’une importante valeur
36 commerciale, auraient certainement pu être revendues à Séville à des prix plus
élevés par les héritiers. Assurément, les acquéreurs en ont bien conscience et
souhaitent de la sorte en tirer quelques bénéfices.

Ce panorama de l’Institution des Biens des Défunts en mer est assez sombre ;
celui que nous allons évoquer à présent, en Espagne, l’est tout autant. Ernst
Schäfer soulignait tout d’abord l’important et difficile labeur qui incombe
à la Casa de la Contratación 77. La gestion des Bienes de Difuntos requiert
en effet du temps, de nombreuses écritures et surtout un travail zélé de la
part des officiers. Cependant, ces derniers ne sont pas toujours compétents
et des héritiers malintentionnés profitent parfois des dysfonctionnements
bureaucratiques pour réclamer deux fois la même somme d’argent. Dans
d’autres cas, des personnes malhonnêtes, connaissant les affaires en cours à
l’audience sévillane et mettent en place de véritables escroqueries. Grâce à un
parent ou à un maître travaillant à la Casa de la Contratación, elles s’informent
de l’identité des futurs héritiers et engagent des complices dont les noms ont
des consonances similaires à ceux des bénéficiaires (Juana Coneja / Isabel
Conejera). Par leur truchement, elles acquièrent frauduleusement des héritages
et détournent ainsi d’importantes sommes d’argent 78. Mais ces malversations
sont également le fait de hauts fonctionnaires. En 1595, près de huit millions
de maravédis disparaissent des caisses des Biens des Défunts : c’est la quantité

76 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1619, leg. 949, n° 1, ramo 4, fol. 10-13.
77 Ernst Schäfer, El Consejo Real y Supremo de las Indias: Su historia, organización y labor
administrativa hasta la terminación de la Casa de Austria, Sevilla, Universidad de Sevilla,
1935, p. 82.
78 Ibid., p. 149.

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d’argent dérobée au fur et à mesure par les officiers royaux pour satisfaire leurs
besoins personnels 79. Cette situation critique atteint son apogée, lorsqu’au
début du xviie siècle, Juan Castellanos de Espinosa, un banquier très influent,
est nommé dépositaire des Biens des Défunts. Pour exercer sa charge, le Conseil
des Indes lui demande de verser 133 000 ducats, mais comme il ne possède
pas cette somme, il la soustrait tout simplement des caisses des Biens des
Défunts 80. En 1600, quand il prend possession de sa charge, 153 000 ducats
reposent dans les caisses et, neuf mois plus tard, 90 millions de maravédis en
provenance d’Amérique y sont consignés. Mais en moins d’un an, l’annonce
est officielle, la banqueroute de Juan Castellanos de Espinosa est fracassante.
Plus de 135 185 800 maravédis se sont volatilisés des caisses des Biens des
Défunts et la vente aux enchères précipitée des effets personnels du banquier ne
suffit évidemment pas à combler le déficit. Dans cette tempête financière, les
personnes qui s’étaient portées garantes de Juan Castellanos de Espinosa sont de
surcroît incapables de redresser la situation 81. Assurément, les personnes lésées 37
par ce désastre financier sont avant tout les bénéficiaires des caisses des Biens

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


des Défunts. En 1615, seuls 25 % des fonds sont distribués aux héritiers, tandis
que le reste de l’argent est perdu à tout jamais 82. La belle-sœur d’Antonio
Madurera réclamera ainsi, en vain, les biens laissés par le passager défunt 83. En
1601, la veuve du contremaître Alonso Rodríguez sollicite également auprès
des officiers royaux la solde de son mari, mais les 31 654 maravédis déposés
dans les coffres des Biens des Défunts ont disparu lors de la faillite. Sa demande
demeure pareillement sans réponse 84.
À la suite de ce terrible échec, l’administration des Biens des Défunts échoit à
nouveau à la Casa de la Contratación. Au xviie siècle, deux visitas 85 sont menées
à l’audience sévillane pour juger de son bon fonctionnement. En 1620, le
résultat de la première est désastreux. Une fois de plus, l’administration des

79 Ibid., p. 158.
80 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro I, capítulo XI.
81 Lorsque Juan Castellanos entre en fonction, des associés se portent garants du banquier
à hauteur de 50 000 ducats. Emelina Martín Acosta, « La Casa de la Contratación garante
de un banquero en quiebra: Juan Castellanos de Espinosa », dans Actas del IX Congreso
Internacional de Historia de América, Sevilla, AHILA, Consejería de Cultura y de Medio
Ambiente de la Junta de Andalucía, tomo II, 1992, p. 548.
82 Ibid.
83 En 1615, lorsqu’elle s’adresse aux autorités de la Casa de la Contratación, elle déclare : « y por
aver quedado los dichos maravedis en poder de Juan Castellanos de Espinosa depositario
y Thesorero de bienes de difuntos desta casa Por su quiebra no tubo Hefecto la dicha
cobranza », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1599, leg. 259B, n° 1, ramo 14,
fol. 215.
84 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1600, leg. 256A, n° 1, ramo 17, fol. 1-17.
85 Dans l’Espagne classique, visita, signifie « visite-inspection » (Annie Molinié-Bertrand,
Vocabulaire…, op. cit., p. 119).

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Biens des Défunts pâtit de la corruption des fonctionnaires. Le verdict de la
deuxième visite, en 1654, est identique. Le président et les juges de la Casa sont
même condamnés à de lourdes peines pour avoir soustrait des quantités d’argent
considérables dans les caisses des Biens des Défunts 86. La fraude, cependant,
n’est pas l’apanage d’un corps de fonctionnaires royaux. Elle apparaît également
à d’autres niveaux et reflète irrémédiablement la cupidité qu’éveillent ces
sommes d’argent. Aussi, fermerons-nous ce volet sur la fraude en Espagne en
évoquant les malversations d’un dilgenciero en 1635 87. Miguel de Caballos
se voit dépêché par la Casa de la Contratación dans la ville de Montefrio pour
qu’une Carta de Diligencia y soit communiquée : Pedro de Baena, un émigrant
de la région de Grenade, est mort aux Indes en laissant plus d’un millier de
pesos. Le diligenciero en fait donc l’annonce dans la ville puis se rend dans la
demeure de la future héritière. Il profite du couvert et du gîte offert et, une
fois rassasié, demande à la veuve quatre cents réaux pour son travail sans que
38 la loi l’y autorise. Ayant préparé avec soin son escroquerie, il lit un document
factice pour convaincre l’assistance. Surprise et décontenancée, l’héritière lui
verse 250 réaux et lui donne encore 10 aunes de tissu pour compléter la somme
demandée 88. Quelques mois plus tard, on découvre cependant la supercherie
et un mandat d’arrêt, à la demande de l’héritière abusée, est lancé contre le
diligenciero. Aucune suite ne sera donnée à cette affaire, mais elle reflète les
dysfonctionnements qui perturbent l’Institution des Biens des Défunts. En
amont comme en aval, l’argent éveille la concupiscence de toutes les personnes
intervenant dans le processus de gestion de ces biens.

En guise de conclusion, indiquons deux dysfonctionnements majeurs :


la longueur des démarches et leur coût élevé. À ce propos, Marina Zuolaga
a calculé dans son étude que 17 % des capitaux recueillis aux Indes passent
aux mains de l’administration 89. D’autre part, on constate que le processus
de rapatriement se dilate considérablement dans le temps. Dans le meilleur
des cas, il faut généralement compter deux ans pour que la procédure

86 Ernst Schäfer, El Consejo Real…, op. cit., p. 347.


87 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1635, leg. 604A. Il existe dans la section Contratación de
nombreux procès. Ils peuvent être entamés par des particuliers – ce sont des autos entre
partes – et par des autorités, la Casa de la Contratación ou les généraux de flottes – il s’agit
dans ce cas des autos de oficios.
88 Elle s’exclame tout d’abord et avant de s’exécuter, déclare : « qué cómo pedia tanto dinero
porque otras veces avian venido otros comisarios y diligencieros a lo mismo y solo le avian
dado una dozena de reales […] porque en esta casa se les pagaba un salario… », ibid.,
fol. 4.
89 Marina Zuolaga Rada, Transferencia de capital novohispano a la Península en el siglo xvi,
Sevilla, Universidad de Sevilla, mémoire de recherches non publié, 1987, p. 115.

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aboutisse 90. Toutefois, certains dossiers sont traités avec plus de lenteur
encore et notamment lorsque des procès sont engagés  91. Naturellement, les
litiges qui surviennent entre héritiers, créanciers et procureur alourdissent le
bon déroulement de la procédure. L’auto de Bienes de Difuntos de Miguel de
Zumeta est à ce titre assez significatif 92. En 1643, ce passager est tué par la
foudre à bord du Galion San Augustín, mais lorsque ses biens arrivent à Séville,
les autorités de la Casa de la Contratación découvrent de nombreuses barres
d’argent embarquées frauduleusement. Il transportait cette fortune pour le
compte de différentes personnes auprès desquelles il s’était pourtant engagé à
effectuer un enregistrement en bonne et due forme. Cette mort accidentelle lui
ôte donc la possibilité de remplir ses obligations et de terribles complications
apparaissent à la suite de son décès. Tous les créanciers se manifestent à Séville
et le procureur, au nom de la Couronne, demande réparation. Finalement,
les derniers reçus délivrés par la Casa de la Contratación aux créanciers sont
établis en 1677… soit 34 ans après le début de la procédure. Dans le dossier 39
de Francisco Rodríguez, l’importance des legs pieux et des dons à remettre aux

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


différents membres de sa famille appesantit la procédure 93. Trente-huit ans
s’écouleront entre le décès de ce commerçant et la remise des 500 000 maravédis
destinés à ses cousins, tantes et oncles. La liste pourrait encore s’allonger, mais
terminons par le dossier d’Antonio de Mena 94. En 1646, ce passager qui a « le
mal de la mort » (« le dio el mal de la muerte ») trépasse sur la frégate San Juan
Bautista. Il se rendait au port de Manta, dans la vice-royauté du Pérou. Ses biens
sont donc expédiés à l’audience de Quito puis acheminés jusqu’en Espagne
en 1649. Mais de manière énigmatique, les 87 695 maravédis ne sont versés au
mandataire qu’en 1690, soit 44 ans après le décès d’Antonio de Mena 95. Cette
lenteur des démarches administratives contredit de manière évidente la brièveté
requise par les différentes ordonnances. Au xviie siècle, force est de constater que

90 Cette moyenne a été effectuée à partir de notre échantillon. Sur 1046 dossiers, 459 procédures
aboutissent : c’est-à-dire qu’elles sont complètes et que l’argent est remis aux bénéficiaires.
Pour ces dossiers, nous avons calculé la moyenne des années écoulées entre le décès et la
remise de l’argent : elle est de 1,9 an.
91 La procédure est tout aussi longue pour les personnes décédées aux Indes. Pour le xviie siècle,
dans la vice-royauté de la Nouvelle Espagne, Concepción Algaba remarque que 6 à 7 ans sont
nécessaires pour qu’un dossier soit mené à son terme. Treize procédures excèdent 25 ans,
une dernière atteint un record de 67 ans. Concepción Algaba González, Repatriación de
capitales del virreinato de Nueva España a la Península en el siglo xvii, Sevilla, Universidad
de Sevilla, mémoire de recherches non publié, 1995, p. 18.
92 Cet auto de Bienes de Difuntos se compose de 196 folios. Il retrace une procédure laborieuse
dans laquelle les procès et les réclamations de multiples créanciers se succèdent. AGI, Cont.
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1645, leg. 5581, n° 103, fol. 1-196.
93 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1645, leg. 414, n° 1, ramo 1, fol. 1-503.
94 Nous comptabilisons 17 procédures qui durent de 10 à 20 ans et 8 procédures qui s’écoulent
sur plus de 20 ans.
95 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1691, leg. 464, n° 4, ramo 9, fol. 1-107.

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l’Institution connaît de véritables difficultés ; elle souffre par ailleurs d’une perte
de crédibilité accrue 96. Les émigrants connaissent parfaitement les arcanes du
système et ne veulent plus lui faire confiance. En effet, la vénalité des officiers
royaux, les confiscations effectuées par la Couronne et la lenteur des démarches
sont autant de raisons pour ne plus confier ses biens à l’administration royale.
L’étude de la naissance de l’Institution des Bienes de Difuntos et des causes
de sa création apporte quelques éléments de réponse afin de comprendre les
dysfonctionnements de ce processus de tutelle.

III- UNE INSTITUTION ORIGINALE

Selon Roland Mousnier, « une institution, c’est d’abord […] l’idée d’une fin
déterminée de bien public à atteindre » 97. L’idée de bien public est fondamentale
comme le confirme la lecture du corpus législatif de l’époque 98. Une longue
40 série de lois et de dispositions royales structure en effet l’ordre bureaucratique et
social aux Indes dès le début de la Conquête 99. La naissance de l’État moderne
s’affirme alors à travers la législation, et l’instauration de l’Institution des
Biens des Défunts est à ce titre tout à fait caractéristique. On connaît la volonté
marquée de la Couronne d’établir un contrôle illimité sur toutes les entreprises
coloniales. L’implantation de cette nouvelle force institutionnelle se manifeste
ainsi sur le plan fiscal, commercial, administratif et politique. Par le biais de
l’Institution des Biens des Défunts, elle s’immisce également dans la sphère privée,
dépassant par conséquent ses domaines d’influence originels pour investir un
champ d’action qui ne semblait pas être de son ressort. Enfin, soulignons une
caractéristique significative de l’Institution des Biens des Défunts : les mondes
temporel et spirituel y sont intrinsèquement liés.
A- Les « justes » raisons de sa création

L’éloignement géographique entre défunts et héritiers est à l’origine de cet


appareil bureaucratique érigé sur une multitude de décrets et d’ordonnances
datant des xvi e et xvii e siècles. Un tel mécanisme de rapatriement des
patrimoines mis en place entre les deux continents apparaît comme une

96 Carlos Alberto González Sánchez, Dineros…, op. cit., p. 28.


97 Roland Mousnier, Les Institutions de la France sous la Monarchie absolue, Paris, 1974, p. 5,
cité par Horst Pietschmann, El estado y su evolución…, op. cit., p. 38.
98 Lutgardo García Fuentes a étudié pour sa part la naissance d’un État soucieux du bien de
ses sujets à travers les livres d’Armadas, « Los libros de Armadas, la Casa de la Contratación
y los orígenes del Estado del Bienestar », dans La Casa de la Contratación y la navegación
entre España y las Indias, Antonio Acosta Rodríguez, Adolfo González Rodríguez, Enriqueta
Vila Vilar (dir.), Sevilla, Universidad de Sevilla, 2003, p. 1033-1059.
99 Horst Pietschmann, El estado y su evolución…, op. cit., p. 126.

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innovation réellement surprenante ; mais sur quelles bases une telle législation a-
t-elle pu se construire ? Ses origines juridiques semblent remonter au xiiie siècle.
Un indice ayant trait aux Biens des Défunts apparaît en effet clairement dans le
recueil de lois de Las Siete Partidas puisque la Sexta Partida du recueil législatif
lui est consacrée 100. À ce propos, il est fait mention des personnes décédées
lors des pèlerinages 101. Toute une procédure est ainsi détaillée : les biens du
défunt pèlerin doivent être inventoriés puis remis à l’évêque ou au vicaire de
la région. Une lettre est ensuite envoyée dans la ville d’origine du défunt afin
que ses héritiers soient informés de la situation. Il semble donc probable que
l’Institution des Biens des Défunts, et toute la législation qui en découle, aient
comme antécédent la loi numéro 31 des Partidas 102.
Dans une certaine mesure, la situation est identique en Amérique. Les
déplacements lors d’un pèlerinage ou d’un voyage de conquête impliquent des
problèmes semblables. La disparition d’une personne loin de sa terre natale
et de sa famille entraîne des complications quels que soient l’époque et le 41
lieu. Dans tous les cas, il semble juste que les héritiers puissent bénéficier des

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


biens acquis par leur parent même si le décès survient aux confins du monde
américain. La Couronne espagnole, partant de ce postulat, va donc mettre en
place un cadre législatif lui permettant d’assurer « un juste rapatriement » des
biens en Espagne. Les différentes ordonnances reflètent finalement ce souci
du bien public. Au xxe siècle, un juriste, Faustino Gutiérrez Alviz, reprend
cette idée en affirmant que l’Institution, véritable régime de protection des
droits des héritiers, révèle pleinement la préoccupation des monarques pour
leurs sujets 103. L’administration royale est ainsi présentée comme un gardien

100 José Enciso Contreras s’est intéressé aux fondements juridiques de l’Institution. Il a mis en
évidence l’importance du recueil de lois d’Alphonse X le Sage. C’est le premier historien
à s’être penché sur cet aspect. José Enciso Contreras, Testamentos y autos de bienes de
difuntos de Zacatecas (1550-1604), Zacatecas, Tribunal Superior de Justicia, 2000, p. 15-40.
101 Las Siete Partidas del sabio rey don Alfonso, partida VI, título 1, leyes 31 y 32. Nous avons
utilisé les citations à partir du livre de José Enciso Contreras.
102 La transcription de la loi mérite d’être insérée ici car elle apporte un éclairage novateur sur
la question. Ainsi, si au cours d’un voyage, un pèlerin meurt dans une auberge, le tenancier
doit tout d’abord faire appel à des hommes nobles et justes « y mostrarles todas las cosas
que trae; y ellos estando delante débelas hacer escribir no encubriendo ninguna cosa de
ello, ni tomando para sí ni para otro, fuera de aquello que con derecho para su hostalaje, o si
le hubiese vendido algo para su vianda. Y porque las cosas de ellos sean mejor guardadas,
mandamos todo cuanto les hallare sea dado en guarda al obispo del lugar o a su vicario, y
envíe decir por su carta a aquel lugar [de] donde el finado era que aquellos que con derecho
pudieren mostrar que deben ser sus herederos, que vengan o envíen uno de ellos, con carta
de personería de los otros, y se lo darán », ibid., p. 29.
103 Faustino Gutiérrez Alviz, « Los Bienes… », art. cit., p. 275 : « La introducción de un régimen
de protección de los derechos de los herederos de los que fallecían en Indias supone una
modalidad de extraordinario interés y una beneficiosa innovación en el Derecho de la época,
en el que se refleja, una vez más, la honda preocupación de los Monarcas españoles ».

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garantissant justice et ordre social. Il sera nécessaire toutefois de nuancer cette
vision trop idéale des faits.
Une autre raison est invoquée pour justifier la création de cette tutelle
institutionnelle : la fraude. On en a déjà parlé, elle assaille le Nouveau Monde dès
sa découverte et se manifeste plus précisément dans le domaine successoral 104.
La justification de cette gestion bureaucratique des patrimoines devient dès
lors exemplaire et indispensable. L’approbation de Juan de Solórzano Pereira,
en 1647, en est un bel exemple : « fue muy justo y necesario que esto se proveyese
con mayor atención » 105.
En créant l’Institution des Biens des Défunts, la Monarchie catholique invoque
plusieurs raisons : la distance et la fraude, on l’a vu, mais également l’importance
des clauses pies. Les dispositions testamentaires des sujets espagnols se trouvent
en effet au centre des préoccupations monarchiques. La plupart des demandes
de messes, de fondations de chapellenies et autres œuvres de charité doivent
42 s’accomplir, à la demande des testateurs, dans la péninsule. La terre natale est
fréquemment évoquée dans les dispositions testamentaires des émigrants 106 et,
afin de faciliter la réalisation de leurs vœux, l’intervention de la Couronne se
justifie dès lors par l’aspect moral et chrétien du problème.
B- Les intérêts en jeu

L’Institution des Biens des Défunts apparaît donc comme un instrument


emblématique du pouvoir royal puisque cette administration aux compétences
étendues s’impose comme un appareil de contrôle très élaboré. Elle exerce de
manière unilatérale une pression et une gestion financière des patrimoines.
Parfois, elle transgresse même ses obligations. Les intérêts en jeu sont multiples,
certes, toutefois l’aspect économique apparaît clairement comme l’un des
moteurs. Il serait réducteur d’évoquer uniquement l’Institution sous cet angle,
mais l’importance des capitaux qui transitent dans les caisses incite évidemment
les souverains à exercer une vigilance toujours plus stricte. La réitération des
ordonnances concernant un fonctionnement intègre de la procédure est assez

104 Une capitulation est ainsi adressée, en 1512, au docteur Juan Ortiz de Matienzo dans l’île
de l’Española. On lui expose la situation en ces termes : « Sepades que a causa que en esa
Isla Española e en la Isla de San Juan ay algunos bienes de los defuntos en poder de muchas
personas, algunas que fueron albaceas, e otros que son depositarios, e otros que sin título
ni razón e causa se an entrado en los dichos bienes e los gastan e destrebuyen como suyos
propios… », cité par José María Ots Capdequi, Estudios…, op. cit., p. 286.
105 Juan de Solórzano Pereira, Política…, op. cit., libro V, capítulo VII, número 48.
106 L’importance de ces dispositions testamentaires étroitement liées à la terre d’origine
est analysée dans un article se référant plus précisément aux émigrants de la région de
Santander. María Encarnación Rodríguez Vicente, « La patria chica presente en las últimas
voluntades del emigrante montañés a América », dans Segundo Ciclo de Estudios Históricos
de la Provincia de Santander, Santander, Diputación Provincial de Santander. Instituto
Cultural de Cantabria, 1997, p. 281-289.

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révélatrice. D’autre part, l’existence de ces trésors en provenance des Indes
ne peut qu’éveiller la convoitise des autorités en place 107. L’Hacienda Real est
constamment sollicitée pour faire face aux besoins croissants de la Couronne,
mais celle-ci ne peut pas toujours assumer son rôle. Les caisses des Biens des
Défunts représentent dès lors une éventuelle solution pour remédier aux
problèmes qui menacent les finances royales 108. À l’encontre des ordonnances
qu’elle a elle-même édictées, la Couronne soustrait d’importantes sommes
d’argent des caisses des Biens des Défunts. Au xvie siècle, lorsque les besoins
pécuniaires de la Monarchie catholique ne peuvent plus être satisfaits par les
séquestres d’argent infligés aux particuliers 109, les rois s’octroient une partie
des fonds des Bienes de Difuntos 110. Sur un ton réprobateur, Joseph de Veita
Linaje rappelle que les quantités soustraites sont parfois considérables et la
pratique courante 111. Les exactions royales sont en effet importantes : en 1561,
l’avería 112 doit ainsi rembourser 39 843 maravédis aux caisses des Biens des
Défunts. Guillermo Céspedes del Castillo rappelle à ce propos comment la 43
Couronne utilise les fonds de l’Institution : en 1600, plus de 14 millions de

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


maravédis sont empruntés à cette manne financière 113. En 1633, 500 ducats

107 Francisco Tomás y Valiente, « La sucesión de quien muere sin parientes y sin disponer de sus
bienes », Anuario de Historia del Derecho Español, tomo XXXVI, Madrid, Ministerio de Justicia
y CSIC, 1966, p. 237.
108 C’est sous cet angle pragmatique que Leopoldo Zumalacárregui analyse la situation :
« cuando se tomaba caudales de particulares, era porque no había más remedio, ya que era
su propósito devolverlos ». Leopoldo Zumalacárregui, « Las Ordenanzas de 1531 para la Casa
de la Contratación de las Indias », Revista de Indias, n° 30, Madrid, CSIC, 1947, p. 763.
109 En 1595, 293 151 373 maravédis sont ainsi soustraits aux particuliers. Voir Antonio García-
Baquero González, « Agobios carolinos y tesoros americanos: los secuestros de las remesas
de particulares en la época del Emperador », dans Carlos V. Europeísmo y Universalidad.
Población, Economía y Sociedad, Juan Luis Castellano Castellano y Francisco Sánchez-Montes
González (dir.), Granada, Universidad de Granada y Sociedad Estatal para la conmemoración
de los centenarios de Felipe II y Carlos V, tomo 4, 2000, p. 321.
110 Antonio Domínguez Ortiz s’est également penché sur cet aspect du problème. Son analyse,
plus vaste, porte sur tous les capitaux en provenance des Indes qui sont mis sous séquestre
par la Couronne. Voir son article : « Los caudales de Indias y la política exterior de Felipe IV »,
Anuario de Estudios Americanos, Sevilla, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, CSIC,
1956, p. 311-383.
111 « Eran por lo antiguo muy gruesas las sumas que solían traerse destas cuentas [de bienes de
difuntos] […] y la necesidad […] para aprestos y despachos, y otras cosas precisas, obligó que
se empezasen a tomar prestadas algunas cantidades, siendo bien antiguo este trabajo… »,
Joseph de Veita Linaje, Norte de la…, op. cit., libro I, capítulo XII, n° 4.
112 Impôt ad valorem qui frappe les transports maritimes entre l’Espagne et les Indes de
Castille et qui finance la protection des convois. À partir de la seconde moitié du xviie siècle,
il ne rapporte plus suffisamment car son taux est trop élevé (Annie Molinié-Bertrand,
Vocabulaire…, op. cit., p. 14).
113 Guillermo Céspedes del Castillo, « La avería en el comercio de Indias », Anuario de Estudios
Americanos, Sevilla, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, CSIC, 1945, p. 517-698. Il dit
plus précisément à la page 628 : « acudióse a los intangibles fondos de bienes de difuntos,
por más que las leyes lo prohibiesen; el año 1600 se extraía de los mismos un empréstito de
catorce millones y medio de maravedís ».

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sont employés pour les besoins de la Couronne et en 1653, 30 000 maravédis
pour l’envoi du mercure aux Indes 114. Enfin, Joseph de Veita Linaje observe
qu’entre 1629 et 1632, pas moins de 100 millions de maravédis sont
extraits des fonds des Biens des Défunts. En 1605, Philippe III, conscient des
malversations, ordonne aux juges de la Casa de la Contratación de ne plus
utiliser, y compris pour le service royal, des fonds appartenant aux Biens des
Défunts 115. Or, les différents exemples cités ci-dessus démontrent que cette
instruction n’a nullement été respectée. Il est vrai que la construction de l’État,
sous l’Ancien Régime, se base avant tout sur un État de Finances 116 et, dans
ce contexte, on comprend les motifs qui incitent la Couronne à outrepasser
ses pouvoirs. Au détriment de ses sujets, elle acquiert les Biens des Défunts,
patrimoines de citoyens particuliers sur lesquels elle n’a en principe aucun
droit de propriété.
La tutelle institutionnelle en place repose donc sur les fondements
44 incontestables que représentent la distance, la fraude et le respect des dernières
volontés des testateurs aux Indes. Il serait, en principe, difficile de contester
l’action des monarques qui s’érigent en défenseurs et protecteurs des intérêts
matériels et spirituels de leurs sujets. Néanmoins, ces vastes actions de contrôle
sur le territoire américain s’apparentent parfois à un système protectionniste :
défense et gestion des successions passent exclusivement en leur pouvoir.
Enfin, ne l’oublions pas, la religion – un des trois piliers sur lesquels repose
l’action de la Couronne – revêt parfois le masque idéologique de la volonté
d’une puissance 117. Aussi, n’est-il pas surprenant de constater une confluence
d’intérêts d’ordre économique et spirituel qui permettent à un État naissant de
s’affirmer.
C- Une spécificité espagnole ?

L’Institution des Biens des Défunts semble spécifique à la Couronne


espagnole. Cette tutelle bureaucratique, on l’a vu, s’installe dès le début de
la Conquête, puis, au fur et à mesure des années, son rôle est hypertrophié
par la Couronne dans une perspective qui se veut altruiste 118. Ce système

114 José Muñoz Pérez, « Los Bienes… », art. cit., p. 92.


115 « Que la Casa no se valga de los bienes de difuntos para ningun efecto […] aunque sea con
pretexto de nuestro Real Servicio… », Recopilación…, op. cit., Libro IX, título XIV, ley XXII.
116 Alain Milhou, Pouvoir royal et absolutisme dans l’Espagne du xvie siècle, Toulouse, Anejos de
Criticón, Presses universitaires du Mirail, 1999, p. 49.
117 Joseph Pérez, « L’idéologie de l’État », dans Le Premier Âge de l’état…, op. cit., p. 214.
118 C’était d’ailleurs le souhait de Bartolomé de Las Casas. Il voulait conférer des droits
exorbitants à la Couronne, cette dernière devant essentiellement être au service des royaumes
des Indes, des Indiens et des bons colons. La défiance de Las Casas à l’égard des intérêts
privés des colons l’amenait à souhaiter une action toujours plus vaste de la Couronne. Ces
propos faisaient notamment référence à l’exploitation des mines et à la pérennisation des

237_vmne_c7d.indb 44 8/09/09 20:22:02


bureaucratique assied alors l’autorité royale en lui donnant pleins pouvoirs
sur la gestion des patrimoines de ses sujets. Cette spécificité à caractère
protectionniste souligne l’aspect novateur et exclusif de l’Institution. Au
Portugal, dès le xvie siècle, les expéditions de découvertes rencontrent des
problèmes identiques à ceux connus ultérieurement par les Espagnols lors des
traversées transatlantiques. La mort en mer est un élément perturbateur, mais
les cadres législatifs s’adaptent promptement au contexte maritime. Sur les
navires portugais, une procédure identique à celle appliquée sur les bâtiments
espagnols est ainsi mise en place lors d’un décès. Un inventaire des biens
doit être dressé le jour même du trépas par un greffier, ce dernier ayant dû
proposer auparavant au malade la rédaction d’un testament. Enfin, les biens
peuvent être mis aux enchères si le navire fait route vers l’Inde 119. La réalité
maritime offre peu d’alternatives et il n’est donc pas surprenant de constater
des similitudes dans ces deux procédures ibériques. Toutefois, le Portugal qui
connaît un développement expansionniste remarquable ne créera jamais une 45
institution équivalente à celle des Biens des Défunts même si, sur les nouvelles

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


terres découvertes, une figure de l’autorité lusitanienne gère les biens des
défunts portugais. Luis Vas de Camões exerce par exemple cette charge. Le
« Prince des poètes portugais » 120 part en Orient plus d’une dizaine d’années et
se voit nommé Provedor-Mor dos Defuntos e Ausentes à Macao 121. Il ne remplit
cependant ses obligations qu’une seule année, car il est rapidement destitué.
L’anecdote est au demeurant significative, car elle illustre la présence d’une
figure administrative royale aux confins du monde asiatique. Néanmoins, le
développement d’une administration des Biens des Défunts dans les colonies
portugaises ne s’apparente en rien au système espagnol 122. Elle semble en effet

encomiendas ; ils n’évoquaient pas la gestion des patrimoines des émigrants. Toutefois, ces
visées s’adaptent parfaitement à la situation évoquée ci-dessus. Au service du bien-être de
ses sujets, l’État naissant, par le biais de l’Institution des Biens des Défunts, augmente ainsi
le domaine de ses obligations et compétences. Les propos de Las Casas sont tirés de l’article
d’Alain Milhou, « Patrimoine royal, bien commun et intérêts privés : des Comuneros à Las
Casas », dans Pouvoir royal…, op. cit., p. 55.
119 Madalena Marques dos Santos, « O direito a bordo das naus nas viagens oceânicas »,
dans Catálogo Oficial. Pavilhão de Portugal. Exposição Mundial de Lisboa 1998, Lisboa,
Comissária-Geral da Secção Portuguesa para a EXPO ’98, 1998, 247-248.
120 Épitaphe rédigée par l’un de ses contemporains. Grand Dictionnaire Encyclopédique
Larousse, Paris, Librairie Larousse, 1982.
121 Roger Bismut dans son introduction aux Lusiades retrace l’existence de Camões. On apprend
ainsi que ce dernier « y est fait nommer contrôleur et liquidateur des successions ». Luis Vas
de Camões, Os Lusíadas – Les Lusiades (1572), édition bilingue, traduction du portugais par
Roger Bismut (1954), Paris, Robert Laffont, 1996, p. XXXIII.
122 La législation établie pour le Brésil colonial, lors de l’alliance des deux couronnes ibériques,
connaît des similitudes avec celle des Indes de Castille. En 1609, des tribunaux sont créés.
Parmi leur personnel, plusieurs juges, un procureur et un auditeur général sont nommés ;
c’est la figure du Provedor dos Defuntos qui retient notre attention.

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ne jamais mettre en place un appareil bureaucratique aussi vaste et élaboré que
celui des Bienes de Difuntos. Ce dernier demeure définitivement l’apanage du
système administratif espagnol 123.
D- Une machine administrative au fil des siècles

Une des conceptions de l’État se fonde sur l’idée d’une communauté parfaite
dont personne ne doit limiter le pouvoir : soit, une monarchie soucieuse
du bonheur de ses sujets, mais dans laquelle ceux-ci doivent s’en remettre
à la sagesse du Prince 124. Cette vision pourrait sans doute s’appliquer à la
Couronne espagnole puisque l’Institution des Biens des Défunts représente
cette protection souveraine irrévocable qui annonce la naissance d’un État tout
puissant. L’intensification du contrôle exercé par la monarchie espagnole dans
les territoires d’outre-mer se caractérise par une extension des réglementations
légales 125. Néanmoins, les constats dressés sur le fonctionnement de l’Institution
46 se révèlent assez contradictoires : d’un côté, une extrême rigueur législative
et de l’autre, des dysfonctionnements notoires au sein de l’administration.
Une évolution diachronique de l’Institution permet à ce sujet d’entrevoir son
déclin.
À la fin du xvii e siècle, le nombre de procédures traitées diminue
considérablement. Ce phénomène, observé pour les dossiers dressés à bord, est
identique pour la vice-royauté du Pérou 126 ainsi que pour celle de la Nouvelle
Espagne 127. L’émigration espagnole, en effet, n’est plus de la même nature
qu’au début du xvie siècle. Le départ vers l’Amérique se fait en famille ou
dans la perspective de rejoindre un parent déjà établi. L’aventure américaine
apparaît ainsi comme une expérience plus stable et plus durable. Dès lors, les
problèmes successoraux ne se posent plus dans les mêmes termes puisqu’à la fin
du xviie siècle, de nombreux Espagnols résidant aux Indes sont entourés de leurs
héritiers légitimes. D’autre part, les dysfonctionnements de l’Institution incitent
les émigrants à utiliser des systèmes parallèles de rapatriement de leurs biens.
Lorsque ces hommes esseulés sur le continent américain souhaitent transmettre
leur héritage en Espagne, ils insèrent des clauses secrètes, connues uniquement
de leurs exécuteurs testamentaires, afin de remettre les biens aux destinataires

123 Il existait bien au Brésil la Misericórdia, mais il s’agissait d’une confrérie pieuse qui devait
faciliter, entre autres, le rapatriement des biens des défunts au Portugal.
124 Joseph Pérez, « L’idéologie… », art. cit., p. 192.
125 Horst Pietschmann, « Les Indes de Castille… », art. cit., p. 173.
126 Carlos Alberto González Sánchez, Dineros…, op. cit., p. 28 et 46. Sur 444 autos de Bienes
de Difuntos analysés pour la vice-royauté du Pérou entre 1540 et 1679, 78 seulement se
répartissent sur les trois dernières décennies.
127 Concepción Algaba González, Repatriación…, op. cit., p. 58. Elle remarque que 73,6 % des
dossiers traités pour la vice-royauté de la Nouvelle Espagne se concentre de 1600 à 1640.

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légitimes 128. Par ailleurs, le nombre de passagers qui se rend en Amérique pour
recevoir par voie de succession les biens de leur parent défunt devient de plus
en plus important 129. Parallèlement, la procédure à bord évolue à la fin du
xviie siècle. À cette période, on constate que les biens ne sont plus remis à
la Casa de la Contratación lors d’un décès en mer. Régulièrement, l’exécuteur
testamentaire gère la succession sur les flots et, une fois arrivé en Espagne,
la remet directement aux héritiers. Néanmoins, l’audience sévillane s’efforce
toujours d’exercer une tutelle. Elle exige donc des exécuteurs testamentaires
les comptes liés à la gestion de la succession et plus particulièrement ceux
concernant les dettes du défunt et ses dernières volontés religieuses. Les juges
de la Casa, lorsqu’ils estiment la procédure en règle, valident alors les comptes
présentés par les exécuteurs testamentaires et ferment le dossier dès qu’un reçu
certifie la remise de l’héritage aux destinataires légitimes.
En 1708, Marco Antonio Maza, passager de la flotte de la Nouvelle Espagne,
décède à bord du Navire Nuestra Señora de Begoña  130. Son testament est 47
immédiatement lu, ses biens inventoriés puis remis aux exécuteurs qui se

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


trouvent à bord. Dans ce cas précis, la Casa de la Contratación n’exigera pas la
succession du passager et les coffres de l’audience resteront vides. Elle laissera
ainsi les gestionnaires payer les frais liés aux funérailles, au salut de l’âme ainsi
qu’à la procédure en mer et elle se contentera d’approuver les comptes qui
lui seront présentés. Une lettre de la veuve héritière dépêchée à la Casa de la
Contratación pour certifier la remise de l’héritage mettra fin à cette procédure.
Un autre exemple pourrait encore illustrer cet étiolement de l’Institution.
En 1694, le décès d’Ignacio de Elizondo, passager diputado de comercio, entraîne
une procédure identique 131. Ce grand commerçant nomme ainsi son associé,
voyageant avec lui, exécuteur testamentaire. En agissant de la sorte, ses biens
n’entrent pas dans les caisses de la Casa de la Contratación et une fois de plus les
comptes sont uniquement approuvés par les officiers royaux.
À la fin du xvii e et au début du xviii e siècle, la procédure évolue
incontestablement. L’Institution connaît en effet de nombreux
dysfonctionnements et, parallèlement, la Casa de la Contratación s’affaiblit face

128 Dès 1608, cette pratique est courante et connue des autorités. Philippe III déclare à sujet :
« muchos testadores dejaban sus bienes a persona de confianza, aunque tuvieran padre
e hijos si estos estaban lejos, tan sólo por evitar que pasaren por la Casa », José María Ots
Capdequi, Estudios…, op. cit., p. 340.
129 La législation prévoit en effet cette éventualité. Dans la loi de 1626, il est dit : « Las personas,
que pidieren bienes de difuntos en las Indias, han de parecer personalmente en las Audiencias,
o otros por ellos, en virtud de sus poderes legitimos… », dans Recopilación…, op. cit., libro II,
título XXXII, ley XLV.
130 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1709, leg. 673, n° 7, ramo 2, fol. 1-26.
131 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1694, leg. 465, n° 11.

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au Consulado toujours plus puissant 132. De nombreux conflits liés à la juridiction
de ces deux organismes éclatent alors à cette époque. Désormais, les grands
commerçants refusent de manière catégorique qu’une tutelle étatique interfère
dans leur négoce et la mort en mer n’est plus une raison suffisante pour que la
Couronne s’immisce dans leurs affaires. En 1754, une ordonnance remet en
cause la juridiction de l’Institution des Biens des Défunts en mer et concerne plus
particulièrement la rédaction des testaments de passagers  133. On y reconnaît
l’importance accordée aux commerçants espagnols. Non seulement le roi décide
de ne plus intervenir dans leur succession en leur offrant une liberté pour la
rédaction des testaments, mais il demande également aux généraux et aux juges
des Biens des Défunts de ne plus intervenir dans ce domaine successoral 134. Le
système de rapatriement des biens en mer est bel et bien en train de disparaître. On
assiste alors à un déclin de l’Institution provoqué par la domination progressive
du Consulado sur la Carrera de Indias et l’on constate finalement un déplacement
48 du centre de décision de la Casa de la Contratación au Consulat 135. À la fin
du xviiie siècle, l’audience sévillane disparaît définitivement. En 1790, elle est
supprimée et l’administration des Biens des Défunts est reléguée au Conseil des
Indes 136. José Muñoz Pérez avait déjà remarqué cette évolution administrative
et supposait que les autos de Bienes de Difuntos postérieurs à cette date devaient
se trouver dans d’autres sections des Archives générales des Indes (Escríbanía
de Cámara, Arribadas et Indiferente General) ou dans des fonds documentaires

132 Enriqueta Vila Vilar, « El poder del Consulado sevillano y los hombres del comercio en el siglo
xvii: una aproximación », dans Relaciones de poder y comercio colonial, editores Enriqueta
Vila Vilar y Allan J. Kuethe, Sevilla, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, Texas-Tech
University, 1999, p. 7.
133 On y récapitule tout d’abord les ordonnances ayant trait à cet aspect législatif, puis on
retranscrit l’avis des membres du Consulado : « Reconociendo el Consulado por las
individuales noticias con que se halla, lo mucho que importa evitar para el mejor cobro de las
Haziendas de los Cargadores, que assi en el Mar, como en los Puertos de las Yndias fallecen,
lo que ordinariamente suele en tales casos de no estar libremente declarado sus caudales
por el temor que todos tienen de haver de entrar en la Cassa de Difuntos deteniendoles alli
mucho tiempo, o sus herederos, por no entregarlos con aquella brevedad que lo pudieran
hacer los albaceas a quien lo dejan ordenado… ». Archivo General de la Nación de México,
año de 1754, H-H 599-2, fol. 90. Real Cédula de 30 de Henero de 1754 sobre testamentos de
comerciantes que mueren en el viaje de España. Nous tenons à remercier Guillermina del
Valle qui nous a indiqué l’existence de ce document.
134 Ibid., fol. 93.
135 Enriqueta Vila Vilar, « El poder del Consulado… », art. cit., p. 21 et A. Miguel Bernal, La
financiación de la Carrera de Indias, 1492-1824. Dinero y crédito en el comercio colonial
español con América, Sevilla/Madrid, Fundación el Monte, 1992, p. 212-215.
136 La cédule royale indiquant ce changement administratif est conservée à Madrid aux Archives
historiques nationales : « El Rei […] Por Real decreto de 1790 fui servido mandar que
suprimiendose la Audiencia y Contaduria principal de la Contratación de Cadiz se trasladase a
mi Consejo de las Indias el conocimiento y adjudicación de los caudales de difuntos los quales
entrasen en la Tesoreria de mi Real Hazienda de dicha ciudad de Cadiz corriendo la cuenta y
razon respectiva a ellos al cuidado de la Contaduria general del propio mi consejo… », AHN,
Sección Consejo de Indias – Gobierno – Escribanía de Justicia, año de 1792, leg. 43 614. 

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parallèles 137. Il est vrai que certains autos incomplets sont conservés à Séville
dans les sections susnommées 138. Néanmoins, les derniers dossiers traités par
la Couronne espagnole à la fin du xviiie et au début du xixe siècle se situent
dans d’autres archives. Comme l’imaginait José Muñoz Pérez, l’Institution, en
dépit de sa perte d’influence, perdura jusqu’à la fin de l’Indépendance 139. C’est
à l’Archivo Histórico Nacional de Madrid que les dernières procédures traitées
sont conservées. Ces dossiers des Biens des Défunts peuvent être consultés dans
la section Consejo de Indias. Ils sont peu nombreux, se présentent sous forme
de feuillets cousus et rappellent très brièvement les faits. Un document établi
en 1789 par le vice-roi de la ville de Los Reyes informe par exemple Charles IV
du décès de Carlos Pusan du Parquet. Une somme de 7 474 pesos est en jeu
car le défunt, de nationalité française, est mort à Acapulco en rédigeant une
disposition testamentaire non conforme 140. En 1817, le juge des Biens des
Défunts de Mexico s’adresse à son tour au procureur de la « extinguida Real
Audiencia de Cádiz » et l’informe du décès de don Antonio Fades de Silba 141. 49
Ainsi, même si son action est singulièrement réduite, la tutelle monarchique

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


est toujours vigilante. Enfin, les derniers dossiers des Biens des Défunts recensés
se réfèrent uniquement à l’île de Cuba. La dernière possession espagnole sera
soumise à l’administration jusqu’à son indépendance. Des documents datant
de 1857 ont ainsi été retrouvés. Il ne s’agit plus de dossiers épars concernant des
décès traités de manière individuelle, mais de tableaux récapitulatifs. Dans le
dossier Habana 4, une liste de toutes les personnes disparues intestat à La Havane
en 1857 y est par exemple consignée. Le nom, la date du décès, celle du début
de la procédure, la présence de l’inventaire, la valeur de la vente et le nom
des personnes qui réclament l’héritage sont scrupuleusement indiqués 142. Les
derniers comptes-rendus de ce type, recensés à l’Archivo Histórico Nacional,
datent de 1859 et concernent des décès survenus dans les villes de Cienfuegos
et Cardenas 143.
L’Institution des Biens Défunts, décadente au xviiie siècle, perdure toutefois
jusqu’au xix e siècle. Les documents établis témoignent d’un système

137 Il a notamment recensé des autos de Bienes de Difuntos aux Archives de Simancas, les
derniers datant de 1834. José Muñoz Pérez, « Los Bienes… », art. cit., p. 83.
138 Dans la liasse Arribadas 225 des Archives générales des Indes de Séville, des procédures
succinctes sans testament ni inventaire après décès sont consignées. Un récapitulatif
concerne, par exemple, les biens du défunt don Salvador Bentrello mort à La Havane en
1779 (AGI, Arribadas, años de 1779-1792, leg. 225).
139 José Muñoz Pérez, « Los Bienes… », art. cit., p. 83.
140 AHN, Sección Consejo de Indias – Gobierno – Escribanía de Justicia, año de 1789,
leg. 43 614. 
141 AHN, Sección Consejo de Indias – Gobierno – Escribanía de Justicia, año de 1817,
leg. 43 614.
142 AHN, Sección Consejo de Indias – Secretaría, año de 1857, leg. 21 766.
143 AHN, Sección Consejo de Indias – Secretaría, año de 1859, leg. 21 766.

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bureaucratique qui s’éteint au fil des ans, mais qui maintient son action jusqu’à
la fin de l’Indépendance. Cette puissante machine administrative, témoin d’une
époque, disparaîtra finalement lorsque ses raisons d’être seront anéanties par la
perte des derniers territoires d’outre-mer espagnols.

L’Institution des Bienes de Difuntos nous est finalement apparue comme une
machine administrative puissante, qui pénètre dans toutes les sphères de la
société pour mieux la contrôler. Elle révèle, certes, une juste préoccupation
des monarques envers leurs sujets, mais également la naissance d’un État tout
puissant qui assied son autorité pour resserrer les mailles de son action de Séville
aux confins de l’Empire. On peut voir dans ce système de rapatriement, une
tutelle étatique qui s’apparente à une entreprise altruiste, mais également à un
système protectionniste de gestion régalienne. Ainsi, selon les contemporains
de l’Institution, les avis divergent-ils : ceux qui se font la voix de la Monarchie
50 décrivent son indispensable et juste action caritative ; d’autres, dont l’opinion a
difficilement traversé les siècles, expriment en revanche leur mécontentement et
leurs craintes. À travers les lettres personnelles et les testaments, on a découvert,
de fait, la peur et le refus non dissimulé des hommes redoutant l’implacable
fonctionnement de l’Institution. La consultation des autos de Bienes de Difuntos a
offert plus concrètement une vision assez sombre de ce système de rapatriement.
Plus proche de la réalité que des ordonnances qui lui donnèrent corps, cette
documentation met en lumière les écueils du processus administratif. On
ne peut toutefois se limiter à cette seule interprétation. Malgré de nombreux
dysfonctionnements, cet organisme perdure pendant plus de trois siècles. Des
milliers de patrimoines rapportés des Indes, puis redistribués aux héritiers
légitimes en Espagne, passent entre les mains de la Couronne espagnole qui
assume un rôle primordial dans ce dispositif financier. Si la Monarchie a bel et
bien profité d’une incroyable manne financière, elle a par ailleurs rempli une
fonction novatrice en créant un système inédit de protection successorale aux
Indes et en Espagne 144. Cette machine administrative, malgré ses imperfections,
a alors produit une masse considérable d’actes notariés et administratifs très
détaillés visant à assurer un juste rapatriement des biens. Elle a naturellement
laissé un fonds documentaire inestimable qui a été conservé dans des archives à
la fin du xviiie siècle, puis étudié à partir du xxe siècle.

144 Antonio Miguel Bernal rappelle que l’émergence des États-nations européens va de pair
avec la création de nouvelles institutions, aux Indes notamment pour l’Espagne. Ainsi
Métropole et colonies entretiennent-elles des liens étroits, mais aussi subordonnés : d’une
part, les nouveaux royaumes dépendent de l’autorité de la Couronne espagnole, d’autre
part l’Espagne dépend, quant à elle, des ressources économiques provenant des Amériques
(España, proyecto inacabado: los costes-beneficios del imperio, Madrid, Marcial Pons, 2005,
p. 20-21).

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IV- LE FONDS DOCUMENTAIRE DES BIENS DES DÉFUNTS

La documentation principale produite par l’Institution des Biens des Défunts,


celle qui nous intéresse et à partir de laquelle nous avons travaillé, est conservée
dans le fonds Contratación des Archives générales des Indes de Séville dans plus
de sept cents liasses contenant chacune environ une dizaine d’autos de Bienes
de Difuntos.
A- La composition d’un auto de Bienes de Difuntos

Un dossier se présente sous la forme de folios cousus. Ceux-ci peuvent être


très nombreux, certains autos se composent de centaines de feuilles, tandis que
d’autres, plus succincts, de quelques-unes uniquement. Cependant, pour une
procédure complète et sans procès engagé, la moyenne atteint une cinquantaine
de folios. La page de garde des dossiers indique le nom du défunt parfois la
date et le lieu du décès ; dans certains cas, on lit même une oraison jaculatoire,
le nom des héritiers voire les différentes quantités d’argent à percevoir. La 51
couverture du dossier du passager Juan Gerardo, mort à bord du galion La

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


Santísima Trinidad, est à ce titre intéressante, car elle se distingue par son aspect
esthétique recherché 145. Selon les aptitudes ou velléités du greffier, le premier
feuillet du dossier peut se composer d’un acte notarié ouvrant tout simplement
la procédure, ou a contrario d’une superbe couverture. Les autos de Bienes de
Difuntos de Joaquin Carrasco 146 et de Miguel Suber 147, datant de 1772, sont
à ce à ce propos remarquables. En revanche, quelques années auparavant, la
couverture du dossier de Pedro de Noguera se résume à un simple folio griffonné
sur lequel différents comptes ont été annotés 148. Au milieu de ces opérations, le
nom du défunt apparaît sous le signe de la croix qui doit introduire le document
dans un espace sacré.
1- Pièces produites sur le continent américain

Les documents qui composent un auto sont émis depuis deux lieux
géographiques différents lorsqu’un décès survient sur le continent américain :
un tribunal des Biens des Défunts, en Amérique, et la Casa de la Contratación,
en Espagne. Le dossier d’un défunt peut tout d’abord contenir une variété
importante de pièces administratives rédigées aux Indes comme le testament,
les déclarations de témoins, l’inventaire des biens du défunt, l’acte de la

145 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1675, leg. 558, n° 4, ramo 3, fol. 1.
146 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1772, leg. 5668, n° 3, fol. 1. Voir
annexe n° 2.
147 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1772, leg. 5670, n° 2, fol. 1. Voir annexe n° 3.
148 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 264, n° 1, ramo 8, fol. 1.

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vente aux enchères ou les comptes présentés par les exécuteurs testamentaires
aux juges 149.
2- Pièces produites dans la péninsule ibérique

La liste des documents produits sur le territoire espagnol par l’audience


sévillane est tout aussi variée que celle émise aux Indes. Apparaisent ainsi les
procès-verbaux dressés à la Casa de la Contratación, la Carta de Diligencia,
les demandes des héritiers, les actes de baptême ou de mariage, des lettres
personnelles ou encore l’adjudication des biens aux héritiers 150.
Un dossier complet peut donc contenir des pièces administratives hétéroclites.
Celles qui sont émises aux Indes ouvrent parfois l’auto, mais, lorsque les démarches
de réclamation s’engagent en Espagne, les documents rédigés dans la Péninsule
sont tout d’abord insérés dans le dossier, puis ce sont ceux émis en Amérique
qui, mélangés à d’autres documents espagnols, mettent un terme à la procédure.
52 L’organisation d’un auto n’est donc pas soumise à des règles strictes et la variété
des cas de figure traités modifie l’aspect et l’intérêt de chaque dossier consulté.
D’autre part, un auto de Bienes de Difuntos peut se réduire à une pièce unique (un
testament ou un inventaire de biens) et ainsi constituer, à lui seul, une procédure.
Les informations obtenues sont minimes, mais elles indiquent fatalement le

149 Voici la liste complète : un procès-verbal certifiant le décès (fe de muerte). Le testament,
lorsqu’il a été rédigé. Un procès-verbal dans lequel les différentes déclarations de témoins
sont enregistrées (testificaciones). Une ou des réclamations émanant d’un créancier du
défunt, lorsqu’elles ont lieu d’être (petición). Différents procès-verbaux dressés par le juge
des Biens des Défunts pour mener à bien le déroulement de la procédure (mandamiento,
decreto, notificación…). Un acte notarié dans lequel est dressé l’inventaire post mortem
des effets de l’émigrant espagnol décédé. Le même acte notarié avec une estimation des
biens (tasación de los bienes). La vente aux enchères rédigée par un notaire (almoneda).
Un procès-verbal certifiant la remise de l’argent aux exécuteurs testamentaires ou
tenedores de bienes. Les accusés de paiement rédigés par les créanciers lorsque les
gestionnaires de l’héritage leur versent les sommes dues (recibos). Les comptes présentés
par les exécuteurs aux juges, dans lesquels ils font apparaître les frais de procédure, les
différentes dépenses liées aux funérailles, au salut de l’âme et aux dettes du défunt
(resolución de cuentas). Un procès-verbal dressé par les autorités de l’audience dans
lequel on indique l’entrée de l’argent dans les caisses des Biens des Défunts. Un autre
document de la même nature, dans lequel on précise le changement de juridiction. C’est le
reçu dressé par le maître d’argent d’un navire qui atteste la remise des biens de l’audience
américaine aux autorités maritimes.
150 Voici la liste complète : un procès-verbal certifiant l’entrée de l’argent dans les caisses
de la Casa de la Contratación (fe de registro). L’avis placardé sur la porte du Pardon de la
Cathédrale ou la Carta de Diligencia pour annoncer l’arrivée des biens. Des procès-verbaux
faisant état des demandes des héritiers. Des actes de baptême, de mariage, de dot, des
lettres personnelles et parfois même des arbres généalogiques sont inclus pour légitimer la
demande des futurs bénéficiaires. Un pouvoir par-devant notaire dans lequel un mandataire
est nommé lorsque les héritiers ne se présentent pas à Séville (poderes). Différents procès-
verbaux dressés à la Casa de la Contratación par les juges de l’audience (pedimientos,
decretos, mandamientos…). L’adjudication des biens aux héritiers (adjudicación). Les reçus
délivrés par la Casa de la Contratación aux héritiers ou créanciers certifiant la remise de
l’argent (cartas de pago).

237_vmne_c7d.indb 52 8/09/09 20:22:09


nom d’une personne et témoignent dès lors de son existence en rappelant la
trajectoire toujours unique d’un homme. En revanche, certains dossiers sont
excessivement volumineux, car ils contiennent toutes sortes de documents
administratifs privés et notariés. Dans ces autos formés de centaines de folios,
des procès sont généralement consignés. Celui de Jorge García comporte plus de
800 folios car différents litiges surviennent entre les héritiers et une fondation
de chapellenie complique de surcroît la procédure 151. La complexité du dossier
entraîne l’ouverture de deux autos pour cette même personne 152. Lorsqu’un
dossier se dédouble de la sorte, l’information se répète et parfois, entre différents
procès-verbaux copiés, de nouveaux apparaissent. Il va sans dire que les méandres
procéduriers de ce type produisent un écheveau difficile à démêler.
B- Les particularités d’un dossier dressé à bord

En mer, la rédaction d’un auto de Bienes de Difuntos est immédiate. Le


dossier dressé à bord se compose de documents identiques à ceux produits en 53
Amérique ; l’unique différence réside dans le fait que la procédure a lieu en

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


circuit fermé : au sein du navire ou de la flotte. Dès qu’un décès survient, le
greffier doit consigner l’événement dans un procès-verbal sur lequel figurent
le nom de la personne, celui du navire, du maître, du général de flotte, la date,
le lieu et parfois la cause du décès. Lorsque les bâtiments arrivent aux Indes, les
gens de mer, les gens de guerre et les passagers sont toujours sous la juridiction
de l’autorité maritime et, en aucun cas, les tribunaux des Biens des Défunts ne
peuvent intervenir. C’est pourquoi le processus de rapatriement des biens se
déroule en circuit fermé, sous la tutelle du maître de navire ou du général de
la flotte.
Dans les déclarations de témoins qui sont ensuite consignées dans le dossier
après l’acte de décès, on apprend quelle était la profession du défunt, ses origines,
son état civil et de temps à autre le déroulement des funérailles en mer. Ces
indications contiennent des informations d’une très grande richesse et, sous leur
forme extrêmement répétitive, elles livrent fréquemment de menus détails qui
éclairent la procédure sous un nouvel angle. Le testament, lorsqu’il a été rédigé,
est ensuite inclus dans le dossier 153. La notification de prise en charge par les

151 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 390, n° 1, ramo 4, fol. 1-840.
152 Pour ce marin, un deuxième dossier reprend deux ans plus tard la procédure en cours. AGI,
Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 395B, n° 8, fol. 1-452. Ce sont au total
1 292 folios de procédure.
153 Dans l’auto du sergent d’armada, Martín de Villanueva, un procès-verbal fait ainsi état de
l’ouverture et de la lecture du testament par le général de la flotte : « El dicho general tomó
en sus manos el dicho testamento y codisilio y con unas tijeras les cortó los hilos con que
estaban cosidos y lebantó los sellos con que estaban serrados y en presencia de su merced y
de los dichos testigos… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1620, leg. 341, n° 1,
ramo 12, fol. 28.

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exécuteurs testamentaires s’ajoute alors aux premiers documents. Dans cet écrit,
ils s’engagent à assumer les responsabilités conférées par les dernières volontés
du testateur. Si le défunt meurt intestat, la procédure est immédiatement suivie
d’un inventaire post mortem des biens dressé par le greffier en présence du
maître et de différents témoins. L’acte notarié, une fois rédigé, vient compléter
le dossier, mais n’est jamais suivi, curieusement, d’une estimation des biens.
Finalement, on consigne l’acte de la vente aux enchères. Ce document, dressé
sur les vaisseaux ou dans un port américain, est extrêmement intéressant, car
le nom des acheteurs, parfois leur profession, la description de l’objet acquis,
le prix payé et dans certains cas le mode de paiement figurent entre chaque
transaction  154. Les comptes présentés par les exécuteurs testamentaires,
accompagnés de chaque reçu de paiement, viennent alors gonfler l’auto de
Bienes de Difuntos. On découvre les différentes confirmations des créanciers
mentionnant le remboursement des dettes, ainsi que d’autres reçus rédigés par
54 l’aumônier et le chirurgien du navire indiquant le montant de leurs prestations.
Le prix des messes à dire pour l’âme du défunt et la description des soins
prodigués y sont par exemple détaillés.
Les documents dressés à bord ne diffèrent en rien de ceux rédigés à terre. La
particularité de ces autos réside uniquement dans le fait qu’ils sont faits sur
les flottes et instruits par les autorités maritimes. Le reste de la procédure en
Espagne, à la Casa de la Contratación, reste identique. La localisation des héritiers
et les légitimations de ces derniers sont pareillement gérées et administrées
par l’audience sévillane. Il existe néanmoins quelques particularités propres
aux autos de Bienes de Difuntos dressés à bord des navires et concernant plus
particulièrement les gens de mer et de guerre. Qu’il s’agisse d’un bâtiment
marchand ou au service de Sa Majesté, les maîtres et le général de flotte sont
formellement tenus d’engager une procédure post mortem afin de connaître le jour
exact du décès et permettre ainsi le versement de la solde due. Ainsi, lorsqu’un
marin décède sur un navire, les jours de travail en mer sont comptabilisés, mais
dès le jour de son décès, ses gains s’arrêtent. Le dicton populaire « hombre muerto
no gana soldada » est assurément bien fondé 155. Un auto de Bienes de Difuntos
existe donc pour chaque membre d’équipage décédant à bord d’un bâtiment 156.

154 Voir annexe n° 4 : inventaire et vente aux enchères des biens de Domingo de Ursola, un
mousse du navire Jesús María y Josefe, mort noyé, en octobre 1637 (AGI, Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1638, leg. 964A, n° 1, ramo 6, fol. 3-4).
155 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres del Océano. Vida cotidiana de los tripulantes de
las flotas de Indias. Siglo xvi, Sevilla, Diputación Provincial de Sevilla, 1992, p. 108.
156 Dans la documentation française, des dossiers semblables sont conservés. Il s’agit des
registres d’écouage dans lesquels figurent des procès-verbaux. Alain Cabantous, « Apprendre
la mer : remarques sur l’apprentissage des mousses à l’époque moderne », Revue d’histoire
moderne et contemporaine, juillet-septembre 1993, Paris, Société d’histoire moderne et
contemporaine, 1993, p. 416.

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On dresse parfois un dossier pour remettre uniquement les gains d’un simple
soldat se réduisant à quelques réaux. L’absence de testament ou de biens à
inventorier n’importe guère et la procédure se déclenche systématiquement
permettant ainsi aux héritiers de réclamer la solde de leur parent. De nombreux
autos de Bienes de Difuntos se présentent donc de manière succincte : quelques
folios retracent une procédure engagée par la mère d’un soldat 157, ou par la
veuve d’un pilote disparu en mer 158. Les procès-verbaux se limitent alors à
cette demande de solde, mais forment toutefois un dossier à part entière et sont
conservés au même titre que les autres autos de Bienes de Difuntos.
Les procédures varient en effet selon les circonstances et, faut-il le souligner,
les instructions ne sont pas toujours appliquées à la lettre. Une multitude de
variantes apparaît ainsi à la lecture de chaque dossier : même si le déroulement
de la procédure est plus ou moins identique, on constate fréquemment des
diversités de cas. De fait, la variété documentaire des Bienes de Difuntos reflète
les spécificités de l’Institution : un savant mélange de bureaucratie royale et 55
de droit privé visant à instaurer un contrôle social de plus en plus marqué en

les biens des défunts L’institution des Biens des Défunts


Amérique et sur les flots.

157 L’auto de Bienes de Difuntos du soldat Diego de Lacier se compose uniquement de trois folios
dans lesquels la mère réclame la solde de son fils. Aucun inventaire de biens, de testament
ni de déclaration de témoins, mais cette simple réclamation constitue un auto à part entière
(AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg.975, n° 1, ramo 13, fol. 1-3).
158 La veuve du pilote principal du navire Nuestra Señora del Juncal, Almiranta de la flotte de la
Nouvelle Espagne en 1631, réclame la solde de son mari défunt d’un montant de 800 pesos.
Le navire ayant fait naufrage, la demande de solde est formulée sans testament, ni procédure
à bord par sa veuve et constitue un auto de Bienes de Difuntos (AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1632, leg. 958, n° 15, ramo 15, fol. 1-11).

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chapitre ii

Un panorama historiographique

I- DES PERSPECTIVES DE RECHERCHES VARIÉES

Les spécificités de l’Institution et la richesse documentaire du fonds de Bienes


de Difuntos permettent à l’historien d’envisager différents axes de recherches.
La complexité et la richesse documentaire de chaque dossier offrent en effet un
éventail surprenant de matériaux mêlant des actes notariés à des documents
personnels comme des lettres ou encore des livres de comptes.
En sélectionnant les dossiers d’un même corps de métiers en Amérique,
des études de type socioprofessionnel peuvent être entreprises. Les grands 57
commerçants représentent à ce titre une catégorie privilégiée : acteurs

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Les Biens des Défunts
commerciaux unissant la Péninsule aux Indes pendant de nombreux siècles,
ils ont fait l’objet de plusieurs études. Certaines d’entre elles ont été étoffées
grâce à ce fonds documentaire qui permet de dresser un profil social élaboré,
d’étudier la puissance économique de chacun et d’analyser les rouages du
commerce transatlantique tout en décryptant les subtils mécanismes de
clientèle 1. D’autres catégories socioprofessionnelles peuvent faire l’objet
d’une telle recherche, mais il est vrai que celle des gens de mer demeure la plus
importante. Marins, mousses, maîtres de navire ou pilotes sont indéniablement
les plus nombreux dans le fonds documentaire et leur participation active en
Amérique se reflète à coup sûr eu égard à cette importante représentativité 2.
Carlos Alberto González Sánchez 3 et María del Mar Barrientos Márquez 4,
travaillant l’un et l’autre à partir de cette source documentaire, l’avaient déjà
constaté.
Le fonds documentaire des Biens des Défunts se prête également à l’élaboration
d’une histoire à caractère économique, car les données chiffrées retraçant la
valeur d’un patrimoine ou le passif d’une fortune sont autant de précieux

 Fernando Fernández González, Comerciantes Vascos en Sevilla. 1650-1700, Vitoria, Servicio


Central de Publicaciones del Gobierno Vasco - Diputación de Sevilla, 2000.
 Signalons toutefois que notre approche méthodologique ne se base pas sur ce critère de
sélection, mais en fonction du lieu de décès : la mer.
 Carlos Alberto González Sánchez, Dineros de Ventura: la varia fortuna de la emigración a
Indias (siglos xvi- xviii), Sevilla, Universidad de Sevilla, 1995, p. 67-68.
 María del Mar Barrientos Márquez, Gaditanos en las Antillas. Un acercamiento a su realidad
socioeconómica a través de los expedientes de Bienes de Difuntos durante el siglo xvii, Cádiz,
Servicio de publicaciones de la Universidad de Cádiz, 2000, p. 59.

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renseignements 5. La documentation des Biens des Défunts permet également
de rassembler toutes les indications souhaitées pour mener à bien des études
de type socio-économiques. Enriqueta Vila Vilar soulignait déjà en 1983 la
valeur exceptionnelle du fonds pour réaliser des travaux de ce type 6. Cette
documentation contribue en effet à éclairer des facettes du monde social
américain. Carlos Alberto González Sánchez a par exemple effectué ce type
d’enquête en étudiant la composition des patrimoines de 444 Espagnols morts
dans la vice-royauté du Pérou 7. Il s’est attaché à comprendre les mécanismes
de réussite aux Indes en analysant, entre autres, les sommes d’argent investies
dans le mobilier, les livres ou encore dans le salut de l’âme. Une approche
pluridisciplinaire de ce genre apparaît comme la plus complète ; elle permet
d’analyser une société sous différents aspects sans jamais négliger les détails de
ses fonctionnements.
Des enquêtes, plus précises encore, peuvent être entreprises grâce à la variété
58 des pièces administratives qui composent un auto. Le testament, les lettres
personnelles incluses dans les dossiers et les déclarations de témoins peuvent
ainsi illustrer une histoire des comportements. Il devient dès lors possible de
s’intéresser aux représentations du monde, aux conceptions spirituelles de chacun
et aux valeurs fondamentales de la famille à travers les deux continents 8.
II- Les Bienes de Difuntos à travers l’histoire

Les pistes de travail évoquées précédemment ont déjà fait l’objet de différentes
études menées de manière globale ou plus fragmentaire. Dans le panorama
historiographique des Bienes de Difuntos, le travail doctoral de Faustino
Gutiérrez Alviz, datant de 1942, se détache de toute évidence 9. Dans cette

 En dépit de son aspect fragmentaire, cette source a déjà été analysée. Sous la direction
d’Antonio García-Baquero, deux étudiantes ont ainsi réalisé des travaux qui mettent en
évidence l’importance des transferts de capitaux entre les Indes de Castille et l’Espagne.
Concepción Algaba González, Repatriación de capitales del virreinato de Nueva España a la
Península en el siglo xvii, Sevilla, Universidad de Sevilla, mémoire de recherches non publié,
1995 et Marina Zuolaga Rada, Transferencia de capital novohispano a la Península en el siglo
xvi, Sevilla, Universidad de Sevilla, mémoire de recherches non publié, 1987.
 Enriqueta Vila Vilar, « La documentación de Bienes de Difuntos como fuente para la historia
social hispanoamericana: Panamá a fines del siglo xvi », dans Jornadas de Investigación
España y América en el siglo xvi, Madrid, CSIC, Instituto Gonzalo Fernández de Oviedo, 1983,
p. 273.
 Carlos Alberto González Sánchez, Dineros…, op. cit.
 Annie Molinié-Bertrand a présenté cet axe de recherche dans A través del tiempo.
Diccionario de fuentes para la historia de la familia, Murcia, Universidad de Murcia, 2000,
p. 35-36.
 Thèse de doctorat, présentée à l’université de Séville, en 1942, publiée la même année
puis rééditée en 1978 ; nous utilisons cette dernière édition. Faustino Gutiérrez Alviz,
« Los Bienes de Difuntos en el derecho indiano. El Juzgado de Bienes de Difuntos » (1942),
Estudios Jurídicos. Anales de la Universidad Hispalense, Sevilla, Universidad de Sevilla, 1978,
p. 273‑371.

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enquête pionnière, l’Institution des Biens des Défunts à travers le corpus
documentaire législatif est analysée sous un angle juridique 10. Il convient ensuite
de signaler, parmi les premiers travaux réalisés sur les Bienes de Difuntos, l’article
de Guillermo Lohmann Villena qui dès 1958 recense aux Archives générales
des Indes, dans la section Contratación, 1 274 dossiers d’émigrants espagnols
morts au Pérou 11. Jusqu’alors, personne n’avait encore dépouillé, ou même
constaté, l’existence des autos de Bienes de Difuntos. Incontestablement, cet
historien péruvien a pris la juste mesure du fonds documentaire en soulignant
le nombre important de documents disponibles pour effectuer des recherches
sur cette zone géographique à l’époque coloniale. José Muñoz Pérez suit ensuite
ses traces et publie en 1982 un article qui suscite un réel intérêt sur les dossiers
des Biens des Défunts canariens 12. Ce travail pose les bases de toutes les études
à venir. Il exploite pour la première fois la richesse documentaire de chaque
dossier, apporte un jugement critique sur le fonctionnement de l’Institution et
révèle de nouvelles pistes de recherches. Enriqueta Vila Vilar publie, un an plus 59
tard, un article fondamental se référant aux Biens des Défunts 13. En étudiant

les biens des défunts Un panorama historiographique


une cinquantaine de dossiers, elle met en lumière les multiples perspectives
de travail et souligne plus particulièrement l’intérêt de cette documentation,
qui permet d’éclairer aussi bien l’histoire régionale espagnole que celle de
l’Amérique. Antonia Heredia étudie quant à elle, dans un article de 1985,
un document caractéristique de l’Institution : la Carta de Diligencia 14. Cette
analyse d’un document spécifique de l’administration royale reliant ses royaumes
transatlantiques est importante puisqu’elle met en évidence la singularité de
la procédure de rapatriement. Pour finir, l’enquête menée quelques années
auparavant, en 1977, par María Encarnación Rodríguez examine les sentiments
religieux et patriotiques qui unissent les émigrants à leur terre natale 15.

10 Cette étude s’appuie sur le vaste corpus législatif indiano transcrit en partie par José María
Ots Capdequi qui a mis en évidence les dispositions novatrices prises par la Couronne dès
le début du xvie siècle en les exposant de manière chronologique. José María Ots Capdequi,
Estudios de Historia del Derecho Español en las Indias, Bogotá, Universidad de Bogotá,
1940.
11 Guillermo Lohmann Villena, « Índice de los expedientes sobre bienes de difuntos en el Perú »,
Revista del Instituto Peruano de Investigaciones Genealógicas, XI, Lima, El Instituto, 1958,
p. 58-133.
12 José Muñoz Pérez, « Los Bienes de Difuntos y los canarios fallecidos en Indias », dans Actas
del IV Coloquio de Historia Canario-Americana, Gran Canarias, Cabildo Insular de Gran
Canarias, 1982, tomo II, p. 78-132.
13 Enriqueta Vila Vilar, « La documentación… », art. cit., p. 259-273.
14 Antonia Heredia Herrera, « La carta de diligencia de bienes de difuntos », dans Recopilación de
estudios de diplomática indiana, Sevilla, Diputación provincial de Sevilla, 1985, p. 98‑110.
15 María Encarnación Rodríguez Vicente, « La patria chica presente en las últimas voluntades del
emigrante montañés a América », dans Segundo Ciclo de Estudios Históricos de la Provincia
de Santander, Santander, Diputación Provincial de Santander. Instituto Cultural de Cantabria,
1977, p. 281-289.

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Les travaux précédemment cités éveillent la curiosité des chercheurs et quelques
années plus tard de nombreuses études voient le jour. La richesse du fonds
documentaire est évidente, mais la complexité des procédures décourage sans
doute quelques historiens confrontés aux inextricables autos. De nombreux
articles à caractère éminemment régional envahissent le champ historiographique
espagnol sans apporter pour autant toutes les réponses souhaitées 16. Le fonds
documentaire est alors utilisé pour servir les intérêts de l’histoire régionale du Pays
basque par exemple ou de l’Andalousie 17. En revanche, une série d’articles aborde
de façon novatrice la documentation des Biens des Défunts. On analyse alors les
transferts de capitaux en Espagne 18, les fondations de chapellenie en Amérique 19,

16 Francisco Canterla y Martín de Tovar, « Autos de bienes onubenses fallecidos en la empresa


de América en el siglo xvi », dans Andalucía y América en el siglo xvi. Actas de las II Jornadas
de Andalucía y América, Sevilla, Escuela de Estudios Hispano-Americanos de Sevilla, 1983,
60 p. 227-248. Francisco Canterla y Martín de Tovar, « Hombres de Ayamonte en la América del
xvii », dans Andalucía y América en el siglo xvii. Actas de las III Jornadas de Andalucía y América,
Sevilla, Escuela de Estudios Hispano-Americanos de Sevilla, 1985, p. 63-92. María Encarnación
Rodríguez Vicente, « Trianeros en Indias en el Siglo xvi », dans Andalucía y América en el siglo
xvi…, op. cit., p. 135-146. Virgilio Fernández Bulete, « Hombres de Cádiz en Indias (1699-1702) a
través de los Bienes de Difuntos », Anales de la Universidad de Cádiz, V-VI, Cádiz, Universidad
de Cádiz, 1989, p. 153-165. Rocío de los Reyes Ramírez, « Autos de Bienes de Difuntos de
Portuenses en el Siglo xviii », dans El Puerto, su entorno y América, El Puerto de Santa María,
Ayuntamiento del Puerto de Santa María, 1992, p. 237-248. María Magdalena Guerrero Cano,
« Los bienes de difuntos catalanes en Indias y su traslado a través de la Casa de Contratación »,
Gades, n° 20, Cádiz, Diputación de Cádiz, 1992, p. 173-197. María del Carmen Martínez Martínez
y María José Espinosa Moro, « Expedientes de Bienes de Difuntos valisoletanos en el Archivo
de Indias », dans Proyección Histórica de España en sus tres culturas: Castilla y León, América
y el Mediterráneo, Valladolid, Junta de Castilla y León - Consejería de Cultura y Turismo, 1993,
tomo I, p. 523-527. María del Mar Barrientos Márquez y María Magdalena Guerrero Cano, « Los
Bienes de Difuntos vascos en las Antillas », dans Emigración y redes sociales de los vascos en
América, Vitoria/Gasteiz, Servicio Editorial de la Universidad del País Vasco, 1996, p. 399-409.
José Antonio Armillas Vicente, « Bienes de Difuntos Aragoneses en Indias », dans VII Congreso
Internacional de Historia de América. La Corona de Aragón y el Nuevo Mundo: del Mediterráneo
a las Indias, Zaragoza, Diputación General de Aragón, 1998, tomo 1, p. 67-95.
17 María del Mar Barrientos Márquez, Gaditanos…, op. cit. Antonio García Abasolo, La vida y la
muerte en Indias. Cordobeses en América (Siglos xvi-xviii), Córdoba, Monte de Piedad, 1992.
Il publie également un article et souligne la richesse du fonds documentaire : « Notas sobre
los bienes de difuntos en Indias », dans Homenaje a Ismael Sánchez Bella, Pamplona, 1992,
p. 273-281.
18 Carlos Alberto González Sánchez, « Repatriación de capitales del virreinato del Perú en el
siglo xvi », Estudios de Historia Económica, n° 20, Madrid, Banco de España, 1991, p. 10-123.
Voir également du même auteur, « Una fuente documental para la historia de los vascos y
las Indias: los bienes de difuntos », dans Diccionario biográfico vasco. Méritos, servicios y
bienes de los vascos en el Archivo General de Indias, San Sebastián, Sociedad de estudios
Vascos, 1989, p. 265-280.
19 Javier Ortiz de la Tabla Ducasse, « Emigración a Indias y fundación de capellanías en
Guadalcanal, siglos xvi y xviii », dans Actas de las I jornadas de Andalucía y América, Sevilla,
Universidad de Santa María de la Rábida, 1981, p. 443-459, ou encore du même auteur,
« Rasgos socioeconómicos de los emigrantes a Indias. Indianos de Guadalcanal: sus
actividades en América y sus legados a la Metrópoli, siglo xvii », dans Andalucía y América en
el siglo xvii…, op. cit., p. 29-62.

237_vmne_c7d.indb 60 8/09/09 20:22:13


la participation portugaise dans la Carrera de Indias 20 ou encore la vie et la mort
à bord des navires espagnols au xviiie siècle 21. Carlos Alberto González Sánchez
publie également une histoire culturelle de la diffusion du livre à travers l’Amérique
à l’époque coloniale 22.
Récemment, un historien mexicain a transcrit quelques autos de Bienes de
Difuntos de Zacatecas offrant ainsi une nouvelle source pour l’étude de cette
province 23. Le principal intérêt de cet ouvrage réside, toutefois, dans l’étude
des origines législatives de l’Institution. L’Américaine M. Della Flusche quant à
elle s’est aussi penchée sur la documentation des Bienes de Difuntos produite au
Chili du xvie au xviiie siècle 24. Néanmoins, elle n’a jamais consulté les dossiers
catalogués aux Archives générales des Indes de Séville, mais des copies de ceux
émis sur le territoire chilien et conservés à la Family History Library de Salt Lake
City 25. Cette étude prolixe retrace les procédures engagées au tribunal des Biens
des Défunts de l’audience chilienne et s’attache à l’action des fonctionnaires
royaux au sein de la société coloniale. 61
Antonio García Baquero s’est également intéressé au fonds documentaire

les biens des défunts Un panorama historiographique


des Biens des Défunts afin d’appréhender dans son ensemble l’importance des

20 Maria da Graça Mateus Ventura, « João Fernandes – Périplo de um marinheiro entre Vila Nova
de Portimão e Santiago de Guayaquil. Ou da importância dos Autos de Bienes de Difuntos
para a História Social », dans A União Ibérica e o Mundo Atlântico, Lisboa, Edições Colibri,
1997, p. 127-162.
21 Pablo Emilio Pérez-Mallaína y Juana Gil Bermejo-García, « Andaluces en la Navegación
Transatlántica: la vida y la muerte en la Carrera de Indias a comienzos del Siglo xviii », dans
Andalucía y América en el Siglo xviii…, op. cit., p. 271-296.
22 Carlos Alberto González Sánchez, Los Mundos del Libro. Medios de difusión de la cultura
occidental en las Indias de los siglos xvi y xvii, Sevilla, Universidad de Sevilla, 1999. On
peut encore citer un ouvrage sur les transferts de capitaux en Estrémadure de Luis
Vicente Pelegrí Pedrosa, América en Castuera. El impacto del Nuevo Mundo en una villa
extremeña, Castuera, Ayuntamiento de Castuera en colaboración con la Diputación de
Badajoz, 1993, ainsi qu’un livre sur la présence des femmes en Amérique de María del
Carmen Pareja Ortiz, Presencia de la Mujer Sevillana en las Indias: Vida Cotidiana, Sevilla,
Diputación provincial, 1994, précédé d’un article sur le même thème, « Aproximación a la
mujer a través de los Bienes de Difuntos », Gades, n° 20, Cádiz, Diputación de Cádiz, 1992,
p. 221‑236.
23 José Enciso Contreras, Testamentos y autos de bienes de difuntos de Zacatecas (1550-1604),
Zacatecas, Tribunal Superior de Justicia, 2000.
24 Della M. Flusche, « The Tribunal of Posthumous Estates in Colonial Chile, 1540-1769: Part 1 »,
Colonial Latin American Historical Review, vol. 9, n° 1, Albuquerque, University of New Mexico,
2000, p. 1-66, puis « The Tribunal of Posthumous Estates in Colonial Chile, 1540-1769:
Part 2 », Colonial Latin American Historical Review, vol. 9, n° 2, p. 243-298, suivi de « The
Tribunal of Posthumous Estates in Colonial Chile, 1540-1769: Part 3 », Colonial Latin American
Historical Review, vol. 9, n° 3, p. 379-428 et finalement « The Tribunal of Posthumous Estates
in Colonial Chile, 1540-1769: Part 4 », Colonial Latin American Historical Review, vol. 9, n° 4,
p. 509-528.
25 Dans ces archives situées dans l’état de l’Utah des États-Unis, les fonds du tribunal des Biens
des Défunts de l’audience du Chili y sont par exemple conservés sous forme de microfilms,
travail entrepris par les Mormons.

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capitaux américains expédiés dans la Péninsule 26. Il a dirigé plusieurs travaux de
recherches à partir de ce fonds, notamment la thèse de Carlos Alberto González
Sánchez. Enfin, Annie Molinié-Bertrand a dirigé de son côté plusieurs mémoires
de maîtrise et de D.E.A. qui abordent des thèmes étroitement liés aux attitudes
face à la mort 27. Pour notre part, nous avons publié, dans la continuité de nos
recherches, un article concernant les gens de mer au xviie siècle grâce à une
centaine de dossiers de Bienes de Difuntos dressés en mer 28.
La somme d’études produites est considérable, mais peut-être parfois d’inégal
intérêt 29. Cette source, riche, abondante et variée, n’a pas encore livré tous ses
secrets. Aussi, avons-nous décidé d’exploiter les autos des personnes disparues
en mer au xviie siècle pour retracer le parcours de plus d’un millier d’individus
dont les dossiers reposaient depuis des siècles dans les Archives générales des
Indes de Séville.

62
III- MÉTHODOLOGIE

Dans ce vaste champ documentaire, il était nécessaire de déterminer une


méthodologie pour sélectionner tous les documents qui allaient faire l’objet de
cette étude. Les différentes enquêtes menées sur le continent américain invitaient

26 Antonio García-Baquero González, « Agobios carolinos y tesoros americanos: los secuestros


de las remesas de particulares en la época del Emperador », dans Carlos V. Europeísmo y
Universalidad. Población, Economía y Sociedad, tomo 4, Juan Luis Castellano Castellano
y Francisco Sánchez-Montes González (dir.), Granada, Universidad de Granada y Sociedad
Estatal para la conmemoración de los centenarios de Felipe II y Carlos V, 2000, p. 309-336.
27 Delphine Tempère, Les Biens des Défunts des Espagnols à Cuba au xviiie siècle. Patrimoines et
préoccupations religieuses, mémoire de maîtrise sous la direction d’Annie Molinié-Bertrand,
Paris, université Paris-Sorbonne, 1998. Citons encore Sybille d’Arbonneau, Les Bienes de
Difuntos des Andalous décédés à Carthagène des Indes au xviie siècle, mémoire de maîtrise,
sous la direction d’Annie Molinié-Bertrand, 1999. Delphine Tempère, La Carrera de Indias et
ses hommes. Vivre et mourir à bord des navires espagnols (1640-1665), mémoire de D.E.A.,
1999 et Philippe Pérot, Vivre et mourir à Puebla de los Ángeles au xviie siècle. Activités, société
et mentalités dans une ville de la Nouvelle Espagne à travers les Bienes de Difuntos, mémoire
de D.E.A., 2004. Philippe Pérot a également publié un article sur la nature des relations
entre esclaves et blancs à Séville à partir de cette documentation, « Ambigüedades de la
convivencia entre esclavos y blancos en la Sevilla del siglo xvii », dans La utopía mestiza:
reflexión sobre sincretismo y multiculturalismo en la cultura latinoamericana, dir. Maryse
Renaud, Poitiers, université de Poitiers, CNRS, 2007, p. 285-296. Il prépare sa thèse de
doctorat sous la direction d’Annie Molinié-Bertrand.
28 Delphine Tempère, « Vida y muerte en alta mar. Pajes, grumetes y marineros en la navegación
española del siglo xvii », Iberoamericana. América Latina – España – Portugal, n° 5, Berlin,
Instituto Ibero-Americano, 2002, p. 103-120.
29 Dans le glossaire confectionné par Mervyn Francis Lang, on découvre ainsi une définition
inexacte des Bienes de Difuntos : « Impuesto sobre la hacienda de las personas fallecidas.
El procedente del derecho de Bienes de Difuntos se manejaba en Sevilla por la Casa de
la Contratación ». En aucun cas, les Biens des Défunts ne peuvent être considérés comme
un impôt. Cet exemple montre finalement que l’Institution et son fonds documentaire
sont encore relativement méconnus (Mervyn Francis Lang, Las flotas de la Nueva España
(1630‑1710), Despacho, Azogue, Comercio, Sevilla, Muñoz Moya Editor, 1998, p. 334).

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à aborder la documentation d’une tout autre façon. Il fallait se détacher de
l’ensemble des travaux produits et porter un regard nouveau sur les documents.
Le nombre important de dossiers dressés en mer avait déjà attiré l’attention de
Carlos Alberto González Sánchez. Sur ses conseils, l’aventure américaine et
plus précisément ses tribulations en mer allait devenir l’objet de cette étude.
De nouvelles perspectives s’ouvraient puisque l’étude de la vie à bord allait
permettre d’analyser les liens unissant l’Espagne à l’Amérique 30. Il fallait dès
lors faire sortir du silence des Archives des centaines de dossiers de simples
marins, mousses ou pages morts en mer et condamnés à l’oubli poussiéreux
des papiers jaunis. C’est toute une population anonyme de gens de mer, de
guerre et de passagers qui allaient recouvrer la parole à l’aide des dossiers dressés
à bord le jour même de leur décès. De nombreuses études s’attachent depuis
longtemps à comprendre le mode de fonctionnement de la société coloniale
en Amérique et les liens qu’elle entretient avec l’Espagne ; toutefois, aucune
enquête n’a tenté de saisir ce moment particulier, le voyage, pour analyser les 63
multiples connexions qu’il engendre 31. Dans ce dessein, nous avons décidé de

les biens des défunts Un panorama historiographique


sélectionner tous les dossiers des Biens des Défunts dressés à bord des navires
au xviie siècle. Pour constituer l’échantillon, deux critères fondamentaux ont
été retenus : le cadre géographique et des limites temporelles. La mer, vaste
étendue géographique, a tout d’abord permis de sélectionner les dossiers des
personnes disparues sur l’océan Atlantique et sur l’océan Pacifique. Les dates
qui limitent l’objet de notre étude, 1598-1717, ont ensuite resserré les mailles
du filet. Le choix du xviie siècle est significatif : de la mort de Philippe II au
transfert de la Casa de la Contratación à Cadix, plus d’un siècle s’écoule 32.
Cette analyse s’inscrit donc dans la longue durée, d’autre part, le xviie siècle,
époque de l’histoire espagnole qui avait été trop souvent délaissée, méritait que
l’on s’y intéresse davantage 33. Mille quarante-six autos de Bienes de Difuntos
ont alors été sélectionnés puis minutieusement dépouillés. Cet échantillon

30 Notre travail s’inscrit dans l’histoire des sensibilités qui selon les mots de Frédérique Langue
se veut une nouvelle approche des phénomènes sociaux et de leurs acteurs et qui prête une
« attention particulière au cours ordinaire des choses ». Voir Caravelle, n° 86, L’Amérique
latine et l’histoire des sensibilités, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2006, p. 7.
31 L’ouvrage de Pablo Emilio Pérez-Mallaína a ouvert une voie de recherche. Néanmoins, son
enquête porte sur l’organisation des sociétés maritimes à terre comme en mer au xvie siècle.
Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres del Océano. Vida cotidiana de los tripulantes de
las flotas de Indias. Siglo xvi, Sevilla, Diputación Provincial de Sevilla, 1992.
32 L’année 1717 marque la fin de la prééminence de la ville de Séville. Antonio Domínguez Ortiz,
Orto y ocaso de Sevilla (1946), Sevilla, Universidad de Sevilla, 1991, p. 147.
33 Antonio Domínguez Ortiz, El Antiguo Régimen: Los Reyes Católicos y los Austrias (1988),
Madrid, Alianza Editorial, 1999, p. 333. L’historien rappelle à ce propos que le xviie siècle, « el
siglo olvidado », selon ses propres mots, connaît dorénavant un regain d’intérêt auprès de
nombreux historiens et précise que la notion de « crise » relative à cette période est sujette
à de nouvelles interprétations.

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d’un millier de personnes, s’étalant sur plus d’un siècle, permettait de poser
les bases de travail. Grâce à l’ensemble de ces données, il devenait possible
d’envisager l’analyse des attitudes face à la vie et à la mort sur les vaisseaux
espagnols. Toutefois, pour étoffer cette enquête, la consultation de sources
documentaires parallèles s’imposait. Le fonds des Biens des Défunts possède
avant tout un caractère procédurier. Les spécificités éminemment rigides des
procédures dressées à bord et à la Casa de la Contratación laissent ainsi peu de
place aux sentiments éprouvés par l’équipage ou par la famille du défunt. Une
impression de normalité, ou tout du moins de froideur, se dégage à la lecture
de ces dossiers et le thème principal des procédures, la mort, est traité en toute
simplicité ; à aucun moment une charge émotionnelle ne vient s’immiscer
dans le fonctionnement administratif. La rigueur et la froideur des documents
étaient déconcertantes et il convenait de découvrir d’autres facettes des réalités
maritimes. La vision des événements offerte par les dossiers se cantonnait en
64 effet exagérément aux mécanismes administratifs et semblait réductrice. Il fallait
donc ajouter des éclairages complémentaires capables d’offrir une interprétation
renouvelée. Des lettres de missionnaires livrant de nombreux détails sur la vie
en mer ont donc été étudiées à la Real Academia de la Historia, dans le fonds
des Jésuites ainsi que des relations de voyage dans le fonds Salazar y Castro. Au
Musée Naval de Madrid, des journaux de bord et des récits conservés dans le
fonds des manuscrits ou dans la collection Fernández Navarrete ont fourni des
informations originales. Là, loin des démarches procédurières, les émotions
perçaient et la voix des hommes se faisait entendre. Dans ces mêmes archives,
nous avons encore consulté la collection documentaire Vargas Ponce qui contient
des lettres personnelles du général Juan de Echeverri et quelques ordonnances.
Des relations de voyage manuscrites et imprimées ont également été consultées
à la Biblioteca Nacional de Madrid à la Real Biblioteca de Palacio ainsi que
dans d’autres bibliothèques espagnoles et françaises 34. Ces sources imprimées
pour la plupart offraient un autre regard sur les représentations du monde de
la mer et de ses acteurs. Parallèlement, la prospection des Archives historiques
nationales espagnoles et plus précisément celle du fonds Inquisición s’est révélée
d’une grande utilité. Nous espérions retrouver la trace de gens de mer ayant
fait l’objet d’un procès inquisitorial en Espagne ou en Amérique. Les liasses
volumineuses de ce fonds documentaire ont effectivement livré de précieux
renseignements sur les attitudes hors-norme des gens de mer, ces personnages de
l’instable, perçus à l’époque comme des êtres en marge de la société. Toutefois,

34 Citons les bibliothèques de l’Escuela de Estudios Hispano-Americanos de Séville, de


l’université Hispalense de Séville ainsi que celle de la Casa de Velázquez à Madrid. En France,
les fonds de la Bibliothèque nationale, de l’université Paris-Sorbonne et du Musée de la
Marine ont par ailleurs été consultés.

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ces propos, nous le verrons, devront être nuancés. Les Archives générales des
Indes de Séville comportent d’autre part, dans une sous-section de la série
Contratación, des procès (il s’agit des Autos de Oficio et des Autos entre Partes). Ces
procédures engagées à bord des navires ou en Espagne, retracent avec précision
les événements à l’origine du délit à travers les déclarations des plaignants et
des accusés. Les informations glanées au fil des documents ont apporté des
renseignements sur les pratiques délictueuses des gens de mer et des passagers
confinés dans un navire ou dans un port. Signalons également les documents
conservés dans la série Contratación et intitulés Papeles de Armada. Même si ce
fonds ne donne que de menus détails sur l’organisation de la vie en mer, il n’en
est pas moins digne d’intérêt. Quelques rapports et autres procès entamés par
des gens de mer et de guerre ont été ainsi dépouillés. De nature assez différente,
les papiers conservés dans la série Indiferente General des Archives générales
des Indes ont aussi fourni des renseignements : ces documents mal catalogués
renferment une série de liasses consacrées à l’organisation des flottes. 65
Notre travail n’aurait pu se construire sur ces données trop parcellaires, elles

les biens des défunts Un panorama historiographique


l’ont néanmoins éclairé sous un nouvel angle. Ainsi, les sources documentaires
secondaires consultées dans des archives madrilènes et dans d’autres sections
des Archives générales des Indes ont-elles apporté un éclairage novateur à ce
travail. Les méandres procéduriers des autos ont été un instant oubliés pour lire
les récits empreints d’humanité de missionnaires ou de gens de mer qui s’étaient
aventurés sur les océans.

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chapitre iii

Les navigations espagnoles et les hommes

I- DE SÉVILLE À MANILLE

Les connexions maritimes qui relient la Péninsule au continent américain


constituent un lien vital entre ces deux espaces. Aux confluences d’intérêts d’ordre
économique, politique et social, ces routes transatlantiques et transpacifiques
sont de toute première importance 1. Non seulement, elles tissent un réseau
d’informations, d’idées et d’échanges commerciaux à travers les océans, mais
elles maintiennent également, au xviie siècle, l’Europe en constant rapport avec
le reste du monde, car, au-delà des territoires américains, ce sont aussi les confins 67
du monde asiatique que les Espagnols relient à l’Occident 2.

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Les Biens des Défunts
A- Les routes du xviie siècle

L’organisation maritime des flottes espagnoles relève à bien des égards d’une
prouesse administrative et commerciale. Elle rassemble aussi bien la Carrera de
Indias, avec la flotte de la Nouvelle Espagne et de Terre Ferme, que le Galion
de Manille, et se déploie donc sur plusieurs océans en unifiant infatigablement
l’Espagne aux Indes de Castille et à l’Asie.
1- La Nouvelle Espagne

Pour se rendre dans la vice-royauté de la Nouvelle Espagne, le voyage


commence par la longue descente du Guadalquivir ; les galions parcourent
lentement les seize lieues qui les séparent de la barre de Sanlúcar en profitant
des marées et du vent pour cheminer lentement vers l’océan. Pour les navires
se dirigeant vers le port de La Veracruz, il est recommandé de partir au mois
d’avril car les vents, favorables, rendent la traversée plus facile. Il ne faut qu’une
dizaine de jours pour atteindre ensuite l’archipel des îles Canaries en traversant
le Golfo de las Yeguas. Ces premiers instants de navigation sont en quelque

 John H. Elliott, dans España y su mundo. 1500-1700, Madrid, Alianza Editorial, 1990, p. 24.
Il souligne à ce propos : « mientras que las distancias transatlánticas eran enormes, las
conexiones entre la metrópolis y las colonias eran estrechas y fluidas ».
 Antonio Miguel Bernal, España, proyecto inacabado: los costes-beneficios del imperio,
Madrid, Marcial Pons, 2005, p. 108. L’historien rappelle à ce propos l’aspect novateur des
navigations espagnoles et portugaises assurant le désenclavement planétaire grâce aux
liaisons maritimes reliant l’Occident à l’Orient : « El acierto de los países ibéricos fue sustituir
la estepa por el océano como medio de comunicacion mundial ».

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sorte une mise à l’épreuve, car la mer montre immédiatement sa brutalité :
nombre de passagers et de marins souffrent du mal de mer, symptôme auquel
on échappe difficilement 3. Arrivés aux Canaries, on y fait des vivres et de
l’eau en quantité pour affronter la traversée de l’Atlantique et l’on complète au
besoin l’équipage de quelques marins 4. La navigation transocéanique ne peut se
réaliser sans cette première halte, véritable escale nourricière, d’ailleurs effectuée
dès le début par Christophe Colomb 5. La traversée du Golfo de las Damas, de
l’équateur aux Antilles, se déroule généralement dans le calme puisque l’effet
conjugué de l’alizé et du courant nord équatorial facilite les conditions de
navigation 6. Le père jésuite Antonio Sepp dira même à propos de ces eaux
qu’elles portent le nom de Damas car une jeune fille serait capable de diriger
un bateau dans ce golfe étonnement calme 7. En arrivant à la hauteur de l’île
de la Dominique, la flotte de la Nouvelle Espagne pique sur Saint-Domingue
en laissant la Guadeloupe et la Martinique sur son passage. Les navires y font
68 souvent escale pour se ravitailler en eau et en bois car il leur faut encore longer
les côtes de l’île de Cuba et rejoindre finalement le port de La Veracruz dans
le golfe de Campeche. Les bâtiments à destination de Cuba, du Honduras et
de Porto Rico qui ont voyagé jusqu’alors avec la flotte, se séparent en arrivant
aux Antilles pour rejoindre finalement leur port d’attache 8. Les conditions de
navigation dans cette « Méditerranée américaine » sont toutefois contraignantes
puisque l’existence de cyclones et de renversements de vents retarde parfois les
vaisseaux 9.
2- La Terre Ferme

Le départ des galions de la flotte de Terre Ferme, accompagnés fréquemment


par la Real Armada de la Guardia de las Indias au xviie siècle, a lieu au mois
d’août 10. Les navires chargés en hommes, en marchandises et en munitions se

 Juan de Escalante de Mendoza, Ytinerario de navegación de los mares y tierras occidentales


(1575), Madrid, Colección Clásicos Tavera, Obras Clásicas de Náutica y Navegación, edición
CD-Rom, José González-Aller Hierro (comp.), Madrid, Fundación Histórica Tavera, 1998,
fol. 58. Ce marin aguerri écrit à ce sujet : « Es muy ordinario almadiarse los hombres
cada vez que entran de nuevo en la mar, aunque sean los muy viejos marineros… », ibid.,
fol. 58.
 Pierre et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique, Paris, SEVPEN, 1959, t. VIII-1, p. 355.
 Pierre Chaunu, Séville et l’Amérique. xvie-xviie siècles, Paris, Flammarion, 1977, p. 223.
 Paul Butel, Histoire de l’Atlantique de l’Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 1997, p. 77.
 Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas, edición crítica de las obras del
padre Antonio Sepp, Buenos Aires, Eudeba Editorial Universitaria de Buenos Aires, 1971,
p. 137.
 Antonio García-Baquero González, Cádiz y el Atlántico. 1717-1778 (1976), Cádiz, Diputación
Provincial de Cádiz, 1988, p. 147.
 Paul Butel, Histoire de l’Atlantique…, op. cit., p. 78.
10 La Real Armada de la Guardia de las Indias, escadron naval qui doit patrouiller entre le Cap
Saint-Vincent, les Canaries et les îles des Açores, finit par accompagner au xviiie siècle la

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69

Les routes maritimes espagnoles au xviie siècle d’après la carte tirée les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes
de l’ouvrage de Leslie Bethel (dir.), Historia de América. América latina colonial:
Europa y América en los siglos xvi, xvii, xviii, Barcelona, Critica, 1990

dirigent vers les Canaries puis traversent l’Atlantique en profitant également des
vents (car pendant l’été l’alizé souffle avec une forte fréquence de 90 à 95 %, tandis
qu’en hiver les dépressions creusent l’Atlantique et la fréquence de l’alizé est à
peine supérieure à 50 %) 11. Les navires se dirigent tout d’abord vers le port de
Carthagène 12 pour atteindre finalement celui de Portobelo enclavé dans l’isthme

flotte de Terre Ferme afin de protéger les précieux chargements d’argent en provenance du
Pérou. Clarence Haring, Comercio y Navegación entre España y las Indias en la época de los
Habsburgos (1939), México, Fondo de Cultura Económica, 1979, p. 261.
11 Ibid., p. 75.
12 Voir illustration n° 1. Sur cette carte datant du xvii e siècle, on peut voir les navires qui
s’apprêtent à ancrer dans la baie, ainsi protégés, avant de reprendre leur navigation vers
l’isthme de Panama.

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de Panama. Les bâtiments voguant en direction de Santa Marta, de l’actuel
Venezuela, et de la Margarita s’éloignent du convoi en quittant Trinidad et font
route vers les côtes septentrionales de l’Amérique du Sud. On estime que la durée
des traversées oscille entre soixante-dix et quatre-vingts jours : somme toute, les
conditions de navigation du voyage aller sont extrêmement favorables 13.
3- Buenos Aires

À la fin du xviie siècle, des navires toujours plus nombreux se rendent au port


de Buenos Aires 14. Ils voyagent seuls ou en flotte réduite mais pourvue d’un
bâtiment Almiranta et Capitana 15. Cette liaison économique entre Séville et le
Río de la Plata est qualifiée d’inexistante au xviie siècle par Pierre Chaunu ; de
fait, ce n’est qu’au début du xviiie siècle qu’elle s’affirmera. Comme le remarque
Antonio García Baquero, les vaisseaux voyageront par la suite sans escorte, car
des registros sueltos leur seront plus facilement délivrés par les autorités 16.
70
4- La Mer du Sud

Tout d’abord, les itinéraires terrestres empruntés pour relier l’océan


Atlantique à l’océan Pacifique sont peu connus. La première étape consiste en
effet à faire passer à dos de mules les précieuses marchandises et les hommes en
longeant le fleuve Chagres, insalubre, et en traversant la forêt désagréablement
peuplée de reptiles et de fauves. Une description du passage de l’isthme de
Panama souligne à quel point la rudesse du chemin constitue une épreuve
pour des hommes déjà harassés par une traversée transatlantique 17. Le port
de Panama n’est pas un havre de paix et l’hôpital qui s’y trouve est d’ailleurs
qualifié de « charnier des Espagnols » 18 par le jésuite Hernando de Padilla.
Assurément, le difficile passage de l’isthme a de terribles conséquences sur la

13 Pierre Chaunu, Séville et l’Amérique…, op. cit., p. 234.


14 Pierre et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique…, op. cit., t. VIII-1, p. 1181-1183.
15 En 1699, à Buenos Aires, le galion Capitana Nuestra Señora de las Mercedes est sur le point
d’entreprendre le voyage du retour, le général don Juan de Mascarua est à la tête de la flotte.
AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1701, leg. 5585, n° 78, fol. 1-7. En 1683, le navire
Nuestra Señora del Pópulo y Santa Bárbara fait route vers l’Espagne, le général don Thomas
de Miluti commande ces navires en provenance de Buenos Aires. AGI, Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1683, leg. 977, n° 1, ramo 2, fol. 1-77 y 1-11. Dans la bibliographie que nous
avons consultée, l’existence de ces flottes sous le commandement d’un général n’a jamais
été remarquée.
16 Antonio García-Baquero González, Cádiz…, op. cit., p. 167.
17 Le père jésuite Hernando de Padilla décrit longuement le passage de l’isthme : « quando
llegamos a un rio por donde caminamos casi todas las tres leguas que quedaban, nadando
muchas veces las mulas y lo ordinario el agua medio palmo sobre los estribos con que ibamos
frescos que no avia mas que pedir […] y lo que mas me asombró, que aun debajo del agua iban
las mulas ». RAH, Papeles de Jesuitas, tomo CXXIX, años de 1628-1629, Relación del viaje del
padre Hernando de Padilla a lyma, fol. 550.
18 « […] carnero de los españoles que pasan a estas partes », ibid., fol. 551.

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71

les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes


Les routes maritimes espagnoles au xviie siècle :
De Séville à Carthagène, puis de Carthagène à Portobelo : route de la flotte de Terre Ferme
De Séville à La Veracruz : route de la flotte de la Nouvelle Espagne
De Séville à Buenos Aires : route des navires à destination de Buenos Aires
De la Guinée aux Antilles : route des navires négriers
De Panama au Callao : route de la Mer du Sud
D’Acapulco à Manille : Route du Galion de Manille appelé également la Nao de China
D’après la carte intitulée Grandes líneas comerciales hispano-lusas
tirée de l’ouvrage de Francisco Morales Padrón, Atlas histórico cultural de América,
Las Palmas de Gran Canaria, 1988

santé des voyageurs. La navigation pacifique du port du Panama à celui du


Callao est ensuite périlleuse : le passage de l’équateur et les vents contraires
peuvent transformer ce voyage de cabotage en un périple de quatre à cinq
mois 19. La traversée du retour en direction de l’isthme, lorsque les navires sont
chargés de l’argent extrait des mines du Potosí, s’effectue en revanche dans de

19 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres del Océano. Vida cotidiana de los tripulantes de
las flotas de Indias. Siglo xvi, Sevilla, Diputación Provincial de Sevilla, 1992, p. 23. Fray Diego
de Ocaña décrit quant à lui cette navigation laborieuse en ces termes : « Esta navegación de
Panamá a Lima es penosísima y muy enfadosa porque de continuo vienen los navíos contra
el viento, virando a la mar y a la tierra, dando vueltas a la una parte y a la otra, siempre a la
bolina y el navío tan trastornado que no podíamos tener en pie… », dans Un viaje fascinante
por la América Hispana del siglo xvi, Madrid, STVDIVM ediciones, 1969, p. 36.

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bien meilleures conditions : c’est à peine si le périple dure trois semaines grâce
aux vents favorables 20.
5- Le Galion de Manille

La traversée la plus éprouvante demeure toutefois celle de la Nao de China


reliant le continent américain aux Philippines. Une fois par an, avec la plus
grande régularité, le Galion de Manille quitte le port d’Acapulco. La navigation
transpacifique est étroitement liée aux courants marins et aux vents et c’est
pourquoi les navires partent au mois d’avril pour éviter la mousson 21. Poussés
par les vents, ils n’atteignent le port du Cavite que huit à dix semaines plus
tard : deux mois sont en effet nécessaires pour arriver aux îles Mariannes et
deux semaines supplémentaires pour atteindre le port philippin 22. Malgré
l’importance des délais, cette navigation est qualifiée de tout repos par Pierre
Chaunu car, comme il l’écrit, pour le voyage de retour « de Manille à Acapulco,
72 quelle longue série de drames » 23.
B- Les routes du retour
1- Particularités de la Nao de China

Des Philippines à Acapulco, le voyage est en effet parsemé d’embûches. Les


galions doivent tout d’abord quitter le port du Cavite entre la mi-juin et la mi-
juillet pour éviter les typhons puis remonter vers le nord en longeant les côtes du
Japon pour suivre le courant du Kuro Shivo 24 qui les porte en Californie. Mais
les tempêtes déroutent les navires ; la soif, lors de ces longs mois de navigation,
assaille passagers et marins et le scorbut fait irrémédiablement son apparition.
Gemelli Careri, intrépide voyageur italien, déclare dans son journal qu’il n’y
a pas « de navigation plus longue et terrible que celle des îles philippines à

20 Cette route pacifique a été peu étudiée, citons une des seules monographies à ce sujet de
Bibiano Torres Ramírez et de Pablo Emilio Pérez-Mallaína, La Armada del Mar del Sur, Sevilla,
Escuela de Estudios Hispano-Americanos de Sevilla, CSIC, 1987.
21 Carmen Yuste, « Los tratos mercantiles transpacíficos de los comerciantes de la ciudad de
México en el siglo xviii », dans El Galeón de Manila. Un mar de historias. Primeras Jornadas
Culturales México-Filipinas, México, Consejo Cultural Filipino-Mexicano, J.G.H. Editores,
1997, p. 60.
22 Leoncio Cabrero Fernández, « El Galeón de Manila », dans Manila. 1571-1898. Occidente en
Oriente, Madrid, Ministerio de Fomento, CEDEX y CEHOPO, 1998, p. 181.
23 Pierre Chaunu, « Le galion de Manille. Grandeur et décadence d’une route de la soie »,
Annales Économie. Sociétés. Civilisations, Paris, EHESS, 1951, p. 453.
24 La route du retour découverte par Andrés de Urdaneta, en 1565, dépend également des
courants marins : celui du Kuro Shivo, circulant d’est en ouest de manière circulaire, qui
pousse lentement les navires vers les côtes américaines. En effet, près de 4 à 7 mois sont
nécessaires pour atteindre Acapulco. Juan Gil, « Las rutas del Pacífico », dans As Rotas
Oceânicas. Sécs. xv-xvii, Maria da Graça Mateus Ventura (dir.), Lisboa, Edições Colibri, 1999,
p. 97-105.

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l’Amérique » ; il va même jusqu’à comparer les souffrances de l’équipage à celles
endurées par le peuple de Moïse 25.
2- Retours en convois depuis l’Amérique

Les flottes de Terre Ferme et de la Nouvelle Espagne connaissent des


conditions de navigation plus clémentes lors du voyage de retour. Après avoir
hiverné aux Indes, la flotte de l’isthme appareille en janvier et se dirige vers
La Havane. Les vaisseaux ancrés à La Veracruz quittent le port en février pour
rejoindre, eux aussi, l’île de Cuba, carrefour de la Caraïbe 26. Les bâtiments
doivent en effet se réunir pour entreprendre conjointement la traversée qui
mène les trésors d’Amérique en Espagne. En attendant les retardataires, on
calfate les coques, on ravitaille en eau, en bois et en provisions de bouche dans
la belle rade de La Havane. Au mois de juillet, tous les bâtiments lèvent l’ancre
et forment un escadron puissant face aux attaques potentielles des corsaires
et des pirates. Les navires empruntent tout d’abord le canal des Bahamas 27 73
et mettent le cap sur l’archipel des Bermudes. Zones mythiques, elles sont

les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes


réellement dangereuses, car les tempêtes y sévissent violemment à partir du
mois d’août et les récifs affleurent en ces eaux troubles justement nommées
Cabezas de los Mártires 28.
Même si la dérive nord-atlantique du Gulf Stream porte les navires, la
traversée du retour est assez longue. Pour atteindre l’archipel des îles des Açores,
près de soixante à soixante-quinze jours s’écoulent. Une halte indispensable
dans ces îles constitue à ce propos l’étape la plus importante de la route des
retours 29. On ravitaille en vivres et en eau après un voyage tourmenté et les
équipages harassés se reposent dans ce havre de paix verdoyant 30. Les derniers
instants de navigation avant d’atteindre le port sévillan sont finalement les
plus inquiétants. On redoute des attaques ennemies aux abords du Cap Saint-

25 Giovani Francesco Gemelli Careri, Voyage autour du Monde (1698), dans Le Mexique à la fin
du xviie siècle, vu par un voyageur italien / Gemelli Careri ; présentation de Jean-Pierre Berthe,
Paris, Calmann-Lévy, 1968, p. 31.
26 Paul Butel, Histoire de l’Atlantique…, op. cit., p. 82.
27 Dans un manuscrit datant du xviie siècle et intitulé : Derrota que deben llevar las flotas que van
a Nueva España, on décrit le passage du canal des Bahamas en ces termes : « Hasta llegar
a Matanzas que esta veinte leguas de aqui [la costa de La Havana] se pone la proa al norte
[…] y en una singladura se da vista a la caveza de martires principio de la canal de Bahama
desde aqui se va de una buelta y otra porque la canal esta de nordeste sudueste, y la brisa
es viento por la proa y las corrientes son las que desembocan los navios... », RAH, Salazar y
Castro, siglo xvii, leg. N-57, fol. 168.
28 Clarence Haring, Comercio…, op. cit., p. 284.
29 Pierre et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique…, op. cit., t. VIII-1, p. 448.
30 À partir de 1640, étant donné le contexte politique tendu entre la couronne d’Espagne et
celle du Portugal, l’archipel des Açores, alors halte nourricière, s’efface sensiblement (ibid.,
p. 461).

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Vincent et la barre de Sanlúcar dresse éternellement ses obstacles aux galions
lourdement chargés 31. L’arrivée des flottes à Séville 32, fébrilement attendue,
provoque l’allégresse de la population alors que les hommes débarquent enfin à
terre et que les caisses remplies d’or et d’argent sont chargées dans des charrettes
du port de l’Arenal 33.
C- Les flottes des Indes et leurs spécificités

Comme le rappelle Michel Morineau, la Carrera de Indias concerne


« l’entreprise de navigation et de transport entre Séville et le Nouveau Monde »
tandis que la Contratación définit le commerce colonial 34. Précisons, pour notre
part, que c’est la Carrera de Indias et plus amplement l’ensemble des navigations
espagnoles au xviie siècle qui font l’objet de cette étude 35.
Ce mécanisme de flottes, assurant sécurité et concentration des bâtiments,
constitue une particularité des navigations espagnoles dès 1564 36. Bien que
74 le système souffre de nombreux dysfonctionnements, son existence permet
de canaliser le commerce maritime tout en protégeant les vaisseaux grâce à
un encadrement militaire important. Périls et distances imposent en effet des
navigations en convois. Il n’est pas concevable de laisser les navires se déplacer en
solitaire, même si quelques bâtiments obtiennent des registres de navires sueltos.
L’encadrement militaire assure ainsi une plus grande sécurité, mais la lourdeur
de la gestion et l’important système administratif (sans compter les pressions
du roi, des commerçants et des armateurs) finissent par alourdir le gigantesque
mécanisme de la Carrera de Indias. Comme le précise Pierre Chaunu, « le péril

31 Fernando Serrano Mangas, Naufragios y Rescates en el Tráfico Indiano en el Siglo xvii, Madrid,


Sociedad Estatal Quinto Centenario, Ediciones Siruela, 1991, p. 18.
32 Il faut 120 à 130 jours de voyage pour effectuer la liaison du continent américain jusqu’en
Espagne. Pierre Chaun, Séville et l’Amérique…, op. cit., p. 234.
33 Marcelin Defourneaux, La Vie quotidienne en Espagne au Siècle d’Or, Paris, Hachette, 1964,
p. 89.
34 Michel Morineau, « Revoir Séville. Le Guadalquivir, l’Atlantique et l’Amérique au xvie siècle »,
Anuario de Estudios Americanos, t. LVII, 1, Sevilla, Escuela de Estudios Americanos, CSIC,
2000, p. 277-293. Antonio García-Baquero a synthétisé la problématique de la « famosa
y controvertida » crise du xvii e siècle en résumant et en analysant les différents apports
historiographiques sur le sujet. Antonio García-Baquero González, « Entre Sevilla y Cádiz.
Radiografía de una crisis contestada en la Carrera de Indias », dans Calderón de la Barca
y la España del Barroco, J. Alcalá-Zamora y E. Belenguer (dir.), Madrid, Centro de Estudios
Políticos y Constitucionales, 2001, p. 211‑251.
35 Voir les ouvrages de référence de Pierre et Huguette Chaunu sur la Contratación pour la
première moitié du xviie siècle et celui de Lutgardo García Fuentes, pour la seconde : Pierre
et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique…, op. cit. et Lutgardo García Fuentes, El comercio
español con América 1650-1700, Sevilla, Escuela de Estudios Hispano-Americanos de
Sevilla, 1980.
36 Pour plus de précisions à propos de l’organisation des flottes et des différentes ordonnances
édictées à ce sujet, voir Ernst Schäfer, El Consejo Real y Supremo de las Indias: Su historia,
organización y labor administrativa hasta la terminación de la Casa de Austria, Sevilla,
Universidad de Sevilla, 1935, p. 333-403.

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de la mer et le péril des hommes interdisent d’assouplir le système des convois.
Or, le système des convois, inévitable, est une prime à la paresse et une punition
à l’esprit d’initiative » 37. L’organisation du commerce souffre en effet de la
complexe organisation maritime soumise aux directives de la Couronne et aux
intérêts des marchands sévillans.

II- LE NAVIRE, ESPACE DE TRAVAIL ET RÉALITÉ SYMBOLIQUE

Une fois en mer, les conflits administratifs sont quelque peu oubliés et les
hommes se retrouvent sur leur bâtiment face à l’océan. Le bateau devient alors
un espace privilégié, un instrument de travail, un lieu de vie, un intermédiaire
matériel et un espace symbolique. Il revêt de multiples réalités et modifie la
perception de l’espace et les attitudes face à la vie.
A- Confinement et promiscuité
75
Les limites imposées par la structure matérielle du bâtiment isolent tout

les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes


d’abord les hommes dans un espace fermé au milieu de l’immensité des mers.
Cet antagonisme, continuellement présent, exacerbe les sentiments de liberté et
de réclusion intensifiant les impressions d’infini et d’enfermement. Les galions
qui traversent l’Atlantique au xviie siècle, ces navires de guerre pourvus de voiles
latines, offrent peu d’espace vital aux passagers et à l’équipage. Outre l’armement
et les trésors américains, des marchandises sont constamment entreposées
dans les cales des navires et au besoin sur le tillac et dans les entreponts des
vaisseaux 38. D’autres bâtiments relient le continent américain à la Péninsule :
des pataches (petits vaisseaux à deux mâts de 80 à 150 tonneaux) 39, des frégates
(embarcations rapides et légères à un seul pont), des nefs – naos – (bâtiments
de commerce pouvant jauger de 300 à 350 toneladas) et des navíos un peu plus
petits, les navires par excellence de la Carrera de Indias. Les hourques, anciens
navires de charge des Flandres, sont finalement très prisées dans la Carrera de
Indias ; on y charge par exemple du mercure pour l’Amérique.

37 Pierre Chaunu, « Les routes espagnoles de l’Atlantique », dans Las Rutas del Atlántico.
Noveno Coloquio Internacional de Historia Marítima, Sevilla, SVEPEN, 1969, p. 123.
38 À l’encontre des ordonnances promulguées, les navires de guerre transportent aussi bien des
marchandises que des passagers. Nous verrons par la suite que la plupart des passagers de
haut rang voyagent à bord des navires Almiranta et Capitana : les deux bâtiments de guerre
les plus importants des convois. Ces lourds navires, de 450 à 600 tonneaux, sont difficilement
manœuvrables ; certains jaugent jusqu’à 800 tonneaux. Ils sont surmontés à la proue et à la
poupe d’un gaillard, mais à la fin du xviie siècle, les alcazars voient leur taille diminuer et leur
artillerie augmenter. Voir Fernando Serrano Mangas, Armadas y Flotas de la Plata (1620‑1648),
Madrid, Banco de España. V Centenario del Descubrimiento de América, 1990, p. 26 et Enrique
Manera Regueyra, El Buque en la Armada Española, Madrid, Silex, 1981, p. 166. Voir illustration
n° 2 représentant des navires de guerre espagnols de la fin du xvie siècle.
39 Annie Molinié-Bertrand, Vocabulaire…, op. cit., p. 94.

