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IEP de Toulouse

Le tatouage, une nouvelle réalité ?


Fractures et continuités

Mémoire préparé sous la direction de Philippe Mary

Présenté par Fanny Anseaume

5A D4P1

Année scolaire : 2013/2014

1
Sommaire

Page de garde ..................................................................................................................................... 1


Sommaire ........................................................................................................................................... 2
Introduction ........................................................................................................................................ 3
Partie 1. Pourquoi le tatouage est mal perçu ? ................................................................................... 6
A - Explications historiques .......................................................................................................... 7
1. Des sociétés primitives aux rockeurs ..................................................................................... 7
2. Les rares exceptions ............................................................................................................... 9
B - Explication sociologiques ..................................................................................................... 12
1. Les sciences du tatouage ...................................................................................................... 12
2. Le tatouage, un agir corporel. Le corps, un instrument niveleur .......................................... 14
Partie 2. En quoi et comment aujourd’hui peut-on parler d’une généralisation du tatouage ? ........ 18
A - Une présence qui s’élargie .................................................................................................... 19
1. Des chiffres clefs .................................................................................................................. 19
2. Une mise en lumière plus importante ................................................................................... 22
B - les explications ...................................................................................................................... 24
1. La fin de l’irréversibilité ...................................................................................................... 24
2. Le tatouage comme art est justifié socialement.................................................................... 27
Partie 3. Si l’on peut parler d’une nouvelle considération du tatouage, en quoi consiste-t-elle ? .... 31
A- La réception d’autrui .............................................................................................................. 31
1. Des réfractions qui subsistent ............................................................................................... 31
2. Une réception encore frileuse ............................................................................................... 35
B - La perception de soi .............................................................................................................. 38
1. Une pratique plus individualisée ? ....................................................................................... 38
2. Etre tatoué dans les yeux des autres ..................................................................................... 43
Conclusion........................................................................................................................................ 48
Sources ............................................................................................................................................. 50
Bibliographie .................................................................................................................................... 51
Liste et sommaire des annexes ......................................................................................................... 55
Annexes ............................................................................................................................................ 56

2
Introduction

Comme les sports automobiles, les animaux ou la décoration d’intérieur, le tatouage


dispose aujourd’hui d’une presse spécialisée, présente dans n’importe quel point de vente.
C’est dans ces magazines et sur leurs sites marchands, que l’on voit fleurir nombre d’objets
dérivés de la « culture tatoo ». Parmi eux, des tee-shirts floqués, aux messages expressifs,
sur lesquels on peut lire « My tatoos are not offensive, your starring is », que l’on traduit
littéralement par « Mes tatouages ne sont pas offensants, votre regard insistant l’est. ». Cet
objet qui pourrait sembler anodin amène pourtant plusieurs réflexions relatives à la
perception du tatouage dans le monde social, tant du point de vue des tatoués ou d’une
éventuelle « communauté des tatoués », que des personnes qui en sont exclues, de facto,
n’ayant pas de tatouages par goûts et (ou ?) habitus, rejetant formellement cette
modification corporelle. Cet exemple anecdotique rencontre, et vient solidifier, des
réflexions et questions empiriques, qui prirent forment sur plusieurs années et par le biais
d’expériences personnelles relatives au tatouage, autant dans le cadre de sa pratique que
dans celui de l’observation sa réception dans le monde social.
Plusieurs indices montrent, sur une temporalité d’une petite dizaine d’années, la prise de
vitesse de ce que certains appellent « le phénomène tatoo ». Qu’il s’agisse de la présence
du tatouage dans les collections de grandes maisons de luxe comme Chanel en 2010 ou
encore dans des lieux de savoir légitime comme le Quai Branly pour l’exposition
« Tatoueurs, tatoués »1 courant 2014, le tatouage semble sorti des cultures alternatives pour
s’emparé des domaines symboliques de la culture légitime. Preuve en est de l’article qu’a
consacré en août 2010, le magazine L’Express2 sur le tatouage, non pas comme fait social
mais sur la manière la plus appropriée de se faire tatouer, sous la forme d’un liste de
conseils pratiques. Cependant, les réactions des lecteurs face à cet article montrent la
dualité du phénomène : dans un second article3, publié quatre jours après, le journal tente

1
Exposition Tatoueurs, Tatoués - Musée du quai Branly, Commissariat : Anne & Julien. 6 mai 2014 -18
octobre 2015.

2
Lucie de Ribier « 10 conseils pour un tatouage réussi », L’express.fr, 6 août 2010
http://www.lexpress.fr/styles/mode/dix-conseils-pour-un-tatouage-reussi_910610.html

3
Lucie de Ribier "Le tatouage, c'est une prise de légèreté avec son corps" L’express.fr, 11 août 2010
http://www.lexpress.fr/styles/mode/le-tatouage-c-est-une-prise-de-legerete-avec-son-
corps_911652.html#ml7wBgWPxmJidIGz.99

3
de revenir sur les avis divergents des internautes et d’expliquer ce conflit. Alors que
certains voient le tatouage comme "la marque vulgaire des voyous, des paumés et des
marginaux"4 d’autres s’étonnent de la virulence des propos tenus à l’encontre des
personnes tatouées, montrant sur ce sujet, des réactions presque épidermiques.
Si nous savons grossièrement que le tatouage a longtemps été l’attribut des marins puis des
bagnards, son cheminement jusqu’à ce qu’il semble être aujourd’hui, un phénomène de
mode, peut s’avérer flou. Dans l’émission « Le tatouage : un complément d’identité
direct », diffusée en décembre 2009 sur France Culture5, Jérôme Pierrat6 fait remarquer
que si le tatouage a longtemps été un outil de revendication à la marge de la société, il est
perçu aujourd’hui comme un bijou corporel. Ainsi, si nous postulons aujourd’hui que le
tatouage fait partie des attributs esthétiques et des agir corporels socialement acceptables
(notions et hypothèses que nous nous attèlerons à démontrer plus tard), il semble pourtant
que les réactions qu’il suscite continuent à être équivoques. Comment le tatouage est-il
passé d’attribut des « mauvais garçon » à coquetterie ? Peut-on réellement parler d’un
« phénomène tatoo » ? Et enfin, le tatouage est-il encore aujourd’hui un art subversif ?
Comme évoqué plus tôt, nous partons du postulat que le tatouage est passé d’un attribut de
la marge à la norme. Nous tenterons de le prouver et de l’expliquer. Par ailleurs nous
postulons aussi que le tatouage continue à être rejeté par une partie de la population et que
les frontières du clivage « anti-tatoo » et « pro-tatoo », si elles ont mué, n’ont pas
disparu. Nous postulerons aussi que la pratique du tatouage a quant à elle fortement changé
et tenterons d’expliquer quelles relations ces changements ont avec un changement de
perception du tatouage dans la société. Nous verrons que le tatouage a plus longtemps été
lié à diverses tribus de l’hémisphère Sud qu’à des habitudes occidentales. Pourtant
aujourd’hui, c’est dans cette partie du monde que l’on souhaite se concentrer pour
expliquer ce phénomène contemporain.

On peut lire en préambule de l’exposition « Tatoueurs, tatoués »7 : « Marquer la peau


revient à marquer l’inscription du sujet dans le corps social ». Cette phrase souligne une
dimension essentielle de notre travail, celle de la tentative d’une étude avant tout
4
Lucie de Ribier "Le tatouage, c'est une prise de légèreté avec son corps" Ibid, dans les commentaires.

5
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.
6
Voir éléments biographiques dans l’Indexe des noms propres.
7
Exposition Tatoueurs, Tatoués - Musée du quai Branly, Commissariat : Anne & Julien. 6 mai 2014 -18
octobre 2015.

4
sociologique. Il est pourtant inenvisageable d’exclure de notre réflexion un pendent
historique d’une importance clef, qui vient compléter notre raisonnement et fluidifier sa
compréhension.
Si nous avons décidé d’inscrire l’étude du tatouage dans les champs sociologiques et
historiques, il n’en est pas moins difficile pour nombre de personnes d’accepter l’étude de
ce sujet comme relevant d’un intérêt scientifique. Les premiers signes de cette impression
vinrent avec les réactions mi-amusées, mi-surprises d’amis et parents en apprenant le sujet
de cette étude. Dès le début des recherches, elle a été confirmée à la lecture du livre de
Lieven Vandekerckhove : Le tatouage, Sociogénèse des normes esthétiques8 (cet ouvrage
servira de référence et de piliers tout au long de nos recherches), en atteste le titre, explicite
de son premier chapitre ; « Le tatouage, une bagatelle ? ». L’auteure y explique que,
malgré la nécessité d’objectivité dont doit faire preuve le chercheur dans le choix de ses
sujets d’étude et dans sa manière de les traiter, il a parfois du mal à s’extraire de la culture
légitime dans lequel il s’inscrit, caution et conséquence de son professionnalisme. Ainsi, le
tatouage appartenant globalement à la culture populaire, il ne constitue pas pour les
chercheurs un sujet d’étude adéquat. A cela s’ajoute le phénomène de contagion qui peut
s’expliquer ainsi : « si on écrit sur » on « est quelqu’un qui ». Dès lors, l’autocensure
permet de préserver le chercheur de la contagion. Enfin, et cela en découle, un sujet qui n’a
pas d’intérêt scientifique n’aura pas de lectorat et donc les recherches n’auront aucune
utilité. Dès lors, les financements s’en trouvent restreints voire inexistants. L’exemple le
plus évident de ce raisonnement semble être la sexualité. La naissance de son étude, relatée
dans Master of Sex, série récemment produite par HBO, montrent bien la manière dont un
éminent médecin a été mis au banc de la science, jugé pour le sujet de son étude. Dans le
premier chapitre de son livre9, Lieven Vanderkerchove évoque le fait que ce raisonnement
puisse s’appliquer d’une part à tous les faits sociaux qui concernent la culture populaire
mais aussi à tous ceux qui concernent les agirs relatifs au corps. C’est sur cette seconde
catégorie que nous souhaitons mettre la lumière.

Il est essentiel pour notre raisonnement d’inscrire dès à présent le tatouage dans le
cadre des « agirs corporels »10. L’auteure définie l’agir corporel comme « tout agir exécuté
par l’individu en sa qualité d’être corporel » et « tout agir dont le sens, qui lui est octroyé

8
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Louvain-la-neuve :
Editions Académia (coll. Intellection), 2006.
9
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid.,
10
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid, p25

5
par le sujet agissant, a trait au corps »11. Ainsi, le tatouage peut être perçu comme un des
agirs corporels possibles. Si certains caractères du tatouage peuvent être étendus à tous les
agirs corporels, nous resterons attentifs à ne pas tomber dans l’écueil du paralogisme.

Malgré un grand intérêt personnel non dissimulé pour le tatouage et plus globalement pour
les modifications corporelles, c’est en nous appuyant sur des témoignages et entretiens, sur
des articles de presse, des émissions radio et télé, des ouvrages sociologiques ou encore des
expositions que nous avons tenté de rendre compte, avec la plus grande honnêteté
intellectuelle possible, du cheminement social du tatouage. Si le risque de manquements
scientifiques sont grands, liés d’une part à un manque d’expérience, d’autre part à un
possible manque d’objectivité sur le sujet, gardons en tête durant notre démonstration cette
phrase de Clara Lévy à propos de Loïc Waquant dans son immersion à but sociologique au
sein d‘un club de boxe : « la fascination, dès le départ de l’auteur pour son objet
n’empêche donc nullement l’insertion des données recueillies dans un robuste cadre
explicatif »12.
La seconde difficulté de nos recherches apparait dans l’éventuelle inexistence de lois
sociales générales relatives au tatouage. A ce sujet, Jérome Pierrat explique l’inutilité des
études sociologiques et l’impossibilité d’établir des règles générales puisqu’il y aurait
autant de raisons de se tatouer que de tatoués. Nous pouvons donc penser qu’il y a autant
de manière de recevoir le tatouage que d’individus sociaux.

C’est en prenant garde à ces limites et en essayant de les dépasser que nous tenterons de
mener notre réflexion.

Afin d’ancrer notre sujet dans son contexte, nous essaieront de comprendre pourquoi le
tatouage souffre (ou a souffert) d’une image négative au sein de la société. Pour se faire,
nous utiliseront et lieront deux sciences : d’une part la sociologie et d’autre part l’Histoire

Partie 1. Pourquoi le tatouage est mal perçu ?

11
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid, p45
12
LEVY Clara, « Wacquant (Loïc) Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur », Revue
française de sociologie, 2002, Volume 43, Numéro 43-3 pp. 614-617

6
Noémie, 22 ans, plusieurs fois tatouée nous explique : « Je trouvais ça ringard, je
trouvais que c’était les kékés clairement qui faisaient ça. »13. Il faut comprendre ici que la
jeune fille liait tatouages et zonards. Comment expliquer cette association d’idée ?

A - Explications historiques
C’est d’une part via des éléments historiques et l’itinéraire du tatouage que l’on
peut chercher à comprendre la modélisation de son image.

1. Des sociétés primitives aux rockeurs

a) Rapide tour d’horizon des sociétés primitives

Les premières traces de tatouages remontent à 5300 ans avant la naissance du


Christ. Comme un acte primaire, le tatouage ne semble pas appartenir à une ère
géographique mais bien aux réflexes originels de l’humanité. Otzi, aussi appelé
Hibernatus, est une momie retrouvée en 1991, dans un glacier entre l’Italie et l’Autriche. Il
avait vécu 4500 avant notre ère et son corps est parsemé de tatouages. Au même titre que
la peinture, l’Homme a toujours décoré son corps, selon des techniques évolutives. Avec
ses codes et ses techniques, le tatouage est alors un art (« Ensemble des procédés, des
connaissances et des règles intéressant l'exercice d'une activité ou d'une action
quelconque » ou « Toute activité, toute conduite considérée comme un ensemble de règles,
de méthodes à observer », comme défini par le Larousse14). C’est à l’aide d’os ou de bois,
de pigments ou de cendres que les tatouages sont effectués en répondant aux règles
sociales de chaque groupe. Chaque civilisation dispose de son histoire propre du tatouage
qui a des conséquences sur la perception contemporaine de cette modification corporelle.
Signe de position sociale ou attribut des guerriers, le tatouage permettait, en Océanie, de
jalonner le monde social. L’exemple le plus connu est celui des tatouages maoris, qui
continuent aujourd’hui à inspirer bien des tatoués. Freiné par l’occidentalisation des îles,
cet art ancestral reprend aujourd’hui une nouvelle valeur avec l’affirmation des nouvelles
générations de leur appartenance aux maoris. Dans l’exposition « Tatoueurs, tatoués »15, il
est aussi fait référence aux tatouages japonais dont l’utilité de repère social a tourné dès le
Ier siècle à celui de stigmate des esclaves ou des bandits, pour revenir à la mode au

13
Entretiens consultables en annexe.
14
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/art/5509
15
Exposition Tatoueurs, Tatoués - Musée du quai Branly.Comissariat : Anne & Julien. 6 mai 2014 -18
octobre 2015

7
XVIIème siècle et enfin être interdit au XIXème siècle. En Europe, ce sont les religions
judaïques et chrétiennes qui vont venir mettre un frein à la pratique du tatouage, car,
comme évoqué dans le reportage « Tous tatoués »16, on ne modifie par le corps que Dieu
nous a donné. Au XIXème siècle pourtant, durant les grandes découvertes, les Marins au
contact des indigènes redécouvrent le tatouage qui se répand sur le continent.

b) Marins et bagnards

Par mimétisme, ennui ou nostalgie, les marins pratiquaient sur les bateaux le
tatouage à la sauvette. C’est à cette époque que se développent dans les ports des salons de
tatouages, entre les bars et les maisons closes. Témoins de leurs voyages ou de leur passé,
on trouve ici les prémices de l’idée du tatouage comme « degrés zéro de
17
l’autobiographie » développée dans Médecins, tatouages et tatoués. Dans ses études sur
les hommes tatoués, Alexandre Lacassagne, anthropologue et fondateur de la criminologie
moderne, évoque plusieurs facteurs sociaux relatifs à la pratique du tatouage parmi
lesquels : l’appartenance à différents corps d’armée, l’illettrisme, l’éducation secondaires,
les séjours au bagne… En partant du postulat initial que l’appartenance à l’armée est une
des explications, il y précise pourtant que « Cette influence est faible et le milieu militaire
n’a pas, de ce point de vue, l’importance du milieu nautique. L’influence vraie est celle de
la prison. »18 Dans « Le tatouage, complément d’identité directe »19, Jérome Pierrat cite
Albert Londres dans Au bagne, au sujet des prisonniers : « Sur leur peau s’inscrivait la
poésie de la canaille malheureuse ». Avec ce glissement de l’ornement au signe distinctif,
tant dans la pratique que dans la perception, Philipe Artières dans Médecins, tatouages et
tatoués, explique que « De pratique de soi, le tatouage devint ainsi un stigmate »20. En
effet, si dans l’acte, les marins et bagnards, ont une démarche personnelle, ils s’inscrivent
avec leurs dessins dans une frange de la population reconnaissable. C’est alors que leur
signe devient un signe distinctif : à la fois il encre la différence de l’individu sur sa peau
mais il encre aussi l’individu dans la différence.

16
Marc-Aurèle Vecchione, Tous tatoués, 16 novembre 2013, Arte.
17
Philippe ARTIERES, A fleur de peau : Médecins, tatouages et tatoués (1880-1910), Paris : Editions Allia,
2004, p 8.
18
Philippe ARTIERES, Ibid, p 14
19
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.
20
Philippe ARTIERES, A fleur de peau : Médecins, tatouages et tatoués (1880-1910), Op. cit., p 27

8
c) Les sous-cultures

Stigmates des criminels comme il fut celui des esclaves durant l’Antiquité21 ou
comme on le retrouve ensuite dans les camps de concentration ou les goulags, le tatouage
entre dans l’imaginaire collectif comme le symbole des mauvais garçons, des marginaux,
de ceux que l’on rejette. A l’Exposition Universelle de 1889, les photos de détenus tatoués
sont exposés et contribuent à la diffusion de cette image négative qui semble être
aujourd’hui partiellement remise en question22.

Des prisons, le tatouage est sorti de plusieurs manières selon les continents. On peut
évoquer aux Etats-Unis le rôle des Bikers ou celui des Chicanos, issus de l’immigration
d’Amérique latine. En Europe, les punks ou les rockeurs ont contribué à amener le
tatouage dans les cultures alternatives au XXème siècle, puis devant le grand public un peu
plus tard.

