Vous êtes sur la page 1sur 166

La Maison-Dieu : cahiers de

pastorale liturgique

Source gallica.bnf.fr / Les éditions du Cerf


Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle
(France). Auteur du texte. La Maison-Dieu : cahiers de pastorale
liturgique. 1988-01-01.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées
dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-
753 du 17 juillet 1978 :
- La réutilisation non commerciale de ces contenus ou dans le cadre d’une publication académique ou scientifique
est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source
des contenus telle que précisée ci-après : « Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France » ou « Source
gallica.bnf.fr / BnF ».
- La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation
commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service ou toute autre
réutilisation des contenus générant directement des revenus : publication vendue (à l’exception des ouvrages
académiques ou scientifiques), une exposition, une production audiovisuelle, un service ou un produit payant, un
support à vocation promotionnelle etc.

CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE

2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété
des personnes publiques.

3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :

- des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent
être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits.
- des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont
signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est
invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation.

4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et
suivants du code de la propriété intellectuelle.

5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de
réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec
le droit de ce pays.

6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur,
notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment
passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978.

7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter


utilisation.commerciale@bnf.fr.
îi®.
r~.t~<o~
IIIDr):î@rW.^j1l

revue de
pastorale
liturgique
L'hymnaire de
173 «Liturgia Horarum »
et sa
traduction française

rvtl(j 1er trimestre 1988


LA MAISON-DIEU

Revue trimestrielle
publiée sous la direction du
Centre National de Pastorale Liturgique
4, avenue Vavin — 75006 Paris

Directeur de rédaction
Bernard MARLIANGEAS

::
France un an
Etranger un an
Le numéro
238F
CONDITIONS D'ABONNEMENT 1988

8, rue François-Villon, 75015 PARIS


Tél. : 45.31.13.00
192F

55F

:
C.C.P., Editions du Cerf, 4 263 95 D PARIS
(Changement d'adresse 5 F)

Le numérospécia! des Tables décennales (1975-1984) 50F

Nous recevons avec reconnaissance les abonnements d'entraide à


250F.
Nous pourrons ainsi répondre aux demandes d'abonnements à prix
réduits qui nous seront faites.

<

LES EDITIONS DU CERF


29, Bd Latour-Maubourg, 75340 Paris-Cedex 07
Tél. 45.50.34.07

Directeur général::Pascal Moity


Principaux associés Les Publications de la Vie Catholique, La Province

Directeur de la Publication :
dominicaine de France, Association de la Pensée chrétienne
Pascal Moity

ISSN 0025-0937
B-Plonche (

1988

LA MAISON-DIEU

LES ÉDITIONS DU CERF


29, Boulevard Latour-Maubourg
75340 PARIS-CEDEX 07
:
Ont collaboré à ce numéro

Jean-Louis CHARLET, Professeur à l'Université de Provence,


+
Aix. Anselme DAVRIL, ancien Professeur à l'Institut supérieur
de Liturgie, Abbaye de St-Benoît-sur-Loire * Sœur ETIENNE,
Abbaye de Pradines, Regny + Jacques FONTAINE, Professeur
à l'Université de Paris IV* Pierre-Marie Gy, CNPL, Paris
+
+ Jean-Yves HAMELINE, CNPL, Paris Renée MOINEAU,
CNPL, Paris. Jacques PERRET, Professeur honoraire à la
Sorbonne, Paris
REMOND, Paris
+
+ Cardinal Paul POUPARD, Rome +
Didier RIMAUD, Lyon. Gaston SAVORNIN,
René
CNPL, Paris.
LA MAISON-DIEU
N°173
L'HYMNAIRE DE
« Liturgia Horarum »

SOMMAIRE

Collectif L'hymnaire de «Liturgia


Horarum »
française
et sa traduction
7
Pierre-Marie Gy Le trésor des hymnes 19
Jacques PERRET Aux origines de l'hymnodie

Jean-Louis CHARLET
romaine
latine — l'apport de la civili-
sation
Richesse spirituelle d'une
41

hymne d'Ambroise .-
Aeterne
rerum conditor 61
»
Dag NORBERT

Sœur ETIENNE
tunatpour la croix
Le «Pange lingua

Le cantique nouveau
de For-

de
71

l'Église en prière 81
Anselme DAVRIL Réforme de l'office divin et
tradition 101
Renée MOINEAU «Cathédrale, demeure de
Dieu, demeure des hommes » 123
Paul Card. POUPARD Image, imaginaire et foi. 133
René REMOND Paul VI et les arts 139
Gaston SAVORNIN Écho du colloque « Paul VI
»
et les arts 143
Comptes rendus

LATOURELLE R., O'COLLINS G., éd. Problèmes etperspectives


de théologie fondamentale (R. LE GALL) pp. 153-156 —
DELLORO F., ROGGER H., BAROFFIO B., FERRARIS G. Monu-
menta liturgica Ecclesiae Tridentinae, saecula XIII antiquiora,
vol. II/A, Fontes liturgici — Liber sacramentorum, Trento.
(E. PALAZZO) pp. 156-157 — Liber Sacramentorum Engolis-
mensis. (E. PALAZZO) pp. 157-159 — FALSINI R., Per celebrare
l'Eucharistia, Istruzione generale del Messale Romano (J. EVE-
NOU) pp. 159-160.
c 'ETTE livraison de La Maison-Dieu propose deux
ensembles d'articles. Le premier concerne l'hymnaire
de « Liturgia Horarum », le second fait écho à trois

:
manifestations récentes dans le domaine des arts et de la

;
liturgie le colloque de Pont-à-Mousson (France), en juin
1987, sur les cathédrales le colloque de Sion (Valais),
en septembre 1987, sur «Image, imaginaire et foi ; la»
journée d'étude de janvier 1988, à Paris (Institut catholique
et UNESCO), sur Paul VI et les arts.