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Nous ne saurions toutefois être trop prudente avec les différentes dénominations
citées. En effet, les documents mentionnent parfois un vaisseau comme étant
un galion puis, dans un autre dossier, voici le même bâtiment décrit en tant que
nao 40. Ces brusques changements peuvent surprendre, mais ils ne sont que le
reflet d’une situation en pleine évolution ; l’architecture navale se modifiant
à cette époque, quelques imprécisions peuvent facilement se glisser dans la
dénomination 41. L’ambiguïté dans cette complexe terminologie n’a finalement
rien d’étonnant 42. Les registres que Pierre Chaunu a consultés lui ont permis
d’établir des listes précises de chaque navire en repérant la taxonomie de
chacun d’entre eux. Toutefois, les dossiers des Biens des Défunts que nous avons
dépouillés désignent souvent les mêmes vaisseaux avec d’autres caractéristiques.
Ainsi, le navire San Juan Bautista voyageant de Saint-Domingue à Séville en
1611 est classé dans la catégorie des Felibotes selon son registre 43 tandis que nos
documents précisent qu’il s’agit d’une nef 44.
76 Dans les eaux du Pacifique, il semble pareillement difficile de déterminer
chaque type de bâtiments. La flotte de la Mer du Sud se compose de quelques
frégates et de volumineux galions jaugeant parfois plus de 800 toneladas
alors que les instructions interdisent l’utilisation de vaisseaux de plus de
500 tonneaux. Mais naturellement, les intérêts des grands commerçants et
des vice‑royautés priment sur la législation 45. Les bâtiments du Galion de
Manille sont de puissants navires dans lesquels 400 à 600 personnes peuvent
voyager 46.
Entre équipage, passagers et animaux vivants, l’espace vital doit être partagé
au prix de durs sacrifices. La réclusion forcée dans cet espace fermé a d’ailleurs
était comparée à celle endurée en prison et fray Tomás de la Torre n’a pas

40 Joseph de Veita Linaje classe pour sa part l’ensemble des bâtiments dans la catégorie des
nave, nao et navío sans établir de différence. Ainsi, les galions se retrouvent-ils dans ce vaste
regroupement de vaisseaux. Voir Norte de la Contratación de las Indias Occidentales (1672),
Buenos Aires, Publicaciones de la Comisión Argentina de Fomento Americano, 1945, libro II,
capítulo XIV, n° 2 y n° 3.
41 Carla Rahn Phillips constate le même phénomène, la différence la plus subtile à établir
résidant dans le fait de distinguer un galion – navire de guerre fortifié et pourvu d’une
artillerie importante – d’une nef marchande de dimension similaire. Voir Seis Galeones para
el Rey de España. La defensa imperial a principios del siglo xvii, Madrid, Alianza Editorial,
1991, p. 80-81.
42 Robert Stradling parle même de « chaos » des catégories de navires, car selon les zones
géographiques et les époques, un galion peut être nommé hourque. Voir La Armada de
Flandes. Política naval española y guerra europea. 1568-1668, Madrid, Cátedra, 1992,
p. 220.
43 Pierre et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique…, op. cit., t. IV, p. 352. Ils se sont basés sur
le registre de ce vaisseau.
44 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 300, n° 12, fol. 2.
45 Bibiano Torres Ramírez y Pablo Emilio Pérez-Mallaína, La Armada…, op. cit., p. 121.
46 Luis María Lorente Rodrigáñez, « El Galeón de Manila », Revista de Indias, n° 15, Madrid, CSIC,
1944, p. 113.

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hésité à utiliser cette image 47. Pablo Emilio Pérez-Mallaína a calculé que pour
un navire jaugeant 106 tonneaux, l’espace habitable peut se réduire de 150
à 180 mètres carrés, soit pour 120 personnes qui voyagent à son bord, un
mètre carré et demi d’espace vital par individu 48. À bord de certains puissants
galions, près de 400 hommes, des gens de mer et de guerre, peuvent vivre sur
le même bâtiment 49. À partir de la seconde moitié du xviie siècle, la plupart
des équipages se composent plutôt de 250 à 260 membres, nombre moins
important, certes, mais les navires Almiranta et Capitana comptent tout de
même près de 400 hommes à leur bord 50.
Marins, soldats et passagers se voient donc reclus dans cet espace fait de bois et
de fer flottant sur les mers. Les conditions de vie sont difficiles et la promiscuité
en est le principal désagrément. Les missionnaires ont à ce propos laissé de
nombreux témoignages. Le jésuite Jorge Brandt qui traverse l’Atlantique
en 1684 décrit l’étroitesse du lieu le condamnant, lui et ses compagnons, à
dormir comme des bêtes, couchés les uns sur les autres  51. Le père Antonio 77
Sepp dans son récit de voyage insiste quant à lui sur la petitesse des cabines :

les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes


un des missionnaires ne peut étirer ses jambes dans son lit, se tenir droit ni
marcher dans sa chambre 52. Un ministre du roi, à bord du Galion de Manille,
n’oubliera pas, lui non plus, de décrier les conditions dans lesquelles il est logé.
Ses domestiques ne disposent pas de cabine et il compare son expérience, sans
modérer ses propos, à une mortification 53.
À cette contrainte spatiale s’ajoute encore celle de l’hygiène. Un passager,
Antonio Serrano, s’insurge par exemple contre le capitaine du navire auquel
il a déjà versé 180 pesos pour effectuer la traversée transatlantique : sa cabine,
en effet, située sous le pont, se trouve à côté du bétail et de la porcherie 54.

47 « El navío es una cárcel muy estrecha muy fuerte de donde nadie puede huir aunque no
lleve grillos ni cadenas y tan cruel que no hace diferencia entre los presos igualmente trata
y estrecha a todos… », dans Fray Tomás de la Torre, Diario del viaje de Salamanca a Ciudad
Real (Chiapas). 1544-1545, tiré de l’ouvrage de José Luis Martínez dans lequel ce récit de
voyage est transcrit. Pasajeros de Indias. Viajes transatlánticos en el siglo xvi, Madrid, Alianza
Editorial, 1983, p. 248.
48 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres…, op. cit., p. 141.
49 Fernando Serrano Mangas, Armadas…, op. cit., p. 210.
50 Fernando Serrano Mangas, Función y evolución del galeón en la Carrera de Indias, Madrid,
Mapfre, 1992, p. 201.
51 Lettre du père Jorge Brandt, missionnaire jésuite, datant de 1686. Mauro Matthei, Cartas e
Informes de Misioneros Jesuitas extranjeros en Hispanoamérica (1680-1699), Anales de la
Facultad de Teología, vol. XX (1968-1969), cuaderno 4, Santiago, Universidad Católica de
Chile,1969, p. 194.
52 Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas…, op. cit., p. 125.
53 « Para nuestros criados no ha havido sitio alguno ni aun en el Camarote nuestro, pues mi
compañero y yo llevamos bastante mortificacion porque no ay lugar para rebolvernos », AHN,
Diversos, sin fecha – siglo xvi, leg. 33, n° 42, fol. 12 : « Relación de lo acaecido en un viaje de
Acapulco a Manila ».
54 AGI, Cont. Papeles de Armada, año de 1625, leg. 3043.

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Le manque d’espace, l’entassement des animaux et des hommes dégradent les
conditions de vie. Le thème des odeurs revient ainsi de manière récurrente
dans les récits des voyageurs. Une insupportable puanteur et une odeur fétide
proviennent de la sentine 55 selon le jésuite Antonio Sepp 56. Le père Jorge
Brandt évoque l’air pestilentiel qui l’assaille dans son logement 57 et Eugenio
Salazar, comme toujours peu enclin à l’euphémisme, dresse avec humour un
portrait affligeant des logements de son navire : de ces cabines obscures et
malodorantes se dégage une odeur de charnier 58. Les railleries d’Eugenio Salazar
ne sont certainement pas sans fondement. Lorsque don Diego de Brochero 59
s’adresse au roi en 1608, il lui rappelle que les jeunes pages désignés pour le
nettoyage des bâtiments – los pajes de escoba – n’effectuent pas leur tâche, car
les maîtres de navire préfèrent les employer à leur service 60. Il constate que la
boue, pourrissant au fil des jours dans les vaisseaux, a de terribles conséquences
sur la santé de l’équipage 61. L’hygiène à bord est donc difficilement assurée ;
78 l’eau douce de surcroît manque.
Les usages de l’époque préconisent un mode d’assainissement des lieux par
fumigation 62. La combustion d’essences et de plantes aromatiques est censée
désinfecter les lieux ou du moins éradiquer les miasmes qui auraient pu s’accumuler
dans les entreponts lors de la traversée 63. On nettoie parfois les sols avec du
vinaigre pour les purifier des imprégnations méphitiques 64, mais ces mesures
ne correspondent pas exactement aux besoins sanitaires. Ainsi, les différentes

55 Lieu de la cale où toutes les eaux peuvent se rassembler pour y être pompées. Guide des
termes de Marine. Petit dictionnaire thématique de la Marine, Douarnenez, Le Chasse-Marée,
1997. Dans ce lieu nauséabond, l’eau qui croupit est, selon Eugenio Salazar, « hedionda como
el diablo ». Cartas de Eugenio Salazar, vecino y natural de Madrid, escritas a muy particulares
amigos suyos, dans Cesáreo Fernández Duro, Disquisiciones náuticas. La mar descrita por los
mareados (1878-1881), Madrid, Ministerio de Defensa. Instituto de Historia y Cultura Naval,
1996, vol. 2, p. 181.
56 Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas…, op. cit., p. 125.
57 Mauro Matthei, Cartas e Informes…, op. cit., p. 198.
58 Cesáreo Fernández, Disquisiciones…, op. cit., p. 181.
59 AGI, Indiferente General, Cartas remitidas al Consejo, año de 1608, leg. 1124. Don Diego de
Brochero est l’auteur du Discurso sobre la Marina datant de 1606.
60 « No es de consideración porque los capitanes pilotos maestres y contramaestres y
guardianes se sirven dellos y se aprovechan de los sueldos y raciones… », ibid.
61 Il préconise ainsi qu’il y ait : « quatro o seis hombres conforme al porte del galeon que solo
entiendan en limpiarlo y lavarlo y no es cossa nueva que los galeones del Rey de Inglaterra
los traen », ibid.
62 Yannick Romieux constate le même phénomène à bord des vaisseaux français. Voir son article,
« La pathologie à bord des vaisseaux de l’Ancien Régime », Neptunia, n° 203, Paris, Musée de
la Marine, 1996, p. 28.
63 Le verbe utilisé à cette époque pour procéder à la fumigation est le suivant : sahumar. Manuel
Gracia Rivas, La sanidad naval española. Historia y evolución, Madrid, Empresa Nacional
Bazán de Construcciones Navales Militares, 1995, p. 34.
64 Pedro María González, Tratado de las enfermedades de la gente de mar en que se expresan
sus causas y los medios de precaverlas, Madrid, Imprenta Real,1805, p. 387.

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mesures d’assainissement n’obtiennent pas toujours les effets escomptés, car le
confinement de l’atmosphère et l’entassement paroxystique des hommes et des
bêtes ont des effets dévastateurs. Rappelons néanmoins qu’à terre, comme en
mer, du xvie au xviie siècle, les conditions de vie insalubres sont le lot de tous les
voyageurs 65. Les mesures d’hygiène lors de ces déplacements sont sommaires,
certes, mais nous verrons par la suite qu’elles sont loin d’être inexistantes.
Cet univers d’enfermement n’est pas cependant permanent. Des sentiments
ambivalents règnent en effet, car au-delà de la promiscuité, de la saleté et de la
réclusion, les vaisseaux demeurent des espaces de liberté. Les navires sont tout
à la fois un lieu dangereux et rassurant, car s’ils maltraitent les hommes, ils les
protègent aussi des dangers de la mer.
B- Le navire, un espace symbolique

Le bateau ne se limite pas à assumer le rôle d’une machine, mais également,


comme le souligne Alain Cabantous, celui d’un « objet de pratiques, d’usages 79
sociaux ». Il est également « le support d’une expression symbolique qui mêle

les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes


intimement le professionnel et le religieux » 66. À chaque espace du bâtiment
incombe tout d’abord une activité professionnelle précise : on se déplace
ainsi sur les vergues pour ariser les voiles 67, on s’affère dans la batterie pour se
préparer au combat et l’on dirige par exemple le vaisseau depuis la dunette sur
le gaillard d’arrière. Chaque lieu revêt ensuite une dimension symbolique. Le
grand mât est à cet égard un lieu emblématique : de ses hauteurs, on aperçoit
la terre ferme tant désirée et en ce lieu au-dessus des hommes on échappe
parfois à la justice en se réfugiant à son sommet. Juan de Torrobas se hisse par
exemple à sa cime pour y trouver un éphémère refuge après avoir mortellement
poignardé Francisco Tomás en 1638 68. Le grand mât représente par ailleurs
un lien spirituel entre les hommes et le divin. Son élancement vers les cieux
symbolise une sorte de connexion privilégiée entre le monde matériel et
l’espace sacré. Il pourrait parfaitement représenter un axe cosmique facilitant
une communication permanente avec le Ciel 69. N’est-il pas surprenant que

65 Antoni Maczak, Viajes y viajeros en la Europa moderna (1978), Barcelona, Omega, 1996,
p. 139-148.
66 Alain Cabantous, Les Citoyens du large. Les Identités maritimes en France (xviie-xixe siècles),
Paris, Aubier, coll. « Historique », 1995, p. 142.
67 Diminuer la surface de la voile en prenant des ris. Guide des termes…, op. cit., p. 62.
68 « Se fue huiendo por encima […] al tope del mastelero dejando al dicho francisco tomas
muerto en el suelo… ». AGI, Cont. Autos de Oficio, año de 1638, leg. 99 : « Auto criminal a
bordo ante el señor Almirante Juan de Campos sobre la muerte de Francisco Tomas difunto
marinero del dicho Galeon ».
69 Nous reprenons un concept formulé par Mircea Eliade et établissons un parallèle entre ce
phénomène constaté chez la tribu Arunta en Australie et chez les équipages isolés sur les flots
(Mircea Eliade, Le Sacré et le Profane (1957), Paris, Gallimard - Folio / Essais, 1998, p. 35).

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les feux de saint Elme apparaissent précisément à son sommet ? Selon les gens
de mer, ces manifestations célestes se dévoilent au regard de l’équipage dans
le crépitement des petits faisceaux lumineux. Signes de la providence ou de
mauvais augure, ils témoignent d’une présence spirituelle à bord reliant le
monde maritime au Ciel par l’intermédiaire de ce pieu érigé sur le vaisseau.
Le grand mât représente encore cet axe central autour duquel la vie du navire
s’organise. C’est à son pied, lorsque les combats font rage, que l’on soigne
les malades et confesse les mourants. C’est encore en ce lieu que les pages
récitent les prières quotidiennes 70 et qu’ont lieu les ventes aux enchères. Centre
d’unification, sa portée symbolique est complexe et variée : sous l’apparence
d’un objet unique, il réunit donc des perspectives matérielles et symboliques
d’ordres différents.
À la proue du navire, sur le gaillard d’avant, un espace de nature similaire
est digne d’être mentionné. Cette zone formée d’un petit triangle et traversée
80 par le mât de beaupré est utilisée comme poulaines par l’équipage, elle sert en
outre d’espace privilégié en accordant parfois l’immunité à la personne qui s’y
réfugie. Ainsi, un contremaître ne peut châtier un marin qui lui aurait désobéi
s’il vient à se nicher dans ce lieu 71. Refuge éphémère et précaire, il n’en reste
pas moins prisé.
La figure de proue du navire, autre pièce caractéristique surmontant la guibre 72,
se dresse pour effrayer l’ennemi, mais peut-être s’agit-il, comme le rappelle
Michel Mollat du Jourdin, d’une figure totémique 73. Les images du Christ,
de la Vierge ou d’un saint patron sont à cet égard révélatrices d’usages antiques
christianisés mais assurant à l’équipage les mêmes faveurs : une protection.
Ainsi, lors de la terrible tempête qui assaille en 1641 le navire Almiranta de la
flotte de la Nouvelle Espagne, la sculpture de la Vierge en tombant à la mer
apaise les flots déchaînés 74.

70 Dans des instructions conservées dans les fonds de la Real Academia de la Historia on peut
lire : « Todas las mañanas al amanecer, los pajes segun costumbre darán los buenos dias
a pie del arbol mayor y al anochecer dirán el ave maria y algunos dias la salve al menos el
sabado con su letania », RAH, Papeles de Jesuitas, siglo xvii, tomo CIX, fol. 534.
71 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, « Oficiales y Marineros de la Carrera de Indias (Siglo xvi) », dans
Congreso de Historia del Descubrimientos 1492-1556, Madrid, Real Academia de Historia,
1991, p. 46.
72 Partie proéminente et élancée de l’étrave, en usage sur les bateaux qui portent un beaupré
(Guide des termes…, op. cit.).
73 Michel Mollat du Jourdin, La Vie quotidienne des gens de mer en Atlantique, ixe-xvie siècles,
Paris, Hachette, 1983, p. 232.
74 RAH, Papeles de Jesuitas, año de 1641, tomo CI, Partida de la Almiranta de la flota de Nueva
España y lo que les sucedió a los que se perdieron en ella, fol. 278 : « Fue servida [la Virgen]
de su imagen soberana de la Concepcion que yba en la popa en el arco del farol saliese por
nuestra fiadora […] pues cayendo a la mar se fue sosegando su furia… ».

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La chapelle dressée sur certains galions est une marque évidente de cette
conquête chrétienne de l’espace maritime. On érige des autels délimitant ainsi
un espace sacré sur le vaisseau. Ils sont pourvus de portes battantes, parfois
décorées 75, et sont généralement situés à la poupe du galion où l’aumônier
célèbre des offices. Fray Isidro de la Asunción profite pleinement de ce
centre spirituel installé dans le gaillard arrière du navire : lors de sa traversée
transatlantique (67 jours de Cadix à La Veracruz), il ne dira pas moins de 65 fois
la messe 76. Le père Hernando de Padilla, voyageant du Panama au Callao, se
réjouit, lui aussi, de l’existence de ce lieu de dévotion, car au cours de son voyage,
il y exerce quotidiennement son ministère 77. La chapelle revêt de surcroît une
réalité symbolique très forte puisqu’à cet endroit précis, les corps des défunts
sont déposés avant d’être jetés à la mer. Lorsque Juan Gerardo, un passager du
galion La Santísima Trinidad, trépasse à son bord, son corps enveloppé dans
l’habit de saint François est déposé sur le pont du navire devant la chapelle du
galion 78. Dernier refuge matériel sacré, ce lieu accueille la dépouille du défunt 81
avant son immersion.

les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes


Le navire dans son ensemble revêt donc une dimension symbolique et
religieuse ; aux yeux de certains missionnaires, il se transforme même en un
lieu de culte par excellence. Le père Chomé, un jésuite effectuant une traversée
de Cadix au Brésil, s’étonne du calme régnant à la tombée de la nuit et déclare à
ce sujet : « un navire présente alors un spectacle fort sérieux ; vous en seriez
certainement édifié, car il n’y a point de maison religieuse où le silence soit
mieux observé » 79. Le vaisseau peut en effet revêtir la forme idéale de la maison
de Dieu, isolant les hommes de la société tout en les confrontant à eux-mêmes et
à leur spiritualité. Les missionnaires, du moins, s’emploient à le rendre conforme
à leurs aspirations. Le jésuite Hernando de Padilla, durant toute la traversée de

75 Concepción Hernández-Díaz offre une description détaillée des ornements des chapelles
des galions : autel portable avec serrures et clefs, tableau représentant la Vierge, croix,
clochettes, chandeliers, missels… Voir son article : « Asistencia espiritual en las flotas de
Indias », dans Andalucía América y el Mar. Actas de las IX Jornadas de Andalucía y América,
Sevilla, Universidad de Santa María de la Rábida, 1991, p. 276-282.
76 Fray Isidro de la Asunción, Itinerario a Indias (1673-1678), paleografía, introducción y notas:
Jacques Hirzy, México, Centro de Estudios de Historia de México, 1992, p. 49.
77 RAH, Papeles de Jesuitas, años de 1628-1629, tomo CXXIX, Relación del viaje del padre…
op. cit., fol. 552.
78 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1675, leg. 558, n° 4, ramo 3 (2), fol. 2 : « Yendo
nabegando en este dicho galeon la Santisima trinidad […] por diez y nuebe grados segun dijo
el capitan francisco tanco piloto deste dicho galeon siendo como a las nuebe o a las diez poco
mas o menos, estaba un hombre tendido en el suelo delante de la Capilla del dicho galeon
amortajado con un habito de San francisco el qual al parecer estaba muerto… ».
79 Lettre du père Chomé datant de 1730. Lettres édifiantes et curieuses concernant l’Afrique,
l’Amérique et l’Asie (avec quelques relations nouvelles des missions et notes géographiques
et historiques), t. 2, publiées sous la direction de M. L. Aimé-Martin, Paris, Mair et Fournier
librairies éditeurs, 1841, p. 102.

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la Mer du Sud, donne des cours de catéchisme, fait lire des livres d’oraison à
l’équipage et s’évertue à expliquer les sacrements aux marins et aux esclaves.
Ainsi dans le vaisseau, les livres de comedias disparaissent-ils au profit de livres
pieux sans que l’on entende blasphème ni juron dans les conversations 80. Le
navire devient un lieu édifiant, une société utopique dans laquelle le rôle du
missionnaire prend tout son sens 81. Pourtant, cette vision offerte par les récits de
voyage et les lettres de clercs n’est qu’un reflet de la vie maritime. Cette dernière
ne se réduit pas à ces seules réalités symboliques, car le navire est également un
espace de travail et un lieu où le danger règne en permanence.
C- Le navire, espace du travail océanique

Le bateau est un instrument de travail, un lieu de pratiques professionnelles


où chaque homme a sa place et donc un rôle défini à jouer. Pour les gens de
mer, cet espace prend tout son sens lorsque le navire quitte son port d’attache et
82 s’aventure sur les flots pour rejoindre un autre rivage 82. Comme le souligne Alain
Cabantous, les contours de l’identité maritime se précisent grâce à cette donnée
fondamentale que constitue le travail océanique 83. À bord d’un bâtiment, un
groupe d’individus partage les mêmes objectifs, souffre des difficiles conditions
de vie et affronte ensemble le danger.
L’appartenance à un groupe professionnel apparaît d’ailleurs comme une
marque distinctive des gens de mer et de guerre. Dans leur testament, ils ne
manquent pas d’indiquer leur fonction sur le vaisseau et signalent ainsi les
liens qui les unissent aux autres travailleurs maritimes. Lorsque Diego Caro
rédige ses dernières volontés, en 1597, il précise : « piloto que soy de la nao San
Medel » 84. Le jeune Baltasar de los Reyes indique avec soin dans son testament
dressé sur le navire Nuestra Señora de la Concepción, qu’il s’est enrôlé comme
mousse 85 et Esteban Montes de Oca mentionne, lui aussi : « condestable que soy
de la nao nombrada Nuestra Señora de Regla », profession qu’il exerce à l’instar

80 RAH, Papeles de Jesuitas, años de 1628-1629, tomo CXXIX, Relación del viaje del padre…,
op. cit., fol. 553. Le jésuite et ses compagnons décident au début de la traversée
d’entreprendre : « […] la reformación del Galeon quitando ocasiones de culpas que
originaban grandes desafueros, perniciosos vicios descomunales ofensas de la divina
majestad… ».
81 Alain Cabantous étudie ce phénomène aux confins du littoral français qui sont parfois
assimilés à des sociétés utopiques rappelant à leur tour les espaces symboliques insulaires.
Voir son article : « Les finistères de la Catholicité. Missions littorales et construction identitaire
en France aux xviie et xviiie siècles », dans Mélanges de l’École française de Rome, t. 109-2,
Rome, École française de Rome, 1997, p. 653-669.
82 Robert A. Stradling montre à ce propos qu’un cycle vital symbiotique s’établit entre les
hommes et le navire. Voir, La Armada de Flandes…, op. cit., p. 207.
83 Alain Cabantous, Les Citoyens du large…, op. cit., p. 193.
84 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1598, leg. 491, n° 1, ramo 4, fol. 2.
85 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1599, leg. 492A, n° 1, ramo 9, fol. 1.

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de son père 86. Le travail en mer confère indéniablement au navire une valeur
intrinsèque : à son bord et par son intermédiaire, la vie professionnelle se
développe et permet à chacun de se situer par rapport aux autres. La permanence
du danger est également une caractéristique du navire, car la vie à son bord est
inlassablement soumise à différents risques. Un coup de vent peut emporter un
jeune mousse travaillant sur la mâture : Sebastián de Lopa chute ainsi et meurt
sur le coup 87. Lorsque la mer grossit, un homme trop près du bord peut se noyer,
et c’est le triste sort réservé à Pedro de Amel, sous-officier d’artillerie, qui meurt
englouti dans les flots en 1655 88. Une pièce se détachant de la mâture peut enfin
blesser mortellement une jeune passagère sur le pont : Ana de Nájera connaît ce
destin alors qu’elle navigue sur le navire Santa Catalina 89. Le danger est donc
constamment présent, il se manifeste à l’évidence sur le navire, sur les flots, il naît
de rencontres inopportunes avec l’ennemi et s’immisce encore avec la maladie.
En définitive, de redoutables menaces pèsent sur l’équipage et les passagers, et
chaque homme, conscient de cette réalité périlleuse, appréhende donc l’espace 83
avec un sentiment d’insécurité. La pratique de la mer et les accidents qu’elle

les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes


engendre sont précisément décrits dans les autos de Bienes de Difuntos : véritables
mémoires des drames de la mer, ils contiennent les procès-verbaux de plus d’un
millier de personnes disparues sur les océans.

III- LES HOMMES EN MER… DIFUNTO EN EL MAR, DIFUNTO A BORDO

Le point de départ de cette étude se fonde sur un moment paroxystique de


l’existence humaine, la mort. Si à partir de cet instant, une personne disparaît
à tout jamais sur l’océan, instantanément une vie administrative naît de cet
événement. Toutes les procédures dressées à bord permettent ainsi d’évoquer
le profil des individus disparus et d’analyser ensuite leurs attitudes face à la vie
et à la mort.
A- Les morts sur l’océan

Le voyage en mer, et plus particulièrement le décès sur les flots, constitue


donc le point de départ de notre réflexion. Face à la mort, en mer, les

86 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1670, leg. 454B, n° 5, ramo 1, fol. 1-2. Le
condestable est le sous-officier d’artillerie.
87 « Cayó de la dicha mesana abajo y se mató e murió naturalmente sin hablar palabra ninguna »,
AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 281A, n° 3, fol. 4.
88 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1655, leg. 969, n° 4, ramo 6, fol. 3. Un témoin
déclare à propos des circonstances du décès : « Por las grandes tormentas que la dicha nao
tubo en el discurso de su viaje a estos Reynos en una dellas se ahogó el dicho Pedro Amel… ».
89 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 352, n° 1, ramo 9, fol. 3 : « La dicha
nao rebentó una pieça y mató a la dicha ana najera… ».

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sentiments religieux sont-ils différents ? Dans quelle mesure la traversée
transatlantique ou transpacifique modifie-t-elle les attitudes des hommes ? La
mer suppose-t-elle une altérité dans les comportements ? Les usages sociaux
sur les bâtiments ne sont-ils qu’une simple prolongation de ceux du monde
espagnol et américain ? Pour répondre à ces questions, plus d’un millier de
dossiers ont été interrogés et ces derniers ont fourni de menus renseignements
sur l’existence des gens de mer, des gens de guerre et des passagers des flottes
espagnoles.
L’échantillon des 1046 personnes sélectionnées dans ce travail est composé de
11 femmes et de 1035 hommes. Ayant toutes et tous péris sur les flots, un lien
unique les unit les uns aux autres : la mort en mer a eu raison de leur existence.
On découvre alors une vaste palette de facettes humaines : les listes de noms se
succèdent puis la vie de chaque personne prend lentement forme à la lecture
des procès-verbaux. Chaque dossier permet ainsi d’entrevoir au fur et à mesure
84 des bribes d’existence, de retracer le destin malheureux de jeunes mousses ou
au contraire de découvrir la vie exubérante de certains passagers de haut rang.
Nous désirions ainsi « remettre en mémoire ces oubliés de l’Histoire » tout
en explorant leur univers matériel et spirituel afin d’étudier le destin de ces
hommes jusqu’alors relégué au fond des archives.
B- Gens de mer, gens de guerre, une difficile répartition

Ces hommes, dont nous avons déterminé l’appartenance professionnelle,


appartiennent à trois groupes distincts : les gens de mer : 510 individus (49 %
de l’échantillon), les gens de guerre : 325 individus (31 % de l’échantillon) et
les passagers et personnes sans profession clairement établie : 211 individus
(20 % de l’échantillon)  90. Michel Mollat du Jourdin rappelle qu’en
Angleterre, on entend par « gens de mer » toute personne travaillant dans le
domaine maritime qu’il s’agisse d’un marin, d’un charpentier de navire ou
d’un fabricant de filet 91. Cette définition assez souple englobe donc toutes les
spécificités professionnelles liées au monde de la mer ; dans notre étude, en
revanche, sont désignés par gens de mer les individus qui exercent le métier
de marin : depuis son échelon au plus bas de la hiérarchie, celui de page,
jusqu’à sa plus haute instance, celle de maître de navire. Cette répartition
circonscrit donc ce groupe professionnel aux personnes qui pratiquent l’art et
la science de naviguer. Le groupe des gens de guerre retient ensuite l’attention.
Il rappelle évidemment l’imminence du danger sur les routes espagnoles et
souligne avec force la militarisation des convois. Les traversées ne peuvent

90 Voir tableau n° 1 intitulé : Répartition professionnelle.


91 Michel Mollat du Jourdin, La Vie quotidienne…, op. cit., p. 7.

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se passer d’escorte et de soldats : artilleurs et fantassins font donc partie
intégrante de l’équipage ; généraux, amiraux et capitaines font également
partie de ces gens d’armes.
Cette répartition grossièrement établie ne reflète que très modestement les
clivages professionnels qui s’établissent à bord. Certes, le marin est aguerri aux
pratiques de la voile, mais il s’exerce fréquemment dans les arts de la guerre. Il est
d’ailleurs bien souvent difficile de distinguer les vaisseaux de guerre lorsqu’ils
se métamorphosent en bâtiments marchands 92 et de repérer les vaisseaux des
particuliers, car ces derniers sont lourdement chargés d’artillerie pour défendre
leur cargaison 93. Un mousse en mettant le feu aux poudres pour défendre son
bâtiment devient ainsi un artilleur et un marin se servant d’une arbalète lors d’un
conflit sur mer prend les armes tel un soldat en cas de besoin. Une confusion,
somme toute très normale, s’installe donc à bord puisque la diversité professionnelle
est une caractéristique de l’époque. Ainsi, un jeune homme disposé à naviguer sur
l’Atlantique n’hésitera pas à prendre les armes pour sauver son équipage et sa vie. 85
On a d’ailleurs recensé huit marins dont les spécificités professionnelles maritimes

les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes


sont doublées de celle d’artilleur. Domingo de Caravallo s’embarque ainsi en
1676 sur le navire suelto El Gran San Pablo en tant que marin et artilleur 94. Sur
cette frêle embarcation voyageant sans convoi, il est effectivement recommandé
à l’équipage de savoir aussi bien manœuvrer un bâtiment que de le défendre.
Andrés de los Reyes s’est également enrôlé comme marin et artilleur sur la nef San
Juan en 1622, sa solde de 120 ducats pour le trajet aller-retour s’en trouve bien
entendu améliorée 95. Marin de fortune ou soldat de passage, il semble difficile
de savoir quelle est la première qualification professionnelle de ces hommes. Quoi
qu’il en soit, les documents indiquent formellement qu’ils se sont engagés pour
exercer cette double activité professionnelle 96.
Le cloisonnement entre gens de mer et gens de guerre paraît donc illusoire
puisqu’une incroyable mobilité professionnelle se développe à cette époque et
d’autant plus dans le monde des navigations où il est indispensable de s’adapter
pour survivre. Les gens d’armes ont, certes, des connaissances militaires et les

92 Fernando Fernández González rappelle à ce sujet qu’il existe un tonnage différent pour un
bâtiment d’escorte militaire : un premier tonnage en rapport avec son rôle de vaisseau de guerre
et un deuxième tonnage faisant référence cette fois-ci à sa capacité de charge commerciale.
Fernando Fernández González, Comerciantes Vascos en Sevilla. 1650-1700, Vitoria, Servicio
Central de Publicaciones del Gobierno Vasco - Diputación de Sevilla, 2000, p. 56.
93 On trouve dans le dictionnaire de Covarrubias cette définition éloquente de la nao : « es,
hagamos cuenta, un castillo bien armado de gente y munición, que se mueve por la mar »,
citée par Flor Trejo Rivera, « El barco como ciudad flotante », dans Historia de la vida cotidiana
en México, dirigida por Pilar Gonzalbo Aizpuru, México, El colegio de México, Fondo de
Cultura Económica, 2005, p. 146.
94 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1677, leg. 460, n° 2, ramo 1, fol. 1-79.
95 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 952, n° 7, fol. 1-8.
96 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1630, leg. 957, n° 1, ramo 34, fol. 17-18.

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gens de mer des qualifications professionnelles maritimes, mais il serait réducteur
de cantonner ces hommes dans une seule activité : la complexité des structures
du travail et les frontières fluctuantes d’un domaine à l’autre nous invitent
donc à appréhender cette analyse quantitative avec nuance 97. Fernando Serrano
Mangas, dans la classification des équipages qu’il a réalisée, choisit de séparer
les artilleurs des gens de mer et de guerre et rappelle que pour faire partie de
l’Armada de la Guardia de la Carrera de Indias, ces artificiers doivent avoir réalisé
au moins un voyage sur les routes transatlantiques en tant que marin ou artilleur
sur un navire marchand, ou en tant que soldat sur un navire de guerre. Les
aptitudes requises fluctuent donc entre connaissances maritimes et militaires 98.
D’ores et déjà, nous pouvons constater que les frontières professionnelles sur les
flottes sont loin d’être figées.
C- Analyse des décès en mer par flotte, route 99 et trajet

86 Nous avons recensé, dans une analyse comparative, le lieu de décès en


fonction des trajets empruntés et des flottes. Le tableau suivant récapitule les
informations obtenues :
Nombre de décès recensés en mer par flotte et par route

Flottes et routes Nombre Pourcentage


Nouvelle Espagne 464 44 %
Terre Ferme 270 26 %
Real Armada de la Guardia de las Indias 156 15 %
Navires sueltos de registro 56 5 %
Mer du Sud 31 3 %
Galion de Manille 17 2 %
Autres 52 5 %
TOTAL 1 046 100 %

La flotte de la Nouvelle Espagne marque nettement sa prédominance puisqu’on


recense 464 disparitions, tandis que pour celle de Terre Ferme on n’en compte
que 270. Il convient toutefois de rappeler qu’au xviie siècle, la Real Armada de
la Guardia de las Indias cesse de patrouiller dans les eaux proches de la Péninsule

97 Pour sa part, David Goodman a choisi de classer les artilleurs dans le groupe des gens de
mer : choix qui peut en partie se comprendre au vu des explications données ci-dessus.
David Goodman, Spanish naval power, 1589-1665. Reconstruction and defeat, Cambridge,
Cambridge University Press, 1997, p. 231.
98 Fernando Serrano Mangas, Armadas…, op. cit., p. 216. Carla Rahn Phillips précise que les
artilleurs jouissent d’une position privilégiée en se situant aux frontières du monde maritime
et militaire. Choisis parmi les marins les plus habiles, ils gagnent deux ducats de plus par
mois qu’un simple marinier. Carla Rahn Phillips, Seis Galeones…, op. cit., p. 219.
99 Pierre Chaunu offre une définition complète de ce terme : « Une route est, a fortiori,
un ensemble de routes, c’est d’abord une économie, c’est d’abord des hommes et des
richesses ». Pierre Chaunu, « Les routes espagnoles… », art. cit., p. 124.

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pour accompagner, tout au long de son trajet, la flotte de terre Ferme 100.
dans ce contexte, le nombre de personnes disparues sur cette route est de 426
individus (270+156), soit 44 % de notre échantillon. les navires de registros
sueltos ne représentent ensuite que 5 % 101. ces derniers chiffres peu importants
témoignent plutôt d’un manque de vigilance de la part de l’institution des Biens
des Défunts sur ces bâtiments. de même, les bâtiments de la mer du sud sont
peu représentés et deux raisons peuvent être avancées. cette connexion maritime
est moins empruntée et la liaison du callao au Panama s’avère une fois de plus
éloignée des proches représentants administratifs espagnols : à l’extrémité du
continent, les procédures engagées en mer sont plus difficilement instruites et
sont par conséquent moins bien rapatriées en espagne. il en va de même avec le
Galion de manille, avec 17 décès recensés. cette route transpacifique est, certes,
moins fréquentée que la route transatlantique, mais les barrières géographiques
qu’imposent un océan et un continent à traverser pour relier l’espagne constituent
certainement les principales raisons de cette faible représentativité. 

les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes


même si les routes secondaires sont faiblement représentées dans
l’échantillon, elles permettent toutefois d’analyser l’ensemble des connexions
maritimes espagnoles. nous présentons ici un graphique illustrant ces routes
maritimes.
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Décès sur les routes secondaires


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100 Haring, Clarence, Comercio y Navegación…, op. cit., p. 261-262. La flotte de Terre Ferme
est souvent dénommée comme celle des « Galions » car de nombreux bâtiments militaires
l’accompagnent.
101 Ces données sont déconcertantes puisque le système de bâtiments qui naviguent sans
escorte se développe tout au long du xviie siècle pour acquérir par la suite une légitimité
accrue, le régime des navires sueltos s’institutionnalisant au xviiie siècle. Antonio García-
Baquero González, Cádiz…, op. cit., p. 165.

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On remarque tout d’abord un décès surprenant qui survient dans l’océan
Indien. Voici une route peu fréquentée par les Espagnols, mais il arrive que des
navires s’aventurent au-delà des frontières des possessions hispaniques pour
rejoindre d’autres confins. Jerónimo López s’embarque ainsi à Malacca lorsque
la maladie l’emporte loin de toute connexion maritime espagnole établie  102.
De retour sur l’océan Atlantique, on constate ensuite quelques disparitions
isolées sur des navires d’avisos dans une petite armada chargée de défendre les
abords de Porto Rico ou encore dans l’Armada de Barlovento 103. Un peu plus
nombreux, les décès sur la Patache de la Margarita – 13 au total – rappellent la
prépondérance de la flotte de Terre Ferme, car il s’agit en fait d’une partie des
bâtiments qui, se détachant de l’ensemble du convoi, se rendent sur les côtes de
l’actuel Venezuela. On a déjà évoqué la route de Buenos Aires et l’on constate
une dizaine de disparitions sur ce trajet. Il convient enfin de parler des navires
négriers à bord desquels neuf individus décèdent : notons que la plupart d’entre
88 eux sont d’origine portugaise. Cette remarque prend tout son sens lorsque l’on
sait que l’Asiento accordé aux Portugais leur permet de commercer de façon
exclusive entre l’Afrique et l’Amérique. Enriqueta Vila Vilar rappelle à ce sujet
l’intérêt de l’histoire de la traite négrière qui a lieu de 1595, date du premier
asiento de negros portugais, à 1640, date qui coïncide avec la séparation des deux
couronnes 104. Lors de ces années d’union, l’Espagne laisse le soin aux Portugais
de tout mettre en œuvre pour satisfaire la demande américaine d’esclaves : c’est
d’ailleurs à cette même époque, que l’on recense des Portugais négriers dans
l’échantillon, de 1601 à 1631, puis après la rupture des Asientos, la présence
d’Espagnols.
À la lumière de ces résultats, on peut ensuite se demander si les disparitions
surviennent lors des déplacements vers l’Amérique, ou au contraire, vers les
royaumes de Castille et d’Aragon. On constate que sur les 1 046 personnes,
719 décèdent lors du trajet du retour, suivent ensuite 254 disparitions lors du
trajet aller et enfin 71 lors des escales forcées dans les ports américains. On
interdit en effet aux équipages de quitter le navire par crainte des désertions
massives. Ces données sont éloquentes à deux titres. Premièrement, il est
incontestable que les équipages, harassés par une première traversée et une longue
attente dans les ports américains, deviennent plus sensibles aux maladies lors du

102 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1616, leg. 326B, n° 3, ramo 6, fol. 1-10.
103 Cette armada éphémère doit protéger les côtes de La Havane, de Saint-Domingue, du Golfe
du Mexique et même accompagner les navires de la flotte de Terre Ferme jusqu’à Portobelo.
Voir la monographie de Bibiano Torres Ramírez, La Armada de Barlovento, Sevilla, Escuela
de Estudios Hispano-Americanos de Sevilla, CSIC, 1981.
104 Enriqueta Vila Vilar, « Los Asientos Portugueses y el Contrabando de Negros », Anuario de
Estudios Americanos, vol. XXX, Sevilla, Escuela de Estudios Hispano-Americanos de Sevilla,
CSIC, 1973, p. 558.

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trajet du retour. Ainsi, la fatigue, une mauvaise alimentation et des conditions
d’hygiène précaires favorisent-elles les infections et ont à la longue des effets
dévastateurs. D’autre part, le nombre élevé de décès recensés lors de ces trajets
Amérique-Espagne reflète les mécanismes d’un système administratif complexe.
Des procès-verbaux doivent être systématiquement établis lors d’une mort sur
l’océan. Toutefois, l’élaboration complète d’un auto de Bienes de Difuntos semble
plus facile lorsque le vaisseau approche de la Casa de la Contratación plutôt que
de l’Amérique. En d’autres termes, si l’on compte autant de morts lors de la
traversée du retour, c’est certainement en raison des subtils fonctionnements
administratifs : ces derniers se développant a fortiori plus aisément auprès des
autorités.
L’analyse comparative des dossiers en fonction des différents groupes
professionnels et des lieux de disparition sur l’océan a été entreprise afin
d’appréhender maintenant, dans son ensemble, ce millier d’individus. Acteurs
impersonnels, acteurs indispensables, ces individus dont la destinée s’est 89
arrêtée sur les océans se trouvent désormais au centre de nos préoccupations et

les biens des défunts Les navigations espagnoles et les hommes


constituent l’objet fondamental de l’étude qui va suivre.

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237_vmne_c7d.indb 90 8/09/09 20:22:30
deuxième partie

Les hommes, les navires et la mer


Réalités professionnelles et quotidiennes

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chapitre i

Les réalités professionnelles océaniques

I- LA DIVISION DU TRAVAIL

Le navire constitue un espace de labeur dans lequel le rôle de chaque homme


est précisément défini. De l’échelon le plus bas de la hiérarchie au sommet de
la pyramide, chaque membre d’équipage revêt une importance particulière.
En effet, le bâtiment sur les flots n’est rien sans ceux qui le dirigent et comme
le remarque plus précisément Alonso de Chaves, cosmographe du xvie siècle,
« el piloto en la nao es así como el ánima en el cuerpo » 1.
93
A- Gens de mer
1- Les mariniers

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Les hommes, les navires et la mer
Pages, mousses et marins forment un corps de travailleurs assez homogène.
Leur activité sur le navire nécessite une bonne condition physique, car tous
sont exposés aux intempéries et doivent affronter avec force leur périlleuse
activité professionnelle. Les pages, tout d’abord, se situent au plus bas de
l’échelle hiérarchique. Ces jeunes apprentis sont contraints d’effectuer les
tâches ingrates du bâtiment : nettoyage, service de table et mesure du temps.
Considérés comme des novices par leurs pairs, ils souffrent parfois de brimades
dues à leur jeune âge. Ces enfants, âgés de huit à seize ans, sont en effet livrés
à l’équipage sans ménagement 2. Mais cette catégorie de jeunes apprentis
recouvre de multiples réalités. Il existe selon Juan de Escalante de Mendoza
deux sortes de pages. D’une part, les « bons à rien », ceux au service de leur
maître et « n’étant d’aucune utilité » 3 maritime et, d’autre part, ceux au service
du bâtiment désireux de s’aguerrir aux pratiques de la mer 4. Pour ces derniers
un mécanisme de tutelle permet aux jeunes pages de se former sous l’égide

 Cité par José Luis Martínez, dans Pasajeros de Indias. Viajes transatlánticos en el siglo xvi,
Madrid, Alianza Editorial, 1983, p. 71.
 Pablo Emilio Pérez-Mallaína rappelle que les pages peuvent embrasser la profession dès
huit ans, mais l’âge moyen est de quinze ans. Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres del
Océano. Vida cotidiana de los tripulantes de las flotas de Indias. Siglo xvi, Sevilla, Diputación
Provincial de Sevilla, 1992, p. 83.
 Nous traduisons.
 Juan de Escalante de Mendoza, Ytinerario de navegación de los mares y tierras occidentales
(1575), Madrid, Colección Clásicos Tavera, Obras Clásicas de Náutica y Navegación, edición
CD-Rom, José González-Aller Hierro (comp.), Madrid, Fundación Histórica Tavera, 1998,
fol. 34.

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d’un matelot aguerri 5. Laureano Gómez, enrôlé sur le navire Nuestra Señora
del Juncal, se voit ainsi placé sous l’autorité d’un adulte, un certain Francisco
Giménez « que lo avia llevado y asentado en la dicha plaza » 6. Ce personnage
entreprend de suivre l’enfant dans sa formation professionnelle et supervise
également le paiement de ses gains. Ainsi, signe-t-il un reçu pour la vente
des 444 rations de vins économisées tout au long de la traversée par l’enfant.
Toutefois, les rapports de force altèrent le jeu de l’apprentissage, car l’argent ne
sera jamais remis aux parents du page. Abusant de leur autorité, certains marins
n’hésitent pas à voler leur apprenti ou à faire preuve de rudesse à leur égard.
Marquée par le sceau de la violence, l’éducation maritime est difficile et, comme
le souligne Alain Cabantous, « apprendre la mer, c’est avant tout apprendre à
survivre » 7 : survivre aux périls de la profession et faire face, d’autre part, aux
violences de l’équipage et de la mer.
Cette réalité douloureuse ne prend pas les mêmes dimensions pour les
94 pages au service d’un maître. Juan de Escalante de Mendoza rappelle que ces
domestiques en quelque sorte ne souffrent pas des vexations imposées par
l’équipage et n’effectuent pas les tâches inhérentes aux apprentis 8. Francisco
López exerce ainsi sa profession de greffier en compagnie de son fils, page sur
le navire. Ce dernier, loin de participer aux menus travaux du bâtiment sert
son père avec attention 9. Le page Francisco Casales est également employé
au service d’un officier, le capitaine Juan del Campo. Ce dernier déclare s’en
être occupé comme de son propre fils et refuse par conséquent de verser la
solde du page défunt aux parents 10. À cette époque, la valeur professionnelle
du jeune enfant reste donc ignorée et l’asservissement à un maître clairement
affirmé.
Les mousses, ces mozos comme on les appelle en raison de leur âge pubère,
sont des marins à part entière. Au vu de leur faible expérience maritime, ils
touchent une solde moins élevée que leurs aînés et effectuent les tâches les plus

 Cesáreo Fernández Duro, Disquisiciones náuticas. La mar descrita por los mareados
(1878‑1881), Madrid, Ministerio de Defensa. Instituto de Historia y Cultura Naval, 1996, vol. II,
p. 261.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1625, leg. 954, n° 41, fol. 5.
 Alain Cabantous, « Apprendre la mer : remarques sur l’apprentissage des mousses à
l’époque moderne », Revue d’histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 1993,
Paris, Société d’histoire moderne et contemporaine, 1993, p. 422.
 Ce marin d’expérience décrit dans son dialogue « didactico-maritime » les pratiques ayant
cours : « El capitan suele meter en su nao por page a su pariente o al hijo de su amigo […]
y lo mismo hazen el piloto y contramaestre y no hay que tratar de los pages que entran […]
a navegar por esta via por que ni ellos hazen nada ni sirven de nada, sino solamente a acudir
a servir a sus amos… », Juan de Escalante de Mendoza, Ytinerario de navegación…, op. cit.,
fol. 34.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 935, n° 17, fol. 1-110.
10 AGI, Cont. Auto entre partes, año de 1614, leg. 789, n° 13, fol. 23.

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ardues 11. Ils grimpent en haut des mâtures, arisent les voiles, chargent l’eau et
les vivres à bord et reprisent les voilures. Dans notre échantillon, le plus jeune,
Marcos de Pastrana, a seize ans 12 et le plus vieux, Antonio Domingo de Santa
Cruz, vingt-six ans 13. À l’instar des pages, ces jeunes travailleurs ne subissent
pas tous le même traitement. Certains se consacrent aux travaux du bâtiment
avec souplesse et obéissent, serviles, aux ordres des marins ; d’autres connaissent
des modes de vie totalement différents : d’aucuns possèdent même des esclaves
à leur service. Ainsi, le mousse Melchor Maciles, lorsqu’il s’enrôle en 1589,
voyage en compagnie de deux esclaves, « un petit noir et une femme noire »,
qui le servent lors de la traversée 14.
Les marins, ces hommes d’expérience, représentent enfin le groupe
professionnel maritime par excellence. Au sein de cette catégorie de mariniers,
des hommes d’un âge mûr exercent leurs fonctions. Bien qu’habitués à grimper
sur les haubans, coutumiers des manœuvres en haut des vergues, aguerris aux
efforts les plus durs pour lever l’ancre ou charger le navire, ils n’en restent pas 95
moins fragiles face aux difficiles conditions de travail. Répondant aux ordres

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


du maître et du contremaître, ils se répartissent en différents groupes pour
effectuer leur quart et s’unissent en petit comité lors du repos pour former un
rancho 15. Ce groupe de mariniers composés de personnes ayant établi des liens
affectifs particuliers (de parenté, d’amitié ou de paisanaje 16) se retrouve pour
préparer les repas ou encore s’épauler en cas de danger. Loin de leur famille et
de la société, ils recréent à bord des structures intimes leur assurant une stabilité
affective. Dans son testament, Jorge García, un marin du Galion de Manille,
insère ainsi une clause pour remercier un de ses camarades « por ser de mi tierra

11 « Los llaman moços, respecto de que ordinariamente son de menos edad, y experiencias que
los marineros, y como tales considerandose novicios de aquella profession, se les manda
lo que es de mayor trabajo, y de menos inteligencia… », Joseph de Veita Linaje, Norte de la
Contratación de las Indias Occidentales (1672), Buenos Aires, Publicaciones de la Comisión
Argentina de Fomento Americano, 1945, libro II, capítulo II, n° 39.
12 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1650, leg. 968, n° 2, ramo 15, fol. 1-7.
13 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1677, leg. 974, n° 4, ramo 14, fol. 1-8. Dans le
dossier de ce mousse, on joint l’acte de baptême qui a été dressé en 1650 dans la ville de
Sanlúcar de Barrameda (il s’agit d’une copie). C’est grâce à ce type de documents, inséré
dans la procédure afin de démontrer la filiation, que l’on peut connaître l’âge des défunts.
La moyenne d’âge des mousses calculée à partir de notre échantillon s’élève à vingt ans ;
ainsi les chiffres obtenus dans ce travail rejoignent-ils ceux avancés dans d’autres études.
Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 85. Il a calculé que l’âge moyen des
mousses était de dix-huit ans.
14 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1604, leg. 497, n° 2, ramo 3, fol. 1-12.
15 Delphine Tempère, « Vida y muerte en alta mar. Pajes, grumetes y marineros en la navegación
española del siglo xvii », Iberoamericana. América Latina – España – Portugal, n° 5, Berlin,
Instituto Ibero-Americano, 2002, p. 109.
16 En espagnol le mot paisanaje rappelle le lien unissant des hommes en fonction de leur terre
d’origine (d’une province ou d’une région).

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y por buenas obras que del e recivido » 17. On devine à travers ces mots les liens
qui unissent des êtres affaiblis par la maladie et qui trouvent réconfort auprès
des leurs puisqu’ils sont issus de la même région, exercent le même métier et se
soutiennent jusqu’à la mort.
La profession de marinier requiert différentes qualités. Diego García de Palacios
recommande obéissance, habileté et connaissances techniques 18. Discipline et
formation technique semblent être les maîtres mots. Toutefois au xviie siècle,
la navigation conserve encore un caractère éminemment pragmatique  19 ; les
pilotes eux-mêmes ne disposent pas toujours des connaissances théoriques
prescrites et font confiance à leur expérience 20. Aussi découvre-t-on peu
d’instruments de navigation dans les inventaires post mortem des marins.
Comme le rappelle Juan de Escalante de Mendoza, l’expérience dès le plus
jeune âge forme les mariniers d’excellence 21 tandis que la maturité favorise
en revanche la paresse des anciens. Il constate en effet que les hommes âgés
96 d’une quarantaine d’années sont moins enclins à travailler et ont pour habitude
de paresser. Naturellement, ces marins expérimentés et endurcis aux rudesses
de la vie des océans manifestent plus facilement leur mécontentement aux
officiers. Moins souples que leurs cadets, ils se sentent investis d’une autorité
supplémentaire 22. Gabriel Morel exerce ainsi sa profession de marin à quarante-
huit ans lorsqu’un naufrage près des côtes de Campeche lui ôte la vie 23. Tout
laisse à penser que cet homme avait déjà surmonté les difficiles épreuves de
sa profession. Il portait sur le visage une cicatrice, marque de son caractère
peut-être belliqueux, et avait à sa charge une femme et des enfants totalement

17 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 390, n° 1, ramo 4, fol. 22.
18 Diego de García de Palacios, Instrucción náutica para el buen uso y regimiento de las
naos (1587), Madrid, Colección Clásicos Tavera, Obras Clásicas de Náutica y Navegación,
edición CD-Rom, José González-Aller Hierro (comp.), Madrid, Fundación Histórica Tavera,
1998, fol. 119 : « Bastará si son diligentes en obedecer, y acudir a los aparejos donde se les
mandare, y animosos en las nescesidades ».
19 Francisco Contente Dominguez, « Horizontes mentais dos homens de mar no século xvi.
A arte náutica portuguesa e a ciencia moderna », dans Viagens e Viajantes no Atlântico
Quinhentista. Primeiras jornadas de história Ibero-Americana, Ma da Graça Mateus Ventura
(dir.), Lisboa, Edições Colibri, 1996, p. 216.
20 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, « Los libros de náutica españoles del siglo xvi y su influencia en el
descubrimiento y conquista de los océanos », dans Ciencia, Vida y Espacio en Iberoamérica,
José Luís Peset (dir.), vol. III, Madrid, CSIC, 1990, p. 480.
21 Juan de Escalante de Mendoza, Ytinerario de navegación…, op. cit., fol. 31-32 : « Lo primero
que para ello ha de tener […] es haver usado mucho el mar desde su tierna edad… ».
22 Marcus Rediker remarque à ce sujet que l’expérience maritime constitue une nouvelle source
d’autorité. Il déclare : « sometimes overlapping with, and frequently conflicting with the
formal division of labor was another primary source of autority at sea: maritime experience ».
Marcus Rediker, Between the devil and the deep blue sea: merchant seamen, pirates and the
anglo-american maritime world. 1700-1750, Cambridge, Cambridge University Press, 1987,
p. 210.
23 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1632, leg. 958, n° 15, ramo 25, fol. 1-25.

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démunis. Il n’est pas le seul à s’enrôler en dépit de son âge avancé. Francisco
Téllez a déjà la quarantaine lorsqu’il meurt au combat atteint de plein fouet
par une balle. Malgré son âge et les réclamations faites par ses héritiers pour
recevoir sa solde de marin, le maître ose affirmer que ce membre d’équipage
n’avait que le grade de mousse ! Perfidie du maître ? Certainement, car il verse
aux parents du défunt des gains moins conséquents que ceux d’un marin 24.
L’âge moyen des autres mariniers se situe autour de vingt-sept ans et même si
cette espérance de vie semble brève, rappelons qu’au xviie siècle, en Espagne,
un homme dépasse rarement la trentaine 25. Ce constat va de pair avec l’exercice
d’une profession périlleuse. Les matelots sont en effet constamment exposés
aux intempéries et confinés de surcroît dans des navires sujets à toutes sortes
d’épidémies endémiques.
2- Les corps de métiers spécialisés

Les ramifications hiérarchiques sont complexes au sein de l’organisation 97


maritime, ainsi des corps de métiers spécialisés apparaissent-ils sans qu’il ne

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


soit réellement possible de déterminer leur rang. Ces professionnels de la mer
se consacrent en effet à leur tâche et selon les besoins du navire, leur rôle a une
importance spécifique.
Le plongeur, tout d’abord, est employé sur un bâtiment de guerre afin de
récupérer des marchandises ou des chargements de métaux précieux perdus
dans les fonds marins. Le buzo, comme on l’appelle en espagnol, s’immerge
aussi pour repérer les voies d’eau du bâtiment 26. Il travaille de concert avec
le charpentier et le calfat en suivant leurs instructions pour réparer les avaries.
Lorsque Domingo Giraldo s’enrôle sur le Galion Nuestra Señora de la Concepción
en 1669, une tempête assaille la flotte de la Nouvelle Espagne. On lui demande
alors de rejoindre le vaisseau Nuestra Señora del Rosario afin de réparer une voie
d’eau au péril de sa vie 27.
Le charpentier et le calfat sont moins exposés au danger que le plongeur, ils
contrôlent l’étanchéité de la coque 28 et la réparent de l’intérieur en l’enduisant
d’étoupe et de goudron 29. En plus de leurs compétences techniques, García

24 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1677, leg. 974, n° 4, ramo 9, fol. 1-9.
25 Raphaël Carrasco, Claudette Dérozier, Annie Molinié-Bertrand, Histoire et civilisation de
l’Espagne classique. 1492-1808, Paris, Nathan université, 1991, p. 101.
26 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 88.
27 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1670, leg. 5582, n° 68, fol. 1-7.
28 Ils doivent par exemple lutter contre la broma, un mollusque, le taret (teredo navalis), qui
dévore le bois des coques des navires. Eduardo Trueba, « Dos experiencias contra la “Broma”
(Teredo Navalis), en la Sevilla del siglo xvi », Revista de Historia Naval, n° 16, Madrid, Edición
del Ministerio de Defensa, 1987, p. 83-93.
29 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 97.

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de Palacios leur recommande d’être de bons marins  30. Les charpentiers
et les calfats qui s’embarquent sont en effet des gens de mer à part entière.
Le titre de maître est couramment utilisé au sein de cette profession. Ainsi
Bartolomé Gómez 31 possède-t-il le titre de maître charpentier et Francisco
Flejo 32 celui de maître calfat. Sous leur tutelle, des adolescents apprennent
le métier ; parfois ce sont des marins qui bénéficient de leur expérience pour
acquérir une spécialisation. Pour pratiquer leur profession, ces techniciens
maritimes sont tenus d’embarquer leurs outils. Ainsi, le charpentier Gonzalo
Rangel possède‑t‑il deux herminettes – azuelas –, deux haches, trois ciseaux
à bois – escoplos –, une gouge 33 – gurbia –, un maillet et un coffret avec
des petites brosses de charpentier 34. Parmi ses confrères, on recense dans
l’échantillon douze charpentiers et neuf calfats qui possèdent pour la plupart
leurs instruments de travail. Dans certains cas, cependant, les outils ne sont
pas inventoriés parmi les biens du défunt car ce dernier choisit de les remettre
98 avant sa mort à son apprenti ou compagnon 35.
Le tonnelier quant à lui a pour mission de réparer les tonneaux et de s’assurer
de leur étanchéité afin que l’eau, le vin et les aliments salés soient préservés de
l’humidité. Cet artisan peut également posséder le titre de maître comme Alonso
Domingo qui lègue à son apprenti des vêtements, sa dague et son épée. Le
testament qu’il rédige laisse toutefois transparaître de nouvelles indications sur
les modalités d’apprentissage en mer. Le jeune travailleur est totalement assujetti
au tonnelier, ce dernier déclarant être « dueño de su persona y trabajo » 36.
Le lanternier s’occupe, pour sa part, de l’entretien des lanternes et des fanaux.
Voici une profession spécialisée peu fréquente qui exige une grande prudence,
car l’incendie à bord est fort redouté. Sur les navires de guerre, les imposants
fanaux situés à la poupe du vaisseau possèdent une fonction indispensable : c’est
en effet grâce à leurs signaux lumineux que l’on repère l’ensemble du convoi. Le
travail du lanternier consiste donc à les réparer en cas de besoin et José de Mesa,
lanternier d’un vaisseau amiral, ne manque pas de conserver une douzaine de
petits morceaux de verre pour effectuer ses interventions 37.

30 Diego de García de Palacios, Instrucción náutica…, op. cit., fol. 116-117.


31 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1692, leg. 465, n° 3, fol. 1-37.
32 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1651, leg. 968, n° 3, ramo 18, fol. 1-19.
33 Ciseaux à bois dont le tranchant est arrondi. Guide des termes de Marine. Petit dictionnaire
thématique de la Marine, Douarnenez, Le Chasse-Marée, 1997, p. 45.
34 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1676, leg. 974, n° 3, ramo 5(1), fol. 1-10.
35 Le phénomène inverse se produit lorsque Luis López, marin de profession et apprenti calfat,
décède en mer en 1678. Reconnaissant envers son maître, il lui lègue un petit coffret avec
une douzaine de flacons (AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg. 975, n° 1,
ramo 1(2), fol. 26).
36 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1635, leg. 961, n° 13, fol. 3.
37 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1683, leg. 671, n° 6, fol. 1-32.

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Tandis que le maître-coq possède déjà un poste à part entière sur les vaisseaux
français, la profession de cuisinier est peu fréquente au xviie siècle sur les flottes
espagnoles 38. Juan Martín est l’unique membre d’équipage à l’exercer à bord
d’un galion. Voyageant sur le navire El Santo Cristo de San Augustín, il périt
à bord en 1667 39. Communément, sur les navires de guerre et les bâtiments
marchands, pages et matelots sont en fait désignés à tour de rôle afin de cuisiner
pour leur rancho 40.
3- Les officiers maritimes

Au plus bas de l’échelle, on retrouve le dépensier, mais indéniablement il jouit


d’une position privilégiée. Muni des clés des écoutilles, il vaque sur le navire,
gère et distribue les rations : le tintement de ses clés rappelant inlassablement
qu’il est le seul à avoir accès aux vivres 41. Parmi les compétences requises, García
de Palacios conseille de savoir modérer l’appétit et la soif, car il a à portée de
mains tous les mets et breuvages souhaités 42. Contre toute attente, le dépensier 99
exerce sa profession sans avoir recours à l’écrit, et si d’aventure cette compétence

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


lui fait défaut, il demande au greffier de l’aider 43.
Au plus bas de la hiérarchie des officiers, une autre figure fait son apparition
sur les vaisseaux espagnols. Il s’agit de l’alguazil de l’eau, chargé de gérer et
de distribuer le précieux liquide 44. Cette fonction, qui incombe à l’origine
au dépensier, se reporte sur ce personnage original de l’organisation maritime
espagnole. Mateo Rodríguez, alguazil del agua, sur le navire Almiranta,
Nuestra Señora de los Milagros, semble consacrer toute sa vie à l’exercice de ses
fonctions 45. À la lecture de son testament, son existence austère se dévoile :

38 Jean Merrien, La Vie des marins au grand siècle, Rennes, Terre de Brume Éditions, 1995,
p. 155.
39 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1667, leg. 451B, n° 6, ramo 3, fol. 1-20.
40 Delphine Tempère, « Vida y muerte… », art. cit., p. 109. Dans ce contexte, on pourrait traduire
en français le terme « rancho » par « plat » (plat de nourriture partagé par différents membres
d’équipage).
41 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 97.
42 Diego de García de Palacios, Instrucción náutica…, op. cit., fol. 115 : « templado en comer y
beber ».
43 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 1, ramo 6, fol. 16-19.
Parmi les seize dépensiers recensés dans cette étude, Leonardo Infante se distingue car il
possède un petit livre de comptes en italien. Son cas est toutefois atypique car la plupart
des dépensiers ne savent pas écrire et sont dans l’incapacité de signer leur testament.
Ainsi, Jorge Navarro, qui est malade au lit, ne peut signer ses dernières volontés « por no
saber firmar », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 296A, n° 1, ramo 1,
fol. 2. Bernardo de Castro, dépensier sur la nef Santa María de la Trinidad, fait également
rédiger son testament, mais se trouve dans l’incapacité de le signer car il ne sait pas écrire :
« no supo escribir », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1619, leg. 949, n° 1,
ramo 14, fol. 6.
44 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo II, n° 34.
45 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348B, n° 2, ramo 3, fol. 1-5.

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se réduisant à cette seule vie errante en mer, sans parents, sans domicile, sans
dettes ni créances, ce fonctionnaire royal meurt de maladie en 1621 en laissant
son âme comme seule héritière. Sombre destin de cet officier représentant
l’autorité royale et contraint de distribuer parcimonieusement l’eau douce tant
convoitée sur les océans. D’autres professionnels endurent encore une existence
peu enviée malgré l’apparente notoriété dont ils semblent jouir. Les greffiers de
navire connaissent ce piètre sort.
À bord, comme à terre, l’écrit envahit l’univers social des hommes. Ainsi, chaque
événement est-il consigné par le greffier et toute transaction commerciale, avance
sur solde ou liste des gréements, est scrupuleusement annotée. La présence de
cet homme de plume est indispensable, car par son intermédiaire, l’équipage
fait rédiger ses dernières volontés, inventorier les biens d’un défunt et prend
connaissance des différents procès instruits en pleine mer. Toutefois, le greffier
de navire ne jouit pas de la même reconnaissance sociale que celle de ses confrères
100 restés à terre 46. De fait, l’aventure maritime consiste plutôt en une échappatoire
pour ce scribe de dernier ordre 47. Antonio de Alvarado incarne bien ce personnage
misérable, austèrement vêtu d’habits noirs élimés et contraint de voguer sur les
flots pour gagner quelques réaux. Les lettres poignantes qu’il conserve de sa
mère décrivent la souffrance et la pauvreté d’une femme condamnée à attendre
en Espagne les faibles revenus de son fils 48. Parmi les vingt greffiers recensés
dans ce travail, Pedro Pérez de Helguera disparaît encore endetté et son héritage
se désagrège au fil des réclamations des créanciers 49. L’héritière d’Antonio de
Chardi, greffier à bord de la nef San Jorge, refuse quant à elle les biens laissés
par son frère car, sous les pressions exercées par les créanciers, elle n’ose prendre
possession de son héritage craignant de verser plus d’argent qu’elle n’en

46 Toutefois, signalons qu’aux Indes, sa position n’est pas non plus très enviable. Voir à propos
de ces hommes de plume au xvie siècle l’étude de Grégoire Salinero, Une ville entre deux
mondes : Trujillo d’Espagne et les Indes au xvi e siècle. Pour une histoire de la mobilité à
l’époque moderne, Madrid, Casa de Velázquez, 2006, p. 167-188.
47 Antonia Heredia Herrera, « Los escribanos de naos », dans Andalucía América y el Mar. Actas
de las IX Jornadas de Andalucía y América, Sevilla, Universidad de Santa María de la Rábida,
1991, p. 284.
48 Dans l’auto de Bienes de Difuntos du greffier Antonio de Alvarado plusieurs lettres
personnelles sont conservées. Dans l’une d’entre-elles écrite par sa mère en 1599, on
lit : « Y no se hijo como sabre encarescerte la miseria y pobreza que esta pobre de tu
madre y hermana padecemos, porque quererte encarecer al estremo della será ynposible,
solo dios te lo podrá dar a entender porque es de suerte que ya en ninguna cassa nos
quieren acoger por que ben que no Tenemos de que pagar ni prendas de que puedan
cobrar, y asi nos hechan, unas con un año de deuda, otras con ocho meses, otras con
seis y ansi de muchas casas nos an hechado. […] Suplicote hijo de mis entrañas por la
pasion de dios te duelas de nosotras y si tubieres algo nos socorras lo mas brevemente
que pudieres… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 274B, n° 2,
ramo 2, fol. 14-16.
49 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1634, leg. 960, n° 3, fol. 1-12.

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recevrait 50. Le portrait dressé des greffiers de navire apparaît donc en demi-
teinte puisque ces derniers perçoivent une solde médiocre alors qu’ils représentent
l’autorité à bord en servant d’assesseurs aux maîtres et capitaines de vaisseau.
Dans un autre domaine, le chirurgien et le barbier assurent une assistance
sanitaire auprès de l’équipage moyennant des droits pour chaque intervention.
Le barbier pratique des saignées tout en rasant de près les hommes qui font appel
à ses services. Muni de lancettes et de rasoirs, il s’occupe aussi bien de l’hygiène
corporelle que des soins médicaux. Cette ambivalence de compétences peut
sembler suspecte 51 ; Eugenio Salazar en profite d’ailleurs pour railler le barbier :
« hay en este pueblo un barberi-médico para raer las testuces de los marineros y
sacarles la sangre, si menester fuere » 52. Le chirurgien possède une formation
plus pointue et doit commander auprès des autorités les remèdes qui lui seront
nécessaires avant d’embarquer. Dans une caisse réservée à cet effet, il conserve
emplâtres, onguents, herbes médicinales, huiles (aux essences de scorpion,
parfois de vers de terre) et quelques liqueurs 53 aux vertus apaisantes 54. Comme 101
d’autres professionnels, il est tenu d’emporter sur le bâtiment ses instruments

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


de médecine. Ainsi, le barbier-chirurgien Francisco Mancebo est-il pourvu de
quelques accessoires chirurgicaux, de ciseaux, de lancettes, d’un peigne, d’un
miroir, d’un couteau de barbier et de plusieurs ouvrages médicaux  55. Les
instruments reflètent parfaitement l’ambivalence des compétences de cet homme
de santé, car il exerce aussi bien ses talents médicaux que ceux de barbier 56.

50 La sœur d’Antonio de Chardi déclare ainsi : « Dijo que no es heredera ni lo quiere ser del dicho
antonio chardi su hermano que por su testamento […] aia dejado por su heredera que desde
luego para siempre renuncia a la dicha erencia… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos,
año de 1641, leg. 966, n° 1, ramo 2, fol. 1-32.
51 Ángeles Flores Moscoso, « Protagonismo andaluz en la sanidad naval del siglo xvii », dans
Andalucía y América en el siglo xvii. Actas de las III Jornadas de Andalucía y América, Sevilla,
Escuela de Estudios Hispano-Americanos de Sevilla, 1985, p. 377.
52 Cesáreo Fernández Duro, Disquisiciones..., op. cit., vol. II, p. 183.
53 En 1636, avant le départ de la flotte de la Nouvelle Espagne, les caisses de médicaments sont
inventoriées. On y découvre des eaux de rose, « aguas rosadas de Castilla », de l’eau‑de‑vie,
« aguas ardiente », des onguents, « amarilo, apostolum », des emplâtres faits à base de
grenouilles, « emplastos de ranas », d’autres pour soigner les maux d’estomac, « emplastos
estomaticon », des huiles à base de scorpions, de vers de terre, « azeites de alacranes, de
lombrices », des poudres d’encens, des sangsues et quelques instruments médicaux dont
des seringues et une balance, AGI, Cont. Papeles de Armada, año de 1636, leg. 2997, n° 42.
54 Les remèdes embarqués sur les bâtiments français au xviie siècle sont semblables à ceux des
vaisseaux espagnols. Jean Merien, La Vie des marins…, op. cit., p. 119.
55 Dans l’inventaire post mortem des biens du chirurgien Francisco Mancebo, il y a dans son
coffre : « Una cajita con herramienta de cirujano, un estuche de carei con su herramienta,
una caja de navajas y tijeras […] dos tijeras espejo peine y hierro de bigotes […] un lancetero
con quatro lancetas… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1670, leg. 454B, n° 3,
ramo 2, fol. 2.
56 Ángeles Flores Moscoso, « Protagonismo andaluz… », art. cit., p. 376. Au xvii e siècle, la
chirurgie est tenue comme un art manuel de catégorie inférieure à celui de la médecine
considérée en revanche comme science à part entière.

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Dans un autre registre, les compétences de l’aumônier rejoignent celles
du chirurgien, car tous deux doivent panser les blessures, corporelles
ou spirituelles, infligées par ces longues traversées. L’aumônier possède
toutefois un statut particulier. Ce représentant de l’Église jouit en effet
d’une reconnaissance sociale élevée puisqu’il relie le monde de la mer au
monde spirituel. Il apporte réconfort « aux portes de la mort » et permet
ainsi aux hommes de se rapprocher de Dieu. Les ordonnances conservées
dans la Recopilación de las Leyes de Indias insistent sur son rôle emblématique
puisqu’il doit confesser les malades, administrer les derniers sacrements,
dire des messes pour les âmes des défunts et parfois célébrer des offices en
mer 57. Comme d’autres officiers, l’aumônier doit être pourvu des objets
nécessaires à l’exercice de son ministère. Ainsi, Juan de la Paz, l’aumônier du
galion La Santísima Trinidad, possède-t-il un petit livre pour dire la messe,
un autre ouvrage recensant les obligations du bon chrétien et un bréviaire 58.
102 Il offre ainsi une assistance spirituelle aux gens de mer et de guerre  59 et
rassure finalement les hommes loin de toutes structures ecclésiastiques. Dans
notre échantillon, neuf aumôniers sont recensés sur des vaisseaux militaires
et marchands 60. Leur présence est en effet requise sur les bâtiments du roi et
sur ceux des particuliers, car l’aumônier rassérène l’équipage et amadoue les
hommes les plus virulents.
Le pilote, techniquement, est l’officier le plus reconnu au sein d’un navire.
Il représente l’autorité scientifique à bord et joue mystérieusement de ses
savantes compétences. Ainsi, Eugenio Salazar s’avoue las des pratiques secrètes
des pilotes ne révélant ni la route ni la position du navire aux passagers et usant
avec mystères de leurs instruments de navigation 61. Le pilote surprend en effet

57 On lit dans le recueil de lois : « Que el general procure, que en cada Nao vaya a quien
confiesse la gente, y cuide de los enfermos, y de los bienes, y testamentos de los difuntos ».
Recopilación de las Leyes de los Reynos de Indias (1681), Madrid, Ediciones Cultura Hispánica,
1973, libro IX, título XIV, ley XXX.
58 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 522, n° 1, ramo 21, fol. 1.
59 Concepción Hernández-Díaz, « Asistencia espiritual en las flotas de Indias », dans Andalucía
América y el Mar…, op. cit., p. 271.
60 Dans des ordonnances conservées à la Real Academia de la Historia, une cédule datant de
1597 précise encore : « Y aunque es de creer que en todas las Flotas irán clerigos y religiosos,
quando no los huviere dará orden el General que vayan y vengan algunos para administrar
el Sacramento de la Confesion a las personas que lo hubieren menester teniendo particular
cuydado, que assi en las naos Capitana y Almiranta, como en las merchantes, aya mucha
quenta de los enfermos, que serán curados, no mueran sin confesion y hagan testamento… »,
RAH, Salazar y Castro, N-57, Colección de cédulas y ordenes reales para los Almirantes de
las flotas recopilados para el uso del general de la flota de Tierra Firme, Luis Francisco de
Guzmán, Año de 1654, fol. 199.
61 « Y sobre todo me fatiga ver aquel secreto que quieren [los pilotos] tener con los pasajeros
del grado ó punto que toman, y de las leguas que les parece que el navío ha singlado… »,
Cesáreo Fernández Duro, Disquisiciones..., op. cit., vol. II, p. 198.

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les passagers peu rompus à ce genre de mesures qui découvrent arbalestrille,
astrolabe, sextant, compas, boussoles et cartes marines avec une certaine
stupéfaction. Fray Diego de Ocaña, un passager ecclésiastique, s’enthousiasme
lui pour les secrets de la navigation. Il passe de longues heures en compagnie
du pilote, savourant chaque nouvelle connaissance et admirant la voûte
céleste changeante au fil des jours 62. Mais pour d’autres passagers, le pilote
est considéré comme un médiocre savant, usant de méthodes ésotériques au
détriment de réelles compétences scientifiques. Face aux dangers, ses décisions
sont parfois jugées avec sévérité. Francesco Carletti discrédite ainsi son action
en rappelant que la plupart d’entre eux ne savent même pas lire 63. Il est vrai
cependant que certains pilotes sont incapables de résoudre les problèmes liés
aux déclinaisons magnétiques et inaptes à faire le point en mer. Pedro Porter
y Casanete, un marin, géographe et scientifique, déplore à ce propos des
pratiques ayant cours à la Casa de la Contratación 64. En effet, chaque pilote
doit obtenir une licence avant de gouverner un navire sur la route des Indes 65, 103
mais par clientélisme ou par manque de spécialistes, des hommes incompétents

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


sont parfois nommés à ce poste 66. Dans la plupart des cas pourtant, même si
le pilote n’a pas encore assimilé les nouveaux acquis scientifiques de son siècle,
il possède de profondes connaissances pragmatiques 67. À cette époque, il fait
toujours confiance à son instinct et se repère grâce aux signes que lui offrent les

62 Fray Diego de Ocaña, Un viaje fascinante por la América Hispana del siglo xvii, Madrid,
STVDIVM ediciones, 1969, p. 12. Il décrit avec enthousiasme ces longues soirées passées
aux côtés du pilote : « Traía otro gusto muy grande que era venirme parlando con el piloto
mayor hasta después de medianoche, tratando del secreto de la navegación, de los grados y
de las alturas, del conocimiento de los ocho vientos principales que traje la aguja de continuo
pintados: ver cómo va de continuo apuntando al norte. Y lo que mayor contento me daba era
ver el movimiento de los cielos… ».
63 Francesco Carletti, Razonamientos de mi viaje alrededor del mundo (1594-1606), estudio
preliminar, traducción y notas de Francisca Perujo, México, Universidad Autónoma de
México, 1976, p. 82 : « El piloto, la mayor parte de los cuales comúnmente no saben siquiera
leer… ».
64 Pedro Porter y Casanete, Reparo a errores de la navegación española (1634), introducción y
edición W. M. Mathes, Madrid, Ediciones José Porrua Turranzas, Colección Chimalistac, 1970,
p. 33.
65 En 1621, le Piloto Mayor Leonardo de Oria délivre ainsi une licence à Antonio González pour
naviguer sur la route menant à Saint-Domingue, Porto Rico, Cuba et au Honduras. Quelques
folios auparavant, des témoignages recueillis indiquent que le futur pilote est un bon marin
et qu’il navigue sur les routes de la Carrera de Indias depuis plus de vingt ans. AGI, Cont.
Exámenes de pilotos, año de 1621, leg. 5780, fol. 14 et fol. 4. Voir également, María del
Carmen Borrego Plá, « Maestres y pilotos de la bahía gaditana en la Carrera de Indias hasta
1700 », dans Andalucía y América…, op. cit., p. 129-142.
66 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo XI, n° 12 y 13.
67 Pablo Emilio Pérez-Mallaína déclare à ce propos : « La experiencia de la navegación siguió
aportando a lo largo de toda la centuria [el siglo xvi] el principal bagaje de los conocimientos
de un piloto », Pablo Emilio Pérez-Mallaína, « Oficiales y Marineros de la Carrera de Indias
(Siglo xvi) », dans Congreso de Historia del Descubrimientos 1492-1556, Madrid, Real
Academia de Historia, 1991, p. 51.

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océans 68. Juan de Escalante de Mendoza sait à ce sujet qu’il n’existe pas d’autre
connaissance que celle imprimée par le temps et l’expérience 69.
4- La maistrance

Comme le souligne le père Jean-Baptiste Labat, le « capitaine des matelots »


n’est autre que le maître de navire 70. Attentifs à ses ordres, les gens de mer
réagissent immédiatement. L’équipage travaille en effet de concert et se meut
sur le vaisseau dès que ses signaux retentissent. Le maître use, il est vrai,
d’autorité et impose une discipline à bord. Hevia Bolaños précise qu’il peut
infliger des châtiments à ses marins ou punir les mousses dans la mesure où il
ne porte pas atteinte à leur vie 71 ! Juan de Escalante de Mendoza, plus tempéré
dans ses propos, rappelle que toute personne à bord lui doit la plus complète
obéissance sous peine d’être châtiée 72. En fin de compte, il est souvent considéré
comme le capitaine du vaisseau 73. Il possède en effet des charges précises et
104 lourdes de responsabilité. Il exerce deux fonctions : celle d’un homme de
négoce et celle d’un marin. García de Palacios insiste sur son habileté dans le
domaine commercial, « deve ser hombre avil, diligente, y de negocios, conocido de
mercaderes », mais surtout dans le domaine maritime, « importará que sea buen
marinero » 74. Le maître est en effet un marin sachant tracer un cap, utiliser
les différents instruments de navigation tout en remplissant de multiples
tâches administratives. La gestion des équipements maritimes, l’arrimage
des marchandises, l’approvisionnement des vivres sont autant d’obligations

68 Il détecte par exemple l’imminence d’une tempête : « quando el pescado Delfin da saltos por
encima la mar, acercandose hazia la ribera ». Pedro de Syria, Arte de la Verdadera Navegación,
Valencia, Impressa en Casa de Juan Chrysostomo Garriz, 1602, p. 31. En 1566, Jerónimo de
Chaves offre déjà dans son ouvrage la même indication. Les connaissances du monde de la
mer se transmettent au fil des ans et se réitèrent donc dans les ouvrages consacrés à l’art
de naviguer. Jerónimo de Chaves, Chronographia o Repertorio de los tiempos, Sevilla, Juan
Gutiérrez en la calle Génova, 1566, p. 245 : il est ainsi dit dans le quatrième traité du livre :
« Señales de tempestad por Estrellas del Cielo […] Por aves y pesces […] Delfines quando dan
saltos por cima del agua y se llegan a tierra, denota tormenta ».
69 « Y veo que no se dice sin causa que la experiencia es madre y origen de la ciencia, y más
en estas cosas marítimas, en que ella tiene principalmente primado », Juan de Escalante de
Mendoza, Ytinerario de navegación…, op. cit.
70 Jean-Baptiste Labat, Voyage aux Isles. Chronique aventureuse des Caraïbes. 1693-1705,
édition établie et présentée par Michel Le Bris, Paris, Phébus, coll. « Libretto », 1993, p. 36.
71 Juan de Hevia Bolaños, La Curia Philípica (1616), tomo segundo « Donde se trata de la
Mercancía, y Contratación de Tierra y Mar… », Madrid, Impresor de la secretaría del despacho
universal de la Guerra, 1771, cap. IV, p. 467 : « Assimissmo puede el maestre de la Nave
castigar con azotes a sus marineros y sirvientes, por los yerros que hicieren con que no los
maten… ».
72 Juan de Escalante de Mendoza, Ytinerario de navegación…, op. cit., fol. 44.
73 Luis Navarro García, « La Gente de Mar en Sevilla en el Siglo xvi », Revista de Historia de
América, n° 67-68, México, Instituto panamericano de geografía e historia, 1969, p. 4.
74 Diego de García de Palacios, Instrucción náutica…, op. cit., fol. 112.

237_vmne_c7d.indb 104 8/09/09 20:22:37


qu’il doit assumer 75. Hevia Bolaños considère pourtant avec mépris l’homme
exerçant cette profession, il estime cette dernière « vil, y de mala opinión » 76.
Cette opinion médiocre s’explique sans doute en fonction d’un phénomène
qui se développe au xviie siècle : au fur et à mesure, les compétences maritimes
de ce dirigeant s’amenuisent au profit d’un accroissement de ses obligations
administratives  77. Le maître de navire perd ainsi son statut d’homme
de mer pour rejoindre lentement le rang des simples gérants suspicieux et
procéduriers 78. Rappelons à ce sujet que l’ouverture d’un dossier des Bienes de
Difuntos est placée sous son entière responsabilité.
Le maître de rations, quant à lui, occupe un poste à caractère singulier. Il
incombe à cet officier de gérer les gréements, les cordages et l’approvisionnement
en vivres et en eau 79. Onze individus exercent cette profession qui s’apparente
naturellement à celle du maître de navire puisqu’ils relaient ce dernier. Les
compétences du maître de rations requièrent un véritable savoir-faire 80 ; il
en va de même pour d’autres professionnels appartenant à cette catégorie de 105
maîtres.

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


Ainsi le maître d’argent, le maestre de plata, figure emblématique des galions
espagnols et puissant dépositaire, a-t-il pour mission d’acheminer en Espagne
les trésors royaux et ceux des particuliers. Détenteur d’un pouvoir financier sans
limites, il doit gérer avec la plus grande attention barres d’argent, lingots d’or,
perles, pierres précieuses et pièces d’argent transitant sur les océans. Il tient des
registres précis indiquant le nom des propriétaires et la moindre quantité de
métal argentifère 81. Sa charge est complexe et coûteuse, il doit en effet employer
à ses frais greffiers et hommes de confiance – pañoleros – afin d’enregistrer et
conserver les précieux chargements. Il lui est également demandé de participer

75 Antonio García-Baquero González, La Carrera de Indias: Suma de la Contratación y Océano


de Negocios, Sevilla, Algaida Editores, 1992, p. 172.
76 Juan de Hevia Bolaños, La Curia Philípica…, op. cit., p. 467.
77 Toutefois, comme le remarque Antonio Miguel Bernal, l’importance des maîtres de navire
reste primordiale du xvie à la seconde moitié du xviie siècle : « Hasta bien avanzado el siglo xvii
la figura de los maestres sería la pieza vertebradora del tráfico colonial », A. Miguel Bernal,
La financiación de la Carrera de Indias, 1492-1824. Dinero y crédito en el comercio colonial
español con América, Sevilla/Madrid, Fundación el Monte, 1992, p. 151.
78 Grégoire Salinero qui souhaite mener une étude sur les commandements de la Carrera de
Indias à partir, entre autres, de la source des Bienes de Difuntos, remarque que leur influence
déterminante au xvie siècle s’amenuise au fil des années face à la montée en puissance du
capital marchand. « Les commandements de la Carrera de Indias. Propriétaires, commandants
et pilotes de navires dans la formation d’un système de relations entre la péninsule Ibérique
et les Indes (1492-1650) », Les Cahiers d’Histoire de l’Amérique coloniale, n° 1, Paris,
l’Harmattan, 2006, p. 147‑163.
79 Recopilación…, op. cit., libro IX, título XXIV, ley XXXXII.
80 Luis Navarro García, « La Gente de Mar en Sevilla en el Siglo xvi… », art. cit., p. 45.
81 Toutes les ordonnances réglementant les obligations des Maestres de Plata sont conservées
dans le recueil de lois indianas. Recopilación…, op. cit., libro IX, título XXIV, ley I-XIIII.

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financièrement à la construction de soutes spécifiques – los pañoles – dans
lesquelles les trésors sont soigneusement déposés 82. D’autre part, pour exercer
son activité, la Couronne le contraint à verser une caution de 25 000 ducats 83.
La participation de différents associés unissant leurs capitaux et engageant leur
patrimoine permet ainsi au maître d’argent d’assumer sa fonction 84. Cette
entreprise exige donc de solides appuis financiers et nous verrons par la suite que
le Consulado de Mercaderes de Séville joue à ce sujet un rôle non négligeable.
Lorsque la mort d’un maître d’argent est imminente, l’organisation
administrative à bord du navire se modifie. En effet, la disparition sur les flots
d’un personnage détenant autant de responsabilités et de trésors mérite de
prudentes mesures. Tout un protocole s’engage alors lorsque le décès du maître
est constaté. Des procès-verbaux contenus dans l’auto du défunt maître d’argent
Francisco de Montesión relatent avec précision les différentes étapes inhérentes
à la succession du poste 85. Lorsque le 30 septembre 1689 il décède, le capitaine
106 du vaisseau accompagné de plusieurs témoins entre dans sa cabine et découvre
le corps du défunt enveloppé dans un linceul. Il demande à ouvrir ses coffres et
en fait retirer des livres de comptes. En compagnie de la petite troupe d’hommes
composée des exécuteurs testamentaires, du greffier, du futur maître d’argent
et d’autres témoins, il se dirige ensuite dans l’entrepont du navire. Arrivé aux
soutes spéciales, los pañoles, dans lesquelles dorment tous les trésors le temps
d’une traversée, il vérifie les comptes en fonction des registres conservés en ces
lieux et la véracité des écrits du défunt maestre de plata. Avec mille précautions,
les quantités d’or et d’argent sont donc maintenues en toute sûreté, « por estar
encerradas en dicho pañol con toda Guarda y Custodia », en attendant le nouveau
dépositaire des trésors. On découvre ainsi un monde complexe et animé à la
suite du décès d’une figure clef des vaisseaux espagnols.
Il convient enfin de signaler que le maestre de plata est souvent originaire de la
même région d’Espagne. On constate en effet tout au long du xviie siècle que la
plupart des maîtres d’argent proviennent du Pays basque. Cette caractéristique a
fini par éveiller notre curiosité 86. Sur les douze dépositaires de métaux précieux,

82 Enriqueta Vila Vilar, « Los maestres de plata: un resorte de poder en el comercio con Indias »,
dans Entre Puebla de los Ángeles y Sevilla. Homenaje al Dr. José Antonio Calderón Quijano,
Sevilla, CSIC, Universidad de Sevilla, 1997, p. 121.
83 Ibid.
84 Antonio González de Legarda, maître d’argent du navire Almiranta, Nuestra Señora de la
Encarnación, rappelle ainsi dans son testament qu’il a versé une caution pour exercer sa
profession : « Y declaro que voy ejerciendo el oficio de maestre de plata en esta almiranta de
la flota y he pagado la Cantidad en que se me remató », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos,
año de 1646, leg. 417, n° 4, fol. 4.
85 AGI, Cont. Auto de Bienes de difuntos, año de 1689, leg. 575, n° 3, ramo 3, fol. 1‑3.
86 Enriqueta Vila Vilar remarque la même caractéristique dans son étude ayant trait aux maîtres
d’argent de 1617 à 1620. Enriqueta Vila Vilar, « Los maestres de plata… », art. cit., p. 124.

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plus de six sont nés au Pays basque. Pourquoi un tel engouement pour exercer
cette profession ? Pour quelles raisons les maîtres d’argent (et plus largement les
maîtres de navire 87) sont-ils originaires de cette région espagnole ? Un élément
de réponse peut être apporté en évoquant l’importance des liens qui unissent
les commerçants à l’organisation du trafic maritime. Le rôle éminemment
remarquable des mercaderes basques en Espagne et en Amérique n’est plus à
démontrer, leurs réseaux extrêmement développés d’entraide et de commerce
non plus 88. Dans ce contexte, l’importance des maîtres d’argent originaires
de cette contrée prend toute son importance. Le Consulado de Mercaderes,
qui jouit d’une domination accrue sur le commerce transatlantique, n’hésite
pas à placer des hommes de confiance à ces postes-clefs afin de maintenir sa
prédominance dans le monde des affaires coloniales. Utilisant sa puissance
financière, il est à même de verser l’importante caution exigée par la Couronne
pour placer un homme de son choix au poste de maître d’argent et s’assure ainsi
d’une plus grande fiabilité de services. Ces personnages connexes permettent 107
donc aux représentants du Consulat d’asseoir leur influence commerciale tout

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


en s’assurant d’une remise effective des capitaux qu’ils ont engagés entre les
deux continents. À partir de la seconde moitié du xviie siècle, la prééminence
basque dans la Carrera de Indias se maintient et se traduit notamment à
travers le nombre toujours plus significatif de maîtres d’argent de la même
région 89. Cependant, ces hauts responsables occupent leur poste de manière
temporaire 90. L’activité commerciale est en effet plus prestigieuse à terre, en
Espagne, loin du tumulte des océans et de l’Amérique. Pour ces hommes se
destinant à une grande carrière mercantile, l’expérience en mer n’est donc
qu’un échelon à franchir avant d’obtenir reconnaissance sociale et fortune sur
la terre ferme.
Si au plus haut de l’échelle se situe le maître de navire, à un échelon inférieur,
on découvre le contremaître qui est son collaborateur direct. Pour l’assister dans
les tâches de commandement, cet auxiliaire assume de lourdes responsabilités.
Il représente tout d’abord le premier interlocuteur avec l’équipage puisqu’il
indique aux hommes les manœuvres à effectuer une fois que le pilote lui a
transmis ses instructions. Il joue un rôle de commandement précis, orchestre les
manœuvres et les déplacements des marins grâce à l’utilisation d’un sifflet 91 et,
pour se faire respecter, il se munit d’un petit fouet pour châtier les membres

87 Fernando Fernández González, Comerciantes Vascos en Sevilla. 1650-1700, Vitoria, Servicio


Central de Publicaciones del Gobierno Vasco - Diputación de Sevilla, 2000, p. 67.
88 Ibid.
89 Miguel Bernal relève effectivement une présence presque exclusive des maîtres de navire
basques à cette époque. Voir La financiación de la Carrera…, op. cit., p. 155.
90 Fernando Fernández González, Comerciantes..., op. cit., p. 76.
91 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 89.

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d’équipage rétifs 92. Âgé de trente à quarante ans, le respect qui lui est dû émane
de son expérience. Ainsi, Juan de González 93, contremaître du navire Nuestra
Señora del Pópulo, est-il âgé d’une quarantaine d’années et Juan de Zuazo 94 de
plus de quarante-quatre ans. Ses compétences ne se bornent pas à diriger les
gens de mer, il a encore à sa charge l’arrimage des marchandises, des vivres et la
surveillance de l’état général du navire : gréements, câbles et ancres restent sous
son entière vigilance. Le contremaître possède donc de multiples qualités et si ses
aptitudes maritimes sont indispensables, sa capacité à lire et écrire le semblerait
également. Carla Rahn Phillips affirme à ce propos qu’il lui est nécessaire de
manier la plume puisqu’il consigne chaque nouvel arrivage de marchandises et
tient les comptes de l’approvisionnement des vivres 95. Toutefois, dans notre
étude, on recense trois contremaîtres analphabètes. Ainsi, Esteban García,
contremaître de la nef San Antonio de Padua, n’appose pas de signature au bas
de son testament, « por no saber firmar », mais déclare posséder des livres de
108 comptes 96. Ce phénomène de prime abord assez paradoxal peut certainement
s’expliquer. Ne sachant pas écrire, ces hommes ont tout simplement recours
aux lettrés du navire.
Le gardien, pour sa part, dirige les manœuvres à la proue du vaisseau alors que
le contremaître aux côtés du pilote commande l’équipage depuis la poupe 97.
Joseph de Veita Linaje détaillant ses compétences l’élève d’ailleurs au rang de
lieutenant du contremaître 98. La nuit tombée, il lui incombe de vérifier que
les fourneaux sont correctement éteints et de contrôler l’allumage des fanaux
et des chandelles autorisés. La réalisation des travaux d’entretien se déroule
également sous son égide, ainsi mousses et pages lui doivent-ils la plus grande
obéissance. Si l’on peut situer le gardien en cinquième position dans la hiérarchie
du commandement, force est de constater sa médiocre autorité sur l’équipage.
En 1625, un drame se prépare sur le navire Nuestra Señora del Pilar qui se
dirige vers les côtes du Honduras. Le gardien Diego Martín rappelle un marin
à l’ordre et lui ordonne, comme à ses camarades, d’effectuer la tâche demandée.
Le rapport de force s’installe immédiatement entre les deux hommes et après

92 Voir par exemple une illustration dans History of cultural exchange between east and west in
the 17th century – the galeon trade and the V.O.C. – Catálogo de la exposición celebrada en el
Museo de Tabaco y Sal de Tokyo. 1998, Tokyo, Museo de Tabaco y Sal, 1998, p. 67.
93 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1647, leg. 967A, n° 4, ramo 11, fol. 1-7.
94 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 263B, n° 8, fol. 1-23.
95 Carla Rahn Phillips, Seis Galeones para el Rey de España. La defensa imperial a principios del
siglo xvii, Madrid, Alianza Editorial, 1991 p. 205.
96 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1612, leg. 944A, n° 2, ramo 3, fol. 11 : « Yten
declaro que llevo en mi caja mis libros de quentas… ».
97 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 89.
98 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo II, n° 32.

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de brefs propos virulents, le couteau assassin jaillit entre les mains du marin et
vient mortellement blesser le gardien 99.
B- Gens de guerre

Sur les flottes espagnoles, les gens de guerre occupent le sommet de la


hiérarchie, mais l’instauration de navigations en convois sous la conduite de ces
militaires trouble le rôle de chacun. Tandis que les marins s’attèlent à leur tâche,
les soldats sur le qui-vive se détachent du reste de l’équipage par leur oisiveté.
Les commandants militaires quant à eux exercent un rôle emblématique bien
qu’ils ne disposent pas toujours des connaissances maritimes requises.
1- Le haut commandement

Le général est le chef suprême de toute formation maritime espagnole et


Joseph de Veita Linaje déclare à son sujet : « es el General Caudillo de todos los
que van en la Armada o Flota » 100. Sous son commandement, chaque capitaine 109
de vaisseau doit répondre avec la plus grande obéissance aux consignes. C’est

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


avant tout un militaire puisque sa formation relève du domaine des armes et que
ses compétences nautiques sont reléguées au deuxième plan  101. Il assume des
responsabilités variées dont la première consiste à mener à bon port son convoi.
Il veille également sur l’équipage, contrôle les mœurs déviantes 102, s’assure que
tous les passagers sont munis de licences et instruit des procès. Passagers, gens
de mer et de guerre sont ainsi placés sous son unique autorité : à bord comme
à terre, ces derniers dépendent exclusivement de sa juridiction maritimo-
militaire 103. On a recensé trois représentants militaires qui se situent au sommet
de la hiérarchie : un général de la Real Armada de la Guardia de las Indias, un
second de la flotte de la Mer du Sud et un dernier du Galion de Manille. La
position privilégiée que détient un général offre naturellement de nombreux
avantages : le dossier de don Lope de Andrada est à ce sujet révélateur 104. Ce
militaire de premier plan se trouve à la tête du Galion de Manille en 1592. Alors
qu’il navigue en direction d’Acapulco, la mort le surprend. Le testament qu’il
rédige peu avant de décéder et l’inventaire de ses biens dressé sur le navire éclaire
avec précision les différents modes de vie et activités du général. Il possède

99 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1627, n° 1, ramo 3, fol. 10.
100 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo II, n° 3.
101 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 100.
102 Le général d’armada peut par exemple instruire des procès contre des marins ou des
passagers enclins à blasphémer ou à commettre le pecado nefando. Eduardo Trueba y José
Llavador, Juridicción marítima y la práctica jurídica en Sevilla (siglo xvi), Valencia, Studio Puig,
1993, p. 34.
103 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo I, n° 12.
104 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 292, n° 1, ramo 7, fol. 1-119.

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tout d’abord deux esclaves enrôlés comme mousses ainsi que deux Indiens et
un domestique à son service. Ses nombreuses occupations commerciales lui
assurent un train de vie élevé et la liste de ses effets personnels révèle un confort
insoupçonné sur un vaisseau : un lit de facture chinoise aux boiseries dorées,
un retable de Notre-Dame avec ses battants représentant saint Jean-Baptiste et
saint Jean, une garde-robe chatoyante et des provisions de bouche en quantité.
Du fromage, du vin de Castille, du jambon philippin, des cochons, des poules
et des canards vivants viennent encore agrémenter cette longue liste de vivres.
Le général ne se cantonne pas à l’exercice de sa seule activité militaire puisqu’il se
consacre également au commerce et transporte ainsi des civettes dans des cages,
gatos de algalia 105, des jeux de cartes portugais ou encore des vêtements de femme
qu’il compte revendre. Cette activité lucrative peut sembler contradictoire
avec celle de commandant général, mais cette charge militaire temporaire – le
général est nommé pour un aller-retour – l’incite à se livrer à des transactions
110 commerciales quand il n’a pas recours à des pratiques frauduleuses 106.
En cas de décès du général, l’amiral de la flotte reprend le commandement du
convoi. En 1631, lorsque le général de la flotte de la Nouvelle Espagne Miguel de
Echazarreta décède à La Veracruz, son convoi passe sous le commandement de
l’amiral Manuel Serrano de Ribera devenu général 107. Les amiraux, à l’instar de
leurs supérieurs hiérarchiques, possèdent une formation militaire et se trouvent
ainsi à même de reprendre le poste suprême de commandement.
Le gouverneur doit pour sa part assumer l’autorité du Tercio 108 de la Real
Armada de la Guardia de las Indias. À bord des convois, de nombreux soldats
et fantassins se tiennent prêts à défendre les bâtiments. Dès 1610, le Tercio de
l’Armada est pleinement constitué et une compagnie d’hommes pour chaque
galion opère ainsi en mer. En 1683, Antonio de Aguirre y Arteaga, gouverneur
de l’escorte de la Carrera de Indias, est en service sur le galion San Antonio de
Padua. Chevalier de l’ordre d’Alcántara, il appartient à la haute noblesse basque
comme bien d’autres militaires de la Carrera de Indias 109.

105 « Algalia: El sudor que se despide de si el gato llamado de algalia : al qual se le fatiga
batiendole con unas varas, de suerte que se le hace sudar, y recogiendo el sudor con una
cucharilla junto hace como una especie de manteca, la qual es sumamente odorifera »,
dans Diccionario de Autoridades (1726), Madrid, Real Academia Española, edición facsímil,
Editorial Gredos, 1984. En français : civette.
106 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 101.
107 « Haviendo arbolado estandarte de Capitana el almirante Manuel Serrano en su almiranta
y en la dicha Capitana del dicho general estandarte de Almiranta se hizo la dicha flota a
la vela en seguimiento de su viaje haciendo oficio de general el dicho almirante Manuel
de Serrano », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1632, leg. 958, n° 15, ramo 1,
fol. 3.
108 Infanterie de l’armée espagnole.
109 Ibid., p. 243.

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Afin de préparer les plus jeunes à l’exercice de leurs fonctions, des entretenidos
s’embarquent sur les navires d’armada afin d’acquérir expérience et pratique
inhérentes aux « choses de la mer, de la guerre et de la navigation » 110. Mais
cette fonction relativement inutile rassemble des gentilshommes désireux
d’accéder aux postes militaires ou tout simplement des amis ou des parents
du général qui voyagent, grâce à ce poste, dans des conditions extrêmement
favorables. Ce commandement aristocratique des vaisseaux, facilitant
l’endogamie, est tout d’abord décrié, aboli, mais par la suite réintroduit à
la demande de la noblesse 111. Ce système d’apprentissage présente donc des
zones d’ombre car il reste difficile de distinguer les hommes animés par une
motivation professionnelle des autres. Simón de Salcedo, entretenido por su
majestad cerca de la persona del general, transporte ainsi de nombreux paquets
pour le compte de différentes personnes tout en possédant un vade-mecum de
ses ordres de services 112.
Le capitaine de mer et de guerre détient quant à lui une charge professionnelle 111
précise et prisée. Cette carrière possède en effet un grand attrait puisqu’elle

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


propulse les militaires au sommet de la hiérarchie juste avant qu’ils puissent
postuler au commandement général des flottes. Ces dirigeants militaires
gouvernent des galions et jouissent d’une autorité sans limites sur l’équipage
et les passagers. Ils jouent de surcroît un rôle plus important que celui des
capitaines de vaisseaux marchands. Remarquons qu’Andrés Marqués Luna,
capitaine de mer et de guerre, exerce son activité sur le galion Almiranta de
la flotte de la Nouvelle Espagne alors que l’amiral n’est autre que son père 113.
Fernando Serrano Mangas rappelle à ce propos que le gouvernement des
navires se transmet fréquemment de père en fils dans un cercle familial
difficile à briser 114. Notons enfin que les simples capitaines de vaisseaux
sont des militaires chargés de défendre le bateau alors que le maître de navire
dirige quant à lui le vaisseau et l’équipage. À bord d’un navire marchand, le
titre de capitaine est plutôt honorifique, les décisions et l’autorité émanant
principalement du maître 115.

110 « Para que […] se habiliten y hagan capaces y tengan experiencia de las cosas de la mar,
guerra y navegación ». Nombramiento de entretenido para Alonso de Mesa, año de 1614.
Cité dans l’ouvrage de Fernando Serrano Mangas, Armadas y Flotas de la Plata (1620-1648),
Madrid, Banco de España. V Centenario del Descubrimiento de América, 1990, p. 253.
111 David Goodman, Spanish naval power, 1589-1665. Reconstruction and defeat, Cambridge,
Cambridge University Press, 1997, p. 227-228.
112 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1614, leg. 315A, n° 8, fol. 1-14.
113 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1683, leg. 977, n° 2, ramo 3, fol. 1-4.
114 Fernando Serrano Mangas, Armadas..., op. cit., p. 242.
115 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 97.

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2- Les officiers militaires

Le sargento mayor est un officier à la tête de tous les escadrons et les sergents lui
doivent la plus grande obéissance. Fin militaire, expert en fortifications et apte
à former des bataillons pour le combat, il reçoit les mêmes émoluments qu’un
capitaine de mer et de guerre 116. Les distinctions d’un poste à l’autre sont assez
floues puisque des capitaines sont parfois nommés à cette charge. Juan Cardosa,
passager à bord du Galion de Manille, déclare dans son testament posséder le
titre de capitán sargento mayor, activité qui se voit encore doublée de celle de
commerçant 117.
Pour galvaniser les troupes de soldats et les obliger à se battre avec ardeur,
un porte-drapeau, alférez, est nommé à la tête de chaque compagnie. Muni de
l’étendard royal, il encourage ses hommes à se battre lors des combats 118. Le reste
du temps, ses fonctions à bord consistent à faire respecter le calme et à placer les
gens de guerre sur le bâtiment 119. Il lui incombe ainsi de répartir les hommes
112 sur le vaisseau en faisant preuve d’ingéniosité pour partager l’espace réduit du
bâtiment. Parmi les seize porte-drapeaux recensés, Juan Pérez de Alzola retient
notre attention. Il semble en effet outrepasser ses prérogatives et place dans le
galion des passagers en échange d’une rémunération 120. Cette pratique est assez
fréquente sur les vaisseaux de la Real Armada de la Guardia de las Indias. En
effet, le passager Mateo Marmolejo déclare dans son testament être redevable
de 212 patacones et demi 121 envers le porte-drapeau Vildaña qui lui aurait offert
en échange lit et nourriture 122. Peu s’en faut pour que les officiers militaires, ou
maritimes, dépassent leur fonction et en investissent de nouvelles au profit de
quelques avantages pécuniaires.
À la tête des artilleurs, on retrouve la figure du sous-officier d’artillerie, le
condestable, jouissant d’une très grande reconnaissance. Ce professionnel des
armes, expert en la matière, gère les provisions de poudre, dirige d’une main
de fer ses artilleurs et leur confie un canon afin de l’entretenir. Dans le rancho
de Santa Bárbara, on permet à cet officier d’entreposer ses coffres ainsi que
ceux de ses artilleurs. Ce lieu au nom évocateur, par référence à la patronne des

116 Ibid., p. 252.


117 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año 1652, leg. 429, n° 1, ramo 1, fol. 7.
118 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo II, n° 15.
119 René Quatrefages, Los tercios españoles (1567-1577), Madrid, Fundación Universitaria
Española, 1979, p. 147-148. Le porte-drapeau des troupes terrestres se charge ainsi du
bien‑être de ses soldats une fois logés.
120 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 944B, n° 3, ramo 19, fol. 25.
121 Le peso de a ocho reales est appelé en Amérique piastra, peso duro, peso fuerte ou encore
patacón. Annie Molinié-Bertrand, Vocabulaire…, op. cit., p. 95.
122 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 263B, n° 7, fol. 4 : « Declaro que me
concerté en este galeon con el Alferez Vidaña por duzientos e doze Pattacones y media Por
la comida y un catre… ».

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artificiers 123, est ainsi réservé aux militaires pour leur repos et le dépôt de leurs
gargousses et boutefeux.
Le caporal, cabo de escuadra, représente quant à lui l’autorité directe sur les
soldats. Il s’assure que ces derniers entretiennent correctement leur arme,
indique les quarts à effectuer et ne manque pas de faire punir les hommes s’ils
n’obéissent pas avec déférence 124. Parmi les dix-sept caporaux comptabilisés,
leur jeune âge est significatif. Pour exercer ce poste à responsabilité, Thomás
de Aquino n’a que 24 ans le jour de son décès 125 et Antonio de Altamira, 19
ans à peine 126. L’ascension à ce grade paraît donc envisageable peu de temps
après avoir fait ses armes sous le drapeau 127 et offre naturellement une meilleure
rémunération. Le caporal Juan Dionisio Pacheco qui exerce ses fonctions à
bord du galion Capitana de la Real Armada de la Guardia, reçoit ainsi une solde
plus élevée que celle des soldats et est exempt de quart 128. Thomás de Aquino,
enrôlé sur le navire Capitana de la flotte du Honduras, touche quatre ducats par
mois 129 quand un soldat reçoit à peine plus de trois ducats sur la Real Armada 113
de la Guardia de las Indias 130.

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


3- Les artilleurs et les soldats

Les artilleurs, appelés au xvie siècle lombarderos, représentent, un siècle plus


tard, une catégorie de gens de guerre particulière. Leur formation requiert
autant d’aptitudes dans le domaine de la mer que dans celui des armes. Ils se
situent en fait aux frontières du monde maritime et militaire et jouissent d’un
statut plus élevé que celui des simples mariniers. Leurs aptitudes fort appréciées
dans la Carrera de Indias, sont le maniement des armes, leur entretien et diverses
connaissances nautiques. Pour obtenir le grade d’artilleur délivré par l’artillero
mayor, un âge minimum est tout d’abord requis – une vingtaine d’années – puis
une expérience en tant que soldat ou marin sur un vaisseau de la route des
Indes 131. Ces professionnels rappellent avec force la militarisation des convois
et marquent l’ambivalence permanente maritime et belliqueuse qui règne sur
les navires espagnols. Soulignons que le corps d’artilleurs terrestre n’apparaît

123 Sainte Barbe est une martyre légendaire, c’est la patronne des artilleurs. Elle protège
également de la foudre (son père qui la décapite meurt par la suite foudroyé). Gaston
Duchet-Suchaux et Michel Pastoureau, La Bible et les Saints (2000), Paris, Flammarion, 2006,
p. 58‑59.
124 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo II, n° 22.
125 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348A, n° 1, ramo 12, fol. 13.
126 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1632, leg. 958, n° 15, ramo 29, fol. 1.
127 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo II, n° 22 : « Bastará que aya servido
un año debajo de la bandera ».
128 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1668, leg. 5582, n° 43, fol. 1-4.
129 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348A, n° 1, ramo 12, fol. 14.
130 Fernando Serrano Mangas, Armadas..., op. cit., p. 284.
131 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo XXIV, n° 4.

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en Amérique qu’au xviiie siècle tandis que sur les navires de l’Atlantique et sur
ceux du Pacifique, il jouit déjà d’une importance considérable au xviie siècle 132.
Parmi les soixante-sept artilleurs figurant dans notre corpus, trois d’entre eux ont
attiré notre attention. Ils possèdent en effet une double activité et déploient,
en mer comme à terre, diverses aptitudes. Hernán Sánchez Romero 133 exerce
ainsi la profession d’artilleur et de charpentier à bord du vaisseau La madre de
Dios. Gaspar Moreno, tailleur de profession, fait savoir qu’il s’est enrôlé comme
militaire 134 et Juan Bautista de las Casas déclare travailler comme artilleur
sur un vaisseau quand il possède en réalité les compétences d’un orfèvre 135.
Contraints de s’engager par nécessité économique ou décidant d’usurper la
place d’un militaire, ces hommes exercent une double activité. Dans le dossier de
Bartolomé de las Cuestas Rucabo, les déclarations de témoins révèlent ainsi un
mécanisme fort employé au xviie siècle. Parti aux Indes depuis trente ans, cet
émigrant espagnol décide de retourner en Espagne pourvu de sa fortune et
114 obtient, afin de rejoindre ses proches, une place d’artilleur à bord d’un navire
de la Carrera économisant ainsi le prix d’une traversée 136.
Au plus bas de la hiérarchie, les soldats représentent finalement la force vive
des armées espagnoles. Embarqués sur les bâtiments marchands et de guerre, ils
cohabitent difficilement avec les gens de mer. Ils doivent obéir avec docilité et
effectuer leur tour de garde en martelant de leurs pas le pont pour ne pas sombrer
dans le sommeil 137. La profession, peu prisée, souffre continuellement d’un
manque d’hommes et les luttes incessantes que mène la Monarchie catholique
affaiblissent les bataillons. Ainsi, en 1640, peu après le désastre de la bataille
des Dunes, la Real Armada de la Carrera ne dispose-t-elle plus suffisamment
de soldats pour assurer la défense du convoi 138. Comme le souligne Marcelin
Defourneaux, « s’il n’est pas facile de lever des recrues, il est beaucoup plus
difficile encore de les contraindre à s’embarquer pour les Indes » 139. C’est
pourtant aux capitaines d’infanterie qu’incombe le recrutement des hommes.

132 Juan Marchena Fernández, Oficiales y soldados en el ejército de América, Sevilla, CSIC,
Escuela de Estudios Hispano-Americanos, 1983, p. 65.
133 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 277, n° 1, ramo 2(3), fol. 1-8.
134 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1619, leg. 669, n° 9, fol. 1-10.
135 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1615, leg. 945, n° 2, ramo 11, fol. 1-67.
136 Ses frères et sœurs indiquent clairement : « Abrá como treinta años pocos mas o menos que
se aussentó desta Villa y passó a las yndias en donde a estado sirviendo algunos años a su
magestad asta que el que pasó de seicientos y catorce se determinó benir para españa y se
embarcó en una nao del capitan pedro de origuela en donde benia con plaza de artillero
trayendo consigo alguna cantidad de bienes y acienda… », AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1615, leg. 945, n° 2, ramo 9, fol. 5.
137 Carla Rahn Phillips, Seis Galeones..., op. cit., p. 225.
138 Fernando Serrano Mangas, Armadas..., op. cit., p. 237.
139 Marcelin Defourneaux, La Vie quotidienne en Espagne au Siècle d’Or, Paris, Hachette, 1964,
p. 231.

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Aidés d’un crieur public qui attire la population d’un roulement de tambour, ils
les invitent alors à servir sous les drapeaux 140. Les avantages pourtant sont bien
maigres dans cette profession. Un seul attrait séduit toutefois quelques soldats
de la Carrera de Indias : voici une porte ouverte à l’émigration clandestine,
un fabuleux moyen de traverser l’Atlantique. En 1621, la Couronne adresse
une cédule royale aux généraux des flottes afin d’attirer leur attention sur ce
phénomène. À cette occasion, il leur est demandé d’être particulièrement
vigilants, car certains marins, soldats ou artilleurs s’embarquent dans le seul
dessein de passer aux Indes, usurpant rations et soldes offertes pour le trajet,
« consumiendo los bastimientos y usurpando los sueldos », avant d’abandonner
le vaisseau une fois en Amérique 141. Le problème de la désertion demeure en
effet un véritable fléau pour les armées espagnoles. Mais que peuvent attendre
ces pauvres hères enrôlés sur des navires et dont la seule issue glorieuse serait
de mourir, armes en mains, contre l’ennemi ? Les compensations financières
sont en effet dérisoires et les conditions de travail périlleuses. Parmi les troupes 115
de soldats, on retrouve des militaires exerçant les fonctions de tambours et de

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


trompettes prêts ainsi à encourager les hommes à se battre.

II- HIÉRARCHIE ET RECONNAISSANCE SOCIALE

La division du travail maritime répond à des mécanismes professionnels


structurés. Elle entraîne par conséquent des formes de domination et
d’asservissement reposant sur les systèmes hiérarchiques inhérents au monde
de la mer. Privilèges et reconnaissances sociales structurent ainsi la communauté
maritime, établissant des distinctions entre les différents corps de métiers et
scellant finalement les différences.
A- Quelques privilèges
1- Distinctions et avantages des humbles

La différence d’âge et d’expérience instaure d’emblée un rapport hiérarchique


entre les marins et les mousses. Assujettis à leurs aînés, les jeunes apprentis
semblent parfois totalement démunis et soumis à l’autorité de leurs supérieurs.

140 En 1650 à Cadix, Juan de Echeverri rédige un document afin de rendre compte des levées
de gens de mer et de guerre pour son armada. Il déclare : « Se echaron los bandos que
se acostumbran y se quedan reclutando las compañías en Sanlucar Puerto de Santa María
Puerto Real Chiclana y esta ciudad todas a mano para embarcarse luego y la gente de mar
se ba tambien levantando… », Museo Naval de Madrid, Vargas Ponce, año de 1650, tomo 6,
doc. 211, fol. 297.
141 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1621, leg. 88A. Dans la cédule royale, on lit : « Por soldados
marineros y artilleros muchos […] ni van para lo uno ni lo otro sino con fin de quedarse en las
yndias como lo azen consumiendo los bastimentos y usurpando los sueldos… ».

