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Le P.

Aubry et la
réforme des études
ecclésiastiques / par
Mgr Justin Fèvre
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Fèvre, Justin (1829-1907). Le P. Aubry et la réforme des études ecclésiastiques / par Mgr Justin Fèvre. 1903.

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N'S'S~AM AÈ1:liAS ,fRA.NCS

'Arts, Sctfnces, Ristèii~è~,f, iloso~


'SS$! ~~M~

Aubry

~ë~

D~ES

E~tdes ecclésiastiques

PAR
Justin FÈVRE

PARIS

~~R~H~J~SAVAÈTE,' ÉDITEUR
~<)~RUP D~S'SAMK-f&MS, 76
ARTHUh SAVAËTE, &D)T~UR, ~6, RUE DES SAiNTS.PÈRES, PARiS

Nous avons entrepris la pubUcattON de plusieurs sëriM d'ouvrages d'aotua-


lité dûa à des eorivatns de grand mérite et du meilleur renom. Nous
recommandons donc instamment ces oeuvres faites pour dissiper les doutes
et les erreurs dont souffre actuellement l'opinion publique. Ces séries iront
chaque jour se complétant.

1 €eMeett<m A. Savaéte à Ofr. ?& ?" feMeetten A. Saleté a 3 fr. &<t


in-S° carré in-12
Un poète abbé (Delille) par Louis AuntAT. Origines de Notre-Dame de Lourdes
Proscription des Ordres religieux (La), (Les), par t~abbé Paulin MoNtQUET.
Protestation d'un croyant, par Mgr. Justin n Roman d'un jésuite, par BisuoNY d'Ha-
FtVBE. guerue.
Proscription des Religieuses enaei- La Dame Blanche du Val d'Halid.
gnantes, par Mgr. Justm FÈVRE. par Arthur SAVAÈTE
Abomination et désolation. lettre aux La Main noire, suite du précédent, par
évêques dé France, par Mgr. Justin FèVBE. Arthur SAVANTE.
Styles et Caractères, par Georges LE-
a" Colleetion A Savaète à t franc
GRAND..
in-8" carré et in-12 2
Grandeur et décadence dos Français,
Catholiques ou Francs maçons, par X. Gaston ROUTIER,
par
Duchesse de la Rochefoucault (La),
par Mgr. TtU.OY. Colleetion A. ffa~aete a 5 francs
Le Bienheureux pape Urbain V, par in.8o raisin
dom BERENG!EE. Julie Vén.
Billiart (La mère), par Ch,
Rimes d'un croyant (poésies), par le S -J.
CI,AIR
comte du FtŒSNEL. Chinois Pot
et chinoiseries illustré, par
Rimes d'un père (poésies), par le comte KORIGAN.
du FRESNEL. Rivales amies Arthur
(Les), roman, par
Rimes d'un soldat (poésies),, par le SAVAETE.
comte du FRESNEL. les Anciens ou l'économie
Voyage chez
3° Colleetion A. a rurale dans l'antiquité, par le chanoine
Savaète < fr. &?
in-12 et in-8" BEAURREDON.
Rôle de la Papauté dans la société.
Un missionnaire poitevin en Chine,
par le chanoine FouRNiER-
par dom CHAMARD.
Bulgarie aux Bulgares (La), par l'abbé
Primevères (poésies) par dom Fourier
Dupuy-pEYOu, illustré.
BONNARD
S° <~)!eetten A. SaMéte a ? fr, 5<t
4° Colleetion A. Savaète n francs
in-8o raisin et jésus
in 8" carré
Fleur merveilleuse de Woxindon (La
Le centenaire de Mgr. Dupanloup,
parle P. SpiL!,M.tNN.traduit de l'allemand.
par Mgr. Justin FÈYRE.
Origines et de l'éducation en
Colonel comte Villebois-Mareuil, hé- progrès
Amérique, par Charles BÀRNSAUD.
roïsme français au Transvaal, le
par Dame Blanche du Val d'Halid et la
'marquis S)Mon de Bettn-Carré.
main noire(La) itt~tré. par A. SAVANT)!.
Paris-Zota. par MERLIER.
Couronnement d'Alphonse XIII, roi
Trio (Le), juifs, protestants, et francs-
d'Espagne,illustré, par Gaston ROUTIER.
matons, par Jules ApER.
Cas de M. Henri Lasserre, Lourdes et *t° Cetteetten A. Savaète à S francs
Rome. par l'abbé Paulin MoftonsT. in-8" raisin
Catalogues Episcopaùx, réponse a t'abbé Soirées Franco-Russes 1~ Soirée.
Duchesne, par l'abbé TxouET. Mort de Louis It de 2" Soirée.
Bavière
Actes de Saint-Denis de Paris, par 3e Soirée. Boers
Mortde Rodolphe
le chanoine DAv:N. et Arthur SAVA~TR.
Afrikanders, par
Anne d'Orléans, première reine de et responsabilités de l'insur-
Origines
Sardaigne, par la comtesse de FAVE~GES. rection Vendéenne. par dom Ca~MAto.
A° Ce)!et'tt<tn A Sa~aete a 3 francs Les Représentants du peuple en mis-

m-8* et in-~ sion près les armées 1793-1797. D'après


]R dépôt de la guerre, les séances de la
Carnet d'un officier, œiitre posthume, Convention, les archives nationales, par
considérations philosophiques du com-
BoNNAL de Ganses, conservateur des 8
mandant Léon Guez, chef d'état-major archives au dépôt de la guerre, 4 vot.
du 8" corps, par dom RABORY.
Tome 1. Le Conseil exécutif et les re-
Odila (tragédie), par Arthur SAVAÈTE.
présentants 8 t~r.
Znléma. roman historique, par Arthur
Tome H. Les partis et les représen-
SAVAÈTE.
tants aux armées 8 fr.
Abomination dans le lieu saint (L'), Tome 1H. Les volontaires et les repré-
par Mgr. Justin FEVRE.
sentants aux frontières. 8 fr.
Désolation dans le sanctuaire (La), Tome IV. Les représentants et l'œuvro
par Mgr. Justin FÈvRE.
des armées 8 fr.

St-Amand (Cher).- /M/ Scientifique ~r~ BusstERE


s~ie de ducuments
F.. d-une
en couteut
/LmP. AUBRY

"ET LA RÉFORME

des études ecclésiastiques


OUVRAGES POUR LE TEMPS DE LAPERSÉCUTIO!

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Le Cmtemnfetie At~f DM/MMh~.i vol. in-8 2
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?3 2 Con.ECTtONARTHURSAVA.ETiB A S MANCS

Politique et Z~t~M' Arts, Sciences, Histoire, ~<7û~~


et Religion.

L~P.Aubry

r\~ REFORME
~A

DES

Etudes
ecclésiastiques

PAR

M< Justin FÈVRE

PARJS
ARTHUR SAVA&TE, ÉDITEUR
76,RUEDESSAINTS'-PËMS,76
Le "P. à A~ry t/
ET LA

RËFOM~j~~TUDES ECCLÉSIASTIQUES

(~

\~i'

PRINCIPES GÉNÉRAUX

Dieu impose, à chaque homme, l'œuvre de son salut. Cette œuvre

chaque homme doit l'accomplir, avec


grâce la
de Dieu, par son
propre concours, en un certain mélange de confiance et de crainte, et
de plus, sous le ministère des prêtres. Le salut est, pour tout homme,
la grande et unique affaire; et telles sont exactement les conditions

régulières de sa réussite.
Tout prêtre est choisi parmi les hommes et institué pour le salut
des hommes. Or, personne ne doit s'ingérer de lui-même, dans ce
grave ministère- Pour y entrer d'une façon régulière, il faut trois
choses la vocation, la formation sacerdotale, et, après une longue
préparation, la promotion au sacerdoce.
La vocation, c'est Dieu qui la donne. En nous créant, sa sagesse

assigne, à chaque homme, l'ceuvre qu'il doit accomplir, et dans


l'ensemble de ces œuvres ou plutôt à leur sommet, il a placé le sacer-
doce. En appelant un homme au sacerdoce, Dieu lui donne les

moyens de répondre à sa vocation il écarte les obstacles qui pour-


raient l'empêcher; il accorde les talents et les dispositions morales
les plus indispensables au succès il confie, à. son Eglise, le soin
de cultiver ces jeunes recrues du sanctuaire. Quand cette prépa-
ration a été conduite à son terme, l'Evêque prend l'élève de son
séminaire et,par la collation d'un sacrement, le consacre, comme
prêtre, à l'oeuvre du salut des âmes.
LEP.AUBRY
Le prêtre, pour ttâvaiH~ efficacement au salut des âmes, doit s'im*

poser rigoureusement trois obligations capitales le travail, la prière


etI'espritdemortiRcation.
Le travail sacerdotal est le premier des devoirs –Je parle du tra-
vail intellectuel. Dans sa préparation au sacerdoce, le lévite a

appris à apprendre; ilareçu, de toutes choses, des notions élémen-

taires qu'il doit, pendant toute sa vie, approfondir, dans la mesure de


ses forces. Le dogme, la morale, le droit canon, la liturgie, les
sciences annexes des sciences sacrées et même la science humaine,
dans le vaste ensemble qui la rattache à h révélation divine, tout
cela relève de sa compétence et en appelle à son bon vouloir. Tout

prêtre doit étudier toujours il doit, sans cesse et sans fin, se plonger
dans l'océan de la lumière; il doit s'en imbiber, s'en pénétrer, de

façon qu'étant, comme homme, cendre et poussière, il soit, comme


homme de Dieu, un être lumineux,un porte-lumière, un Christophore.
Par le travail, il se transfigure sans cesse, il suit la voie ascendante
des justes dans toutes ses splendeurs; il passe sa vie sur le Thabor et
n'en descend que pour opérer les merveilles de l'action divine.
Au travail, le prêtre doit unir la prière. La prière est une élévation
de t'âme; elle détache l'âme des choses créées pour l'appliquer à Dieu.
A ce titre, elle doit précéder et accompagner l'étude elle doit sur-
tout la continuer et
la compléter. Quand un prêtre a travaillé de
toutes ses forces quand il a demandé à ses' facultés tout ce qu'elles
peuvent lui offrir, il doit implorer de Dieu tout ce que Dieu peut
ajouter à sa puissance intellectuelle d'homme. Loin de la terre, pla-
nant sur les hauts sommets, il doit méditer ce qu'il a étudié,
il doit, si j'ose ainsi dire, le fondre avec la lumière divine qu'appelle
et qu'apporte la méditation pieuse. Et c'est là le second acte im-
portant pour l'étude sacerdotale.
A la prière et au travail, le prêtre doit ajouter l'esprit de mortifi-
cation. La mortification est une pensée, une résolution et une action
continue, par quoi nous éliminons de nous tout ce qui est charnel. Le
charnel, d'après saint Augustin, se doit entendre, non seulement des
entrainements de la chair, de ses emportements et de ses passions il
d~it s'entendre encore de toutesles inclinations qui amènentnotre âme
à accomplir les désirs de la chair, à s'y attempérerpour en jouir
elle-même et tâcher de trouver dans le corps les béatitudes de l'esprit.
LaTnortiSeation, pour nous délivîer de ces inclinations et deces
servitudes, doit travailler sans cesse à les éliminer et, si elle ne peut

.d~tMrë,€lle doit les assujetti)? aux volontés de l'âme. La


~;ttso):'t'6~tton,~a prière et le travail, telle est la trilogie des ver-
3

tus du sacerdoce, les trois puissances qui doivent agir dans'le grand
drame de son ministère.

Depuis dix-neuf cents ans, le sacerdoce chrétien doit répondre


ainsi aux appels de sa vocation et à ses obligations d'état. Dans

quelle mesure ri s'en est acquitté, par quelles vicissitudes, avec

quelles alternatives de succès et de revers, de reculs ou d'avance-

ments, nous n'avons pas à le dire. Nous constatons simplement


que, depuis dix-neuf siècles, le sacerdoce catholique a porté ses pas
sur tous les rivages, qu'il a fait entendre sa parole à tous les peuples;

qu'il a constitué partout des églises et des chrétientés; qu'il a créé


enfin cette admirable évolution ascendante de l'humanité, que l'his-
toire appelle la civilisation.
Dans tous les mouvements de l'humanité, la puissance qui do-
mine toutes
les puissances et règle les destinées, c'est le sacerdoce.
Le Pape, les évêques, les prêtres forment:, par leur divine hiérarchie,
un pouvoir supérieur, d'institution divine, auquel tous les pouvoirs
humains doivent leur concours. La concorde du sacerdoce et de

l'empire, le roi sur son trône et


le Pape sur son siège, voilà, dit

Bossuet, les deux têtes et les deux bras dont la pensée et les actes
suffisent à la bénédiction de toutes les générations et de toutes les
races.

Aujourd'hui, ces puissances sont partout en conflit, et les peuples

partout en souffrance. On
couper a voulu
l'ho.mme et la socteté
en deux en donner une part à l'homme séparé de Dieu et ne plus
laisser à Dieu qu'une part qu'on ne peut arracher à son empire. De
ce conflit sont nées de grandes aberrations et doivent sortir de plus

grandes catastrophes. Augures du siècle, que pensez-vous de la nuit

qui s'étend sur le monde ?


A cette question, voici une réponse.
Nous pensons, quenous, dont le
nous marasme
souffrons tous

provient de deux choses


de ce que le monde se refuse à accomplir
l'oeuvre du salut éternel; et de ce que les prêtres ne travaillent pas à
ce salut avec toute la puissance d'esprit divin que leur commande
Jésus-Christ. Ce qu'on appelle la révolution, c'est-à-dire l'anti-
thèse du christianisme, est né, primitivement, parmi nous, Fran-

çais, des aberrations du clergé et de ses négligences. Les onze pre-


miers siècles de notre histoire ne sont pas exempts de misères, mais
ils sont purs de toute hérésie. On a pu discuter, dans les écoles, des

questions libres; on a pu agiter, dans les masses,


des intérêts graves
et terriblement litigieux. Toujours la lumière de l'Evangile dominait
les disputes et les tumultes toujours cette lumière finissait par
vaincre les aberrations de l'esprit et les emportements des passions.
P~ur abréger ces préambules, nous dirons que le gallicanisme, le

jansénisme, le philosophisme, k libéralisme, le radicalisme et '"n-*


fin le socialisme ont fait sortir la France de l'ordre chrétien. Pour
notre salut présent et futur, pour rétablir l'ordre chrétien et refouler
dans l'abîme toutes les lueurs funestes où s'allument les torches de

l'anarchie, il faut que les prêtres sortis, si peu que ce soit, des voies du
Seigneur, les reprennent. La preuve qu'ils en sont sortis, c'est que la
France ieuréchappe.Douze apôtres ont converti le monde~et cent mille
prêtres laissent la France périr. C'est lefait certain, indiscutable, acca-
blant. C'est donc une question supérieure à toute autre question, c'est
donc une question de vie et de mort, de savoir comment le sacer-
doce de Jésus-Christ, réduit pour l'heure à l'impuissance, peut créer
des héros et des thaumaturges. Notre situation n'est pire quepas
celle de la France au baptême de Clovis. Depuis, les évêques ont fait
la France comme les abeilles font la ruche. Si les frelons la mettent
au pillage, c'est aux évêques à défendre cette noble création de Jé-
sus-Christ, et c'est aux prêtres, à tous les prêtres sans eveption,
qu'il appartient de lui rendre ses rayons et son miel. A quelles
fleurs doivent-ils demander le suc précieux qui doit faire des mi-
racles et soulever les montagnes ? C'est la question que nous abor-
dons dans ce travail.
Question obscure,compliquée, mais formidable et qui veut d'ur-

gence une solution.


Cette solution, nous la demandons à Jésus-
Christ: .SohtttoowMtMM difficultatum Christus, disait Tertullien. Et
s'il n'y a, sous le ciel
et sur la terre, aucun trône parmiles hommes
qui puisse procurer le salut, du moins, les prêtres, ministres de Jé-
sus-Christ, sont les agents surnaturels de son action continue au
sein des peuples chrétiens. C'est donc aux prêtres que nous adres-
sons la parole; ce sont eux que nous prions de peser, au poids du
sanctuaire, les raisons qui commandent de relever leur prestige et de
sauver notre chère et malheureuse patrie.

II

COUP D'ŒIL RÉTROSPECTIF

~t.'h~ d'âprés est un animal logique et politique.

~<t~<~nsêe'.du pMtosophe que, d~ns l'homme, la raison doit


S

prévaloir et commander; l'animal doit obéir et se plier à toutes les


exigences de la vie sociale. Malheureusement la plupart des hommes
ne comprennent pas, ce qui est pire, ne respectent
ou, pas cet ordre.
Chez eux, la chair l'emporte sur l'esprit l'homme est au rebours de
sa nature, et la société est livres au désordre.
Par suite de ce renversement des principes, beaucoup de gens ne

comprennent même pas pourquoi le désordre trouble la société.


Dans la probité de leurs sentiments, ils gémissent du mal qui les
afflige mais ils s'en étonnent et espèrent toujours que le bien finira
par triompher du mal. Quand leurs espérances sont trompées. ils
pensent que les nouveaux excès pronostiquent la fin de la tempête
et quand le vaisseau qui porte la fortune publique menace de s'en-
gouffrer dans les abîmes, ils se lamentent de plus belle et s'exclament:
Qui l'eût cru ?
A l'heure présente, il est vrai, l'ennemi ne nous a pas pris en
traître. Le discours de Romans, avec son mot d'ordre Le clérica-
lisme, voilà l'ennemi, contenait
en germe et dans ses principaux ar-
ticles, le programme des destructions prochaines. Depuis, de cette
boîte de Pandore, où il n'y avait que des maux, nous avons vu sor-
tir, avec une froide et implacable logique, les destructions annon-
cées. Dispersion, puis mise au pillage, enfin proscription des Ordres

religieux; neutralité de l'école, suppression de la liberté d'ensei-

gnement, empoisonnement des jeunes générations par les nouveaux


maîtres; laïcisation de tous les services mixtes où l'Eglise gardait sa
part d'action et d'influence empiètement de l'Etat sur l'Eglise, curés
sac au dos, évêques pris dans les nouvelles couches, séparation de

l'Eglise et de l'Etat, proclamation du schisme tels sont les princi-

paux points du programme, devenus depuis des lois, c'est-à-dire


des forces de destruction au profit de l'anarchie, du socialisme et de
la révolution.
Pour
l'aptitude à voir, les hommes se classent en trois catégories
il y a ceux qui ne voient rien, ceux qui voient les choses présentes,
ceux qui voient les choses avenir.
Ceux qui voient les effets dans les causes et l'avenir dans le pré-

sent, avaient vu d'avance toutes ces lois de destruction; ils avaient

pu les prédire à coup sûr et les voir éclater sans étonnement.