Certaines exceptions viennent confronter les éléments avancés jusqu’ici. Celles-ci


nous permettent de nous questionner sur les limites de l’énonciation de grands principes
sur les phénomènes sociaux. En questionnant les raisons de l’émergence de ces exceptions

et de leur caractère éphémère, nous pouvons essayer d’approfondir encore la

compréhension de la réception sociale du tatouage.

2. Les rares exceptions

a) Les femmes

En plus d’être l’attribut des marges, le tatouage, dans les sociétés occidentales
autour du XIXème siècle, était aussi un attribut presque exclusivement masculin. Bien que
les femmes soient présentes dans les tatouages de ces messieurs, autant dans la figue de la
mère que dans celle de la maîtresse, les tatouées étaient plus marginales encore que les
tatoués.

21
Exposition Tatoueurs, Tatoués - Musée du quai Branly. Comissariat : Anne & Julien. 6 mai 2014 -18
octobre 2015

22
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.

9
En témoigne la pauvreté des documents disponibles à ce sujet. Quelques photos
anecdotiques semblent faire surface au début du XXème siècle, montrant des femmes se
faisant tatouer et parfois des femmes tatouant. Pour preuve de la chape de plomb pesant sur
le tatouage féminin, Lieven Vandekerckhove évoque les propos de Steward (1990), qui
avance que sur ses 150 000 clients environ, parmi lesquels très peu de femmes, il ne tatoua
qu’une seule « vraie belle fille », qui était stripteaseuse23.

Cette affirmation nous apprend dans un premier temps que le public féminin, même
dans la seconde moitié du XXème, siècle était extrêmement rare. Dans un second temps,
l’évocation de la profession de la jeune fille, montre le poids de la séduction dans le
tatouage chez la femme, notion sur laquelle nous reviendrons. Enfin, comme pour les
hommes, les tatouages sont l’apanage des professions marginales et socialement obscures.
Il était déjà compliqué pour les hommes de briser ce tabou qu’était le tatouage, il n’en était
donc que plus difficile pour les femmes.

b) L’aristocratie

Dans son ouvrage Le tatouage, sociogénèse des normes culturelles, Lieven


Vandekerchove évoque différents moments de l’Histoire durant lesquels le tatouage a fait
une percée fulgurante dans la haute société. Elle s’appuie sur l’exemple de l’arrivée à la
cour de Londres du chef de tribu Maori Omai qui provoque une vague de tatouage, au
même titre que ce fut le cas dans la haute société européenne et nord-américaine à la fin du
19ème siècle selon les auteurs Rook et Thomas.24 Jérôme Pierrat évoque quant à lui la
tradition aristocratique européenne de se faire tatouer durant le service militaire25. Signe
d’intégration au peuple, le tatouage est alors très bien perçu. L’exemple de Fréderic IX, roi
de Danemark est en le plus fragrant (Annexe 2). Cette coutume, que l’on retrouvait au
Royaume-Uni semble avoir des conséquences contemporaines puisque le tatouage y est
bien mieux accepté socialement qu’il ne l’est en France. On observe donc plusieurs
traditions et perceptions sur un même continent.

Le caractère éphémère de ces quelques périodes où le tatouage a percé le plafond des


classes populaires pour s’installer dans les sociétés huppées montre bien qu’il n’y a, à cette

23
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 37.
24
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid., p38
25
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.

10
époque, pas de remise en question du caractère marginal et stigmatisant du tatouage, mais
seulement de rapides effets de mode.

c) Les slide shows

Ainsi, si au XIXème siècle les tatouages devaient rester cachés en société, ils ont
pourtant été exposés au grand public dans ce que l’on appelle des « Slide Show ». Au pied
des cirques itinérants, se développaient de petits théâtres des curiosités parmi lesquels se
trouvait aux côtés de l’avaleur de sabre ou de la femme à barbe, l’Homme tatoué. Véritable
attraction, le tatoué fascinait et effrayait. La foule se pressait pour observer ces monstres
humains. C’est justement dans cette mise à distance entre l’Homme tatoué et le spectateur
que réside sans doute les raison de l’émergence des slide shows. En venant observer ce
personnage, le public se met en opposition avec lui. On peut supposer un cheminement
intellectuel qui serait le suivant : il est une curiosité, et je suis là pour l’observer car il est
différent de moi. Se faisant, le public observe l’autre et se met à distance du tatouage et de
sa charge symbolique. Cette mise en lumière de l’Homme tatoué pourrait alors
correspondre à une mise en lumière de son négatif : les gens normaux. Une vision qui pèse
encore aujourd’hui sur la perception de tatouage avec ce témoignage d’Hervé (63 ans,
retraité) au sujet d’un homme tatoué des pieds à la tête, Zombie Boy (Annexe 2) : « Alors
effectivement c’est un animal de cirque comme on présentait dans le temps les femmes à
barbe ou des nains »26.

Ainsi, les slides shows ont sans aucun doute participé à la diffusion de l’image du
tatouage et donc à sa partielle désacralisation (plus on voit quelque chose, moins on est
effrayé) mais ils ne sont en rien une preuve de changement de statut du tatouage dans la
société, bien au contraire.

Cette contextualisation historique nous permet d’expliquer comment s’est


construite l’image négative du tatouage. Prohibée par les religions, outil de marquage pour
les condamnés ou instrument de revendication pour les marginaux, il s’est forgé une image
d’attribut des loubards et plus généralement des classes populaires. Si l’Histoire montre cet
état de fait, elle ne permet cependant de l’expliquer. Qu’est ce qui fait que le tatouage n’a
pas été repris par les classes sociales supérieures ? La classification sociale n’est pas

26
Entretiens consultables en annexe.

11
arbitraire et il nous faut comprendre ce qui a amené certaines sociétés à rejeter cette
marque et à la cantonner aux cultures parallèles.

B - Explication sociologiques

1. Les sciences du tatouage

Pour comprendre pour quelles raisons la perception sociale du tatouage est


négative, nous pouvons nous tourner vers les sciences qui se sont appropriées le sujet.
Nous avons évoqué plus haut le fait que le tatouage, comme objet d’étude sociologique, est
peu couru voire snobé. Pourtant trois disciplines se sont très tôt intéressées au tatouage :
l’anthropologie, la criminologie et enfin la médecine psychiatrique.

a) L’anthropologie

Comme évoqué plus haut, le tatouage tire ses origines des siècles avant notre ère.
Dans l’hémisphère Sud, et particulièrement dans les îles, bon nombre de sociétés ont
conservé le tatouage comme repère social, et ce jusqu’aux Grandes découvertes et parfois
jusqu’à la colonisation comme en Nouvelle Zélande par exemple. L’étude de ces tatouages
et de leur signification tient de l’anthropologie puisqu’elle met l’Homme au centre pour
comprendre ces symboles. Cependant une autre dimension vient interpeler Lieven
Vanderkerckhove: l’anthropologie est aussi une science qui semble s’intéresser avant tout
aux sociétés « sous-développées »27 et étrangères.

Ainsi donc, l’anthropologie s’intéressant au tatouage permettrait de contenir le tatouage


hors de notre société. On regarde à la loupe les autres, on les observe et donc on s’inscrit
en négatif de ceux-ci, dans la même démarche que lors des slide shows. L’étude du
tatouage par les anthropologues permettrait donc une distanciation occidentale par rapport
au sujet. On le cantonne dans la science de l’autre, dans l’altérité.

b) La médecine psychiatrique

27
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 13.

12
Dans la même démarche, la médecine s’est intéressée au tatouage. Il ne s’agissait
pas d’étudier les risques sanitaires liés au tatouage ou bien de s’assurer de mesures
d’hygiène durant l’acte. Cette dimension, que nous évoquerons plus tard dans notre
réflexion, n’est arrivée que très récemment.

C’est en réalité la médecine psychiatrique qui s’est en premier lieu penchée sur le
sujet. Lieven Vandekerckhove souligne plusieurs éléments à ce propos28. Dans un premier
temps, en étant étudié par la « Spécialité médicale dont l'objet est l'étude et le traitement
des maladies mentales, des troubles psychologiques »29, le tatouage est entériné parmi les
comportements déviants. De ce fait, on observe encore une mise à distance de la pratique
du tatouage. Alors que l’ethnologie remisait le tatoué dans une autre culture, la psychiatrie
l’installe ici dans la maladie. Plusieurs éléments sont évoqués dans la pratique du tatouage
d’un point de vue psychiatrique : le tatouage comme symptôme ou le tatouage comme
thérapie. Ces deux éléments qui pourront nous servir de clefs explicatives seront
développés plus tard. Enfin, c’est pour sa finalité thérapeutique que l’étude du tatouage est
acceptée en médecine. C’est par l’utilité que l’on trouve une justification.

c) Le travail des criminologues

Enfin, et c’est sans doute la partie qui nous intéresse le plus, c’est la criminologie
qui s’est intéressée de près au tatouage. Lieven Vandekerckhove l’évoque comme un
élément qui renforce la distanciation et les stigmates30. Ce fait s’explique de manière
historique puisque, comme expliqué plus haut, le milieu qui a eu le plus d’influence quand
le tatouage s’est répandu en occident, fut la prison.

Dans son livre Médecins, tatouages et tatoués, Philipe Artières présente et


commente le travail d’Alexandre Lacassagne31, qui releva les tatouages des détenus sans
état civil. A l’aide d’un calque, le professeur Lacassagne a répertorié et classé plus de 2000
tatouages relevés sur 500 individus. Il les accompagne de renseignements comme la date,
les conditions du tatouage, l’individualité du tatoueur et éventuellement ses relations avec
le tatoué… Se faisant, Lacassagne cherche dans le tatouage, la caractéristique physique
irréfutable du délinquant. Nous ne sommes pas ici dans une démarche compréhensive de

28
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid., p 14-16
29
Larousse : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/psychiatrie/64814
30
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 13.
31
Voir éléments biographiques dans l’index des noms propres.

13
l’individu mais bien dans une « vaste entreprise d’identification et de gestion de la
population »32. Utilisée dans un premier temps pour prévenir la récidive en reconnaissant
les détenus, ces informations ont servis à « repérer au sein d’un même corps social des
poches d’altérité »33. Grâce au tatouage, les médecins veulent expliquer qui est un
délinquant et qui va le devenir. Il en était de même pour le Bertillonnage, travail du
professeur Bertillon qui instaura les mesures biométriques dans l’identification des
délinquants. Ces informations et leurs utilisations firent passer le tatouage de signe
distinctif et révélateur biographie à stigmates, comme l’explique l’auteur par cette phrase :
« Montre-moi ton tatouage et je te dirais non seulement qui tu es, mais si tu as le droit
d’être ici. »34. Cette dimension d’exclusion ou d’acceptation sociale nous intéresse dans
l’analyse de la réception contemporaine du tatouage.

Pour finir de montrer l’image dont souffre le tatoué au XIXème siècle, citons cette
phrase édifiante du professeur Lacassagne : « Le caractère spécial du dessin d’après sa
localisation, et surtout le nombre de tatouages sont la manifestation de cette vanité
instinctive et de ce besoin d’étalage qui sont une des caractéristiques de l’homme primitif
ou de la nature criminelle »35.

2. Le tatouage, un agir corporel. Le corps, un instrument niveleur

Nous avons montré jusqu’ici le parcours historique du tatouage et comment les


sciences ont participé à sa mise à la marge des sociétés occidentales. Nous allons tenter de
creuser le processus sociologique qui inscrit et cantonne le tatouage aux classes sociales
inférieures et donc de facto, aux institutions symboliques non dominantes.

a) Le goût

Pierre Bourdieu a mis à jour la notion d’habitus. Celle-ci pourrait s’apparenter à


l’ensemble des goûts, habitudes, comportements….qu’intériorise un individu par le fait de
son appartenance à une classe et par son inculcation de l’ensemble des éléments
symboliques ou non qui en font partie.

32
Philippe ARTIERES, A fleur de peau : Médecins, tatouages et tatoués (1880-1910), Op. cit., p 12.
33
Philippe ARTIERES, Ibid., p 13.
34
Philippe ARTIERES, Ibid., p 19.
35
Philippe ARTIERES, Ibid., p 29.

14
Nous savons que la société est divisée en classes et que ces classes obéissent à une
hiérarchie, à la fois économique et symbolique. Si les classes supérieures sont celles qui
détiennent le capital économique, il en découle qu’elles détiennent le capital culturel
légitime, et peuvent donc se prévaloir du bon goût et imposer leur appréciation au reste de
la société. A l’inverse, les classes non dominantes économiquement, cultivent une culture
populaire, qui ne correspond pas au « bon goût ».
De manière grossière, on pourra dire qu’un ouvrier (peu de capital économique donc peu
de capital culturel donc non détenteur du bon goût) est « un beauf » alors qu’un avocat
(détenteur du capital économique donc du capital culturel donc du bon goût) est « classe ».

Le goût est donc une construction sociale. Cependant, contrairement à l’idée


répandue, le goût n’a pas grand-chose de personnel. En effet, « C’est l’entourage social qui
façonne le goût individuel en proposant à l’individu le goût « commun ». »36. L’auteur
nous en offre une vision concise et claire sous ces termes : « Ainsi, dans la mesure où, dans
l’attribution d’un sens expressif (en un mot, dans l’appréciation), nous nous servons de
critères que nous empruntons à des opinions stylistiques intériorisées, nous ne nous
servons pas de normes individuelles, donc « personnelles », mais bien de normes partagées
et donc collectives qui sont les normes culturelles »37.

Chaque classe dispose de ses goûts et les classes supérieures tentent de les imposer
aux autres. Il est important de comprendre donc que les écoles de goût sont des goûts
collectifs qui rejettent les autres goûts collectifs. Se faisant, les classes supérieures et leur
« bon goût » font peser une pression sur les autres classes et abattent des sanctions
expressives sur ceux qui n’adhèreraient pas à leurs symboles. En liant ces explications
sociologiques aux observations historiques décrites plus haut, on comprend comment le
tatouage, en s’inscrivant dans les classes sociales les plus modestes et donc dans ses
habitus est devenu un signe de « mauvais goût ».

b) l’agir corporel

Dans la mesure où le tatouage est un ornement corporel, il est soumis aux regards
des autres et au jugement expressif. En ce sens il ne pourrait être considéré que comme
l’expression banale d’un goût, comme une coquetterie mais nous nous accordons à dire que
36
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 23.
37
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid, p27

15
le tatouage, ne peut être perçu comme un simple attribut esthétique, au même titre qu’un
vêtement ou un maquillage dans la mesure où il est indélébile. Ainsi, son opération
n’appartient pas à la sphère domestique mais nécessite une intervention dans un cadre
professionnel ainsi qu’un éventuel suivi.
Cependant il fait tout de même parti des « agirs corporels », définis plus haut, et selon
Liven Vandekerckhove, comme « tout agir exécuté par l’individu en sa qualité d’être
corporel » et « tout agir dont le sens, qui lui est octroyé par le sujet agissant, a trait au
corps »38

Le tatouage est donc l’action d’un sujet sur son corps. La dimension esthétique pour
le sujet parait évidente : qui se parerait de quelque chose qu’il trouve laid ? Cependant, la
dimension intellectuelle, qui ne peut être ignorée dans le cadre d’un geste définitif, doit
encore être découverte et fera l’objet d’un développement ultérieur.
Cependant, l’auteur nous donne une autre clef de compréhension du tatouage en
l’inscrivant dans « les activités expressives »39. Elle appelle ainsi, toutes les démarches
faites par un individu, qui lui procurent un bien-être immédiat. On peut par exemple penser
que le fait de prendre un bain est une activité expressive puisque la satisfaction est
immédiate alors qu’à l’opposé, se priver alimentairement est un « agir instrumental »40
puisque ce sont les conséquences de cet agir, une éventuelle perte de poids, et non pas
l’agir lui-même qui apporteront la satisfaction.

Ces explications nous permettent de contextualiser le tatouage dans le domaine du corps,


élément majeur de la prochaine étape de notre réflexion.

c) Le corps niveleur

Nous avons vu plus haut que la société est faite de classes, qui se hiérarchisent.
Cette information est universelle. On parle d’un système social, qui nivelle les individus
entre eux, en fonction de leur appartenance à une classe. Ce système et ses règles sont
créés et entérinés par les individus. Nous pouvons donc penser que ce système a pour
objectif sa pérennité et qu’il s’assure de sa propre sauvegarde. C’est ce que Lieven
Venderkerckhove explique par ces mots : « Notre culture somatique, à savoir l’ensemble

38
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 45.
39
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid, Op. Cit., p 21.
40
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid, Op. Cit., p 21.

16
des règles au moyen desquelles la société occidentale dirige l’agir corporel de ses
membres, doit son contenu, avant tout, à la fonction protectrice que cette culture remplie
au profit de notre système de stratification »41. Pourtant, tous les Hommes sont égaux par
ce qu’ils ont de plus réel : le corps. Personne ne peut se soustraire aux besoins
physiologiques humains : chacun se retrouve à égalité face à la Nature. C’est en ce sens
que « le corps est donc un symbole niveleur »42. Puisqu’il vient à l’encontre de
l’établissement de l’ordre social, la société émet une méfiance face à lui. On cherche donc
à minimiser dans la société « l’autonomie du corps ». Les exemples que prend l’auteur et
qui sont, à mon sens, les plus pertinents, sont la mort, la sexualité et la défécation.

Plusieurs effets et conséquences sont à noter. Plus on monte dans la hiérarchie


sociale, plus le corps est niveleur. En effet, pour les classes sociales populaires, l’effet est
moins important puisque pour eux, le nivellement est déjà effectif. De la même manière,
plus la preuve de la relation au corps est importante, plus l’effet l’est aussi. Une flatulence
en public mettra moins mal à l’aise qu’une défécation. Enfin, « Plus une caractéristique
corporelle est répandue, moins elle contient de potentiel niveleur, moins donc elle entre en
ligne de compte pour être appelée inesthétique. »43. Pour faire clair, un adolescent qui a de
l’acné sera considéré comme moche (les boutons sont un rappel de l’autonomie du corps et
donc un attribut inesthétique) mais personne ne s’étonnera qu’il ait des problèmes cutanés
puisque ceux-ci touchent une large part de la population (cette caractéristique corporelle
étant répandue, son potentiel niveleur est diminué). En revanche, si la même situation se
présente à l’âge adulte, l’étonnement et donc la sanction expressive seront sans doute plus
importants.