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Bon nombre d’entre eux se plient à la discipline du bord et obéissent aux ordres
du contremaître et des mariniers. Toutefois, certains mousses connaissent un
sort plus enviable que celui des matelots. En nouant une relation amicale avec
un officier, le mousse Antonio de Silva s’attire ainsi les faveurs du gardien de
son vaisseau : « con quien e tenido estrecha amistad » 142. Diego de Solís, mousse
sur la nef Jesús María y Josefe, bénéficie également de quelques privilèges, car
son frère exerce la fonction de gardien à ses côtés 143. Le fait de nouer une amitié
ou de connaître un officier supérieur offre une sécurité aux plus faibles et l’on
devine ainsi des hiérarchies qu’instituent l’ancienneté, le prestige ou la faveur
d’un membre d’équipage 144.
Parmi les marins, un autre lien de domination s’installe. En effet, des
esclaves sont parfois enrôlés aux postes de matelots en dépit de l’interdiction
des ordonnances 145. On devine alors, naturellement, les cloisonnements
hiérarchiques qui s’instaurent entre marins libres et esclaves : frontières
116 sociales invisibles, elles scindent les liens au sein de l’équipage. Dans les eaux
du Pacifique, on découvre par exemple sur le navire San Andrés huit esclaves
noirs occupant le poste de mousses 146. Sur le Galion de Manille, le général don
Lope de Andrada mentionne encore dans son testament l’existence de deux
mousses esclaves qui lui appartiennent. Éprouvant bien peu de sympathie à
leur égard, il demande dans ses dernières volontés qu’ils continuent leur labeur
sans être payés 147. Voici une façon de contourner la loi, car le roi n’aura pas
à leur verser de solde et leur condition d’esclaves ne jouera point en défaveur
de leur maître. En 1611, sur les eaux du Pacifique, à bord du vaisseau Nuestra
Señora de Guadalupe, d’autres matelots sont encore relégués au dernier rang de
l’équipage : ce sont des Indiens recrutés pour remplacer les marins espagnols

142 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 514, n° 2, ramo 10, fol. 2.
143 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 944B, n° 3, ramo 6, fol. 3. On apprend
ainsi dans ses dernières volontés : « Que no tengo padre ni madre sino un hermano que viene
en esta nao por guardian de ella dicho Hernando Solis ».
144 Jean Canavaggio fait une remarque analogue concernant le monde particulier des galériens.
Jean Canavaggio, « Le galérien et son image dans l’Espagne du Siècle d’Or : quelques
variations sur un discours de l’exclusion », dans Les Problèmes de l’exclusion en Espagne
(xvie-xviie siècles). Idéologies et discours, études réunies et présentées par Augustin Redondo,
Paris, Publications de la Sorbonne, 1983, p. 262.
145 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro I, capítulo XXXV, n° 22. Mais à partir de 1576,
on autorise les maîtres à embarquer deux ou trois esclaves. C’est la porte ouverte à tout
type d’abus : sous couvert de cette autorisation, de nombreux esclaves sont en effet enrôlés
illégalement. John Lynch rappelle également que la main-d’œuvre manque sur les vaisseaux
et que des esclaves sont donc recrutés (John Lynch, España bajo los Austrias, vol. 2 : « España
y América (1598-1700) », Barcelona, Ediciones Península, 1988, p. 270). En 1628, Francisco
de Oliva réclame par exemple le salaire de son esclave qui travaille en tant que mousse sur
le navire Almiranta. AGI, Cont. Papeles de Armada, año de 1628, leg. 3052.
146 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 352, n° 1, ramo 8, fol. 43.
147 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 292, n° 1, ramo 7, fol. 31 : « Yten declaro
dos negros que llebo ban con plaza de grumetes mando no se le den salario por ello ».

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absents sur ces océans du bout du monde. En effet, malgré les levées d’hommes
mises en place par le duc de Medina Sidonia, las reclutas forzosas, pour les
armadas des Philippines 148, les effectifs sont insuffisants. En 1611, une dizaine
d’Indiens 149 exerce ainsi ses fonctions sur la Nao de China subissant mépris et
mauvais traitements infligés par les mariniers et leurs officiers. Une disposition
royale donne la mesure des exactions subies par ces membres d’équipage,
considérés à n’en point douter, comme de simples esclaves. Le roi ordonne
au gouverneur des îles philippines de traiter les Indiens avec les mêmes égards
que les gens de mer 150. Ces matelots indigènes semblent en effet subir de
nombreuses vexations, « yndios grumetes que los tratan mal », et ne pas être
correctement nourris ni payés sur les vaisseaux. Des clivages s’installent donc
parmi les mariniers, entre mousses, marins, matelots esclaves 151 ou Indiens.
Sur le Galion de Manille, Gemelli Careri rappelle la présence de ces matelots de
dernier ordre souffrant des difficiles conditions climatiques 152 et pourchassés
d’autre part à coups de bâton par l’équipage 153. 117
La couleur de peau marque également des frontières au sein de ces microsociétés

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


océanes. Ainsi, Antonio Moreno, mulâtre, porte-t-il les stigmates de son
ancienne condition : enrôlé en tant que marin sur le galion San Gregorio en
1609, sa peau rappelle inlassablement aux autres membres qu’il fut un temps
esclave. Le petit-fils de son ancienne propriétaire ne manquera pas de réclamer
la solde du marin défunt, esclave affranchi, en présentant un droit désuet de
propriété avant d’obtenir gain de cause 154. Même après sa mort, son statut le

148 AGI, Filipinas, año de 1616, leg. 329, libro 2, fol. 433 : « Recluta forzosa de marineros
andaluces a Filipinas ».
149 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 514, n° 1, ramo 7, fol. 7.
150 AGI, Filipinas, año de 1608, leg. 340, libro 3, fol. 104 : « Atento a ello mandase que en las
dichas naos se lleve el matalotaje que fuere menester para la gente de mar y algunas gallinas
para los que cayeren enfermos especialmente los yndios grumetes que los tratan mal y son
los que mas trabajosamente lo pasan… ».
151 Pascale Girard, « Les Africains aux Philippines aux xvie et xviie siècles », dans Negros, Mulatos
y Zambaigos. Derroteros africanos en los mundos ibéricos, Berta Ares Queija y Alessandro
Stella (dir.), Sevilla, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, CSIC, 2000, p. 69. Dans cette
étude, Pascale Girard remarque la présence de matelots noirs à bord du Galion de Manille. Elle
ne pense pas que ces noirs, occupant des postes de marins, soient des esclaves et déplore
l’absence de sources confirmant cette hypothèse. Les récits de voyages et les dossiers des
Biens des Défunts que nous avons consultés confirment bien leur activité à part entière en
tant qu’esclaves matelots.
152 Il décrit une traversée de l’Amérique aux Philippines et déclare à propos des Indiens du
Galion de Manille : « Les Indiens nés à Manille, où l’on sue continuellement à cause de la
grande chaleur, ne pouvaient pas supporter le froid de ce climat ». Giovani Francesco Gemelli
Careri, Voyage autour du Monde (1698), dans Le Mexique à la fin du xviie siècle, vu par un
voyageur italien / Gemelli Careri ; présentation de Jean-Pierre Berthe, Paris, Calmann-Lévy,
1968, p. 59.
153 Ibid.
154 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 296A, n° 2, ramo 5, fol. 2 : « Dio libertad
[su patrona] a Antonio su esclavo el qual se fue a las Indias de Castilla por marinero… ».

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différencie donc des autres marins et le replace au plus bas de l’échelle sociale.
Augustín Francisco de Gois, mousse sur le Galion Capitana, fils d’un esclave
noir, porte pareillement les marques de sa condition 155. À n’en point douter,
les distinctions raciales à terre comme en mer projettent irrémédiablement ces
noirs et mulâtres en marge de l’intégration sociale.
2- Les soldats : un statut particulier

Entre gens de mer, les clivages sont sensibles, nous venons de le voir, mais entre
gens de mer et gens de guerre de nouveaux rapports s’instaurent également.
Les marins doivent en effet supporter la présence narquoise des soldats au
statut particulier. Ces derniers, embarqués pour défendre les vaisseaux, gênent
la plupart du temps les marins dans leurs manœuvres et les altercations sont
monnaie courante. Il s’avère en effet difficile pour les matelots de considérer
les gens de guerre quand ces derniers les jugent parfois comme de simples
118 domestiques 156. Ainsi, en 1597, des échanges de propos virulents conduisent le
marin Pedro Márquez à souhaiter la mort du soldat Antón Martín, en déclarant :
« plaise à Dieu qu’il tombe à la mer avec tous les diables » 157. Le militaire, non
dépourvu de sens de l’humour, lui demande dans un premier temps quel en
serait le chemin, mais finit cependant par lui infliger une sévère correction. En
1628, une rixe éclate encore entre un marin, Bartolomé Carral, et un soldat,
Diego Dorado Franco. Sans motif apparent, le militaire est roué de coups de
bâton par le matelot 158. La situation inverse se produit donc, mais, dans un
cas comme dans l’autre, les tensions entre groupes professionnels conduisent à
des débordements violents dont l’issue est parfois dramatique. Ces insultes et
coups traduisent un malaise latent : les avantages des uns stimulent l’envie et
nourrissent finalement le ressentiment des autres.
Si les soldats se distinguent des gens de mer, certains d’entre eux connaissent
encore un sort plus appréciable. Enrôlé sur le galion Los tres Reyes en 1633, Juan
de Reinaldos possède tout d’abord un lit, une marque de confort réservé à très
peu d’hommes, et profite de la présence d’un jeune employé à son service 159.
On pourrait penser, au vu des avantages matériels énumérés dans son testament,

155 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1676, leg. 5582, n° 118, fol. 1-4.
156 Carla Rahn Phillips, Seis Galeones..., op. cit., p. 223.
157 AGI, Cont. Autos de Oficio, año de 1597, leg. 63B, n° 7, ramo 2 (nous traduisons). On lit dans
un procès-verbal : « En el castillo de proa el dicho pedro marquez [marinero] le dijo plega a
dios que se cayga a la mar con todos los diablos a lo qual el dicho anton martin [soldado]
Replicó que le ensenase el camino… ».
158 AGI, Cont. Papeles de Armada, año de 1628, leg. 3044.
159 Dans son testament, le soldat effectue un legs pour ce jeune homme l’ayant servi lors de la
traversée : « mando a un muchacho que se llama Antonio que me a servido se den un bestido
de jerguilla ordinario con jubon medias mangas dos camisas zapatos capa y sombrero », AGI,
Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1633, leg. 5581, n° 19, fol. 2.

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qu’il s’agit d’un passager usurpant la place d’un soldat. Mais il n’en est rien, car
dans ses dernières volontés il décide tout d’abord de léguer des vêtements à un
compagnon de travail puis au caporal de sa compagnie. Certains bénéficient
donc d’un statut et d’une fortune plus élevés que les autres membres de leur
profession. Ainsi, Jorge del Corral, suspicieux et précautionneux, se garde
bien d’étaler au grand jour sa fortune. Comme d’autres soldats, il conserve des
douceurs telles de la pâte de coing ou encore du cidre pour se désaltérer. Bien à
l’abri, enfermées à double tour dans un coffre en bois de cèdre, ces provisions
de bouche ne constituent pas sa seule fortune. Des pépites d’or sont également
cachées dans des bas de soie 160. Ce voyage de retour aurait pu lui permettre de
rejoindre sa ville d’origine et de profiter de ses trésors, mais en vain.
3- La maistrance : autorité et malversation

L’un des privilèges des maîtres de vaisseau relève d’un domaine essentiel,
l’alimentation. Les ordonnances prévoient des menus identiques pour 119
les soldats, les marins, les officiers et les commandants. Néanmoins, le

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


statut privilégié de la maistrance facilite les abus. Ainsi, les récits de voyage
témoignent-ils fréquemment de ces malversations. À la table du maître, on
sert du pain de meilleure qualité, du vin qui n’est pas coupé avec de l’eau et
surtout de la viande fraîche 161. Les animaux embarqués sur les bâtiments restent
principalement réservés aux officiers qui dégustent des bouillons de poule
pourtant destinés aux malades ou encore des ragoûts de viande non avariée.
Gemelli Careri, las de sa longue navigation sur l’océan Pacifique et souffrant
d’une mauvaise alimentation, déplore ces incommodités et plaint les matelots :
« L’équipage, cependant, ne goûtait point du bon biscuit, du riz, des poules,
du pain d’Espagne et des confitures qui étaient, de la part du roi, à la garde du
maître, pour les distribuer aux malades ; mais ce galant homme [le maître] les
consommait lui-même à sa table » 162. Les privilèges des maîtres de navire ne se
réduisent pas à ces seuls avantages et il est fréquent de les voir sur les vaisseaux
accompagnés d’un domestique ou d’un esclave. Ainsi, Antonio González de
Legarda se fait-il servir par Juan, ce jeune noir âgé de vingt-quatre ans, qui
l’assiste dans ses tâches et lui permet d’affirmer son rang hiérarchique 163.
D’autres, accompagnés de domestiques, mènent un train de vie plus agréable

160 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609, leg. 285A, n° 4, ramo 11, fol. 9. Lorsque
l’on procède à l’inventaire des biens du défunt, un témoin inquisiteur et envieux lève le voile
sur le « secret » : « La buscó [la caja] y miró despues […] con mucho cuydado deseoso de saber
si el dicho difunto tenía en Ella algun secreto y ansi halló en la dicha caja un secreto […] media
calzeta de seda negra y en Ella sinco bayetas y tres pedasitos de oro… ».
161 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 150.
162 Giovani Francesco Gemelli Careri, Voyage…, op. cit., p. 55.
163 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1646, leg. 417, n° 4, fol. 3.

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que celui des officiers contraints d’effectuer de menus travaux quotidiens. Loin
des structures dominantes, la hiérarchisation de la société se reproduit donc en
mer. Esclaves et domestiques font partie intégrante du système de marquage
social des Occidentaux en Espagne comme en Amérique, et sur les flottes, il
en va de même.
4- Les officiers : le bénéfice d’une reconnaissance sociale

De subtils mécanismes de reconnaissance sociale se développent sur les


vaisseaux. À bord des flottes, d’autres phénomènes de distinction apparaissent
encore. Sur les galions Capitana et Almiranta, les officiers jouissent en effet
d’une situation plus appréciable que celle de leurs confrères exerçant sur
des bâtiments marchands. Le greffier principal d’armada possède ainsi un
statut qui l’élève au-dessus des gens de plume de sa flotte et bénéfice d’un
train de vie supérieur. Sur un bâtiment, les préséances se manifestent plus
120 particulièrement en fonction de l’espace vital accordé à chacun. À l’évidence,
Francisco López, greffier principal de la flotte de Juan Gutiérrez de Garribay,
fait partie de ces personnages privilégiés disposant d’une cabine personnelle :
son rancho. On y découvre des draps, un oreiller, un petit coussin de voyage
et une housse pour recouvrir son matelas. Cet officier jouit non seulement
d’intimité, mais également d’un confort matériel. Pour travailler, il possède
en effet un chandelier et une bougie de cire blanche qui lui permettent
de rédiger ses procès-verbaux et sa correspondance la nuit tombée 164. On
imagine facilement cet homme reclus dans ses « appartements » profitant
d’un repos paisible, loin du tumulte des hommes se disputant sur le tillac un
lieu pour dormir.
Le charpentier du navire Capitana de la flotte de la Mer du Sud semble
également bénéficier d’un statut privilégié. Il possède une garde-robe bien
fournie et profite des services offerts par son esclave 165. Ce jeune noir
congolais, âgé d’une vingtaine d’années, confère à son propriétaire un certain
prestige en plus d’une aide au travail. Ici, le fait de détenir un esclave ne permet
pas au charpentier de tenir son rang, mais plutôt de prétendre à celui auquel
il aspire 166.
L’aumônier détient finalement un prestige difficilement remis en cause. Dans
la société de l’Espagne du Siècle d’Or, toute appartenance religieuse inspire du

164 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 935, n° 17, fol. 2.
165 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 335, n° 6, fol. 12-14.
166 En effet, les esclaves peuvent remplir une double fonction. Premièrement, assister leur maître
dans diverses besognes et deuxièmement leur apporter prestige et reconnaissance au regard
du reste de la société. Bartolomé Bennassar, L’Homme espagnol. Attitudes et mentalités du
xvie au xixe siècle (1975), Paris, Éditions Complexe, 1992, p. 91.

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respect 167. Dans ce contexte, l’aumônier de navire détient un pouvoir d’une
très grande force sur l’ensemble des membres de l’équipage. Tous sont sensibles
à son rôle et chacun s’attire ses faveurs. Lorsque l’amiral don Matías de Orellana
pense que son bâtiment est perdu et que sa vie est en danger, il accourt aux côtés
de don Diego de Portichuelo et lui demande de l’entendre en confession 168.
Ce prêtre, auteur d’un récit de voyage est également cité dans nos documents.
Le soldat Manuel de Torres déclare en effet avoir confié à l’aumônier don
Diego de Portichuelo la somme de 500 pesos 169. Cette anecdote illustre un
mécanisme inhérent au prestige des ecclésiastiques. Les membres d’équipage
accordent aux hommes d’Église une confiance sans bornes, dans le domaine
spirituel comme temporel, et leur confient fréquemment des sommes d’argent.
Dans de nombreux testaments, matelots et soldats expliquent qu’ils ont remis
leurs économies ou quelques réaux à l’aumônier pour la traversée alors qu’ils
auraient pu en faire de même avec le maître d’argent. Juan de Marciáñez
déclare ainsi avoir laissé à l’aumônier principal de l’armada 4 000 pesos 170. 121
Cette somme d’argent conséquente mérite en effet d’être gardée avec la plus

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


grande attention.
5- Les généraux et les amiraux : faste et prestige

Au sommet de la hiérarchie, les commandants militaires des flottes déploient


faste et luxe à bord de leur vaisseau. Dans cette carrière militaire et maritime,
généraux et amiraux sont fréquemment issus de la haute noblesse espagnole
et reproduisent leurs aspirations aristocratiques sur les océans. Les marques
de distinctions sociales se manifestent à travers la garde-robe, le confort
matériel ou encore la possession d’objets de dévotion. Le général don Juan de
Echeverri possède ainsi deux images de Notre-Dame de Copacabana ornées
d’argent, un petit sac de reliques, une boîte dans laquelle reposent d’autres
images pieuses faites de précieux métal, sans compter une dizaine d’insignes
en or de l’ordre de Santiago et de Calatrava garnies de pierres précieuses – des

167 Caro Baroja décrit ainsi la société espagnole des xvie et xviie siècles : « Cristianas eran casi
todas las clases sociales. La Iglesia un poder indiscutido, al menos en España, por la gente
dominante, y el catolicismo, en fin, una “solución” religiosa de un alcance social tan grande
como difícil », Julio Caro Baroja, Las formas complejas de la vida religiosa. (Religión, sociedad
y carácter en la España de los siglos xvi y xvii), Madrid, Akal Editor, 1978, p. 151.
168 Diego de Portichuelo de Rivadeneira, Relación del viaje y sucesos que tuvo desde que salió
de la ciudad de Lima hasta que llegó a estos Reinos de España, año de 1657, Buenos Aires,
Biblioteca histórica Iberoamericana dirigida por don Carlos Pereyra, Virtus, 1905, p. 46.
169 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1655, leg. 437, n° 1, ramo 1, fol. 1.
170 « Yten declaro que en poder del Padre Capellan mayor de la Capitana tengo cuatro mil pesos
de que me dio papel suio que está en mi mano los quales le di en confiança sobre concierto
echo de que me los entregaria en España… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año
de 1641, leg. 405, n° 1, fol. 7.

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diamants, des émeraudes et des rubis 171. Ces signes distinctifs caractérisent
l’homme de guerre issu de la haute noblesse et lui permettent d’affirmer son
rang. L’obtention d’un habit de chevalier, comme celui possédé par le général
don Juan de Echeverri, caballero de la orden de Calatrava, confère naturellement
un statut particulier aux commandants. Sur les flottes, des privilèges sont
accordés aux commandants militaires. Le fils de Thomás de Larraspuru 172,
Nicolás, chevalier de l’ordre de Santiago, en est un exemple 173. Déployant une
totale insouciance, le fils du général profite de son rang et de son nom pour
s’octroyer toutes sortes de droits. Sans égard pour les instructions royales, il
mise d’importantes sommes d’argent à bord du vaisseau et se livre à sa passion,
au regard de tout l’équipage, assis à une table de jeu sur la dunette 174 ou plus
discrètement, retiré dans sa cabine 175.
Les avantages des uns, les privilèges des autres, ne recouvrent cependant qu’une
importance relative. En effet, loin des océans, la société jette fréquemment un
122 regard méprisant sur l’ensemble de la communauté maritime.
B- Une reconnaissance sociale difficile

Au xviie siècle, les gens de mer sont en effet stigmatisés par un discours négatif
les reléguant en marge de la société. Leur activité mobile et mal contrôlée
participe, pense‑t‑on, à la déstabilisation de l’ordre social et effraie les classes
dominantes 176. Les marins, ces hommes de l’instable, ne sont-ils pas enclins
à propager les idées hérétiques dont l’Espagne veut se préserver ? Par leurs
incessants déplacements, ne peuvent-ils pas acquérir une lucidité d’esprit leur
permettant d’exprimer plus librement leurs opinions ?

171 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1663, leg. 445, n° 1, ramo 4, fol. 1-21.
172 Thomás de Larraspuru est général de la Real Armada de la Guardia de las Indias de 1621
à 1631.
173 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1639, leg. 398A, n° 1, ramo 4, fol. 1-167.
174 Dunette : « Superstructure à l’extrémité arrière de certains navires, au-dessus du gaillard
d’arrière, sur laquelle se tient l’officier de quart », Guide des Termes…, op. cit.
175 Le domestique dresse une liste des différentes sommes d’argent que son maître, Nicolás de
Larraspuru, lui a confiées : « Pagé a Juan Rodriges 83 pesos que perdió a los dados, […] mas
pagé por su mando a don Joseph 30 pesos que le prestó en la mesa de juego, mas 30 pesos
que me pidió dos beses en la Camara para jugar […] mas 7 pesos que me pidió en la toldilla
para jugar al ombre… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1639, leg. 398A, n° 1,
ramo 4, fol. 11-12.
176 Alain Cabantous étudie plus particulièrement ce phénomène aux confins du littoral français
en analysant le rapport dialectique qui s’établit entre missionnaires et gens de mer. Ses
propos nous aident à l’heure d’appréhender les populations maritimes espagnoles dans la
société hispanique (Alain Cabantous, « Les finistères de la Catholicité. Missions littorales
et construction identitaire en France aux xvii e et xviii e siècles », dans Mélanges de l’École
française de Rome, t. 109-2, Rome, École française de Rome, 1997, p. 653-669).

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1- Un discours négatif

Dès l’Antiquité, on considère les gens de mer comme des êtres à part.
L’aphorisme d’Anacharsis, repris plus tard par Platon et Plutarque, illustre bien
la distinction qui s’opère à leur sujet dans la société : « il y a trois sortes d’êtres,
les vivants, les morts et les marins » 177. Cette notion de différence perdure et
reste toujours présente dans les esprits au xviie siècle. En dépit des navigations
qui ont ouvert les voies de la conquête et de la christianisation de l’Amérique,
les marins sont tenus pour de piètres citoyens et l’art de naviguer est considéré
comme un exercice manuel indigne de tout honneur. García de Palacios tente
en vain de redorer le blason de la communauté maritime en mettant en relief
les héros de la navigation biblique 178 : Noé n’était-il pas un marin dont la
nef fut construite sous l’égide de Dieu 179 ? Les apôtres ne côtoyaient-ils pas
la mer ? Que serait-il advenu de l’expansion de la foi catholique sans l’aide
des communications maritimes ? Toutefois, ces arguments n’ont guère de
répercussion et les préjugés demeurent ancrés dans les esprits. L’humaniste 123
Luis Vives stigmatise ainsi les gens de mer en utilisant ces deux mots en latin,

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


faex maris, que Michel Mollat du Jourdin n’ose pas traduire 180. Révélatrice
du mépris que les marins inspirent, cette opinion est reprise dans différents
récits de voyage. Tour à tour, les gens de mer sont qualifiés par Eugenio Salazar
de démons, « demonios conjurados », puis de vauriens et de vilains 181. Don
Antonio de Guevara, chroniqueur de l’empereur Charles Quint, reprend ces
stéréotypes en rappelant que la mer accueille les pécheurs et offre refuge aux
mécréants 182. Le discours des ecclésiastiques est souvent de la même teneur.
Le père Antonio Vázquez de Espinosa considère ainsi les gens de mer comme
des barbares offensant Dieu dans les ports comme en haute mer et les accuse
d’être des voleurs et des blasphémateurs 183. Les passagers ne montrent guère

177 Dictionnaire des Proverbes, sentences et maximes (1980), Paris, Larousse, 2001, p. 343.
178 Informations tirées de l’ouvrage Los hombres del Océano de Pablo Emilio Pérez-Mallaína.
On peut les consulter directement dans : Diego de García de Palacios, Instrucción náutica…
op. cit., fol. 4-5. Et l’auteur de renchérir encore : « ¿Quién podra dezir que el navegar no es
necesssario y muy util a todos los hombres, por el bien que por el tienen, y el que esperan
adelante? », ibid.
179 L’arche, instrument et symbole du salut, est une image primordiale de la navigation. Alain
Corbin, Le Territoire du vide. L’Occident et le désir de rivage (1750-1840), Paris, Flammarion,
1988, p. 325, note 18.
180 Michel Mollat du Jourdin, La Vie quotidienne des gens de mer en Atlantique ixe-xvie siècles,
Paris, Hachette, 1983, p. 222.
181 Cesáreo Fernández Duro, Disquisiciones…, op. cit., p. 178-201.
182 Antonio Guevara, La vida en la galera (1539), dans Cesáreo Fernández Duro, Disquisiciones…,
op. cit., p. 57.
183 Fray Antonio Vázquez de Espinosa, Tratado del viaje y navegación de este año de 1622
que hizo la flota de Nueva España, dans B. Velasco, « La vida en alta mar en un relato del
Padre Antonio Vázquez de Espinosa », Revista de Indias, n° 143-144, Madrid, CSIC, 1976,
p. 333‑334.

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plus de sympathie envers les marins et se complaisent à réitérer les préjugés
ancrés depuis des siècles dans les mentalités. Un auteur de récit de voyage
anonyme déclare ainsi : « le matelot est un animal terriblement paresseux
et qui aime mieux le vin que le travail » 184. Selon Alain Cabantous, ces
voyageurs prompts à dénoncer les travers des gens de mer reproduisent en
fait les présupposés d’un imaginaire social 185. Un ministre du roi reprend
encore ces topiques discriminatoires. Effectuant une traversée transpacifique,
il préconise pour se désaltérer de donner aux gens de mer du vin plutôt que de
l’eau, convaincu de leur notoire ivrognerie 186. Les marins sont connus pour
leur inconstance, pourquoi en serait-il autrement 187 ? Une vieille formule
maritime dit ainsi « le vin, c’est le sang de marin » 188. Cette vision négative
est bel et bien l’apanage d’une société élitiste qui redoute les gens du peuple
et qui fait subir à la communauté des gens de mer, marquée par le sceau de
l’infamie, ces exclusions discursives et pratiques. Les hommes exercent en
124 effet un métier mécanique dont l’activité a pour principale caractéristique
la mobilité et l’instabilité. La gent maritime s’inscrit donc dans la marge
sociale et spatiale 189. Pourtant, le foisonnement de jugements négatifs ne
doit pas se limiter à cette seule interprétation. Ces qualificatifs méprisants et
dégradants ne sont-ils pas également réservés aux « gens de peu » ? Comme
d’autres secteurs professionnels parmi les classes sociales inférieures, le groupe
des gens de mer est difficilement contrôlable et inspire par conséquent les plus
grandes craintes 190. Même si la profession ne jouit guère de reconnaissance
et si l’activité reste périlleuse, elle attire pourtant de nombreuses personnes

184 Informations citées par Alain Cabantous et tirées du récit de voyage anonyme : Journal d’un
voyage sur les côtes d’Afrique et aux Indes d’Espagne, avec une description particulière
de la rivière de la Plata de Buenos ayres, et autres lieux, commencé en 1702 et fini en 1706,
(anonyme), Rouen, Machuel, 1723, p. 4.
185 Alain Cabantous, Les Citoyens du large. Les Identités maritimes en France (xviie-xixe siècles),
Paris, Aubier, coll. « Historique », 1995, p. 42.
186 AHN, Diversos, siglo xvii-sin fecha, leg. 33, documento 42, fol. 8. Le précieux liquide est
parcimonieusement distribué et cette situation l’ulcère au plus haut point : « Y es Regular,
que yo padezca más sed porque necesito agua para muchas cosas que no gasta el marinero
y porque este apaga la sed con el vino que a mi me la aumenta ». 
187 L’imaginaire social qui se construit autour des gens de mer reprend inlassablement ce
préjugé de l’ivrognerie. Un historien contemporain décrit ainsi la communauté maritime
en apportant, une fois encore, cette vision négative : « women and wine have historically
been the prime compensations ashore for months of hardship on the high seas; mariners
of the carreira [da India] were not exception to this nautical tradition. Flagrant prostitution,
widespread immorality […] street fights, and robberies characterized those days and weeks
when an Indiaman was in port », A. J. R. Russell-Wood, « Seamen ashore and afloat: the social
environment of the Carreira da India, 1550-1750 », The Mariner’s Mirror, vol. 69, London, The
Society for Nautical Research, 1983, p. 41.
188 Adrien Carre, « Le vin dans l’histoire maritime », Revue du Centre Généalogique de l’Ouest,
n° 39, Nantes, Centre généalogique de l’Ouest, 1984, p. 101.
189 Alain Cabantous, « Les finistères… », art. cit., p. 664.
190 Delphine Tempère, « Vida y muerte… », art. cit., p. 117.

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faisant fi des préjugés et des suspicions. Matelots, soldats et officiers peuvent
en effet tirer profit de quelques avantages pécuniaires en décidant de s’enrôler
sur les flottes.
2- Une rémunération compensatrice

Dans un contexte économique et social difficile, l’aventure maritime présente


plusieurs avantages. Elle offre tout d’abord logis et couvert à chaque membre
d’équipage lors des traversées et elle garantit ensuite une solde pendant
huit à douze mois 191. Pablo Emilio Pérez-Mallaína remarque à ce propos
que les soldes versées aux gens de mer constituent des revenus considérés
par Fernand Braudel comme raisonnables  192. Au xvie siècle, en effet, les
matelots perçoivent vingt à trente ducats par an. Ainsi, les dangers de la mer
disparaissent-ils le temps du voyage, car les attraits du salaire et des avances sur
soldes ont finalement raison des peurs ancestrales. Au xviie siècle, les salaires
sont toujours satisfaisants. En 1623, un marin engagé sur un bâtiment de la 125
Real Armada de la Guardia de las Indias reçoit 4 écus par mois 193, soit 48 écus

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


par an, près de 52 ducats 194. En 1626, le matelot Juan Fernández du navire
Nuestra Señora de la Encarnación perçoit une solde de 95 ducats pour un forfait
de voyage aller-retour 195. En 1634, Francisco Bello passe un accord avec le
capitaine du vaisseau Jesús María y Josefe et convient d’un salaire s’élevant à
33 ducats pour exercer son métier de marin, « ayudando en las faenas y en los
que le ofreciere », de La Havane à Sanlúcar de Barrameda 196. Au fil des ans,
les rémunérations semblent donc augmenter suivant la hausse des prix que
l’Espagne connaît à cette époque 197.

191 Earl J. Hamilton est l’un des premiers historiens à s’intéresser aux soldes et à l’alimentation
à bord des vaisseaux espagnols. Il offre de nombreuses données recensant les vivres
embarqués et une description des rations octroyées, chaque jour de la semaine, aux membres
de l’équipage (Earl J. Hamilton, « Paga y alimentación en las flotas de Indias » (1929), dans
El florecimiento del capitalismo. Ensayos de historia económica, Madrid, Alianza Editorial,
1984, p. 106-107).
192 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres..., op. cit., p. 150.
193 Fernando Serrano Mangas, Armadas..., op. cit., p. 284.
194 Un ducat vaut 375 maravédis, un écu d’argent 12 réaux et un réal 34 maravédis. Annie
Molinié-Bertrand, Vocabulaire historique de l’Espagne classique, Paris, Nathan, 1993, p. 72.
Soit, 48 écus par 12 = 576 réaux, multipliés par 34 = 19 584 maravédis, divisés par 375 = 52,
2 ducats.
195 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1627, leg. 955, n° 1, ramo 13, fol. 1-10.
196 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1635, leg. 961, n° 3, fol. 1-14. Avec « l’aide de
Dieu », capitaine et matelot scellent un accord dont les termes ont été conservés. Voir annexe
n° 5.
197 Earl J. Hamilton, « Paga y alimentación… », art. cit., p. 117 et Auke Pieter Jacobs, « Migraciones
laborales entre España y América. La procedencia de marineros en la Carrera de Indias.
1598‑1610 », Revista de Indias, n° 193, Madrid, CSIC, 1991, p. 535.

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Un avantage incite de surcroît les hommes à appareiller. Des avances sur salaires
sont payées pour subvenir aux besoins des familles de matelots. Cet attrait
financier stimule les plus hardis et les invite à servir sur les bâtiments du roi et
des particuliers. Toutefois, cette prime au travail pervertit parfois le système en
incitant les plus malhonnêtes à recevoir des avances avant de disparaître au fin
fond de l’Andalousie. Mal intentionnés, ou tout simplement nécessiteux, ils
s’enrôlent sur les listes d’équipage, reçoivent leur avance, mais ne se présentent
jamais le jour du départ 198. Les explications avancées par les marins arrêtés
sont variées et témoignent d’un phénomène ayant cours au xviie siècle. En
1611, le marin Gregorio Hernández est fait prisonnier et comparaît à l’audience
de Séville 199. On lui reproche d’avoir reçu une avance s’élevant à 16 ducats,
soit 4 mois de salaire, sans s’être présenté sur le galion San Esteban. Pour sa
défense, les explications qu’il présente au tribunal sont peu convaincantes : il
serait tombé malade et aurait été sur le point de mourir 200. Accablé ou non
126 par la maladie, le marin ne convainc pas les autorités lasses de lutter contre ces
fraudes incessantes 201. Les arguments présentés par le matelot Cebrán Núñez,
malgré leur possible véracité, ne satisfont guère les juges. Il explique en effet que
sa femme, enceinte et en danger de mort peu de temps avant l’accouchement,
l’a appelé à son chevet 202. Les juges le condamnent alors à verser les quatre
pagas adelantadas reçues lors de l’enrôlement, majorées de 28 réaux. La peine
encourue ne semble pas rédhibitoire et l’on comprend mieux ce phénomène
au xviie siècle. Des peines de galère doivent être appliquées pour ces délits,
mais les autorités font preuve d’une certaine permissivité car elles cherchent
désespérément des membres d’équipage 203. Quelques avantages poussent donc

198 En Amérique, les désertions se multiplient également. Peu de temps avant son retour à Cadix,
Gemelli Careri déclare qu’à La Havane « quantité de méchants matelots, qui avaient reçu la
paie, s’enfuirent ». Giovani Francesco Gemelli Careri, Voyage…, op. cit., p. 248.
199 Il existe à Séville, dans la Casa de la Contratación, une prison qui dépend directement
du Conseil des Indes, voir Cristóbal Bermúdez Plata, « La cárcel nueva de la Casa de la
Contratación de Sevilla », Revista de Indias, n° 37-38, Madrid, CSIC, 1949, p. 646-649.
200 « Le dio una enfermedad de dolor de costado de que estubo a punto de muerte y entre tanto
partieron los galeones y por esta ocassion no pudo yr a servir la dicha plaza », AGI, Cont.
Autos de Oficio, año de 1611, leg. 599. « El licenciado Diego Lorenzo Navarrero, oídor de la
Contratación, contra marineros que cobraron pagas y no fueron en los galeones de Tierra
Firme en 1610. Contra Gregorio Hernández, marinero ».
201 Fernando Serrano Mangas consacre une partie de son étude aux déserteurs à Séville et en
Amérique. Fernando Serrano Mangas, Armadas…, op. cit., p. 211-215.
202 AGI, Cont. Autos de Oficio, año de 1611, leg. 599. « El licenciado Diego Lorenzo Navarrero,
oídor de la Contratación, contra marineros que cobraron pagas y no fueron en los galeones
de Tierra Firme en 1610. Contra Cebrán Núñez, marinero ».
203 En dépit de nombreuses mesures mises en place pour éviter les désertions, le nombre de
marins et de soldats délaissant leur vaisseau augmente tout au long du xviie siècle. Auke
Pieter Jacobs, « Legal and Illegal Emigration from Seville, 1550-1650 », dans To make America.
European Emigration in the Early Modern Period, edited by Ida Altam & James Horn, Berkeley,
University of California Press, 1991, p. 76.

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les matelots à s’enrôler sur les navires des flottes des Indes, mais le monde de la
mer reste dangereux et les gens de terre en ont bien conscience 204.

III- PRENDRE LA MER

Face aux dangers encourus et au piètre prestige dont jouissent les marins, on
s’interroge sur leurs motivations 205. Les Anciens considéraient cette activité
contre-nature et la qualifiaient de « cruelle, désespérée et épouvantable » 206.
Quelles forces poussent donc matelots et officiers à appareiller dans de telles
circonstances ? S’il est vrai que les tourments d’une traversée sont vite oubliés
et que la peur de la mer s’estompe face aux besoins de naviguer, il ne faut pas
oublier que les dangers menacent toujours 207.
A- Le voyage et ses motivations

Sous l’Ancien Régime, les métiers se transmettent de père en fils. Les gens 127
de mer n’échappent pas à cette caractéristique et forment leurs enfants par

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


tradition familiale. Il s’agit là d’un premier constat, nous y reviendrons. Une
autre considération doit être prise en compte, elle a trait à l’origine géographique.
En fonction du lieu de naissance et de résidence, l’activité maritime s’impose de
façon plus ou moins évidente.
1- Terre d’origine et tradition maritime

Même si le déterminisme géographique ne peut être retenu comme seul


critère, il apporte des éléments de réponse. Se limiter à ce seul rapport,
hommes-géographie, serait évidemment réducteur. Lorsqu’en 1943, Manuel
Ballesteros-Gabrois affirme que pour l’Espagne et le Portugal ce « déterminisme
géographique » est presque un axiome, il réduit les mécanismes complexes qui
invitent les hommes à prendre le chemin des océans  208. C’est pourquoi les
données que nous allons avancer viendront s’inscrire dans un ensemble nuancé
d’informations pour expliquer les motivations au voyage.

204 Les origines étymologiques du mot « voyage » sont éloquentes. En anglais, travel vient de
l’ancien français « travail » qui signifiait, comme en espagnol, la peine et la douleur (Dieter
Wanner, « Excursión en torno al viaje », dans Literatura de viajes. El Viejo Mundo y el Nuevo,
Salvador García Castañeda (dir.), Madrid, Editorial Castalia, 1999, p. 17).
205 Les « terriens » se sont toujours étonnés de cet « inconstant exercice de la mer », certains y
voient même un signe du démon, voir Pierre de Lancre, Tableau de l’inconstance des mauvais
anges et des démons (1613), cité dans Alain Cabantous, Les Citoyens…, op. cit., p. 242.
206 Diego de García de Palacios, Instrucción náutica…, op. cit., fol. 2.
207 Pedro de Medina, Regimiento de Navegación, Sevilla, Juan Canalla, 1552. Dans son Prohemio,
il affirme : « Todos aquellos temores y trabajos que en la navegacion se pasan, se olviden y no
se acuerden [los pilotos] porque si se acordassen y temiessen, no avria quien navegasse ».
208 Manuel Ballesteros-Gabrois, España en los mares, Madrid, Ediciones de la vicesecretaria de
la educación popular, 1943.

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Il convient tout d’abord de distinguer deux groupes dans l’échantillon
retenu : les passagers d’une part, les gens de mer et de guerre d’autre part.
Pour les premiers, le fait d’emprunter les voies océaniques répond à ce seul
besoin de déplacement ; pour les professionnels de la mer, en revanche,
s’enrôler sur un bâtiment relève d’un choix stratégique répondant souvent à
des impératifs économiques et géographiques. Voici dans un premier temps
un tableau récapitulatif concernant les 1046 personnes recensées dans notre
corpus :
Provenance géographique des 1046 gens de mer, gens de guerre et passagers

Provenance géographique des passagers Total = 183


Espagne 158
Amérique 9
Nations étrangères 16
Provenance géographique des gens de mer et de guerre Total = 835
128 Espagne 701
Amérique 2
Nations étrangères 69
Sans précision 63
Sans précision Total = 28
Espagne 23
Amérique 1
Nations étrangères 2
Sans précision 2
TOTAL 1 046

* Passagers en mer

En fonction de la provenance géographique et de la profession de chaque


individu, il devient possible de cerner les motivations au voyage. On a donc
élaboré un tableau indiquant les différentes régions d’origine des passagers
afin d’analyser une des causes du déplacement océanique et par conséquent de
l’émigration :

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Provenance géographique des 183 passagers

Provenance géographique Nombre de passagers


ESPAGNE = 158
Andalousie 67
Castille (Veille et Nouvelle) 28
Sans précision 17
Pays basque 15
Estrémadure 14
Asturies 4
Aragon 3
Canaries 3
Cantabrique 2
Galice 2
Murcie 1
Navarre 1
Catalogne 1
AMÉRIQUE =9
Vice-royauté du Pérou 7 129
Vice-royauté de la Nouvelle Espagne 2
NATIONS ÉTRANGÈRES = 16

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


Portugal 10
Gênes 3
Flandres 2
Milan 1
TOTAL = 183

Il convient dans un premier lieu d’apporter quelques précisions


méthodologiques. Sur les soixante-sept passagers andalous par exemple, trente-
cinq sont originaires de la région et trente-deux déclarent uniquement y résider :
la formule étant vecino de. Pedro de Vela Patiño, passager cargador et familier du
Saint-Office, indique qu’il réside à Séville sans préciser sa ville d’origine 209. Il est
alors malaisé de savoir ce que recouvre cette notion de vecindad 210, car si dans
certains cas, elle désigne un lieu de résidence par opposition au lieu de naissance,
dans d’autres cas, elle indique ces deux lieux. Lorsque Juan Antonio de Agreda
dit qu’il réside à Séville dans le quartier de Triana, tout semble indiquer qu’il
en est originaire. Dans le dossier d’Alonso de Gutiérrez de Peralta, on découvre
encore deux renseignements le concernant : « vecino de Sevilla » puis « residente
en la Vera Cruz » 211. Manifestement, ces indications semblent signaler un lieu
de résidence établi depuis de nombreuses années à Séville par opposition à un

209 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1699, leg. 672, n° 10, ramo 1, fol. 1-36.
210 « Vecino: El que habita con otros en un mismo barrio, casa u Pueblo. […] Se llama tambien
el que tiene casa y hogar en un Pueblo y contribuye en él en las cargas, ù repartimientos,
aunque actualmente no viva en él. […] Significa asimismo el que ha ganado domicilio en
un Pueblo, por haber habitado en él tiempo determinado por la ley », dans Diccionario de
Autoridades…, op. cit.
211 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348B, n° 1, ramo 25, fol. 1-11.

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séjour temporaire en Amérique. Face à ces imprécisions, on a donc choisi de
regrouper dans la même région ceux qui disent en être originaires et ceux qui
déclarent en être vecinos 212.
Voyons à présent le détail de la provenance géographique des 183 passagers.
L’Andalousie reste le principal pôle d’attraction et d’émigration vers l’Amérique.
Le monopole établi impose en effet à chaque personne un transit prolongé en
cette terre méridionale avant de franchir la porte des Indes 213. Une longue
attente conduit d’ailleurs certains passagers à résider dans les ports andalous
pendant plusieurs années avant le départ tant souhaité. Contraint par des
impératifs administratifs, le jésuite Antonio Sepp patientera un an à Séville
avant d’entreprendre son voyage 214. D’autre part, le port de Séville concentre
une population importante de négociants. En effet, le commerce et les grandes
organisations dont il dépend, la Casa de la Contratación et le Consulado de
Mercaderes, attirent bon nombre de commerçants désireux de s’embarquer. Près
130 de trente-cinq des passagers de notre échantillon déclarent ainsi exercer des
fonctions commerciales.
La Castille constitue ensuite la région la plus importante puisque 28 passagers
en sont originaires. On recense la présence d’un fonctionnaire royal, car la
Castille est une terre d’émigration pour les représentants du roi. Il s’agit de
Jerónimo de Ávila Ledesma, originaire de Zamora, qui s’apprête à prendre
sa charge de gouverneur de Mariquita 215. Des ecclésiastiques provenant de
cette même région émigrent également en Amérique pour occuper un poste,
tel Antonio de Tamayo futur prébendier de la cathédrale de Puebla de los
Ángeles 216. Le Pays basque arrive ensuite avec une quinzaine de passagers
dont certains mentionnent clairement leur appartenance à la communauté
mercantile. Terre d’émigration et de commerce, il n’est guère surprenant de
recenser des Basques introduits dans les milieux des affaires coloniales car ils
développent une tradition maritime et commerciale depuis des décennies 217.
Proche du complexe andalou transatlantique, l’Estrémadure est également
bien représentée. Près de 15 passagers déclarent en effet être originaires de

212 En revanche, lorsqu’une personne déclare être vecina de Séville et originaire de Fregenal, tel
Juan Adame de Santana, on détermine l’Estrémadure comme province d’origine (AGI, Cont.
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 335, n° 3, fol. 1-228).
213 Auke Pieter Jacobs, Los movimientos migratorios entre Castilla e Hispanoamérica durante el
reinado de Felipe III, 1598-1621, Amsterdam, Atlanta, 1995, p. 67.
214 Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas, edición crítica de las obras del
padre Antonio Sepp, Buenos Aires, Eudeba Editorial Universitaria de Buenos Aires, 1971,
p. 123.
215 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1687, leg. 564, n° 2, ramo 2, fol. 1-46.
216 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1634, leg. 536, n° 1, ramo 1, fol. 1-6.
217 Valentín Vázquez de Prada Vallejo, « La emigración de Navarros y Vascongados al Nuevo
Mundo y su repercusión en las comunidades de origen », dans Antonio Eiras Roel, La
emigración española a Ultramar, 1492-1914, Madrid, Edición Tabapress, 1991, p. 137.

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cette région marquée au xviie siècle par la pauvreté 218. La crise a de graves
conséquences dans cette province reculée et bon nombre d’Espagnols
décident de tenter leur chance en Amérique plutôt que de subir les affres de
la décadence économique régionale. Plusieurs de nos passagers 219 semblent
d’ailleurs avoir tiré profit des flux commerciaux transatlantiques et révèlent
leur nouvelle identité de peruleros 220. Les autres régions espagnoles font une
apparition discrète. Les Asturies, la Cantabrique et la Galice constituent des
pôles d’émigration car la crise frappe également ces régions septentrionales
de l’Espagne et des flux migratoires importants naissent ainsi de ces zones
défavorisées 221. Toutefois, pour la Navarre la situation s’avère différente puisque
cette région ne souffre guère des épidémies et des conflits belliqueux affectant
les autres parties du royaume 222. Les passagers originaires des Indes ou résidant
dans les vice-royautés américaines se dirigent quant à eux vers la Métropole.
On imagine qu’ils entreprennent une traversée vers la péninsule ibérique dans
une optique commerciale. En effet, les Créoles n’ont pas pour habitude de se 131
déplacer en dehors de leurs terres ; seuls les hauts fonctionnaires, les nobles et

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


les commerçants s’aventurent sur les océans pour rejoindre temporairement
l’Espagne 223.
Naturellement, on trouve aussi des passagers appartenant à des nations
étrangères. Jusqu’en 1640, le Portugal marque sa présence de façon manifeste
lors de la période d’union des deux couronnes. Parmi les passagers lusitaniens,
certains exercent des professions mercantiles, d’autres, a contrario, se
disent pilotes ou marins de formation. À leur sujet, un doute s’immisce
fréquemment, car ces hommes déclarent voyager en tant que passagers
et exercer une profession maritime. Il convient à ce sujet de rappeler le
caractère particulier accordé aux Portugais par la Couronne espagnole.
Cette dernière, qui les tolère en tant que gens de mer sur ses vaisseaux, se
garde bien de leur offrir la nationalité espagnole et les considère comme des

218 Antonio Domínguez Ortiz, El Antiguo Régimen: Los Reyes Católicos y los Austrias (1988),
Madrid, Alianza Editorial, 1999, p. 268.
219 Lorenzo Gómez, originaire de la Villa de Feria, précise ainsi qu’il voyage à bord d’un bâtiment
de la Real Armada de la Guardia de las Indias en tant que perulero (AGI, Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1626, leg. 368, n° 7, ramo 14, fol. 1-400).
220 Lorenzo Sanz Eufemio offre une définition de ces commerçants venus de la vice-royauté
du Pérou et appelés peruleros : « Se les conoce con el nombre de indianos, pasajeros que
vienen a emplear, o peruleros, aunque el término más frecuente es pasajeros ». Les peruleros
se rendent en effet dans la Péninsule pour acquérir des produits manufacturés, comme de
la quincaillerie, du tissu et du papier, pour les revendre ensuite à Lima. Citation tirée de
Lutgardo García Fuentes, Los Peruleros y el Comercio de Sevilla con las Indias. 1580-1630,
Sevilla, Universidad de Sevilla, 1997, p. 17.
221 Antonio Domínguez Ortiz, El Antiguo Régimen..., op. cit., p. 264-265.
222 Ibid.
223 José Luis Martínez, Pasajeros…, op. cit., p. 179.

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étrangers 224. Par conséquent, le commerce auquel ils pourraient se livrer aux
Indes leur est formellement interdit 225. Toutefois, l’attrait du gain a bien
évidemment raison des lois et tout Portugais embarqué sur les flottes se livre
communément à des transactions commerciales sous couvert d’une activité
maritime. Cette ambiguïté entre commerce et art de naviguer entraîne des
conflits sans fin entre l’administration espagnole et les sujets portugais. Les
dossiers des Biens des Défunts s’avèrent à cet égard révélateurs des conflits
qui sous-tendent une situation d’alliance sur le point de se rompre. Malgré
leur union, les couronnes se livrent à des luttes intestines et la Casa de la
Contratación, outrepassant ses prérogatives, met sous séquestre les héritages
des défunts portugais ou condamne encore les héritiers de ces derniers à verser
de lourdes contributions au Trésor public 226. Sur les dix passagers portugais
recensés, sept dossiers des Biens des Défunts conservent un procès entamé par
le procureur de la Casa de la Contratación contre les héritiers. Le même chef
132 d’accusation se voit inlassablement énoncé par le fonctionnaire royal zélé qui
rappelle cette vérité implacable : « Ningun estranjero destos Reynos Pueda pasar
a las yndias tratar ni Contratar en ellas sino fuera con Particular Lizencia de su
magestad » 227. Les passagers portugais sont rarement en possession de cette
licence et sont donc fréquemment accusés de commercer illégalement en
Amérique 228. Les sentences prononcées sont alors sans appel. Ainsi, une
part importante des patrimoines laissés en mer par ces passagers portugais
intègre-t-elle les caisses de la Cámara y Fisco de su Majestad en guise de
sanction. Les héritiers de Domingo González de Chaves sont par exemple

224 Maria da Graça Mateus Ventura rappelle l’existence d’une cédule édictée en 1596 par Philippe
II dans laquelle il précise que les Portugais sont considérés comme des étrangers. Maria
da Graça Mateus Ventura, « João Fernandes – Périplo de um marinheiro entre Vila Nova de
Portimão e Santiago de Guayaquil. Ou da importância dos Autos de Bienes de Difuntos para
a História Social », dans A União Ibérica e o Mundo Atlântico, Lisboa, Edições Colibri, 1997,
p. 136. Voir également, Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro I, cap. XXXI.
225 À l’exception des asientos négriers.
226 Il serait intéressant d’analyser ce phénomène en le comparant à un autre cas, semblable, qui
a lieu à la même époque en Amérique. Par le biais d’une autre institution, l’Inquisition cette
fois-ci, les biens des Portugais sont également mis sous séquestre et leur fortune intègre les
caisses inquisitoriales de Lima. Une confluence d’intérêts, d’ordre économique – renflouer
les caisses de l’institution religieuse, mais également renforcer le poids des commerçants
liméniens – et d’ordre religieux, intervient de façon intrinsèquement liée. Voir l’ouvrage de
René Millar Carvacho, Inquisición y Sociedad en el Virreinato Peruano. Estudios sobre el
Tribunal de la Inquisición de Lima, Santiago, Universidad Católica de Chile, 1998.
227 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1619, leg. 339A, n° 1, ramo 12, fol. 38.
228 En 1605, le procureur de la Casa de la Contratación entame une procédure contre Francisco
Borges : « Estrangero destos Reynos vezino y natural de la dicha villa de Barcelos en el
dicho Reyno de Portugal fue y pasó a las dichas yndias del mar oceano de su majestad sin
orden ni licencia suya y estubo y residió en ellas Por tiempo de mas de diez años Tratando y
contratando en diversas mercadurias sin haber orden ni licencia », AGI, Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1605, leg. 271, n° 2, ramo 16, fol. 26.

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condamnés à verser 173 989 maravédis, soit la moitié de l’héritage, aux caisses
royales 229. Les parents de Domingo Martín sont pressés d’abandonner 46 439
maravédis aux mains de la Couronne 230 et la fille de Duarte López verse
sous la contrainte 230 pesos, de l’argenterie et des bijoux en or et en argent
appartenant à son défunt père 231. Des intérêts d’ordre financier rejoignent
les préoccupations économiques et politiques de la Couronne et, dès lors,
la participation du procureur de la Casa de la Contratación témoigne d’un
acharnement judiciaire sans équivoque. Quelques années avant la séparation
de l’Espagne et du Portugal, on devine des signes précurseurs de rupture entre
les deux couronnes et, naturellement, dès la révolte de 1640, les hommes de la
« Nation » disparaissent sensiblement de la Carrera de Indias 232. Les passagers
originaires de Gênes, de Milan et des Flandres voyagent en Amérique pour les
mêmes raisons que les Portugais. Auke P. Jacobs a souligné à ce sujet le rôle
notoire des commerçants flamands au xviie siècle 233. Celui des Génois et des
Milanais est identique. Le flux de transactions financières de Séville attire de 133
nombreux étrangers qui demandent leur naturalisation pour négocier plus

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


librement avec l’Amérique.
Les motivations d’ordre commercial apparaissent finalement comme le
moteur de ces déplacements transatlantiques et transpacifiques. Même si
quelques fonctionnaires royaux empruntent les voies de l’océan pour exercer
leur charge ou revenir sur leur terre natale, il semble que les migrations
temporaires des passagers en Amérique répondent principalement à des besoins
mercantiles.
* Gens de mer et gens de guerre

On a vu que l’art de naviguer et la carrière militaire sur les flottes espagnoles


sont des entreprises difficiles et méprisées. Pourtant, l’enrôlement reste une
échappatoire de premier ordre face à un monde paysan appauvri. Il peut
d’autre part représenter un tremplin vers l’Amérique, en d’autres termes, une
émigration parallèle vers le Nouveau Monde. La provenance géographique
des 835 gens de mer et de guerre va permettre maintenant d’éclairer leurs
motivations.

229 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 292, n° 1, ramo 12, fol. 155.
230 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 352, n° 1, ramo 8, fol. 71.
231 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1619, leg. 339A, n° 1, ramo 12, fol. 56-58.
232 Fernando Serrano Mangas, « La presencia portuguesa en la América Española en la época de
los Habsburgos. Siglos xvi-xvii », dans A União Ibérica e o Mundo Atlântico, Lisboa, Edições
Colibri, 1997, p. 79.
233 Auke Pieter Jacobs, Los movimientos..., op. cit., p. 67.

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Provenance géographique des 835 gens de mer et de guerre

Provenance géographique Nombre de gens de mer et de guerre %


Espagne 701 84 %
Amérique 2 0,5 %
Nations étrangères 69 8 %
Sans précision 63 7,5 %
TOTAL 835 100 %

Il convient à présent de distinguer deux groupes parmi les gens de mer et de


guerre de notre échantillon : les personnes originaires des royaumes d’Espagne
et les autres. Concernant les marins et soldats de nations étrangères, on a établi
le tableau suivant :
Détail de la provenance géographique
des 69 gens de mer et de guerre de nations étrangères

Provenance géographique Nombre de gens de mer et de guerre


134 Portugal 47
France 5
Gênes 4
Duché de Savoie 4
Royaume de Naples 4
Flandres 2
Papauté d’Avignon 1
Angleterre 1
Danemark 1
TOTAL des nations étrangères 69
TOTAL des gens de mer et de guerre 835

Pour les étrangers, comme pour les Espagnols, l’appel de la mer


correspond souvent à une tradition maritime ancestrale  234. Parmi les 47
Portugais, on dénombre 24 marins, 12 mousses, 3 gardiens de navire, 2
pilotes et 6 autres professionnels de la mer. Des instructions espagnoles
assouplissent les conditions d’enrôlement des étrangers et favorisent
notamment la présence des gens de mer portugais sur les vaisseaux des flottes

234 L’ouvrage de Luciana Stegagno Picchio reprend la longue tradition des voyages portugais
en mer et en fait une relation détaillée en mêlant analyse historique et littéraire (Luciana
Stegagno Picchio, Mar Aberto. Viagens dos portugueses, Lisboa, Editorial Caminho,
1999). Dans la même veine, Isabel Soler s’interroge sur le rôle des navigateurs portugais
aux xvi e et xvii e siècles et démontre qu’ils ont occupé une place prépondérante dans la
naissance du monde moderne (Isabel Soler, El nudo y la esfera. El navegante como artífice
del mundo moderno, Barcelona, El Acantilado, 2003). Luis Albuquerque dévoile quant à
lui les connaissances acquises dans le domaine maritime par les navigateurs portugais.
Luis Albuquerque, A Náutica e a ciência em Portugal. Notas sobre as navegações, Lisboa,
Gradiva, 1989. Citons encore l’essor de l’empire lusitanien qui fait, entre autres, l’objet de
la monographie réalisée par Charles Boxer : The Portuguese Seaborne Empire, London,
Hutchinson, 1969.

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des Indes 235. Face à une pénurie d’hommes, la Couronne se montre ainsi
complaisante et assouplit sa législation : elle est plus permissive à l’égard des
Portugais et tolère qu’ils s’infiltrent dans les territoires espagnols. Néanmoins,
elle punit sévèrement les fortunes acquises dans ses possessions en prélevant des
sommes d’argent sur les héritages qu’elle se doit pourtant de faire parvenir aux
ayants droit. Ainsi, en 1612, le procureur de la Casa de la Contratación intervient
dans la remise de l’héritage du marin Antonio Álvarez, originaire du Portugal.
Un procès s’engage entre les héritiers et le représentant de la Couronne. Ce
dernier accuse le navigateur de s’être livré en tant qu’étranger à des transactions
commerciales illicites, mais ses parents contestent vigoureusement l’accusation.
De multiples feuillets rédigés en portugais, puis traduits en castillan, sont
insérés dans le dossier des Bienes de Difuntos du marin. Les efforts prodigués
par les héritiers se solderont toutefois par un échec puisque 4 000 maravédis
seront appliqués comme peine 236. En 1629, les 144 pesos appartenant au
matelot portugais Manuel Andrés sont mis sous séquestre par le procureur et 135
entrent dans les caisses de la Real Cámara de Su Majestad 237. Quelques années

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


auparavant, les biens d’Antonio de la Vega connaissent le même sort et 49 482
maravédis sont retenus par les autorités espagnoles 238. La mère du défunt
présente alors une longue liste de témoignages pour plaider en faveur des marins
et pilotes portugais exerçant leur profession au service du roi d’Espagne 239.
Cette bataille judiciaire portera finalement ses fruits car la totalité des biens
lui sera versée. Ironie du sort, en cherchant dans des registres de navires, on a
découvert que le « matelot » exerçait également une activité de négrier quelques
années auparavant 240.
Comme le rappelle Pierre Chaunu, au début du xviie siècle une colonisation
portugaise s’est implantée en Amérique. Elle détient les rênes du commerce

235 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo II, n° 48. Dans une lettre datant
de 1609 et adressée au Conseil des Indes, les officiers de la Casa de la Contratación
expliquent que, face à la pénurie de marins espagnols, ils doivent avoir recours à des
marins étrangers. Pierre et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique, Paris, SEVPEN, 1959,
t. IV-6/4, p. 312.
236 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1612, leg. 309, n° 1, ramo 10, fol. 1-71.
237 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 396A, n° 4, ramo 8, fol. 1-42.
238 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1621, leg. 345A, n° 10, fol. 1-67.
239 Dans le plaidoyer, on lit : « El dicho difunto no era estranjero destos rreynos por ser natural
del algarve que por serlo su majestad siempre a dado licencia Para que puedan navegar a
las yndias en las flotas y armadas que ban a estos rreynos y se examinan muchos naturales
del dicho algarve en esta casa por pilotos y navegan a las yndias en las dichas flotas como
es notorio y si fueran estranjeros no se permitiera ni diera Lugar a ello y el dezir que el dicho
difunto trató y contrató en las yndias es sinistro y de los autos consta lo contrario y que no
tenia otro oficio mas que marinero… », ibid., fol. 60.
240 AGI, Cont. Registros, año de 1616, leg. 2878, n° 16 : « Antonio de Vega, maestre de nao.
Registros de esclavos, licencias reales para llevar esclavos a las costas de Nueva España y
Tierra Firme ».

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et un danger d’ordre économique et politique plane sur la Couronne
d’Espagne 241. L’angoisse latente incite donc les autorités à sévir contre ces
Portugais enhardis qui subissent les sanctions imposées à leur égard mais
demeurent imperturbablement présents dans la Carrera de Indias jusqu’aux
prémisses de la révolte. Ainsi, à partir de 1640, pas un seul dossier de navigateur
portugais n’est-il recensé. Les quarante-huit matelots portugais sélectionnés
dans notre échantillon s’enrôlent sur les vaisseaux espagnols de 1599 à 1640
pour participer à une aventure maritime et commerciale dont ils sont acteurs
à part entière.
Dix-sept gens de mer et de guerre de la république de Gênes, du Duché de
Savoie et de France s’embarquent également sur les vaisseaux espagnols 242.
Ces régions étrangères, comme le Duché de Savoie tour à tour dans l’orbite
espagnole ou française 243, envoient leurs sujets afin de participer à l’entreprise
coloniale. Soulignons à ce propos que la législation connaît de nombreux
136 changements, interdisant puis acceptant, au gré des conflits européens, les
matelots français, anglais et allemands  244. En revanche, les habitants des
Flandres et du Royaume de Naples, pourtant sous domination espagnole,
sont eux aussi considérés comme des étrangers et Joseph de Veita Linaje s’en
étonne 245. Qu’importe, quel que soit leur horizon national, politique ou
religieux, les gens de mer participent à la Carrera des Indias et plus largement
aux navigations espagnoles. Des marins anglais, de la Papauté d’Avignon et du
Danemark composent ainsi les équipages ibériques. Auke P. Jacobs remarque
également la présence au xviie siècle de matelots de Norvège, d’Islande, de
Pologne ou encore d’Égypte 246.

L’origine géographique des gens de mer et de guerre espagnols permet de


la même façon de comprendre les motivations liées à l’enrôlement. L’étude
de cette répartition évoque avec force les problèmes d’ordre économique que
connaissent certaines régions d’Espagne et souligne d’autre part les atouts des
pôles de croissance andalous et basque.

241 Pierre et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique…, op. cit., t. IV-6/4, p. 314-316. Voir
également l’ouvrage de Daviken Studnicki-Gizbert, A nation upon the Ocean Sea: Portugal’s
Atlantic Diaspora and the Crisis of the Spanish Empire, 1492-1640, Oxford, Oxford University
Press, 2007.
242 Seul un militaire apparaît en fait : Juan Gotucio, soldat génois enrôlé à bord de la Real Armada
de la Guardia de las Indias (AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 282B,
n° 3, ramo 1, fol. 1-11).
243 Yves-Marie Bercé, Alain Molinier, Michel Péronnet, Le xviie siècle. 1620-1740, Paris, Hachette
supérieure, coll. « Histoire université », 1992, p. 56.
244 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro II, capítulo II, n° 48.
245 Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro I, capítulo XXXI.
246 Auke Pieter Jacobs, « Migraciones laborales… », art. cit., p. 533.

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Détail de la provenance géographique des 701 gens de mer et de guerre espagnols

Provenance géographique Nombre de gens de mer et de guerre Pourcentage


Andalousie 565 67,7 %
Pays basque 59 7,1 %
Galice 15 1,8%
Castille 13 1,6 %
Estrémadure 12 1,4 %
Cantabrique 11 1,3 %
Canaries 8 1,0 %
Baléares 4 0,5 %
Asturies 3 0,4%
Navarre 3 0,4 %
Valence 3 0,4 %
Catalogne 2 0,2 %
Murcie 2 0,2 %
Aragon 1 0,1 %
TOTAL Espagne 701 84 %
TOTAL des gens de mer et de guerre 835 100 % 137

La plupart des matelots et des mousses espagnols sont originaires d’Andalousie :

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


plus de 60 % d’entre eux y résident 247. Plus précisément, Séville accueille 20 %
de ces Andalous, car la population maritime est établie dans l’agglomération
sévillane depuis plus d’un siècle. Le quartier de Triana est ainsi le haut lieu des
gens de mer. Morgado décrit le faubourg grouillant de toutes sortes de marins
et évoque l’activité fébrile régnant en ce lieu 248. L’appartenance au quartier est
ainsi fréquemment indiquée dans les testaments et un matelot sévillan résidant
à Triana prend chaque fois le soin d’indiquer cette spécificité 249. Longtemps,
Triana a été considérée comme une ville à part, elle le fut jadis, puis le pont
des Barques, la reliant à l’Arenal, l’unit à la ville sans lui ôter ses particularités.
D’autres quartiers sévillans méritent encore d’être signalés. Très rarement
évoqués, ils abritent pourtant bon nombre de gens de mer et de guerre. Parmi
les faubourgs sévillans les plus anciens, La Magdalena et San Vicente sont des
lieux de résidence prisés par la communauté navigante 250. C’est d’ailleurs dans

247 Sur les 294 marins et mousses, 173 sont originaires d’Andalousie.
248 Santiago Tinoco Rubiales, « De Triana à l’Arenal, une ville fleuve », dans Séville xvie siècle. De
Colomb à Don Quichotte, entre Europe et Amériques, le cœur et les richesses du monde, dirigé
par Carlos Martínez Shaw, Paris, Éditions Autrement, série « Mémoires », n° 15, 1992, p. 43.
249 Le matelot Laureano de Celaya indique dans son testament qu’il réside à Triana dans la
juridiction de la Paroisse de Santa Ana, l’église des gens de mer : « Vezino de la ciudad
de Sevilla, en la parroquia de Señora Santa Ana de Triana… », AGI, Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1678, leg. 975, n° 1, ramo 1(1), fol. 21. Alonso Rodríguez déclare aussi
dans ses dernières volontés : « Natural de Triana en Sevilla… », AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1622, leg. 348B, n° 1, ramo 26(2), fol. 2.
250 Juan Martín, soldat à bord de la flotte de Terre Ferme, réside à Séville dans le quartier de La
Magdalena (AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1687, leg. 5584, n° 55, fol. 1-4. Marina
Alfonso Mola, « Le petit monde du Guadalquivir », dans Séville xvie siècle…, op. cit., p. 60).

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le faubourg de La Magdalena, situé près du Guadalquivir, que le Collège des
gardes-chiourmes de Séville était implanté avant que l’Universidad de Mareantes
ne soit fondée à Triana 251. Il faut ensuite descendre dans le sud de l’Andalousie
pour trouver les villes portuaires de Sanlúcar de Barrameda, du Puerto de Santa
María et de Cadix qui fournissent plus de 40 % des hommes 252. Le regard tourné
vers l’Atlantique, ces villes ou bourgades maritimes participent activement
au commerce et à la Carrera de Indias car elles se situent précisément sur le
parcours des galions. Dans une moindre mesure, le Pays basque est représenté.
Un peu plus de 7% des gens de mer et de guerre proviennent de cette région
septentrionale tournée elle aussi vers l’océan. Même si elle entretient un rapport
privilégié avec la mer, sa participation est moins importante que celle du sud-
ouest de l’Espagne. Rappelons néanmoins que les flux migratoires espagnols
internes invitent de nombreux Basques, Galiciens et Cantabriques à émigrer
dans un premier temps à Séville avant de rejoindre les rangs des armées ou des
138 équipages transatlantiques. La Galice, la Cantabrique, l’Estrémadure et la Castille
fournissent aussi leur lot de soldats et de marins, mais demeurent faiblement
représentées face à l’Andalousie. Un seul phénomène brise ce schéma andalou
des professions maritimes : les trois généraux de flottes de notre échantillon
sont originaires du Pays basque, de la Castille et de la Galice 253. L’Espagne
méridionale malgré une représentation quantitative dominante, ne parvient
donc guère à propulser un de ses membres au sommet de la hiérarchie.
En guise de conclusion, notons que si l’Andalousie est le centre principal
de déplacements professionnels, les migrations internes espagnoles ont déjà
modelé le principe de mobilité géographique. Ainsi, la représentativité de
l’Espagne méridionale-atlantique témoigne-t-elle de ces déplacements préalables.
Remarquons, d’autre part, que le reste des régions espagnoles situées vers l’ouest
océanique fournit des hommes originaires de villages ou bourgades décidant
ainsi d’échapper à un mode de survie précaire dans la campagne. Dans ce cas,
l’enrôlement s’avère symptomatique d’un malaise financier et représente une
sorte d’échappatoire économique. Si la provenance géographique reste un
élément déterminant au moment d’éclairer les motivations liées à un enrôlement
maritimo-militaire, d’autres éléments peuvent encore être avancés.

251 María Encarnación Rodríguez Vicente, « Trianeros en Indias en el Siglo xvi », dans Andalucía
y América en el siglo xvi. Actas de las II Jornadas de Andalucía y América, Sevilla, Escuela de
Estudios Hispano-Americanos de Sevilla, 1983, p. 137.
252 72 marins et mousses sont originaires des villes de Cadix, de Sanlúcar de Barrameda et du
Puerto de Santa María ou bien y résident.
253 Juan de Echeverri est originaire du Pays basque, don Lope de Andrada de Galice et Juan de
Velasco de Castille et León. Respectivement, AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de
1633, leg. 445, n° 1, ramo 4, fol. 1-21 ; AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg.
292, n° 1, ramo 7, fol. 1-93 ; AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1603, leg. 265B,
n° 1, ramo 10, fol. 1-119.

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2- La filiation professionnelle

Loin des structures sociales et familiales, les gens de mer et de guerre sont
isolés sur les océans et souffrent de ruptures opérées avec leur entourage
affectif. Lorsqu’un membre de la famille décide de s’embarquer, un autre peut
alors le rejoindre. Ainsi, le nombre de gens de mer et de guerre embarqués
sur une flotte en compagnie d’un frère ou d’un père est-il assez surprenant.
Cet encadrement familial se reproduit également dans les hautes sphères
militaires puisque les fils d’amiraux ou de capitaines sont hissés à des postes
de commandement 254. La reproduction en mer de réseaux de parenté signale
sans doute un besoin de sécurité face au danger. L’aventure maritime présente
de la sorte moins d’appréhension et le fait d’être épaulé par un frère ou un père
rassérène les novices. Enfin, notons, comme le souligne Alain Cabantous, que
ce maintien d’une forte filiation professionnelle garantit l’intégration d’un
groupe spécifique et participe à sa continuité historique et sociale. Cristóbal
Bueno, marin du navire Santiago el Mayor, s’embarque ainsi sur la flotte de la 139
Nouvelle Espagne en compagnie de son cousin, matelot sur le même vaisseau.

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


En 1664, Francisco Miguel Rodríguez et son père naviguent à bord de la
Patache de la Margarita ; mais lorsque des vaisseaux turcs l’assaillent, le premier
meurt aux mains des « infidèles » et le second est fait prisonnier des forces
ennemies 255. Lors de cette bataille navale, un drame similaire se reproduit.
Cette fois-ci le père Andrés Domínguez décède des suites d’une maladie et son
fils, quelques jours plus tard, est fait prisonnier par les Turcs 256. En 1629, le
naufrage du navire amiral du Honduras ôte encore la vie au père et au fils Díaz,
soldats enrôlés en famille sur les bâtiments de guerre espagnols 257. Quelques
années plus tard, en 1631, ce sont les frères Miranda, arquebusiers du navire
Nuestra Señora del Juncal, qui périssent ensemble lorsque le navire fait naufrage
près des côtes de Campeche 258. Ces doubles disparitions sont déconcertantes.
Pourtant, il semble que le désir de rester entre père et fils, ou entre frères,
l’emporte sur les craintes d’un possible trépas. On constate en effet que les

254 Rappelons la présence du fils du général Larraspuru ou celle d’Andrés Marqués Luna, fils de
l’amiral de la flotte de la Nouvelle Espagne, enrôlé au poste de capitaine de mer et de guerre
(AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1639, leg. 398A, n° 1, ramo 4, fol. 1-167 et Auto
de Bienes de Difuntos, año de 1684, leg. 977, n° 2, ramo 3, fol. 1-4).
255 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1665, leg. 972, n° 1, ramo 5, fol. 1-6. Un témoin
déclare : « Y se embarcó tambien para bolberse a españa en el dicho patache y abiendo el
dia dos de agosto passado deste presente año en estas costas peleado el dicho patache con
cinco naos de turcos y apresadole mataron de un balaço al dicho francisco miguel y llebaron
cautivos en Argel al dicho Francisco Rodriguez de herrera su padre… », ibid., fol.2.
256 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1665, leg. 972, n° 1, ramo 2, fol. 1-5.
257 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1630, leg. 957, n° 1, ramo 38(1) & (2). Dans ce
même dossier, on remet la solde du père et celle du fils.
258 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1635, leg. 961, n° 12(1) & (2). Dans ce dossier,
les soldes des deux frères sont réclamées par leurs parents.

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réseaux familiaux permettent de renforcer des liens de solidarité et offrent un
soutien affectif fondamental. Dans un élan commun, père et fils s’engagent,
frères et cousins partagent la même aventure en bénéficiant ainsi d’une aide
permanente grâce aux liens de parenté.
3- L’état civil

Il convient maintenant d’apporter quelques nuances concernant la population


maritime espagnole. Au xviie siècle, elle n’est plus majoritairement constituée
de jeunes hommes célibataires désireux de se rendre en Amérique pour y faire
fortune. Quelques-uns s’aventurent naturellement aux Indes en espérant trouver
l’El Dorado de leur rêve, mais la plupart, mariés, se limitent à exercer leur activité
professionnelle 259. Ils tentent ainsi de subvenir aux besoins de leur famille et les
motivations liées à l’enrôlement sont principalement dictées par des impératifs
économiques. Une étude relative à l’état civil des matelots, des pilotes, des
140 contremaîtres et des maîtres de navire est à ce propos significative.
État civil des marins, contremaîtres, maîtres et pilotes
État civil Mariés Célibataires Sans précision Veufs Total
Marins 98 65 29 2 194
Contremaîtres 20 3 1 0 24
Maîtres 18 8 10 1 37
Pilotes 32 4 5 1 42
TOTAL 168 80 45 4 297

Au xviie siècle, une partie des gens de mer fonde des foyers et part sur les
océans pour subvenir aux besoins de la famille. La proportion de célibataires
reste assez faible (80 hommes soit 27 %) au vu du nombre de gens de mer mariés
(168 + 4 veufs soit 57 % + 1 %). La carrière maritime offre en effet un mode de
subsistance et permet aux femmes et aux enfants restés à terre de survivre alors
que le reste de l’Espagne connaît tout au long du siècle une crise économique
de plus en plus marquée 260.

259 Au xvie siècle, comme le souligne Carlos Martínez Shaw, l’émigration rassemble plutôt des
hommes jeunes célibataires en quête d’un meilleur avenir, prêts à s’enrôler sur les navires
des flottes des Indes (Carlos Martínez Shaw, La emigración española a América (1492-1824),
Gijón, Fundación de Indianos, 1993, p. 181).
260 « Marasme économique et crise sociale en Espagne », voici le titre d’un chapitre provenant
d’un manuel sur le xviie siècle européen. Sous de multiples formes (économiques, sociales
et financières), la crise frappe de plein fouet l’Espagne à cette période (Yves-Marie Bercé,
Alain Molinier, Michel Péronnet, Le xviie siècle…, op. cit., p. 47-48). En ce qui concerne la crise
sociale et morale qui touche également les royaumes d’Espagne, voir François Lebrun, Le
xviie siècle, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1967, p. 159-162. Plus précisément encore, la crise
démographique qui anticipe la crise économique fait l’objet du chapitre « Le discours des
contemporains sur la despoblación » dans l’ouvrage d’Annie Molinié-Bertrand, Au Siècle
d’Or l’Espagne et ses hommes. La Population du Royaume de Castille au xvie siècle, Paris,
Economica, 1985, p. 363-395.

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B- De douloureux impératifs économiques

En Andalousie, les choix professionnels sont donc étroitement liés à la Carrera


de Indias et nombreux sont les marins, les soldats, les maîtres ou les contremaîtres
à s’enrôler pour offrir gîte et nourriture à leur famille. En effet, au sein d’une
famille appauvrie, les regards se tournent souvent vers le père qui doit assurer la
subsistance du foyer. Dans d’autres cas, ce sont de jeunes enfants qui quittent le
domicile familial, se rendent à Séville et tentent dès lors de subvenir aux besoins
de leurs parents. Différentes stratégies se mettent en place afin d’obtenir une solde
ou d’acquérir une spécialisation professionnelle. Lorsque Pedro Bejarano quitte
Huelva pour aller à Séville, il possède déjà une perspective de carrière clairement
tracée. Un témoin rappelle que le jeune homme avait laissé son domicile pour
apprendre le métier de charpentier avant de s’embarquer vers l’Amérique 261. Le
matelot Bartolomé de Inurriza choisit quant à lui de quitter sa terre natale, le Pays
basque, pour rejoindre son frère à Séville et se forger une expérience maritime.
À peine âgé de 12 ans, il laisse son foyer pour apprendre les rudiments de l’art de 141
la navigation et meurt, des années plus tard, capitaine de vaisseau 262. À travers

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


cet exemple, on constate la prégnance de la tradition familiale et l’on découvre
également les mécanismes de migrations internes qui orientent en premier lieu les
gens de mer vers le pôle sévillan. Autre exemple : en 1654 lorsque Miguel Vázquez
quitte Zafra en Estrémadure pour rejoindre la capitale andalouse, la pauvreté
règne dans son foyer 263. L’adolescent, alors âgé d’une quinzaine d’années,
représente un espoir et sa force de travail est rapidement mise à contribution.
Pour le jeune Espagnol, c’est tout d’abord l’abandon du foyer, puis un voyage
le conduisant à Séville où son oncle, un moine dominicain, le prend en charge
avant l’enrôlement pour les Indes. Ses motivations étaient claires et son père s’en
souvient lorsqu’il apprend le décès de son fils : ce dernier était parti dans l’espoir
de s’enrichir afin de venir en aide à sa famille 264. La mort prématurée du jeune

261 « Siendo ya mancebo [Pedro Bejarano] se fue a la ciudad de Sevilla y aprendió oficio de
carpintero de rivera y este testigo supo que aze dos años poco mas o menos que el dicho
Pedro vexarano se embarcó para los Reynos de Yndias… », AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1660, leg. 970, n° 5, ramo 3, fol. 1-9.
262 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609, leg. 942, n° 16, fol. 1-13. Lorsque la
mère du capitaine défunt présente une information pour réclamer les biens de son fils, elle
fait comparaître un témoin : « Conosció al dicho capitan bartolome de ynurriça su hijo el
qual de hedad de doze años poco mas o menos fue desde esta dicha villa para la ciudad de
sevilla de donde andubo en la navegacion de las indias con el capitan fermin de ynurriça su
hermano… », ibid., fol. 9.
263 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1660, leg. 970, n° 5, ramo 4, fol. 1-10.
264 « Teniendo el suso dicho [Miguel Vázquez] hedad de hasta quince años poco mas o menos
estando en esta villa donde yo y dicha mi mujer, y el suso dicho, somos becinos y originarios
della de muchos años a esta parte me dijo a mi y a dicha mi mujer se queria yr a la ciudad
de sevilla para desde alli pasar al reyno de Indias con animo e yntento de adquirir alguna
hacienda para remitirnosla… », ibid., fol. 4.

237_vmne_c7d.indb 141 8/09/09 20:22:56


homme plonge alors la famille dans le plus grand désarroi, mais la solde acquise,
près de 100 ducats, apaise un temps les problèmes financiers du foyer.
Pourtant, le départ vers l’Amérique et le travail fourni lors des longues
traversées océaniques ne suffisent pas toujours à alimenter les besoins de la
maisonnée. Quelques familles espagnoles de gens de mer ressentent cruellement
les tourments de la pauvreté et les tristes veuves de marins, soldats, artilleurs ou
pilotes implorent souvent les autorités de verser les soldes de leur mari. Le trait est
peut-être forcé lorsqu’elles décrivent le dénuement dans lequel elles se trouvent,
mais quoi qu’il en soit, elles sont nombreuses à évoquer des situations familiales
misérables. En 1611, la femme de Juan Crespín, charpentier de navire mort en
mer, réclame la solde de son époux auprès des officiers de la Casa de la Contratación
et rappelle la situation désespérée qu’elle connaît depuis la disparition de son
mari 265. Sans argent pour se vêtir, manger ni payer ses dettes, la veuve attend
avec anxiété les réaux gagnés par le charpentier de navire. La femme de Pedro de
142 Salmerón invoque les mêmes arguments pour obtenir la solde de son mari et fait
donc appel à la clémence des autorités 266. Des dossiers comportant ce type de
déclarations sont fréquents. Les mêmes constats s’imposent : veuves et orphelins
ne peuvent subvenir aux besoins de la maisonnée et attendent impatiemment le
salaire du père défunt. Antonia de Espinosa, veuve du soldat Francisco Navarro,
dévoile son infortune et dresse un triste portrait de sa famille. Seule avec deux
filles à charge, elle ne peut les nourrir et se déclare fort dépourvue 267. La veuve
de Cristóbal Moreno Polo, pobre de solemnidad, se trouve dans la même situation
tragique 268. L’épouse du contremaître Juan Nuñez et sa famille, « que an fecho
llanto y sentimiento y puestose de luto », réclament également les 644 réaux du
défunt 269. Autre exemple encore : la situation de la femme du marin Gabriel
Morel, qui revendique son état d’extrême pauvreté et souligne que ses enfants
malades ne pourront survivre sans la solde de leur père 270. Enfin, le portrait de la

265 « Soy tal muger del dicho difunto […] y soy tan Pobre que no tengo con que sustentarme ni
alimentarme […] Pido y Suplico a VSa Mande que Para mi sustento y Pagar algunas deudas
que debo y bestirme se me de mandamiento… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año
de 1611, leg. 302, n° 5, ramo 6, fol. 11.
266 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1652, leg. 5581, n° 128, fol. 1-4.
267 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1630, leg. 379, n° 5, ramo 2, fol. 1-2. « Antonia
de Espinosa muger que fui de francisco nabarro […] = digo que yo fue cassada y belada con el
suso dicho y de nuestro matrimonio tubimos y procreamos dos hijas nombradas Clemencia
y francisca. La mayor es de quatro años y porque la soldada que ganó el suso dicho en el
viaje yo la he de aver para alimentar a las dichas mis hijas por no tener otra hacienda de que
alimentarlas y ser muy pobre », ibid., fol. 1.
268 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1673, leg. 5582, n° 88, fol. 1-5.
269 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348A, n° 1, ramo 6, fol. 1-38.
270 « Y por ser como soy muy Pobre y con Hijos los quales tengo enfermos y pasando yo y ellos
mucha necesidad Pido y Supplico se me pague lo que pareciere debersele al dicho mi marido… »,
AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1632, leg. 958, n° 15, ramo 25, fol. 1-5.

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veuve d’Alonso Pérez, chargée de sept enfants lors de la disparition de son époux,
fermera ce volet sur les difficultés économiques des familles. Les paroles de cette
femme sont d’une très grande simplicité, il est vrai que la situation qu’elle évoque
ne requiert pas plus de précision. Au nom de ses enfants, elle réclame la solde
« para sustentar y alimentar a çiete hijos que me quedaron de mi marido » 271. Ces
situations précaires donnent la mesure du dénuement dans lequel les foyers
doivent subsister 272. Comme le remarque Annie Molinié-Bertrand, le veuvage
et la pauvreté restent étroitement liés dans l’Espagne du Siècle d’Or 273.
C- Une étape transitoire

L’enrôlement sur un bâtiment des flottes espagnoles représente un mode


de subsistance pour de nombreuses familles, mais il recouvre encore d’autres
réalités. Si la plupart des hommes exercent leur métier par tradition familiale,
en raison de leur proximité avec l’océan ou pour subvenir aux besoins de leur
foyer, quelques-uns décident en revanche de prendre les voies océaniques pour 143
gagner illégalement le continent américain.

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


1- Ceux qui trompent les autorités

L’émigration clandestine sur les vaisseaux espagnols fait l’objet de l’article


publié par Ángeles Flores Moscoso  274. Elle s’intéresse aux passagers
clandestins, los llovidos, qui, une fois découverts, sont employés au service
du bâtiment et enrôlés sans solde avant d’atteindre l’Amérique 275. Dans ce
cas, l’enrôlement est forcé, mais il existe un autre procédé assez répandu pour

271 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1630, leg. 957, n° 1, ramo 38 (2), fol. 1-3.
272 D’autres demandes sont motivées par la négligence des époux ayant auparavant dilapidé
la dot de leur femme. La veuve de Juan Guillen accuse ainsi son mari d’avoir gaspillé leurs
économies lorsque ce dernier a décidé de s’embarquer vers le Honduras en la laissant sans
ressources : « Se embarcó para honduras en la almiranta y dejó a la dicha su muger pobre
sin caudal ni hazienda alguna porque lo poco que avia, se lo llebó consigo... ». La veuve de
Francisco Morán Santibañez présente un témoignage semblable afin de recevoir l’héritage
qui compenserait la dot dépensée par son époux (AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos año
de 1631, leg. 30, n° 1, ramo 4, fol. 1-5 et AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636,
leg. 387, n° 1, ramo 12, fol. 1-7).
273 Annie Molinié-Bertrand, « Les veuves dans l’Espagne classique. 1550-1630 », dans Solidarités
et sociabilité en Espagne. xvie-xxe siècles, études réunies et présentées par Raphaël Carrasco,
Paris, Centre de Recherches sur l’Espagne Moderne, Paris, Diffusion les Belles Lettres, 1991,
p. 270.
274 Ángeles Flores Moscoso, « Tripulantes de inferior categoría: llovidos y desvalidos, siglo xviii »,
dans Andalucía y América en el siglo xviii…, op. cit., p. 251-269.
275 Dans un document consulté au Museo Naval de Madrid, on apprend qu’en 1651, vingt llovidos
sont dépêchés sur l’île de Santa Catalina et sont condamnés à la défendre des attaques de
pirates. Museo Naval de Madrid, Vargas Ponce, año de 1651, tomo 4, doc. 204, fol. 258 :
« Contestación a una orden por la que se mandaba que los individuos que pasaban a Indias
en galeones y a los cuales se davan el nombre de llovidos, se remitiesen veinte a la isla de
Santa Catalina ».

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rejoindre les Indes sans payer le voyage ni obtenir de licence : des hommes
de tous milieux professionnels se rendent à Séville, s’embarquent en tant
que soldats ou marins et désertent une fois arrivés sur le sol américain. Auke
P. Jacobs dresse un état des lieux au xviie siècle et constate une recrudescence
marquée des désertions 276. On peut dès lors s’interroger sur les sources pour
étudier l’émigration illégale, car dans notre étude, force est de constater que
les dossiers des Biens des Défunts mentionnent rarement ces échappées hors
des flottes. Seule l’aventure du mousse Hernano Rodríguez rappelle l’existence
de ces jeunes hommes en quête d’un avenir meilleur. En 1622, l’adolescent
s’enrôle sur le navire San Francisco de Campeche et profite d’une escale au
Honduras pour s’enfuir dans les hauteurs du pays. Des soldats se lancent alors
à sa poursuite et le capturent quelques jours plus tard, malade et souffrant de
méchantes morsures de moustiques. Il succombera finalement loin de ses rêves
dorés fait prisonnier par le maître de son vaisseau 277. Hormis le cas de ce jeune
144 mousse, aucune autre désertion n’a été relevée dans nos documents. Même si
la pratique est largement adoptée au xviie siècle 278, les personnes recensées
dans ce travail semblent se consacrer pleinement à leur activité maritime
puisque la plupart succombent en se dirigeant vers les côtes de l’Espagne 279.
En revanche, un autre phénomène filtre à la lecture des dossiers des Biens
des Défunts ; moins facile à cerner, il s’apparente à une émigration illégale
déguisée. Le voyage en mer est sujet à de nombreuses restrictions. L’obtention
d’une licence, le paiement d’un passage et l’élection d’un navire sont autant de
barrières qui déroutent les passagers les plus audacieux. Sous couvert d’exercer
une profession maritime, des individus passent alors de secrets accords avec le
capitaine ou le maître du vaisseau. Enrôlés sur les listes d’équipage, ils n’ont plus
besoin de licence pour rejoindre les Indes ou l’Espagne, aucune contribution
financière égalant le prix du pasaje ne leur est demandée et ils reçoivent, de
surcroît, des rations alimentaires. Les accords illégaux de ce type se multiplient
ainsi au détriment des autorités qui exercent une vigilance dérisoire face à
l’ampleur des mécanismes parallèles d’émigration. Francesco Carletti décrit

276 Auke Pieter Jacobs, « Migraciones laborales… », art. cit., p. 437-543.


277 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 952, n° 25, fol. 1-25. Le maître de
navire indique le déroulement des événements : « El suso dicho tan solamente sirvió la dicha
plaza de grumete de la dicha nao desde que se hizo a la vela en la baya de cadiz hasta que
llegó a la dicha provincia de honduras porque luego que llegó alla se huyó y se fue al monte
a donde andubo hasta que aviendo tenido noticia mi parte de a donde estava, enbié por el
con dos soldados que lo trujeron y luego cayó enfermo de una llagas muy grandes que se
le hizieron en las piernas de lo que los mosquitos en el monte le avaian mordido », ibid.,
fol. 16.
278 Fernando Serrano Mangas, Armadas y Flotas..., op. cit., p. 211-215.
279 70 % des personnes recensées dans notre étude décèdent lors du voyage de retour. Indiquons
plus précisément que sur les 541 marins, mousses, pages, soldats et artilleurs de notre
échantillon, 395 meurent en effectuant la traversée vers la Péninsule, soit 73 % d’entre eux.

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avec précision les subterfuges utilisés sur le Galion de Manille 280. Pour
voyager aux îles Philippines, son père et lui conviennent d’un accord avec
le capitaine du bâtiment, ce dernier leur proposant deux postes fictifs de
sous-officier d’artillerie et de gardien, moyennant le prix de cette imposture,
naturellement. Rodrigo de Vivero dénonce vivement ce type de pratiques et
constate que les capitaines acceptent, contre rémunération, d’embarquer sur
leur vaisseau des passagers clandestins ou de prétendus marins et soldats 281. Il
implore les autorités de ne plus se voiler la face afin d’éviter ces flux migratoires
incontrôlés 282. Mais les sources évoquées le démontrent clairement, les mises
en garde du gouverneur n’obtiennent pas les effets escomptés. Tout laisse à
penser que l’artilleur Tomás Corzo utilise ce subterfuge pour se rendre en
Amérique 283. À n’en point douter, il fait partie du clan des Corzo, riche
famille de commerçants, qui étend son réseau familial et commercial à travers
l’Espagne et ses nouveaux royaumes au cours du xvie siècle. Enriqueta Vila
Vilar a réalisé la prosopographie de cette famille de négociants, mais ne 145
mentionne pas l’existence de ce prétendu artilleur 284. Pourtant, il ne serait

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


guère surprenant de constater son appartenance à cette puissante famille, car
l’homme évoque dans son testament l’existence de plusieurs Corzo résidant au
Pérou et nomme ses frères, Benito et Jerónimo Corzo, héritiers. La lecture de
ses dernières volontés indique par ailleurs d’importants échanges financiers et
la présence d’un domestique à ses côtés sur le navire 285. Tomás Corzo, artilleur
du Galion San Pedro, s’enrôle sans doute afin de voyager à moindres frais sur
le continent américain pour exercer ses activités commerciales 286.
L’enrôlement permet encore à certains commerçants portugais de se livrer
à des transactions commerciales sous couvert de leur activité maritime. On a
déjà souligné l’attitude sévère de l’administration espagnole face aux marins

280 Francesco Carletti, Razonamientos de mi viaje…, op. cit., p. 77 : « Tratado el asunto con un
capitán de las dos naves que aquel año habían de partir, él nos consiguió dos oficios fingidos
en su dicha nave, a mi padre de condestable de artillería y a mí de vigilante de la nave con el
pacto de que a él debíamos darle el salario y que el capitán proveería de dos marineros que
sirvieran verdaderamente en nuestros cargos ».
281 Rodrigo de Vivero, Du Japon et du bon gouvernement de l’Espagne et des Indes. 1564-1636,
traduction et édition commentée de Juliette Monbeig, Paris, SEVPEN, 1972, p. 93.
282 « Sin que lleven bandas en los ojos las guardas alguaciles y ministros », ibid.
283 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 1, ramo 20, fol. 1-36.
284 Enriqueta Vila Vilar, Los Corzos y los Mañara: Tipos y arquetipos del mercader con América,
Sevilla, CSIC, 1991.
285 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 1, ramo 20.
286 Les droits de passage sur un vaisseau des flottes des Indes peuvent s’élever à 300 pesos au
xviie siècle. En 1635, le passager Juan Gascó verse 320 pesos pour son pasaje à bord du galion
San Andrés et en 1684, Jerónimo de Ávila Ledesma s’acquitte de la somme de 300 pesos pour
son voyage à bord du navire Santa Cruz y Santa Teresa. Respectivement, AGI, Cont. Auto de
Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 544, n° 1, ramo 8, fol. 19 et AGI, Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1687, leg. 564, n° 2, ramo 2, fol. 22.

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portugais. Toutefois, la procédure de rapatriement des biens du matelot
Juan Limón n’indique aucune intervention des juges de la Casa de la
Contratación 287. Il semblerait pourtant que le mulâtre, originaire du Portugal
et prétendu matelot, se livrait à des activités lucratives puisqu’il laisse à sa
mort un esclave et d’importantes sommes d’argent s’élevant à 1 227 tostones 288.
Les renseignements extraits du dossier de cet homme sont éloquents. Tout
semble ici indiquer que la profession de marinier est empruntée le temps d’un
voyage commercial, assurant ainsi au ressortissant portugais une couverture
professionnelle.
L’enrôlement fictif de certains artilleurs sera le dernier exemple de ces procédés
illégaux d’émigration. Les Espagnols sont les premiers à utiliser ce subterfuge
professionnel pour se rendre aux Indes 289. Naturellement, il s’avère toujours
malaisé de déterminer avec précision ces stratagèmes ; mais vraisemblablement
l’artilleur Juan Mellado semble davantage intéressé par le négoce que par sa
146 carrière militaire. En effet, les transactions qu’il effectue en Amérique lui
permettent de retirer 500 pesos d’une vente de vin et, lorsqu’il rentre en
Espagne, le voici en possession de plus de 1 000 pesos 290. Plus intrigant encore,
l’artilleur Juan López Chaves éveille nos soupçons. Enrôlé sur un vaisseau de
la Mer du Sud, il possède de luxueuses soieries, des clous de girofle, 35 aunes
de tissu et 33 colliers de perles en guise d’effets personnels 291. Voici de belles
perspectives commerciales que l’artilleur ne pourra pourtant mener à terme,
car la maladie l’emporte prématurément. Gaspar Moreno révèle finalement
sa double profession, d’artilleur et de tailleur 292. Son embarquement n’est-il
qu’un simple subterfuge ? Il est difficile de le dire, mais de nombreux officiers
militaires déplorent ces stratégies fictives d’enrôlement. L’un d’entre eux, faisant
état de la perte du galion Santiago, se plaindra de l’équipage incapable de réparer
la mâture endommagée par la tempête. Au grand dam de ce capitaine, la plupart

287 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 5581, n° 72, fol. 1-12.
288 Tostones : « reales de á quatro » selon les indications fournies par Joseph de Veita Linaje.
Soit, un tostón équivalant à quatre réaux. Joseph de Veita Linaje, Norte…, op. cit., libro I,
capítulo XXXIV, n° 13.
289 Ángeles Flores Moscoso constate le même phénomène, elle mentionne aussi des aumôniers
qui voyagent aux Indes pour fuir le couvent : ainsi des hommes du clergé régulier se font-ils
passer pour des prêtres séculiers. Ángeles Flores Moscoso, « Fraudes en la organización y
viajes de las flotas de Indias », dans Andalucía América y el Mar…, op. cit., p. 262.
290 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1659, leg. 384, n° 3, ramo 4, fol. 4-6.
291 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1659, leg. 439A, n° 1, ramo 4, fol. 17-22.
Clotilde Pambet-Jacquelard remarque à ce propos que certains soldats se transforment
en véritables commerçants et tentent d’investir le commerce du Galion de Manille. Voir sa
thèse : De Séville à Manille. Premiers regards espagnols sur les rivages de la mer de Chine
(1520-1609), université Paris-Sorbonne, directeur de thèse Annie Molinié-Bertrand, 2001,
p. 313.
292 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1619, leg. 669, n° 9, fol. 1-9.

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des marins ne sont en effet que de simples tailleurs et charbonniers inaptes à ce
type de travaux maritimes 293.
2- Le retour sur la terre natale

Pour les passagers, l’embarquement est souvent motivé par des impératifs de
déplacements géographiques et c’est au prix de durs sacrifices qu’ils se résolvent à
appareiller 294. Toutefois, même si les craintes demeurent présentes, un sentiment
plus fort l’emporte toujours. Le désir de rejoindre la mère patrie incite de nombreux
émigrants à embarquer une fois leur mission en Amérique accomplie. Miguel de
Cervantès décrit ce sentiment impérieux qui anime les Espagnols partis aux Indes
« tocados del natural deseo que todos tienen de volver a su patria » 295. Pedro del
Castillo résume parfaitement cette émotion lorsqu’il écrit à son cousin : « Porque
los que vivimos en partes tan remotas no vivimos con otro deseo sino de gozar de Dios y
morir en nuestras tierras » 296. Parmi les passagers de l’échantillon, on recense ainsi
des fonctionnaires démis de leurs fonctions, comme l’ex-gouverneur de Cuba, 147
Bartolomé de Osuna, qui s’embarque en 1650 pour Séville 297. Le gouverneur et

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


capitaine du Chili, accompagné de son épouse, emprunte également les routes
atlantiques pour rapatrier sa famille et sa fortune en Espagne 298. Juan Cornejo,
fiscal de l’audience de Lima, adopte finalement la même attitude. Il regagne la
Péninsule après avoir passé près de 10 ans dans la vice-royauté du Pérou, suivi de
sa femme, de ses enfants et d’un ami jésuite 299.

On le constate, bon nombre de passagers abandonnent les Indes, leur terre


d’accueil, pour rejoindre celle de leurs racines ancestrales. En ce qui concerne,
d’autre part, les mécanismes liés à l’enrôlement des gens de mer et de guerre,

293 Museo Naval de Madrid, Vargas Ponce, siglo xvii-sin fecha, tomo XXVI, doc. 222, fol. 377.
Dans cette lettre anonyme, on peut lire : « Aviendo primero echado al agua la lancha y bote
y no hubo de los marineros quien fuera aferrar la de gabia que un soldado mio hizo su faena
con otros tres marineros porque Bendito sea Dios si avia muy pocos entre ellos que fueran
marineros que todos eran sastres y carboneros… ».
294 En 1786, Francisco Gil ordonne par exemple à sa femme, réticente, de s’embarquer et, très
pragmatique, il ne manque pas de lui préciser que pour atteindre les Indes acune voie
terrestre ne l’y ménerait ! « Si temes por la mar, la mar no mata a nadie, […] y ya ves que por
tierra no se puede venir », Enrique Otte, Cartas privadas de emigrantes a Indias, Sevilla,
Consejería de Cultura de la Junta de Andalucía, 1988, p. 265.
295 Miguel de Cervantes, El celoso extremeño, dans Las Novelas Ejemplares (1613), Madrid,
Cátedra – Letras Hispánicas, 1994, vol. II, p. 101.
296 « Pedro del Castillo a su primo Francisco del Castillo, año de 1592 », dans Enrique Otte, Cartas
privadas…, op. cit., p. 467.
297 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1650, leg. 423B, n° 3, fol. 1-5.
298 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1656, leg. 970, n° 1, ramo 2, fol. 1-111.
299 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1667, leg. 451B, n° 4, ramo 4, fol. 1-5. La licence
de passager qui lui est expédiée à Séville date de 1658, il a donc exercé sa charge pendant
neuf ans sur le continent américain (AGI, Cont. Licencias de embarque, año de 1658, leg. 5431,
n° 5, ramo 68).

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on a vu qu’ils sous-tendent de complexes intérêts. Navigants et soldats
s’enrôlent principalement pour subvenir aux besoins de leur famille et, dans
ces conditions, le travail sur les flottes est une préoccupation familiale. Même
si dans l’Espagne du xviie siècle, de multiples convergences d’intérêts incitent
les hommes à prendre les voies océaniques, la précarité économique apparaît
comme le principal moteur. La tradition familiale invite également les plus
jeunes à emprunter les voies professionnelles tracées par leurs aînés. Néanmoins,
il ne faut pas se méprendre, le travail maritime représente une échappatoire pour
les populations tournées vers le vaste Atlantique sans demeurer pour autant une
finalité par excellence. En effet, l’appel de la terre l’emporte fréquemment sur
celui des océans. Les arcanes du monde maritime présentent d’inextricables
difficultés et ceux qui en empruntent les passages retors tentent souvent de
rejoindre le rivage.

148
IV- LA PLURIACTIVITÉ À BORD

Si les motivations liées au voyage sont variées, un autre élément doit être pris
en compte. En effet, un aspect original du travail en mer apporte une nouvelle
dimension aux traversées. Au sein du navire, les hommes développent des
aptitudes singulières en s’adaptant au milieu maritime. Les équipages épousent
ainsi les conditions de vie versatiles qu’imposent les océans et, grâce à cette
capacité d’adaptation, matelots et soldats occupent parfois une double fonction.
On s’interroge et l’on se demande dès lors si la pluriactivité représente une
nouvelle motivation au voyage.
A- Un monde d’activités

Les marins artilleurs représentent tout d’abord une catégorie professionnelle


singulière puisqu’ils évoluent entre le monde des gens de mer et celui des
militaires. On ne reviendra pas sur les spécificités de ces matelots-soldats qui
incarnent cette ambivalence de compétences, mais voyons, à partir de cet
exemple, la diversification professionnelle et ses conséquences sur les flottes.
Certains marins souhaitent améliorer leur qualification et tentent de se former
à de nouvelles techniques professionnelles. Lorsque Luis López s’enrôle sur
le navire Nuestra Señora del Rosario en tant que mousse, il fréquente le maître
calfat Francisco de Talavera afin d’apprendre les secrets du métier 300. Il se
projette donc vers une double spécialisation et aspire à obtenir un poste plus
honorable. Juan Suárez, calfat et marin du bâtiment Nuestra Señora del Rosario
y San Francisco, a déjà acquis les techniques de calfatage et bénéficie d’un statut

300 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg. 975, n° 1, ramo 1(2), fol. 26-27.

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social au-dessus de ses simples camarades matelots 301. L’art de la réparation
maritime s’apprend au fil du temps et quoi de plus approprié pour s’initier à ces
techniques qu’une traversée de plusieurs mois ? Ainsi découvre-t-on le marin
Juan Márquez enrôlé au poste de charpentier 302, l’artilleur Hernán Sánchez
Romero 303 occupant cette double fonction et le matelot Pedro Bejarano,
charpentier de profession 304. La vie en mer semble favoriser cette diversification
professionnelle, comme si les caractéristiques changeantes du monde maritime
appelaient ses acteurs à jouer différents rôles. Diego Martín de Zuleta exerce ainsi
ses fonctions de soldat doublées de celle de tonnelier 305 et Domingo de Lastero
une profession mixte de marin et de gardien de navire 306. On retrouve encore
cette double spécialisation chez le marin Juan de Mon qui signe un contrat
afin d’exercer le poste de matelot et de barbier 307 : les compétences médicales
alliées au maniement des gréements ne revêtent aucun caractère exceptionnel
dans cet accord 308. Il semble en effet naturel d’utiliser ses aptitudes au gré des
impératifs maritimes. Ainsi des rapports complexes se nouent-ils sur les navires 149
espagnols et les clivages professionnels paraissent un temps s’effacer, ou du

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


moins, s’atténuer. Dans une communauté maritime marquée par le poids de la
hiérarchie du commandement, cette pluriactivité offre une alternative aux gens
de mer et de guerre. Elle instaure des rapports renouvelés entre les différents
membres d’équipage et délimite dès lors des frontières plus souples.
Au poste de commandement, des officiers démontrent à leur tour leurs aptitudes
en occupant par exemple les fonctions de pilote et de capitaine. Domingo de
Ugarte proclame ainsi cette compétence dédoublée dans ses dernières volontés
en spécifiant clairement : « capitan y piloto que soi de la nao Almiranta » 309.
Cette double charge lui confère davantage d’autorité et s’accompagne d’un
sentiment d’orgueil perceptible à la lecture de son testament. Cristóbal Alfonso
dévoile une nouvelle forme de pluriactivité en dirigeant son vaisseau en tant
que maître et pilote 310. Toutes les instances hiérarchiques d’un navire sont donc
concernées par la pluriactivité. Le travail se décline sous de multiples aspects

301 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1651, leg. 968, n° 3, ramo 23, fol. 1-6.
302 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 938B, n° 27, fol. 1-12.
303 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 277, n° 1, ramo 2(3), fol. 1-8.
304 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1660, leg. 970, n° 5, ramo 3, fol. 1-9.
305 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1603, leg. 930, n° 15, fol. 1-16.
306 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 930, n° 23, fol. 1-39.
307 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1605, leg. 937, n° 14, fol. 1-9.
308 Voir le contrat de marin et de barbier qui est joint dans l’annexe n° 6. Ibid. fol. 3.
309 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1703, leg. 5585, n° 91, fol. 1-4.
310 On a déterminé cette double activité professionnelle grâce à la consultation des deux autos
de Bienes de Difuntos dressés pour cette même personne (AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1632, leg. 533A, n° 1, ramo 16, fol. 1-28 et AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1631, leg. 957, n° 2, ramo 6, fol. 1-227).

237_vmne_c7d.indb 149 8/09/09 20:23:00


et un pilote peut assumer les fonctions d’un contremaître ou, plus surprenant
encore, un marin endosser les responsabilités d’un chef d’artillerie 311.
La pluriactivité en mer laisse alors deviner des clivages professionnels et
hiérarchiques moins marqués et invite à s’interroger sur la mobilité sociale.
Même si cette dernière est remarquable dans l’Espagne du xviie siècle 312, elle
apparaît toujours plus vivace dans le domaine maritime. En France comme en
Angleterre, ce phénomène se manifeste de façon analogue 313. Les frontières
entre les différents corps de métiers révèlent alors une perméabilité autorisant
la création de nouveaux rapports au travail et élevant parfois les membres
d’équipage à un statut particulier. Toutefois, il faut être prudente, car ces
modulations professionnelles n’indiquent pas forcément une ascension sociale
marquée. En effet, la pluriactivité démultiplie les compétences, certes, mais
n’autorise pas de réelle promotion. Des modifications positives rehaussent
évidemment le prestige d’un simple marin lorsqu’il exerce sa charge de barbier,
150 mais les frontières entre officiers et équipage restent inéluctablement ancrées et
inamovibles. Si la pluriactivité autorise ainsi des échappatoires professionnelles
au sein de la communauté navigante, elle se garde bien en revanche de consentir
de réelles promotions hiérarchiques. Il serait donc vain de chercher les signes
d’un changement positif de statut ; en revanche, intégrer cette notion de
diversification et de souplesse au travail semble indispensable pour appréhender
le monde de la mer dans toute sa complexité.
Un autre champ d’activité est fort prisé lors de ces déplacements maritimes.
Il devient en effet possible pour un simple marin d’améliorer le quotidien en
élargissant son horizon professionnel et en embrassant par exemple une carrière
mercantile parallèle. La pratique de la pacotille représente un premier pas dans
cette nouvelle conception du monde du travail. Le commerce de quelques
menues marchandises offre ainsi des perspectives intéressantes d’enrichissement.
Le phénomène est bien connu chez les populations maritimes françaises et

311 En 1631, Pedro Ganancia perçoit une solde de 552 réaux pour le voyage de l’aller effectué en
tant que chef d’artillerie et marin de son vaisseau (AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año
de 1633, leg. 959, n° 8, fol. 1-20).
312 Jean-Pierre Dedieu, L’Espagne de 1492 à 1808, Paris, Belin, 1994, p. 85-87.
313 En ce qui concerne la communauté maritime anglaise, Cheryl A. Fury constate le même
phénomène et déclare à propos des matelots qu’ils sont un des groupes professionnels
les plus mobiles : « The expanding maritime commerce of Elizabethan England provides
an interesting case study in the interaction between kinship and apprenticeship within one
of the largest, but also most mobile, employee groups of early modern England », Cheryl
A. Fury, « Training and education in the Elizabethan maritime community, 1585-1603 », The
Mariner’s Mirror, vol. 85, n° 2, London, The Society for Nautical Research, 1999, p. 152. Gérard
Le Bouedec a analysé la pluriactivité des sociétés littorales en décryptant plus précisément
le rapport de la mer à terre. Son étude nous a permis de recenser des cas semblables à bord
des navires espagnols (Gérard Le Bouedec, « La pluriactivité dans les sociétés littorales.
xviie‑xixe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n° 1, 2002).

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espagnoles 314 ; on souhaite toutefois évoquer le commerce singulier auquel
se livre le marin Pedro Noguera enrôlé en 1601 à bord du navire Nuestra
Señora de la Rosa. Afin d’augmenter ses revenus, il entreprend de vendre aux
Indes une nourriture spirituelle particulière et embarque, avec le concours
de son frère, trente-quatre petits livres d’oraison 315. Cet homme connaît à
l’évidence la demande du marché américain et compte en tirer des bénéfices 316.
L’artilleur Francisco Romero décide, à l’instar du matelot, de commercer avec
des pacotilles à caractère religieux et s’empare d’un lot de 200 médailles de
rosaires, de deux douzaines d’agnus dei de plomb et de verroteries colorées
pour les revendre dans le port de Carthagène 317. Le marin et artilleur Juan
Gregorio transporte encore d’autres objets hétéroclites incarnant l’archétype des
produits prisés en Amérique : des aiguilles, des bas de soie colorés, des peignes,
du tissu et des aiguillettes de couleur 318. La mixité professionnelle apparaît
de façon plus évidente encore chez le matelot Jorge García qui transporte
trois petacas de marchandises en provenance de Chine, des ballots de tissu et 151
des caisses renfermant d’autres produits destinés à la vente  319. La première

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


activité de marinier semble en fin de compte largement dépassée par la pratique
mercantile.
Une autre marque de la pluriactivité commerciale apparaît chez de nombreux
matelots et soldats effectuant une traversée vers la péninsule ibérique : leurs
coffres recèlent une variété étonnante de produits exotiques. Chocolat, sucre,
tabac, liquidambar, nacre, indigo sont transportés en infime quantité, mais
traversent des océans pour intégrer finalement le marché sévillan et l’envahir
subrepticement. On ne s’étonne guère de ces transactions économiques à peine
perceptibles dans l’immense domaine mercantile que représente la Carrera
de Indias, mais on remarque que des individus, à petite échelle, commercent
activement entre l’Espagne et ses royaumes des Indes. Même s’ils se situent
en marge des grandes organisations, ils constituent les maillons essentiels

314 Respectivement, Jean Merrien, La Vie des marins…, op. cit., p. 255 et Pablo Emilio Pérez-
Mallaína, Los hombres…, op. cit., p. 103. Depuis le Moyen Âge, un droit appelé quintalada,
c’est-à-dire la pacotille, est concédé aux marins. On peut le considérer comme un complément
au salaire puisque l’on autorise les matelots à transporter des marchandises sur le navire
sans s’acquitter des droits de fret. Voir également l’ouvrage de Clarence Haring, Comercio y
Navegación entre España y las Indias en la época de los Habsburgos (1939), México, Fondo
de Cultura Económica, 1979, p. 396.
315 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 264, n° 1, ramo 8, fol. 9.
316 Il transporte des marchandises avec son frère, mais également une somme d’argent
conséquente : « Yten declaro las dichas mercancias que tengo declaradas que ban en las
dichas cajas arriba declaradas e Trae el dicho gregorio noguera mi hermano en compania
conmigo quinientos y treinta pesos de a ocho reales… », ibid., fol. 6.
317 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 302, n° 3, ramo 2, fol. 8-9.
318 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1630, leg. 957, n° 1, ramo 34, fol. 17-18.
319 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 395B, n° 8, fol. 17-38.

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d’une chaîne de commerce transcontinental. Le tabac n’est-il pas introduit en
Europe par les gens de mer 320 ? Que penser, dans ces conditions, des objets
en possession d’Antonio Hernández qui conserve 60 livres de fil d’agave 321 ?
De Lope de Yarce 322 détenant 45 pains de copal 323 ? Du capitaine Martín de
Urra transportant de l’indigo et des petits sacs de cochenille 324 ? Du matelot
Domingo de Silva qui rapporte en Espagne 6 livres de tabac en poudre et
une botte de cette précieuse marchandise 325 ? Du soldat Francisco García
Larios gardant avec précaution dans un petit coffre du chocolat et trois pierres
médicinales aux noms évocateurs : « piedra dossangre, piedra de hijada y piedra
cornerina para el corazón » 326 ? Indiscutablement, les gens de mer et de guerre
participent de manière active au commerce transatlantique et sont dès lors des
acteurs à part entière du commerce hispano-américain. Leur rôle pourrait être
considéré comme insignifiant, mais au demeurant, ce déploiement d’activités
ne peut s’apparenter à un épiphénomène, car l’engouement pour ces pratiques
152 commerciales ne connaît pas de limites.
Comme dans d’autres secteurs, la pluriactivité des gens de mer et de guerre se
décline encore sous d’autres formes. Dans le cas de l’artilleur Martín Merino,
on découvre un modèle différent. Cette fois-ci, l’homme d’armes se consacre
au transport de marchandises appartenant à un tiers. Dans son testament, il
décrit ainsi la nature de la cargaison et le montant des sommes à remettre à
Francisco Salmón 327. Cet artilleur n’est pas le seul commis à profiter de son
poste sur un bâtiment des flottes pour élargir ses activités professionnelles ;
le capitaine Juan Antonio de Velasco transporte aussi des marchandises pour
le compte de tierces personnes lorsqu’il se rend en Amérique 328. De façon
analogue, les porte-drapeaux participent à ces commerces parallèles. Diego
de Salinas s’essaie par exemple dans ce domaine et possède, pour la revente,
une cinquantaine de boutons en soie  329. Plus significatif encore, le porte-
drapeau Pedro Bueno de la Hoz transporte une vaste panoplie de breloques. On
découvre ainsi dans son inventaire une liste d’objets : rosaires, reliquaires en bois
d’ébène, paires de bas argentés, clous, bagues faites d’os noirs, agnus dei, images

320 Alain Cabantous, Les Citoyens…, op. cit., p. 123.


321 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 273, n° 14, fol. 9.
322 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 293B, n° 2, ramo 6, fol. 2.
323 Copal : « Résine extraite par incision de divers arbres des tropiques et employée pour la
préparation des vernis », dans Dictionnaire des mots rares et précieux, Paris, Éditions 10/18,
1996.
324 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1688, leg. 979, n° 1, fol. 6-7.
325 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1692, leg. 566, n° 1, ramo 2(5), fol. 2.
326 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348B, n° 1, ramo 29, fol. 8.
327 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1633, leg. 535, n° 2, ramo 1, fol. 4.
328 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1646, leg. 416, n° 2, fol. 1-18.
329 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1605, leg. 271, n° 2, ramo 2, fol. 2.

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pieuses, peignes, cordons, chemises, cols à la wallonne et, pour clore cette liste
atypique, différents ouvrages littéraires 330. Son achalandage évoque les étals
des marchands ambulants vendant toutes sortes d’articles et répondant à une
demande d’achat précise. Dès son arrivée sur le continent américain, les ferias
se dérouleront dans une atmosphère fébrile et l’homme de guerre participera
discrètement à ces flux commerciaux.
B- Des médiations culturelles et affectives

On a déjà constaté le rôle des matelots, des soldats et des officiers dans le
commerce d’objets de dévotion. Leur participation marquée dans le monde
des affaires les amène à exporter des emblèmes de la culture occidentale en
Amérique pour les revendre à des émigrants espagnols en quête de tels repères
culturels. Les capitaines de vaisseaux concourent également aux transferts de
produits de même nature et embarquent par exemple des caisses contenant
des livres ou des objets à caractère religieux. Le capitaine Juan de Ormaechea 153
dispose ainsi d’un stock important d’images pieuses, de petites figurines saintes

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


et d’œuvres religieuses 331. Toutefois, un phénomène attire davantage notre
attention. Au-delà du rôle d’intermédiaire culturel, on découvre de nombreux
individus revêtant des fonctions de médiateurs « affectifs ». En effet, les
échanges opérés entre l’Espagne et ses royaumes des Indes prennent également
la forme de pensées et de sentiments. Échangées d’un continent à l’autre, les
lettres personnelles incarnent ces médiations émotionnelles qui ne peuvent,
pourtant, rejoindre leur destinataire sans l’aide de tierces personnes. En dépit
de l’existence de navires autorisant le transport de courrier, des voies parallèles
de communication s’établissent. Difficilement quantifiables, ces pratiques sont
d’une surprenante vivacité.
Le capitaine de vaisseau Juan de Ojeda transporte ainsi de Portobelo à Séville
des lettres personnelles à remettre au sergent Diego García et à la femme de
Diego Cruz Cavillo. Dans l’inventaire post mortem de l’officier, on découvre,
cachées parmi ses vêtements : « una carta rotulada al sargento Diego Garcia para
entregar a su muger […] una carta para que se entregue a la muger de Diego Cruz
Cavillo… » 332. Cette activité dédiée à la transmission d’informations n’est pas
uniquement le fait des capitaines de navire. Le greffier Francisco Ginovés se livre
également à cette activité et conserve dans son coffre quinze plis à remettre à

330 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1631, leg. 380, n° 1, ramo 6, fol. 2-4.
331 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1670, leg. 670, n° 1, ramo 1, fol. 108.
332 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1682, leg. 562, n° 2, ramo 3, fol. 5-6. Le capitaine
San Juan Diego transporte également des lettres personnelles. On lit dans l’inventaire de ses
biens dressé en 1612 à bord du Galion de Manille : « un pliego de cartas yntitulado a Rome
Fernández de Taran boticario […] mas otras dies cartas cerradas que parecen ser para becinos
de mexico… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1624, leg. 361B, n° 7, fol. 18.