:
Depuis le concile Vatican II l'Office romain comporte
deux hymnaires qui se complètent l'un l'autre d'une part,
l'hymnaire traditionnel (en latin ou en traduction) et,
d'autre part, des hymnes composées en langue vernaculaire.
»
La « Liturgie des Heures des pays de langue française
contient principalement des hymnes composées en français.
Mais, par ailleurs, sur la demande de la « Commission
internationale francophone pour les traductions et la litur-
gie » (CIFTL), la traduction intégrale de l'hymnaire latin
vient d'être achevée, grâce aux efforts conjugués, d'une
part, d'un groupe de latinistes professeur d'université
constitué autour de Jacques Fontaine, professeur à la
Sorbonne, et, d'autre part, de moines de Solesmes. Cette
traduction a été confirmée par le Siège Apostolique et,
une fois publiée, elle se substituera aux traductions d'ori-
gine privée qui ont pu être utilisées jusqu'à maintenant.
Le moment était donc venu, pour La Maison-Dieu,
d'étudierl'hymnaire dans la tradition latine et romaine,
à la fois par un regard global et par des monographies
d'hymnes. Du premier point de vue, Jacques Perret, auteur
d'une admirable traduction de Virgile, met en lumière ce
grand cas d'inculturation de la révélation chrétienne en
poésie que représente l'apport de la civilisation romaine
à la liturgie. L'article général de Pierre-Marie Gy et les
deux articles de Jean-Louis Charlet et de Dag Norberg
amorcent une évaluation de l'hymnaire romain non seu-
lement comme « lex orandi » mais comme trésor pour la
prière.
dans deux directions :
Il convenait que cet ensemble d'études soit prolongé
celle de l'hymnaire français, qui

;
fait l'objet de l'article de Sœur Etienne, moniale bénédic-
tine celle aussi d'une réflexion sur l'hymnique comme
telle, sur l'importance de la «poésie pour Dieu », de ce
que le poète Patrice de la Tour du Pin a appelé la
« théopoésie », sœur de la théologie. On trouvera des
éléments en ce sens dans la table ronde placée en tête de
ce cahier.
La Maison-Dieu, 173, 1988, 7-17
TABLE RONDE

L'HYMNAIRE DE
«
LITURGIA HORARUM »
ET SA TRADUCTION FRANÇAISE

TABLE RONDE

Pierre-Marie Gy. — Pour parler ensemble de l'hymnaire


de la « Liturgia Horarum » et de sa traduction française,

:
à laquelle nous avons presque tous pris part, notre table
ronde réunit des compétences diverses celle du poète,
de M. J. Perret, le maître-traducteur de Virgile ;
auteur d'hymnes françaises, avec le P. D. Rimaud ; celle
celle
de M. J. Fontaine, qui fait autorité dans le domaine de
l'hymnique latine chrétienne. Le P. J.- Y. Hameline et
moi-même sommes ici comme liturgistes, lui surtout, au
point de jonction entre l'histoire de la liturgie et celle
de la musique. Certains d'entre nous ont-ils à s'exprimer
d'abord sur notre entreprise de traduction comme telle?

J. Perret. — Je me suis inscrit avec plaisir dans la


petite équipe qui a travaillé. Initialement, je pensais que
nous n'aboutirions jamais. Et nous avons abouti. J'étais
effrayé à la perspective de faire une traduction officielle,
alors que mon expérience c'est que les traductions doivent
varier suivant les époques et il faut qu'il y ait beaucoup
de traductions qui se succèdent.

D. Rimaud. — Pour reprendre un peu les choses


comme M. Perret les a commencées, ma grande crainte
était de m'affronter à un latin difficile avec lequel je me
bats depuis ma plus tendre enfance et pour lequel j'avais
peu de sympathie.
Et puis, il y avait, de ma part, une assez grande
méconnaissance des hymnes de Liturgia Horarum.
Je connaissais un certain nombre de celles qui sont
réputées comme étant de grande valeur, celles d'Am-
broise, de Prudence, pour ne citer que des noms que
j'ai retenus et qui émergent.
Alors, j'ai eu un très grand intérêt à travailler à ce
Corpus qui constitue une sorte de trésor pour l'Église,
même s'il n'est pas grandement utilisé dans beaucoup
d'endroits. Ce qui m'intéressait vivement, c'était de voir
comment les hymnes modernes — puisque je suis plus
ouvert sur les hymnes modernes que sur les anciennes
— comment les hymnes modernes s'inscrivent dans cette
tradition. Je vois d'assez grandes différences entre l'hym-
nodie contemporaine et l'hymnodie de la tradition, notam-
ment en ceci qu'elle est hymnique dans un sens moins
contemplatif du mystère — ou moins doxologique — et
qu'elle est quelquefois plus implorative plus dépréciative.
,