Face au corps, les sanctions sociales sont de plusieurs types. En prenant l’exemple
de la sexualité, nous pouvons illustrer notre propos de manière schématique :
l’exhibitionnisme est puni par la loi, la multiplication des partenaires est punie par la
morale mais l’existence même d’un sexe ne peut être punie puisqu’elle est commune à
l’ensemble des individus. Dans ce cas, la société rejette ce qui la dérange dans la sphère du
privé, en y apposant un tabou et donc un sentiment éventuel de honte. C’est en ce sens que
va jouer le rejet social. Ainsi, on peut comprendre que dans les classes supérieures, on va
tenter de maîtriser l’autonomie de son corps et que les distinctions esthétique / inesthétique

41
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 47-48.
42
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibis., p 46.
43
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibis., p 52.

17
relatives aux agirs corporels en découleront. De manière empirique, on peut remarquer que
les personnes en surpoids sont plus rares dans les couches supérieures de la population que
dans les couches modestes. Si ce fait est généralement expliqué par l’éducation, il n’en
prouve pas moins que c’est aussi le fait d’un rejet du corps : puisque ces personnes n’ont
pas accès à l’éducation, alors elles se nourrissent mal, prennent du poids, laissent leur
corps prendre le dessus et rappeler à la société l’autonomie corporelle.

C’est dans son caractère définitif que le tatouage renvoie immanquablement à


l’autonomie du corps. Si la présence d’un tatouage est aujourd’hui un choix, il n’en reste
pas moins indélébile et donc rappelle à chacun que le corps a sa propre autonomie. Les
tatouages sont rejetés dans les classes supérieures parce qu’ils font écho au corps et au fait
que le corps et ses besoins sont ce qui rendent les hommes égaux. Plus on s’adresse à une
classe haute, plus le corps est niveleur, plus le rejet est grand. Aussi, plus le tatouage est
visible (donc plus il rappelle l’autonomie du corps) plus il amène le rejet. Dans les classes
inférieures, ces signes d’ « autonomie du corps » sont moins niveleurs donc le rejet est
moindre, voire inexistant. On passe ensuite à une appréciation positive du tatouage. En
gros dans les classes populaires il n’y a pas l’enjeu de perdre en hiérarchie sociale donc pas
de problème avec le corps et donc avec les tatouages.

Partie 2. En quoi et comment aujourd’hui peut-on parler d’une


généralisation du tatouage ?

Nous avons montré de manière empirique, historique et sociale comment et


pourquoi le tatouage souffre d’une image négative, d’un rejet des classes sociales
supérieures et finalement d’une sanction expressive de la part des détenteurs du « bon
goût ». Par-là, nous comprenons aussi en quel sens il est devenu un agir culturel qui
implique les classes sociales inférieures et donc leurs codes esthétiques.

Cependant nous avons évoqué plus tôt le fait que le tatouage semble aujourd’hui se frayer
un chemin à travers les institutions symboliques du savoir légitime (et donc des
détenteurs du « bon goût »), l’exemple le plus édifiant étant l’existence d’expositions sur le
tatouage dans les musées nationaux. En des termes plus scientifiques, penser que le
tatouage se taille une part dans la culture légitime, c’est penser que cet agir corporel aurait
effectué une translation verticale dans la société (de bas en haut). Si nous ne pouvons
affirmer aujourd’hui (et nous ne pourrons sans doute jamais le faire) que le tatouage est un

18
attribut de « bon goût », nous pouvons cependant tenter de vérifier si l’on assiste bien à une
expansion du tatouage dans notre société contemporaine occidentale et tenter de
l’expliquer.

A - Une présence qui s’élargie

1. Des chiffres clefs

L’expansion du « tatoo » est perceptible de nombreuses manières. Et c’est, dans un


premier temps, par des observations empiriques ainsi que des chiffres clefs que nous allons
tenter d’en rendre compte.

a) Tatoués et tatoueurs

Les chiffres brut du nombre de tatoués en France n’ont qu’un intérêt limité. En
effet, tout d’abord d’un point du vue méthodologique, il est indispensable d’avoir au
minimum deux sortes de mesures pour rendre compte d’une évolution. Enfin, ne dépassant
pas 10%, le nombre de tatoués en France en 2010 selon l’IFOP 44, ne témoigne pas d’un
grand engouement pour l’encre indélébile. Le sondage lie le tatouage à plusieurs variables
comme l’âge, la profession, l’orientation politique, le sexe… En dehors de la corrélation
entre l’extrême droite et le tatouage, aucun chiffre ne sort ressort réellement. Nous y
reviendront plus tard. C’est du côté des Etats-Unis, que nous trouvons cependant des
chiffres plus pertinents pour témoigner de l’évolution du tatouage et de sa pratique.

Par son passé de colonie, par sa conception différente de l’individu et de ses libertés et sans
doute par la globalité de sa construction sociale qui diffère de celle du Vieux Continent, les
Etats-Unis envisagent avec moins de tabou les tatouages. Présents dans les rues depuis plus
longtemps qu’en Europe, les différences de perception semblent continuer à se faire sentir,
malgré un schéma de pensée similaire. C’est grâce à ces chiffres plus significatifs et
surtout grâce aux différentes études qui ont été menées par l’institut de sondage Harris
Interactive45, que nous pouvons vérifier notre postulat.

En février 2013, l’institut affirmait que 21% des américains étaient tatoués contre
14% en 2008. Cette hausse très significative, dans le cas d’un agir corporel, concerne les
américains adultes.

44
Se référer aux sources pour plus d’informations.
45
Se référer aux sources pour plus d’informations.

19
Si le nombre de tatoués se multiplient en occident, on voit se multiplier en parallèle les
salons de tatouages et les professionnels : les tatoueurs. A la fois cause et conséquence de
l’expansion du tatouage, les acteurs et les lieux de passage n’ont cessé de se multiplier ces
dix dernières années. Pour preuve : on comptait en France quinze boutiques de tatouage en
1982, 400 en 2000, le double en 2004 et enfin… 3000 en 2012 46. Il semblerait que les
chiffres avoisinent maintenant (à l’été 2014), les 3500 ou 4000 tatoueurs en France.

Enfin, Lieven Vandekerckhove parle, en 2006, de 10% du monde occidental tatoué47.

b) La projection et les bénéfices

En parallèle de ces chiffres, un sondage de Médiamétrie nous apprend en 2002 qu’


« Un adolescent sur trois envisage de se faire tatouer ou percer: 31% des 11-19 ans se
disent tentés par un tatouage et 32% par un piercing. »48

Nous pouvons penser que ce nombre, déjà significatif, a augmenté dans les 10 dernières
années, aux vues des chiffres évoqués plus haut. Si le nombre de personnes qui sont
passées à l’acte et le nombre de moyens de passer à l’acte se sont multipliés, il est essentiel
de considérer aussi toutes les personnes pour lesquels l’exposition quasie quotidienne (que
nous développerons ensuite) de ces nouvelle marques corporelles a permis une
désacralisation et souvent une meilleure acceptation voire, dans le plus extrême des cas,
une adhésion au phénomène.

Autre preuve de la désacralisation du tatouage et de la prise de légèreté de son statut dans


le monde social : en 2013, pour la première fois depuis que la question est posée dans les
sondages en Amérique, les femmes sont plus nombreuses à avoir des tatouages que les
hommes à 23% contre 19%49.

Si dans la société occidentale contemporaine, répondant encore à un schéma patriarcal, on


parle « des durs, des vrais, des tatoués », voir les femmes s’engouffrer dans la brèche de la
levée de tabou sur le tatouage c’est bien constater une levée significative du tabou.

c) Syndicalisation et réglementations, la preuve d’une existence officielle

46
Se référer aux sources pour plus d’informations.
47
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 42..
48
Se référer aux sources pour plus d’informations.
49
Sondage Harris Interactive, se référer aux sources pour plus d’informations.

20
Avec la multiplication de l’acte du tatouage, se sont soulevées certaines questions à
la fois médicales et législatives.
Comme évoqué plus haut, la médecine n’a longtemps étudié le tatouage, que dans une
dimension psychiatrique et dans l’idée que le tatoué, comme malade, devait être soigné.
Cependant, en voyant augmenter le nombre de lieux de tatouages et le nombre de
prestations, les institutions publiques de santé se sont penchées sur le sujet. En effet, au
même titre que le piercing, le tatouage nécessite l’insertion de matériaux étrangers dans le
corps humain, ici, les pigments, par les aiguilles. Cependant ces deux pratiques ne sont pas
reléguées dans le domaine de la médecine et donc dans les institutions médicales.
Armindo, 56 ans, en témoigne dans l’émission « Le tatouage : un complément d’identité
direct » : son tatouage, fait à l’encre de chine avec 6 aiguilles de couturière, sans mesures
d’hygiène, a subit une infection durant une semaine50. Pour y pallier, la France légifère
depuis 2008 sur la profession de tatoueur. Du matériel aux locaux, des techniques de
stérilisations aux obligations morales et juridiques, les autorités ont travaillé à encadrer un
domaine qui ne cesse de s’accroitre. Tin-tin51, artiste tatoueur et président du Syndicat
Nation des Artistes Tatoueurs (SNAT) se félicite d’avoir travaillé main dans la main avec
les autorités pour construire une législation qui protège à la fois les professionnels et leurs
clients52.

Créé en 2003, le SNAT a comme objectif de : « regrouper des tatoueurs ayant pour but la
défense et la reconnaissance du tatouage artistique et créatif en France, et faire reconnaître
le tatoueur créatif comme un artiste à part entière auprès de l'Etat et du Fisc. », comme
indiqué sur leur page internet53. En se réunissant, les tatoueurs français souhaitent
augmenter leur poids face au marché international et face aux autorités.

Dans ces deux dynamiques parallèles de création d’une force politique de


représentants des tatoueurs et de législation par l’Etat après une prise de conscience d’un
« problème de santé public », nous montre que ce phénomène a une effectivité au sein de la
société : il est donc reconnu par la loi et mobilise des ressources autour de lui.

50
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.
51
Voir éléments biographiques dans l’Indexe des noms propres.
52
Pierre Weil, Le téléphone sonne : Le succès croissant du tatouage. Mardi 3 décembre 2013, France Inter.

53
Se référer aux sources pour plus d’informations.

21
2. Une mise en lumière plus importante

Dans les faits et au sein de la société, nous avons pu trouver des indices et des
preuves de la popularisation (au sens de propagation) du tatouage.
En concordance avec d’une part l’idée que plus on voit quelque chose, moins il nous
effraie et d’autre part l’idée que la société nourrit et se nourrit des médias, nous voulons
voir maintenant si les sources d’informations de la société ne sont pas elles aussi une
preuve et une conséquence du phénomène que nous tentons d’expliquer.

a) les médias de masses

Un grand nombre de théories sociologiques au sujet des médias et de l’opinion


publique ont fleuris, remettant constamment en question l’idée communément admise que
le public soit vulnérable aux informations diffusées par les différent canaux médiatiques.
Si nous ne les discuterons pas ici, nous pouvons cependant statuer sur le fait que les médias
de masses, définis comme des médias qui touchent un large public, et donc qui peuvent
possiblement influencer un tout aussi large public, permettent à l’heure actuelle, la
diffusion d’innombrables images et informations qui modulent d’une certaine manière
notre vision du monde. Ainsi donc, pour le sujet qui nous intéresse, nous ne pouvons nier
l’effet des images de tatouages diffusées sur tous nos écrans. Dans la mesure où voir
quelque chose régulièrement permet de s’y familiariser, le rôle de ces images parait avéré.
Il est d’autant plus vrai lorsque les tatouages sont portés par les meilleurs supports
médiatiques qui soient: les célébrités. Pour ne citer qu’eux, et parce qu’ils sont les plus
connus : les sportifs (David Beckam ou, Mike Tyson), les acteurs (Angélina Jolie ou
Johnny Depp et même Catherine Deneuve), les chanteurs (Rihanna ou Amy Winehouse)…
Des plus petits symboles aux plus grosses fresques, les « stars » par leur visibilité publique,
ont largement contribué à l’expansion du tatouage dans la société contemporaine, en
commençant par les rockeurs qui, dans les années 80-90, montrent au monde entier leurs
corps tatoués. « . Les tatoueurs de stars deviennent des stars » comme évoqué dans « Tous
tatoués »54, qui évoque aussi une contamination du show-business.

Le phénomène d’identification qui, poussé à son paroxysme, serait le fanatisme,


n’est pas négligeable dans ce processus. Si certains individus sont plus à même de

54
Marc-Aurèle Vecchione, Tous tatoués, 16 novembre 2013, Arte

22
développer un caractère d’adhésion totale et aveugle au comportement de certaines
personnalités publiques, nous sommes tous plus ou moins influencés par les références
esthétiques diffusées, et particulièrement si elles sont en relation avec une personnalité
publique qui nous est agréable. C’est le phénomène de contagion évoqué plus haut55. Dans
cette même dynamique, les médias de masse ont voulu, non seulement constater et
participer au phénomène, mais aussi essayer de le comprendre.

b) Revues, émissions et foires spécialisées

Parmi les 11 400 000 résultats disponibles sur Google en cherchant le mot
« tatouage », on trouve des sites de photos, des blogs, des sites de tatoueurs, des sites de
tatoués, des émissions, des articles de magazine… Ainsi, dans les trois dernières années,
on dénombre des dizaines de documentaires dédiés au tatouage dans les émissions grand
public ou dans des programmes un peu plus pointus. Si aux heures de grande écoute, les
émissions mettront l’accent sur le côté spectaculaire du tatouage en mettant en lumière des
célébrités ou des comportements extrêmes, nombre d’émissions tentent de comprendre
l’origine de cette vague qui semble envahir notre société. Qu’il s’agisse d’émissions de
radios comme « Le téléphone sonne » sur France Inter ou de reportages télé comme « Tous
tatoués » sur Arte, les reportages ont été une source d’informations ludiques et pertinentes
notables dans ce travail.

Résonnant comme la preuve de l’existence d’un public passionné, la presse


spécialisée s’est multipliée. Depuis le titre le plus connu « Ink Magazine » aux productions
les plus confidentielles, on peut compter plus de dix titres différents en vente dans
l’Hexagone et ce, dans tous les points de vente de presse. En France, c’est Jérôme Pierrat,
historien et criminologue, qui a lancé le titre « Tatouage magazine »… En parallèle, se sont
développées des rencontres annuelles des tatoueurs et tatoués, dont la plus connue chez
nous est le Mondial du tatouage dont la dernière édition (Mars 2014), a eu lieu à la Vilette.
Initié par un groupe de tatoueur, il est conçu comme une exposition vivante : l’occasion de
retrouver les meilleurs artistes du monde entier, de montrer leur travail, d’échanger au sujet
des nouvelles techniques ou des différents traits de la « culture tatoo ». Cette année, plus
de 20 000 personnes étaient attendues et les participants sont plus nombreux à chaque
édition. 56

55
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 7-8.
56
Se référer aux sources pour plus d’informations.

23
Si les conventions de tatoueurs sont ouvertes à tous, elles semblent pourtant ne concerner
que les personnes qui sont tatoués ou souhaitent l’être. Il existe pourtant des lieux dédiés
au tatouage, qui s’adressent à tous.

c) Musées et ouvrages

Au cours de mes recherches, j’ai découvert pléthore de livres, recueil d’images et


d’anecdotes, d’artistes et d’histoires du tatouage. Coincés entre les livres d’art et de mode
dans les librairies, ils oscillaient entre la culture légitime et la trivialité de l’esthétique
vestimentaire. Pourtant, c’est dans les musées aussi que j’ai suivi le tatouage.

Considérée par beaucoup de professionnels comme une consécration, l’exposition


Tatoueurs, tatoués, au quai Branly, a fait grand bruit. Créée par le duo de
galeristes/journalistes /artistes Anne & Julien, elle retrace l’histoire du tatouage et offre un
panel large, visuel et interactif, de ce qu’est l’art du tatouage. Dans sa manière même d’être
créée, l’exposition nous donne des indices sur l’environnement qui entoure le tatouage : le
désir de création, l’abaissement des frontières sociales, la curiosité… sont autant de thèmes
qui semblent résonner dans la documentation. Cette exposition, si elle a sans doute été un
point culminant et un point de départ, n’est pas la première. En effet, Lieven
Vandekerckhove évoque déjà, en 2006 une autre exposition à ce sujet et l’auteur se pose
donc cette question : « Quelle signification peut-on mettre derrière l’apparition du thème
« tatouage » dans les musées ? »57. En d’autre termes, comment expliquer que le tatouage,
rejeté par les normes esthétiques bourgeoises donc dominantes dans le savoir légitime,
entrent dans des lieux de culture ?

B - les explications

1. La fin de l’irréversibilité

« […] je trouve pas franchement ça laid mais j’aurais préféré qu’elle mette ça avec
un décalcomanie temporaire. De façon à ce qu’elle puisse l’effacer quitte à en remettre un
autre un peu plus tard si vraiment elle y tient »58, exprime Hervé, 63 ans, chef d’entreprise
à la retraite, à la vue de la photo d’un petit tatouage sur le cou d’une jeune fille (Annexe 2).

57
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 80.
58
Entretiens consultables en annexe.

24
Ce témoignage nous rappelle le poids du caractère définitif du tatouage sur sa réception
sociale. Et c’est dans la fin de ce caractère définitif que Lieven Vandekerckhove trouve
une des clefs de l’acceptation du tatouage. Il nous rappelle le postulat de départ : le
caractère définitif du tatouage met en avant l’autonomie du corps qui est un niveleur social
et donc rejeté par les couches supérieures. Dans la perspective de la possibilité d’enlever
un tatouage, la baisse de l’autonomie du corps entraine la baisse du stigmate.

a) Les techniques de retrait

Si les différentes techniques de retrait du tatouage se sont développées c’est bien


pour répondre à une demande. Erreur de jeunesse, déception du travail du tatoueur,
nécessité professionnelle… sont autant de raison pour décider de se faire « détatouer ».
L’étude de cette démarche individuelle eu put être un sujet sous-tendant de pertinents
enjeux.

