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HASSAN RACHIK

MSS

Université Hassan II – Ain Chok


Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales
Casablanca

Hassan Rachik

Méthodes des sciences sociales

Droit public et Sciences politiques


Semestre 1

Année universitaire 2016-2017

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HASSAN RACHIK
MSS

Le présent document vise l’initiation aux méthodes des


sciences sociales. Il est composé de notes de cours et d’extraits de
textes. Il ne peut être lu comme un texte autonome. Sa
compréhension exige des explications plus développées. Aussi la
présence au Cours est-elle indispensable.

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Séance : prise de contact

Bienvenue

1. Sens et implications du passage du lycée à la faculté.


 Lors de la vie scolaire les passages les plus importants sont sanctionnés par
des diplômes (CEP, bac, licence, doctorat), éventuellement accompagnés
par des rites et des cérémonies. Je vous invite à réfléchir sur la différence
entre être un lycéen et un étudiant.
 Changement de rôle social (un concept des sciences sociales).
 Changements dans l’emploi du temps, dans les méthodes d’enseignement,
dans le rapport aux enseignants et à l’autorité en générale.
- Principales différences : La faculté est un espace qui offre plus de liberté
que le lycée (portes fermées, surveillants, convocation des parents)
- Le rapport à l’autorité change : il n’est plus question de l’autorité physique
mais d’une autorité morale.
- Plus de liberté, plus de responsabilité, plus d’initiative. L’étudiante et
l’étudiant sont invités à être plus actifs, à ne pas tout attendre des cours, à
compléter le cours par des lectures personnelles (fiches de lecture), à aller à
la recherche de l’information.
- L’objectif principal du cours universitaire consiste à apprendre aux
étudiants comment apprendre par eux-mêmes.

2. Aperçu sur les sciences sociales


Présentation du contenu et du déroulement du cours

 Sciences sociales : Objets et méthodes


 Apprendre sur le tas, apprendre avec méthode.
 La première séquence portera sur la différence entre la connaissance
commune et la connaissance scientifique (exemples : vivre dans une famille,
connaître la famille ; échec scolaire, inégalité d’accès à l’enseignement
supérieur)
 Objectivité des faits sociaux, du chercheur
 Explication et compréhension
 Techniques de recherche : observation, entretien, questionnaire

4. Intérêt d’étudier les Méthodes des sciences sociales (MSS)

- Intérêt théorique. Un étudiant en sciences sociales doit connaître, même de


façon élémentaire, les fondements méthodologiques de ces sciences. Qu’est
ce qu’une définition et à quoi elle sert? Qu’est ce qu’une démarche
explicative, compréhensive...?

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- On peut s’inspirer des mêmes principes des MSS dans sa vie


professionnelle : poser de façon précise des questions, éviter les réponses
vagues et générales, se débarrasser de certains préjugés, conduire avec
méthode la rédaction d’un rapport de stage, d’une enquête, d’un compte
rendu d’une réunion...
- Dans la vie de tous les jours : avoir un esprit critique vis-à-vis des
explications fournies par les médias, les hommes politiques, les professeurs,
les sondages d’opinion... (les jeunes qui « brulent » sont-ils pauvres ?, …)
On peut apprendre à relativiser nos connaissances, ce que nous croyons
connaître n’est pas forcément vrai, n’est pas forcément la réalité. A remettre
en question des évidences (Le soleil bouge, c’est évident je le vois de mes
propres yeux. Pour la science, il est fixe)

5. suggestion pratiques

- Enrichir le document « Notes de cours » qui vous été remis par les notes
prises lors du cours. La partie orale du cours est plus importante
(explications détaillées, exemples multipliés, interactions...)
- Préparer des dossiers par séquence du cours : les « Notes de cours » ne
sont qu’un guide pour vous aider à constituer ces dossiers.
- Ces dossiers comprennent les textes fournis par le professeur, les notes
prises lors du cours, les notes de lecture personnelles, des extraits de textes.

6. Evaluation

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Séance 1. Connaissance commune

Les phénomènes sociaux sont l’objet de la connaissance commune (CC)


(prénotions, préjugés, lieux communs, sens commun, bon sens…) avant
qu’ils soient l’objet des sciences sociales.

Ni les gens, ni les chercheurs n’attendent les sciences sociales pour avoir
des idées sur leur société. Ils ne peuvent vivre en société sans se faire des
idées sur la famille, la religion, la femme, la politique, le mariage, l’amitié,
l’argent, etc. La difficulté pour un chercheur ou un étudiant en sciences
sociales consisterait d’abord dans le fait qu’il vit dans une société.

Avant de commencer une étude sur la famille, par exemple, un chercheur a


déjà des idées, des préjugés, des prénotions, etc., bref une connaissance qu’il
partage avec les membres de sa société au sujet de la famille, de la parenté,
des rôles de l’époux, de l’épouse, du père, de la mère, etc.

Notre première tâche consiste à examiner les attitudes préconisées par les
différentes traditions théoriques à l’égard de la connaissance commune.

Avant de répondre à cette question, présentons les principaux traits de la


CC.

1. Les traits de la CC

a. Accessibilité.

La CC est accessible et ouverte à tous. Ce qu’on appelle l’homme de la rue


(l’homme moyen, etc.), peut saisir et utiliser des propositions de la CC.
Contrairement à la connaissance scientifique, la CC ne connaît pas de
« spécialistes », même si certaines personnes ou catégories sociales peuvent
accumuler plus de connaissances, avoir plus de bon sens que d’autres.

b. Evidence.

La CC présente la société comme un monde familier. Sa force est qu’elle est


établie sur le mode de l’évidence, du naturel, du « ça va de soi ».

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Ceci apparaît souvent dans les propositions de bon sens, dans les adages,
les proverbes, qui souvent résument la CC : « Il ne faut pas mettre tous ses
œufs dans un même panier », « Il faut se tenir à l’écart des gens par temps
de grippe », ou « Je crois ce que je vois », « Il faut battre le fer tant qu’il est
chaud ».
Il faut cependant noter que l’évidence n’est pas un trait des phénomènes
sociaux, mais un trait que la CC leur confère.

c. Sens pratique.

Selon E. Durkheim, les prénotions sont des représentations collectives, des


idées schématiques et sommaires utilisées par les gens dans leur vie
quotidienne.
Elles ont pour fonction de mettre les actions sociales des gens en harmonie
avec le monde qui les entoure. Elles sont formées par la pratique et pour
elle. En d’autres termes, elles permettent d’interpréter le monde et la société
tout en visant davantage l’action, la pratique.
A noter que les prénotions peuvent avoir une fonction pratique tout en
étant, d’un point de vue scientifique, fausses.
Il n’est pas nécessaire, dans une élection par exemple, que les électeurs
procèdent à une analyse du système politique, des programmes des partis
politiques, des profils des candidats, etc. Ce n’est pas la science politique
qui indiquera à un électeur s’il faut voter ou non, voter à gauche ou à droite,
pour un homme ou pour une femme, pour un jeune ou un adulte etc. Les
électeurs agissent souvent en fonction des prénotions, des idées qu’ils ont de
la politique, des partis politiques, des qualités que doit avoir un homme
politique (sexe, instruction, intégrité, âge etc.)

d. Absence de méthode.

L’accès à la CC se fait sans méthode et de façon informelle.


On peut comprendre, à cet égard, la différence entre la CC et la
connaissance scientifique en les comparant avec deux types d’apprentissage
de la langue. Dans le cas d’une langue étrangère, l’enseignant suit une
démarche, un plan progressif selon les capacités de l’apprenant ; les règles
de grammaire, la morphologie (formes des verbes par exemple), la syntaxe
etc., sont explicitées. Par contre, l’apprentissage d’une langue maternelle,
se fait sur le tas, sans méthode… Je n’ai pas besoin de connaître la
grammaire de ma langue maternelle pour la parler.
Inversement, un étranger peut avoir une maîtrise théorique de ma langue
maternelle sans en avoir nécessairement une maîtrise pratique.
Et comme conséquence à l’absence de méthode, des auteurs ont souligné les
inconséquences, les incohérences, les contradictions de la CC.

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Encadré : Stéréotypes
Dans une société donnée, les gens partagent des idées souvent négatives à
propos des groupes sociaux. « Les X sont radins », « Les Y sont lâches »,
« Les Z sont violents » etc. Les traits sélectionnés et qui peuvent être
observables sont abusivement généralisés au groupe concerné dans son
ensemble. On appelle stéréotypes ce type d’idées, de jugements, qui
peuvent faire l’objet de croyances plus ou moins fortes, comme elles
peuvent devenir l’objet de plaisanteries sociales. Ils peuvent être inexacts,
mais le fait qu’ils soient partiellement vrais n’est pas exclu.

Encadré : Le bon sens


«C’est un fait qu’on ne rend pas toujours justice à la sociologie,
parce qu’elle a l’air, souvent, de découvrir des truismes. Quand Durkheim,
après Morselli, a démontré que le mariage protégeait contre le suicide, et
que les gens qui ont des enfants se tuent moins que les gens mariés sans
descendance, aux yeux de beaucoup de lecteurs était là une de ces vérités de
bon sens qu’il ne paraissait pas utile de prouver à grand renfort de chiffres.
Mais dans le domaine du vraisemblable, à une proposition s’en oppose
généralement une autre qui peut paraître aussi évidente. Il y a donc autant de
mérite scientifique à déterminer, de deux opinions vraisemblables, laquelle
répond à la réalité, qu’à mettre à jour une vérité entièrement nouvelle. »
(Halbwachs, Maurice, [1877-1945], 1930,
* * *
« Les notions de bon sens : Ces types de pensée attribuent seulement
aux phénomènes ce que les hommes en ont observé, ou ce qui peut se
déduire logiquement de leur observation…
Les notions scientifiques : La science a progressé grâce au bon sens,
mais elle est beaucoup plus méthodique et possède de meilleures techniques
pour observer et pour raisonner. Le bon sens s’appuie sur l’expérience et la
« vue de nez » La science s’appuie sur l’expérience et les normes de la
logique. Dans une chaîne de causes, le bon sens n’observe que quelques
chaînons. La science les observe tous, ou elle en observe beaucoup plus »
(Evans-Pritchard, Edward Evan [1902-1973], 1940.

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Séance 2 Principes du positivisme


A lire :

Boudon, Raymond, « Positivisme », in Borlandi, Massimo Boudon,


Raymond, Cherkaoui, Mohamed, Valade, Bernard, Dictionnaire de la
pensée sociologique, PUF, 2005, p. 566.

Durkheim, Emile (1894), [Les prénotions], in Les Règles de la méthode


sociologique, Paris, P.U.F., 1990, p. 15-19. (à analyser en classe, voir
extrait ci-dessous) (http://classiques.uqac.ca/)

Geertz, Clifford., « Les sens commun en tant que système culturel », in


Geertz, C., Savoir local et savoir global, PUF, 1986, p. 108-116 (lire extrait
ci-dessous)

^^^^
A partir du 19° siècle, s’est posée de façon systématique la question de
savoir si les méthodes des sciences sociales (MSS) doivent imiter celles des
sciences de la nature (SN) Trois types de réponses ont été proposés :
- Des chercheurs et philosophes affirment l’identité des objets étudiés par
les SN et les SS et défendent par conséquent l’identité de leurs méthodes.
- D’autres, tout en affirmant la différence entre les phénomènes sociaux et
les phénomènes naturels, trouvent que les MSS doivent prendre comme
modèle les méthodes des SN.
- D’autres encore pensent qu’il existe des différences essentielles entre les
phénomènes sociaux et les phénomènes naturels, ce qui exige le recours à
des méthodes spécifiques aux SS.

1. Les MSS doivent prendre comme modèle les sciences de la nature

Pour Auguste Comte (1798-1857), la science positive, quel que soit son
objet, la société ou la nature, doit observer, pour mériter le nom de science,
certains principes méthodologiques.

Le primat de l’observation.

- Le caractère principal de l’esprit positif (opposé à la théologie et à la


métaphysique) consiste dans le primat de l’observation et la subordination
de l’imagination à l’observation. Seuls des faits observables peuvent être
étudiés.

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A l’instar des SN, les questions doivent porter sur des faits et doivent par
conséquent se débarrasser des questions métaphysiques sur l’origine des
choses. Autrement dit la science ne doit produire que des énoncés
empiriques, c’est-à-dire des énoncés qui peuvent être confrontés à
l’observation et vérifiés.

Etablir des lois

Comte rejette explicitement l’empirisme considéré comme une


accumulation stérile de faits incohérents. Pour lui il ne suffit pas d’observer
et d’accumuler des faits, il faut en plus mettre en évidence les lois sociales
qui président aux relations entre ces faits:
« ... la révolution fondamentale qui caractérise la virilité de notre
intelligence consiste essentiellement à substituer partout, à l’inaccessible
détermination des causes proprement dites, la simple recherche des lois,
c’est-à-dire des relations constantes qui existent entre les phénomènes
observés » C’est « dans les lois des phénomènes que consiste réellement la
science, à laquelle les faits proprement dits, quelque exacts et nombreux
qu’ils puissent être, ne fournissent jamais que d’indispensables matériaux. »
(A. Comte)
Il faut noter que Comte rejette la recherche des causes, mais il entend par là
les causes premières, les causes qualifiées d’occultes (la nature humaine,
origine du monde, etc.)

Prévision rationnelle
Comte ajoute que « le véritable esprit positif consiste surtout à voir pour
prévoir. » Il ne s’agit pas seulement de voir, d’observer, d’accumuler des
faits aussi précis soit-ils, l’esprit positif doit dégager des relations constantes
entre les phénomènes qui, à l’instar des études astronomiques, doit le
conduire à la prévision rationnelle des phénomènes (A. Comte, Discours
sur l’esprit positif)
La tradition positiviste repose sur les principes suivants :
- Croire dans l’idée du progrès de l’humanité. Comparé aux systèmes de
connaissances antérieures (théologie, philosophie), la science positive est
considérée comme forme supérieure.
- Une confiance exagérée dans les résultats de la science expérimentale.
- Ecarter tout ce qui n’est pas observable (la métaphysique, l’intuition,
l’émotion,…).

Positivisme juridique

Le droit se réduit au droit positif (droit posé par des hommes vs. droit
naturel…)

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Positivisme juridique

« Positivisme » formé par Auguste Comte vers 1830 à partir de l’adjectif


« positif », (l’adjectif latin positivus signifie « posé, établi ».)

« Positif » signifie « posé par une autorité, par un acte volontaire » . Il


s’oppose « naturel » (résultant de la nature des choses). C’est ainsi qu’on
oppose droit positif et droit naturel

« Positif » a été utilisé pour distinguer les sciences modernes fondées sur
l’expérience et l’observation des faits du savoir spéculatif.

En droit, le positivisme réfère à une doctrine définissant le droit comme un


ensemble de normes posées par une autorité, ce qui l’oppose au droit naturel
et au droit coutumier par exemple, et à une théorie centrée sur l’empirique,
le descriptif, le factuel, ce qui l’oppose à la philosophie du droit.

Encadré : Identité des objets et des méthodes

« Spencer ne se contente pas de signaler quelques spécieuses analogies entre


les sociétés et les êtres vivants : il déclare nettement que la société est une
sorte d’organisme. Comme tout organisme, elle naît d’un germe, évolue
pendant un temps pour aboutir ensuite à la dissolution finale. Comme tout
organisme elle résulte d’un concours d’éléments différenciés dont chacun a
sa fonction spéciale et qui se complétant les uns des autres, conspirent tous
vers une même fin… Les cellules en s’agrégeant forment les vivants,
comme les vivants en s’agrégeant forment les sociétés. » (Durkheim,
1988 ??)

Encadré : La société est aussi réelle qu’un organisme vivant

Auguste Comte « assigne à la science sociale une réalité concrète à


connaître, ce sont les sociétés. Pour lui la société est aussi réelle qu’un
organisme vivant. Sans doute elle ne peut exister en dehors des individus
qui lui servent de substrat ; elle est pourtant autre chose. Un tout n’est pas
identique à la somme de ses parties…De même en s’assemblant sous une
forme définie et par des liens durables les hommes forment un être qui a sa

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nature et ses lois propres. C’est l’être social. Les phénomènes qui s’y
passent ont assurément leurs dernières racines dans la conscience de
l’individu. La vie collective n’est pourtant pas une simple image agrandie de
la vie individuelle. Elle présente des caractères sui generis que les seules
inductions de la psychologie ne permettaient pas de prévoir. » (Durkheim,
1888, « Cours de science sociale, leçon d’ouverture » « Cours de science
sociale, leçon d’ouverture », in Durkheim, E., La science sociale et
l’action, PUF, 1970. 86, cf. 97)

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Texte Durkheim, Emile (1894), [Les prénotions], in Les Règles de la


méthode sociologique, Paris, P.U.F., 1990, p. 15-19 (à analyser en classe)

Au moment où un ordre nouveau de phénomènes devient objet de science,


ils se trouvent déjà représentés dans l'esprit, non seulement par des images
sensibles, mais par des sortes de concepts grossièrement formés. Avant les
premiers rudiments de la physique et de la chimie, les hommes avaient déjà
sur les phénomènes physico-chimiques des notions qui dépassaient la pure
perception; telles sont, par exemple, celles que nous trouvons mêlées à
toutes les religions. C'est que, en effet, la réflexion est antérieure à la
science qui ne fait que s'en servir avec plus de méthode. L'homme ne peut
pas vivre au milieu des choses sans s'en faire des idées d'après lesquelles il
règle sa conduite. Seulement, parce que ces notions sont plus près de nous et
plus à notre portée que les réalités auxquelles elles correspondent, nous
tendons naturellement à les substituer à ces dernières et à en faire la matière
même de nos spéculations. Au lieu d'observer les choses, de les décrire, de
les comparer, nous nous contentons alors de prendre conscience de nos
idées, de les analyser, de les combiner. Au lieu d'une science de réalités,
nous ne faisons plus qu'une analyse idéologique.
[…]
Il est clair que cette méthode ne saurait donner de résultats objectifs. Ces
notions, en effet, ou concepts, de quelque nom qu'on veuille les appeler, ne
sont pas les substituts légitimes des choses. Produits de l'expérience vul-
gaire, ils ont, avant tout, pour objet de mettre nos actions en harmonie avec
le monde qui nous entoure; ils sont formés par la pratique et pour elle. Or
une représentation peut être en état de jouer utilement ce rôle tout en étant
théoriquement fausse. Copernic a, depuis plusieurs siècles, dissipé les
illusions de nos sens touchant les mouvements des astres; et pourtant, c'est
encore d'après ces illusions que nous réglons couramment la distribution de
notre temps. Pour qu'une idée suscite bien les mouvements que réclame la
nature d'une chose, il n'est pas nécessaire qu'elle exprime fidèlement cette
nature; mais il suffit qu'elle nous fasse sentir ce que la chose a d'utile ou de
désavantageux, par où elle peut nous servir, par où nous contrarier. Encore
les notions ainsi formées ne présentent-elles cette justesse pratique que
d'une manière approximative et seulement dans la généralité des cas. Que de
fois elles sont aussi dangereuses qu'inadéquates! Ce n'est donc pas en les
élaborant, de quelque manière qu'on s'y prenne, que l'on arrivera jamais à
découvrir les lois de la réalité. Elles sont, au contraire, comme un voile qui
s'interpose entre les choses et nous et qui nous les masque d'autant mieux
qu'on le croit plus transparent.
[…]
Cette manière de procéder est si conforme à la pente naturelle de notre
esprit qu'on la retrouve même à l'origine des sciences physiques. C'est elle
qui différencie l'alchimie de la chimie, comme l'astrologie de l'astronomie.
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C'est par elle que Bacon caractérise la méthode que suivaient les savants de
son temps et qu'il combat. Les notions dont nous venons de parler, ce sont
ces notiones vulgares ou praenotiones qu'il signale à la base de toutes les
sciences où elles prennent la place des faits. Ce sont ces idola, sortes de
fantômes qui nous défigurent le véritable aspect des choses et que nous
prenons pourtant pour les choses mêmes. Et c'est parce que ce milieu
imaginaire n'offre à l'esprit aucune résistance que celui-ci, ne se sentant
contenu par rien, s'abandonne à des ambitions sans bornes et croit possible
de construire ou, plutôt, de reconstruire le monde par ses seules forces et au
gré de ses désirs.