P. M. Gy. — Je voudrais vous poser, à vous, mais


aussi à nos latinistes, une question à propos de ce type
de poésie religieuse, de poésie adressée à Dieu, en
somme.
Je crois deviner que la poésie nous permet aujourd'hui
de traiter un rapport avec Dieu des profondeurs de nous-
mêmes, que la psychologie de notre temps nous a appris
à mieux connaître et que d'autres types de prière ne
traitent pas aussi bien.
Je me demande si certaines des choses que nous
chantons à l'église sont vraiment poétiques ou au contraire
d'un type de langage qui est de notre temps, mais qui
n'est pas toujours poétique ?
:
D. Rimaud. — Je crois qu'il faut le dire tout net il
y a bien des choses que nous chantons à l'église et qui
ne sont pas de nature poétique. Il n'y a pas que la
les psaumes:
poésie qui soit entrée dans la liturgie. Et puis, il y a
ils sont d'une poésie sans doute assez
éloignée de ce que nous appelons la poésie.
J. Fontaine. — La poésie est le contraire de la prose
— comme dit M. Jourdain. C'est un discours qui est
plus pur, plus dense, qui se tient beaucoup plus près de
l'expression du vécu, en l'occurrence du vécu religieux,
en particulier à cause de ce qui a été souvent massacré
:
dans les traductions et à quoi nous avons jalousement
veillé l'intensité métaphorique. Il semble que là, nous
sommes dans le vif du sujet, car la métaphore est vive,
comme dit Ricœur, elle est un langage du vécu beaucoup
plus transparent à ce vécu et qui est un langage qui
transfère (metaphora = translatio), et c'est par là qu'on
rejoint l'essence même de la poésie religieuse ; trans-
cendimus ea, dit Saint Augustin, lors de l'extase d'Ostie.
Cela doit aller jusqu'à nos âmes et nous faire passer
au-delà. Ce passage au-delà, c'est ce que fait opérer la
poésie, d'un pur point de vue littéraire. Et c'est préci-
sément par là qu'elle coïncide avec le projet d'une
expression religieuse totale. Cela relève d'une analyse
purement formelle et littéraire, mais il me semble que
cela a été très important dans l'orientation du travail
que nous avons fait.
P.M. Gy — Il me semble qu'il y a deux éléments
d'une part un certain rythme du langage ; d'autre part
:
un fonctionnement des images qui n'est pas réservé aux
En voici deux exemples :
hymnes, mais dont les hymnes sont un lieu privilégié.
Pour évoquer le mystère de l'Ascension du Christ,
S. Augustin a employé une image, reprise par plusieurs
autres après lui, selon laquelle, lors de l'Ascension, « la
tête du Corps arrive au Ciel ». C'est une image extra-
ordinairement profonde et parlante !
Mon second exemple est pris, non de Liturgia Horarum,
mais d'une hymne pour l'Assomption de Crashaw, ce

:
poète anglais du 17e s. converti au catholicisme. On y
trouve une image hardie lors de l'Assomption de Marie
« le ciel retourne chez lui », « Heaven goes home ».

J. Fontaine. — Une traduction poétique doit tenir


compte d'abord de la poésie et du langage poétique, et
s'est dénoué au siècle dernier :
la gageure que nous avons tentée est de renouer ce qui
la tradition hymnique
latine, d'une part, et d'autre part, ce qu'on appelle les
»
« cantiques au sens du 19e siècle.

P.M. Gy. — La question n'est pas de dire qu'il n'y


a pas d'autres discours, d'autres paroles, d'autres véhicules
de la foi que la poésie, il faudrait savoir si la poésie
est nécessaire parmi les véhicules de la foi et s'il y a
des choses qu'elle est seule à pouvoir faire.

J. Perret. — Si on se place en dehors de la liturgie,


il suffit de lire Péguy, par exemple. Peut-on imaginer

Eve ? C'est absolument impossible !


qu'il soit possible de mettre en prose ce qu'il y a dans
Ce sont des choses
qui s'effondreraient dans le ridicule, dans l'inanité, si
c'était exposé en forme de prose. Et quand c'est exposé
en forme de poésie — je pense par exemple à cette
évocation de la résurrection au dernier jour —, ce sont
des choses que non seulement je trouve belles, mais qui
m'approfondissent, me semble-t-il, dans mon adhésion à
ce que peut être cette vie éternelle. C'est une chose,
cela. Alors, je reprendrais ce que disait M. Fontaine
la poésie rend possible des métaphores.
:
Les métaphores, il me semble, ne peuvent guère
s'employer abondamment et librement, que dans un
langage rythmé qui, tout de suite, invite le lecteur à se
placer à un autre plan. La poésie comme langage distinct
de la prose a sa place dans la prière.
J. Fontaine. — Et c'est là qu'il faut dire modestement,
au niveau des artisans que nous avons essayé d'être,
qu'on n'avait pas très sérieusement jusqu'ici abordé une
traduction qui satisfasse aux exigences que nous nous
sommes imposées.