Laser, dermabrasion, greffe, cryochirurgie, diathermie, le waterjet-cutting… Les


différentes méthodes apparaissent les unes après les autres. Si les progrès scientifiques
permettent d’améliorer le retrait d’années en années, il est encore très rare à l’heure
actuelle de faire disparaitre entièrement et sans brûlures un tatouage59. Pourtant,
l’apparition de ces méthodes et la recherche médicale qui les entourent participent selon
l’auteur à la popularisation du tatouage. Cependant, selon l’Académie Américaine de
Dermatologie, 17% des personnes interrogées portant un tatouage ont pensé à le faire
enlever. Aucune d’elle n’a cependant passé le pas60. Ainsi, on peut avancer que la remise
en question du corps niveleur via le tatouage existe dans l’inconscient collectif plus qu’il
n’est effectif en réalité, au vu des chiffres annoncés plus haut. Nous entendons par là que
c’est l’idée que le tatouage puisse s’effacer qui rassure et atténue le rejet, plus que le fait
qu’il ne le soit réellement plus.

b) Les tatouages éphémères

Si notre propos précédant concernait l’atténuation du caractère indélébile, nous


pouvons voir maintenant la disparition de ce caractère, qui se traduit dans l’existence des
tatouages éphémères. C’est parce qu’il n’est plus définitif, qu’il se rapproche plus d’un

59
Se référer aux sources pour plus d’informations.
60
Se référer aux sources pour plus d’informations.

25
maquillage et donc qu’il devient un jeu. En acquérant cette légèreté, il est socialement
acceptable. C’est ce que nous confirment les propos d’Hervé, 63ans, à propos d’une photo
de jeune homme au torse tatoué (Annexe 2); « […] Huuum moi je trouve que ce jeune
homme ça aurait été drôle qu’il aille à une soirée costumée avec […] cette belle fresque
d’ailleurs, […] dessinée avec du feutre lavable… »61.

C’est ainsi que les chewing-gums Malabar ont pu instaurer comme cadeaux aux
enfants à l’intérieur de leurs produits, des décalcomanies au design pop. Pour les adultes,
c’est Chanel qui, en 2010, créent des « bijoux de peau », qui s’apparentent à des tatouages
précieux. Cette entrée de la décalcomanie dans le monde de la mode par la grande porte
française a pour conséquence la naissance de nombreuses marques de tatouages
éphémères. Des grandes institutions de l’esthétique comme Séphora ou Bourjois à des
initiatives plus confidentielles comme Tattyoo ou les Tatoo Box, la dynamique a connu
depuis 2010 un large succès. Si l’on peut se féliciter de l’entrée du tatouage dans le monde
de la mode et peut-être dans les codes esthétiques légitimes, Lieven Vandekerckhove nous
rappelle que le tatouage n’y apparait que parce qu’il est éphémère 62. C’est en effaçant son
caractère principal, celui de l’irréversibilité, qu’il est introduit dans ce domaine. En
d’autres mots, c’est parce qu’il n’est pas déshonorant, qu’il est acceptable.

c) Les autres modifications corporelles

Le sondage d’Harris Interactive63 nous apprend que presque la moitié des adultes
américains a les oreilles percées. Cet agir, de l’ordre de l’esthétique, est, au même titre que
le tatouage, une modification corporelle. Cependant, elle semble beaucoup plus répandue
et donc beaucoup mieux acceptée socialement. Comment peut s’expliquer cet écart de
considération ? Lieven Vandekerckhove évoque la réversibilité des piercings. Pourtant,
lorsqu’il s’agit de piercing sur le corps, les statistiques descendent à 7% puis à 4% pour les
tatouages sur le visage. Ceux-ci peuvent être pourtant être tout aussi éphémères que les
boucles d’oreilles. Nous postulons, sans grand risque, qu’une pratique corporelle, si elle est
mal acceptée dans la société, sera moins pratiquée.
Dans l’idée que les piercings ne sont pas des pratiques complètement intégrées
socialement, nous pouvons supposer que l’absence d’irréversibilité et, dans le cas des
tatouages, la fin de l’irréversibilité, ne suffit pas à expliquer l’acceptation sociale.

61
Entretiens consultables en annexe.
62
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 91.
63
Se référer aux sources pour plus d’informations

26
2. Le tatouage comme art est justifié socialement

a) Esthétisation du tatouage

Si l’invention de la machine électrique par Samuel O’Reilly révolutionne en 1891, la


pratique du tatouage, c’est à force de voyages, d’échanges entre les tatoueurs et aidé par la
médiatisation progressive (Life ou Rolling Stone), que le tatouage trouve un nouveau
virage dans les années 1960 et développe ses différentes techniques. On évoque dans
l’émission diffusée sur Arte : « Tous tatoués », l’arrivée de tatoueurs comme Ed Hardy, qui
étaient aussi et surtout des artistes. Si celui-ci est connu pour son travail sur le style
japonais, d’autres ont fait des tatouages maoris les nouveaux motifs à la monde dans le
milieu de l’encre hypodermique. Les tatoueurs ne sont plus seulement des artisans, ils
deviennent aussi des artistes et la peau n’est alors qu’un support supplémentaire.

Lieven Vandekerckhove parle donc d’une « esthétisation du tatouage et donc l’attraction


de talents artistiques vers l’art corporel en augmente le prestige »64. Nous comprenons ici
que le tatouage devenu un peu plus populaire au milieu du XXème siècle, attire de plus en
plus de personnalité du monde de l’art. C’est parce que les techniques se font plus précises
et les métissages plus riches que les artistes s’intéressent au tatouage et, en y adhérant,
augmentent son prestige. Comme une caution de la légitimité de l’existence du tatouage,
les artistes servent aussi de défenseurs du tatouage. C’est un mouvement d’aller-retour,
schématisé comme suit : Raffinement du tatouage  nouveau segment de tatoueurs.

b) Apparition d’un marché de l’art

La seconde dynamique à laquelle est soumis le tatouage, conséquence directe de l’arrivée

d’artistes professionnels, est l’apparition d’un marché de l’art. Lieven Vandekerckhove

nous explique que puisque le tatoo devient un art, il a une valeur marchande 65. De
tatoueurs, on passe doucement vers « artistes tatoueurs » et donc de tatouage on glisse vers

64
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 101.
65
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit. Chapitre 8 : le
tatouage réintroduit dans l’arsenal esthétique bourgeois : la logique sociologique.

27
le « body art ». Jusqu’à l’heure actuelle, cette dynamique n’a eu de cesse de se
développer : "Aujourd'hui, la majorité des tatoueurs dessinent bien, ce qui est nouveau,
souligne Jérôme Pierrat. Depuis les années 1990, ils sortent plus souvent des écoles d'art
ou de graphisme que de Fleury-Mérogis. Beaucoup peignent sur toile, quelques-uns
exposent.".66 L’existence d’un statut juridique d’ « artiste tatoueur » est d’ailleurs l’une des
luttes du SNAT.

Puisqu’une œuvre existe par son artiste, s’est créée une course au plus grands :
certains tatoueurs très reconnus, comme Tin-tin en France par exemple, ont un agenda
complet d’une année sur l’autre et facturent 200 euros par heure, contre 70 à 90 en général.

La rencontre de l’art et du tatouage a aussi pour effet la pénétration du tatouage


dans l’art. Ainsi, pour exemple le plus marquant et le plus extrême, nous pouvons citer le
travail de Wim Deloye sur le Suisse Tim Steiner. Artiste contemporain subversif, Wim
Deloye a décidé de faire d’un homme l’une de ses œuvres. C’est ainsi que Tim Steiner
s’est retrouvé en 2010, le dos tatoué d’une fresque, aux motifs aléatoires, peinte par
l’artiste mais tatouée par un autre. L’artiste a aussi tenu à vendre son œuvre. Un
collectionneur en a alors fait l’acquisition. Tim Steiner répond donc à certaines obligations
parmi lesquels, son dépècement post mortem. Morbide, provocatrice et faisant
évidemment écho aux collections de peaux de déportés, sous le IIème Reich, cette
démarche de l’artiste a été reçue de manière mitigée. Elle va pourtant bien dans le sens de
notre propos : l’existence d’un marché de l’art corporel.

c) Intellectualisation, justification sociale : c’est parce qu’il devient un art


qu’il n’est plus subversif.

Le Nouvel Observateur cite Tin-tin, dans un de ses articles, à propos du tatouage :


"Il est le 10e art"67.

Si cet artiste tatoueur se gausse de redéfinir le tatouage parmi les arts, c’est que, considéré
dès lors comme un savoir technique noble, le tatouage se justifie socialement et entre tant
que possible dans les centres d’intérêt des détenteurs du capital. C’est encore Lieven
Vandekerckhove qui évoque cette dimension : grâce à son esthétisation et sa

66
Se référer aux sources pour plus d’informations.
67
Se référer aux sources pour plus d’informations.

28
professionnalisation, le tatouage passe de la vulgarité à l’art et donc du stigmate à
l’emblème68.

En utilisant de nouveaux termes comme évoqués ci-dessus (body art, tatoo artist…), les
tatoueurs créent leurs propres codes et avec eux leur propre science. C’est par
l’intellectualisation que vient la justification. Et c’est parce qu’il est justifié, que le
tatouage peut être porté avec fierté.

Si jusqu’ici nous avons évoqué les différentes techniques du tatouages, c’est la première
fois dans notre réflexion qu’apparait la notion d’art comme : « Manière de faire qui
manifeste du goût, un sens esthétique poussé » et de « Création d'objets ou de mises en
scène spécifiques destinées à produire chez l'homme un état particulier de sensibilité, plus
ou moins lié au plaisir esthétique »69. Rappelons que l’une de nos principales interrogations
était de savoir si le tatouage était encore aujourd’hui un art subversif. Nous comprenons
donc que le tatouage n’a pas toujours été un art comme il est considéré aujourd’hui. La
question sous-tendait que le tatouage avait toujours été un art en Occident comme il a pu
l’être dans d’autres parties du monde. Ce n’est pourtant pas le cas. Et c’est donc en
devenant un art, que le tatouage a pu s’inscrire dans les codes du savoir légitime et perdre
donc de son caractère subversif. En effet, en rentrant dans le système de normes culturelles
dominant, le tatouage renonce donc à son caractère sub-culturel. En ce sens, il choque
moins.
Ainsi donc nous soulevons une limite de notre problématique. Nous ne pouvons y
répondre réellement puisque le tatouage n’a pas toujours été un art en occident et que c’est
tout justement en acquérant ce caractère d’art qu’il en est devenu moins subversif.
Malgré tout, il serait dangereux de partir de ce constat pour avancer que le tatouage est
dorénavant accepté partout et par tous. C’est autant dans la pratique et dans la réception
sociale du tatouage que se joue de nouveaux enjeux : l’évolution a provoqué des ruptures
et ces ruptures ont donné naissance à de nouveaux comportements.

68
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p84.
69
Larousse : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/art/5509

29
30
Partie 3. Si l’on peut parler d’une nouvelle considération du tatouage, en
quoi consiste-t-elle ?

Nous avons montré et expliqué jusqu’ici le changement de perception sociale du


tatouage. Pour autant, malgré une évolution synchronique70, nous ne pouvons affirmer que
le tatouage fait aujourd’hui partie de l’arsenal esthétique des couches supérieures. Nous
pouvons cependant postuler que la mutation de la perception du tatouage a aussi entrainé
une mutation de la pratique et des intentions des tatoués. C’est dans l’optique de dresser un
état des lieux de la perception globale du tatouage que nous essayons de saisir les nuances
des réflexions de tatoués et de non tatoués. C’est aussi autour de cette dichotomie entre
perception et réception que pourront se soulever certaines questions.

A- La réception d’autrui

Si à force de théories sociologiques et d’exemples nous avons pu expliquer notre


propos, nous avons voulu ici passer d’avantage par des ressentis d’individus pour
comprendre à l’heure actuelle la position sociale de l’encre indélébile. Ce phénomène s’est
accéléré depuis une petite dizaine d’années et, d’un point de vue scientifique, est donc
extrêmement récent. Sa nouveauté, c’est sa dimension, la force avec laquelle il s’abat
aujourd’hui sur la société. Aux logiques soulevées jusque-là, s’ajoutent d’autres
dimensions qui viennent avec l’évolution de la pratique.

1. Des réfractions qui subsistent

a) Au sein du monde des tatoués

L’esthétisation de l’encrage, évoquée plus haut, a portée avec elle certaines


revendications des tatoueurs. Elle a permis l’exposition de l’idée que le tatouage n’était pas
seulement « un truc de mauvais garçons ». Las du stigmate, les tatoueurs ont milité pour
une déconstruction sociale de leur art et une meilleure acceptation. Leur désir de ne plus
être définis par leur tatouage et leur flegme, de montrer un autre visage de leur passion, a
donc été entendu lorsque les médias s’en sont emparés et que la société s’est ouverte à leur

70
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit.p31

31
appel. Si le regard que le monde leur porte a changé, certains regrettent la perte d’une
partie de l’essence du tatouage.

En descendant de son piédestal, le tatouage devenu plus courant, est pour certains
devenu une mode. Antinomie totale que celle d’une action indélébile et d’un courant
esthétique éphémère : c’est en ce sens que sa popularisation déplait. Les risques encourus
alors par la génération qui prend la « vague tatoo », seraient de regretter un acte fait sous le
coup de l’effet d’imitation et de gavage médiatique.
Le deuxième élément qui déplait chez « les vrais, les durs, les tatoués », c’est la perte
supposé de symbolisme. Anciennement revendication marginale, le tatouage serait devenu
un simple bijou corporel. Ce thème, évoqué dans le reportage « Tous tatoués »71relate une
popularisation controversée par les gens du milieu. On peut deviner aussi que si certains
professionnel souhaitaient voir leur métier reconnu, d’autres, chez lesquels l’optique du
tatouage devait rester le stigmate des « outsiders », regrettent amèrement croiser au
quotidien des personnes « normales » arborant des dessins cutanés. On soulève ici une
dualité intéressante : d’une part on trouve des personnes pour lesquelles la dimension
« marginale » du tatouage était handicapante et qui préfèrent donc mettre la lumière sur la
technique et l’esthétique et d’autre part des personnes pour lesquels le tatouage se vide de
sens s’il est adopté par la majorité. Noémie, 22 ans, nous explique : « […] l’autre nana qui
avait le petit cœur (Annexe 2), c’était plutôt une déco enfin tu vois comme si tu te
maquillais au final ».72

Si ce virage vers des tatouages souvent plus décoratifs que vindicatifs est
indéniable, la tatoueuse Lyle Tuttle précise que « c’est toujours des sentiments personnels
qu’on affiche ». Ce changement d’orientation et à la fois cette continuité dans les messages
soulève un point essentiel que nous développerons par la suite.

b) L’exemple de l’affaire des pigments

A l’extérieur du monde du tatouage, d’autres réfractions subsistent. Nous avons évoqué


plus haut la légifération relative à la profession. Le SNAT continue à se battre pour obtenir
le statut d’« artiste tatoueur » pour ses professionnels. La situation est complexe puisque le

71
Marc-Aurèle Vecchione, Tous tatoués, 16 novembre 2013, Arte

72
Entretiens consultables en annexe.

32
statut est bâtard : la pratique est à la fois partiellement médicale et de plus en plus
artistique.

En parallèle, la médecine commence à s’interroger sur l’existence d’un éventuel


« problème de santé publique » avec la multiplication des opérations de tatouage. Le
processus est simple : plus il y a de tatouages, plus il y a de risques (contamination,
allergies, cancers…). Jusqu’ici rien n’a prouvé que le tatouage, et ses encres, était
cancérigène. Pourtant c’est le principe de précaution qu’a évoqué l’Etat lorsqu’il a voulu
faire interdire à la date du 1er janvier 2014, 50 types de pigments utilisés dans les
tatouages.

C’est dans l’émission « Le téléphone sonne » sur France Inter73 que le médecin Jacques
Bazex, qui a participé à des rapports étatiques invoquant une réglementation accrue face à
la multiplication des complications liées au tatouage, s’exprime face au tatoueur Tin-tin.
Les deux hommes semblent en conflit et les attaques sont courantes durant toute
l’émission. Tin-tin, s’indigne de rapports tirant leurs sources de la littérature anglaise des
années 1970. Comme si le médecin voulait faire pénaliser les tatoués (comme on le ferait
pour des « déviants »), le tatoueur régit avec véhémence face aux propos du docteur Bazex.
Cette joute orale rappelle instantanément le schéma manichéen de l’artiste face au
scientifique. Une question nous interpelle pourtant : Si le médecin affabule, comme le
laisse entendre le tatoueur, et donc que les pigments sont sans risque, quel bénéfice aurait-
il à faire interdire certaines de ces encres ?

Peut-on percevoir ici un sentiment d’acharnement de la part des autorités légitimes,


ressenti par le tatoueur, symbole d’anciennes querelles ?

c) Ouverture sur les autres pratiques esthétiques

Nous avons dressé une cloison entre les agirs corporels classiques et une
modification corporelle, originellement indélébile, comme le tatouage. Pourtant celui-ci
reste une subdivision des agirs corporels.

Boudée par la société occidentale contemporaine, le corps comme instrument de


séduction ou de plaisir, est la cible de jugements moraux ou de sanctions sociales. Comme
s’ils étaient inconciliables, on oppose la chair à l’intellect. Celui qui se préoccupe de son

73
Marc-Aurèle Vecchione, Tous tatoués, 16 novembre 2013, Arte

33
enveloppe corporelle ne pourrait donc pas cultiver son esprit. Le choix entre l’un et l’autre
défini l’individu : c’est le dilemme de l’intello et de la bimbo. Par esprit de contagion, ceux
qui travaillent le corps, en plus d’exercer un métier manuel, déjà peu reconnu dans notre
société, exercent un métier appartenant à l’esthétique (et donc qui s’oppose, de facto, à
l’intellect). Plus encore que de les opposer à l’intellect, on met les « compétences de
l’univers esthétique dans le domaine du superficiel ».74

Dans une démarche que seul l’individu peut faire pour lui-même et donc une démarche
dont seul l’individu pourra jouir des bénéfices, « […] l’univers esthétique érige
l’individualisme en philosophie »75. C’est la même dynamique que l’on retrouve
aujourd’hui dans le tatouage. En se retirant dans cette espace où le corps est mis à
l’honneur, l’individu s’octroie un moment dont il est à la fois le décideur et le bénéficiaire.
Pourtant ce serait une erreur de penser qu’un tatouage ou une épilation ne sont que des
modifications de l’épiderme puisque « Travailler le corps c’est toujours travailler plus que
le corps »76. Travailler le corps c’est travailler ce que l’on renvoie aux autres et donc ce
que l’on perçoit de nous. Cela peut correspondre à soigner de l’extérieur des blessures de
l’intérieur ou encore modifier son enveloppe pour montrer ce que l’on est « au fond » de
nous : « La dialectique de la surface et de la profondeur caractérise une forme de tension
quasi immanente au milieu des soins de beauté »77.

D’autres part, nous pouvons souligner l’évolution expressive de certaines pratiques


corporelles aujourd’hui entrées dans le langage courant, mais qui n’y ont pas toujours
figuré. Témoins d’une évolution synchronique dans la société, elle nous montre des
alternatives possibles dans l’évolution de la perception du tatouage.