S'il en a été ainsi des sciences naturelles, à plus forte raison en devait-il
être de même pour la sociologie. Les hommes n'ont pas attendu l'avènement
de la science sociale pour se faire des idées sur le droit, la morale, la famille,
l'État, la société même; car ils ne pouvaient s'en passer pour vivre. Or, c'est
surtout en sociologie que ces prénotions, pour reprendre l'expression de
Bacon, sont en état de dominer les esprits et de se substituer aux choses. En
effet, les choses sociales ne se réalisent que par les hommes; elles sont un
produit de l'activité humaine. Elles ne paraissent donc pas être autre chose
que la mise en œuvre d'idées, innées ou non, que nous portons en nous, que
leur application aux diverses circonstances qui accompagnent les relations
des hommes entre eux. L'organisation de la famille, du contrat, de la
répression, de l'État, de la société apparaît ainsi comme un simple
développement des idées que nous avons sur la société, l'État, la justice, etc.
Par conséquent, ces faits et leurs analogues semblent n'avoir de réalité que
dans et par les idées qui en sont le germe et qui deviennent, dès lors, la
matière propre de la sociologie.

Ce qui achève d'accréditer cette manière de voir, c'est que le détail de la


vie sociale débordant de tous les côtés la conscience, celle-ci n'en a pas une
perception assez forte pour en sentir la réalité. N'ayant pas en nous
d'attaches assez solides ni assez prochaines, tout cela nous fait assez
facilement l'effet de ne tenir à rien et de flotter dans le vide, matière à demi
irréelle et indéfiniment plastique. Voilà pourquoi tant de penseurs n'ont vu
dans les arrangements sociaux que des combinaisons artificielles et plus ou
moins arbitraires. Mais si le détail, si les formes concrètes et particulières
nous échappent, du moins nous nous représentons les aspects les plus
généraux de l'existence collective en gros et par à peu près, et ce sont
précisément ces représentations schématiques et sommaires qui constituent
ces prénotions dont nous nous servons pour les usages courants de la vie.
Nous ne pouvons donc songer à mettre en doute leur existence, puisque
nous la percevons en même temps que la nôtre. Non seulement elles sont en
nous, mais, comme elles sont un produit d'expériences répétées, elles
tiennent de la répétition, et de l'habitude qui en résulte, une sorte d'ascendant
et d'autorité. Nous les sentons nous résister quand nous cherchons à nous en
affranchir. Or nous ne pouvons pas ne pas regarder comme réel ce qui
s'oppose à nous. Tout contribue donc à nous y faire voir la vraie réalité
sociale.

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Texte. Traits du sens commun

Geertz, C., « Les sens commun en tant que système culturel », in Geertz, C.
Savoir local et savoir global, PUF, 1986, p. 108-116

[... ] Les termes que je veux employer de cette façon en ce qui concerne le
sens commun sont: naturel, pratique, mince, sans méthode, accessible.
«Naturel ), « esprit pratique ), « minceur ), « absence de méthode» et
«accessibilité» sont les 'propriétés quelque peu inhabituelles que je veux
attribuer au sens commun en général, en tant que forme culturelle qu'on
trouve partout.
La première de ces quasi-qualités, le naturel, est peut-être la plus
fondamentale. Le sens commun présente les choses - c'est-à-dire certaines
choses et pas d'autres - comme étant ce qu'elles sont dans la simple nature
du cas. Un air d' « évidence ), un sens de « ça se tient ), est projeté avec les
choses - encore une fois certaines choses choisies, soulignées. Elles sont
présentées comme inhérentes à la situation, comme des aspects intrinsèques
de la réalité, la façon dont les choses se passent [. . .]

La seconde caractéristique, « l'esprit pratique », est peut être plus évidente à


l'œil nu que les autres sur ma liste, car ce que nous voulons dire le plus
souvent quand nous disons qu'un individu, une action, ou un projet manque
de sens commun est qu'ils manquent d'esprit pratique. L'individu connaîtra
un réveil brutal, l'action conduira à sa propre ruine, le projet coulera. Mais,
simplement parce que cela semble tellement plus facile à voir, c'est aussi
plus sujet à une fausse interprétation. Car ce n'est pas l'esprit pratique au
sens pragmatique étroit de l'utile qui est impliqué, mais au sens plus large
d'une sagacité qui tient de la philosophie populaire. Dire à quelqu'un « sois
raisonnable)J, est moins lui conseiller de s'attacher à l'utilitaire que lui
conseiller, comme nous disons, d'ouvrir l'œil: d'être prudent, de tenir son
sang-froid, de ne pas quitter la balle du regard, de ne pas acheter d'actions
en .bois, de se tenir à l'écart des chevaux tocards et des femmes légères, de
laisser les morts enterrer les morts.
[. ..]
La troisième des quasi qualités que le sens commun attribue à la réalité est
la «minceur », est, ... quelque peu difficile à formuler en termes plus
explicites. « Simplicité », ou même « littéralité », pourrait faire l'affaire
aussi bien ou mieux, car ce qui est impliqué est la tendance aux vues du sens
commun sur cette chose ou cette autre de les expliquer comme étant
précisément ce qu'elles paraissent être, ni plus ni moins. La ligne de Butler
que je citais plus haut -« chaque chose est ce qu'elle est et pas une autre» -
exprime parfaitement cette qualité. Le monde est ce que l'individu sans

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complications, aux yeux grands ouverts, croit qu'il est. Sobriété, non
subtilité, réalisme, non-imagination, sont les clefs de la sagesse; les faits"
vraiment importants de la vie sont dispersés ouvertement à sa surface, non
cachés astucieusement dans ses profondeurs. Il n'y a pas besoin, en fait c'est
une erreur fatale, de nier comme le font si souvent les poètes, les
intellectuels, les prêtres et d'autres complicateurs professionnels du monde,
l'évidence de l'évident. La vérité est claire comme de l'eau de roche, comme
le dit le proverbe hollandais.
[.. .]
Quant à l' « absence de méthode », autre qualité pas trop bien nommée
que la pensée du sens commun attribue au monde, elle satisfait aussitôt les
plaisirs de l'inconséquence qui sont très réels pour tous sauf pour les plus
scolastiques des hommes ( Une cohérence stupide est le farfadet des petits
esprits », comme disait Emerson; « Je me contredis, bon, je me contredis.

Je contiens des multitudes », comme disait Whitman) ; et aussi les plaisirs


égaux, sentis par tous sauf les plus obsessionnels des hommes, de la
diversité intraitable de l'expérience ( «Le monde est plein d'un tas de
choses» ; « La vie est faite d'une vacherie après l'autre» ; « Si tu crois que tu
comprends la situation, cela prouve seulement que tu es mal informé »).

La sagesse du sens commun est effrontément et sans s'excuser une sagesse


du moment. Elle apparaît dans des épigrammes, des proverbes, des obiter
dicta, des plaisanteries, des anecdotes, des contes moraux - un cliquetis
d'émissions sentencieuses - non dans des doctrines formelles, des théories
sous forme d'axiomes ni des dogmes architectoniques [...]

La quasi qualité finale - finale ici, sûrement pas dans la réalité - «


accessibilité»), suit plus ou moins comme conséquence logique une fois que
les' autres sont reconnues. L'accessibilité est simplement la présomption, en
fait l'insistance, selon laquelle toute personne aux facultés raisonnablement
intactes peut saisir les conclusions du sens commun, et en vérité, une fois
qu'elles ont été exposées sans équivoque, non seulement les saisira mais les
embrassera. Naturellement, certains - d'habitude les vieux, parfois les gens
dans la détresse, parfois les simples orotund - ont tendance à être vus
comme plutôt plus sages que les autres selon l'adage « je suis passé par là),
alors que les enfants, assez souvent les femmes et, selon la société, des
sortes variées de classes inférieures sont vus comme moins sages que les
autres, selon l'adage « ce sont des créatures émotives ». Mais, malgré tout, il
n'y a pas vraiment de spécialistes reconnus du sens commun. Chacun pense
qu'il est un expert. Etant commun, le sens commun est ouvert à tous, le bien
commun d'au moins, comme nous dirions, tous les citoyens sérieux.

Texte : Hans Kelsen (1881-1973), positivisme, pyramide des normes


(normativisme)
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Séance 3. Objectivité des faits sociaux

A lire
Texte : [Primat du tout sur les éléments] (fait social émergent et analogie
avec phénomènes naturels émergents) in Durkheim, Emile (1894), Les
règles de la méthode sociologique. (voir ci-dessous)
Texte : [Du phénomène social], Mauss, Marcel et Fauconnet, Paul [1901],
« La sociologie, objet et méthode in Marcel Mauss, Essais de sociologie,
1968. (voir ci-dessous)
Textes : Positivisme : Définitions des dictionnaires Lalande, Larousse.. ( ci-
dessous, à lire et à analyser en classe) (voir ci-dessous)

^^^^
Durkheim ne part pas du postulat de l’identité entre les phénomènes sociaux
et les phénomènes naturels. Il cherche plutôt à observer à l’égard des
phénomènes sociaux des principes méthodologiques similaires à ceux
appliqués par les sciences de la nature.
Selon lui, l’objectivité des faits sociaux est une condition essentielle à
l’application des méthodes positives.
«La première règle et la plus fondamentale est de considérer les faits
sociaux comme des choses »
Cette règle implique deux exigences essentielles :
Ecarter les prénotions considérées comme un obstacle (épistémologique) à
la connaissance scientifique.
Et définir de façon objective les phénomènes sociaux étudiés (les questions
relatives à la définition seront traitées plus loin)

Encadré : Durkheim [l’idée et la chose]


« Est chose, en effet, tout ce qui est donné, tout ce qui s'offre ou, plutôt,
s'impose à l'observation. Traiter des phénomènes comme des choses, c'est
les traiter en qualité de data qui constituent le point de départ de la science.
Les phénomènes sociaux présentent incontestablement ce caractère. Ce qui
nous est donné, ce n'est pas l'idée que les hommes se font de la valeur, car
elle est inaccessible : ce sont les valeurs qui s'échangent réellement au cours
des relations économiques. Ce n'est pas telle ou telle conception de l'idéal
moral ; c'est l'ensemble des règles qui déterminent effectivement la conduite
[…..]
« On reconnaît principalement une chose à ce signe qu’elle ne peut pas être
modifiée par un simple décret de la volonté. Ce n'est pas qu'elle soit
réfractaire à toute modification. Mais, pour y produire un changement, il ne

16
HASSAN RACHIK
MSS
suffit pas de le vouloir, il faut encore un effort plus ou moins laborieux, dû à
la résistance qu'elle nous oppose et qui, d'ailleurs, ne peut pas toujours être
vaincue (Durkheim, Les règles…)

Ecarter les prénotions

Durkheim affirme que les prénotions constituent un voile qui


s’interpose entre les phénomènes sociaux et le savant. Ce voile lui masque
la réalité.
Les images utilisées par lui (voile, masque, « sortes de fantômes qui nous
défigurent le véritable aspect des choses ») expriment une conception
négative qu’il se fait de la CC.
.Les Sciences de la nature se sont développées en écartant les idées que les
gens se font des phénomènes naturels. La physique, par exemple, a pour
objet les corps tels qu’ils existent ; elle définit la chaleur par la dilatation des
corps et non par l’impression que les gens ont du chaud.
Un chercheur doit se débarrasser des prénotions afin de traiter des
phénomènes tels qu’ils sont dans la réalité et non pas tels qu’ils sont
représentés par les gens.
Pour Durkheim, cette règle est une application du doute méthodologique de
Descartes. Il faut que le chercheur « s’interdise l’emploi des notions qui se
sont formées en dehors de la science et pour des besoins qui n’ont rien de
scientifiques. » (Durkheim) Il doit se débarrasser des prénotions, « sortes
de fantômes, qui nous défigurent le véritable aspect des choses et que nous
prenons pourtant pour les choses elles-mêmes »

L’ignorance méthodique est un corollaire de la règle précédente (traiter


les faits sociaux comme des choses) . Selon ce principe, le chercheur doit
faire comme s’il ignorait tout de l’objet étudié. Il doit avoir comme principe
d’observation : « j’en sais encore rien ». Il doit faire table rase des idées qui
risquent de déformer son approche de l’objet. L’ignorance méthodique doit
impliquer une rupture avec la CC, avec la sociologie spontanée.

Les faits sociaux sont objectifs car ils sont extérieurs aux individus. Le
primat de la société sur l’individu.

L’objectivité des FS est affirmée en montrant que la société est une totalité
irréductible à ses parties, c’est-à-dire qu’elle est indépendante des individus,
qu’elle n’est pas la somme des individus qui la composent.
Le fait social est un fait émergeant car il n’a pas pour fondement les
individus. En montrant le primat de la société sur l’individu, Durkheim a
essayé de démontrer le caractère naturel et objectif des phénomènes sociaux.
Les faits sociaux sont objectifs car ils sont extérieurs aux individus, et parce

17
HASSAN RACHIK
MSS
qu’ils sont extérieurs aux individus, ils peuvent être traités comme des
choses. Des faits sociaux comme les normes, les habitudes, la langue, les
croyances etc., existent en dehors des individus car ils leur préexistent et
leur survivent.

La contrainte

En plus de l’extériorité (= le fait social est extérieur aux individus),


Durkheim définit le fait social par sa puissance coercitive. Le fait social
exerce une contrainte sur les individus. Les manières d’être poli, de
s’habiller, de prier etc., s’imposent aux individus. Et c’est là un autre signe
de leur objectivité.

La contrainte est plus évidente lorsque l’individu ne se conforme pas à la


mode, à l’étiquette, aux règles de droit etc. Elle se manifeste dans des
sanctions sociales qui peuvent être diffuses (rire, désapprobation) ou
organisées (amende, emprisonnement)
Le suicide est un acte souvent individuel mais qui a des dimensions sociales.
Dans ce cas ce n’est pas la subjectivité des suicidés qui importe, mais des
éléments objectifs et donc indépendants d’eux. Le taux du suicide est un fait
social (résultant) qui ne change pas au gré de la volonté des individus. Pour
un pays déterminé, il reste stable ou varie peu. Il est plus élevé en ville
qu’en campagne.
Les notions d’extériorité et de contrainte permettent à Durkheim d’affirmer
l’objectivité des faits sociaux, et de montrer la possibilité de leur appliquer
des règles et des principes méthodologiques similaires à ceux en vigueur
dans les SN et notamment la règle de les traiter comme des choses.
Cependant, il précise que les faits sociaux « ne sauraient se confondre avec
les phénomènes organiques, puisqu’ils consistent en représentations et en
action ; ni avec les phénomènes psychiques, lesquels n’ont d’existence que
dans les consciences individuelles »

Les phénomènes sociaux sont plus complexes que les phénomènes naturels.
Pour ces raisons, Durkheim ne préconise pas une simple transposition des
méthodes des SN en sociologie. L’expérimentation, par exemple, ne peut
être qu’indirecte en SS (méthode comparative)

La connaissance commune ne peut être réduite


à un obstacle épistémologique

La connaissance commune (CC) préexiste à la science, elle est sommaire et


schématique, elle est essentiellement tournée vers des questions pratiques,
elle peut conduire le chercheur à des résultats erronés. Cependant, elle n’est
18
HASSAN RACHIK
MSS
pas inutile pour le chercheur. En dépit des critiques qu’il a faites aux
prénotions, Durkheim les considère comme des indicateurs, cela veut dire
que c’est par elles que le chercheur est informé du phénomène social étudié.
La CC constitue donc un point de départ pour la recherche. Le vocabulaire
des sciences sociales est en bonne partie un vocabulaire de la CC : famille,
religion, politique etc. Nous verrons comment ce vocabulaire et ces notions
de la CC peuvent être articulés aux concepts propres aux sciences sociales.

Selon Durkheim, la définition du chercheur ne doit pas faire offense à la


prénotion. C’est en partant d’une définition vague du suicide, et non pas
fausse, que Durkheim construit une définition précise et explicite. Il en est
de même pour sa définition de la religion. Prendre en compte les prénotions
dans la définition et la description des faits sociaux évite une opposition
tranchée et absolue entre les notions de la CC et les concepts des sciences
sociales, une opposition souvent assimilée à celle existant entre la fausseté
(l’erreur) et la vérité.

Par ailleurs, rappelons que les notions de la CC, quoique vague,


schématiques et imprécises, orientent les comportements des gens. C’est en
fonction de ces notions que les gens agissent, donnent un sens à leur action
(voir section : compréhension)

19
HASSAN RACHIK
MSS

Texte : Primat du tout sur les éléments (fait social émergent et analogie
avec phénomènes naturels émergents) in Durkheim, Emile (1894), Les
règles de la méthode sociologique.