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différentes personnes 333. S’il se livre de bonne grâce à cette activité, il ne manque
pas de rapporter un pain de copal en Espagne. Désormais, les intermédiaires
culturels et économiques ne font souvent qu’un. Le marin Andrés de los Reyes
participe aussi à ces réseaux de communication entre l’Espagne et l’Amérique.
Lorsqu’il navigue vers La Veracruz, il transporte non seulement des ballots de
marchandises, mais également des petits paquets sur lesquels apparaissent les noms
des destinataires 334. L’envoi de documents accompagne celui de marchandises
et dorénavant les transactions à distance s’accompagnent d’écrits précisant ce
que la parole offrait autrefois. La transmission de testaments par le biais des
acteurs océaniques est à ce propos une nouvelle forme de médiation affective.
On a vu, il est vrai, que le décès d’un parent en Amérique doit être annoncé
par la Casa de la Contratación, mais l’on sait que des réseaux d’informations
parallèles la relaient 335. Des modes de communication échappant aux autorités
se mettent en effet durablement en place. Marins, soldats, capitaines sont autant
154 d’anonymes qui facilitent les réseaux de communication grâce aux informations
colportées de bouche à oreille ou par écrit lorsqu’ils remettent les testaments
qui leur ont été confiés. Lorsque le soldat Francisco García Larios se dirige
en 1622 vers Séville, il conserve précieusement un acte notarié authentifiant
une clause du testament de Pedro Saens de Molina 336. À n’en point douter,
l’homme d’armes a pour mission de remettre le document dès son arrivée.
Il détient par ailleurs le testament de Bartolomé Muñoz et doit s’acquitter de
sa tâche en le délivrant promptement aux intéressés en Espagne. Il remplit
par ailleurs de façon exemplaire son rôle de médiateur affectif en rapportant
plusieurs lettres personnelles, protégées des regards indiscrets par des sceaux

333 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 300, n° 12, fol. 3. L’inventaire de ses
biens, dressé à bord du felibote San Juan Bautista en 1611, indique : « Asimismo se hallaron
en el dicho baul quinze pliegos de cartas para diferentes personas que se entregaron al dicho
maestre Guillermo Grave para que las entregue a sus dueños en la ciudad de Sevilla llegado
que sea a salbamento ».
334 On lit dans l’inventaire de ses effets personnels : « Se desclavó por los dos barrotes la tapa de
la Caja que disen ser de la ropa de vestir de Andres Martin de los Reyes difunto, arancandole
dos clavos con que estavan afijados los dichos dos barrotes contra los testeros de dicha caja
la qual abierta se halló en ella la ropa y Generos siguientes: […] un pañuelo de tabaco de seda
y hilo nuevo […] 2 paquetillos del tamaño de Dos dedos de Alto poco mas de ancho y largo de
un pliego ordinario rotulado el uno, a don francisco Antonio Cano de Castilla = Mexico = Y
el otro a don Luis Naranjo = Mexico […] ochenta y tres piesas de dichas puntas y encajes… »,
AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1711, leg. 569, n° 6, ramo 1, fol. 28.
335 Grégoire Salinero constate le même phénonème pour le xvie siècle dans son étude : Une ville
entre deux mondes…, op. cit., p. 176 et p. 181.
336 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348B, n° 1, ramo 29, fol. 7-8. On
découvre ainsi dans l’inventaire de ses biens, dressé sur le navire Santiago, au milieu de ses
bas de laine bourrés de pièces de huit réaux et de ses mouchoirs en soie : « una escritura de
poder y un testimonio de una clausula de testamento de Pedro Saens de Molina difunto, un
testamento de Bartolome Muñoz difunto, […] unas cartas misivas seradas para diferentes
personas… ».

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apposés au dos des missives. En 1600, Martín de Solís Obando, soldat à bord
du navire Capitana, remplit les mêmes fonctions que son compagnon d’armes
et entreprend la traversée investi d’une mission précise. Il se rend aux Indes
pourvu d’un testament afin de le remettre aux ayants droit et s’engage encore à
remplir les obligations que sa mère lui a demandées de réaliser en Amérique en
lui déléguant ses pleins pouvoirs 337.
La lecture des inventaires post mortem révèle ainsi des traces d’activités parallèles
insoupçonnées. Véritables médiateurs culturels, affectifs et commerciaux, les
gens de mer et de guerre remplissent des fonctions vitales de communication.
Les liaisons maritimes ne se réduisent plus aux seuls aspects de déplacements
commerciaux ou humains, elles participent également aux communications
interfamiliales et amicales. Même s’il reste difficile d’appréhender l’ensemble des
liens affectifs entre l’Espagne et ses nouveaux royaumes, force est de constater
leur existence et de mettre en lumière le rôle fondamental des acteurs maritimes.
Grâce à leur médiation active, des rapports se nouent d’une terre à l’autre ; grâce 155
à leur participation anonyme, la chaîne d’échanges se perpétue. Ces acteurs

les hommes, les navires et la mer Les réalités professionnelles océaniques


aux compétences démultipliées maintiennent un lien vital dont l’importance
a trop souvent été méconnue. Robert Muchembled rappelle à ce propos que
les « échanges émotionnels ainsi que ses fonctions en général dépendent d’un
environnement extérieur trop souvent négligé » 338.

337 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1600, leg. 929A, n° 1, ramo 3, fol. 3.
338 Robert Muchembled, L’Invention de l’homme moderne. Culture et sensibilités en France du
xve au xviie siècle, Paris, Fayard, 1988, p. 292.

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chapitre ii

La vie en mer, les structures du quotidien

I- LE NAVIRE, ESPACE DE VIE ET DE MORT

Le navire « qu’il soit en écorce, en bois, en fer ou en acier vit de la vie de ses
marins, et pour un marin, son bateau est bien plus qu’un simple morceau de
matière façonnée » 1. C’est en effet un objet de culte, une chose vivante et le lieu
d’une intense activité humaine. Le navire revêt également une réalité sociale et
symbolique. Il accueille en son sein la communauté navigante et les passagers,
et représente dès lors un univers social et vital de premier ordre.
157
A- Une discrète présence des femmes

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Les hommes, les navires et la mer
Au sein d’une communauté fortement masculine, les femmes jouent un
rôle secondaire 2. Elles apparaissent rarement sur les bâtiments, car elles ne
peuvent accompagner leur compagnon marinier au travail ou voyager sans
la présence d’un homme à leurs côtés 3. Toutefois, nous souhaiterions offrir
une autre vision du monde maritime. Aussi discrète soit-elle, la présence des
femmes entraîne des répercussions sur la vie de l’équipage. En l’espace de plus
de cent ans, à travers les 1046 dossiers étudiés, on découvre la présence de
douze femmes traversant l’Atlantique et le Pacifique 4. Elles entreprennent
la traversée accompagnées de leur époux, comme María Salazar Coca y
Santander qui se rend en Espagne avec le marquis de Baydes 5 ou comme
Teodora de Vargas, voyageant avec son mari et qui, peu de temps avant de

 Bronislaw Malinowski, Les Argonautes du Pacifique occidental (1922), Paris, Gallimard,


1989, p. 164. L’ethnologue analyse l’importance que revêt l’embarcation indigène aux yeux
de ses utilisateurs. Il démontre qu’elle ne se réduit pas à son seul aspect fonctionnel et les
conclusions de ses travaux nous permettent d’appréhender de façon nouvelle notre sujet.
 Maria da Graça Mateus Ventura analyse l’expérience vécue par ces femmes en Amérique
et, succinctement, celle lors de la traversée. Voir son article : « A aventura americana vivida
e contada no femenino », Arquipélago. História, Ponta Delgada, Universidade dos Açores,
2001, p. 51-72.
 Les femmes mariées reçoivent une licence pour rejoindre leur mari aux Indes ; par contre,
les célibataires ne sont pas admises sur les navires hormis si elles sont accompagnées
d’un parent pour effectuer la traversée. José Luis Martínez, Pasajeros de Indias. Viajes
transatlánticos en el siglo xvi, Madrid, Alianza Editorial, 1983, p. 36-37.
 Nous disposons en fait de onze dossiers des Bienes de Difuntos, car la douzième femme
recensée, épouse d’Alonso Galindo, ne possède pas de procédure enregistrée à son nom.
AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609, leg. 289, n° 1, ramo 11, fol. 1-86.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1656, leg. 970, n° 1, ramo 2, fol. 1-111.

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mourir, dînait tous les soirs en sa compagnie dans leur cabine 6. À l’encontre
des ordonnances, d’autres naviguent pour suivre leur mari sur un bâtiment.
En 1622, Ana Nájera accompagne ainsi son époux, dépensier de navire, vers
Sanlúcar de Barrameda 7. Isabel de la Plata, une domestique, s’embarque encore
en compagnie de son maître 8 ; quant à Catalina Díaz, espérant rejoindre les
Indes, elle appareille avec son fils, un jeune homme de seize ans sur le navire
Santa María de Gracia 9. Toutes participent donc au voyage aux côtés d’un
homme leur assurant protection. Il est en effet déconseillé d’embarquer seule ;
les lettres personnelles rappelant les consignes élémentaires en témoignent.
Sebastián Pliego recommande ainsi à son épouse de voyager avec son beau-
frère et de ne point dormir seule à bord du vaisseau 10. Lorsque Juan Cabeza
de Vaca invite sa sœur à le rejoindre, il s’empresse quant à lui de la rassurer.
Quelle ne redoute point le voyage : son honneur ne sera point entaché et
tant qu’elle demeura aux côtés de Juan Lorenzo de Silva, elle n’aura rien à
158 craindre des autres 11. Pourtant, certaines passagères entreprennent le périple
sans bénéficier de l’accompagnement d’une personne de confiance. La veuve
Francisca de Molina s’embarque, seule, à bord du vaisseau Nuestra Señora
de Atocha pour retourner en Espagne où sa fille l’attend 12. Acacia de Robles
y Arrieta abandonne également la Nouvelle Espagne, où son mari vient de
disparaître, pour se rendre en Andalousie accompagnée seulement de deux
jeunes esclaves 13. Ces femmes sont naturellement l’objet de désir et, parfois,
la conversation amoureuse se déroule sur les ponts malgré les interdictions
des autorités. Lorsque le capitaine Bartolomé de la Torre comparaît devant le
général d’armada, on l’accuse d’avoir entretenu sur son navire des relations

 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 280A, n° 1, ramo 5, fol. 1-14. Un
témoin présent sur le vaisseau déclare : « Dijo este testigo que conoce a Bartolome Ramírez
de bargas y conoció a doña teodora de bargas su mujer ya difunta […] se embarcaron en la nao
San Francisco de Paula […] y siempre los vido azer vida tratar y comunicar por tales marido y
muger legitimos […] comiendo y bebiendo juntos en Sanlucar en una casa donde bibian y en
la nao en un camarote que tenian en ella… », ibid., fol. 9.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 352, n° 1, ramo 9, fol. 1-89.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1599, leg. 492A, n° 2, ramo 2(4), fol. 1-17.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 937, n° 22, fol. 1-114 et AGI, Cont.
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 941B, n° 14, fol. 1-8. Deux dossiers ont été
dressés pour cette passagère décédée en mer en 1604.
10 « Carta de Sebastián Pliego a su mujer Mari Díaz, año de 1581 », dans Enrique Otte, Cartas
privadas de emigrantes a Indias, Sevilla, Consejería de Cultura de la Junta de Andalucía, 1988,
p. 162.
11 « [Habrá] de venir en un camarote con otras mujeres honradas, como cada día vienen a esta
tierra. […] Ha proveído Dios que ahora va Juan Lorenzo de Silva, con quien podrán venir muy
bien […] que las mujeres que son honradas, honradas van y vienen… », « Carta de Juan Cabeza
de Vaca a Elvira de Cantalejos, año de 1594 », ibid., p. 130.
12 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 5580, n° 43, fol. 1-8.
13 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 554, n° 1, ramo 5, fol. 1-19.

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charnelles avec une jeune femme célibataire 14. Ces désordres sont pourtant
pratique courante. Ainsi, la présence de femmes esclaves aux côtés des maîtres
et des capitaines de vaisseau n’est-elle plus pour surprendre. Juan de la Vega
exerce par exemple ses fonctions de maître en compagnie de la jeune esclave
angolaise Catalina 15 et Alonso de Mujica, disposant du même poste que son
confrère, navigue en compagnie d’une autre esclave angolaise âgée d’une
trentaine d’années 16. Ces pratiques considérées comme délictueuses offensent
les mœurs, mais se développent tacitement sur les vaisseaux espagnols. Une fois
de plus, on observe donc un décalage entre le discours des élites et la pratique
des acteurs, entre des usages imposés par une société coercitive et une réalité
empreinte de liberté. Parmi ces femmes de petite vertu, ces passagères de haut
rang, ces jeunes domestiques alanguies conversant avec les mariniers, d’autres
femmes jouent encore un rôle significatif à bord. Certains vont même jusqu’à
supposer que leur présence rassérène l’équipage en distillant spiritualité,
féminité et douceur. Les jeunes filles missionnaires qui s’embarquent vers 159
l’Amérique présentent en effet sous un nouveau jour les femmes à bord des

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
flottes. En entreprenant un voyage sur l’Atlantique, elles créent une médiation
spirituelle entre leur vie à terre, en mer et le Ciel 17. Elisa Sampson Vera Tuleda
émet ainsi l’hypothèse que les sœurs neutralisent la forte masculinité de
l’équipage et transforment le navire en un prolongement de leur cloître 18.
Cette vision sans doute idéalisée offre cependant une approche renouvelée de
la vie en mer sous le signe des femmes. Ces dernières parviennent à équilibrer
la composition des membres d’un vaisseau et transforment la nature des
comportements masculins en imposant parfois rigueur et spiritualité. D’autres
femmes adoptent en revanche le modèle opposé pour s’adapter au tissu social
masculin. La Monja alférez, dont le récit littéraire et biographique est un
classique, incarne cette supercherie. Déguisée en homme et accumulant les
victoires, Catalina de Erauso se distingue par son courage et son héroïsme.
Sous les traits d’un jeune homme, elle traverse les océans en tant que mousse
sur le Galion Capitana en 1603 et s’illustre quelques années plus tard par
ses prouesses d’armes aux Pérou  19. D’autres jeunes femmes utilisent les

14 AGI, Cont. Autos de Oficio, año de 1664, leg. 120. « Auto criminal a bordo. Contra el capitan
Bartolomé de la Torre, dueño de la nao el Santo Cristo y contra doña Laura Suarez ».
15 AGI, Cont. Papeles de Armada, año de 1631, leg. 3046.
16 AGI, Cont. Papeles de Armada, año de 1628, leg. 3052.
17 Elisa Sampson Vera Tuleda, Colonial Angels: narratives of gender and spirituality in Mexico.
1580-1750, Austin, University of Texas Press, 2000, p. 3.
18 « Also the ability of the very presence of nuns to “neutralize” the stereotypocally lewd
masculinity of sailors, thus making the ship lee of a ship and more of a continuation of the
cloister », ibid., p. 166.
19 Catalina de Erauso, Historia de la monja alférez escrita por ella misma (1625-1626),
presentación y epílogo de Jesús Munárriz, Madrid, Ediciones Hiperión, S. L., 1986.

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mêmes artifices pour traverser les mers et s’enrôlent sous les traits de jeunes
adolescents. Gemelli Careri décrit succinctement un épisode de cette teneur :
« Il se trouva dans le galion une femme habillée en homme, et ne pouvant la
mettre à terre, on la mit avec les autres femmes » 20.
La présence des femmes en mer revêt donc de multiples aspects. Même si
celles-ci n’occupent pas une place privilégiée, leur concours rééquilibre un peu
l’univers social fortement masculin du navire.
B- Un espace de rencontres

Si le navire présente des caractéristiques singulières, il semble parfois reproduire


à l’identique les structures du monde de la terre. Parmi ses particularités, on
remarque les échanges linguistiques en mer, la présence immuable de cycles de
vie et de mort et finalement les spécificités microcosmiques de cet espace clos.
1- Une tour de Babel
160
Restrictive à l’égard des étrangers, la législation espagnole laisse pourtant une
place aux nations européennes. On a déjà souligné l’importance des marins
portugais, milanais, génois ou encore français, mais ses répercussions restent à
examiner. Les navires accueillent en effet des individus d’horizons géographiques
différents utilisant des idiomes particuliers. Même si la langue de référence
demeure le castillan, sur un vaisseau, entre émigrés de la même patrie, on
emploie naturellement celle du pays d’origine. Le mélange des langues, parfois
source d’incompréhension, peut conduire à des situations de mésentente. C’est
à coup sûr l’opinion que se réserve ce parent du vice-roi du Pérou lorsqu’il
navigue en 1715 vers l’Amérique. Déplorant les diversités nationales et le
manque d’entendement de l’équipage, il propose une vision acerbe du milieu
maritime et vilipende les gens de mer. Il commence tout d’abord sa tirade en
décriant le manque d’organisation à bord :
Contribuyendo a su confusion con especialidad la impericia de la Gente y mezcla de
Naciones, con que no se les podia hablar en su propio Idioma sino en particular a
cada uno ; y como eran los menos los que sabian su oficio, ni al superior bastaba la
inteligencia para mandar, ni el subdito tenia conocimiento para obedecer 21.

20 Giovani Francesco Gemelli Careri, Voyage autour du Monde (1698), dans Le Mexique à la fin
du xviie siècle, vu par un voyageur italien / Gemelli Careri ; présentation de Jean-Pierre Berthe,
Paris, Calmann-Lévy, 1968, p. 248.
21 Real Biblioteca de Palacio, Fondo manuscritos, Papeles Varios, II / 2826 : « Breve noticia
diaria del viaje del Excelentísimo señor Príncipe de Santo Bono… Años de 1715-1716 »,
fol. 101.

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Mais ces propos virulents prennent ensuite une forme intéressante, car, par
le biais de ce portrait méprisant des gens de mer, il utilise une métaphore
biblique, empreinte d’ironie certes, et compare le vaisseau à une tour de Babel :
« este bajel con semejantes de Babel » 22. L’incompréhension règne peut-être en
ce lieu, mais la diversité des langues apporte indéniablement un caractère
incomparable aux vaisseaux espagnols. Parmi les marins du Pays basque, de
l’Andalousie, de l’Italie, de l’Angleterre et des Flandres, on peut facilement
imaginer la richesse des échanges linguistiques s’opérant en mer 23. Ainsi,
l’apprentissage d’une langue s’entreprend-il facilement lors d’une traversée 24.
Des interprètes offrent à ce propos leurs services lorsque la barrière de la langue
empêche certains de communiquer. La présence d’un Flamand auprès de son
compatriote agonisant, marin et artilleur, facilite alors la rédaction de ses
dernières volontés. Lorsqu’Andrés Augustín rédige en 1599 son testament, il se
trouve en compagnie de plusieurs témoins et d’un interprète, Antonio López,
qui jure devant Dieu et sur la Croix l’exactitude des paroles communiquées 161
par le malade 25. Les paroles et la voix du testateur sont alors retransmises

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
au greffier par l’intermédiaire de cet interprète qui improvise son activité de
traducteur en s’adaptant aux exigences de la situation. La langue ne semble
pas s’ériger en tant que barrière au sein de la communauté maritime, bien au
contraire. D’autres mécanismes se mettent encore en place afin de faciliter la
compréhension de différents événements en mer. En 1599, lorsque le Galion
de Manille se dirige vers Acapulco, le passager Pedro Sánchez décède. Comme
à l’accoutumée, ses biens sont inventoriés puis proposés dans une vente aux
enchères sur le navire. Pour faciliter le déroulement de cette procédure, un
crieur public et interprète annonce les caractéristiques des effets à vendre dans
différentes langues 26.

22 Ibid., fol. 102.


23 Emilia Ferreiro, Pasado y presente de los verbos leer y escribir, México, Fondo de Cultura
Económica, 2001, p. 68. Je tiens vivement à remercier Antonio Castillo Gómez qui m’a invitée
à appréhender ce phénomène linguistique en mer.
24 En 1702, un passager français entreprend l’apprentissage de la langue espagnole lorsqu’il
navigue vers l’Amérique. Muni d’une grammaire, il profite du voyage pour étudier ce nouvel
idiome. Journal d’un voyage sur les côtes d’Afrique et aux Indes d’Espagne, avec une
description particulière de la rivière de la Plata de Buenos ayres, et autres lieux, commencé
en 1702 et fini en 1706 (anonyme), Rouen, Machuel, 1723, p. 41.
25 « Todo declaró el dicho Antonio Lopez ynterprete y lengua que juró a Dios y a la cruz en forma
de derecho que a dicho y declarado la boluntad del dicho [Andrés Augustín] y es su voz… »,
AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1599, leg. 254, n° 4, ramo 2, fol. 2.
26 « Diziendo qui da mas por Por tal cossa por boz de Pedro Lima ynterprete y aviendose Juntado
mucha gente y diziendo el pregonero a luego pagar e luego rematar se rremataron las cossas
siguientes… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 277, n° 1, ramo 1(4),
fol. 23.

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Il semble donc que la mixité culturelle et linguistique n’offre pas d’obstacle à
la communication. Elle est présente dès les premiers voyages transatlantiques 27
et révèle par conséquent le foisonnement d’échanges langagiers. Le navire
dès lors ne pourrait-il pas être considéré comme un haut lieu de rencontres
linguistiques, comme le creuset d’une nouvelle aire plurilangagière ? Les voix
des nations traversent en effet les océans et par le biais de ces « truchements »
enrôlés sur les flots, des apprentissages linguistiques se développent et favorisent
par conséquent la multiplicité des apports culturels en Amérique.
2- Des naissances sur les flots

Le navire, objet de communication et de déplacement, revêt encore la forme


d’un lieu de vie et d’un habitat privilégié. Sur les océans, les événements fortuits
et dramatiques que constituent les naissances et les décès se déroulent dans des
circonstances singulières, mais lorsque des femmes enfantent, elles participent
162 tout simplement aux prolongements des cycles vitaux de l’existence. En 1640,
Cristóbal Gutiérrez de Medina mentionne ce fait « digne d’admiration »
lorsque la passagère Esperanza María met au monde une fille sur le navire San
Esteban 28. Toutefois, les difficiles conditions de vie se révèlent dramatiques
pour la jeune mère qui après avoir subi une intervention chirurgicale,
« le cortaron los pezones », se voit dans l’impossibilité d’allaiter son nouveau-né.
Le récit prend alors une forme surprenante et retrace cette scène originale où
une chienne décide d’allaiter l’enfant au détriment de ses chiots mis à bas six
jours auparavant 29. Quelques années plus tard, le nouveau vice-roi du Pérou
appareille à Cadix pour se rendre aux Indes et voyage en compagnie de sa femme
enceinte. Au cours de la traversée du Golfo de las Damas, la princesse de Santo
Bono ressent les premières douleurs de l’enfantement puis donne naissance
à un garçon 30. Immédiatement, l’évêque de Santa Marta le baptise et l’on
constate dès lors la reproduction exacte de l’événement lié aux premiers états
de l’existence. La vie en mer ne semble pas opposer de réelles contraintes et pour

27 Bernard Pottier, América Latina en sus lenguas indígenas, Caracas, UNESCO, 1983, p. 27. Voir
également le paragraphe intitulé : « Los primeros contactos con los indios », p. 97. Si lors de
son premier voyage Colomb est entouré d’interprètes parlant hébreu, chaldéen et arabe, lors
des voyages suivants, il embarque des indigènes avec lui pour servir de truchements.
28 Cristóbal Gutiérrez de Medina, Viaje del Virrey Marqués de Villena. Año de 1640, introducción
y notas de don Manuel Romero de Terreros, México, Universidad Nacional Autónoma de
México, Instituto de Historia, Imprenta Universitaria, 1947, p. 23.
29 « Dios remedió con su Providencia, porque entró en la cámara de popa una perilla perdiguera
haciendo halagos y caricias, como el perro de Tobías ; y conocieron que seis días antes había
parido unos perrillos en la nao, y el padre, con el amor de la vida de su hija, le aplicó los
pezoncillos de la perra ; mamó y quedó con ama de leche tan reconocida que desde entonces
aborreció a sus hijos, y si se los llevaban, los ladraba y mordía… », ibid.
30 Real Biblioteca de Palacio, Fondo manuscritos, Papeles Varios, II / 2826 : « Breve noticia
diaria del viaje del Excelentísimo señor Príncipe de Santo Bono…, op. cit., fol. 107.

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ces membres de la noblesse voyageant sur les flottes, toutes les précautions sont
prises pour reproduire les soutiens spirituels et sociaux nécessaires 31. La vie est
donnée comme elle le serait à terre car l’encadrement religieux reste très présent
et dans ces conditions, le voyage représente un prolongement des structures
sociales et affectives terriennes. Le vaisseau se prête donc au jeu de l’existence
humaine 32 et loin de représenter un seul objet de déplacement, il accueille les
événements de la vie et de la mort de ses acteurs, car s’il offre un refuge pour
donner naissance, il abrite également les plus faibles au moment du trépas. La
femme du vice-roi, affaiblie par la naissance, décèdera ainsi quelques jours plus
tard accablée par la fièvre. Le récit de voyage offre alors une description détaillée
des événements et signale la mise en place d’un système identique facilitant
l’émergence de repères symboliques et religieux : elle reçoit l’extrême onction
de l’évêque de Santa Marta et bénéficie de sa pieuse présence avant son décès 33.
Le dernier sacrement du chrétien administré rappelle la présence significative de
l’Église en mer et souligne à quel point les structures quotidiennes dominantes 163
se reproduisent. Sur ces flottes espagnoles, structurées et organisées avec soin, il

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
est plus facile en effet de maintenir des liens spirituels et confessionnels.
3- Un microcosme

Le navire et ses habitants reproduisent une société à l’échelle du microcosme,


ils pourraient donc incarner l’archétype de la société espagnole à une époque
donnée 34. La diversité régionale, la multiplicité des idiomes, la présence des
femmes, de quelques enfants, d’hommes au travail, l’existence de rapports
hiérarchiques, l’émergence d’une société cloisonnée, l’apparition de la
domesticité, l’instauration de liens spirituels grâce à l’intervention de l’aumônier
sont autant de signes qui indiquent des similitudes avec le monde des « terriens ».

31 Lorsque le futur vice-roi de la Nouvelle-Espagne, le marquis Montes Claros, voyage en 1603,


il est également entouré de sa femme, de sa domesticité, d’un cuisinier et d’un aumônier
à son service. Guillermo Poras Muñoz, « Viaje a Méjico del marqués de Montes Claros y
“advertencias” para su gobierno », Revista de Indias, n° 27, Madrid, CSIC, 1947, p. 117-126.
32 Des femmes esclaves accouchent aussi sur les navires espagnols. En 1702, sur le pont même,
une jeune esclave donne naissance sous le regard de l’équipage. Journal d’un voyage…,
op. cit., p. 217.
33 « Pasó la princesa penosamente la mañana continuando la calentura acreciendo con señales
muy desarregladas que pronosticaban mortales afectes soporiferos. […] A las once y media
fue ungida con oleo habiendo antes absuelto generalmente el señor obispo de Santa Marta
a quien apretó la mano con grande estrechez y otras visibles señales de piedad cristina… »,
Real Biblioteca de Palacio, Fondo manuscritos, Papeles Varios, II / 2826 : « Breve noticia
diaria del viaje del Excelentísimo señor Príncipe de Santo Bono…, op. cit., fol. 108.
34 Jacques Bernard, cité par Michel Mollat du Jourdin, remarque à ce propos que la « communauté
du bord » est une projection de la cellule familiale et du milieu paroissial. Michel Mollat
du Jourdin, « Sentiments et pratiques religieuses des gens de mer en France, du xiii e au
xvi e siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, t. LXX, n° 185, Paris, Société d’histoire
ecclésiastique de la France, CNRS, 1984, p. 308.

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On a trop souvent voulu marquer du sceau de la différence les populations
maritimes : pour l’Espagne du xviie siècle, le système des flottes permet de
reproduire durablement en mer les structures sociales dominantes 35.
Différentes notions altèrent naturellement la vie océanique. Tout d’abord, la
notion d’enfermement instaure indéniablement une distorsion de la perception
des événements et une circonstance fortuite prend alors une valeur particulière.
Les naissances en mer prennent ainsi une dimension extraordinaire, ou tout du
moins singulière, au vu des conditions de navigation. La sexualité demeure,
ensuite, un domaine sujet à restriction puisque la présence des femmes reste
marginale. Finalement, l’appréhension de la mort en pleine mer induit des
modifications dans le culte catholique et dans la perception spirituelle du
phénomène transitoire vers l’au-delà. L’analyse des attitudes face à la vie et à
la mort pourrait donc permettre de comprendre dans quelle mesure l’océan
en altère les sens. Le navire instaure-t-il une rupture durable avec l’univers
164 de ceux restés à terre ou reproduit-il les prolongements significatifs d’une
société donnée ?

II- LES STRUCTURES DU QUOTIDIEN

Robert Muchembled rappelle qu’au xvie siècle, la vie de tous les jours fait fi
des frontières théoriques qui enserrent « ceux qui prient, ceux qui se battent et
ceux qui produisent » pour donner naissance à un mélange des genres 36. Le
xviie siècle, dans ce prolongement, offre des avancées similaires. L’étude des
structures du quotidien en mer pourrait alors permettre de comprendre dans
quelle mesure la vie sur les flottes modèle ces transformations sociales. Les
évolutions de la civilité et des distinctions sociales qui en découlent sont-elles
significatives sur les océans ? Les attitudes des hommes sont-elles singulièrement
différentes dans un contexte microcosmique ?
A- L’alimentation

Moment privilégié de sociabilité, le repas quotidien est conditionné par les


impératifs de la vie maritime, mais il traduit également des rapports hiérarchisés
par les exigences sociales de l’époque. La communauté navigante, loin d’assimiler
ses membres dans un même corps social, instaure à nouveau des marques de

35 Thome Cano, en 1611, disait déjà dans son Arte para fabricar, fortificar y aparejar naos: « Mucha
es en eso la similitud que la nao viene a tener con el hombre, que tiene y encierra en sí todas
las cosas del universo, como mundo abreviado… », cité par Flor Trejo Rivera, « El barco como
ciudad flotante », dans Historia de la vida cotidiana en México, dirigida por Pilar Gonzalbo
Aizpuru, México, El colegio de México, Fondo de Cultura Económica, 2005, p. 141.
36 Robert Muchembled, L’Invention de l’homme moderne. Culture et sensibilités en France du
xve au xviie siècle, Paris, Fayard, 1988, p. 83.

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distinction. Dans un enchevêtrement de règles de vie et de codes de sociabilité
imposés à terre, ces usages se reproduisent sur les flots en un prolongement des
mœurs espagnoles 37. L’équipage prend tout d’abord ses repas séparé des officiers
supérieurs. Il s’accommode sur le pont, forme des groupes de commensaux, los
ranchos, et prépare le repas en désignant une personne à cette tâche. L’accès aux
fourneaux est autorisé à certains moments de la journée et chacun s’y précipite
pour cuire le morceau de viande ou les légumes distribués par le dépensier 38. Ce
dernier délivre avec soin les rations, pesées au préalable et remises dans des petits
paniers de jonc 39 au préposé de chaque rancho. Une fois la distribution effectuée,
il s’empresse de refermer à clef les portes de la soute pour n’y pénétrer qu’au
prochain repas. Il craint en effet que l’air ne corrompe les aliments en ouvrant
trop fréquemment l’antre où sont déposés les vivres. L’organisation des repas se
déroule dans une atmosphère conviviale. Tous les groupes de mariniers et soldats
investissent un espace précis et délimitent les frontières de leur lieu d’occupation
de manière symbolique en disposant des coffres et en marquant leur territoire 165
de leur présence. Par groupe de camarades, ils installent une nappe à même le

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
pont sur laquelle le grand plat, el salero 40, sera déposé pour que chacun y puise
sa ration. Assis sur le sol, tels des Maures, ou agenouillés, comme des femmes 41,
selon les mots d’Antonio Guevara, les marins s’apprêtent à manger sous le regard

37 Manuel Rui Loureiro souligne ainsi : « Os navios ibéricos que demandavan as Índias eram, de
certa forma, un prolongamento social e cultural do território peninsular, onde a vida quotidiana
se deserrolava dentro da normalidade possível », Manuel Rui Loureiro, « Religiosos Ibéricos
em demanda das Índias », dans Viagens e Viajantes no Atlântico Quinhentista. Primeiras
jornadas de história Ibero-Americana, Maria da Graça Mateus Ventura (dir.), Lisboa, Edições
Colibri, 1996, p. 141.
38 Plusieurs études analysent la composition des rations octroyées à l’équipage. Voir Earl J.
Hamilton, « Paga y alimentación en las flotas de Indias » (1929), dans El florecimiento del
capitalismo. Ensayos de historia económica, Madrid, Alianza Editorial, 1984, p. 103-122. María
José y María Teresa Nestares Pleguezuelo, « Valoración nutricional de la dieta en los galeones
de Armada. El apresto de una escuadra de socorro con destino a Filipinas en 1619 », Jahrbuch
für Geschichte Lateinamerikas, n° 36 Böhlau Verlag, Köln, 1999, p. 63-82. Fernando Serrano
Mangas, Armadas y Flotas de la Plata (1620-1648), Madrid, Banco de España. V Centenario
del Descubrimiento de América, 1990, p. 158-159. Christian Koninckx, « L’alimentation et la
pathologie des déficiences alimentaires dans la navigation au long cours au xviiie siècle »,
Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1983, Paris, Société d’Histoire
moderne, 1983, p. 109-138.
39 Real Biblioteca de Palacio, Fondo manuscritos, Papeles Varios, II / 175, doc. 88, « Relación
de todo lo que ha de menester un galeón de los de la Armada de las Indias - siglo xvii »,
fol. 493‑497. On découvre dans la liste des équipements : « Diez y ocho espartones de
esparto para cuando la Gente reciva sus raciones por camaradas […] una romana […] dos
pesos de cruz de fierro con sus valanças de Cobre y Cordones… ».
40 Juan Carlos Galende Díaz, « Vocabulario de términos marinos en la Edad Moderna », Revista
de Historia Naval, n° 65, Madrid, Edición del Ministerio de la Defensa, 1999, p. 112 : « Saleros:
son los platos de palo en que traen la vianda a los marineros ».
41 Antonio Guevara, La vida en la galera (1539), dans Cesáreo Fernández Duro, La mar descrita
por los mareados (1878-1881), Madrid, Ministerio de Defensa. Instituto de Historia y Cultura
Naval, 1996, vol. 2, p. 42.

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du contremaître qui surveille la scène. Tous possèdent un couteau avec lequel ils
piquent le morceau de viande ou de poisson de leur choix car la fourchette ne
fait pas encore partie de leurs accessoires de civilité. Au xviie siècle, c’est en effet
un objet luxueux en or ou en argent et il n’apparaît donc que très rarement dans
les inventaires des matelots 42. Martín Cortés, marin du navire San Francisco de
Jesús, possède ainsi des couteaux mais aucune vaisselle ni coupe 43. On trouve
difficilement dans les inventaires des matelots des objets liés au repas. Leurs effets
personnels se réduisent à quelques hardes et dans ces conditions, les instruments
de civilité restent réservés aux élites. Les coupes personnelles sont absentes, les
assiettes également car la nourriture se partage à même le plat. Les mariniers
s’adaptent à ces rustres conditions de vie et développent par ailleurs un instinct
de protection à l’égard de leur rancho. Chacun s’organise dans son groupe et
l’intrusion d’un membre extérieur provoque une véritable méfiance. À bord du
galion Almiranta, vers cinq heures de l’après-midi, Juan Medina se trouve aux
166 côtés de ses camarades en train de préparer un gaspacho lorsque Francisco Tomás,
descendant des vergues, s’approche de leur tablée et s’invite à manger en leur
compagnie. Offensé par sa présence, le marin Juan de Torrobas lui demande de
quitter les lieux sur-le-champ. Francisco Tomás, cependant, s’obstine et oppose
un refus narquois car une vieille rancœur l’anime 44. Le dénouement de cette
querelle est rapide et sanglant. Le marin Francisco de Torrobas poignarde dans
le dos Francisco Tomás sans plus d’explication et l’outrage physique et verbal
disparaît dans une effusion de sang. L’intégrité du rancho, dans ces conditions,
ne semble pas accepter l’intrusion inopportune d’autres membres. Le repas est
un instant de détente, de rapprochement entre personnes possédant les mêmes
affinités et constitue une sorte de repli affectif.
Les officiers supérieurs possèdent également un espace réservé pour manger
entre eux. Il se situe sur le pont entre le grand mât et le gaillard d’arrière. En
ce lieu, la table du capitaine est dressée par les pages du navire pour accueillir
l’aumônier, le maître, le chirurgien et le greffier. En dépit des instructions 45,
les passagers viennent souvent compléter la tablée et accourent au repas lorsque

42 Norbert Elias, La Civilisation des mœurs (1939), Paris, Calmann-Lévy, 1973, p. 100.
43 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 334B, n° 2, ramo 5, fol. 1.
44 « Estando el dicho dia como a las cinco de la tarde poco mas o menos para comer un gaspacho
con los demas sus camaradas bido que Francisco tomas marinero del dicho galeon […] se
llegó al dicho rancho y dijo abemos de comer este gaspacho […] y vio este testigo que se
llegó a el Juan de Torrobas y le dijo al dicho Francisco Tomas no tenia verguenza de parecer
aqui… », AGI, Cont. Autos de Oficio, año de 1638, leg. 99 : « Auto criminal a bordo sobre la
muerte de Francisco de Tomas difunto marinero del dicho Galeon », fol. 3.
45 Recopilación de las Leyes de los Reynos de Indias (1681), Madrid, Ediciones Cultura Hispánica,
1973, libro IX, título XXVI, ley XXXXV : « Que los Capitanes, ni otros Oficiales de Armadas, y
Flotas no puedan llevar, ni traer Passageros a su mesa […] ni le den los bastimentos que se
embarcaren para provision de la gente de Mar y guerra… ».

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le tintement d’une clochette les appelle 46 ou lorsque les pages font cette
surprenante invitation :
Tabla, tabla, señor Capitan y maestre y buena compaña, tabla puesta; vianda presta; agua
usada para el señor Capitan y maestre y buena compaña. ¡Viva, viva el rey de Castilla por
mar y por tierra! Quien le diere guerra que le corten la cabeza; quien no dijere amén, que
no le den de beber. Tabla en buena hora, quien no viniere que no coma 47.

Officiers et passagers prennent alors place à une table, meuble qui reste
exceptionnel en mer, et s’assoient sur des chaises ou des bancs. Pour aménager
un peu d’intimité et de propreté, on installe des nappes et des serviettes
assorties. Elles sont très prisées parmi les officiers et apparaissent en très grand
nombre dans leur coffre. Juan de Usagre, capitaine de la nef Santa Teresa, détient
ainsi trois nappes différentes avec leur jeu de serviettes 48, le pilote Antón de
Ortega conserve « una tabla de manteles con dos servilletas » 49 et Francisco
López, greffier de navire, dispose de nappes, de serviettes, mais également 167
d’une cuillère et d’une fourchette en argent 50. Les marques de distinction

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
apparaissent à ces signes caractéristiques de civilité. On abandonne la cuillère
ou le simple coutelas pour utiliser une paire de couverts qui portent parfois
les initiales de leur possesseur. On détient encore des assiettes pour déguster
individuellement les plats en faisant montre d’un nouveau savoir-vivre. Ce
sentiment d’individualité se ressent en mer et pour accéder aux mêmes types de
reconnaissance sociale qu’à terre, on exporte sur les flots ces nouvelles marques
de distinction. La première étape de cette individualisation des manières de la
table s’affirme par la possession d’écuelles personnelles. Le capitaine et pilote,
Gabriel de Barrios, s’embarque en prévoyant pour ses repas de la vaisselle
composée d’assiettes et de cocos 51, d’ustensiles de cuisine et de nombreuses
provisions de bouche 52. L’apparition dans ses effets personnels d’objets raffinés

46 Fray Isidro de la Asunción, Itinerario a Indias (1673-1678), paleografía, introducción y notas:


Jacques Hirzy, México, Centro de Estudios de Historia de México, 1992, p. 42.
47 Cartas de Eugenio Salazar, vecino y natural de Madrid, escritas a muy particulares amigos
suyos, dans Cesáreo Fernández Duro, Disquisiciones náuticas…, op. cit., p.187.
48 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1639, leg. 379A, n° 1, ramo 4, fol. 18.
49 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 930, n° 16, fol. 4.
50 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 935, n° 17, fol. 2.
51 Coupes faites à partir de petites noix de coco dont le bois est finement ciselé et garni d’anses
en argent. « Estas palmas o cocos dan un fruto que tambien se llama coco de que se suelen
hacer vasos para beber », dans Diccionario de Autoridades (1726), Madrid, Real Academia
Española, edición facsímil, Editorial Gredos, 1984.
52 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1667, leg. 451B, n° 5, ramo 1, fol. 6-7. Lorsqu’en
1667, ses biens sont vendus aux enchères sur le Galion Nuestra Señora del Rosario, on
découvre des vivres qui renseignent sur l’alimentation personnelle en mer : « una poca de
pimienta y canela se remataron […] un barrilito de alcaparras […] panes de chocolate […]
quatro cajas de conservas […] un barril de biscocho… », ibid., fol. 8-11.

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impose alors des valeurs distinctes. Il mangera dans sa propre vaisselle, disposera
d’assiette pour sa seule ration et agrémentera ses repas de quelques douceurs
dont il se réserve la consommation. L’amiral Bartolomé de la Riva reproduit
encore ces mêmes stratégies de différenciation en utilisant des petites assiettes,
un grand plat et une coupe en argent pour se restaurer et se désaltérer en toute
intimité 53. L’argenterie marque davantage encore le luxe et le prestige dont jouit
cet homme. Les passagers de haut rang sont d’ailleurs les premiers à installer ces
nouvelles mœurs « civilisées ». En 1606, Gaspar de Oribe Salazar dîne déjà avec
une cuillère et une fourchette personnelle dans de fines assiettes en argent à la
lumière de deux chandeliers éclairant avec raffinement son repas 54. Le maintien
à distance des autres convives est la clef de ces nouvelles manières 55. Loin de
l’équipage, officiers et passagers privilégiés adoptent donc de nouveaux codes
de conduite et observent avec condescendance l’équipage vautré sur le pont du
navire partageant le même plat et dégustant au sein d’une communauté sans
168 complexe un repas réparateur. Inutile donc de chercher des éléments régulateurs,
les clivages sociaux restent marqués sur les flottes.
B- L’habillement

Fait social de communication, le costume traduit aussi l’évolution de la culture,


de la sensibilité, des techniques et des impératifs professionnels 56. C’est un signe
social et il recouvre de multiples réalités : il s’ajuste aux conditions matérielles,
dévoile les différences de sexe ou encore une idéologie 57. Dans ce contexte,
l’étude du vêtement en mer prend une signification particulière. On peut
souvent déceler, en effet, à travers les codifications vestimentaires, l’appartenance
à une même catégorie professionnelle. Le vêtement, ce langage du corps,
participe également à la construction des identités. Il est perçu à travers sa
double fonctionnalité : celles des besoins et celles des signes 58. Toutefois, sur
les flottes espagnoles du xviie siècle, les uniformes n’ont pas encore fait leur
apparition et seules des distinctions permanentes entre membres du même

53 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 396A, n° 1, ramo 2, fol. 2-3.
54 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 498B, n° 4, ramo 1(2), fol. 8.
55 Jean-Louis Flandrin souligne à ce propos : « L’usage des doigts est de plus en plus proscrit
[…]. Cela manifeste non seulement une obsession de la propreté, mais aussi un progrès de
l’individualisme : l’assiette, le verre, le couteau, la cuillère et la fourchette élèvent en effet
entre chaque convive des cloisons invisibles », Jean-Louis Flandrin, « La distinction par le
goût », dans Histoire de la vie privée. De la Renaissance aux Lumières, t. 3, sous la direction
de Philippe Ariès et Georges Duby, Paris, Le Seuil, 1986, p. 268.
56 Daniel Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation dans les sociétés
traditionnelles. xviie-xixe siècles, Paris, Fayard, 1997, p. 11.
57 Jean-Marie Pesez, « Histoire de la culture matérielle », dans La Nouvelle Histoire (1978),
dir. Jacques Le Goff, Paris, Éditions Complexe, 1988, p. 212.
58 Alain Cabantous, Les Citoyens du large. Les Identités maritimes en France (xviie-xixe siècles),
Paris, Aubier, coll. « Historique », 1995, p. 87.

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groupe signalent leur appartenance à la communauté. On a souvent parlé du
bonnet rouge comme attribut des matelots et évoqué leur costume rayé 59
comme apparat caractéristique 60. Pourtant l’étude de plusieurs inventaires
post mortem de marins signale rarement cet accoutrement et indique d’autres
modalités d’habillement. Le contenu des coffres des mariniers morts en mer nous
renseigne avec exactitude sur leurs garde-robes. Elles sont simples et se réduisent
à quelques hardes élimées ne suffisant pas à assurer des vêtements de rechange.
Leur aspect fonctionnel prime évidemment sur tout souci d’apparence et leur
état détérioré rappelle la précarité des conditions de travail. Le mousse Sebastián
de la Paz dispose pourtant d’une vieille paire de chaussures, de trois chemises,
de deux cols à la wallonne, de plusieurs paires de bas verts, d’un pourpoint,
d’une culotte et d’une veste, d’une paire de vieux caleçons en toile usée, d’un
bonnet marron et de deux mouchoirs 61. Voici une garde-robe étonnement
fournie pour un simple matelot. C’est pourquoi, d’ailleurs, elle est inventoriée,
car sur les cent dossiers se référant aux mousses de notre échantillon, seuls dix 169
inventaires sont dressés en mer. Le reste des novices décède sans qu’on prenne

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
la peine de comptabiliser leurs hardes car elles se trouvent déjà sur le corps sans
vie que l’on va jeter à la mer.
Les inventaires post mortem des marins livrent une profusion de détails sur la
panoplie vestimentaire, mais révèlent encore les distinctions qui s’établissent
au sein d’une même catégorie professionnelle. Si le statut social des gens de
mer n’est pas homogène, leur façon de se montrer aux autres est pareillement
changeante. Daniel Roche souligne à ce propos que le vêtement a une
fonction de communication « puisque c’est par lui que passe le rapport à la
communauté » 62. À l’évidence, les matelots savent jouer avec intelligence de
ces signes distinctifs. Les plus pauvres d’entre eux détiennent une garde-robe
réduite se composant d’une chemise, de deux justaucorps élimés, d’une vieille
paire de culottes, de chausses usées, parfois d’une paire de chaussures et d’une
grande cape. Cette protection, appelée capote de la mar, est un vêtement
typiquement maritime. Elle préserve le matelot du froid et de l’humidité
et lui sert encore de baluchon pour déposer ses affaires. En 1658, lorsque
Francisco de Chavarría décède, on retrouve ses maigres effets enroulés dans

59 Alain Cabantous signale à ce propos que la chemise rayée se répand chez les gens de mer
anglais et hollandais avant de s’introduire lentement en France. Ces rayures pourraient
évoquer la condition servile ou marginale de ceux qui la portent. Alain Cabantous, Les
Citoyens…, op. cit., p. 90. Voir plus précisément Michel Pastoureau, Rayures. Une histoire
des rayures et des tissus rayés, Paris, Le Seuil, 1991.
60 Voir l’illustration n° 2. On distingue un matelot se hissant à bord d’un vaisseau et vêtu d’un
costume rayé. S’agit-il d’une reproduction fidèle ou d’une vision stéréotypée ?
61 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 5579, n° 43, fol. 1-2.
62 Daniel Roche, Histoire des choses banales…, op. cit., p. 210.

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sa cape 63. Le bonnet est un autre signe distinctif des gens de mer. De couleur
rouge ou plutôt marron, il est porté par les matelots et les mousses. Le jeune
Sebastián de la Paz utilise des foulards pour se couvrir la tête et un bonnet 64 ;
le marin Antonio Hernández se couvre le chef d’un bonnet marron 65 ; Joanes
de Arguindegui en porte un rouge 66 et Juan Bautista de Sorarte en utilise
trois différents, « dos monteras y un bonete » 67. Ces bonnets de laine font
partie intégrante de l’accoutrement des navigateurs, car il les protège des
intempéries, du soleil ou de la pluie et préserve de la sorte leur centre vital 68.
On considère en effet la tête très fragile et trop apparente. Un bonnet peut
ainsi la prémunir des agressions extérieures et des mauvais sorts : l’important
c’est la tête et le bonnet en est une sorte d’extension symbolique 69.
Certains matelots possèdent des garde-robes plus importantes. Ces
dernières, mieux fournies, traduisent une aisance financière supérieure.
L’aspect fonctionnel des vêtements prime toujours, néanmoins on constate
170 l’existence de quelques objets d’apparat singuliers. Le marin José Marín donne
ainsi une image différente de son état en revêtant des chemises usées ornées
de cols à la wallonne en dentelle, en agrafant des manches blanches élimées à
son pourpoint et en enfilant une casaque fort élégante au demeurant pour un
simple matelot 70. Il détient trois paires de culottes et deux vieux justaucorps
de la mer ; deux pourpoints blancs augmentent encore le nombre d’affaires
de rechange toutes ravaudées et usées cependant 71. Il dispose également de
trois vieilles paires de chaussures, d’un vieux chapeau noir qui lui confère

63 « Los bienes que se depositaron fueron un bestido de cordoncillo, zapatos y medias, dos
camisas, la dicha capa en que estaban sus bienes », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos,
año de 1658, leg. 554, n° 4, ramo 2, fol. 8.
64 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 5579, n° 43, fol. 1.
65 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 273, n° 14, fol. 11.
66 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 293B, n° 3, ramo 2, fol. 1. Dans la
vente aux enchères de ses effets personnels, on lit : « Yten se remató en Juan de Chavez un
bonete colorado en veinte reales ». Selon l’état et la qualité du bonnet, le prix oscille de 4 à
20 réaux.
67 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1677, leg. 974, n° 4, ramo 7, fol. 3. Les deux
monteras sont vendues pour vingt réaux et le bonnet pour quatre seulement. Voici les
définitions de ces deux termes, bonete : « Cierta cobertura de la cabeza […] el bonete antiguo
era redondo y cacuminado, o ahusado, insignia de libertad… » et montera : « Cobertura de
cabeza que usan los monteros, y a su imitación las demas ciudad », Sebastián Covarrubias,
Tesoro de la lengua Castellana o Española, Madrid, Luis Sánchez Impresor, 1611.
68 Caroline Bidon, « Les hardes des navigants rochelais morts en mer dans la première moitié
du xviiie siècle », dans Les Sociétés littorales du Centre-Ouest Atlantique : de la préhistoire à
nos jours, Rochefort, Dominique Guilllemet et Jacques Peret, Poitiers, Société des antiquaires
de l’Ouest, 1998, t. 1, p. 400.
69 Robert Muchembled, L’Invention…, op. cit., p. 224.
70 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1660, leg. 970, n° 5, ramo 7, fol. 8.
71 On remarque différents qualificatifs dans l’inventaire des biens du marin : « dos jubones
viejos […] tres pares de calsetas viejas […] calson ropilla de paño viejo y remendado […] tres
camisas usadas… », ibid.

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une certaine prestance et d’un mouchoir qu’il se plaît, peut-être, à attacher à
son cou 72. Ces fines étoffes de tissu, los pañuelos, semblent particulièrement
prisées ; elles apparaissent en effet sous des formes diverses dans les garde-robes
des gens de mer. On recense ainsi des pañuelos, des pañuelos de narices, de
pañuelos para beber chocolate, des pañuelos de tabaco, des pañuelos de encaje…
Une liste abondante pourrait être dressée de ce menu linge qui s’emploie
avec un engouement surprenant. Ce phénomène traduit certainement un
souci d’élégance, signale un usage fonctionnel et marque encore une évolution
dans les pratiques d’habillement. Le mouchoir est en effet un ornement
vestimentaire spécifique des gens de mer. Outre son aspect pratique : on se
mouche, on s’éponge le visage, on conserve de petits objets à l’intérieur, on
s’essuie les lèvres après avoir bu du chocolat, on tamponne son nez après une
prise de tabac, le mouchoir reste un élément de distinction. Objet intime et
ostentatoire, cet effet d’apparat est un marqueur social évident. Il permet à
celui qui l’exhibe de démontrer son appartenance à une classe précise ou signale 171
le désir d’adopter des codes vestimentaires réservés aux classes supérieures,

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
faute de pouvoir vivre comme les membres de ces dernières. L’utilisation
de mouchoirs chez les gens de mer trouve d’ailleurs son origine dans cette
hypothèse d’imitation. La démocratisation de cet objet parmi les gens de mer
indique ensuite une appropriation complète de cet ornement. Le mouchoir
devient alors une marque distinctive des populations navigantes. Il s’utilise,
s’exhibe, se revend. Il ne s’agit donc plus d’un objet de faveur, mais bien
d’un marqueur social 73. Juan González, marin à bord du navire San Diego
en 1631, utilise des mouchoirs et en possède un en particulier, en dentelle,
raffinement qu’il aime laisser deviner au regard des autres. Ses coquetteries
lui confèrent une silhouette vestimentaire recherchée et soignée 74. Il se coiffe
d’un vieux chapeau noir, revêt des culottes et un pourpoint blanc, une courte
pèlerine rouge, des bas de soie blancs ou bleus qu’il accroche avec des jarretières
marron. Il utilise une vieille paire de souliers et porte des chausses. Voici son
apparence lorsqu’il débarque à terre, désireux de paraître un peu plus qu’un
simple matelot. Il possède ces vêtements colorés de parade, mais sur le navire,
son accoutrement est tout autre. Il utilise d’amples pourpoints et caleçons

72 Pingeron dans son Manuel des gens de mer déclare : « Les marins ont l’habitude de porter
un mouchoir ou une cravate autour du col [ce qui] ne peut être que très salutaire, surtout
pendant la nuit où il est essentiel d’avoir le col chaud. Aussi voit-on presque tous les matelots,
surtout les Espagnols et les Provençaux se faire un objet de luxe du mouchoir de soie qu’ils
portent à terre autour du cou », cité par Alain Cabantous dans Les Citoyens…, op. cit., p. 89.
73 Caroline Bidon remarque également l’usage très répandu des mouchoirs dans les garde‑robes
des navigateurs rochelais, plus particulièrement des mouchoirs de cou portés en guise
d’écharpe. Caroline Bidon, « Les hardes des navigants… », art. cit., p. 400.
74 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1631, leg. 5581, n° 1, fol. 1.

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bleus faits d’une toile grossière en bure, un justaucorps, des culottes bleues
de marin ainsi que de larges chemises blanches. Il se protège finalement des
intempéries grâce à sa petite cape marron élimée, « un capotillo pardo muy
viejo de la mar », sans exhiber de quelconques atours lorsqu’il est en mer. Cet
homme reste donc vêtu humblement et même s’il dispose de linge de rechange
et d’habits soignés pour débarquer à terre, sa garde-robe reste sommaire.
Les particularités vestimentaires traduisent immédiatement l’ascension
sociale. Des couleurs plus vives viennent orner les habits faits dans de
meilleures étoffes. Les dépensiers de navire utilisent ainsi quelques signes
d’apparat pour se détacher de l’équipage. Leur accoutrement est peu
exubérant, mais indique cependant des vêtements en plus grand nombre :
le linge de rechange est une marque d’aisance notoire. Les caleçons et les
justaucorps peuvent être changés plusieurs fois lors de la traversée ; chemises,
culottes et petite cape sont utilisées comme chez les mariniers et un bonnet
172 rouge couvre également leur tête. On remarque cependant la présence de cols
à la wallonne qui viendront orner les chemises une fois à terre. À défaut de
laver leurs vêtements, la parade consiste en effet à changer uniquement les cols
ou les manches que l’on ajuste pour paraître propre. Les soins se concentrent
sur le visible, mains et cous signalent la propreté grâce à la blancheur des cols
et des rabats de linge blanc 75. Ces atours indiquent un souci d’élégance et
même si les cols en dentelle sont vieux et usés, « cinco cuellos viejos, una valona
trayda » 76, on se plaît à les porter.
Le pilote dispose en général d’une garde-robe mieux fournie. Elle reste toujours
fonctionnelle, mais révèle quelques coquetteries. Juan Muñoz Zamorano,
pilote, incarne parfaitement ce personnage typique. Il a fière allure avec son
chapeau noir, ses chemises ornées de cols en dentelle, sa veste rouge en taffetas,
ses culottes, ses paires de bas et ses escarpins fins 77. Gabriel de Barrios, pilote
du galion Capitana de la Real Armada de la Guardia de las Indias, semble jouer
davantage encore de son apparence. Le corps érigé en spectacle se dresse, se pare
et se « fait masque d’une intériorisation progressive des émotions » 78. Certains
objets d’apparat possèdent en effet une fonction de dissimulation. L’abondance
des textiles, des habits et des atours provoque une certaine confusion. La
garde‑robe exubérante du pilote indique ainsi une profusion de costumes, de
chapeaux et de rubans. Les couleurs sont singulières : un ensemble mauve, une

75 Jacques Revel, « Les usages de la civilité », dans Histoire de la vie privée…, op. cit., p. 190.
76 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 280A, n° 1, ramo 1, fol. 5. L’inventaire
des biens du dépensier Martín de Larrabal indique aussi la présence de mouchoirs « pañuelos
de narices ».
77 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1691, leg. 464, n° 4, ramo 3, fol. 3.
78 Robert Muchembled, L’Invention…, op. cit., p. 249.

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grande cape blanche, un beau chapeau de vigogne blanc et de longs rubans noirs.
Sur ses vêtements chatoyants, une épée pend à la taille 79. À travers ces signes
ostentatoires de richesse, il s’élève vers les sphères qui commandent l’univers
maritime. Ce pilote qui évolue aux côtés du général, porte ainsi les marques de
cette fonction : il s’imprègne des codes vestimentaires et parle avec son corps à
la communauté des élites.
Les capitaines se distinguent aussi par leurs tenues. On laisse les vêtements
fonctionnels pour revêtir des costumes de parade. Les uniformes ne font
pas encore partie de la garde-robe officielle de la marine, mais des pratiques
d’habillement particulières permettent d’identifier les membres d’un même
clan social. Le chapeau est une marque distinctive sans équivoque. Il s’orne
de plumes, de galons en or ou en argent : cette coiffure est un monde de
signes et de messages 80. Les Espagnols sont d’ailleurs connus pour leur coiffe
exubérante. Leur panache et leur originalité leur confèrent une élégance
remarquée. Pedro de Zabaleta, exerçant ses fonctions à bord du Galion La 173
Victoria, arbore fièrement un chapeau rouge et un autre en laine de vigogne 81.

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
Juan de Ormaecha, capitaine de galion, porte également un chapeau en peau
de castor orné d’un ruban noir avec une boucle en argent 82 et Juan Antonio de
Velasco opte pour une coiffe rouge et un large chapeau noir 83. La garde‑robe
de ce dernier capitaine de vaisseau témoigne son originalité grâce aux précisions
qui apparaissent dans l’inventaire de ses biens. Couleurs, étoffes et parements
sont clairement indiqués et révèlent l’élégance de cet homme. Il se distingue en
revêtant des chemises ornées de dentelles, des culottes de taffetas, des pourpoints
couleur lilas, des chapeaux noirs ou rouges et des bas de soie orange. Les lois
somptuaires ne parviennent pas à enrayer l’engouement pour les riches étoffes
colorées ; assurément les tenues austères, noires et rigides ne séduisent point les
commandants maritimes.
Généraux et amiraux de flottes déploient en effet un faste vestimentaire
déconcertant. L’abondance des tenues de rechange, de linge intérieur et
d’apparat est une marque de distinction, car les commandants tiennent
aussi leur rang grâce à l’image qu’ils renvoient à l’équipage et aux passagers.
À travers ce miroir de l’apparence, ils jouent alors avec les codes vestimentaires,
font fi des rigueurs imposées en Espagne et se plaisent à parader sur leurs
vaisseaux. Parmi les officiers militaires, trois des généraux et amiraux de notre
échantillon possèdent des inventaires dans leur dossier. Ils nous éclairent sur

79 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1667, leg. 451B, n° 5, ramo 1, fol. 6-7.
80 Robert Muchembled, L’Invention…, op. cit., p. 227.
81 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1641, leg. 966, n° 1, ramo 4, fol. 8-9.
82 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1670, leg. 670, n° 1, ramo 1, fol. 3-4.
83 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1646, leg. 416, n° 2, fol. 8-9.

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leur comportement vestimentaire et dévoilent toutes leurs particularités.
L’amiral de la flotte de Terre Ferme, Bartolomé de la Riva, fait pourtant
pâle figure aux côtés des autres militaires. Si sa garde-robe présente une
abondance de vêtements, les excentricités d’apparat demeurent sommaires 84.
Toute la richesse de ses costumes réside dans leur nombre. Il possède plus
de trente chemises, vingt paires de culottes, vingt-quatre paires d’escarpins,
vingt paires de chausses, quatre vieux justaucorps, un ensemble – culottes
et pourpoint – de drap, un autre ensemble de satin, un autre de soie, des
jarretières noires, différents bas de soie de couleur et pour finir quelques
atours : des manches ornées de broderies en or, des gants, des mouchoirs de
Cambrai et finalement des chapeaux dont un noir et un rouge. En raison de
sa sobriété, la composition de cette garde-robe surprend. Tout laisse à penser
que l’amiral n’a pas eu le temps de s’équiper avec le faste requis pour tenir
son rang. Il se contente donc d’une profusion de vêtements et s’habille avec
174 la plus grande simplicité. À travers leurs costumes d’apparat, les deux autres
commandants militaires déploient en revanche des emblèmes significatifs de
leur rang. Les couleurs, les riches étoffes et les parements sont autant de signes
luxueux qu’ils exhibent avec ostentation. De fins mouchoirs en dentelle, des
galons en or et en argent, des boutons en or, des jarretières mauves brodées
de fil doré, des broderies en fil d’or sur un costume violet produisant le plus
bel effet ; des chapeaux de taffetas agrémentés de tresses en fils d’argent, de
quelques perles ou de plumes colorées, rehaussent la silhouette vestimentaire
de ces hauts dignitaires militaires 85. Ainsi, le choix des étoffes révèle-t-il encore
des stratégies de distinction particulière. Satin, soie, taffetas, légères étoffes
chinoises et velours sont des tissus fort prisés. Leur caractère luxueux permet
en effet à ceux qui les utilisent de se mettre en représentation par rapport aux
autres… vêtus de toile grossière. Signalons encore l’importance des armes
et plus précisément celle des épées. Elles pendent rutilantes à la taille des
amiraux et des généraux. Juan de Echeveri en possède une dorée et deux autres
ordinaires 86. Don Lope de Andrada en porte une autre dorée et attachée à la
ceinture dans son fourreau, tahalí, en cuir. Ces armes, privilèges des officiers
en droit de les porter à bord, demeurent des signes d’autorité et revêtent par
ailleurs une charge éthique virile très théâtralisée 87. Le port des armes, dressé
de façon conquérante, met en spectacle l’honneur de son détenteur. Les bijoux

84 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 396A, n° 1, ramo 2, fol. 2-3.
85 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 292, n° 1, ramo 7, fol. 49-65. La vente
aux enchères des effets personnels du général don Lope de Andrada mentionne ce type
d’atours.
86 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1663, leg. 445, n° 1, ramo 4, fol. 3.
87 Robert Muchembled, L’Invention…, op. cit., p. 226.

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sont finalement une marque subtile de différenciation. Ces coquetteries ne
sont pas uniquement le fait des femmes et les militaires arborent fièrement
de précieuses parures en mer. Bagues en or enchâssées de pierres précieuses
comme des diamants, des émeraudes ou des rubis, lourdes chaînes en or,
fines perles en pendants d’oreilles, croix faites de précieux métal ou encore
insignes d’un ordre de chevalerie sont des marques évidentes de richesse.
Juan de Echeverri possède ainsi plusieurs insignes de facture somptueuse 88.
Les objets d’apparat, que seul le luxe démesuré autorise, renforcent l’image
exubérante des hauts représentants militaires. Ces adornos affectionnés par
les officiers sont par ailleurs l’objet d’une thésaurisation manifeste 89. Cette
accumulation de richesse permet ainsi à Juan de Echeverri de tenir son rang
tout en préservant son patrimoine. L’ensemble de ses bijoux est d’ailleurs
inventorié avec de vieux doublons en or 90.
Toutes ces stratégies de différenciation cloisonnent davantage les groupes
sociaux entre eux. On se distingue par des costumes éclatants, on se rapproche 175
d’une communauté grâce à des repères vestimentaires, on s’élève au-dessus des

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
humbles en exhibant, comme en Espagne ou en Amérique, faste et luxe 91. En
mer, les systèmes de marquage social s’opèrent donc de façon analogue et il
serait vain de chercher des éléments régulateurs. Les humbles, condamnés au
travail, portent des costumes amples et fonctionnels. Ceux qui dominent dans
la hiérarchie militaire maritime font au contraire montre de riches parures et
de garde-robes éclatantes. Toutefois, cette vision quelque peu manichéenne de
la culture vestimentaire n’est pas figée. Certains s’emparent en effet des codes
d’habillement et tentent de se rapprocher des classes supérieures en imitant
leur mode de représentation en société. C’est pourquoi l’arrivée à terre est
significative. À cette occasion, les plus pauvres s’habillent avec attention et
s’approprient quelques insignes caractéristiques : maîtres de navire et marins
– lorsqu’ils le peuvent – portent des cols en dentelle sur leurs chemises,
utilisent des mouchoirs et se coiffent d’un élégant et large chapeau noir. Pour
cet événement tant attendu, on sort encore le linge propre et l’on revêt ses
vieux atours élimés pour parader à terre, même humblement, après de longs

88 « Una venera con el habito de Calatrava toda de oro con la cruz de rubies y toda dorada con
setenta y un diamantes, quatro pasadores y un boton, que tienen estas cinco piezas ciento y
veinte y seis puntas de diamante », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1663, leg.
445, n° 1, ramo 4, fol. 2.
89 Annie Molinié-Bertrand, « Ségovie au xviiie siècle. Étude par sondage des patrimoines dans
les archives notariales », Caravelle. Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, n° 4,
Toulouse, 1965, p. 60.
90 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1663, leg. 445, n° 1, ramo 4, fol. 2.
91 Raphaël Carrasco, Claudette Dérozier, Annie Molinié-Bertrand, Histoire et civilisation de
l’Espagne classique. 1492-1808, Paris, Nathan université, 1991, p. 62.

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mois de navigation 92. C’est à travers ces petites distinctions que les uns se
révèlent aux autres 93.
C- L’hygiène

En mer, il est difficile d’assurer à l’équipage et au navire des conditions salubres


d’existence. L’eau douce manque et l’humidité ambiante engendre de graves
désagréments. Les corps des hommes baignés dans une eau salée pourrissent au
contact des vêtements qui en sont imprégnés. La coque du navire dans laquelle
sont enfermés les vivres exhale encore des odeurs fétides. L’air malsain dans
un navire et les relents qui s’en dégagent évoquent la putridité : émanations
de la cale, de la nauséabonde sentine, du goudron de la coque, des excréments
des bestiaux embarqués et des corps malades des matelots. Il faut pourtant
lutter contre cette menace putride qui guette les vaisseaux. On utilise alors
des antiseptiques en frottant les entreponts avec du vinaigre ou en brûlant des
176 aromates pour enrayer la putréfaction des lieux 94. Grâce aux travaux d’Alain
Corbin, on sait maintenant que l’odorat est étroitement impliqué dans la notion
de sain et de malsain 95 ; on comprend dès lors ces pratiques sanitaires mises en
place sur les navires pour renouveler l’air, pour chasser les odeurs nauséabondes
et pour tenter de la sorte d’éloigner les miasmes.
À un niveau individuel, certaines pratiques sont liées aux odeurs personnelles :
en se parfumant, on dissimule ainsi les effluves du corps. Le charpentier de
navire Manuel Antúnez conserve par exemple de l’eau de fleur d’oranger et
lorsqu’il décède en mer son petit flacon est immédiatement racheté pour la
somme de quatre réaux 96. Le pilote Antón de Ortega chasse les relents de
saleté en se parfumant avec de l’eau de rose ou de fleur d’oranger 97. Ces deux
hommes ne sont pas issus des plus hautes instances hiérarchiques, on peut donc
penser que ces pratiques ne sont pas l’apanage des plus nobles. Chacun utilise
les parades qui lui conviennent pour laisser place à de délicates exhalaisons. Le
passager Antonio de Madurera adopte également ces nouveaux usages de civilité

92 Cartas de Eugenio Salazar…, op. cit., p. 200. Avec ironie, il décrit ainsi l’arrivée à son ami :
« Otro dia al amanecer viera vuestra merced en nuestra ciudad [el barco] abrir cajas a
mucha prisa, sacar camisas limpias y vestidos nuevos, ponerse toda la gente tan galana y
lucida… ».
93 Daniel Roche, R. Arnette et F. Ardellier, « Inventaires après décès parisiens et culture matérielle
au xviii e siècle », dans Les Actes notariés. Source de l’histoire sociale, xvi e-xix e siècles,
Strasbourg, Éditions d’Alsace, 1979, p. 236.
94 Pedro María González, Tratado de las enfermedades de la gente de mar en que se expresan
sus causas y los medios de precaverlas, Madrid, Imprenta Real,1805, p. 385-389 : « De la
purificación del ayre interior de los navíos ».
95 Alain Corbin, Le Miasme et la Jonquille. L’Odorat et l’Imaginaire social. xviiie-xixe siècles, Paris,
Flammarion, 1982, p. 21.
96 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1617, leg. 947, n° 19, fol. 8.
97 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 930, n° 16, fol. 5.

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et possède plusieurs parfums 98 ; mais les essences aromatiques possèdent encore
d’autres vertus. Elles renforcent les corps, assainissent l’air et c’est en raison
de leurs facultés thérapeutiques qu’on les porte aussi sur la peau ou sur les
vêtements. Les parfums nettoient et soignent, dans l’art du masquage et de
l’apparence, ils jouent donc un rôle complexe lié à la dissimulation, au plaisir
et à la purification 99.
D’autres moyens permettent à l’équipage et aux officiers de se tenir propres.
La « toilette sèche » par exemple consiste à s’essuyer et à se parfumer puisqu’on
ne se baigne pas. On frictionne ainsi les parties visibles du corps comme les
mains 100, le cou et le visage avec un linge humide ou parfumé. L’usage des
pañuelos de cara o de manos prend alors tout son sens. Ce menu linge que l’on
retrouve dans les inventaires des plus humbles et des riches officiers s’utilise
également pour la toilette. Georges Vigarello a démontré que dans l’histoire de
la propreté corporelle, l’eau ignore le corps. Ce dernier est en effet très rarement
baigné, car le liquide est inquiétant 101. En mer, cette éventualité ne peut de 177
toute façon être envisagée, car il n’y a pas d’eau douce pour la toilette 102. Les

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
aiguades se comptent en très faible nombre et sur les routes du Pacifique moins
encore. Dans ces conditions, l’eau douce fait défaut, mais, même si les pratiques
d’hygiène semblent réduites à cette époque 103, on constate que les hommes ne
peuvent s’en passer 104. La vie sur les océans les incommode et ce manque de
propreté les importune au plus haut point. Le père Antonio Sepp déplore ainsi
les difficiles conditions de navigation et se lamente de ne pas pouvoir laver
son linge : « ¡Cuán a menudo no lavé mi ropa blanca! » 105. On aimerait en effet

98 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1599, leg. 259B, n° 1, ramo 14, fol. 40.
99 Georges Vigarello, Le Propre et le Sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Paris,
Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1985, p. 100.
100 Antoni Maczak repère notamment cette pratique dans le récit d’aventure d’Estebanillo
González et souligne que les mains font l’objet de toutes les attentions du voyageur tandis
que son corps est très rarement lavé : le bain est réservé à peu d’initiés. Antoni Maczak,
Viajes y viajeros en la Europa moderna (1978), Barcelona, Omega, 1996, p. 150.
101 Georges Vigarello, Le Propre et le Sale…, op. cit., p. 15-29.
102 Sensible à ce désagrément, un ministre du roi s’en plaint à bord du Galion de Manille : « Pues
que será el trabajo quando la necesidad obliga a repartir dicha agua en el chocolate de la
mañana, en la comida, en el refresco de la tarde, en la cena y en la precisa para lavarse,
afeitarse… ». AHN, Diversos, siglo xvii – sin fecha, leg. 33, doc. 42 : « Relación de lo acaecido
en un viaje de Acapulco a Manila », fol. 7.
103 Comme le rappelle Antoni Maczak, les pratiques d’hygiène à l’époque moderne ne sont pas
moins importantes mais tout simplement différentes de celles actuelles. À cette époque, les
exigences liées à la santé ne sont pas conditionnées par la propreté, en revanche la saleté
est alors considérée comme un attribut des plus pauvres (Antoni Maczak, Viajes y viajeros…,
op. cit., p. 146).
104 Le père Antonio Sepp se lave le visage avec de l’eau de mer. Werner Hoffman, Relación de
Viaje a las Misiones Jesuíticas, edición crítica de las obras del padre Antonio Sepp, Buenos
Aires, Eudeba Editorial Universitaria de Buenos Aires, 1971 p. 154.
105 Ibid., p. 126.

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rafraîchir ses vêtements de corps et les faire tremper afin d’en extraire la saleté.
Mais il faut pour cela attendre la prochaine escale.
Lorsque les ventes aux enchères sont organisées à terre, on prend soin de laver
les vêtements avant de les proposer aux acheteurs. Dès que la flotte atteint son
port d’attache, des hommes sont en effet dépêchés pour nettoyer les affaires
et les offrir, propres, à leurs futurs détenteurs. Ainsi, Thomás Bruselo, maître
de rations, demande 4 pesos pour avoir débarqué les vêtements d’un soldat
et les avoir fait laver 106. Dès que la flotte de la Nouvelle Espagne s’approche
des côtes, une première aiguade s’effectue à la Guadeloupe et les hommes en
profitent alors pour laver leurs vêtements dans les ruisseaux. Dans un récit
de voyage anonyme, on apprend que matelots et passagers débarquent à terre
pour se livrer à différentes tâches : certains vont chercher de l’eau et du bois,
d’autres profitent des petits cours d’eau pour y laver leur linge 107. À défaut
d’eau douce, les marins utilisent d’autres méthodes pour laver leurs habits. En
178 mer, quand il n’est pas possible de nettoyer ses vêtements, on les place sur une
corde à la traîne du vaisseau 108. Cette pratique imprègne pourtant les habits de
sel marin qui retient l’humidité 109. Les vêtements sèchent alors difficilement
et, raidis par la salaison, deviennent rêches. Les plus aisés disposent cependant
de quelques artifices pour soigner leur apparence. Ils changent plus souvent
de vêtements et conservent leur linge sale. Naturellement, seule une garde-
robe fournie permet ce luxe. L’artilleur Antonio Rodríguez réussit ainsi à se
remémorer la date du décès de Miguel Echazarreta en examinant l’état de son
sac de linge sale 110. L’utilisation de ces sacs semble assez répandue puisque
dans l’inventaire des biens d’Antonio Ganancia, un sous-officier d’artillerie,

106 « Declaro aver gastado en lavar la ropa del dicho difunto y traerla de bordo de la capitana a
tierra [4 pesos] », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1639, leg. 397B, n° 1, ramo
17, fol. 6 
107 « Comenzaron a saltar en tierra de todos los navios, unos para recrearse, otros para hazer
agua y leña y otros para lavar su ropa en los riachuelos… ». Real Biblioteca de Palacio, Fondo
Manuscritos, Papeles varios, II / 175 : « Relación del naufragio que sucedio en la Ysla y puerto
de Guadalupe a 2 de Agosto de 1603 », fol. 212.
108 Le jésuite Simón Méndez décrit ce procédé : « Un marinero de nuestro navio […] [havía]
hechado una camisa y unos calsones y en ellos la llave de su arca por olvido atado en una
soguilla al mar a remojar para lavarlos… ». Museo Naval de Madrid, Fernández Navarrete,
MS-191, doc. 2 : « Relación del Viaje y navegación del Padre Simón Méndez de la Compañía
de Jesús. Año de 1640 », fol. 450.
109 En France, les matelots ont recours au même procédé. Antoine Poissonnier-Desperrières
précise ainsi que les marins ne possèdent pas de linge de rechange et laissent sécher
leurs habits sur eux après les avoir fait traîner derrière le vaisseau pour les laver (Antoine
Poissonnier-Desperrières, Traité des maladies des gens de mer, Paris, Imprimerie royale,
1780, p. 52 et p. 450).
110 « Estando embarcado en la dicha Capitana y la flota despachada para hazerse a la vela y venir
a la havana a las doze de octubre segun se quiere acordar de la ropa ussada de seiscientos
treinta y uno murió miguel de Echazarreta… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de
1632, leg. 958, n° 15, ramo 1, fol. 3.

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on découvre « dos talegas para ropa suzia » 111. En mer, les privilégiés, soucieux
de leur image et souhaitant se défaire de leurs habits encrassés et humides,
utilisent donc du linge et des vêtements de rechange. Juan de Echeverri profite
de sa condition pour se doter d’une garde-robe complète. Par voie épistolaire, il
demande ainsi à sa mère de rassembler ses chemises et son linge de corps pour
le voyage qu’il va entreprendre. Il sait en effet que la traversée sera longue et que
ses vêtements ne pourront être lavés 112.
Les pratiques d’hygiène sont donc liées à l’utilisation de vêtements de rechange.
Il faut offrir une apparence nette, montrer une propreté que seule l’abondance
du linge autorise. On se débarrasse des ectoparasites en reléguant ses vieux
habits au fond d’un coffre, mais on ne songe pas encore à se laver à grande eau.
Seule une écuelle et un peu de savon ont été recensés dans l’inventaire d’un
marin, Bartolomé Monge, en 1618 113. En revanche, dans ce souci permanent
d’apparence soignée, on remarque la présence de nombreux peignes, de brosses
à cheveux et à vêtements, et de miroirs dans les inventaires des mariniers et 179
dans ceux des officiers. On se regarde, on se scrute à la recherche d’une petite

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
imperfection, voici les nouveaux usages de propreté qui s’exportent en mer. Si
en Espagne, on se plaît à se mirer et à se parer, on adopte exactement les mêmes
pratiques sur les navires. En fonction de sa condition, on s’efforce donc de suivre
ce jeu des apparences, complexe et chargé de symboles. Au xviie siècle, cette
nouvelle sensibilité est ancrée dans les mœurs et les plus nobles jouent de leur
image en présentant une silhouette vestimentaire éclatante. La propreté existe,
mais on le constate, elle s’exhibe. Elle n’a pas encore atteint les corps cachés sous
les habits d’apparat.
D- Le repos

L’évolution des pratiques d’hygiène révèle au xviie siècle une intimité plus


marquée du corps. En le nettoyant, en le revêtant de linge, on lui accorde une
place plus secrète : la sphère du privé se creuse alors lentement. Les conditions
liées au repos indiquent également des changements. En mer, les nuits se
déroulent pourtant dans la plus grande promiscuité ; les corps des matelots
gisent sur le pont alors que seuls quelques officiers disposent d’une cabine
pour se reposer. Parmi les membres privilégiés d’un navire, le capitaine et le

111 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1673, leg. 558, n° 2, ramo 1, fol. 9.
112 Il écrit : « Me faltan camisas y toda la ropa blanca porque en 60 dias de yda y mas de 70
de vuelta que no se alcansa a ver tierra, la ropa que en todos estos dias se ensucia y no se
puede lavar asta saltar en tierra en las Yndias y será necesarrio para yr limpio mudarse muy
amenudo que ay en los navios piojos… », Museo Naval de Madrid, Vargas Ponce, tomo 10,
doc. 67 : « Carta de Juan de Echeverri a su madre : pide ropa blanca y una reliquia de Santo
Domingo. Año de 1628 », fol. 84.
113 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 333, n° 2, fol. 1.

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maître sont les mieux logés. Leur cabine se situe généralement à la poupe du
vaisseau et chacun la meuble selon ses moyens avant d’embarquer. Le lit peut
être pliant et amovible, c’est un traspontín 114. Dans ce cas, on peut le déplacer
sur le vaisseau et on lui ajoute un matelas qu’une housse de toile grossière
recouvre parfois – almofrez. Des oreillers, des draps et des couvertures
– frezadas – agrémentent la couche et, pour les plus raffinés, de délicates
descentes de lit la décorent. Le capitaine Jerónimo de Espinosa possède ainsi
« un traspontin de damasco de china » 115 et Gaspar de Vera Maldonado dispose
de deux dessus-de-lit jaune et rouge, de petits coussins recouverts de soie
bleue, de draps et d’oreillers 116. Ces petites marques de confort reflètent une
nouvelle intimité. On aménage un lieu dans lequel on peut se recueillir et
s’éloigner des hommes. Seuls les officiers disposent de ce privilège. Repliés
dans leur cabine, ils profitent d’un isolement fort convoité. Lors de son décès,
le maître de navire Diego Bolaños laisse une cabine vide – un camarote – dans
180 laquelle on retrouve son matelas, une housse le recouvrant et un oreiller 117.
Cette distinction est encore plus marquée chez les commandants qui se
retranchent dans leur cabine. Le luxe fait alors son apparition : de belles
étoffes rendent plus accueillant ce lieu de repos et de recueillement. On
découvre en effet des petites sculptures de la Vierge de Copacabana dans la
cabine du général Juan de Echeverri 118 et dans celle du général don Lope
de Andrada, un retable de Notre-Dame avec ses battants décorés et un lit
aux boiseries dorées 119. Toutefois, ces raffinements et décorations restent
sommaires, ainsi les tableaux qui décorent les cabines sont rares. Le capitaine
Juan Franco de Horcada fait pourtant figure d’exception, car il possède une
peinture qui représente Nuestra Dama de Guadalupe 120. À bord d’un navire,
il est en effet difficile de recréer des intérieurs chaleureux et le fait de pouvoir
s’isoler constitue déjà un privilège remarquable. Dans son rancho 121 à bord
du navire Santo Tomás, le greffier Antonio de Alvarado fait ainsi partie des
membres d’équipage privilégiés. Il a disposé un matelas et des oreillers pour
se reposer et une chaise avec un coussin pour s’asseoir à son écritoire lorsqu’il
rédige des procès-verbaux 122. À l’abri des regards, il se livre à des exercices
spirituels en lisant un ouvrage de Luis de Granada et possède également une

114 Manuel Gracia Rivas, La sanidad naval española…, op. cit., p. 32.


115 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1637, leg. 545, n° 1, fol. 5.
116 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348B, n° 1, ramo 15, fol. 15.
117 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 938A, n° 16, fol. 7.
118 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1663, leg. 445, n° 1, ramo 4, fol. 1.
119 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 292, n° 1, ramo 7, fol. 38.
120 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1671, leg. 557, n° 5, ramo 2, fol. 6.
121 Dans ce cas, le rancho désigne la cabine.
122 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 274B, n° 2, ramo 2, fol. 1.

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petite sculpture de la Vierge décorant et protégeant sa cabine. Une malle
en cuir est finalement déposée dans la pièce, elle contient tous ses effets
personnels, vêtements, linge, épée, flacons et ombrelle.
Lorsque la nuit tombe, les simples mariniers cherchent quant à eux un
espace pour dormir. Ils se nichent alors entre les cordages ou déroulent leur
natte – petate – pour se reposer sur le pont du navire. Les plus aisés ont une
couverture et quelques coussins, mais tout le monde dort à la belle étoile.
Un voyageur anonyme déclare qu’à la tombée de la nuit « tous se fourrent
où ils peuvent, les uns sur les autres… » 123. Par mauvais temps, ils sont
parfois autorisés à descendre dans la batterie et à s’allonger sur leurs petits
matelas – colchoncillos de lana – ou sur des nattes – esteras – qui couvrent les
entreponts 124. Les soldats ne sont pas mieux pourvus que les gens de mer et
dorment à même le sol, sur une couche ou sur leur coffre tout simplement.
Même Francesco Carletti et son père doivent se plier aux difficiles conditions
de repos et dormir à même le pont, sur leur coffre, exposés aux intempéries 181
et coups de mer 125.

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
On a longtemps pensé que les gens de mer avaient adopté les hamacs dans les
flottes espagnoles pour se reposer 126. Or la documentation consultée démontre
clairement le contraire : qu’il s’agisse des inventaires d’officiers, de gens de
guerre ou de marins, le même constat s’impose. Les hamacs n’apparaissent
pour ainsi dire jamais dans leurs effets personnels. Ce n’est qu’à partir du
xviiie siècle qu’ils seront utilisés sur les vaisseaux espagnols. On se rendra
compte en effet qu’il est plus sain de dormir dans ces toiles tendues où les
parasites et les miasmes ne peuvent pas autant proliférer 127. Parmi les hamacs
recensés dans cet échantillon, un premier appartient au greffier Antonio

123 Journal d’un voyage…, op. cit., p. 252.


124 Real Biblioteca de Palacio, Fondo manuscritos, Papeles Varios, II / 175, doc. 88, « Relación de
todo lo que ha de menester un galeón de los de la Armada de las Indias – Siglo xvii », fol. 496 :
« dozientas de esteras de esparto para los pañoles de pan ». D’autres nattes recouvrent les
ponts de la batterie, mais dans cet inventaire aucun hamac n’apparaît, seule une douzaine
de draps pour les malades et les blessés : « una dozena de sabanas bretonas para curar los
enfermos y heridos ».
125 Francesco Carletti, Razonamientos de mi viaje alrededor del mundo (1594-1606), estudio
preliminar, traducción y notas de Francisca Perujo, México, Universidad Autónoma de
México, 1976, p. 44 : « El resto de los pasajeros, quienquiera que sea, es forzoso que esté al
descubierto de día como de noche […], tal como nos tocó estar nosostros sobre las cajas en
donde […] sufrimos grandísimas penalidades e incomodidades… ».
126 Ángeles Flores Moscoso, « Protagonismo andaluz en la sanidad naval del siglo xvii », dans
Andalucía y América en el siglo xvii. Actas de las III Jornadas de Andalucía y América, Sevilla,
Escuela de Estudios Hispano-Americanos de Sevilla, 1985, p. 76 et José María Martínez-
Hidalgo, Las naves del descubrimiento y sus hombres, Madrid, Mapfre, 1991, p. 204, ce
dernier cite toutefois ce mode de repos de façon éventuelle.
127 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres del Océano. Vida cotidiana de los tripulantes de
las flotas de Indias. Siglo xvi, Sevilla, Diputación Provincial de Sevilla, 1992, p. 144.

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Chardi 128 et un second au passager Francisco de Bustamente 129. Il semble
pourtant improbable de penser qu’ils les utilisent puisque tous deux possèdent
un matelas et des draps. En revanche, Tomás de Aquino se repose peut-être
dans son hamac, car il ne détient ni paillasse ni natte 130. Il s’agit là d’un cas
assez rare puisque les nattes – petates – s’utilisent fréquemment en mer. On s’y
couche, on y enroule quelques effets pour ne pas encombrer le navire et on y
enveloppe finalement les corps des défunts peu de temps après leur décès 131.
Cette natte à usage multiple peut en effet servir de linceul. Dans le navire, les
hommes partagent donc le même espace pour se reposer et les corps, proches
les uns des autres, évoluent dans la plus grande promiscuité. Le lit est presque
inexistant, il ne peut jouer son rôle d’isolement et de calfeutrage protecteur,
car l’équipage dort sans réelle séparation. Mais la situation n’a rien d’insolite
puisque dans les demeures, à la même époque, toute la famille partage la même
pièce et parfois la même couche 132. En mer, pourtant, une différence s’impose :
182 les hommes vivent ensemble et partagent cet instant privilégié du repos entre
compagnons de travail et non en compagnie de femme et enfants. À la tombée
de la nuit, propice aux pratiques délictueuses, on le verra, la proximité des corps
est parfois incontrôlée. Dès le coucher du soleil, le navire est en effet plongé
dans la plus grande obscurité.

III- LA PERCEPTION DU TEMPS

En mer, l’écoulement du temps ressemble dans une certaine mesure à


celui connu à terre. Les mêmes calendriers sont utilisés par les navigateurs
et les paysans. Les marins calculent les heures en fonction du mouvement
apparent du soleil qui règle les moments de veille, les quarts, selon le
rythme séculaire des usages monastiques 133. Une journée se divise en
heures canoniques 134, mais Jacques Le Goff a déjà démontré comment

128 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1641, leg. 966, n° 1, ramo 2, fol. 8
129 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1650, leg. 422, n° 3, ramo 8, fol. 2 : « Una
hamaca de junquillo pequeña ».
130 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348A, n° 1, ramo 12, fol. 28.
131 José María Martínez-Hidalgo, Las naves…, op. cit., p. 203. Il cite l’épisode rapporté par Gonzalo
Fernández de Oviedo qui cède sa natte pour la remettre à un marin en guise de linceul.
132 Alain Collomp, « Familles. Habitations et cohabitations », dans Histoire de la vie privée…,
op. cit., p. 516.
133 Michel Mollat du Jourdin, La Vie quotidienne des gens de mer en Atlantique, ixe-xvie siècles,
Paris, Hachette, 1983, p. 217.
134 Fernando Bouza Álvarez, « El tiempo. Como pasan las horas, los días y los años. La cultura
del reloj », dans La vida cotidiana en la España de Velázquez, dirigida por José Alcalá-Zamora,
Madrid, Ediciones temas de hoy, 1994, p. 22. Les heures canoniques sont : matines et laudes
(aurore), prime (sept heures), tierce (neuf heures), sexte (douze heures), none (trois heures),
vêpres (six heures) et complies (à la tombée de la nuit).

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« le temps de l’Église fut sournoisement manipulé pour être plié au temps
des travailleurs » 135. En mer, un compromis s’effectue entre le temps sacré
et le temps professionnel en s’harmonisant au rythme des exigences de
la navigation, des levers et des couchers de soleil et du temps liturgique.
Toutefois, l’expérience de l’espace, de la mer infinie et de l’horizon à perte de
vue, modifie la perception spatiale et temporelle des éléments. Les gens de
mer sont en effet confrontés à un problème : le calcul de la longitude. Dans
ces conditions, la connaissance de l’heure et celle des variations magnétiques
s’avèrent indispensables pour se repérer sur les flots. Le temps professionnel,
étroitement lié à la survie du vaisseau, impose alors ses exigences tout en se
liant avec le temps sacré.
A- Une perception des éléments, le temps universel

Le navire vit au rythme du soleil et le jour a son propre mouvement, ponctué


par les pauses alimentaires. À l’aube, le premier repas servi marque le début de 183
la journée. Cette collation matinale se compose de vin, de pain et de lard. Les

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
fourneaux ne sont pas allumés pour ce petit-déjeuner servi aux alentours de huit
heures 136. Le déjeuner se déroule ensuite vers onze heures 137. Ce repas, le plus
complet, se compose d’un plat chaud. Il offre une première pause à l’équipage
et lui permet de se restaurer et de se reposer un temps. Enfin, le dîner a lieu
avant que le soleil se couche. Moins copieux que le précédent 138, il marque la
fin d’une journée de travail même si soldats et marins entament ensuite un tour
de garde.
Des récits de voyage indiquent pourtant une organisation différente de repas
et donc du temps de travail. Les missionnaires qui ont laissé ces témoignages
prenaient leur repas, il est vrai aux heures qui leur convenaient. Ainsi, le père
Diego de Bobadilla précise, dans le récit de sa traversée de Séville à l’Amérique,
qu’il se lève à quatre heures du matin, prie pendant une heure, dit ensuite la
messe et prend finalement son petit-déjeuner en faisant une lecture pieuse 139.
Pour son plus grand plaisir, le père Hernando de Padilla écoute également ces

135 Philippe Ariès, « L’histoire des mentalités », dans La Nouvelle Histoire…, op. cit., p. 179.
Il reprend les informations données par Jacques Le Goff dans son ouvrage intitulé Pour un
autre Moyen Âge.
136 José Luis Martínez, Pasajeros…, op. cit., p. 98.
137 Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres…, op. cit., p. 151.
138 Diego de García de Palacios, Instrucción náutica para el buen uso y regimiento de las naos
(1587), Madrid, Colección Clásicos Tavera, Obras Clásicas de Náutica y Navegación, edición
CD-Rom, José González-Aller Hierro (comp.), Madrid, Fundación Histórica Tavera, 1998,
fol. 116. Il indique que le repas du soir correspond, en quantité, à la moitié du déjeuner.
139 Museo Naval de Madrid, Fernández Navarrete, tomo 2, doc. 20 : « Viaje desde Cadiz a la
Nueva España de los Padres Diego de Bobadilla Procurador de Filipinas, y su compañero el
Padre Simon de Cota. Año de 1643 », fol. 385.

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lectures faites à haute voix lors du repas 140. En 1680, le jésuite Juan Ratkay,
embarqué à bord du vaisseau Nazarena, offre également le récit d’une journée en
mer. Cette dernière s’organise en fonction du lever du jour. Une messe précède
tout d’abord le petit-déjeuner qui est servi vers neuf heures du matin, puis un
chocolat chaud est distribué avant que chacun s’en retourne à sa tâche. On
mange vers quatre heures de l’après-midi, puis dès que le soleil disparaît sous
l’horizon, on chante des litanies et on dit des prières avant de se coucher 141. En
1673, Isidro de la Asunción décrit un déroulement similaire des repas en mer.
Ils se composent uniquement d’un petit-déjeuner et d’un dîner : le premier
vers neuf heures du matin et le dernier vers quatre heures de l’après-midi 142.
La traversée transatlantique impose ses horaires solaires et il n’est donc pas
surprenant de constater ces adaptations au milieu géographique. Dès que le
soleil disparaît, le temps du repos peut commencer. Les marins discutent alors,
d’autres jouent de la guitare, certains passagers se retirent encore dans leur
184 cabine pour jouer discrètement aux dames ou aux échecs 143.
Sur l’océan Pacifique, Gemelli Careri décrit différemment l’orchestration des
repas. À bord du Galion de Manille, on donne « dès le grand matin, une tasse
de chocolat, quelque petite chose deux heures avant dîner et le dîner après midi.
Le soir, c’était une autre tasse de chocolat, et sur le tard, quelques confitures
sans aucun souper » 144. Selon les routes, en fonction des navires, on appréhende
donc le temps de façon différente. Il n’existe pas de règles immuables quant à
l’organisation d’une journée, car la vie en mer est sujette aux intempéries et
lors d’une tempête, on ne peut par exemple allumer les fourneaux 145. Dès que
la nuit tombe, la plus grande obscurité règne enfin sur le navire. On interdit
en effet à l’équipage d’utiliser des chandelles, et seuls les fanaux et quelques
bougies, dont celles de l’habitacle, restent allumés 146.

140 RAH, Papeles de Jesuitas, tomo CXXIX, años de 1628-1629, « Relación del viaje del padre
Hernando de Padilla y sus compañeros a lyma », fol. 552.
141 Mauro Matthei, Cartas e Informes de Misioneros Jesuitas extranjeros en Hispanoamérica
(1680-1699), Anales de la Facultad de Teología, vol. XX (1968-1969), cuaderno 4, Santiago,
Universidad Católica de Chile,1969, p. 151.
142 Fray Isidro de la Asunción, Itinerario…, op. cit., p. 42.
143 RAH, Papeles de Jesuitas, tomo CXXIX, años de 1628-1629, « Relación del viaje del padre
Hernando de Padilla…, op. cit. : « A la tarde teniamos nuestro rato de asueto que gastabamos
en ajedres y damas o semejantes entretenimientos a puerta cerrada… ».
144 Giovani Francesco Gemelli Careri, Voyage…, op. cit., p. 58.
145 Antonio Vázquez de Espinosa décrit un jour de tempête sans repas: « Pues aquel día no se
comió ni bebió en nuestra nao y fue general en todas, las cuales con la fuerza de la tormenta y
balances metían los penoles debajo del agua… », Fray Antonio Vázquez de Espinosa, Tratado
del viaje…, op. cit., p. 306.
146 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1626, leg. 93B. On lit dans les instructions du général don
Jerónimo Gómez de Sandoval : « De noche no aya candela ni nadie la pueda tener encendida
salbo los lampiones permitidos excepto sino fuere un oficial desta Capitana ». Juan de
Escalante de Mendoza, Ytinerario de navegación de los mares y tierras occidentales (1575),

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B- Les quarts, le temps professionnel

Lorsque les hommes s’endorment et que le navire vogue lentement, d’autres


veillent. Les tours de garde imposent une vigilance très stricte. Toutes les quatre
heures, mariniers et soldats sont aux aguets et effectuent leur quart. La journée
se divise en effet en deux fois douze heures. Pour la nuit, trois quarts rythment
le déroulement de ces veilles. Le premier, de prima, précède celui de modorra
et finalement le dernier, de alba, s’effectue peu avant l’aube 147. La routine des
heures est pénible et afin que personne ne s’endorme lors de sa garde, un page
récite une cantilène chaque demi-heure. L’une d’entre elles dit : « Bendita la
hora, en que Dios nació / Santa María que le parió / San Juan que le bautizó. / La
guarda es tomada; / la ampolleta muele; / Buen viaje haremos, / si Dios quisiere » 148.
À chaque sablier retourné, le page récite d’autres vers et indique ainsi le passage
du temps. La veille imposée aux marins pendant la nuit est un exercice difficile
et pour leur donner du courage, les jeunes pages entonnent des cantilènes qui
leur sont adressées 149. À ces injonctions, le marin posté de garde à la proue du 185
navire répond en criant, ou en grognant selon les circonstances, pour indiquer

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
qu’il est bien éveillé. Cette division du temps s’effectue donc grâce aux sabliers
– ampolletas – que l’on retrouve fréquemment dans les inventaires des pilotes
et des maîtres de navire. Ils contiennent du sable fin, du marbre pilé ou des
coquilles d’œuf finement brisées s’écoulant pendant quinze minutes, une demi-
heure ou une heure 150. Afin d’éviter des erreurs de navigation, Escalante de
Mendoza recommande au marin, lorsqu’il a besoin de vérifier l’heure, de le
faire lui-même, car certains pages fatigués s’empressent parfois de retourner les
sabliers 151.
Une autre méthode est employée pour connaître l’heure. Comme les
navigateurs ne disposent pas encore de montres précises, ils s’en remettent à
l’astrolabe. Cet instrument leur permet de calculer la hauteur du soleil sur
l’horizon et de constater à quel moment il commence à décliner. Escalante de
Mendoza déclare qu’il s’agit là « del mas cierto relox en el mar para saber el punto de

Madrid, Colección Clásicos Tavera…, op. cit., fol. 46. Parmi les obligations du dépensier, on
retient celle-ci : « Es obligado a ser siempre muy vigilante sobre todo al lumbre y fuego,
porque no sucedan los trabajos desastres y naufragios que de ordinario del descuido dello
suele suceder… ».
147 Manuel Gracia Rivas, La sanidad naval española. Historia y evolución, Madrid, Empresa
Nacional Bazán de Construcciones Navales Militares, 1995, p. 40.
148 Cartas de Eugenio Salazar…, op. cit., p. 191.
149 « Buena es la que va, / Mejor es la que viene / Una es pasada y en dos muele / Más molerá
si Dios quisiere, / Cuenta y pasa que buen viaje faza / Ah de proa, alerta, buena guardia »,
ibid.
150 José María López Piñero, El Arte de Navegar en la España del Renacimiento, Barcelona,
Editorial Labor, 1986, p. 142. Il est recommandé de naviguer avec plusieurs sabliers mesurant
des laps de temps différents.
151 Juan de Escalante de Mendoza, Ytinerario…, op. cit., fol. 249.

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medio dia » 152. Parmi les 42 pilotes de cette étude, 16 possèdent dans leur dossier
un inventaire après décès. On a donc recensé leurs instruments de navigation et
constaté que 13 d’entre eux détiennent des astrolabes et des sabliers. Le pilote,
Domingo de Ugarte, utilise un astrolabe en bronze et six sabliers d’une demi-
heure 153. Diego Díaz, exerçant ses fonctions à bord de la nef Nuestra Señora
del Rosario, évalue le temps grâce à quatre sabliers 154 et Diego Caro, pilote du
navire San Medel, effectue ses calculs grâce à son astrolabe, ses sabliers et deux
petits relojes, l’un en ivoire et l’autre de facture flamande 155. Tout pilote de
navire, pourvu d’instruments de navigation, doit estimer le temps qui s’écoule
et évaluer sa position géographique. Par conséquent, la maîtrise des heures
n’est pas sur les flots un privilège de l’autorité civile ou ecclésiastique 156. Il est
indispensable de posséder des références horaires et les procès-verbaux dressés
à bord en attestent. En 1646, lorsqu’un marin tombe à la mer, les témoignages
indiquent que le drame s’est déroulé à huit heures du matin 157. En 1646, à bord
186 du galion San Augustín, c’est à deux heures de l’après-midi que Juan Gutiérrez,
armé d’un bâton, assène un coup à Diego Briones 158. Les indications sont
précises et l’heure des événements est clairement notée grâce aux sabliers, outils
privilégiés de mesure du temps. Lorsque le capitaine Juan de Hoyos décrit à
Francisco Madrigal le naufrage du navire Almiranta, il précise qu’il disparaît
dans les flots « en moins d’un sablier » : « la mal lograda almiranta que se hizo
pedazos en menos de una ampolleta… » 159. Même si les clochers ne retentissent
pas sur les océans pour indiquer les étapes quotidiennes du travail, d’autres
repères s’offrent donc aux matelots et aux passagers.
C- Les litanies et les prières, le temps du sacré

Impératifs professionnels et sacralisation du temps rythment également les


modes de vie. Ainsi, les voix des pages indiquent-elles à l’équipage chaque
demi-heure qui s’écoule en chantant ou en récitant des psaumes. Cette pratique

152 Ibid., fol. 247.


153 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1703, leg. 5585, n° 91, fol. 4.
154 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 2, ramo 1, fol. 3.
155 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1598, leg. 491, n° 1, ramo 4, fol. 4.
156 Bartolomé Bennassar, L’Homme espagnol. Attitudes et mentalités du xvie au xixe siècle (1975),
Paris, Éditions Complexe, 1992, p. 28.
157 « Esta mañana como a las ocho della en la escala que baja al beque junto a la toldilla vi a un
moço que estava poniendo una arandela de tabla por de fuera de la nao [...] y el dicho cayó
a la mar... », AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1646, leg. 106 : « A bordo, ante el general de la
flota de Nueva España don Lorenzo de Córdoba y Zuñiga sobre la muerte de un mozo ».
158 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1646, leg. 106 : « A bordo, causa fecha por el señor don Juan
de Izarraga capitan General de la flota de Tierra Firme contra Juan Gutiérrez por aver dado
una herida en la Cabeza de Diego Briones ».
159 RAH, Salazar y Castro, N-54 : « Carta del capitán Juan de Hoyos a Francisco Madrigal sobre el
naufragio de la Galera Almiranta en el canal de Bahamas. Año de 1656 », fol. 91.

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rituelle en mer incombe aux plus jeunes membres de l’équipage, car comme
le précise Samuel Eliot Morison « God would be better pleased by the voice of
innocence » 160. Dans la société chrétienne espagnole, il n’est pas surprenant de
constater cette imbrication du temps professionnel et religieux 161. Les besoins
maritimes imposent une précision horaire et celle-ci se manifeste naturellement
par l’intermédiaire du sacré. La journée est ainsi ponctuée par des chants et par
des prières. Aumônier et missionnaire ont l’habitude de dire la messe le matin,
avant le petit-déjeuner et de réciter le rosaire, une fois la nuit tombée 162. Sur
le navire du père Hernando de Padilla, dans la Mer du Sud, et sur celui du
jésuite Diego de Bobadilla, sur le Pacifique, on chante également tous les soirs
le Salve Regina 163. Marins et officiers s’unissent alors aux pages pour entonner
cet hymne bénédictin en hommage à la Vierge 164.
Chaque fête du calendrier liturgique est également célébrée à bord. Le
31 juillet 1680, une messe est chantée en l’honneur de la Saint Ignace sur
le vaisseau du père Juan Ratkay et le 15 août, l’Assomption est fêtée avec 187
l’équipage : messe solennelle, salves et comedias agrémentent la journée 165. La

les hommes, les navires et la mer La vie en mer, les structures du quotidien
traversée au fil des jours et des mois revêt donc le même ordre spirituel qu’à
terre 166. Les missionnaires se chargent de faire respecter le calendrier et offrent
ainsi une vision des éléments rassurante en mer. En reproduisant cette division
du temps, ils établissent avec l’équipage un lien sacré les unissant au reste de la
communauté des fidèles.

160 Samuel Eliot Morison, The European Discovery of America. The southern voyages. 1492-1616,
New York, Oxford University Press, 1974, p. 65.
161 Annie Molinié remarque que « pour les Espagnols du xviie siècle, comme pour toute la chrétienté
d’Ancien Régime, le cycle de l’année liturgique et les grandes fêtes religieuses rythment la vie
quotidienne, aussi bien dans les villages qu’à la Cour », Annie Molinié-Bertrand, « Un nouveau
calendrier des fêtes pour l’Espagne », dans Fêtes et Divertissements, sous la direction de
Lucien Clare, Jean-Paul Duviols et Annie Molinié, Paris, PUPS, 1997, p. 189.
162 Fray Isidro de la Asunción, Itinerario…, op. cit., p. 43. Il déclare dans son récit : « Todas las
noches, al poner el sol, se llama con una campana al rosario, y se dice a coros… ».
163 RAH, Papeles de Jesuitas, tomo CXXIX, años de 1628-1629, « Relación del viaje del padre
Hernando de Padilla…, op. cit., fol. 553 et Museo Naval de Madrid, Fernández Navarrete,
tomo 2, doc. 20 : « Viaje desde Cadiz a la Nueva España de los Padres Diego de Bobadilla…,
op. cit., fol. 385.
164 À bord des vaisseaux français, on chante également le Salve Regina. Alain Cabantous, Le
Ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime. xvie-xixe siècles, Paris, Fayard, 1990,
p. 239.
165 Mauro Matthei, Cartas e Informes…, op. cit., p. 152.
166 À bord des vaisseaux portugais la vie religieuse s’organise de la même façon. Frédéric Mauro
remarque à ce propos que « le culte est assez brillant » sur les navires lusitains. Il faut y
voir présence de la Monarchie soucieuse d’assurer l’exercice des pratiques religieuses en
mer. Frédéric Mauro, Le Portugal et l’Atlantique au xviie siècle. 1570-1670. Étude économique,
Paris, SEVPEN, 1969, p. 78-80.

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chapitre iii

Entre fêtes et violence

I- FÊTES RELIGIEUSES ET PROFANES

Face à une nature répulsive et dangereuse, à ces vastes étendues de l’océan, à ces
espaces chaotiques livrés aux forces du mal, l’Église entreprend un processus
de christianisation. La pastorale de l’Église romaine entend en effet mettre en
place un processus de conversion des lieux et revêt les océans d’un sacré capable
de réconcilier les mers déchaînées avec le Créateur. À travers différents rites,
comme les fêtes et les cérémonies religieuses en mer, une transformation de
ces paysages hostiles s’engage. La nature terrifiante, les vagues tourmentées de 189
l’océan stimulent ainsi une nouvelle pédagogie évangélisatrice en opérant une

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Les hommes, les navires et la mer
captation symbolique des lieux 1.
A- Les fêtes religieuses

D’inspiration sacrée, ces commémorations festives exaltent tout d’abord les


dogmes catholiques et se prêtent à la pédagogie de la Contre-Réforme 2. D’autre
part, les célébrations exercent à l’égard des calamités, et d’autant plus sur les
mers déchaînées, d’importantes fonctions conjuratoires et propitiatoires. Les
fêtes permettent alors l’oubli fugace des forces dangereuses et incarnent à la
perfection le rituel sacré qui offre une maîtrise du temps et des rapports sociaux 3.
Différents témoignages proposent le récit de ces fêtes religieuses célébrées sur
les navires loin de toute structure ecclésiastique dominante. À l’initiative d’un
aumônier ou en l’honneur d’un personnage singulier des cérémonies sont
organisées. Lorsque Gemelli Careri se dirige vers les côtes de l’Espagne à bord
du galion El Gobierno, on célèbre, le 18 mai 1698, la Pentecôte. Les moyens
sont peu importants pour fêter l’événement, mais on porte cependant l’image
de la Vierge en procession sur le vaisseau 4. Ornée de belles étoffes, la statue de

 Alain Cabantous, Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne.
xviie‑xviiie siècles, Paris, Fayard, 2002, p. 175.
 Bartolomé Bennassar, L’Homme espagnol. Attitudes et mentalités du xvie au xixe siècle (1975),
Paris, Éditions Complexe, 1992, p. 125.
 Robert Muchembled, Culture populaire et culture des élites dans la France Moderne
(xve‑xviiie siècles), Paris, Flammarion, 1978, p. 127.
 Giovani Francesco Gemelli Careri, Voyage autour du Monde (1698), dans Le Mexique à la fin
du xviie siècle, vu par un voyageur italien / Gemelli Careri, présentation de Jean-Pierre Berthe,
Paris, Calmann-Lévy, 1968, p. 256.

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Notre-Dame est saluée selon les coutumes maritimes d’une salve de l’artillerie
et de la mousqueterie. En dépit des circonstances singulières du voyage, on
constate que les aléas de la traversée n’interdisent guère le respect du calendrier
liturgique.
« Tout est prétexte à fêtes » 5 et les réjouissances comme celles du Corpus Christi,
solennelles et joyeuses, sont organisées à bord des galions de commandement.
En 1640, lorsque le vice-roi don Diego López Pacheco navigue vers l’Amérique,
des festivités célèbrent ainsi le jour du Saint-Sacrement. Des concours de poésie,
des concerts de musique et une messe viennent agrémenter la journée : « con
devota alegría y entretenimiento » 6. Comme le rappelle Marcelin Defourneaux,
il serait vain de prétendre établir une nette distinction entre fêtes religieuses
et fêtes profanes 7. Leurs manifestations présentent bien des traits communs
et ainsi, pour la Fête-Dieu, des comedias sont représentées à bord, des jeux et
des petites saynètes de théâtre organisés par l’équipage 8. Le théâtre occupe
190 en effet une place de choix dans les festivités religieuses espagnoles, même à
bord des galions. Après un prélude musical, les comedias et les entremeses, brefs
intermèdes, se succèdent dans la représentation offerte au dignitaire royal.
L’ordre du spectacle théâtral est strictement respecté et l’on remarque donc
cette transposition évidente des festivités sur les flottes. Elles se reproduisent
avec la même ardeur pour satisfaire équipage et passagers et ne sont pas altérées
par le cours de la traversée. Le 3 mai 1640, día de la Cruz, on célèbre encore
l’événement en décorant le pont et en dressant un autel près du grand mât
du galion Capitana. Ancres ornées, tapis disposés sur le tillac, riches étoffes et
joyaux pendus à la croix offrent un spectacle solennel et fastueux. Aux dires de
l’auteur, la fête se déroule dans une sainte et joyeuse allégresse, « como se podía
hacer en tierra » 9.
Comme le démontre Mircea Eliade, l’expérience religieuse de la fête, c’est-
à-dire la participation du sacré, permet aux hommes de vivre la présence de
Dieu. En célébrant chaque événement religieux, une réactualisation des mythes
s’opère et il devient possible de se rapprocher du divin 10. À travers cette vision de
« l’éternel retour », on comprend mieux la célébration périodique du calendrier
sacré qui permet aux hommes de vivre la présence de Dieu et exprime également

 Marcelin Defourneaux, La Vie quotidienne en Espagne au Siècle d’Or, Paris, Hachette, 1964,
p. 23, p. 160.
 Cristóbal Gutiérrez de Medina, Viaje del Virrey Marqués de Villena. Año de 1640, introducción
y notas de don Manuel Romero de Terreros, México, Universidad Nacional Autónoma de
México, Instituto de Historia, Imprenta Universitaria, 1947, p. 27.
 Marcelin Defourneaux, La Vie quotidienne…, op. cit., p. 148.
 Cristóbal Gutiérrez de Medina, Viaje del Virrey…, op. cit., p. 28.
 Ibid., p. 25.
10 Mircea Eliade, Le Sacré et le Profane (1957), Paris, Gallimard, coll. « Folio / Essais », 1998,
p. 94.

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leur désir de sainteté 11. Sur les navires, la fête religieuse prend tout son sens,
rapprochant plus facilement encore les hommes anxieux des forces divines.
On fête avec beaucoup d’éclat saint Jacques, patron de l’Espagne, et tous
les ans, ce rite de commémoration unit les Espagnols dans le temps sacré. Les
hommes retrouvent ainsi la chance de transfigurer leur existence et de la rendre
semblable au modèle divin 12. À travers cette expérience particulière, le père
Vázquez de Espinosa et l’équipage du navire Capitana célèbrent ce jour en l’an
1622. Fêtes et salves commémorent l’événement 13. Il prend sur les flottes une
dimension d’autant plus forte qu’il rapproche les hommes en mer de ceux restés
à terre par cette médiation festive et sacralisée. Le temps religieux rassemble
ainsi gens de mer et passagers et leur procure stabilité et réconfort loin de la
terre ferme et de la communauté des fidèles. Le jour de la Nativité de la Vierge
rassemble également marins et soldats. Rien n’est trop beau pour Marie que
l’on honore de mille feux 14. À bord du navire Nuestra Señora del Rosario, des
petites lanternes éclairent le vaisseau pour le plaisir et l’allégresse de tous 15. 191
Ces illuminations au service du dogme catholique revêtent une signification

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


particulière. Dans une religion où la lumière divine éclaire l’humanité, son
usage entretient symboliquement la relation de Dieu à la nature et des hommes
aux Cieux 16. Les reflets incandescents des bougies allumées pour la Vierge
Marie célèbrent sa naissance et mobilisent la sensibilité des hommes. Ravis
par cet enchantement, marins, soldats et passagers vivent intensément ces
cérémonies religieuses chargées de valeur symbolique et spirituelle 17. En luttant
contre l’obscurité grâce aux illuminations, un combat symbolique s’engage pour
dépasser l’horreur des ténèbres et atteindre la plénitude sacrée en une nuit de
lumière. L’Annonciation fait également l’objet de réjouissances. C’est l’occasion
de faire gronder les canons, de mettre en berne les drapeaux et d’agrémenter
la fête avec quelques morceaux de musique. Le père Antonio Sepp offre ses
compétences et fait jouer de la flûte, du tambour, des trompettes et des théorbes

11 Ibid.
12 Ibid., p. 95.
13 Fray Antonio Vázquez de Espinosa, Tratado del viaje y navegación de este año de 1622 que
hizo la flota de Nueva España, dans B. Velasco, « La vida en alta mar en un relato del Padre
Antonio Vázquez de Espinosa », Revista de Indias, n° 143-144, Madrid, CSIC, 1976, p. 301.
14 Les fêtes mariales sont également célébrées en Espagne avec engouement. Annie Molinié-
Bertrand, « Un nouveau calendrier des fêtes pour l’Espagne », dans Fêtes et Divertissements,
sous la direction de Lucien Clare, Jean-Paul Duviols et Annie Molinié, Paris, PUPS, 1997, p. 190.
15 Fray Antonio Vázquez de Espinosa, Tratado del viaje…, op. cit., p. 304.
16 Daniel Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation dans les sociétés
traditionnelles. xviie-xixe siècles, Paris, Fayard, 1997, p. 132.
17 Fray Antonio Vázquez de Espinosa, Tratado del viaje…, op. cit., p. 304 : « La nao Nuestra
Señora del Rosario, del capitán Marcos Blanqueto encendió aquellas noches muchas
luminarias, y echó muchos cohetes y todas las naos de la flota hicieron por su devoción y
fiesta con alegría y regocijo el nacimiento de nuestra divina Intercesora y Reyna… ».

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aux esclaves 18. L’équipage danse au son des instruments et la fête bat son plein.
Les rituels festifs se reproduisent en mer et cette ambivalence entre célébrations
religieuses et danses 19 se maintient naturellement sur les vaisseaux espagnols.
Comme en Espagne, l’association de fêtes sacrées et de danseurs perdure. La
même force anime donc les hommes pour exalter leurs émotions et célébrer une
religion qui leur apporte un sentiment d’appartenance communautaire sur ces
mers lointaines.
La fête religieuse ou profane demeure en effet un élément de cohésion
fondamentale des groupes 20 et à bord des vaisseaux espagnols ces festivités
remplissent pleinement leur rôle. La permanence du danger, l’omniprésence
divine exacerbent tour à tour la tension et l’émerveillement. Dans ce contexte,
les réjouissances sacrées permettent de décharger les violences de chaque groupe
en les unissant autour d’un événement sacré et ritualisé. Les danses, le théâtre et
les combats participent également de ces manifestations festives. Le catholicisme
192 tolère en effet une certaine cohabitation entre le sacré et le profane, entre ces
deux sphères complémentaires et ambivalentes.
B- Les fêtes profanes

Dans un enchevêtrement difficile à démêler de réjouissances religieuses et


profanes, on découvre différents types de spectacles. Mis en scène en l’honneur
du calendrier liturgique ou pour célébrer, par exemple, le passage de la Ligne 21,
ces rites sont prisés à bord des navires espagnols. La fête est un défoulement
et sur les navires, elle prend tout son sens. Promiscuité, danger, instabilité des
éléments créent de vives tensions au sein de l’équipage et dans ces conditions,
on comprend l’importance des fêtes : exutoires qui garantissent l’harmonie
sociale. À bord du Galion de Manille, par exemple, on se détend lors d’une
soirée agréable qui se déroule sous le feu de petits lampions. Gemelli Careri
décrit ainsi une soirée de comedias et de danses « exécutées sur-le-champ », au
ravissement de l’équipage et des passagers 22. La tauromachie est parfois associée
aux célébrations religieuses 23. Lorsque les hommes prennent la mer, toutefois,
ils ne peuvent organiser les combats et optent donc pour des simulacres de
corridas. Pour le 3 mai 1640, jour de la Croix, on organise à la fin des célébrations

18 Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas, edición crítica de las obras del
padre Antonio Sepp, Buenos Aires, Eudeba Editorial Universitaria de Buenos Aires, 1971,
p. 148.
19 Bartolomé Bennassar, L’Homme espagnol…, op. cit., p. 130. Des célébrations religieuses,
comme le Corpus Christi ou les transferts de reliques, sont ainsi prétexte à la danse en
Espagne.
20 Robert Muchembled, Culture populaire…, op. cit., p. 124.
21 Passage de l’équateur ou du tropique.
22 Giovani Francesco Gemelli Carreri, Voyage…, op. cit., p. 46.
23 Bartolomé Bennassar, L’Homme espagnol…, op. cit., p. 126.