;
D. Rimaud. — Il y a eu des essais de traduction avec
d'autres présupposés de ce que c'est que la poésie par
exemple, que la poésie française devait être obligatoi-
rement rimée, avec des alexandrins de préférence.

J. Perret. — Nous pouvons dire que nous avons


bénéficié d'une libération de la poésie qui s'est produite
dans le courant de la création littéraire française du
19e siècle et que cela n'aurait pas été possible il y a un
siècle. Il y a un siècle, on était enfermé dans les rendus
prosaïques misérables des hymnes latines, en considérant
que c'était intraduisible et que pour le peuple, on ne
pouvait faire que des choses très élémentaires.

J. Fontaine. — Peut-être la fréquentation de la poésie


moderne, au sens très large où on la définit depuis un
siècle en France, nous rend-elle plus sensibles qu'on
n'aurait pu l'être il y a un siècle et demi, au type de
poésie qui se dit dans l'hymnodie latine. Il me semble,
en particulier, que le rutilement d'images contradictoires
est une chose qui ne nous choque plus comme elle aurait
choqué il y a un siècle et demi.
Par conséquent, nous bénéficions d'une conjoncture
dans laquelle on peut tenter l'expérience avec une certaine
chance, parce que cette nouvelle perception de l'essence
de la poésie nous encourage à créer en supposant à
l'avance une réceptivité nouvelle du lecteur (ou liseur-
chanteur d'aujourd'hui), à l'essence même de la poésie
hymnique la plus ancienne.

P. M. Gy. — Dans les propos que nous tenons, le


problème le plus difficile est de savoir si, face à la
création littéraire actuelle, notre entreprise est, non seu-
lement légitime, mais, d'une certaine façon, nécessaire
pour renouer avec la tradition.

J. Fontaine. — La poésie religieuse du 20e siècle est


une poésie qui vaut comme poésie, mais elle n'abolit
pas l'existence d'une tradition dont nous devons prendre
conscience qu'elle est aussi la nôtre. Il est très important
que nous soyons conscients de notre solidarité — volentes
nolentes — avec la tradition vivante depuis les origines

:
de l'hymnodie, depuis le 4e siècle, depuis que le français
était encore le latin, si j'ose dire c'est la façon de
prendre conscience de ce que nous portons en nous et
peut-être de percevoir aussi, par différence, ce que nous
apporte la modernité.
Il me semble important que cette poésie française
moderne puisse entrer en dialogue avec la tentative que
nous avons faite de tendre une passerelle entre le latin
et le français et de faire passer dans le français ce qui
ne paraissait accessible que dans le cadre d'une culture
latine.

D. Rimaud.
Tour du Pin
-- Permettez que je cite ici Patrice de la
il me disait qu'il voulait rendre à la
poésie son rôle de véhicule de la foi, ce qui est, à mon
avis, une très belle chose.
C'est vous, Père Gy, qui m'avez un jour éveillé à cela
en me parlant d'une poésie mystagogique, c'est-à-dire
une poésie dont la beauté vient de ce qu'elle contemple.
Je pense à l'expression de Patrice de la Tour du Pin,
«une hymne émerveillée ». Je trouve cela absolument
extraordinaire. Une hymne qui est émerveillée du mystère
qu'elle évoque. Alors, la poésie chrétienne est une véri-
table poésie et elle est intéressante pour nos contem-
porains parce qu'elle dit quelque chose du mystère qu'elle
contemple et sa beauté vient de la beauté qu'elle
contemple, et non pas d'abord du métier de l'auteur.
Pour dire cela, Patrice de la Tour du Pin a inventé le
mot de « théopoésie » à côté du vieux mot de théologie.
P. M. Gy. — Que pensez-vous des formes de cette
poésie latine que nous avons essayé de garder dans notre
traduction, à savoir, des octosyllabes, des quatrins ? Est-
ce que cette forme-même n'est pas une barrière aujour-
d'hui ?

J. Fontaine. — Quand nos contemporains pensent à


de la poésie, ce à quoi ils pensent, c'est à la poésie
telle qu'elle apparaît à travers les chanteurs soucieux de
forme littéraire, car il y en a d'autres qui visent plutôt
le mime, l'expressivité, le mouvement, la gesticulation !
J. Perret. — Quand Ambroise a créé cette forme du
quatrin d'octosyllabes, il n'y a pas de doute qu'il a
employé un vers qui était employé dans la poésie profane.

»
J. Fontaine. — Les « petits vers — c'est une question
peut-être plus optique qu'acoustique.
J. Perret. — Regardez une hymne comme l'Ave Maris
Stella — je ne comprends pas comment on peut repousser
les petits vers et chanter YAve maris Stella !
Est-ce que, dans les derniers mois, vous avez eu
connaissance d'expériences qui aient été faites, d'utili-
sation de nos traductions à l'office?