Pourtant, ce qu'on juge si facilement inadmissible quand il s'agit des faits


sociaux est couramment admis des autres règnes de la nature. Toutes les fois
que des éléments quelconques, en se combinant, dégagent, par le fait de leur
combinaison, des phénomènes nouveaux, il faut bien concevoir que ces
phénomènes sont situés, non dans les éléments, mais dans le tout formé par
leur union. La cellule vivante ne contient rien que des particules minérales,
comme la société ne contient rien en dehors des individus ; et pourtant il est,
de toute évidence, impossible que les phénomènes caractéristiques de la vie
résident dans des atomes d'hydrogène, d'oxygène, de carbone et d'azote. Car
comment les mouvements vitaux pourraient-ils se produire au sein
d'éléments non vivants? Comment, d'ailleurs, les propriétés biologiques se
répartiraient-elles entre ces éléments? Elles ne sauraient se retrouver
également chez tous puisqu'ils ne sont pas de même nature ; le carbone n'est
pas l'azote et, par suite, ne peut revêtir les mêmes propriétés ni jouer le
même rôle. Il n'est pas moins inadmissible que chaque aspect de la vie,
chacun de ses caractères principaux s'incarne dans un groupe différent
d'atomes. La vie ne saurait se décomposer ainsi ; elle est une et, par
conséquent, elle ne peut avoir pour siège que la substance vivante dans sa
totalité. Elle est dans le tout, non dans les parties. Ce ne sont pas les
particules non-vivantes de la cellule qui se nourrissent, se reproduisent, en
un mot, qui vivent; c'est la cellule elle-même et elle seule. Et ce que nous
disons de la vie pourrait se répéter de toutes les synthèses possibles. La
dureté du bronze n'est ni dans le cuivre ni dans l'étain ni dans le plomb qui
ont servi à le former et qui sont des corps mous ou flexibles; elle est dans
leur mélange. La fluidité de l'eau, ses propriétés alimentaires et autres ne
sont pas dans les deux gaz dont elle est composée, mais dans la substance
complexe qu'ils forment par leur association.

Appliquons ce principe à la sociologie. Si, comme on nous l'accorde, cette


synthèse sui generis qui constitue toute société dégage des phénomènes
nouveaux, différents de ceux qui se passent dans les consciences solitaires,
il faut bien admettre que ces faits spécifiques résident dans la société même
qui les produit, et non dans ses parties, c'est-à-dire dans ses membres. Ils
sont donc, en ce sens, extérieurs aux consciences individuelles, considérées
comme telles, de même que les caractères distinctifs de la vie sont extérieurs
aux substances minérales qui composent l'être vivant. On ne peut les
résorber dans les éléments sans se contredire, puisque, par définition, ils
supposent autre chose que ce que contiennent ces éléments. Ainsi se trouve
justifiée, par une raison nouvelle, la séparation que nous avons établie plus
loin entre la psychologie proprement dite, ou science de l'individu mental, et
la sociologie. Les faits sociaux ne diffèrent pas seulement en qualité des
faits psychiques; ils ont un autre substrat, ils n'évoluent pas dans le même

20
HASSAN RACHIK
MSS
milieu, ils ne dépendent pas des mêmes conditions. Ce n'est pas à dire qu'ils
ne soient, eux aussi, psychiques en quelque manière puisqu'ils consistent
tous en des façons de penser ou d'agir. Mais les états de la conscience
collective sont d'une autre nature que les états de la conscience individuelle;
ce sont des représentations d'une autre sorte. La mentalité des groupes n'est
pas celle des particuliers ; elle a ses lois propres. Les deux sciences sont
donc aussi nettement distinctes que deux sciences peuvent l'être, quelques
rapports qu'il puisse, par ailleurs, y avoir entre elles.

Toutefois, sur ce point, il y a lieu de faire une distinction qui jettera peut-
être quelque lumière sur le débat.

Que la matière de la vie sociale ne puisse pas s'expliquer par des facteurs
purement psychologiques, c'est-à-dire par des états de la conscience
individuelle, c'est ce qui nous paraît être l'évidence même. En effet, ce que
les représentations collectives traduisent, c'est la façon dont le groupe se
pense dans ses rapports avec les objets qui l'affectent. Or le groupe est
constitué autrement que l'individu et les choses qui l'affectent sont d'une
autre nature. Des représentations qui n'expriment ni les mêmes sujets ni les
mêmes objets ne sauraient dépendre des mêmes causes. Pour comprendre la
manière dont la société se représente elle-même et le monde qui l'entoure,
c'est la nature de la société, et non celle des particuliers, qu'il faut
considérer. Les symboles sous lesquels elle se pense changent suivant ce
qu'elle est. Si, par exemple, elle se conçoit comme issue d'un animal
éponyme, c'est qu'elle forme un de ces groupes spéciaux qu'on appelle des
clans. Là où l'animal est remplacé par un ancêtre humain, mais également
mythique, c'est que le clan a changé de nature. Si, au-dessus des divinités
locales ou familiales, elle en imagine d'autres dont elle croit dépendre, c'est
que les groupes locaux et familiaux dont elle est composée tendent à se
concentrer et à s'unifier, et le degré d'unité que présente un panthéon
religieux correspond au degré d'unité atteint au même moment par la
société. Si elle condamne certains modes de conduite, c'est qu'ils froissent
certains de ses sentiments fondamentaux; et ces sentiments tiennent à sa
constitution, comme ceux de l'individu à son tempérament physique et à son
organisation mentale. Ainsi, alors même que la psychologie individuelle
n'aurait plus de secrets pour nous, elle ne saurait nous donner la solution
d'aucun de ces problèmes, puisqu'ils se rapportent à des ordres de faits
qu'elle ignore.

21
HASSAN RACHIK
MSS

Texte : Du phénomène social, Mauss, Marcel et Fauconnet, Paul [1901],


« La sociologie, objet et méthode in Marcel Mauss, Essais de sociologie,
1968.

Mais si l'on doit admettre sans examen préalable que les faits appelés
sociaux sont naturels, intelligibles et par suite objets de science, encore faut-
il qu'il y ait des faits qui puissent être proprement appelés de ce nom. Pour
qu'une science nouvelle se constitue, il suffit, mais il faut : d'une part, qu'elle
s'applique à un ordre de faits nettement distincts de ceux dont s'occupent les
autres sciences; d'autre part, que ces faits soient susceptibles d'être
immédiatement reliés les uns aux autres, expliqués les uns par les autres,
sans qu'il soit nécessaire d'intercaler des faits d'une autre espèce. Car une
science qui ne pourrait expliquer les faits constituant son objet qu'en recou-
rant à une autre science se confondrait avec cette dernière. La sociologie
satisfait-elle à cette double condition?

Du phénomène social

En premier lieu y a-t-il des faits qui soient spécifiquement sociaux? On le


nie encore communément, et parmi ceux qui le nient figurent même des
penseurs qui prétendent faire œuvre sociologique. […]

Un premier fait est constant, c'est qu'il existe des sociétés, c'est-à-dire des
agrégats d'êtres humains. Parmi ces agrégats, les uns sont durables, comme
les nations, d'autres éphémères comme les foules, les uns sont très
volumineux comme les grandes églises, les autres très petits comme la
famille quand elle est réduite au couple conjugal. Mais, quelles que soient la
grandeur et la forme de ces groupes et de ceux qu'on pourrait énumérer -
classe, tribu, groupe professionnel, caste, commune - ils présentent tous ce
caractère qu'ils sont formés par une pluralité de consciences individuelles,
agissant et réagissant les unes sur les autres. C'est à la présence de ces
actions et réactions, de ces interactions que l'on reconnaît les sociétés. Or la
question est de savoir si, parmi les faits qui se passent au sein de ces
groupes, il en est qui manifestent la nature du groupe en tant que groupe, et
non pas seulement la nature des individus qui les composent, les attributs
généraux de l'humanité. Y en a-t-il qui sont ce qu'ils sont parce que le
groupe est ce qu'il est? A cette condition, et à cette condition seulement, il y
aura une sociologie proprement dite; car il y aura alors une vie de la société,
distincte de celle que mènent les individus ou plutôt distincte de celle qu'ils
mèneraient s'ils vivaient isolés.

Or il existe bien réellement des phénomènes qui présentent ces caractères,


seulement il faut savoir les découvrir. En effet, tout ce qui se passe dans un
groupe social n'est pas une manifestation de la vie du groupe comme tel, et
par conséquent n'est pas social, pas plus que tout ce qui se passe dans un
organisme n'est proprement biologique. Non seulement les perturbations
22
HASSAN RACHIK
MSS
accidentelles et locales déterminées par des causes cosmiques, mais encore
des événements normaux, régulièrement répétés, qui intéressent tous les
membres du groupe sans exception, peuvent n'avoir aucunement le caractère
de faits sociaux. Par exemple tous les individus, à l'exception des malades,
remplissent leurs fonctions organiques dans des conditions sensiblement
identiques; il en est de même des fonctions psychologiques : les
phénomènes de sensation, de représentation, de réaction ou d'inhibition sont
les mêmes chez tous les membres du groupe, ils sont soumis chez tous aux
mêmes lois que la psychologie recherche. Mais personne ne songe à les
ranger dans la catégorie des faits sociaux malgré leur généralité. C'est qu'ils
ne tiennent aucunement à la nature du groupement, mais dérivent de la
nature organique et psychique de l'individu. Aussi sont-ils les mêmes, quel
que soit le groupe auquel l'individu appartient. Si l'homme isolé était
concevable, on pourrait dire qu'ils seraient ce qu'ils sont même en dehors de
toute société. Si donc les faits dont les sociétés sont le théâtre ne se
distinguaient les uns des autres que par leur degré de généralité, il n'y en
aurait pas qu'on pût considérer comme des manifestations propres de la vie
sociale, et dont on pût, par suite, faire l'objet de la sociologie.

Et pourtant l'existence de tels phénomènes est d'une telle évidence qu'elle a


été signalée par des observateurs qui ne songeaient pas à la constitution
d'une sociologie. On a remarqué bien souvent qu'une foule, une assemblée
ne sentaient, ne pensaient et n'agissaient pas comme l'auraient fait les
individus isolés; que les groupements les plus divers, une famille, une
corporation, une nation avaient un « esprit », un caractère, des habitudes
comme les individus ont les leurs. Dans tous les cas par conséquent on sent
parfaitement que le groupe, foule ou société, a vraiment une nature propre,
qu'il détermine chez les individus certaines manières de sentir, de penser et
d'agir, et que ces individus n'auraient ni les mêmes tendances, ni les mêmes
habitudes, ni les mêmes préjugés, s'ils avaient vécu dans d'autres groupes
humains. Or cette conclusion peut être généralisée. Entre les idées qu'aurait,
les actes qu'accomplirait un individu isolé et les manifestations collectives,
il y a un tel abîme que ces dernières doivent être rapportées à une nature
nouvelle, à des forces sui generis : sinon, elles resteraient
incompréhensibles.

Soient, par exemple, les manifestations de la vie économique des sociétés


modernes d'Occident : production industrielle des marchandises, division
extrême du travail, échange international, association de capitaux, monnaie,
crédit, rente, intérêt, salaire, etc. Qu'on songe au nombre considérable de
notions, d'institutions, d'habitudes que supposent les plus simples actes d'un
commerçant ou d'un ouvrier qui cherche à gagner sa vie; il est manifeste que
ni l'un ni l'autre ne créent les formes que prend nécessairement leur activité :
ni l'un ni l'autre n'inventent le crédit, l'intérêt, le salaire, l'échange ou la
monnaie. Tout ce qu'on peut attribuer à chacun d'eux c'est une tendance
générale à se procurer les aliments nécessaires, à se protéger contre les
intempéries, ou encore, si l'on veut, le goût de l'entreprise, du gain, etc.
Même des sentiments qui semblent tout spontanés, comme l'amour du
travail, de l'épargne, du luxe, sont en réalité, le produit de la culture sociale
puisqu'ils font défaut chez certains peuples et varient infiniment, à l'intérieur
23
HASSAN RACHIK
MSS
d'une même société, selon les couches de la population. Or, à eux seuls, ces
besoins détermineraient, pour se satisfaire, un petit nombre d'actes très
simples qui contrastent de la manière la plus accusée avec les formes très
complexes dans lesquelles l'homme économique coule aujourd'hui sa
conduite. Et ce n'est pas seulement la complexité de ces formes qui
témoigne de leur origine extra-individuelle, mais encore et surtout la
manière dont elles s'imposent à l'individu. Celui-ci est plus ou moins obligé
de s'y conformer. Tantôt c'est la loi même qui l'y contraint, ou la coutume
tout aussi impérative que la loi. C'est ainsi que naguère l'industriel était
obligé de fabriquer des produits de mesure et de qualité déterminées, que
maintenant encore il est soumis à toutes sortes de règlements, que nul ne
peut refuser de recevoir en paiement la monnaie légale pour sa valeur légale.
Tantôt c'est la force des choses contre laquelle l'individu vient se briser s'il
essaye de s'insurger contre elles : c'est ainsi que le commerçant qui voudrait
renoncer au crédit, le producteur qui voudrait consommer ses propres
produits, en un mot le travailleur qui voudrait recréer à lui seul les règles de
son activité économique, se verrait condamné à une ruine inévitable.

Le langage est un autre fait dont le caractère social apparaît clairement :


l'enfant apprend, par l'usage et par l'étude, une langue dont le vocabulaire et
la syntaxe sont vieux de bien des siècles, dont les origines sont inconnues,
qu'il reçoit par conséquent toute faite et qu'il est tenu de recevoir et
d'employer ainsi, sans variations considérables. […].

Ainsi les formes suivant lesquelles se développe la vie affective,


intellectuelle, active de l'individu, lui préexistent comme elles lui survivront.
C'est parce qu'il est homme qu'il mange, pense, s'amuse, etc., mais s'il est
déterminé à agir par des tendances qui lui sont communes avec tous les
hommes, les formes précises que prend son activité à chaque moment de
l'histoire dépendent de toutes autres conditions qui varient d'une société à
une autre et changent avec le temps au sein d'une même société : c'est
l'ensemble des habitudes collectives.

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HASSAN RACHIK
MSS
Textes : Positivisme : Définitions des dictionnaires Lalande, Larousse.. (à
lire et à analyser en classe)

Positivisme
Au propre :1° ensemble des doctrines d’Auguste Comte […] A. On donne
par extension ce nom à des doctrines qui se rattachent à celle d’Auguste
Comte ou qui lui ressemblent, quelques fois même de façon assez lointaine,
et qui ont pour thèses communes que seule la connaissance des faits est
féconde ; que le type de certitude est fourni par les sciences expérimentales ;
que l’esprit humain, dans la phi comme dans la science, n’évite le
verbalisme de l’erreur qu’à la condition de se tenir sans cesse au contact de
l’expérience et de renoncer à tout a priori ; enfin que le domaine des chose
en soi est inaccessible, et que la pensée ne peut atteindre que des relations et
des lois. Telles sont en s’écartant du positivisme primitif, les doctrines de
J.S. Mill, de Littré, de Spencer, de Renan, et même de Taine […]
(Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie)

Positivisme

« Système d'Auguste Comte, qui considère que toutes les activités


philosophiques et scientifiques ne doivent s'effectuer que dans le seul cadre
de l'analyse des faits réels vérifiés par l'expérience et que l'esprit humain
peut formuler les lois et les rapports qui s'établissent entre les phénomènes
et ne peut aller au-delà ». (Larousse)

Positivism

“In its broadest philosophical sense, positivism refers to the theory of


knowledge proposed by Francis Bacon, John Locke and Isaac Newton which
asserts the primacy of observation and the pursuit of causal explanation by way of
inductive generalization. In the social sciences, it has become associated with three
related principles : the onthological tenet of phenomenalism according to which
knowledge can be founded in experience alone [….], the methodological tenet of
the unity of scientific method which proclaims that the procedures of natural
science are directly applicable to the social world with the goal of establishing
invariant laws or lawlike generalizations about social phenomena; and the
axiological tenet of neutrality which refuses to grant normative statements the
status of knowledge and maintains a rigid separation between facts and values.”
(ESCA, 507)

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HASSAN RACHIK
MSS

Séance 4. L’objectivité du chercheur

A lire

Texte. Ecarter les prénotions Emile Durkheim, Les Règles de la méthode


sociologique, Paris, P.U.F., 1990, p. 31-35 (http://classiques.uqac.ca/)
(à analyser en classe)
Boudon, Raymond, Les méthodes en sociologie, PUF, QJS, 1969 (la spécificité de
l’humain, p. 21-24)

^^^^
A l’instar des sciences naturelles, le chercheur en SS doit être objectif.
L’objectivité est conçue comme une condition de la positivité et de la
scientificité des SS.
Traiter les faits sociaux de façon objective suppose que l’observateur
considère le fait social comme un fait extérieur à lui comme aux individus
qu’il étudie. Ceci veut dire qu’il doit écarter aussi bien les prénotions des
gens étudiés que ses propres prénotions
Etudier objectivement une réalité considérée comme objective c’est écarter
les prénotions (celles de l’observé et de l’observateur) et tout biais similaire
qui peut s’interposer entre l’observateur et son objet.
Le chercheur ne doit pas projeter sur l’objet sa propre expérience ses
propres valeurs. (voir texte ci-dessous, séance suivante : La CC peut
conduire à des résultats erronés) Le rapport à la réalité doit être médiatisé
par des concepts, des théories, des procédures objectives.
Cependant, il serait naïf de croire que la décision d’écarter les prénotions est
simple, et qu’il suffit à un chercheur de le décider pour y parvenir. Ce qui
rend difficile l’affranchissement des prénotions, c’est qu’elles sont l’objet de
sentiments et de passions collectives. Les chercheurs, comme les gens qu’ils
étudient, sont passionnés par les idées politiques, économiques (libérales,
socialistes etc.) Le risque dans ce cas est que le chercheur adopte ou rejette
des résultats selon qu’ils confortent ou non ses convictions.

(Nous allons voir plus loin les différentes techniques dont dispose le
chercheur pour ne pas projeter ses prénotions sur l’objet d’étude).

L’objectivité est une posture intellectuelle.. Elle ne s'appuie que sur ce qui
se présente comme étant la réalité. L’idéal consiste dans une séparation
tranchée entre le sujet et l’objet.

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HASSAN RACHIK
MSS

Illustration :
La Connaissance commune peut conduire à des résultats erronés
L’exemple suivant est une illustration de comment des prénotions du
chercheur sont mêlés à l’observation des faits peuvent conduire à des
résultats erronés.
Dans les années soixante, des chercheurs américains ont conduit, sur
invitation du gouvernement indien, une recherche qui visait la limitation des
naissances. L'étude devait déboucher sur les moyens à mettre en œuvre pour
convaincre les paysannes indiennes de prendre la pilule. L'expérience
connaît un échec. Comment est expliqué cet échec? Les chercheurs en
question pensent que le paysan refuse toute innovation (ici la pilule) parce
qu'il ne peut se détacher des traditions ancestrales, parce qu'il se méfie de
tout produit étranger, parce qu'il n'ose pas agir sur des processus naturels.
Cet exemple est intéressant car il montre comment les explications de ces
chercheurs ont été influencées par leurs idées sur la famille. Ils ont
approché la famille indienne comme s'il s'agissait d'une famille américaine.
Dans un contexte américain, il est «irrationnel» d'avoir un nombre élevé
d'enfants. L'éducation d'un enfant est coûteuse. On peut dire que les
préjugés des chercheurs américains (la famille restreinte est la famille
normale ; la famille nombreuse est irrationnelle; le paysan est esclave des
traditions séculaires etc.) les ont empêché de comprendre la famille
paysanne indienne et de percevoir la « rationalité» du comportement des
paysans. Pour les paysans indiens la situation est différente. Eux-mêmes
disent que «plus ils ont d'enfants, mieux ils se portent ». Un enfant, non
seulement ne coûte pas cher, mais constitue une force de travail
indispensable au maintien de l'exploitation familiale [voir ci-dessous extrait
de R. Boudon]
On parle d’ethnocentrisme lorsque l’observateur juge et interprète les faits
sociaux en fonction des normes du groupe social auquel il appartient.