Voyons l’exemple du bronzage. S’il a été longtemps considéré comme la marque


des prolétaires, ceux qui travaillaient les champs et donc prenaient le soleil, il a ensuite été
le signe distinctif de ceux qui partaient en vacances. Aujourd’hui un corps parfait, comme
il est renvoyé par les médias, est un corps hâlé.

74
COHENNEC Morgan, «Le soin des apparences, L’univers professionnel de l’esthétique-cosmétique»,
Actes de recherche en sciences sociales, Paris : Le seuil, 2004/4 (no 154)
75
COHENNEC Morgan, Ibid.
76
COHENNEC Morgan, Ibid.
77
COHENNEC Morgan, Ibid.

34
2. Une réception encore frileuse

a) Le respect du corps

Les réceptions restent aussi mitigées dans la société, en témoigne les propos
d’Hervé, 63ans, non tatoué, au sujet d’un jeune homme au torse tatoué (Annexe 2) : « Ce
que je trouve dommage c’est […] d’avoir disposé comme ça de son corps de façon
définitive et complètement marquante […] et [..]spectaculaire.»78. De l’idée de disposer de
leur corps, les personnes qui ne sont pas adeptes du tatouage, semblent se méfier. L’idée de
ne pas avoir le droit de faire ce que l’on souhaite de notre enveloppe charnelle semble sous
tendre : « Je m’interroge quoi pourquoi, […] dénaturer ainsi son torse de cette manière-là
quoi : quel intérêt ? ». Sans intérêt, (ici on peut supposer que si intérêt il y a à modifier son
corps, c’est d’un point de vue médical), le corps devrait donc rester intact. Nous pouvons
supposer que dans ce témoignage, il n’existe pas d’intérêt au tatouage puisqu’il n’est pas
même question d’esthétique pour l’interrogé qui exècre les tatouages. Cette vision dans
laquelle on ne peut disposer du corps, vient en exacte contradiction avec le témoignage de
Noémie, 23 ans, tatouée : « Après on est jeune, on a un corps. Enfin moi je veux en profiter
quoi. On va partir en cendres et en poussière autant en profiter »79.
Ces deux visions font échos aux théories évoquées plus tôt, relatives au corps niveleur. Si
le tatouage est rejeté, c‘est parce qu’il rappelle l’autonomie du corps. On peut aussi
considérer que les personnes qui acceptent et adoptent le tatouage ont une vision globale
du corps moins conservatrice, dans le sens où le facteur niveleur ne les dérange pas. Cette
dissociation, qui n’est pas relative qu’au milieu social mais aussi à l’individualité, peut
permettre une piste de compréhension de notre étude.

b) Le poids des références : mort, érotisme, primitivité…

Dans son étroite corrélation au corps, le tatouage transporte des symboles forts
comme la mort, l’érotisme, la putréfaction ou globalement, l’organique. Certains styles
s’en sont d’ailleurs fait leurs fonds de commerce comme le bio-mécanique, qui lie
organique et mécanique. C’est parce qu’il fait référence à l’ensemble de ces éléments que
les non-adeptes ont du mal à l’accepter : « je ne comprends pas qu’on puisse aller chercher,

78
Les entretiens sont consultables en annexe.
79
Les entretiens sont consultables en annexe.

35
si tant est que c’est gens-là vont chercher si loin, euh des références à des usages de
primitifs »80, Hervé, 63 ans, non tatoué.

Ce propos est d’autant plus vérifié, face à une photo de modification corporelle extrême,
celle de Zombie boy (Annexe 2). Perçu comme une «provocation excessive qui le met en
marge de la société »81, l’homme ne peut que friser « la folie ». (Hervé, 63 ans) Si ces
tatouages sont choquant, c’est d’une part parce qu’ils recouvrent l’ensemble du corps mais
d’autre part parce qu’ils renvoient immanquablement à la mort. Même son de cloche de la
part des tatoués avec le témoignage de Noémie, 22 ans : « Ouais dérangeant ouais. Parce
que ça fait rapport avec la mort, avec… On dirait un cauchemar en fait. Ouais on dirait un
cauchemar. »82. Le rejet du corps niveleur ne se lit pas seulement dans le rejet de
l’irréversibilité du tatouage mais aussi dans le rejet de motifs morbides.

Au même titre, malgré son évolution synchronique évoquée plus haut, les différences de
classes semblent toujours peser sur le tatouage. Ainsi, au sujet des tatouages du jardinier de
ses parents, lorsqu’il était petit, Hervé « […] croi[t] vraiment que c’était un problème de

classe sociale. »83. Malgré ses, nombreux tatouages, Noémie exprime la même chose : « je

n’aimais pas du tout les tatoos avant. Je trouvais ça ringard, je trouvais que c’était les kékés
clairement qui faisaient ça. »84 Et pourtant, il y a 3 ans, elle passe le pas.

c) Les limites des discours

Dans le discours d’Hervé, 63 ans, non tatoué, plusieurs notions sont lisibles : d’une
part un dégout affiché, d’ autre part une incompréhension et enfin, une grande peur de
l’irréversibilité (« encore une fois c’est irréversible, c’est dramatique. Il pourrait changer

d’avis, trouver un jour que c’est moche et il pourrait plus jamais revenir en arrière

quoi. »85) « Inutile », « dommage », « gâcher »… sont autant de termes qui teintent son
discours. Pourtant au fil de l’entretien et en évoquant les tatouages des marins et soldats,
une autre dimension se dévoile : « Je pense que dans certaines circonstances on peut

80
Les entretiens sont consultables en annexe.
81
Les entretiens sont consultables en annexe.
82
Les entretiens sont consultables en annexe.
83
Les entretiens sont consultables en annexe.
84
Les entretiens sont consultables en annexe.
85
Les entretiens sont consultables en annexe.

36
éventuellement, discrètement peut-être, arborer un tatouage oui parce que y’ a un passé

y’a une tradition »86. Comment expliquer donc que sous certaines conditions, cette
personne catastrophée par certaines images de tatoués, puisse admettre la possibilité pour
lui-même de passer sous les aiguilles ? Deux idées prédominent dans son discours : celle
de la passion et celle du souvenir. En faisait référence à sa propre passion, le golf, il
évoque la possibilité de se faire tatouer, si c’était un des usages de ce sport.

Hervé nous dit deux choses ici. D’une part, que si le tatouage faisait partie des
attributs de sa classe sociale (golf, bourgeoisie), il passerait le pas. Nous comprenons donc
que ce n’est pas le tatouage en lui-même qui le dérange mais bien les connotations sociales
qu’il engrange. D’autre part, il nous dit que le tatouage peut être justifié par un vécu : « je
trouvais que c’était pas mal qu’il porte ça définitivement. Ca restait, ça lui rappelait cet
épisode de sa vie ». C’est donc ici que son discours se contredit. Nous pouvons penser que
dans la mesure où un tatouage représente quelque chose sur lequel on ne peut revenir, il est
justifié.

Dans l’autre sens, Noémie, 22 ans, tatouée à des nombreuses reprises et qui prône
le respect des choix d’autrui et la liberté de chacun de se faire tatouer, déclare, devant la
photo de Zombie Boy (Annexe 2) « je sais même pas si je respecte ou pas tu vois »87. Des
grands principes aux expériences personnelles, le discours peut muter.

Malgré la « déferlante tatouage », malgré la fin de l’irréversibilité, malgré une


évolution synchronique, les clichés ont la peau dure et le tatouage souffre encore de
nombreuses réticences. S’il est entré dans la norme, ses détracteurs n’en n’ont pas encore
fait un attribut du bon goût. Pourtant, nous pouvons penser qu’avec le temps, nombre des
éléments qui ont participé à son acceptation (esthétisation, techniques de retrait, entrée
dans d’autres franges de la population…) vont prendre tellement d’ampleur qu’elles ne
feront du tatouage plus qu’un simple instrument de l’esthétique corporelle. L’essence
même du tatouage existera-t-elle toujours ? En modifiant une réception sociale, on modifie
aussi une pratique ainsi qu’une perception de soi.

86
Les entretiens sont consultables en annexe.
87
Les entretiens sont consultables en annexe.

37
B - La perception de soi

La question récurrente « Pourquoi se fait-on tatouer ? » ne peut avoir de réponse. Si


pour les uns il s’agit d’un pied de nez social ou familiale, il peut s’agir pour les autres d’un
simple attrait pour la douleur ou d’un désir de s’inclure dans un groupe social… C’est
d’autant plus difficile que le changement de relation au tatouage a changé très rapidement
ces dix dernières années et que le mouvement semble s’accélérer. Il nous apparait pourtant
essentiel de faire aujourd’hui un état des lieux des pratiques et des démarches, pour tenter
de comprendre comment se perçoivent les tatoués et donc qu’elle image ils renvoient.
Cette démarche nous permettra aussi de comprendre la distorsion entre l’image envoyée et
l’image reçue. Nous partons du postulat que si la mutation de la réception d’un agir
modifie sa pratique, la modification de cette pratique change à son tour sa réception.

1. Une pratique plus individualisée ?

Nous nous penchons donc ici sur le cheminement individuel dans la démarche
d’accepter le tatouage et plus précisément de se faire tatouer. Lieven Vandekerckhove se
demande dans son ouvrage : « Comment expliquer les différences sub-culturelles et
individuelles ? […] Quelle est la logique sociologique ou psychologique qui rend ce
comportement intelligible ? »88.Dans quelle mesure donc certaines personnes au sein d’un
groupe social qui rejette le tatouage peuvent, se détacher et adopter cette pratique ?

Dans l’émission radio : « Le tatouage : un complément d’identité direct »89, plusieurs


témoignage donne la température des démarches de tatoués. Marie, 23 ans, qui se fait
interviewer durant une retouche sur un motif d’arbre mort sur le ventre, explique qu’elle le

fait pour elle : elle montre peu son ventre. Sophie, professeur de fitness, qui, quant à elle, a

déjà 2 tatouages, explique qu’elle ne se sent pas déterminée par ses tatouages puisqu’ils

sont une partie de son corps et de sa personnalité et non, la totalité de son être. En rupture
avec l’idée qui voudrait qu’un tatoué soit à mettre dans une case, ou encore que les
tatouages sont faits pour provoquer, pour marquer une différence, ces deux jeunes filles

88
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 24.
89
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.

38
témoignent d’une démarche individuelle et supposée personnelle qui fait fi de la sanction
sociale.

a) Le tatouage comme marqueur de vie : du rituel de passage à l’autobiographie

La dimension autobiographique du tatouage est présente depuis son arrivée en


Occident. Du travail d’Alexandre Lacassagne, Philippe Artière dit qu’il représente « le
degré zéro de l’autobiographie », et fait un parallèle avec les cicatrices, « cet autre journal,
bien involontaire » 90. C’était d’autant plus pertinent que le professeur travaillait souvent
sur des sans-papiers : « Ces enquêtes firent de la pratique autobiographie de l’homme sans
papier un signe d’identification des individus dangereux »91.
Combien de jeunes gens ont encore aujourd’hui tatoués la date de décès de leurs proches
ou le prénom d’un être cher ? Noémie, 22ans, qui s’est faite tatouer la date de naissance de
sa mère juste après son décès en témoigne ; « Y’a une phrase que j’aime beaucoup de
Johnny Depp… Je vais te la retrouver en deux secondes […] « My body is my journal and
my tatoos are my story » et ça je suis entièrement d’accord avec ça »92. Cette dimension
semble construire l’individu comme personne : j’ai vécu ça, je l’ai inscrit en moi, ça a
participé à faire de moi ce que je suis aujourd’hui. Si cette démarche semble extrêmement
personnelle puisqu’elle concerne une histoire de soi, une autre vision vient s’opposer à
notre postulat. Lieven Vandekerckhove évoque Tenehaus pour expliquer la démarche des
tatoués dans l’armée française93. Se détache alors le désir d’ « être quelqu’un ». Dans « Le
tatouage, un complément d’identité direct »94, Ricardo, 56 ans explique en riant que sur les
chantiers tout le monde est tatoué puisque « Un homme pas tatoué n’est pas un homme ».
On reste donc dans certains cas dans l’idée d’appartenir à un groupe, même si celui-ci n’est
plus celui des marginaux.

Le tatouage est une décision individuelle d’agir sur ce qui est propre à l’individu,
ce qui lui appartient en exclusivité, ce qu’il a de plus intime. Le passage à l’acte donne à la
personne une identité nouvelle. Ce passage est d’autant plus notable, qu’il sert pour
beaucoup de passage initiatique, de rituel. Si dans certaines tribus, le tatouage était un
symbole de passage à l’âge adulte, il apparaît aujourd’hui que l’acte en lui-même reste un

90
Philippe ARTIERES, A fleur de peau : Médecins, tatouages et tatoués (1880-1910), Op. Cit., p 9.
91
Philippe ARTIERES, Ibid., p13
92
Les entretiens sont consultables en annexe.
93
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 34
94
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.

39
moment fort. Qu’il s’agisse de la relation avec le tatoueur ou de la présence d’une personne
cher pour accompagner le tatoué, la ou les séances sont ritualisés, pour des raisons
esthétiques sans doute mais aussi symboliques. La dimension la plus mystérieuse pour tous
ceux qui ne sont pas encore passés sous les aiguilles est sans doute la douleur. Celle-ci fait
entièrement partie du tatouage et pose aussi la question de la recherche de sensations.

b) La dimension symptomatique / curative

Cette douleur et parfois cette recherche de douleur reste souvent un mystère pour
les non-initiés. Pourtant, on voit revenir en Occident, des techniques de tatouages
anciennes, au bambou par exemple, beaucoup plus douloureuse que les machines actuelles.
95
Dans le reportage « Le tatouage » est évoquée l’idée que rechercher la douleur
physique, dans l’acte du tatouage, permet à certains de se débarrasser de la douleur
psychique. Dans le cheminement psychologique, cette dimension curative va de pair avec
une dimension symptomatique du tatouage.

Pour Hervé, 63 ans, le tatouage est la marque d’un mal-être, qui dirige l’individu
vers une marge : « je pense que ce sont des gens qui ont peut-être des problèmes quoi des
problèmes pour s’affirmer et ce n’est pas dans les codes habituels de notre civilisation ».
Evoquée plus haut, les criminologues comme les psychiatres, ont longtemps pensé que le
fait d’avoir un tatouage était le symptôme indéniable de la folie. Pourtant dans « Le
tatouage : un complément d’identité direct »96, l’idée que le tatouage peut faire du bien est
soulevée. La satisfaction du tatouage n’est pas seulement dans sa valeur esthétique
immédiate mais aussi dans le symbole qu’il drague. Ainsi, Jean-Paul Cluzel97, haut
fonctionnaire français, actuellement Inspecteur général des Finances, justifie ses tatouages
par un travail sur lui-même comparable à celui fait à travers ses études et sa profession. Il
parle d’un désir de s’en sortir, de se transformer, de se former soi-même : dans un premier
temps via le savoir et l’accession aux classes sociales supérieures, il a réhabilité son image

95
https://www.youtube.com/watch?v=iK6umZkJhnY
96
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.
97
Voir éléments biographiques dans l’index des noms propres.

40
corporelle, délaissée par la culture dominante grâce à ses modifications corporelles.
Comme une émancipation éducative, le tatouage peut guérir des blessures individuelles.
Xavier Pommereau, auteur d’Ado à fleur de peau déclare « la peau tatouée dit aux autres
ce que l’on est, ou ce que l’on désire être »98. Il encre l’individu dans une réalité qu’il se
créée et par-dessus tout, qu’il décide.

C’est dans le sens de cette liberté de décider que l’on voit une dimension
individuelle aux nouvelles pratiques du tatouage. A la fois légère puisqu’elle ouvre tous les
possibles, elle est grave dans la mesure où elle engage et qu’elle construit l’individu.

c) Une nouvelle dualité : Entre légèreté et valeur symbolique

Le tatouage se défini par deux éléments : l’endroit et le dessin.

Lieven Vandekerckhove cite Demello, par ces mots « selon elle, le signe distinctif
entre la culture populaire et la culture élitaire ne réside pas dans l’absence ou la présence
de tatouages, mais bien dans la mise en forme du tatouage »99. Comme déjà évoqué, le
tatouage puisqu’il est devenu un art, a ses écoles. Il n’est pas à l’abri d’une évolution
diachronique dans la société : quid des tatouages de petits dauphins, en vogue dans les
années 90 ? Ils semblent aujourd’hui désuets et même un tatoué pourra avancer qu’ils sont
« has-been ». Au sein d’un même groupe, si tant est que l’on puisse aujourd’hui définir les
tatoués comme un groupe, il existe aujourd’hui différentes visions de ce qui est beau ou ce
qui ne l’est pas. La distinction des classes se fait aussi par motif tatoué, et nous le verrons
plus tard, par l’endroit tatoué.
Bien que le côté décoratif du tatouage ait pris une grande place dans sa pratique, il semble
que la signification et le symbolisme ne se soient pas affaiblis. Noémie, 22 ans, décrypte
chacun des tatouages qu’elle aperçoit sur les images qui lui sont montrées durant
l’entretien et développe longuement leurs significations respectives. Elle explique que ses
tatouages racontent quelque chose et fait ainsi écho à l’idée des décorations corporelles
autobiographiques développées plus haut. Dans « Le tatouage : un complément d’identité

98
Fabienne BROUCARET : Dossier tatouage : pourquoi ça cartonne ?, Version fémina, Semaine du 26 mai
au 1er juillet 2014, n°634
99
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 39.

41
direct »100, Marie, 23 ans, explique qu’elle se fait tatouer un arbre mort sur le ventre parce
qu’elle ne veut pas avoir d’enfants. Y a-t-il plus symbolique ? Jean-Paul Cluzel raconte
quant à lui qu’il a observé un travail sur une réflexion, rencontre entre spiritualité et
symboles, adaptée à certaines parties du corps, indépendamment des modes. On ne justifie
donc plus ses tatouages pour son appartenance à un groupe mais pour leur signification,
pour le sens que l’on y met personnellement. Le sociologue David Le Breton affirme que
« Dans nos sociétés contemporaines, ils sont, à l’inverse, une affirmation de son
irréductible individualité »101.

Ce poids de la valeur symbolique semble en opposition avec une valeur émergente


déjà largement discutée jusqu’ici : la fin de l’irréversibilité. Le tatouage, parce qu’il est
dorénavant plus ou moins effaçable est plus léger (il est intéressant ici de souligner la
différence entre la croyance populaire selon laquelle tous les tatouages sont entièrement
effaçables moyennant un certain coût et la réalité scientifiques qui continue à buter sur
nombre d’obstacles). Sans la possibilité de faire chemin arrière, Noémie n’aurait donc pas
passer le pas : « Non je regrette pas parce que je sais que d’ici 10ans, 15 ans euh y’aura de
nouveaux moyens pour les retirer quoi si jamais voilà je l’aime plus ce tatoo là je prends
rendez-vous et Bam on me le retire quoi. Sans ça, si y’avait pas tous ces moyens là je
pense que je m’en serais pas fait. euh tu peux avec les progrès technologiques tu peux te
les faire enlever quasiment entièrement sans qu’il y ait de traces. »102.