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religieuses une joute simulant le combat taurin sur le pont du navire 24. Le jeu
des taureaux revêt en Espagne, on le sait, un caractère solennel, mais sur les
flots, la mise en scène de la course devient burlesque. Des hommes miment les
animaux, d’autres combattent de façon ridicule et le spectacle réjouit le plus
grand nombre. Ce détournement d’une fête espagnole prend une dimension
particulière, car cette parodie revêt différentes fonctions. Elle permet d’imiter de
valeureux combats et de les dépasser en vaillance, ou a contrario, de s’en moquer
de façon plus ou moins grossière. Dans tous les cas, elle offre un divertissement
de choix et laisse place à la joie et au défoulement. Les combats de coqs auxquels
assiste Gemelli Careri font également partie des distractions. C’est en Asie que
cette coutume est très répandue, mais il ne faut pas oublier qu’en Espagne,
les courses de coqs sont aussi prisées. Cet animal, symbole de vie, combat la
mort et les démons 25 et c’est pour cette raison que les affrontements de coqs
représentent une lutte contre les forces du mal. Cet événement puise ses origines
dans le folklore indo-européen et asiatique et trouve sa pleine expression sur les 193
océans. Gemelli Careri, pourtant peu sensible à ce combat animalier, écrit :

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


Nous passâmes les heures ennuyeuses de la journée à voir combattre des coqs,
dont le vaisseau était rempli ; mais je payai cher ce plaisir parce qu’on ne mangea
tout ce jour-là rien autre chose que des coqs 26.

En 1635, lorsque le vice-roi de la Nouvelle-Espagne se rend en Amérique,


on fête le Corpus Christi et les festivités comprennent entre autres des courses
de coqs et des danses d’épées 27. Selon les coutumes de Castille, ces deux
divertissements mêlent célébration religieuse et spectacle profane. Dans un
ensemble de pratiques rituelles ancrées depuis des décennies, ces courses et
danses rappellent l’importance de la fête qui unit ses racines païennes aux
réjouissances religieuses. Mélange de sacré et de profane, les célébrations offrent
à l’équipage et aux passagers un agréable moment 28. Sur les flottes en effet
la vie dure et périlleuse fatigue les hommes. Les angoisses du voyage laissent
alors place aux plaisirs des festivités et permettent un transfert des tensions et
des haines quotidiennes. Dans une société où la fête tient une place à peine

24 Gutiérrez de Medina qui voyage en compagnie du vice-roi décrit ainsi les festivités : « El resto
del día se gastó en saraos delante de la Santa Cruz, con juegos muy ridículos, toros de manta
y caballeros con rejones a lo burlesco, que alegraron toda la nao… ». Cristóbal Gutiérrez de
Medina, Viaje del Virrey…, op. cit., p. 28.
25 Julio Caro Baroja, Le Carnaval (1965), Paris, Gallimard, 1979, p. 87.
26 Giovani Francesco Gemelli Careri, Voyage…, op. cit., p. 38.
27 Museo Naval, Fondo Fernández Navarrete, tomo 2, doc. 17 : « Relación del viaje de Flota que
se hizo a la Nueva España el año de 1635, en que fue embarcado el Marqués de Cadereita
Virrey nombrado de México », fol. 370 : « Por los marineros se celebró con correr […] gallos a
uso de Castilla, acompañose con danza de Espadas ».
28 Robert Muchembled, Culture populaire…, op. cit., p. 125.

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inférieure à celle du travail, on constate la même prégnance en mer. Bravant les
inconvénients de la traversée, tout est mis au service des réjouissances lorsque
le calendrier impose ses dates commémoratives.
Un autre événement se déroule sur les navires qui traversent les océans du bout
du monde. Le passage de la Ligne est un moment chargé de symbole 29 et se
prête au jeu grotesque de la mascarade : une sorte de fête des fous où le ridicule
et la perte des repères hiérarchiques l’emportent. Samuel Eliot Morison suppose
que les Espagnols ne se livrent pas à cette cérémonie et indique d’autre part son
origine médiévale et normande 30. Or on a trouvé le récit de cette fête singulière
à bord d’un vaisseau espagnol. Il navigue sur l’Atlantique en 1728, mais le rituel
de passage de la Ligne semble ancré depuis des décennies. Le jésuite Cat évoque
cette « journée mémorable » durant laquelle les marins espagnols laissent libre
cours à « leur génie romanesque et bizarre » pour célébrer l’événement 31 :
un marin grave à l’air original et burlesque est nommé Président. Il dirige la
194 cérémonie et convoque tous les passagers pour rendre compte des raisons qui
les ont incités à voyager. Toute une mise en scène se prête au spectacle : tapis,
écritoire, chaises, assemblées de matelots et Président forment alors une cour
atypique sur les flots. Dans une ambiance théâtrale, le président condamne
parfois un passager ou un officier à être plongé dans un baquet d’eau. Il existe
naturellement quelques manières d’échapper au supplice en s’acquittant d’une
somme d’argent ou en remettant par exemple des flacons de vin au Président.
Le passage de la Ligne montre l’originalité de ce rituel qui s’apparente à une
symbolique inversée du pouvoir et du baptême 32. Gemelli Careri fait également

29 On a longtemps cru, de l’Antiquité au Moyen Âge, en raison de la théorie des cinq zones,
que l’équateur – la zone torride – était tout à fait inhospitalier et infranchissable. Le mythe
de la zone torride dissuadait les marins de naviguer, on pensait en effet qu’aucun être ne
supporterait la chaleur et que les bateaux s’enflammeraient. W. G. L. Randles, De la terre
plate au globe terrestre. Une mutation épistémologique rapide. 1480-1520, Paris, Cahiers
des Annales, Librairie Armand Colin, 1980, p. 33.
30 Samuel Eliot Morison, The European Discovery of America. The southern voyages. 1492-1616,
New York, Oxford University Press, 1974, p. 168.
31 « Lettre de R. P. Cat, missionnaire de la compagnie de Jésus, de 1729 », dans Lettres édifiantes
et curieuses concernant l’Afrique, l’Amérique et l’Asie (avec quelques relations nouvelles des
missions et notes géographiques et historiques), publiées sous la direction de M. L. Aimé-
Martin, Paris, Mair et Fournier librairies éditeurs, 1841, t. 2, p. 233.
32 Voir également la description du passage de la Ligne dans le récit de voyage d’un flibustier
présenté par Jean-Pierre Moreau. Le ridicule et l’absurde de la cérémonie, unis au baptême des
novices, présentent un spectacle surprenant. Jean-Pierre Moreau, Un flibustier français dans
la mer des Antilles (1618-1620). Relation d’un voyage infortuné fait aux Indes Occidentales
par le capitaine Fleury, Paris, Payot, 1994, p. 73. Dans un récit de voyage anonyme, l’auteur
déclare encore que « ce ne sont que des extravagances et des inepties » et décrit de façon
analogue ces hommes plongés dans un baquet d’eau ou payant le Président pour éviter
l’humiliante cérémonie nommée « Baptême du Tropique ou de la Ligne » (Journal d’un voyage
sur les côtes d’Afrique et aux Indes d’Espagne, avec une description particulière de la rivière
de la Plata de Buenos ayres, et autres lieux, commencé en 1702 et fini en 1706, (anonyme),
Rouen, Machuel, 1723, p. 31).

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mention d’une cérémonie particulière à bord du Galion de Manille. Cette « Cour
des Signes » se déroule lorsque les premiers présages de la terre ferme se font
ressentir et, à l’instar du passage de la Ligne, une comédie burlesque s’organise.
Les matelots prennent possession d’une cloche et, formant un tribunal, jugent
officiers et passagers du vaisseau pour quelques délits dérisoires 33. On constate
là aussi la mise en place d’une cérémonie grotesque dans laquelle les rôles sont
inversés. Ce renversement de la hiérarchie est une fête, un jeu et une sorte de
leçon. Il permet aux plus faibles de l’équipage de faire entendre leur voix et sous
couvert d’un événement festif les rancœurs se libèrent, les plaintes s’expriment
puis s’étouffent dans la joie et l’allégresse du moment.
Bien que les fêtes ne soient pas les seuls moyens d’amusement, elles occupent
une place importante sur les flottes. Lorsque les manœuvres ont été accomplies
et que l’équipage n’a plus de tâches à réaliser, si les festivités n’ont pas lieu, des
moments de détente s’imposent alors. Pour faire passer le temps et arriver plus
vite encore à terre, les hommes s’occupent de diverses manières. 195

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


II- LES DIVERTISSEMENTS

En mer, le travail ne peut être accompli de façon constante, car les aléas maritimes
imposent des rythmes irréguliers. Si les premiers et les derniers jours de navigation
demandent des efforts particuliers, les périodes de traversée sont moins pénibles.
Lorsque le voyage se déroule sans encombre, les tâches s’amenuisent en pleine mer.
Matelots et soldats vaquent alors à leurs occupations et tentent de se divertir. Ils
laissent passer le temps en conversant, en fumant, en jouant ou en lisant.
A- Distractions et passe-temps
1- Les conversations sur le pont

On aime en Espagne discuter, se réunir et bavarder à propos des derniers sujets ou


faits quotidiens. La tertulia est un acte social très répandu sans code ni étiquette 34.
Ces réunions et bavardages de fin de soirée sont donc pratique courante à terre et
par conséquent sur les flottes. À bord des galions espagnols, les hommes aiment
se réunir et discuter sur le pont 35. Diego de Portichuelo décrit à ce propos une fin

33 Giovani Francesco Gemeli Carreri, Voyage…, op. cit., p. 61-63. On accuse ainsi un voyageur
d’avoir trop mangé : sous les traits d’une mascarade, la fête offre en fait un exécutoire de
choix à l’équipage, harassé et parfois plein de rancune, pouvant ainsi condamner de manière
symbolique celui qui les a offensés.
34 Bartolomé Bennassar, L’Homme espagnol…, op. cit., p. 133-134.
35 Hugo O’Donnel rappelle également l’importance de cette activité en mer et précise d’autre
part que les marins ont également pour habitude de s’épouiller lors de leur temps libre : « Las
gentes de mar y la vida a bordo a finales del siglo xv », dans Colón en el mundo que le tocó vivir,
Guillermo Céspedes del Castillo (dir.), Madrid, Real Academia de la Historia, 2007, p. 64.

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de soirée, tandis que les uns jouent, les autres conversent après le repas du soir :
« mientras unos jugaban y otros repartidos en conversación y de guardia, los que les
tocaba velar, entretenían la noche » 36. Il faut bien que le temps s’écoule et il est
agréable de conter ses impressions de voyage, de relater ses expériences passées ou
encore de médire à propos d’un autre. On sait que les mariniers aiment ainsi se
quereller, les joutes verbales sont en effet très prisées sur les vaisseaux 37. Voici une
expression de l’affrontement moins violente que les coups.
Écouter, dire, apprendre sont également des moyens privilégiés de mesurer sa
place en se positionnant par rapport à autrui 38. Comme le rappelle Arlette Farge,
la parole crée une véritable reconnaissance dans un espace collectif et structure
la sociabilité. Dans ces conditions, les mots prennent tout leur sens, ils donnent
de l’importance, mettent au défi, ravissent, blessent et trompent. En 1648, les
paroles échangées entre matelots lors de la traversée du Galion de Manille vont
être lourdes de conséquences 39. Pendant le voyage, les langues se délient, certains
196 médisent et d’autres écoutent. Ainsi, le dominicain Juan de Castro, qui tend
l’oreille sur le pont, apprend que le gardien de son vaisseau est un bigame ; ce
qu’il ne manquera pas de révéler plus tard aux autorités ecclésiastiques  40. Les
conversations sur le pont du navire ne sont pas à l’abri des esprits inquisitoriaux
zélés, en effet, les propos échangés sans méfiance entraîneront immédiatement un
procès à terre. Les mots possèdent une force et les hommes savent en user.
Lorsque les propos ne sont pas orageux, les conversations s’entament entre
hommes assis sur leur coffre en fumant ou en prisant du tabac. Un voyageur
anonyme souligne à ce sujet que « presque tous fument continuellement du
tabac » 41 : il s’agit là en effet d’une nouvelle marque de sociabilité. Francesco
Carletti apporte des précisions et indique que le tabac se prise sous un climat
chaud et sec tandis qu’il se fume sous un climat humide 42. En mer cependant,

36 Diego de Portichuelo de Rivadeneira, Relación del viaje y sucesos que tuvo desde que salió
de la ciudad de Lima hasta que llegó a estos Reinos de España, año de 1657, Buenos Aires,
Biblioteca histórica Iberoamericana dirigida por don Carlos Pereyra, Virtus, 1905, p. 43.
37 Journal d’un voyage…, op. cit., p. 253.
38 Arlette Farge, « Famille. Honneur et secret », dans Histoire de la vie privée…, op. cit., p. 594.
39 Nous tenons à remercier très chaleureusement Takeshi Fushimi qui nous a fourni ce procès
conservé aux Archives générales de la nation du Mexique (AGN).
40 Il affirme ainsi remplir ses obligations de bon chrétien et rappelle les propos entendus en
mer : « viniendo haziendo el viaje […] en el discurso de el oyó dezir al sargento Juan de Vega
[…] = “el guardian desta nao que se llama Juan Martin es casado dos bezes theniendo ambas
mujeres vibas la una en el puerto de Cabite de las Philipinas y la otra en España”… », AGN,
Inquisición, volumen 430, expediente n° 7 : « Juan Martin Guardian de la Nao Nuestra Señora
de la Encarnación que vino este año de las islas Filipinas. Por casado dos veces. Año de
1648 », fol. 252.
41 Ibid.
42 Francesco Carletti, Razonamientos de mi viaje alrededor del mundo (1594-1606), estudio
preliminar, traducción y notas de Francisca Perujo, México, Universidad Autónoma de México,
1976, p. 62.

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on redoute le feu et, pour cette raison, il est interdit de fumer pendant la journée
hormis près des fourneaux 43. Les instructions tentent d’enrayer cette pratique,
mais à l’évidence elles n’y parviennent guère. Lorsque le soldat Gonzalo Sánchez
ne trouve pas le sommeil, il se lève et fume la pipe sur le navire craignant bien
peu de représailles de la part des officiers 44. Les inventaires des matelots et
commandants signalent ainsi cet engouement. On trouve des blagues à tabac de
factures différentes dans leurs effets personnels : indices de première importance,
ces objets finement travaillés et ciselés sont des marques distinctives des gens
de mer. Lorsque le passager Francisco Hoyos meurt sur le galion San Felipe, un
marin rachète immédiatement sa tabatière en bronze 45. Dans l’inventaire des
effets personnels du maître de navire Francisco Crespo de Abreu, on retrouve
un peu de tabac en poudre 46 et dans celui du charpentier Gonzalo Rangel,
quelques cigarettes conservées dans une étoffe et des mouchoirs à tabac 47. Toutes
les catégories professionnelles du monde de la mer adoptent donc cette nouvelle
pratique. 197

2- La musique à bord des galions

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


Sur les navires, on converse, on fume et l’on joue également de la musique.
Les mélodies du pays résonnent ainsi lorsqu’un marin s’empare de sa vieille
guitare, tel Francisco de Argumendo qui joue à ses moments perdus 48. Les
derniers accords d’une vihuela 49 s’élèvent aussi sur le galion Nuestra Señora de
la Limpia Concepción lorsque le greffier prend sa petite guitare pour jouer seul
dans sa cabine 50. La musique fait partie du monde maritime, elle retentit dans
les vaisseaux grâce aux passagers qui, s’ennuyant lors de ces longs déplacements,
jouent également de leurs instruments. Domingo Martín entreprend son voyage
du port du Callao vers la ville d’Arica pourvu de sa guitare 51 et Domingo
del Valle traverse l’Atlantique au son de sa vihuela 52. Mais c’est assurément,
le trompette Jerónimo de Montoya qui possède le plus grand nombre

43 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1626, leg. 93B. Dans les instructions du général Jerónimo
Gómez de Sandoval, on peut lire : « Que no tomen tabaco de dia en parte alguna salvo en el
fogon y que no se tome de noche en ninguna parte ».
44 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1660, leg. 116 : « Auto criminal a bordo en el Galeón Nuestra
Señora del Buen Suceso, contra Cristomo por solicitar a otros hombres ».
45 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1645, leg. 414, n° 2, fol. 6.
46 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1681, leg. 976, n° 1, ramo 3, fol. 7.
47 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1676, leg. 974, n° 3, ramo 5(1), fol. 3 : « lenzuelos
de tabaco, un envuelto con cigarillos ».
48 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609, leg. 290B, n° 20, ramo 1, fol. 16.
49 La vihuela est un instrument espagnol à cordes pincées de la même famille que la guitare.
Elle est très en vogue au xviie siècle avant d’être supplantée par la guitare.
50 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 543, n° 2, ramo 1, fol. 9.
51 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 352, n° 1, ramo 8, fol. 31.
52 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1689, leg. 463, n° 5, fol. 15.

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d’instruments. Musicien de profession et mélomane, il transporte ainsi une
flûte, un basson, un instrument de ténor et un clairon 53. Les missionnaires
embarquent également des flûtes, des théorbes, des tambours et des trompettes
pour apprendre aux marins et aux esclaves à jouer de ces instruments. Le
père Antonio Sepp est ainsi satisfait des progrès réalisés par ses élèves lorsqu’il
navigue vers Buenos Aires 54, il enseigne en effet aux esclaves le maniement de
la trompette. De la part d’un jésuite, il convient de souligner que cette activité
n’a rien de surprenant, car, dès son arrivée dans la mission, il occupera son temps
libre de la même façon en offrant aux plus habiles la possibilité d’apprendre la
musique 55. La traversée dans ce contexte se présente comme l’ébauche du travail
à réaliser sur le continent. La tâche consiste à étendre sans cesse la frontière de la
civilisation et de la chrétienté 56, et la musique en est un exercice. Les activités
musicales trouvent donc leur place sur les flottes et nombreux sont les matelots
et esclaves à profiter de ce divertissement.
198
3- Les récits et les lectures du voyage

Dans ce même élan missionnaire, les jésuites offrent d’autres distractions et


savent fasciner matelots et esclaves en leur racontant d’émouvantes histoires
saintes. En touchant leur sensibilité, un premier pas est franchi et la voie de
la conversion s’ouvre alors plus facilement à eux. Antonio Sepp aime ainsi
faire le récit de quelques vies exemplaires et émerveille les femmes esclaves
de son vaisseau en leur montrant la Vierge noire d’Altoetting. Il se plaît
à raconter de quelle façon elles s’arrachent alors l’image et la vénèrent 57.
D’autres missionnaires organisent d’édifiantes réunions au cours desquelles ils
expliquent aux matelots, soldats et esclaves « les mystères de leur sainte foi » :
le père Hernando de Padilla agrémente ainsi chaque jour de la traversée du
Panama au Callao en faisant le récit de vies exemplaires 58. L’assistance attentive

53 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1603, leg. 931, n° 1, fol. 17.
54 Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas…, op. cit., p. 148 : « aprendían a
tocar sus instrumentos cada día mejor… ».
55 Voir par exemple l’article de Bernd Hausberger à propos des différents enseignements
proposés dans les missions jésuites du nord-ouest mexicain : « Vida cotidiana en las misiones
jesuitas en el noroeste de México », Iberoamericana. América Latina – España – Portugal,
n° 5, Berlin, Instituto Ibero-Americano, 2002, p. 126.
56 Johan Verberckmoes, « Les émotions et le passage : jésuites flamands et wallons au
Nouveau Monde, xviie-xviiie siècles », dans Pasar as Fronteiras. II Colóquio Internacional sobre
mediadores culturais – Séculos xv a xviii, Rui Manuel Loureiro & Serge Gruzinski (dir.), Lagos,
Centro de Estudios Gil Eanes, 1999, p. 63.
57 « Besaron y veneraron la imagen […] cada una de estas negras como carbón quería guardar
la pequeña imagen para sí… », Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas…,
op. cit., p. 143.
58 RAH, Papeles de Jesuitas, tomo CXXIX, años de 1628-1629, « Relación del viaje del padre
Hernando de Padilla… », op. cit., fol. 553 : « Luego se explicaba algunos misterios de

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écoute, émerveillée, ces histoires sacrées et se délecte d’aventures fabuleuses.
C’est à la demande des hommes du navire que le père Diego de Bobadilla
et son compagnon Simon de Cota content aussi des récits exemplaires aux
marins 59. Le père Antonio Sepp décrit avec précision ces moments privilégiés
avec l’équipage. La scène s’adapte en toute simplicité au contexte maritime, sa
chaire n’est autre qu’une amarre enroulée et son auditoire assis à ses pieds, juché
sur les mâts ou posté sur les ancres attend impatiemment le récit extraordinaire
du père Benedictus. Mousses, marins, soldats et esclaves se réjouissent de ces
histoires saintes et aiment encore suivre avec attention le récit du Saint-Empire
et de l’Allemagne raconté avec tant de passion par le jésuite tyrolien 60. Dans
une ambiance presque infantile, le missionnaire offre une vision simple et
joyeuse de ces événements pourtant pleinement consacrés à l’évangélisation 61.
Mais les hommes se plaisent à entendre les fables mystiques chargées ou non
d’un sens moral : ils apprécient ces moments de détente et d’évasion. Pour
les missionnaires, le navire représente indéniablement un espace en marge du 199
temps et certains y voient même un lieu symbolique prédisposé à l’exercice de

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


leurs fonctions. Dans un élan utopique, ces lectures saintes et ces réunions les
animent d’une profonde joie et leur permettent de mettre en place une première
évangélisation avant de s’aventurer sur le continent américain 62.
Les divertissements alternent donc entre exercices religieux et délassement
profane. La lecture est à ce titre une distraction de choix couvrant des domaines
variés et servant différents centres d’intérêt. Collective, elle permet tout d’abord
au plus grand nombre d’écouter les récits fantastiques ou sacrés d’un lecteur
averti. En effet, si les lettres et leur usage restent encore réservés à un petit
nombre, le partage de cette connaissance se diffuse facilement. La lecture à
haute voix permet, entre amis ou compagnons, de partager des liens essentiels
de sociabilité 63. Cette union littéraire, ce voyage imaginaire rassemble alors

nuestra santa fe, o algo de los mandamientos, concluiendose el razonamiento con buenos
y provechosos ejemplos… ».
59 Museo Naval de Madrid, Fernández Navarrete, tomo 2, doc. 20 : « Viaje desde Cadiz a la
Nueva España de los Padres Diego de Bobadilla… », op. cit., fol. 385.
60 Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas…, op. cit., p. 147.
61 L’évangélisation des gens de mer n’est pas aussi évidente que celle des esclaves. En effet,
comme le rappelle Alain Cabantous, les gens de mer sont des sujets du roi, baptisés de
l’Église, mais restent à catéchiser. Voir son article : « Les finistères de la Catholicité. Missions
littorales et construction identitaire en France aux xviie et xviiie siècles », dans Mélanges de
l’École française de Rome, t. 109-2, Rome, École française de Rome, 1997, p. 664.
62 Johan Verberckmoes souligne à ce propos l’importance de la dimension émotionnelle. En
effet, les jésuites n’hésitent pas à faire partager leurs sentiments, évoquent les joies et les
peines de leur travail. C’est une première frontière qu’ils franchissent lorsqu’ils naviguent
en mer confrontés aux expériences de la traversée. Johan Verberckmoes, « Les émotions et
le passage... », art. cit., p. 65.
63 Roger Chartier, « Les pratiques de l’écrit », dans Histoire de la vie privée…, op. cit.,
p. 113‑161.

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les hommes et leur ouvre conjointement de nouveaux univers fantastiques.
Les témoignages sont rares, mais on sait qu’en 1582, à bord du navire Santa
María de Arratia, le passager Alonso Almaraz lit la vie de San Luis à différentes
personnes 64. À la demande de l’équipage, le passager livre donc les secrets que
renferme son ouvrage et partage sa pieuse lecture 65. L’ennui et la longue attente
en mer invitent ainsi les hommes à communier dans une expérience littéraire et
à s’évader de la réalité maritime. Mise en abîme intéressante, le voyage en mer
se double alors d’un voyage imaginaire.
En 1582, à bord du vaisseau La Trinidad qui navigue vers la Nouvelle
Espagne, on lit un livre de chevalerie, mais aussi un Rosario Espiritual, una
Silva de varias lecciones et un Oratorio 66. En effet, sur chaque navire, les repas
du soir sont ponctués de pieuses lectures. Comme le rappelle le père Hernando
de Padilla 67, on choisit même certains ouvrages en fonction de la situation 68. Si
des lectures collectives s’organisent à bord, il reste assez difficile de les évoquer,
200 car les sources sont peu nombreuses et émanent par ailleurs de missionnaires
désireux de mettre en exergue leur mission d’évangélisation. Quoi qu’il en soit,
ces lectures pieuses instaurent une relation renouvelée avec la religion sur les
flottes et touchent la sensibilité des gens de mer fragilisés par le périple de
la traversée. Troublé, à l’instar des matelots par le voyage et par ses dangers,
un passager déclare : « croyez-moi ; je le sais par expérience. Quand on est
continuellement environné de périls, on a bien de la peine à ne pas se rendre à

64 Lorsque l’Inquisition procède à la visite du bâtiment dans le port de San Juan de Ulúa, un
témoin déclare : « El pasajero Alonso Almaraz estaba un día leyendo la vida de San Luis y
desde entonces hacían que les leyera », dans Carlos Alberto González Sánchez, Los Mundos
del Libro. Medios de difusión de la cultura occidental en las Indias de los siglos xvi y xvii, Sevilla,
Universidad de Sevilla, 1999, p. 109. Information tirée de l’ouvrage de Francisco Fernández
del Castillo, Libros y libreros en el Siglo xvi, México, Fondo de Cultura Económica, 1982.
65 Antonio Castillo Gómez a réfléchi sur les modalités de lecture en communauté et s’est
intéressé aux groupes de lecteurs morisques ou de femmes dans les couvents. En mer,
on constate que ces réunions littéraires permettent de la même façon aux hommes de
communiquer et de partager des expériences littéraires et spirituelles qui les unissent le
temps d’un récit. Antonio Castillo Gómez, « Leer en comunidad. Libro de espiritualidad en
la España del Barroco », Via Spiritus, ano 7, Porto, Centro Inter-Universitário de História da
Espiritualidade da Universidade do Porto, 2000, p. 99-122.
66 Francisco Fernández del Castillo, Libros y Libreros…, op. cit., p. 390. Il utilise des visites
effectuées par l’Inquisition dans les ports américains et retranscrit une partie de la
documentation.
67 RAH, Papeles de Jesuitas, tomo CXXIX, años de 1628-1629, « Relación del viaje del padre
Hernando de Padilla… », op. cit., fol. 552.
68 Ibid. « Se seguía el comer sin que a la mesa faltase un dia de leccion de un libro devoto que
para este […] se escojió un tratado no menos erudito que provechoso por el Padre Alonso
de Sandoval de Instauranda Aethiopum Salute particularmente el tercer libro que trata de
los ministros de esta jente instruyendo con documentos practicos a nuestros obreros en el
modo que con semejantes han de guardar para su catesismo baptismos y otra materia... ».
L’ouvrage imprimé à Séville en 1627 a également pour titre, Naturaleza, policia sagrada i
profana, costumbres i ritos, disciplina i catechismo evangelico de todos los etiopes.

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la voix de Dieu » 69. Les lectures religieuses en mer recouvrent donc différentes
fonctions puisqu’elles représentent de prime abord un divertissement de
choix pour l’équipage, mais servent également la pratique de catéchisation des
missionnaires ; ces derniers utilisent avec subtilité les conditions précaires du
voyage et orientent ainsi craintes et espoirs des gens de mer vers une religion
attentive et salvatrice.
La lecture individuelle, nouveau refuge de l’intimité, pourrait se préserver des
choix imposés par les élites dominantes, mais dans un navire où la promiscuité a
raison de chacun, cette occupation solitaire est parfois sujette à discussion. Ainsi,
à bord du vaisseau La Candelaria, un jeune étudiant passe son temps à lire la vie
de Jules César sous le regard méfiant des autres passagers et officiers. Dans cette
ambiance confinée, rien n’échappe aux hommes et ces derniers lui demandent
alors pour quelle raison il ne lit pas la vie de saint François, « car lui au moins
était chrétien » 70. Une atmosphère de suspicion s’installe, puis un différend éclate
sur le bâtiment. En quête d’une quelconque querelle, on dénonce alors le jeune 201
homme soupçonné dans sa foi dès son arrivée dans le port 71. D’autres passagers

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


plus prompts à obéir jettent leurs livres à la mer dès qu’ils apprennent que ces
derniers sont mis à l’Index. Deux oratorios espirituales interdits par le Saint-
Office sont ainsi engloutis dans les flots de l’Atlantique 72 ; différents ouvrages
de entretenimiento et deux livres d’heures connaissent encore le même sort 73.
Grâce aux informations conservées dans les Visitas inquisitoriales, on observe
quelques pratiques de lecture en mer. Toutefois, les renseignements apportés
dans les documents s’amenuisent au fil des ans. Dans les visites inquisitoriales
américaines menées au xviie siècle, seules quelques données concernant les
ouvrages littéraires embarqués sur les navires ont été conservées. La procédure
inquisitoriale semble en effet devenir de moins en moins exigeante et des
formulaires identiques sont remplis pour chaque navire 74. On reconnaît juste
une écriture différente lorsque le nom du vaisseau y est inscrit 75. Pour les 25
navires qui ancrent dans le port de San Juan de Ulúa en 1619, après deux mois

69 Journal d’un voyage…, op. cit., p. 24.


70 Carlos Alberto González Sánchez, Los Mundos del Libro…, op. cit., p. 109. Information tirée
de l’ouvrage de Francisco Fernández del Castillo.
71 Ibid.
72 Francisco Fernández del Castillo, Libros y Libreros…, op. cit., p. 414. À bord du navire Santa
Catalina qui voyage vers le port de San Juan de Ulúa on apprend que : « Dos pasajeros traían dos
oratorios espirituales, pero cuando les dijeron que estaban prohibidos, los echaron al mar ».
73 Ibid., p. 434.
74 Nous tenons à remercier Takeshi Fushimi qui nous a fourni ces documents conservés aux
Archives générales de la nation du Mexique et plus précisément cette visite complète datant
de 1619.
75 AGN, Inquisición, volumen 324, expediente n° 1 : « Visitas de las naos desta presente flota
General don Lope de Oces que surgió en este puerto en veinte y quatro de Agosto de 1619
Años », fol. 19. Dans cette visite, l’espace vide laissé pour indiquer le nom du capitaine

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de traversée transatlantique, pas une seule visite n’indique la présence de livres
hérétiques ou pour le moins suspects. La procédure inquisitoriale se déroule
avec la plus grande diligence et les formulaires, rédigés à l’avance, constatent
d’emblée qu’aucune infraction n’a été commise. Dans un souci de rapidité,
les autorités inquisitoriales, moins zélées qu’auparavant, laissent donc pénétrer
des ouvrages en Amérique sans opposer un véritable contrôle. Leonard Irving a
déjà constaté ce phénomène et indique à ce propos que l’Inquisition américaine
effectue ces démarches administratives sans appliquer les décrets royaux qui
interdisent l’importation d’ouvrages de chevalerie 76.
Afin de connaître de façon plus précise les goûts littéraires des passagers et des
gens de mer, la source documentaire des Autos de Bienes de Difuntos dévoile alors
sa richesse. Les inventaires des défunts livrent en effet le nombre d’ouvrages
détenus et parfois le titre et l’auteur. Toutes sortes de manuels, de missels, de
traités, de romans ou de livres d’heures en espagnol ou en latin apparaissent.
202 Loin des contrôles inquisitoriaux, des ouvrages interdits font leur apparition
dans les coffres des marins et des passagers, d’autres à caractère pieux sont encore
découverts parmi les effets personnels des gens de mer.
Les livres d’heures sont tout d’abord les ouvrages les plus prisés. Ils surgissent
au fil des inventaires de marins, de soldats, de contremaîtres, de pilotes ou
d’officiers militaires. Support matériel d’une spiritualité, ils revêtent une
importance singulière en mer, car ils permettent non seulement à leurs
détenteurs de prier, mais ils prennent encore la forme d’objets à caractère
sacré. Comme des talismans, ces livres dont l’usage reste très répandu,
sont particulièrement affectionnés sur les navires. Le support physique du
livre peut ainsi revêtir une valeur conjuratoire et, grâce à son intermédiaire
matériel, une médiation spirituelle s’instaure entre le détenteur de l’ouvrage
et les Cieux. Même s’il n’est pas lu, le livre, conservé précieusement, se
présente sous la forme d’un objet sacré et parfois didactique lorsqu’il recèle
des illustrations 77. Parmi les ouvrages recensés dans notre travail, citons par
exemple les deux livres d’heures de belle facture que le capitaine d’infanterie
Juan Cerdán conserve : l’un est orné d’une couverture dorée et l’autre d’un
rabat noir 78. Ces livres, précieux et appréciés, sont des objets raffinés et se

de vaisseau s’avère trop important et le texte rédigé à l’avance présente donc un blanc
caractéristique.
76 A. Leonard Irving, Los libros del Conquistador (1949), México, Fondo de Cultura Económica,
1959, p. 161.
77 Carlos Alberto González Sánchez, Los Mundos del Libro…, op. cit., p. 75. Pierre Civil insiste
aussi sur le rôle de l’image dans les livres de méditation et rappelle que certaines dévotes
analphabètes contemplent les dessins des ouvrages afin de se livrer à l’exercice d’oraison
mentale (Pierre Civil, Image et dévotion dans l’Espagne du xvi e siècle : le traité Norte de
ydiotas de Francisco Monzón (1563), Paris, Presse de la Sorbonne, 1997).
78 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 495, n° 1, ramo 16, fol. 4.

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rachètent facilement lorsque leur détenteur meurt. Un livre d’heures doré
est ainsi revendu pour la somme de douze réaux et un autre plus sobre de
couleur noire pour six réaux en 1602 à Portobelo 79. Sans conteste, ces livres
de dévotion passent de main en main sans grande difficulté et d’autant
plus en Amérique où l’on souhaite acquérir des objets cultuels et culturels
espagnols qui parviennent difficilement aux confins du monde occidental.
Cet engouement pour les livres d’heures reste sans comparaison. Lorsqu’un
matelot possède un ouvrage, il s’agit presque toujours d’un livre de dévotion.
Le marinier Alonso Martín Sevillano travaille sur le navire Nuestra Señora de
Aranzazu et possède ainsi un vieux livre d’heures, transporté, lu et manipulé
au gré des multiples traversées 80. Juan Gregorio, matelot à bord du galion
Capitana en 1628, se contente également d’un ouvrage unique, « unas oras
viejas », dont l’aspect usé rappelle la vie mouvementée du livre 81. Il passe de
main en main et se revend pour la somme de deux réaux lorsque le marin
décède 82. Parmi ses maigres biens, le marin Manuel Francisco conserve 203
aussi dans son coffre « unas oras » et un livre de comptes 83. Cet ouvrage de

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


dévotion symbolise la prégnance de la religion sur les flottes et au-delà de
ses pieuses visées, on peut supposer qu’il devient tout du moins un objet
personnalisé de protection 84. En mer, le livre de dévotion revêt en effet un
usage symbolique très fort puisque la présence permanente du danger exacerbe
le besoin de sécurité. Dans une quête spirituelle et salvatrice, les hommes
aiment s’entourer d’objets à caractère pieux aux vertus réconfortantes.
L’Église a longtemps lutté contre les pratiques magiques et naturellement
cette présence écrasante des livres d’heures dans les coffres des gens de mer
marque cette nouvelle conquête post-tridentine. La Contre-Réforme impose
de nouveaux repères, de nouvelles formes de protection et le livre d’heures en
est la parfaite illustration. La simple possession de ce texte religieux donne
dès lors l’impression à son détenteur d’être protégé contre le malheur. C’est
en partie pour cette raison que l’on découvre parfois des livres d’heures
détenus par des analphabètes. Le marin Pedro Noguera, incapable de signer

79 Ibid., fol. 8-9.


80 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1619, leg. 949, n° 1, ramo 4, fol. 13 : « unas oras
viejas ».
81 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1630, leg. 957, n° 1, ramo 4, fol. 18.
82 Ibid., fol. 23.
83 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1612, leg. 308, n° 5, fol. 10 : « unas oras y libro
de memoria con su cubierta ».
84 Rita Marquilhas, « Orientación mágica del texto escrito », dans Escribir y leer en el siglo
de Cervantes, Antonio Castillo Gómez (comp.), Barcelona, Gedisa editorial, 1999, p. 116.
L’historienne démontre ainsi que les livres d’heures, dont la diffusion au xvie et au xviie siècle
autorise de nouvelles formes d’oraison silencieuse, revêtent par ailleurs des fonctions de
protection.

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son testament, en possède par exemple 34, mais au vu du nombre important
d’ouvrages de dévotion, on imagine que le marinier a plutôt l’intention de
les revendre 85. Les livres de dévotion font bien sûr l’objet d’un commerce à
l’arrivée des flottes.
Passagers et officiers possèdent également ces petits livres d’heures, mais ne
s’adonnent pas uniquement à ces lectures religieuses. En effet, la possession
d’ouvrages signale fréquemment d’autres types de références littéraires. Pour
se délasser, le passager Francisco de Hoyos détient un livre de comedias, Las
persecusiones de Jusinda 86, et Juan Adame de Santana, passager corredor de
lonja, lit l’Histoire de l’Espagne de Juan de Mariana et un Flos Sanctorum de
Villegas 87. Les vies édifiantes des saints représentent un nouveau genre littéraire
très apprécié au xviie siècle et mis en vogue par les nouvelles directives de la
Contre-Réforme. Ces récits exemplaires exaltent la piété de ses héros et les
transforment en paradigmes 88. Exemples à suivre, nouveaux personnages
204 dignes des meilleurs récits de chevalerie, l’épopée de ces saints captive alors les
lecteurs de l’Époque Moderne. Nicolás de las Infantas y Venegas voyage ainsi
vers l’Amérique muni de nombreux ouvrages dont La Vida de San Pedro Pascual
et un livre d’hagiographie parmi tant d’autres 89.
Ces lectures dévotes sont à la mode. La religion inspire les auteurs et les
lecteurs sont avides de ce genre littéraire. Celui qui marque son époque reste
naturellement le livre de dévotion et le manuel du bon chrétien de Luis de
Granada. Ainsi, l’ouvrage Guía de Pecadores retrouvé dans la malle du passager
Juan de Montvalvo en atteste 90 ; le petit livre de dévotion du même auteur
détenu par le gardien de navire Sebastián Luis 91 et celui intitulé Ejercicio
Espiritual en possession du greffier, Antonio de Alvarado 92, le confirment
encore. Luis de Granada est en effet un auteur populaire car ses livres sont
aussi bien lus dans le milieu des élites que dans les sphères les plus humbles de
la population. La diffusion de ses ouvrages dans l’Europe catholique puis dans
l’Amérique hispanique permet d’instaurer les idéaux de la Contre-Réforme
tout en laissant le lecteur méditer pour atteindre un état de grâce 93. Son
livre Oración y meditación est même considéré comme un authentique best-
seller. Dans une étude réalisée sur les embarquements de livres en direction

85 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 264, n° 1, ramo 8, fol. 7-8.
86 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1645, leg. 414, n° 2, fol. 4.
87 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 335, n° 3, fol. 30.
88 Carlos Alberto González Sánchez, Los Mundos del Libro…, op. cit., p. 93.
89 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1675, leg. 558, n° 4, ramo 1(5), fol. 18.
90 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1624, leg. 360, n° 2, ramo 1, fol. 4 : « Un librillo
yntitulado guia de pecadores de fray luis de granada ».
91 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1612, leg. 306, n° 12, fol. 4.
92 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 274B, n° 2, ramo 2, fol. 1.
93 Carlos Alberto González Sánchez, Los Mundos del Libro…, op. cit., p. 86.

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de l’Amérique, pour l’année 1605, cet ouvrage représente 44 % des livres
religieux 94. Cet engouement se retrouve naturellement chez les marins et les
passagers qui détiennent dans leur coffre manuels, livres d’heures ou exercices
spirituels écrits de sa main.
Les passagers ecclésiastiques embarquent quant à eux le plus grand
nombre d’ouvrages. À caractère religieux, ces livres servent leurs obligations
professionnelles et répondent à leur curiosité intellectuelle. Le futur président
de l’audience de Quito quitte le port de Séville en 1675 pour se rendre aux
Indes exercer sa charge. Prêtre de formation, il embarque des dizaines de caisses
de livres parmi lesquels les ouvrages religieux prédominent : des œuvres de fray
Manuel Rodríguez, la Vie du père Luis de Medina, les Instructions du Saint-Office,
un missel, un bréviaire, la Vie de fray Pedro Hurraca et bien d’autres livres en
latin 95. Les goûts de ce passager ne se réduisent pas à ce seul centre d’intérêt : il
apprécie également la poésie, les romans et l’Histoire. On recense ainsi dans ses
bagages les œuvres de Góngora, plusieurs tomes de Cervantès et des ouvrages 205
consacrés à la Vierge de Copacabana et à la législation – Historia de la Virgen de

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


Copacabana, Castilla Política et La Nueva Recopilación 96.
Au xviie siècle, ces hommes quittent leur patrie, abandonnent leurs modes
de vie, mais voyagent en compagnie de leurs livres, fidèles supports affectifs et
intellectuels. En 1650, lorsque le nouveau fiscal de l’audience de Manille écrit
à son ami et relate la traversée de l’océan Pacifique, un sentiment de profonde
tristesse transparaît. Arrivé aux Philippines, il explique qu’une partie de ses vivres
et un lot de 34 caisses ont été engloutis lors d’un ouragan. Affligé, il écrit ces
mots : « con la perdida de mis libros se me acabaron todas mis curiosidades… » 97.
Francisco de Olivares, religieux mercédaire et visitador de la Province de Santo
Domingo, revient en Espagne une fois sa mission accomplie. Comme ses confrères,
il a pris soin de s’entourer de plusieurs ouvrages lors de son périple : le premier
tome de Baeza, les Évangiles, l’Advierto de Castañeda et différents sermons 98.
En nombre moins important que ceux du fiscal de Manille, on devine pourtant
une pratique de la lecture soutenue à bord du vaisseau puisque chaque ouvrage
est inventorié dans le coffre de l’ecclésiastique au beau milieu de ses vêtements,
à portée de mains. D’autres lectures procurent aux passagers et aux gens de mer
un divertissement de choix : les récits d’aventures comme ceux de Cervantès
occupent ainsi une place significative. Dès 1608, don Rodrigo Muñoz de la Vega,

94 Ibid., p. 85.
95 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1675, leg. 558, n° 4, ramo 1(5), fol. 16-22.
96 Ibid.
97 AHN, Diversos, leg. 27, doc. 15 : « Carta de don Francisco de Samariego Tuesta en Manilla a
Juan Diez de la Calle. Año de 1650 », fol. 1.
98 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1646, leg. 967A, n° 1, ramo 4, fol. 3.

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qui se rend à Carthagène, lit Don Quichotte pour occuper son long voyage 99 tout
comme Bernardo de Morales à bord du navire Nuestra Señora de Regla plus de
soixante ans après 100. La Picaresca, genre littéraire qui séduit le public lecteur
en quête d’aventures, occupe finalement une place réduite dans les inventaires
des passagers et des gens de mer. Le Guzmán de Alfarache de Mateo Alemán
est seulement mentionné dans l’inventaire du passager don Rodrigo Muñoz de
Vega, adepte des œuvres de divertissement puisqu’il possède encore un livre de
comedias 101. Étonnement, la présence de la littérature picaresque ne prédomine
pas dans la catégorie des lectures profanes. Il est vrai que les greffiers ne décrivent
pas toujours avec exactitude les livres qu’ils inventorient. Par manque d’intérêt,
par souci de discrétion ou par ignorance, ils notent par exemple : « 84 libros chicos
y grandes de quartilla y menores de diferentes leyendas »  102. Seule la valeur
marchande des ouvrages semble ici retenir leur attention. Lorsque le sous-officier
d’artillerie Francisco Romero meurt en mer, le greffier n’apporte que ces maigres
206 renseignements concernant les livres du défunt : « deux vieux livres », n’accordant
à l’évidence aucune importance à ces vieux bouts de papiers jaunis et défraîchis
par l’air marin 103. Un peu plus zélé, le greffier du navire Nuestra Señora de las
Nieves mentionne dans l’inventaire des biens du porte-drapeau, Pedro Bueno de
la Hoz, six livres neufs de lecture, puis dans un élan intéressé « un libro de Santa
Gertrudis, un libro de lugares comunes y un libro de los Trabajos de Persiles » 104.
À bord du vaisseau Santa Teresa, plus pragmatique, le greffier note avec précision
l’existence de deux livres « pour lire » comme biens du capitaine défunt, Juan de
Usagre 105. Ces précisions indiquent à n’en point douter, la distinction qu’il faut
établir entre les livres dédiés à la lecture et ceux consacrés à l’écriture comme les
livres de comptes.
La présence des livres dans les inventaires des passagers, des gens de mer et
de guerre révèle donc des pratiques de lecture individuelle, un choix prononcé
pour le livre d’heures et souligne encore l’absence d’ouvrages de chevalerie.
Au xviie siècle, ces aventures fabuleuses projetant le lecteur dans un passé
glorieux ne semblent plus attirer de la même façon le public. En mer, les
tourments de la navigation incitent plutôt les hommes à se réconforter par
le biais de lectures dévotes. On aime se divertir sur les flots, mais l’aventure
est déjà bien assez éprouvante. La lecture de romans ne semble donc pas
séduire les lecteurs des flottes des Indes. Tournés vers le futur, ils préfèrent

99 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 1, ramo 9, fol. 7.
100 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1651, leg. 968, n° 3, ramo 27(1), fol. 22.
101 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 1, ramo 9, fol. 7.
102 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 353, n° 5, fol. 17.
103 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 302, n° 3, ramo 2, fol. 9.
104 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1631, leg. 380, n° 1, ramo 6, fol. 2-4.
105 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1639, leg. 397A, n° 1, ramo 4, fol. 3.

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des ouvrages didactiques aux récits de fiction. Seul un Amadís de Gaula est
ainsi recensé dans le coffre du passager Pedro de Rueda 106 en 1612, alors
que ce genre littéraire éveille toujours en Amérique l’intérêt de nombreux
lecteurs.
Lire en mer est finalement un privilège, car si l’on recense de nombreux
ouvrages dans les coffres des marins et des passagers, l’on constate principalement
la présence de livres d’heures. Lire pour se divertir ou pour profiter d’un ouvrage
profane reste donc une pratique assez élitiste. En revanche, lire pour se protéger,
détenir un ouvrage pour s’attirer les faveurs célestes semble davantage séduire
marins et passagers.
B- Jeux de hasard et pêches punitives

D’autres divertissements occupent passagers, gens de mer et soldats. Lors


des longues traversées, les jeux de cartes et de dés sont très prisés. Interdits par
diverses ordonnances lorsque des sommes d’argent sont mises en jeu  107, les 207
prohibitions restent inappliquées. Sur chaque galion ou vaisseau, les marins et

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


les soldats s’adonnent aux jeux de hasard, misent des sommes d’argent et laissent
filer le temps. Sur les coffres, en guise de tables de jeux, les espoirs de fortune
s’envolent et les haines se déchaînent. On laisse toutefois matelots, soldats et
officiers se livrer à ces jeux qui permettent d’exprimer leur agressivité ou tout
simplement de se divertir.
1- Les jeux de hasard

Le marin Bartolomé Monge détient ainsi deux vieux jeux de cartes qu’il a
de toute évidence maintes fois utilisées. Usées et écornées, elles sont pourtant
rachetées par l’alguazil du navire pour deux réaux 108. Tout le monde s’adonne
à ces jeux et le capitaine de navire Juan de Ojeada fait encore partie de ces
aficionados. Il possède six jeux de cartes 109, et le greffier royal de navire Sebastián
de la Reta en conserve plusieurs douzaines 110. On joue sur le navire en disposant
les cartes sur un coffre et en entamant une partie lorsqu’aucune manœuvre
ni tâche n’est requise par le contremaître. Au xviie siècle, on aime jouer à

106 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 514, n° 1, ramo 11, fol. 8.
107 Les instructions sont formelles : « Los Generales y Almirantes y demás Cabos de las Armadas
y Flotas no permitan, ni dissimulen juegos en sus Vajeles… », dans Recopilación de las Leyes
de los Reynos de Indias (1681), Madrid, Ediciones Cultura Hispánica, 1973, lib. IX, título XV,
ley LI.
108 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 333, n° 2, fol. 2.
109 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1682, leg. 562, n° 2, ramo 3, fol. 6 : « seis
varajas de naipes ».
110 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos , año de 1600, leg. 257A, n° 2, ramo 6, fol. 2.

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l’hombre 111 et Nicolás de Larraspuru, ne se lassant pas de ce divertissement
onéreux, se livre au jeu sur la dunette d’arrière en misant des pesos à tout va 112.
Le porte-drapeau Damián de Castro s’adonne également à cette occupation
avec don Luis de Casal assis tranquillement sur le coffre d’un marin, ce qui
n’est pas pour plaire à ce dernier 113. Près des fourneaux, le marin Antonio
Rodríguez a aménagé un espace sur une malle et bataille avec un compagnon à
las quinolas 114. Ce divertissement est alors interrompu par le contremaître qui,
las de ces jeux, leur ordonne de monter sur le pont travailler 115. Chaque recoin
du navire se voit donc investi par les joueurs invétérés. À la proue du galion
Capitana, en 1625, deux marins se trouvent encore, cartes en mains, en train
de se divertir lorsque le gardien leur ordonne de se mettre au travail : injonction
à laquelle ils s’opposent 116. Le refus montre la place significative qu’occupent
les jeux sur un navire, véritables exutoires : ils offrent en effet la possibilité de
se mesurer à un adversaire.
208 Les dés sont un autre passe-temps prisé en mer. On transporte facilement
ces petits objets qui se glissent dans une poche à l’abri des regards. Nicolás
de Larraspuru aime de toute évidence faire des paris et mise sans compter.
Lors de sa dernière traversée, en 1638, il dépense plus de 30 pesos aux dés
et se trouve également redevable de la somme de 83 pesos pour avoir perdu
contre Juan Rodríguez 117. Imperturbable, le jeune homme dépense sa fortune
et ne semble guère accorder d’importance à ses dettes. En 1611, c’est un
passager portugais qui perd plus de 1 020 pesos 118. Cette activité n’est plus,
dans ce cas, un passe-temps, elle s’apparente davantage à un besoin inassouvi
de gain. La passion rencontrée dans ces pratiques ludiques incite les autorités

111 « Hombre : Jeu de cartes d’origine espagnole, introduit en France sous Henri IV et qui connut
une grande vogue au xviie siècle. Il se joue avec 40 cartes entre deux, trois, quatre ou même
cinq joueurs », dans Dictionnaire des mots rares et précieux, Paris, Éditions 10/18, 1996.
112 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1639, leg. 398A, n° 1, ramo 4, fol. 12.
113 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1624, leg. 91 : « Auto criminal a bordo ante el general don
Gabriel de Chaves, flota de Nueva España ».
114 Jeu de cartes qui ressemble à celui de la bouillotte.
115 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1635, leg. 604C : « Auto criminal en el puerto de Cádiz ante
el general de flota don Antonio de Oquendo ».
116 « Estando este testigo jugando a las cartas bio que bino a la dicha proa Diego Martín guardian
de la dicha nao y sacó un toldo y le dijo a Juan González marinero […] que le ayudase a echar
aquel toldo y el dicho Juan González le respondió que no queria… », AGI, Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1625, leg. 92 : « Auto criminal a bordo ante el general don Lope de Hoces
y Córdoba. Contra el marinero Juan Gonzalez sobre la muerte de Diego Martín, Guardian de
nao ».
117 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1639, leg. 398A, n° 1, ramo 4, fol. 11.
118 AGI, Cont. Auto entre partes, año de 1611, leg. 777 : « Don Antonio de Alire, soldado
entretenido de la Armada de la Guardia de las Indias con Andrés Suárez menor de edad
pasajero sobre la cobranza de una cantidad que le ganó al juego ».

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à intervenir, mais en vain, car l’appât du gain l’emporte inlassablement sur
les sanctions.
Le jeu se déroule parfois de façon moins éclatante. Luis de Pariguela se livre à
cette activité dans la pénombre de l’entrepont alors qu’il a été mis au fer. Il joue
ainsi aux dés avec un compagnon d’infortune 119. Si le jeu se propage dans
toutes les classes de la société, il reste néanmoins considéré comme un vice.
Covarrubias reprend à ce titre dans son dictionnaire un commentaire éloquent :
« el mejor lance de los dados es no jugarlos » 120, mais rien n’y fait, on joue aux dés
et la pratique semble ancestrale.
Bien qu’ils soient combattus, ces divertissements offrent à l’équipage et aux
officiers un moyen de se dépasser puisqu’ils représentent un affrontement
virtuel où tensions et rancœurs quotidiennes peuvent s’exprimer. Grâce au jeu
et au duel fictif qui s’engage, la compétition entre joueurs permet finalement
de transférer leur rivalité 121. L’introduction en Amérique des jeux de hasard est
naturellement favorisée par les acteurs océaniques que sont les marins, les soldats 209
mais également les officiers. Comme le rappelle Ángel López Cantos, le jeu n’est

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


pas l’apanage des classes sociales les plus humbles car commandants militaires
et maritimes s’y livrent également 122. Le général don Juan de Benavides n’est-il
pas accusé d’avoir laissé la flotte hollandaise s’approcher de son convoi alors qu’il
était en train de jouer ? Le onzième chef d’accusation requis contre le général
indique précisément ce fait 123. Dans une société marquée par les jeux de hasard,
personne n’échappe donc à l’engouement, car le jeu demeure un élément social
modérateur et prend d’autant plus d’importance sur un bateau où les tensions
exacerbées demandent davantage à s’exprimer.
2- Les pêches punitives : diversions et châtiments

Une pratique assez cruelle, la pêche aux requins, permet encore à l’équipage
d’assouvir ses pulsions agressives. Combat contre l’animalité des océans, les
hommes se mesurent alors au requin, car cette créature emblématique est
reconnue pour sa sauvagerie. Toutes sortes de qualificatifs sont d’ailleurs

119 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1658, leg. 114B : « En la mar. Muerte. El fiscal de la Real
Justicia contra el alferez del Trigo por la muerte de Luis de Pariguela que fue muerto ».
120 Sebastián Covarrubias, Tesoro de la lengua Castellana o Española, Madrid, Luis Sánchez
Impresor, 1611 : « Es entretenimiento de soldados, gente moça, perdiendo de tiempo,
hazienda, conciencia, honor y vida… ».
121 Robert Muchembled, Culture populaire…, op. cit., p. 126.
122 Ángel López Cantos, Fiestas y juegos en Puerto Rico (Siglo xviii), San Juan, Puerto Rico, Centro
de Estudios Avanzados de Puerto Rico y del Caribe, 1990, p. 296.
123 « El 7 de septiembre se descubrió una urca holandesa que se había introducida entre nuestras
naves y entretenido en el juego no tomó ninguna medida para apresarla », dans Antonio
Domínguez Ortiz, Sociedad y Mentalidad en la Sevilla del Antiguo Régimen, « El suplicio de
don Juan de Benavides », Sevilla, Servicio de publicaciones del Ayuntamiento de Sevilla,
1979, p. 51-70.

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attribués au poisson sélacien, objet de fantasme, de cruauté et de férocité. Le père
jésuite Labbe, se dirigeant vers les côtes du Chili, le décrit comme un « animal
terrible » qui vient autour des navires, « dévore tout ce qu’on laisse tomber […]
et, d’un seul coup de dent, coupe un homme en deux ». L’émerveillement et la
crainte que l’animal lui inspire sont sans limites. Entre récit et fiction, il déclare :
« son cœur est fort petit à proportion de sa grosseur, mais il est d’une vivacité
étonnante. Je l’ai fait arracher à plusieurs, et quoiqu’il fût séparé du corps et
percé à coups de couteau, il palpitait encore durant trois quatre heures… » 124.
Les mutilations infligées répondent en fait à un besoin agressif et sécuritaire.
L’homme en danger sur les flots s’attaque à l’animal le plus dangereux et
démontre ainsi sa force de vaincre et de dépasser les périls maritimes. Les récits
de voyage mentionnent souvent cette pêche singulière à laquelle les matelots se
livrent pour se divertir. Au-delà de ses fonctions festives et récréatives, l’enjeu
est de taille. Les requins s’apparentent aux monstres marins et les combattre
210 revient à lutter contre l’incontrôlable, contre le mystérieux et féroce élément
océanique 125. Qualifiés de « fieras marinas » par un auteur 126, toutes sortes de
fables sont contées à leur propos. D’un ton désinvolte, le père Antonio Sepp
décrit la pêche de deux requins et signale cette anecdote surprenante ; dans les
entrailles du premier, on retrouve un pourpoint et dans celles du second, le pied
d’un naufragé 127. Aucun récit n’est assez fabuleux 128. Dans celui du père Simón
Méndez, un marin découvre la clef de son coffre dans l’estomac d’un requin
qui avait dévoré quelques heures auparavant ses affaires mises à la traîne 129.
Les requins sont donc associés à des monstres dont la sauvagerie justifie la
pêche acharnée à laquelle s’adonnent les gens de mer. L’ennui, certes, les incite
à trouver des passe-temps et celui-ci est stimulant : les marins à l’œuvre, les

124 « Lettre du Père Labbe, en 1712 », dans Lettres édifiantes…, op. cit., p. 92.
125 Voir notre article à paraître : « Les monstres marins. Reflets d’un imaginaire au fil des nouvelles
perceptions des espaces océaniques », dans Le Monstre. Actes du colloque international,
mars 2008, université de Pau.
126 Real Biblioteca de Palacio, Fondo Manuscritos, Papeles Varios, II / 2826 : « Breve noticia
diaria del viaje del Excelentísimo señor Príncipe de Santo Bono… Años de 1715-1716 »,
fol. 106.
127 Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas…, op. cit., p. 143 : « En uno de los
peces los pescadores encontraron un jubón entero, en el otro el pie de un ser humano, que
posiblemente se habría ahogado en un naufragio ».
128 Lettres édifiantes…, op. cit., p. 234. Dans le récit du père jésuite Cat, on découvre dans les
entrailles d’un requin « deux diamants de grand prix que le capitaine s’appropria, un bras
d’homme et une paire de souliers » !
129 Museo Naval de Madrid, Fondo Fernández Navarrete, MS-191, doc. 2 : « Relación del Viaje
y navegación del Padre Simón Méndez de la Compañía de Jesús. Año de 1640 », fol. 451.
Le jésuite Andrés Mancker déclare encore de manière emphatique : « Pescamos un
pez de dimensiones sensacionales llamado tiburón, que suele devorar hombre », dans
Mauro Matthei, Cartas e Informes de Misioneros Jesuitas extranjeros en Hispanoamérica
(1680‑1699), Anales de la Facultad de Teología, vol. XX (1968-1969), cuaderno 4, Santiago,
Universidad Católica de Chile,1969, p. 160.

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passagers qui tendent le cou par-dessus bord pour assister à la prise, les coups
de bâton qui s’abattent ensuite sur l’animal et finalement les châtiments infligés
aux requins assouvissent les pulsions agressives de l’équipage. En 1627, à bord
de la nef La Santa Cruz, une pêche s’organise. Les hommes s’agitent, s’énervent,
s’emploient avec ardeur à leur tâche lorsque le marin artilleur Hernando Alonso,
attiré par l’événement, se hisse à la poupe du navire pour observer la pêche 130.
Mais rapidement, les planches de bois vont céder sous son poids et l’accident
tant redouté survient : un homme est à la mer. Quelques heures plus tard, le
chef d’artillerie décrit la scène dans un procès-verbal pour constater le décès.
C’est le tableau vivant d’un fait quotidien en mer réunissant les hommes dans
le malheur 131. Cette anecdote démontre l’attrait provoqué par ce divertissement
monopolisant et séduisant l’intérêt de tous, car les requins, ces animaux qui
éveillent la curiosité morbide, cristallisent parfaitement la cruauté et la violence.
Gemelli Careri relate également une pêche à bord d’un navire de la flotte des
Indes et ne manque pas d’insister sur les supplices infligés aux poissons une fois 211
jetés sur le pont du navire :

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On se divertit un peu avec les requins : on donna la liberté à un des grands (parce
qu’aucun des passagers ne se souciait plus d’en manger) avec une planche qu’on
lui avait attachée à la queue et c’était grand plaisir de le voir courir sans pouvoir
plonger. On en lia ensuite deux ensemble par la queue, après avoir crevé les yeux
à un, et lorsque l’on les eut jetés dans la mer, l’aveugle résistait tant qu’il pouvait
à l’autre qui le voulait tirer en bas 132…

Les hommes s’amusent des animaux estropiés et se délectent de l’aveuglement


des requins. Cette pratique est encore décrite dans d’autres récits. Le missionnaire
Andrés Mancker précise que des marins crèvent les yeux de l’animal et lui
accrochent des casseroles à la queue pour leur plus grand plaisir et celui des
passagers ravis par ses « cabrioles » 133. Conscient de la barbarie de l’acte, il
ne s’en émeut point. La violence quotidienne éprouvée par l’animal ou par
l’homme reste en effet une épreuve assez banale à cette époque.
Face à ces constats, on s’interroge. Les châtiments infligés aux requins ne
pourraient-ils pas représenter une réponse des hommes face aux éléments ? Les

130 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1627, leg. 955, n° 1, ramo 10, fol. 2.
131 « Dijo que como a las dies del dia […] se descubrió Por la popa desta dicha nao un tiburon
al qual acudió la gente de mar con ansuelos a los corredores de la popa para pescarle y
asimismo toda la demas gente Por las bandas y por todas las partes donde podian alcanzar
a ber pescar el dicho tiburon y estando asido del ansuelo a este tiempo vido Ruydo Por la
parte de popa junto al farol como que se quebraban algunos maderos juntamente boces que
decian hombre a la mar… », ibid., fol. 13.
132 Giovani Francesco Gemelli Careri, Voyage…, op. cit., p. 38.
133 Mauro Matthei, Cartas e Informes…, op. cit., p. 160.

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gens de mer sont en effet confrontés à une faune surprenante et ils évoluent dans
un milieu instable. En réduisant les poissons à l’aveuglement, perdus et souffrants,
ils projetteraient leur peur de l’océan. Ainsi, les requins meurtris, tels les hommes
aveuglés par l’immensité des mers, seraient condamnés à errer, éprouvant la même
souffrance et l’égarement que l’équipage. Il pourrait donc s’agir d’une réponse des
hommes ou tout du moins d’un équivalent à leur infortune.

III- VIOLENCE DES CORPS, VIOLENCE DES MOTS

La promiscuité sur le navire, nous l’avons vu, exacerbe les tensions et


le confinement invite à la violence. La vie en mer engendre en effet une
extraordinaire agressivité qui se manifeste dans les moindres actes de la vie
quotidienne. Quand la fête ou les jeux ne suffisent plus, tout est alors sujet aux
heurts verbaux et aux rixes. De fait, dans cette micro-communauté maritime,
212 chaque fait et geste prend une dimension particulière : un mot blesse, une
mauvaise parole chagrine, une attitude dérange.
A- Une agressivité latente

La violence est tapie dans le navire, mais dans cet espace clos et étroit,
comment pourrait-il en être autrement ? Le combat contre les éléments,
l’ennemi ou le voisin détermine parfois la sauvegarde de l’individu 134. Dans
cette collectivité soumise aux aléas de la traversée, l’intégrité de chaque être
requiert alors une capacité de lutte permanente qui peut revêtir une forme
physique ou verbale. Le conflit à travers l’échange de propos injurieux constitue
déjà un réel affrontement.
1- Promiscuité, la violence des mots éclate

Trop proches, trop longtemps, les hommes sont exaspérés par de longs mois
de navigation. Sans espace vital suffisant, condamnés à subir la présence de
personnages grossiers ou dérangeants, certains matelots laissent éclater leur
colère. En 1611, à bord du navire Nuestra Señora de los Remedios, de simples
propos moqueurs dégénèrent en meurtre. Les cloisons du navire sont fines et
le passager Domingo de Mendoza, ne sachant comment faire passer le temps,
décide de plaisanter avec le timonier. Depuis sa cabine, il lui crie à travers la
cloison : « hermano, gobernala fuerte » 135 ; mais la plaisanterie ne fait pas sourire

134 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime. xvie-xixe siècles,
Paris, Fayard, 1990, p. 238.
135 AGI, Justicia. Escribanía de Cámara, año de 1611, leg. 38B : « En La Havana. Sobre la muerte
de Francisco Romero artillero dado por un pasajero, Domingo de Mendoza, Galeón Capitana
Nuestra Señora de los Remedios », fol. 1-61.

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le marin. Offensé, ce dernier réplique et le traite de scélérat ! Voici la parole
injurieuse qui envenime la plaisanterie. À ce mot, le passager traite alors le
timonier de porc qui ferait mieux de se taire, mais le marin en profite et réitère
son insulte. Le passager Domingo de Mendoza ne peut alors se contenir ; blessé
dans son honneur, il quitte son lit, entre dans la timonerie et en ressort quelques
instants plus tard muni d’un couteau ensanglanté. Le marin Francisco Romero
s’écroule, crie désespéré « ay que me han muerto » et meurt peu de temps après
sans confession 136. Le dénouement est sordide, car de simples propos moqueurs
dégénèrent en assassinat. La vie en mer épuise en effet les hommes et les esprits
fatigués laissent libre cours à leur agressivité.
Les conflits se nouent également au détour de quelques propos moqueurs. Les
mots permettent à celui qui les profère d’affirmer son individualité et de mettre en
avant son caractère belliqueux. Les railleries prennent ainsi la forme d’un combat
verbal, à charge de l’offensé de répondre pour réparer l’affront ou d’accepter les
quolibets humiliants. Le soldat Andrés de Castañeda subit ainsi les moqueries de 213
plusieurs marins, mais sa patience finit par s’altérer lorsqu’on le traite de « cabeza

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de tajuella » du fait de sa calvitie 137. La tension monte rapidement entre le soldat
et les matelots et, sous l’emprise de la colère, Andrés de Castañeda répond à son
agresseur verbal qu’il ferait mieux d’aller au diable 138. Rapidement, le conflit
s’aggrave encore. Le soldat muni d’un bâton frappe le matelot moqueur, mais
ce dernier répond alors en sortant un couteau qu’il enfonce dans l’abdomen
de son adversaire 139. De simples propos narquois mènent donc les hommes à
s’affronter dans une lutte violente et sans issue. La brutalité émane en partie de
ces injures, mais elle révèle surtout une agressivité difficilement contenue. Les
railleries permettent en fait à ceux qui les prononcent d’extérioriser l’animosité
qu’ils éprouvent envers d’autres individus. Or, cette méthode d’agression verbale
conduit fréquemment à des altercations physiques.
Lorsque les hommes vivent « en regard », comme dans les vaisseaux
espagnols, le pouvoir de la parole devient tout-puissant. Calomnies et
médisances peuvent créer de graves blessures et offenser les plus humbles.
L’honneur en effet n’est pas l’apanage des grands, il s’agit d’un sentiment dont
le peuple se réclame également 140. Les marins n’échappent pas à la règle et ne

136 Ibid., fol. 3.


137 AGI, Justicia. Escribanía de Cámara, año de 1621, leg. 572C : « En Portobelo. Contra tomas
hernandez marinero del galeon Nuestra Señora del Rosario por aver muerto a andres de
castañeda soldado, ante el general Thomas de Larraspuru general », fol. 1-15.
138 Ibid., fol. 3.
139 « Se llegó el dicho tomas marinero y le dio con un cuchillo de calchas en la bariga de que este
testigo le vio cortar cuero y carne y le salió mucha sangre y dijo el dicho andres de castañeda
bibo dios que me a desbarigado… », ibid.
140 Arlette Farge, « Familles. L’honneur et le secret », dans Histoire de la vie privée…, op. cit.,
p. 589.

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peuvent souffrir ni parole grossière ni insulte. Aussi, Francisco Romero, matelot
à bord du navire Capitana de la flotte de la Nouvelle Espagne, ne songe pas
accepter les propos injurieux que vient de lui adresser le porte-drapeau Damián
de Castro. Blessé et souhaitant réparer l’affront, il dépose une plainte contre
lui auprès du général. L’honneur est un bien du peuple et le marin refuse qu’un
supérieur lui parle de façon humiliante, c’est pourquoi il déclare au cours du
procès : « je lui ai demandé de ne pas de me parler ainsi, car je suis un marin,
un homme de bien » 141. Les plus humbles sont avides de respect et dans ces
face-à-face constants il est donc nécessaire de s’affirmer par rapport aux autres.
La hiérarchie pèse à bord d’un vaisseau et l’honneur de chaque individu ne
peut être attaqué en toute impunité. Un autre porte-drapeau déclare ainsi,
qu’étant donné son rang, il ne peut tolérer les propos injurieux remettant en
cause son honneur et donc sa vie. Traité de cocu, il porte plainte. Ses propos sont
éloquents, « l’honneur est tout aussi important que la vie », ils éclairent bien ce
214 sentiment particulier qui habite chaque Espagnol 142. Dans un espace collectif,
comme celui du navire, la parole crée une reconnaissance de soi.
Un capitaine, en revanche, fort de sa position ne devrait pas avoir recours
aux injures pour affirmer son rang. Toutefois, Andrés del Valle, propriétaire et
capitaine de navire, énonce sans cesse des paroles outrancières. Il espère ainsi
démontrer son autorité aux officiers qui doivent supporter ses propos grossiers
et insultants 143. Le maître de navire déplore tout d’abord l’attitude agressive
du capitaine qui refuse d’écouter ses conseils, qui jure et qui profère des mots
perfides à son intention. Le pilote se plaint ensuite des commentaires vulgaires
qui lui sont adressés, car il se fait traiter d’ivrogne et d’incapable par son supérieur.
Finalement, l’aumônier du vaisseau se rappelle les paroles irrespectueuses du
capitaine déclarant de façon autoritaire que la messe doit avoir lieu quand il le
décide. Personnage caricatural, il communique au son des insultes et sa langue
le mène directement aux tribunaux maritimes. Comme l’avait déjà remarqué
le père Fournier voyageant à bord d’un vaisseau français, on entend ces termes
injurieux « parfois parmy les matelots et plus souvent encore en la bouche d’un

141 Nous traduisons. AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1624, leg. 91 : « Auto criminal ante el general
don Gabriel de Chaves. Flota de Nueva España, en el mar en le galeón Capitana », fol. 1.
142 Nous traduisons. « Es la dicha palabra una de las mayores y mas afrentosas que pueden
decirse a un ombre casado. […] La onra tiene la misma estimacion que la vida y particularmente
en los que serbimos a su Majestad… », AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1658, leg. 114B : « En
la mar. Muerte. El fiscal de la Real Justicia contra el alferez del Trigo por la muerte de Luis de
Pariguela que fue muerto », fol. 13.
143 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1695, leg. 628, n° 1 : « En Cartagena. Autos fechos en virtud
de uno proveido por el señor don Diego Fernandez de Salvidar […] sobre lo que pasó en el
navio nombrado Nuestra Señora de la Concepción San Joachim viniendo navegando por el
Puerto de Cartagena entre Andrés del Valle dueño de dicho navio y Manuel Esteban de Sarauz
maestre del y otras personas ».

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capitaine ou officier en colère qui croient faire craindre davantage en ponctuant
leurs ordres ou leurs remarques d’expressions impies » 144.
Les instructions signalent pourtant une interdiction formelle de prononcer
insultes et blasphèmes à bord. Jerónimo Gómez de Sandoval, général de la
Real Armada de la Guardia de las Indias, conserve des instructions éloquentes
à ce propos. On y découvre les blasphèmes et les insultes prohibés en mer 145.
Naturellement, ces directives visant une cohésion des mœurs sont souvent
inefficaces. Toutes sortes d’insultes s’échangent ; la thématique de l’adultère et
plus précisément celle du cocu est une source inépuisable d’injures. Le soldat
Luis de Parriguela profère ainsi contre son ennemi cette menace allégorique :
« cocu, je pourrais te tuer avec une corne » 146. Dans une société fortement
marquée par les codes d’honneur masculin, d’autres calomnies font également
référence aux corps et plus particulièrement aux parties intimes. L’inspiration
ne manque pas et toutes sortes de propos outranciers sont bons pour offenser
son interlocuteur. Luis de Parriguela exaspéré par un porte-drapeau lui répond 215
par exemple de l’embrasser sur ses parties intimes 147.

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Les références liées aux minorités religieuses servent aussi les propos injurieux.
Entre deux artilleurs, les insultes fusent : Bernardino del Carrillo, énervé et agacé,
traite ainsi son compagnon de travail de chien juif portugais 148. Ces violences
verbales traduisent en fin de compte différentes réalités. Elles permettent dans
un premier temps d’évacuer les rancœurs : les mots prennent alors la place
d’un affrontement physique et permettent à celui qui les profère d’affirmer son
identité. La parole en effet structure le sentiment d’appartenance communautaire
et en dénigrant des membres d’une autre nation ou religion, on tente de mettre
en avant ses propres particularités. D’autre part, les débordements langagiers
offrent la possibilité à ceux qui les profèrent de mettre au défi un adversaire.
En s’appropriant le jeu de l’honneur imposé par le regard collectif, les hommes
s’affirment au sein d’une société maritime microcosmique.

144 Cité dans Alain Cabantous, Histoire du blasphème en Occident. xvie-xixe siècles, Paris, Albin
Michel, 1998, p. 89.
145 « Que ningun soldado, artillero, marinero ni otra persona […] sea osado a jurar el santo
nombre de dios, ni echar porbidas, […] ni llamar uno a otro palabra mayor como es Cabron o
Cornudo… », AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1626, leg. 93B.
146 Nous traduisons. AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1658, leg. 114B : « En la mar. Muerte.
El fiscal de la Real Justicia contra el alferez Juan del Trigo por la muerte de Luis de Pariguela
que fue muerto ».
147 Ibid., fol. 2.
148 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1620, leg. 86B : « A bordo, ante el General don Juan de
Benavides en la nao Nuestra Señora de los Reyes, amarda y flota de Nueva España. Quistión
entre dos artilleros. Contra Juan Bautista artillero preso ».

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2- Le blasphème

Le blasphème fleurit sur les navires. S’il remet en cause les contours
infranchissables du divin chrétien, il dévoile aussi l’importance de la religion. Il
relève en effet d’une « immixtion intolérable du profane le plus vil à l’intérieur de
l’espace sacré » 149. À bord des navires de la flotte des Indes, marins, passagers ou
officiers laissent leur colère éclater et le blasphème vient souvent ponctuer leurs
invectives. Afin d’en réduire la pratique, un amiral impose une amende d’un
réal par blasphème sur son vaisseau. L’équipage soumis à cette peine pécuniaire
semble ainsi retenir ses propos outranciers, car lors de la visite inquisitoriale, il
est dit que l’on jurait très peu sur le navire 150.
Les matelots, réputés pour être des blasphémateurs invétérés, ne sont pourtant
pas les seuls à prononcer ces paroles impies. En 1598, par exemple, le capitaine
d’infanterie qui perd au jeu jette ses cartes à la mer et blasphème à tout va 151.
Irrespect et impertinence caractérisent le blasphème qui traduit un état
216 d’énervement ; mais dans l’Espagne chrétienne du xviie siècle, les références
blasphématoires ne signalent pas uniquement des déviances morales, elles
indiquent davantage une autre sensibilité face à la religion. Comme l’explique
Solange Alberro, elles jaillissent de la colère et révèlent en négatif des convictions
religieuses 152. Ces délits mineurs langagiers restent finalement très fréquents et
largement associés au jeu 153.
En 1608, confortablement installé dans une cabine du galion, le soldat Juan de
Vilches s’adonne avec passion à une partie ; mais lorsque la chance l’abandonne,
les mots viennent alors exprimer son mécontentement 154. Les blasphèmes qu’il
prononce choquent ses compagnons de jeux qui le dénoncent rapidement
aux autorités maritimes. Pourtant, les paroles impies ne sont pas absentes de

149 Alain Cabantous, Histoire du blasphème…, op. cit., p. 11.


150 Francisco Fernández del Castillo, Libros y Libreros…, op. cit., p. 392. Information tirée de la
visite inquisitoriale du navire Almiranta Nuestra Señora de la Rosa réalisée en 1582 dans le
port de San Juan de Ulúa.
151 « Abiendo perdido su dinero el dicho capitan pedro duran arrojó los naypes en la mar […] a
lo qual el dicho alferez butiago se levantó con mucha colera diciendo que era muy mal hecho
arrojar los naypes y el dicho capitan pedro duran le respondió con mucha crianza vayase con
dios señor que ya los e arrojado… », AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1598, leg. 63B, n° 5,
ramo 2 : « Auto criminal contra el Capitan Pedro Duran sobre y en razon de lo en la cabeza de
processo contenido. Juez el Señor Capitan General, galeón Nuestra Señora del Rosario ».
152 Solange Alberro, Inquisition et Société au Mexique, 1571-1700, Mexico, Centre d’études
mexicaines et centraméricaines, 1988, p. 90.
153 Dans un espace confiné, le jeu prend les mêmes dimensions à terre comme en mer. À Séville,
dans la prison de la ville, Pedro de León remarque que ces divertissements entraînent aussi
des querelles. Il dit : « Sobre el juego suelen ser muy a menudo las pendencias », Pedro de
León, Grandeza y miseria de Andalucía (1578-1616), edición, introducción y notas de Pedro
Herrera Puga, Granada, Facultad de Teología, 1981, p. 208.
154 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1608, leg. 598 : « Auto criminal ante el General Francisco
Ramirez Briceno, Señor Gobernador Capitan de la Infanteria, Galeón San Esteban contra Juan
de Vilches soldado por blasfemo y otras causas ».

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ces tables de jeux où le hasard, la passion et les mises d’argent exacerbent les
sentiments. La parole du joueur, exutoire de sa tension, est alors puisée dans un
registre condamné, assouvissant ainsi sa fureur 155.
En 1601, le pilote Francisco de Garfios profère un blasphème sous l’effet
de l’alcool : « Reniego de Dios y de todo su poder y que no le mentassen a Dios
porque era un puto y su madre una puta probada » 156. Les paroles prononcées
alors qu’il est ivre n’indiquent pas pour autant un refus du christianisme. Au
début du xviie siècle, ce genre de comportement révèle davantage un besoin
de franchir les limites dressées entre sacré et profane. En remettant en cause
les symboles religieux par des mots irrévérencieux, le blasphémateur s’accorde
une individualité remarquée. Il affirme encore sa virilité en transgressant
les normes sociales. Juan López de Ybarra, marin de la flotte de la Nouvelle
Espagne, incarne ce schéma protestataire. Il profère ainsi des blasphèmes de
façon provocatrice et lorsqu’il entend dire qu’un matelot est originaire de Santa
María, il s’écrie et gesticule : « que sus verguenzas heran de Sancta Maria de todo 217
el mundo, tomandolas en la mano y nombrandolas por sus feos nombres » 157. Par

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son comportement burlesque et irrévérencieux, le marin revendique en fin de
compte un simple droit à la différence.
En 1610, le chirurgien d’un navire profère des blasphèmes qui signalent, en
revanche, les prémisses d’une remise en cause spirituelle. Déçu, fatigué par le
destin, il déclare lors d’une traversée ne plus vouloir s’en remettre à Dieu mais
au Diable 158. Exerçant ses fonctions de chirurgien, il déplore ces « pratiques
de femmes » qui s’en remettent à un saint plutôt qu’à son art 159. Le blasphème
indique dans ce cas un comportement qui tente de s’éloigner de la norme
imposée. En se détachant des concepts fondamentaux, cet homme se met en
marge de la société et tente d’affirmer ses convictions. Les propos impies servent
en effet différents objectifs : ils offrent une arme de choix contre le clergé et
leur usage revendique par ailleurs une résistance culturelle affirmée face aux
nouvelles aspirations de l’Église.
Les blasphèmes en mer jouent donc des rôles divers. Comme dans la société
espagnole et américaine, ils servent tout d’abord d’exutoire en laissant place à la

155 Alain Cabantous, Histoire du blasphème…, op. cit., p. 97.


156 AHN, Inquisición. Libro 1064. Tribunal de México – Relaciones de Causas de fe : « Por
blasfemos, contra Francisco de Garfios Abrego, piloto, de hedad de cinquenta y siete años
natural de la villa de Moguer. Año de 1601 », fol. 229.
157 AHN, Inquisición. Libro 1066. Tribunal de México – Relaciones de Causas de fe : « Relación de
causas despachadas en la Inquisición de México. Año de 1585 ».
158 « Pensava de alli en adelante no pedirle mas sino al diablo porque Dios no le avia dado cossa
de buena gana », AHN, Inquisición. Libro 1064. Tribunal de México – Relaciones de Causas de
fe : « Por blasfemos contra Dyonisio de Torres Cabeza de Moro cirujano natural de la ciudad
de Sevilla. Año de 1610 », fol. 456-457.
159 Ibid.

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colère. En prononçant ces mots sacrilèges, le blasphémateur s’accorde alors une
place en dehors des limites sociales prescrites. Si en mer, les marins sont réputés
pour leurs propos irrévérencieux, on constate pourtant qu’officiers et passagers
s’adonnent à la pratique avec le même engouement. Pour certains, les propos
interdits ponctuent leurs phrases avec arrogance, pour d’autres, ils cristallisent
le mécontentement et permettent lors d’une altercation de libérer les tensions
agressives 160. Finalement, le blasphème sert parfois la fonction protestataire
et par son intermédiaire, on s’érige contre un système (hiérarchique, religieux
ou social) en transgressant les codes imposés 161. À terre comme en mer, les
blasphèmes servent en fait les mêmes fins.
B- Violence des corps

À bord d’un vaisseau, la cohésion de l’équipage se maintient au prix


de quelques débordements langagiers ou physiques. Afin d’éviter un
218 mécontentement général, des tensions individuelles s’expriment et évitent
ainsi une implosion générale de la communauté… aux prix de légères frictions
entre individus.
1- Une violence quotidienne

Les coups assénés gratuitement font partie du quotidien en mer. En 1646,


à bord du galion San Augustín, un marin frappe à la tête le passager Diego
Briones sans expliquer dans le procès ses motivations 162. Une légère rancœur ?
Un différend ? L’agression reste sans motif, mais la violence présente. Pour
quelques aromates, des artilleurs préparant leur repas vont encore se battre.
Coups de couteaux et de bâtons ponctuent alors la lutte qui éclate pour une
raison anodine 163. En 1628, deux autres artilleurs en viennent aux mains :
Miguel de Martín se querelle avec Alonso de la Peña et les esprits échauffés par
le vin, la dispute s’engage. Rapidement maîtrisé par ses compagnons, le plus
agressif d’entre eux est immédiatement mis aux fers 164. On le constate, des

160 En 1619, lorsqu’une altercation éclate entre un soldat et le sergent de sa compagnie, les
coups se mélangent aux propos blasphématoires. Châtié par son supérieur à coups d’épée, le
soldat déclare « reniego de Dios y de su madre ». La colère et l’impuissance revêtent alors la
forme de propos irrévérencieux pour compenser l’offense. AHN, Inquisición. Legajo 2075-2,
exp. n° 24. Tribunal de Sevilla – Relaciones de Causas de fe : « Por Blasfema. Domingo Garcia
Soldado de los Galeones de edad de 25 años », fol. 15-15.
161 Alain Cabantous, Histoire du blasphème…, op. cit., p. 91.
162 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1646, leg. 106 : « Causa fecha por el señor don Juan de
Izarraga contra Juan Guitérrez por aver dado una herida en la Cabeza a Diego Briones ».
163 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1620, leg. 86B : « Quistión entre dos artilleros, auto contra
Juan Bautista artillero preso ante el general don Juan de Benavides ». L’un des deux artilleurs
refuse à son compagnon de lui passer un peu de thym.
164 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1628, leg. 94B : « Auto criminal por querella de Alonso
de la Peña contra Miguel Martín : artillero preso. Ante el general don Gerónimo Gómez de

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altercations naissent facilement. Cette sensibilité à fleur de peau est révélatrice
de tensions internes. Dans un espace qui contraint les hommes, la vivacité
des propos et des gestes prend rapidement une dimension démesurée ; il
ne faut pourtant pas y voir un trait caractéristique des navigations 165. Au
village, les rixes se succèdent, en ville, les duels ne cessent d’augmenter  166.
La violence canalise les rancœurs, elle reste un élément modérateur de
la société.
2- À la recherche du plaisir

Certains comportements compromettent par contre le fragile équilibre de


la communauté lorsque les codes de conduites sont transgressés. À bord des
vaisseaux espagnols, au xviie siècle, l’homosexualité est considérée comme
dangereuse et susceptible de pervertir la cohésion sociale. Fortement réprimée,
anathématisée par l’Église et les pouvoirs publics, elle est parfois présente en
mer. Sous forme de harcèlement sexuel ou de consentement, elle remet en cause, 219
pense-t-on, l’équilibre social et moral du navire.

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


En 1628, à bord du galion San Martín deux hommes sont faits prisonniers :
Antonio Pardo et Lorenzo Ruiz sont accusés d’avoir commis le « péché
abominable », el pecado nefando 167. Le procès révèle rapidement l’agression
dont a été victime le jeune page Lorenzo, mais l’affaire reste à démontrer 168.
En attendant, les deux hommes sont donc mis aux fers. Les témoignages
consignés dans le procès mettent en évidence une violence sournoise réduisant
les plus faibles à un asservissement 169. Face à cette violence secrète, la justice
intervient, mais semble pourtant condamner avec plus de sévérité le « péché
abominable » que l’agression subie. Si l’idée de délit se détache sensiblement

Sandoval ».
165 En Espagne comme en Amérique, la violence quotidienne est une réalité, voir à ce sujet, Annie
Molinié-Bertrand, « La secrète violence de tous les jours », dans La Violence en Espagne et
en Amérique latine (xve-xixe siècles), Jean-Paul Duviols et Annie Molinié-Bertrand (dir.), Paris,
PUPS, coll. « Iberica », 1998, p. 9-14.
166 José Luis Bermejo Cabrero, « Duelos y desafíos en el derecho y en la literatura », dans
Francisco Tomás y Valiente, Sexo barroco y otras transgresiones modernas, Madrid, Alianza
Universidad, 1990, p. 109-126.
167 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1658, leg. 114B : « En Portobelo, ante el juez Señor Auditor
General. Causa de la Real Justicia contra Antonio Pardo, tambor, y Lorenzo Ruiz, paje, por aver
cometido pecado nefando ».
168 La victime et l’agresseur sont faits prisonniers. L’innocence de l’enfant doit en effet être
prouvée. Eduardo Trueba, Sevilla marítima. Siglo xvi, Sevilla, Gráficas del Sur, 1989, p. 88.
169 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1658, leg. 114B, fol. 1. Le page déclare : « Una noche estando
este declarante debajo de la cubierta primera del dicho galeon durmiendo como a media
noche llegó al sitio donde estava el dicho antonio pardo y estando este declarante desnudo
en camissa y el calor que acia, el dicho antonio pardo se llegó a el y forzandole y teniendole
las manos y amenasandole que si dava boses o hablaba lo avia de matar, este declarante por
temor de las amenazas a que le avia hecho se estuvo quieto y hubo con el acto torpe carnal
una bes que este declarante se defendió todo lo posible para hecharlo… ».

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de celle de péché 170, les autorités maritimes se dressent davantage contre
un dérèglement des mœurs qu’un viol. En réponse au crime, l’agresseur est
condamné à mort sur le navire, il sera noyé, son corps supplicié sera ensuite
exposé puis détruit par un coup de canon 171. La dépouille sera donc exposée au
regard de tous comme une menace 172. Sa destruction deviendra symbolique,
car le corps mutilé par le feu sera détruit comme pour faire disparaître toute
trace de cet acte « contre nature » : la violence de la justice faisant écho à la
violence quotidienne.
Dans cette quête du plaisir interdit, le soldat Cristomo cherche à séduire
des hommes à bord du galion Nuestra Señora del Buen Suceso. Toutefois, ses
tentatives restent sans réponse et les jeunes personnes qu’il sollicite finissent
par le dénoncer  173. Un jeune homme déclare ainsi qu’il a senti la jambe
du soldat reposer sur la sienne alors qu’il était couché, puis sa main sur sa
braguette. Offensé et agressé, il s’est défendu en lui assénant un coup poing pour
220 réparer l’affront qui lui avait été fait. Le comportement homosexuel sera alors
sanctionné par les autorités maritimes qui, « au service de Dieu, de leur Roi et
pour la quiétude des navigateurs » 174, isoleront l’homme du reste de l’équipage
en le mettant aux fers.
Mais l’homosexualité crée également une intimité. Sur les navires des flottes
espagnoles, les hommes éloignés de leur épouse ou d’un proche trouvent
peut-être des marques de réconfort. Deux artilleurs soupçonnés d’avoir
commis le pecado nefando à bord du Galion San Lorenzo comparaissent
ainsi pour avoir fait montre d’une grande intimité 175. Malades, au lit, les

170 Francisco Tomás y Valiente constate qu’à la fin du xviie siècle, l’idée de délit et celle de péché
commencent à être dissociées. C’est désormais le délit social qui fait l’objet de répression
et non plus l’offense à Dieu. Francisco Tomás y Valiente, « Crimen y pecado contra natura »,
dans Sexo barroco..., op. cit., p. 55.
171 « Se lleve [Antonio Pardo] a el propao de Proa y alli sea Aogado hasta que muera Naturalmente
y luego sea suspento por espacio de medio ampolleta y passado este tiempo se ponga en la
boca de una pieza que se disparra para que se cumpla la forma de la ley Real en quanto a que
sea muerto de fuego por no poder ejecutar de otra manera », AGI, Cont. Auto de Oficio, año
de 1658, leg. 114B, fol. 10.
172 Michel Foucault souligne à ce propos que « le corps du supplicié s’inscrit tout d’abord dans
le cérémonial judiciaire qui doit produire, en plein jour, la vérité du crime », Michel Foucault,
Surveiller et punir (1975), Paris, Gallimard, 2000, p. 44.
173 Las de ses avances, un jeune homme déclare : « Estando recojido en su petate a ôra de
mudar la guardia de prima estando despierto sintió que le echavan la pierna por encima
de la suya y le metian la mano en la bragueta y esto despues de haverlo cubierto con una
capa y no pareciendole bien la ascion se levantó y dio una puñalada… », AGI, Cont. Auto
de Oficio, año de 1660, leg. 116 : « Auto criminal a bordo en el Galeón Nuestra Señora del
Buen Suceso, contra Cristomo, que por mal nombre llaman Pajaro por solicitar a otros
hombres ».
174 Nous traduisons. Ibid.
175 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1598, leg. 63B : « En La Havana, contra dos artilleros de
la Armada del cargo del general don Luis de Ybarra : contra dos artilleros de su armada por
Nefando ».

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deux gens d’armes passent plusieurs jours ensemble reclus dans l’entrepont
du navire. Des mauvaises langues les accuseront en fournissant des
descriptions très détaillées du délit, mais les deux artilleurs se défendront
vigoureusement 176. Il est impossible de cerner les tenants et les aboutissants
de cette affaire ; néanmoins, les procès dévoilent toujours la peur qu’inspirent
ces supposées déviances sexuelles. Ils soulignent d’autre part la violence liée à la
recherche du plaisir, mais ne démontrent pas une propension plus marquée chez
les populations navigantes que les autres pour ce type de pratique 177.
3- Rixes et assassinats

On a vu que les fêtes et les jeux en mer représentent un exutoire social. Grâce à
leur intermédiaire, les tensions agressives trouvent un moyen de s’exprimer sans
menacer la cohésion du groupe. Or, ces palliatifs ne sont pas toujours efficaces.
D’autre part, la peur des châtiments n’intimide point les plus querelleurs. Le
tumulte, les bagarres n’épargnent donc pas les navires. Passagers, marins, soldats 221
ou officiers participent ainsi à des affrontements sanglants. En 1620, un marin

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


prend la défense d’un jeune mousse durement fouetté par le gardien du vaisseau 178.
Il s’interpose, vexe l’officier qui se retourne contre lui et crie d’une voix altérée.
La fureur emporte le gardien. Il se lance alors contre le marin, le frappe, sort
un couteau puis le blesse gravement 179. Une fois sa colère apaisée, le gardien
s’éloigne de la scène, laissant sur son passage un jeune mousse battu et un marin
ensanglanté. La violence surgit donc de manière inopinée et apparemment sans
retenue. L’affrontement entre subordonné et supérieur révèle en fait des rapports
de force qui s’établissent aux charnières sociales des professions maritimes.
L’officier, appelé à maintenir son statut de gardien, use donc de violence pour

176 Dans l’interrogatoire, on demande à Juan Pérez Rosales de déclarer ce qu’il a vu : « Preguntado
cómo conosió que el dicho Jorje Levie estaba debajo. Dijo que con la claridad que entraba por
las portañuelas los bido juntos que se estan cabalgando y conosió al Jorge Levie que era el
que estaba debajo », ibid. Notons que le nom de famille du prévenu à consonance juive a de
quoi éveiller nos soupçons. Il pourrait tout simplement s’agir d’une accusation à caractère
religieux.
177 Sur plus de 60 procès dépouillés, on dénombre seulement trois instructions liées au
pecado nefando. Comme le rappelle Annie Molinié, ce type de comportement pose en fait
le problème de l’enfermement auquel se trouve confronté l’équipage comme le sont aussi,
par exemple, les femmes au couvent. Annie Molinié-Bertrand, « De la prostitution au pecado
nefando à Salamanque au xviie siècle », dans La Prostitution en Espagne de l’époque des Rois
Catholiques à la IIe République, études réunies et présentées par Raphaël Carrasco, Centre
de Recherches sur l’Espagne Moderne, Paris, Diffusion des Belles Lettres, 1994, p. 86.
178 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1620, leg. 86A : « Auto criminal ante don Antonio Lopez
de Catalayud contra Pedro Sánchez por aver herido a Joan de Cuevas grumete de la nao
Almiranta de Honduras ».
179 Un témoin se souvient de la scène et déclare : « Y este confessante por ber que el dicho Juan
de Cuebas [marinero] abia contradicho lo que el dicho guardian Hazia se fue con mucha colera
contra el dicho Juan de Cuebas y le dio muchas puñaladas… », ibid.

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affirmer son rang sans obtenir, semble-t-il, les effets escomptés. La violence
reste dans ce cas synonyme d’une quête identitaire, elle symbolise une démarche
individuelle de reconnaissance qui ne trouve pas d’autres modes d’expression.
Lorsqu’en 1658, le porte-drapeau Juan del Trigo tue le soldat Luis de Pariguela,
d’autres éléments entrent en compte 180. La rancœur et l’animosité séparent déjà
ces deux hommes qui se détestent. On a relevé auparavant les injures proférées
entre eux, mais la suite du drame n’a pas été évoquée. Les mots ne suffisent plus
à calmer l’agressivité qui les anime et seul un meurtre a finalement raison de leur
querelle. L’arme utilisée est petite et tranchante ; ainsi, une dague, certainement
plus incisive que les injures, met un terme à la vie du soldat effronté. Il faut
souligner qu’à cette époque la violence est ordinaire, le meurtre et la mort font
partie du quotidien de chacun. Un honneur sali, une vengeance réparatrice et
l’équilibre social du vaisseau se déchire le temps d’un assassinat.
En 1625, Diego Martín, gardien de navire, est tué par un marin qui refuse
222 de lui obéir 181. En 1639, un matelot se querelle avec un mousse : quelques
jours plus tard, il décède des suites de ses blessures 182. En 1683, Jorge Nicolás,
marin du vaisseau Nuestra Señora del Pópulo, est mortellement blessé par
un mousse 183. Il faut souligner que toutes ces querelles mettent en lumière
des conflits d’autorité. Dans ces trois exemples, des hommes affrontent leur
supérieur hiérarchique et leur donnent la mort. Insoumis et repoussant un
rapport de force, ils semblent dépasser les limites imposées par la communauté
et versent dans le sang pour mettre fin à un conflit. Les assassinats perpétrés
en mer indiquent donc des frictions aux charnières de professions légèrement
subordonnées (mousse/marin, matelot/gardien). On remarque, en revanche,
que les rixes naissant au sein d’une même profession – entre marins, entre soldats
ou entre artilleurs – se résolvent davantage devant la justice pour réparer un
coup ou une injure. La violence poussée à son paroxysme dans le meurtre révèle
dès lors l’existence de tensions très fortes entre équipage soumis à des rapports
hiérarchiques ténus. Elle fait jaillir d’autre part les limites de la discipline,
laissant aux plus faibles la possibilité de s’élever contre leurs supérieurs. La
violence s’instaure donc comme un mode d’expression et remplace la parole
lorsque cette dernière n’autorise pas une rébellion verbale suffisante.     

180 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1658, leg. 114B : « En la mar. Muerte. El fiscal de la Real
Justicia contra el alferez Juan del Trigo por la muerte de Luis de Pariguela que fue muerto ».
181 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1625, leg. 92 : « Auto criminal a bordo ante el general don
Lope de Hoces y Córdoba. Contra el marinero Juan Gonzalez sobre la muerte de Diego Martín,
Guardian de nao ».
182 AGI, Cont. Auto de Oficio, año de 1639, leg. 100B : « A bordo, auto Criminal contra Gaspar de
Guzman grumete sobre una pendencia al lado de los fogones con Gonzalo de Borges marinero.
Ante el general don Luis Fernandez de Cordoba en el Galeon Capitana San Geronimo ».
183 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1683, leg. 671, n° 8, fol. 1-20.

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La vie quotidienne sur le navire, entre fêtes et violence, est finalement apparue
sous des formes très contrastées. Bien souvent, pourtant, elle n’est que le reflet et
le prolongement de la société espagnole, en reproduisant par exemple le temps
sacré et profane. On célèbre de la même façon les fêtes du calendrier liturgique
et l’on se divertit comme à terre de simulacres de combats et de jeux de hasard.
Leur fonction d’exutoire social n’est plus à démontrer. Ils catalysent l’agressivité
et les inimitiés d’autant plus prononcées en mer. Chaque imbrication de la
vie sociale trouve ainsi son équivalent sur un vaisseau de la flotte des Indes ou
du Pacifique. À force de vouloir stigmatiser les gens de mer et leur mode de
vie, on a fini par oublier qu’ils étaient semblables à leurs concitoyens. On a
même le sentiment que tout est mis en œuvre afin de reproduire sur les flottes
espagnoles les structures dominantes imposées à terre. Le système des convois,
fortement structuré par l’organisation maritimo-commerciale de la Casa
de la Contratación, favorise naturellement ces prolongements. Ce que nous
pouvions pressentir, la documentation consultée l’a donc confirmé. Seule la 223
présence exacerbée du danger lors de ces longs mois de navigation modifie le

les hommes, les navires et la mer Entre fêtes et violence


déroulement des événements. La relation de l’homme à Dieu s’exalte alors et
le besoin sécuritaire se fait davantage ressentir. Dans ces conditions, comment
appréhender la mort sur les océans ?

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troisième partie

La mort sur l’océan


Représentations matérielles et spirituelles

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chapitre i

Attitudes face à la mort sur l’océan

I- LA MER ET LA MORT, REPRÉSENTATIONS

La perspective de disparaître sur l’océan provoque un sentiment qui terrorise


les hommes. Ce lieu mythique et chaotique, là où les forces surnaturelles se
manifestent, représente en effet dans l’imaginaire collectif un espace contrasté
et soumis à différentes interprétations 1.
A- De l’Antiquité aux Découvertes, la mer et l’imaginaire

Depuis les temps les plus reculés, on représente la terre délimitée par les 227
océans 2. La géographie ptoléméenne situe son œkoumène 3 à la surface d’une

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or La mort sur l’océan
sphère, contrairement à la représentation biblique du monde qui le situe sur une
terre plate. La théorie cosmographique des Anciens est en fait remise en question
et ce n’est qu’après de longues années de réflexion que le concept de globe
terraqué fait son apparition 4. Les navigations espagnoles et portugaises jouent
naturellement un rôle fondamental et à partir de ces nouvelles expériences,
la sphéricité de la terre s’impose. Néanmoins, le cheminement scientifique se
voit fréquemment confronté aux principes cosmographiques bibliques. De
l’Antiquité au xviie siècle, la perception de l’espace maritime évolue au fil des
nouvelles connaissances géographiques.
1- L’océan redouté

On situait autrefois à l’entrée de l’océan Atlantique, deux colonnes que le


héros grec, Hercule, aurait édifiées. La première à Gibraltar et la seconde à Ceuta
représentent les limites à ne pas franchir : au-delà, les étendues maritimes restent
inconnues et inspirent la plus grande crainte  5. Reprenant cette vision de la
géographie de Ptolémée, Isidore de Séville qualifie l’Atlantique d’incommensurable

 Nous avons abordé ce sujet dans un colloque dont les actes sont à paraître. Delphine
Tempère, « De l’eau vers l’au-delà. Attitudes face à la mort sur les océans au xviie siècle »,
dans Paroles et représentations de la quotidienneté dans le monde hispanique, organisé par
le CRIAR et l’ERAC de l’université de Rouen en 2005.
 W. G. L. Randles, De la terre plate au globe terrestre. Une mutation épistémologique rapide.
1480-1520, Paris, Cahiers des Annales, Librairie Armand Colin, 1980, p. 9.
 Œkoumène : vaste ensemble de terres habitées.
 W. G. L. Randles, De la terre plate…, op. cit., p. 14 et 41.
 Araceli Guillaume-Alonso analyse la dimension mythique du détroit de Gibraltar et montre
comment la famille des ducs de Medina Sidonia s’approprie son histoire légendaire :

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et d’infranchissable 6. L’océan constitue en effet un espace de frontière qui
n’autorise aucun déplacement. Pour l’Europe chrétienne et pour le monde arabe,
la mer est le domaine des monstres et des merveilles. La marine de l’Islam refuse
ainsi de s’aventurer dans la mer des Ténèbres – al-bahr al-zolomât – alors qu’elle
dispose pendant plusieurs siècles d’une ouverture sur l’océan Atlantique de
l’Andalousie aux côtes de l’Afrique 7. Elle considère en effet cette mer ténébreuse
comme impraticable 8 et l’Atlantique symbolise alors les frontières de l’Islam 9.
Dans une conception chrétienne du monde, l’océan préfigure encore le
chaos 10. Relique menaçante du déluge, il apparaît comme l’instrument de la
punition, tels les vestiges d’une catastrophe. Les interprétations sont variées :
la mer représente tout d’abord l’espace du mal, un repaire démoniaque, et
les images hostiles qu’elle inspire rappellent avec force le règne de l’inachevé,
du désordre antérieur à la civilisation 11. C’est le domaine de l’instable et de
l’indéfini, une survivance du chaos originel que la Bible s’attache à décrire
228 de façon éloquente 12. Dans une version un peu différente, la mer symbolise
encore la puissance divine. L’océan calme pris d’un soudain courroux reçoit
toutes les métaphores de la furie. En effet, l’eau violente est l’un des premiers
schèmes de la colère divine 13 et rappelle aux hommes le sens caché et la présence
réelle de Dieu 14. Finalement, l’océan apparaît en parallèle comme l’antimonde
pour lequel les êtres humains ne sont pas faits. Face à son aspect indomptable,
cet espace liquide, repaire des monstres, représente une contrée damnée dans
l’obscurité de laquelle les créatures maudites prolifèrent 15.

« Territorio y linaje. El espacio fundacional del estrecho de Gibraltar », dans Le Territoire de


l’imaginaire, à paraître à Madrid, Casa de Velázquez, 2008.
 W. G. L. Randles, La Représentation de l’Atlantique dans la conscience européenne au Moyen
Âge et à la Renaissance. De l’Océan-chaos mythique à l’espace maritime dominé par la
science, Funchal, ISLENHA, n° 4, 1989, p. 6.
 Xavier de Planhol, L’Islam et la Mer. La Mosquée et le Matelot. viie-xxe siècle, Paris, Librairie
Académique Perrin, 2000, p. 470-471.
 Au xiie siècle, le géographe musulman Idrîsî parle ainsi de l’océan Atlantique : « Personne
ne sait ce qui existe au-delà de cette mer, personne n’a pu rien en apprendre de certain à
cause des difficultés qu’opposent à la navigation la profondeur des ténèbres, la hauteur des
vagues, la fréquence des tempêtes, la multiplicité des animaux monstrueux et la violence
des vents », ibid., p. 471.
 Ibid., p. 472.
10 Alain Corbin, Le Territoire du vide. L’Occident et le désir de rivage (1750-1840), Paris,
Flammarion, 1988, p. 16.
11 Ibid., p. 12.
12 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime. xvie-xixe siècles,
Paris, Fayard, 1990, p. 20-21.
13 Christiane Villain-Gandossi, « La mer et la navigation maritime à travers quelques textes de
la littérature française du xiie au xive siècle », Revue d’Histoire économique et sociale, t. XLVII,
Éditions Marcel Rivière et Cie, Paris, 1969, p. 158.
14 Ibid., p. 23.
15 Pour saint Augustin, le diable est ainsi né dans la mer. Pablo Emilio Pérez-Mallaína, El hombre
frente al mar, Sevilla, Universidad de Sevilla, 1996, p. 66.

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Ces visions du monde maritime se mélangent et fournissent des interprétations
contrastées en fonction des hommes et des événements auxquels ils sont
confrontés. Elles gardent une charge négative très importante et signalent toutes
l’océan comme un lieu mystérieux et maudit. La société des temps modernes ne
consent pas, en effet, à assimiler de manière rationnelle cet espace constamment
soumis au danger et à la peur. La mer ne peut être considérée comme un espace
bienfaiteur et Jean Delumeau a démontré à ce sujet que l’espace maritime a
longtemps conservé un aspect terrifiant. Dictons, « Quien no sabe rezar métase
en la mar », discours poétiques et récits de voyage dissuadent les hommes de
prendre la mer 16.
2- Le royaume des morts et de Satan

À l’ouest, là où le soleil se cache, les flots ténébreux s’étendent à perte de vue.


C’est pourquoi les vastes étendues de l’Atlantique restent longtemps assimilées
au royaume des morts. Cette disparation symbolique de l’astre solaire recouvre 229
en effet une dimension eschatologique. En ce lieu obscur, le règne des morts

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


s’annonce et c’est pour cette raison que l’on situe également le royaume de Satan
en son sein. Abîme peuplé de démons et de monstres marins hideux, c’est le
portrait effrayant qu’en dresse le magistrat démonologue du Pays basque Pierre
de Lancre 17. Lors d’une tempête, certains y voient donc la main du diable
tandis que d’autres assimilent plutôt cette furie à l’agitation provoquée par
les âmes des damnés. Selon certaines croyances, les âmes des disparus en mer
erraient éternellement sur les flots en quête de repos 18. Dans ce lieu « hors du
monde », on imagine aussi des paradis terrestres. La quête d’îles mystérieuses
se transforme tour à tour en recherche d’îles légendaires abritant l’Atlantide,
les Champs Élysées ou l’Éden 19 : des théologiens pensent ainsi que le paradis
terrestre se trouve au cœur de l’océan infranchissable 20. Au vie siècle, saint
Brandan entreprend dans ce dessein un périple sur l’Atlantique à la recherche
de la Terre Promise 21. Le récit de voyage, Navigatio, qui décrit cette aventure
devient un véritable best-seller au Moyen Âge contribuant à diffuser le mythe
paradisiaque atlantique. D’autre part, les îles des Canaries – les Fortunées –

16 Jean Delumeau, La Peur en Occident. xive-xviiie siècles. Une cité assiégée, Paris, Fayard, 1978,
p. 31-42.
17 Ibid., p. 40.
18 Michel Mollat du Jourdin, « Les attitudes des gens de mer devant le danger et la mort »,
Ethnologie française, t. 9, n° 2, Paris, Berger-Levrault, 1979, p. 191. Les mouettes seraient,
selon les marins, l’incarnation des âmes des morts. Voir également, Paul Sébillot, La Mer,
Paris, Imago, 1983, p. 178-181.
19 Guillermo Céspedes del Castillo, La exploración del Atlántico, Madrid, Mapfre, 1991, p. 19.
20 Louis André Vigneras, La búsqueda del Paraíso y las legendarias islas del Atlántico, Valladolid,
Cuadernos Colombinos, Casa-Museo de Colón, 1976, p. 14.
21 Ibid., p. 26-27.

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restent longtemps assimilées dans la tradition ancestrale au Jardin des Délices
abritant le pommier d’Or. La mer est simultanément considérée comme l’empire
du mal et du malheur et comme une source de bonheur et de richesses  22.
Une zone mythique, paradisiaque ou démoniaque se dessine ainsi au sein de
l’Atlantique. L’océan, affublé de toutes sortes de mystères et de merveilles, se
transforme, au fil de l’imaginaire collectif, en un lieu rempli de superstitions
changeantes. On imagine qu’il est habité dans ses profondeurs par des animaux
gigantesques comme ces baleines de tailles irréelles 23. On redoute également
les poulpes géants, les dragons de mer et plus tard le Kraken. Ces différentes
interprétations du monde océanique et de ses habitants traduisent en fin de
compte la peur des hommes face à un élément instable et incontrôlable. Dans
une entreprise de domination de la nature, la mer reste en effet un élément
échappant à la force et à la volonté de l’homme.
B- La perception de l’espace maritime au xviie siècle
230
1- Les premières craintes s’apaisent

Au début du Haut Moyen Âge, la perception de l’Atlantique se transforme.


On laisse de côté les premières interdictions qui frappaient ce lieu hors du
monde – extra orbem – et différentes expéditions s’organisent. Au fur et à mesure
des découvertes, les limites du fantastique sont repoussées un peu plus loin vers
l’ouest 24. Ainsi, au milieu du xve siècle, lorsque les Portugais franchissent le Cap
Bojador, les colonnes d’Hercule reculent jusqu’au Cap-Vert 25. Elles s’éloignent
le long des côtes de l’Afrique puis se trouvent repoussées en plein Atlantique.
Les cartes signalent ainsi les colonnes dans le voisinage des Açores – carte de
Francesco Pizigani de 1367, puis au milieu de l’océan, carte anonyme vénitienne
de 1430 26. À la fin du xve siècle, les îles des Canaries puis l’archipel des Açores
font partie intégrante du monde atlantique et les colonnes qui marquaient
autrefois l’interdiction de pénétrer sur cette mer, désignent alors un espace
ouvert et accessible à l’homme 27.

22 Christiane Villain-Gandossi, « Au Moyen Âge, le domaine de la peur », dans La Mer. Terreur et
fascination, Paris, BnF/Le Seuil, 2004, p. 75.
23 Les Mille et Une Nuits, « Histoire de Sindbad le marin », Paris, Flammarion, 1998, p. 16.
On connaît l’histoire de Sindbad le marin qui allume un feu sur le dos d’une baleine, mais
rappelons celle identique de la légende celtique de saint Brandan : sur le dos d’une baleine,
l’abbé aurait dit une messe avant de dîner et d’éveiller le monstre marin (Louis André
Vigenras, La búsqueda del Paraíso…, op. cit., p. 27).
24 Tomás de Mercado fait cette réflexion à propos de Séville : « Soliendo antes, Andalucía y
Lusitania ser el extremo y fin de toda la tierra, descubiertas las Indias, es ya como medio »,
cité dans John H. Elliott, El viejo mundo y el Nuevo. 1492-1650 (1970), Madrid, Alianza
Editorial, 1972, p. 95.
25 W. G. L. Randles, La Représentation de l’Atlantique…, op. cit., p. 7.
26 Ibid.
27 Ibid., p. 10.

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2- Croyances, superstitions et monstres marins

Toutefois, même si ces espaces insulaires sont intégrés dans la cartographie


européenne, l’océan reste un espace redouté. Au xviie siècle, les superstitions
continuent d’habiter le monde des gens de mer. Les peurs ancestrales s’estompent
en effet difficilement et la présence d’un imaginaire tératologique contribue à
canaliser les craintes maritimes. On redoute ainsi lors d’une traversée, la présence
du Serein, cette fine pluie qui paralyse les membres, ou tout du moins le pense-
t-on 28. Pour se protéger, on ferme la nuit les écoutilles, mais les hommes qui
dorment à même le pont ne peuvent lui échapper. Un ministre du roi s’offusque
ainsi car ses domestiques couchant sur le tillac sont exposés au mal 29.
D’autres croient fermement à l’existence de l’homme triton : cet être
amphibien fascine en effet depuis longtemps. Le père Feijoo est par exemple
convaincu de son existence et fait le récit de Francisco de la Vega César qui
disparaît près des côtes de Santander et vit plus de neuf ans dans l’océan avant
de resurgir des flots près de Cadix 30. 231
Les sirènes, tantôt séduisantes tantôt monstrueuses, nourrissent également

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


l’imaginaire des gens de mer. Elles sont la parfaite incarnation de la fascination
et de la catastrophe 31. Dans la perspective chrétienne, ces monstres animaliers
représentent encore le châtiment et le caractère féminin des sirènes accentue
davantage le symbolisme maléfique. Ces bêtes marines, sirènes ou monstres,
personnifient en fait le péril. Elles figurent en effet le danger des océans et
revêtent des formes fantastiques : elles ne sont, en définitive, que le reflet de peurs
intériorisées 32. Les combats menés contre ces êtres imaginaires participent alors
à la lutte incessante contre les éléments. Les hommes confrontés au malheur et à
l’inconstance des flots symbolisent cette peur par des êtres surnaturels, véritables
incarnations du danger. Ces monstres sont même décrits, puis dessinés, afin
d’apporter des preuves irréfutables de leur existence. Le croquis, Monstruo marino

28 Jean Merrien, La Vie des marins au grand siècle, Rennes, Terre de Brume Éditions, 1995,
p. 181.
29 « Pues quién sino nosotros sufriria ver a nuestros criados españoles sin lugar donde dormir
y precisados a acostarse en la toldilla del Navio, junto a los Carneros, expuestos al sereno ».
AHN, Diversos, sin fecha – siglo xvii, leg. 33, doc. 42, « Relación de lo acaecido en un viaje de
Acapulco a Manila », fol. 12.
30 Julio Caro Baroja, Algunos mitos españoles, Madrid, Ediciones del Centro, 1974, p. 133-134.
Il cite également le père Fuentelapeña qui déclare : « Y que aya dichos Tritones (que llaman
hombres marinos) no es materia de duda … », ibid., p. 138.
31 Annie Cazenave, « Monstres et Merveilles », Ethnologie française, t. 9, n° 3, Paris, Berger-
Levrault, 1979, p. 238.
32 Laura de Mello e Souza, El diablo en la tierra de Santa Cruz. Hechicería y religiosidad
popular en el Brasil colonial, Madrid, Alianza Editorial, 1993, p. 47. Bruno Roy, cité à ce
sujet, explique de quelle façon les monstres symbolisent les peurs les plus intimes de
l’homme comme celle de perdre son intégrité corporelle ou celle de l’effondrement du
fragile équilibre social.

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que se mató en la Capitana de San Vicente en el Brasil año de 1564, en témoigne 33.
Un marin portugais aurait tué cet animal hybride d’un coup de dague dans ses
entrailles et le dessin en retrace l’action 34. Le monstre marin pourvu d’une
queue de poisson, d’un buste de femme, de mains griffues telles des serres et
d’une tête de souris (?) reprend ces caractéristiques fantastiques et animalières.
Comme les loups de mer 35, le monstre arbore de fières moustaches, un corps
massif, oblong et velu. Le monstre composite reflète en fait les présupposés d’un
bestiaire marin ancestral allié aux réalités de la faune océanique.
Au xviie siècle, entre superstitions, croyances et avancées scientifiques, le monde
de la mer reste donc habité par des êtres fantastiques et par des manifestations
surnaturelles. Les feux de saint Elme sont à cet égard emblématiques des
croyances maritimes. Mélange de culture savante et de culture religieuse
populaire, l’apparition de ces aigrettes lumineuses en haut des mâts est sujette à
de multiples interprétations ; nous y reviendrons. Le monde océanique, espace
232 divin et maléfique, représente donc un lieu symbolique même si les progrès
de la navigation atténuent sa représentation mythique et chaotique d’antan.
L’isolement, la force des éléments, la conscience de l’absolu et de l’infini
modifient alors l’attitude des hommes face au divin. En pleine mer, aux derniers
moments de l’existence, les préoccupations spirituelles s’exacerbent, mais dans
ce contexte maritime, comment pourrait-il en être autrement ?
C- La mort en mer, une inconnue

Au xviie siècle, la mort et la pensée de la mort sont sans cesse présentes. Dans


une société où l’espérance de vie ne dépasse pas les trente ans, la fin de l’existence
est alors perçue comme inéluctable 36. Les famines, les maladies endémiques et
les guerres s’abattent en Espagne et en Europe avec la plus grande violence et la
population accepte, résignée, ce sort devant Dieu. Les sociétés d’Ancien Régime

33 RAH, Papeles de Jesuitas, tomo LXXXVI, doc. n° 58, año de 1564 : « Monstruo marino que se
mató en la Capitana de San Vicente en el Brasil ».
34 On a découvert une reproduction identique et colorée de ce monstre, conservée dans le fonds
de l’Escorial. Catálogo del Fondo Manuscrito Americano de la Real Biblioteca del Escorial y
Estudios Superiores del Escorial, Madrid, IEIHA, 1993, p. 26. Cet épisode connu du monstre
de la Capitana du Brésil est reprise par Gandavo qui en fait un récit détaillé dans son Historia
de la Provincia de Santa Cruz : « aunque en muchas partes del mundo ya se tenga noticia
de él », dans Laura de Mello e Souza, El diablo en la tierra de Santa Cruz…, op. cit., p. 49.
35 Lorsque le père Cat voyage sur un navire espagnol, il déclare que les loups de mer jettent des
cris « dont le son n’est pas désagréable à l’oreille ». Les sons produits par ces animaux ne
pourraient-ils pas s’apparenter aux chants des sirènes ? Dans Lettres édifiantes et curieuses
concernant l’Afrique, l’Amérique et l’Asie (avec quelques relations nouvelles des missions et
notes géographiques et historiques), publiées sous la direction de M. L. Aimé-Martin, Paris,
Mair et Fournier librairies éditeurs, 1841, t. 2, p. 235.
36 Raphaël Carrasco, Claudette Dérozier, Annie Molinié-Bertrand, Histoire et civilisation de
l’Espagne classique. 1492-1808, Paris, Nathan université, 1991, p. 101.