Critique de l’objectivisme

Impossibilité de l’objectivité idéale (relativisme, postmodernisme, ...)


Critique de la notion du « fait brut ».

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HASSAN RACHIK
MSS

[L’observateur comme photographe]

« L’observateur doit être le photographe des phénomènes, son observation


doit représenter exactement la nature. Il faut observer sans idée préconçue ;
l’esprit de l’observateur doit être passif c’est-à-dire se taire ; il écoute la
nature et écrit sous sa dictée…
« Quand il se présente à l’esprit scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il
est même très vieux car il a l’âge de ses préjugés. L’opinion pense mal, elle
ne pense pas ; elle traduit des besoins en connaissances. L’esprit scientifique
nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne connaissons
pas (Claude Bernard, Introduction à la médecine expérimentale)

Texte. Ecarter les prénotions (à lire en classe)

Emile Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique, Paris, P.U.F.,


1990, p. 31-35 (http://classiques.uqac.ca/)

Il faut écarter systématiquement toutes les prénotions […] Elle est, d'ail-
leurs, la base de toute méthode scientifique. Le doute méthodique de
Descartes n'en est, au fond, qu'une application. Si, au moment où il va
fonder la science, Descartes se fait une loi de mettre en doute toutes les
idées qu'il a reçues antérieurement, c'est qu'il ne veut employer que des
concepts scientifiquement élaborés, c'est-à-dire construits d'après la
méthode qu'il institue; tous ceux qu'il tient d'une autre origine doivent donc
être rejetés, au moins provisoirement. Nous avons déjà vu que la théorie des
Idoles, chez Bacon, n'a pas d'autre sens. Les deux grandes doctrines que l'on
a si souvent opposées l'une à l'autre concordent sur ce point essentiel. Il faut
donc que le sociologue, soit au moment où il détermine l'objet de ses
recherches, soit dans le cours de ses démonstrations, s'interdise résolument
l'emploi de ces concepts qui se sont formés en dehors de la science et pour
des besoins qui n'ont rien de scientifique. Il faut qu'il s'affranchisse de ces
fausses évidences qui dominent l'esprit du vulgaire, qu'il secoue, une fois
pour toutes, le joug de ces catégories empiriques qu'une longue
accoutumance finit souvent par rendre tyranniques. Tout au moins, si,
parfois, la nécessité l'oblige à y recourir, qu'il le fasse en ayant conscience
de leur peu de valeur, afin de ne pas les appeler à jouer dans la doctrine un
rôle dont elles ne sont pas dignes.

Ce qui rend cet affranchissement particulièrement difficile en sociologie,


c'est que le sentiment se met souvent de la partie. Nous nous passionnons,
en effet, pour nos croyances politiques et religieuses, pour nos pratiques
morales bien autrement que pour les choses du monde physique; par suite,
ce caractère passionnel se communique à la manière dont nous concevons et
dont nous nous expliquons les premières. Les idées que nous nous en
faisons nous tiennent à cœur, tout comme leurs objets, et prennent ainsi une
telle autorité qu'elles ne supportent pas la contradiction. Toute opinion qui

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HASSAN RACHIK
MSS
les gêne est traitée en ennemie. Une proposition n'est-elle pas d'accord avec
l'idée qu'on se fait du patriotisme, ou de la dignité individuelle, par
exemple? Elle est niée, quelles que soient les preuves sur lesquelles elle
repose. On ne peut pas admettre qu'elle soit vraie; on lui oppose une fin de
non-recevoir, et la passion, pour se justifier, n'a pas de peine à suggérer des
raisons qu'on trouve facilement décisives. Ces notions peuvent même avoir
un tel prestige qu'elles ne tolèrent même pas l'examen scientifique. Le seul
fait de les soumettre, ainsi que les phénomènes qu'elles expriment, à une
froide et sèche analyse révolte certains esprits. Quiconque entreprend
d'étudier la morale du dehors et comme une réalité extérieure paraît à ces
délicats dénué de sens moral, comme le vivisectionniste semble au vulgaire
dénué de la sensibilité commune. Bien loin d'admettre que ces sentiments
relèvent de la science, c'est à eux que l'on croit devoir s'adresser pour faire
la science des choses auxquelles ils se rapportent.

Séance 5. Sciences de la nature et des sciences


sociales : dualisme des méthodes

A lire

Emile Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique, Paris, P.U.F.,


1990
(Les faits sociaux sont des choses (texte à analyser en classe, voir extrait ci-
dessous) (http://classiques.uqac.ca/)

Rickert, Heinrich (1926), Science de la nature et science de la culture,


Gallimard, 1997. (Différence entre les SC et les SN (objet et méthode), (voir
extrait ci-dessous)
^^^^^

Par opposition au positivisme, des auteurs défendent l’autonomie des


sciences sociales (des sciences de l’esprit selon W. Dilthey ; des sciences de
la culture selon H. Rickert) Selon eux, il existe des différences essentielles
entre les phénomènes sociaux et les phénomènes naturels, et ces différences
au niveau de l’objet expliquent le recours des sciences sociales à des
méthodes spécifiques.
Quelles sont ces différences entre les sciences naturelles (SN) et les
sciences sociales (SS) au niveau de l’objet et de la méthode ?

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HASSAN RACHIK
MSS

Culture, valeurs et sens

Prenons l’exemple d’Heinrich Rickert (1863-1936) qui a défendu la


spécificité des sciences de la culture.
Selon lui, la notion de valeur est importante pour définir la différence entre
le concept de culture et le concept de nature. Les objets culturels sont
toujours attachés à des valeurs, on les nomme « biens » pour les distinguer
des objets de la nature qui sont dépourvus de tout lien avec les valeurs. Si
l’on sépare un bien culturel de toute valeur, il est réduit à un simple objet
naturel ; inversement si on accorde une valeur à une réalité on la transforme
en bien culturel.
La nature est dépourvue de valeur. Elle est aussi dénuée de sens. Ce qui
distingue en plus les objets naturels des objets culturels, c’est que les
premiers sont perceptibles et les seconds compréhensibles.
La perception a pour objet le monde sensible, la compréhension des
phénomènes qui ont un sens, une signification. Rickert résume ainsi cette
différence : « La nature correspondrait à l’être dépourvue de signification,
purement perceptible, inintelligible, et la culture, au contraire, à l’être
pleinement signifiant et compréhensible. »

Exemple

Encadré : Nature et culture

« Les termes de nature et de culture ne sont pas univoques, et le concept de


nature ne trouve en particulier une définition plus précise que par le concept qu'on
lui oppose. La meilleure façon ici d'éviter de paraître arbitraire est de nous tenir à la
signification d'origine. Les produits de la nature sont ceux qui croissent librement
de la terre. Les produits de la culture sont ceux qui sont engendrés par le champ
que l’homme a labouré et ensemencé. D’après cela, la nature est ce qui se produit
de soi, ce qui « naît » de soi-même et est abandonné à sa propre « croissance » Elle
s’oppose à la culture, comme étant ce qui est directement produit par un homme
agissant en vue de fins auxquelles il confère une valeur, ou bien si la chose existe
déjà, ce qui conservé intentionnellement en vertu des valeurs qui s’y attachent. »
Rickert, Heinrich [1926], Science de la nature et science de la culture,
Traduit de l’allemand par Carole Pompsy et Marc de Launey, Gallimard,
1997.

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HASSAN RACHIK
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Méthode généralisante et méthode individualisante

Rickert Heinrich (1863-1936) ne se contente pas de cette différenciation


factuelle, empirique, entre les objets naturels et les objets culturels, il
distingue aussi deux types de méthodes.
La méthode généralisante des SN a pour but la recherche des lois et la
méthode individualisante, la compréhension des phénomènes sociaux et
culturels.
Les SN s’attachent à l’universel, les sciences historiques au particulier.
« Les SN rangent leurs objets sous des concepts exprimant ce qu’il y’a de
commun aux objets particuliers qu’elles étudient…En revanche les sciences
historiques s’attachent à ce qui ne se produit qu’une seule fois et qu’elles
essaient de représenter avec leurs traits individuels. » (Rickert)
Rickert adopte ici la distinction de Windelband entre le procédé
« nomothétique » des SN et le procédé « idéographique » de l’histoire. Le
premier vise la découverte des lois (nomos), le second la représentation de
ce qui est particulier et unique.

Rickert rappelle l’idée de Bergson selon laquelle « la science de la nature ne


produit que des vêtements de confection, qui vont aussi bien à Pierre qu’à
Paul parce qu’ils ne reproduisent exactement la silhouette d’aucun des
deux » (Rickert)

La pensée de Rickert est plus nuancée. Pour lui, la science en tant que telle,
et non pas les SN, généralise. La différence entre les deux est qu’elle ne
généralise pas de la même manière. Il récuse l’idée, héritée de la pensée
d’Aristote, selon laquelle l’individuel et le particulier ne doivent pas être
objet de la science. Pour lui, la science n’a pas seulement pour objet le
général mais aussi le particulier.

Récapitulons les principes de la pensée de Rickert :

L’objet des SN est dénué de tout sens et libre de tout rapport aux valeurs.
Du point de vue de l’objet et de la méthode, la nature est définie comme
l’ensemble de la réalité indifférente sur le plan axiologique (dépourvue de
valeurs) et saisie par voie de généralisation.
Sur le plan de la méthode, les SN ne saisissent dans leurs concepts que ce
qui est commun à la plupart des objets.
Elles visent la découverte des relations conceptuelles générales, si possible
des lois.
Les SN rejettent l’individuel et le particulier (conçus comme un simple
exemplaire) en tant qu’inessentiel.

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HASSAN RACHIK
MSS
Les sciences de la culture traitent d’objets liés aux valeurs.
La sélection des objets d’étude est faite sur le mode de l’individualisation
(contrairement aux SN qui considèrent la réalité sur le mode de
généralisation).

Les SN visent à saisir une pluralité d’objets, alors que l’histoire vise un
objet qui est différent des autres : un siècle, un peuple, un personnage etc.
Seul un traitement individualisant rend justice au processus culturel..
Rickert écrit : « …dans la plupart des cas en effet, la signification d’un
processus culturel repose sur la spécificité qui le différencie de tous les
autres, alors qu’à l’inverse, ce qu’il possède en commun avec d’autres,
donc ce qui constitue son essence pour les SN, sera inessentiel pour les
sciences historiques de la culture » « …la signification culturelle d’un
objet, c’est-à-dire le sens et la valeur intelligible dont il est porteur, ne
repose pas… sur ce qui est commun avec d’autres objets mais ce qui l’en
distingue » (Rickert)

Exemple : Le médecin a besoin de généralisation. Il a besoin de lier le cas


individuel qui se présente à lui à un concept général. Mais un bon médecin,
selon Rickert, est celui qui sait qu’il n’existe pas dans la réalité des maladies
mais seulement des individus malades. Il est obligé d’individualiser, mais
dans ce cas la médecine, en tant que SN, ne peut rien lui apprendre.
La distinction entre les deux types de sciences recouperait celle entre
explication et recherche des lois, d’une part, et compréhension et
interprétation de sens, d’autre part. Il faut, d’après ce dernier point de vue,
traiter les hommes, non comme des objets naturels, mais comme des sujets,
des acteurs, c’est-à-dire prendre en compte l’intentionnalité de leur action,
leur liberté relative, les sens et les valeurs qu’ils accordent à leurs actions.
Les humains, contrairement aux objets naturels, sont capables de calculs, de
projets, d’anticipations, de stratégie etc.

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HASSAN RACHIK
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Texte Les faits sociaux sont des choses (texte à analyser en classe)
(Emile Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique, Paris, P.U.F.,
1990)

Il ne faut pas s'étonner, d'ailleurs, que les autres phénomènes de la nature


présentent, sous d'autres formes, le caractère même par lequel nous avons
défini les phénomènes sociaux. Cette similitude vient simplement de ce que
les uns et les autres sont des choses réelles. Car tout ce qui est réel a une
nature définie qui s'impose, avec laquelle il faut compter et qui, alors même
qu'on parvient à la neutraliser, n'est jamais complètement vaincue. Et, au
fond, c'est là ce qu'il y a de plus essentiel dans la notion de la contrainte
sociale. Car tout ce qu'elle implique, c'est que les manières collectives d'agir
ou de penser ont une réalité en dehors des individus qui, à chaque moment
du temps, s'y conforment. Ce sont des choses qui ont leur existence propre.
L'individu les trouve toutes formées et il ne peut pas faire qu'elles ne soient
pas ou qu'elles soient autrement qu'elles ne sont; il est donc bien obligé d'en
tenir compte et il lui est d'autant plus difficile (nous ne disons pas
impossible) de les modifier que, à des degrés divers, elles participent de la
suprématie matérielle et morale que la société a sur ces membres. Sans
doute, l'individu joue un rôle dans leur genèse. Mais pour qu'il y ait fait
social, il faut que plusieurs individus tout au moins aient mêlé leur action et
que cette combinaison ait dégagé quelque produit nouveau. Et comme cette
synthèse a lieu en dehors de chacun de nous (puisqu'il y entre une pluralité
de consciences), elle a nécessairement pour effet de fixer, d'instituer hors de
nous de certaines façons d'agir et de certains jugements qui ne dépendent
pas de chaque volonté particulière prise à part. Ainsi qu'on l'a fait
remarquer, il y a un mot qui, pourvu toutefois qu'on en étende un peu
l'acception ordinaire, exprime assez bien cette manière d'être très spéciale:
c'est celui d'institution. On peut en effet, sans dénaturer le sens de cette
expression, appeler institution toutes les croyances et tous les modes de
conduite institués par la collectivité; la sociologie peut alors être définie: la
science des institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement.

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HASSAN RACHIK
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Texte. Épistémologie des sciences de l'homme et épistémologie des


sciences de la nature, Pierre Bourdieu, J.-C. Chamboredon, J.-C.
Passeron, Le métier de sociologue, 1968.
C'est dans une représentation fausse de l'épistémologie des sciences de la
nature et du rapport qu'elle entretient avec l'épistémologie des sciences de
l'homme que prennent racine la plupart des erreurs auxquelles sont exposées
tant la pratique sociologique que la réflexion sur cette pratique. Ainsi des
épistémologies aussi opposées dans leurs affirmations patentes que le
dualisme diltheyen, qui ne peut poser la spécificité de la méthode des
sciences de l'homme qu'en l'opposant à une image des sciences de la nature
suscitée par le pur souci de distinguer, et le positivisme, qui s'ingénie à
singer une image de la science naturelle fabriquée pour les besoins de
l'imitation, ont en commun d'ignorer la philosophie exacte des sciences
exactes. Pareille bévue a pu conduire aussi bien à forger des distinctions
forcées entre les deux méthodes pour complaire aux nostalgies ou aux vœux
pieux de l'humanisme qu'à applaudir naïvement à des redécouvertes qui
s'ignorent comme telles, ou encore à entrer dans la surenchère positiviste qui
copie scolairement une image réductrice de l'expérience comme copie du
réel.

Mais on peut apercevoir que le positivisme ne reprend à son compte


qu'une caricature de la méthode des sciences exactes sans accéder ipso fado
à une épistémologie exacte des sciences de l'homme. Et de fait, c'est une
constante de l'histoire des idées que la critique du positivisme machinal
serve à affirmer le caractère subjectif des faits sociaux et leur irréductibilité
aux méthodes rigoureuses de la science. Ainsi, apercevant que « les
méthodes que les savants ou les chercheurs fascinés par les sciences de la
nature ont si souvent essayé d'appliquer de force aux sciences de l'homme
n'ont pas toujours été nécessairement celles que les savants suivaient en fait
dans leur propre domaine, mais bien plutôt celles qu'ils croyaient utiliser»,
Hayek en conclut immédiatement que les faits sociaux diffèrent « des faits
des sciences physiques parce qu'ils sont des croyances ou des opinions
individuelles» et, par suite, « ne doivent pas être définis d'après ce que nous
pourrions découvrir à leur sujet par les méthodes objectives de la science
mais d'après ce que la personne qui agit pense à leur sujet ». La contestation
de l'imitation automatique des sciences de la nature s'associe si
automatiquement à la critique subjectiviste de l'objectivité des faits sociaux
que tout effort pour traiter des problèmes spécifiques que pose la
transposition aux sciences de l'homme de l'acquis épistémologique des
sciences de la nature, risque toujours d'apparaître comme une réaffirmation
des droits imprescriptibles de la subjectivité.

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HASSAN RACHIK
MSS

Séances 6 et 7. Explication

A lire :

Demeulenaere, Pierre, « Explication et compréhension », », in Borlandi,


Massimo Boudon, Raymond, Cherkaoui, Mohamed, Valade, Bernard,
Dictionnaire de la pensée sociologique, PUF, 2005, p. 261-264
Rocher, Guy, [La définition subjective de Max Weber et la définition
objective d’Emile Durkheim], in Guy Rocher, Introduction à la sociologie
générale, tome 1.,L’action sociale, Ed., HMH, p. 25-34.
Rickert, Heinrich, Différence entre les sciences de la nature et les sciences
de la culture (objet et méthode), in Heinrich Rickert, (1926), Science de la
nature et science de la culture, Gallimard, 1997. (à analyser en classe, voir
texte ci-dessous)

^^^^

L’explication réfère à la mise en évidence des causes déterminant l’action


sociale, alors que le concept de « compréhension » renvoie à l’interprétation
du sens, des motifs ou des « raisons » que les acteurs attribuent à leurs
actions.

Cette distinction simple et schématique entre l’explication et la


compréhension est controversée. Des auteurs critiquent cette limitation de
l’explication à la détermination causale de l’action sociale et la
compréhension à la description des raisons qui la motivent. Ils approchent
l’interprétation des raisons de l’action sociale comme une étape nécessaire
dans la démarche explicative.

Il existe plusieurs modes d’explication des faits sociaux. L’un des modes
d’explication les plus anciens s’inspire de la philosophie de l'histoire.
Selon Marcel Mauss, « la philosophie de l'histoire a été, en effet, la forme de
spéculation sociologique immédiatement antérieure à la sociologie
proprement dite. C'est de la philosophie de l'histoire que la sociologie est
née: Comte est le successeur immédiat de Condorcet, et lui-même a
construit une philosophie de l'histoire plutôt qu'il n'a fait de découvertes
sociologiques. » Ce mode d’explication vise à dégager les lois de
développement, d’évolution de l’humanité dans son ensemble par rapport à
un domaine déterminé. Dans ce cas la loi est dite évolutive car elle dégage,
pour le domaine étudié, les étapes nécessaires par lesquels l’humanité doit
passer.

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HASSAN RACHIK
MSS
Nous allons prendre comme exemple deux types de lois.
La loi évolutive (ou loi de succession) prend la forme « A, puis B, puis C »
Dans ce cas le phénomène A sera suivi de B, puis de C.
La loi conditionnelle de forme « si A, B » Dans ce cas, la loi n’exprime pas
une succession mais une condition : dans telles conditions, il se produira tel
phénomène.