Nous sommes face à un comportement qui exprime fortement l’envie de s’inscrire


dans une réalité qui n’est rendue possible que par la possibilité de revenir à souhait dans
une autre réalité. Elise Muller, auteure d’Une anthropologie du tatouage contemporain,
L’Harmattan, explique que « l’engouement actuel pour le tatouage s’explique aussi […]
par un besoin de se fixer dans une société poussant peut-être à l’extrême le goût pour le
transitoire, pour l’éphémère »103. Tout en gardant la possibilité de changer d’avis…

100
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.
101
Fabienne BROUCARET : Dossier tatouage : pourquoi ça cartonne ?, Version fémina, Semaine du 26 mai
au 1er juillet 2014, n°634
102
Les entretiens sont consultables en annexe.
103
Fabienne BROUCARET : Dossier tatouage : pourquoi ça cartonne ?, Version fémina, Semaine du 26 mai
au 1er juillet 2014, n°634

42
2. Etre tatoué dans les yeux des autres

Exhibés autrefois, les tatoués continuent à être regardés, parfois d’un regard curieux
ou amusé, parfois d’un regard plus pesant. C’est sans doute parce qu’ils sont en lien direct
avec la mort dans l’inconscient collectif qu’ils fascinent encore certaines parties de la
population. Noëmie, 3 ans, gratte régulièrement la peau de sa mère pour enlever « la
tâche » de celle-ci : le tatouage qu’elle a dans le dos. C’est Jérome Pierrat qui explique que
l’on se rend compte qu’on est tatoué, face au regard des autres104. Ce n’est pas encore
quelque chose de normal

a) Le postulat de la mort et de l’érotisme

Dans les fantasmes populaires qui continuent à hanter le tatouage, deux thèmes
reviennent régulièrement : l’érotisme et la mort. Ils sont évoqués à plusieurs reprises,
l’émission : « Le tatouage : un complément d’identité direct »105 part de ce postulat pour
orienter les questions aux invités.

Si certains évoquent le lien entre l’image sexualisée du corps via la musculation et les
tatouages dans la culture gay, d’autres parlent d’une démarche esthétique et parfois
érotique pour la femme, qui vient se faire tatouer en accord avec son partenaire. Chez les
Maoris, les tatouages soulignaient déjà les courbes avantageuses des corps, symboles de
séduction. Aujourd’hui, on vient aussi sublimer des atouts. Les messages sont parfois très
clairement érotiques selon Jérome Pierrat. Il ajoute qu’il existe aussi des fantasmes
sadomasochistes autour de la douleur du tatouage. Pourtant, dans la même émission,
Sophie, prof de fitness, explique que le tatouage est pour elle une parure plus sensuelle
qu’érotique. Cette sensualité serait une conséquence du tatouage pas son but. Elle déplore
qu’en France, le corps soit trop mis de côté, et fait écho en ce sens à nos théories évoquées
plus haut sur le rejet du corps niveleur. Noémie évoque, au sujet d’un tatouage qu’elle s’est
fait sur la hanche, sa peur de la vulgarité. L’emplacement est ici prépondérant. Elle refuse
l’idée d’inscrire son corps dans la séduction via les tatouages et évoque la vulgarité comme

104
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.

105
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. Ibid.

43
seule limite : « Tant que c’est pas dans la vulgarité, pour moi y’a pas de problèmes
quoi. »106 Si certains estiment que l’acte même du tatouage s’inscrit dans la vulgarité, nous
voyons ici que c’est plus l’endroit qui définit le caractère esthétique. Il est essentiel de
temporiser l’argument trop souvent avancé que le tatouage est une marque de séduction
envers les autres, de même qu’il n’est pas nécessairement une marque de provocation.

Plus encore que l’érotisme, ce sont les évocations morbides qui mettent tout le
monde d’accord. Face à une photo de Zombie Boy, les réactions sont unanimes : « Non je
pense que là le mec frise la folie quoi. C’est de la folie. […] C’est euh c’est terrifiant quoi.
C’est terrifiant. »107 s’exclame Hervé, 63 ans. « Ouais dérangeant ouais. Parce que ça fait
rapport avec la mort, avec… On dirait un cauchemar » renchérit Noémie, 22 ans. C’est
parce qu’il évoque immédiatement la mort avec son faciès de crâne décharné qu’il est
irrecevable pour la société.

b) La conscience du caractère stigmatisant

Pourtant, les individus qui ont ce genre de comportements extrêmes sont bien conscients
du caractère stigmatisant du tatouage, au même titre que toutes les personnes qui passent à
l’acte, même pour un petit dessin discret. La dimension subversive du tatouage est encore
ancrée dans nos éducations parentales ou sociales. Le tatouage a beau ne pas nous déranger
voire nous plaire, nous savons qu’il dérange certains. Lieven Vandekerckhove le confirme
d’ailleurs : « La conscience de l’effet stigmatisant est bien présente dans la communauté de
tatoués ».108 Ils sont au courant d’une part que cela ne plait pas à tout le monde et d’autre
part qu’ils vont être mis dans des cases de ce fait. Pourquoi passent-ils donc tout de même
à l’acte ? Deux hypothèses s’offrent à nous :

- Le bénéfice que l’on retire du tatouage est plus grand que le poids de la sanction
sociale.
- Le bénéfice du tatouage est en partie issu de la sanction sociale.

Ces deux hypothèses sont complémentaires et peuvent cohabiter dans un seul et même
individu. Pour Lieven Vandekerchove, les couches sociales les plus modestes voient le

106
Les entretiens sont consultables en annexe.
107
Les entretiens sont consultables en annexe.
108
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p 69

44
tatouage comme un « véhicule innocent de la contestation »109. C’est parce que « les
bourgeois » rejettent le tatouage que les autres s’en emparent. L’auteur arrive donc à la
conclusion que « ce ne sont pas les caractéristiques de distribution du tatouage qui
déterminent son potentiel subversif ; c’est plutôt le potentiel subversif qui détermine la
distribution du tatouage. »110

L’exposition « Tatoueurs, Tatoués » au Musée du quai Branly pose cette question


pertinente au sujet des hommes qui sont allés au bagne après avoir refusé de servir
l’armée : « Ces hommes qui se refusent aux étiquettes passent leur vie à s’en coller »111.

Nous avons soutenu jusque-là que la démarche contemporaine du tatouage est une
démarche individuelle qui s’est émancipée des logiques de groupes. Peut-on penser
parallèlement que les personnes qui se tatouent aujourd’hui fuient un monde social pour
finalement appartenir (malgré eux) à un autre ? En ce sens persistent-t-il toujours dans
cette dimension de projection dans la marginalité ?

Nous pouvons penser, par analogie avec le rejet social du tatouage il y a quelques
années, que cette affirmation se vérifie dans les classes sociales supérieures, pour certains
individus. En effet, si le tatouage est globalement accepté aujourd’hui, il est de moins en
moins quand on monte dans l’échelle sociale. Ainsi, le comportement tatoo sera plus
subversif s’il est fait par un individu issu de classes sociales supérieures que par un
individu issu de classes sociales inférieures. La sanction sociale sera donc plus grande pour
un individu aisé, face à ses pairs. Puisque dans les classes populaires, le tatouage n’a plus
valeur de marge, alors l’individu ne peut se prévaloir de se projeter dans un autre milieu
que le sien. En revanche, un individu aisé peut se prévaloir d’une autre classe que la
sienne. C’est un privilège de classe que de se prévaloir d’autre chose que ce que l’on est.

Hormis les phénomènes de gangs, on ne se tatoue plus pour montrer son


appartenance à un groupe mais on se tatoue éventuellement aussi, pour signifier sa rupture
avec son groupe et tenter de se projeter dans un autre groupe.

109
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid., p 65
110
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid., p 67
111
Exposition Tatoueurs, Tatoués - Musée du quai Branly.Comissariat : Anne & Julien. 6 mai 2014 -18
octobre 2015

45
c) Respect d’autrui et désir de convaincre

Le tatouage est sans doute un acte individuel mais il peut engager, dans la mesure
où il est visible, les autres.

Conscient de l’éventuel rejet par certains, beaucoup de personnes décident de


cacher leurs tatouages sous leurs vêtements. Ainsi, Jean-Paul Cluzel explique qu’il n’a
jamais voulu avoir des tatouages visibles, par respect pour sa mère, agée. A la vue de
l’image de Zombie Boy (Annexe 2), Noémie pense elle aussi aux personnes âgées :
« T’imagine la réaction d’une grand-mère là-dedans ? Enfin j’imagine pas mon arrière-
grand-mère tomber nez à nez sur un type comme ça quoi. »112 Mais ce sont aussi les
enfants que l’on tente de protéger. Face à la même photo, la jeune fille s’exclame : « Tu
peux pas te pointer comme ça devant un enfant quoi. L’enfant il va, je sais pas, il fait une
syncop’ sur le coup ou je sais pas… » et à Hervé, 63 ans de s’indigner : « C’est de la folie.
En plus ça fait peur aux enfants… ». Pour certains donc, le regard extérieur devient une
contrainte : on ne montre pas pour ne pas agresser l’autre. Pourtant le tatouage, dans la
mesure où il est fait de manière personnelle et sans revendication sociale, n’est pas une
attaque face à la société. Sauf cas extrême, il n’a plus comme objectif de choquer « A
l’heure actuelle. Avant c’était pour faire partie d’une bande ou etc mais à l’heure actuelle
non donc bon. » 113 Précise Noémie. C’est pourtant dans le même espace social que doivent
cohabiter certaines personnes encore réticentes et les adeptes.

Quelles réactions ceux-ci ont-ils face au rejet social ? Lieven Vandekerckhove dans son
chapitre 8, « le tatouage réintroduit dans l’arsenal esthétique bourgeois : la logique
sociologique », évoque la difficulté pour les individus issues de classe bourgeoise de
concilier le statut de tatoués et leur statut originel. Elle expose alors deux sortes de
réaction : l’affiliation, où l’individu adopte les agirs des tatoués et l’ « association
différentielle »114 où l’individu accepte et intègre le caractère déviant, sans chercher à
convaincre son entourage. Elle explique que convertir l’entourage, c’est redéfinir auprès de
celui-ci l’apprentissage originel du tatoué et « conserver leur statut social intact »115 en
gommant le caractère déviant. Noémie se fait une joie de savoir que son frère change

112
Les entretiens sont consultables en annexe.
113
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.
114
Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique, Op. Cit., p81.
115
Lieven VANDEKERCKHOVE, Ibid, Op. Cit., p83

46
d’avis au sujet des tatouages : « j’ai même réussi à faire changer la vision de mon grand
frère par rapport au tatoo. Au début « oh c’est kéké » etc. L’autre jour je l’ai entendu dire
qu’il réfléchissait pour s’en faire un quoi. Je suis très contente de ça. Les mentalités
changent. ».

Pourtant, sans revendications tonitruantes, les tatoués se fondent dans la société. Loin de
Noémie l’idée de convaincre les non-initiés : « C’est ça aussi d’avoir des tatoos je pense
que c’est finalement un respect d’autrui quoi. Chacun… Enfin ça fait de mal à personne. »
116
.

116
Les entretiens sont consultables en annexe.

47
Conclusion

En partant du postulat originel que le tatouage avait été rejeté pour des raisons
sociales et historiques, pratique de soi mais aussi stigmate, nous avons observé sn
cheminement pour arriver à ce que certains appellent aujourd’hui « la déferlante tatoo ». A
l’aide d’entretiens, d’articles, de vidéo ou encore de manuels sociologiques, nous en
sommes venus à comprendre qu’elles étaient aujourd’hui les nouvelles démarches dans la
pratique du tatouage. Corrélé avec ce qui nous semble être la perception sociale actuelle de
ce phénomène, nous comprenons que l’acte s’inscrit globalement dans une démarche plus
individuelle puisqu’il est globalement mieux accepté et donc ne peut plus permettre de
revendicateur d’une marge. Cependant certains restent encore frileux aux modifications
corporelles et c’est lorsque l’agir émane d’un individu de classe sociale supérieure, que
l’on peut penser qu’il peut et va tenter de ce prévaloir d’une autre classe, via ses tatouages.

Parce qu’il est en relation avec le corps niveleur qu’accepter le tatouage au sein de la
société, c’est aussi lever un peu le voile sur le corps. Interdit par la religion qui défend de
modifier le corps donné par Dieu, il revient maintenant à l’individu de disposer de sa chair.
En parallèle de l’acceptation du tatouage, on observe aussi une libération des discours sur
la sexualité dans la société depuis les années 1960-1970. En croisant ces deux
phénomènes, on peut comprendre que de moins en moins de tabous tendent à peser sur le
corps. Encore une fois on ne peut parler d’un phénomène unilatéral qui toucherait toutes
les classes sociales. Cette relation du corps à la société fait parties des pistes que j’aurais
exploré avec plaisir.
En parallèle nous avons montré que le tatouage s’inscrivait comme un outil
autobiographique et devenait une sorte de repère qui permettait à l’individu de s’ancrer
dans une réalité : par le rite de passage (la douleur par exemple) et par le caractère du
tatouage (j’affirme ce que je suis). C’est ce caractère définitif qui vient se dresser contre
une société où les obligations de stabilité semblent amoindries : la volubilité du mariage, la
redéfinition des modèles familiaux, la mobilité géographique ou professionnelle… sont
autant d’éléments qui déconstruisent certains repères de l’individu. Sans jugement aucun,
nous pouvons juste dire que de nouvelles valeurs émergentes donnent de nouvelles règles
sociales qui viennent en rupture avec celles des générations précédentes.

Les religions ont longtemps fait peser sur les sociétés des règles divines. S’il reste
aujourd’hui dans nos systèmes éducatifs, législatifs ou encore politiques bien des éléments

48
relatifs à une conception religieuse du monde, beaucoup de repères liés à des rites ou des
passages obligés ont été déconstruits. De même les tabous que faisaient peser la religion,
comme c’est le cas pour le corps, ont été partiellement levés avec la disparition progressive
de l’emprise religieuse sur la société. Ce recul de la religion est ce que Max Weber a
appelé « le désenchantement du monde ».

Ainsi donc, pouvons-nous penser que le désenchantement du monde soit à l’origine de ces
deux phénomènes qui pourraient expliquer la croissance de la pratique du tatouage ?

49
Sources

Sondage IFOP : http://www.ifop.com/media/poll/1220-1-study_file.pdf

Sondage Américain :
http://www.harrisinteractive.com/NewsRoom/HarrisPolls/tabid/447/mid/1508/articleId/970
/ctl/ReadCustom%20Default/Default.aspx

GALLIGANI, Virginie Body art ; le boom des tatouages, La Gazette de Montpellier, 6


septembre 2012, n° 1264 : http://www.lagazettedemontpellier.fr/dossiers-gazette/article-
13378/body-art-boom-tatouages

MOUGIN Véronique, Tribus des tatoués, Lexprress.fr ,14 février 2005.


http://www.lexpress.fr/styles/beaute/tribus-des-tatoues_487053.html

Syndicat National des Tatoueurs : http://www.s-n-a-t.org/

Denis COSNARD, Tatoueur, de l’or au bout des aiguilles, LeMonde.fr, 8 mars 2014.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/03/08/tatoueur-de-l-or-au-bout-des-
aiguilles_4379816_3234.html

Isabelle SANSONETTI, Comment enlever un tatouage : laser ou chirurgie ?, Elle.fr, 28


mars 2014. http://www.elle.fr/Beaute/Soins/Tendances/Comment-enlever-un-tatouage-
laser-ou-chirurgie-2693846

American Academy of Dermatology: http://www.aad.org/media-resources/stats-and-


facts/prevention-and-care/tattoos-and-body-piercings

50
Bibliographie

Image de couverture : tatouage géométrique de Chaim Machmev

Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique,


Louvain-la-neuve : Editions Académia (coll. Intellection), 2006.

Lieven VANDEKERCKHOVE, Le tatouage, sociogenèse des normes esthétique numéro


de la page citée.

P.Bourdieu, L.Boltanski, R.Castel, J.-C.Chamboredon Un art moyen, essai sur les usages
sociaux de la photographie. Éd. de Minuit, Le sens commun, 1965, 352 pages.

La photographie, un objet d’étude pour la sociologie. Jean-François Festa, 2003 :


http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/artmoyen/festas.html

Philippe ARTIERES, A fleur de peau : Médecins, tatouages et tatoués (1880-1910), Paris :


Editions Allia, 2004.

Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité


direct. 16 décembre 2009, France Culture.

Morgan COHENNEC, «Le soin des apparences, L’univers professionnel de l’esthétique-


cosmétique», Actes de recherche en sciences sociales, Paris : Le seuil, 2004/4 (no 154)

Clara LEVY, « Wacquant (Loïc) Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti
boxeur », Revue française de sociologie, 2002, Volume 43, Numéro 43-3 pp. 614-617

Cécile CAMPERGUE, « Bernard Andrieu et Gilles Boëtsch (dir.), Corps du monde. Atlas
des cultures corporelles »,Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2014, mis en ligne le
27 mai 2014 http://lectures.revues.org/14779

Exposition Tatoueurs, Tatoués - Musée du quai Branly.Comissariat : Anne & Julien.

Pierre BOURDIEU, La distinction, critique sociale du jugement, Paris : Les éditions de


minuit (coll. Le sens commun), 1979, 380 pages.

Pierre WEIL, Le succès croissant du tatouage. Mardi 3 décembre 2013, France Inter .

Marc-Aurèle VECCHIONE, Tous tatoués, 16 novembre 2013, Arte

Le tatouage, Arte. https://www.youtube.com/watch?v=iK6umZkJhnY

Pas d’auteur notifié, « Comment s’amusent les jeunes » Nouvel Observateur Société, 10
avril 2003 : http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20030408.OBS9191/comment-s-
amusent-les-jeunes.html

51
Bernard GENIES, Des bagnards aux stars, tatoueurs et tatoués s’exhibent, Le Nouvel
Observateur – Temps réel. 6 juin 2014 :
http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20140626.OBS1897/des-bagnards-aux-stars-
tatoueurs-et-tatoues-s-exhibent.html

Fabienne BROUCARET : Dossier tatouage : pourquoi ça cartonne, Version fémina,


Semaine du 26 mai au 1er juillet 2014, n°634.