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en Europe vivent ainsi dans la présence constante de la mort car la violence
difficilement jugulée la transforme en une réalité tangible et quotidienne 37.
1- Une vision de la mort en Europe

La réforme post-tridentine s’empare de la mort dans l’Europe catholique et en


fait le sujet principal de sa pastorale 38. Le thème du mépris de la vie s’impose,
celui de la vie dans la pensée de la mort davantage encore. Tout au long de
son existence, l’homme doit en effet se préparer et penser au salut de son âme
lors du passage vers l’au-delà. L’Église met alors en place une « pédagogie de la
peur » 39 qui doit inspirer de salutaires considérations au croyant. La pastorale
de la mort, doloriste et inquiétante, devient ainsi une pièce essentielle dans
l’économie générale du salut mais également dans un système dominant de
contrôle social 40. L’obsession du macabre se développe sensiblement et la
pastorale post-tridentine utilise sermons, gravures, représentations picturales
et ouvrages de dévotion afin de servir ses propos 41. La préparation à l’au-delà 233
met également l’accent sur la rédaction d’un document.

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


La mort dans la société moderne se déroule selon un rituel et la rédaction d’un
testament fait partie de cette préparation marquée par le sceau de la religion.
Elle permet de manière très personnelle d’exprimer son attachement aux choses,
aux êtres et à Dieu. Elle assure également le repos de l’âme et du corps 42. Le
testament se présente comme un instrument de médiation entre le croyant et les
Cieux et se transforme en une sincère profession de foi. Il offre alors la possibilité
d’affirmer ses convictions religieuses, d’assurer le salut de son âme tout en
disposant des biens acquis lors de son existence terrestre (temporalia) 43. Après
la mort, le rituel s’accompagne d’une veillée, d’une célébration funèbre et d’un
enterrement. La famille joue à ce moment précis un rôle primordial puisqu’elle
entoure le mourant, organise ensuite les funérailles et se recueille finalement sur
la tombe pour maintenir le souvenir du disparu parmi les siens. La mort s’inscrit
en effet dans un cérémonial communautaire : auprès du malade, les parents,
les amis, les confrères et le prêtre forment une présence active et un soutien

37 Augustin Redondo, La Peur de la mort en Espagne au Siècle d’Or. Littérature et iconographie,


études réunies et présentées par Augustin Redondo, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle,
1993, p. 5.
38 Michel Vovelle, Mourir autrefois. Attitudes collectives devant la mort aux xviie et xviiie siècles
(1974), Paris, Gallimard / Julliard, 1990, p. 46.
39 Jean Delumeau, La Peur en Occident…, op. cit., p. 27.
40 Michel Vovelle, L’Heure du grand passage. Chronique de la mort, Paris, Gallimard, 1993,
p. 64.
41 Augustin Redondo, La Peur de la mort…, op. cit., p. 8.
42 Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, Paris,
Le Seuil, 1975, p. 50.
43 Annie Molinié-Bertrand, Vocabulaire historique de l’Espagne classique, Paris, Nathan, 1993,
p. 74-75.

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indispensable 44. En définitive, la mort et son rituel représentent le dernier
acte social accompli par le mourant. La chambre se transforme en un centre
de convivialité, puis la cérémonie funèbre selon sa pompe signale le rang social
du défunt parmi les hommes. Le départ du disparu lors des funérailles, même
les plus modestes, est ainsi conçu comme un spectacle auquel sont conviés à
participer acteurs et spectateurs 45. Le passage vers l’au-delà reste un acte public,
social et vécu de manière collective 46.
2- Une continuité en Espagne

En Espagne, au xviie siècle, il faut penser à sa propre mort. La diffusion des


ars moriendi témoigne de cette préoccupation eschatologique toujours plus
présente. Fernando Martínez Gil a montré que ces livrets de dévotion mortuaire
en Espagne gagnent aussi bien les cercles ecclésiastiques que ceux des séculiers 47.
En effet, ces lectures dévotes offrent la possibilité de se préparer au Jugement
234 Dernier en toute orthodoxie. L’œuvre de Luis de Granada est emblématique
à ce sujet : dans son Guía espiritual publié en 1556, mais qui fut largement lu
au xviie siècle, il écrit : « Oficio es el bien morir que conviene aprenderse toda la
vida » 48. En Espagne comme en Europe, la préparation à la mort passe aussi par
la rédaction d’un testament. Elle témoigne d’une juste préoccupation pour l’au-
delà et d’une pensée quotidienne qui doit accompagner chaque fidèle tout au
long de son existence. Dans la Péninsule, la présence religieuse est significative :
la préparation à l’au-delà et la « pédagogie de la peur » qui l’accompagne sont
ainsi parmi les plus présentes en Europe. Augustin Redondo qualifie à ce
propos l’Espagne de champion de la catholicité 49 et Julio Caro Baroja précise
encore qu’aux xvie et xviie siècles toutes les classes sociales se trouvent sous
le joug indiscuté de l’Église 50. La religion se présente comme une solution
ultime, inconditionnelle et unique. La mort passe donc entre ses mécanismes
salutaires et le rituel qui l’accompagne se plie aux exigences religieuses dans une
acceptation générale.
Agonie, funérailles, messes pour le salut de l’âme, sépulture en terre,
commémoration des dates de décès : toutes ces cérémonies funéraires ont été

44 François Lebrun, « Les Réformes : dévotions communautaires et piété personnelle », dans


Histoire de la vie privée. De la Renaissance aux Lumières, t. 3, sous la direction de Philippe
Ariès et Georges Duby, Paris, Le Seuil, 1986, p. 88.
45 Ibid., p. 89.
46 Michel Vovelle, Mourir autrefois…, op. cit., p. 81.
47 Gil Fernández Martínez, Muerte y Sociedad en la España de los Austrias, Madrid, Siglo
Veintiuno Editores, 1993, p. 50.
48 Ibid., p. 58.
49 Augustin Redondo, La Peur de la mort…, op. cit., p. 8.
50 Julio Caro Baroja, Las formas complejas de la vida religiosa. (Religión, sociedad y carácter en
la España de los siglos xvi y xvii), Madrid, Akal Editor, 1978, p. 151.

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étudiées en Castille 51, à Huelva 52, à Cadix 53, à Séville 54, en Amérique 55,
mais pratiquement jamais à bord des navires espagnols. La mort en mer reste
une inconnue 56 : sur les flottes espagnoles au xviie siècle, on ne connaît pas
les attitudes face au trépas, on ne sait pas dans quelle mesure le décès en mer
modifie les sentiments religieux ; on ignore si le rituel mortuaire se perpétue
sur l’océan ou s’adapte aux conditions maritimes. Dès lors, on s’interroge :
quelles alternatives propose donc l’Église face à un décès sur les flots ? Comment
réagissent les hommes et quelles solutions sont offertes afin de mourir en bon
chrétien « enseveli » en mer et non en terre ?
3- Mourir en mer

Mourir sur les océans, privé des derniers sacrements et sans sépulture, est une
frustration n’autorisant ni le repos du corps ni celui de l’âme. L’Église s’attache
à enterrer ses morts selon un rite qu’elle a établi et renforcé après le concile de
Trente, mais qui n’envisage pas la mort sur les océans. Aucune alternative n’est 235
donc prévue pour pallier cette absence de tombe ressentie alors comme une

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


condamnation à l’errance 57. La mer, qui reste pendant des décennies diabolisée
et assimilée au repaire de monstres, ne présente de surcroît aucun soulagement.
La perspective d’un décès en son sein est vécue par le mourant et sa famille
comme une punition interdisant toute inhumation, service funèbre et lieu de
recueillement. Alors que la pastorale chrétienne mobilise la parole, le cérémonial
et les exercices spirituels pour que chacun se prépare aux derniers moments de
l’existence, la mort en mer « ne s’inscrit pas comme une simple variante où seul le
décor changerait. Elle apparaît au contraire comme un cas de figure autonome » 58.
Alain Cabantous souligne la nature singulière du décès en mer qui se place en

51 Gil Fernández Martínez, Muerte y Sociedad…, op. cit.


52 Manuel José de Lara Ródenas, La muerte barroca. Ceremonia y sociabilidad funeral en Huelva
durante el siglo xvii, Huelva, Universidad de Huelva, 1999.
53 María José de la Pascua Sánchez, Vivir la muerte en el Cádiz del Setecientos (1675-1801),
Cádiz, Fundación Municipal de la Cultura, 1990.
54 José Antonio Rivas Álvarez, Miedo y Piedad: Testamentos Sevillanos del Siglo xviii, Sevilla,
Diputación Provincial de Sevilla, 1986.
55 Antonio García Abasolo, La vida y la muerte en Indias. Cordobeses en América (Siglos xvi-xviii),
Córdoba, Monte de Piedad, 1992.
56 Pablo Emilio Pérez-Mallaína a toutefois abordé brièvement ce sujet dans son ouvrage, Los
hombres del Océano. Vida cotidiana de los tripulantes de las flotas de Indias. Siglo xvi,
Sevilla, Diputación Provincial de Sevilla, 1992, p. 186-189 : « Con la vida pendiente a un
hilo » et p. 246-254 : « Religiosidad y supersticiones ». Voir également son article fondé
sur la documentation des Bienes de Difuntos mais qui n’analyse pas le rituel lié à la mort
sur l’océan : Pablo Emilio Pérez-Mallaína y Juana Gil Bermejo García, « Andaluces en la
Navegación Transatlántica: la vida y la muerte en la Carrera de Indias a comienzos del Siglo
xviii », dans Andalucía y América en el Siglo xviii…, op. cit., p. 271-296.
57 Michel Mollat du Jourdin, « Les attitudes des gens de mer… », art. cit., p. 196.
58 Alain Cabantous, « Le corps introuvable. Mort et culture maritime (xvie- xixe siècles) », Histoire,
économie et société, n° 3, Paris, Éditions CDU et SEDES, 1990, p. 326.

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dehors des cadres structurant la société. Le catholicisme post-tridentin a en effet
élaboré des stratégies d’évangélisation en plaçant l’homme d’Église au cœur de sa
pastorale. Dans ces conditions, quelle réponse peut-on apporter à une disparition
sans le soutien spirituel d’un prêtre ? Cette privation des derniers sacrements est
douloureusement ressentie par les gens de mer, mais ce constat ne s’impose qu’à
bord des petits navires de pêche français, espagnols ou de certaines expéditions au
long cours dépourvues d’aumôniers. À bord des navires espagnols des flottes des
Indes ou du Pacifique, la situation est en revanche différente. Tandis que certaines
communautés maritimes sont privées d’un soutien spirituel, les équipages des
convois espagnols bénéficient souvent de la présence de l’aumônier. Le soutien
spirituel qui leur est offert propose alors une vision de la mort un peu plus sereine.
Si chaque vaisseau ne bénéficie pas d’un ecclésiastique à son bord, les traversées en
flottes autorisent le déplacement d’un chapelain appelé à exercer son ministère dans
un autre navire. Lorsque le pilote Diego Díaz agonise, on prie un homme d’Église
236 de se rendre à son chevet pour le confesser 59. Alors que l’ecclésiastique voyage sur
le navire Almiranta, on lui demande d’embarquer sur une petite chaloupe afin de
rejoindre le vaisseau Nuestra Señora del Rosario dépourvu d’aumônier 60.
Ce soutien apaise donc les mourants peu avant le grand passage, mais il est
vrai qu’un problème demeure. Que faire de la dépouille privée de sépulture et
condamnée à flotter dans l’océan ? Dans de nombreuses religions, l’absence
de tombe est considérée comme un châtiment divin 61 et par conséquent cette
privation de sépulture ne peut qu’opérer des ruptures avec les cadres familiers
et religieux 62. Une disparition en mer reste par donc une perpétuelle source
d’angoisse 63 et c’est pour cette raison que différents rites protecteurs maritimes
se mettent en place.

59 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 2, ramo 1, fol. 5. On lit dans
le procès-verbal la description détaillée des événements : « Llegó a la nao almiranta […]
miguel fernandez marinero de la nao nombrada nuestra señora del rosario […] a pedir de
parte del dicho general a diego de rutia almirante de la dicha flota le diese un confesor de los
religiosos que yban en la dicha nao para que fuese a confesar a diego diaz […] por que estaba
muriendose y con mucha necesidad… ».
60 Quelques jours plus tard, l’ecclésiastique déclare : « Bisto el caso de yr a hacer la confesion
yo me embarqué en la chalupa […] y abiendo llegado a la dicha nao y entrado dentro y
abiendo acabado de confesar a el dicho diego diaz piloto y biendo que estaba muriendose
le apercibí hiciese testamento y declarase las cosas convenientes para el descargo de su
conciencia… », ibid.
61 Michel Mollat du Jourdin, La Vie quotidienne des gens de mer en Atlantique, ixe-xvie siècles,
Paris, Hachette, 1983, p. 233.
62 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer…, op. cit., p. 155.
63 Mircea Eliade, Le Sacré et le Profane (1957), Paris, Gallimard - Folio / Essais, 1998, p. 112.
Il souligne à ce propos que l’immersion est le symbole de la régression dans le préformel
et qu’elle équivaut à une dissolution des formes. Par conséquent, le corps dissout dans
l’élément liquide ne peut être qu’une source d’angoisse pour les hommes interprétant
certainement ce phénomène comme une dissolution de l’âme.

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II- ENTRE PROFANE ET SACRÉ

Si la mort en mer n’est pas réellement encadrée par l’Église, d’autres


mécanismes apaisent les angoisses liées au voyage. Exposés au danger, gens
de mer et passagers éprouvent un besoin sécuritaire très fort et d’autant
plus marqué qu’aucune réponse eschatologique ne leur est prodiguée par
les autorités ecclésiastiques. Depuis des temps ancestraux, les gens de mer
connaissent et pratiquent donc des rites protecteurs. D’origines païennes, ils
puisent leur force dans les récits légendaires et folkloriques et parviennent à
calmer, un temps, les peurs d’une traversée. Dans une nouvelle perspective
évangélisatrice, on sait que l’Église va s’attacher à convertir ces rites en
christianisant leurs origines. Elle tentera ainsi d’engager un mécanisme de
conversion et d’apporter des réponses pour calmer les angoisses face au néant
des océans.
A- Rites protecteurs
237
1- Baptême et bénédiction de navires

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


Mêlant origines païennes et nouvelle forme chrétienne, le baptême de navires
participe aux rites conjuratoires. Lorsque les vaisseaux appareillent pour
l’Amérique, une grande cérémonie religieuse se tient dans le port de Séville,
puis de Cadix, tandis que les bâtiments sont bénis et baptisés pour leur première
traversée. Cette pratique n’est pas sans rappeler les rites de sacrifices pratiqués
en Italie jusqu’au xvie siècle 64. Si le sang du mouton devait autrefois protéger
le vaisseau, c’est l’eau bénite qui prend ensuite la relève pour assurer les mêmes
fonctions conjuratoires 65. Par cette bénédiction, véritable « négociation entre
pratiques populaires et théologie savante » 66, l’Église prend ainsi en charge la
vie quotidienne maritime dans ses aspects les plus concrets en apportant aux
hommes réconfort et espérance 67. Au prix de quelques menues adaptations,
le baptême de navire s’inscrit parfaitement dans la tradition rituelle du
christianisme 68.

64 Michel Mollat du Jourdin, « Les attitudes des gens de mer… », art. cit., p. 194.
65 Irène Frain le Pohon, « Les superstitions des gens de mer », L’Histoire, 2000 ans sur la mer,
juillet-août, n° 36, Paris, Le Seuil. La Recherche, 1981, p. 56. Elle remarque que les baptêmes
de navires « constituent un exorcisme contre Satan, dont la mer est, dit-on, le terrain
d’élection ».
66 Nicole Lemaître, citée dans l’ouvrage d’Alain Cabantous, Entre fêtes et clochers. Profane et
sacré dans l’Europe moderne. xviie-xviiie siècles, Paris, Fayard, 2002, p. 173.
67 Jean Delumeau, Rassurer et protéger. Le Sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois,
Paris, Fayard, 1989, p. 59.
68 Alain Cabantous, Les Citoyens du large. Les Identités maritimes en France (xviie-xix e siècles),
Paris, Aubier, coll. « Historique », 1995, p. 142.

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2- L’invocation des saints, une présence céleste à bord

Les cérémonies religieuses en mer participent également à ce soutien spirituel.


Face aux dangers, les absolutions générales répondent aux implorations des
marins et passagers angoissés à l’idée de mourir sans confession ni sacrement.
La présence d’un religieux favorise ce sentiment de réconfort, mais l’invocation
des saints facilite également les demandes d’intercession. Si l’origine légendaire
ou parachrétienne des personnages célestes invoqués en mer reste évidente,
elle n’interdit guère leur recours. Saint Nicolas, sauveur de l’enfant tombé
à la mer et rendu miraculeusement à ses parents, est alors considéré comme
protecteur des navires et des gens de mer. La prière dite en son nom à bord du
navire Nuestra Señora de Begonia en témoigne ; aux frontières du dogme officiel
et des dévotions populaires, elle mélange des éléments de culture païenne
et religieuse 69.
Saint Clément, noyé en mer attaché à une ancre, rappelle encore par son
238 martyre les péripéties endurées par la communauté maritime 70. En Espagne,
toutefois, la cour céleste invoquée se réduit souvent au nom de saint Elme.
Apparaissant aux marins sous les traits d’aigrettes lumineuses en haut des mâts,
il est représenté dans l’iconographie tenant un cierge allumé à la main 71. Le
père Chomé explique l’origine de cette représentation en citant les croyances
des matelots qui veulent que l’un d’entre eux, monté en haut du mât pour
s’approcher des feux follets, y aurait trouvé plusieurs gouttes de cire vierge 72.
Saint Elme est le saint protecteur par excellence des gens de mer et c’est pour
cette raison, dit le père Cat, « qu’ils portent toujours avec eux une image du
saint dont ce feu porte le nom » 73. Dès l’Antiquité, ces aigrettes lumineuses
revêtent une forme surnaturelle et sont appelées des noms de Castor et Pollux 74,
on remarquera ainsi le glissement opéré du domaine mythologique à celui
de la chrétienté pour mieux servir le dogme religieux. De nature céleste ou
maléfique, les feux peuvent être le signe d’un apaisement prochain des flots

69 « San Niculás, quiera guardar nuestra quilla, nuestra tilla, nuestro puente, nuestra jarcia, que
de fuera pende y dentro cae ; aqueste viaje y otros muchos mejorados […] con mar bonanza y
largo viento, y buen viaje y salvamento, recemos la oración del Pater noster y la Ave María »,
dans Francisco Fernández del Castillo, Libros y libreros en el Siglo xvi, México, Fondo de
Cultura Económica, 1982, p. 369. Information tirée d’une visite inquisitoriale réalisée en 1575
dans le port de San Juan de Ulúa à bord du navire Nuestra Señora de Begonia.
70 Michel Mollat du Jourdin, La Vie quotidienne…, op. cit., p. 230.
71 Voir illustration n° 3 tirée de la Carte de l’Atlantique réalisée par Domingo Sanches en
1618 où l’on voit saint Elme entouré d’autres saints patrons protégeant les nouvelles voies
maritimes.
72 Lettres édifiantes…, op. cit., t. 2, p. 103.
73 Ibid., p. 234.
74 Ibid., p. 103. On sait que Castor et Pollux de leur nom latin (en grec Castor et Polydeucès)
étaient invoqués par les marins à qui ils montraient la route. Dictionnaire de la mythologie
grecque et romaine, Turnhout, Brepols, 1992, p. 126.

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en furie 75 ou, au contraire, la manifestation diabolique de l’annonce de
quelques malheurs 76. Toutefois, cette fervente dévotion des marins pour saint
Elme exaspère les autorités ecclésiastiques qui y voient davantage des signes
superstitieux. L’aumônier du bâtiment San Francisco tente ainsi de persuader
les matelots de ne plus adorer ces feux follets, mais la réaction est violente  77.
L’équipage s’offense extrêmement et peu s’en faut, dit le jésuite, qu’ils ne traitent
l’aumônier d’hérétique. Cette dévotion marque parfaitement l’ambiguïté de
la nouvelle identification chrétienne imposée aux confins maritimes. Encore
mal recouvert du poli tridentin nécessaire, cet engouement pour saint Elme
échappe aux autorités ecclésiastiques. Le père Antonio Sepp observe ainsi
avec condescendance l’équipage s’enthousiasmer lorsque saint Elme fait son
apparition. Cris et exclamations des matelots lui semblent exagérés et il considère
la dévotion et les chants en son honneur comme de vulgaires vœux et prières
de pêcheurs. Complaisant, il déclare alors : « los ingenuos marineros creen que
amenazan tempestades y peligros cuando se les aparece este santo » 78. En 1635, un 239
jésuite tient à l’identique un discours empreint de mépris : lorsque les marins de

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


son vaisseau relatent l’apparition de saint Elme, il dépeint, narquois et résigné,
leur exaltation 79. Cette dévotion gratulatoire des gens de mer semble donc
dérisoire et de nature superstitieuse aux yeux des ecclésiastiques. Se rapprochant
des préceptes de l’Église, ces derniers préfèrent naturellement s’en remettre aux
saints officiellement reconnus dans le système de référence spirituelle. À bord
du navire la Santísima Trinidad, lorsqu’un ouragan se déchaîne sur l’océan
Pacifique, on laisse tout d’abord les matelots implorer saint Elme ; mais lorsque
la furie ne cesse d’augmenter, sur décision de l’ecclésiastique, on s’adresse aux
saints officiellement admis dans la cour céleste dans de tels cas 80. En 1601,

75 Gemelli Careri indique dans son journal : « Sur les trois heures de cette nuit orageuse, on vit
en haut du mât le feu de Saint Elme, que tous les passagers saluèrent comme un présage de
bon temps », dans Giovani Francesco Gemelli Careri, Voyage autour du Monde (1698), dans
Le Mexique à la fin du xviie siècle, vu par un voyageur italien / Gemelli Careri ; présentation de
Jean-Pierre Berthe, Paris, Calmann-Lévy, 1968, p. 53.
76 Jean Delumeau, La Peur en Occident…, op. cit., p. 38.
77 Lettres édifiantes…, op. cit., p. 103.
78 Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas, edición crítica de las obras del padre
Antonio Sepp, Buenos Aires, Eudeba Editorial Universitaria de Buenos Aires, 1971, p. 237.
79 « Nos dio por la mañana grande tempestad, y algunos marineros aseguraron haver visto
a Sant Telmo en las gavias con una luz ; esta es tradicion suya y nadie se la quitará de la
cabeza… », Museo Naval de Madrid, Fernández Navarrete, tomo 2, doc. 17 : « Relación del
viaje de Flota que se hizo a la Nueva España el año de 1635, en que fue embarcado el Marqués
de Cadereita Virrey nombrado de México », fol. 373.
80 « Aparecieron en el Bauprés dos exalaciones encendidas (que llaman San Telmo los Mareantes)
pero conociendo los de la Nao que iba arreciando mas la tempestad, se acogieron al aviso mas
seguro de los Santos con Ymbocaciones publicas de Salve y Letanias ». Museo Naval de Madrid,
Fernández Navarrete, MS-191, doc. n° 5 : « Relación Diaria del viage Maritimo y descubrimiento
de las costas del Sur, que hizo […] El capitan de mar y Guerra Pascual de Iriarte, desde la Provincia
de Chile hasta el estrecho de Magallanes y Tierra de Fuego. Año de 1675 », fol. 57.

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le jésuite Gregorio López, confronté aux dangers d’une tempête, choisit
naturellement d’invoquer le nom de saint Ignace et d’apposer son image pour
calmer les flots… et le résultat est probant 81.
Même si le clergé préfère éloigner les signes superstitieux des gens de mer,
il doit parfois composer en tenant compte de leur importance. Les autorités
ecclésiastiques tentent ainsi de s’approprier certains rites de conjuration et de
charme en les revêtant d’un léger vernis chrétien 82. L’onomastique des navires
est à ce sujet révélatrice.
3- L’onomastique navale

Dans son ouvrage consacré aux pratiques religieuses maritimes, Cesáreo


Fernández Duro indique que l’on baptise les vaisseaux espagnols du nom d’un
saint ou de la Vierge tandis que chez d’autres nations, la mythologie reste à l’origine
de cette onomastique 83. La consultation des registres maritimes des flottes des
240 Indes spécifie en effet le nom de chaque vaisseau placé sous l’invocation d’un saint,
parfois de plusieurs, et de la Vierge. Parmi les navires recensés dans cette étude,
on constate plus précisément l’importance accordée à San Antonio de Padua, à
San Pedro, à San Francisco, à San Juan Bautista et à la Vierge. Son nom apparaît
422 fois dans l’échantillon. Parmi les appellations mariales les plus caractéristiques,
citons ce galion naviguant en 1614, Nuestra Señora del Socorro y del Buen Viaje,
cette nef de la flotte de Terre Ferme, Nuestra Señora de las Aguas Santas, ou encore
ce galion cinglant vers Carthagène et portant le nom de Nuestra Señora del Mar.
Indiscutablement, l’onomastique des navires reste monopolisée par la Vierge et les
saints tandis que le Christ demeure peu invoqué. On retiendra cependant le nom
de quelques navires comme El Santo Cristo del Buen Viaje, le vaisseau El Cristo de
San Román, ce galion El Santo Cristo de San Augustín ou finalement un bâtiment
de guerre El Santo Cristo de Maracaibo. Il faut voir dans ce florilège de noms
christiques, de noms de saints et de la Vierge des dévotions spécifiques évoluant
au fil des années propres aux gens de mer et aux capitaines.

81 Archivum Romanum Societatis Iesu, Philipinas-Historia, Philipinas-10, fol. 73, « Carta de


Gregorio López escrita en Manila en 1601 para el Padre general en Roma ». Il commence
ainsi la lettre : « En esta daré quenta a Vuestro Padre de las misericordias que el señor usó
con nosotros por la intercesión de Nuestro Padre Ignacio en el viaje que hicimos este año
de Nueva España a Philippinas… ». À propos des interventions miraculeuses de saint Ignace
en mer voir l’article de Francisco de Borja Medina, « Ignacio de Loyola y el mar: su política
mediterránea », Revista de Historia Naval, n° 50, año XIII, Madrid, Instituto de Cultura Naval,
1995, p. 11-56. Nous souhaiterions nous intéresser au rôle des jésuites en mer et en particulier
aux saints patrons jésuites invoqués par les gens de mer, saint Ignace, mais surtout saint
François Xavier : cette étude est à venir.
82 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer…, op. cit., p. 129.
83 Cesáreo Fernández Duro, Disquisiciones náuticas. Navegaciones de los muertos y vanidades
de los vivos (1878-1881), Madrid, Ministerio de Defensa. Instituto de Historia y Cultura Naval,
1996, vol. III, p. 200.

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Alors que l’Amérique est évangélisée et que la pastorale post-tridentine
s’impose, l’émergence d’invocations américaines de la Vierge et du Christ semble
d’autre part s’affirmer. Par exemple, le galion Nuestra Señora de Guadalupe y
Santo Domingo, la patache Nuestra Señora de Copacabana et le galion El Santo
Cristo de Maracaibo le confirment. Dans le désenclavement planétaire engagé
au xviie siècle, il aurait été surprenant de ne pas constater des interférences
américaines dans le monde des navigations ibériques.
Toutefois, le patronage religieux des vaisseaux reste encore discrètement marqué
de réminiscences païennes. Si les noms officiels choisis pour chaque bâtiment
correspondent à des saints, des vaisseaux conservent en parallèle leur appellation
païenne. En 1610, le navire suelto qui navigue vers l’Española possède un registre
au nom de Nuestra Señora de la Antigua 84 alors qu’à son bord on rédige des
procès-verbaux en utilisant son appellation El León dorado tout droit venue
du bestiaire païen 85. En 1639, la nef Nuestra Señora de Aranzazu placée sous
le patronage de la Vierge voyage encore sous l’attrayante protection féminine 241
de Mari Morena, nom laïc qui signale cependant ce même désir d’auspice

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


féminin 86. En 1709 finalement, la frégate Nuestra Señora de la Concepción y San
Francisco Javier retient notre attention. Placée sous l’invocation de la Vierge et
d’un saint jésuite, les membres d’équipage continuent de nommer leur vaisseau
La Dama, « que por otro nombre se llama » 87. Ces doubles dénominations
traduisent parfois la prégnance des survivances païennes dans une société où
le christianisme est omniprésent. Profanes ou sacrées, elles signalent ce même
besoin sécuritaire des gens de mer.
B- Objets de dévotion et protection céleste

D’autres ressorts alliant forces surnaturelles et divines sont exploités en mer


afin de se protéger. Ils se concrétisent plus précisément en de petits objets de
dévotion ou en des talismans. En effet, l’image joue un rôle fondamental, car
elle participe à la désacralisation du lieu païen afin d’opérer par la suite une
christianisation de l’espace maritime  88. Sur les océans, le port de médailles
ou d’images pieuses facilite ainsi cette conversion des paysages hostiles tout en
proposant des rites conjuratoires.

84 Pierre et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique, Paris, SEVPEN, 1959, t. IV, p. 306.
85 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 302, n° 5, ramo 3, fol. 1-4.
86 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1640, leg. 964, n° 2, ramo 19, fol. 2.
87 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1716, leg. 984, n° 3, ramo 1, fol. 1-52.
88 Serge Gruzinski développe cette analyse dans la « territorialisation et la sacralisation »
d’espaces américains autrefois voués à des cultes idolâtriques au Mexique. L’apport
de l’image reste sans conteste un élément de sacralisation (Serge Gruzinski, La Guerre
des images de Christophe Colomb à “Blade Runner” (1492-2019), Paris, Fayard, 1990,
p. 215‑218).

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1- Des rosaires et des croix

On sait que l’éloignement des marins les coupe de la communauté des fidèles
et en fait des chrétiens isolés. Ils échappent en partie aux rythmes de l’Église
et dans une certaine mesure aux effets de l’acculturation post-tridentine 89.
Néanmoins, la pastorale chrétienne s’immisce dans le monde maritime par le
biais de menus objets aux vertus apaisantes. De simple facture ou d’élaboration
recherchée, rosaires et croix représentent des intercesseurs matériels de
premier choix facilitant, comme à terre, une protection céleste. Les rosaires
qui véhiculent « le symbolisme fleuri de la piété mariale » 90 témoignent tout
d’abord de l’importance de la dévotion à la Vierge dans la religion catholique.
Chez les gens de mer, la protection féminine qu’elle prodigue aux hommes
esseulés est d’autant plus forte qu’elle rappelle sa bienfaisante attention le
temps d’un voyage. Grâce à l’utilisation de ces compte-prières 91, les croyants
éloignés de leur paroisse peuvent se confier à la divinité dans un exercice
242 spirituel individuel tout en bénéficiant de sa protection : chapelets et rosaires
autorisent une médiation privilégiée et intime entre les hommes et les Cieux.
Du simple matelot au commandant militaire, chacun en détient au moins
un. Le marinier Antonio Hernández possède un rosaire conservé pêle-mêle
parmi ses maigres effets personnels 92 et l’artilleur Alonso López de Beguina
en a déposé un autre dans son coffre au milieu de ses vêtements 93. Le soldat
Bartolomé de Rojas Cantero conserve quant à lui un rosaire de belle facture
garni cette fois-ci d’argent et agrémenté de petites médailles représentant le
Christ 94 ; le contremaître de navire José de los Santos en détient un qui sera
revendu pour la somme de six réaux après son décès 95 et le pilote d’armada
Pedro Toscano dispose encore pour ses oraisons personnelles, ou plutôt pour
en faire le commerce, d’une vingtaine de rosaires 96. De facture élaborée ou
d’une très grande simplicité, les rosaires apparaissent sous de multiples aspects :
en voici un de couleur dorée détenu par un gardien de navire 97, onze faits de
petits fruits noirs et colorés 98, un autre en os sculpté 99 et un dernier garni

89 Alain Cabantous, Les Citoyens du large…, op. cit., p. 133.


90 Jean Delumeau, Rassurer et protéger…, op. cit., p. 391.
91 Jean Delumeau rappelle que ces compte-prières sont connus des anciens habitants de l’Inde
et de l’Égypte, qu’ils sont toujours en usage chez les musulmans et qu’ils ne s’adoptent en
terre chrétienne qu’au xiiie siècle, ibid.
92 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 273, n° 14, fol. 11. Dès son décès, le
rosaire est acheté par un autre marinier du vaisseau pour la somme de deux réaux.
93 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1599, leg. 254, n° 4, ramo 3, fol. 5.
94 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg. 975, n° 1, ramo 16, fol. 3.
95 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1651, leg. 968, n° 3, ramo 22, fol. 28.
96 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1647, leg. 967B, n° 5, ramo 6, fol. 4.
97 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1612, leg. 306, n° 12, fol. 4.
98 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1614, leg. 319B, n° 2, ramo 1, fol. 14.
99 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 292, n° 1, ramo 7, fol. 40.

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de petites perles, d’argent et d’un gland 100. Quelles que soient les catégories
socioprofessionnelles, chaque homme se munit au moins d’un rosaire, du plus
simple au plus luxueux, car il s’agit d’un médiateur spirituel de premier ordre
rassurant les croyants, facilitant les prières et recouvrant de surcroît un aspect
matériel séduisant. De petite taille, il se glisse facilement dans les poches ; touché
et égrené, il apporte finalement réconfort et sentiment de protection. Certaines
personnes en possèdent en revanche un nombre surprenant et l’on peut dès
lors s’interroger. On sait en effet que le commerce d’objets de dévotion est une
activité prisée par les gens de mer, et lorsque le maître d’argent Pedro de la Torre
voyage en possession de quarante-huit rosaires, la finalité est évidente 101. Il s’agit
là de marchandises, car, en Amérique, on souhaite acquérir ces objets cultuels
européens et, en Espagne, on est avide de ces nouvelles matières fabriquées aux
Indes, exotiques et moins coûteuses. Jerónimo Durango, passager de la flotte
de la Nouvelle Espagne, transporte ainsi vingt-quatre douzaines de rosaires faits
de petits fruits colorés et quarante-huit autres de couleur noire dans le dessein, 243
bien sûr, de les revendre 102. Médiateurs spirituels ou marchandises, ces compte-

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


prières restent les objets de prédilection du croyant naviguant sur les flots. S’ils
figurent immanquablement dans les coffres des matelots et des capitaines, les
croix et les crucifix sont plus rares. Ces supports de dévotion relèvent en effet
d’un domaine moins populaire. Les rosaires s’acquièrent pour quelques réaux
tandis que les croix, véritables bijoux d’orfèvrerie, possèdent une forte valeur
monnayable. Le soldat Juan Verdugo possède ainsi une croix en or massif 103 ;
un passager commerçant en conserve une autre recouverte du même métal et
délicatement attachée à un petit ruban de soie 104. L’objet se transforme donc
en médiateur et symbole de richesse puisqu’il revêt des formes luxueuses. Il
témoigne aussi d’une aisance financière chez certains croyants qui exhibent
avec ostentation leur foi. Ils recouvrent cependant les mêmes desseins que les
chapelets, car ils prodiguent réconfort et exaltent un sentiment religieux qui a
constamment besoin d’être sollicité face aux dangers 105. Afin de manifester la
présence du divin à bord, le greffier de navire Francisco López dépose ainsi dans

100 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1626, leg. 368, n° 7, ramo 14, fol. 11 : « Un
rosario engastado en plata con una borla y perlas ».
101 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1615, leg. 324A, n° 1, ramo 7, fol. 7 : « Quatro
dozenas de rosarios de colores ».
102 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1625, leg. 363B, n° 7, fol. 9.
103 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1605, leg. 937, n° 6, fol. 6.
104 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1635, leg. 384, n° 1, fol. 4 : « Una cruz de palo
engastada en oro pendiente de un liston ».
105 Soulignons d’autre part que la croix dans les mentalités religieuses représente la conjuration
et l’exorcisme dont le recours s’avère maintes fois utile pour calmer une tempête ou un coup
du sort.

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sa cabine une petite croix en argent de Santo Domingo 106 car c’est un symbole
de sa dévotion et un repère matériel de sa spiritualité. Citons encore le passager
Juan Fernández qui conserve un crucifix et une image de Nuestra Señora de
la Encarnación dans son logement afin de recréer en mer un environnement
réconfortant empreint de religiosité 107. Il est vrai que les images pieuses jouent
à l’identique un rôle conjuratoire.
2- Des images et des médailles

Comme le rappelle Alain Cabantous, la transmission du christianisme


passe par la matérialisation des signes et les images saintes en sont une sorte
d’emblème 108. Utilisées à profusion par la Contre-Réforme, elles nourrissent
la pastorale catholique, se diffusent en Europe, puis en Amérique en partie
grâce aux médiateurs océaniques 109. Les gens de mer aiment conserver ces
images en les attachant par exemple autour du cou, en les portant dans les
244 poches de leurs vêtements ou en les accrochant au grand mât 110. Ces petites
représentations iconographiques favorisent alors une familiarité avec le culte
jugée primordiale, sinon par l’Église, du moins par les marins. Ils pensent
ainsi s’attirer la protection de la Vierge lorsqu’ils détiennent son image ou
celle d’un saint plaquée sur un papier doré. La plupart des suffrages se portent
néanmoins vers Marie, protectrice par excellence des plus démunis. En mer,
les petites images la représentant apparaissent dans les coffres de chacun et
marquent la vivacité du culte marial. Les différentes spécificités de ces images
traduisent principalement des dévotions régionales. On ne s’étonnera pas de
constater une forte présence de la Virgen del Rosario, de celle de la Encarnación
et de la Concepción dont les cultes restent très répandus en Andalousie. Le
matelot Juan Cebrán vogue ainsi sur les flots en détenant une image faite de
bronze, une médaille certainement, de Nuestra Señora de la Concepción 111 et le
marin Jorge García traverse le Pacifique avec une image de Nuestra Señora del
Rosario 112. Parmi les officiers, citons encore le maître de navire Juan Cury de

106 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 935, n° 17, fol. 3.
107 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1603, leg. 267A, n° 3, ramo 4, fol. 7.
108 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer…, op. cit., p. 173.
109 Carlos Alberto González Sánchez, Los Mundos del Libro. Medios de difusión de la cultura
occidental en las Indias de los siglos xvi y xvii, Sevilla, Universidad de Sevilla, 1999, p. 199.
110 En 1612, on apprend qu’une image pieuse du Christ en croix, abîmée par le temps, est
accrochée sous la dunette près de la timonerie d’une frégate ancrée à Carthagène. Un marin
français, soupçonné dans sa foi, s’en empare alors, la déchire et la jette à la mer (Anna María
Splendiani, José Enrique Sánchez B., Emma Luque de S., Cincuenta años en el Tribunal de la
Inquisición de Cartagena de las Indias, vol. 2, Santa Fé de Bogotá, Ceja-ICCH, 1997, p. 132 et
José Toribio Medina, La imprenta en Bogotá y la Inquisición en Cartagena de Indias, Bogotá,
Publicación de la Biblioteca Nacional de Colombia, 1952, p. 171).
111 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos año de 1644, leg. 412A, n° 1, ramo 2, fol. 5.
112 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 390, n° 1, ramo 4, fol. 57.

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Ardad qui possède une statuette en ivoire de Nuestra Señora de la Concepción 113.
Un artilleur choisit également une dévotion à la Vierge et conserve une petite
représentation ronde et sculptée dans le bois de Nuestra Señora de Belén 114.
Toutefois, les passagers semblent davantage enclins à transporter ce type de
représentations iconographiques. Éprouvant peut-être un besoin sécuritaire
plus marqué que les gens de mer, ils aiment s’entourer d’images pieuses et
d’objets de dévotion les protégeant, pensent-ils, du danger. En 1708, Marco
Antonio Maza navigue vers les côtes de l’Espagne en serrant contre lui un
crucifix orné d’une petite représentation en bronze de Nuestra Señora de los
Dolores 115 ; un passager commerçant, Pedro Cerrato de Castañeda, a choisi
quant à lui d’accrocher dans sa cabine un miroir et une image de la Vierge
à l’enfant accompagnée de saint Jean et de saint Joseph 116. Les saints sont
appelés aux côtés de Marie et la cour céleste préside alors dans la cabine du
passager. En mer, les repères matériels de la spiritualité se mettent en place de
la même façon qu’à terre. D’autres passagers reproduisent également ce cadre 245
familier en exposant des images pieuses dans leur cabine ou en les portant telles

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


des médailles. En 1608, le passager Juan de Cibitola qui se dirige vers le port
de Sanlúcar, possède une petite figurine de la Vierge qu’il conserve dans son
coffre 117. Plus de soixante-dix ans après, en 1681, Domingo del Valle fait le
même voyage en détenant lui aussi une image de la Vierge 118. Seul Pedro de la
Rueda se place sous la protection de saint Pierre et de saint Paul dont il conserve
une image aux côtés de son livre d’heures en latin 119. Les passagers sont à
l’évidence des médiateurs culturels de première importance : ils transportent
et diffusent des modèles de la société occidentale et transmettent, par le
biais de ces images auxquelles ils vouent une fervente dévotion, les nouvelles
valeurs post-tridentines en Amérique. Ils sont en effet des acteurs mobiles et
propagateurs d’une foi qu’ils installent de manière durable. En se déplaçant
pourvus de ces représentations iconographiques, ils contribuent à alimenter
entre l’Espagne et l’Amérique un flux continu de représentations symboliques

113 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 296B, n° 2, ramo 7, fol. 6.
114 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1615, leg. 945, n° 2, ramo 11, fol. 35 : « Una
ymagen en una tabla redonda de nuestra señora de belen ».
115 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1709, leg. 673, n° 7, ramo 2, fol. 9. On découvre
dans son inventaire : « Un crucifixo de bronze con una imagen del mismo metal de la
advocación de Nuestra Señora de los Dolores… ».
116 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1603, leg. 934, n° 2, fol. 6.
117 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 1, ramo 18, fol. 4 : « Una
hechura ymagen de nuestra señora de bulto pequeña ».
118 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1689, leg. 436, n° 5, fol. 17.
119 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 514, n° 1, ramo 11, fol. 7. On lit
dans l’inventaire : « Unas oras en latin, una ymagen de san pedro y san pablo, una cruz de
granadillo con un cristo pintado en ella… ».

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et religieuses 120. Même si l’impact de l’image et de son utilisation aux Indes
sont maintenant bien connus 121, l’influence des dévotions américaines en
Espagne reste toutefois à analyser 122.
La création d’images hybrides en Amérique favorise la naissance d’un culte
catholique sur une terre qui se vouait autrefois à d’autres divinités. En adaptant
une évangélisation au contexte américain, à son histoire et à sa culture, l’Église
favorise l’expansion de la foi. Gens de mer et passagers participent à cette
christianisation et véhiculent les nouvelles valeurs de la Contre-Réforme 123.
Néanmoins, ces personnes mobiles qui facilitent la diffusion d’objets
iconographiques ne se contentent pas d’effectuer des apports unilatéraux en
Amérique. Elles permettent aussi d’exporter de nouveaux repères culturels et
religieux en Espagne en faisant le commerce ou en ramenant des images pieuses
américaines dans la Péninsule. Ainsi, Ignacio Muñoz transporte lors de son
voyage vers l’Espagne une image de Nuestra Señora de Copacabana et s’apprête à
246 diffuser cette dévotion autochtone du continent américain 124. Quelques années
plus tard, en 1673, le Créole Francisco Fernández de Ávila effectue la même
traversée en conservant dans une malle une sculpture de Nuestra Señora de
Copacabana 125. En 1690, Juan Antonio de Eguarás contribue encore à cette
nouvelle dévotion. Cinglant vers Séville, il navigue prémuni contre les dangers
d’une traversée en détenant un rosaire garni d’argent et d’une petite image
de Nuestra Señora de Copacabana faite du même métal 126. La présence de la
Vierge créole, dont l’apparition allait favoriser l’implantation du catholicisme

120 Serge Gruzinski a souligné l’importance de ce phénomène et a mis en lumière le rôle


significatif de ces médiateurs culturels (Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du
Nouveau Monde de la découverte à la conquête, Paris, Fayard, 1991, t. II, p. 227).
121 Voir l’ouvrage de Serge Gruzinski, La Guerre des images…, op. cit.
122 Nous avons déjà publié en partie cet aspect de notre recherche. Delphine Tempère, « Des
marchands en mer. Voyage océanique, négoce et médiations entre l’Espagne et l’Amérique
au xviie siècle », dans Des marchands entre deux mondes. Pratiques et représentations en
Espagne et en Amérique (xve-xviiie siècles), Paris, PUPS, coll. « Iberica », 2007, p. 103-115.
Grégoire Salinero fait le même constat et s’intéresse à la mobilité des hommes, facteur de
création d’identités hybrides : « Mobilité et identités dans les études de la relation Espagne-
Amérique (xvie- xviiie siècles), dans Mezclado y sospechoso. Movilidad e identidades, España y
América (siglos xvi-xviii), Grégoire Salinero (dir.), Madrid, Casa de Velázquez, 2005, p. 3-21.
123 En ce qui concerne, par exemple, les circuits et les échanges artistiques entre l’Europe et
l’Amérique, voir l’article d’Anne-Sophie Molinié : « Influences romaines et florentines dans
le Nouveau Monde. Les formes italiennes de la Renaissance dans l’art péruvien », dans Des
marchands entre deux mondes…, op. cit., p. 117-130.
124 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1658, leg. 438, n° 1, ramo 16, fol. 2. Éliane Talbot
s’est intéressée tout particulièrement à cette dévotion. Dans son ouvrage, elle retrace la
naissance du culte et rappelle les origines préincaïques de la divinité de Copacabana sur les rives
du lac Titicaca. Éliane Talbot, Pluie de miracles sur le pays des Incas, Paris, Publibook, 2005.
125 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1678, leg. 559B, n° 3, ramo 1, fol. 6. On suppose
qu’il s’agit d’une sculpture, car elle est inventoriée, seule, dans une malle : « Y un baul aforrado
en que trae una ymagen de Nuestra Señora de Copacabana ».
126 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1692, leg. 566, n° 1, ramo 1(4), fol. 24.

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en Amérique, est donc présente dans le monde espagnol. Elle s’immisce non
seulement par le biais de ces petites représentations iconographiques, mais
également par le truchement d’objets du quotidien. En 1661, un passager
de la flotte de Terre Ferme, Francisco García Prieto, s’empresse de revenir en
Espagne. Dans son coffre, où il conserve pêle-mêle ses effets, on découvre parmi
ses bas de soie, ses peignes de Chine, ses culottes et ses pourpoints, une petite
boîte contenant une image de Nuestra Señora de Copacabana 127. Conservée
dans son écrin, tel un précieux trésor, la représentation de la Vierge apparaît
mélangée aux effets ordinaires du passager. En 1645, Francisco Rodríguez
possède également une petite boîte à l’effigie de la Vierge américaine, « una
cajita con la Madre de Dios de Copacabana » 128, preuve de l’interférence du
quotidien et du religieux. Comme le souligne Serge Gruzinski, images sacrées
et objets familiers se superposent dans une colonisation sacrée du quotidien 129.
Le monde maritime participe à ce phénomène en créant des liens multilatéraux
de l’Europe aux Indes et inversement. 247
À titre d’exemple, cette image de Marie Madeleine faite de plumes souligne

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


le caractère hybride des objets de dévotion exportés dans la Péninsule.
En possession du passager Juan Fajina, cette mosaïque pieuse de plumes et
d’inspiration indigène apparaît dans son coffre : « una ymagen de santa maria
madalena de pluma de la nueva españa » 130. Mobilisant croyances autochtones,
pratiques rituelles indigènes assimilées au catholicisme implanté en Amérique,
ces images font irruption dans le quotidien des Espagnols. Diffusées en Europe
par le biais de passeurs culturels, elles se propagent subrepticement en mêlant
des références ancestrales indigènes au catholicisme occidental 131. Il est clair
que la circulation des hommes, les échanges commerciaux et culturels tissent
des liens privilégiés en créant finalement des sociétés mêlées dans lesquelles
les Espagnols s’américanisent 132. Au-delà d’une vision réductrice conduisant

127 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1662, leg. 443, n° 1, ramo 2, fol. 9.
128 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1645, leg. 414, n° 1, ramo 1, fol. 37.
129 Serge Gruzinski, La Guerre des images…, op. cit., p. 244.
130 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1615, leg. 320, n° 1, fol. 3.
131 Éliane Talbot rappelle ainsi la diffusion du patronage de la Vierge de Copacabana au-delà
des régions andines, atteignant le Brésil au xviie siècle (ce qui explique le nom de la plage de
Copacabana), puis l’Espagne. Elle nuance toutefois son importance, rappelant que ce culte
est plutôt l’expression d’une revendication de type créole (Éliane Talbot, Pluie de miracles…
op. cit., p. 163-165). Dans cette étude, on remarque néanmoins que parmi les personnes qui
détiennent des représentations de la Vierge de Copacabana, deux sont créoles, mais les
quatre autres sont espagnoles.
132 L’artilleur Domingo Sánchez Florín possède un rosaire fait d’écailles de tortue, carei. AGI,
Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 396A, n° 4, ramo 9, fol. 26. Voir à propos
des missionnaires jésuites qui participent de même à la diffusion des hommes et des idées
entre Asie, Amérique et Europe : Hugues Didier, « Entre l’Europe et les missions lointaines,
les Jésuites premiers mondialisateurs », dans Les Jésuites en Espagne et en Amérique, Paris,
PUPS, coll. « Iberica », 2007, p. 355-367.

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à une acculturation du monde indigène, passagers et gens de mer diffusent
donc en Occident de nouveaux symboles aux origines multiples et aux
représentations métissées 133. L’émergence de ces nouveaux repères religieux
s’inscrit naturellement dans la même lignée que les précédents. Ainsi la Vierge
de Copacabana, de Guadalupe ou del Rosario portée en médaille ou en image
prodigue le même réconfort spirituel et protecteur. En 1636, lorsque la passagère
Acacia de Robles revient vers les royaumes de Castille, elle détient « una
concepción guarnecida en carei con rosas doradas redondas » 134. Les matériaux
changent donc, mais lorsque les écailles de tortue sont façonnées, c’est pour
rappeler le culte marial fleuri qui s’adapte au « Nouveau Monde ». Les dévotions
évoluent, leurs représentations également, mais les recours conjuratoires restent
identiques. La force du culte marial et de celui des saints demeure profondément
ancrée dans les dévotions des gens de mer et des passagers qui tentent ainsi de
communier avec l’au-delà le temps d’une difficile traversée.
248
C- Entre superstition et orthodoxie

La connivence qui se maintient entre profane et sacré conduit les hommes à se


mouvoir aux frontières de pratiques rituelles parfois interdites. Il faut pourtant se
protéger des dangers de la mer et recourir à des objets dont les vertus protectrices
apaisent les craintes. Ainsi, talismans, reliques, cordons, amulettes et livres de
dévotion sont également censés conjurer le mauvais sort.
1- Amulettes et reliques

Afin d’éloigner le malheur en mer, certaines pratiques propitiatoires mêlent


volontiers magie et préceptes de l’Église. Si cette dernière a déjà bien remplacé
le port d’amulettes par des images pieuses ou des reliques, elle n’a pas totalement
effacé un paganisme latent. Les amulettes ont presque disparu au xviie siècle,
néanmoins on découvre parfois dans le coffre d’un marin ou d’un soldat ces
petits objets relevant de la magie. Dans l’inventaire de l’artilleur Jerónimo Ortiz,
dressé en 1631 à bord du navire Nuestra Señora de los Ángeles, on remarque
ainsi la présence de plusieurs amulettes dorées 135. Pourvu de ces talismans,
« higas » 136, l’artilleur maintient donc une relation ambiguë entre le monde

133 Voir Serge Gruzinski, « Les mondes mêlés de la monarchie catholique et autres connected
histories », Annales, Histoire, Sciences sociales, 56e année, n° 1, Paris, EHESS, 2001, p. 85-117.
134 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 544, n° 1, ramo 5, fol. 19.
135 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1631, leg. 380, n° 1, ramo 3, fol. 7. On lit dans
l’inventaire : « Unas sabanas […], ygas, […] un chifle y dos botafuegos biejos, ygas doradas… ».
136 « Hyga: Amuleto con que vanamente se persuadian los Gentiles que se libraban del fáscino
y del mal ojo, y apartaban de sí los males que creían podían hacer los envidiosos, quando
miraban a las personas o a las cosas. La figura era de una mano, cerrado el puño, mostrando el
dedo pulgar por entre el dedo índice y el en medio », dans Diccionario de Autoridades (1726),
Madrid, Real Academia Española, edición facsímil, Editorial Gredos, 1984.

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religieux et le monde magique, car s’il se protège du mauvais œil, il demande
également dans son testament que des messes soient dites pour les âmes du
purgatoire. Cette interférence entre superstition et dévotion ne surprend guère,
dans un enchevêtrement subtil de magie et de culte religieux, chacun cherche
finalement à se protéger. Les gens de mer savent depuis toujours utiliser ces
recours alliant superstition et dévotion 137.
L’Église romaine tente cependant de s’approprier certains rites de conjuration
et de charme en les revêtant d’une idéologie chrétienne 138. Le port de reliques
et de cordons en est un exemple. Matelots, soldats et passagers aiment en effet
porter ces objets dont l’influence bienfaitrice et orthodoxe doit les protéger
des dangers. En mer l’espace fait défaut, c’est pourquoi les rosaires, petits et
maniables, les cordons, fins et discrets, sont fort prisés. De petites tailles mais
au symbolisme très puissant, ces menus objets répondent à un besoin sécuritaire
et dévotionnel. Dans plusieurs inventaires, on a recensé des « cordones » et l’on
pense qu’il s’agit de petits cordons qui signifient l’appartenance à un tiers-ordre 249
religieux et qui offrent à leur détenteur la possibilité de s’attirer les faveurs

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


célestes. L’artilleur Juan Bautista de las Casas détient ainsi « dos cordones de
San Francisco » aux côtés de plusieurs images pieuses 139. Le soldat Juan Rosel
conserve également parmi ses maigres effets un cordon de saint François 140 et
le passager Juan de Colomera plusieurs « cordones de frayles » 141. Finalement, on
retiendra le passager Pedro Sánchez qui utilise certainement comme intercesseur
matériel et spirituel ce cordon de Santo Domingo qu’il garde dans son coffre près
d’un rosaire en bois d’ébène 142. Aux frontières de pratiques superstitieuses et
orthodoxes, ces objets confèrent donc aux personnes qui les détiennent une
force protectrice. On sait qu’au Pays basque des cordons de San Blas se portent
contre les maux de gorge et la toux 143, néanmoins on ne sait pas si les cordons
de San Francisco et de Santo Domingo ont des spécificités.
Les reliques portées dans des petits sacs revêtent les mêmes fonctions
propitiatoires. Elles appartiennent plutôt aux passagers et aux officiers, car leur
acquisition requiert une aisance financière supérieure. On pense également

137 C’est pour cette raison que des amulettes ont été retrouvées dans les vestiges des naufrages
de la Carrera de Indias. Pablo Emilio Pérez-Mallaína, Los hombres del Océano…, op. cit.,
p. 252.
138 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer…, op. cit., p. 129.
139 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1615, leg. 945, n° 2, ramo 11, fol. 34.
140 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1600, leg. 493B, n° 6, fol. 1.
141 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 335, n° 9, fol. 10.
142 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 277, n° 1, ramo 1(4), fol. 25.
143 Juan Madariaga Orbea, « Muerte y mentalidad en el ámbito rural del país vasco a fines
del Antiguo Régimen », Cuadernos de Investigación Histórica, n° 18, Madrid, Fundación
Universitaria Española Cisneros, 2001, p. 19. Ces cordons éveillent ainsi la méfiance des
autorités ecclésiastiques bien qu’ils soient liés au culte des saints.

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qu’elles monopolisent davantage l’attrait des élites, car elles agissent en tant
que marqueurs sociaux et sont des objets de dévotion parfaitement orthodoxes.
Ainsi, seuls un matelot 144 et un soldat 145 possèdent un petit sac de reliques,
tandis que les passagers sont les plus fervents porteurs d’ossements sacrés. Neuf
d’entre eux en conservent contre trois maîtres de navire, deux capitaines et deux
contremaîtres. Diego de Sandoval, voyageant à bord du navire La Santísima
Trinidad en 1668, s’entoure de ses trois petits sacs de reliques peu avant de
mourir, mais ces derniers n’accompagneront pas le corps du défunt en mer. En
effet, lors de la vente aux enchères, ils seront rachetés pour la somme respectable
de quatre pesos et demi 146. Juan Herrera Rendón, passager du galion Santa Ana
María, possède également des reliques pendues à une tresse. C’est le gardien du
navire Miguel Ramos qui en fera ensuite l’acquisition pour un peso et deux réaux
en les portant peut-être autour du cou 147. Le maître Bernardino Maldonado
conserve également une relique dans un petit sac en 1669 148 et Francisco Crespo
250 de Abreu, maître du vaisseau El Santísimo Sacramento, détient lui aussi un sac
de reliques et un livre d’heures 149. Ces petits objets, assimilables aux talismans,
sont d’une orthodoxie irréprochable et c’est pourquoi capitaines, maîtres et
passagers tentent de les conserver. Ils représentent la confirmation de leurs
convictions religieuses, forment un aliment spirituel qui nourrit leur piété 150 et
garantissent finalement réconfort et protection. Juan de Echeverri, futur général
d’armada, demande ainsi à sa mère de lui envoyer une relique de Santo Domingo
peu avant son départ pour l’Amérique 151. L’usage de ces ossements sacrés en
mer reste cependant particulier, car s’ils sont précieusement conservés afin
de protéger contre le malheur, ils se transforment parfois en médiateurs pour
exorciser une tempête. En 1640, le père Simón Méndez traverse l’Atlantique
lorsqu’une tempête s’abat sur le vaisseau 152. Les éléments se déchaînent, l’eau

144 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg. 975, n° 1, ramo 1(2), fol. 27.
145 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1632, leg. 958, n° 13, fol. 12-13.
146 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1668, leg. 669, n° 21, fol. 2.
147 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1626, leg. 368, n° 7, ramo 11, fol. 8 : « En Miguel
Ramos Guardian se remató la trenza de las reliquias en dies Reales ».
148 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1670, leg. 454A, n° 1, ramo 4, fol. 2.
149 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1681, leg. 976, n° 1, ramo 3, fol. 7.
150 Antoni Maczak, Viajes y viajeros en la Europa moderna (1978), Barcelona, Omega, 1996,
p. 317-338. Voir le chapitre intitulé : « Católicos, protestantes y reliquias ».
151 Ses mots laissent clairement deviner l’importance que revêt sa dévotion : « Por amor de Dios
suplico a Vuestra Merced aga merced de ymbiarme con la primera ocasión alguna reliquia del
glorioso mi padre Santo Domingo que lo deseo en grande manera y me dará un consuelo bien
grande… », Museo Naval de Madrid, Vargas Ponce, año de 1628, tomo 10, doc. n° 67 : « Carta
de Juan de Echeverri a su madre diciéndole que él deberá estar en Sevilla a fines de febrero
porque la salida de los galeones para las Indias será a fines de marzo: pide ropa blanca y una
reliquia de Santo Domingo », fol. 84.
152 Museo Naval, Fernández Navarrete, año de 1640, tomo 32, doc. 38 : « Relación del Viaje y
navegación del Padre Simón Méndez de la Compañía de Jesús. Año de 1640 », fol. 453.

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s’engouffre dans le navire, le capitaine et les matelots hagards ne parviennent
pas à s’entendre ; les jésuites supplient alors le Ciel et immergent des reliques
afin de calmer les flots 153. La pratique s’avère surprenante puisqu’elle mêle
exorcisme et magie dans un processus qui pourrait parfaitement s’apparenter à
une folklorisation et à une paganisation du christianisme 154. Certes, les reliques
conservent toute leur orthodoxie, mais leur usage frôle indiscutablement la
magie 155. Quoi qu’il en soit, les missionnaires embarqués pensent davantage à
leur survie et effectuent dès lors des gestes instinctifs d’hommes en détresse 156.
Prières, vœux, recours magiques christianisés ou non, toutes ces actions
s’inscrivent dans l’acte votif religieux et populaire afin d’apaiser les craintes.
Le père don Pedro Cubero Sebastián agit de façon semblable lorsque la furie
des éléments menace équipage et passagers sur l’océan Pacifique. À la demande
du général et des matelots, il plonge alors une relique du corps de saint
François Xavier et une autre du Lignum Crucis en les attachant à la corde de la
bonnette où d’autres reliques sont déjà installées 157. 251
L’immersion de reliques est une pratique d’exorcisme maritime répandue

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


chez les gens de mer espagnols. Si l’Église s’attache à christianiser des rites de
protection dont les origines païennes sont bien connues  158, on sait que les
hommes sollicitent constamment des repères symboliques et spirituels afin
d’apaiser leur besoin sécuritaire. Ainsi sont-ils contraints, parfois, d’adapter
leurs pratiques superstitieuses à une orthodoxie imposée. On serait donc tenté
de penser que l’assimilation des cultes païens aux dévotions officielles émane
aussi d’un désir de maintenir les intercesseurs privilégiés au prix de quelques
concessions. D’autres objets sacrés connaissent le même sort et participent aux
rites de conjuration des flots. Les agnus dei représentent à ce titre les talismans
sacrés les plus emblématiques.

153 « Y nosotros todos llamando a Dios y a los santos, y hechando reliquias al mar, y muy en
particular a la Madre de los Afligidos, la Reyna de los Angeles, la virgen Maria… », ibid.
154 L’ouvrage de Jean Delumeau, plus précisément l’étude intitulée « Folklorisation du
Christianisme », nous aide à interpréter ce phénomène. Jean Delumeau, Le Catholicisme
entre Luther et Voltaire (1971), Paris, PUF, 1992, p. 253-258.
155 Voir à propos de l’usage des reliques : « Les théologiens et les reliques », dans Jean Delumeau,
Rassurer et protéger…, op. cit., p. 234-242.
156 Michel Mollat du Jourdin, « Les attitudes des gens de mer… », art. cit., p. 198. Sur les navires
portugais, la pratique est courante également.
157 « Aquella noche eché una Reliquia de Lignum Crucis a la mar, a peticion de el General, y los
demas de la nao, del que yo traía que me avia dado su santidad; lo restante de Lignum Crucis
juntamente con una Reliquia de el cuerpo del Glorioso Apostol de la India San Francisco Javier,
la pusimos atada a la boneta del correr que venia a la jarcia con otras muchas Reliquias… »,
dans Don Pedro Cubero Sebastián, Breve Relación de la Peregrinación que ha hecho de la
mayor parte del mundo don Pedro Cubero Sebastián Predicador Apostólico de Asia…, Madrid,
por Juan García Infançon, 1680, p. 329-330.
158 En France, on jette ainsi des pains fabriqués à Noël dans la mer pour apaiser son courroux.
Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer…, op. cit., p. 155.

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2- Agnus dei, scapulaires et livres sacrés de dévotion

Ces petits bouts de cire, bénis par le pape 159 et parfois garnis d’argent, sont
portés par les gens de mer et les passagers tels des amulettes sacrées. Alain
Cabantous rappelle à ce sujet que les « navigants assaillis par les vagues et le
vent peuvent recourir à des pratiques dont le vernis chrétien ne dissimule que
très grossièrement l’antériorité païenne » 160. Peu à peu, on substitue à des rites
anciens de nouveaux rites christianisés : l’immersion d’agnus dei afin d’exorciser
une tempête en est un exemple significatif. Les missionnaires utilisent ainsi ce
recours lorsqu’ils décèlent, par exemple, la présence de Satan dans une baleine
et qu’ils lui jettent alors des agnus dei afin de l’éloigner 161. On a vu que ces petits
objets sacrés font partie du quotidien de chaque croyant et nombreux sont donc
les passagers et les matelots à détenir ces « agneaux de Dieu ».
On découvre des agnus dei dans les coffres de chaque membre d’équipage.
Tel marin en possède un comme un trésor aux côtés d’une bague en or 162 ;
252 un soldat en conserve un autre garni de petites perles 163 et cet artilleur du
Galion de Manille, un dernier orné d’argent 164. Parmi les officiers, un pilote de
vaisseau Almiranta détient un « agnus dei pequeño de plata » 165 et un maître de
navire en garde un autre serti, cette fois, de précieux bois d’ébène 166. Passagers
et passagères affectionnent également ces objets de dévotion : Cristóbal
Jiménez traverse ainsi la Mer du Sud en portant sur lui son vieil agnus dei en
argent 167. Transportés, manipulés, serrés et parfois immergés, ces talismans
sacrés sont fort prisés par les voyageurs et les voyageuses. Les femmes font en
effet montre d’une inclination particulière à l’égard de ces petits médaillons.
Lorenza de Ribera a fait par exemple l’acquisition d’un agnus dei en or de très
belle facture 168.

159 « Agnus dei: Unos pedazos de cera blanca, amasados por el Papa, con polvos de reliquias de
Santos, a quien sirven y asisten para esto algunos Cardenales y Prelados : métese esta cera
entre dos formas, que la una tiene abierta a cincel la forma de un Cordero con la inscripción
Agnusdei, y la otra la Imagen de Christo, de nuestra Señora, ù de algun Santo, con su
inscripción, y el nombre del Pontífice que los hace y bendice : y asi salen estas formas en la
cera de medio relieve, y regularmente de hechura circular, o elyptica », dans Diccionario de
Autoridades…, op. cit.
160 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer…, op. cit., p. 155.
161 Laura de Mello e Souza, El diablo en la tierra…, op. cit., p. 64.
162 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 514, n° 2, ramo 2, fol. 9 : « Un agnus
dei de plata con una sortija de oro con siete esmeraldas ».
163 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609 , leg. 284, n° 1, ramo 8, fol. 1 : « Un agnus
dey bordado de aljofar ».
164 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 396A, n° 4, ramo 9, fol. 26 : « Un
agnus guarnecido de plata ».
165 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 268B, n° 1, ramo 20, fol. 3.
166 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 296A, n° 2, ramo 7, fol. 7 : « Una bolsa
y en ella un anux dey guarnecido de hevano ».
167 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 291, n° 1, ramo 3, fol. 21.
168 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1603, leg. 923, n° 11, fol. 8.

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Les passagères aiment encore s’entourer d’objets particuliers à caractère sacré
et rassurant ; il s’agit des scapulaires. Cette pièce d’étoffe, portée sur ou dans
les vêtements, représente une protection mariale sans égale. Dans un sermon
préparé par Vincent Houdry de Montargon qui vante les bienfaits du scapulaire,
on lit ainsi « à [sa] présence les tempêtes se calment, les incendies s’arrêtent,
les naufrages cessent… » 169. On comprend dès lors l’engouement pour cette
protection qui confère en outre aux membres de la confrérie du Scapulaire
l’assurance d’être délivrés du purgatoire le samedi qui suivra leur mort 170. Le
port de cette étoffe sacrée en mer revêt un caractère éminemment sécuritaire et,
par conséquent, il n’est guère surprenant de constater que la passagère Acacia de
Robles en détienne un parmi ses effets personnels 171. En 1604, Catalina Díaz
navigue vers l’Amérique munie également d’un scapulaire en priant le ciel de la
protéger 172. Finalement, le greffier Francisco Ginovés, exerçant ses fonctions en
1611 à bord de la hourque San Juan Bautista, retient notre attention. Un jour de
grande pluie, l’homme de plume est pris d’un malaise et immobile ne répond 253
plus. L’équipage s’empresse alors de l’abriter dans sa cabine, tente de le réanimer,

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


mais en vain, le greffier est déjà mort 173. On procède rapidement à l’inventaire
de ses biens tout en dressant une liste des vêtements qu’il porte le jour de son
décès. Le scapulaire précieusement conservé fait alors son apparition : le pilote
Gonzalo de la Rocha le découvre en vérifiant le contenu des poches des effets du
défunt 174. Porté dans les vêtements, il doit protéger son détenteur et lui assurer
un passage plus rapide vers l’au-delà. C’est une dévotion qui connaît en Espagne
un engouement certain puisque plus de 200 000 personnes seraient inscrites aux
confréries du Scapulaire vers le milieu du xviie siècle 175.
Ces différents rites et objets recouvrent donc des valeurs sécuritaires en mer,
mais on assiste à un glissement des pratiques frôlant magie et superstition.
La possession de livres de dévotion revêt à ce titre des fonctions ambiguës.
Il semble en effet que les manuels soient transportés sur les flots comme

169 Cité par Jean Delumeau dans Rassurer et protéger…, op. cit., p. 387.
170 Ibid.
171 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 544, n° 1, ramo 5, fol. 20.
172 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 937, n° 22, fol. 16 : « Un escapulario
de tafetan negro ».
173 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 300, n° 12, ramo 1, fol. 2 : « Como a
las cinco de la tarde se halló echado sobre una arca del rancho de Juan de Algarin y anton
Perez […] a francisco ginoves escrivano della que un quarto de ora Antes con un gomito que
le dio estando al pareser bueno y sano arropado y cubierto con un ferreguelo biniendo un
aguacero llegaron a el para que se fuera a Recoger y descubierto se vio que no Respondia y
que estaba difunto… ».
174 « En los clazones que tenia Puestos Le metió la mano en la faldriquera el dicho Piloto gonzalo
de la Rocha y en ella se halló un escapulario de estameña parda y una llave pequeña que
paresió ser de su baul… », ibid.
175 Jean Delumeau, Rassurer et protéger…, op. cit., p. 388.

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d’autres talismans ou reliques. Par leur caractère sacré, ils confèrent un
sentiment réconfortant. Par leur aspect matériel et leur format portatif, ils
offrent en outre un support physique tangible de leur force. La présence
importante de petits livres d’heures pourrait-elle être le reflet d’un besoin
sécuritaire exacerbé par les dangers d’une traversée ? Les ouvrages de dévotion
utilisés par les missionnaires pour évangéliser « la gente de los pueblos » 176 sont
également prisés par les marins et les soldats qui entreprennent un voyage
périlleux. L’usage détourné de ces livres – entre magie et dévotion – pourrait
alors s’inscrire dans un ensemble de pratiques hétérodoxes : le texte sacré se
voit investi d’une aura magique et le livre devient un objet de protection
personnalisée. Paul Saenger révèle à ce propos que dans certains ouvrages
de dévotion des blancs sont conservés pour que le possesseur puisse inscrire
ses propres demandes et souhaits 177. Le livre d’heures pourrait ainsi prendre
la forme d’un talisman protégeant son détenteur des malheurs grâce à la
254 puissance de ses formules sacrées. La magie de l’écriture reste incomparable
et il est possible par conséquent que les livres de dévotion signalent un besoin
sécuritaire empreint de superstition.
Mêlant orthodoxie et magie, les ressorts conjuratoires évoqués prodiguent
aux gens de mer comme aux passagers un sentiment de réconfort d’autant plus
vif sur les océans. Ces recours consistent donc en une réponse préventive aux
dangers, mais rappellent également le manque d’encadrement religieux face
à la mort maritime. Sans réponse quant au salut de leur âme, les navigants
choisissent parmi un florilège de protections assez vaste celle qui calmera les
angoisses liées au voyage et les protégera de la mort en mer.

III- LES VIOLENCES DE LA MER

Pour les populations navigantes, la mort est une donnée omniprésente.


Toutefois, la réalité maritime est porteuse d’une mort si différente du
commun qu’elle provoque une angoisse eschatologique nouvelle 178. Le
danger qui guette chaque homme résonne comme une amplification du
malheur ordinaire, car si à terre on redoute la peste, la famine, les guerres
et par conséquent la mort, en mer sa présence devient insupportable. En
effet, l’absence de directives religieuses ayant trait à un décès sur les océans

176 Julio Caro Baroja, Las formas complejas…, op. cit., p. 108.


177 Paul Saenger, « Prier de bouche et prier de cœur », dans Les Usages de l’imprimé
(xve‑xixe siècles), Roger Chartier (éd.), Paris, Fayard, 1987, p. 212. Information citée dans
l’article de Rita Marquilhas, « Orientación mágica del texto escrito », dans Escribir y leer en
el siglo de Cervantes, Antonio Castillo Gómez (comp.), Barcelona, Gedisa editorial, 1999,
p. 124.
178 Alain Cabantous, « Le corps introuvable… », art. cit., p. 321.

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prive les croyants d’une assistance spirituelle fondamentale. Or, la mort en
mer reste implacable : elle ôte des vies, prive de sépulture en terre chrétienne
et provoque dès lors des ruptures au sein de la communauté. Même s’il est
difficile d’apporter des chiffres concernant la mortalité en mer, on sait qu’elle
touche surtout les jeunes hommes et qu’elle se manifeste davantage lors des
voyages du retour. Antonio Domínguez Ortiz estime que le taux atteint des
niveaux très élevés et déclare qu’un « taux de mortalité s’élevant entre 20 et
25 pour cent des équipages d’une flotte était courant en raison des tempêtes,
des maladies et des attaques ennemies » 179. Pierre Chaunu quant à lui estime
des pertes humaines de 30 à 40 pour cent à bord du Galion de Manille 180.
Même si le taux de mortalité varie d’une traversée à l’autre, nous verrons que
la répartition des risques maritimes dévoile aussi de nombreuses disparités.
Les causes de mortalité montrent en effet une distribution contrastée des
dangers ; une esquisse comparative à partir des 1046 dossiers des Bienes de
Difuntos éclaire ce propos. 255

A- Hiérarchie du risque maritime

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


Les décès, on l’a vu, surviennent principalement lors des retours. De La
Veracruz à Séville, de Portobelo à Carthagène ou de ce dernier port à La Havane,
on relève un nombre significatif de disparitions en mer 181. Dans le passage
des Bermudes, lieu emblématique et mystérieux, la mort frappe de façon plus
marquée encore. Ainsi, est-il fréquent de lire dans les actes de décès ou dans
les testaments rédigés sur les navires : « estando en el pasaje de las Bermudas ».
En effet, peu après avoir quitté la Floride, de nombreux marins, soldats et
passagers laissent échapper leur dernier soupir. Certes, le lieu est mythique pour
ses dangers (ouragans, naufrages et courants), mais les fièvres et les infections
restent les principales causes de décès. En 1618, le passager Juan Adame de
Santana rédige son testament alors qu’il approche de l’île des Bermudes. Affaibli
par la maladie, il entreprend la rédaction de ses dernières volontés : « Estando
[…] en paraje de treinta y un grados ciento y sinquenta leguas de la bermuda poco
mas o menos... » 182. En 1640, le greffier Antonio de Chardi succombe des suites
d’une grave maladie alors qu’il navigue vers les royaumes d’Espagne et qu’il se
trouve dans la zone des Bermudes 183 : aucune tempête ni sirène maléfique, mais

179 Antonio Domínguez Ortiz, El Antiguo Régimen: Los Reyes Católicos y los Austrias (1988),
Madrid, Alianza Editorial, 1999, p. 254.
180 Cité dans Jean-Pierre Poussou, Philippe Bonnichon et Xavier Huetz de Lemps, Espaces
coloniaux et espaces maritimes au xviiie siècle, Paris, Sedes, 1998, p. 311.
181 70 % des personnes recensées dans ce travail décèdent lors du voyage du retour.
182 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 335, n° 3, fol. 10.
183 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1641, leg. 966, n° 1, ramo 2, fol. 32.

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des maux persistants qui achèvent les hommes en ce passage mystérieux  184.
En 1650, le marin Pedro de Asensio disparaît également près du triangle des
Bermudes 185 ; puis en 1663, c’est le sous-officier d’artillerie Melchor de los
Reyes qui est pris d’un mal soudain et trépasse en ce lieu. Malade au lit, il rédige
son testament et se prépare à être immergé 186. Le passage semble maudit et les
marins imaginent le lieu habité par des démons. Évoquant cette superstition,
le jeune Tristán reprend, dans le dialogue de l’Itinerario de Navegación, ce
présupposé de l’imaginaire qui hante chaque matelot et déclare que les marins,
se représentant cette île des Bermudes habitée d’une légion de démons, doivent
bien avoir raison 187.
Pourtant, au regard des causes de décès, on s’aperçoit que le malheur s’abat
pour une autre raison. Les équipages affaiblis par de longs mois de navigation
et d’attente dans les ports insalubres de l’Amérique subissent à la longue les
méfaits des épidémies et des maladies infectieuses. Coup du sort, les décès
256 surviennent fréquemment dans le passage des Bermudes contribuant ainsi à
alimenter le mythe démoniaque et maudit de l’endroit. L’omniprésence des
dangers maritimes soulève alors des interrogations.
1- Ponctions macabres océanes

Parmi les 1046 personnes recensées dans notre échantillon, les causes
de la disparition de chacune d’entre elles ont été établies. L’étude de ces
éléments invite à analyser les conditions de vie en haute mer et les dangers
auxquels passagers, gens de mer et de guerre sont exposés. En fonction
des indications relevées dans chaque dossier, les chiffres obtenus sont les
suivants :

184 Jean François Deniau reprend les différents mythes liés à ce lieu : « îles des démons » selon
Jacomo di Gaetaldi (1550), « sièges des tempêtes et des orages » aux dires de Jourdan
(1610). Shakespeare fera aussi prononcer ces mots à Ariel dans La Tempête (1612) : « Les
Bermudes aux éternelles tourmentes », dans Dictionnaire amoureux de la mer, Paris, Plon,
2002, p. 97.
185 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1651, leg. 968, n° 3, ramo 1, fol. 6.
186 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1663, leg. 5582, n° 24, fol. 24 : « sepultado en
la forma y manera que se acostumbra en semejantes Pasajes ».
187 Juan de Escalante de Mendoza, Ytinerario de navegación de los mares y tierras occidentales
(1575), Madrid, Colección Clásicos Tavera, Obras Clásicas de Náutica y Navegación, edición
CD-Rom, José González-Aller Hierro (comp.), Madrid, Fundación Histórica Tavera, 1998,
fol. 234.

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Causes de mortalité recensées en mer à partir des1046 dossiers
Causes de décès Nombre Pourcentage
Maladie 426 41 %
Naufrage 137 13 %
Noyade 94 9 %
Combat 84 8%
Accident 13 1 %
Foudre 6 0,6 %
Assassinat 3 0,3 %
Rixe 1 0 %
Suicide 1 0 %
Disparition 1 0 %
Sans précision 280 27 %
TOTAL 1 046 100 %

Les procès-verbaux, les testaments et les déclarations de témoins ont permis


de recenser les causes de mortalité. Il est alors frappant de constater la primauté
de la maladie qui emporte 41 % des hommes recensés dans ce travail. Loin 257
devant les naufrages, les noyades et les combats, les lentes infections gagnent

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


les corps affaiblis lors de ces traversées maritimes. Les conditions d’hygiène et
d’alimentation restent naturellement les premiers facteurs infectieux. Logés
dans des navires dont le bois pourrit, les hommes ne bénéficient pas d’une
alimentation équilibrée ni d’une eau saine. S’ils mangent à leur faim des
rations correctement protéinées, ils ne peuvent boire suffisamment ni recevoir
des aliments frais. Légumes et fruits non desséchés sont en effet absents des
diètes quotidiennes, seuls quelques raisins secs et amandes agrémentent les
plats, mais ne fournissent pas les apports en vitamine C nécessaires. Parmi
les maladies les plus répandues, on peut citer le scorbut, la fièvre typhoïde, el
tabardillo 188, la peste bubonique et la dysenterie, une fièvre caractéristique
des vaisseaux appelée cámaras 189. Il faut ajouter à ces pathologies des soins

188 François Coreal qui décrit l’arrivée des flottes à Portobelo est stupéfié par cette maladie qui
fait des ravages. Malgré l’origine polémique de ses écrits, il dépeint avec véracité quelques
faits caractéristiques : « Mais la malignité de l’air se fait surtout sentir au temps de l’arrivée
des galions, à tous ces Marchands, Soldats, Matelots & autres nouveaux venus, qui se
laissent aller à manger & boire sans règle & sans régime ; ce qui ne manque pas de leur
causer de terribles maux, & particulièrement des fièvres ardentes et diarrhées, qui enlèvent
quantité de monde. […] Le Tabardillo, règne aussi beaucoup à Porto-Belo […]. C’est une fièvre
contagieuse et très violente, qui consume les entrailles, & fait mourir dès le troisième jour ».
François Correal, Voyages de François Coreal aux Indes Occidentales, contenant ce qu’il y a
vu de plus remarquable pendant son séjour depuis 1666. jusqu’en 1697, Paris, Place de la
Sorbonne, André Cailleau, 1722, t. 1, p. 94. À propos des origines polémiques du récit, voir
Jean-Paul Duviols, L’Amérique espagnole vue et rêvée. Les Livres de voyage, de Christophe
Colomb à Bougainville, Paris, Promodis, 1985.
189 Pour plus de précisions sur les maladies infectieuses à bord des navires, voir Yannick
Romieux, « La pathologie à bord des vaisseaux de l’Ancien Régime », Neptunia, n° 203,
Paris, Musée de la Marine, 1996, p. 23-32, Christian Koninckx, « L’alimentation et la
pathologie des déficiences alimentaires dans la navigation au long cours au xviiie siècle »,

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chirurgicaux qui empirent parfois les maux et une promiscuité qui facilite
la propagation des maladies infectieuses. Les accidents en mer entraînent
également des disparitions dramatiques. Grimpés en haut des vergues, des
matelots tombent sans vie sur le pont quand, dans d’autres circonstances,
des objets se détachant de la mâture blessent l’équipage à l’œuvre sur le tillac.
La foudre qui s’abat sur le vaisseau lors d’une tempête intervient de façon
semblable. Elle frappe de manière inattendue les hommes qui connaissent
pourtant ses dangers : six matelots et passagers sont ainsi victimes des feux
du ciel. On recense finalement des causes de décès atypiques dues à des
assassinats, à une rixe, à un suicide et à une disparition 190. Il n’a pas été
possible finalement de déterminer les causes de la mort de 280 personnes, car,
dans certains dossiers, les informations n’étaient pas assez précises. Même si ce
contingent de disparus est conséquent, il n’interdit pas une analyse détaillée
des inégalités face aux risques de la mer.
258
2- La mer redoutable : ses inégalités

Quelques chiffres mettent en lumière l’inégale répartition des causes de


décès. On a choisi d’étudier plus précisément les conditions de disparition
des marins, des mousses, des soldats, des artilleurs, des greffiers, des
contremaîtres, des pilotes, des capitaines et des passagers de notre
échantillon. À travers ces données, on découvre que la mort ne frappe
pas à l’identique équipage et officiers. Elle répond à des règles ou plutôt
s’adapte au contexte sociologique d’un navire. Si la maladie reste la principale
cause de décès dans toutes les catégories professionnelles, on constate en
revanche que les noyades affectent plus particulièrement les mousses et les
matelots 191.

Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1983, Paris, Société d’Histoire


moderne, 1983, p. 134-138 et l’ouvrage très précis de Fernando López-Ríos Fernández,
La Medicina Naval Española en la época de los descubrimientos, Barcelona, Editorial
Labor, 1993.
190 Dans ce dernier cas, l’homme, parti naviguer de Saint-Domingue à Séville, se perd dans
l’océan Atlantique sans jamais réapparaître.
191 Voir le détail de chaque cause de décès par profession dans les tableaux et graphiques
présentés en annexe. Tableau n° 2.

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Causes de décès recensées par profession
Causes de décès selon les professions Maladie Naufrage Noyade Combat Autres Total
Mousses 21 14 22 9 34 100
Marins 59 17 40 20 58 194
Soldats 47 44 2 26 41 160
Artilleurs 22 13 3 4 25 67
Greffiers 6 2 1 0 11 20
Contremaîtres 12 1 1 5 5 24
Pilotes 19 4 5 5 9 42
Capitaines 19 3 1 1 8 32
Passagers 129 11 4 2 37 183

Dans le tableau suivant, on a repris les mêmes chiffres et calculé le pourcentage


de chaque cause de décès par type de catégorie professionnelle. Ainsi, parmi les
100 mousses, 21% d’entre eux seulement meurent de maladie alors que 70 %
des passagers décèdent à la suite d’une infection. Les disparités apparaissent de
façon flagrante, car chez les officiers et les passagers, on meurt souvent des suites 259
d’une maladie tandis que chez les marins on peut aussi décéder des suites d’un

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


accident, d’une noyade ou d’un combat. Voici les résultats obtenus :
Causes de décès exprimées en pourcentage dans chaque catégorie professionnelle
Causes de décès selon les professions Maladie Naufrage Noyade Combat Autres Total
Mousses 21 % 14 % 22 % 9 % 34 % 100 %
Marins 30 % 9 % 21 % 10 % 30 % 100 %
Soldats 29 % 28 % 1 % 16 % 26 % 100 %
Artilleurs 33 % 20 % 5 % 6 % 37 % 100 %
Greffiers 30 % 10 % 5 % 0 % 55 % 100 %
Contremaîtres 50 % 4 % 4 % 21 % 21 % 100 %
Pilotes 45 % 10 % 12 % 12 % 21 % 100 %
Capitaines 59 % 10 % 3 % 3 % 25 % 100 %
Passagers 70 % 6 % 2 % 1 % 20 % 100 %

Dans toutes les catégories professionnelles, la maladie demeure la principale


cause de décès, seuls les mousses et les soldats ne sont pas majoritairement
emportés par celle-ci. Ainsi la maladie n’est pas l’apanage des plus humbles,
bien au contraire, elle emporte d’abord dans son sillage les riches passagers
commerçants, les capitaines, les officiers, les matelots et les soldats puis les
mousses. On notera en revanche que les décès causés par noyades touchent
principalement les matelots et les mousses. Exposés au danger sur le pont ou
sur la mâture, ils sombrent en effet plus fréquemment dans les flots que les
soldats ou les artilleurs retranchés dans l’entrepont. Les pilotes postés sur la
dunette d’arrière, aux aguets et supervisant les manœuvres, peuvent également
être emportés par une lame. Le drame des naufrages atteint différemment
encore les catégories socioprofessionnelles. Militaires et mousses périssent dans

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de plus grandes proportions que les matelots. Il faut déceler dans ce phénomène
l’importance de l’expérience maritime, car si les gens de mer aguerris aux
dangers océaniques savent fuir le navire et rejoindre la chaloupe de sauvetage
à temps, soldats, artilleurs et mousses sont plus démunis. Moins prompts à
réagir lors d’une situation extrême, ils disparaissent, victimes de leur manque de
connaissance et d’agilité. On imagine que les passagers et les officiers bénéficient
quant à eux de leur rang pour s’octroyer des places de choix dans les embarcations
de secours : c’est pour cette raison qu’à peine un dixième d’entre eux périt lors
d’un naufrage. Seuls les capitaines font figure d’exceptions, car 10 % de ces
officiers meurent naufragés. Le manque d’expérience de ces militaires nommés à
la tête des vaisseaux de guerre explique certainement les chiffres obtenus à moins
que la responsabilité de commandement ne leur impose de rester sur le pont.
Ces quelques données confirment donc une inégalité des chances de survie
face aux risques maritimes encourus. Les plus jeunes et les matelots, victimes
260 de leur inexpérience pour les premiers, et des rudes conditions de travail, pour
les seconds, meurent noyés, accidentés ou malades. Les passagers et les officiers
en revanche semblent épargnés par les accidents, les noyades et les combats. La
mer opère en effet une sélection dans ses ponctions macabres en répondant aux
critères sociologiques et professionnels établis sur les navires.
En fin de compte, l’étude des mécanismes liés aux disparitions en mer a démontré
qu’il serait vain d’imaginer la mort comme un élément régulateur saisissant les
plus démunis de la même façon que les plus privilégiés. Les risques encourus
restent étroitement soumis aux conditions de travail et la mort, loin d’atténuer
les différences sociales, les exacerbe. Toutefois, elle ne se réduit pas à ces seules
données numériques, elle apparaît aussi comme un événement que l’on décrit, que
l’on ritualise et que l’on introduit dans la vie quotidienne maritime.
B- Morts inattendues, stupeur et récit

Les procès-verbaux dressés le jour du décès d’un matelot ou d’un officier


relatent les conditions de disparition avec force détails ou au contraire de
manière laconique. On peut ainsi retracer les causes d’une mort sur l’océan et
remettre en lumière les conditions dramatiques qui interdisent aux hommes de
rejoindre leur port d’attache. Ces procès-verbaux informent et donnent en fin
de compte une matérialité à la mort sur les océans. En effet, une disparition sur
les flots prive le corps d’une sépulture et interdit également à l’équipage et à la
famille tout lieu de recueillement. Dans ces conditions, les références écrites
restent une marque tangible de l’existence puis du décès d’une personne. Lors
d’un accident, d’une noyade ou d’un naufrage, les déclarations de témoins
couchées sur le papier redonnent une dimension matérielle et autorisent à
nouveau le souvenir du disparu.

237_vmne_c7d.indb 260 8/09/09 20:23:44


1- Naufrages

Le drame d’un naufrage conjugue l’absence de sépulture et de témoins pour


décrire la catastrophe. Des équipages entiers disparaissent ainsi engloutis dans
les flots sans que personne ne puisse expliquer les causes du désastre ou le sort
des rescapés. Les quelques descriptions obtenues dans les autos de Bienes de
Difuntos offrent parfois des renseignements sur les conditions étonnantes de ces
drames. En avril 1624, le galion El Espíritu Santo el Mayor traverse le passage
des Bermudes lorsqu’il est mis en difficulté par une houle et des vents endiablés.
Le maître de rations Ochoa Martínez tente alors de s’échapper du bâtiment
et se réfugie dans la chaloupe de sauvetage. Un témoin posté à l’arrière du
galion se souvient, il rappelle comment un coup de mer a toutefois renversé
la frêle embarcation et conduit le maître de rations au fond des océans  192.
Lorsque le galion coule ensuite, on recense une cinquantaine de rescapés alors
que la plupart de l’équipage, des officiers et des passagers disparaissent à jamais,
corps et biens, dans ce lieu maudit 193. Sur l’océan Pacifique, des naufrages 261
mêlent encore à la catastrophe un quotidien déroutant pour les rescapés. Tous

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


les ressorts de la tragédie se mettent en place : la réalité du naufrage, le risque
mortel qu’il implique et l’effroi des rescapés 194. En 1600, le navire San Felipe
y Santiago qui navigue sur la Mer du Sud est pris dans une tempête peu avant
le naufrage. De riches commerçants et passagers meurent lors de la tragédie,
d’autres, abasourdis par les événements, survivent sur l’épave. Réduit à quelques
bouts de bois, le navire est ensuite abandonné par les passagers et le capitaine
lorsqu’ils s’approchent des côtes. Ces derniers organisent leur survie sur une
terre inhospitalière, près de la côte des Émeraudes, et les hommes attendent,
désespérément, un secours qui n’a aucune chance d’arriver. Ils subissent
lentement les affres de la faim et de la soif et, à bout de force, ils décident alors
d’envoyer une première délégation. Dirigée par le capitaine et composée de
onze matelots, elle veut rejoindre par l’intérieur des terres leur port d’attache 195.
Le périple durera plus de trois mois avant qu’ils rencontrent fray Juan Bautista

192 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1625, leg. 953, n° 2, ramo 7, fol. 14.
193 Ibid., fol. 13 : « Se hundió y se fue a pique con toda la platta de su magestad que en el benia y
la Artilleria baleria Armas Petrechos y municiones y Toda la gente de mar y guerra y pasajeros
que en el dicho Galeon benian embarcados de que tan solamente se escaparon nadando
cinquenta y dos personas que una della fue este testigo ».
194 Philippe Bonnichon analyse par exemple les ressorts de ces tragédies maritimes : « Naufrage
et spiritualité à l’époque moderne », dans Le Naufrage. Actes du colloque tenu à l’Institut
catholique de Paris (28-30 janvier 1998), textes réunis sous la direction de Christian Buchet
et Claude Thomasset, Paris, Honoré Champion, 1999, p. 86.
195 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609, leg. 289, n° 1, ramo 11, fol. 20 : « Aviendo
saltado en tierra y camino [sic] todos juntos quedaron en una playa, de donde el dicho
capitan, con onze españoles marineros los ocho de ellos y los tres pasajeros, con orden y
con sentimiento de toda la dicha gente perdida, salió para el puerto biejo manta con orden
de llevar socorro de donquiera los allasen… ».

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de Burgos, un religieux de l’ordre mercédaire, qui les accueillera. Mais entre
temps, les rescapés laissés à l’abandon sur la plage commencent à mourir de faim.
Au terme de quatre-vingts jours d’attente, le pilote accompagné de dix-huit
personnes prend à son tour la direction de la ville, tout du moins, le pense-t-il.
Il laisse sur la grève une trentaine de naufragés condamnés à une mort certaine
et s’enfonce dans une contrée inconnue. Le récit dicté par les témoins prend
alors une tournure inattendue lorsque les indigènes cannibales font leur entrée
en scène. Ils font prisonniers le pilote et ses hommes, puis les reconduisent sur
la plage où se trouvent les derniers rescapés 196. Ces derniers, laissés à leur sort
sur la plage, ont enduré la faim et la soif avant de périr loin de tout secours.
La situation décrite est empreinte de dramatisme, pourtant, quelques jours
plus tard, un dénouement heureux a lieu : le pilote et les autres survivants sont
finalement libérés grâce à l’intervention d’un cacique chrétien. Ce récit retrace
en fin de compte l’existence ordinaire de ces hommes et de ces femmes partis en
262 Amérique et confrontés à l’extraordinaire quotidien des confins du monde.
Néanmoins, la description d’un naufrage et des conditions de survie reste
généralement assez laconique dans les documents. Rares sont les événements
longuement détaillés, et pour les veuves et les mères de ces vingt-quatre soldats
disparus en 1629 par exemple, il faudra se contenter de quelques mots  197.
Une tempête aux abords d’un cap entre Trujillo et La Havane, voici les seules
informations qu’elles obtiendront à propos du naufrage du galion Almiranta,
El Espíritu Santo, qui n’apparaît dans aucun registre 198.
Silence, disparition, distance, les mots et le souvenir font terriblement défaut.
Parfois, un témoin un peu plus loquace se remémore les conditions du drame
et apporte son interprétation. En 1669, lorsque le passager Luis de Mesa périt
victime du naufrage de son vaisseau, un homme se souvient : l’océan a emporté le
commerçant et la mer, actrice à part entière de ce drame, « se lo avia tragado », l’avait
avalé 199 ! En 1617, c’est le maître et capitaine de vaisseau Sebastián de Arteaga qui
disparaît dans l’océan Atlantique. On ne le reverra jamais. Un homme estime à
son sujet qu’il s’est perdu ou que la mer l’a tout simplement dévoré 200. L’élément

196 Ibid., fol. 21.


197 On recense 24 soldats dans notre échantillon qui périssent en 1629 dans ce naufrage. Les
dossiers sont contenus dans la liasse 957 de la série Contratación (AGI, Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1630, leg. 957, n° 1, ramo 38).
198 Pierre Chaunu a en effet localisé le registre de ce vaisseau de guerre lorsqu’il se rend à la
Terre Ferme, mais pour l’année 1630, lors des voyages du retour, il n’est pas fait mention du
bâtiment almiranta ni de son naufrage. Pierre et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique…,
op. cit., t. V, p. 198.
199 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1671, leg. 973, n° 4, ramo 1, fol. 6.
200 « Y este testigo a oydo desir por publico que viniendo de buelta de viaje a españa […] se fue
a Santo Domingo de donde se disse que a mas de seis meses que salió y no se save del antes
se tiene por cierto que se a perdido o lo a comido la mar… », AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1618, leg. 948, n° 15, fol. 25.

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liquide est donc assimilé à une force capable d’ingurgiter des êtres et de choisir la
manière dont il les fait disparaître. La mer dotée d’une capacité cruelle apparaît
alors comme empreinte d’une volonté destructrice, tel un monstre personnifié.
2- Noyades

Si l’océan est le lieu du danger, le navire constitue également un espace retors


projetant les hommes dans les profondeurs maritimes. La mâture et la voilure
sur lesquelles matelots et mousses se hissent lors des manœuvres sont des lieux
périlleux, escarpés et glissants. À la proue du vaisseau, sous le mât de beaupré, la
civadière fait des ravages. Cette voile placée à l’avant du navire, rasant les vagues à
chaque tangage, projette souvent les hommes dans l’océan les vouant ainsi à une
mort certaine. En octobre 1637, à bord de la nef Jesús, María y Josefe, le mousse
Domingo de Ursola cargue la voile saillant à l’avant du vaisseau. Exécutant les
ordres avec agilité, il ne peut pourtant résister aux rafales de vent de plus en plus
violentes et se noie en tombant à la mer 201. Les tentatives de secours restent vaines 263
et le mousse se noie sous les yeux de l’équipage impuissant. En 1619, un accident

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


analogue se produit. Le mousse Juan Pérez est envoyé sur la civadière alors
qu’une tempête menace. Grimpant sur les vergues pour réduire la voilure, il perd
l’équilibre et tombe dans l’océan. Les vents sont déchaînés et ses compagnons ne
peuvent le distinguer dans la noirceur des flots : sans secours, il périt noyé 202. En
1623, le même sort accable le matelot Clemente de Orta qui tombe de la civadière
puis se noie sous le vaisseau qui lui passe sur le corps 203.
Ces récits ordinaires alimentent les conversations des hommes témoins de
ces drames quotidiens. La mort maritime violente, inattendue et fréquente
marque les hommes de sa cruauté et crée des ruptures psychologiques durables.
Les émotions percent difficilement à la lecture des actes de décès, pourtant
les paroles de ce témoin disent pleinement le malheur et le désespoir. Aussi
laconiques que sincères, « cayó por desastre a la mar », ces mots évoquent la
peine d’un homme qui vient de perdre un jeune compagnon 204. Les pilotes,
on l’a vu, sont également victimes des flots. En 1599, après une tempête, alors
que le contremaître s’est noyé dans la journée, le pilote installé à l’arrière du

201 Un témoin raconte : « Estando aferrando la cebadera con un poco de Viento que sobrevino
de repente cayó a la mar Domingo de Ursola grumete de la dicha nao y aunque se hicieron
muchas diligencias por socorrerlo por orden del dicho maestre y piloto no se pudo socorrer
y se ahogó... », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 964A, n° 1, ramo 6,
fol. 3.
202 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1619, leg. 949, n° 1, ramo 21, fol. 4 : « Hubo
tormenta y el dicho Juan Perez subiendo en esta ocasion a la cebadera cayó a la mar y no Pudo
ser socorrido y no Pareció mas con la Tormenta que hazia… ».
203 « Yendo hazer una faena a la sebadera […] caió debajo de la nao y la nao pasó por [en]sima
del… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1624, leg. 953, n° 1, ramo 26, fol. 1.
204 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1637, leg. 963, n° 2, ramo 15, fol. 4.

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navire profite d’une accalmie pour utiliser son arbalestrille. Dans le calme
ambiant, un deuxième drame se profile pourtant. Un coup de mer projette
le pilote dans les flots alors qu’il converse tranquillement avec les matelots
sur la dunette d’arrière en prenant ses mesures 205. Le témoignage rapporté
dans le dossier détaille ensuite les efforts inutiles pour arracher l’homme à la
mer 206. Cette narration introduite dans l’acte de décès indique de nombreuses
précisions quant à la disparition du pilote. Elle relate en fait l’effroi et la peine
et, derrière ces mots couchés sur le papier, on devine les sentiments de désarroi
et de tristesse. Selon la procédure des Bienes de Difuntos, l’écriture détaillée
des circonstances du décès n’est pas imposée. On comprend dès lors que cette
rédaction représente un acte délibéré. Les mots prennent une place matérielle ;
symboles de la disparition, ils sont les témoins d’une catastrophe et incarnent
le souvenir d’une mort sur l’océan. En 1621, c’est le mousse José de la Vega qui
est victime d’une noyade. Le récit de sa chute et de la tentative de sauvetage
264 prend la même dimension commémorative. On décrit tout d’abord le fracas
de la chute : « yendo navegando en demanda de la Senda de los alarcanes se hoyó
Ruydo como que havia caydo un hombre a la mar » 207. Immédiatement, le navire
se met face au vent pour s’immobiliser et les matelots en profitent pour jeter des
planches de bois et des jarres en guise de bouées au jeune homme. En vain, le
mousse reste introuvable et le capitaine se résout finalement à faire l’appel sur
son vaisseau afin de découvrir le nom du disparu. Maigre consolation, une fois
son identité découverte, son âme est recommandée à Dieu tandis que le navire
reprend lentement sa route 208.
Ces récits insistent sur le caractère inattendu de la noyade et mettent également
en lumière l’impuissance des hommes. Les narrations tentent dans un premier
temps d’offrir une explication à la disparition, soulignent ensuite les efforts
prodigués pour sauver la personne en danger et permettent finalement de
créer une trace matérielle du décès en mer. Les procès-verbaux contenant les
déclarations de témoins agissent comme des éléments visuels et commémoratifs
offrant ainsi à l’équipage et au disparu le symbole écrit de son existence, une
sorte d’exutoire au malheur quotidien.

205 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1599, leg. 492A, n° 3, ramo 1, fol. 1.
206 « Y a este rumor los que alli se hallaron en el alcasar del dicho navio fueron oyr dezir a el dicho
piloto alonso menendez que el piloto cayó a la mar a donde se puso el navio […] haciendo
farol con una lanterna y dando las voces para si pudiese oyr o ver… », ibid.
207 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1621, leg. 347, n° 3, ramo 2(2), fol. 1. La senda
de los Alarcanes se situe au niveau du récif d’Alarcán en arrivant à La Veracruz.
208 Ibid. : « Aviendo hecho diligencia de hechar tina y tablas a la mar y atrabezarze la nao el
Cappitan gaspar de Vera dueño y maestre de la nao Jesús María Joseph […] hizo ynquisision
si faltaba alguna perssona y aviendo la hecho se alló que faltaba Joseph de la bega grumete
que era el que avia caydo a la mar y aviendole encomendado a dios nuestro señor se marchó
la dicha nao en seguimiento de la Capitana ».

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3- Combats

Les rapports belliqueux internationaux sont une nouvelle source de danger


pour les gens de mer et de guerre. Constamment exposés au péril, ils doivent de
surcroît affronter l’ennemi. Français, Anglais, Hollandais, Turcs ou pirates, les
forces armées désireuses d’attaquer les convois chargés d’or sont nombreuses.
Le récit de ces morts au combat prend cependant un faible relief lorsqu’on le
compare aux circonstances effroyables du décès. Les phrases laconiques disent
la mort d’un soldat sans gloire : « murió de un balazo » 209. Sans description
ni récit glorieux, on dresse un rapport de cette teneur pour le porte-drapeau
Francisco Camacho mort aux mains des Anglais : il a été abattu d’une balle
dans la tête alors qu’il défendait le navire 210. Même si la valeur du combattant
est légèrement évoquée, le silence pèse encore de tout son poids. De même,
l’acte de décès rédigé pour la disparition du matelot Juan Cebrán, tué par balle,
est dépourvu d’émotion 211. La mort semble entourée d’un silence pesant et
la parole ne parvient pas à exprimer l’horreur des affrontements. La guerre se 265
vit, s’affronte et s’oublie. Les mots ne prennent dans ces conditions aucune

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


valeur exaltée, leur simple apparition scelle la disparition sans lui apporter une
dimension particulière. Le déni de la meurtrissure des corps et des horreurs
macabres qui envahissent les ponts des vaisseaux offre une vision, sinon aseptisée,
du moins simplifiée 212. La violence dépasse l’imaginable et la force destructrice
des combats l’emporte donc sur tout souvenir ou récit.
4- Accidents, foudre et suicide

Le malheur s’abat également sur le vaisseau lorsqu’un accident se produit.


L’architecture périlleuse des mâts et des vergues engendre souvent la mort.
En 1637, le marin Daniel de Cintia tombe du hunier et meurt sur le coup 213.
Le récit de son décès se compose de ces quelques mots : « cayó de la gabia
y se mató ». Lorsque le mousse Martín de Herrera travaille sur le hunier, il
subit le même sort que son compagnon. Il chute, s’abat sur le tillac et meurt
instantanément 214. La rapidité des événements et la précision éclatante des

209 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 522, n° 1, ramo 20, fol. 1. Le soldat
Antonio de Alconada meurt au combat avec pour toute épitaphe ces quelques mots « murió
de un balazo ».
210 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1656, leg. 438, n° 6, fol. 2.
211 « Salió al enquentro un nabio de enemigos el qual vino a pelear con la dicha fragata y en la
refriega que con el se tubo, de un balaco, mató a un marinero de ella, llamado Juan Cibrian… »,
AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1644, leg. 412A, n° 1, ramo 2.
212 Voir pour une tout autre période (l914-1918) le récit de la guerre et le travail du deuil qui
s’ensuit dans Carine Trévisan, Les Fables du deuil. La Grande Guerre, mort et écriture, Paris,
PUF, 2001.
213 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 964A, n° 1, ramo 7.
214 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1634, leg. 5581, n° 58, fol. 1.

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mots se répondent alors. Les caractéristiques du décès accidentel semblent
donc se reporter sur le papier et s’imprégner de leur violence. En 1670, un
mât s’effondre sur le soldat Justo Llorente et le tue violemment. Une fois de
plus, la description reste sommaire, n’indiquant que la brutalité des faits  215.
On découvre ainsi des événements ordinaires liés à une violence inopinée et
retraçant un âpre quotidien maritime. En 1697, le décès du soldat Cristóbal
Jiménez del Rosal est consigné comme un accident, mais un doute s’immisce.
Le corps du militaire âgé d’une cinquantaine d’années est en effet découvert
dans les cales du vaisseau sans apparemment porter les stigmates d’un meurtre.
Or, les déclarations de témoins laissent naître des soupçons. L’homme serait en
effet tombé dans un entrepont depuis les écoutilles… sans que personne ne l’y
ait poussé 216. À la violence des océans, des conflits armés, du navire, il faut donc
ajouter celle des hommes qui vient parfois rompre le fragile équilibre social et
vital à bord d’un vaisseau.
266 La réalité maritime, professionnelle et quotidienne se présente par conséquent
sous de multiples formes douloureuses et dans certains cas, elle pousse les
hommes aux limites de leurs forces. Ainsi, l’artilleur Antonio Prieto s’est-il peut-
être donné la mort sur le galion Nuestra Señora de Atocha en juillet 1675 217. Par
une nuit paisible, profitant du calme régnant à bord, il se serait jeté dans les flots
pour ne jamais réapparaître. Les témoins mettent sa disparition sur le compte
de la folie. En effet, l’isolement et les conditions difficiles de survie peuvent
entraîner des traumatismes psychologiques puissants conduisant au suicide. Le
cas n’est pas isolé, la folie marque souvent du sceau de sa présence des équipages
affaiblis 218. À travers le récit de ce drame, dévoilant un marin pris de folie, « al
dicho Antonio Prieto le avia dado algun frenesi », on découvre le tableau vivant
d’un drame quotidien. La folie l’a-t-elle frappé, l’homme est-il tombé à la mer,
l’a-t-on poussé ? L’hypothèse du suicide semble à l’évidence la plus probable

215 « Abiendo caido en el Combes el dicho palo mató de un golpe al dicho Justo Llorente ». AGI,
Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1670, leg. 454B, n° 3, ramo 4, fol. 2.
216 « Declararon aber caydo de la dicha escotilla el dicho Cristobal Jimenez difunto e que su cayda
no fue motivada de persona alguna », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1697,
leg. 981, n° 2, ramo 13, fol. 4.
217 Un témoin déclare avec force détails : « Dijo que estando este testigo de sentinela en el sitio
de la boca de escotilla, el dia lunes que se contaron veynte y dos deste presente mes, en el
quarto […] que serian las onze de la noche poco mas o menos oyó un golpe grande en el agua
y le dijo a un mozo que estava junto a el que se llama Andres Vellaco: ¿no aveis oydo este
golpe que an dado en el agua? A que le respondió el dicho Andres Vellaco a este testigo: será
tiburon. Y como las mas de las noches andaban entre los navios algunos tiburones, juzgaron
seria uno de ellos que andan dando golpes en el agua. Y por la mañana, el dia veynte y tres
deste dicho mes, no hallaron a Antonio Prieto Artillero del dicho galeon que estava malo
en su catre y aviendo contado este testigo lo que lleva referido, atribuyeron a que el dicho
Antonio Prieto le avia dado algun frenesi y se avia echado al agua… », AGI, Cont. Auto de
Bienes de Difuntos, año de 1675, leg. 670, n° 4, ramo 1, fol. 3.
218 Yannick Romieux, « La pathologie à bord des vaisseaux… », art. cit., p. 31.

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selon l’équipage : les hommes savent en effet que la folie s’empare souvent de
l’un d’entre eux et ne les libère qu’après leur mort 219.
Destins maritimes, lorsque la folie ne frappe pas, la colère des cieux s’abat
parfois sur le navire. La foudre frappe en effet les bâtiments et s’empare des
hommes lorsqu’elle les touche de plein fouet. Le passager Miguel de Zumeta
disparaît ainsi foudroyé sur le navire San Augustín 220. Le récit de cette mort reste
laconique et sans détails ; il en va de même pour les personnes disparues en mer
dans ces conditions. Lorsque le marin Diego de Lemus est victime de la foudre,
ses compagnons de travail décrivent la scène du drame sans aucune précision ni
sentiment de stupeur 221. Les matelots ont-ils besoin de décrire avec force détails
l’horreur du drame ? Le fait est connu de tous les membres d’équipage. Le feu
qui s’abat sur un vaisseau est en effet terrifiant : il s’apparente si facilement à
la colère des Cieux. Il ne demande donc aucune précision et l’aspect saisissant
de la catastrophe est un traumatisme que l’on évoque difficilement. En 1605,
un officier du roi relate les péripéties de la flotte de la Nouvelle Espagne et les 267
ravages de la foudre ; un peu moins laconique que les gens de mer, il décrit les

la mort sur l’océan Attitudes face à la mort sur l’océan


éclairs qui s’abattent tour à tour sur les vaisseaux du convoi 222. La foudre en
mer est implacable, c’est pourquoi les déclarations consignées dans les dossiers
des Bienes de Difuntos retracent certainement cette inéluctabilité des faits en
les réduisant au minimum. Elles précisent le drame et restent finalement les
témoins du malheur des gens de mer.

219 On recense également le cas d’un suicidé dans les procès dressés à bord des navires. Il s’agit
du jeune mulâtre Juan de Castañeda que l’on découvre pendu dans la nef San Francisco
Capuchino en 1660. La déclaration dressée par le greffier du navire en présence du chirurgien
et de l’alguazil décrit la scène : « La persona que traya las llaves de la escotilla las abrió y
aviendose enzendido unas velas se bajó a bodega y se fue entrando por ella hacia el sitio
referido y junto al pañol de la polvora estava [Juan de Castañeda] pendiente un cordel […]
de donde se parecia se avia ahorcado… », AGI, Cont. Autos de Oficio, año de 1660, leg. 116 :
« Autos criminales ante el Juez Oficial Maldonado hechos sobre aberse ahorcado Juan de
Castañeda a bordo de la nao San Francisco Capuchino ».
220 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1645, leg. 5581, n° 103, fol. 2.
221 « Estando en el dicho navio cayó un rayo en el y mató al dicho Diego de Lemus […] y esto fue
publico y notorio en todos los que iban en el dicho galeon… », AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1691, leg. 979, n° 4, ramo 16, fol. 4.
222 « Aviendo traido hasta entonces felice navegacion, le sobrevino una tormenta de truenos
y relampagos y rayos, haciendo tiempo de mucha serenidad sin viento ni aguazero, cayó
en la dicha nao Almiranta un rayo que apenas se bio, con sola demostracion de tanto fuego
como el de una alcancia de polvora que andó en breve espacio que el rayo dio en el arbol
mayor (cosa lastimosa y admirable) se abrió la nao y se fue a fondo con la gente […]. A este
mismo tiempo dio otro rayo en uno de los Pataches que con estas naos venian y mató a un
marinero y a otro le quemó las espaldas… », Museo Naval de Madrid, Fernández Navarrete,
vol. 23, doc. 29 : « Carta que escribió al Rey el doctor Alonso Criado de Castilla Gobernador
de las provincias de Guatemala en 30 de noviembre de 1605, sobre el desgraciado suceso de
la Almiranta de Honduras… », fol. 222-223.

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Sans vouloir forcer le trait, la vie en mer est soumise à de multiples dangers.
La mort est une donnée constante, plus présente encore qu’à terre, violente
et sournoise, elle frappe brutalement. C’est pourquoi les hommes expriment
à travers ces témoignages leur douleur et donnent ainsi une dimension
matérielle à la disparition d’un compagnon. La lecture des procès-verbaux
a ainsi révélé à demi-mot la peur et l’effroi : les hommes y expriment leur
douleur et angoisse. Dire la mort, la raconter, même succinctement, représente
alors une sorte d’exutoire. Coucher les mots sur le papier et apporter ainsi une
dimension matérielle à la disparition offre sans doute une dernière trace de
l’existence. Parfois, pourtant, la mort s’immisce lentement et prend les traits
d’une longue et sournoise maladie. Le passage vers l’au-delà s’affronte alors
différemment.

268

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chapitre ii

Représentations et réalités
d’une mort quotidienne

I- LA PRÉPARATION À LA MORT

Loin de sa famille et de ses amis, le navigant assailli par la maladie est souvent
seul. Afin de le réconforter, compagnons de travail et passagers veillent le
mourant pour recréer en mer un environnement social et affectif primordial.
On sait en effet que la mort est un acte public soumis à un rituel complexe ;
aussi a-t-on cherché à savoir comment se déroulent les derniers instants de
l’existence dans ces conditions particulières de navigation. 269

A- La maladie, une présence insidieuse

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or La mort sur l’océan
Le récit des disparitions brutales et inattendues a mis en lumière la violence
des océans. Toutefois, la mort se manifeste encore différemment : elle se
glisse subrepticement dans les vaisseaux et commence à pourrir le corps des
hommes. La maladie est un fléau, sa présence quotidienne ronge les âmes et
les êtres sans offrir de réelles alternatives. Lorsqu’elle commence à s’ancrer
dans les corps, la longue attente se fait ressentir et les préparatifs se mettent
en place.
1- Les soins

Couché dans un lit ou sur une paillasse, le malade tente tout d’abord de
se faire soigner. Les plus démunis s’en remettent au barbier, très rarement
au chirurgien, tandis que les plus aisés se soumettent aux traitements des
officiers de santé. Le récit de quelques témoins, le paiement des soins et les
indications testamentaires fournissent des précisions quant aux modalités
d’accompagnement médical en mer. En 1681, le barbier du vaisseau a soigné
Roque Rodríguez de la Cruz et pratiqué des saignées. Même si les effets
escomptés ne sont pas efficaces, l’homme de santé réclame sa rétribution
après le décès du passager pour un montant de 30 pesos 1. De même, à bord

 « Digo que en dicho galeon Benia embarcado Roque de la Cruz […] que murió en la travesia
de Cartagena a este Puerto a el qual e afeytado assi en el discurso del Viaje como en la
ynbernada que asistió en la dicha ciudad de Cartagena y asimismo hecho diferentes sangrias
que uno y otro Lo regulo en treynta pesos… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de
1681, leg. 462B, n° 4, fol. 14.

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du navire San Francisco de Paula, le chirurgien-barbier touche cinq pesos
pour avoir posé des ventouses et produit les onguents nécessaires au passager
Francisco García Prieto 2. Un médecin offre encore ses services au capitaine
Juan García de Lugones et reste à son chevet pendant plus d’une semaine.
Prodiguant soins et attentions, il veille le malade sans interruption jusqu’à sa
mort 3. Consciencieux, le chirurgien du galion San Esteban conduit quant à lui
le passager Juan de Cibitola dans sa cabine afin d’exercer son art médical. Lui
délivrant sirops et remèdes, il reste à ses côtés le temps de l’agonie. Prévenant,
il le soigne de jour comme de nuit et réclame finalement un dédommagement
pour son travail lorsque le mourant décède 4.
Lorsque le soutien du chirurgien, du barbier ou du médecin n’apaise pas les
souffrances, un compagnon de voyage peut épauler le malade en lui offrant
quelques signes de sollicitude. Francisco de León atteint de dysenterie est
ainsi secouru par un passager qui dépensera quatorze pesos afin d’acquérir
270 des poules et des remèdes. On utilise en effet des bouillons de volailles et des
douceurs telles que des amandes pour modérer les ravages de la maladie 5. Aux
derniers moments de son existence, Francisco de León récompense alors son
compagnon pour ses bonnes œuvres 6. Un monde de solidarité naît en effet
lors des traversées. En 1613, le mousse Antonio Díaz en proie à la maladie
est assisté dans son épreuve par un compagnon de travail 7. Reconnaissant, il
souhaite lui offrir ses vêtements et lui verser six pesos « que por buenas obras
de el he recivido ». Face à l’angoisse liée au décès, on devine la présence d’un
réseau d’entraide. En 1599, à bord du Galion de Manille, un marin vient
également au secours de Pedro Sánchez un passager du navire. Jusqu’aux
derniers moments, il se consacre aux soins du malade. Ce dernier, peu avant

 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1662, leg. 443, n° 1, ramo 2, fol. 14.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1640, leg. 402, n° 1, fol. 57 : « El Doctor Manuel
de Sossa dize que a peticion e a ynstancia del Capitan juan de Lugones difunto le asistió en
su enfermedad ocho dias continuadamente… ».
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 1, ramo 18, fol. 14 : « Digo
que curé a Joanes de civitola la Enfermedad de que fallesció Dandole los Jarabes y medicinas
necesarias y llebandole a mi rancho y teniendole en el Para hecharle unos serbicios y para
acudir De noche como lo hize a todas las cosas Combinientes que demas de los medicamentos
Pusse en Ello mucho trabajo… ».
 Le pilote Diego Díaz fait remettre 48 réaux au chirurgien pour les soins, les noisettes et les
raisins secs prescrits lors de sa maladie : « Yten mando se le pague a Augustin de Cabrera
cirujano de la almiranta desta flota quarenta reales por las visitas y medicinas […] y mas se
le pague ocho reales que pagó por mi por una espartilla de pasas y abellanas… », AGI, Cont.
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 2, ramo 1, fol. 6.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 333, n° 1, ramo 6, fol. 5.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 514, n° 2, ramo 5, fol. 1. On lit
dans son testament : « Yten declaro que tengo una cajuela vieja con unas camissas y otras
menudencias de poco balor lo qual Desde luego le doy y entrego a Tome de Abalos por que
me a servido en mi enfermedad… ».