1. Loi évolutive

Nous avons choisi comme exemple de loi évolutive, la loi des trois états (ou
loi de l’évolution intellectuelle de l’humanité) d’Auguste Comte. Suivant
cette loi, l’évolution intellectuelle de l’humanité passe successivement par
trois états théoriques différents : théologique, métaphysique et positif. Le
premier est conçu comme préparatoire, le second comme transitoire et
conduisant graduellement au troisième qui est, selon Comte, le « seul
pleinement normal » le « régime définitif de la raison humaine. »
Comte souligne un paradoxe : c’est pendant l’enfance de l’esprit humain
que les hommes se sont posés des questions les plus insolubles telles que
l'origine et les causes premières des phénomènes.
A cet état primordial correspond l’esprit théologique. Celui-ci connaît trois
formes principales : le fétichisme, le polythéisme, le monothéisme.
« Le fétichisme proprement dit, consistant surtout à attribuer à tous les corps
extérieurs une vie essentiellement analogue à la nôtre, mais presque toujours
plus énergique, d'après leur action ordinairement plus puissante. L'adoration
des astres caractérise le degré le plus élevé de cette première phase
théologique, qui, au début, diffère à peine de l'état mental où s'arrêtent les
animaux supérieurs. »
Avec le polythéisme, deuxième forme de l’esprit théologique, « la vie est
enfin retirée aux objets matériels, pour être mystérieusement transportée à
divers êtres fictifs, habituellement invisibles, dont l'active intervention
continue devient désormais la source directe de tous les phénomènes
extérieurs et même ensuite des phénomènes humains » (A. Comte)

La métaphysique a aussi pour but essentiel les connaissances absolues.


Comte note un changement important qui a contribué à l'essor des
conceptions positives. La métaphysique, comme la théologie, pose elle aussi
des questions insolubles relatives à l'origine et à la destination de toutes
choses, mais elle remplace les agents surnaturels par des idées abstraites.

Les deux états, théologique et métaphysique, sont considérés comme des


préambules nécessaires à l’état définitif, l’état positif où l'esprit humain
renonce aux recherches absolues et subordonne l’imagination à
l’observation considérée comme la seule base possible des connaissances.
La connaissance part des faits et son efficacité est mesurée par rapport à sa
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HASSAN RACHIK
MSS
conformité aux faits, au réel. La recherche des causes premières est
abandonnée au profit de la recherche des lois, « c'est-à-dire des relations
constantes qui existent entre les phénomènes observés » (A Comte,
Discours sur l’esprit positif, p. 9-20)

Selon la loi des trois états, l’évolution intellectuelle de l’humanité est


conçue comme une progression d’un état inférieur à un état supérieur. Cette
évolution a un sens : le progrès. Dans le premier état qui constitue l’enfance
de l’humanité c’est le fictif, l’imagination qui domine ; dans le second, qui
est une phase transitoire, c’est le raisonnement abstrait, l’argumentation ;
dans le troisième, état définitif associé à la virilité de l’intelligence humaine,
les maîtres mots sont les faits, le réel , l’expérience et l’observation.

La loi des trois états s’insère dans un paradigme plus large qui a dominé le
19° siècle, l’évolutionnisme.

Voici brièvement les principaux traits du paradigme évolutionniste en tant


que mode d'explication des faits sociaux :
l’évolutionnisme est une forme de spéculation qui suppose que l'humanité
en général est prédisposée par sa nature à un développement déterminé dont
on peut découvrir les étapes. L'humanité suit une orientation unique et se
développe dans un sens unique. Son histoire est linéaire et progressive en ce
sens que chaque étape étant par principe plus avancée, plus évoluée que la
précédente. (l’idée d’une régression est théoriquement exclue)

Autres exemples : Les stades de la croissance économique de W. Rostow…

2. Loi conditionnelle, industrialisation et nucléarisation de la famille

Talcott Parsons (1902-1979) montre comment le processus


d'industrialisation entraîne un effet de nucléarisation de la famille, comment
la famille nucléaire (époux, épouse, et enfants) est devenue le type familial
« normal» dans les pays industrialisés.
L’industrialisation a crée des conditions favorables à la nucléarisation de la
famille. Dans les sociétés « traditionnelles », l’individu hérite de son père
son identité sociale et son statut social. On parle de statut prescrit lorsque le
statut social de l’individu est hérité. Dans les sociétés traditionnelles, les
hommes, même mariés, sont obligés de rester dans le foyer du père. Tout se
fait au sein de cette famille élargie : l’apprentissage, le travail etc. Un
homme marié ne peut gagner sa vie en dehors de l’exploitation familiale.
C’est du père que le fils hérite le statut social, le métier, les biens etc.
Le processus d’industrialisation va ébranler, détruire les bases économiques
de la société traditionnelle, notamment le mode d'acquisition du statut social

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HASSAN RACHIK
MSS
et la division sociale du travail. Les enfants n’héritent plus forcément le
statut social du père, la famille n’est plus le lieu principal de l’apprentissage.
Ils peuvent acquérir grâce à l’école des statuts sociaux différents (médecin,
instituteur, infirmier, ingénieur, etc.) de ceux du père. On parle ici de
« statut acquis » par opposition au statut prescrit (hérité). L’acquisition du
statut ne dépend plus exclusivement de la famille. Les enfants, une fois leurs
études terminées, sont souvent contraints de chercher du travail loin de leur
famille d’origine. Ils ont ainsi la possibilité de fonder leurs propres familles
Parsons conclut à l'existence d'une loi conditionnelle : lorsqu'un processus
d'industrialisation apparaît, il tend à entraîner un effet de nucléarisation de la
famille. Cette loi conditionnelle peut être formulée ainsi : « Si A
(industrialisation), alors B (famille nucléaire) »

Il faut noter que là aussi, nous sommes également en face d’une loi
évolutive, Parsons affirme que la famille moderne de type nucléaire succède
ainsi à la famille étendue traditionnelle. Les lois de succession peuvent être
la conséquence d’une loi conditionnelle.

Le plus souvent, la notion de causalité est utilisée en sociologie dans un sens


probabiliste : A est cause de B c'est-à-dire que A favorise B (A rend plus
fréquent B).
L’industrialisation favorise la nucléarisation de la famille, mais elle n’est ni
une condition nécessaire, ni une condition suffisante de la nucléarisation de
la famille.
On peut imaginer des cas où la famille nucléaire pré-existe au processus
d’industrialisation ou l’inverse (en dépit de l’industrialisation la famille
étendue persiste).
Prenons, pour illustrer la même idée, un autre exemple plus proche des
étudiants. Soit l’explication suivante : un milieu familial défavorisé
(entendre ici des parents qui n’ont pas fréquenté l’école) entraîne l’échec
scolaire ou une réussite scolaire médiocre. Pour que le milieu familial
détermine l’échec scolaire, il faut que tous les élèves issus d’un milieu
familial défavorisé réussissent mal leur vie scolaire. Or des études
sociologiques montrent qu’une petite proportion de ses élèves ne connaît
pas l’échec scolaire, et que, inversement, tous les élèves issus de milieux
favorisés ne réussissent pas forcément leur scolarité.

On voit ici que la variable milieu familial n’est pas une condition
nécessaire : l’échec ou la réussite peuvent être l’effet d’autres variables
(présence ou manque d’intérêt par les parents aux études de leurs enfants,
par exemple) Lorsqu’on dit qu’une condition n’est pas nécessaire, cela veut
dire que le phénomène étudié peut se produire indépendamment de cette
condition (on trouve B : réussite scolaire sans A : milieu familial favorisé)

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HASSAN RACHIK
MSS
La variable « milieu familial favorisé » n’est pas non plus une condition
suffisante. Elle peut être limitée par le manque d’intérêt des parents aux
études de leurs enfants.(Des parents aisés et éduqués qui accordent peu
d’importance à la scolarité de leurs enfants) Le milieu familial ne détermine
pas la réussite scolaire, il la favorise. Le taux des élèves issus de familles
favorisées peut être plus élevé que celui des élèves issus des familles
défavorisés.

Dans d'autres cas, l'imputation ou l’explication causale est impossible. Dans


le cas de politiques publiques, par exemple (un gouvernement qui donne
plus d’importance au social, qui réforme l’enseignement universitaire, etc.),
on ne peut poser la question du type : quelle est la cause de la nouvelle
politique ou celle de l'échec des politiques précédentes? La nouvelle
politique est le résultat d'un processus, d’un enchaînement d'actions et de
réactions, plutôt que d'une cause ou même d'un ensemble de causes.

Encadré : La notion de causalité


… Il est difficile de ramener la notion de cause aux notions logiques classiques
d'implication (condition nécessaire, condition suffisante ou condition nécessaire et
suffisante). L'augmentation des taux de natalité en Angleterre entre 1840 et 1870
est cause de l'augmentation de la population dans cette période. Mais elle n'était
pas une condition nécessaire (l'augmentation aurait pu être produite par une
diminution des taux de mortalité). Elle n'était pas non plus une condition suffisante
(ses effets auraient pu être contrebalancés par une augmentation des taux de
mortalité). En dépit des critiques épistémologiques adressées à la notion de cause,
elle est souvent utilisée dans la pratique des sciences sociales. Le mauvais temps
(e1) a été la cause d'une mauvaise récolte (e2), laquelle a été la cause d'une
augmentation des prix (e3). Lorsqu'on énonce une proposition de ce genre on ne
prétend ni que l'état de choses e1 soit la condition nécessaire ou suffisante de e2 ni
que e2 soit la condition nécessaire ou suffisante de e3….
Boudon, Raymond et Bourricaud, François, « Causalité », Dictionnaire
critique de sociologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1982, p. 61-
62.

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HASSAN RACHIK
MSS

Analyse fonctionnelle
Expliquer un fait social c’est rendre
compte des fonctions sociales qu’il remplit

Ce sont des anthropologues britanniques (Radcliffe-Brown et Malinowski)


qui ont développé l’analyse fonctionnelle. Selon ce paradigme, expliquer
les faits sociaux c’est rendre compte des fonctions sociales qu’ils
remplissent. Pour saisir ce paradigme, partons de l’analogie que fait
Radcliffe-Brown entre la vie sociale et la vie organique.
Un organisme animal est un système de molécules intégré de façon
complexe dans un système de relations : la structure organique. L'organisme
n'est pas lui-même une structure, il a une structure. La structure est un
système de relations entre les éléments de l’organisme. « Durant toute sa
vie, l'organisme conserve une certaine permanence de structure, bien que ses
parties constituantes ne restent pas identiques. Il perd quelques-unes de ses
molécules constituantes par la respiration et l'absorption alimentaire. Si,
pendant une période donnée, ses cellules constituantes changent,
l'arrangement structural des éléments subsiste. La vie est le processus qui
maintient cette permanence structurale de l'organisme. El1e consiste en
actions et interactions des éléments constituants de l'organisme, des cellules
et des organes dans lesquels elles sont groupées. »
Nous avons i. des éléments dont est constitué un organisme (cellules,
organes etc.), ii. une structure c’est-à-dire un système de relations entre ces
éléments et iii. un processus qui les maintient et qui est la vie de
l’organisme. Selon Radcliffe-Brown, la vie d'un organisme n'est autre que le
fonctionnement de sa structure. Le concept de fonction réfère au lien entre
un élément et le fonctionnement de la structure. Ainsi, un organe a une
activité (l'estomac : digestion ; poumon : respiration, etc.), et cette activité a
une fonction qui consiste dans sa contribution permanence de la structure,
c’est-à-dire à la vie de l'organisme. La fonction est donc une correspondance
entre l’activité d’un élément, un organe dans notre exemple, et les besoins
de l'organisme.
L’analyse fonctionnelle a été largement appliquée aux sociétés restreintes
(primitives notamment). Radcliffe-Brown prend comme exemple une tribu
africaine. Cette tribu a une structure : un réseau de relations sociales liant
ses membres. La permanence de la structure sociale, comme celle de la
structure organique, peut être maintenue en dépit des changements des
membres de la société : des individus meurent, émigrent, d’autres viennent
s’installer dans la tribu (immigrés, femmes mariées) sans affecter la
structure de la tribu.
Soit tribu divisée en quatre clans A, B, C et D. A et B sont alliés contre B et
C. Cette structure, division en clans et système d’alliance entre ces clans,
n’est pas affectée par l’entrée ou le départ de certains individus. Les
individus changent, émigrent, meurent, etc. sans affecter la structure
Comment se maintient une structure sociale? Comme pour un organisme, il
y’a des activités et des institutions qui assurent ces activités et qui ont pour
fonction le maintien de la structure sociale. « La fonction de toute activité

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HASSAN RACHIK
MSS
récurrente, telle que la punition d'un crime ou une cérémonie funéraire,
consiste dans le rôle qu'elle joue dans la vie sociale totale et par conséquent,
dans la contribution qu'elle apporte au maintien de la permanence
structurale » (Radcliffe-Brown)
L’analyse fonctionnelle lie le concept de fonction au concept de structure.
La fonction « est la contribution qu'une activité partielle apporte à l'activité
totale dont elle est une partie. La fonction d'un usage social donné consiste
dans la contribution qu'il apporte à la vie sociale totale, c'est-à-dire au
fonctionnement du système social total. Dès lors, un certain type d'unité
que l'on peut appeler unité fonctionnelle caractérise tout système social. »
Radcliffe-Brown note cependant les limites de l’analogie entre l'organisme
et la société.
i. Dans un organisme animal, un chercheur peut observer la structure
organique indépendamment de son fonctionnement. Ceci permet de
constituer une morphologie indépendante de la physiologie, ce qui est
impossible pour les sociétés humaines où la structure sociale ne peut être
observée que dans son fonctionnement. « Sans doute, quelques-uns des
traits caractéristiques de la structure, par exemple la distribution
géographique des individus et des groupes, sont-ils observables directement,
mais on ne peut observer la plupart des relations sociales qui, dans leur
totalité, constituent la structure, telles que les relations de père à fils,
d'acheteur à vendeur, de souverain à sujet, que dans les activités sociales où
fonctionnent ces relations. Il s’ensuit qu'on ne peut pas établir une
morphologie sociale indépendante de la physiologie sociale. » (Radcliffe-
Brown)
ii. La seconde limite « est qu'un organisme animal ne modifie pas son type
structural au cours de sa vie. Un cochon ne devient pas un hippopotame […]
En revanche, une société, au cours de son histoire, peut modifier son type
structural, sans rompre sa permanence. »
Radcliffe-Brown fait remarquer que l’analyse fonctionnelle ne suppose pas
que tout a une fonction sociale, et que des coutumes à contenu identique
peuvent avoir des fonctions différentes.

Principales idées du paradigme fonctionnaliste

i. Le fonctionnalisme (dans sa première version) part d’une conception


organiciste de la société : le concept de fonction a la même acception qu’en
physiologie.
ii. Expliquer un phénomène social c’est montrer en quoi il est en
concordance avec d’autres phénomènes sociaux.
i. L’étude de la fonction d’un phénomène social est rapportée à la société
dans son ensemble. Il considère la vie sociale d’un peuple comme une
totalité, comme une unité fonctionnelle. Il s’agit d’étudier tous les aspects
de la vie sociale, les considérer dans leurs relations réciproques. Cependant,

41
HASSAN RACHIK
MSS
il est souvent nécessaire de centrer l’attention sur un élément en le liant à
d’autres éléments et à la société dans sa totalité.
Un paradigme connaît des améliorations, des changements qui répondent à
de nouvelles questions, l’adaptent à de nouvelles conditions. L’une des
modifications majeures consiste dans le dépassement de la conception de la
société comme une totalité On ne peut, notamment pour les sociétés
modernes complexes, étudier la fonction d’un phénomène social dans son
rapport à la société dans sa globalité. Aussi, la tâche est de déterminer le
segment de la société par rapport auquel le phénomène social considéré peut
assurer une fonction sociale.

42
HASSAN RACHIK
MSS

Texte Différences entre les sciences de la nature et les sciences de la


culture (objet et méthode), in Heinrich Rickert, (1926), Science de la
nature et science de la culture, Gallimard, 1997. (A analyser en classe)

«Je voudrais maintenant à nouveau tout résumer. Nous pouvons distinguer


conceptuellement deux types de travaux empirico-scientifiques, sans pour
autant prétendre qu'ils sont partout distincts. Je ne veux mettre en évidence
que les formes « pures ». D'une part, on trouve les sciences de la nature. Le
terme de « nature» les caractérise tout autant pour ce qui est de leur objet,
que pour ce qui est de leur méthode. Elles voient dans leurs objets un être ou
événement libre de tout rapport à une valeur, et leur intérêt se porte sur la
découverte des relations conceptuelles générales, si possible des lois, qui
concernent cet être ou événement. Le particulier n'est pour elles qu'un «
exemplaire ». Ceci vaut pour la psychologie tout autant que pour la
physique. Toutes deux ne font aucune sorte de différence entre les divers
corps et âmes par rapport aux valeurs et aux évaluations, toutes deux
rejettent l'individuel en tant qu'inessentiel, et toutes deux ne saisissent dans
leurs concepts que ce qui est commun à la plupart de leurs objets. Il n'existe
aucun objet qui soit soustrait par principe à ce traitement relevant des
sciences de la nature au sens le plus large du terme. La nature est l'ensemble
de la réalité psycho-physique, indifférente sur le plan axiologique et saisie
par voie de généra1isation.