52
Indexe des noms propres

Jérome Pierrat

Historien et criminologue, Jérôme Pierrat est aussi rédacteur en chef et créateur de


« Tatouage Magazine ». Il est spécialiste du crime organisé. Il est l’auteur de nombreux
ouvrages et reportages.

Alexandre Lacassagne

Evoqué dans le corps du texte pour le livre qu’a fait Philipe Artières à propos de
son travail, Alexandre Lacassagne était un docteur, père fondateur de l’anthropologie
criminelle et par là de la criminalité moderne. Médecin légiste il est aussi « spécialiste de
la toxicologie, de la putréfaction morbide, de l'étude des tatouages, des masques
mortuaires, de l'argot »117. Il veut réussir à classifier les individus pour reconnaître les
criminels. Le professeur évolue aux côtés de Cesare Lombroso, scientifique italien, autre
père de la criminologie.

Sa citation la plus connues est la suivante : « Les sociétés ont les criminels qu'elles
méritent »

Tin-tin

Artiste tatoueur autodidacte et voyageur invétéré, Tin-tin a fortement


participé au développement du tatouage en France. Il a fait des portraits hyper-réalistes sa
spécialité et affiche complet toute l’année. Il est aujourd’hui un tatoueur star. Son
engagement pour le tatouage s’arrête pas là puisqu’il est en plus le fondateur du Syndicat
National des Artistes Tatoueurs ainsi que l’un des initiateurs du monial du tatouage en
France. Très médiatisé, il défend sans vergogne son art et le met à la portée de tous.

Jean-Paul Cluzel

Issu d’un milieu qu’il décrit lui-même comme modeste, Jean-Paul Cluzel est passé
par l’ENA avant de devenir haut-fonctionnaire. Passé par la direction de Radio France, il
est aujourd’hui Inspecteur Génréla des Finances.

117
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Lacassagne

53
Il décrit son parcours universitaire comme un combat pour s’extraire de son milieu :
cultiver l’esprit pour atteindre la réussite. Dans un second temps, et en lien avec la culture
homosexuelle dans laquelle il s’inscrit, il revient sur l’importance du corps. A force de
musculation et de tatouages, il redort le blason de la chair, trop absente selon lui dans les milieux
intellectuels français. 118

118
Virginie BLOCH-LAINE et Rafik ZENINE. Le tatouage : un complément d’identité direct. 16 décembre
2009, France Culture.

54
Liste et sommaire des annexes

Annexes
Liste et sommaire des annexes ...............................................................................................................55
Annexes ..................................................................................................................................................56
Annexe 1 ............................................................................................................................................56
Enquêtés .........................................................................................................................................56
Méthodologie & Grilles d’entretiens..............................................................................................56
Annexe 2 ............................................................................................................................................58
Illustrations .....................................................................................................................................58
Frédéric IX, roi de Danemark ........................................................................................................58
Zombie boy ....................................................................................................................................58
Fresque torse ..................................................................................................................................58
Tatouage façon « Van Gogh »........................................................................................................58
Tatouage cœur – Cou .....................................................................................................................58
Annexe 3 ............................................................................................................................................59
Entretiens........................................................................................................................................59
Hervé ..............................................................................................................................................59
Noémie ...........................................................................................................................................62

55
Annexes
Annexe 1

Enquêtés

Hervé, 63 ans, Chef d’entreprise à la retraite, est père de 4 enfants et grand-père de


4 petits-enfants. Fils de la bourgeoisie industrielle de la vallée de la Seine, il est
détenteur d’un diplôme d’équivalence Bac +4.

Noémie, 22 ans, revient d’une année passée au Canada où elle a suivie, puis arrêté,
une formation de décoratrice intérieure. Depuis son bac elle n’a jamais fini une année
complète d’étude. Autonome financièrement grâce à l’héritage que lui a laissé sa mère,
décédée l’année de ses 18 ans, elle projette aujourd’hui d’ouvrir une boulangerie au
Canada.

Méthodologie & Grilles d’entretiens.

Les entretiens se sont déroulés en face à face, autour d’un verre. Je les ai enregistré
à l’aide de mon téléphone portable, en ayant demandé au préalable l’autorisation aux
intéressés.
Aiguillé par Philippe Mary, mon directeur de mémoire, j’ai arrêté mon choix sur une
méthode utilisée par Bourdieu : l’entretien par la photographie119. Le sociologue mettait à
tour de rôle plusieurs personnes devant la même image et analysait leurs commentaires, qui
s’avéraient fortement corrélés à leurs habitus de classe.

En choisissant un personne tatouée et une personne non tatouée, je voulais m’assurer de


l’équité des points de vue. De plus, les deux interrogés étaient issus de milieux sociaux
différents.

Les photos étaient présentées les unes après les autres, légendées. La parole était
entièrement libre pour la personne, la seule question étant : « Que vous inspire cette

119
Pierre BOURDIEU, La distinction, critique sociale du jugement, Paris : Les éditions de minuit (coll. Le sens
commun), 1979, 380 pages

56
image ? ». Ponctuellement quelques questions étaient rajoutées pour rythmer ou
approfondir des propos.

Les entretiens ont eu lieu en Normandie, au moins d’août 2014.

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Annexe 2
Illustrations

Tatouage cœur – Cou Tatouage façon « Van Gogh »


Inconnue Epaule

Inconnue

Fresque torse
Inconnu

Zombie boy
Frédéric IX, roi de Danemark
1899 - 1972
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Annexe 3

Entretiens

Hervé

- Bonjour, je m’appelle Fanny, je suis étudiante et mène un travail sur le tatouage. Si tu le


permets je vais te poser quelques questions à ce sujet. Je vais enregistrer notre conversation
à l’aide d’un dictaphone. Est-ce que j’ai ton accord ?
- Oui
- D’accord merci. Je vais te montrer 5 photos et tu vas me dire ce qu’elles t’inspirent
- D’accord. On a le droit de déconner un peu ?
- Oui si tu veux.
- Parce que l’humour ça fait partie intégrante de mon être. (Rires)
- Voilà la première photo. Est-ce que tu peux me dire ce qu’elle t’inspire, ce que tu en pense
sachant que je n’attends pas que tu me montre des connaissances mais juste que tu me
dises ce que tu ressens.
- Ce que je ressens par rapport à ça… Je ressens hum quelque chose de discret hum qui peut
s’apparenter à un petit bijou autour du cou en sens inverse quoi. Voilà ce que je ressens en
regardant ce petit tatouage. C’est tout.
- - C’est très bien (rires). Donc euh c’est pas quelque chose de négatif ?
- Non parce que c’est discret. Je ne te dis pas que au moment où je m’en apercevrait après
avoir rencontré cette jeune fille que je ne me dirais pas « oh c’est un petit peu dommage » ,
parce que je suppose que c’est une belle jeune fille et je me dis c’est un petit peu
dommage de devoir rajouter quelque chose indélébile qui n’était pas à mon avis
nécessaire.
- Daccord
- Donc un sentiment mitigé heuuuu je trouve pas franchement ça laid mais j’aurais préféré
qu’elle mette ça avec un décalcomanie temporaire. De façon à ce qu’elle puisse l’effacer
quitte à en remettre un autre un peu plus tard si vraiment elle y tient. Pas très utile.
- D’accord. La seconde photo
- Oui AAAAaaaaah (cri simulé en voyant la seconde photo)
- Qu’est-ce que ça t’évoque, qu’est-ce que tu en pense ?
- Je pense que c’est bien fait. Mais que c’est dramatique de se euh peinturlurer ainsi une
grande partie du poitrail et des bras de manière définitive. En plus les personnages, enfin
non je veux même pas rentrer dans la fresque en elle-même mais pfff d’ailleurs on s’en
fiche effectivement qu’il y ai une tête de mort ou pas de tête de mort, ce que je trouve
dommage c’est la c’est de de d’avoir disposé comme ça de son corps de façon
définitive et complètement marquant quoi et euuuuh spectaculaire. C’est le moins
qu’on puisse dire hein.
- Par rapport à l’autre photo donc euh…
- Eh bien par rapport à l’autre je pense qu’effectivement il y’a pas grand-chose à voir. Bon
après il y a un problème que je veux pas aborder sur… est ce qu’on se… est ce qu’on peut
se tatouer comme ça le corps ? mais enfin chacun reste libre
- Par rapport à quoi « pouvoir » ? Pouvoir quoi ?

59
- Pouvoir euuh disposer ainsi de son corps d’une façon encore une fois définitive. Huuum
moi je trouve que ce jeune homme ça aurait été drôle qu’il aille à une soirée costumée avec
euuuh avec euuuhm cette… cette belle fresque d’ailleurs, c’est bien fait, euuuh dessiné
avec du feutre lavable… Je ne comprends pas ce qu’il trouve à inscrire sur sa peau
définitivement quelque chose qu’est très provocant quoi. Donc euuuuh la je suis ouais je
suis choqué ouais enfin choqué je m’interroge quoi pourquoi, pourquoi, pourquoi
dénaturer ainsi son torse de cette manière-là quoi : quel intérêt ? encore une fois c’est
irréversible, c’est dramatique. Il pourrait changer d’avis trouver un jour que c’est
moche et il pourrait plus jamais revenir en arrière quoi.
- La troisième photo c’est ça, que j’ai expressément choisie puisque d’un point de vue
technique elle est assez impressionnante. Je voulais savoir si ce côté technique t’inspirait
quelque chose de plus ou si éventuellement tu n’y étais pas sensible.
- Non j’y suis pas sensible non je n’y suis pas sensible. J’admets que c’est… Je veux bien te
croire, j’admets que c’est une technique difficile et que l’artiste qu’à fait ça a du talent mais
ça me gêne beaucoup que ce soit sur un corps humain quoi et un corps de femme.
- Plus qu’un corps d’homme ?
- Non pas plus qu’un corps d’homme non non non non je pense pas, je suis… je pourrais
apprécier ça sur un tableau peut être ou sur un support dans la rue sur un mur mais là ça
m’empêche de l’apprécier si tu veux J’ai toujours, je la plains quoi. Je suis pas du tout
sensible à la différence d’esthétique par rapport à l’autre
- Ok et quand tu dis- « je la plains », tu sais que c’est un choix…?
- Oui mais c’est un choix à un moment donné qui l’engage pour tout le reste de ses jours tant
qu’elle sera dans ce corps-là. Et c’est pour ça que je la plains parce qu’elle peut changer
d’avis et ça me parait bien grand pour effacer cela, s’il y a des techniques pour les effacer.
Je pense qu’on n’est pas fait pour être Homme ou femmes sandwichs. On peut
éventuellement y peindre des choses. Des peuplades semblent il ont peint des choses
qui peuvent s’effacer mais l’intégrer dans sa peau dans son sang ça me semble… je
pourrais pas t’expliquer exactement pourquoi pour l’instant mais ça me choque.
- Ok. Euh t’as dit qu’il y avait des peuplades qui l’avait fait des choses qui pouvaient
s’effacer. Ca a jamais été le cas, ça a toujours été des choses qui étaient définitives. Par
exemple, tu pensais aux maoris ou à des trucs comme ça…
- Bah quand ils se font des peintures de guerre c’est pas des choses…
- Les peintures de guerres oui non…
- C’est pas définitif.
- Non mais en revanche les maoris, les tatouages polynésiens etc c’était des tatouages qui
permettaient aux… à la société à l’époque d’être marquée quoi. Si t’avais tel tatouage c’est
que tu avais tel rang dans la société, si tu avais tel tatouage c’est que tu étais marié,
guerrier…
- Oui mais c’est pas, enfin d’accord mais c’est pas les coutumes du monde occidental auquel
on appartient donc euh je ne comprends pas qu’on puisse aller chercher, si tant est que
c’est gens là vont chercher si loin, euh des références à des usages de primitifs. Je
pense qu’on a pas besoin de ça pour se… bon après je pense qu’on abordera le sujet, je
pense que ce sont des gens qui ont peut-être des problèmes quoi des problèmes pour
s’affirmer et ce n’est pas dans les codes habituels de notre civilisation. Alors je sais
qu’ils veulent en sortir, c’est bien le cas mais euh je peux pas fr de rapport entre ce que tu
m’as cité et cette fille là qui euh qui là est bien handicapée. Même si c’est beau. Sur un mur
oui dans la rue, un tag, un tableau, un ... Pas la peau
- Ok Euh voilà

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- Oh mon Dieu
- la quatrième photo d’un mec qui s’appelle zombie boy qui et une des personnes les plus
tatouées au monde.
- Oui ça je …
- Qu’est ce qu’un comportement comme celui là…
- …m’évoque ?
- Oui voilà t’évoque. Il t’évoque des choses différentes que ce que tu as vu jusque-là ?
- Non je pense que là le mec frise la folie quoi. C’est de la folie. En plus ça fait peur aux
enfants, il va se faire jeter des pierres à chaque fois qu’il passera sur un chemin nan. C’est
euh c’est terrifiant quoi. C’est terrifiant. Ce mec là il va se trainer ça jusqu’à la fin de ça vie
eeeeenh. C’est terrible. En plus on voit son cerveau. C’est au-delà de l’excessif quoi. Bon
je comprends qu’on puisse euh en commençant par le petit cœur de la fille dans le dos de la
nuque, jusque-là on est plus on est plus dans la même démarche quoi. Lui c’est une
démarche de euh oui de casi folie et de de provocation excessive qui le met en marge de
la société. C’est peut-être ce qu’il veut hein. Pas facil de trouver un bulot là. Quand tu mets
ça sur ton cv euh bon ca va pas être évident hein.
- En fait ce mec fait son beurre justement dans les show. Alors il a défilé pour Mugler il a été
dans les clips de Lady Gaga, il a fait des prestations comme ça. C’est comme ça qu’il
travaille lui.
- Oui alors euh
- C’est un artiste performer
- Oui on peut dire ça oui. C’est du tatouage ça ? C’est vraiment voilà c’est fini. Enfin il en
rajoutera peut etre mais c’est du tatouage définitif ?
- Définitif
- Alors effectivement c’est un animal de cirque comme on présentait dans le temps les
femmes à barbe ou des nains. Alors évidemment il se fait remarquer alors il gagne sa vie
avec alors tant mieux pour lui.
- La dernière image que je voulais te montrer c’est celle-ci/ C’est Frederic IX de Danemark.
C’est un monarque au 20ème siècle. Est-ce que ça t’évoque autre chose ?
- Alors c’est-à-dire est ce que au Danemark il y a une tradition qui voulait que euh les
membres de la famille euh royale puissent être tatoués ? Non pas à ta connaissance ?
- En fait euh oui parce que c’était dans les pays scandinaves les familles royales faisaient
leurs service militaire dans la marine et que du coup comme tous les marins étaient tatoués
c’était un signe pour les familles royales de se rapprocher du peuple, c’était un signe
d’intégration.
- Ah d’accord. Alors euh qu’est-ce que je peux te dire.. ? Euh nécessité fait loi quoi.
Effectivement il faut ce qu’il faut quoi donc il l’a peut etre fait plus par devoir que
par gout hein. On peut penser ça. Et voilà quoi j’ai pas grand-chose d’autre à dire à vrai
dire mais effectivement c’est un peu étonnant que ce soit un monarque mais c’est pas ça
qui me rend le, la chose, enfin à mon goût, plus acceptable. Euh c’est euh je dirais qu’il a
peut etre une excuse je dirais qu’il a peut etre voulu se mettre au niveau de son peuple
et qu’il a peut etre voulu gardé un souvenir de son époque mais bon … Je pense que
dans certaines circonstances on peut éventuellement discrètement peut-être arborer un
tatouage oui parce que y ‘ a un passé y’a une tradition. Je sais pas, si y avait des tatouages
au golf, peut-être que si c’était la marque d’un niveau euh élevé etc peut être que je le
ferais. Si vraiment j’étais passionné hein c’était un exemple. Je pense que la passion peut
euh peut justifier qu’on grave quelque chose encore qu’il y a des médailles qui existent…
oui des médailles, des décorations, des insignes qu’on porte sur soi. Je préfère ce système

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là mais bon je peux imaginer qu’il peut y avoir dans certains cas, des euh des corporations
qui tatouent depuis historiquement Dans ce cas si on est passé par ces corporations, qu’on
se fasse tatouer aussi, ça me semble concevable.
- D’accord. Et est ce que toi tu as un passif quelconque avec le tatouages ?
- Non je n’ai pas de passif. J’admirai beaucoup le tatouage de monsieur Tassery, gardien de
Caumont ; et ça a été un truc de mon enfance et puis je le regardais sans arrêt, je l’admirais.
Mais j’ai jamais eu envie je crois d’avoir le même. Toute façon je me rappelle plus très
bien mais je crois vraiment que c’était un problème de classe social. Ce monsieur
Tassery sortait donc, euh il était prisonnier de guerre et avait tatoué les initiales de sa
famille et puis « mon seul désir est de revoir les miens » avec un cœur traversé d’une
flèche.
- Et pourquoi tu parles d’admiration ?
- Je trouvais que c’était une preuve d’amour pour sa famille. Et euh je trouvais que c’était
pas mal qu’il porte ça définitivement. Ca restait, ça lui rapellait cet épisode de sa vie.
- Très bien merci beaucoup
- C’est tout ? J’ai pas assez parlé
- Mais si c’est très bien.

Noémie

- Bonjour, je m’appelle Fanny, je suis étudiante et mène un travail sur le tatouage. Si tu le


permets je vais te poser quelques questions à ce sujet. Je vais enregistrer notre conversation
à l’aide d’un dictaphone. Est-ce que j’ai ton accord ?
- Parfait ! Je vais te montrer des images et tu vas me dire ce que tu en penses. Sans te forcer
ou quoi. D’accord ?
- Ouais grave cool
- Première image
- Hahah ça me stress
- Allé
- Qu’est-ce que je pense de ce tatoo là ?
- Qu’est-ce que tu penses de cette image-là ?
- Après euh… Après je… Moi pour moi un tatoo ça a une signification mais je pense pas
que ce soit le cas de tout le monde. Et la nana là pff enfin moi je le ferais pas pour moi
après je sais pas…
- Tu trouves que c’est plus décoratif qu’autre chose ?
- Pour moi ça c’est décoratif.
- Et c’ets pas ta vision du truc
- Enfin je… C’est pas ma vision du truc à moi après euh chacun fait ce qu’il veut tu vois.
C’est ça aussi d’avoir des tatoos je pense que c’est finalement un respect d’autrui
quoi. Chacun… Enfin ça fait de mal à personne.
- Oui je comprends très bien
- A l’heure actuelle. Avant c’était pour faire partie d’une bande ou etc mais à l’heure
actuelle non donc bon. Après la nana si elle est contente avec son petit cœur dans le cou
bah qu’elle le fasse quoi mais … Si c’est mignon si ça lui plait.