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son décès, fait alors rédiger une clause dans son codicille afin de l’en remercier ;
au-delà d’une rémunération matérielle, on devine la gratitude du moribond qui
a trouvé un réconfort loin de ses proches 8. Les passagers sont naturellement les
premiers à bénéficier d’une assistance médicale, mais l’équipage ne demeure
pourtant pas sans réconfort. Même si les remèdes et les onguents ne viennent
pas régulièrement panser les plaies, les attentions des camarades compensent
un tant soit peu le malheur enduré. Les récompenses et les dons offerts peu
avant le décès en témoignent.
2- Gratitude : dons et rétributions

Malade, gisant au lit, le matelot Salvador Pérez souhaite récompenser Gaspar de


Los Reyes qui l’a accompagné lors de sa maladie. Il choisit de lui offrir quelques
réaux, privilégiant ainsi une rétribution financière. La somme reste modeste,
mais la gratitude transparaît dans ce geste 9. Le mousse Antonio Díaz choisit
pour sa part de remettre des vêtements au compagnon de travail qui allège ses 271
peines 10. De même, le soldat Juan Sánchez Muñoz décide de payer le chirurgien

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


en lui offrant une vieille paire de culottes en velours  11. Les récompenses en
nature remplacent parfois les honoraires, car, dans le dénuement, les humbles
offrent leurs maigres biens en guise de reconnaissance. Et si l’argent ne peut
satisfaire celui qui les aide, vieilles chemises, caleçons et pourpoints constituent
une rétribution honorable. D’autre part, ces récompenses matérielles permettent
au malade d’offrir un objet de choix qu’il affectionne et de témoigner ainsi sa
profonde gratitude. À coup sûr, le marin Juan de Mitre décide d’agir de la
sorte en rémunérant de manière originale le chirurgien et en lui offrant son
perroquet 12.
À travers ces exemples, on devine un monde d’entraide qui, loin des structures
sociales, tisse à nouveau un réseau de solidarité. Dans un élan communautaire
et face à l’angoisse du trépas, chacun se mobilise et épaule compagnon, passager
ou patient. L’aide prodiguée par les officiers de santé semble d’ailleurs dépasser
le cadre de leurs compétences médicales, car l’attention qu’ils portent aux
malades permet déjà de soulager les peines : c’est une dimension humaine qu’ils

 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 277, n° 1, ramo 1(4), fol. 37 : « Se
Pagaron quinze Pesos de oro comun a Juan andres marinero En valor de tres pieças de tafetan
que el dicho difunto mandó por la clausula de su codicilio que se le diesen Por averlo curado
En su enfermedad… ».
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609, leg. 285A, n° 4, ramo 3, fol. 13.
10 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 514, n° 2, ramo 5, fol. 1.
11 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 276, n° 1, ramo 9, fol. 4 : « Yten
digo y declaro que unos calsones de terciopelo traydos que tengo en poder de Juan bautista
sirujano deste galeon quiero y es mi boluntad que se los den por el cuydado que tiene de me
curar ».
12 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 297, n° 1, ramo 3, fol. 2.

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offrent en plus des soins dispensés 13. Un personnage central fait également son
apparition dans l’accompagnement du malade, il s’agit de l’aumônier ; car si
les soins médicaux apaisent légèrement les corps, les actes religieux soulagent
eux durablement les âmes.
B- Confession et sacrements : le soulagement de l’âme

Les ordonnances royales insistent sur la présence des aumôniers en mer 14.


Dans la société de l’Espagne du xviie siècle, dans laquelle intérêts politiques
et religieux s’enchevêtrent, on accorde en effet une place fondamentale
aux représentants de l’Église. Leur présence sur les flottes démontre que les
monarques s’engagent à prodiguer aux navigants l’aide spirituelle nécessaire et
permet également à un ordre politique et spirituel de régner sur les bâtiments
espagnols 15.
1- L’aumônier
272
Enrôlé principalement sur les bâtiments du roi, il s’aventure sur les flots lorsqu’un
meilleur sort ne lui a pas été réservé à terre. Sans vocation maritime, cet homme
d’Église exerce son ministère confronté aux tourments de l’océan et à des équipages
« blasphémateurs ». Il trouve cependant réconfort grâce à la reconnaissance
sans égale dont il bénéficie. Équipage, officiers et passagers s’en remettent à lui
lorsque l’heure du grand passage approche. La pastorale post-tridentine qui a
placé l’homme d’Église au centre de sa nouvelle pédagogie évangélisatrice impose
en effet cette figure clef dont l’absence serait dramatiquement ressentie. Sans le
sacrement d’extrême-onction et la confession qui aident le mourant à faire une
bonne mort, la pire des infortunes serait donc infligée aux marins 16. Sur les
flottes espagnoles, sa bienfaisante attention rapproche les fidèles des Cieux et leur
permet d’appréhender la mort avec plus de sérénité.

13 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1694, leg. 465, n° 11, fol. 6. On comprend à
la lecture de cette clause du codicille du passager Ignacio de Elizondo que la bienveillante
attention des médecins l’a soulagé même si les traitements n’ont pas été efficaces : « al
médico […] al cirujano […] al barbero […] al que sirve plaza de boticario que le an asistido con
mucha Puntualidad y Cariño se les deve satisfacer su trabajo ».
14 Recopilación de las Leyes de los Reynos de Indias (1681), Madrid, Ediciones Cultura
Hispánica, 1973, libro IX, título XV, ley XXXX : « Que el General procure, que en cada Nao vaya
quien confiesse a la gente, y cuide de los enfermos, y de los bienes, y testamentos de los
difuntos ».
15 Concepción Hernández-Díaz , « Asistencia espiritual en las flotas de Indias », dans Andalucía
América y el Mar. Actas de las IX Jornadas de Andalucía y América, Sevilla, Universidad de
Santa María de la Rábida, 1991, p. 271-279.
16 François Lebrun, « Les Réformes : dévotions communautaires et piété personnelle », dans
Histoire de la vie privée. De la Renaissance aux Lumières, t. 3, sous la direction de Philippe
Ariès et Georges Duby, Paris, Le Seuil, 1986, p. 87. L’historien évoque néanmoins cette
situation à terre.

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L’ecclésiastique apparaît sous de multiples traits, mais c’est le confesseur qui
fait son entrée lorsque la maladie atteint le croyant en le projetant au terme de
son existence terrestre. Ce personnage central, « tantôt partisan d’une pédagogie
persuasive, plus souvent d’une démarche offensive » 17 n’agit pas de la même
façon qu’à terre. Si ce dernier, arpentant les quelques lieues de sa paroisse, apeure
parfois les agonisants, sur les flottes, il adopte plutôt une attitude rassurante.
Les mourants le réclament avec empressement à leur chevet, tel le matelot Juan
Limón. Dans le procès-verbal dressé à bord du navire San Luis naviguant sur la
Mer du Sud, on apprend ainsi que le marin a vivement demandé à se confesser
peu de temps avant de mourir 18. Quelques jours plus tard, le matelot périt,
absous par l’ecclésiastique et apaisé dans son âme. En effet, la confession offre un
moyen sûr de salut et un grand réconfort psychologique 19. Loin de la paroisse
et des êtres aimés, cette aide spirituelle et morale proposée à l’équipage reste
donc très sollicitée en mer. Conscient de ses responsabilités, l’aumônier voyage
souvent en détenant quelques ouvrages afin d’assurer confession et sacrements 273
selon les rites post-tridentins. En 1600, Juan de Vergaña officie à bord d’un

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


galion de la Real Armada de las Indias en lisant quelques passages de son Manual
de confesores et de son recueil Breve Instrucción de cómo se ha de administrar el
Sacramento de penitencia 20. De même, l’aumônier Juan de la Paz, embarqué
en 1623 sur le galion La Santísima Trinidad, possède le Sumario de obligación
cristiana afin d’aider les malades à faire une « bonne mort » 21. L’équipage
bénéficiant des secours spirituels et psychologiques de l’homme d’Église vit
donc sa présence comme une nécessité : l’enjeu étant de taille puisque le salut
éternel en dépend. C’est pour cette raison que le marin, Manuel Andrés, se sent
extrêmement reconnaissant envers l’aumônier de son vaisseau. Pour le remercier
de sa bienveillante attention et des sacrements administrés, il ordonne dans

17 Michel Vovelle, L’Heure du grand passage. Chronique de la mort, Paris, Gallimard, 1993,
p. 67.
18 L’homme d’Église rapporte le déroulement des événements : « Biniendo en el dicho nabio por
marinero en la ysla del Rey [Juan Limón] […] estando enfermo del alma llamó a este testigo y
se confessó… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 5581, n° 72, fol. 5.
19 Jean Delumeau, L’Aveu et le Pardon. Les Difficultés de la confession. xiiie-xviiie siècle (1964),
Paris, Fayard, 1992, p. 40.
20 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1600, leg. 257A, n° 2, ramo 1. Dans le dossier
des Bienes de Difuntos de l’aumônier Juan de Vergaña, on lit dans l’inventaire après décès
le titre de certains ouvrages. L’état détérioré du document et la graphie difficile permettent
seulement de transcrire : « Un Manual de Confesores […] administrar sacramentos […]
Sacramentorum ». Il s’agit sans doute pour ces deux derniers livres de Breve Instrucción de
cómo se ha de administrar el Sacramento de penitencia de Bartolomé de Medina et de Summa
sacramentorum de Francisco Vitoria, deux ouvrages consacrés au sacrement de pénitence :
informations tirées de Carlos Alberto González Sánchez, Los Mundos del Libro. Medios de
difusión de la cultura occidental en las Indias de los siglos xvi y xvii, Sevilla, Universidad de
Sevilla, 1999, p. 92.
21 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1623, leg. 522, n° 1, ramo 21, fol. 1.

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son testament qu’une arrobe de clous de girofle lui soit offerte 22. Les passagers
réclament également la présence rassurante de l’aumônier pour lui confier leurs
secrets les plus intimes. Selon la formule de Jean Delumeau, l’ecclésiastique
accepte alors « de diriger ses pénitents dans la difficile navigation vers le salut »
et reçoit avec attention les propos de chacun. En 1610, l’aumônier Francisco de
Arjona y Cuenca confesse ainsi le passager Andrés del Campo. Les déclarations
de l’ecclésiastique retracent la scène et mettent en lumière le rôle emblématique
du confesseur. On perçoit l’intérêt porté à la religion, au salut de l’âme et aux
biens temporels 23. Si le confesseur se doit d’écouter le pécheur et de le guider
vers la voie de la contrition, il est également tenu de s’intéresser au patrimoine
du mourant afin d’assurer sa juste transmission. Les autorités royales placent
en effet des hommes d’Église afin que les pratiques religieuses se perpétuent sur
les flots, mais également pour assurer une juste passation des biens matériels du
défunt. On le verra par la suite, l’aumônier bénéficie d’un statut particulier qui
274 le conduit parfois sur le chemin de quelques malversations.
Sur les vaisseaux esseulés, comme ce navire négrier qui traverse l’Atlantique
en 1687, on devine l’émergence d’une relation intime entre le confesseur et
le mourant. Apportant réconfort et paroles apaisantes, l’aumônier reste au
chevet du capitaine de vaisseau sans jamais s’éloigner 24. Au-delà de son rôle
de médiateur entre le fidèle et Dieu, l’aumônier prend ici l’apparence d’un
confident et d’un ami. Le même sentiment transparaît en 1678, lorsque le
matelot Bernabé de Lorenzo souffre d’un mal endémique, le typhus. Il fait
alors appeler l’aumônier pour s’en remettre corps et âme au prêtre 25. En 1625,

22 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 396A, n° 4, ramo 8, fol. 34. Dans
le testament du marin, on lit cette clause qui révèle un profond sentiment de gratitude :
« Yten mando una arrova de Clavo de lo que yo llevo en esta nao embarcado en tinajas mias
al licenciado fernando jaen de heredia Capellan desta dicha nao Por averme asistido a la
administracion de los sacramentos y que ruegue a dios Por mi Y esto declaro ».
23 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 293A, n° 1, ramo 7, fol. 48 : « Y antes
que muriese [Andrés Campos] llamaron a este testigo para que le confessase y le dispusiese
para morir como capellan y cura de la dicha nao y le confessó y tratando con el dicho andres
de campos algunas cosas tocantes a su consiencia y estando en su libertad y libre juicio le
preguntó este testigo si llevaba alguna azienda a españa para disponer della de suerte que
fuesse en buen cobro a lo qual le respondió el dicho andres de campos que traya dos mill
pesos de oro… ».
24 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1687, leg. 979, n° 1, fol. 7. L’ecclésiastique
enrôlé sur le navire négrier La Santísima Trinidad déclare ainsi : « Assistió en su enfermedad
hasta su muerte al capitan Don Martin de Urrua sin apartarse de su cabesera por cuya razon
vido que otorgó la dicha memoria de testamento estando en su entero juicio memoria y
entendimiento… ».
25 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1680, leg. 671, n° 1, fol. 5. On lit dans la
déclaration de l’aumônier consignée dans le dossier du matelot : « Este testigo despuso y
escrivió de su letra y mano [la memoria] estando a bordo de dicha nao en el dia de su fecha a
ruego e instancia de Bernabé Lorenzo que ya es defunto estando cercano a su fallecimiento
en presencia del cirujano, barbero y otras muchas personas de dicho navio… ». Soulignons
que lorsque le greffier est absent, l’ecclésiastique le supplée.

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à bord du vaisseau Almiranta de la flotte de la Nouvelle Espagne, un jeune
mousse le requiert aussi avec insistance. L’aumônier se souvient précisément de
ce moment particulier puisque c’est lui qui a rédigé son testament. Il rappelle
comment le jeune matelot l’a demandé à son chevet alors qu’il souhaitait être
entendu en confession et recevoir les sacrements 26.
Lorsque le greffier assure l’exercice de sa charge, de légers conflits d’autorité
peuvent survenir entre l’homme de plume et l’ecclésiastique. En effet, ce dernier
s’immisce parfois dans l’intimité de la réunion et interrompt la rédaction du
testament afin d’éloigner les témoins et de confesser en privé le mourant. La
scène décrite dans l’auto de Bienes de Difuntos de Gregorio Setién propose
un tableau assez vivant de la situation ; on voit l’attroupement au chevet du
malade, on distingue le greffier installé au chevet du testateur rédigeant son
document et l’on se représente parfaitement l’entrée de l’aumônier et son geste
autoritaire pour éloigner les gens le temps d’une confession solennelle 27. En
juillet 1610, le même événement se reproduit à bord du navire San Pedro lorsque 275
le mourant Juan Bautista Careto fait rédiger ses dernières volontés. Un groupe

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


d’hommes installés près du passager écoute entre deux soupirs les derniers
souhaits du malade qui sont ensuite soigneusement couchés sur le papier. Alors
que le moribond s’apprête à signer son testament, l’aumônier fait irruption
dans la cabine dispersant les présents afin de le confesser en toute intimité 28.
L’homme d’Église apparaît donc tel un personnage central lors de ces moments
paroxystiques. Fort de son statut, il a conscience que l’ordre moral, la destinée
des âmes et le salut de l’équipage reposent entre ses mains.
2- Quelques malversations

Dans l’accompagnement de la maladie, compagnons, officiers de santé et


ecclésiastiques remplissent des obligations précises. Il semble néanmoins que
le rôle principal soit attribué à l’aumônier. Si sa présence reste discrète, on le
découvre inévitablement au chevet des mourants. En 1627, le voici auprès du

26 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1626, leg. 954, n° 39, fol. 2 : « Pareció marcos
fernandez marinero mozo soltero natural de la villa de tabira de nacion portugues y me pidió
[al capellán] que por estar como estaba enfermo del cuerpo y sano de la voluntad y en su libre
juicio queria confesar y recebir los santos sacramentos… ». Voir annexe n° 7 dans laquelle
cette originale déclaration des dernières volontés apparaît.
27 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año 1609, leg. 942, n° 4, fol. 4. C’est le greffier qui
prend la parole et qui décrit la scène : « Dijo que estando este testigo [el escribano] en el
castillo de proa le enbió a llamar gregorio de setien estando malo en su rancho de santa
barbara […] y este testigo fue y el dicho gregorio de setien le dijo que queria azer una memoria
que le trujera [sic] tinta y papel y que se la escriviese […] y estando la haciendo este testigo por
nombre del dicho gregorio setien entró el padre capellan mayor desta armada a confesarle
y mandó a este testigo se apartase un poco… ».
28 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 296, n° 2, ramo 9, fol. 8.

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chirurgien Francisco García del Fresno qui, gisant au lit, rédige son testament 29.
En 1633, il assiste le soldat Juan de Almansa et l’invite à remettre son âme à Dieu
et ses quelques biens à l’Église pour le salut de son âme 30. En 1636, le mousse
du navire Capitana demande à l’aumônier de dire des messes pour son âme 31
et en 1678, le maître calfat Marcelo Muñoz agit de même en demandant à son
confesseur de prier pour son âme 32. La présence de l’ecclésiastique se perpétue
dans le temps et, en 1693, le passager Miguel Enríquez recommande aussi son
âme à Dieu et demande qu’une cinquantaine de messes soient dites par le prêtre
de son vaisseau 33. Proche des décisions de chaque fidèle, l’aumônier veille donc
sur les biens matériels et le salut de l’âme. Ces deux domaines étant étroitement
liés, on devine les abus et l’on imagine dès lors l’influence que le confesseur et
témoin du testament peut avoir sur le fidèle démuni face à la mort.
En 1599, sur le navire Nuestra Señora del Rosario, une intrigue se noue entre
le pilote mourant et un religieux embarqué à son bord. Malade, l’officier Pedro
276 Lobato rédige ses dernières volontés sous le regard attentif du père Gonzalo Gil
de Cabrera. Après avoir énuméré un patrimoine honorable, il institue comme
unique héritier l’ecclésiastique à son chevet alors que femme et frère l’attendent
en Espagne 34. Non seulement, l’homme d’Église se retrouve à la tête d’une
importante fortune, mais on comprend également que lesdits biens doivent
être investis dans le salut de l’âme du défunt. Après s’être longuement entretenu
avec le représentant de Dieu, le pilote a donc décidé de lui laisser l’intégralité de
son patrimoine 35. Le religieux aurait-il abusé de son pouvoir et de sa force de
persuasion face aux tourments du pilote ? Les autorités de l’Institution des Bienes
de Difuntos supposent en effet qu’un délit d’intimidation a été commis. Elles
mandatent donc la moitié de l’héritage à la femme du pilote, laissant pourtant la
somme honorable de 854 pesos à l’ecclésiastique qui en avait déjà dépensé 123
pour les frais liés aux funérailles et au salut de l’âme 36. En 1610, c’est l’aumônier

29 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1627, leg. 955, n° 1, ramo 39, fol. 1-5.
30 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1633, leg. 5581, n° 20, fol. 1. On lit dans le
testament : « Encomiendo mi alma a dios mio señor que la crió […] Mando se cobre todo y se
aga bien por mi alma… ».
31 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 387, n° 2, fol. 2.
32 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg. 461, n° 3, ramo 1, fol. 2-7.
33 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1694, leg. 980, n° 2, ramo 1, fol. 8. On lit dans
son testament : « Yten mando quando la boluntad de Dios nuestro Señor fuere servido de
llebarme se paguen de mis bienes mi funeral y entierro y me diga el capellan […] de la presente
nao cinquenta misas resadas... ».
34 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 264, n° 1, ramo 4, fol. 13.
35 Ibid. : « Porque ademas de aber yo comunicado con el las cosas de mi conciencia esta es mi
ultima boluntad ». On remarque dans la rédaction de cette clause que le mot última a été
rajouté comme si le religieux, les yeux rivés sur le document, avait enjoint au greffier d’insérer
le qualificatif.
36 Ibid., fol. 30.

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Francisco de Arjona y Cuenca, confesseur du passager Andrés del Campo, qui
exerce avec insistance ses prérogatives sur l’exécuteur testamentaire. En effet,
alors qu’il écoutait le passager se repentir de ses péchés, l’ecclésiastique découvre
que deux mille pesos sont aux mains de l’exécuteur testamentaire, don Basco
de Silva, afin d’échapper à l’Institution des Bienes de Difuntos 37. Intrigué par
cette somme d’argent, le confesseur demande des précisions à don Basco de
Silva que ce dernier lui livre peu de temps après le décès du passager : en effet,
2 000 pesos lui ont bien été remis afin d’échapper à la justice 38. On découvre
immédiatement le stratagème élaboré entre Andrés del Campo et son exécuteur
afin d’échapper à l’Institution des Bienes de Difuntos. En pleine connaissance de
cause, l’aumônier demande alors à profiter de la manne financière et réclame
qu’un quart des messes pour l’âme du défunt se dise sur le navire 39. Il doit
cependant essuyer le refus de l’exécuteur testamentaire qui ne lui concède pas
la moindre aumône. Face à cet affront, le prêtre dénonce dès son arrivée en
Espagne les manœuvres frauduleuses des deux hommes mettant ainsi un terme 277
au secret de la confession. Éprouvant le même souci que son prédécesseur, afin

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


de sauver l’âme du défunt ou dans un quelconque intérêt vénal, l’aumônier du
navire San Pedro y San Pablo demande un cinquième des biens du capitaine Juan
García Lugones et obtient la somme de 150 pesos afin de dire 300 messes pour
le commandant de vaisseau intestat 40. Étant donné que l’officier meurt sans
rédiger ses dernières volontés, l’Église se trouve en effet dans le droit de réclamer
le quinto del alma : ce cinquième de l’ensemble de la succession « réservé à
l’âme » 41.
Si l’aumônier peut exercer une force de persuasion puissante face aux derniers
instants de l’existence et détourner à son profit quelques pesos, les documents
signalent davantage un homme dans lequel on place sa confiance. Il apparaît
comme une figure emblématique, centrale et charismatique. Chacun le réclame
à son chevet, tout le monde souhaite en effet se confesser auprès de l’homme
d’Église, médiateur religieux réconfortant et garant d’un salut peut-être facilité

37 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 293A, n° 1, ramo 7, fol. 47. L’aumônier
se souvient de la confession : « Le preguntó este testigo [el capellán] si llevaba alguna azienda
a españa para disponer della de suerte que fuesse en buen cobro a lo qual le respondió el
dicho andres de campos que traya dos mil pesos de oro […] en poder de don basco de silva
y mendoza pasajero para españa […] a quien dejaba por albacea en un testamento que abia
echo antes que se embarcara… ».
38 « Que era muy grande berdad que yban en su poder y a su cargo los dichos dos mill pesos […]
del dicho andres de campos difunto pero que por no los descantillasen algunos ministros de
justicia como en tales cassos suele suceder no queria aver manifestacion dellos por entonces
hasta mejor ocassion… », ibid., fol. 48.
39 Ibid., fol. 48-49.
40 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1640, leg. 402, n° 1, fol. 67.
41 Annie Molinié-Bertrand, Vocabulaire historique de l’Espagne classique, Paris, Nathan, 1993,
p. 92.

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grâce à son intermédiaire. Au-delà de quelques malversations inhérentes au
prestige dont il bénéficie, c’est un personnage essentiel apaisant les craintes d’une
mort sur l’océan. Sa présence au chevet du mourant apparaît indéniablement
comme une grâce et une nécessité 42.
C- Sans prêtre, quelle alternative spirituelle ?

En son absence, une angoisse grandissante sourd dans le cœur de l’équipage et


des passagers livrés à eux-mêmes. L’ecclésiastique placé au centre de l’économie
générale du salut doit accompagner le fidèle, car, sans son aide ni sa médiation
religieuse, les hommes se sentent abandonnés loin de la communauté chrétienne.
Aux confins des océans, il faut pourtant trouver une solution à cette dramatique
absence. La présence des compagnons de travail offre alors un soutien important,
car, loin de toute présence religieuse, les faibles connaissances des uns, l’amour
des autres compensent un peu l’absence du prêtre.
278 À bord de la nef Nuestra Señora del Rosario, l’artilleur Pedro de Mora agonise. Le
dossier dressé pour ce militaire reste laconique, on devine cependant qu’aucun
prêtre n’est présent, car le charpentier semble avoir remplacé l’aumônier et pris
sa place de confident. Il se remémore les événements et déclare s’être occupé du
moribond en l’aidant à « bien mourir » 43. En l’absence d’un ecclésiastique, le
charpentier agit avec humanité en lui prodiguant peut-être quelques éléments
de morale chrétienne peu avant la mort. Ce soutien spirituel évoqué à travers les
quelques mots de sa déclaration prouve ainsi l’existence d’un réseau de solidarité
puissant. Éloignés de toute paroisse ou d’un représentant du clergé, les hommes
prennent donc le relais en offrant une assistance morale et physique aux plus
démunis. Les informations obtenues dans chaque dossier des Bienes de Difuntos
restent néanmoins très parcellaires ; il est donc difficile de déterminer l’absence
d’un prêtre sur un vaisseau. En 1692, pourtant, sur le galion Nuestra Señora
de los Remedios, aucun représentant de Dieu ne semble exercer son ministère
puisque le soldat Juan Navarro meurt sans confession et son corps, jeté à la mer
par ses compagnons de travail, ne bénéficie d’aucun cérémonial religieux 44.
Les camarades du défunt recréent néanmoins un univers social en offrant au
moribond un soutien collectif et une présence lors de son agonie. Ici, les liens
amicaux dépassent naturellement le cadre professionnel. La mer et ses moments
paroxystiques rapprochent ainsi les hommes dans le malheur.

42 François Lebrun, « Les Réformes… », art. cit., p. 87.


43 « Murió [el artillero] biniendo a España sobre la isla que llaman del Cuerbo, save lo referido
porque le ayudó a bien morir y despues le veló toda la noche », AGI, Cont. Auto de Bienes de
Difuntos, año de 1691, leg. 5585, n° 24, fol. 2.
44 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1692, leg. 566, n° 1, ramo 2(13), fol. 7.

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Si l’assistance spirituelle ne peut être prodiguée par un prêtre, d’autres
pratiques facilitent la mise en place d’un soutien psychologique et religieux. Un
membre d’équipage prend parfois la place de l’aumônier et utilise ses maigres
connaissances en se servant par exemple de son livre de dévotion. En 1678,
à bord du navire négrier Nuestra Señora del Rosario y Santo Domingo, deux
marins vont successivement s’éteindre lors de la traversée. Laureano de Celaya
périt tout d’abord des suites d’une maladie ; il possédait plusieurs ouvrages.
Le premier, un livre d’heures, et le second, intitulé Meditaciones de la muerte,
lui ont certainement offert un réconfort avant de mourir 45. Sans le soutien
spirituel d’un membre de l’Église, le manuel de préparation à une bonne mort
propose des perspectives de salut. Peu de temps après son décès, alors que ses
biens sont proposés dans une vente aux enchères, un mousse fait l’acquisition
du livre de méditation pour la somme de cinq réaux. L’enseignement proposé
au jeune novice lui est utile, car, en août 1678, un autre matelot se prépare à
mourir. Malade, Luis López agonise entouré de la présence charitable de ses 279
camarades 46. La lecture de l’ouvrage Meditaciones de la muerte par l’un d’entre

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


eux lui permet sans doute de se préparer humblement.

Par le biais de médiateurs spirituels, la préparation à la mort s’organise donc


dans un élan communautaire. Les camarades entourent souvent le malade,
l’aumônier dispense des recommandations, le chirurgien offre encore quelques
soins, c’est tout un ensemble de pratiques spirituelles, amicales ou médicales
qui se met en place. Mais parmi ces procédés, une autre alternative se détache
afin d’aider matelots et passagers à appréhender le passage vers l’au-delà : la
rédaction d’un testament.

II- LA PENSÉE DE LA MORT À TRAVERS LA PRATIQUE TESTAMENTAIRE

La société espagnole vit dans la présence constante de la mort et la « pédagogie


de la peur » qui s’installe après le concile de Trente doit inspirer de salutaires
considérations au chrétien. Elle est censée le guider, lui fournir des règles de
conduites, des pratiques de dévotion et des éléments de réflexion sur la mort 47.
En menant une « bonne vie », le croyant se prépare ainsi à affronter la dernière
étape avant le salut éternel ; en rédigeant un testament, il se prépare à l’au-delà

45 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg. 975, n° 1, ramo 1(1), fol. 22 : « Un
libro de meditaciones de la muerte ».
46 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg. 975, n° 1, ramo 1(2), fol. 26.
47 Augustin Redondo, La Peur de la mort en Espagne au Siècle d’Or. Littérature et iconographie,
études réunies et présentées par Augustin Redondo, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle,
1993, p. 6.

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et médite sur la fugacité de son existence terrestre. Pourtant, le cheminement
reste difficile et, pour atteindre l’état de grâce, le père jésuite Nieremberg évoque
l’obligation morale de vivre dans la pensée de la mort 48. La rédaction d’un
testament, « passeport pour le ciel » selon l’expression de Jacques Le Goff,
permet alors de matérialiser cette préoccupation eschatologique en préparant
la répartition des biens terrestres et le salut de l’âme.
A- Réalités matérielles et besoins spirituels

En mer, les mêmes obligations religieuses incombent au croyant. On pourrait


penser qu’il préfère rédiger ses dernières volontés à terre ; pourtant, il n’en est
rien. Les dangers océaniques effraient les hommes, mais la pensée de la mort ne
les conduit guère à rédiger leur testament avant le départ. En revanche, le sort
d’une importante cargaison, la destinée de quelques biens incitent parfois de
riches commerçants à tester avant de s’embarquer.
280
1- Les biens terrestres

Si au xvii e siècle le testament n’est pas uniquement un acte privé de


transmission de patrimoine, il règle toujours les dispositions matérielles. La
subtile combinaison de dévotion personnelle et de passation de biens prend
forme dans ce document notarial, parfois rédigé à terre avant de s’embarquer.
Il agit comme un laissez-passer pour la jouissance, ainsi légitimée, des biens
acquis 49. Lorsque Pedro de Vidales, passager commerçant, laisse ses pleins
pouvoirs afin de faire rédiger un testament par procuration, l’importance de
ses obligations commerciales et de son voyage en Amérique l’y oblige. On
comprend à la lecture du document qu’il préfère assurer la destinée de ses
biens matériels avant son périple océanique tout en instituant ses héritiers 50.
La pratique reste coutumière et pour les négociants, des précautions sont
indispensables afin de couvrir les risques d’un voyage. José de Munárriz,
capitaine et propriétaire de navire, laisse donc ses pleins pouvoirs à son frère
Domingo, en 1670, dans la ville de Séville. La deuxième clause du document
est éloquente à ce sujet, elle traduit les risques pressentis d’un voyage 51. Juan

48 Anne Milhou-Roudie, « Un tránsito espantoso : la peur de l’agonie dans les préparations


à la mort et les sermons espagnols des xvie et xviie siècles », dans La Peur de la mort…,
op. cit., p. 12.
49 Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, Paris,
Le Seuil, 1975, p. 85.
50 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1692, leg. 465, n° 5, fol. 16. Il choisit de laisser
un pouvoir car il se trouve : « de partida para los reynos de Tierra Firme de Indias en los
galeones […]. Digo que por quanto por la relazion de mi biaje Y mis muchos negocios no
queda ni me da lugar a ordenar mi testamento… ».
51 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1675, leg. 670, n° 4, ramo 2, fol. 15 : « Otrosi
por quanto son tan evidentes los riesgos y peligros de la vida tan frequentes los casos de

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de Bereterra Bracamonte, soldat du galion La Santísima Trinidad, envisage
également les derniers instants de son existence avec incertitude. Dans son
testament, il énumère une longue liste de dettes et de créances, et ne manque
pas de rappeler la fugacité de la vie et les dangers d’un voyage en mer en tant
que soldat 52. On comprend dès lors que la rédaction du testament n’est pas
uniquement motivée par un attachement aux biens terrestres, mais on perçoit
l’importance qu’ils revêtent aux yeux du soldat. En effet, les legs pieux et les
demandes de messes n’apparaissent qu’à la fin du document lorsqu’il institue
finalement sa mère comme unique héritière 53.
Le dépouillement des testaments sélectionnés pour ce travail montre
néanmoins que la préoccupation religieuse l’emporte généralement sur
toute autre considération. Si les biens matériels et l’institution des héritiers
constituent des éléments déterminants, le testament au xviie siècle rédigé sur
les mers reste à coup sûr un document pour « le salut de l’âme et sous le regard
de la Mort » 54. 281

2- Le salut de l’âme

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


Le testament se présente en effet comme un acte religieux où le croyant exprime
sa confiance dans l’intercession céleste. La profession de foi, la confession des
péchés, l’élection de la sépulture et les nombreuses dispositions en faveur de
l’âme occupent généralement une place primordiale. La peur de la mort est
souvent évoquée avec émotion. On lit dans les déclarations l’angoisse liée au
trépas et le soulagement procuré par la rédaction d’un testament. Les mots
de Domingo de Altamira disent le sentiment de peur et l’inéluctabilité de la
mort apaisée par l’écriture d’un testament : redoutant la mort qui est naturelle
et à laquelle personne ne peut échapper, la meilleure chose consiste à ordonner
son testament 55. Pedro Rodríguez Casado évoque de même l’angoisse qu’il
éprouve avant de mourir, en déclarant redouter la mort et la fin de la vie qui est
brève et vouée à disparaître 56, et précise qu’il veut écrire ses dernières volontés

perderla previniendo como mejor pueda el de mi fallecimiento […] otorgo le doy al suso dicho
mi poder cumplido… ».
52 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1632, leg. 958, n° 13, fol. 33 : « Conociendo
quan causal cossa es el benirnos la muerte quando mas descuydados estamos mayormente
quando se anda en la mar y se ba en demanda del enemigo digo yo don Juan bereterra
braçamonte […] quiero hacer una memoria ».
53 Ibid., fol. 38.
54 Pierre Chaunu, La Mort à Paris xvie, xviie, xviiie siècles, Paris, Fayard, 1984, p. 233.
55 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348B, n° 2, ramo 4, fol. 1. On lit :
« Temiendome de la muerte que es natural de la qual ninguna persona se puede escapar El
mejor Remedio que yo puedo aber es dejar hecho y otorgado mi testamento… ».
56 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609, leg. 287, n° 1, ramo 2, fol. 6 : « temiendo
la muerte y acabamiento desta vida que es breve y fallessedera ».

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afin de soulager son âme et sa conscience 57. Andrés Rubio commence lui aussi
la rédaction de son testament, car il considère l’heure de sa mort incertaine et
ne souhaite pas négliger ses obligations de bon chrétien 58.
La confession des péchés dans le testament prend parfois une tournure
étonnante. Ainsi est-on surpris lorsque le maître de navire Gaspar de Rojas,
fort de sa position hiérarchique, confesse un vol de poireaux dans sa jeunesse 59.
Un profond sentiment de culpabilité l’amène à avouer ses fautes, car la moindre
erreur invite au repentir. La confession reste en effet un « moyen sûr » de salut
dans une société traversée par une peur très présente 60. Chaque fidèle souhaite
donc être entendu en confession et si elle n’a pas lieu, la rédaction du testament
favorise alors cette demande de pardon 61. En effet, dans la société espagnole
régie par le catholicisme, l’Église permet au croyant de soulager sa conscience
en testant. Cette pratique à terre est répandue ; toutefois, on s’interroge afin de
savoir si elle connaît le même engouement sur les océans. Recouvre-t-elle les
282 mêmes desseins et dans quelles conditions se déroule-t-elle ?
B- La pratique testamentaire

À partir de l’échantillon sélectionné, on a recherché la présence des testaments


dans chaque auto de Bienes de Difuntos. L’acte est parfois inclus, dans d’autres
cas, on apprend juste qu’il a été rédigé. Ainsi, sur les 1046 individus présents
dans cette étude, 417 ont rédigé un testament. La proportion obtenue est
significative puisque 40% d’entre eux se mettent en règle avec Dieu. Néanmoins,
le corpus documentaire qui nous sert de base de travail se compose de 376
dispositions testamentaires car, dans 41 dossiers, on a seulement connaissance
de la rédaction du testament.
1- Les résultats

Sur l’ensemble, 47 testaments sont rédigés à terre, 326 en mer et pour trois
documents il n’a pas été possible de déterminer le lieu de rédaction. Notons

57 Ibid. : « Codiciando [sic] poner mi anima en la mas sierta y segura carrera que yo pudiere
hallar para la salvar […] dejar y descargar mi conciencia Por ende otorgo y conosco que hago
y ordeno mi testamento… ».
58 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 296A, n° 2, ramo 8, fol. 7 : « Como
siento que me tengo que morir y por no saber El dia cómo ni quándo será Dios nuestro señor
servido me prevengo considerando la obligacion que como christiano tengo… ».
59 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1601, leg. 572, n° 15, ramo 1(16), fol. 1 :
« Yten declaro que en mys mosedades en la corte como mansebo andube desbaratado con
otros amigos que andabamos desbaratodos hurtamos pueros y de esto tambien tengo
obligacion ».
60 Jean Delumeau, L’Aveu et le Pardon…, op. cit., p. 40.
61 Le tambour Diego Navarro confesse ainsi dans son testament l’importance de son rôle
dans une rixe (AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1676, leg.974, n° 3, ramo 5(2),
fol. 7).

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en premier lieu qu’une majorité de testaments est rédigée en pleine mer ;
l’élaboration semble donc s’entreprendre in articulo mortis et, contrairement
aux idées reçues, marins et passagers sont peu nombreux à laisser leurs dernières
instructions à terre. Les 47 personnes qui prennent cette précaution avant de
s’embarquer sont pour la plupart des passagers, 23 au total, contre six soldats,
deux capitaines, deux marins, deux mousses, mais aussi, un aumônier, un calfat,
un pilote, un général et un artilleur entre autres. La logique des gens de mer
et de guerre est assez aléatoire puisque la plupart d’entre eux n’entreprennent
cette obligation religieuse qu’au terme de leur existence. Quoi qu’il en soit, sur
l’ensemble de l’échantillon, la pratique testamentaire est assez répandue. En effet,
il s’agit tout d’abord d’un acte religieux qui rassure le croyant et lui permet de
transmettre son patrimoine : mourir intestat serait d’une certaine façon ressenti
comme un péché 62. La présence du greffier et de l’aumônier incite également
équipage et passagers à s’en remettre à Dieu. Ainsi, la présence des autorités
civiles et religieuses favorise-t-elle sans conteste la rédaction d’un testament. 283

2- Une analyse socioprofessionnelle

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


La position sociale occupée par les défunts devrait avoir une influence sur
la pratique testamentaire, du moins pouvait-on le supposer. On s’est alors
interrogé sur les liens socioprofessionnels face à la mort et l’on a recherché le
nombre de testateurs en fonction de la répartition socioprofessionnelle établie
dans l’échantillon. En effectuant un premier découpage, les chiffres obtenus
sont les suivants :
        Pratique testamentaire exprimée de 1589 à 1710 en pourcentage 63   64  
Nombre de Pratique testamentaire
Groupe professionnel Nombre
personnes qui testent par groupe professionnel
Gens de mer 510 166 33 %
Gens de guerre 325 107 33 %
Passagers 183 126 69 %
Sans précision64 27 18 67 %

À l’évidence, gens de mer et gens de guerre testent dans les mêmes proportions.
Que l’on soit marin ou soldat, contremaître ou caporal, la rédaction des
dernières volontés revêt la même importance. Pour les vingt-sept personnes

62 Raphaël Carrasco, Claudette Dérozier, Annie Molinié-Bertrand, Histoire et civilisation de


l’Espagne classique. 1492-1808, Paris, Nathan université, 1991, p. 102.
63 Rappelons que dans cette étude, 1046 dossiers ont été sélectionnés de 1598 à 1717 (dates
d’élaboration des autos). Toutefois, les décès et, par conséquent, les rédactions des
testaments étaient parfois antérieurs à la date d’élaboration du dossier. Les testaments
recensés dans cette étude ont donc été rédigés de 1589 à 1710.
64 Le 28e défunt sans profession définie est en fait un prisonnier.

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sans profession définie, le pourcentage élevé est presque identique à celui des
passagers (on estime en effet que ces individus sont des voyageurs dont l’activité
n’a pas été expressément déterminée). Néanmoins, un découpage professionnel
plus précis offre des nuances dans l’interprétation.
Pratique testamentaire de 1589 à 1710 par catégorie professionnelle
Gens de mer Nombre Test. % Gens de guerre Nombre Test. %

Maîtres 37 19 51 % Généraux 3 2 67 %


Pilotes 42 19 45 % Amiraux 3 1 33 %
Contremaîtres 24 18 75 % Capitaines 32 20 63 %
Greffiers 20 7 35 % Porte-drapeaux 16 8 50 %
Aumôniers 9 5 56 % Sous-officiers d’artillerie 12 4 33 %
Dépensiers 14 5 36 % Caporaux 17 3 18 %
Chirurgiens et barbiers 9 2 22 % Artilleurs 67 19 28 %
Calfats et charpentiers 19 9 47 % Soldats 160 42 26 %
Gardiens 9 1 11 %
284
Marins 194 55 28 % Passagers 183 126 69 %
Mousses 100 19 19 % Prisonnier 1 - -
Pages 20 - - Sans précision 27 18 67 %

Il semble clair que le rang professionnel joue un rôle significatif. Les officiers
rédigent, proportionnellement, en plus grand nombre leur testament que les
marins, que les mousses ou que les soldats 65. Les maîtres de navire testent
ainsi de façon significative, 51 % d’entre eux, ainsi que les contremaîtres,
75 % de ces derniers. Les chiffres traduisent principalement une grande
préoccupation face au Jugement Dernier et pour la répartition des biens
matériels. Bon nombre de greffiers, de dépensiers et de calfats laissent ensuite
par écrit leurs dispositions testamentaires (respectivement, 35 %, 36 % et 47 %
d’entre eux) tandis que marins, artilleurs, soldats et mousses le font dans
de plus petites proportions (28 %, 28 %, 26 % et 19 %). Faut-il y voir une
sensibilité religieuse moins prononcée ? Le faible patrimoine des humbles
les dissuade-t-il de rédiger leur testament ? Les éléments de réponse sont
assez variés. Dans les testaments des mousses et des artilleurs, une sensibilité
religieuse se dégage sans conteste 66 : l’amour de Dieu, le désir d’agir en bon

65 David González Cruz constate le même phénomène dans son étude sur la province de Huelva
aux xviie et xviiie siècles. David González Cruz, « La Carrera de Indias en la documentación
testamentaria. Huelva y América en los siglos xvii y xviii », dans Antonio Eiras Roel, La
emigración española a Ultramar. 1492-1914, Madrid, Tabapress, 1991, p. 227-243.
66 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 514, n° 2, ramo 10, fol. 1. Le mousse
Antonio de Silva rédige ses dernières volontés et introduit une sincère profession de foi dans
laquelle il dit : « Como fiel y catolico christiano temiendo me de la muerte de que es cosa
natural y deseando poner mi alma en camino y carrera de salvacion otorgo y conozco que
hago y ordeno este mi testamento… ».

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chrétien, la peur du jugement, le désir de grâce animent aussi bien les marins,
les soldats que les capitaines ou les pilotes. Le manque de piété serait donc
étonnant. Ajoutons, en revanche, que le dénuement financier ne facilite guère
la rédaction d’un testament. On le verra par la suite, un homme refuse de
tester, car il se trouve sans ressources. En fin de compte, on pense plutôt que
les aléas du travail maritime ne permettent pas toujours aux simples membres
d’équipage de tester. En effet, si l’on ajoute un filtre supplémentaire à cette
analyse socioprofessionnelle, on découvre que la rédaction du testament reste
étroitement subordonnée à la cause du décès.
Lorsque la maladie affaiblit un homme, elle lui laisse le temps de rédiger
ses dernières volontés. Les heures qui s’écoulent entre les premières attaques
fébriles et le décès permettent la réflexion puis la possibilité et enfin le besoin
de tester. En revanche, un décès brutal interdit cette alternative. Étant donné
que mousses, marins, soldats et artilleurs meurent davantage noyés, au combat,
lors d’un naufrage ou d’un accident, on comprend mieux les résultats observés. 285
Une analyse plus précise permet ainsi de confirmer cette hypothèse. Le tableau

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


suivant présente, pour plusieurs corps de métiers, le nombre de personnes
décédées de maladie, puis le pourcentage d’entre elles ayant testé.
Pratique testamentaire de 1589 à 1710 des différents groupes professionnels
maritimes et militaires dont les membres sont morts de maladie en mer
Gens de mer et de guerre Morts malades Testaments Pourcentage
Contremaîtres 12 12 100 %
Capitaines 19 16 84 %
Marins 59 48 81 %
Calfats et charpentiers 10 8 80 %
Pilotes 19 15 79 %
Soldats 47 36 77 %
Maîtres 21 16 76 %
Artilleurs 22 15 68 %
Greffiers 6 4 67 %
Mousses 21 14 67 %

Si dans la première approche socioprofessionnelle, on pouvait penser que la


pratique testamentaire était liée au rang hiérarchique, on constate ici qu’elle
est étroitement subordonnée à la cause du décès. En effet, sur l’ensemble des
194 marins, ils n’étaient que 28 % à tester, mais sur les 55 mariniers malades,
ils sont plus de 80% à le faire. En conséquence, on est en droit de penser que la
maladie en mer autorise plus facilement la rédaction d’un testament et que la
catégorie socioprofessionnelle importe moins face à la question du salut. On
ne s’étonnera pas dès lors que capitaines et passagers testent majoritairement
puisque la plupart meurent d’infections corporelles alors que les simples
marins et les artilleurs subissent les dangers d’une mort au combat, d’une

237_vmne_c7d.indb 285 8/09/09 20:23:54


noyade ou d’un accident. De fait, les rapports s’inversent sensiblement puisque
l’on observe que matelots et soldats malades testent en plus grand nombre
que maîtres et greffiers. En outre, plus de 67 % des mousses rédigent leurs
dernières volontés alors qu’ils sont très jeunes et qu’ils connaissent le plus grand
dénuement.

Il faut finalement évoquer les différents mobiles qui incitent les hommes
d’équipage à rédiger un testament. La dévotion de chaque croyant et le désir
profond de sauver son âme animent tout d’abord le plus grand nombre. La
passation des patrimoines, sachant que chaque marin, soldat ou capitaine se
livre à de multiples transactions commerciales, les amène ensuite à régler leurs
dispositions matérielles. En revanche, l’institution des héritiers ne constitue pas
une motivation évidente puisque dans chaque document, parents, femme ou
enfants sont nommés tels que la loi l’entend 67. Si les chiffres obtenus n’offrent
286 que des indications partielles, ils démontrent clairement que, face à la mort,
lorsque le temps ne presse pas, chaque groupe désire se mettre en règle avec
Dieu. Le faible patrimoine des mariniers ou des soldats n’empêche guère la
rédaction d’un testament, car cet acte n’est pas subordonné à de simples intérêts
matériels. Un capitaine souhaite léguer ses biens avant de mourir, organiser
la suite de ses affaires tout en assurant le passage vers l’au-delà. De même, un
artilleur le fait afin de préparer le salut de son âme et la répartition de ses maigres
effets personnels. Le salut éternel tourmente aussi bien les simples membres
d’équipages que les commandants de vaisseau. Les mariniers et fantassins ne sont
donc pas moins sensibles à la pastorale chrétienne et leur manque d’éducation
religieuse ne semble guère les décourager face à l’aumônier. Bien au contraire, on
a vu comment matelots et soldats appellent à leur chevet confesseur et greffier
pour rédiger leur testament et soulager leur conscience. La réalité professionnelle
maritime, diverse et contrastée, modifie en fait le rapport des hommes face
à la mort. Il semble donc indispensable de prendre en compte les variables
professionnelles afin d’analyser les rapports complexes qui se nouent entre le
mourant, sa dévotion et ses anciennes conditions de labeur.
C- Une spécificité maritime ?

La proportion élevée de testaments rédigés sur les navires interpelle cependant ;


au contact de l’infinité des océans, du ciel et de la force des éléments, les sentiments
religieux s’exaltent-ils ? La peur de mourir en mer incite-t-elle les fidèles à rédiger
leur testament en bons chrétiens en ces lieux abandonnés ? On s’interroge aussi

67 Víctor Tau-Anzoátegui, Esquema histórico del derecho sucesorio, Buenos Aires, La ley,
Sociedad Anónima Editora e Impresora, 1971.

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sur l’insistance des hommes de plume et d’Église qui favorise sans doute l’écriture
de cet acte juridique et religieux. Manifestement, ces facteurs si différents agissent
conjointement. Sur un navire, la réalité macabre prend une autre dimension. Les
hommes, reclus, sont régulièrement confrontés à l’agonie d’un des leurs tandis que
les autorités se tiennent prêtes à intervenir. L’élaboration du testament se réalise
alors dans une action simultanée puisque camarades, confesseur, officiers, témoins
et mourant participent activement. Dans ce microcosme, l’événement prend
d’autre part une résonance accrue. L’intensité des émotions efface l’indifférence,
la force de la maladie trouble les compagnons de travail, la peur qui se lit sur le
visage du mourant se propage parmi les hommes qui l’entourent. L’équipage se
trouve face au miroir de la mort tandis que chacun se mobilise afin de faciliter
le passage vers l’au-delà. On comprend dès lors que la pratique testamentaire
prenne un relief particulier sur les flottes espagnoles. Tous les éléments sont en
effet réunis pour ménager les derniers instants de l’agonisant. La disponibilité des
confesseurs et des greffiers permet finalement aux mourants de se confesser, puis 287
de témoigner grâce à ce procédé juridique d’une volonté de survie matérielle et

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


spirituelle au-delà du voile du trépas 68.
D- Le refus : no quizo testar

Pourtant, certains refusent parfois de tester. Gonzalo Marcos, maître de


rations du navire Nuestra Señora de la Caridad, repousse ainsi les assauts du
greffier qui le prie vainement d’écrire son testament  69. Lorsque l’homme
plume insiste en lui expliquant qu’il est en danger de mort, Gonzalo Marcos
refuse de confier ses biens et son âme 70. Sous couvert d’insouciance, le maître
feint de ne pas regarder la mort en face, rien ne permet d’affirmer néanmoins
qu’il rejette la religion dominante en Espagne ; un seul constat, face à la mort,
il refuse de tester. En 1646, le passager Antonio de Mena réagit de la même
façon et estime que la maladie dont il souffre est bénigne. Passagers et greffier
l’encouragent pourtant à rédiger son testament et à se confesser ; mais, comme
précédemment, les propos de l’équipage resteront vains 71. Il est fort malaisé

68 Nous empruntons cette belle formule à Pierre Chaunu, dans La Mort à Paris…, op. cit.,
p. 229.
69 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1616, leg. 325, n° 2, fol. 1 : « Por estar muy
enfermo gonzalo marcos maestre de raciones, en cumplimiento de lo que se me manda por
la ynstrucion de La Casa de la contratación de las yndias de la ciudad de Sevilla, aconsejé
rogué y requerí al dicho gonzalo marcos Hiziese testamento que estava presto de lo escrivir
y aviendoselo dicho y aconsejado muchas vezes Respondió que el me avisaria que no queria
ni estava a tiempo de hazer testamento… ».
70 Ibid.
71 Un homme se rappelle les circonstances déconcertantes de son refus : « Abiendose
embarcado el suso dicho en la mar, le dio una enfermedad de que estubo a riesgo de la
muerte y este testigo y otros que benian le persuadieron a que hiciese testamento y se
confessasse como cristiano, el qual dijo no era enfermedad de mucho riesgo para necesitar

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de déterminer les causes réelles de cette attitude. Le passager commerçant
était originaire de Llerena en Estrémadure près du Portugal, s’agissait-il pour
autant d’un judaïsant réfugié près de la Raya ? Rien dans son dossier ne permet
de confirmer cette hypothèse. Un seul sentiment transparaît, face à la mort,
l’homme détourne le regard, refuse d’affronter la réalité et rejette le cérémonial
catholique. Le cas du passager Juan Gascó est plus déroutant. Malade au lit,
il refuse de tester en rétorquant à l’aumônier qu’il ne doit que 322 pesos à un
porte-drapeau 72. De même, Juan González, blessé à la suite d’un combat en
1631, repousse la rédaction de ses dernières volontés. Il déclare ne pas être
en état de confier son âme à Dieu, car il est blessé et prétexte, d’autre part,
ne pas avoir contracté de dettes 73. Le testament resterait-il subordonné à de
simples intérêts matériels ? S’agirait-il uniquement d’un document réservé au
legs des biens terrestres ? On peut en douter. On a vu comment les catholiques
requièrent avec insistance la présence d’un aumônier et d’un greffier pour faire
288 rédiger leur testament. Voici certainement une parade utilisée par le matelot
d’origine portugaise afin de détourner les derniers instants de son existence
de l’emprise de l’Église. Résidant au Portugal, il faisait sans doute partie
des marranes qui s’étaient autrefois réfugiés dans le royaume lusitanien afin
d’échapper à la répression inquisitoriale espagnole  74. De même, le mulâtre
Juan Limón, matelot portugais, refuse de tester pour des raisons similaires. En
1607, il décède intestat en dépit des requêtes pressantes du greffier 75. Le soldat
Lorenzo Galán, un Andalou originaire de Cadix, meurt aussi intestat, toutefois,
son geste s’explique différemment. Le dénuement financier l’aurait en effet
empêché de rédiger son testament : un témoin rapporte ainsi qu’il n’avait pas
de quoi le faire écrire 76. Il semble donc probable que la pauvreté l’ait dissuadé
de tester.

della y a al cabo de algunos dias murió sin hacer dicho testamento… », AGI, Cont. Auto de
Bienes de Difuntos, año de 1691, leg. 464, n° 4, ramo 9, fol. 13.
72 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 544, n° 1, ramo 8, fol. 20. Le prêtre du
navire déconcerté par le refus du passager retrace la scène : « Y despues de averle confesado
este testigo le dijo al dicho Juan gasco que pusiese sus cosas en orden y que mirase que
convenia a su salvacion hacerle porque estaba malo. A lo qual le dijo a este testigo el dicho
Juan gasco que solo devia al alferez […] trescientos veinte y dos pesos ».
73 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1631, leg. 5581, n° 1, fol. 1. On lit dans le dossier
du marin originaire de Villanueba au Portugal : « El escribano abiendole visto mal herido le
preguntó si queria testar y dijo que por entonces no estaba para ello por estar muy mal herido
y no hallarse cargado de deudas que lo que tenia le tocaba a su madre y hermanas… ».
74 En 1492, les juifs doivent se convertir ou quitter l’Espagne. Un grand nombre d’entre eux
se réfugient alors au Portugal. Annie Molinié-Bertrand, Vocabulaire historique…, op. cit.,
p. 63.
75 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 5581, n° 72, fol. 7. Peu de temps après
le décès, le greffier de navire déclare : « El dicho Juan Limon contenido en la manifestazion
no hizo testamento aunque este testigo le dijo que lo hiciera… ».
76 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1682, leg. 5583, n° 67, fol. 7.

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Refuser la rédaction du testament reste cependant un acte isolé. La plupart
des hommes qui opposent une résistance marquée au greffier et à l’aumônier
pourraient être des morisques ou des judéoconvers. En effet, même si les fidèles
catholiques ne disposent pas toujours de l’argent nécessaire pour la rédaction
d’un testament, la plupart éprouvent le besoin marqué de s’en remettre à Dieu
pour apaiser leur âme. En revanche, l’attitude équivoque de certains passagers
éveille parfois la suspicion de l’équipage. Ainsi, en 1633, le passager Luis de
Valencia s’abstient de jeûner lors du carême puisqu’il mange de la viande à sa
table et invite le pilote à partager ses repas 77. Au cours d’une conversation,
Luis de Valencia ose également faire part de ses opinions sur la loi de Moïse en
assurant qu’elle est bonne pour le salut des âmes 78. Le voyageur judaïsant, peu
prudent, sera alors arrêté par les autorités inquisitoriales, mais naturellement
tous n’agissent pas de la sorte. Les hommes qui refusent de tester gardent
sans doute dans leur for intérieur de secrètes convictions religieuses et, une
fois l’heure de la mort annoncée, effectuent un dernier geste de rejet envers 289
la religion catholique. Dominante et omniprésente en Espagne, en Amérique

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


et sur les flottes, elle fait partie de la vie quotidienne et d’autant plus lorsque
la mort est imminente. Certains font ainsi montre d’une liberté aux derniers
instants de l’existence et, en dépit de l’insistance du greffier et de l’aumônier,
ils parviennent finalement à se libérer du carcan chrétien pour appréhender le
passage vers l’au-delà selon leur propre foi. La plupart des hommes cependant
s’en remettent à Dieu en rédigeant leur testament ; écrit sur les océans, ce
document prend une dimension particulière.

III- LA NATURE DU TESTAMENT RÉDIGÉ EN MER

Sur les flottes espagnoles, le testament est écrit par le greffier ou par le
testateur. Dans le document notarial, la barrière des formules stéréotypées
peut en partie figer le document, mais laisser cependant filtrer les sentiments
du testateur. Dans le testament olographe, la maladresse de celui qui tient la
plume transparaît tout en lui laissant une parfaite liberté pour s’exprimer.

77 AHN, Inquisición. Legajo 1647-2, exp. n° 12. Tribunal de Lima – Procesos años de 1635-
1641 : « Por Judaizante contra Luis de Valencia, Portugues natural de Lisboa y mercader ».
Au folio 48, un témoin déclare dans le procès : « Comieron carne la dicha quaresma sin
tener necesidad de comerla […] y al exemplo de ellos comieron asimismo carne los demas
del navio entre los quales avia algunos enfermos que la podian comer y tambien abria otros
que no la comiesen y en particular se acuerda de la que comió el piloto porque le convidaba
el dicho Luis de Valencia… ». Je tiens à remercier Antonio Castillo Gómez qui m’a fait part de
ce procès.
78 Ibid., fol. 84 : « En el viaje de Mexico muchas vezes hablaron de la guarda de la Ley de Moises,
y que era la buena para la salvacion de las almas de las dichas personas con el dicho Luis de
Valencia… ».

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Dans un cas comme dans l’autre, les testaments restent une source inépuisable
de renseignements.
A- Typologie

Sur l’ensemble de l’échantillon, au regard des 376 personnes qui laissent


leurs dispositions, on recense quatre types de documents. On dénombre
341 testaments nuncupatifs – rédigés par un greffier et appelés ouverts, six
documents olographes – dits fermés, 28 poderes para testar – actes par lesquels
les testateurs donnent leurs pleins pouvoirs à un tiers pour faire rédiger leur
testament par procuration – et 28 codicilles – ultimes dispositions qui viennent
compléter, parfois modifier, le testament 79.
1- Testaments nuncupatifs

L’étude des dispositions testamentaires rédigées par les greffiers s’avère


290 intéressante à plus d’un titre. Elle montre tout d’abord la particularité des
formules utilisées en mer. Elle signale ensuite une variété étonnante d’expressions
utilisées dans le prologue, la profession de foi et les demandes d’intercession.
Elle dévoile finalement les sentiments qui animent le testateur au-delà de la
médiation notariale. L’analyse des testaments nuncupatifs rédigés en mer invite
à mieux cerner le discours catholique contenu de ces documents atypiques. S’en
remettre à Dieu lorsque l’on navigue sur les mers lointaines devrait à l’évidence
modifier le ton du testament. Or, il n’en est rien. Une impression semblable se
dégage à la lecture d’un testament écrit à terre au xviie siècle. On ne perçoit que
de légères nuances même si de subtiles différences laissent deviner l’angoisse liée
à une mort sur les océans. Dans le prologue, l’invocation divine garde toute sa
solennité. Une croix ouvrant le document rappelle le caractère sacré de l’acte.
Le testateur s’adresse alors à Dieu et se place sous sa protection en déclarant en
latin « In Dei nomine amen » 80 ou en espagnol « En el nombre de Dios Amen » 81.
Cette invocation reste la plus répandue, mais on découvre parfois celle placée
sous la protection de la Sainte Trinité 82 et plus rarement l’invocation mariale 83.

79 On obtient au total 403 documents, car 27 testateurs laissent chacun un testament nuncupatif
et un codicille dans leur dossier, un seul homme son codicille et un autre son testament
olographe puis un codicille.
80 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 296B, n° 2, ramo 7, fol. 4. Testament
du soldat Juan Cury de Ardad fait en mer en 1610.
81 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 302, n° 3, ramo 1, fol. 2. Testament
du marin Juan López fait en mer en 1611.
82 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1614, leg. 315A, n° 8, fol. 1. Testament du
capitaine entretenido Simón de Salcedo fait en mer en 1614 : « En el nombre de la Santisima
Trinidad Padre Hijo y Espiritu Santo tres personas y un solo Dios verdadero ».
83 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1615, leg. 324A, n° 1, ramo 7, fol. 4. Testament du
maître d’argent Pedro de la Torre fait en mer en 1615 : « En el nombre de Dios todo poderoso
y de la gloriosa Virgen Maria su madre ».

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Comme en Espagne, c’est sous le patronage de Dieu tout puissant que la plupart
des testateurs commencent leur prologue 84.
Le testament débute parfois sans invocation ; l’empressement lié aux
conditions de rédaction en mer oblige le greffier, dans certains cas, à écourter ses
formules et à n’indiquer que des précisions indispensables 85. Nulle invocation
ni profession de foi, il lui arrive de passer directement à la clause d’exposition
renseignant sur le testateur. En revanche, il prend toujours le soin d’inscrire
le nom du vaisseau, celui du général de la flotte et le lieu de rédaction. Le
greffier précise en fait de manière très concise les souhaits du mourant tout
en insérant une formule type du testament : « creyendo como creyo y confiesso
en el misterio de la Santisisma Trinidad ». Le testament nuncupatif apparaît
alors comme un document juridique et religieux rédigé de façon pragmatique
comme tant d’autres documents dressés en mer dans des conditions difficiles.
Parfois pourtant, le greffier se livre à un exercice surprenant et sa verve lui
fait oublier les formules notariales stéréotypées. Transcrit-il alors les paroles du 291
mourant sans y ajouter le filtre de tournures figées ? La clause d’exposition et la

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


profession de foi du passager don Rodrigo Muñoz de la Vega sont à ce propos
assez originales : « estando como al presente estoy con temor de la muerte cuyo temor
es tan natural pues el hijo de Dios en quanto ombre le tubo… » 86.
Si le greffier n’est pas présent à bord, on a recours à d’autres personnes sachant
lire et écrire. Réalisé en présence de plusieurs témoins, le document reste de
même nature, mais les formules escamotées et l’intrusion d’éléments inattendus
en modifient le ton. En 1621, le pilote Juan de Ginebrosa veut faire rédiger
son testament. Un soldat de profession se voit alors nommé in extremis par
le maître de navire afin de remplacer le défunt greffier qui occupait son poste
quelques jours plus tôt. La profession de foi et la demande d’intercession sont
semblables aux autres – de légères variations laissent juste deviner la maladresse
de celui à qui l’on vient de confier cette nouvelle charge 87. En revanche, la

84 L’étude de María José de la Pascua Sánchez permet la comparaison, Vivir la muerte en el Cádiz
del Setecientos (1675-1801), Cádiz, Fundación Municipal de la Cultura, 1990.
85 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 263B, n° 7, fol. 4. Testament du
passager Mateo Marmolejo fait en mer en 1602 : « En el galeon nombrado San Marcos
Almiranta de la Real Armada del cargo del general don Luis Fernandez de Cordoba […] en el
paraje de la isla de los pinos que es entre Puertobelo y Cartagena de las yndias vieren como
yo Mateo Marmolejo natural que soy de Granada… ».
86 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 283, n° 1, ramo 9, fol. 4. Testament
du passager don Rodrigo Muñoz de la Vega fait en mer en 1608.
87 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1621, leg. 950, n° 1, fol. 15. Testament du
pilote Juan de Ginebrosa fait en mer, dans un port de l’île de l’Española (?), en 1621. On lit :
« Temiendome de la muerte que es cosa natural de la qual ninguna criatura puede escapar
deseando poner mi alma en carrera de salvacion tomando para ello mi abogada intercesora
la reyna de los angeles [para] que interceda por mi a mi señor Jesus Cristo y ago y ordeno mi
testamento y ultima y prostimera [sic] boluntad en la forma y manera siguiente… ».

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composition du testament est totalement bouleversée : l’inventaire des biens
du pilote apparaît ainsi entre plusieurs clauses détaillant les vêtements, les
instruments de travail et les menues marchandises de l’officier 88. L’aumônier
peut également prendre le relais. En l’absence du greffier, il rédige alors des
dispositions testamentaires atypiques. En 1680, à la demande du marin Bernabé
de Lorenzo, il transcrit les souhaits du malade 89. On perçoit alors l’importance
du rôle joué par l’aumônier : tantôt confesseur et prêtre, tantôt greffier, mais
toujours proche des croyants pour les aider à faire leur salut 90.
2- Pouvoirs

Lorsque le malade affaibli ne peut rédiger son testament, il a la possibilité de


demander à de tierces personnes, des comisarios, de rédiger ses dernières volontés.
Même si, comme à terre, cette alternative se met en place lorsque la maladie interdit
à un homme de tester, on pense qu’elle revêt sur les océans une autre dimension.
292 Dans un premier temps, on constate en effet que les testaments par procuration ne
sont pas rédigés sur les navires. Ainsi, dans l’échantillon étudié, on recense vingt-
huit pouvoirs en mer et un seul testament par procuration rédigé sur les flottes.
D’autre part, ils sont plutôt le fait des gens de commerce, de riches passagers, des
maîtres de navire et des capitaines ayant quelques négoces en cours. On pense dès
lors que cette pratique représente une alternative afin d’échapper à l’Institution
des Bienes de Difuntos car, en utilisant ce recours, les hommes repoussent l’action
de l’Institution. En effet, en retardant la rédaction du testament en Espagne, les
comisarios sont plus libres d’élaborer le document puis de transmettre l’héritage.
En 1630, en revanche, il est clair que c’est bien l’état physique du testateur
qui lui interdit de rédiger seul ses dernières volontés. Agonisant dans sa cabine,
Francisco Hernández de las Roelas, fait donc appel aux formules du greffier et
aux connaissances de ses compagnons de voyage pour rédiger le document 91.
La scène se déroule à bord du galion Nuestra Señora de la Vitoria dans une cabine
sombre du vaisseau envahie par les témoins, le greffier et le religieux augustin
Pedro de Alcalá. Ce dernier pose des questions et guide les pensées du mourant.
La séance commence ainsi : il s’approche de Francisco Hernández de las Roelas
– un prêtre agonisant privé de la parole – et lui demande s’il souhaite faire son

88 Ibid., fol. 21-23. Le testament s’achève ainsi : « En testimonio de lo qual ortogué la presente
[postrimera voluntad] ante mi Francisco de Lugo escribano nombrado en esta ocasion ».
89 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1680, leg. 671, n° 1, fol. 2. Testament du marin
Bernabé de Lorenzo fait en mer en 1678.
90 Ibid., fol. 2 : « Este testigo [el capellán] despuso y escrivió de su letra y mano estando a
bordo de dicha nao en el dia de su fecha a ruego e instancia de Bernabé Lorenzo que ya es
defunto… ».
91 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1632, leg. 532, n° 1, ramo 2, fol. 1-3. Pouvoir
du passager Francisco Hernández de las Roelas afin de faire rédiger son testament par
procuration, fait en mer en 1630.

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testament et recommander son âme à Dieu. À bout de force, l’ecclésiastique
hoche la tête en guise d’acquiescement 92. Le document se présente alors sous la
forme d’un dialogue ou plutôt comme dans une pièce de théâtre dans laquelle
les didascalies remplaceraient les paroles de l’un des deux acteurs. Le religieux
pose ses premières questions qui, transcrites, prennent la forme des clauses
testamentaires à la fin desquelles Francisco de Hernández de las Roelas apporte
son approbation en inclinant la tête : « il lui demanda s’il voulait que le produit
de la vente de ses biens aille à son frère en tant qu’héritier et il dit oui de la tête,
car il ne pouvait parler » 93.
La rédaction des dernières volontés se déroule donc en présence d’intermédiaires
indispensables. Le greffier, l’aumônier et les témoins forment alors un petit
monde qui s’organise auprès du mourant afin de l’aider à confier son âme à
Dieu et ses biens aux héritiers. Les informations contenues dans le dossier de
Francisco de Hernández de las Roelas en sont un bel exemple.
293
3- Testaments olographes

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À la différence des autres documents, le testament olographe est un acte
libre. Il revêt une dimension particulière puisque le testateur s’exprime sans la
médiation du greffier. L’auteur doit donc faire preuve d’aisance, mais parfois
sa maladresse gauchit le document. Des formules notariales escamotées aux
sentiments les plus sincères, ces actes testamentaires sont d’une grande richesse.
Ils dévoilent tout d’abord les émotions du mourant, puis permettent d’évaluer la
pertinence des formules notariales employées dans les documents nuncupatifs.
Dans l’échantillon étudié, on recense six testaments olographes. Leur nombre
reste modeste, toutefois la qualité des documents est remarquable. Ils sont
plutôt le fait des milieux cultivés : on compte un capitaine, un maître d’argent,
deux greffiers, un contremaître et un passager ecclésiastique. Ce dernier, Nicolás
de las Infantas, rédige un document poignant en décrivant avec émotion
ses sentiments et ses angoisses liées au trépas. Dans la clause d’exposition,
il se présente comme le fils de la colère et l’esclave du démon, sauvé par la
Chrétienté 94. Entre humilité, dévotion et érudition, il s’apprête à confier son
âme à Dieu peu avant la traversée transatlantique : homme de lettres, juriste, il

92 « Dijo con la cabeza que sí teniendo entero conocimiento de la persona que se lo preguntava
y de las demas que presentes se hallaron », ibid.
93 Ibid., fol. 2 (nous traduisons).
94 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1675, leg. 558, n° 4, ramo 1(5), fol. 7-8. Testament
olographe de Nicolás de las Infantas y Benegas rédigé en 1675, à Séville, dans le château de
l’Inquisition : « Siendo [Dios] el Señor Supremo y yo hijo de yra y esclavo del demonio tubo
por bien de hacerme Cristiano permitiendome que fuese bautizado en el nombre de las tres
personas dandome el padre titulo de hijo y el hijo los misterios de su pasion y el espiritu santo
reciviendo mi alma por esposa… ».

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devait occuper le poste de président de l’audience à Quito. Le document rédigé
de sa main se présente comme une vibrante profession de foi, il couche sur le
papier ses convictions religieuses, indique les affaires commerciales en cours et
institue finalement sa mère comme unique héritière 95.
Le contremaître de navire Juan de Guzmán laisse également un testament
olographe digne d’intérêt 96. Les quatre premières pages du document sont
consacrées à la profession de foi. Suit une évocation de la Sainte Trinité, de la vie
de Jésus et finalement de la Rédemption 97. Il ne cesse d’exalter la grâce divine,
pardonne toutes les personnes qui l’ont offensé et demande à son tour l’absolution
de ses péchés. Il se repent avec sincérité et demande indulgence et pardon
pour les mauvaises actions qu’il a pu réaliser 98. On lit avec saisissement cette
confession intime dans laquelle on découvre un homme sensible, profondément
croyant et blessé. On s’étonne encore lorsqu’il indique son lieu de sépulture.
L’océan, souvent passé sous silence, est évoqué. Le contremaître demande ainsi
294 à être immergé dans les eaux sacrées de l’Atlantique : « mando que mi cuerpo
se heche en el mar sagrado » 99. Ainsi, la mort sur les océans ne serait-elle pas
honnie et systématiquement passée sous silence comme le laissent penser les
formules notariales des autres testaments. D’autre part, la mer revêt une nouvelle
dimension, car ses eaux, désormais sacrées, s’apprêtent à recevoir la dépouille du
fidèle. Naturellement, la date de rédaction du document est significative. Lorsque
le contremaître écrit en 1690 ce document olographe, il laisse ses sentiments
s’exprimer et dévoile par ailleurs une nouvelle conception de l’espace dans laquelle
les mers sanctifiées ne sont plus des espaces démoniaques, nous y reviendrons.
4- Codicilles

Afin de modifier un aspect du testament, parfois pour changer la clause


d’institution des héritiers, on utilise un codicille. Rédigé par le greffier, il se
présente sous la même forme qu’un testament avec une invocation divine

95 Ibid. : « Digo que creo firmisimamente [sic] en el sacro santo y muy alto misterio de la Santisima
Trinidad Padre Hijo y Espiritu Santo tres personas distintas y un solo Dios berdadero, Pero
no tres dioses sino uno solo una esencia un ser una sustancia y naturaleza divina criador
salvador y glorificador infinitamente santo sabio y poderoso sin principio y sin fin… ».
96 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1691, leg. 565, n° 2, ramo 1(3), fol. 5-10.
Testament du contremaître Juan de Guzmán fait en mer en 1690.
97 Ibid., fol. 6. Le testateur maladroit et sincère déclare ainsi qu’il croit : « en la resureccion de
la carne desto es que todos hemos de reçusitar en nuestros propios cuerpos y almas en el
ultimo dia del mundo que sera el del Juizio Unibersal ».
98 Dans ce testament olographe, on lit : « Digo que de todo corazon perdono a todas y
qualesquiera personas que […] me hayan agraviado y del mismo modo Perdon a todas
aquellas Personas con quien he […] conversado de mi mal vivir y de qualesquiera escandalo
directe o yndirecte les aya dado con mis malas obras y palabras o de otra qualesquiera
manera que los aya ofendido… », ibid.
99 Ibid., fol. 7.

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et une profession de foi. Ces documents écrits en mer restent assez sobres, en
revanche, on perçoit différemment les sentiments qui assaillent les testateurs.
Certains se repentent de leurs péchés et demandent à être pardonnés, d’autres
révèlent leurs dettes – d’un montant parfois considérable – quand finalement
les plus tourmentés reconnaissent un enfant illégitime ou changent brutalement
d’héritier. Le pilote Francisco de la Vera déclare ainsi dans son codicille l’existence
d’une enfant naturelle à qui il souhaite verser 600 ducats 100. Le matelot Jorge
García révèle aussi l’identité de son fils illégitime dans son codicille et nomme
un tuteur pour l’élever 101. En 1676, le charpentier Francisco Copete annule une
clause antérieure en nommant sa femme comme unique héritière alors qu’il avait
initialement institué le capitaine de son navire 102. Le codicille en mer permet
également de modifier certaines clauses rédigées à terre. Il faut naturellement
changer des dispositions lorsque la mort sur l’océan se présente, c’est pourquoi
le passager Antonio de Grijalva, futur commissaire du Saint-Office à Mexico,
rédige en 1635 son codicille sur le navire. Soixante lieues avant d’arriver à l’île de 295
la Deseada, il ajoute une clause précisant son lieu de sépulture : ce n’est plus dans

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


une église, mais dans les eaux sacrées de l’océan qu’il veut être « inhumé » 103.
B- Au fil des feuilles
1- Longueur des documents

Tandis que les plus riches font écrire de longues déclarations testamentaires,
les soldats et les matelots se contentent d’un folio ou deux. Les dispositions se
caractérisent par leur aspect sommaire à l’instar de celle du marinier Juan de
Mitre qui se compose de deux feuilles 104. On a calculé que les mousses rédigent
en moyenne des testaments composés d’un seul folio, les marins de deux, les
pilotes de trois et les capitaines de quatre et plus. Les hommes attachent ainsi
davantage d’importance au contenu simple et authentique de leur déclaration
qu’à de longues considérations. En effet, ils prennent toujours le temps d’insérer

100 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 293B, n° 2, ramo 5, fol. 5. Codicille
du pilote Francisco Felipe de la Vera fait en mer en 1610. On lit dans la première clause :
« Primeramente declaro que habrá quatro años poco mas o menos que en los biajes que hize a la
ysla espanola a la ciudad de santo domingo en ella tube una hija natural nombrada ynes […] a la
qual quiero y es mi boluntad que del remate de mis bienes se le den seiscientos ducados… ».
101 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 390, n° 1, ramo 4, fol. 55. Codicille
du marin Jorge García fait à bord du Galion de Manille en 1632.
102 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1676, leg. 974, n° 3, ramo 5(3), fol. 10. Codicille
du charpentier de navire Francisco Copete fait en mer en 1676.
103 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 386A, n° 1, ramo 10, fol. 22. Codicille
du passager Antonio de Grijalva fait en mer en 1635 : « Mando quando la boluntad de dios
nuestro señor fuese servido de me llevar desta presente vida mi cuerpo sea sepultado si fuere
embarcado en la mar sagrada… ».
104 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 297, n° 1, ramo 3, fol. 2-3. Testament
du marin Juan de Mitre fait en mer en 1610.

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une profession de foi, une clause d’exposition, une demande d’intercession et
toutes les clauses liées au salut de l’âme et aux biens terrestres. On perçoit le
besoin de rédiger son testament même si ce dernier se réduit à sa plus simple
expression. Le dépensier Francisco Antonio se contente par exemple d’un
seul folio pour confier son âme à Dieu et ses quelques biens à sa sœur 105.
Le charpentier Diego Sánchez 106 et le contremaître Francisco Mallén 107 font
rédiger trois feuilles recto-verso. Seuls quelques capitaines et maîtres d’argent
écrivent de longues dispositions testamentaires afin de régler au mieux leurs
nombreuses affaires, fonder au besoin une chapellenie et affirmer leur fervente
dévotion. José de Larzaval, un capitaine de vaisseau, fait ainsi rédiger un
testament de quatre folios 108 et Juan Bautista de Somoza, un maître d’argent,
un document de la même longueur 109. Le capitaine San Juan Diego fait encore
transcrire douze feuillets par le greffier de navire dans lesquels il ordonne de
nombreuses clauses pies, mentionne les marchandises qu’il transporte – des
296 assiettes de Chine, des châles et des gravures de saints –, reconnaît l’existence
de sa fille illégitime et l’institue finalement comme unique héritière 110.
Hormis ces exceptions, les testaments rédigés en mer sont très courts. Même
les passagers qui possèdent des intérêts économiques entre les continents règlent
leurs dispositions en peu de feuilles. Le papier manque de toute façon sur les
océans et le papel sellado 111, indispensable pour ce type d’actes, davantage encore.
Enfin, le prix d’un testament reste assez élevé 112. Chacun entreprend donc avec

105 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1620, leg. 342A, n° 1, ramo 6, fol. 10. Testament
du dépensier de navire Francisco Antonio fait en mer en 1619.
106 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 335, n° 6, fol. 16-18. Testament du
charpentier Diego Sánchez fait en mer en 1615.
107 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1614, leg. 316B, n° 4, ramo 2, fol. 1-3. Testament
du contremaître Francisco Mallén fait en mer en 1614.
108 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1698, leg. 5585, n° 66, fol. 4-7. Testament du
capitaine José de Larzaval fait en mer en 1696.
109 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1600, leg. 5579, n° 16, fol. 4-7. Testament du
maître d’argent Juan Bautista Somoza fait en mer en 1600.
110 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1624, leg. 361B, n° 7, fol. 18-29. Testament
du capitaine San Juan Diego fait à bord du Galion de Manille en 1612. Le général don Lope
de Andrada rédige, lui aussi, à bord du Galion de Manille en 1592, un testament assez long
composé de treize feuilles. AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 292, n° 1,
ramo 7, fol. 23-35.
111 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1688, leg. 979, n° 1, fol. 5. Testament du
capitaine Martín de Urra fait en mer en 1687. Il est indiqué : « Es mi boluntad que este papel
blanco tenga fuerza de papel sellado por estar en la mar donde no lo hay ». Imposé depuis
1637, ce papier à en-tête royal est taxé et confère un caractère officiel aux documents.
112 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 521, n° 2, ramo 1(2), fol. 17. En 1622,
11 pesos sont versés au greffier pour la rédaction de l’acte se composant de 10 folios. AGI,
Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 396A, n° 4, ramo 19, fol. 14. En 1637, le
greffier demande aux exécuteurs testamentaires six pesos pour le testament. AGI, Cont. Auto
de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg. 461, n° 1, ramo 6. En 1679, 100 réaux sont versés au
greffier « por los derechos del otorgamiento del testamento », un document rédigé sur trois
folios seulement.

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pragmatisme et rapidité l’écriture de ses dernières volontés avec le souhait de
remplir ses obligations de bon chrétien, d’instituer ses héritiers et de laisser un
souvenir à ses proches. Les derniers mots du capitaine San Juan Diego en disent
long à ce propos. Conscient du fait que sa fille ne pourra jamais se recueillir
sur sa tombe, il souhaite lui laisser tous ses biens afin qu’elle se souvienne de
lui 113. Le testament rédigé en mer prend alors une dimension particulière, car
au-delà de l’importance quantitative des mots, il laisse toujours une trace écrite
de l’existence du disparu.
2- Signatures et niveaux de culture

À la fin de chaque document, le testateur doit apposer sa signature ou déclarer


son ignorance et demander à un tiers de le faire à sa place. C’est un signe qui
valide l’acte et qui renseigne naturellement sur les niveaux d’alphabétisation. À
partir des 376 testaments, on a relevé pour chacun d’entre eux la présence ou
l’absence de signatures. Quatre types de renseignements peuvent apparaître : 297
le testateur signe ; il ne sait pas signer ; affaibli par la maladie, il n’appose pas sa

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


signature (on suppose dès lors qu’il aurait pu le faire) ; aucune indication n’est
relevée quant à la signature. À partir de cette grille d’analyse, on a recensé 198
personnes qui apposent leur signature et 50 autres, malades, qui ne peuvent
le faire en raison de leur état de santé. On lit par exemple « y aunque save
firmar no esta para ello respecto de su enfermedad » 114 ou encore « no firmó por
no poder por estar al último » 115. Par conséquent, 248 individus sont en mesure
d’apposer leur signature, soit 66 % de l’échantillon. Cent personnes affirment
ensuite ne pas savoir signer, « no saber firmar » et laissent un témoin valider
l’acte testamentaire 116. Enfin, dans 28 testaments, aucune précision relative à
la signature n’apparaît.
La proportion de personnes sachant signer est élevée (66 %), mais la prudence
s’impose 117. Si les signatures permettent d’analyser les niveaux de culture et
d’estimer, comme le dit Pierre Chaunu, la diffusion d’une lecture et d’une

113 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1624, leg. 361B, n° 7, fol. 27. Testament du
capitaine San Juan Diego fait à bord du Galion de Manille en 1612. Il dit précisément : « Ansi
es mi boluntad que goce la dicha mi hija [de mi hacienda] para que se acuerde de mi ».
114 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1641, leg. 405, n° 1, fol. 9. Testament du
passager Juan de Marciáñez fait en mer en 1641.
115 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 302, n° 3, ramo 1, fol. 4. Testament
du marin Juan López fait en mer en 1611.
116 Le matelot Juan de Mitre n’appose pas sa signature, car dit-il « no sabia escribir » et demande
à un témoin de le faire à sa place. AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 297,
n° 1, ramo 3, fol. 3. Testament du marin Juan de Mitre fait en mer en 1610.
117 Dans son étude, Fernando Martínez Gil recense 48 % de testateurs masculins sachant signer
et 12 % dans l’incapacité de le faire en raison de leur état de santé, soit au total 60 % de
signataires. Ces chiffres concordent avec ceux de notre étude. Gil Fernández Martínez, Muerte
y Sociedad en la España de los Austrias, Madrid, Siglo Veintiuno Editores, 1993, p. 21.

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écriture courante 118, elles restent néanmoins des indices relatifs. En effet,
lorsque le soldat Pedro Londays appose en guise de signature quelques signes
dont la graphie laisse à peine deviner son prénom et son nom de famille 119, on
peut s’interroger 120. Les signataires sont nombreux, mais savent-ils pour autant
lire et écrire ? Le chirurgien Francisco García del Fresno appose une signature
illisible, un gribouillis peu probant quant à sa capacité d’écriture 121, de même
la passagère Teodora de Vargas inscrit d’une façon presque incompréhensible
son seul nom de baptême 122.
Deux idées complémentaires et contraires se dégagent en fait. D’une part,
l’aptitude à signer n’indique pas systématiquement une maîtrise de la lecture
et encore moins de l’écriture 123. L’échantillon, gonflé par ces hommes qui
savent dessiner plus qu’apposer leur nom, reste donc tronqué par cette réalité
difficilement saisissable. Toutefois, cette propension à signer indique une
diffusion de l’alphabétisation. Chacun cherche ainsi à apporter le signe de son
298 individualité par le biais de l’écriture. En effet, c’est par ce mode de transmission
unique et écrit que la passation des biens et le souci de l’âme peuvent se
concrétiser ; Pierre Chaunu avait déjà souligné à ce propos l’importance du
droit écrit dans les pays méridionaux 124.
Une analyse socioprofessionnelle montre ainsi que les hommes appartenant
aux classes sociales les plus humbles signent leur testament dans des proportions
non négligeables. Ainsi, sur les 51 matelots 125, on compte 19 signataires (37 %
d’entre eux) ; sur les 40 soldats 126, 25 (62,5 %), sur les 15 artilleurs, 6 (40 %) et
sur les 17 contremaîtres, 11 signataires (65 %). Dans une société où l’image et le

118 Pierre Chaunu, La Mort à Paris…, op. cit., p. 234.


119 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 282B, n° 3, ramo 2, fol. 2. Testament
du soldat Pedro Londays fait en mer en 1608.
120 Jacques Soubeyroux remet en effet en question le seul indice de comptages des « signants »
et des « non signants » et remarque qu’il est nécessaire d’analyser les particularités de
la graphie d’une signature afin d’évaluer plus précisément les niveaux d’alphabétisation.
Jacques Soubeyroux, « L’alphabétisation dans l’Espagne moderne : bilan et perspectives
de recherche », Bulletin hispanique, Bordeaux, université Bordeaux-III, 1998, n° 2,
p. 231‑254.
121 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1627, leg. 955, n° 1, ramo 39, fol. 5. Testament
du chirurgien Francisco García del Fresno fait en mer en 1627.
122 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 280A, n° 1, ramo 5, fol. 3. Testament
de la passagère Teodora de Vargas fait en mer en 1608.
123 Ainsi, peut-on lire dans un interrogatoire : « Si saven que aunque el dicho Pedro de Estrada
no save esrivir firma su nombre y que la firma que está en el dicho recibo que se lea y muestra
a los testigos es mui parezida y conforme a las firmas que de ordinario suele hazer… », AGI,
Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1671, n° 4, ramo 1, fol. 6.
124 Pierre Chaunu, La Mort à Paris…, op. cit., p. 229.
125 Ils sont 55 matelots à rédiger un testament, mais dans notre enquête, nous ne disposons que
de 51 documents insérés dans les dossiers.
126 Même remarque que la précédente, on a connaissance de deux testaments de soldats qui
ne sont pas inclus dans leur dossier des Bienes de Difuntos. Pour les contremaîtres et les
artilleurs, la même explication doit être utilisée.

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livre se diffusent à grande échelle, ce phénomène ne surprend guère. La pratique
de l’écriture, même lorsqu’elle commence avec le simple désir d’inscrire son
nom sur un document, prend son essor et atteint les classes sociales les plus
défavorisées. En outre, dans le monde maritime où les échanges commerciaux
se multiplient, où les lettres de change circulent et où les livres de raison se
conservent précieusement, l’importance de l’écriture est d’autant plus marquée.
Relais entre les hommes, la culture, le négoce et la religion, elle s’impose sur
les océans. Les livres de comptes recensés dans cette étude tendent d’ailleurs à
le prouver.
Dans les dossiers des Bienes de Difuntos des marins, des soldats, des passagers
commerçants ou des capitaines, on mentionne souvent l’existence de ces livres
de raison ; parfois ils sont même inclus. Sur l’ensemble de l’échantillon, on
recense 33 livres de comptes cités dans les inventaires post mortem des défunts.
Dans certains cas, une description détaillée de l’ouvrage apparaît, dans d’autres,
le greffier transcrit les premières lignes des volumes  127. Dans l’inventaire du 299
marin, Andrés Martín de los Reyes, on découvre la présence d’un livre de comptes

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


inventorié de cette façon par le greffier : « Yten un librito de a quartilla en veinte
hojas, las seis escritas y testadas, las sinco escritas con diferentes apuntaciones… » 128.
Ce livre de raison sera par la suite utilisé afin de faciliter la transmission de
l’héritage et de séparer ses marchandises de celles qu’il transportait pour d’autres
personnes. Il s’agit d’un document important puisqu’il signale une diffusion
de l’écrit parmi les classes professionnelles les plus humbles qui s’adaptent
au commerce transatlantique 129. Il ne possède pas, toutefois, un caractère
personnel puisque seule la description de ses marchandises et de celle de ses
associés y figurent.
Un panorama général indique plus précisément que les 33 livres de comptes
sont détenus par quatorze passagers (des mercaderes, un futur gouverneur, un
visitador et un chirurgien), puis par six capitaines, quatre maîtres de navire et
d’argent, deux soldats, un artilleur, un trompette, deux greffiers, un contremaître,
un dépensier et un marin. Il est clair que la répartition professionnelle concerne
davantage les commerçants et les capitaines de vaisseau aux intérêts économiques
multiples ; toutefois, soldats, marins et artilleurs sont également représentés. Ils

127 On lit ainsi dans le dossier de Baltasar de los Reyes, passager commerçant de la Real Armada
de las Indias : « Yten un libro forrado verde enserado verde y rotulado en la primera hoja Jesus
María Joseph año de mill seiscientos y noventa y sinco. Libro de quenta y rason de Baltasar
de los Reyes para Indias… », AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1696, leg. 567,
n° 1, ramo 3(9), fol. 22.
128 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1711, leg. 569, n° 6, ramo 1, fol. 27.
129 Antonio Castillo Gómez s’intéresse tout particulièrement à la diffusion de l’écrit et remarque
l’importance de ces livres de comptes pour retracer l’histoire sociale des familles, des femmes
ou encore des villes, voir son dernier ouvrage Entre la pluma y la pared. Una historia social de
la escritura en los Siglos de Oro, Madrid, Akal, 2006.

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participent de manière active au commerce, s’adaptent aux nouvelles techniques
de comptabilité, apprennent à inscrire et à compter leurs biens et s’entourent
dès lors du matériel nécessaire. Des encriers, des plumes, des sabliers pour
sécher l’encre 130 – salvaderas – et des petits écritoires sont de fait recensés dans
les inventaires. Le matelot Juan González possède ainsi un vieil encrier 131 et
l’artilleur Domingo Sánchez Florín, deux paires de ciseaux et un vieil écritoire à
tiroirs 132. Le marin Francisco de Barragán, sans nul doute mieux équipé que ses
confrères, dispose en outre d’une bouteille pleine d’encre et d’un petit secrétaire
assorti de ses plumes pour rédiger lettres et comptes 133. Le maître de rations
Salvador Portillo détient quant à lui des petits couteaux pour tailler ses plumes,
un encrier, un sceau et un livre aux feuilles encore vierges 134. Chacun se munit
des instruments et livres nécessaires pour appliquer son savoir en écriture et
inscrire les transactions commerciales en cours, les dettes et les créances. Les
passagers montrent davantage encore ce goût pour l’écrit : matériel et livres
300 indispensables à leur tâche commerciale apparaissent fréquemment dans leur
inventaire. Chez Juan Adame de Santana, ce commerçant corredor de Lonja 135,
on recense un livre de comptes 136. Au fil des pages, on repère ses transactions
commerciales, le nom de ses associés, on note les méthodes utilisées de crédit,
la nature des marchandises enregistrées sur les navires et l’on suit pas à pas les
négoces de cet homme depuis son départ jusqu’à son arrivée à Portobelo 137. La
mort l’emporte cependant lors du voyage du retour et pour faciliter devant Dieu
la transmission de ses biens, il fait rédiger un testament. À la fin du document,
il appose sa signature, laissant ainsi une preuve supplémentaire de sa maîtrise
de l’écriture.
C’est naturellement parmi les passagers que les signataires sont les plus
importants, puisque sur les cent huit voyageurs qui laissent un testament,

130 « Salvadera: Vaso cerrado que se hace de diferentes hechuras, y matérias, con unos pequeños
agujeros por la parte de arriba, en que se tienen los polvos para echar sobre lo que se escribe,
a fin de que se seque, y no se borre lo escrito », dans Diccionario de Autoridades…, op. cit.
131 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1631, leg. 5581, n° 1, fol. 1.
132 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 396A, n° 4, ramo 9, fol. 25.
133 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1621, leg. 345A, n° 12, fol. 11. On lit dans l’acte
de la vente aux enchères qui se tient sur le navire en 1620 : « En Geronimo de Frias unas
escribanias con su herramienta en dose reales. En el dicho una botilla llena de tinta en dose
reales ».
134 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1667, leg. 451B, n° 6, ramo 2, fol. 2.
135 « Corredor de Lonja: Lo mismo que corredor de mercadurias: El que asiste a los Mercaderes
para despachar sus géneros, solicitando pérsonas que los compren, y ajustándolos », dans
Diccionario de Autoridades…, op. cit.
136 Dans le premier dossier de Juan Adame de Santana, on lit dans l’inventaire post mortem
dressé sur le navire : « Un borrador de sus quentas que le servía de libro », AGI, Cont. Auto
de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 335, n° 3, fol. 30.
137 Dans le second dossier de Juan Adame de Santana, le livre de comptes, entre autres, est inclus
(AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1618, leg. 336A, n°1, ramo 7, fol. 1‑193).

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quatre-vingt-dix signent – ou auraient pu le faire – soit 83% d’entre eux.
Ainsi, les passagers sont-ils en proportion les plus nombreux à signer, car leur
profession souvent liée au commerce maritime les oblige à maîtriser les outils
indispensables de l’écriture et de la lecture.
On a voulu souligner ici l’importance de l’écrit qui s’introduit chez les plus
humbles, prend de l’importance et conquiert finalement, tout au long du xviie
siècle, le quotidien des simples marins aux grands négociants transatlantiques.
L’océan dicte ses impératifs et les hommes s’y soumettent. C’est en effet sur
ces vastes espaces océaniques que les liens se tissent désormais entre l’Europe,
l’Amérique et l’Asie et que l’écrit s’érige en lien universel 138.
C- Entre discours figé et formules notariales escamotées

Jusqu’à présent, le testament écrit sur les navires est apparu comme un
document semblable à celui que l’on rédige à terre en raison certainement
de l’encadrement administratif qui règne sur les flottes espagnoles. Ainsi, la 301
présence du greffier, les obligations du maître et finalement celles de l’aumônier

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


incitent le mourant à rédiger un testament souvent très simple, pragmatique et
un peu figé malgré la richesse des formules notariales utilisées. Pourtant, les mots
ne trompent pas et les silences souvent répétés finissent par devenir éloquents.
On aimerait ici déceler quelques caractéristiques propres au testament rédigé
sur les océans, essayer de repérer les zones de silences éloquents 139 ou encore
comprendre si la mer marque de sa présence les invocations et le discours
religieux testamentaire.
1- Prologue et discours testamentaire en mer

Si les expressions du testament rédigé en mer sont très proches de celles


des documents conservés dans les études notariales espagnoles, on distingue
néanmoins quelques variantes 140. Parfois, les expressions sont légèrement
modifiées par un greffier pressé par le temps ou mal formé à ce genre d’exercice.
Le testament du marin Pedro Baez est à ce sujet révélateur. Il débute sans

138 Voir à propos de l’importance de l’écrit entre l’Espagne et ses nouveaux royaumes les travaux
de Carlos Alberto González Sánchez : « Ver para escribir. El Rey y el relato de las maravillas
del Nuevo Mundo », dans Historia y perspectivas de investigación. Estudios en memoria del
profesor Ángel Rodríguez Sánchez, Badajoz, 2002, p. 329-335, « La Casa de la Contratación
y la historia cultural », dans La Casa de la Contratación y la navegación entre España y las
Indias, Sevilla, Universidad de Sevilla, 2003, p. 543-566 et Homo viator, homo scribens.
Cultura gráfica, información y gobierno en la expansión atlántica, Madrid, Marcial Pons,
2007.
139 Expression que nous empruntons à Pierre Chaunu, La Mort à Paris…, op. cit., p. 378.
140 María José de la Pascua Sánchez, Vivir la muerte…, op. cit., p. 99-102. On utilise cette étude
de la pratique testamentaire menée à Cadix au xviie siècle qui permet la comparaison avec les
testaments rédigés en mer.

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invocation ni demande d’intercession et se présente comme n’importe quel
procès-verbal dressé en mer 141. De même, le testament du soldat Bartolomé
Méndez adopte une forme très pragmatique et peu cérémonieuse. L’invocation
divine, l’expression d’appartenance à la communauté chrétienne, l’amour de
Dieu ou encore la peur de la mort ne sont pas évoqués. Le document apparaît
davantage sous la forme d’un acte officiel indiquant la position du navire, le
nom du capitaine, la profession du testateur et son état de santé dégradé. Le
temps invite certainement le greffier à rédiger au plus vite ce testament 142. Une
économie de paroles et de formules simplifie cette déclaration et lui donne
naturellement un caractère plus temporel que spirituel. Dans l’acte des dernières
volontés de l’artilleur Pedro Rodríguez Casado, on note plutôt une maladresse
du greffier escamotant les formules notariales. L’invocation divine se présente
sous une forme originale 143, la peur de la mort est évoquée par deux fois ainsi
que le désir de sauver l’âme 144. On suppose que les mots du testateur viennent
302 sans doute modifier les formules du greffier. Dans le testament du pilote
Domingo de Ugarte, on ressent également la sensibilité de celui qui s’exprime
librement face à Dieu, le craignant, mais plaçant toute sa confiance en lui et en
sa miséricorde 145.
Le testament ne se présente donc pas toujours sous une forme rigide. Il évolue
plutôt en fonction des hommes, s’adapte à la situation maritime et prend par
conséquent un relief particulier. C’est naturellement au moment de choisir le
lieu de sépulture que les distinctions se font évidentes entre testaments rédigés
en mer et les autres. Dans un premier temps pourtant, on choisit souvent une
sépulture en terre et la mer est souvent passée sous silence. On souhaite être
enseveli dans une église, ainsi demande-t-on celle dans le port où l’on accostera

141 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1621, leg. 521, n° 1, ramo 2(3), fol. 2. Testament
du matelot Pedro Baez fait en mer 1621. Sans caractère solennel, se réduisant aux plus
simples formules d’usage, le prologue commence ainsi : « En la mar en la nao Nuestra Señora
de la Candelaria maestre Pedro Romero en altura de treinta y tres grados y medio segun dijo
Blas Hernandez piloto Pedro Baez marinero desta dicha nao estando enfermo del mal que
Dios nuestro señor fue servido de le dar y sano de su entendimiento y juicio natural el qual
nuestro señor fue servido de le dar hizo declaración en la manera siguiente… ».
142 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1625, leg. 366, n° 1, fol. 1. Testament du soldat
Bartolomé Méndez fait en mer en 1625. « Pareció Bartolomé Mendez soldado […] a quien doy
fe conozco dijo que estava muy malo y que queria hazer testamento y del dicho pedimiento
lo hizo en la forma siguiente: primeramente mi alma a dios que la crio… ».
143 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609, leg. 287, n° 1, ramo 2, fol. 6. Testament de
l’artilleur Pedro Rodríguez Casado fait en mer en 1608. On lit : « En el nombre de la Santisima
Trinidad Padre Hijo y Espiritu Santo tres personas y un dios solo bendito y glorificado en que
todo fiel cristiano deve y a de creer ». Voir annexe n° 8.
144 Ibid.
145 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1703, leg. 5585, n° 91, fol. 1. Testament du
pilote Domingo de Ugarte fait en mer en 1703. « Temiendo a Dios protesto que le amo como
a mi creador y redentor y le temo como justiciero mas confio en su gran misericordia y me a
de dar su gracia para acabar la carrera desta vida ».

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prochainement. Le testament du pilote Esteban de Palacios reflète bien les
contradictions liées à la rédaction de ce document sur les océans. Le testateur
recommande tout d’abord son âme à Dieu, puis son corps à la terre alors qu’il
se trouve en pleine mer 146. On ne souhaite pas en effet remettre son corps
à l’élément liquide. Il faut pourtant choisir un lieu de sépulture et le pilote
emprunte alors la formule la plus laconique qui soit : « si muriere en la mar me
echen en ella como es costumbre » 147. Aucun cérémonial en mer n’est décrit, le
pilote précise en revanche qu’il préfère être enseveli dans un port s’il meurt à
terre 148. Cette double élection de sépulture met en lumière les espérances les
plus sincères des fidèles chrétiens qui souhaitent que leur corps soit mis en
terre à l’image de toute la communauté 149. Ces précisions révèlent dès lors leur
espoir de mourir en terre « sainte » plutôt qu’en cet espace liquide habité par
les forces du mal. Certains choisissent ainsi pour seule sépulture la terre qui les
a vus naître ou celle qu’ils souhaitent rejoindre. Ils précisent alors un lieu de
repos dans l’église de leur choix et, faisant fi du voyage océanique, prennent le 303
soin de décrire avec minutie un cérémonial qui n’aura pas lieu. Ces indications

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


sont parfois déconcertantes, mais la peur de mourir en mer est certainement à
l’origine de ces paradoxes testamentaires. Lorsqu’Esteban Montes de Oca fait
rédiger son testament, il demande ainsi son enterrement dans l’église de Sanlúcar
de Barrameda alors qu’il s’apprête à accoster sur le continent américain 150.
La maladie l’emportant quelques jours plus tard, son corps n’est pas rapatrié
en Espagne, mais plongé dans l’océan. Ces précisions testamentaires, presque
incohérentes, ne sont pas inhabituelles ; les matelots adoptent souvent cette
attitude de rejet. Ils sont nombreux à décrire leurs funérailles à terre, puis à
demander une simple sépulture en mer « como se acostumbra » en souhaitant
dans leur for intérieur qu’elle n’ait jamais lieu. Antonio Álvarez, un marin de la
Mer du Sud, désire ainsi être enterré dans l’église du port d’Arica et demande
pour sa dépouille un cortège de prêtres 151. La mort l’emporte sur les océans
sans lui permettre de réaliser le moindre détail de la cérémonie envisagée. À la
lecture du testament, on a finalement le sentiment que l’espace maritime a été

146 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 507, n° 2, ramo 5, fol. 2. Testament
du pilote Esteban de Palacios fait en mer en 1610. On lit : « Primeramente encomiendo mi
anima a Dios que la crio y el cuerpo a la tierra donde fue formado ».
147 Ibid.
148 Ibid.
149 Michel Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence au xviiie siècle, Paris, Le Seuil,
1978, p. 106. Il rappelle l’attention portée à la sépulture, car « elle cimente les traditions de
la famille ».
150 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1670, leg. 454B, n° 5, ramo 1, fol. 4. Testament
du sous-officier d’artillerie Esteban Montes de Oca fait en mer en 1670.
151 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1612, leg. 309, n° 1, ramo 10, fol. 53. Testament
du marin Antonio Álvarez fait en mer en 1606.

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passé sous silence, comme nié. Dans le testament du dépensier de navire Jorge
Navarro, quelques éléments permettent néanmoins de comprendre ces choix
de sépulture. Un peu plus résigné, le dépensier demande à être immergé après
son décès. Certes, ses propos restent laconiques, mais il en explique les raisons :
son voyage en mer interdit tout simplement son enterrement 152. En effet, la
mer impose une rupture très nette avec la communauté chrétienne et ses rituels.
Elle prive les fidèles du soutien de la communauté et interdit de surcroît toute
forme matérielle de cérémonial funéraire connu à terre. C’est avant tout cette
impossibilité physique qui frustre les hommes, cette incapacité à rendre le corps
à la terre.
On assiste cependant, tout au long du xviie siècle, à de légers changements.
Dans quelques documents, on repère parfois des variations dans le discours
religieux testamentaire et, plus précisément, dans les clauses liées à l’élection de
la sépulture. Voici en effet plus de cent ans que l’on navigue sur l’Atlantique et
304 le Pacifique sans qu’aucune solution eschatologique n’ait été trouvée pour les
disparus en mer ; l’homme se devait naturellement d’en offrir une. Les espaces
océaniques autrefois inaccessibles et démoniaques revêtent au fur et à mesure
un caractère sacré 153. L’Église investit en effet ces confins du monde et leur
offre une dimension renouvelée en les christianisant. C’est un gage de sérénité,
puisque si l’océan se trouve désormais sacralisé, une immersion en son sein le
devient également. Ainsi, perçoit-on, dans certaines déclarations testamentaires,
cette légère inflexion de pensée, cette nouvelle perception rassurante de l’espace.
Dès 1611, Gonzalo Baez embarqué sur la flotte de la Nouvelle Espagne choisit
une formule emphatique dans son testament en donnant une dimension
presque sacrée à son immersion : « yten mando mi cuerpo a la mar y alma a la
gloria para donde fue criada » 154 : le corps livré à la mer semble inviter l’âme
libérée à rejoindre le royaume des Cieux. En 1635, une tournure employée
par le passager Antonio de Grijalva donne une nouvelle dimension à l’espace
océanique. Cet ecclésiastique considère en effet la mer comme un lieu empreint
de sacralité et précise dans son codicille que son corps lui sera livré, « sepultado
en la mar sagrada » 155. Quelle belle alternative salvatrice : la mer empreinte de
divinité accueille la dépouille du fidèle et consacre son corps grâce aux récentes

152 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 296A, n° 1, ramo 1, fol. 1. Testament
du dépensier de navire Jorge Navarro fait en mer en 1609 : « Por estar al presente en la mar
mi entierro no se puede hazer ».
153 Alain Cabantous, Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne.
xviie‑xviiie siècles, Paris, Fayard, 2002, p. 172.
154 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 944A, n° 1, ramo 3, fol. 6. Testament
du passager mercader Gonzalo Baez fait en mer en 1611.
155 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 386A, n° 1, ramo 10, fol. 22. Codicille
du passager Antonio de Grivalja, futur commissaire du Saint-Office, fait en mer en 1635.

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vertus qui lui ont été accordées. Cette nouvelle vision de l’espace provient sans
nul doute de l’érudition du testateur, le futur commissaire du Saint-Office de
Mexico, qui lui permet d’imaginer une telle alternative rédemptrice. En 1638,
l’artilleur Domingo Sánchez Florín a recours à la même formule. Toutefois,
dans ce document des dernières volontés nuncupatif, on peut supposer que la
formule notariale a été choisie par le greffier – et qu’elle gagne donc lentement
toutes les couches de la société 156.
On constate ainsi qu’un renversement s’opère peu à peu puisque les mystères
de l’océan s’estompent et que l’on s’autorise à jeter un regard nouveau sur l’espace
maritime : sacralisé, il permet de sauver les âmes au lieu de les abandonner.
Cette interprétation trouve ses fondements dans la théologie naturelle, croyance
selon laquelle les mystères du monde physique et spirituel se rejoignent 157.
Ce mouvement n’apparaît qu’à la fin du xviie siècle et, pour cette raison, le
contremaître Juan de Guzmán rédige en 1690 un testament olographe en
recommandant une sépulture dans les eaux sacrées 158. 305

2- Une originalité ?

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


Le testament rédigé sur les vaisseaux se présente, on l’a vu, sous une forme
assez stéréotypée répondant aux exigences notariales. Si la négation de
l’espace maritime peut sembler énigmatique, on a compris qu’elle traduisait
principalement la peur d’un décès sur les océans. La rédaction d’un testament
agit en fait comme une mesure compensatoire. En effet, chacun désire agir en
bon chrétien et rappelle le souhait d’accomplir, comme tous les membres de la
communauté, ses funérailles selon son rang et ses moyens. Le testament rédigé
sur les océans est un acte spécifique qui agit peut-être comme un document
sacré et rédempteur. Toutefois, ses particularités se dévoilent moins dans ses
caractéristiques stylistiques que dans ses desseins. En effet, le testament rédigé
sur les flots offre au mourant un refuge, une alternative permettant d’exprimer
ses sentiments et de transmettre ses biens. C’est un dernier acte de foi, une
preuve d’obéissance et d’amour de Dieu, une parole laissée à ses proches, mais
également un document qui compense l’absence de tombe et qui apaise la peur
de mourir en mer 159. À n’en point douter, le testament prend une dimension
démultipliée en instaurant tout à la fois un lien privilégié entre le fidèle et son

156 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638, leg. 396A, n° 4, ramo 9, fol. 23. Testament
de l’artilleur Domingo Sánchez Florín fait en mer en 1631. Il est dit : « Y quiere que si Dios le
llevase en esta nao sea sepultado en la mar sagrada sino en tierra ».
157 Alain Corbin, Le Territoire du vide. L’Occident et le désir de rivage (1750-1840), Paris,
Flammarion, 1988, p. 35.
158 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1691, leg. 565, n° 2, ramo 1(3), fol. 5-10.
Testament du contremaître Juan de Guzmán fait en mer en 1690.
159 David González Cruz, « La Carrera de Indias… », art. cit., p. 227-243.

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créateur, mais également entre un homme esseulé et les siens. C’est une sorte
de prolongement de l’existence, une transmission qui est parfois remise aux
membres de la famille à défaut de la dépouille ou de ses biens.

IV- SUFFRAGES ET INTERCESSEURS

Le testament permet de confier son âme au Créateur et à la cour céleste afin


d’apaiser le passage redouté vers l’au-delà. L’épreuve du purgatoire effraie en
effet chaque croyant et les dispositions prises pour sauver l’âme doivent être à la
mesure du supplice encouru. En s’adressant aux saints et à la Vierge, on s’attire
les faveurs célestes et mariales tout en rendant hommage à ceux pour qui l’on a
une fervente dévotion. En mer, en est-il de même ? Les dévotions des gens de
mer sont-elles semblables à celle de la communauté des fidèles restés à terre ?
A- Dévotion et intercesseurs sur les océans
306
1- Vers quel saint se tourner ?

On pourrait en effet imaginer que les matelots et les officiers confrontés aux
dangers de l’océan se réfugient dans des dévotions particulières afin d’alléger
leurs tourments. On connaît l’importance de certains personnages célestes
comme saint Elme ou saint Nicolas chez les gens de mer et il serait donc naturel
de les découvrir dans les déclarations des dernières volontés. Mais il n’en est rien.
Les regards se tournent parfois vers la cour céleste, mais les saints intercesseurs
du monde de la mer sont peu sollicités. En revanche, des dévotions très présentes
marquent l’ensemble des testaments. On citera ainsi, saint François suivi de saint
Antoine et de saint Dominique. Ces noms rappellent les dévotions privilégiées
en Espagne 160 et, en fin de compte, il semble naturel qu’elles se maintiennent
sur les flottes.
On aurait tendance à vouloir distinguer les populations maritimes
de celles restées à terre, de les couper du monde spirituel auxquelles elles
appartiennent alors qu’elles partagent avec l’ensemble de la communauté
les mêmes dévotions. Dans le testament, un acte codifié laissant peu de
place aux tendances superstitieuses des matelots, chaque homme préfère s’en
remettre aux saints officiellement admis et bénéficier ainsi, sans la moindre
hétérodoxie, de leur intercession. On demande avec ferveur que des messes
soient dites dans le couvent des franciscains, tel ce pilote, Francisco Lope
de Vera qui verse une centaine de ducats pour que les franciscains disent

160 Michel Vovelle rappelle que dans les pays méditerranéens, saint François et saint Antoine
de Padoue sont des intercesseurs privilégiés (Michel Vovelle, Les Âmes du purgatoire ou le
travail du deuil, Paris, Gallimard, 1996, p. 155).

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des messes pour son âme 161. Le capitaine Juan García de Noroña indique
également une centaine de messes à dire dans le couvent franciscain situé à
Ayamonte 162. Diego Hernández, pilote de la flotte de la Nouvelle Espagne,
s’adresse finalement à saint François et à la Vierge pour sauver son âme 163.
Sur les flottes, le culte de Marie est également important. En mer, on sait en
effet qu’elle joue un rôle bienfaiteur, protégeant les marins telle une mère ses
enfants.
2- La Vierge protectrice et symbole sacré de féminité

Dans les demandes d’intercession situées dans les prologues testamentaires,


Marie occupe une place de choix tandis que les saints sont rarement convoqués à
ses côtés. Les gens de mer préfèrent solliciter, seule, Marie, mère de Dieu, « señora
y abogada » 164 des fidèles. On recense ainsi 54% des intercessions la privilégiant.
La Vierge symbolise tout à la fois, l’Incarnation et la possibilité de pardon 165, et
sa condition de mère la place au centre des dévotions et intercessions océanes. 307
Elle représente en effet « le symbole de la maternité vers lequel se tourne le

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


regard des hommes séparés de leur famille » 166. Son aspect protecteur et
bienfaisant rassure, d’autant plus lorsqu’elle est représentée arborant son grand
manteau. On pense au tableau du peintre Alejo Fernández commandé par les
administrateurs de la Casa de la Contratación qui montre la Vierge entourant et
protégeant marins et découvreurs de son grand manteau ainsi que des vaisseaux
s’éloignant au large 167. Même si l’identification des personnages reste assez
floue 168, la présence de Marie aux côtés des navigateurs signale sa bienveillante
attention pour les hommes et les navires qui traversent désormais l’Atlantique.
Éloignés de leur famille, de leur épouse et de leur mère, les équipages masculins
reportent ainsi espoirs, craintes et amour sur cette femme, mère universelle, qui
soulage leurs tourments. La dévotion mariale pourrait également compenser

161 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 293B, n° 2, ramo 5, fol. 2. Testament
du pilote Francisco Felipe de Vera fait en mer en 1610.
162 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1645, leg. 414, n° 3, fol. 1. Testament du
capitaine Juan García de Noroña fait en mer en 1645.
163 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 5580, n° 3, fol. 1. Testament du pilote
Diego Hernández fait en mer en 1611.
164 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 514, n° 2, ramo 5, fol. 1. Testament
du mousse Antonio Díaz fait en mer en 1613. « Hago y ordeno este mi testamento a loor y
alabanza de dios nuestro señor e de la gloriosa Virgen maria su madre a quien tengo por
señora y abogada de mi anima… ».
165 Pierre Chaunu, La Mort à Paris…, op. cit., p. 377.
166 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer…, op. cit., p. 149.
167 Tableau intitulé La Virgen de los mareantes peint en 1535 par Alejo Fernández et conservé
dans la chapelle de la Casa de la Contratación, Alcázar de Séville. Voir illustration n° 4.
168 Jean Delumeau, dans son livre Rassurer et protéger, à la page 276, se demande s’il faut
reconnaître « à droite de la Vierge Ferdinand le Catholique et l’évêque Fonseca ; à gauche
Christophe Colomb, Amerigo Vespucci, Yanez Pinzon ».

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l’absence de protection féminine en mer et, comme le dit Érasme, « jadis Vénus
était la protectrice des marins […]. Depuis qu’elle a renoncé à protéger ceux
qui naviguent, la Vierge Mère a succédé à cette mère qui n’est pas vierge » 169.
En Espagne, le culte marial des populations navigantes est développé et riche
en spécificités. Le poème de Cristóbal de Castillejo, Ave Maris Stella, dédié à
la Vierge est à ce sujet emblématique. Il évoque l’amour porté à Marie par la
communauté maritime :
Clara estrella de la mar / Dichosa puerta del cielo / Madre de nuestro consuelo /
Virgen nacida sin par / Reina bienaventurada / De todos consolación / En todo
tiempo y sazón / Sed, pues sois nuestra abogada / Mas por gracia singular /
Las rodillas por el suelo / Pedimos vuestro consuelo / Mientras estamos en
la mar 170.

Rappelons également les dévotions à la Virgen de las Aguas et à Nuestra Señora de


308 la Esperanza dont l’image, logée dans la chapelle des marins à Triana, représente
Marie tenant une ancre dorée entre les mains en guise de croix. Citons encore
Nuestra Señora del Buen Aire dont la sculpture est conservée dans le monastère
de saint Elme à Séville 171 et Nuestra Señora del Buen Viaje, patronne des gens de
mer de Sanlúcar de Barrameda 172.
B- Yten pido que se digan por mi ánima…

Après le concile de Trente, l’accent est mis sur le purgatoire, ce « pseudo


enfer », que l’on représente volontiers dans de nombreuses iconographies
baroques 173. Une relation particulière s’instaure alors entre les vivants et les
morts grâce aux prières qui aident les âmes des défunts à se rapprocher de Dieu.
Comme le rappelle Pierre Chaunu, dans ce système d’échange « une prière pour

169 Citation tirée du Naufrage publié à Bâle en 1523 et citée par Alain Cabantous dans son
ouvrage Le Ciel dans la mer…, op. cit., p. 149.
170 Cité dans l’ouvrage de Cesáreo Fernández Duro, Disquisiciones náuticas. Navegaciones de
los muertos y vanidades de los vivos (1878-1881), Madrid, Ministerio de Defensa. Instituto
de Historia y Cultura Naval, 1996, p. 265.
171 José Roda Peña, « Esculturas marianas hispalenses de raigambre marinera », dans Andalucía,
América y el Mar…, op. cit., p. 323-343. Rappelons que les pilotes ont pour Nuestra Señora del
Buen Suceso une dévotion particulière, alors que les maîtres et propriétaires de navires se
tournent davantage vers Nuestra Señora del Buen Viaje et que les membres de la confrérie de
l’Universidad de Mareantes font appel à Santa María del Buen Aire. Celestino López Martínez,
« La hermandad de Nuestra Señora del Buen Aire de la Universidad de Mareantes », Anuario
de Estudios Americanos, vol. 2, Sevilla, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, CSIC, 1945,
p. 701-721.
172 Ma. Del Carmen Rodríguez Duarte y Manuel Toribio García, « La Virgen del Buen Viaje, patrona
de los marineros sanluqueños durante los Siglos xvii y xvii », dans Sanlúcar y el Nuevo Mundo,
Sanlúcar de Barrameda, Patronato Municipal para la Conmemoración del V Centenario del
Descubrimiento de América, 1990, p. 333-343.
173 Michel Vovelle, L’Heure du grand passage…, op. cit., p. 56.