De l'autre côté, on trouve les sciences historiques de la culture. Pour les


caractériser, il nous manque un terme, équivalent de celui de «nature », qui
les désignerait tout autant par rapport à leur objet que par rapport à leur
méthode. Nous devons donc choisir deux expressions qui correspondent aux
deux significations du terme de « nature ». En tant que sciences de la
culture, elles traitent des objets liés aux valeurs culturelles générales, et
compris par conséquent comme signifiants, et en tant que sciences
historiques, elles représentent l'évolution unique de ces objets dans sa
particularité et dans son individualité; en cela, le fait qu'il s'agit de processus
culturels fournit à leur méthode historique le principe de sa formation de
concepts, car l'essentiel pour elle est uniquement ce qui, en tant que porteur
de sens, et dans sa spécificité individuelle, possède une signification pour la
valeur culturelle directrice. De ce fait, elles sélectionnent en tant que
«culture» au sein de la réalité, sur le mode de l'individualisation, tout autre
chose que les sciences de la nature, qui considèrent la même réalité en tant
que « nature» sur le mode de la généralisation; dans la plupart des cas en
effet, la signification d'un processus culturel repose sur la spécificité qui le
différencie de tous les autres, alors qu'à l'inverse, ce qu'il possède en
commun avec d'autres, donc ce qui constitue son essence pour les sciences
de la nature, sera inessentiel pour les sciences historiques de la culture. »

43
HASSAN RACHIK
MSS

Séances 8 et 9
Compréhension

Boudon, R. Les méthodes de sociologie, QSJ n° 1334, [prénotions et


compréhension, p. 16-21)]
Demeulenaere, Pierre, « Explication et compréhension », (voir séance
explication)
Mauss, Marcel, [Critique du mode d’explication philosophique (A. Comte)]
In Mauss, Essais de sociologie, p. 29 et s.
Rocher, Guy, op.cit. (voir séance explication)
Weber, Max, Economie et société, Plon, 1995 (chapitre premier : les
concepts fondamentaux de la sociologie (en insistant sur le concept de
compréhension)
Weber, Max, [La compréhension selon Weber], (A lire en classe, voir
extrait ci-dessous)

^^^^

Nous avons vu que les concepts d’explication et de compréhension sont au


centre du débat (de la querelle de méthode) opposant les adversaires et les
défenseurs de l’application des méthodes des sciences de la nature aux
phénomènes sociaux.
La notion de compréhension est défendue par des philosophes (Dilthey,
Rickert…) des sociologues et des anthropologues (Max Weber, Raymond
Boudon, Clifford Geertz, …) qui conçoivent le domaine de l’action humaine
comme différent de celui de la nature : l’action humaine n’a pas
d’équivalent dans le monde de la nature, elle est associée à la liberté, au
sens, aux valeurs, etc.
Dans une perspective positiviste, pour mériter le nom de scientifique, la
sociologie ne doit pas tenir compte des motivations des individus et de leurs
subjectivités. Les motivations relèvent de l’inobservable (rappelons le
principe positiviste du primat de l’observable).
On a souvent opposé, sur ce point, Durkheim et Max Weber (1841-1913)
qui définit la sociologie comme « une science qui se propose de comprendre
par interprétation l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son
déroulement et ses effets. » (Weber, Economie et société)

44
HASSAN RACHIK
MSS
Pour Weber, la compréhension est un moment important dans l’explication
d’un phénomène social. Expliquer un phénomène social c’est d’abord
comprendre le sens des actions individuelles dont il résulte.
Le monde social n’est pas seulement un monde d’objets et de choses, il est
aussi et surtout un monde de sens.

Sens visé, sens vrai, sens juste

L’activité sociale est une activité significative c’est-à-dire compréhensible.


La notion de compréhension consiste en une construction, par le chercheur,
du sens visé par l’acteur.
Selon Weber, l’action sociale (l’activité sociale) est un comportement
humain auquel un ou plusieurs acteurs attribuent (donnent, communiquent)
un sens.
La notion de sens veut dire le sens visé subjectivement par l’acteur (un
individu, un groupe social, des individus en moyenne ou conçus comme des
types.)
Weber n’est pas d’accord avec Simmel qui ne distingue pas nettement le
sens visé et le sens objectivement valable.
Selon Weber, il ne s’agit pas du sens juste, ni du sens vrai. La différence
entre les sciences empiriques (sociologie, histoire) et d’autres sciences
comme la logique ou l’éthique est que ces dernières cherchent le sens vrai
ou le sens juste. Donc, ce qui intéresse Weber, c’est le sens donné par
l’acteur, abstraction faite de sa véracité ou de sa justesse.
Exemple : une réponse à une question portant sur le nombre des enfants est
vérifiable par le chercheur, ce n’est pas le cas des réponses portant sur le
sens attribué du nombre des enfants…Dans certaines situations, le sens
n’est connu que par des spécialistes. C’est le cas de la mystique ou toute
autre activité ésotérique. L’activité d’un mystique n’est pas compréhensible
ou pas entièrement compréhensible pour celui qui n’est pas initié à ce genre
de pratiques (Weber, Economie et société)

Compréhension immédiate et actuelle

La compréhension peut signifier la compréhension actuelle du sens visé


dans un acte. A la différence d’un savant qui observe des phénomènes
naturels, le chercheur en sciences sociales peut comprendre immédiatement
un comportement humain. Il n’a pas besoin de faire une recherche pour
comprendre certains comportements sociaux.
Il peut avoir un accès immédiat au sens du comportement étudié. Il peut
comprendre immédiatement un attroupement devant une station de bus, un
professeur qui est en train d’expliquer aux étudiants un cours, une mère qui
gifle son enfant, etc.

45
HASSAN RACHIK
MSS
La compréhension immédiate suppose que le chercheur soit familiarisé
avec le sens donné par les acteurs. Un comportement étrange ou peu
familier ne peut être compris de façon actuelle. Dans ce cas, le chercheur
pose des questions pour accéder au sens du comportement incompris.
La compréhension immédiate et actuelle est proche de la connaissance
commune. Elle reste insuffisante car à des comportements qui paraissent
semblables peuvent être associés à des sens et à des motifs différents.
Avoir ou souhaiter avoir plusieurs enfants peut être lié à des sens et à des
motivations diverses (économiques, religieuses, affectives, etc.)

Compréhension par motivation ou compréhension explicative

La compréhension ne se réduit pas à la compréhension actuelle. Dans la


majorité des cas, selon Weber, comprendre c’est chercher le motif de
l’action.
Le « motif» est un ensemble significatif qui semble constituer aux yeux de
l'agent ou de l'observateur la « raison» significative d'un comportement.
Plus simplement, comprendre un comportement c’est rechercher les raisons
qui en rendent compte.

Toutes les actions sociales ne sont pas compréhensibles

Weber distingue entre l’activité rationnelle et l’activité irrationnelle.


Les deux types d’action impliquent deux types de compréhension différents.
La compréhension rationnelle est caractérisée par son évidente
compréhensibilité. On comprend de façon plus évidente un bûcheron qui
coupe des arbres qu’un autre qui, pris dans un excès de colère, endommage
les arbres avec sa hache.
La panique en bourse, et toute panique, est un autre exemple de
comportement irrationnel selon la définition de Weber.
Weber distingue entre la compréhension rationnelle (ou intellectuelle)
d’actes et la compréhension irrationnelle d’affections.
On peut comprendre une activité de façon rationnelle ou par empathie.
L’activité rationnelle peut être comprise « de manière entièrement
intellectuelle quant à ses significations visées. On peut comprendre
intellectuellement une activité où les moyens utilisés sont adéquats aux fins
poursuivies (l’adéquation n’est pas définie par le chercheur dans l’absolu
mais par rapport au savoir du moment)
L’activité affective peut être comprise par empathie. On peut comprendre
significativement par empathie des affectes, des sentiments, des émotions
comme la peur, la jalousie, le dévouement, la soif de la vengeance, etc. Ici,

46
HASSAN RACHIK
MSS
il ne s’agit pas de saisir intellectuellement l’activité mais de revivre par
empathie, de façon émotionnelle, l’activité en question (Weber, Economie
et société).

Difficultés

Il faut prendre en compte les situations où les acteurs ne sont pas


totalement conscients du sens et des raisons de leurs actions.
Weber écrit que l’activité réelle se déroule dans une obscure semi-
conscience ou dans la non-conscience du sens visé. L’agent perçoit le sens
de façon vague ou ne le perçoit pas du tout. Ce n’est qu’occasionnellement
qu’on prend conscience du sens de l’action, et dans le cas d’une action
collective, c’est souvent le fait de quelques individus seulement. Une
activité effectivement significative, ce qui veut dire pleinement consciente et
claire, n’est jamais en réalité qu’un cas limite.
L’acteur peut ne pas connaître de façon claire ses motivations, les ignorer,
voire en avoir une vision erronée (on parle ici de motifs « refoulés », non
avoués). Ceci rend difficile la saisie du sens de l’action.
L’acteur ne peut pas toujours saisir les raisons de son action. Ceci n’a rein à
voir avec sa sincérité. Le problème se pose même pour les témoignages
sincères. « Les motifs invoqués, même lorsqu’ils sont sincères, n’ont des
fois qu’une valeur relative », « Les motifs invoqués… dissimulent trop
souvent à l'agent même l'ensemble réel dans lequel s'accomplit son activité,
à tel point que les témoignages, même les plus sincères subjectivement,
n'ont qu'une valeur relative … » (Weber, Economie et société)
Weber mentionne une autre difficulté liée cette fois-ci au conflit de motifs
c’est-à-dire à une situation où les agents sont animés par des motifs opposés.
Parce que les motivations sont difficilement saisissables, des chercheurs
(notamment ceux influencés par le point de vue positiviste et empiriste)
refusent de les prendre comme objet d’étude et voient dans la reconstitution
de la subjectivité des acteurs un obstacle à la connaissance scientifique.
Les raisons d’une action sociale ne peuvent être comprises immédiatement,
elles ne peuvent être fondées seulement sur les dires des acteurs.

Comprendre c’est surtout recueillir le maximum d’informations sur


l’acteur…

On peut toujours partir des raisons que donne l’acteur lui-même à son
action. Mais ces raisons n’ont qu’une valeur relative, même lorsque l’acteur
est sincère. Le chercheur ne se contente pas des motifs déclarés par l’acteur.
(Weber, Economie et société)
La compréhension par motivation n’est pas un acte immédiat, mais un
processus plus ou moins long. Comprendre c’est surtout recueillir le

47
HASSAN RACHIK
MSS
maximum d’informations sur l’acteur, sa situation sociale, le contexte social
de l’action, etc.
L’état (empathique ?) où l’observateur peut se dire « si j’étais à la place de
l’observé, j’aurai fait la même chose », devrait venir à la fin du processus
de compréhension et non à son début.

La capacité de reproduire soi-même l’activité des gens étudiés n’est pas


une condition de la compréhensibilité.

Un chercheur n’est pas obligé de devenir un mystique pour comprendre ce


qu’est la mystique. Et comme dit Weber : « Il n’est pas besoin d’être César
pour comprendre César ».
On peut faire l’effort de se mettre à la place de l’acteur. Mais ceci
n’implique en aucune façon que la subjectivité de celui-ci soit
immédiatement transparente pour l’observateur. Comprendre ne signifie pas
chercher à éprouver des sentiments analogues à ceux de
l’acteur…Comprendre, au sens weberien, c’est établir des relations entre la
situation de l’acteur, ses motivations et ses actions, telles que l’observateur
puisse conclure –et convaincre son lecteur de conclure- que, dans la même
situation, il aurait sans doute fait comme l’acteur.

La compréhension comme but ultime et comme un moment de


l’explication

Des auteurs (comme Dilthey) font de la compréhension une méthode


caractéristique des sciences sociales (sciences de l’esprit pour Dilthey) et de
l’explication causale une méthode caractéristique des sciences naturelles.
Pour d’autres (Weber, Boudon), la compréhension d’un phénomène social
n’est un qu’un moment dans son explication.
A cet égard Boudon écrit : « En fait les sciences sociales, tout comme les
sciences de la nature, cherchent très souvent à expliquer les phénomènes
qu’ils étudient, c’est-à-dire à en retrouver les causes. Ainsi la sociologie
s’est beaucoup interrogée sur les causes du développement du capitalisme,
de l’expansion récente de la demande scolaire, des variations dans le temps
et dans l’espace de la mobilité sociale, etc. Ce qui distingue les sciences de
l’homme des sciences de la nature, c’est que les causes des phénomènes
sociaux sont représentées par des croyances ou des actions humaines. Ainsi,
l’explication au sens large comprend deux moments : 1. Un moment
explicatif (au sens étroit) où l’on ramène l’action à ses causes individuelles
(ce qui n’exclut évidemment pas que les individus appartiennent à des
ensembles ou à des groupes) ; 2. Un moment compréhensif où l’on cherche
à déterminer les raisons des comportements individuels responsables du
phénomène en question. (Boudon)

48
HASSAN RACHIK
MSS

Charles-Alexis-Cerel de Tocqueville (1805-1859) explique le retard de


l'agriculture française par rapport à l'agriculture l'anglaise à la fin du XVIIIe
siècle en considérant les conditions sociales sous lesquelles agissent les
propriétaires français.
La centralisation administrative française comporte un ensemble
d’avantages convoités par les grands propriétaires français. En s’installant
en ville, ces propriétaires bénéficient de certains privilèges et échappent à
certaines obligations.
Ceci a pour effet la négligence des exploitations agricoles. Ne pouvant
s’occuper directement de leurs terres, ils les confient à des locataires.
N’étant pas propriétaires, ceux-ci n’auront ni l’intérêt (ils ne sont pas
motivés), ni les moyens pour investir et améliorer les techniques agricoles.
D’où le retard technique….

Exemple (disparition de la corvée collective)

Séance 10 : Holisme et individualisme méthodologique

49
HASSAN RACHIK
MSS

Texte. La compréhension selon Weber


A lire en classe, (Max Weber, Economie et société)

5. La compréhension peut signifier d’une part la compréhension actuelle


[aktuelles Verstehen] du sens visé dans un acte (y compris une expression).
Nous « comprenons » par exemple le sens de la proposition 2 X 2 = 4 que
nous entendons ou lisons (compréhension actuelle rationnelle d’idées) ou un
éclat de colère qui se manifeste par une mimique, des interjections et des
mouvements irrationnels (compréhension actuelle irrationnelle d’affections)
ou le comportement d’un bûcheron ou d’une personne qui saisit une clenche
pour fermer une porte ou d’une personne qui met un animal en joug
(compréhension actuelle rationnelle d’actes). – Elle peut également signifier
d’autre part une compréhension explicative [erklärendes Verstehen]. Nous
« comprenons », parce que nous saisissons la motivation
[motivationsmässig], le sens qu’une personne a associé à la proposition 2 X
2 = 4 qu’elle prononce ou qu’elle a écrite, à cet instant précis et dans ce
contexte, si nous la voyons plongée dans une comptabilité commerciale,
dans une démonstration scientifique, dans un calcul technique ou autre acte
de ce genre {} ensemble dans lequel, d’après son sens qui nous est
compréhensible, « entre » la proposition en question, c’est-à-dire acquiert
une relation significative qui nous est compréhensible (compréhension
rationnelle par motivation). Nous comprenons le mouvement du bûcheron
ou l’acte d’épauler un fusil non seulement actuellement mais dans sa
motivation, si nous savons que le bûcheron accomplit son acte pour gagner
sa vie, soit pour ses besoins personnels, soit pour des raisons de santé
(forme rationnelle), ou bien par exemple parce que, énervé, il « abréagit »
(forme irrationnelle) ; de même nous comprenons le geste de la personne qui
épaule un fusil si nous savons qu’elle fait cet acte soit pour fusiller
quelqu’un sur ordre, soit pour combattre des ennemis (forme rationnelle) ou
bien par vengeance (forme affectuelle et par conséquent irrationnelle en ce
sens). Nous comprenons enfin dans sa motivation une colère si nous savons
qu’elle a pour origine une jalousie, une vanité maladive, un honneur blessé
(donc, si elle est conditionnée affectueusement : forme irrationnelle par
motivation). Dans tous ces cas nous avons affaire à des ensembles
significatifs [Sinnzusammenhänge] compréhensibles, et nous considérons
leur compréhension comme une explication [Erklären] du déroulement
effectif de l’activité. Pour une science qui s’occupe du sens de l’activité,
« expliquer » signifie par conséquent la même chose qu’appréhender
l’ensemble significatif auquel appartient, selon son sens visé
subjectivement, une activité actuellement compréhensible (pour plus de
renseignements sur la signification causale de cette « explication », voir
infra 6). Dans tous ces cas, même lorsqu’il s’agit de processus affectifs,
nous désignons par sens « visé » le sens subjectif du devenir [Geschehen], y
compris l’ensemble significatif (nous nous écartons donc de l’usage usuel
qui n’emploie habituellement la notion de « viser » [Meinen] en ce sens que
50
HASSAN RACHIK
MSS
dans les cas d’une activité rationnelle et intentionnellement orientée vers
une fin).

6. Dans tous ces cas, « comprendre » signifie saisir par interprétation le sens
ou l’ensemble significatif visé (a) réellement dans un cas particulier (dans
une étude historique par exemple), (b) en moyenne ou approximativement
(dans l’étude sociologique des masses par exemple), (c) à construire
scientifiquement (sens « idéaltypique ») pour dégager le type pur (idéal-
type) d’un phénomène se manifestant avec une certaine fréquence. Les
concepts ou les « lois » qu’établit la pure théorie de l’économie politique
constituent par exemple des constructions idéaltypiques de ce genre. Elles
décrivent comment une activité humaine, d’une nature déterminée, se
déroulerait, si elle s’orientait de façon rigoureusement rationnelle en
finalité, en dehors de toute perturbation provenant d’erreurs ou d’affects, et
si en outre elle s’orientait de façon entièrement univoque d’après une seule
fin (l’économie). Ce n’est qu’en de très rares cas (celui de la Bourse), et
encore de façon approximative, que l’activité réelle se déroule telle qu’elle
est construite dans l’idéaltype. Sur l’utilité de telles constructions, voir
l’Archiv für Sozialwissenschaft, XIX, p. 64 sqq. [WL 190] et infra 11.