Les maux présents ne sont que les applications de faux principes,
les conséquences que tire, de ces principes, une juste logique. La
politique franc-maçonne évolue avec la rigueur de la. géométrie. De
l'idéal révolutionnaire, elle tire ses armes et marche au grand com-
bat contre l'Eglise, contre Jésus-Christ et contre Dieu. Il faut en
:d

notre' pard cela est, parc que, selon la logiqae, cela


prendre
doitêtrea.msi'ètnepasêtfeautrement.
L'étonnetaent du grand nombre provient de ce que le grand
nombre n'a, pas compris combien les doctrines fausses avaient em-

poisonné la France. Nous qui, par la connaissance de l'histoire,


avons les siècles sous les yeux, nous ne nous étonnons de rien ou
nous nous étonnons d'une seule chose, c'est que l'erreur
plutôt,
Ait mis tant de siècles pour nous réduire aux dernières 'extré-
mités.
Même dans l'Eglise, un grand nombre n'avaient vu, dans lesaber-
rations du particularisme français, quedes opinions libres, néces-
saires à leurs yeux, pour ménager l'indépendance de l'Etat et l'inté-

grité dans FËglise. Les opinions gallicanes étaient libres, sans. doute,
ence sens qu'elles n'étaient pointrépro uvées par une définition dogma-
tique et par une réprobation souveraine de l'Eglise mais, dans leur
licite provisoire, elles étaient fausses et ne pouvaient être que fu-

nestes attendu qu'elles altéraient l'ordre nécessaire des plus hautes


institutions et les premières lois de l'ordre social. Séparer l'Eglise et
l'Etat, abaisser le Pape dans l'Eglise, c'était altérer la condition di-
vine du pouvoirsouverain c'était préparff, pour l'avenir, entre lés
deux pouvoirs, des rapports plus.,dif6ciles et amener des guerres
inexpiables. En particulier, l'abaissement du Pape dans l'Eglise, c'était,

par l'éclipse du confirmateur infaillible et permanent, le Pontife


Romain, mettre l'obscurité dans toutes les sphères de l'action ecc)é-
siastique monarchie parlementaire dans la hiérarchie de l'Eglise,
rigorisme en moralepar l'apport du jansénisme arbitraire en droit
canon et éh.liturgie, par le fait del'éloignement de Rome. Dans L'Eglise,
sorte d'épiseopalisme.gernM d'hérésie éventuelle dans l'Etat.pouvoir

absolu, puis réaction contre l'absolutisme; en tout cas, productivité


du capital, avènement de la ploutocratie, les masses populaires a ia
merci de l'argent. Pour qui sait bien voir, le gallicanisme, même le
plus anodin, c'était l'emprisonnement de l'Eglise dans l'Etat; c'était
le monde, que Dieu doit gouverner par la grâce de Jésus-Christ et
par l'autorité de l'Eglise, livré à l'anarchie
des passions et à la pré-

potence du capital. Plus tard, par des enfantements réguliers ou par


des générations adultères, tout ce gâchis, terrible et menaçant, qui
crève aujourd'hui les yeux même des aveugles.
La révolution de 89 a y~ avait tout détruit sa logique, d'accord'
-avec ses,passions, avait anéanti ce qu'elle appelait l'ancien régime.
~Dieu s'ë& &tait servi pour ensevelir sous les ruines les erreurs qui en
:avaist~été'la.. cause, et le xtx°'sièck, ouvert aux inspirations de la.
7

Providence, devait écrire, dans'ses annales, les gestes de Dieu pour 1~


restauration de la France
catholique.
Ce qui caractérisera, dans l'histoire, ce siècle dix-neuvième, c'est

qu'obéissant à l'ordre de Dieu, il a su comprendre les impulsions di-


vinc)6 et tenté de remettre en vigueur les principes de la vérité révélée,
là ou l'erreur avait voulu installer ses faux principes. Les événe-
ments qui, dans ce siècle, occupent l'avant-scène de l'histoire, sont
connus même ;'des enfants; les événements qui portaient dans leurs
Bancs l'avenir, ne sont pas toujours connus même des. hommes.
Ces ignorances doivent disparaître.
L'homme qui se leva, dans les premières années du siècle, pour
réagir contre la révolution et l'écraser dans son germe gallican, fut
Lamennais. Lamennais n'avait ni la science ni les vertus nécessaires

pour la restauration de la chrétienté, mais il possédait le génie puis-


sant qui devait abattre l'ennemi et susciter d'autres hommes pour les
constructions futures. Lamennais triompha dans l'Eglise, mais tra-
hit son triomphe. Lui tombé, d'autres entrèrent dans l'arène ou-
verte et poussèrent à fond la réaction antigaHicane. En dogme, le

gallicanisme de Bossuet avait été reçu aveuglément depuis deux siè-


cles le cardinal Gousset fut l'homme, suscité de Dieu, pour abattre,
par son enseignement, ce gallicanisme et préparer sa ruine par le con-
cile du Vatican. En morale, le rigorisme de Jansénius et de Quesnel
avait retréci l'entrée du confessionnal et désolé les âmes, au point de
leur inspirer le dégoût et l'horreur du repentit; le même cardinal,
par la justification de la théologie de saint
Liguori, docteur de

l'Eglise, ouvrit les justes voies entre le rigorisme et le quiétisme. En


.droit canon, Hermes et Febronius avaient écarté les sages et mi-
séricordieuses lois de Rome, pour mettre en place les pratiques sèches
,et désastreuses de l'arbitraire épiscopal Bouix, par une série de sa-
vants traités, nous apporta de Rome la connaissance des justes lois
du Pontite romain. En liturgie, Devert, Foinard et Rondet avaient
'massacré les formules traditionnelles de la prière, les rites et les cé-
rémonies qui servaient
d'organes aux saines traditions de la foi,
dom Guéranger, par une série d'ouvrages aussi savants que pieux,
ramena la France à l'unité liturgique. En histoire ecclésiastique,
Fleury et Noël-Alexandre avaient tenté de justifier, par des prétéri~
ttons et des mensonges, les excès commis dans toutes les sphères de.
la théologie, contre la monarchie des Papes; Rohrbacher et Darras,

par deux grandes histoires, rectifièrent Fleury et Noël-Alexandre,


~pour détruire, dans les têtes ecclésiastiques, toutes les illusions à

.qui avaient favorisé les ravages de l'hétérodoxie gallicane.


§{

En même temps, comme si Dieu avait voulu prodiguer les oeu-


vres restauratrices, Montalembert, à la tribune, réagissait contre les
vieilles frénésies du parlementarisme Lacordaire, à Notre-Dame, in-
troduisait dans l'éloquence la philosophie chrétienne vivifiée par le
lyrisme; Bonnetty, dans les revues savantes, consignait toutes les re-
cherches de l'érudition sur les traditions des Gentils Louis Veuillot,
dans l' Univers, servait d'écho à toutes les paroles victorieuses et, par
ses articles
inspirés, par ses vaillances de paladin, entraînait à l'Eglise
ceux qui étaient dignes de l'entendre.
A la même époque, le cardinal Pie était un autre évêque suscité
de Dieu pour combattre le libéralisme. Les formes libérales dans la
constitution et le gouvernement de l'Etat, avaient amené les esprits
à penser que la doctrine dontles formes libérales offraient la traduction,
pouvait et devait bénéficier des avantages de l'orthodoxie. L'Eglise
devait se réconcilier avec la société moderne, et, par cette réconcilia-
tion, devait ramener les multitudes au giron de sa maternité. Le
cardinal Pie, pendant trente années d'épiscopat, combattit les for-
mules de cette nouvelle histoire et en battit les soldats. Un autre

éveque, que je me reprocherais d'oublier, Parisis, évêque de Langres,


moins fort contre le libéralisme, sut, du moins,par des controverses

politiques, réclamer le respect du droit divin de la sainte Eglise et


briser les chaînes du monopole de l'Université.
Dire comment toutes ces oeuvres, tous ces combats, tous ces
héros, après avoir procuré un réveil chrétien et une restauration catho-
lique, ont vu la Révolution, aujourd'hui victorieuse, mettre en échec
la vérité chrétienne, nous mènerait trop loin. Il suffit d" constater le
fait et d'en rechercher la raison. La raison, c'est que toutes nos œu-
vres restauratrices, depuis Lamennais, n'avaient pas, pour appui et
pour appoint, une mentalité et des principes en harmonie avec
les convictions victorieuses. On avait beaucoup bâti, mais sur le sa-
ble. Les constructions se tenaient debout, par la jointure ferme de
leurs matériaux et la cohésion de leur cime mais elles étaient ébran-
lées par la tempête, et les esprits, agités par les souffles discordants
du cyclone, ne savaient ni les raffermir, ni toujours les défendre. C'est
pourquoi il fallait que Dieu suscitât un autre ouvrier pour confirmer
les basés, inculquer les bonnes méthodes, exposer les principes supé-
rieurs des justes doctrines; il fallait un nouveau Bacon, pour dénon-
cer les idoles detribuset de cavernes; pour, avec un Novum or-
~~KM,ameher l'accroissement des sciences et couronner toutes
';tës~œ~ magna. L'homme à qui
-~ie~ â?ait:reë~ cette oeuvre de salut cette action néces-
-9- 9 :1.,M

saire au triomphe de l'Eglise, je l'ai nommé c'est le Père


prochain
Aubry.

III

VIE DE JEAN-BAPTISTE AUBRY

Jean-Baptiste Aubry naquit en t8~â à Ourscamp, doyenné de Ri-


bécourt, au diocèse de Beauvais. Les parents n'étaient pas du pays le

père, Jean-Baptiste Aubry, était de Rambervillers, dans les Vosges la


mère, Marguerite Gérard, de Metz en Lorraine. Pauvres tous les deux,
ils'avaient demandé au travail les ressources nécessaires à l'existence et
s'étaient mariés à Paris. Natures franches, loyales, généreuses, dé-
vouées, ils avaient dansle sang et dans l'âme, de quoi prévenir leurs
enfants des dons de Dieu et appeler, sur leurs têtes, sa sainte grâce.
Quatre enfants furent le fruit de cette union, dont Dieu avait formé
les liens et était toute la richesse. Aubry avait été soldat; à son congé,
il fut nommé garde des bois et envoyé successivement, d'Ourscamp,
à Orrouy, à Saint-Jean-aux-Bois, à Versailles et à Meudon. A la re-

traite, ils devaient se retirer


à Beauvais, en attendant que leur plus
jeune fils, Augustin Aubry, devenu prêtre et curé, pût les recevoir
sous son toit. Les deux autres enfants, un garçon et une fille, étaient
morts dans la fleur de la jeunesse. Quant à leur .'me, Jean-Baptiste, le
héros de ce travail, il doit nous occuper surtout dans la mesure de sa
prédestination.
Dans les hommes que Dieu suscite pour l'accomplissement de ses
desseins, le point capital, c'est de bien discerner les éléments de leur
vocation. Jean-Baptiste était un enfant vif, gai, spirituel, mais bon,

simple, affectueux, surtout d'une grande facilité d'esprit. Dès les pre-
mières années de l'école primaire, sous sa pétulance, il y avait une
disposition à la gravité cet enfant, au milieu de ses jeux, contem-
plait la nature et songeait à son avenir à neuf ans, ,il avait pensé
au sacerdoce, et, dans le sacerdoce, à une vocation d'élite, féconde
en nobles sacrifices. Les premiers éléments des connaissances hu-
maines ne furent, pour l'enfant, qu'un jeu. De bonne heure, son de-
voir fait, il pensait à lire et allait chercher des livres au presbytère. Un
beau jour, parmi ses livres, le petit servant de messe reçut, du curé
d'Orrouy, Boulanger, une grammaire latine. Vous devinez sa joie
JO

sa voie s'élargit, il va s'élancer comme un géant vers les brumes ou se-'


cachent encore les mystères de sa destinée.
En 1838, Jean-Baptiste entrait en cinquième, au petit séminaire
de Saint-Lucien. Le nouvel étudiant prit la têtede sa classe pour ne-
plus la quitter. Une supériorité incontestable, des succès croissants,
des éloges multipliés, tout le laissa simple avec ses camarades, respec-
tueux envers ses maîtres. Jamais écolier ne fut plus ardent au travail
et plus ardent au jeu avec cela, un grand zèle pour la piété. Dans
ce petit jeunehomme, sorti du village, on remarque, dès lors, un

esprit prompt à tout comprendre, à tout pénétrer, et, par sa puis-


-sance de pénétration, à se former lui-même Moc~ KOf~ M'~M~~Mef.
En 186~, Aubry entrait au grand séminaire de Beauvais il y resta
deux ans, assez Four connaître sa vocation, ne concevoir à sa vie
d'autre emploi que le sacerdoce, et ne voir dans le sacerdoce qu'une
fonction divine. A dire vrai, la méthode d'enseignement du sémi-
naire, moulée sur la tradition gallicane, ne lui plut point il n'excella

pas moins dans ses cours et fut envoyé à Rome, par Mgr Gignoux,
évoque de Beauvais, juste appréciateur de ce grand homme en fleur,

pour suivre les cours du Collège romain. Pie IX avait fondé, à Santa-
Chiara, un séminaire français, pour former des professeurs à la ma-
nière romaine, et, par eux. détruire en France le gallicanisme jusqu'à
la dernière racine. Ici, changement complet. Autant Aubry avait
peu goûté l'enseignement de Beauvais, autant il tressaillit d'allé-
gresse, en suivant les cours de Patriri, de Ballerini, de Palmieri et
de Franzelin, pendant trois années. C'est l'âge héroïque du P. Aubry.
A Rome, la vie intellectuelle des étudiants est très intense. Je ne
parle pas dés leçons que comporte le spectacle de la ville éternelle et
la présence de la Chaire Apostolique je parle de l'application à
infuser dans les âmes le sens de l'Eglise et le profond génie de son
enseignement. Aux cours de l'Université, s'ajoutent des répétitions
fréquentes,, des
argumentations quotidiennes, des exercices hebdo-
madaires, des concours et des académies. Dans. ce milieu illumina-
teur, jene dirai pas qu'Aubry subit une véritable transfiguration je
sais que, par sa puissance d'esprit, il sut l'effectuer lui-même. Le Su-
périeur du séminaire, !e P. Freyd, le comparait au colosse de
Rhodes, et le Père Freyd était bon juge. A telle enseigne que le P.
Freyd, quand
Aubry e~t conquis, c«M maxima laude, son diplôme de
.docteur, voûtait le garder un an de plus, avec la certitude d'en faire
nn~oc~~co~oMM&Beaavais en décida autrement.
Aspn~ Aubr~ et nommé professeur au
graM séminaire il devait y rester. cinq ans. Professeur d'Ecriture
II

sainte et d'histoire, il fut, en plus,


de prison aumônier
et chargé par inté-
rim de la desserte d'une paroisse. Nous ne dirons rien de ses cours, nous
les retrouverons dans ses livres. Nous nous bornons à constater que
la présence d'Aubry et de plusieures autres docteurs des écoles ro-
maines, ne produisit pas les effets bienfaisants qu'en espérait Pie IX.
Les professeurs plus âgés, formés d'après la méthode gallicane, ne
voulaient pas accepter la méthode romaine, peut-être pas même les
idées de Rome. « On ne met pas, disait Jésus- Christ, le vin nouveau
dans les vieilles outres a on ne doit pas mettre non les liqueurs
plus
romaines dans les outres et calebasses teintées de gallicanisme. C'est

risquer de crever les outres et de perdre son vin. En pareil cas, il


faudrait faire maison vide et table rase ou pouvoir sur un
s'appuyer
évoque résolu à la réforme. Rien n'est plus tl'tu que l'erreur, rien

n'estplus fécond en chicanes que l'inclination hérétique. On dirait que


l'erreur déforme les facultés de l'âme,et les rend impropres au service
de la vérité au lieu de se complaire à la pure lumière, elle aime plu-
tôt les ténèbres. S'il se mêle à ces infirmités désordonnées, quelques
susceptibilités d'amour-propre, voilà la guerre allumée. Le sémi-
naire, qui doit rester la cité de la paix et la vision de la béatitude, n'est

plus qu'une arène ouverte aux passions, et les derniers à y courir ne


sont pas les jeunes clercs
que la robe ecclésiastique n'empêche pas de

jouer de la langue, parfois des mains.

Je n'appuie pas sur ces faits, mais je constate que l'obstination

gallicane et la cécité qui en est la cause, ont mis, jusqu'à présent, à


la réforme des séminaires, un obstacle. Bien plus, ces passions ont su
s'infiltrer jusque dans le concile du Puy, où l'archevêque de Bourges,
Amable de la Tour d'Auvergne, voulait inaugurer le retour au droit
canon. Le droit canon, qui est le véhicule des pures doctrines et leur

rempart; qui infuse, aux administrations


ecclésiastiques, le vérita-
ble esprit de l'Eglise, est, pour tous les esprits rétrogrades du clergé

français, un objet d'horreur. Convenir que nous avons erré grave-

ment, que nous avons fait longtemps fausse route, c'est un aveu

trop fort pour leur modestie. Bien que les décisions d'un Concile
aient fourni la preuve de nos aberrations, ces sortes de gens, sem-
Llables aux Grecs de Constantinople, paraissent plutôt à voir
prêts
périr leur malheureuse patrie, que de faire un si soit-il,
pas, petit
dans la voie de la résipiscence.

Je ne suis pas éloigné de croireque le Pape, s'il veut sauver la France


par l'extirpation radicale du gallicanisme, incrusté dans les us et
coutumes des séminaires, doit, par une constitution solennelle
1° ordonner les deux ans de philosophie; 2° prescrire l'organisation
-12-

desséminaires telle qu'elle ressort des décrets du Concile de Trente;

3° stipuler l'obligation de suivre la méthode didactique du Collège


romain exquisser, pour chaque cours de science sacrée, un pro-

gramme sommaire d'enseignements positifs déterminer la disci-

pline intérieure des maisons de formation cléricale; 6° revendiquer

pour les élèves du séminaire français et de l'Université romaine, les

justes privilèges du doctorat. Si le Pape se borne à des voeux


pater-
nels et à des conseils d'ordre trop général, sa parole sera inutile, ses
efforts seront stériles. L'infatu ttion gallicane est telle, qu'elle croit
n'avoirrien à apprendre, même à Rome. Les diocèses
qui n'envoient
à Rome que des prêtres déjà formés, espèrent bien, en effet, que
Rome ne les changera pas; mais, par le dédain de ses enseignements,
les confirmera dans leur fanatique orgueil. Pendant que la France
meurt, les séminaires gallicans sont absolument persuadés de leur per-
fection. La France, catholique libérale doit être le flambeau de l'u-
ni vers.
Cet Aubry que nous venons de suivre dans les séminaires, comme
élève d'élite, puis comme professeur, songeait, dès ses plus jeunes
années, à se consacrer à l'apostolat des missions. Lui qui avait ap-

porté, aux études, des talents si distingués et une si vive ardeur lui

qui avait parcouru, en triomphateur, toutes les sphères de la science


sacrée; qui avait même prononcé, pour les églises de son pays, le
grand mot de réforme des séminaires et qui était homme à l'accom-

plir. tout en estimant à son prix une vocation si haute, il songeait


aux infidèles, à leur pénible formation, peut-être au martyre. Le
i~ octobre 187~, il entrait au séminaire des Missions étrangères. Le
docteur, le professeur redevient élève, pour faire sa veillée des armes.
À dater de cette époque, c'est un apôtre au Cénacle. A la différence
des Apôtres, qui ne restèrent au Cénacle que huit jours, Aubry de-
vait rester, rue du Bac, une année. Aux Missions de Paris, c'est
le même espritqu'au Séminaire français de Rome même dégagement
de tout particularisme français, même esprit de formation romaine,
avec eë surcroît d'énergie qù'in&ise l'approche du départ. Principes
solides, direction puissante, grand esprit de famille, admirable cha-
nté tout est 1&en pleine vigueur, pour donner des apôtres à l'univers.
Jean-Baptiste est dans son élément pour lui, c'est l'année douce,
.l'année de retraite etde recollection, mais pour un conquérant qui
~~l~ëëf~l~anqu~ë du monde. On devine plutôt qu'on ne dé-

M&ë~ë v~ mette pas, ici, plus qu'il


~ë~~t~ïDu~~ rU;1trire; Aubry 'est.' cettainenient~ une

~B~~E~S~s~~n'~1~ mai¡¡,tempéré par. le -boa


13

sens et une joyeuse humeur; mais par-dessus tout soucieux de

se faire, des missions, une juste idée et d'y préparer toutes ses forces.

Le colosse de Rhodes devra demain, avec ses grandes jambes. aller


au bout du monde il y songe sans cesse et, quand sonnera l'heure
du départ, il sera mûr pour le grand sacrifice.
Le 10 août, le P. Aubry recevait sa destination pour le Kouy-
Tchéou. Le Kouy est une province du Sud de la Chine; elle est à
huit cent lieues dans les terres; évangélisée depuis peu, elle a eu,

pour premier évêque, Mgr Albrand, puis, pour provicaire, le


P. Perny. Je ne dis rien des préparatifs du départ, de la cérémonie des
adieux et des déchirements l'accompagnentqui on comprend cela
avec l'esprit du coeur'. Départ de Paris à Marseille, quarante-cinq
jours de mer pour gagner Shang-Haï quatre mois pour remonter le
fleuve bleu en barque et traverser de gigantesques montagnes à dos
de mulet c'est le premier casuel de la mission. Loin de reposer le

missionnaire, le spectacle écœurant des populations chinoises, leur


culte monstrueux et absurde, leurs mœurs dissolues ethypocrites,
est bien de nature à étonner son
courage. Mais il retrouve force et
espérance la mission des Jésuites lui apparaît comme une fleur au
milieu des épines elle lui révèle que, même en Chine, il y a place

pour de belles œuvres.