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- Voilà la deuxième image
- Alors… Y’a un hibou, un dream catcher, une plume et j’ai pas bien vu ce que c’était le
reste… Après son tatoo, moi ce que je remarque en voyant ça c’ets déjà que le hibou prend
la majorité de la place et que un hibou ça a beaucoup de significations… Je me rappelle
plus ce que c’est mais en général c’est vraiment des idées noires le hibou c’est pas très…
C’est pas très gai. Donc euh voilà. Euh étrangement pour moi un mec enfin une personne
qui a un hibou c’est quelqu’un qui a un manque de confiance en lui alors je ne sais pas
pourquoi je pense ça mais euh tout ceux qui se sont fait tatouer un hibou j’ai toujours
constaté qu’ils avaient un gros manque de confiance en eux. Ouais ouais et tu te fais pas
tatouer un hibou par hasard. Surtout aussi gros et sur le torse quoi.
- Et toi par exemple, par rapport à la photo d’avant, la différence de taille etc c’est pas
quelque chose que t’as remarqué, qui t’as interpelé ?
- Si si ça m’a interpelé un peu mais je trouve que ça c’est du tattoo. Pour moi, ça c’est du
tatoo. Après l’autre nana qui avait le petit coeur c’était plutôt une déco enfin tu vois
comme si tu te maquillais au final. Ca non, pour moi y’a une histoire derrière ça, derrière
un tatoo pareil. Le mec a une histoire à raconter.
- Parce que c’est plus engageant aussi.
- Ah mais oui c’est ulltra engageant d’avoir un tatoo comme ça, malgré que maintenant euh
tu peux avec les progrès technologiques tu peux te les faire enlever quasiment
entièrement sans qu’il y ai de traces mais quand tu fais un tatoo comme c’est pas pour te
le faire retirer après parceq eu d’une part tu douille financièrement mais aussi de douleur.
Je pense que…je pense que ouais… Y’a une phrase que j’aime beaucoup de Johnny
Depp… Je vais te la retrouver ne deux secondes […] « Mybody is my journal and my
tatoos are my story » et ça je suis entièrement d’accord avec ça et je pense que c’est ça
le mec… C’est pas comme la petite nana qui s’est fait tatouer un truc là. J’ai
vraiment ‘impression que le mec il a une histoire à raconter quoi.
- Ca adhère beaucoup plus à ta vison des choses…
- Ouais ouais ouais et ça le regarde lui parce qu’au final un hibou ça peut signifier beaucoup
de choses pour beaucoup de monde mais au final quand on cherche bien l’histoire, quand
on s’intéresse à l’histoire des tatoos on sait quelle signification ça a et du coup voilà. Et ça
ne regarde que lui et ceux qui s’intéressent au tatoos. De toutes manières ce machin là il est
caché alors…C’est pas pour provoquer les gens, c’est pas pour… Enfin j’imagine en tous
cas.
- Enfin toi tu le fais pas pour ça quoi ?
- Ah naan pour moi un tatoo c’est vraiment personnel. Moi je me ferais pas un tatoo
pour le montrer à tout le monde quoi.
- Ok. Sur cette troisième photo c’est zombi boy, c’ets un mec qui est un des mecs les plus
tatoués au monde, des pieds à la tête.
- Et tu sais pourquoi il a fait ça ?
- Non.
- Et donc là qu’est-ce que j’en pense ? Que le mec a juste envie de se faire remarquer. Là je
trouve ça… Je trouve que ça fait peur ouais je trouve que ça fait vraiment peur. Tu peux
pas te pointer comme ça devant un enfant quoi. L’enfant il va, je sais pas, il fait une
syncop’ sur le coup ou je sais pas… Même devant une grand-mère ! T’imagine la réaction
d’une grand-mère là-dedans ? Enfin j’imagine pas mon arrière-grand-mère tomber nez à
nez sur un type comme ça quoi. Et puis il bosse dans quel… Enfin j’imagine qu’il bosse
dans le tatoo.
- Il a été dans les clips de Lady Gaga, il a défilé etc etc

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- Ah oui ça y est ça me revient. Oui, après il a fait de ses tatoos pour gagner de l’argent mais
euh ça c’est pas mon délire.
- C’est trop ?
- Oui c’est trop. Et je sais même pas si je respecte ou pas tu vois. Je trouve ça vraiment osé
ouais.
- Dérangeant ?
- Ouais dérangeant ouais. Parce que ça fait rapport avec la mort, avec… On dirait un
cauchemar en fait. Ouais on dirait un cauchemar. Et puis le mec veut qu’on se
retourne sur lui. Enfin je sais pas moi c’est pas mon idée de la chose en fait. Ton
tatoo fais le pour toi mais pas pour les autres en tous cas.
- […]
- A première vue ça dépend. Ton premier tatoo pourquoi tu le fais déjà. Est-ce que tu le fais
pour être à la mode ? Est-ce que tu fais un premier tatoo pour te démarquer des autres ?
Est-ce que tu fais un tatoo parce que t’en ressens le besoin ? Euh enfin moi le premier tatoo
c’est celui là que j’ai fait donc euh je n’aimais pas du tout les tatoos avant. Je trouvais ça
ringard, je trouvais que c’était les kékés clairement qui faisaient ça. Sauf que bah le jour où
ma mère est décédée du coup, Dan voulait se faire tatouer le nom de ma mère […]je lui ai
dit « Ah non non non je crois pas, c’est moi qui vais aller me faire tatouer » Alors que
j’aimais pas du tout ça mais bon voilà après, je sais pas pourquoi j’ai voulu que ma mère
reste ancrée en moi ou… je sais pas vraiment j’ai voulu me rapprocher d’elle tu vois…
Mais après sans celui-là je suis pas sure que… J’aurais jamais passé l’étape d’en faire.
- Ouais c’est parce que tu avais une vraie raison que tu as commencé et après voilà
- C’est complètement addictif. Moi je m’en suis fait un énorme dans le dos là (rire) je pense
que ce sera le dernier par contre oui.
- Tu regrettes ?
- Non je regrette pas parce que je sais que d’ici 10ans, 15 ans euh y’aura de nouveaux
moyens pour les retirer quoi si jamais voilà je l’aime plus ce tatoo là je prends rendez-
vous et Bam on me le retire quoi. Sans ça, si y’avait pas tout ces moyens là je pense
que je m’en serais pas fait. Sauf celui-ci là (elle montre le tatouage dédié à sa maman
décéde) parce que ça c’est une autre histoire mais sinon non. Après on est jeune, on a un
corps. Enfin moi je veux en profiter quoi. On va partir en cendres et en poussière
autant en profiter. Après je dis pas qu’ 80ans c’est encore appréciable à l’œil mais... Bon
à 80 ans plus personne te regarde ! Ton mari s’il est encore là il te regarde plus alors…
(rires)
- La quatrième photo c’est le roi de Danemark, début 20ème.
- Alors qu’est-ce que je pense de ça… Bonne question… Je pensais pas que les rois se
faisaient tatouer déjà ! (rires) et encore moi à cette période-là et au Danemark. En fait
moi j’essaie de chercher pourquoi il s’est fait tatouer en fait. J’essaie pas de savoir si le
tatoo est joli ou quoi. J’essaie de comprendre pourquoi on se fait tatouer et là c’est
vraiment la question que je me pose. Après il s’est fait tatouer des dragons alors les
dragons euh enfin ça représente la puissance, la royauté. Euh je... Là je sais pas.
- En fait il s’est fait tatouer parce que tu sais les tatouages ça vient des marins beaucoup et en
fait les rois faisaient leur service militaire dans la marine.
- Ok
- Du coup c’était un moyen pour eux de bien dire au peuple « j’ai fait mon service
militaire ». C’est un moyen d’intégration en fait. De se rapprocher de son peuple
- Est-ce que les marins se faisaient aussi des dragons comme ça ?

64
- Après les motifs, je sais pas si c’était ça mais dans la démarche en tous cas c’est ce qu’on
peut expliquer.
- Et la photo elle a été prise lorsqu’il faisait son service à la marine ?
- Après.
- Après ? lorsqu’il était roi ?
- Oui
- Hum. Bah écoute là je sais pas oui il avait besoin de prouver à tout le monde qu’il
prenait son rôle à cœur peut être. Après je connais pas du tout l’histoire du roi du
Danemark. Mais euh nan c’est étonnant, en tous cas ça m’étonne de voir qu’un roi du
Danemark s’est fait tatouer des dragons en plus. Pour moi c’est vraiment typiquement
chinois ça. Enfin de la partie en Asie. Mais euh je sais pas. Vraiment là je sais pas quoi
penser.
- Et tu peux m’expliquer toi ton passif avec le tatouage, ce que toi t’as vécu par rapport au
tatouage ?
- Euh ouais alors. Bon bah voilà j’ai fait le premier donc la date de naissance de ma mère
donc je me suis dis « bon bah voilà le jour où je veux le cacher »... Enfin je pensais tout de
suite aux entretiens enfin je me disais voilà faut pas que ça me bloque dans mes démarches
par la suite d’obtenir un job etc.. Donc j’ai décidé de le faire au poignet parce que je me
suis dit voilà que je pourrais toujours le cacher que c’est vachement discret etc… Par la
suite j’ai fait bah pour mes 19ans, j’ai été fêter mon anniversaire en Bulgarie avec un autre
couple d’amis. On était avec Dan et un autre couple d’amis et voilà deux trois bouteilles
dans la figure… tu passes devant les tatoueurs qui sont ouverts toute la nuit et tu réfléchis
pas quoi… Tu dis « ok c’est parti on en fait tous un ». Donc je me suis retrouvée le
lendemain matin avec un tatouage sur la hanche à moitié tribal (rires) avec écrit « El angel
de mi vida » mais tu vois ce qui est ouf malgré que je reste bourrée ou pas eh bah j’en
reviens toujours à ma mère. Nan mais tu vois c’est quand même enfin… Je me demande
quand même combien de grammes j’avais dans le sang. On s’était fait virer de la boîte de
nuit tellement on faisait n’importe quoi etc […] et donc voilà. Donc là quand je me suis
réveillée le lendemain matin je me suis dis ça va être le dernier là. C’est hors de question.
J’ai regardé sur tous les sites internet le lendemain matin pour savoir comment faire retirer
les tatoos etc… Donc euh tout le monde disait que d’une part tu morflais à l’époque et
qu’en plus ça laissait énormément de marques. Donc je me suis dit bon ok je vais attendre
que la chose soit mieux vue et que voilà et d’avoir aussi un peu plus d’argent pour le faire
parce que mine de rien ça coute aussi un peu d’argent de se le faire retirer. Après j’ai fait…
Un autre…Ah oui le lendemain on est ressortis, enfin là j’étais consciente j’avais pas
encore bu et je me suis dit « Ah non non je veux pas rester sur ça, je m’en fais tatouer un
autre » oui oui je m’en fais tatouer un autre. Alors du coup… Qu’est-ce que j’ai fait ? Je
suis allée me faire tatouer les initiales de mes frères, ma mère et moi donc euh YBNA, qui
reste aussi très discret parce qu’en plus à l’époque j’avais les cheveux longs donc ça se
voyait pas du tout. Et voilà celui-là il me plait… enfin voilà il fait partie de moi et je pense
pas qu’il dérange qui que ce soit non plus. Donc voilà. Par la suite quand je suis rentrée en
France j’ai voulu enlever donc mon tatoo que j’ai à la hanche donc je suis allée voir un
tatoueur pour qu’il me donne plus de renseignement. Il m’a dit « Ecoute y’a une autre
possibilité c’est qu’on en fasse un par-dessus et qu’on le cache ». Bon moi déjà l’idée de la
hanche, d’en avoir un à la hanche, ça me plaisait pas du tout.
- Pourquoi ?
- Bah parce que pour moi c’est vulgaire d’avoir un tatoo à la hanche. Mais j’avais quand
même envie de me faire un « dream catcher » (attrape rêves). Je savais pas où est-ce que je

65
voulais le faire mais ça faisait un moment que j’en voulais un parce que voilà c’est sur
quand tu fais un tatouage t’as à peine terminé celui que t’es en train de te faire que tu
penses déjà au deuxième, au troisième etc… Et du coup voilà j’en parle au tatoueur que j’ai
envie de me faire un « dream-catcher » etc… Il me dit « écoute vu ton tatoo on peut le faire
par-dessus et je suis sûr que ce sera très joli et pas vulgaire ». Parce que c’était ça ma
hantise que ce soit vulgaire. Après, il me dit « Mais toutes manières tu les montre à qui tes
hanches ? Tu te balade pas avec des hauts où on voit ton ventre etc… ? » je lui dis « non
c’est sûr je me balade pas avec des hauts où on voit mon ventre mais bon quand je suis à la
plage, merci ! » Il me dit « oui mais attend tu préfères avoir un tribal ou un dream catcher à
la place ?» je lui dit « ouais nan c’est vrai je préfère quand même avoir le dream catcher »
Il me dit « Bon bah alors ?!» et là je dis « Ok au final c’est peut être un bon moyen de
régler ce problème-là quoi ». Donc voilà j’ai mon « dream-catcher » à la hanche. Ensuite
me voilà au Canada, j’adore la vie etc machin. Je rencontre une personne que j’adore :
Aurore avec qui on est parties toutes les deux au Canada. Et là elle aussi aime beaucoup les
tatoos, ça a beaucoup de signification pour elle, elle en a quelques-uns, plus discrets que les
miens quand même mais elle en a quelques-uns. Et le je me dis « Ok je pense que c’est le
moment de faire un petit tatoo, non seulement pour faire un clin d’œil au Canada mais
aussi à notre rencontre, à notre amitié etc » Et donc on a décidé de se faire tatouer toutes
les deux un petit cpeur. Un tout petit cœur. Et donc bah voilà je cherchais un endroit discret
donc je l’ai vraiment fait au pied (elle montre le tatouage) au talon quoi. C’est celui qui
m’a fait le plus mal mais je le regrette absolument pas parce que ça a vraiment une
signification importante pour moi. Donc voilà ! Euh le lendemain je pensais déjà au
suivant. Et donc le suivant a été que le Canada de jour en jour j’aimais de plus en plus. J’ai
vraiment adopté Montréal et du coup je cherchais un tatoo vraiment en lien avec ce pays.
Et donc bah quand on pense Canada, on pense « Caribou », en tout cas moi je pense
« caribou ». Alors du coup je me suis dit « Ok let’s go, on fait les cornes de Caribous »
(Rires) Et donc voilà j’ai été me faire les cornes de Caribou sur le bras. Je ne sais pas si je
vais le regretter un jour celui-là. Je pense que je vais le regretter. J’ai vraiment peur de le
regretter celui-là. Enfin voilà c’est sur le bras, c’est des cornes de caribous. Les gens ils se
demandent tous ce que c’est en plus. Malgré que je m’en fiche qui sachent ce que c’est ou
pas parce que c’est pour moi vraiment. Moi j’aimais bien cet endroit-là mais c’est vrai que
je pense que j’ai pas assez réfléchi non plus. Mais pour le moment ça me va très bien. Dans
10ans, 15 ans, je ne sais pas. Voilà ensuite, me voilà revenue en France avec mon voyage
de prévu en Thaïlande. Qui dit Thaïlande dit tatoo au bambou. Oh une nouvelle
expérience ! Un nouveau tatoo ! Pourquoi pas ? Alors me voilà à chercher avant mon
départ des idées de tatoo, les significations etc etc… Et là du coup je me suis fait un… Je
me suis laissée tentée par un énorme tatoo dans le dos. Enfin un énorme… mon plus gros
en tous cas. Qui signifie « la protection universelle des Dieux » et comme moi je suis
très… je suis très barrée dans ma tête et que rien ni personne ne me fera changer d’avis
finalement… Enfin je vis pas pour les autres, je vis pour moi et euh et du coup je trouvais
d’une part que le tatoo était très joli, qu’il avait une belle signification et qu’en plus tu le
faisais au bambou. […] Donc voilà à chaque fois que je passais devant un tatoueur je lui en
parlais en Thaïlande et au bout d’un moment j’ai vu un tatoueur où sa gueule me revenait
bien et il m’a montré ses quelques photos de tatoos qu’il avait fait au paravent et du coup
voilà je me suis laisser tenter. C’est le dernier et j’espère que ce sera vraiment le dernier là
pour le coup parce que j’ai juste pas envie de me retrouver tatouée de la tête au pied. Je
pense que ça pourrait déranger beaucoup de personne enfin de ma famille en tous cas et je
pense aussi par la suite … Par la suite si j’ai une famille ou quoi j’ai pas envie que mes

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enfants se disent « Pourquoi ma mère elle est comme ça et pas comme la mère de Gertrude
ou ce que tu veux ? » Donc voilà mais tout à une histoire finalement tu vois et ça fait
partie de moi.
- Qu’est ce qui ferait que tu en referais un ?
- Qu’est ce qui ferait que j’en referais un ? Un évènement important dans ma vie.
- Tu sais qu’il y en auras d’autres ?
- Oui je sais. C’est ce qui me fait peur. C’est ce qui me fait peur. Mais après voilà j’ai encore
mille endroits à cacher sur mon corps mais voilà quoi. Tant que c’est pas dans la
vulgarité, pour moi y’a pas de problèmes quoi.
- C’est ta limite ?
- Oui c’est ma limite. Mais bon voilà quand je vais ouvrir ma pâtisserie je serais derrière mes
fourneaux, mes tatoos ça dérangera personne mais je sais pas où est ce que j’ en serais à ce
moment-là. A ce que mon corps ressemblera. Voil0 voilà
- Est-ce que t’as un dernier truc à rajouter avant qu’on finisse.
- Bien réfléchir avant de se tatouer, pas faire ça bourré. Et faire ça pour soit. Je sais que ma
mère elle aimait pas ça les tatoos et je suis sûre qu’à l’heure actuelle elle doit se dire que
mon plus beau tatoo c’est celui-ci (elle montre le tatouage sur son poignet) et celui de mes
frères et elle. Puis voilà moi je suis très contente de ça et j’ai même réussi à faire changer la
vision de mon grand frère par rapport au tatoo. Au début « oh c’est kéké » etc. L’autre jour
je l’ai entendu dire qu’il réfléchissait pour s’en faire un quoi. Je suis très contente de ça.
Les mentalités changent. Voilà (Rires)
- Merci Noémie.

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