Toute interprétation tend, certes, vers l’évidence. Mais une interprétation


significative, si évidente soit-elle, ne peut pas encore comme telle et en
vertu de ce caractère d’évidence prétendre être une interprétation valable du
point de vue causal. Elle n’est jamais en elle-même qu’une hypothèse
causale particulièrement évidente. a) Des motifs invoqués et des
« refoulements » (ce qui veut dire d’abord des motifs non avoués)
dissimulent trop souvent à l’agent même l’ensemble réel dans lequel
s’accomplit son activité, à tel point que les témoignages, même les plus
sincères subjectivement, n’ont qu’une valeur relative. La tâche qui incombe
alors à la sociologie est de découvrir cet ensemble et de le déterminer par
interprétation, bien que l’on n’ait pas pris conscience, ou le plus souvent
insuffisamment, du sens « visé » in concreto : c’est là un cas limite de
l’intreprétation significative. b) Certains processus externes de l’activité qui
nous apparaissent comme « semblables » ou « analogues » peuvent avoir
comme fondement du côté de l’agent ou des agents, des ensembles
significatifs extrêmement divers ; et nous « comprenons » aussi une activité
qui dévie très fortement et qui souvent va significativement dans le sens
opposé aux situations que nous regardons comme « similaires » (Simmel en
donne des exemples dans ses Problemen der Geschichtphilosophie). c) Face
à des situations données, les agents sont très souvent animés par des
tendances opposées, se combattant mutuellement, que nous « comprenons »
toutes. Nous savons par expérience que dans de très nombreux cas nous ne
sommes pas en mesure d’apprécier, pas même approximativement, avec une
entière régularité, mais sans certitude, la force relative avec laquelle
s’expriment d’ordinaire dans l’activités les diverses relations significatives
qui s’affrontent dans le « conflit des motifs », bien qu ‘elles nous soient les
unes et les autres également compréhensibles. Seule la tournure prise
effectivement par le conflit nous fournit des éclaircissements à ce sujet. Tout

51
HASSAN RACHIK
MSS
comme pour toute autre hypothèse, il est indispensable de contrôler
l’interprétation significative compréhensible par le résultat, c’est-à-dire la
tournure prise par le déroulement réel de l’activité. On n’y parvient avec une
relative exactitude que dans les cas, malheureusement très rares, qui s’y
prêtent en raison de leur nature particulière, dans l’expérimentation
psychologique. On y arrive aussi avec une approximation extrêmement
variable, grâce à la statistique, dans les cas (également limités) de
phénomènes collectifs dénombrables et univoques du point de vue de leur
imputation. Pour le reste, il n’existe d’autre possibilité que la comparaison
de processus aussi nombreux que possible de la vie historique et journalière
qui sont semblables en tout, mais diffèrent sur un unique point, celui du
« motif » ou « facteur » dont l’importance pratique fait chaque fois l’objet
de la recherche : c’est là une tâche importante de la sociologie comparée.
Lorsque nous voulons faire une imputation causale il ne nous reste
malheureusement souvent que le moyen incertain de l’ « expérience
mentale », c’est-à-dire imaginer la suite possible d’éléments singuliers de la
chaîne des motifs et construire le cours des choses probable en ce cas. […]

7. Nous appelons « motif » un ensemble significatif qui semble constituer


aux yeux de l'agent ou de l'observateur la « raison » significative d'un
comportement. Nous appellerons « significativement adéquat » un
comportement qui se développe avec une telle cohérence que la relation
entre ses éléments est reconnue par nous comme constituant un ensemble
significatif typique (nous disons d'ordinaire « juste »), suivant nos habitudes
troyennes de penser et de sentir. Par contre nous appellerons « causalement
adéquate » une succession de processus dans la mesure où, suivant les règles
de l'expérience, il existe une chance qu'elle se déroule en réalité
constamment de la même manière. Est par exemple significativement
adéquate, suivant notre terminologie, la solution d'une opération arith-
métique qui est juste d'après les normes courantes du calcul et du
raisonnement. Est causalement adéquate - dans les limites de l'événement
statistique - la probabilité qu'effectivement, suivant les règles éprouvées de
l'expérience, on considérera une solution comme « juste » ou « fausse » sur
la base des normes qui nous sont aujourd'hui familières; il peut donc s'agir
également d'une « erreur de calcul » typique et d'une « confusion de
problèmes » typique. L'explication causale signifie donc qu'on établit que,
suivant une règle de probabilité évaluable d'une manière ou d'une autre ou
bien, dans le cas idéal - plutôt rare -, exprimable numériquement, à un
événement déterminé (interne ou externe) qu'on a observé succédera un
autre événement déterminé (ou qu'il apparaîtra en. même temps que lui).

Une interprétation causale juste d'une activité concrète signifie que le


déroulement extérieur et le motif sont reconnus comme se rapportant l'un à
l'autre et compréhensibles significativement dans leur ensemble. Une
interprétation causale juste d'une activité typique (type d'acte
compréhensible) signifie que l'on peut établir que le déroulement de
l'activité reconnue comme typique est aussi bien significativement adéquat
(à un degré quelconque) que causalement adéquat (à un degré quelconque).

52
HASSAN RACHIK
MSS
L'adéquation significative fait-elle défaut, nous ne sommes plus en présence
que d'une simple probabilité statistique non compréhensible (ou seulement
imparfaitement compréhensible), même si la régularité du déroulement
(externe aussi bien que psychique) se laisse exprimer de façon précise 1
avec la plus grande probabilité numérique. D'un autre côté, l'adéquation
significative, fût-elle la plus évidente, ne constitue pour la portée des
recherches sociologiques un énoncé causalement juste qu'à la condition
qu'on puisse apporter la preuve qu'il existe une chance quelconque [6] (plus
ou moins déterminable) indiquant que l'activité adopte ordinairement de fait
(en moyenne ou dans le cas « pur »), avec une fréquence ou une i
approximation déterminables, la direction du déroulement qui semble
significativement adéquat. Seules les régularités statistiques qui
correspondent à un sens visé compréhensible d'une activité sociale
constituent des types d'actes compréhensibles (au sens de notre
terminologie), c'est-à-dire des « règles sociologiques ». Seules les
constructions rationnelles d'une activité significative compréhensible
constituent des types sociologiques du devenir réel que l'on peut observer
dans la réalité au moins avec (nie certaine approximation. Cela tic tient pas,
tant s'en faut, au fait que la chance effective de la fréquence du déroulement
qui y correspond s'accroîtrait toujours parallèlement à l'adéquation
significative qu'il est possible d'inférer, Seule l'expérience externe peut
montrer dans chaque cas particulier s'il en est ainsi. - Il existe des
statistiques de phénomènes étrangers à une signification (par exemple
celles qui portent sur la mortalité, la fatigue, le rendement d'une machine ou
sur les chutes (le pluie), exactement dans le même sens qu'il en existe de
phénomènes significatifs. Des statistiques sociologiques, cependant, il n'y en
a que dans le dernier cas (telles celles qui portent sur la criminalité, la
profession, les prix ou les exploitations agricoles). Il va de soi que les cas
qui comportent les deux éléments, significatif et non significatif, sont
fréquents, par exemple celui qui porte sur les récoltes.

8. Les processus et régularités auxquels nous n'accordons pas ici la qualité


de « faits ou de règles sociologiques », parce qu'ils ne sont pas
compréhensibles (au sens de notre terminologie), n'ont évidemment pas
pour cette raison une moindre importance. Ils ne l'ont même pas pour la
sociologie au sens où nous la concevons ici (qui se limite à la « sociologie
compréhensive » que l'on ne peut ni ne doit imposer à personne). Pour des
raisons méthodologiques absolument inévitables, ils entrent dans une autre
problématique que celle de l'activité compréhensible : celle des « conditions
», « occasions », « entraves » et « facteurs qui favorisent » cette activité.

9. Il ne saurait exister, à notre avis, d'activité au sens d'une orientation


ignificativement compréhensible d'un comportement propre que sous la
forme d'un comportement d'un ou plusieurs personnes singulières.

53
HASSAN RACHIK
MSS

Texte. Critique du mode d’explication philosophique (à lire en


classe)
Mauss, Marcel, [Critique du mode d’explication philosophique (A. Comte)
],
Mauss, Essais de sociologie, p. 29.

« Le premier mode d'explication qui ait été méthodiquement appliqué à ces


faits [sociaux] est celui qui a été pendant longtemps en usage dans ce qu'il
est convenu d'appeler la philosophie de l'histoire. La philosophie de
l'histoire a été, en effet, la forme de spéculation sociologique
immédiatement antérieure à la sociologie proprement dite. C'est de la
philosophie de l'histoire que la sociologie est née: Comte est le successeur
immédiat de Condorcet, et lui-même a construit une philosophie de l'histoire
plutôt qu'il n'a fait de découvertes sociologiques. Ce qui caractérise
l'explication philosophique, c'est qu'elle suppose 1'homme, l'humanité en
général prédisposée par sa nature à un développement déterminé dont on
s'efforce de découvrir toute l'orientation par une investigation sommaire des
faits historiques. Par principe et par méthode on néglige donc le détail pour
s'en tenir aux lignes les plus générales. On ne cherche à expliquer pourquoi,
dans telle espèce de sociétés, à telle époque de leur développement, on
rencontre telle ou telle institution : on cherche seulement vers quel but se
dirige 1 'humanité, on marque les étapes qu'on juge lui avoir été nécessaires
pour se rapprocher de ce but.
Il est inutile de démontrer l'insuffisance d'une telle explication. Non
seulement elle laisse de côté, arbitrairement, la majeure partie de la réalité
historique, mais comme il n'est plus possible aujourd'hui de soutenir que
l'humanité suive une voie unique et se développe dans un seul sens, tous ces
systèmes se trouvent, par cela seul, privés de fondement » (Mauss, Marcel,
Essais de sociologie, 18-19)

« … les représentations collectives ne doivent pas être conçues comme se


développant d'elles-mêmes, en vertu d'une sorte de dialectique interne qui
les obligerait à s'épurer de plus en plus, à se rapprocher d'un idéal de raison.
Si la famille, le droit pénal ont changé, ce n'est pas par suite des progrès
rationnels d'une pensée qui, peu à peu, rectifierait spontanément ses erreurs
primitives. Les opinions, les sentiments de la collectivité ne changent que si
les états sociaux dont ils dépendent ont également changé. Ainsi ce n'est pas
expliquer une transformation sociale quelconque, par exemple le passage du
polythéisme au monothéisme, que de faire voir qu'elle constitue un progrès,
qu'elle est plus vraie ou plus morale, car la question est précisément de
savoir ce qui a déterminé la religion à devenir ainsi plus vraie ou plus
morale, c'est-à-dire en réalité à devenir ce qu'elle est devenue. Les
phénomènes sociaux ne sont pas plus automoteurs que les autres
phénomènes de la nature. La cause d'un fait social doit toujours être
cherchée en dehors de ce fait. C'est dire que le sociologue n'a pas pour objet

54
HASSAN RACHIK
MSS
de trouver nous ne savons quelle loi de progrès, d'évolution générale qui
dominerait le passé et prédéterminerait l'avenir. Il n'y a pas une loi unique,
universelle des phénomènes sociaux. Il y a une multitude de lois d'inégale
généralité. Expliquer, en sociologie, comme en toute science, c'est donc
découvrir des lois plus ou moins fragmentaires, c'est-à-dire lier des faits
définis, suivant des rapports définis. » (Mauss, Essais de sociologie, p. 29)

A lire

Boudon, R. Les méthodes de sociologie, QSJ n° 1334 (p. 31-41)

Bourdieu, Pierre, Chamboredon, JP, Passeron, JC, Le métier de sociologue,


Mouton, 1980, (le fait est conquis contre l’illusion du savoir immédiat,
prénotions et techniques de rupture…, p. 27-41)

Bourdieu, Pierre ; J.-C. Chamboredon ; J.-C. Passeron, Le métier de


sociologue, 1968 (p. 51-80)

Paul Lazarsfeld, « Des concepts aux indices empiriques », in R. Boudon & P.


Lazarsfeld, Le vocabulaire des sciences sociales, Paris, Mouron, 1965, pp. 27-31 (à
lire en classe, voir extrait ci-dessous)

^^^^

Séances 11 et 12 Construction de l’objet : définition et


hypothèse

La recherche en sciences sociales doit être méthodique, systématique et


préparée. Elle n’est pas une action simple et évidente, et, de ce fait, elle
nécessite un effort de la part du chercheur.
Il y a des étapes de la recherche qui ne sont pas forcément linéaires. Mais
pour des raisons didactiques nous allons les présenter de façon successive.

La « construction de l’objet » réfère aux phases préliminaires d’une


recherche. Elle implique, selon certains auteurs, la rupture avec les
prénotions. Nous allons analyser à présent comment, cette rupture peut être
réalisée.

L’objet d’une recherche (ou d’une science) n’est pas quelque chose qui
existe à l’état brut dans la réalité.

Le point de vue qui crée l’objet.


Devant la complexité du réel, le chercheur est amené à faire un choix, une
sélection des aspects de la réalité sociale qu’il veut étudier.

55
HASSAN RACHIK
MSS
Il est impossible d’observer le réel dans toute sa complexité, il faut
l’analyser en effectuant des choix.
Ces choix se font en fonction d’un cadre théorique qui oriente la définition
de l’objet de la recherche, les hypothèses élaborées en rapport avec cet
objet.

Illustration

Prenons un exemple, une institution à laquelle nous sommes familiers.


A proprement parler, la famille n’est pas un objet de recherche. Aucun
chercheur ne peut prétendre décrire et étudier la famille en tant que telle,
car elle renvoie à des phénomènes sociaux complexes et hétérogènes. Un
chercheur ne peut dans une étude, même monographique, s’attaquer à tout
ce qui fait la vie dans une famille : la taille, la consommation, les dépenses,
la production (en milieu rurale), la division sociale du travail (qui fait
quoi ?), la socialisation des enfants, les relations d’autorité entre les parents
et les enfants, le divorce, le cycle familial, les loisirs. Et on peut facilement
allonger la liste.
Quand bien même il serait pertinent d’approcher un phénomène dans sa
totalité, un chercheur, voire un groupe de chercheurs, ne peuvent pas tout
saisir. Ils sont obligés de faire un choix. Et c’est ce choix qui permet la
construction théorique de l’objet d’étude : étudier la socialisation politique
des enfants l’amènera à privilégier certains phénomènes sociaux et négliger
d’autres.
Il faut noter que les mêmes phénomènes sociaux sont étudiés par différentes
disciplines. Chacune n’en prend qu’un ou un petit nombre d’aspects. La
famille peut être approchée d’un point de vue sociologique, économique,
psychologique, historique, démographique. Chacune de ces disciplines
développe une approche qui lui est particulière, chacune découpe dans la
réalité familiale des faits, des actions, des interactions, qui constituent son
objet de recherche.
Retenons qu’une recherche n’a pas pour objet de décrire le réel, d’être une
image fidèle du réel. Le réel est complexe et inépuisable. Le chercheur est
amené à délimiter l’objet de son enquête.

Définition du phénomène à étudier

56
HASSAN RACHIK
MSS
Prenons comme exemple un chercheur qui étudie les loisirs. Il doit définir
cette notion. La question est de savoir si, par exemple, le bricolage, le
jardinage, le tricot doivent être ou non considérés comme un loisir. Tout
dépendra de la définition adoptée.
Si le loisir désigne des activités non productives, alors des activités comme
le bricolage, le jardinage et le tricot seront éliminés du domaine de
l’enquête.
En revanche on peut les intégrer si on adopte une définition plus large du
loisir : toute activité qui se fait en dehors de l’activité principale (étude,
travail, etc.).
On voit ici que le loisir ne réfère pas à un secteur de la réalité qu’on peut
délimiter comme on le ferait pour un champ, ou un terrain. Ce qu’il y a
dans la réalité c’est des activités qu’on peut classer, selon la définition
adoptée, comme loisir.
La définition préalable permet de délimiter (même de façon provisoire) le
champ de l’observation.
Elle permet aussi, selon Durkheim, d’écarter les prénotions et d’approcher
de façon objective les phénomènes sociaux. Une définition objective se
limite au début à identifier les traits (indicateurs, propriétés) extérieurs du
phénomène étudié à partir des propriétés qui lui sont inhérentes.
Par ailleurs, une définition objective ne doit pas être éclectique. Elle doit
rendre compte de tous les phénomènes qui présentent les mêmes caractères,
et non seulement de quelques faits triés.
Le tri peut être fait au hasard, il peut être orienté par un préjugé, un intérêt
matériel ou politique du chercheur.
Pour Durkheim, une définition est objective dans le sens où les faits groupés
et la manière de les grouper dépendent des traits inhérents à ces faits (signes
extérieurs) et non pas des idées du chercheur, de ses convictions religieuses,
politiques etc.
Ceci permet à ses collègues (d'autres chercheurs) et aux lecteurs d'avoir la
possibilité de contrôler la définition proposée.

57
HASSAN RACHIK
MSS

Encadré : Définition implicite et définition objective de la moralité


C'est la même faute de méthode qui fait que certains observateurs refusent
aux sauvages toute espèce de moralité. Ils partent de cette idée que notre
morale est la morale; or il est évident qu'elle est inconnue des peuples
primitifs ou qu'elle n'y existe qu'à l'état rudimentaire. Mais cette définition
est arbitraire.
Appliquons notre règle et tout change. Pour décider si un précepte est
morale ou non, nous devons examiner s'il présente ou non le signe extérieur
de la moralité; ce signe consiste dans une sanction répressive diffuse, c'est-
à-dire dans un blâme de l'opinion publique qui venge toute violation du
précepte. Toutes les fois que nous sommes en présence d'un fait qui présente
ce caractère, nous n'avons pas le droit de lui dénier la qualification de moral;
car c'est la preuve qu'il est de même nature que les autres faits moraux. Or,
non seulement des règles de ce genre se rencontrent dans les sociétés
inférieures, mais elles y sont plus nombreuses que chez les civilisés. Une
multitude d'actes qui, actuellement, sont abandonnés à la libre appréciation
des individus, sont alors imposés obligatoirement. On voit à quelles erreurs
on est entraîné soit quand on ne définit pas, soit quand on définit mal. (E.
Durkheim)

La délimitation de l’objet de recherche dépend des questions ou des


hypothèses de l’étude.

Une hypothèse est une explication provisoire qui oriente la recherche et qui
demande à être affirmée. Elle peut être inspirée des recherches antérieures
sur le phénomène étudié, comme elle peut être développée à partir d’une
pré-enquête.
Par exemple, on peut supposer que l’adaptation de l’immigrant à la société
d’accueil est plus aisée s’il appartient à une famille solidaire.
Cette hypothèse oblige d’inclure la famille de l’immigrant dans le champ
d’étude
Elle met en relation deux variables : l’adaptation et la solidarité familiale.
Mais ces deux notions sont vagues. Comment savoir si un immigrant est
adapté, comment savoir s’il est plus adapté ou moins adapté qu’un autre.
Il en est de même pour la notion de solidarité. Comment savoir si une
famille est solidaire, s’il est plus solidaire ou moins solidaire qu’une autre.

Toute étude est faite de mots (pas seulement). On peut classer ces mots de
façon simple en mots logiques et mots descriptifs.

Les mots logiques comme « et » (ou, tout…) ne réfèrent à rien dans la


réalité.

58
HASSAN RACHIK
MSS
Les mots descriptifs réfèrent ou nomment quelque chose. Ces mots n’ont
pas la même valeur. La chaise, le cheval, l’autorité, le pouvoir réfèrent à des
phénomènes observables.
Mais on ne peut observer un cheval comme on observe la solidarité,
l’adaptation, le pouvoir, la gestion, le droit, … Ces derniers ne sont pas
directement observables.

Définition opérationnelle

Le concept de solidarité doit être défini. Mais il ne s’agit pas, ici, de définir
de façon théorique l’essence ou la nature de la solidarité sociale. Ce qui est
visée c’est une définition opérationnelle.
Rendre un concept opérationnel, c’est le rendre mesurable, c’est le traiter
comme une variable. La température, par exemple, est une variable, et elle
est mesurée grâce au thermomètre.
La définition opérationnelle n’est pas une définition panacée qui répond à
toutes les questions quel que soit le contexte. Elle réfère à la tentative du
chercheur en sciences sociales de lier ses concepts à des propriétés des
phénomènes sociaux observés.
Dans une enquête, rendre un concept opérationnel, c’est le rendre
mesurable, c’est le traiter comme une variable. Définir de façon
opérationnelle la solidarité familiale, c’est la rendre mesurable à partir de
certains indicateurs (visites, emprunts, échange de biens et de services)
On peut ainsi, à partir des critères choisis, classer les familles en solidaires
et non solidaires et, si nécessaire, en classes de familles plus ou moins
solidaires.
La détermination des indicateurs permet de voir comment des concepts se
traduisent empiriquement dans la réalité.

(Un autre exemple : explication de l’échec scolaire).

59
HASSAN RACHIK
MSS

Encadré : Le concept de variable

« ….Le mot « variable» a, notons-le en passant, une histoire ambiguë.