Le P. Aubry fut sept ans missionnaire, d'abord sous la direction
du P. Bodinier, puis dans un district de frontière, confié à sa solli-
citude. La vie du missionnaire est un voyage continuel. D'un pays
à l'autre, il est transporté soit à dos de, mulet, soit en palanquin
mais que ce mot ne vous fasse pas soupçonner de magnificence. A
l'arrivée, le missionnaire est reçu chez un chrétien qui a de quoi lo-
ger le bon Dieu et son représentant. La principale chambre lui est
abandonnée pas de plafond, vous êtes sous un toit en paille pas de
fenêtres, on voit par la porte. Murs en tresses de bambous fendus,
des claies de parc à moutons. Le bon Dieu habite la grange, plus
commode pour servir de chapelle. Une table et le strict nécessaire en
croix, chandeliers, tabernacle voilà l'autel. Vous figurez-vous, dans
un hameau sauvage, quelques familles chrétiennes, habitant de mi-
sérables huttes et adorant dans leur indigence le Dieu de Bethléem et
du Calvaire. Pauvres gens ils sont au dépourvu de tout, surtout

Le lecteur qui voudrait connaître à fond la belle et sympathique personna-


lité du P. Aubry, devra lire sa vie, écrite par son frère
Augustin Aubry, prêtre
du diocèse de Beauvais. Cette vie, composée avec une grande sûreté d'information,
une parfaite intelligence des choses et une grande cordialité de mnémotechnie, est
un petit chef-d'œuvre.
ï4d:

(~intelligence et, pour leur ntcalquer tes vérités les plus élémentaires
de la religion, il faut une rude patience. N'importe ce n'est pas
sàns une vive émotion que vous les voyez réunis dans cette grange,
priant, dans la simplicité du cœur, un Dieu qu'on vient leur prêcher du-U
lointain Occident.'Lemissionnaire visite les familles, assiste aux prières
descbrétiens baptêmes,communionsgénéra)es, réunion,catéchisme,
bénédiction des enfants, promenade dans le bois 'voisin, dîner pré-
paré par les femmes, servi par quelque notable; enfin pour cou-
ronner la mission, distribution d'images, de médailles et de cha-
pelets.
De loin, cette série d'exercices peut paraître pittoresque; de près,
c'est la plus protbnde misère. Le missionnaire est au dépourvu de
tout il est asphyxié par la fumée, dévoré par les punaises, empuanté
par le fumier du bétail, troublé dans son recueillement par les cris de
la marmaille et les monotones répétitions du catéchiste. Souvent,
après une tongue journée de marche, où il n'a eu pour se ré-
conforter, que l'eau du torrent, il ne trouve, à l'arrivée, rien à se
mettre sous la dent. La nourriture ordinaire, c'est un riz assez dur et
mai cuit, et des citrouilles cuites
à l'eau; par-ci, par-là, un peu de
viande; et, les grands jours, un rôti de chien. Le potage à la salan-

gane est introuvable dans l'intérieur de l'empire.


Il y a, sur la Chine en général, parmi les missionnaires, deux opi-
nions l'opinion tant mieux et l'opinion tant pis. Pour les uns, la
Chine n'est qu'une superstition infâme, un immense brigandage et
une putréfaction horrible; pour les autres, c'est un pays très civilisé,
qui a su tirer de la nature ce qu'elle a de bon, asseoir la société sur la
famille, et faire reposer le gouvernement sur le respect religieux du

pouvoir. Les deux opinions peuvent se soutenir le P. Aubry tient


pour l'opinion défavorable. Toutefois, il distingue entre le païen et
le chrétien. Le chrétien a une figure plus honnête, un reflet de droi-
ture, un bon sourire de charité. Le païen, même lettré, a un air
faux et glacial, son visage est sans douceur, son regard farouche, son
sourire sec. Mais les chrétiens, relativement aux païens, ne sont
qc'uae très infime minorité c'est un verre de bon vin dans un
océan de vinaigre-
Le P. Aubry avait débuté en mission dans la préfecture de Tsen-

y-fou; il passa ensuite dans la préfecture de Hin-y-fou, à vingt

jonrsde marche. Dans le sud de cette préfecture, ses chrétiens

sou~arent persécution d~ns le nord, il faillit lui-même être assassiné


et ;ët~~ à:la. mctrt que'par tine: espèce de miracle..Çonwertir un
~tid~ en convertir cent, mille, c'est plus encore,
I!

mais convertir un peuple, un peuple vieux, usé, décrépit, quelle


entreprise formidable Le ciel bénit les efforts du missionnaire, et

si, au lieu d'être seul, il avait eu avec lui vingt-cinq prêtres, il eût

peut-être retourné les hommes de fond en comble et posé les fonde-


ments d'une société nouvelle. Le ciel ne lui réservait ni ces secours,
ni cette joie. Dans ses deux dernières
années, il dut lutter sans cesse
et sans fruit contre la barbare iniquité des mandarins lui-même,
consumé de fatigue et de privations, mourait, à trente-huit ans, d'une
fièvre putride, le i~ septembre 1882.
Cette mort précoce, loin de la famille, loin de la patrie, sans
aucune consolation religieuse, nous émeut; elle ne nous étonne

pas. C'est la loi ordinaire des missionnaires, surtout de ceux

qui, appliqués à la conversion des âmes, ajoutent, aux travaux de


l'apostolat, les travaux de l'esprit. Saint Bonaventure était mort à

cinquante-trois ans, saint à quarante-neuf


Thomas, ans; Duns
Scot, à trente-quatre ans; le P. Aubry mourut à l'âge de Pascal,
trente-huit ans. Consummatus in ~M explevit tempora multa nous
en aurons la preuve.
Les traits qui se dégagent de cette sympathique physionomie
sont dans un corps grand et fort, une douceur qui sait se tremper
d'énergie une sensibilité vive et prompte aux impressions une

intelligence droite, profondément pénétrante, susceptible d'une


merveilleuse application une volonté de fer; un caractère gai une
sincérité qui
s'aiguise volontiers en bons mots et' en expressions à

l'emporte-pièce en même temps, une charité indulgente qui sait


dorer la pilule et la convertir en miel. D'abord un de ces enfants

qu'on appelle un bon petit diable, en qui se révèle quelque chose

d'encourageant pour l'avenir; puis un écolier, pour qui le mot dif-


ficulté n'a pas de sens et qui apprend tout en se jouant; un sémina-
riste dont les succès ne souffrent ni interruption, ni éclipses en
même temps, une application, en
esprit de foi, à la solide piété
bientôt un docteur de premier ordre, un colosse intellectuel un
professeur, tout imbibé de la lumière, de l'amonr et de la puissance
de Rome, pour réagir contre les résidus obstinés de l'infatuation
gallicane à la fin, un ange du nouveau testament, pour porter la
lumière de Dieu au peuple assis dans les ombres de la mort un

martyr volontaire, mort jeune à la peine par-dessus- tout, un tra-


vaiUeur héroïque, un thaumaturge de la pensée qui, du fond de
son tombeau lointain, et soulevant la pierre du sépulcre, offre à la
postérité quinze volumes où il a consigné ses projets, ses plans, son

programme de réformateur d'école. Jean-Baptiste Aubry nous appa-


Ï6

faitcotnme le Bacon d'une renaissance catholique, le restaurateur


d'une France chrétienne, le réformateur de nos séminaires ramenés
aux grandes lignes de la tradition des siècles chrétiens.

IV

DE RÉFORME.
PROJET

Voilà, dire~-vous, de grandes affirmations. Sans doute; mais


il est facile de les justifier.
L'élève du séminaire de Beauvais, arrivant à Rome, instruit à
l'Université grégorienne, formé au séminaire français, fondé par
Pie IX, pour la rénovation de la France, fut immédiatement frappé
du contraste et se prit à réfléchir. A Beauvais, il avait été formé
selon la tradition et la méthode
gallicane à Rome, il allait être
instruit et formé selon les traditions de l'Eglise romaine, mère et
maîtresse de toutes les Eglises, surtout par les écoles. Le contraste
n'était pas seulement frappant, il était instructif, et, pour remplir les
intentions de Pie IX, il devait aboutir à la translation, de Rome en
France, de toutes les pratiques scolaires de la sainte Mère Eglise.
C'est le point de vue où il faut se placer pour bien juger les choses et
les personnes. Rester, en grognant ou en ricanant, derrière la
muraille de Chine que le gallicanisme a construite autour de laFrance
rester obstrué dans son cerveau par la galerie étanche que forme
dans toutes les têtes faibles le gallicanisme, ce n'est plus raisonner,
c'est s'ankyloser dans les étroitesses stériles du particularis:ne.
C'est le propre du sage et du savant, dit saint Thomas, de scruter
les causes les plus hautes, et d'en déduire de justes conséquences,
pour aboutir à de solides effets. je crois n'étonner personne en
disant que le
Aubry Père
était un esprit supérieur et une âme
d'une grande piété. Son évoque l'avait envoyé à Rome tout exprès
pour se conformer aux vœux du Pape et en assurer les bénéfices à
son diocèse: Mgr Gignoux était romain des pieds à la tète, et, si la
transEjrniation théotogique s'étaitjusque-là bornée à quelques
personnages d'élite, il voulait qu'en se généralisant, elle s'appliquât,
avères degr~~ a toutes les personnes et à toutes les institu-
r~S.%G'é~t~~ transformer
;ië~én~nai~, qu'it~ait~envoyé des prêtres à Rome. Le choix
–17–

dont avait été l'objet J.-B. Aubry, commandé par l'éclat de ses

succès scolaires, avait été dicté surtout par le cœur du prélat, pour ce
clerc, de ses prédilections. Aubry était à la hauteur de
objetpréféré
ces préférences il devait même les surpasser en s'élevant plus haut.
Les trois ans que passa Aubry à Rome furent trois années d'études

profondes, de réflexions et de résolutions puissantes, pour répondre


aux voeux 'patriotiques et pieux de son Sans doute, il
évêque.
fortement tout l'enseignement des maîtres sans doute
s'appropria
il s'imbiba, c'est son mot favori, de toutes les essences de la

piété romaine; mais,


poussant plus loin, il s'appliquait à concevoir,
dans son maître esprit, la pensée-mère, l'Intention supérieure des
Pontifes romains, dans la création des écoles ecclésiastiques. Dans
ce clerc de Beauvais, il y a, en gestation, un législateur des écoles.

Je ne veux pas abuser des comparaisons historiques je sais qu'elles


sont rarement applicables et ne prouvent pas toujours. Mais je salue,
dans J.-B. Aubry, le futur professeur qui, après son triennium
d'études, porteur de la bonne nouvelle, dépositaire des paroles de
délivrances, viendra, au nom de son évêque et du Souverain Pontife,
enseigner, selon les saintes règles, la grande science de l'Eglise. Ne
citons ni Boëce, ni Cassiodore ni aucun de ces grands noms des
Pères de l'Eglise, dont les siècles ont subi la bienfaisante influence;
mais, sans déroger à l'humilité nécessaire, sachons comprendre et
mesurer les grandeurs.
Nous étions dans les splendeurs du ciel, nous voici retombé sur
la terre. Nous assistions aux combats des héros de l'école romaine;
nous allons nous trouver en pleine Batrachomyomachie.
Aubry est revenu à Beauvais le jeune docteur est professeur
au séminaire de son diocèse un de ses camarades, Bocquet, est,
comme Aubry, professeur ils sont deux contre cinq ou six, je veux
dire deux romains purs, contre cinq ou six professeurs formés selon
les anciennes méthodes. Vous supposez que les anciens vont prêter
l'oreille aux nouveaux et se porter, de bon cœur, aux expérimenta-
tions romaines. C'est mal connaître le cœur humain plus mal en-
core le cœur français et sacerdotal. Les Français se considèrent vo-
lontiers comme l'élite du genre humain il n'y a qu'eux pour offrir
toutes les splendeurs de l'humaine espèce. Les prêtres français, s'ils
ont été formés dans les doctrines de Bossuet, oints des onguents
du rigorisme ou du quiétisme, et dressés d'après les manuels du
gallicanisme, savent .tout et de
tout connaissent
la quintessence.
Ce sont des gnostiques et des psychiques, des êtres supérieurs, éga-
lement infaillibles et impeccables. Que si vous frôlez ces majestés
~~{~<;

&û~M,~as~uS'e~pes<~ d'aboM a.uxdédams, puis âMxcoïëees~


€~6a aux 'aaathêmes. Mats si, poussant F~iate à son comble,

voas ppëtendeziescott'igër, les réformer, les retourner, fut-ce pour


-leur faite suMï~ae bienfaisante restauration, vous tentez Pimposs!bte
et bientôt ils vous crieront Raca.
Aubry n'était point revenu de Rome avec des dispositions har- ?

gneuses. ni
même contentieuses. Déjà même, d'un regard synthé-
tique et )Compréhensif, il s'était fait, pour le restant de ses jours, un
programme d'études de l'ordre surnaturel. De plus, par devoir d'état,
il s'était appliqué aux études d'histoire, d'archéologie sacrée et
d'Ecriture sainte. D'ailleurs, il était jeune, modeste, et plutôt enclin
à la timidité envers ses collègues, surtout envers le supérieur. Mais

par la force des choses, en enseignant selon leur foi et leur conscience,
les doctrines romaines, sans le vouloir, sans même le prévoir, Aubry
et Bocquetse trouvaient en divergence d'appréciation avec quelques
autres professeurs. Les élèves, cet âge est sans pitié ne man-

quaient pas de faire ressortir ces divergences et de mettre le feu aux


amours-propres des vieux. D'autre part, les professeurs, appelés à

juger les discours d'essai prononcés par les jeunes clercs se trou-
vaient par là même contraints réciproquement à porter un juge-
ment sur leurs doctrines respectives. Ces divergences amenèrent des

querelles dont l'es vieux


s'appliquaient à faire retomber, sur lesplus
jeunes, la disgrâce. Beauvais ne fournit pas de Boileau pour chanter
ce tome II du Lutrin; les têtes n'en prirent pas moins feu. Aubry,
au lieu de disputer, s'appliquait dès lors à écrire sur la méthode
romaine d'enseignement théologique et à tirer au clair les points
litigieux. Comme le diocèse ne tournissait pas de juge, Aubry en
tefëra, par consultations en forme, aux professeurs Palmieri, Balle-
fini et Fra.azelm; tous les trois, par des réponses séparées, confir-
mèrent l'orthodoxie d'un enseignement que les adversaires, du haut
de leur ignorance, avaient déclaré hérétique. Un peu plus tard, quand
Mgr Mermillod.évëque de Genève, depuis cardinal, vint à Beauvais,
en i$y<6, prêcher la retraite ecclésiastique, il appuya itérativement =
sur les sa)etslïtigië'!x.et abonda dans le sens d'Aubry. LeP.Ra-
tnisère. jéS9i<;ë,QaMleMM~~M~~C~M~ l'abbé PlUet et l'abbé
~atl~~n, dans ~M'. WMMa~ a~<Mt.M<s, opinèrent dans le
j~~sen~ é triomphe dasu~atarel.
j~, cite Aubry le,fond du
~ë)~Ges~~
est la des pritTcipes 3â se
i~?j~~jre,
t~~ si3~fif qû'fln s"eïr. ~ier.né 'aux
~i~
à :totïc urie ré~onse et
~S~NM~~
t9

seront capables d'expérience. Telle est la seule chose qu'on puisse


espérer, et ce n'est pas peu. M« Ce que je combats, dit-il ailleurs,
c~est l'école qui croit à une éducation sacerdotale solide, à. un cierge

puissant en foi et en œuvre, sans une théologie aussi forteque possible~


sans donner à ia théologie une place plus grande, et la première
place dans l'éducation. Cette école prétend que, dans l'état actuel
de l'Eglise en France, la théologie n'est pas un besoin.'urgent, qu'on
n'a pas le' temps d'en améliorer, d'en élargir et d'en fortifier l'ensei-

gnement, comme s'il était une chose plus pressée que de donner
l'essentiel à la formation cléricale comme si certaines situations
pouvaient excuser la négligence du premier élément de cette forma-
tion et dispenser de commencer par là H Et prenant alors le tonde

prophétique sévérité. le P. Aubry ajoutait « Je regarde cette école


comme une ~Mf~ l'hérésie /:&'n:/< » Un de ses traits caractéristi-
ques, c'est le schisme qu'elle établit entre le fait et la réalité
proposée
par l'Eglise dans sa morale, et l'idéal offert à l'homme par Dieu dans
le dogme. Cette école dédaigne les hommes à principes absolus': ils
poursuivent, dit-elle, une idée chimérique, supposent une situation
impossible aujourd'hui, raisonnent sur des éléments imaginaires.
« Les devoirs et les vérités, dit M. de Maistre, ne peuvent se trouver
en opposition réelle; il y a entre eux une subordination qui varie
avec les circonstances, sans disparaître jamais. » On me reproche
de m'en tenir aux théories, de vouloirqu'on s'en tienne toujours aux
principes, de ne pas tenir compte des exigences pratiques et variables
des temps et des lieux. On a bien reproché aux Soirées de Saint-
FA~~OM~ d'être trop métaphysiques. « Ceux qui font, à ce livre,
un tel reproche, .répondent les éditeurs, ne savent pas que c'est
dans la métaphysique qu'il faut attaquer les erreurs qui corrompent
la société. Parce que les bases de cette science sont fausses, l'erreur
s'est glissée partout, jusqu'au sein de la vérité, c'est-à-dire jusque
dans les paroles et les écrits d'un grand nombre de ses plus ardents
défenseurs, n Je me permettrai d'en dire autant pour moi-
même c'est dans les principes traditionnels faut se réfugier,
qu'il
se retrancher, se fortifier, sans démordre ne transigeons jamais
avec les soi-disant exigences de temps et de lieu elles ne son
.que spécieuses e
Avant de partir aux missions, le P. Aubry ~s'était donc tracé un
plan idéal d'études théologiques il l'avait appliqué dans ses deux
chaires de professeur il s'était trouvé, par la contradiction, mis en

'<~MF.~MB~,p.MO. J ·
zo

demeure d'en écrire, pour tout réduire à l'éclat de l'évidence. Par

lapente naturelle d'un esprit avide de la pleine lumière, il était dès


lors entrainé, par une sorte de vocation, à parcourir savamment tous
les horizonsdont il venait d'esquisserles lignes; puis, par une seconde
vocation, conséquence de la première, lui, l'apôtre qui voulait évan-
géliser l'univers, il voulait, à plus forte raison, départir la lumière,

conquise par ses efforts, à ce clergé français, dont il venait de cons-


tater l'insuffisance, même parmi les professeurs. Le P. Aubry est là
tout entier. Le voilà'qui à un district du
part en Chine pour porter,
Kouy-Tchéou, l'Evangile de Jésus-Christ; mais il emporte avec
lui ses livres et ses papiers de professeur. Désormais, il sera partagé
entre ces deux tâches l'apôtre paiera sa dette aux âmes, comme un
débiteur ~~MM~M insipientibus debitor sum; le docteur paiera sa
dette à la France, en consignant sur le papier, à chaque station du
missionnaire, le fruit de ses études pour la réforme des séminaires.
Chaque jour, pendant sept années, s'i! n'est pas en voyage, portant
avec lui son bagage littéraire, comme Bias, il sera à ce travail que
lui impose la Providence. Voyez-le, dans son réduit enfumé et
ténébreux, au milieu des bambins qui s'époumonnent pendant que
les catéchistes chantent, il écrit. Dès qu'une page est achevée, il
la serre précieusement dans sa valise et, au retour, il enferme, avec
une prudente vigilance, tous ses papiers dans une malle. A sa mort,
cette malle reviendra en F rance; elle sera, entre les mains d'un plus
jeune frère, un trésor et une mine. Les deux frères Aubry, l'un
mort, l'autre
vivant, formeront désormais une association militante.
Augustin Aubry fera valoir les papiers de J.-B. Aubry, d'abord
pour protéger sa mémoire; ensuite pour ne pas laisser périr ces pré-
cieux fragments, enfin pour entrer dans la grande mission de réfor-
mateur des écoles. Le législateur souverain donnera sa bénédiction,
les deux frères iront de vertu en vertu. Et videbitur Deus deorum in
~!OM (Ps. LXXXV).