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une âme déjà rachetée est réversible sur d’autres en attente » 174. Une nouvelle
économie du salut se met en place et marque dès lors une cassure entre le monde
catholique et celui de la Réforme 175.
1- Demandes de messes et manifestation de piété

Les demandes de messes comptabilisées dans les testaments renseignent alors


sur les attitudes des hommes face à la mort. Dans cet environnement maritime
particulier, on peut se demander si les fidèles sont plus sensibles au monde
de l’au-delà. On s’interroge également sur la place et l’importance de cette
dévotion pour les âmes du purgatoire chez les gens de mer. Les testaments des
mousses, des marins, des pilotes et des capitaines de notre échantillon aideront
à mesurer cet impact.
Le document des dernières volontés commence souvent par une première
demande de messe que l’on souhaite chantée par l’aumônier du navire, le
prêtre d’une église ou dite en présence du corps 176. Il s’agit là d’une demande 309
qui aide l’âme à s’échapper de son enveloppe charnelle. Elle s’accompagne

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


parfois d’offrandes de pain, de vin et de cire. Ainsi, le matelot Gonzalo
Núñez de Aranda souhaite-t-il une messe de requiem chantée dans l’église de
Castuera accompagnée d’offrandes de pain et de vin 177. Même si la pratique
tend à diminuer tout au long du siècle et d’autant plus en mer, on remarque
une certaine continuité dans le temps 178. Pour les autres demandes de messes,
destinées sur le long terme à assurer le salut de l’âme, on obtient des données
contrastées. Pour les mousses et les matelots qui se présentent face à l’éternel,
on constate tout d’abord une absence : celle des demandes de messes. Ils sont
en effet cinq gens de mer à ne rien spécifier quant au salut de leur âme. Les
mobiles de ces silences restent difficiles à cerner. Signifient-ils la pauvreté ou
encore une grande confiance en leurs héritiers qui feraient dire des messes
pour leur âme ? Face aux conditions de vie précaires des travailleurs de la
mer, le dénuement semble s’imposer comme principal obstacle. Près de 6 %
des testateurs confient ensuite à leurs exécuteurs leur salut sans en indiquer

174 Pierre Chaunu, La Mort à Paris…, op. cit., p. 410.


175 Michel Vovelle, La Mort en Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983, p. 308.
176 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 273, n° 14, fol. 7. Testament du
marin Antonio Hernández fait en mer en 1606. Il demande une messe chantée en présence du
corps : « Yten mando que muriendo en tierra se me diga una misa cantada de cuerpo presente
y si mueriere aora se me diga otro dia ».
177 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 274A, n° 1, ramo 5, fol. 5. Testament
du matelot Gonzalo Núñez de Aranda fait en mer en 1607. On lit cette clause : « Yten mando
que se diga por mi anima en la iglesia de la madalena de la dicha villa una misa de requiem
cantada con ofrenda de pan y vino y se pague la limosna della ».
178 Manuel José de Lara Ródenas, La muerte barroca. Ceremonia y sociabilidad funeral en Huelva
durante el siglo xvii, Huelva, Universidad de Huelva, 1999, p. 300. Il montre comment les
demandes de messes en présence du corps diminuent au long du xviie siècle.

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les modalités. Ainsi, le mousse Pedro Rodríguez désire-t-il que sa mère et sa
sœur bénéficient de sa solde « para que hagan bien por mi ánima » 179. Si pour
ce jeune novice les sommes employées restent modestes, pour un capitaine
mieux doté, il n’en sera pas de même 180. Chez les officiers, le fait de confier
ses biens et le salut de son âme à l’exécuteur signale une relation de confiance
unissant, de même, les hommes dans le négoce et dans le monde de l’au-
delà. En revanche, chez les matelots, cette décision est souvent motivée par
la pauvreté : dans le dénuement, ils s’en remettent à leurs exécuteurs. Les
fidèles qui détaillent les modalités des demandes de messes sont finalement
les plus nombreux. Dans un premier temps, ils sont près de 9 % à nommer
leur âme comme héritière. Signe de profonde piété, cette attitude reste
pourtant fréquemment motivée par la gêne matérielle. Le mousse Miguel de
Silombre nomme ainsi son âme comme unique héritière à défaut de posséder
plus de réaux 181 ; de même, le mousse Marcos Fernández laisse ses maigres
310 effets à l’aumônier du vaisseau pour qu’il dise des messes pour son âme 182.
Pour les autres testateurs qui instituent leurs héritiers, on a calculé à partir
des testaments dépouillés qu’un mousse demande en moyenne huit messes
quand un marin en requiert près d’une quarantaine. Toutefois, le détail de
ces demandes face à Dieu signale de grandes disparités. Ainsi, le matelot
Juan Fernández souhaite que deux messes soient dites pour son âme  183
tandis que son confrère, Francisco González Grillo, en demande plus de
deux cents 184. Les pilotes indiquent en moyenne une demande de près de
deux cent cinquante messes dans leurs testaments. Mais une analyse plus
détaillée démontre ensuite que certains officiers se contentent d’une dizaine
de messes 185 alors que d’autres en réclament une centaine, voire un millier.
Pour ces hommes, l’aisance financière permet d’exprimer leur dévotion avec

179 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 963, n° 1, ramo 23, fol. 3. Testament
du mousse Pedro Rodríguez fait en mer en 1635.
180 Martín de Urra, commandant de vaisseau, souhaite que les instructions données à son
exécuteur se réalisent dans le plus grand secret. AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos,
año de 1688, leg. 979, n° 1, fol. 5. Testament du capitaine Martín de Urra fait en mer
en 1687.
181 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, n° 3, fol. 3. Testament du mousse Miguel
de Silombre fait en mer en 1605.
182 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1626, leg. 954, n° 39, fol. 2. Testament du
mousse Marcos Fernández fait en mer en 1625.
183 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1634, leg. 537, n° 3, ramo 1(1), fol. 7. Testament
du marin Juan Fernández fait en mer en 1634.
184 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1627, leg. 955, n° 1, ramo 5, fol. 5. Testament
du marin Francisco González Grillo fait à terre en 1626.
185 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 507, n° 2, ramo 5, fol. 2. Testament
du pilote Esteban de Palacios fait en mer en 1610. L’officier demande que dix messes soient
dites pour sauver son âme du purgatoire.

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plus de ferveur et de maintenir ainsi leur rang social 186. Finalement chez les
capitaines de vaisseau, on trouve en moyenne trois cents messes par testament.
Toutefois, aucun d’entre eux ne se soucie « des pauvres âmes » du purgatoire.
En effet, pas un seul capitaine ne mentionne cette dévotion tandis qu’elle est
présente chez les mousses, les marins et les pilotes.
2- Les âmes du purgatoire, une alternative ?

On suppose que les communautés maritimes entretiennent des liens


spécifiques avec les âmes du purgatoire. En effet, les catholiques sont nombreux
à imaginer ce « troisième lieu » peuplé d’âmes de décédés par mort subite et
violente, catégorie à laquelle appartiennent les marins noyés 187. Par conséquent,
les hommes en détresse sur l’océan attendent de ces âmes, une intercession
destinée à les sauver 188. Les ex-voto retraçant des scènes de naufrages ou
d’accidents dont les hommes sont épargnés grâce aux âmes du purgatoire en
témoignent 189. On imagine que cette dévotion occupera dès lors une place 311
centrale dans les testaments des gens de mer, mais en définitive le décompte des

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


messes demandées à leur intention est peu important. Seul 12 % des mousses,
28 % des marins et 36 % des pilotes indiquent dans leur testament des messes à
dire pour ces âmes en peine. D’autre part, l’importance numérique reste assez
faible. Sur l’ensemble des 6 712 messes indiquées pour les âmes des défunts dans
notre échantillon 190, 1 102 sont consacrées à celles du purgatoire, soit 16 %.
Ces constats sont presque ordinaires : un marin ne demande généralement que
deux ou trois messes à leur intention, rarement une dizaine 191 ; seul un pilote
modifie les données obtenues en demandant un millier de messes pour las
benditas ánimas del purgatorio 192. Comme en Espagne, les âmes du purgatoire,

186 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1617, leg. 329, n° 3, ramo 1, fol. 21. Testament
du pilote Francisco Coello fait en mer en 1615 : « Yten mando se me diga por mi anima
doscientas misas resadas en sanlucar de barrameda en San Francisco cinquenta misas con
cinco cantadas y otras cinquenta en Santo Domingo con cinco cantadas y otras cinquenta en
la yglesia mayor con cinco cantadas y otras cinquenta en Nuestra Señora de la Caridad con
cinco cantadas ».
187 Alain Cabantous, « Le corps introuvable. Mort et culture maritime (xvie-xixe siècles) », Histoire,
économie et société, n° 3, Paris, Éditions CDU et SEDES, 1990, p. 333.
188 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer…, op. cit., p. 210. Il cite à ce sujet un article de A. Zabala
qui analyse la dévotion religieuse des marins basques.
189 Catalogo Ex-voto Santuario Di Megli, Sagep – Ligura Regione Inaspettata, 1997, p. 15. On voit
sur un ex-voto peint au xviie siècle, la Vierge, saint Antoine et les âmes du purgatoire sauvant
un marin sur le point de périr en mer.
190 Ensemble des testaments des mousses, des marins, des pilotes et des capitaines.
191 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1636, leg. 390, n° 1, ramo 4, fol. 35-50.
Testament du marin Jorge García fait en mer en 1632. Le matelot demande que 110 messes
soient dites dont une dizaine pour les âmes du purgatoire.
192 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1667, leg. 451B, n° 5, ramo 1, fol. 2. Testament
du pilote Gabriel de Barrios fait en mer en 1667. On lit : « Yten mando a las animas benditas
del Purgatorio mil misas rezadas las quales se digan en españa… ».

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au fil des ans, n’attirent donc plus autant de suffrages 193. María José de la Pascua
Sánchez constate qu’à la fin du xviie siècle, puis au xviiie siècle, la dévotion
aux âmes du purgatoire diminue en Andalousie sans pourtant disparaître de
l’imaginaire catholique. Dans notre échantillon, on observe un phénomène
semblable puisque ces demandes de messes baissent et que la plupart d’entre
elles se concentrent entre 1599 et 1650. Dans la seconde moitié du siècle, seuls
deux testateurs mentionnent les âmes du purgatoire, laissant ainsi deviner un
étiolement dévotionnel analogue à celui que connaît l’Espagne. Cette dévotion
reste pourtant présente chez les matelots espagnols. Dans une géographie
spirituelle qui se dessine entre immensités océanes et repères terriens, les gens
de mer choisissent à nouveau les références de l’ensemble de la communauté
catholique espagnole. Matelots et officiers ne se distinguent guère par des formes
de piété particulière et ne montrent pas des sentiments religieux singuliers. Là
où chacun s’attend à trouver des signes atypiques, on découvre finalement un
312 monde maritime aux pratiques religieuses conformes à celles de l’ensemble
de la société : la dévotion des gens de mer demeure en parfait accord avec les
dogmes et pratiques catholiques. Ces attitudes face à la mort traduisent à n’en
point douter un désir d’appartenance à la communauté. Chaque matelot, loin
de sa terre natale, de sa paroisse, souhaite en fait agir comme n’importe quel
autre membre de la chrétienté. Ne rappelle-t-on pas dans le testament cette
appartenance « à la communauté qui sauve » 194 ? Les gens de mer sont avant
tout des fidèles terriens. Ainsi, remarque-t-on des demandes considérables de
messes à dire en Espagne et plus précisément dans l’église de la ville d’origine du
testateur 195. Le sentiment d’amour envers la terre natale reste très présent et se
retrouve dans les multiples formes de piété régionale 196 : l’Andalou de Sanlúcar

193 María José de la Pascua Sánchez, Vivir la muerte…, op. cit., p. 79-81 et José Antonio Rivas
Álvarez, Miedo y Piedad: Testamentos Sevillanos del Siglo xviii, Sevilla, Diputación Provincial
de Sevilla, 1986, p. 101-106.
194 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 297, n° 1, ramo 3, fol. 2. Testament du
marin Juan de Mitre fait en mer en 1610. La profession de foi précise sans aucune ambiguïté
ce désir d’appartenance à la communauté chrétienne et renvoie au salut collectif (formule
que l’on retrouve dans tous les testaments des gens de mer) : « Protestando de vivir e morir
en esta sancta fe catolica como bueno y fiel cristiano y deseando poner mi alma en carrera
de salvación… ».
195 María Encarnación Rodríguez a réalisé une étude pionnière et constaté une présence très
marquée de la terre natale dans les déclarations testamentaires rédigées en Amérique par
des émigrants espagnols. María Encarnación Rodríguez Vicente, « La patria chica presente en
las últimas voluntades del emigrante montañés a América », dans Segundo Ciclo de Estudios
Históricos de la Provincia de Santander, Santander, Diputación Provincial de Santander.
Instituto Cultural de Cantabria, 1997, p. 281-289.
196 Il convient de rappeler la splendeur du culte marial à Séville au xviie siècle. Voir Beatriz Suñe
Blanco, « Religiosidad popular en Andalucía y América (Siglo xvii) », dans Andalucía y América
en el siglo xvii…, op. cit., p.168.

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de Barrameda porte naturellement ses suffrages sur la Virgen de Regla 197 et le
matelot sévillan sur Santa Ana dont l’église éponyme est située à Triana 198. En
fin de compte, certaines formes dévotionnelles s’intériorisent plus qu’elles ne
s’institutionnalisent. Ainsi, les âmes du purgatoire sont peu présentes dans les
testaments des gens de mer. Les hommes sont en effet davantage attirés par
ces formes de piété normalisées même si d’autres dévotions personnelles les
animent sans doute. Moins faciles à exprimer, intériorisées, elles n’apparaissent
pas aisément dans cet acte social et codifié qu’est le testament. La piété des gens
de mer, partagée entre les spécificités océanes et le reste de la communauté,
s’incline vers ses formes les plus répandues.
Dans le testament qui reste un acte très codifié, les dévotions des gens de
mer sont donc semblables à celles des testateurs du « vieux monde ». On a trop
souvent voulu distinguer les hommes de l’océan ; ils désirent, en somme, dans
leur for intérieur, partager les mêmes dévotions que les autres catholiques et si des
distinctions s’établissent, elles sont étroitement liées à la terre d’origine. Ainsi, 313
a-t-il été difficile de repérer des spécificités océanes ; les formes de dévotion sont

la mort sur l’océan Représentations et réalités d’une mort quotidienne


homogènes entre mariniers, soldats et capitaines 199 et s’apparentent à celles
unanimement partagées en Espagne et en Amérique.

197 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1627, leg. 373B, n° 2, fol. 4. Testament du
mousse Francisco Hernández, originaire de Sanlúcar de Barrameda, fait en mer en 1627. On
lit : « Se digan por su anima luego yncontinente las misas siguientes: dos misas a la Birgen
de Regla, otras dos a la birgen del Rosario… ».
198 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 5580, n° 3, fol. 1. Testament du pilote
Diego Hernández, sévillan originaire de Triana, fait en mer en 1611. Il demande : « Yten mando
se digan por mi anima diez misas en la Iglesia de nuestra señora santa ana y se pague de mis
bienes ».
199 Michel Mollat du Jourdin qui étudie les pratiques religieuses chez les gens de mer français
formule les mêmes conclusions, il dit : « Du matelot au capitaine, croyances et pratiques
sont semblables ; seules changent les nuances ». Michel Mollat du Jourdin, « Sentiments et
pratiques religieuses des gens de mer en France, du xiiie au xvie siècle », Revue d’histoire de
l’Église de France, t. LXX, n° 185, Paris, Société d’histoire ecclésiastique de la France, CNRS,
1984, p. 313.

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chapitre iii

De la mort à la vie

I- DES FUNÉRAILLES EN MER

Lorsque la mort frappe sur le navire, une activité fébrile anime soudainement
l’équipage : les rouages administratifs se mettent alors en marche, et c’est tout
un système qui se déclenche avec pour acteurs principaux, greffier, aumônier,
maître de navire et témoins. Avant de s’interroger sur la portée matérielle et
symbolique de la mort en mer, il convient d’analyser les préparatifs puis le
déroulement des cérémonies funèbres sur les océans. Au regard des conditions
matérielles du voyage, on peut se demander quels sont les hommages rendus aux 315
simples matelots ou aux capitaines et comment les hommes, passagers comme

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or La mort sur l’océan
équipage, appréhendent le décès d’un des leurs.
A- Des préparatifs à la cérémonie

En 1613, lorsque le mousse Diego de Solís meurt à bord du navire Jesús,


María y Josefe, ses compagnons en informent le greffier. Afin de prendre acte,
ils se rendent ensemble auprès du jeune matelot, l’appellent puis le touchent.
Sans réponse de sa part ni geste quelconque, le greffier confirme la mort et
en donne acte dans le procès-verbal 1. Des précautions sont en effet prises
avant d’immerger les corps, car on redoute depuis des décennies d’enterrer
les vivants 2 : la perspective de les abandonner aux immensités maritimes
n’est pas non plus pour rassurer. Parfois des compagnons veillent le corps du
défunt et tentent de reproduire la veillée funèbre comme à terre. En 1692,
un charpentier se tient près de l’artilleur Pedro de Mora et veille sa dépouille
toute la nuit 3. À bord du vaisseau San Juan Bautista, en 1611, on assiste à
la même scène. Peu de temps après le décès du greffier Francisco Ginovés,
les hommes du navire portent son corps dans sa cabine, le couvrent d’un
drap en guise de linceul et disposent des cierges autour de lui. Quelques
personnes s’installent alors et restent près de sa dépouille pour le veiller jusqu’à

 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1613, leg. 944B, n° 3, ramo 6, fol. 4. « Doy fe
[aberse muerto] por aberle visto tocado y llamado de su nombre y no responder ni hazer
mudanza ninguna… ».
 Jean Delumeau, La Peur en Occident. xive-xviiie siècles. Une cité assiégée, Paris, Fayard, 1978,
p. 84-85.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1691, leg. 5585, n° 24, fol. 2.

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l’aube 4. Le lendemain matin, l’équipage défile près du corps et déclare
unanimement que le greffier est bel et bien mort. On a le sentiment que cet
événement est entouré d’une aura de fatalité et de normalité. En effet, comme le
rappelle Jean Delumeau, la mort à cette époque n’apparaît pas comme séparée
de la vie d’une coupure nette 5 ; elle fait partie du quotidien et demeure par
conséquent un phénomène accepté. À bord des navires, la mort est d’autant
plus présente qu’elle vient perturber l’ennui de ces longues traversées. Les
hommes se présentent près du défunt, commentent les circonstances du décès
et offrent finalement leur soutien en priant pour l’âme du disparu. La mort
est un acte social et public, un spectacle qui s’offre à la communauté actrice
et spectatrice. En 1600, lorsque le passager Miguel de Marta décède, la même
effervescence règne à bord du galion San Marcos. Les déclarations du greffier
consignées dans le procès-verbal décrivent avec précision la scène. Le greffier
indique qu’il s’est rendu auprès du défunt, couché sur le sol et recouvert
316 d’un linceul, de nombreuses personnes étaient alors présentes à ses côtés. La
dépouille a ensuite été remontée sur le pont du navire, une cérémonie funèbre
a eu lieu et un répons a été dit avant l’immersion du corps tel l’usage en de
pareilles circonstances 6. On observe les hommes du navire, acteurs du drame,
qui entourent la dépouille du passager et qui participent au cérémonial. Il
existe toutefois en mer différentes pratiques en fonction du rang social et,
naturellement, les plus démunis ne bénéficient d’aucune pompe funèbre. En
1612, un jeune page, Martín Duría, trouve la mort prématurément. Décédé
dans le plus grand dénuement, son corps est jeté à la mer avec pour seul
habit mortuaire sa chemise de toile que le maître de navire lui avait payée
comme avance sur solde 7. Certains passagers, en revanche, jouissent d’un
cérémonial plus éclatant. En 1673, lorsque le commerçant Juan Gerardo
meurt, on revêt son corps de l’habit de saint François et sa dépouille est
déposée devant l’autel du galion pour qu’une messe en présence du corps
soit dite par l’aumônier 8. On aime revêtir un habit mortuaire le jour des

 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 300, n° 12, fol. 2. « Por ser de noche
se cubrió el cuerpo y quedaron con bela ensendida algunas personas belandole hasta por
la mañana que entró en la dicha camara a belle [sic] toda la gente que yba en la dicha nao y
diziendo todos que estava muerto… ».
 Jean Delumeau, La Peur en Occident…, op. cit., p. 75.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1600, leg. 257A, n° 2, ramo 2, fol. 6.
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1612, leg. 304, n° 1, ramo 6, fol. 6. « Falleció
martin Duria paje del dicho navio y no dejó Vienes ningunos de que se pudiesse hazer cargo
el dicho maestre porque antes le quedó deviendo treinta Reales que le abia dado en Santo
Domingo para una camisa y unos calsones de lienço con lo qual se echó a la mar al dicho
difunto por no tener otra cosa con que amortajalle [sic]… ».
 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1675, leg. 558, n° 4, ramo 3(2), fol. 2. « Yendo
nabegando en este dicho galeon la Santisima trinidad en dicho dia mes y año dichos por diez
y nuebe grados segun dijó el capitan francisco tanco piloto deste dicho galeon siendo como a

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funérailles et l’on choisit en général celui d’un ordre religieux tel celui des
franciscains. Il connaît en Espagne un engouement depuis le xvie siècle et
une généralisation des pratiques le place au centre du rite funéraire. C’est
un signe d’humilité, car l’habit sobre des ordres religieux est censé s’opposer
au faste de certaines parures funéraires alors en vogue au Moyen Âge 9. On
lit souvent dans les testaments cette clause liée à la sépulture dans laquelle
on précise que le corps sera vêtu de l’habit de saint François afin de gagner
indulgences et pardon 10. Même si la répartition socioprofessionnelle de
cette pratique est assez homogène 11, on relève davantage de demandes chez
les passagers et les capitaines de vaisseau – disposant il est vrai du capital
nécessaire pour investir dans leurs funérailles. En 1624, le passager Juan de
Montalvo meurt et son corps est revêtu de l’habit avant l’immersion. Pour ce
passager qui décède sans faire rédiger son testament, le fait d’être jeté à l’eau
avec un vêtement mortuaire lui offre, peut-être, la possibilité de faire son
salut en mer. Le frère franciscain du navire qui avait donné l’habit réclamera 317
alors dix pesos 12. En 1689, douze pesos sont également versés à l’aumônier

la mort sur l’océan De la mort à la vie


du galion Nuestra Señora de Guadalupe qui a remis un habit de saint François
pour les funérailles de Domingo del Valle, un passager commerçant, mort
lors de la traversée 13. Certaines personnes, plus prévoyantes, se munissent
de leur vêtement mortuaire lorsqu’elles entreprennent un voyage océanique.
Possédant à l’évidence une conscience aiguë du danger, tout en ayant présent à
l’esprit l’imminence de sa propre mort, Francisco Marcelino García demande
que son corps soit revêtu de l’habit qu’il transporte à cet effet  14. On pense
en fin de compte que cette demande d’habit revêt en mer une signification

las nuebe o a las diez poco mas o menos estaba un hombre tendido en el suelo delante de la
Capilla del dicho galeon amortajado con un habito de San francisco el qual al parecer estaba
muerto… ».
 Manuel José de Lara Ródenas, La muerte barroca. Ceremonia y sociabilidad funeral en Huelva
durante el siglo xvii, Huelva, Universidad de Huelva, 1999, p. 80 et María José de la Pascua
Sánchez, Vivir la muerte en el Cádiz del Setecientos (1675-1801), Cádiz, Fundación Municipal
de la Cultura, 1990, p. 262.
10 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1698, leg. 5585, n° 66, fol. 5. José de Larzaval,
un capitaine de navire, précise qu’il veut être immergé avec l’habit de saint François : « que
desde luego pido por ganar sus Indulgencias y perdones ».
11 Manuel José de Lara Ródenas, La muerte barroca…, op. cit., p. 93. Au xviie siècle en effet, les
habits religieux sont utilisés de la même façon chez les ecclésiastiques, les gens de mer, les
commerçants ou les fonctionnaires en guise de linceul.
12 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1624, leg. 360, n° 2, ramo 1, fol. 8. « Fray Pedro
Gonzalez de la Hoz del orden de San Francisco digo que como consta deste testimonio que
presento yo di un habito para que se pusiese al dicho don Juan de Montalvo quando se echó
a la mar y se me debe la limosna del que son diez pesos ».
13 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1689, leg. 463, n° 5, fol. 34.
14 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1694, leg. 672, n° 5, ramo 2, fol. 3. « […] enbuelto
en abito de nuestro padre San Francisco que traigo para el dicho efecto… ».

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particulière. En effet, à défaut d’une sépulture en terre chrétienne, le vêtement
religieux apporte sans doute une dimension sacrée à l’immersion.
Néanmoins, nombreuses sont les funérailles des matelots, des soldats, des
artilleurs et même des officiers sans pompe funèbre ni vêtement mortuaire.
Pour linceul, on enveloppe les plus pauvres dans leur natte, parfois dans un
drap de toile. Le cadavre ainsi recouvert semble inutilement protégé contre les
agressions de la mer mais, on le sait, il s’agit plutôt de reproduire sur les océans
le même rite que celui que l’on pratique à terre. En 1670, le pilote Andrés Pérez
de Molina meurt dans le plus grand dénuement. Le jour de ses funérailles, on
enveloppe alors son corps dans un simple drap de toile avant de l’immerger 15.
Cette toilette mortuaire très simple rappelle néanmoins celle du Christ qui
fut, jusqu’à la fin du Moyen Âge, la plus répandue 16. On se contente donc
en mer d’un drap blanc laissant peut-être apercevoir la tête du défunt :
pratique caractéristique des pays méditerranéens 17. Ce sont généralement les
318 compagnons de travail du défunt qui se chargent d’envelopper le corps dans
un linceul. Ils recréent ainsi un univers social empreint de solidarité. Sans
famille pour aider le trépassé à rejoindre l’au-delà, les camarades remplacent
donc les membres absents. Lorsque l’artilleur Miguel Velázquez décède sur
l’océan Atlantique, en 1691, ses confrères assument immédiatement leur
rôle et préparent ensemble le corps avant « l’ensevelissement » 18. Parfois, à
défaut de linge, on utilise une couverture pour recouvrir la dépouille. Ainsi,
le passager Alonso Ruíz est-il enveloppé dans cet étrange apparat lesté de plus
d’une lourde pierre 19. Sans grande pompe funèbre, le corps est ainsi jeté à la
mer. Les funérailles manquent souvent de solennité, mais comment pallier
cette infortune sur un navire ? Les passagers et les officiers n’ont pas toujours
un cérémonial à la hauteur de leur rang social et, en conséquence, on serait
en droit de se demander si la vie maritime n’atténuerait pas les inégalités face
à la mort.

15 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1670, leg. 557, n° 4, ramo 1, fol. 3. « No tengo
bienes ningunos mas que una caja de mi ropa blanca y Bestidos ». Dans une déclaration
consignée dans le dossier du pilote, on lit encore : « Vide al cuerpo de Andres Perez de Molina
[...] el qual estaba muerto naturalmente y amortajado en una sabana de lienzo ».
16 Manuel José de Lara Ródenas, La muerte barroca…, op. cit., p. 79.
17 Michel Vovelle, La Mort en Occident…, op. cit., p. 333.
18 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1691, leg. 5585, n° 30, fol. 3. Pedro Navarro,
un artilleur du galion déclare à ce sujet : « De buelta para España a los dies y siete dias de
navegar, murió el dicho Miguel Velazquez al qual ayudó a amortajarle con otros amigos… ».
19 L’acte de décès dressé en 1601 par le greffier retrace la scène : « Doy fee que oy savado quatro
de agosto de mill y seis cientos y un año A poco mas de la oracion vi muerto naturalmente a
Alonso Ruis Pasajero deste navio […] y Rebuelto en una fresada por mortaja con una piedra
grande Atada a los pies. Le vi echar a la mar como tal muerto… », AGI, Cont. Auto de Bienes
de Difuntos, año de 1601, leg. 260B, n° 4, fol. 13.

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B- Les sépultures maritimes

Au cours d’une traversée, les corps des trépassés ne peuvent être conservés. Un
rituel funéraire existe donc depuis des siècles de navigation : c’est naturellement
l’immersion. On a vu les craintes et les réticences des hommes à être inhumés
de la sorte, néanmoins il existe peu d’alternatives. De légères variantes offrent,
il est vrai, un peu plus d’éclat pour la cérémonie funèbre d’un officier ou d’un
passager de haut rang au regard de celle des simples mariniers. Un matelot est
immergé dans la plus grande simplicité, sans honneur ni pièce d’artillerie. La
solitude reste peut-être le trait principal de ces funérailles, car, sans la présence
des parents, de l’épouse ou des enfants, le cérémonial semble dépourvu de
ses racines familiales 20. Les camarades pourtant s’unissent face à la mort et
accompagnent la dépouille. On la jette par-dessus bord, parfois en présence de
l’aumônier qui dit une prière, et de quelques officiers. Les usages veulent que
l’on souhaite un « bon voyage » à l’âme en attendant de rejoindre les Cieux.
En 1659, lorsque l’artilleur Andrés de Morales, blessé au combat, décède, ses 319
compagnons portent le corps puis le plongent dans l’océan en souhaitant à son

la mort sur l’océan De la mort à la vie


âme « un buen viaje » 21. Dans le récit du père Antonio Vázquez de Espinosa, on
découvre le déroulement du cérémonial funèbre du capitaine Gaspar de Vera 22.
En guise de funérailles, on tire de tristes coups de canon, puis on immerge
son corps tandis que l’équipage lui lance un « bon voyage » 23. Les officiers
demandent ainsi dans leur testament quelques honneurs liés à leur rang. À défaut
de répons, on demande des salves pour signaler le décès et redonner un peu de
pompe à ces mornes cérémonies maritimes. Le père Antonio Sepp retrace dans
son récit les usages qui, pourtant, lui semblent peu solennels : « Cuando alguien
muere, no se le prepara ninguna pompa fúnebre. Se cuelga una bala de cañón del
cuello del cadáver, se le arroja al mar y se dispara un cañonazo » 24. En 1621,
le pilote Juan de Ginebrosa souhaite ainsi qu’un coup de canon soit tiré en

20 Alain Cabantous, Le Ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime. xvie-xixe siècles,
Paris, Fayard, 1990, p. 113.
21 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1660, leg. 5582, n° 1, fol. 4. Un témoin se
souvient : « Murió el dicho Andres de Morales y passó desta presente vida al qual vido morir
este testigo y lo ayudó a echar a la mar y darle el buen biaje... ».
22 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348B, n° 1, ramo 15, fol. 1-287.
Si le capitaine fait partie de notre échantillon, aucune précision relative à ses funérailles
n’apparaît dans son dossier. C’est le récit d’Antonio Vázquez de Espinosa qui nous a offert
ces détails. Fray Antonio Vázquez de Espinosa, Tratado del viaje y navegación de este año de
1622 que hizo la flota de Nueva España, dans B. Velasco, « La vida en alta mar en un relato
del Padre Antonio Vázquez de Espinosa », Revista de Indias, n° 143-144, Madrid, CSIC, 1976,
p. 287-352.
23 Ibid. On lit : « En la canal murió el capitan Gaspar de la Vera dueño de la nao Perlita ; y con
piezas roncas y tristes, dándole el buen viaje lo echaron a la mar ».
24 Werner Hoffman, Relación de Viaje a las Misiones Jesuíticas, edición crítica de las obras del
padre Antonio Sepp, Buenos Aires, Eudeba Editorial Universitaria de Buenos Aires, 1971,
p. 137.

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guise de glas 25. La mesure compense l’absence de la communauté chrétienne
et de l’église paroissiale chère à chaque fidèle. Les salves signifient le deuil et
elles permettent aux membres de la flotte d’apprendre le décès d’un des leurs.
En 1693, un témoin relate une scène de cette teneur. Après avoir entendu
l’artillerie du navire San Francisco, il apprend qu’elle est destinée aux funérailles
de Fernando de Atienza 26.
Afin de faire disparaître le corps, on met en œuvre différentes pratiques, parfois
on le leste avec un peu de terre. Gemelli Careri décrit une cérémonie au cours de
laquelle on jette le corps d’un pilote à la mer « avec un vaisseau de terre attaché
aux pieds » 27. Le pilote Juan Muñoz Zamorano est quant à lui immergé avec une
cruche d’eau attachée à ses membres. Un témoin qui décrit la scène précise cet
usage en déclarant : « se echó al agua con una sabana y con una botija llena de agua
amarada a los pies como es usso costumbre y estila… » 28. Le jeune passager Augustín
Vázquez connaît le même sort en 1604. Pour toute cérémonie, une grande jarre
320 d’eau leste son corps afin, dit un mousse, qu’il aille dans les profondeurs marines 29.
On redoute en effet de voir remonter les corps à la surface et toutes sortes d’artifices
sont donc employés afin de lester les dépouilles. On préfère imaginer qu’elles
rejoindront la terre consacrée en touchant le fond des mers ; on évite par ailleurs
la vision macabre du trépassé errant sur les flots : elle ne saurait que trop rappeler
la probable errance de l’âme en de pareilles circonstances. Pourtant, en 1640,
l’événement redouté survient. Alors que l’on vient de plonger le corps du frère
Matías Cencerrado, lesté de deux jarres pleines d’eau, sa dépouille flotte sur la mer 30.

25 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1621, leg. 950, n° 1, fol. 15 : « Yten mando que
si dios nuestro señor fuere servido de me llevar de la presente bida mi cuerpo sea echado a
la mar y en señal de doble se me dispare una piesa ».
26 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1693, leg. 465, n° 8, fol. 54. « Biniendo
embarcado en el navio nombrado el Santo Cristo de San Roman, uno de los de dicha conserva
oyó disparar una piesa del navío nombrado San Francisco Javier que era señal de echar
hombre al agua, y despues habiendo llegado este testigo […] oyó desir a diferentes personas
que benian en dicha flota como el hombre que echaron a la mar del dicho navio […] havia sido
el dicho don Fernando Atienza… ».
27 Giovani Francesco Gemelli Careri, Voyage autour du Monde (1698), dans Le Mexique à la fin
du xviie siècle, vu par un voyageur italien / Gemelli Careri ; présentation de Jean-Pierre Berthe,
Paris, Calmann-Lévy, 1968, p. 65.
28 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1691, leg. 464, n° 4, ramo 3(2), fol. 2.
29 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 937, n° 22, fol. 37. Dans ce dossier
au nom de la passagère Catalina Díaz, on apprend que son fils meurt également lors de la
traversée. Un mousse déclare à ce propos : « Viniendo navegando por la mar la dicha catalina
y el dicho su hijo cayeron enfermos [...] murió el dicho augustin vazquez naturalmente E lo
bido echar a la mar Y este testigo ayudó a henchir Las botijas de agua para que se fuese a
fondo… ».
30 Cristóbal Gutiérrez de Medina, Viaje del Virrey Marqués de Villena. Año de 1640, introducción
y notas de don Manuel Romero de Terreros, México, Universidad Nacional Autónoma de
México, Instituto de Historia, Imprenta Universitaria, 1947, p. 41. On lit : « Y aunque se le
ataron al cuerpo del difunto dos botijas llenas de agua, para que se fuese luego a pique, se
fue sobre el agua hasta que no le pudo alcanzar la vista… ».

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Faut-il y voir un signe de la providence, comme le laisse entendre l’auteur du
récit, laissant le corps du fidèle voguer au plus près des Cieux ? Au contraire, cette
déconcertante flottaison laisse-t-elle transparaître la peur des hommes craignant
une immersion ?
Une alternative existe toutefois afin de protéger le corps en le déposant dans
une grande natte. En 1610, le matelot Juan de Mitre souhaite que sa dépouille
soit enveloppée dans un serón avant l’immersion 31. Il s’agit d’une recherche
de protection, car en entourant ainsi le corps, l’âme serait sans doute protégée
des forces maléfiques de l’océan. Le père Antonio Vázquez de Espinosa offre
à ce sujet une vision terrifiante des corps jetés à la mer, corrompus par l’océan
comme l’âme le serait en enfer : « y los cuerpos a la mar, para en ellos ser comidos
y despedazos de peces fieros » 32. Il espère ainsi éveiller la peur liée à la corruption
des corps. C’est un thème en effet qui est cher à l’Église : la putréfaction des
dépouilles, rongées par les vers, rappelle les supplices de la damnation  33.
Naturellement, cette violence macabre ne peut s’appliquer en mer et il fallait 321
donc trouver un terrain de prédication qui engendre les mêmes craintes. Les

la mort sur l’océan De la mort à la vie


demandes de protection traduisent cette peur de la corruption marine des corps.
En 1608, le soldat Pedro Londays inscrit la même requête dans son testament,
« que mi cuerpo sea echado a la mar en un serón » 34 afin d’échapper, ainsi protégé,
à l’élément liquide. Un autre soldat demande également une enveloppe pour
ses funérailles en mer 35. Il est clair que ces demandes traduisent une recherche
de protection et de sacralisation.
Seuls les nobles jouissent de privilèges et parviennent parfois à faire conserver
leur corps le temps de la traversée pour être ensevelis en terre 36. Ainsi, lorsque
la princesse de Santo Bono, épouse du vice-roi du Pérou, meurt sur le navire
Capitana en 1715, son corps est tout d’abord déposé dans un cercueil 37. Fait
de plomb et de fer, scellé de façon hermétique, il recèle la dépouille jusqu’au
port de Carthagène pour être enterré selon le rite catholique 38. Le sous-officier

31 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1610, leg. 297, n° 1, ramo 3, fol. 2 : « Y si muriere
en la mar me entierren en un ceron y en el me echen a la mar que ansi es mi voluntad ».
32 Fray Antonio Vázquez de Espinosa, Tratado del viaje…, op. cit., p. 344.
33 Pierre Civil, « Le squelette et le cadavre : aspects iconographiques de la peur de la mort en
Espagne aux xvie et xviie siècles », dans La Peur de la mort…, op. cit., p. 44. On pense aussi aux
tableaux de Valdés Leal conservés dans l’église de l’hôpital de la Hermandad de la Caridad à
Séville.
34 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1608, leg. 282B, n° 3, ramo 2, fol. 1.
35 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 940B, n° 19, fol. 1.
36 Real Biblioteca de Palacio, Fondo manuscritos, Papeles Varios, II/2886 : « Breve noticia diaria
del viaje del Excelentísimo señor Príncipe de Santo Bono… », op. cit., fol. 108-109.
37 Ibid. : « Pusose el cadaver en una caja forada de ojas de lata fundida en plomo y calafateada
y se custodió para conducirla a Cartagena… ».
38 Eduardo Nussio rapporte que les corps sont parfois plongés dans de l’eau-de-vie afin de les
conserver sans pourtant citer ses sources. Eduardo Nussio, « Vida y muerte en los viajes a

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d’artillerie Antonio de Ganancia bénéficie, lui aussi, de façon exceptionnelle,
d’un traitement de faveur. Son exécuteur testamentaire prie en effet le vicaire
d’une église de recevoir sa dépouille, car les conditions de navigation autorisent
le navire à ancrer à Portobelo 39. Ses paroles sont éloquentes, extraites d’une
lettre qu’il adresse au vicaire, elles dévoilent l’importance accordée à la
sépulture chrétienne :
Señor mio en los casos de necesidad son buenos los amigos Y asi en esta ocasion me es
forsoso suplicar a Vuestra Merced el que esta noche se Resiva en la iglesia el cuerpo
del capitan Antonio Ganancia [...] y mañana desirle su misa de cuerpo presente y
bigilia y darle sepultura [...] y por amor de dios lo aga Vuestra Merced [...] Por no
echar este cuerpo al agua que ademas de ser Caridad quedará mui en mi memoria
este beneficio 40.

Même si les conditions matérielles du voyage n’offrent guère de choix, on


322 remarque que les privilèges accordés aux plus nobles laissent transparaître
l’inégalité face à la mort. Mourir en mer demeure par conséquent un acte social ;
et même si la mort présente sur l’océan un visage différent, elle reste étroitement
liée à l’ordre dominant qui se prolonge sur les flottes espagnoles.

II- QUAND LA MORT NOURRIT LA VIE

L’irruption momentanée de la mort dans la vie maritime bouleverse le


quotidien des hommes. Elle est à la fois un élément déstabilisant et stimulant.
En effet, si elle prive l’équipage d’un homme, elle génère également une
nouvelle répartition du travail tout en imposant une stricte organisation des
événements.
A- Une activité fébrile

À la lecture des autos de Bienes de Difuntos, on a le sentiment que la mort en


mer engendre un affairement sans précédent. Chaque membre du navire semble
vivre le décès d’un compagnon en agissant en tant qu’acteur. Les officiers dans
un premier temps jouent un rôle fondamental. De l’acte de décès à la vente aux

las Américas durante el siglo xvi », dans Metodología y nuevas líneas de investigación de la
Historia de América, E. Martín Acosta, C. Parcero Torre, A. Sagana Gamazo (comp.), Burgos,
Universidad de Burgos, 2001, p. 112.
39 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1673, leg. 558, n° 2, ramo 1, fol. 6 : « El dicho
dia serca de noche murió el dicho Antonio gananzia y este testigo lo vio muerto y amortajado
con su havito de nuestro padre san francisco y Por no echarlo En la mar el dicho capitan
don Francisco de espinosa dio horden Para que se llebase a Portobelo y se enterrasse en la
Yglesia mayor… ».
40 Ibid., fol. 13.

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enchères des biens du défunt, de nombreux procès-verbaux sont dressés et de
multiples tâches administratives s’accomplissent. C’est tout d’abord le constat
du décès, la recherche du testament parmi les effets du disparu, sa lecture,
l’institution des exécuteurs testamentaires puis l’inventaire du patrimoine. En
1630, lorsque le marin-artilleur Juan Gregorio meurt, le capitaine ordonne
ainsi que ses biens soient inventoriés en présence du greffier, de nombreux
témoins et des exécuteurs testamentaires. Ces derniers se rassemblent alors près
du coffre du défunt, procèdent à son ouverture et inventorient scrupuleusement
les effets 41. Lorsque la description de chaque bien est finalement enregistrée
sur le papier, le maître de navire, également sollicité pour l’événement, certifie
l’authenticité de l’acte en jurant : « por Dios Nuestro Señor y a una señal de la
cruz » 42. Il prête ainsi serment afin de confirmer l’exactitude de l’inventaire. Il
serait en effet facile de frauder et de soustraire des affaires sans que personne n’y
prenne garde. Les documents dressés sur le navire décrivent ensuite l’agitation
qui règne. Chaque créancier se présente auprès du maître de vaisseau et fait 323
transcrire sa requête par le greffier afin de récupérer les sommes prêtées au

la mort sur l’océan De la mort à la vie


défunt. C’est un défilé de personnages qui viennent enregistrer leur demande
avant que la vente aux enchères se déroule. Lors de cet événement, les biens
seront en effet vendus, et ainsi monnayés, ils permettront de rembourser les
créanciers et de payer les frais de la procédure.
B- La vie dans la mort

Lorsque la mort s’abat, le navire s’anime à travers ces différentes tâches


administratives : chacun remplit ainsi ses obligations depuis l’aumônier qui dit
une messe en présence du corps 43 jusqu’aux compagnons qui jettent la dépouille
à la mer 44. On a alors le sentiment qu’un cycle de vie et de mort se perpétue sur
les navires espagnols. Lors du décès du maître d’argent Francisco de Montesión,
on assiste à la passation de son poste et l’on observe de quelle manière officiers
et témoins s’activent sur le navire. On les suit pas à pas dans la cabine du

41 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1630, leg. 957, n° 1, ramo 34, fol. 17 : « E luego
Yncontinente el dia mes y año atras dicho […] de los bienes que quedaron por muerte del
dicho Juan Gregorio Difunto el dicho capitan don Thomas de la Fuente y Montoya mandó abrir
y dessacerar una caja que era del dicho Juan Gregorio en la cual se halló lo siguiente… ».
42 Ibid.
43 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1647, leg. 418, n° 1, fol. 10. En 1647, l’aumônier
du galion Nuestra Señora de la Navidad célèbre une cérémonie funèbre en mer et dit une
messe en présence du corps pour l’âme de Francisco Corriaga : le greffier de rations défunt.
44 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1606, leg. 498B, n° 4, ramo 2(6), fol. 1. Les
funérailles du soldat Felipe de Ortega rassemblent ainsi équipage et officiers, tous présents
lors de la cérémonie : « Certifico […] que oy diez y siete dias del mes de Junio de mill seiscientos
y seis a la mañana savado murió felipe de hortega […] y le hecharon a la mar en presencia del
señor cappitan antonio gomez galiano y del dicho capellan y delante de todos los demas del
dicho galeon… ».

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défunt, dans les entreponts, vérifiant l’argent contenu dans les pañoles, lisant
son testament avant d’inventorier ses biens 45. C’est un va-et-vient constant
à bord du vaisseau : les hommes circulent, dressent des actes et s’interrogent
sur la destinée de ses biens. En 1658, la mort du capitaine Pedro Soberanís de
Guerra crée une agitation semblable à bord du vaisseau. Le quotidien se rompt
le temps du deuil et l’effervescence envahit soudain le navire : les biens laissés
par le militaire éveillent la curiosité puis la convoitise. Le maître du vaisseau fait
alors poster des gardes à bord afin d’éviter le vol tant redouté sur les flottes 46.
La mort d’un officier requiert des précautions et par conséquent son décès
entraîne une vigilance accrue. La mort est en effet contraignante et incite les
hommes à prendre des décisions rapides. En 1640, après la mort du capitaine
Juan García de Lugones, un branle-bas s’empare soudain du vaisseau comme
sorti de sa routine monotone 47. Le militaire décède sans avoir le temps de
faire rédiger son testament provoquant l’embarras de ses créanciers. Chacun
324 réclame en effet ses honoraires, comme le médecin de la flotte qui l’a soigné
ou encore l’aumônier qui a dit des messes pour le salut de son âme 48. Afin
qu’ils recouvrent leurs biens, une vente aux enchères est organisée. On réclame
souvent qu’elle ait lieu sur-le-champ. Ainsi, le dépositaire des biens du capitaine
fait-il une requête auprès des autorités pour que cette vente se déroule dans
les plus brefs délais 49. On perçoit alors, au fil des procédures, les multiples
dimensions que recouvre cet événement. Élément stimulant et générateur d’une
vie sociale et économique, la vente aux enchères offre à l’équipage différents
recours afin d’affronter la mort d’un être cher.

III- RÉALITÉS MATÉRIELLES ET DIMENSION SYMBOLIQUE DE LA VENTE AUX ENCHÈRES

Lorsque le cérémonial funèbre s’achève, seuls les biens du disparu rappellent son
existence. L’équipage, privé de la dépouille, se trouve alors dans l’impossibilité
matérielle de commémorer le souvenir du défunt. Dans ces conditions, on se
demande quelles dimensions recouvrent les ventes aux enchères. Permettent-

45 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1689, leg. 575, n°3, ramo 3, fol. 1-3.
46 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de1659, leg. 439B, n° 5, fol. 5-6. « Por esta ora
que eran las ocho del dia poco mas o menos al parecer segun la inclinacion del sol a muerto y
passado desta presente vida […] el capitan don pedro soberanis de la guerra […]. Mando que
se pongan quatro hombres de guardia a bordo de dicho navio de los soldados de la fuerza
del cargo de su Majestad para que no consientan se heche a tierra cossa ninguna del ».
47 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1640, leg. 402, n° 1, fol. 1-78.
48 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1694, leg. 980, n° 2, ramo 1, fol. 13.
49 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1640, leg. 402, n° 1, fol. 60. « Digo que en mi
poder paran los [bienes] que se inbentariaron por fin y muerte del capitan juan Garcia de
Lugones y porque son bestidos y otras cossas que cada dia ban a menos y por la gran calor
se pueden apolillar y echar a perder. Suplico a V. M. mande darme lisensia para que se bendan
en pregon... ».

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elles simplement d’acheter des effets d’occasion ; ne pourraient-elles pas sous-
tendre un système symbolique de répartition des biens du disparu ?
A- Les ventes aux enchères

Sur les flottes espagnoles, la mise en place des ventes d’occasion présente un
caractère officiel. Il existe une législation qui prévoit leur mise en place sur
les navires qui se dirigent vers l’Amérique ou les Philippines, ainsi les biens
monnayés sont-ils plus aisément rapatriés dans la Péninsule. En revanche, les
lois précisent qu’elles ne doivent pas se dérouler à bord des vaisseaux se rendant
en Espagne 50. Malgré la réglementation qui indique les moindres obligations
du greffier, du maître de navire et des exécuteurs testamentaires, la législation
n’est pas systématiquement respectée. Force est de constater que la réalité ne
correspond pas toujours aux textes normatifs. Ainsi, la plupart des ventes aux
enchères ont-elles lieu lorsque les vaisseaux rejoignent la Péninsule.
325
1- Les acteurs

la mort sur l’océan De la mort à la vie


Différentes personnes interviennent lors de la vente aux enchères. Le maître
de navire, on l’a vu, vérifie l’exactitude de l’inventaire puis détermine la date
et l’heure auxquelles se tiendra l’événement. Les exécuteurs jouent également
un rôle déterminant puisque c’est à leur demande, en général, que l’on met en
place la liquidation des biens. Le greffier transcrit ensuite les transactions et
pour l’occasion, un homme est finalement nommé crieur public. Celui-ci invite
l’équipage à négocier les effets proposés et d’une voix presque théâtrale proclame
ainsi l’ouverture des enchères : « a la una a las dos a la tercera que vaya con Dios » 51.
Grâce à ce système de vente, les souhaits de chacun sont en fait comblés. Les
mariniers et les passagers acquièrent des effets d’occasion, les exécuteurs sont à
même de remplir leurs obligations, le greffier perçoit des honoraires et le maître
supervise les enchères en tenant son rôle d’administrateur.
2- L’organisation des ventes sur le tillac

Sur un navire, les biens seront proposés tels quels aux acquéreurs, souillés par
son ancien propriétaire. En revanche, si la vente aux enchères a lieu à terre, les
exécuteurs pourront dépêcher un homme afin qu’il les lave. En 1638, lorsque le
galion San Mateo approche des côtes de Cuba, le soldat Sebastián Pabón meurt
au combat. Dès que le navire ancre dans la baie de La Havane, on demande à

50 Recopilación de las Leyes de los Reynos de Indias (1681), Madrid, Ediciones Cultura Hispánica,
1973, libro IX, título XXXII, ley XV.
51 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1635, leg. 541, n° 2, ramo 3, fol. 35. Le crieur
public recevra pour son travail la somme de quatre réaux. On lit à la fin de l’acte : « Pagose
al pregonero desta almoneda quatro reales con que quedó concluyda », ibid., fol. 37.

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Tomás Bruselo de faire nettoyer linge et vêtements avant leur mise à prix 52. On
redonne ainsi un peu d’éclat aux affaires en espérant certainement en tirer un
meilleur prix. En 1622, on fait nettoyer les effets de don Pedro de Matamoros,
car on souhaite également raviver les vêtements sales et élimés proposés aux
acquéreurs 53.
Lorsque la vente aux enchères se déroule en pleine mer, il est difficile d’avoir
recours à cet usage, mais le public ne s’en formalise guère. En effet, chaque mise
à prix reste un événement particulier sur les flottes des Indes. Elle représente
tout d’abord un moment exceptionnel au cours duquel tous les hommes se
rassemblent. C’est une occasion privilégiée de sociabilité qui attire une foule de
personnes sur le tillac. En 1599, sur le navire la Santa Potencia, le crieur public
et interprète Pedro Lima présente les effets du passager défunt Pedro Sánchez.
Grâce aux indications qui apparaissent dans le dossier, on peut imaginer la scène
se déroulant au pied du grand mât rassemblant équipage et passagers, attentifs
326 et fébriles à l’idée de découvrir les effets dont ils pourront faire l’acquisition. La
vente aux enchères s’ouvre ainsi : « Diziendo quién da mas por tal cosa por boz
de pedro Lima ynterprete y aviendose Juntado mucha gente y diziendo el pregonero
a luego pagar e luego rematar… » 54. La mort du marin Antonio de Artusa
entraîne également la mise à prix de ses effets personnels. Après ouverture de
son coffre et inventaire de ses biens, un page est nommé crieur public sur le
navire. De sa voix d’enfant, il appelle les hommes à se rassembler pour débattre
du prix des vêtements, du tabac et des outils laissés par le défunt. L’événement
est attrayant et réunit de nombreuses personnes autour du crieur qui présente,
une à une, les affaires au public : une casaque, une paire de culottes blanches,
des bas de soie noire. La scène se déroule au milieu d’une petite foule 55. En
1646, c’est un homme noir qui propose à la criée les biens de Pedro de Lachea.
D’une voix posée, il offre à l’équipage ses vêtements. L’effet est assuré, chacun
s’attroupe auprès du crieur public et, non loin de là, le greffier note dans le
procès-verbal que la vente aux enchères vient de commencer 56.

52 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1639, leg. 397B, n° 1, ramo 17, fol. 6.
53 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 521, n° 2, ramo 1(2), fol. 17. On lit
dans le dossier : « De lavar la ropa sucia que tenia en la mar, 1 peso y 6 tomines ».
54 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 277, n° 1, ramo 1(4), fol. 23.
55 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1718, leg. 580, n° 1, fol. 7. « Y aviendose avierto
una caja de cerradura de mas de vara de largo, que el dicho albacea dijo ser la del dicho
Antonio de Artusa, dentro de ella se hallaron las piezas de ropa de Vestir que se Expresaron
y de todas ellas por voz de un Paje de este navio en altas e Yntelegibles Vozes se apercivió la
Venta, remate, y Almoneda, a cuias Vozes, haviendose llegado mucha Gente de la tripulación
de este navio, como en mayores ponedores que fueron, se remataron dichas piezas en los
precios y personas siguientes… ».
56 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1646, leg. 417, n° 6, fol. 7. « Don tomas Basques
como albasea de pedro asencio marinero de la dicha nao sacó los vienes para hazer almoneda
por vos de pedro negro Pregonero nombrado para el dicho efecto… ».

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On comprend l’intérêt suscité par ces mises à prix. Elles offrent la possibilité
d’acheter des vêtements, des outils de travail et pourquoi pas des livres à des prix
intéressants. Naturellement, ces achats d’occasion sont moins onéreux et font en
outre partie intégrante du système commercial de vente en Amérique lorsqu’une
personne décède 57. Il n’est pas surprenant par conséquent de constater la mise
en place des enchères sur les navires. Sur les bâtiments français, on adopte
les mêmes usages lors du décès d’un marinier. C’est un page qui fait la criée
des biens qui seront aussitôt vendus, car on redoute le vol à bord 58. Sur les
vaisseaux anglais, on propose également les effets du défunt dans une vente
destinée à satisfaire les besoins de l’équipage 59. Marcus Rediker apporte à ce
sujet quelques précisions : à l’instar des équipages espagnols, les hommes se
rassemblent au pied du grand mât pour débattre du prix des vêtements, des jeux
de cartes, de la pacotille et parfois d’un instrument de musique 60. Les matelots
achètent alors de bon cœur, en payant même un prix élevé en signe de solidarité
avec la famille du disparu. Ainsi, le produit de la vente augmenté grâce à la 327
générosité des matelots permet-il d’aider la veuve du disparu 61.

la mort sur l’océan De la mort à la vie


B- Réalités matérielles

Au-delà de leur dimension sociale, les ventes aux enchères proposent une
offre adaptée aux professionnels maritimes. Quoi de plus approprié pour un
matelot que d’assortir sa garde-robe en rachetant caleçons de mer et bonnet de
marinier ? N’est-il pas intéressant pour un apprenti-pilote de faire l’acquisition
des instruments de navigation de son supérieur mort en mer ?
1- Un marché d’occasion

Un système d’échange s’instaure à l’évidence sur les vaisseaux espagnols. En


monnayant le prix des effets, en débattant de leur état, chacun s’approprie
finalement l’objet de son choix. En 1611, à bord de la nef San Josefe, la vente
aux enchères des biens du charpentier Juan Crespín comble l’équipage. Chaque

57 Carlos Alberto González Sánchez, Dineros de Ventura: la varia fortuna de la emigración a


Indias (Siglos xvi-xvii), Sevilla, Universidad de Sevilla, 1995, p. 81-82.
58 Jean Merrien, La Vie des marins au grand siècle, Rennes, Terre de Brume Éditions, 1995,
p. 196-197.
59 À bord des vaisseaux anglais qui se rendent par exemple en Guinée, on vend les biens du
défunt au pied du grand mât. Voir P.E.H. Hair, « The experience of the sixteenth-century
english voyages to Guinea », The Mariner’s Mirror, vol. 83, n° 1, London, The Society for
Nautical Research, 1997, p. 3-13.
60 Marcus Rediker, Between the devil and the deep blue sea: merchant seamen, pirates and the
anglo-american maritime world. 1700-1750, Cambridge, Cambridge University Press, 1987,
p. 196-197.
61 Ibid., p. 197-198. Il déclare à ce propos : « It is revealing that seamen, notoriously poor and
underpaid, responded to the death of a comrade by redistributing their meager wealth to
help his family ».

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corps de métiers fait l’achat d’un vêtement, de tissu ou de vaisselle. Ainsi, le
jeune mousse Pedro Moreno offre-t-il quatre réaux pour une petite écuelle de
Chine et le marin Miguel Márquez 26 réaux pour deux cols en dentelle. Le
pilote Gaspar de Álvarez se procure du tissu ainsi que le passager Pedro de León
qui verse 16 réaux pour du satin blanc de Chine 62. Les opportunités satisfont
marins et passagers qui achètent quelques biens avant de débarquer à terre.
Les prix semblent d’ailleurs compétitifs puisque dans les ports d’Amérique, les
marchandises sont très onéreuses. Le décès de Pedro Lobato, pilote de la Mer
du Sud, crée un événement semblable. À bord du vaisseau, lorsque l’on ouvre le
coffre de l’officier, une variété d’objets est présentée aux acheteurs : vêtements
colorés, chaussures, instruments de navigation, livres, ciseaux, routiers, tissu et
cochenille s’offrent au regard de l’équipage. Le 12 mai 1599, en présence du
capitaine, la vente commence sur le pont du navire au son de la voix du crieur
public, un noir nommé à ce poste 63. Les effets sont principalement rachetés
328 par les officiers, en l’occurrence le nouveau pilote, le maître du vaisseau et le
capitaine. Naturellement, les cartes de navigation, les calendriers perpétuels, les
boussoles, les routiers, le compas et la sonde sont négociés par le pilote Manuel
Castro qui occupe sa nouvelle charge. On observe que le profil des acheteurs
reste étroitement lié au poste occupé par le disparu. Il semble naturel en effet
qu’un charpentier s’intéresse aux outils de l’un de ses confrères et qu’un barbier
souhaite acquérir lancettes et couteaux d’un chirurgien défunt. En 1640, lorsque
le greffier Antonio Chardi décède, on met à prix ses biens sur le bâtiment San
Jorge. Le barbier de navire s’empresse alors d’acheter un couteau, « una navaja
de barbero », présenté dans la vente pour quatre réaux 64. De même, en 1614, un
jeune mousse fait l’acquisition d’une cape verte de grosse toile ayant appartenu
à l’un de ses compagnons de travail. Après quelques surenchères, il obtient son
vêtement de marinier pour 30 réaux. On lit dans l’acte de la vente aux enchères
exceptionnellement détaillé :
Ante mi el dicho escribano, el dicho maestre mandó traer en almoneda una capa
de jergueta verde del dicho difunto por bos de Bartolome Torres paje, y andando en
almoneda abiendo oydo muchos apercibimientos se remató en Pedro de Lograno
grumete en treinta reales por no aber persona que mas por la capa diesse 65.

Le jeune mousse profite donc de l’événement pour se munir d’un vêtement


dont il a besoin tout en l’achetant à crédit. Sur ce vaisseau en effet, le maître
accorde aux acheteurs la possibilité de verser les sommes d’argent une fois arrivés

62 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 302, n° 5, ramo 6, fol. 8-10.
63 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1602, leg. 264, n° 1, ramo 4, fol. 16-18.
64 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1641, leg. 966, n° 1, ramo 2, fol. 11.
65 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1614, leg. 945, n° 1, ramo 11, fol. 5.

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dans le port de Séville. La pratique, peu courante, est décrite dans l’acte de la
vente aux enchères 66. Ainsi, les repreneurs des hardes peuvent-ils attendre le
retour à terre et le versement de leur solde pour s’acquitter de leur dette. Le
maître de navire sait bien que l’équipage payera pour des biens défraîchis et en
mauvais état alors que, à terre, il serait plus difficile de les revendre. Le même
cas de figure se produit en 1622 lorsqu’un chirurgien décède à bord du galion
Santa Ana. On propose immédiatement ses vêtements aux soldats du vaisseau
alors qu’en Espagne personne n’oserait les racheter. On lit dans le dossier la
déclaration éloquente du maître de vaisseau à ce propos :
Quedaron por sus bienes [los de Blas Dorronsoro] los contenidos en la memoria que
hiço, los quales conbiene se bendan en este galeon porque los soldados pagarán más
bien que en otra parte por ser poco y biejo 67…

Il s’agit là d’un stratagème permettant d’écouler les biens du défunt tout en


créant une activité sociale et économique à bord. C’est par ailleurs l’occasion, 329
pour certains, de percevoir quelques réaux en contournant la loi.

la mort sur l’océan De la mort à la vie


2- Des ventes en circuit fermé

Ces ventes hâtives sur les navires cinglant vers Séville n’ont aucune légitimité,
on l’a vu ; lors du voyage de retour, elles ne devraient pas avoir se mettre en
place. Pourtant, les mises à prix se succèdent, parfois à quelques lieues seulement
de la Péninsule. Dans ces conditions, on se demande quels sont les intérêts en
jeu. L’appât du gain serait-il à l’origine de cette activité économique ? Il s’agit
naturellement de l’une de ces motivations. Précisons que le greffier et le crieur
public sont tout d’abord rémunérés pour leur tâche. Ces deux hommes peuvent
dès lors réclamer avec un peu plus d’empressement la mise en place des enchères.
En 1681, on verse la somme honorable de 25 pesos au greffier pour ses écritures
– testament, inventaire et acte de la vente aux enchères, deux pesos au crieur
public qui « a chanté la vente » et deux autres au chef d’escadre qui a récolté
l’argent 68. Les dépenses liées à cette mise à prix restent modiques. En revanche,
en 1669, à bord du navire Jesús, María y Josefe, les frais de procédure atteignent
des sommes conséquentes 69. Le montant du patrimoine de Bernardino de
Maldonado après la vente aux enchères s’élève en effet à 1 343 réaux, mais on
défalque 96 réaux pour le greffier qui a rédigé un pouvoir, 56 pour les frais liés

66 Ibid. : « Lo tomó ansi y se obligó de pagar al dicho maestre o a la persona que por el difunto
lo hubiere de aver los dichos treinta reales en la ciudad de Sevilla ».
67 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1622, leg. 348B, n° 2, ramo 2, fol. 12.
68 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1689, leg. 463, n° 5, fol. 34. L’exécuteur
testamentaire énumère les frais liés à la procédure : « 25 pesos por el escribano […] 4 pesos
que pagué al tambor que cantó la almoneda y al cabo de escuadra que cobró el dinero ».
69 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1670, leg. 454A, n° 1, ramo 4, fol. 16.

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à la vente, 48 pour l’alguazil qui a récolté l’argent et 64 pour payer les actes
dressés par le greffier. Au total, la procédure s’élève donc à 264 réaux, soit près
de 20% du montant de l’héritage. La vente aux enchères reste à l’évidence une
source de revenus.
La mise en place des ventes éveille également la concupiscence de certains
personnages et il serait vain de vouloir occulter cet aspect, car les almonedas
offrent bien la possibilité de récolter quelques réaux au détour de procédures
peu régulières. Ainsi, les exécuteurs testamentaires, non rémunérés pour leur
tâche, sont toutefois nombreux à défalquer quelques réaux des patrimoines des
défunts. À l’encontre des ordonnances et, en toute impunité, le capitaine Diego
Chamorro – exécuteur testamentaire – s’octroie 20 pesos pour le travail qu’il a
fourni lors de la liquidation du patrimoine du testateur 70.
Toutes les mises à prix ne sont pas cependant soumises à des pratiques
frauduleuses. Parfois, équipage et passagers réclament en toute bonne foi
330 qu’on les organise. En 1607, à bord du navire San Luis, la vente se déroule à la
demande des hommes du vaisseau 71. Même si le bâtiment se dirige vers les côtes
espagnoles, pourquoi ne vendrait-on pas les effets du défunt puisqu’ils le seront
à terre ? Dans l’ennui d’une longue traversée, cet événement stimule les hommes
et leur permet d’autre part d’acquérir des marchandises avant de débarquer.
Tabac, cochenille, indigo et sucre se rachètent facilement sur les flottes. En
effet, mariniers, soldats et passagers sont séduits par ces marchandises exotiques
dont ils espèrent tirer un prix plus élevé lors de la revente en Espagne. En 1611,
à bord du galion Nuestra Señora del Rosario, on présente les effets du défunt
Escipión de María à l’équipage. Un artilleur fait l’acquisition d’un pain de
liquidambar pour la modique somme de deux réaux et un porte-drapeau offre
quarante réaux pour un perroquet 72. Personne ne s’oppose à cette pratique :
elle convient aux officiers, aux simples membres d’équipage et aux passagers.
En 1619, lorsque le navire Capitana du Honduras regagne Séville, le même
enthousiasme gagne les hommes du vaisseau. Antonio de Zelada acquiert ainsi
trois livres de cannelle pour 26 réaux et deux livres de noix de muscade pour
20 réaux 73. C’est un marché exceptionnel qui se déroule sur le navire et les
hommes savent en tirer profit. Clous de girofle, châles de Chine, médailles en
bronze et boucles d’oreilles de verroterie se monnaient sur le bâtiment. Grâce à
ce système de vente qui se déroule en circuit fermé, la demande impose ses prix
sur les flottes peu avant d’accoster en Espagne.

70 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1689, leg. 463, n° 5, fol. 34.
71 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1607, leg. 5581, n° 72, fol. 4 : « A pedimiento
de la gente del dicho navio [se] hizo almoneda de los bienes del dicho difunto ».
72 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1611, leg. 300, n° 13, fol. 10.
73 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1620, leg. 341, n° 1, ramo 13, fol. 5-6.

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3- Le monde des acheteurs

Le profil des acheteurs a ensuite été analysé. En effet, l’acte d’une vente
aux enchères dressé sur un vaisseau espagnol révèle souvent l’existence d’un
réseau socioprofessionnel précis. Lorsque l’on vend les biens d’un marinier, la
plupart des acheteurs sont de simples gens de mer. Lorsqu’un soldat décède, les
principaux acquéreurs appartiennent au contraire aux corps de métiers des gens
guerre. Les ventes, pourtant libres et ouvertes à tous, pourraient donc être régies
par un système de solidarité et d’intérêts professionnels.
En 1626, la vente des biens du jeune mousse Domingo de Bohórquez se déroule
sur le tillac de La Concepción en présence de tous les membres d’équipage. Ses
vêtements élimés sont alors rachetés par le pilote, le contremaître, deux marins
et trois mousses 74. On constate une majorité d’humbles mariniers parmi les
acquéreurs. En 1621, sur le pont de la nef Nuestra Señora de los Reyes, la scène
est plus caractéristique. Les biens du soldat Antonio de Gámez sont présentés
dans une vente aux enchères. On recense seulement un mousse et un matelot 331
acquéreurs, contre deux artilleurs, quatre soldats et un sergent 75. La présence

la mort sur l’océan De la mort à la vie


des gens de guerre s’impose et l’on a le sentiment qu’en fonction de la profession,
le profil des acheteurs se modifie. En effet, qu’il s’agisse des biens d’un marin ou
d’un soldat, le patrimoine présenté reste souvent le même : un coffre en bois de
cèdre, des vêtements, parfois quelques marchandises exotiques et, pour finir,
une dague ou une épée. La vente des biens du matelot Laureano de Celaya est
à ce propos révélatrice. À bord du vaisseau Nuestra Señora del Rosario, lorsque
la mise à prix a lieu en janvier 1678, ce sont marins, mousses et pages qui
monnaient ses affaires 76. Il s’agit sans doute de ses anciens compagnons de
travail puisqu’ils sont onze matelots, cinq mousses et trois pages à racheter
ses vêtements, son épée et ses livres. Le maître, le contremaître et le gardien
font bien l’acquisition d’un ensemble de taffetas, d’une paire d’escarpins et
d’un petit panier, mais dans son ensemble le patrimoine est redistribué aux
compagnons. Chacun s’est emparé d’un pourpoint, d’une paire de bas, d’un
chapeau, d’un livre d’heures, d’une paire de ciseaux ou d’une chemise comme
s’il était indispensable de répartir parmi les compagnons de travail les objets
ayant appartenu au défunt. Au-delà de considérations socio-économiques et
d’intérêts professionnels, les ventes aux enchères semblent recouvrir dans un
élan de solidarité une dimension symbolique puissante. Autoriseraient-elles
à nouveau le souvenir du disparu en créant une compensation matérielle
et affective ?

74 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1626, leg. 368, n° 5, fol. 1.
75 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1621, leg. 950, n° 5, fol. 21-22.
76 AGI, Cont. Auto de Bienes de Difuntos, año de 1679, leg. 975, n° 1, ramo 1(1), fol. 24-25.

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C- Une dimension symbolique

Les ventes aux enchères recouvrent de multiples aspects ; si elles stimulent


les membres d’équipage qui investissent dans des vêtements ou dans des
marchandises, elles facilitent également une répartition homogène des biens
du disparu parmi ses compagnons. Ce système de solidarité semble en effet
répondre à deux fonctions. Les ventes aux enchères facilitent dans un premier
temps la mise en place d’un réseau d’entraide puisqu’elles permettent de secourir
la famille du défunt. C’est pour cette raison qu’un élan solidaire favoriserait la
naissance de réseaux professionnels unis face à la mort. Elles autorisent ensuite
un regain d’espoir et apaisent les peurs. Il semble en effet plus facile d’accepter
la mort sur les océans lorsque les ventes aux enchères ont lieu puisqu’un système
de compensation affective en découle. Elles offrent en effet aux camarades la
possibilité de faire leur deuil en créant une médiation matérielle. Par le biais
de l’objet acquis, le souvenir du défunt peut à nouveau se matérialiser et, en
332 l’absence de sépulture, cette modalité rassure un peu. C’est en fin de compte
un repère concret qui instaure à nouveau un lien spécifique entre le monde des
vivants et celui des morts. Les ventes aux enchères organisées sur le pont des
navires représentent un rituel compensatoire manifeste. Parées d’une dimension
symbolique, elles unissent les hommes face à la mort et renforcent les liens
sociaux le temps du deuil.

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Conclusion

S’intéresser aux navigations espagnoles et aux hommes qui y participent au


xviie siècle, étendre le champ de l’analyse à tous les océans afin de porter un
regard nouveau sur les comportements sociaux et culturels, tel était le propos de
cette étude. Au-delà des particularités du monde de la mer, c’est pourtant le reflet
de la société espagnole qui n’a cessé d’apparaître. L’administration omniprésente
dans l’organisation des convois, l’encadrement bureaucratique et ecclésiastique
en mer participent, il est vrai, de cette réalité. La prégnance des clivages sociaux
et d’un monde de privilèges sur les flottes rappelle ainsi avec force la structure
de la société espagnole. Certes, une donnée fondamentale aurait pu modifier 333
ce constat : la pluriactivité maritime. Mais si les professions se dédoublent, si

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Conclusion


les responsabilités augmentent, si les salaires croissent légèrement, n’est-ce pas
là un trait de la société espagnole et plus encore américaine ? Ainsi, à bord des
flottes le prestige social inhérent au rang professionnel est-il à peine rehaussé
par cette mobilité sociale, à l’image d’une réalité américaine qui fait miroiter des
perspectives, évanescentes, une fois arrivé sur le sol des Indes de Castille.
Au-delà d’un monde maritime marqué du sceau de l’altérité, c’est donc une
organisation basée sur les principes fondamentaux de la société espagnole du
xviie siècle qui est apparue. L’encadrement royal et ecclésiastique facilite ce type
de prolongements : il permet aux acteurs océaniques d’évoluer au sein d’un
monde structuré et offre des repères rassurants. La communauté des gens de
mer et de guerre ainsi que celle des passagers désirent en effet maintenir un
lien puissant avec le reste de la société, et même si les conditions de navigation
modifient parfois les comportements, sur les flots, la plupart se reproduisent.
L’inventaire et l’analyse des pratiques quotidiennes sur les vaisseaux, comme
le repos, l’alimentation, le travail ont constitué des terrains de travail riches en
spécificités. La perception du temps sur les océans, et notamment le respect du
calendrier liturgique, a de plus été révélatrice, car, en dépit de l’éloignement
de la paroisse, les hommes s’attachent à perpétuer les rites religieux. Dans une
union sacrée avec le divin et avec la communauté des fidèles, gens de mer et
de guerre assurent la continuité d’un environnement spirituel rassurant sur les
océans qui inspirent, eux, les plus grandes craintes.
La vie en mer est en effet placée sous le signe du danger et de la mort. Celle-ci,
plus présente qu’à terre, provoque des sentiments contradictoires. Elle s’abat
violemment sur le navire ou s’immisce lentement dans les corps malades.

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L’analyse des représentations matérielles et symboliques de la mort en mer
s’imposait alors, car, on l’a vu, elle s’inscrit dans un contexte particulier : l’espace
océanique est considéré comme un lieu de démesure et, dans ces conditions,
disparaître sur l’océan provoque une angoisse eschatologique nouvelle. Face au
vide religieux entourant la mort en mer, les hommes cherchent des alternatives
et les rites protecteurs offrent les premiers éléments de réponse. Ils signalent un
besoin sécuritaire exacerbé et dévoilent également une lente christianisation
des espaces océaniques. Naturellement, cette conquête des étendues maritimes
s’inscrit dans un dessein d’évangélisation à l’échelle du monde. Les talismans
sont ainsi lentement remplacés par des agnus dei, des images pieuses sont clouées
au grand mât et des représentations de la Vierge Marie ornent les poupes
des galions. Face aux dangers, les hommes ont toujours pratiqué des rites
conjuratoires, c’est pourquoi ils s’entourent d’objets aux vertus apaisantes en
mêlant parfois des pratiques païennes au christianisme dominant. Les apports
334 sont en effet ambivalents, le système de références catholiques s’impose, mais
les hommes l’adaptent aussi.
La rédaction d’un testament fait ensuite partie de la préparation à l’au-delà
qui apaise les craintes ; il s’agit à n’en point douter d’une forme de piété,
d’une recherche de protection sur ces mers lointaines et d’un désir matériel et
symbolique de survie au-delà du trépas. Le salut de l’âme tourmente aussi bien
les humbles artilleurs, les riches commerçants que les jeunes passagères, car ces
hommes et ces femmes sont simplement des Espagnols pieux. Ils possèdent
une sensibilité religieuse qui s’exacerbe en mer, mais qui répond avant tout à
un schéma culturel et religieux. Toutefois, face aux conditions déconcertantes
d’inhumation, il faut atténuer la perspective angoissante d’une immersion
océanique ; la rédaction des dernières volontés participe alors de cette pensée
du salut. Elle compense sans doute, avec la confession, une sépulture marine
tant redoutée, elle attire la grâce divine et se garde bien de mentionner la réalité
maritime. Cette négation de l’espace océanique, on l’a compris, témoigne en
fait d’un besoin d’appartenance à la communauté des fidèles : loin de leur
paroisse, passagers, gens de mer et de guerre désirent vivre les derniers instants
de l’existence comme les autres membres de l’Église. Ainsi, les pratiques
recensées dans les testaments ne sont-elles pas placées sous le signe des océans,
mais s’apparentent à celles de la communauté des chrétiens. Si les gens de mer
possèdent finalement des formes de piété différentes, elles s’intériorisent plus
qu’elles ne s’expriment.
Malgré les multiples analogies recensées, la réalité maritime impose toutefois
ses contraintes et l’inhumation en mer en est la plus douloureuse. Face à la
disparition du corps, à l’absence d’un lieu recueillement, les hommes luttent
contre l’oubli du disparu et organisent alors dans un élan communautaire des

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ventes aux enchères sur le tillac des navires. La portée matérielle et symbolique
de cet acte est sans équivoque ; il s’agit là d’un rite compensatoire qui facilite
le travail du deuil et qui autorise à nouveau le souvenir du trépassé parmi les
hommes du navire.
Le monde des navigations se présente donc tel un microcosme qui évolue
au fur et à mesure de nouvelles influences. Il est tout à la fois le creuset et le
miroir d’une nouvelle société. Il contient et reproduit le fonctionnement social
et culturel tout en l’altérant légèrement, apportant au fil des ans de nouvelles
références et évoluant à l’instar de la société espagnole et américaine. C’est
à l’aune de cet antagonisme qu’il faut comprendre le monde des navigations
espagnoles. Reflet et distorsion de la société, image figée puis changeante de
celle-ci, il contient des rapports ambivalents. Il met en scène les hommes
du xviie siècle, cosmopolites et mobiles, qui participent au désenclavement
planétaire. Les acteurs océaniques et les passagers sont en fin de compte les
médiateurs et les représentants d’une Europe et d’une Amérique en évolution. 335
Ils portent en eux les connaissances culturelles, sociales et religieuses en les

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Conclusion


exportant de l’Espagne aux Indes de Castille, de l’Amérique aux Philippines
puis de ces nouveaux territoires dans la Péninsule.
Ces renseignements précieux sur les acteurs océaniques du xviie siècle ont
été puisés dans la source documentaire émanant de l’Institution des Bienes de
Difuntos. Cette administration royale nous a encore permis de jeter un regard
novateur sur la genèse d’un État tout puissant. La monarchie absolue se reflète
en effet au miroir de cette institution qui étend son domaine d’influence par-
delà les océans, pénètre lentement dans la sphère du privé et assied son pouvoir
en créant un système inédit de protection successorale en Amérique, en Espagne
et sur les vaisseaux de ses flottes. Mais la source documentaire exploitée pour
ce travail, nous en sommes consciente, a orienté nos conclusions et le caractère
éminemment administratif des documents a offert une vision particulière des
événements. Même si le voile a été légèrement levé sur le monde maritime
espagnol, il reste encore de nombreux chemins à parcourir avant de découvrir
la complexité des liens tissés entre l’Espagne, l’Amérique et les confins du
monde.

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Tableaux

Tableau n° 1 : Répartition professionnelle des 1 046 personnes recensées


dans les dossiers datant de 1598 à 1717
Gens de mer   Gens de guerre  
337
Alguazils 4 Amiraux 3
Aumôniers 9 Armurier 1

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Conclusion


Calfats et charpentiers 19 Artilleurs 67
Chirurgiens et barbiers 9 Au service du roi 1
Contremaîtres 24 Barrenador 1
Cuisinier 1 Capitaines 32
Dépensiers de navire 14 Capitaines d’infanterie 4
Gardiens 9 Caporaux 17
Greffiers 20 Fantassin 1
Lanternier 1 Généraux 3
Maîtres 37 Gouverneur 1
Marins 194 Mestre de camp 1
Mousses 100 Porte-drapeaux 16
Pages 20 Sergents 2
Pilotes 42 Soldats 160
Plongeurs 2 Sous-officiers d’artillerie 12
Tonneliers 5 Tambours 2
Trompette 1
TOTAL 510 TOTAL 325
Sans précision 28
Passagers 183 TOTAL général 1 046

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Tableau n° 2 : Causes de décès recensées dans les 1 046 dossiers datant de 1598 à 1717
PASSAGERS Nombre Pourcentage
Maladie 129 70 %
Naufrage 11 6 %
Noyade 4 2 %
Combat 2 1 %
Accident 1 1 %
Foudre 1 1 %
Sans précision 35 19 %
TOTAL 183 100 %

MARINS Nombre Pourcentage


Maladie 59 30 %
Noyade 40 21 %
Combat 20 10 %
Naufrage 17 9 %
Foudre 4 2 %
Accident 3 2 %
338
Assassinat 2 1 %
Sans précision 49 25 %
TOTAL 194 100 %

MOUSSES Nombre Pourcentage


Noyade 22 22 %
Maladie 21 21 %
Naufrage 14 14 %
Combat 9 9 %
Accident 3 3 %
Foudre 1 1 %
Sans précision 30 30 %
TOTAL 100 100 %

GREFFIERS Nombre Pourcentage


Maladie 6 30 %
Naufrage 2 10 %
Noyade 1 5 %
Sans précision 11 55 %
TOTAL 20 100 %

CAPITAINES Nombre Pourcentage


Maladie 19 59 %
Naufrage 3 10 %
Combat 1 3 %
Noyade 1 3 %
Disparition 1 3 %
Sans précision 7 22 %
TOTAL 32 100 %

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PILOTES Nombre Pourcentage
Maladie 19 45 %
Noyade 5 12 %
Combat 5 12 %
Naufrage 4 10 %
Sans précision 9 21 %
TOTAL 42 100 %

ARTILLEURS Nombre Pourcentage


Maladie 22 33 %
Naufrage 13 19 %
Combat 4 6 %
Noyade 3 5 %
Accident 2 3 %
Suicide 1 1 %
Sans précision 22 33 %
TOTAL 67 100 %
339
SOLDATS Nombre Pourcentage

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Conclusion


Maladie 47 29 %
Naufrage 44 28 %
Combat 26 16 %
Accident 2 1 %
Noyade 2 1 %
Rixe 1 1 %
Sans précision 38 24 %
TOTAL 160 100 %

CONTREMAÎTRES Nombre Pourcentage


Maladie 12 50 %
Combat 5 21 %
Naufrage 1 4 %
Noyade 1 4 %
Sans précision 5 21 %
TOTAL 24 100 %

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Annexes

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Annexe n° 1

Carta de Diligencia de Francisco Borges del Riego

Document imprimé, remis aux autorités de la ville de Barcelos, au Portugal,


en 1605. Le décès du passager Francisco Borges del Riego est consigné ainsi
que la somme d’argent à percevoir par les héritiers. Ces derniers disposent
d’une trentaine de jours pour se manifester auprès des autorités de la Casa de
la Contratación afin de réclamer les 18 088 maravédis, une bague en or et un
agnus dei en argent.
342
Localisation :

Archivo General de Indias


Contratación
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1605
Legajo 271, n° 2, ramo 16, fol. 16

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343

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Annexes

© España. Ministerio de Cultura. Archivo General de Indias

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Annexe n° 2

Couverture de l’auto de Bienes de Difuntos de Joaquin Carrasco

L’en-tête du document représente un squelette brandissant une flèche et posant


son pied, dans une attitude dominatrice, sur la Terre. À Mexico, au Museo
Nacional del Virreinato, on peut également observer une représentation de la
mort américanisée et parée de tous ses symboles, notamment d’un arc et d’une
flèche. Voir le tableau intitulé Origen y destino del hombre (anonyme, 1775). À ce
propos, consulter l’ouvrage de Sebastián Santiago, Arte Novohispano. Iconografía
344 e Iconología del arte Novohispano, Italia, Publicación Grupo Azarache, Edición
Diblo S. A., 1992.
Localisation :

Archivo General de Indias


Contratación
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1772
Legajo, 5668, n° 3, fol. 1

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345

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Annexes

© España. Ministerio de Cultura. Archivo General de Indias

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Annexe nº 3

Couverture de l’auto de Bienes de Difuntos de Miguel Suber

Les représentations iconographiques décorant la première page du dossier sont


d’une grande richesse. La tête de mort n’est pas sans rappeler les pavillons pirates,
le crâne semble coiffé d’un bandeau et les os croisés évoquent certainement cette
nouvelle représentation de la mort « américanisée ». Le sablier et la bougie,
deux éléments symboliques du temps, sont présents dans cette illustration.
Le squelette accroché au « t » de testimonio pourrait enfin évoquer ces corps
346 pendus au gibet et exhibés au regard de tous, telle la mort provocatrice et
quotidienne.
Localisation :

Archivo General de Indias


Contratación
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1772
Legajo, 5670, n° 2, fol. 1

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347

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Annexes

© España. Ministerio de Cultura. Archivo General de Indias

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Annexe n° 4

Transcription de l’inventaire et de la vente aux enchères des biens de Domingo


de Ursola

Dans l’auto de Bienes de Difuntos du mousse Domingo de Ursola, on découvre


l’inventaire de ses biens dressé en 1637, à bord du navire Jesús María y Josefe, en
présence du maître de navire, de plusieurs témoins et du greffier. Cette pièce
administrative présente un double intérêt. Elle décrit non seulement les maigres
effets du mousse, mais relate également les circonstances dramatiques de son
348 décès. L’acte de la vente aux enchères apparaît ensuite dans le dossier. Il précise
le nom des acheteurs, parfois leur profession et le prix auquel ils acquièrent les
hardes du jeune marin.
Localisation :

Archivo General de Indias


Contratación
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1638
Legajo, 964A, n° 1, ramo 6, fol. 3-4

237_vmne_c7d.indb 348 8/09/09 20:24:25


INVENTAIRE 

En la mar, dentro de la nao nombrada Jesus maria josefe de que es maestre Juan
de Palacio, en el paraje de la bermuda, en treinta y tres grados segun lo que dijo
bartolome guillen Piloto desta nao, yendo navegando en ella de la habana para
España, en quatro de octubre de mill y seiscientos y treinta y siete años. Estando
aferrando la cebadera con un poco de viento que sobrevino de repente cayó a la mar
domingo de Ursola grumete de la dicha nao y aunque se hicieron muchas diligencias
por socorrerlo por orden del dicho maestre y piloto no se pudo socorrer y se ahogó
sin haver hecho testamento por cuya causa y por cuya muerte y por orden del dicho
maestre se hiço ynventario de los bienes y soldada en la forma y manera siguiente.
Primeramente en Presencia del dicho maestre y de la jente de mar del dicho navio
se abrió una caja pequeña de pino que era del dicho domingo de Ursola grumete
349
difunto y dentro de ella se hallo un calçon y ropilla de jergueta pelderrata viejo
Yten un jubon Blanco traido

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Annexes


Yten unas medias de lana blancas traydas de punto
Yten dos balonas unas con puntas y otra llana traydas
Yten un sombrero negro traido
Yten dos camisas bretonas traydas
Yten un par de zapatos de cordoban traydos
Y no se hallaron otros bienes del suso dicho en la dicha caja ni en la dicha nao
Yten trescientos y veinte y seis reales que el dicho maestre le resta debiendo de la
soldada de grumete de la dicha nao porque aunque la soldada que ganó de grumete
de la dicha nao como los demas y en que fue concertado en presencia de mi el presente
escribano de que doy fee de que fueron quarenta y seis ducados se bajaron cien reales
de plata que recibió de socorro por quenta de ella en cadiz antes que salieron a
hacer el viaje = Y asismismo se le bajan de la dicha soldada diez pesos que asimismo
le dio el dicho maestre en cartajena en mi presencia como consta de mi libro de
aberiguaciones y socorros Y en prestamos hechos a la dicha jente de mar de la dicha
nao y con esto se acavó el dicho ynbentario y se hiço cargo el dicho maestre para
dar cuenta de su prosedido cada [vez] que se le pida, siendo testigos Diego Ramos y
Francisco Gonzalez y Roque Rodriguez marineros de la dicha nao y lo firmo de mi
nombre de que doy fe.
Francisco de Flores
Escribano

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ACTE DE LA VENTE AUX ENCHÈRES DES BIENS DE DOMINGO DE URSOLA :

E Luego Incontinente en el dicho dia mes y año dicho en la dicha nao y en el dicho
paraje el dicho Juan de Palacios maestre hiço la almoneda de los dichos bienes y se
vendieron en la forma siguiente =
Primeramente se Remató el dicho calçon y ropilla de jergueta
en tres pesos en gonçalo Fernandez grumete desta nao que los
pagó de contado y entregó al dicho juan de Palacios maestre
que los recivió. 24 Reales
Yten se remató en Diego barriera grumete desta nao un jubon
blanco de lienzo y las medias blancas de lana blanca en catorce
350 reales que pagó en contado y recibió en su poder el dicho juan de
Palacios maestre. 14 Reales
Yten se remató en clemente Romero paje desta nao las dos balonas
Y sombrero ynventariados en diez reales que entregó en contado al
dicho maestre. 10 Reales
Yten se remató en Gregorio de Sossa grumete desta nao las dos
Camisas bretonas y par de zapatos deste ynventario en veinte reales
Que pagó en contado al dicho maestre. 20 Reales
Yten se Remató la dicha arca de madera de pino deste ynventario
en francisco fernandez marinero desta nao en ocho reales que pagó
en contado al dicho maestre. 08 Reales
________
76 Reales
Con lo Qual Se acavó la dicha almoneda que montó segun los
Precios en que se remataron los dichos Bienes setenta y seis reales que recibió el dicho
maestre para dar quenta dellos cada [vez] que se le pida y fueron testigos geronimo
garcia capintero desta nao y juan Sanchez galafate y francisco de Lugo marinero de
que doy fe y lo firmo.
Francisco de Flores
Escribano

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Annexe n° 5

Transcription du contrat passé entre le marin Francisco Bello et le capitaine


de son navire don Juan de Figueroa, en 1634, à La Havane

Les contrats passés entre marin et capitaine sont assez rares dans la
documentation. Dans une société qui s’éveille aux pratiques de l’écriture, il
n’est pas surprenant pourtant d’en retrouver des traces. On lit dans le document
le détail des obligations du marin et le montant de sa solde, il s’agit d’un forfait
pour un voyage de La Havane à Sanlúcar de Barrameda s’élevant à 33 ducats
d’argent. Sans grande formalité ni phrase pompeuse, le contrat est placé sous le 351
signe de la croix et de la protection divine : « llevándonos dios a salvamento ».

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Annexes


Localisation :

Archivo General de Indias


Contratación
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1635
Legajo, 961, n° 3, fol. 3

Somos avenidos y conzertados Yo y el capitan don Juan de Figueroa y Fuentes


dueño y señor que soi de la nao nombrada Jesus Maria y Josefe y Francisco Vello
marinero en la manera siguiente: que yo el dicho Francisco Vello boi conzertado en
la dicha nao por treinta y tres ducados de plata doble por los quales me obligo en la
ziudad de La Habana a descargar y cargar la dicha nao y assi mismo yr aziendo el
oficio de marinero ayudando en las faenas y en lo que se ofreciere en la dicha nao
y yo el capitan don Juan de Figueroa me obligo, Llevandonos dios a salbamento a
la ziudad de Sanlucar, echada que sea la primera ancora, de dar y pagar los dichos
treynta y tres ducados. Y ansi por lo que a cada uno toca damos poder a las justicias
de su magestad asi de esta ciudad como a otras quales quieras partes y lugares que
sean para que nos lo agan guardar y cumplir y lo firmamos de nuestros nombres
siendo testigos Alonso Gutierrez y Martin Rubio que es fecho en La abana a 20 de
enero de 1634 años. 
Francisco Bello
Don Juan de Figueroa y Fuentes

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Annexe n° 6

Contrat passé en 1604 entre le marin-barbier Juan de Mon et le capitaine de son


navire Anton de Sossa, dans le port de Bonanza

Juan de Mon s’engage à effectuer une double profession de marin et de barbier


sur ce vaisseau marchand. Il décline ses compétences de façon naturelle, car il est
nécessaire sur un petit navire de savoir s’adapter et de développer des aptitudes
polymorphes de travail. Une solde de 90 ducats est prévue pour cette double
352 activité, de Sanlúcar de Barrameda à Santo Domingo, puis de l’île des Caraïbes
en Espagne.

Localisation :

Archivo General de Indias


Contratación
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1605
Legajo, 937, n° 14, fol. 3

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353

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Annexes

© España. Ministerio de Cultura. Archivo General de Indias

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354

© España. Ministerio de Cultura. Archivo General de Indias

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Annexe n° 7

Transcription du testament du mousse Marcos Fernández rédigé par


l’aumônier du navire Santiago en 1625

À bord du navire Almiranta Santiago, il n’y a plus de greffier, car ce dernier


a décidé de rester aux Indes. L’aumônier entreprend alors la rédaction du
testament du mousse Marcos Fernández qui lui a déjà demandé d’être entendu
en confession et de recevoir les sacrements. Dans cette déclaration des dernières
volontés, on observe l’importance du rôle de l’ecclésiastique. Il n’hésite pas 355
à rédiger le testament du jeune homme et à décrire les sentiments de piété

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Annexes


qui l’animent. Personnage central, le chapelain du vaisseau soulage les âmes et
facilite le passage vers l’au-delà.

Localisation :

Archivo General de Indias


Contratación
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1626
Legajo 954, n° 39, fol. 2

237_vmne_c7d.indb 355 8/09/09 20:24:33


En la mar, en beynte y dos dias del mes de nobiembre de mill y seisientos y
beinteicinco años, en esta nao almiranta nombrada Santiago, de la flota de nueba
españa del cargo del General don Gabriel de Chaves, en presencia de mi Alonso
de Aranda Moscoso presbitero notario apostolico y capellan de la dicha nao y de
testigos que se hallaron presentes, pareció marcos fernandez, marinero, mozo soltero,
natural de la villa de tabira, de nacion portugués, y me pidió que por estar como
está, enfermo del cuerpo y sano de la voluntad, y en su libre juicio, quería confesar
y rrecebir los santos sacramentos de la santa yglesia como catolico cristiano que
356
lo es, y que debajo desto piensa bibir y morir, y tambien por si fuese dios servido
de lleballo para si quería disponer de lo poco mucho que tubiese y de lo que iba
ganando de su sueldo desta dicha nao para que haga bien por su alma por morir
moço y aberlo sido, y para que dios le perdone sus pecados ordenaba y mandaba por
su ultima y postrimera voluntad encargandome en toda su conçiençia para que por
su alma haga todo el bien que pudiere con todo lo que le perteneciere, y lo que en
confession me a comunicado y que para esto me daba todo el poder cumplido quanto
derecho se rrequiere para que cobrado todo lo que pareciere debersele y lo disponga
a mi voluntad y conforme a esto que tiene ordenado y tratado debajo de la dicha
confession que hiço. Todo lo qual tengo por bien y rreboco y anulo todo lo de antes
deste que aya hordenado y mandado y que en esto no aya dilación, a todo lo qual
se hallaron presentes pedro de Carabajal, despensero de la dicha nao, y domingo
barrero, artillero, y domingo fernandez, armero, y alonso de pumario, grumete,
todos oficiales desta dicha nao a los quales doi fe que conozco, y por no saber escribir
el otorgante lo firmó un testigo, y por este poder esta tubiese mas fuerça y valor por
falta de escribano que en esta nao no lo ay que se quedó en las indias, pasó antemi
como tal notario apostolico y Capellan y cura desta dicha nao y en testimonio de
verdad doi fe dello y hice mi signo.

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Annexe n° 8

Testament de l’artilleur Pedro Rodríguez Casado rédigé sur le navire Nuestra


Señora de la Esperanza en 1608

Dans cette déclaration des dernières volontés, on observe la maladresse du


greffier escamotant les formules notariales tout en laissant transparaître les
sentiments du testateur. L’invocation se présente sous une forme originale, la
peur de la mort est deux fois évoquée et l’on suppose dès lors que les paroles de
l’artilleur viennent modifier les formules du greffier. 357

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Annexes


Localisation :

Archivo General de Indias


Contratación
Auto de Bienes de Difuntos, año de 1609
Legajo, 287, n° 1, ramo 2, fol. 6

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© España. Ministerio de Cultura. Archivo General de Indias

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vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Annexes

© España. Ministerio de Cultura. Archivo General de Indias

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INDEX des noms de lieux et des notions

A B

Acapulco 30, 49, 71, 72, 77, 109, 161, 177, Bahamas 73, 186
231 Baléares 137
Açores 68, 73, 230 Bermudes 30, 73, 255, 256, 261
Afrique 23, 81, 88, 124, 161, 194, 228, Blasphèmes 82, 215-218
230, 232
Buenos Aires 23, 68, 70, 71, 76, 88, 95,
Agnus dei 8, 151, 152, 251, 252, 334, 342 121, 130, 177, 192, 196, 198, 239, 286, 319
Algarve 21, 135
383
Alphabétisation 297, 298 C

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Index des noms de lieux et des notions
Âmes du Purgatoire 249, 309, 311, 312, 313 Cadix 26, 48, 49, 57, 60, 61, 63, 68, 70,
Amitié 95, 116 74, 81, 87, 115, 126, 138, 162, 183, 187,
199, 208, 231, 235, 237, 288, 291, 301,
Amour 278, 284, 302, 305, 307, 308, 312
317
Ancien Régime 44, 78, 127, 232, 257
Callao 70, 71, 81, 87, 197, 198
Andalousie 8, 60, 126, 129, 130, 137, 138,
141, 158, 161, 228, 230, 244, 312
Campeche 68, 96, 139, 144

Angleterre 78, 84, 134, 150, 161 Canaries 67, 68, 69, 129, 137, 229, 230

Antilles 57, 60, 68, 71, 194 Cantabrique 129, 131, 137, 138

Aragon 88, 129, 137 Carrera de Indias 7, 15, 48, 61, 62, 67, 74,
75, 77, 80, 86, 103, 105, 107, 110, 113,
Arica 197, 303
115, 125, 133, 136, 138, 141, 151, 235, 249,
Asie 67, 81, 193, 194, 232, 247, 251, 301 284, 305
Asiento 88 Carthagène 13, 26, 62, 69, 71, 151, 206,
Assassinat 212, 213, 221, 222, 257, 258, 214, 240, 244, 255, 269, 291, 321
266, 338 Casa de la Contratación 7, 15, 19, 20, 23,
Asturies 129, 131, 137 26-28, 30, 31, 33, 35-40, 43, 44, 47, 48,
Atlantique 7, 22, 26, 57, 59, 63, 68-70, 51, 52, 54, 59, 60, 62-65, 74, 76, 89, 95,
73-77, 80, 81, 84, 85, 87, 88, 107, 114, 103-105, 126, 130, 132, 133, 135, 142, 146,
115, 123, 135, 136, 138, 148, 152, 157, 159, 154, 223, 262, 301, 307
170, 182, 184, 187, 194, 197, 201, 202, Castille 7, 13, 20, 28, 43, 45, 46, 58, 60, 67,
227-230, 236, 238, 241, 250, 258, 262, 88, 101, 110, 117, 129, 130, 137, 138, 140,
274, 293, 294, 304, 307, 318 154, 167, 193, 205, 235, 248, 267, 333, 335
Avignon 134, 136 Catalogne 129, 137
Chili 61, 147, 210

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Chine 22, 36, 146, 151, 247, 296, 328, 330 Émigration 46, 115, 128, 130, 131, 133,
Chipiona 23 140, 143, 144, 146

Commerce 13, 48, 57, 74, 75, 104, 107, Endogamie 111
110, 130, 132, 135, 138, 146, 150-153, 204, Enfants 8, 93, 94, 96, 127, 140-143, 147,
242, 243, 246, 292, 299, 300, 301, 310 162, 163, 182, 219, 238, 245, 286, 295,
Compagnons 35, 77, 82, 95, 98, 108, 119, 307, 319, 326
149, 155, 157, 165, 166, 182, 199, 208, Enrôlement 14, 126, 133, 134, 136, 138,
209, 215, 216, 218, 263, 265, 267-271, 140, 141, 143, 145-147
275, 278, 279, 287, 292, 315, 318, 319, Esclaves 8, 62, 82, 88, 95, 110, 116-120,
322, 323, 328, 331, 332 135, 146, 158, 159, 163, 192, 198, 199, 293
Comportements 8, 14, 16, 58, 84, 159, 174, Espagne 13, 15, 16, 19-24, 26, 27, 30-33,
217, 219, 220, 221, 333 35-41, 43, 44, 46-48, 50-52, 54, 58, 60,
Confession 121, 213, 238, 272, 273, 275, 62-65, 67, 69, 70, 73-76, 87-89, 95, 97,
277, 278, 281, 282, 294, 334, 355 100, 105-108, 111, 114, 116, 119-122, 124,
Conseil des Indes 22, 33, 37, 48, 49, 126, 125, 127, 128, 131, 133-138, 140, 143-148,
384 135 150-155, 157, 158, 161, 163-165, 173, 175,
179, 182, 185, 187, 189-196, 198, 200,
Consulado de Mercaderes 48, 106, 107, 130
202, 204, 205, 216, 219, 221, 232, 233,
Contrats 149, 351, 352 234, 238, 243, 245-247, 253, 255, 272,
Contre-Réforme 189, 203, 204, 244, 246 276-279, 283, 287-289, 291, 292, 297,
Copacabana (Vierge) 121, 180, 205, 241, 298, 301, 303, 306, 308, 311-313, 317,
246, 247, 248 318, 321, 325, 329, 330, 335, 352

Cuba 7, 49, 62, 68, 73, 103, 147, 325 Estrémadure 8, 61, 129, 130, 137, 138,
141, 288
D État 20, 40, 44-46, 50, 140, 335

Danemark 134, 136 Europe 13, 67, 137, 152, 189, 204, 228,
232-234, 237, 244, 246, 247, 301, 304,
Dévotion 81, 121, 153, 191, 202-204, 233,
335
234, 239, 241-250, 252-254, 279, 280,
286, 293, 296, 306-313
F
Discipline 96, 104, 116, 222
Dominique (La) 68 Famille 7, 8, 28, 39, 41, 46, 58, 64, 95,
139-142, 145, 147, 148, 182, 197, 221,
Duché de Savoie 134, 136
227, 233, 235, 260, 269, 298, 303, 306,
307, 318, 327, 332
E
Femmes 22, 61, 84, 95, 96, 100, 110, 126,
Écrit 32, 33, 54, 68, 72, 99, 100, 106, 147, 140, 142, 143, 147, 153, 157-160, 162-165,
154, 179, 193, 199, 205, 234, 257, 264, 175, 182, 198, 200, 217, 221, 232, 252,
284, 289, 290, 294, 295, 298-301 262, 276, 286, 295, 299, 307, 334
Écriture 36, 201, 206, 254, 264, 265, 281, Fêtes 14, 187, 189‑223, 237, 304
287, 297-301, 329, 351
Flandres 75, 76, 82, 129, 133, 134, 136, 161

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Flotte de la Nouvelle Espagne 31, 47, 55, Hygiène 14, 77-79, 89, 101, 176, 177, 179,
67, 68, 71, 80, 86, 97, 101, 110, 111, 139, 257
178, 214, 217, 243, 267, 275, 304, 307
Flotte de Terre Ferme 68, 69, 71, 87, 88, I
137, 174, 240, 247
Îles Mariannes 72
France 21, 40, 64, 79, 82, 122, 124, 134,
136, 150, 155, 163, 164, 168, 169, 178,
Immersion 7, 15, 81, 236, 251, 252, 304,
316-319, 321, 334
189, 199, 208, 237, 251, 313
Fraude 20, 24, 31, 32, 38, 42, 44, 126, 146, Inquisition 129, 132, 200-202, 205, 216,
293, 295, 304, 305
323, 330
Funérailles 25, 47, 52, 53, 233, 234, 276, Institution des Biens des Défunts 15, 16,
19, 22, 23, 25, 31-36, 38, 40-42, 44-46,
303-305, 317-321, 323
48, 51, 59, 87

G Intimité 120, 167, 168, 179, 180, 201, 220,


275
Galice 129, 131, 137, 138
385
Galion de Manille 30, 67, 71, 72, 76, 77, J
86, 87, 95, 109, 112, 116, 117, 145, 146,

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Index des noms de lieux et des notions
Japon 72, 145
153, 161, 177, 184, 192, 195, 196, 252,
270, 295-297 Jésuites 64, 68, 70, 77, 78, 81, 82, 130,
147, 178, 184, 187, 194, 198, 199, 210,
Gênes 129, 133, 134, 136, 160
239‑241, 247, 251, 280
Golfo de la Damas 68, 162
Judéoconvers 289
Golfo de las Yeguas 67
Justice 24, 32, 34, 42, 79, 219, 220, 222,
Gomera 24 277
Grenade 38
Guadalquivir 23, 67, 74, 137, 138 L
Guadeloupe 68, 178
La Havane 21, 26, 49, 73, 88, 125, 126,
255, 262, 325, 351
H
La Veracruz 26, 67, 68, 71, 73, 81, 110,
Héritages 15, 16, 22, 28, 33-36, 46, 47, 154, 255, 264
49, 52, 100, 132, 133, 135, 143, 276, 292, Lecture 40, 53, 55, 64, 84, 99, 144, 145,
299, 330 149, 155, 183, 199-201, 205, 206, 263,
Hétérodoxie 306 268, 272, 279, 280, 290, 297, 298, 301,
303, 322, 323
Hiérarchie 84, 93, 99, 108, 109, 111, 114,
116, 121, 138, 149, 175, 195, 214, 255 Lettre 13, 15, 28, 32, 33, 35, 41, 47, 50,
52, 55, 57, 58, 64, 82, 100, 135, 147, 153,
Homosexualité 109, 219-221
154, 158, 199, 240, 293, 299, 300, 322
Honduras 68, 103, 108, 113, 139, 143, 144,
221, 267, 330
Lima 71, 121, 131, 132, 147, 161, 196, 289

Huelva 141, 235, 284, 309, 317 Linge 171-173, 175, 177-179, 181, 318, 326
Lisbonne 21

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Littérature 206, 228 Navires sueltos de registro 70, 74, 86, 87
Los Reyes 22, 49 Noblesse 110, 111, 121, 122, 163
Nouvelle Espagne 22, 26, 30, 31, 39, 46,
M 62, 67, 123, 135, 158, 183, 187, 193, 199,
200, 239, 240
Madrid 49, 64, 78, 167
Magie 248, 249, 251, 253, 254
O
Malacca 88
Malversations 36, 38, 44, 119, 274, 275, Occident 67, 123, 215, 228, 229, 233,
237, 239, 248, 280, 305, 309, 315, 316,
278
318
Manille 22, 67, 71, 72, 77, 117, 146, 161,
177, 205, 231, 240, 255
Océan Indien 88

Margarita 70 P
Martinique 68
Pacifique 30, 63, 70, 76, 114, 116, 119, 157,
Mer du Sud 30, 34, 70, 71, 76, 82, 86, 87,
386 177, 184, 187, 205, 223, 236, 239, 244,
109, 120, 146, 187, 252, 261, 273, 303,
251, 261, 304
328
Panama 69-71, 81, 87, 198
Milan 129, 133, 160
Parenté 24, 28, 95, 139, 140
Missionnaires 64, 65, 77, 81, 82, 122, 159,
183, 184, 187, 194, 198-201, 211, 247, 251,
Patache de la Margarita 88, 139
252, 254 Pauvreté 100, 131, 141-143, 288, 309, 310
Mobilité sociale 150, 333 Pays basque 27, 60, 106, 107, 129, 130,
137, 138, 141, 161, 229, 249
Moguer 217
Morale 140, 273, 278, 280 Philippines 13, 15, 21, 23, 30, 72, 117, 145,
205, 325, 335
Mort 7, 8, 14-16, 19, 21-23, 25, 28, 38, 39,
45, 48, 49, 51, 52, 54, 60-64, 79, 83, 84,
Piété 204, 234, 242, 250, 272, 285, 303,
309, 310, 312, 313, 334, 355
89, 95, 96, 98, 99, 102, 106, 109, 117, 118,
124, 126, 141, 142, 146, 160, 163, 164, 166, Placencia 27
186, 193, 208, 209, 212, 214, 215, 220, Portobelo 69, 71, 88, 153, 203, 213, 219,
222, 223, 225, 227‑334, 344, 346, 357 255, 257, 300, 322
Mulâtre 117, 146, 267, 288 Porto Rico 68, 88, 103
Murcie 129, 137 Portugal 27, 45, 46, 62, 73, 95, 127, 129,
Musique 190, 191, 197, 198, 327 131-135, 146, 160, 187, 198, 288, 342
Potosí 71
N Promiscuité 75, 77, 79, 179, 182, 192, 201,
212, 258
Naples 134, 136
Puerto de Santa María 60, 115, 138
Navarre 129, 131, 137
Navires d’avisos 88
Navires négriers 71, 88

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R T

Real Armada de la Guardia de las Indias Triana 129, 137, 138, 308, 313
34, 68, 86, 109, 110, 112-114, 122, 125, Tribunaux des Biens des Défunts 20, 23,
131, 136, 172, 215, 273, 291, 299 24, 32, 53
Real Hacienda 21, 25, 26
Reconnaissance sociale 14, 100, 102, 107, V
120, 122, 167
Valence 137
Reliques 121, 192, 228, 248, 249, 250, 251,
254
Valladolid 27

Rites 15, 189, 192, 236, 237, 240, 241, 249, Venezuela 70, 88
251-253, 273, 333, 334 Veuves 37, 38, 47, 55, 142, 143, 158, 262,
327
S Vice-royauté de la Nouvelle Espagne 22,
30, 39, 46, 67, 129
Saint-Domingue 68, 76, 88, 103, 179,
205, 241, 244, 249, 250, 258, 262, 279, Vice-royauté du Pérou 22, 39, 46, 58, 387
311, 316, 352 129, 131, 147

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Index des noms de lieux et des notions
Salut de l’âme 25, 47, 52, 58, 234, 274, Violence 94, 189‑223, 228, 232, 233, 254,
276, 280, 281, 296, 309, 334 265, 266, 269, 321

San Juan de Ulúa 200, 201, 216, 238 Vision de la mort 233, 236
Sanlúcar de Barrameda 95, 125, 138, 158,
303, 308, 312, 313, 352
Santa Marta 70, 162, 163
Sépultures 15, 234-236, 255, 260, 261, 281,
294, 295, 302-305, 317-319, 322, 332,
334
Séville 13, 15, 22, 24, 27, 28, 30, 31, 36,
39, 49-52, 58, 61-65, 67, 68, 70, 71, 73,
74, 76, 106, 126, 129, 130, 133, 135-138,
141, 144, 146, 147, 153, 154, 183, 200,
205, 216, 227, 230, 235, 237, 241, 246,
255, 258, 262, 280, 293, 307, 308, 312,
321, 329, 330
Sexualité 164
Solidarité 140, 270, 271, 278, 318, 327,
331, 332
Suicide 258, 265, 266
Superstition 230-232, 237, 248, 249, 253,
254, 256

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Nº 1 : Plan de la ville et des alentours de Carthagène des Indes (1628), AGI,
Mapas y Planos – Panamá, 45. © España. Ministerio de Cultura. Archivo
General de Indias.

Nº 2 : Expédition aux îles Terceira (Açores) par les flottes espagnoles en 1582.
Détail d’une fresque de la salle des Batailles, San Lorenzo del Escorial
© Costa/Leemage.

Nº 3 : Domingos Sanches, Carte de l’océan Atlantique, de la mer Méditerranée, 389


d’une partie de l’océan Indien et de l’océan Pacifique (1618), Bibliothèque

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or Table des illustrations
nationale de France, Cartes et plans © BnF.

Nº 4 : Alejo Fernández, La Virgen de los mareantes (1535), polyptique, peinture


sur bois, Séville, Alcazar © Photo Josse/Leemage.

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TABLE DES MATIÈRES

préface d’Annie Molinié............................................................................................................... 7


Abréviations........................................................................................................................................ 9
Remerciements................................................................................................................................. 11
Introduction..................................................................................................................................... 13

première partie
Les biens des défunts
391
chapitre 1
L’institution des Biens des Défunts.............................................................................................. 19

vivre et mourir sur les navires du siècle d’or • pups • 2009


I- Aux origines : La naissance d’une institution........................................................................... 19
A. Les premières mesures législatives. ..................................................................................... 19
B. La nature des biens des défunts............................................................................................ 21
II- Fonctionnement – dysfonctionnement..................................................................................... 23
A. La procédure à terre................................................................................................................ 24
B. La procédure en mer............................................................................................................... 29
C. Dysfonctionnements............................................................................................................... 31
III- Une institution originale........................................................................................................... 40
A. Les « justes » raisons de sa création..................................................................................... 40
B. Les intérêts en jeu................................................................................................................... 42
C. Une spécificité espagnole ?.................................................................................................... 44
D. Une machine administrative au fil des siècles..................................................................... 46
IV- Le fonds documentaire des Biens des défunts....................................................................... 51
A. La composition d’un auto de Bienes de Difuntos. .............................................................. 51
B. Les particularités d’un dossier dressé à bord...................................................................... 53

chapitre 2
Un panorama historiographique................................................................................................ 57
I- Des perspectives de recherches variées. .................................................................................. 57
II- Les Bienes de Difuntos à travers l’Histoire............................................................................... 58
III- Méthodologie............................................................................................................................. 62

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chapitre 3
Les navigations espagnoles et les hommes............................................................................... 67
I- De Séville à Manille...................................................................................................................... 67
A. Les routes du xviie siècle.......................................................................................................... 67
B. Les routes du retour................................................................................................................ 72
C. Les flottes des Indes et leurs spécificités............................................................................. 74
II- Le navire, espace de travail et réalité symbolique.................................................................. 75
A. Confinement et promiscuité................................................................................................... 75
B. Le navire, un espace symbolique. ......................................................................................... 79
C. Le navire, espace du travail océanique................................................................................. 82
III- Les hommes en mer... Difunto en el mar, difunto a bordo..................................................... 83
A. Les morts sur l’océan.............................................................................................................. 83
B. Gens de mer, gens de guerre, une difficile répartition........................................................ 84
C. Analyse des décès en mer par flotte, route et trajet............................................................ 86

392
deuxième partie
Les hommes, les navires et la mer
réalités professionnelles et quotidiennes
chapitre 1
Les réalités professionnelles océaniques................................................................................... 93
I- La division du travail.................................................................................................................... 93
A. Gens de mer............................................................................................................................. 93
B. Gens de guerre...................................................................................................................... 109
II- Hiérarchie et reconnaissance sociale...................................................................................... 115
A. Quelques privilèges............................................................................................................... 115
B. Une reconnaissance sociale difficile................................................................................... 122
III- Prendre la mer.......................................................................................................................... 127
A. Le voyage et ses motivations............................................................................................... 127
B. De douloureux impératifs économiques............................................................................. 141
C. Une étape transitoire............................................................................................................ 143
IV- La pluriactivité à bord.............................................................................................................. 148
A. Un monde d’activités............................................................................................................ 148
B. Des médiations culturelles et affectives............................................................................. 153

chapitre 2
La vie en mer, les structures du quotidien............................................................................. 157
I- Le navire, espace de vie et de mort.......................................................................................... 157
A. Une discrète présence des femmes. ................................................................................... 157
B. Un espace de rencontres...................................................................................................... 160

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II- Les structures du quotidien..................................................................................................... 164
A. L’alimentation........................................................................................................................ 164
B. L’habillement......................................................................................................................... 168
C. L’hygiène................................................................................................................................ 176
D. Le repos.................................................................................................................................. 179
III- La perception du temps. ......................................................................................................... 182
A. Une perception des éléments, le temps universel............................................................. 183
B. Les quarts, le temps professionnel..................................................................................... 185
C. Les litanies et les prières, le temps du sacré...................................................................... 186

chapitre 3
Entre fêtes et violence.................................................................................................................. 189
I- Fêtes religieuses et profanes.................................................................................................... 189
A. Les fêtes religieuses. ............................................................................................................ 189
B. Les fêtes profanes................................................................................................................. 192
II- Les divertissements.................................................................................................................. 195
A. Distractions et passe-temps................................................................................................ 195 393
B. Jeux de hasard et pêches punitives..................................................................................... 207

vivre et mourir à bord des navires espagnols Table des matières


III- Violence des corps, violence des mots.................................................................................. 212
A. Une agressivité latente......................................................................................................... 212
B. Violence des corps................................................................................................................ 218

troisième partie
La mort sur l’océan
Représentations matérielles et spirituelles
chapitre 1
Attitudes face à la mort sur l’océan.......................................................................................... 227
I- La mer et la mort, représentations........................................................................................... 227
A. De l’Antiquité aux Découvertes, la mer et l’imaginaire..................................................... 227
B. La perception de l’espace maritime au xviie siècle............................................................. 230
C. La mort en mer, une inconnue.............................................................................................. 232
II- Entre profane et sacré.............................................................................................................. 237
A. Rites protecteurs................................................................................................................... 237
B. Objets de dévotion et protection céleste. .......................................................................... 241
C. Entre superstition et orthodoxie.......................................................................................... 248
III- Les violences de la mer........................................................................................................... 254
A. Hiérarchie du risque maritime............................................................................................. 255
B. Morts inattendues, stupeur et récit.................................................................................... 260

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chapitre 2
Représentations et réalités d’une mort quotidienne........................................................... 269
I- La préparation à la mort............................................................................................................ 269
A. La maladie, une présence insidieuse.................................................................................. 269
B. Confession et sacrements : le soulagement de l’âme....................................................... 272
C. Sans prêtre, quelle alternative spirituelle ?. ...................................................................... 278
II- La pensée de la mort à travers la pratique testamentaire.................................................... 279
A. Réalités matérielles et besoins spirituels. ......................................................................... 280
B. La pratique testamentaire.................................................................................................... 282
C. Une spécificité maritime ?.................................................................................................... 286
D. Le refus : no quizo testar...................................................................................................... 287
III- La nature du testament rédigé en mer.................................................................................. 289
A. Typologie................................................................................................................................ 290
B. Au fil des feuilles................................................................................................................... 295
C. Entre discours figé et formules notariales escamotées.................................................... 301

394 IV- Suffrages et intercesseurs...................................................................................................... 306


A. Dévotion et intercesseurs sur les océans........................................................................... 306
B. Yten pido que se digan por mi ánima................................................................................. 308

chapitre 3
De la mort à la vie......................................................................................................................... 315
I- Des funérailles en mer............................................................................................................... 315
A. Des préparatifs à la cérémonie............................................................................................ 315
B. Les sépultures maritimes..................................................................................................... 319
II- Quand la mort nourrit la vie..................................................................................................... 322
A. Une activité fébrile................................................................................................................ 322
B. La vie dans la mort................................................................................................................ 323
III- Réalités matérielles et dimension symbolique de la vente aux enchères......................... 324
A. Les ventes aux enchères....................................................................................................... 325
B. Réalités matérielles.............................................................................................................. 327
C. Une dimension symbolique. ................................................................................................ 332

conclusion. .................................................................................................................................. 333

Tableaux........................................................................................................................................... 337
Annexes............................................................................................................................................ 341
Bibliographie.................................................................................................................................. 361
Index des noms de lieux et des notions.................................................................................. 383
Table des illustrations.................................................................................................................. 389
Table des matières......................................................................................................................... 391

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Ill. 1. Plan de la ville et des alentours de Carthagène des Indes (1628), AGI, Mapas y Planos – Panamá, 45. © España. Ministerio de Cultura. Archivo General de Indias

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Ill. 2. Expédition aux îles Terceira (Açores) par les flottes espagnoles en 1582.
Détail d’une fresque de la salle des Batailles, San Lorenzo del Escorial © Costa/Leemage

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Ill. 3. Domingos Sanches, Carte de l’océan
Atlantique, de la mer Méditerranée,
d’une partie de l’océan Indien et de l’océan
Pacifique (1618), Bibliothèque nationale
de France, Cartes et plans © BnF

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Ill. 4. Alejo Fernández, La Virgen de los mareantes (1535), polyptique, peinture sur bois,
Séville, Alcazar © Photo Josse/Leemage

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