Issus de la mathématique et de la physique théorique, il a pris, dans les
sciences sociales un sens de plus en plus large et l'usage est peu à peu établi
de comprendre dans le concept de variable le résultat de la partition
d'ensembles d'objets selon un ou plusieurs critères spécifiques: sexe niveau
de qualification, âge sont des exemples de variables. Les classifications qui
correspondent à la première et à la seconde sont respectivement nominale et
ordonnée; la troisième seule est quantitative et de même type que les
variables utilisées par la physique. On pourrait dire pour faire ressortir les
distinctions que le sexe est un attribut à deux valeurs, la hiérarchie
professionnelle un ordre, l'âge une variable au sens étroit du mot. Mais le
plus souvent, on parle de variable pour désigner un critère de classification
quelconque, que ce dernier aboutisse à la définition de classes simplement
distinctes (ou catégories), de classes ordonnées (ou rangs), ou de classes
définies par une valeur quantitative (ou mesures). » (Boudon, Raymond, Les
méthodes en sociologie)

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HASSAN RACHIK
MSS

Texte Mesure des concepts


Paul Lazarsfeld, « Des concepts aux indices empiriques », 1965, p. 27-31

Aucune science ne vise son objet dans sa plénitude concrète. Elle choisit
certaines de ses propriétés et s'efforce d'établir des relations entre elles. La
découverte de telles lois représente la fin ultime de toute recherche
scientifique. Cependant, dans les sciences sociales, le choix des propriétés
stratégiques constitue en soi un problème essentiel. Il n'a pas encore été créé
de terminologie rigoureuse à cet usage. On nomme parfois ces propriétés
aspects ou attributs, et l'on emprunte souvent le terme « variable» aux
mathématiques. On appelle description, classification, ou mesure, l'acte
d'attribuer des propriétés à l'objet.
Le sociologue parle de « mesure », dans un sens plus large que le
physicien ou le biologiste. Lorsqu'on constate qu'au sein d'une organisation,
tel service manifeste un degré plus élevé de satisfaction au travail que tel
autre, on dit qu'on a opéré une mesure, même si elle n'est pas exprimée par
un nombre. En général, on tentera néanmoins de parvenir à des mesures, au
sens traditionnel du mot, par la construction de métriques précises. On note
déjà certains progrès dans ce domaine; mais nous nous trouvons encore dans
la phase initiale de ces recherches formelles, qui ne correspondent elles-
mêmes qu'à une partie très limitée de l'ensemble des opérations de mesure
utilisées dans la pratique.
Nous examinerons ici, de manière très générale, la démarche suivie par le
sociologue pour caractériser son objet d'étude: on verra que, quand on veut
déterminer des « variables» susceptibles de mesurer des objets complexes,
on est généralement amené à suivre un processus plus ou moins typique. Ce
dernier permet d'exprimer les concepts en
termes d'indices empiriques et comprend quatre phases majeures: la
représentation imagée du concept, la spécification des dimensions, le choix
des indicateurs observables, et la synthèse des indicateurs constituant les
indices.

1. LA REPRÉSENTATION IMAGÉE DU CONCEPT

Le mouvement de la pensée et l'analyse qui permettent d'établir un


instrument de mesure naissent généralement d'une représentation imagée. Le
chercheur, plongé dans l'analyse des détails d'un problème théorique,
esquisse tout d'abord une construction abstraite, une image. L'aspect
créateur de son travail commence peut-être à l'instant où, percevant des
phénomènes disparates, il tente de découvrir en eux un trait caractéristique
fondamental, et essaye d'expliquer les régularités qu'il observe. Le concept,
au moment où il prend corps, n'est qu'une entité conçue en termes vagues,
qui donne un sens aux relations observées entre les phénomènes.

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HASSAN RACHIK
MSS
Un problème classique de la sociologie industrielle est l'analyse et la «
mesure)) de la notion de gestion. Mais qu'entend-on exactement par «
gestion », « direction» et « administration»? Le contremaître peut-il être
considéré comme un agent de gestion? Le concept de gestion est peut-être
apparu le jour où on a remarqué que deux usines, placées dans des
conditions identiques, peuvent être bien ou mal dirigées. Ce facteur
complexe, favorisant le rendement des hommes et la productivité de
l'équipement, fut alors identifié sous le nom de « gestion ». Depuis, les
sociologues des organisations se sont efforcés de préciser cette notion et de
lui donner un contenu plus concret.

La même évolution s'est d'ailleurs manifestée dans d'autres domaines.


Aujourd'hui, l'usage des tests d'intelligence est devenu courant. Mais la
notion d' « intelligence» correspond, à l'origine, à une impression complexe
et concrète de vivacité ou d'engourdissement mental. C'est bien souvent une
impression générale de cet ordre qui éveille la curiosité du chercheur et
l'oriente sur une voie qui aboutit finalement à un problème de mesure.

2. LA SPÉCIFICATION DU CONCEPT

La phase suivante consiste à analyser les « composantes» de cette première


notion, que nous appellerons encore, selon les cas, « aspects » ou «
dimensions ». On peut les déduire analytiquement du concept général qui
les englobe, ou empiriquement de la structure de leurs intercorrélations. De
toutes façons, un concept correspond généralement à un ensemble complexe
de phénomènes plutôt qu'à un phénomène simple et directement observable.

Supposons qu'on désire savoir si le rendement d'une équipe d'ouvriers est


satisfaisant. On n'a, à l'origine, qu'une notion assez vague de ce qu'est un
rendement satisfaisant et on se demandera sans doute ce qu'implique une
telle expression. Quel type de rendement faut-il préférer: celui d'un ouvrier
qui travaille vite et gâche beaucoup de pièces, ou celui d'un ouvrier lent
mais soigneux dans son travail? Dans certains cas, selon la nature de la
fabrication, on peut admettre un rendement médiocre associé à un faible
taux de déchets; il semble cependant peu probable que, poussant ce
raisonnement à l'extrême, on accepte d'éliminer complètement les risques
d'erreurs en adoptant une cadence excessivement faible. Finalement on est
amené à analyser la notion de rendement et à déterminer ses différentes
composantes: vitesse de travail, qualité du produit, rentabilité de
l'équipement. La théorie de la mesure donne à ces facteurs le nom de «
dimensions », dont l'analyse est souvent un problème complexe, comme on
peut le voir dans une étude sur une usine de construction aéronautique où on
a pu dégager dix-neuf composantes de la notion de gestion. En voici
quelques exemples: absence de dissensions au sein du groupe, bonnes
communications hiérarchiques, souplesse de l'autorité, politique rationnelle
de la direction, importance relative de l'effectif des cadres... On peut

62
HASSAN RACHIK
MSS
évidemment pousser très loin l'analyse du concept. Un exemple aussi riche
que celui-ci est certainement rare. Cependant, en règle générale, la
complexité des concepts employés en sociologie est telle que leur traduction
opérationnelle exige une pluralité de dimensions.

3. LE CHOIX DES INDICATEURS

La troisième démarche consiste à trouver des indicateurs pour les


dimensions retenues. Cela ne va pas sans difficultés. La première peut se
formuler ainsi: qu'est-ce exactement qu'un indicateur? William James
écrivait dans The Meaningoftruth: «... Lorsqu'on dit d'un homme qu'il est
prudent, on veut dire par là qu'il adopte un certain nombre de
comportements caractéristiques de la prudence: qu'il contracte des
assurances, qu'il ne met pas tout son enjeu sur le même cheval, qu'il ne se
lance pas tête baissée dans une entreprise... Le terme « prudent » est ainsi
une manière pratique d'exprimer abstraitement un trait commun à ses actes
habituels... Il y a dans son système psychophysique des caractères distinctifs
qui le portent à agir prudemment... ».
Ici, la démarche de James va d'une image à un ensemble d'indicateurs,
directement suggérés par l'expérience de la vie quotidienne. On a
aujourd'hui tendance à spécifier la relation de ces indicateurs à la qualité
fondamentale: on n'exige pas d'un homme prudent, qu'avant de parier, il
répartisse toujours son enjeu avec autant de soin, ou qu'il s'assure contre
tous les risques qu'il encourt. On dit seulement qu'il est probable qu'il
accomplira certains actes spécifiques de la prudence.
Nous savons aussi que les indicateurs utilisables varient largement selon
le milieu social de l'individu. On ne rencontre guère d'occasions de parier ou
de contracter une police d'assurance dans un pensionnat religieux, par
exemple. Il est cependant possible d'élaborer une mesure de la prudence qui
tienne compte dé ce milieu particulier.

La relation entre chaque indicateur et le concept fondamental étant définie


en termes de probabilité et non de certitude, il est indispensable l d'utiliser
autant que possible un grand nombre d'indicateurs. L'étude des tests
d'intelligence, par exemple, a permis de décomposer cette notion en
plusieurs dimensions: intelligence manuelle, verbale... Mais ces dimensions
elles-mêmes ne peuvent être mesurées que par un ensemble d'indicateurs.
Rares sont les faits observés qui n'ont pas servi un jour ou l'autre
d'indicateurs dans l'étude et la mesure d'un phénomène. Les revenus sont
souvent considérés comme un indicateur de compétence; mais, si on s'en
tient à ce seul indicateur, la plupart des hommes d'affaires doivent apparaître
comme plus compétents que d'éminents savants. De même, le nombre des
malades guéris par un médecin indique, sans aucun doute, sa valeur;
cependant il faut tenir compte du fait que la probabilité de guérison varie
avec les spécialités médicales. Enfin, 'si le nombre de livres d'une
bibliothèque publique indique bien, en un sens, le niveau culturel de
63
HASSAN RACHIK
MSS
l'ensemble des lecteurs, il est évident que la qualité des ouvrages est pour le
moins aussi révélatrice que leur quantité.
La détermination des critères qui limitent le choix d'une batterie
d'indicateurs est un problème délicat. Doit-on les considérer comme faisant
partie du concept ou, au contraire, comme indépendants ou extérieurs à
celui-ci? Si on dresse la liste des indicateurs de « l'intégration » d'une
communauté, le taux de criminalité est-il contenu dans le concept
d'intégration, ou représente-t-il un facteur extérieur déterminable à partir de
la mesure d'intégration? Ici, comme lorsqu'il s'agit des indices projectifs, la
connaissance des lois qui gouvernent les relations entre indicateurs est
particulièrement importante. Même si on exclut les taux de criminalité de la
représentation d'un centre urbain « intégré », il se peut que l'expérience
révèle une relation étroite entre ces taux et le degré d'intégration; on pourrait
donc les utiliser comme mesures de l'intégration au cas où les données
relatives aux indicateurs correspondant expressément à ce concept feraient
défaut. Cependant, il est nécessaire de procéder d'abord à des « études de
validation» établissant l'existence de corrélations étroites entre le taux de
criminalité et les autres indicateurs de l'intégration. Il faut aussi déterminer
les autres facteurs éventuellement susceptibles d'influencer le taux de
criminalité, et, partant, d'invalider les mesures; on peut alors soit contrôler
ces facteurs, soit utiliser un nombre d'indicateurs suffisant pour compenser
leurs effets.

2. LA FORMATION DES INDICES

La quatrième phase consiste à faire la synthèse des données élémentaires


obtenues au cours des étapes précédentes. Ayant décomposé le rendement
d'une équipe d'ouvriers ou l'intelligence d'un enfant en six dimensions, et
choisi dix indicateurs pour chaque dimension, il s'agit maintenant de
construire une mesure unique à partir de ces informations élémentaires.
Parfois, on sera obligé d'établir un indice général couvrant l'ensemble des
données. Les délibérations d'un jury chargé d'attribuer une bourse d'études,
par exemple, ont pour but d'apprécier l'ensemble des données concernant
chacun des candidats. En d'autres occasions, l'intérêt portera plutôt sur les
relations de chacune de ces dimensions avec des variables extérieures. Mais
là aussi, il faudra faire la synthèse des différents indicateurs, dont les
liaisons avec les variables extérieures sont généralement plus faibles et plus
instables que le trait caractéristique fondamental qu'on se propose de
mesurer. »

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HASSAN RACHIK
MSS

Séances 13 et 14 Techniques de recherche

Types de données : première et seconde main


Enquêtes quantitatives et enquêtes qualitative
Neutralité ou engagement de l’enquêteur

L’observation

Observation intuitive, spontanée et observation méthodique


Domaines de l’observation
Terrains privilégiés : petites communautés comme un village, des
institutions comme l’hôpital, des lieux de travail comme l’usine…
Délimitation du terrain
Observation et pratique de terrain
Situation artificielle de l’observation.
Observation directe et observation participante (observer en prenant part
aux activités quotidiennes du groupe étudié).
Fait brut et fait construit

Le questionnaire

Problématique (questions et hypothèses) orientant le questionnaire


Opinions, croyances, attitudes, comportements
Variables dépendantes et variables indépendantes
Variables individuelles
Variables contextuelles (sécheresse, paysan qui habite près d’une ville,
proximité de salles de cinéma...)
Question ouverte et question fermée
Question de fait (vérifiable) et question d’opinion (sens) àfaire

L’entretien

Place de l’entretien dans une recherche quantitative ou qualitative


Type d’entretien et buts de la recherche
Entretien individuel et entretien collectif
Entretien, conversation...
Situation de l’entretien : lieu, temps, personne présentes...
Grille de l’entretien

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HASSAN RACHIK
MSS

Que faut-il enregistrer, transcrire ? Paroles, mimiques, silences, changement de ton,


émotions,
Retranscription

Entretien ethnographique avec des informateurs


Entretien sur les individus

Annexes

Faculté des Sciences Juridiques


Economiques et Sociales Casablanca

Nom (en majuscule) et prénom :


CIN :
N° d’examen :
N° d’étudiant :

METHODES DES SCIENCES SOCIALES ET JURIDIQUES


Ensemble 2

1. A B C D 10. A B C D

2. A B C D 11. A B C D

3. A B C D 12. A B C D

4. A B C D 13. A B C D

5. A B C D 14. A B C D

6. A B C D 15. A B C D

7. A B C D 16. A B C D

8. A B C D 17. A B C D

9. A B C D 18. A B C D

19.

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HASSAN RACHIK
MSS
20

Faculté des Sciences Juridiques


Economiques et Sociales Casablanca

METHODES DES SCIENCES SOCIALES ET JURIDIQUES


janvier 2015

1. Parmi les critères suivants, indiquez une variable contextuelle [A] le nombre de tribunaux
dans une ville [B] le sexe [C] l’âge [D] Aucun choix

2. Dans le cas où la cause « X » (mauvais temps) favorise le fait étudié « Y» (mauvaise


récolte), on dit que la notion de causalité est utilisée dans un sens [A] probabiliste [B]
déterministe [C] évolutionniste [D] Aucun choix

3. Une définition opérationnelle implique les notions [A] de mesure et d’indicateurs


[B] des théories scientifiques [C] d’opérations statistiques [D] Aucun choix

4. La question suivante : « D’une façon générale êtes-vous satisfaits ou pas de la façon dont
la démocratie se déroule dans votre pays ? a. satisfait ; b. non satisfait ; c. ne sait pas » est
une question [A] fermée [B] une question de fait [C] une question ouverte [D] Aucun
choix

5. Rechercher les motivations d’un comportement social, c’est [A] le définir de façon
objective, [B] c’est le comprendre [C] c’est le traiter comme une chose [D] Aucun choix

6. La loi évolutive prend la forme de [A] « X, puis Y, puis Z» [B] « X est cause de Y, et
Y cause de Z » [C] « si X, alors Y» [D] Aucun choix

7. On parle de variable pour désigner [A] une proposition provisoire, [B] un critère de
classification [C] une définition théorique [D] Aucun choix

8. Parmi les questions suivantes indiquez une question d’opinion [A] Que préférez-vous, le
célibat ou le mariage ? [B] Est-ce que vos ami(e)s sont célibataires [C] Etes- vous
célibataire? [D] Aucun choix

9. L’entretien a d’abord pour fonction [A] de collecter des données statistiques [B] de
produire des données de seconde main [C] reconstruire le sens « subjectif », le sens vécu des
comportements des acteurs sociaux [D] Aucun choix

10. H. Rickert définit la culture comme [A] dépourvu de sens [B] une chose qui croît
indépendamment de l’activité humaine [C] dépourvu de valeur [D] Aucun choix
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HASSAN RACHIK
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11. La connaissance scientifique se caractérise par [A] la familiarité [B] l’accessibilité [C]
l’évidence [D] Aucun choix

12. On parle de statut prescrit dans le cas où [A] l’individu émigre [B] l’individu change de statut
social [C] le statut social de l’individu est hérité [D] Aucun choix

13. Une structure est [A] un système de relations [B] un processus social [C] une fonction sociale
[D] Aucun choix

Lire le texte puis répondre aux questions 14, 15 et 16

La compréhension peut signifier d’une part la compréhension actuelle du sens visé dans un
acte. Nous « comprenons » par exemple le sens de la proposition 2 x 2 = 4 que nous
entendons ou lisons ou un éclat de colère qui se manifeste par une mimique, ou le
comportement d’un bûcheron ou d’une personne qui saisit une clenche pour fermer une porte
… Elle peut également signifier d’autre part une compréhension explicative. Nous
« comprenons », parce que nous saisissons la motivation, le sens qu’une personne a associé à
la proposition 2 x 2 = 4 qu’elle prononce ou qu’elle a écrite, à cet instant précis et dans ce
contexte, si nous la voyons plongée dans une comptabilité commerciale, dans une
démonstration scientifique, dans un calcul technique … Nous comprenons le mouvement du
bûcheron ou l’acte d’épauler un fusil non seulement actuellement mais dans sa motivation, si
nous savons que le bûcheron accomplit son acte pour gagner sa vie, soit pour ses besoins
personnels, soit pour des raisons de santé … de même nous comprenons le geste de la
personne qui épaule un fusil si nous savons qu’elle fait cet acte soit pour fusiller quelqu’un
sur ordre, soit pour combattre des ennemis ou bien par vengeance.

14. Dans ce texte M. Weber [A] distingue la compréhension actuelle de la compréhension


explicative [B] oppose la compréhension actuelle à la compréhension explicative
[C] critique la compréhension actuelle [D] Aucun choix

15. La compréhension actuelle suppose [A] la connaissance immédiate du sens de l’action


[B] la connaissance immédiate des motifs de l’action [C] l’histoire de l’action [D] Aucun
choix

16. La compréhension du sens visé recherche [A] le sens juste, [B] le bon sens, [C] le sens
vrai [D] Aucun choix

17. Les prénotions sont [A] des théories [B] des idées objectives [C] des concepts
grossièrement formés [D] Aucun choix

17. « Droit naturel, celui considéré comme résultant de la nature des hommes et de leurs
rapports indépendamment de toute convention ou législation » est une [A] définition
opérationnelle, [B] générique, [C] théorique [D] Aucun choix

18. Une variable dépendante est une [A] une condition nécessaire [B] une variable
explicative [C] variable à expliquer [D] Aucun choix

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HASSAN RACHIK
MSS

19 Définir le positivisme
20 définir l’hypothèse

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