LES TRO!S VOLUMES DE CORRESPONDANCE

Le premier ouvrage du P. Aubry, c'est sa correspondance, c'est


la b~se et te couronnement de toutes ses œuvres; c'en est même le

complément pour beaucoup de détails d'application.


–2t–

Les.relations par lettres entre les absents sont chose inhëfenteâ


l'humanité. C'est un commerce pour les intérêts et plein
nécessaire
de douceur pour les âmes. Les anciens ne paraissent pas l'avoir
compris comme nous; leurs lettres, pour autant qu'elles nous restent,
sont rares, courtes ou s'allongent °n traités savants. Chez les

modernes, plus expansifs, parce qu'ils sont chrétiens, la correspon-


dance tient une grande place; elle se modifie suivant l'esprit des
races et le caractère des Les Français, en particulier, ont le
peuples.
ils aiment trop à parler pour ne pas se plaire à
génie épistolaire
écrire. Plusieurs parmi eux ont dû, aux petits papiers, une certaine
illustration. Parmi les dames,
la marquise on cite
de Sévigné, la dame
de Maintenon, Sophie Swetchine, Eugénie de Guérin parmi les
hommes, sans sortir de notre siècle, se présentent à notre esprit les
noms de Lacordaire et de Veuillot je n'ose pas rappeler Voltaire.
Le P. Aubry, dont la correspondance estforte de trois volumes, peut
affronter ces glorieux voisinages.
Dès le petit séminaire, ce jeune homme possède les éléments de

l'esprit littéraire il est attentif, réfléchi, sensible et prompt aux

réparties. Attentif, ilvoitto't; réfléchi, il examine tout; sensible,


il en éprouve une vive impression; et sous la vivacité de l'impres-
sion, jaillit le mot vif qui l'exprime à brûle-pourpoint. La délicatesse
du cœur, la gaieté de l'esprit, le pittoresque du langage, assaisonnent
toutes ses lettres. Grâce à sa facilité pour tout voir et tout com-

prendre, les lettres lui tombent de la tête la plume les saisit au

vol; à peine s'il a eu le temps de les écrire, que les voilà parties.
Ses parents, un brave curé Boulenger,ses supérieurs, professeurs,
condisciples,amis,sont!es premières personnes qui recoiventses con-
fidences. le temps, les relations
Avec s'étendent et les correspondants
se multiplient. Le P. Aubry est toujours le même franc du collier,
l'œil et le cœur ouverts, le sourire aux lèvres et la main tendue
Ftf bonus dicendi peritus.
Rendre compte des lettres est impossible. C'est une Encyclopédie,
sur toutes sortes de choses et de quibusdam ~/K.f. La première édition,
forte de lettres,laseconde réduite ~jo ne contiennent quedes lettres
sur la mission du Kouey-Tchéou. « Nous
peinte en vif, dit y avons,
l'éditeur, une âme qui se livre dans l'épanchement d'une causerie,
avec ses élans, ses pensées, ses impressions de chaque jour mais une
âme riche entre toutes, d'une pureté parfaite, d'une ardeur incroyable,
passionnée pour l'immolation d'elle-même au salut du prochain, âme

deprêtre, ~Ma~ un cœur fort, limpide comme le diamant


et d'une tendresse débordante une intelligence, merveilleusement
–-2S'

'~Qeéë~~bïe.uvée~ux m:êtUeures sources de la doctrine sacrée, eo<is-


~~mmeatea.~ei~doï!t!es~ns6es.ibne&el'M:g~ s'mcamaient
dans un style pdmesauttier, simple, clair, alerte, ému, plein de
saveur et d'humour. Tons ces trésors, J\-B. Aubry les sacrifia au
service des âmesles plus misérables et les; plus abandonnées,
dans la
chinoise du Kouey-Tchéou. » (Avant-Propos).
pauvre province
Un peu plus loin, l'éditeur ajoute « Après la prière, sa conso-
lation était d'écrire souvent et longuement à son père et à sa mère,
à son jeune frère, élève au grand séminaire de Beauvais, au prêtre
vénérable le premier confident de sa vocation, à quelques amis
demeurés fidèles à son souvenir. Il leur racontait, dans les moindres
détails, sa vie de chaque jour, de chaque instant et ces chères lettres,
aujourd'hui mouilléss de tant de larmes, apportaient à tous la joie
~t l'édification on les reUsait comme les épîtres d'un apôtre, on les
regardait comme un trésor.
« Hélas les voilà devenues des reliques et la mort du P.Aubry
a rendu la liberté à ses correspondants, qui avaient dû promettre de
n'en jamais publier, même un fragment, pendant sa vie. En dépit
de certaines répugnances de leur cœur et après avoir hésité trois ans,
ceux-ci livrent enfin à l'impression quelques-unes des lettres écrites
parle P. Aubry, depuis son départ
de France, jusqu'à sa sainte mort.
Encore une tois, c'est la correspondance d'un apôtre, qui consacre
aux âmes les forces qu'il va puiser en Dieu par une continuelle orai-
son. Mais aux effusions de la piété la plus tendre s'y mêlent les vues

profondes du théologien, les idées les plus justes, les plus neuves,
sur les choses et sur les hommes de notre temps et de notre
pays les observations
les plus vraies et les plus piquantes sur la
Chine et les Chinois, avec les mille saillies de cette galté charmante
des âmes pures et généreuses, semblables au cri joyeux de l'oiseau
délivré des filets et qui s'envole vers le ciel. »
En recevant ces lettres imprimées, l'homme le plus capable de les's
apprécier, Mgr Lions, vicaire apostolique du Kouey-Tchéou, écri-
vait à l'éditeur « Oh t Mt/iM~MM, jubes ~«o~~ dolorem. J'ai lu
avec le plus grand intérêt, ces lettres aimables, attrayantes et non
moins instructives, qui, hélas renouvellent en moi la douleur et
l'amer regret d'avoir perdu celui que ;e regardais comme le principal
soutien futur de la mission. Réellement, quel homm~ Quelle
t)e!'tepour.Ie Kouey-Tchéou et pour mo~. Si je n'étais bien
persuadé que persoRne n'est nécessaire, je me serais plaint à
Qiiemavec amertume, et j'ai versé un ruisseau de larmes, larmes

qui, taries ~~)~H~, reparaissent toutes les fois qu'on parle de ce


–23–

cher Père, ou que son souvenir me revient.


Je le cansid~a~.
déjà comme mon successeur Enfin, Dieu, qui voit plus loin que
nous, en a décidé autrement que sa sainte volonté soit faîte! Mais

je le répète encore quelle perte »


Le cardinal Mermillod ajoute, à ce témoignage paternel, -sa haute
confirmation « L'âme du prêtre et de l'apôtre, dit-il, se révèle dans
toute son admirable simplicité, dans toute son énergie pour le salut
des infidèles, dans toute sa tendresse
pour ces païens à qui il porte
Jésus-Christ. Les labeurs, les sacrifices, les immolations perpétueUe&
de ces existences d'apôtres apparaissent dans ces pages, que l'amour
fraternel a bien fait d'arracher à l'obscurité des confidences intimes.
Les mœurs, les habitudes du Kouey-Tchéou, de cette mission la.

plus pauvre et la plus difficile de la Chine,


décrites sont
avec le talent
d'un observateur impartial; et il jaillit, du contraste des ardeurs de

l'apôtre et de la décadence morale des populations qu'il évangëlise, une

apologie irréfutable du Christianisme. Comme la lecture de ces pages


saines et fortifiantes ferait du bien aux sceptiques et aux blasés, qui
traitent avec dédain notre foi catholique et les trésors du Christia-
nisme.
« J'ai connu, au séminaire de Beauvais, ce prêtre pieux et savant,
et ce n'est pas sans émotion que j'ai retrouvé mon nom dans une
de ses lettres il en avait gardé le souvenir sur le sol inhospitalier
de la Chine. Il est mort à la fleur de l'âge, à la veille d'être appelé à~
l'épiscopat. Si la gloire du martyre lui a manqué, on peut cependant
voir sur son front quelque reflet de cette auréole, puisqu'il est mort
à la suite de mauvais traitements que lui infligeait une foule ameutée
contre son apostolat. Votre publication a tous les attraits de la foi et
des voyages lointains. C'est la vision commencée des conquêtes
de l'Eglise et la révélation d'une grande âme. Il
La troisième édition de la Correspondance du P. Aubry est, &
peu de choses près, l'édition définitive elle
compte trois volumes
et atteint près de 1800 pages. Par son étendue, c'est une encyclopé-
die par la variété des matières, c'est un livre d'un attrait inimagi-
nable. La première chose qui nous séduit, c'est l'auteur lui-même.
Les premières lettres vous découvrent les espiègleries et les ten-
dresses de l'enfance. Bientôt les fortes qualités se développent et
fleurissent magnifiquement dans cette nature généreuse et vraiment
supérieure. Une haute raison, éclairée par la foi, est seule capable de
s'élever à ces hauteurs dont le monde ne soupçonne même pas l'exis-
tence. Comme le P. Aubry se peint bien dans ces lignes saisis-
santes à la fois de dëvouerient et de simplicité. C'est bien là un
S4

~rand coeur au service d'un


grand esprit, avec une pointe d'indépen-
dance que la grâce transforme en héroïsme de charité. Tout en lui
d'ailleurs est naturel et si original, qu'on le lit toujours avec le plus
vif intérêt. En disant les m&mes choses, il ne se répète point; pas
un mot, pas une idée qui n'ait
sa portée et sa valeur. Cette belle
âme se déroule d'elle-même, et même quand elle paraît s'oublier,
elle est belle encore. Son esprit est tout à fait au-dessus du vulgaire.
Mais ce qui domine, dans ces lettres, c'est l'esprit de foi, de piété et
de gaieté. Ces lettres, disait une dame, peuvent très bien servir
pour lecture de piété; elles sont toutes belles. On aime à voir les
âmes à nu;
après Dieu, c'est ce qu'il y a de plus beau. En tenant
compte égal des sentiments et des idées, le P. Aubry était aussi
bon qu'il était vrai son âme, vue dans son unité lumineuse, ne peut

que gagner par le multiple éclat de ses rayons.


Au point de vue intellectuel, pour une âme sacerdotale, l'esprit
général, la note dominante de ces lettres, c'est une ferme attache
aux principes et le radicalisme de la doctrine. Ce n'est pas avec des
effacements, des affectations de politesse ou des ruses de diplomatie

qu'on réussit quelque chose. Puisque les ennemis de la vérité se


disent radicaux, il faut opposer radicalisme à radicalisme et se cram-

ponner à l'intransigeance. Le sens vrai des choses se tire des profon-


deurs. A l'exemple des apôtres et de leurs dignes successeurs les mis-
sionnaires, il nous faut cette plénitude d'affirmation et de dévoue-
ment qui seule donne toute sa force à la parole. Un mot caractérise
le Père Aubry c'est le missionnaire théologien.
La seconde chose qu'on demande à cette correspondance, c'est
une vue sur la Chine. A ses yeux, la Chine est un pays enveloppé
des ombres de la mort. Ce voile de mort, il le voit étendu sur cet

empire qui ose se dire céleste; il lui semble qu'il le touche de la


main. Mon Dieu que c'est triste un peuple qui n'est pas chrétien 1
Et que veulent donc faire de l'Europe ceux qui travaillent avec achar-
nement pour lui arracher sa foi ?ê
Cette soi-disant civilisation, il la juge comme beaucoup d'autres
missionnaires. « La civilisation actuelle de la Chine, dit-il, est ce

qu'elle a toujours été depuis au moins deux mille cinq cents ans; car
c'est un pays immobile dans ses usages; et puis il reste des documents
innombrables, en tous genres, pour attester que la Chine a gardé le
~ttttM~Mo. Or, sa civilisation actuelle, à peu près à tous les points de
vue, est une monstruosité, non seulement antichrétiennë, mais aK-
~tWKKM~.
«On parle en France de leursriches bibliothèques, de leurs en-
–23–

cyclopédies, de cent mille volumes. C'est vrai, mais personne ne


les lit et on a raison. Ces tomes, sans rien qui les rattache les uns
aux autres, forment qui sëst
une masse accrue successivement,
et

pourtant chacun d'eux renferme très peu de matières. C'est comme

qui dirait cent mille volumes du journal le plus soporifique et le plus


banal qu'on puisse imaginer des discours d'éloges de celui-ci, de

celui-là, de ceci, de cela; pas une notion scientifique exacte, pas


une observation morale un peu fine, pas un trait touchant; tout au

plus un proverbe ingénieux. »


Le Chinois, lui, paraît un être au-dessous de l'humanité pas d'es-
prit, pas de cœur, une langue gutturale, un être goguenard'qui ne
trouve de beau que le laid, de bon que la turpitude. Le Chinois,

lorsqu'il devient chrétien, dépouille sa dureté païenne, sa face diabo-

lique il prend la forme de la douceur chrétienne mais, pour lui en


donner le fond, il faudra du temps.
Le point qui nous intéresse davantage pour le but de ce travail,
c'est, dans un grand nombre de lettres, la grande entente des tradi-
tions chrétiennes pour l'enseignement théologique et la formation
cléricale. Le P. Aubry n'est
pas. dans le mauvais
sens du mot, un
réformateur téméraire mais c'est le balayeur résolu de toutes les
idées mortes ou empoisonnées, qui nous viennent du gallicanisme.
Depuis trois siècles, un certain particularisme avait déformé parmi
nous, le dogme, la morale, la liturgie et le droit canon. On s'était
donc éloigné graduellement de Rome
pour faire profession de pré-
jugés nationaux, et ces idées fausses avaient apporté la peste. Les
actes des Pontifes romains et les définitions des conciles ont énervé
ces semences fatales de schisme
et d'hérésie; mais, à la longue, les
idées gallicanes avaient introduit certaines habitudes, certaines pra-
tiques, et nombre d'illusions, dont la funeste influence continue à
se faire sentir. Tout le monde se dit maintenant Romain des pieds
à la tête; mais on tient mo~MM aux vieilles routines, spécialement
pour la formation sacerdotale et l'enseignement méthodique de la
théologie. Le P. Aubry s'en exprime avec une fermeté de convic-
tion et une hauteur de vue qui commandent des réflexions graves et
d'importantes résolutions.
Le côté triste de la correspondance, c'est la mort de l'auteur. A la
fin, on est ému jusqu'aux larmes. Mort à trente-huit ans; c'est, sans
doute, un bel âge pour mourir. Si le P. Aubry était devenu évêque,
s'il était parvenu à l'âge d'un vieux missionnaire, son nom eût
sonné comme celui des Gousset, des Guéranger, des Plantier, des
Pie, des Veuillot et d'autres grands esprits, qui, tous morts qu'ils
~ëat< B~QttaeM aat8ïë avec, éclat sut t~ gé&étation cacteaipotame*
Malgré sa. ~mctpïematurée, les écrits, posthumes du P. Aubry ne
re&teM. pas. )ïM'in& comme les rayons brises d'ua astre deseendu trop
tâtsaos rhoHMm. S~ coKespondmee, en particulier, est, pour
i'EgUse, une haaaeM pour les missions, une gloire et, pont tous
les lecteurs, umdottxat<Eait,u& grand enseignement, un cher sou-
'veoir.

VI

L'EXÉCUTEUR DU TESTAMENT DE L'AUTEUR

La publication de la correspondance n'était qu'un jeu, un petit ef-


fort de diligence, avec toutes les joies du cœur et de l'êsprit. Il n'y
.avait qu'à recueillir paiiemrnent les originaux, à les classer selon
l'ordre chronologique, à les présenter cordialement au public, qui
pourraits'épancher dans ces étendues, s'élever à toutes les hauteurs.
La publieatioR des œuvres posthumes était une bien autre tâche. Les

papiers du P. Aubry fournissaient ta matière de dix forts volumes


in-octavo. Ces écrits datés, les uns de Rome, les autres de Beauvais,
les derniers des missions, étaient, les uns achevés ou à peu près, les
autres en ébauche. Le frère chargé de recueillir cette succession litté-
raire et de faire valoir cet héritage, était un tout jeune curé, en pa-
roisse depuis à peine quatre ou cinq ans. C'était à lui de présenter,
au clergé français, d'abord cette étude sur la méthode d'enseigne-
ment théologique, non pas brandon de discorde, mais jugementpro-
noncé contre nos aberrations nationales. Vous devinez, sans que
~ea parle, les perplexités d'un très hmnMe curé de Dreslincourt,.
cMig~, par piété fratermelle, àt se ptéseoter au clergé français et à
M dire: «, Vous avez déserté les tradittoas de l'enseignement ec-

clésiastique, ou du moins vous avez cessé de les comprendre dans


leur integri'té traditionN'eIle' etde les appliquer avec fruit. Vous
avez abandonné, dans la constitution des séminaires, les décrets du
eon'eile de 'EreMe, pour vous assortir aux exigences du gallicanisme.
Bepûis-tîMSsiec~YCHs.r~ vous rétrécissez
test t~ voB~éneiMx v0Hs ditMauez la patrie. Vous nous

~d~~t,~a!?jaou~~
la Franèe.
~gt~~F~~d~es~~ il ressortait de
°
,.if.
2y

Pour qui sait la solidarité absolue des écoles et de la politique, i!