D. Rimaud. — Non, parce qu'il n'y a pas encore, à


ma connaissance, de musique écrite sur ces pièces-là.
J. Fontaine. — Vous avez dit, à l'instant, une chose
qui m'a étonné, c'est qu'il n'y a pas encore de musique.
Pour ces textes qui sont en octosyllabes (pratiquement,
avoir des myriades!
elles sont en octosyllabes depuis Ambroise), il doit y en
A commencer par les chorals de
Bach, sur quoi on peut facilement chanter n'importe
laquelle de nos hymnes.
D. Rimaud. — Non, je ne pense pas, parce que les
différences d'appuis à l'intérieur de chaque vers sont
quand même des impératifs que nous ne nous sommes
pas donnés et si nous nous les étions donnés, nous ne
serions pas arrivés à la fin de nos travaux !
On peut les chanter sur des récitatifs très simples ou
ornés, où les différences de rythme et d'accentuation ne
font pas de difficulté. Mais cela pose un autre problème,
parce qu'à ce moment-là on a une hymnodie où des
hymnes qui vont être, par cette musique simple, de même
nature que la psalmodie, ce qui n'est pas toujours
souhaitable.

J. Perret. — Je ne suis pas assuré qu'à l'origine, les


hymnes d'Ambroise avaient chacune leur mélodie propre.

J. Fontaine. — Ce n'est peut-être pas un malheur !


Si
on est forcé d'aller vers des musiques simples, ce n'est
peut-être pas un malheur pour le peuple chrétien.

J. Perret. — On peut en avoir plusieurs. On ne les


chantera pas tous sur l'unique mélodie du Stabat Mater
Mais pour quelle raison ces musiques se sont-elles mul-
!
tipliées ? C'est, je crois, grâce à l'ingéniosité des maîtres
:
de chapelle qui se sont dit au lieu de chanter l'hymne
B sur la même musique que l'hymne A, imaginons pour
B une autre musique qui lui ira aussi bien et peut-être
mieux. Et c'est ainsi que s'est enrichi le trésor de la
mélodie chrétienne.

J.Y. Hameline. — A partir du Moyen Age, joue en


faveur de la mémorisation de la mélodie des hymnes
leur distribution calendaire. La mémoire s'est beaucoup
appuyée sur ce retour des mélodies attendues et aimées.
Elles étaient assez nombreuses et le fait de revenir avec
cette force, cette imprégnation, cette réserve, en parti-
culier, leur donnait un pouvoir d'être mémorisées beau-
coup plus facilement.
Je pense particulièrement à ce que, dans l'ancienne
France, on appelait les hymnes de l'Eglise, c'est-à-dire
les hymnes de vêpres qu'on chantait à la procession
avant la messe et dans beaucoup d'autres circonstances.
Aux solennités, on alternait ces hymnes avec l'orgue.
Et l'orgue jouait un grand rôle dans cette espèce de
prolongation de la métaphore hymnique dont il donnait,
profonde:
non seulement un écho décoratif, mais dévoilait la nature
chant du monde, des hommes, des choses et
des cieux — affirmation, dans la foi, que Dieu n'est
vraiment connu que comme louable et le monde reçu
que comme bonum repromissum.
Engagée dans un acte musical ou poétique, la foi
développe ses ressources métaphoriques (translatio cum
virtute) sous le double registre de la cogitatio fidei (ne
portant pas cette fois sur les concepts, mais sur toutes
les ressources du langage pour explorer ses objets) et
de l'adiniratio. Pas de foi sans consideratio,c'est-à-dire
le regard porté vers. Chez Amalaire, le simple «O»
des antiennes est interprété comme la métaphore même

;
du regard porté vers quelque chose.
On trouve cela dans Cicéron il y a toujours un regard
dans la métaphore — si je me souviens bien du de
oratore. Il y a l'aspect de cogitatio, comme exploration
des choses à entendre, à voir. Il s'agit, soit d'entendre,
de réentendre la vox ecclesiae, soit d'entr'apercevoir à
travers les mots, les choses qui sont désirables à connaître,
à aimer et à regarder et on se porte vers ces choses-là.
Pour ce qui est des époques plus récentes, je suis
frappé par l'importance de l'hymnodie dans les « revi-