est clair que lesdesunées d'un peuple tiennent absolument l'état
de ses écoles et aux évolutions de leurs progrès. Jetez les yeux sur les
siècles de notre histoire
que voyez-vous? Vous voyez la
.quinze
Gaule, dès le iv° siècle, éprise de science et puisant, dans son savoir,
l'instantanéité de sa constitution. Pendant qu'elle envoie ses fils aux
écoles des monastères, des presbytères et des ëvêchés, les races se
fusionnent par les idées et l'unité s'établit. Lorsque l'école palatine
se superpose aux écoles antérieures et, par son institution progres-
sive, engendre les Universités, la nation, ferme à son centre, se di-
late à toutes ses frontières. L'état des terres et l'état des personnes
se transforment; les esclaves deviennent serfs, les serfs, hommes
libres la féodalité s'étend, les communes
s'affranchissent; la France

grandit toujours, parce que ses écoles s'accroissent et se multiplient;


et parce que, par les écoles, la scierce théologique produit les

grandes sommes du Moyen Age. L'extension continue de la science

implique l'extension continue de ]a patrie trançaise. Depuis trois


siècles, changement de front. La fondation des séminaires coïncide
avec la construction bâtarde des thèses gallicanes. Les idées se rétré-
cissent l'étroitesse des têtes amène le rétrécissement du territoire.
Le recul de la science, c'est le recul de la France. En suivant ce pa-
rallélisme, presque fatal, nous subissions, hier, un démembrement;
demain, nous pouvons perdre notre indépendance.
Ces faits d'histoire font frémir mais peu de Français y font at-
tention. Au lieu de se croire en décadence, ils se croient plutôt en
progrès et sont'fiers surtout de leur science nous pensons que nos
malheurs présents proviennent, en grande partie, des destructions
révolutionnaires. Nous ne contesterons pas que les Français, et sur-
tout le clergé, ont déployé, pour la conquête de la liberté d'ensei-
gnement, une vraie bravoure. Nous admirons avec quel zèle ils
ont su bâtir des écoles, créer désFUtiivërsités et recruter des pro-
fesseurs. C'était une idée re~e, une espér nce légitime, que nos
Universités allaient nous re e les docteurs et les paladins. La
France, restituée en pleine lamière, allait reprendre la trame in-
terrompue de ses antiques gloi s. Dans 1 ait, pourquoi des écoles
de hautes études, si elles n'avaient~asTavant tout, pour but, la cen-
tralisation de l'enseignement catholique, la réorganisation des études
à tous les degrés, la haute direction du clergé dans son ensemble,
la mainmise sur la masse de la nation, par la réforme des idées et
la restauration parfaite de la vie chrétienne ?
Nous savons, et le libéralisme, triomphant aujourd'hui dans la
-2~

pratique des choses comme dans la théorie des doctrines, suffit am-
plement à nous apprendre si la France peut se promettre ces résul-
tats heureux. Depuis 187;, les Universités catholiques ont eu le

temps d'atteindre leur idéal il leur suffisait de produire l'homogé-


néité doctrinale, d'organiser la centralisation intellectuelle, enfin
d'étendre sur toute la France un réseau dogmatique dont chaque
prêtre aurait tenu solidement, dans sa main, une maille. Une
seule institution dans la main du Pontife infaillible; cette institu-
tion se dédoublant en plusieurs écoles autant de phares portant la
vie aux intelligences, distribuant la lumière théologique, les éléments
surnaturels, l'énergie, l'unité d'action et de lutte, jusqu'aux membres
les plus éloignés des églises de France. Tel était le programme dicté
par le bon sens, tracé par Pie IX, confirmé par Léon XIII.
Malheureusement, autant d'écoles supérieures purent se fonder,
autant de méthodes différentes prévalurent, autant de têtes eurent
d'idées et de sentiments personnels. La conséquence immédiate fut
l'isolement. Chaque Université vécut chez elle, difficilement, au
jour le jour, mais se félicitant beaucoup. en attendant la mort.
L'Université de Poitiers, si admirablement organisée, si pure de
toute tache, est morte de cet isolement. Le cardinal Pie lui avait
donné l'existence; or, si grand soit-il, un évêque meurt, et son
œuvre disparaît avec lui. si elle ne se rattache à des principes et à
des institutions indépendantes des individualités. Pour d'autres
causes, d'autres Universités sont condamnées
à mourir, soit par les

principes délétères qu'elles portent dans leur sein, soit par le crime
de la Révolution qui les tuera pour les dispenser de mourir. Tant il
est vrai que, dans notre malheureux pays, « la faiblesse du bien est
plus à craindre encore que la force du,mal. »

Que cette grande œuvre dcla restauration des études et de la France

catholique par les Universités, ait manqué d'homogénéité; qu'elle


subisse, plus que jamais, les vicissitudes intellectuelles des institu-
tions humaines, et ne produise pas les résultats que l'Eglise en espé-
rait, cela ne fait doute pour personne. Dépuis la fameuse polémique
sur la composition des corps, en 1876, à l'Université d'Angers, jus-
qu'aux étranges théories professées ailleurs, pendant ces dernières
années, en matière
d'exégèse, d'apologétique, d'histoire, de tradi-
tions scolaires, même de science et de direction générale des esprits,
le ctMTtEM~MWwt~ de plusieurs grandes écoles est marqué par des
événements intellectuels, qui laissent dans l'esprit une fâcheuse im-

pression.
A l'exception des Facultés catholiques de Lille, qui, grâce à un
-'29

choix remarquable de professeurs, ont formé une organisation solide,


des traditions durables et de tous points conformes à l'esprit de
nous avons eu la douleur de voir se former, dans
l'Église,
d'autres écoles, un courant libéral, des traditions particularistes,
tout un ensemble de théories malsaines, dangereuses, qui allaient
produire leur fruit sans retard. Hëlas il en est des idées emportées
d'une école et jetées aux quatre coins de la France, comme d'une
traînée de poudre. La tendance des disciples, enclins à exagérer en-
core les doctrines du maître et devenus à leur tour éducateurs, donne,
à l'installation des idées libérales et des théories rationalistes, une
facilité
déplorable et un succès digne d'une meilleure cause.
Sans doute, les vingt-cinq premières années de nos Universités ne
sont pas sans gloire sans doute, si elles n'ont pas encore produit
ces grands théologiens, ces savants solides, ces esprits d'élite, pro-
mis à la France par leurs fondateurs elles ont formé déjà de nou-
velles générations, soufflé un esprit nouveau. Nous ne sachions point
toutefois qu'elles aient largement concouru au renouvellement des
études dans les séminaires, à la réforme dans la masse du clergé, et,
par suite, dans l'ensemble de la nation.
Il y a lieu de se demander d'ailleurs si ces générations nouvelles,
si cet esprit nouveau, sont formés sur une méthode absolument saine,
nourris d'une doctrine
rigoureusement scolastique. Problème du

plus haut intérêt, question d'une gravité exceptionnelle, puisqu'il


s'agit de la vie chrétienne et du salut de la nation. Nous laissons à
d'autres le souci d'une solution en règle; nous nous permettons
seulement d'observer que, dans la pratique des hommes et des

choses, en sens contraire des fruits que la France devait recueillir de


nos grandes écoles catholiques, les doctrines s'altèrent de plus en

plus, les hommes du principe se font tellement rares, qu'ils sem-


blent des revenants d'un autre âge, des esprits moroses, voués fatale-
ment à l'insuccès.
Nous avons rencontré, dans toutes les branches
de l'enseignement,
dans tous les champs du ministère apostolique, un très grand
nombre de disciples de nos Universités. Chez eux, invariablement,
et sauf quelques exceptions heureuses, nous avons généralement
constaté un certain pédantisme, qui pousse facilement à la morgue,
une science a trop absorbé
qui la foi, peu de sens surnaturel, une
réelle dépression sacerdotale. Notre formation ecclésiastique fran-
çaise est venue aboutir, en dernière analyse, à donner au prêtre je
ne sais quelle personnalité indéfinissable, complexe, pétrie d'idées
heurtées, d'éléments inachevés, de doctrines incomplètes, de théo-
'T
tte's~asses ou inexactes veritable.tuniqae de Nessus qui rëtfëcit
r~Me, aa lieh de l'élever à cette foi/supërieure, puissante en oeuvre,
qui s'appelle la JMMM~o~/à cette fécondité d'apostolat, à cette
exaltation du sacerdoce, si admirables dans saint Paul, dans les
grands théologiens et dans les grands missionnaires de la sainte
Eglise.
Nous voudrions donner, au tableau que nous esquissons rapide-
ment, une teinte moins sombre. Indubitablement nous serons ac-
cusé de la pousser au noir, enesprit chagrin, hanté de préoccupa-
tions personnelles. Déjà l'ceuvre du P. Aubry n'a-t-elle pas été
taxée d'exagération, d'injustice. de parti pris, de violence, d'ultra-
montanisme incorrigible. La plupart de ses adversaires ont surtout
crié à l'imprudence; ils ont cité l'exemple de l'Eglise romaine qui
n'agit qu'avec une sage lenteur; ils ont trouvé que J.-B. Aubry allait
« trop vite et surtout « trop loin ». Hélas l'erreur aussi va trop
vite et trop loin; il n'appartient pas aux défenseurs de la vérité de
se laisser distancer par les suppôts de l'Enfer. C'est ce que nous
crient, après Pie IX, après Léon XIII, depuis cinquante ans, les
hommes les plus distingués du sacerdoce et de l'enseignement ca-
tholique. On a essayé de tous les procédés pacifiques, cherché la

paix à outrance, la conciliation quand même. Et non erat ~Mc.


La prudence n'est pas cette pusillanimité doctrinale qui a nom
libéralisme; la prudence n'exclut ni l'action, ni la lutte énergique.
Les actes de Pie IX et de Léon XIII, la lutte pour la liberté d'ensei-
gnement, la campagne pour le rétablissement de la liturgie romaine,
les controverses sur !e Syllabus, les grands combats autour du Con-
cile œcuménique, l'appel pressant à une restauration des méthodes
scolastiques, à la concentration des forces catholiques, nous disent
assez haut comment l'Eglise entend et pratique la prudence.
Aujourd'hui, sur toutes les questions vitales, la lumière est faite,,
la direction tracée, la marche éclairée jusque dans ses plus petits
détails. Mais pratiquement, sous prétexte de prudence, les nombreux
tenants du gallicanisme et du libéralisme continuent à discuter les
ordres de l'Eglise, à contrecarrer les ordres
du Pape pour s'éviter
l'eflort et les sacrifices du combat, ils cherchent à plaisir l'équivoque
et les distinctions subtiles tout en acclamant les actes pontificaux,
ils se cabrent et se dérobent de plus en plus, avec une fine diploma-
tie, contre les direction~ et injonctions du Saint-Siège. Les pro-

positions sout'B&ises~ sont 'dans leurs habitudes. Le premier moteur

etje prehiier&ui~ ce monstrueux


doctrine's,
appétit de~ hônneurs què, appellerons volontiers un attentat à
31
la vie de l'Eglise. Cette
ambition, arrivée au paroxisme où nous

l'avons vue parfois monter chez certains ecclésiastiques, est un véri-


table esprit subversif de la foi, une amorce de schisme, un commen-
cement d'apostasie.
Le Aubry, du P.
sur nos écoles, a paru
jugement théologique
sévère. Cependant, répond-il, je n'ai pas écrit par boutade et me
suis bien retenu pour ne dire, de ma pensée, que ce qui me
semblait certain. Je crains que cette œuvre des Universités né soit
commencée trop laïquement. On se jette dans le faux avec un en-
thousiasme déplorable. Espérons que, plus ttrd, les Universités su-
biront une modification profonde, consistant surtout à centraliser
toutes leurs forces en une administration et une institution unique,
inspirées, plus directement et plus pratiquement, par Rome. Car, re-
marquez-le, les évêques fondateurs se proclament ultramontains;
ils crient que leur œuvre est tout imbue d'esprit romain. Je crois le
contraire, et les controverses, qui se sont déjà élevées dans ces
hautes écoles, sont la preuve éclatante d'une méfiance pratique contre
les idées romaines pratiques. Particulièrement, le factum du Dr Bour-

quard, sur la composition des corps, m'a paru horrible comme esprit
et comme pronostic. Il est la falsification d'une vérité dont Bour-

quard s'arme contre plusieurs ecclésiastiques éminents Bottalla,


Ramière, Palmieri, comme s'arme un voleur
d'un bon fusil,
contre le propriétaire même de cet instrument. Il les travestit en
des contempteurs de saint Thomas et de la scolastique, dont ils ne
se sont écartés dans des
points accidentels
que et pour qui ils ont
plus que du respect. Il exagère et rend fausse et dangereuse l'obéis-
sance qu'on doit à saint Thomas et à la scolastique, qu'il faut suivre
au fond et dans l'ensemble, mais dont on a raison de s'écarter en
quelques détails. II trahit certaines antipathies intellectuelles étroites
et périlleuses. Il accuse les Jésuites de faire une guerre sourde aux
Universités et il leur déclare la guerre. Symptôme désolant, eeuvre
hâtée, œuvre malsaine »
Cet épisode de la vie des Universités catholiques fait toucher du
doigt la tendance fâcheuse d'exagérer chez nous, et par là même de
fausser les directions de l'Eglise. Un attachement excessif, exclusif
et absolu à la scolastique, n'est-il pas lui-même antiscolastique, an-
tithéologique et anticatholique. Il n'y a que l'Eglise à laquelle on
doive s'attacher à ce point. Que, dans quelques questions spéciales
et déterminées par le progrès des sciences physiques et chimiques,

1
Correspondance inédite, t. II. Lettre du 6 mars 1878.
~~s~

tes scolàsttq~ës iMûde~ s'écartent de saint Thomas, cela n'em-

peëhe pas dejevënéter; c'est même le moyead~~ vénérer en l'ex-

pHquaat:avecin~ë!ligence.
« Ily a, dit encore Je P. Aubry, une tendacce réactionnaire et
funeste, qui, par excès, fera avorter le retour la scolastique. Excepté
l'amour de Dieu et de l'Eglise. tout autre amour peut être faussé
par excès. Saint Thomas lui-même refuserait non seulement par
esprit d'humilité, mais par justice et par esprit catholique, le rôle

que veulent lui donner nos contemporains »


Mais nous nous oublions à sortir ainsi de notre rôle de rappor-
teur. A d'autres de traiter magistralement, d'Illuminer, de résoudre
cette question capitale de l'enseignement supérieur. Pournous,
notre rôle, plus modeste, nous amène uniquement à résumer ici
les enseignements du P. Aubry, sur l'organisation extérieure et
intérieure des écoles. Il est superflu d'ajouter que nous parlons stric-
tement d'après ses ouvrages, en particulier d'après les deux éditions
de la Méthode. Les œuvres complètes du P. Aubry, en leur texte

authentiquf, justifient, par la spontanéité de leur inspiration et par


la sincérité de leur enseignement, les craintes, les anxiétés, les ap-

pels, les vœux patriotiques et pieux, du missionnaire théologien.

vn

COMMENT A ÉTÉ FAUSSÉE


LA MÉTHODE D'ENSEtGNEMENT TBËOLOGIQJJE D'ABORD
DANS L'ORGANISATION DES ÉCOLES

La méthode est le procédé pour parvenir à une connaissance. Au-


tant d'objets et de modes de connaissance, autant de méthodes. Les
méthodes, eu égard aux facultés qu'elles dirigent et aux besoins
qu'elles veulent,satisfaire, offrent toutes certaines analogies; elles
diffèrent pourtant suivant qu'elles nous initient à la connaissance
ou la pratique des sciences, des arts ou des métiers. Lorsqu'il
s'agitde science, soit pure, soit mixte, la méthode comprend deux
choses l'organisation des écoles et l'organisation des études.

Seloanbus, un vice de méthpdëiaétë la principale cause de la

''G~M~t~t~ i87&.
-u-

ruine des études théologiques en France et des malheurs de notre

patrie. Il faut nécessairement et courageusement corriger ce vice,


si l'on veut relever les études sacerdotales, les replacer dans leur
véritable voie et sauver notre pauvre pays. -Comment s'y prendre?
L'histoire va nous
{'expliquer.
La question d'enseignement en général, est le fond du travail qui.

s'opère, des idées qui se remuent, de la lutte qui s'agite en France.


Dans une société, toutes les parties se tiennent; mais le sacerdoce
est au centre et à la base c'est
lui qui forme et qui laisse déformer
c'est par lui qu'entre le b~.sn, c'est lui qui laisse entrer le mal. C'est
donc à lui qu'il faut d'abord pourvoir, si l'on veut le mettre en me-

sure, non pas de prendre sa part dans l'œuvre du salut, mais d'ac-

complir lui-même cette œuvre tout


Quand on voudra entière.

prendre le mal par sa racine, ce ne sera point par la restauration des


écoles laïques qu'il faudra commencer, mais par celle des études sa-
cerdotales. L'enseignement théologique, voilà le fond de cette ques-
tion d'enseignement général et, en définitive, de toute la question
sociale. C'est le sacerdoce qui a fait les nations chrétiennes; il les a
faites par l'enseignement; c'est lui qui doit les refaire par la doc-
trine. Le sacerdoce se forme dans les séminaires, et, dans les sémi-
naires, la substance de la formation sacerdotale, c'est l'enseignement

théologique. Voilà donc l'endroit où il faut regarder.


Le passé est l'école de l'avenir. Pour constituer solidement
des écoles cléricales, il faut s'enquérir des vieilles traditions.
Un coup d'œil jeté sur l'histoire nous apprend la constitution
traditionnelle des écoles sacerdotales. D'abord leur organisation
commence par la théologie. L'Eglise lui donne, non pas une place,
mais la première place; elle l'établit reine des sciences el'e subor-
donne à elle, base sur elle, fait pivoter autour d'elle, tout l'en-
semble des études elle fait, de l'enseignement théologique, le fon-
dement, le contrôle actif, la règle doctrinale des autres facultés. C'est
le cœur, le tabernacle des études; de là, vient l'idée première et
l'impulsion générale; de là partent la lumière et les principes mis
en œuvre dans les autres parties de l'enseignement.
La chose importante, principale, première, dans la fondation
d'une école
de prêtres, ce n'est donc pas l'installation matérielle
ce ne sont pas les bâtiments ce n'est même
spacieux; pas le choix
du personnel, encore que le talent ait un grand rôle à jouer; ce ne
sont pas surtout les beaux discours où l'on parle. du relèvement
des gloires du passé, des grands travaux d'autrefois, du couronne-
ment de l'édifice des sciences. Le principal, c'est l'esprit, c'est la
LE P. AUBRY a
~4.-

doctrine, ce sont les principes, le mécanisme Intérieur des études,


les programmes à suivre, les moyens d'assurer l'unité d'esprit et de
méthode dans l'enseignement. Le point capital, c'est que la théo-

logie soit la pierre fondamentale de l'édifice, et qu'en même temps


elle soit mise à sa place, qui est le trône. La théologie est la reine
des sciences; les autres sciences ne sont que ses suivantes, ses filles
de service ou ses demoiselles d'honneur; c'est la théologie qui règle
leur fonction, dirige leurs forces et marque leur but.
La théologie étant le sommet des sciences, !e plus haut degré de
culture intellectuelle, n'a pas, à proprement parler, d'enseignement
élémentaire. Si l'on veut entendre par enseignement élémentaire ce
qui se fait aujourd'hui dans beaucoup de séminaires de France, cet
enseignement n'est pas l'enseignement théologique, c'est un caté-
chisme plus développé, voilà tout. Par l'enseignement commun de
la théologie, il ne faut pas entendre, non plus, des cours supérieurs,
des envolées vers les hautes cimes, mais si haut que le commun des
mortels n'y puisse prétendre. La théologie des écoles doit être
élevée et pratique; elle doit former des apôtres, des pasteurs, la masse
du clergé, et non pas seulement quelques heureux privilégiés, qui
&ijnt peut-être des études transcendantes, qui deviendront d'il-
lustres docteurs, qui formeront une sorte de Sénat intellectuel, mais
dont la science n'exercera pas, sur le peuple, une influence décisive.
L'enseignement à donner en théologie doit s'adresser à tous les
prêtres, pour inspirer, à leurs œuvres, son esprit et sa direction. Le
séminaire diocésain doit donc être la faculté de théologie on dé-
pendra d'elles pour les études c'est un point essentiel de la bonne
méthode, parce qu'au séminaire, il y a toujours des auditeurs, parce
que ces auditeurs sont destinés à l'action et deviendront un jour la
partie active et influente du clergé.
Viser plus haut, ce n'est pas seulement s'exposer à se perdre dans
les nuages, c'est se désintéresser de l'action. Fortifier l'enseignement
commun, le développer, l'élever à son maximum de puissance
voilà le but. C'est en's'appliquant au solide, en soignant avant tout
les études de tous les clercs, qu'on finit par faire de grandes choses
sans les chercher.
Dans nos écoles de théologie, on ne doit pas viser plus haut que
saint Thomas,. je suppose. Or, saint Thomas, en déSnitive, n'était
.qu'uHi.pro&ssëur, sa chaire n'était pas un objet de luxe, ni son
'~E'~r~Wtë~~a~érttte~poùr'Ies~ rois de l'intelligence. Nous ne voyons
~.n~J~;q&~ ait visé & un ~nseignement;Supérieur, destiné à un

~cS~tt~]JÈ.<~is/'mêa]e;voi)''le contraire dans ce prologue


=~ î

si simple et si bref de la Somme théologique, où il a l'air de prétendre

qu'il s'adresse au commun des étudiants, et même aux commen-

çants. Or, ses élèves, dont il se faisait apparemment comprendre,


éh.ient trop nombreux pour être tous des intelligences supérieures.
La forme même et le détail de ses ouvrages mettent en relief sa

ligne de conduite. Les plus beaux sont les pijs simples, ce qui fait
leur valeur en même temps que leur solidité. Saint Thomas expli-
àseséteves, les livres
classiques d'auteurs qui ne le valaient
quait,
sa Somme est un précis, aussi condensé que possible, et sa pré-
pas
tention était d'en faire un manuel de l'enseignement, à la portée du
de la moyenne des esprits. Saint Thomas ne dédai-
grand nombre,
gnait pas même le Cowp~M/M ~o/a~s, comme qui dirait une
théologie à l'usage des gens du monde. On peut appliquer cette re-

marque à d'autres grands théologiens, par exempt: saint Bonaven-


ture, qui s'en explique, en termes curieux, dans la préface du Brevi-

loquium. En théologie, plus peut-être que partout, la simplicité est


la compagne, la condition et la marque de la grandeur.
La théologie en tête de toutes les sciences, leur fournissant des

principes, des lumières, des règles, un but, les coordonnant, les gou-
vernant par une loi de subordination; puis la théologie enseignée
d'une manière élevée et pratique, sans rester confinée aux éléments,
sans se perdre dans les nuages voilà les deux premiers points de
l'ancienne organisation des écoles. Le troisième point, c'est que les
écoles étaient reliées entre elles par une cohésion, l'une commen-

çant, l'autre couronnant l'oeuvre,


conçue dans un même plan, ra-
menée au même but, réglée dans toutes ses parties comme un
membres
grand corps dont tous les assurent l'heureux mouvement.
L'enseignement présentait une belle entente, un ensemble harmo-
nieux, un solide réseau les écoles presbytérafes, épiscopales et mo-

nastiques étaient rattachées aux Universités par une admirable


concordance. A l'intérieur, une belle hiérarchie assurait le fonction-
nement de chaque école au dehors, toutes se tenaient par une ferme
adhérence, comme les tentes d'un
camp ou les pavillons d'une ar-
mée rangée en bataille. Les hommes d'une école, professeurs ou
élèves, pouvaient se transporter dans une autre pour y enseigner, y
achever leurs études ou simplement pour y prendre part aux dis-
cussions, sans y trouver ni une organisation, ni des principes diffé-
rents, sans être gênés par la forme inconnue des méthodes ou le
fond particulier des doctrines. Les écoles florissaient sous la loi de
l'unité et si chacune présentait ses caractères distinctifs, toutes re-
connaissaient un droit commun. Le droit des évêques n'était point
lèse, l'Université n'avait pas moins, sur les autres établissements,
son contrôle, soit en nommant leurs professeurs et directeurs, soit
ett déterminant les conditions d'aptitude et d'admissibilité qu'ei'ss
exigent d'eux; soit en imposant des livres d'enseignement, des pro-

grammes, des méthodes, la division, la répartition et la durée des


cours, le détail et le mode des exercices soit en s'assurant du cours

régulier dés choses, par des examens, des disputations, des inspec-
tions. Tout se faisait sagement et selon l'ordre Omnia bonesté et se-
CM~~M O~MMM.
L'institution des séminaires, ordonnée par le Concile de Trente,
ne fut appliquée en France qu'à une époque où le gallicanisme s'in-
filtrait dans les esprits, et où le jansénisme, moins puissant, faisait
tourner nombre de têtes. Serait-il téméraire de penser que leur or-
ganisation intérieure se ressentît de l'esprit propre, sous l'influence

duquel elle a germé et pris ses principaux développements. Le galli-


canisme et le jansénisme ont gâté tant d'autres choses en elles-
mêmes excellentes; et celle-là devant être si précieuse à conquérir,

pour la détourner de son but. Le fait est que l'institution des sémi-
naires ne fut pas entendue et pratiquée en France, comme dans les

autres pays où ne prévalait pas le gallicanisme. Les séminaires, parmi


nous, s'isolèrent les uns des autres comme les diocèses, pour s'orga-
niser et se gouverner chacun à sa façon. En les examinant de près,
dans chaque diocèse particulier, vous découvrirez d'incessantes va-
riations, des changements d'idées et de pratiques, un manque de
suite dans les idées, une absence de tradition qui
s'explique par le
défaut d'unité. De là cette décadence de la théologie, ce désarroi de

l'enseignement, où l'on devait fatalement aboutir. Les Universités,


sous l'influence d'un ensemble de provinces et d'écoles, fournissant
encore une harmonie secondaire, furent à leur tour isolées des sémi-
naires et le vide se fit autour d'elles. Bientôt diminua le nombre des
élèves; l'Université fut réduite au rôle d'académie de savants, tra-
vaillant pour leur compte, sur des étude}: spéciales, plus ou moins
relevées dans leur objet académie libre, sans attache directe
avec l'Eglise, plu& corps avec le réseau des écoles
ne faisant ecclé-

siastiques, n'ayant plus d'action assurée sur l'enseignement, ni d'in-


Buence sur le ministère. Quand l'Etat met la main sur les Universi-
tés, Nies prend comme ellesjle méritaient: T~- ~s~M~ ~MM, ~r
't~~M~
dernier~t~~con~létâ~ des écoles l'unité était
,1~ mai~tgn~ des Pontifes Ro-

~~&a~g@~et~;me~ éputle ministère de


"37–

~'instruction catholique, et, spécialement pour la


théologie, le mi-
nistère de l'enseignement sacré. Cette belle hiérarchie, embrassant en
un seul ordre toutes les écoles, aboutissait à un centre commun.
'Rome avait donné la charte de fondation des Universités Rome
donnait aux chefs l'investiture à tous, la direction spirituelle et,
en cas de conflit ou de dissentiment, Rome tranchait les controverses
ou jugeait les procès. Les lumières du gouvernement,
et les
grâces
divinement conféré à la Chaire se répandaient, comme
Apostolique,
un parfum, sur toutes les écoles de la chrétienté. l'établisse-
Après
ment même des églises, peu d'institutions peuvent se à
comparer
.ces instruments de formation intellectuelle et morale, moules d'où
sortirent tous les grands hommes de l'histoire.
Ici encore, le gallicanisme fit sentir son influence néfaste. L'auto-
rité du Pape son
étant affaiblie dans exercice, chaque Evêque fut, de
fait et dans la même proportion, dans son diocèse, et le pape et la
loi sans appel c'est un fait connu, et l'on n'est plus en dé-
exposé,
nonçant une aberration si déplorable, d'être accusé de mauvais es-

prit. Le mal n'était pasquel'év&que, pasteur et


juge de la foi, eût la
haute main sur la formation de son clergé le mal était qu'il le for-
mât d'après ses idées personnelles, non d'après les principes et l'es-

prit de la sainte Eglise et ce que je dis des évêques, je le dis d'un


fondateur quelconque de séminaires, individu ou congrégation. En
dehors du lien les Evêques n'eurent plus, pour main-
hiérarchique,
tenir l'unité, que leur De là, ces principes doctri-
propre Sagesse.
,naux, ces pratiques d'ascétisme singulier qui varient souvent de dio-
cèse à diocèse. Il n'y avait plus ni ensemble, ni direction unique,
émanée de Rome, pour influer sur l'enseignement des diverses
écoles, contrôler leurs méthodes ou leurs principes.
On a dit que cette centralisation des écoles, autour du centre ro-

main, d'où partaient le mouvement et la vie, n'était pas possible,


.qu'elle était antipathique à la diversité des tempéraments, qu'elle
enchaînait les maîtres et les élèves. Cet argument,
paralysait poussé
A fond, conclurait en faveur du protestantisme et du libre examen.

Quand il s'agit du pouvoir civil, ce n'est pas seulement la centralisa-


tion de l'éducation, c'est l'éducation même qui est funeste entre ses

mains, et qu'il doit remettre tout entière à l'Eglise, parce que l'édu-
cation de l'homme, dans les sociétés chrétiennes, est la fonction
et exclusive de l'Eglise. De ce que la centralisation est funeste
propre
aux mains de l'Etat, impuissant à gouverner les âmes, il ne s'ensuit

pas qu'elle ne sera pas possible, salutaire, nécessaire même, dans


.celles de l'Eglise, surtout en matière de théologie. Etablir absolument
?-~8.

cette impossibilité de la centralisation, quand elle n'est funeste que


par suite de l'incompétence radicale du pouvoir civil, c'est déroger à
la juste notion de l'Eglise, à ses droits, à la dignité de sa situation.
Ce f'cM ''Mb centralisation qui est funeste, c'est l'ins-
en elle-même
trument politique qui s'en est emparé pour asservir les consciences.
Cette centralisation n'est pas une tendance moderne, c'est un fait

antique. Pour être une perfection et devenir un progrès, la centrali-


sation ne qu'à être mise à sa place,
demande rendue à la seule

puissance qui ait mission et grâce d'état pour l'exercer c'est l'Eglise

qui a reçu cette mission et qui possède cette grâce.


A ce prix, loin d'être un abus et un danger, la centralisation ca-

tholique des écoles est la manifestation de cette unité de l'Eglise, qui


est, dans le passe, le grand fait de l'histoire; dans le présent, la

grande force du catholicisme dans l'avenir, le gage des espérances


à préparer par des combats.
En quatre mots, prépondérance souveraine de la théologie, en-

seignement de la théologied'une manière libre et pratique, coordina-


tion des écoles ecclésiastiques, et centralisation des écoles autour de
Rome voilà l'organisation traditionnelle des établissements scolaires
de la sainte Eglise.
Ces quatre mots retentissent en France, comme le bruit de la
foudre. C'est le glas pour tout ce qui doit périr. « Je sais bien, dit
le P. Aubry (un rénovateur de la science), que tout cela est un ren-
ï~r~Me~ de l'organisation- qui existe elle n'est pas si précieuse à
conserver tout le monde
sait qu'elle est gallicane, et sa stérilité est

prouvée avec surabondance et par les principes et par l'histoire. Je


sais bien aussi que certaines familles enseignantes, très respectables à
beaucoup d'égards, mais absolument opposées <! priori à tout change-
ment venu du dehors, même dans le sens du retour à des traditions

plus autorisées et à des idées plus saines, se refuseront pour elles-


mêmes à cette réforme qu'elles prennent pour une innovation qui.
aura beau avoir le mérite de prendre sa source à Rome, si elle a le
tort de n'êtrepas prévue dans la lettre de leurr&ghment, inexorable
comme le destin. Qu'importe? On lès laissera, en dehors de ce cou-
rant vraiment catholique, s'éterniser dans leur organisation vermou-
lue qu'elles prennent pour la tradition Il a bien
fallu se pas-
antique.
ser de leur concours et même de leur
assentiment, pour quitter les.
principes gallicans on s'en passera bien encore pour quitter les mé-

thadesgallicanes, oui n'ont été &ites que pour servir de cadre à ces
~riasipes et qui n'ont pas d'autres raisons d'être. Elles finiront, du
rëjste, par venir, b~n gré mal aux méthodes romaines, quand il
–39--

ne sera de faire autrement, comme elles ont fini, dit-on,


plus possible
venir aux principes romains, non pas sans doute au
premier
par
les auteurs de ce mouvement où tout le monde avant
rang parmi
elles avait senti le doigt de Dieu, mais au moins à la remorque et en

cette et former ce vœu, ce n'est


arrière-garde. Exprimer espérance
à leur bonne volonté et à
pas leur manquer de respect, ni refuser
leur vertu méritent. »
l'hommage qu'elles
Je ne demande pas à ce radical à qui il en veut; j'ai peur qu'il ne

soufflette, en passant, de son gantelet victorieux, ces usages, aussi


immuables les pyramides, et moins respectables. Du reste, il
que
ajoute sans broncher « Ce renversement est de sa nature inoffensif,

quand il est pratiqué avec


sagesse; il n'exige ni ressources nou-

velles, ni génies extraordinaires, ni presque aucun changement sous


le rapport matériel, mais seulement un remaniement courageux et

complet du mécanisme intérieur des Etudes, et puisqu'on veut


une restauration des Etudes, il faudra bien en venir là. On a posé
des principes ils germeront quand même, et produiron.t leurs

fruits; ou bien, si on les empêche, ils disparaîtront encore; car


c'est le propre des idées catholiques de ne pouvoir à la fois vivre et
vivre stériles. Ce qu'on veut faire, en somme, c'est l'application de
l'.H<& Romaine aux Etudes sacerdotales. Vous pensez bien qu'on ne

peut pas greffer l'idée romaine sur une organisation Dans


gallicane.
la situation actuelle, un changement profond comme doit l'être la
restauration des sciences sacrées, selon la forme antique, ne se fera

pas sans une profonde modification de tout ce qu'ont fait les gallicans.
Une restauration faite sur ce plan et ainsi arrêtée ~K-e/MMM serait
et malsaine l'essai avorterait'. »
impossible
H ne faudrait pas croire, au surplus, que le contrôle universel de

l'Eglise sur l'éducation, que la centralisation des Ecoles autour de


Rome rester sans fruits. Cette centralisation ne portera
puisse
sans doute comme l'action de l'Université d'Etat, sur les in-
pas,
Smes détails de l'organisation des maisons d'études et des procédés

d'enseignement; elle n'ira pas jusqu'à régler ce qu'il est bon de laisser
au jugement des maîtres et à leur libre initiative; elle ne gênera pas
l'expansion légitime et l'originalité de bon aloi elle n'étouffera pas
le génie dans sa germination, elle ne le brisera pas dans sa fleur.
Rome a grâce, dit-on, pour éviter ce malheur; et si l'accord de la
liberté avec l'unité est un problème, ce problème est résolu dans

l'Eglise. La chaire apostolique donne des règles sages, à la fois larges et

Le P. AUBRY, Essai sur la méthode des études ecclésiastiques, t. I, p, ;I.


4P

Il y aura, dans les écoles comme dans toutes les choses ca'-
précises.
tholiqNeSi. autorité et liberté, hiérarchie rattachée à Rome, son centre-
mais échange de lumière et solidité d'expérïence; har-
nécessaife,
mon,ie dans l'action et le fonctiarmement des parties ensemble de

méthodes comme d'idées de manière qu'on puisse s'entendr" et,


a tout cela dans sa doctrine, et
parler ta même langue. Déjà l'Eglise
hors de France, dans son enseignement. Il faut bien espérer qu'elle
l'aura aussi chez nous et que nous en finirons, à bref délai, avec les.
derniers restes du particularisme.

vin

COMMENT A ÉTÉ FAUSSÉE DANS LES ETUDES

LA MÉTHODE MTÉMEDRE DE L'ENSEIGNEMENT THÈOLOGmUB

De toutes les
questions qui se posent aujourd'hui en France,.

pour la restauration des sciences sacrées, la plus importante, c'est


la méthode intérieure des études. Nous venons de dire un mot de l'or-

ganisation externe des écoles; il faut parler maintenant de la méthode

qui doit conduire le prêtre au sommet de la science.


Cette question de méthode n'est, il est vrai, qu'une question de
formes et d'exposition. Certains esprits la croient secondaire et de
« Qu'importe, disent-ils, de quelle façon la vénté-
peu d'importance
sera enseignée, pourvu qu'elle soit enseignée, et que l'enseignement
soit conforme, quant à la doctrine, aux vrais principes de l'Eglise ? »,
Grâce à Dieu, les erreurs fondamentales du gallicanisme sont vain-
cues en cas de conflit, on sait où réside le pouvoir infaillible que
tranche les dimcultés et dirime les controverses. C'est beaucoup,
mais ce n'est pas tout. La
question de méthode a été souvent b'
pierre d'achoppement des maîtres et des élèves, et, bien ou mal em-
tendue, elle a' souvent décidé du sort dela théologie. C'est le cas;

pour la France depuis trois siècles. L'expérience a montré qu'avec


les vrais principes au dêpatt, on peut s'égarer dans sa marche,
pour avoir laissé, sous le rapport de la méthode, les hommes d'en-
seigpement~ sans direction, sans unité,_ livrés à leurs idées partIcEr-
tiÈrÈs, a lëutton~ perspnne~ mot, au libre examen. Au-
'jôurd'&ui pour ramener !es écoies-
aux bons ,priticlpes' et'assurér 1ë .progr~s' de science thébbgique..
;'C'ës~u~~ âvec empire.
--41–

Cette question se décompose en deux proMèons 1° Trouver


-une méthode d'exposition et de démonstration qui nous donne,
sous une forme
adaptée à des besoins toujours nouveaux, une vérité,
est abs-
.qui ne peut jamais être nouvelle ~ns son fond, puisqu'elle
solue et immuable méthode puisée, comme ht doctrine elle-même,
aux sources de la vénérable antiquité; méthode consacrée par la pra-
tique des Pères; illustrée par les ouvrages des grands docteurs;
2° trouver une méthode qui, employée dans un livre ou trans-
aux intelligences les plus
portée dans l'enseignement oral, convienne
diverses et les plus inégales, une méthode qui, tout ensemble, soit
..tssez riche pour élever, vers les hauteurs de la pensée, les intelli-

gences les plus capables, et assez simple pour être suivie par les es-
.prits les plus médiocres une méthode qui, fidèle à tous les enseigne-
ments de la tradition, s'enrichisse de toutce qui a été pensé de so-
lide et fait de bon dans les temps modernes; une méthode qui pro-
-6te des découvertes, des progrès des derniers siècles, des malheurs
même et des erreurs, qui ne sont pas ce qu'il y a de moins instruc-
tif en histoire, mais surtout de ce beau travail de développe-
ment philosophique et dogmatique qui se poursuit, sous l'influence
-de la foi, à travers les hérésies, les controverses des écoles, les agita-
t-ions de la société et les révolutions des empires.
Les étudesecclésiastiques ne sont que l'exposition et le dévelop-

pement de la toi dans ses diverses applications. La même et immuable


foi a nourri l'intelligence de tous les temps elle doit les nourrir jus-
qu'à la fin des siècles. Simple dans sa grandeur divine, elle se ramène
aux douze articles d'un symbole que comprennent les enfants iné-

puisable dans sa simplicité, elle offre, aux plus hautes intelligences,


une matière de méditation dont ils ne dévoreront jamais la substance.
L'Eglise a donc dû posséder de tout temps une méthode d'enseigne-
ment tout ensemble élémentaire et supérieure. Et si, comme nous
l'affirmons, cette méthode existe, est-ce merveille que l'Eglise Ro-
maine, mère et maîtresse de toutes les églises, gardienne des tradi-
tions et organe de la foi, soit, au même titre, gardienne de la vraie
méthode d'enseignement ·
Pour prouver l'existence du mouvement, un philosophe mar-

chait pour prouver l'existence de la vraie méthode, il suffit de Fex-


'poser.
L'Eglise n'a pas deux méthodes, quand il s'agit d'établir, de dé-
montrer et d'imposer à tous la foi; la substance du dogme, ses auto-
rités, la méthode pour constater et prouver la vérité surnaturelle,
sont les mêmes pour tous les esprits. Mais l'enseignement théolo-
42

glque, tout distinct de ce simple enseignement des mystères, doit y

ajouter quelque chose. Dans récote, la théologie n'est pas seulement

l'exposition des ventés à croire, c'est une science dans le sens le plus

philosophique du mot. Fidèle à la maxime de saint Augustin, qui


croyait pour arriver A comprendre, elle se définissait sous la plume de
saint Anselme La foi cberchant l'intelligence, ou selon le mot reçu.
dans les écoles Discursus rationalis de fide, L'enseignement des fi-
dèles et l'enseignement des prêtres sont donc affectés de différences.

que caractérise leur rôle respectif. Tous deux ont le même objet et
sont établis sur la même base de démonstration. Mais tandis que
l'enseignement du catéchisme a simplement pour but d'exposer et

d'imposer à tous, au nom de Dieu, les vérités de foi nécessaires au


salut, l'enseignement de la théologie entre plus avant et porte sur
la profondeur des mystères. La théologie a, pour office propre, d'ap-
pliquer la raison aux vérités révélées, pour leur donner toute l'expli-
cation dont peuvent se revêtir une foi intelligente et une étude

profonde. Le théologien ne cherche pas à comprendre pour croire;


il croit pour comprendre.
Ainsi, d'un côté, la vérité de la foi pleinement appuyée sur l'auto-
rité divine du Dieu révélateur et fermement acceptée, sans préjudice
des explications que la raison pourra lui donner, mais aussi sans les
attendre pour croire et sans en faire une condition de la foi de
l'autre, la raison,
ayant fermement adhéré à la parole de Dieu loin
de s'interdire toute recherche comme une profanation, se mettant,
au contraire, à l'étude, pour comprendre et pénétrer aussi avant que

possible dans l'intérieur des mystères, mais sans espérance de percer

jamais, ici-bas, ce fond incompréhensible, domaire que Dieu s'est


réservé ou qu'il réserve à ses élus. La foi n'est pas une acceptation

aveugle et déraisonnable la science examine, mais elle n'est pas.