:
valismes ». Tous les revivalismes à composante lettrée
voient une floraison d'hymnes — Mr J. Fontaine fait
allusion à cela à propos de Paulin ou de Prudence « on
se trouve là devant un phénomène assez proche d'un
Revival où des gens forment des communautés de vie ».
Et, là, on voit réapparaître l'élément de sociabilité, c'est-
à-dire que l'hymne n'est pas seulement une prière à
Dieu, mais devient d'une certaine façon un lien de
sociabilité. Ceci est extrêmement fort, par exemple à
l'époque de Wesley qui, pour moi, est le moment de la
;
naissance de l'hymnodie chrétienne moderne. C'est l'hym-
nodie de « Réveil », de type anglo-saxon c'est elle qui
va faire le fond de tous les mouvements de Réveil
américains, qu'on va retrouver également dans le Réveil
de langue allemande, ou pour la langue française, à
Genève, avec le pasteur Malan, et à Paris, avec le pasteur
Lutteroth. C'est cette hymnodie que vulgariseront les
« agences de Réveil », avec leurs chanteurs-compositeurs.
Dans cette hymnodie, la thématique est devenue réso-
lument adventiste. Ce qui l'emporte, ce n'est pas le cycle
du calendrier, mais l'attente du retour du Seigneur et
l'exhortation fraternelle pour pouvoir attendre ce retour.
C'est l'appel à la conversion immédiate dans le moment
qui suit — suivi par exemple d'une exclamation alle-
luïatique, quand celui qui fait son témoignage va pouvoir
rencontrer l'espace d'admiration de la communauté pour
le bon témoignage qu'il donne.
Pratiquement, le catholicisme a opposé des barrières
et liturgiques et musicales, à cette immense vague, jusque,
en gros, dans les années 1960.
Puis, pour des raisons qu'il faudrait élucider, soudain,
les digues se rompent et c'est vraiment un ras de marée,
à peu près dans toutes les églises chrétiennes, quelle que
soit leur langue, d'une hymnodie finalement de type
Wesleyen. Ce qui me gêne dans nos répertoires, actuel-
lement, ce n'est pas tellement que ce soit de mauvaises
musiques, mais, c'est que nous sommes pieds et poings
liés à une hymnodie moderne (et peut-être est-elle irré-
sistible ?) de type exagérément adventiste, dont les sup-
ports sont des supports de musique de Réveil. Même si
on en accepte le type de « sociabilité musicale » et les
aspects évidemment non négligeables d'édification fra-
ternelle, on peut en déplorer souvent la faiblesse de
contenu quant au mystère de la foi, l'insistance psycho-
logique et le peu de puissance métaphorique, sauf chez
les très grands auteurs (je pense à Wesley lui-même par
exemple ou César Malan).
J. Fontaine. — Nous, ce que nous voulons essayer,
c'est de faire affleurer à la conscience du peuple chrétien
les ressources qui sont, comme dit S. Augustin, « dans
les palais de la mémoire » et par conséquent renforcer,
si vous voulez, l'acte liturgique même, qui est actualisation
de tout le vécu de l'Eglise depuis son origine.
Il me semble que le retour à l'histoire auquel on
assiste aujourd'hui peut être une conjoncture favorable
pour que soit accueilli ce que nous avons essayé de faire,
même si c'est d'une façon abrupte, parce que nous avons
essayé d'être aussi exacts et honnêtes que possible avec
les poétiques successives.

P.M. Gy. — Oui, il y a quand même, s'agissant de


prière, une difficulté particulière, du fait que, dans
l'hymne, la personne ou le groupe cherchent à se relier
à Dieu par le plus profond de ce que nous avons à dire.
Ce que nous avons entrepris était d'essayer de montrer
l'intérêt pour notre prière d'hommes du 20e siècle, de
textes qui nous sont difficiles et parfois lointains. Mais
il est plus difficile d'ouvrir les cœurs à des hymnes
anciennes, qu'il n'est difficile, pour un grand historien
du Moyen Age, d'intéresser, l'espace d'un soir, son public
à une histoire qu'il raconte avec beaucoup d'intelligence
et de talent.
MANUELS
DES MOTS POUR PRIER
PRIÈRES DES GRANDS ORANTS
J. DORCASE

265 prières de grands orants choisies avec soin et


adaptées pour la prière personnelle ou la prière
commune.
Une table des thèmes facilite leur usage.

Coll. Epiphanie 304 pages, 72 F.


-

EVODEBEAUCAMP
LES GRANDS THÈMES
DE L'ALLIANCE Les grands
thèmes

rJ
Evode Beaucamp de l'Alliance

lliW'Q
L'expérience de l'Alliance a fait éclater le mythe
de l'éternel retour et introduit une vision neuve
de l'histoire. Étudiée ici à travers les thèmes yr
Y x -V
majeurs qui l'expriment création, dont de la
terre, rédemption
l'Alliance
,
et
-
salut, péché et justice -
entre Israël et son Dieu apparaît
,
0y
+o"(A.).
w;:,8u'
)\"i"
',ç-L't:'t'
comme le fondement même de la religion de la
Bible.
~N~t - JJ
JQ.' ::f
Coll.LirelaBible
132 pages 88F
ri'81 lltnjfl
Q niM
La Maison-Dieu, 173, 1988, 19-40
Pierre-Marie Gy

LE TRÉSOR DES HYMNES

D concile Vatican II, l'Office divin, la liturgie


EPUIS le
des Heures, comporte ou peut comporter au rite
romain un double hymnaire, à savoir d'une part
l'hymnaire traditionnel, en latin dans son texte original,
réformé selon ce qui est prévu à l'article 93 de la
constitution Sacrosanctum Concilium et d'autre part un
deuxième hymnaire, en langue vernaculaire, adapté,
complété ou même recomposé en vertu de la faculté,
donnée aux conférences épiscopales par le n° 176 de la
Présentation générale de la liturgie des Heures, « d'adapter