fondée premièrement sur le libre examen. La Révélation commande,
comme il convient à la dignité de la source d'où elle émane elle
établit son autorité en posant avant tout l'affirmation divine puis,
la possession du dogme une fois assurée par le magistère de l'Eglise,
la raison se sent placée sur un terrain solide; elle est délivrée d&
tout doute; elle n'a plus ni hésitation dans sa foi, ni crainte d'er-
reur. En possession de la foi, tranquille sur son autorité, sa valeur

intrinsèque et ses ressources, la raison se met en face des divins se-


crets, et
commence, sous l'oeil de l'Eglise, son, admirable labeur.
Mais, il faut bienle remarquer, pour cette entreprise, la raison ne se.
nlUtile point dans ses facultés et ne s'énerve point dans son essor au
eantraite, elle s'arme de toutes ses ressources, ellefait fond de toutes
–43!–

ses richesses; elle


emploie toutes ses facultés, purifiées, bénies et fé-
condées par la grâce; elle met en œuvre non seulement la mémoire,

l'intelligence et les perceptions diverses, mais l'âme, le cœur, la ten-

dresse, les facultés aimantes et mystiques, force d'intuition et de re-

cueillement, imagination même et enthousiasme, car toutes ses fa-


cultés sont des forces précieuses, faites pour se tourner vers Dieu et
ne pouvant trouver un meilleur emploi.
Loin de la gêner dans son travail d'investigation, la foi conduit
la raison, la presse, éclaire sa marche, lui découvre sans cesse des

aperçus nouveaux. La foi est un stimulant aux pieuses recherches


de l'intelligence de plus, par cela même qu'elle propose à l'intelli-

gence un objet infini de foi, mais un objet qu'il est permis de


sonder dans toutes ses profondeurs, elle l'excite, vu la tendance
native de l'esprit humain, vu sa nature curieuse et avide de con-

naissances, à creuser dans le dépôt des vérités de la foi, pour y


trouver les raisons de ses croyances. Ce travail est aussi bien con-
forme aux tendances naturelles de la raison qu'aux divines conve-
nances de la foi autant il s'accorde avec l'adhésion raisonnable

que l'autorité de la foi demande à l'intelligence, autant il est en


harmonie avec la structure de l'esprit humain et les inclinations
de nos facultés. Si faible que soit notre regard, c'est le regard d'un

esprit; notre œil a l'instinct de la lumière, dès qu'elle brille, il


s'ouvre pour l'observer sitôt qu'une doctrine lui est présentée,
quelque autorité qui la lui présente et quelque nécessaire que soit
son adhésion, le premier mouvement de notre intelligence est d'y

descendre, del'interroger, de chercher ces signes intrinsèques du


vrai qui donnent aux motifs extérieurs de crédibilité une si écla-
tante confimation et font goûter à l'âme de si douces jouissances.
C'est une loi de notre être, une loi que Dieu a faite, une loi à la-

quelle il a bien voulu se conformer, en nous demandant l'hommage


de notre foi, lorsqu'il nous appela du sein des ténèbres à l'admi-
rable lumière de la vie chrétienne.
Tout cela a été dit cent fois, mille fois par les docteurs de l'Eglise;
c'est l'évidence même. La théorie catholique des rapports harmo-
nieux de la raison et de la foi, dans l'étude dogme du
surnaturel,
est en germe dans les trésors de la révélation et de la tradition;
mais les éléments y étaient épars, enfouis et mêlés aux immenses
matériaux qu'avaient maniés les Pères dans leurs prédications et dans
les controverses. Il en arriva de ce point comme de tant d'autres,
compris implicitement dans les entrailles dudogme. Avec le temps
et le mouvement évolutif des idées, le travail et pro-*
par spontané
-44-

gressifde' la raison ~'Interrogeant en ses croyances, sous l'impulsion'


surtout des hérésies, qui ont toujours été dans l'Eglise un stimu-'
lant de profondes recherches, il se trouva mis en relief comme

un point, aujourd'hui capital, des principes catholiques. Ce sont les

scolastiques qui font tiré du sein de l'antiquité chrétienne.et formulé

théoriquement ces principes employés par les Pères, mais dispersés


dans leurs ouvrages. Ce beau concept de la théologie, les scolas-

tiques ne l'ont pas inventé ils l'ont tiré de la mine souterraine,


élaboré, édifié, mis au grand jour; mais leur théorie, qui est celle
de l'Eglise, préexistait dès le commencement. Elle est devenue
comme un traité de la méthode théologique, la règle des études sa-
crées, la base et la loi de la science, loi et règle en dehors de la-

quelle on n'étudie pas la religion sans s'écarter de sa notion juste,.


sans faiblir, s'égarer, et bientôt tomber dans l'erreur.
Depuis seize siècles, la raison évoluait sous les auspices de la foi,
<*t préparait à la théologie de nouvelles splendeurs, lorsque parut
Descartes. Luther l'avait précédé et Luther avait soumis à l'auto-
cratie de la raison les vérités révélées. Descartes, trouvant le libre-
examen en
possession, l'introduisit en philosophie par son doute
méthodique, qui est tout simplement la traduction philosophique
du protestantisme, le libre examen appliqué aux vérités naturelles,
l'émancipation de l'esprit humain privé de tout guide dans la re-
cherche de la vérité. D'autres, à la suite, introduiront bientôt en
politique la négation du droit de Dieu, de la royauté
de Jésus-
Christ, de l'union de l'Etat, de l'origine divine du pouvoir et de la
société, ils remplaceront toutes ces vérités et ces droits par le con-
trat social appliqué à l'ordre civil, politique et économique. et ce
sera-la Révolution. Grande hérésie, à laquelle aucune autre ne peut
être comparée, tant sa marche a été savante, son enseignement plein
de séduction, son extension formidable dans ses progrès. De nos
jours, elle semble achever sa course, en entassant les unes sur les.
atHres les dernières ruines de la chrétienté et en établissant der-
rière le rempart d'un ordre social antichrétien, le f~yer de son en-
seignement, le-dëpôt de ses forces, le centre des combats qu'elle doit
livrer à L'Eglise.
Or, cette logiqiue; terrible de.ladestruction, Descartes en a pris-
tous. les priNcipes. Descartes est.le Luther de la philosophie, et en
théologie, c'est Ha (îanbaldi avant !a lettre, le ravageur des domaines.
d~lascienee sacrée, sous des cauteleux et sous dfs appa-r
teaces de v~cs réserver. Il faut é~ablu- solidement cette amrma-i
<ipn..
–4~–
Le système de Descartes trois choses 1° La séparation
comprend
de la raison et de la foi 2° la raison réduite à la déduction logique;
mis au de de la raison déduc-
3° le doute méthodique point départ
tive
Avant de poser son système, Descartes, radical dans ses destruc-

tions, avait fait table rase. Le monde existe depuis six mille ans au

moins, et, six mille ans, il recherche la vérité; depuis seize


depuis
siècles, Jésus-Christ est venu au monde, et, l'assister dans la re-
pour
cherche de la vérité, il lui a donné
l'Evangile, un guide,
une lumière,

l'Eglise, un chef infaillible, le Pape. En présence de cette durée six


fois millénaire des recherches des philosophes et de la possession

historique du genre humain en présence de l'Evangile, de l'Eglise


et du Pape, Descartes se déclare sceptique il met cela de cô~é, pour
tout mire reposer sur lui-même. La bouche en coeur, il vous atteste

pieusement qu'avant lui, on n'a jamais eu ni certitude ni philoso-

phie, ni science, faute d'avoir découvert sa méthode. Descartes


couvre d'un immense mépris tout le passé et dédaigne particulière-
ment la Scolastique. Autant dire que la vérité est introuvable, car si
on l'a cherchée jusque-là inutilement, c'est se dire incapable de la
trouver. Prétention deux tois horrible, mais travers funeste, marque
du peu de valeur d'une théorie, puis porte ouverte à cette contagion
de mépris qui va soumersur la France. Toujours calme, Descartes
affiche la prétention de tonder, non pas une philosophie, mais la phi-

losophie, jusque-là inconnue aux hommes. Innovation suspecte de

charlatanisme, puis inauguration de cette manie moderne des chefs

d'école, qui, tous, veulent tout renverser, pour bâtir chacun son petit
système qu'on présente benoîtement comme la lumière des lumières,
l'autorité des autorités à elle seule, cette table rase suffit pour
juger Descartes et toute sa lignée de destructeurs révolutionnaires;
il n'est pas nécessaire d'examiner leur oeuvre; il suffit de retourner
conire eux la règle qu'ils ont taite; mais l'examen des œuvres con-
firme bien ce jugement.
Descartes brise la vieille union de la raison et de la foi, et pré-
pare ainsi la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'une fondée sur
l'élément rationnel, l'autre ayant en propre le surnaturel. Je n'exa-
minerai pas la question oiseuse de savoir si cette rupture est le fait
de Descartes seulement une ou le fait de ses dis-
posant hypothèse
ciples acceptant l'hypothèse comme principe. Il est incontestable que
le divorce de la science et de la foi n'a pas d'autre origine. Le nom
de Descartes est le drapeau du rationalisme et le synonyme de guerre,
non seulement contre la scolastique, mais contre La raison
l'Eglise.
~st~p~t'~[,të'~dev)ënt~étrangêr&au' Ch~o et bientôt une
~dssanGÊ afaïëepbar sadest~ or cette séparation, ne fût-elle
qu'une abstraction philosophique, serait d~Jà un système faux et
dangereux. Faux, car l'unioQ de la raison et de la foi, l'association de
leurs forces et de leurs ressources est le don de l'Evangile, une con-

quête précieuse à l'esprit


humain, la gloire de la phitosophie.
La
vérité n'a rien
à gagner à cette séparation, et si Dieu nous a donné
la foi qui éclaire tout, ce n'est pas pour que nous éclairions tout
en la répudiant. DoM~mMf, car il est funeste à l'homme de partager
son esprit et ses pensées en deux l'un voyant, l'autre ne voyant
pas la lumière divine de la foi: l'un raisonnant tout, d'après la
vérité révélée qu'il connaît, l'autre ne raisonnant rien et ne con-
naissant même pas son existence, que par sa pensée. Mais cette
séparation n'est pas et ne peut pas être une pure abstraction
d'école, c'est une réalité, une division, un schisme placé à l'origine
de nos connaissances, un antagonisme établi entre les puissances de
l'âme, une guerre psychologique qui aura son contre-coup dans
toutes les sphères de l'activité humaine. De cette séparation, il ne

faut pas un grand effort pour aboutir à la formule Le christianisme,


voilà l'ennemi 1
Je sais bien que Descartes a fait une réserve en faveur des vérités

religieuses, et qu'il défend à la raison de toucher l'arche sainte. Mais


cette exception insuffisante, qui met la foi de côté, comme chose
inutile à la raison, pouvait-elle rassurer l'Eglise ? D'abord la foi n'est

point etne peut pas être une inutilité, et pour la raison moins que pour
toute autre puissance. La foi n'est pas seulementutile, elle est néces-
saire, et la violer, c'est un crime contre Dieu et contre soi-même
c'est l'outrage la raison divine et le quasi suicide de la raison
humaine. En vain, vous m'assurez que la mise en réserve des vérités
religieuses a pour but de les faire respecter. Votre illusion ressemble à
cel!e des hommes politiques qui, bons chrétiens, en leur privé, et
libéraux dans la vie publique, croient pouvoir se couper en deux et
faire profession, de principes contradictoires, sans avoir à craindre que
l'indifférence ou l'athéisme de leur politique
puissent gêner jamais
ieurconscience personnelle. Vous me rappelez encore ces gouverne-
ments soi-disant honnêtes, mais libéraux, qui croient pouvoir conte-
nir la révolution sans tarir sa source et maintenir l'ordre en certaines
limites, malgré les assauts d'un radicalisme dont ils ne rejettent pas
,lës principes ~éyolutionnatres. La raison, dans cette hypothèse, reçoit
,~1'ordte~de rester da mais on sait com-
~iën.;peu~eH6;~tme~arde~cetlx-cOrtS)gne combien il lui est facile,
–47–

en ébranlant les vérités rationnelles, d'ébranler du htême coup les


vérités de la foi; comment elle peut atteindre même directement
certaines vérités qui appartiennent en même temps à l'ordre de rai-
son et à l'ordre
de foi, comme l'existence de Dieu et l'immortalité de
l'âme. La raison, « une fokagranchie de toutes les opinions reçues
auparavant en la créance », comme disait Descartes, c'est la raison

qui peut donner carrière à tous ses goûts extravagants, s'aventurer au


bout de tous les aléas et s<: briser sur tous les écueils. La raison si
variée, c'est aujourd'hui Descartes, demain Malebranche, puis Spi-
noza c'est Locke, Condillac, Helvétius et tout le troupeau de co-

chonsencyclopédiques, c'est Kant, Fichte, Hége), Schelling, Scho-


penhauer, Metsche, Comte, Renan, Marx, Bakounine, tout ie
ramas des nihilistes. En séparant la raison de la foi, Descartes a
réellement, comme
Luther, ouvert le puits de l'abîme.
Luther, impie placé aux antipodes de Descartes, puisqu'il obligeait
la raison à s'astreindre aux textes des divines Ecritures, Luther com-
pare la raison séparée à un paysan ivre, monté sur un âne et à une
lanterne qu'on éclaire en y mettant de la m. Le mot n'est pas
propre, mais c'est le mot propre de Luther.
Descartes ne se contente par de séparer, de la foi, la pauvre raison,
il veut encore la dépouiller et la mutiler.
Dans son système, il faut répudier toute vérité, même certaine,
découverte jusque-là; il faut rejeter tout
l'acquis de l'esprit humain
comme un préjugé ou une entrave il faut éliminer, non pas seule-
ment les faits et les vérités de la révélation, mais tous les éléments
venus du dehors, comme suspects de déranger les opérations de
l'esprit; il faut traiter comme absolument inconnu tout ce dont la
négation n'implique pas la négation de la pensée, et ne s'arrêter, dans
son travail de destruction, que devant la pensée même, comme étant
le seul fait que le doute ne peut pas toucher. De là, vous repartez,
sans autre guide que la raison individuelle ainsi dévalisée, pour
reconstruire l'édifice de vos connaissances, selon les règles de la
nécessité logique.
L'esprit ainsi dépouillé et mis nu comme ver, Descartes le
mutile. L'âme a de beaux élans, de magnifiques aspirations, dont
l'objet ne lui apparaît pas toujours clairement, mais elle trouve en
elle un procédé d'induction et de recherches ascendantes qui
l'amènent aux plus splendides conquêtes de la pensée. Le procédé
inductif est, pour l'homme, le procédé ordinaire, le plus facile
et le plus fécond, pour parvenir à la connaissance. Descartes
le rejette il rejette en même temps ces belles lumières qui
~4~-

~satliGiteHtd'eh Mct.3'y et les puissances natareties

quiveulenty tscnter. Vous ngutez-vous l'esprit humain, entouré de


ruines, n'ayant plus, à la base de l'ëdiSce, que le phénomène de sa
pensée, obligé de reconstruire, sans plan, sans indication d'aucune
sorte, sans guide que son instinct confus, l'édince démoLi de la
science ? <: Vous le figurez-vous, demande
le P. Aubry, non plus
se)dpmeBt'dépouiHé de la foi, mais .mutilé
de ces grandes forces
Le simple bon sens, qui est encore plus essentiel à la philosophie que
le raisonnement en forme ne remplace pas les moyens extérieurs
de perception, dont il naît armé l'observation morale et le senti-
ment intime l'intuition qui va souvent plus vite et plus sûrement
que tout le reste. Le voyez-vous condamné au syllogisme perpétuel
sans repos, parqué dans cette méditation aride et désespérante, qui
déduit, qui déduit toujours, qui n'admet rien. sinon ce qui sort de
la fontaine déductive, qui tire ses syllogismes l'un de l'autre, jusqu'à
extinction; enfin, entreprenant d'échelonner, comme une série de
ehiSres. 'au moyen de cette logique étroite et fragile, la filière de rai-
sonnements qui doit composer, toute sur une seule ligne, la chaîne
dessciences ? Philosophie algébrique, sans horizon, sans charmes,
sans essor, exposëe d'abord à dessécher l'esprit, en faisant de lui une
machine à calculs et en tarissant les plus nobles facultés ensuite à
faire fausse route pour peu
qu'un grain de poussière entre dans
l'engrenage de ses syllogismes et produise, dans leur fonctionnement,
cette multiplication d'erreurs, qu'une erreur de quelques centimes

produit quelquefois dans les comptes compliqués. La philosophie


doit raisonner et déduire, mais elle n'est pas une science exacte,
dans le sens restreint de ce mot, il y a chez elle autre chose qu'une
somme de vérités mathématiques en une suite de déductions en
forme* ?
Nos grands docteurs étaient sans doute des hommes de raisonne-
ment ils savaient user du syllogisme, mais sans dévaliser la raison,
sans la mutiler, saris la réduire à l'é'tat de puissance nue. Avant
tout, ils savaient user du bon sens et non pas se réduire à ces extré-
mités intirmes, où le paralogisme est un état et le sophisme un
motif présuméd'orgueil. Descartes lui-même s'est démenti ses livres
ne sont pas si argumentateurs qu'il le prétend, et il chevauche sou-
vent sur des montu!'e&qu'tl a mises à la réforme- Contradiction à

part, la seule raison déductive ne suffit pas à un si gros travail.


Après av~irfatttaMerase,~& ~n7~cs pas si facile qu'on le suppose, sans

~~Mt~~M~Mf~B~M~E~~ 1"' p 66.


49

autre de retrouver, le seul rMSûamemcnt,;


que soi-même,
guide par
toutesles vérités pour les établir, il n'est pas si facile de retrouver

son chemin, d'éviter les précipices et de marcher droit sans se

laisser prendre à aucune déduction. Et si la raison, au bout d'un

s'avisait de prétendre qu'il n'y a ni Dieu, ni âme, ni


syllogisme,
institutions, ni Eglise, comment
pourrions-nous la détromper. Du
moment qu'elle n'a de guide qu'elle-même, en cas d'erreur, je ne
vois pas moyen de la ramener à résipiscence. L'erreur, 1 esprit hu-
main étant donné seul, est fatale etla correction impossible.
Descartes prévuavait
le péril, et pour n'en pas encourir la res-
il n'admet comme disciples que les intelligences supé-
ponsabilité,
rieures, il bannit de son troupeau les gens incapable'; de « mettre
ordre en leurs pensées Cette précaution excuse d'abord l'insuffi-
sance du système, bon seulement pour les hommes d'élite, dit-on
ensuite, elle ne l'excuse d'imprudence. Les intelligences fortes
pas
sont toujours faibles par quelque endroit, et les intelligences faibles
ne renoncent pas du tout à man'er les armes des forts. Existât-il une

catégorie à part d'intelligences, capables dephilosopher, aucune

figure ne permet de les reconnaître et quand encore on pourrait


délimiter la frontière qui nous sépare du commun, il serait impos-
sible de la faire respecter. Les infirmes sont lesplus présomp-
plus
tueux les plus aveugles affichent le plus d'audace. Ah l'Eglise est

plus simple, plus sage; elle n'admet pas ces divisions de castes et
ces méthodes de privilèges à la vérité, elle n'appelle pas tout le
monde à la haute science, mais elle ne l'interdit à personne Uni-

.~<«jW secundum neensurana donationis Christi (-E~ IV, y).


Le pire, c'est que Descartes met, à la base de son système, le
doute. A son école, l'édifice de nos connaissances doit reposer sur
la raison personnelle, comme la religion, à l'école de Luther, doit

reposer sur le libre examen. L'esprit humain, cette lumière si fra-

gile et si tardive, que les enfants ne


qu'en rudiment, que possèdent
perdent beaucoup de vieillards, qui est fausse ou faible trop sou-
vent chez les adultes, ne voit briller avec éclat que par excep-
qu'on
tion, voilà ia
pierre fondamentale de l'édifice. Sur cette pierre, on

répand un acide à cette racine on attache un ver rongeur le doute.


H est difficile de multiplier davantage les causes de perdition.

Je ne demande pas à Descartes comment, ce doute posé, il peut


en sortir; je ne lui demande au lieu d'afSr'ner sa
pas comment,
pensée comme cause de tout, il ne doute pas de sa pensée, comme
-d'une vision il ne la confond
fugitive; pourquoi pas avec le rêve;
ni, par quel artifice, à supposer qu'il se convainque, il peut relier,
2P 1

avec certitude, la pensée aux réalités du monde extérieur. Je le vois


perdu dans ses pensées, assailli par les lumières qui montent de tous
les abîmes, incertain sur la voie à suivre, peu capable de s'orienter
dans le désert où il a tout détruit. « Avec la raison seule, dit saint
Thomas, un petit nombre, par beaucoup de travail et avec
grand
danger d'erreur, peuvent parvenir à la plénitude de la raison. Que
sera-ce si le Minotaure du doute s'élève de l'océan tumultueux des

pensées humaines et poursuit, à travers les flots de la pensée, la


vérité et la justice ?
Sans vous embarrasser ici dans les discussions philosophiques,
n'est-il pas vrai que le doute est une maladie mortelle, et, si elle
laisse quelque force, n'en fera-t-elle
pas une arme terrible? Dans
l'esprit humain, affaibli et troublé par la prévarication, le doute est
un poison qu'on ne verse pas impunément; une fois bu, il travaille
d'une manière latente et continue, rien ne peut l'arrêter. Intro-
duire dans l'éducation de l'homme, et à la base, ce venin corrosif;
faire boire à l'esprit humain cette liqueur empoisonnée jeter dans
le milieu inflammable de la société cette étincelle, et prétendre
qu'on évitera
l'empoisonnement et l'incendie, cela est impossible.
L'esprit humain est logique et le poison est insinuant. Le doute est
plus dangereux que la négation. Une fois admis, il s'attache à nos
facultés comme un second péché originel, il vicie leurs opérations
et pousse les âmes vers le scepticisme, que le christianisme avait tué
depuis seize siècles. Descartes l'exhume du cimetière de l'oubli et le
préconise comme le premier principe de la restauration intellectuelle.
C'est le branle-bas de la révolution.
Fénelon prétend que le doute de Descartes se retrouve dans
saint Augustin; d'autres croient l'avoir vu dans saint Anselme et plus
certainement dans saint Thomas. C'est une grande erreur. Pour éta-
blir la vérité avec clarté et certitude, les Pères ont admis quelquefois,
par hypothèse, un doute fictif; mais ils n'en faisaient ni un prin-

cipe, ni un système. D'abord, ils affirmaient hautement 1,'autorité


du Dieu révélateur ils prouvaient fortement sa certitude puis, par
manière d'argument ad hominem, ils allaient chercher l'adversaire sur
le terrain rationnel, et s'efforçaient de le vaincre par les forces de la
raison après quoi, ils rentraient
sur le terrain de la foi. Le doute,
chez eux, était un argument secondaire, non la base des travaux de
l'esprit. Depuis, les scolastiques commencent exposition, leur
par
l'objection mais personne n6 se trompe à cette forme dubitative
c'est de purefprme, le fond estafHrmatif, tanqudyn potestatem &<:&M.f.
Entre les Pères~les Scolastiques et Descartes, il y a un abîme.
Le doute de Descartes est le principe premier de !s
méthodique
science; il est une loi de la pensée; il doit donc devenir une habi-
tude d'esprit, et, par la force des choses, bientôt une passion. Le

propre de la passion est de dévorer. Une fuis lâchée, cette furie ne


s'arrêtera plus. Le doute méthodique devient le doute réel, le doute

radical, le doute violemment destructeur, et il ne faut pas être un


grand logicien pour déduire du .fMM, toutes les horreurs
Cogito, ergo
de la spéculation et de l'action.
En résumé, le système de Descartes est absurde et contre na-

ture il est et antichrétien c'est ie


antiphilosophique principe
du retour aux confusions et aux mauvaises moeurs du paganisme.
Et pourtant, le second tondateur de Saint-Sulpice, Emery, a publié
le Christianisme de Descartes; il fait, du philosophe, un des grands *s
hommes, un Père de l'Eglise. Que Descartes ait été chrétien
presque
en son privé, je le crois; qu'il ait cru l'être dans sa philosophie,
c'est mais la reli-
possible; qu'il l'ait été, non. Descartes a défendu

gion comme elle ne doit pas l'être il l'a défendue, comme on la


défend pour la trahir. Descartes ne doit pas figurer dans le cortège
des grands hommes à
qui font honneur à l'Eglise; dans son passage
travers les temps, Descartes est l'un des grands hérésiarques des

temps modernes sa définitive est entre Luther et Pascal; il


place
est le précurseur du et de la révolution.
gallicanisme
Blaise Pascal est, comme Descartes, un esprit d'une immense

portée, mais faible sur le Descartes exalte la raison, Pascal


principe.
l'anéantit. Tandis Descartes, le doute, représente
que procédant par
le travail d'émancipation rationaliste; Pascal, plus chrétien de fait,
mais plus de tendance, le travail de rétrécisse-
hérétique représente
ment, d'aveuglement et d'empoisonnement de l'étude des vérités
révélées. Lui, si bien fait pour comprendre largement et décrire

puissamment les harmonies de la raison et de la foi, il déclare que


toute la philosophie ne vaut de peine; il dit que
pas un quart d'heure

pour croire il faut s'abêtir; il enferme humain dans cette


l'esprit
maxime subversive de la foi Croire parce que c'est le plus sûr. C'est

leCfM~~KMoAfM/de saint Augustin, mais dans un sens faux


et sot, qu'on nous jette souvent à la face et qu'il autorise à nous
attribuer. Toute la philosophie consiste à fermer les
yeux et à se

précipiter, les yeux fermés, dans le gouffre. La théologie n'est plus


la foi humble; mais confiante, dans un mystère mais
inexplicable,
prouvé c'est l'ignorance érigée en c'est la foi
principe, aveugle,
rejetant toute explication et fuyant l'intelligence. L'esprit humain
est parqué dans la formule du d'en
dogme, avec défense sortir. Aù-
)=

trefois, on parlait des lumières de la foi parle des <<f-


maintenant on
M~M ~~Ot, qui couvrent une des erreurs les plus.
mots étranges,
et les plus injurieuses bien pardon
détestables Dieu. J'en demande
à ces novateurs il n'y a pas de ténèbres dans La révé-
l'Evangile.
lation elle n'a
que Dieu nous a faite n'est pas un Apocalypse:; pas-
pour but d'ajouter à notre ignorance, mais de la diminuer. Dieu ne-
nous sans doute Ciel a ses réserves; mais s'il
a pas tout révélé: le
nous humilie en des secrets, il nous console en nous révé-
gardant
lant les mystères, et le mystère lui-même est une source de lumière.
Chose curieuse 1 Les imposaient un frein à la
scolastiques qui
raison et la soumettaient à l'autorité, ont fait un grand usage de la
raison: A
partir de Descartes, soit qu'on l'exalte, soit qu'on la dé-

précie, par une alliance inexplicable entre Pascal et Descartes, on ne


lui donne plus raison; on la rend stérile, même en philosophie,
sous prétexte et que le mérite consiste
que le dogme est mystérieux
à croire sans on ne sa toi, en
comprendre; plus à éclairer
cherche
étudiant les raisons et la structure intérieure du dogme, ses harmo-
nies avec l'ordre naturel, ses rapports avec l'ordre surnaturel. Le-

théologien constate le fait de la révélation, prouve l'existence du

dogme, repousse les objections d'efFnyer la foi mais s'in-


capables
terdit toute contemplation comme avec la nature du
incompatible
mystère. Adieu, cette alliance féconde de la rai:on et de la foi,
qui
réunissait en un seul faisceau la double lumière dela sagesse divine
et de la sagesse humaine. Adieu, ce travail si si pieux,
grand, qui
appliquait toutes les facultés de l'âme à la recherche des raisons
divines du dogme. Adieu, ce don et ce besoin d'aller toujours au
fond de l'idée dogmatique, qui est le don même de l'intelligence.
cette méditation savante
Adieu, qui descendait au fond des mystères.

Adieu, ce bel épanouissement de la science débarrassée dès-


qui,
formules et des définitions, en suaves et s'ouvrait
s'épanchait prières
en fleurs Adieu, ce splendide qui, étudiant
mystiques. symbolisme
les paroles de Dieu dans la révélation, ses oeuvres dans le monde,
sa marche dans la vie des hommes, ses desseins dans l'histoire,.
voyait partout une expression des choses divines, une traduction du
plan de Dieu. Désormais, il n'y a plus ni intuition, ni contempla-
tion, ni symbolisme la théologie est un recueil de déSnitions et de
notes qu'il faut prendre telles quelles; la révélation est une formule

qui nous a été imposée sèchement, qu'il faut accepter sèchement et


SaHscômmentaHl'es. Le salut est-ce prix.
BeseartesetPàscal ont tous deux et falsifié la notion)
corrompu
de la foi Descartes par défaut, Pascal excès, non excès de-
par par
53

foi, mais par excès de défiance envers la raison, comme Descartes.


avait péché ont travaillé, sans le
par excès de confiance. Tous deux
savoir et sans le vouloir, à inaugurer cet état intellectuel dont nous

sommes les victimes. Tous deux ont préparé la déchristianisation.

par l'intelligence, et voilà de quoi nous avons à revenir. ou nous


en mourrons.
Ce qui ce c'est que le clergé
étonne, qui confond l'intelligence,
français, pendant plus de deux siècles, ait ouvert'à ces hommes les

portes de l'enseignement qu'il se soit pour ainsi dire livré pieds et

poings liés, à Descartes dont le Saint-Siège a condamné l'esprit et

les qu'il ait fait entrer ses idées et ra méthode dans le


principes;
sanctuaire des études sacerdotales, à la place des idées des saints
Pères et des grands docteurs du Moyen Age. N'était-ce pas encou-

rager l'auteur du Discours de la Méthode dans la démolition de la

philosophie chrétienne a tant vilipendée, les uns par légèreté.


qu'on
faute de la connaître, les autres, par malice, parce qu'ils compre-
naient trop bien que c'était la vraie philosophie?
Après Descartes et Pascal, il faut se prendre à Bossuet. Ce n'est

pas sans crainte; mais grand que soit un homme, s'il a


quelque
péché contre Dieu et contre son Eglise, le respect qu'on doit à son

génie n'empêche pas d'en réprouver les erreurs. Bossuet est grande
cela est hors de doute ce n'est pas seulement le premier des écri-
vains français, c'est un docteur, un évêque, un écho des prophètes,
un porteur de toutes les majestés sacerdotales. Je ne me pardonnerais
pas d'être injuste envers un tel
homme. Je un l'ai écouté comme
Père de l'Eglise je l'ai admiré comme un héros de Corneille, et, à.
l'âge où me voilà parvenu, j'ai encore à me défendre contre son
charme. Faut-il le dire ? Le Bossuet des sermons, le Bossuet de
l'Histoire des variations, le Bossuet du Discours sur l'Histoire univer-

.M/ le grand Bossuet n'est pas en cause ici. Mais ce serait manquer
à l'honneur et à la vérité; de ne
que pas contesser les torts de ce

grand homme. Le lendemain du jour où il avait reçu gratuitement


du Saint-Siège les bulles lui, le dictateur du savoir et de
d'évêque,
l'éloquence, il se fait le complaisant d'un et le se-
despote sacrilège
crétaire d'un conciliabule d'évêques courtisans. Ce n'est plus Rome
qui gouverne l'Eglise c'est Saint-Germain-eri-Laye. Louis XIV
est infaillible; Bossuet est infaillible; Innocent XI ne l'est c'est
pas
un-pauvre vieillard qui ne sait plus bien ce qu'il fait, et si on le

complimente sur ses vertus, on de ne le


regrette pouvoir compli-
menter sur ses lumières. Si un évêque faisait aujourd'hui ce qu'a
fait Bossuet, les impies eux-mêmes en seraient de stupéfac-
frappés
)4

tion. Le monde alors se leva pour la défense du Saint-Siège, et le


bon sens de Louis XIV l'emporta sur la servilité des évoques.
Bossuet, le reste de sa vie, s'occupa de justifier ce que Rome avait
condamné, de frapper ce qu'elle ne condamnait pas, de recondamner
ce qui avait été déjà condamné par le Saint-Siège, comme si son
anathème avait besoin, pour valoir, d'être confirmé par quelques
evêques des environs de Paris. Bossuet délibéra par écrit avec le roi,
pour savoir s'il ne
pas brû)er en place de Grève l'ouvrage
fallait
d'un évêque honoré de deux brefs de pape. Bossuet a préparé ces
malheurs par son silence en chaire, en face des premiers adultères de
Louis XIV, et par son enseignement au Dauphin, tout rempli de
flatteries pour le roi, tout semé d'aigreurs contre les papes. Bossuet,
jusqu'à la mort, a tenu à ses aberrations, en approuvant des doc-
trines et surtout en propageant des tendances, que va atteindre la

plus solennelle condamnation du Saint-Siège. Tout le poids à peu


près de la bulle Unigenitus porte sur Bossuet.
Ses oeuvres posthumes
alimenteront l'opposition contre l'Eglise. La Défense de la Déclara-
tion réjouira toute l'Europe de la régence. Bossuet n'a pas su com-

prendre que le droit de l'Eglise, non moins que sa grâce, a chris-


tianisé l'Europe, établi le respect de la propriété, du mariage, de la
famille et de la religion. Si nous valons quelque chose, il n'est pas
douteux que nous le devons à la correction par le pape de notre en-
fance sociale, Bossuet le contredit et relève le type augustal des
Césars.
Descartes et Pascal avaient altéré l'harmonie de la raison et de la
foi, Bossuet a rompu l'accord entre l'Etat et l'Eglise les premiers
avaient mis le désordre dans les écoles, le dernier l'a mis dans les
institutions. Pendant tout le xvm" siècle, on ne verra plus de
Bossuet que le gallicanisme, je veux dire la révolte. Les royaumes
catholiques se soulèveront les uns après les autres sous son drapeau
et le synode de Pistoie édifiera, sur ses doctrines, le premier des-
sein de la Constitution civile du clergé. Pour en découvrir tout le
~enin, il faudra voir fermer tous les temples du Dieu vivant, et ou-
vrir tous les antres de l'ordure et du crime. Plus tard, il faudra que
ta religion soit rétablie en France sur les débris des quatre articles
de 1682, pour montrer qu'ils l'avaient renversée. Mais ils renaîtront
~vecles luttes coi&tr~ elle; ils seront toujours mis en avant par la
~ûlitique malvëtlIattte~M~t~ quand on veut ou-
tragea à Berlin, à Sàint-Pétérsbôurg vu à Rio-Janeiro,
.~siL~~ë~d~~ossaB .qü'on.f l'out sur la joue

,ËgîtS$~~pp~stiet~~V~ d~ quoi aucutï catholique hon-


–55

néte ne le louer; voilà de tout bon Français doit le'


peut quoi
plaindre.
Descartes, Pascal et Bossuet, voilà trois grands hommes dont l'in-
fluence funeste a fait dévier théologique de nos
l'enseignement
écoles. Pour clore dignement cet article, il faut étudier par quelle
série de
dégradations ces hommes ont réduit la France à mourir de
faim Parvuli ~MK~a~M non erat qui frangeret eis.
Le premier point à noter, c'est que toutes ces nouvelles méthodes
sont des méthodes combat, de
des armes pour la polémique. Ce
n'est la foi qui cherche c'est la foi qui saisit le
plus l'intelligence,
bouclier et l'épée, se défendre contre l'assaut du protestan-
pour
tisme.
Le protestantisme avait nié les bases historiques du Christianisme.

-Impuissant à attaquer sur le terrain de la doctrine, il avait


l'Eglise
pouvoir la vaincre sur le terrain de l'histoire. Pour lui ré-
présumé
il fallait le suivre dans la lice choisie l'adversaire, et
pondre, par
montrer que l'Evangile ne se
justifie pas seulement par la philoso-
phie et la théologie, mais que les faits aussi lui rendent hommage.
Ce fut donc, pendant deux siècles, le principal souci des docteurs

d'approfondir la théologie
positive et de compléter, par les raisons

externes, l'étude intérieure du dogme. L'enquête historique, que


les hérétiques avaient demandée, tourna contre eux. Un précieux
élément de démonstration, réservé par la Providence pour des temps

agités, fut mis en pleine lumière. L'argument de tradition prit toute


son extension et recouvra toute sa valeur. Ce nouveau progrès ne

put s'accomplir qu'à deux conditions. En fouillant chré-


l'antiquité
tienne avec une intention malveillante, les novateurs avaient invo-

qué les faits à l'appui de leur il fallait, une sévère


conspiration par
critique, montrer que les faits n'autorisaient pas les allégations fausses
et rendaient à la vérité un décisif Ensuite les novateurs
témoignage.
s'étaient mis en grands frais de subtilités, pour entamer les argu-
ments des défenseurs de l'Eglise il fallait, pour leur répondre vic-
torieusement, limer l'expression, préciser la formule, incruster le

dogme dans un style de fer, inaccessible à l'équivoque, imperméable


à l'objection. Ce double travail reçut son couronnement dans les
admirables décrets du concile de Trente.
Le
grand tort de Descartes, de Pascal et de Bossuet n'est pas
d'avoir maintenu la théologie dans ces justes voies; mais d'avoir
abandonné la méthode contemplative de la scolastique, pour con-
finer les écoles dans les thèses de combat.
Cette confusion néfaste se traduit le mépris et
théoriquement par
~C:~

haine de 4a seolasdqae, pratiquement par l'abandon des -grands


'doEteurs, de leurs livres et de leurs méthodes. Les grands littérateurs

daxW siècle mëprisèfeNt mus les maîtres de la science théoliO-

gique. Une assembliée du temps frappe Suarez et Cornelius à Lapide


Bossuet, qui ga&te saint Augustin et saint Thotnas, censure amè-
Tement de Lugo et plusieurs scolastiques éminents avec l'école

théologique de Paris, il lui préfère Gerson, Pierre d'ADIy et Henri


de Gand et H ne trouve pas de plus grand éloge à faire de Nicolas
Cornet que de le comparer à ces trois théologiens. A l'assemblée
de 1700,l'évêque de Meaux condamne mollement le jansénisme;

pour attaquer l'infaillibilité dans les faits dogmatiques, il Justine des


auteurs blâmables en retour, sous le nom de casuistes, il condamne
Molina, Suarez, Lugo, Lessius, Cornelius à Lapide et plusieurs
autres de grand renom dans l'enseignement. On est peiné d'entendre
-ce prélat s'exprimer ainsi sur des hommes dr at le temps et l'usage
-des écoles ont prouvé la valeur. Ce mépris de la scolastique est le

signe d'une révolution intellectuelle.


La polémique admise, non
pas comme exercice ou comme devoir
d'occasion, mais comme méthode permanente, c'est une autre révo-
lution. Le théologien qui réfute, porte en lui toutes les dissipations
antérieures il peut habiter une solitude, il n'a pas l'esprit en paix;
il est obligé de descendre de la montagne de la vision pour se me-
surer dans
la plaine avec un philistin. L'erreur, pour n'être pas
écrasée par l'éclat de la vérité, la voile, la rapetisse, l'envisage par
ses petits côtés pour la combattre, le théologien est obligé de s'as-
treindre à ses petitesses et doit craindre, en les subissant comme
nécessités, de les
accepter comme habitudes. Une fois sur cette
pente, on se laisse aller aux objections, aux habitudes de chicanes
imeHeetue~s. Cette défense extérieure empêche de se nourrir pro-
ibndément de la vérité. Sans doute on ne réfute bien qu'avec
science; mai