1. «Les hymnes, autant qu'il semblera utile, seront rendues à leur


forme primitive en supprimant ou en changeant tout ce qui sent la
mythologie ou s'harmonise mal avec la piété chrétienne. On en
admettra aussi, selon l'opportunité, d'autres qui font partie du trésor
des hymnes » (Recipiantur quoque, pro opportunitate, alii qui in
hymnorum thesauro inveniuntur).
De deux phrases de cet article la première est apparue dans le
deuxième schéma préconciliaire de la Constitution, et la deuxième a
été ajoutée dans le troisième schéma. A ce texte il n'a été apporté
au cours du concile que des retouches de latinité.
les hymnes latines au génie de leur propre langue ainsi
que d'introduire de nouvelles créations hymnodiques » 2.
C'est ainsi que dans l'espace liturgique francophone
sont en usage d'une part l'hymnaire latin de Liturgici
Horarum (avec sa traduction officielle, confirmée par le
Saint-Siège, laquelle est sous presse), et d'autre part
l'hymnaire de la Liturgie des Heures en français, qui
comporte, en plus d'un petit nombre d'hymnes latines,
de nombreuses hymnes anciennes ou modernes composées
en notre langue.
Disons d'emblée en toute netteté que le propos du
présent article n'est pas d'opposer l'un à l'autre les deux
hymnaires, ni même de suggérer une préférence là où
je pense qu'il existe une utile complémentarité. Je m'oc-
cuperai exclusivement de l'hymnaire latin, sans chercher
de façon générale à porter une appréciation sur la réforme
de cet hymnaire effectuée dans la Liturgia HOrarllln de
Paul VI. mais en m'attachant à la manière dont Liturgia
Horarum nous permet d'accéder au « trésor des hymnes ».
Je ne considérerai pas non plus la part de ce trésor qui
est formée d'hymnes françaises.

MUSÉE IMAGINAIRE ET TRÉSOR


DE LA PRIÈRE LITURGIQUE
Ce «trésor des hymnes »dont parle la constitution
sur la Liturgie, qu'est-ce à dire?
Dans son Musée imaginaire André Malraux a rassemblé,
pour son plaisir et celui des lecteurs cultivés, une bien
belle collection d'œuvres d'art choisies, photographiées
et commentées avec un immense talent. Oserai-je dire

2. «En ce qui concerne la célébration en langue vivante, les


conférences épiscopales ont la faculté d'adapter les hymnes latines
au génie de leur propre langue, ainsi que d'introduire de nouvelles
;
créations hymnodiques, pourvu qu'elles s'accordent exactement à
l'esprit de l'heure. du temps ou de la fête de plus on veillera
soigneusement à ne pas admettre de petits cantiques populaires qui
n'auraient aucune valeur artistique et ne répondraient pas vraiment
à la dignité de la liturgie. »
que la liturgie en général, et l'hymnaire de la Liturgia
Horarurn en particulier, est comparable à un musée
imaginaire ?
Paul Claudel n'a-t-il pas écrit que Sophocle
et Pindare lui paraissaient fades auprès de l'Exultet -' ?
Mais en même temps la liturgie entre déjà dans cet
arrière-pays dont Malraux semble avoir eu si vive
conscience qu'un musée imaginaire ne pouvait être que
le porche ou la nostalgie. La liturgie n'est pas imaginaire,
mais realized eschatology, et s'il lui arrive d'être musée

étranger :
et seulement lieu d'admiration, c'est pour le visiteur
Pour ceux qui sont « de la maison de Dieu
(Ephésiens 2, 19), et même pierres vivantes formant
»
l'Eglise maison de Dieu et «société de la louange
divine » 4, la liturgie est, conjointement et inséparable-
ment avec l'amour de Dieu et du prochain, ce par quoi
ils sont pierres vivantes.
Hippolyte, que l'Eglise Romaine vénère comme saint
à cause du témoignage qu'il a scellé de sa mort, considère
qu'il est essentiel à l'Eglise d'être le sanctuaire, non
seulement de la vraie foi mais de la vraie doxologie,
étant entendu, comme l'écrira S. Basile que de la
première à la seconde il y a un enchaînement néces-
saire l'Eglise est le lieu spirituel où la Trinité est glori-
:

fiée, le lieu donc de la vraie doxologie c'est pour cela


:
qu'Hippolyte fait mention de l'Eglise dans les doxologies
de la Tradition Apostolique 6 ; et la prière d'ordination
épiscopale composée par Hippolyte, qui est depuis
Vatican II celle de l'Eglise Romaine, dit à Dieu
Apôtres « ont établi l'Eglise en chaque lieu comme ton
les :
3. «. Le sublime chant de l'Exultet, auprès duquel les accents
les plus enivrés de Sophocle et de Pindare me paraissaient fades»
(Ma conversion, cité par A. du SARMENT. Claudel et la Liturgie,
Bruges 1946, 106).
4. P. GUERANGER, L'Eglise ou la société de la louange divine,
Angers 1875.
5. S. BASILE, Ep. 125, 3 (PG 32, 549 B).
6. Sur l'Eglise comme lieu de la foi trinitaire et de la doxologie,
cf. B. BOTTE, La Tradition Apostolique de S. Hippolyte, Münster
1963, p. 51.
sanctuaire, à la louange incessante et à la gloire de ton
Nom
A
» 7.
vérité c'est par
la la Lex Orandi que les membres
de l'Église ont appris et apprennent chaque jour à être
des membres vivants. Ce n'est pas ici qu'il convient de
peser à nouveau la manière dont s'ajustent entre elles
la portée doctrinale et la portée priante du vieil adage
de Prosper d'Aquitaine, ni d'expliquer comment, pour
S. Thomas d'Aquin, l'oratio Ecclesiae est surtout puis-
sance d'intercession, alors que Dom Guéranger semble
bien avoir, en synthétisant ces richesses anciennes, montré
de façon nouvelle que la liturgie est prière de l'Église
en ce sens que, par ses formes, ses textes, ses chants,
elle apprend à ses enfants à prier, elle est école et
éducatrice de prière. C'est ici que le thème du Musée
imaginaire prend l'intérêt nouveau d'une sorte de méthode
active dans l'apprentissage de la prière. J'ai autrefois
tenté quelque chose de ce genre à propos du lectionnaire
patristique de la Liturgie des Heures 8. Je voudrais en
donner ici quelques exemples dans l'hymnaire de Liturgia
Horarum.
S'agissant de la Liturgie des Heures, le bien de prière
qui est en cause est celui de l'Église comme telle, mais,
en pratique privilégiée, celui à la fois des communautés
religieuses et des prêtres et des diacres, qui sont offi-
ciellement les permanents de la prière de l'Église (Pré-
sentation générale de la Liturgie des Heures, n. 28). La
mise en œuvre de la réforme de l'Office divin décidée
par Vatican II ne pouvait pas, ici comme ailleurs, ne
pas se heurter à la tension historique entre «office
» »
cathédral et « office monastique ranimée sous la forme
nouvelle d'une tension entre liturgie populaire et liturgie
monastique ou cléricale, ou bien encore sous celle de la
tension entre la part personnelle et la part pastorale de
la prière du prêtre. Ces diverses questions, connexes

7. Prière de l'ordination épiscopale, texte liturgique en français.


Cf. B. BOTTE, La Tradition., p. 9.
8. «Théologie sacramentaire des Pères dans le lectionnaire de la
Liturgie des Heures», LMD 143, 1980, 137-151.
entre elles, interfèrent au moins indirectement avec celle
de l'hymnaire dans la mesure ou celui-ci, comme on le
verra plus loin, est d'origine monastique.
Mais je voudrais souligner dès maintenant, au sujet
des tensions évoquées ci-dessus, que la réforme de la
Liturgie des Heures repose, à mon avis à juste titre, sur
la conviction au moins intuitive qu'il ne fallait pas opter
ou trancher entre les positions en cause, mais que la
tension entre les deux pouvait être, et avait été au cours
de l'histoire, féconde pour la qualité de la prière.

GENÈSE DE L'HYMNAIRE ROMAIN

Nous connaissons relativement bien ou nous entre-


voyons, suivant les cas, le premier jaillissement de l'hym-
nique chrétienne latine et son impact sur la prière et la
culture des chrétiens d'Occident 9, mais c'est seulement
à partir du 6e s. que commencent à se préciser d'une

répertoire des hymnes :


part son Sitz im Leben liturgique et d'autre part le
La Règle de S. Césaire d'Arles
nous fait connaître un embryon de répertoire et celle de
S. Benoît atteste à la fois que chaque Heure de l'Office
comporte une hymne et que la place de celle-ci varie
selon les Heures. Ce double témoignage monastique est
d'autant plus important que l'emploi des hymnes dans
l'Office restera propre aux moines jusque vers l'époque
de la réforme grégorienne, époque à laquelle les commu-
nautés canoniales, et de façon générale les clercs qui

9. Cf. la magistrale étude de J. FONTAINE, Naissance de la poésie


dans l'Occident chrétien. Esquisse d'une histoire de la poésie latine
chrétienne du 3e au 6e siècle, Paris 1981. Et, pour toute la suite de
l'article, se référer au Handbuch de J. SZÖVERFFY, Die Annalen der
lateinischen Hymnendichtung, 2 vol., Berlin 1964-1965.
prient l'Office, emprunteront aux moines à la fois la
pratique des hymnes et leur répertoire 10.
Il faut dire ici quelques mots de la constitution de
l'hymnaire qui a été la base du répertoire des hymnes
de l'Office pendant de longs siècles et qui demeure pour
ainsi dire la colonne vertébrale de l'hymnaire de la
réforme de Vatican II. La question avait été explorée
au début du siècle par le Jésuite allemand Clemens Blume
et le Bénédictin français André Wilmart, et vivement
débattue entre eux 11. Elle a été renouvelée il y a vingt
ans par Helmut Gneuss, professeur à l'université de
Munich 12. Je rappelle l'essentiel de ce qu'il a clarifié ou
apporté de nouveau, en y ajoutant moi-même quelques
réflexions.
1° Jusqu'au milieu du 8e s. nous connaissons quelques
fragments de répertoire hymnique mais, contrairement à
ce que supposait Blume, ils n'offrent que de faibles

:
chances de remonter à l'hymnaire employé par S. Benoît.
A cela j'ajoute deux remarques La première est que
cette constatation au sujet des hymnes converge avec
une constatation plus générale, à savoir que l'Office
bénédictin tel qu'il nous est connu depuis l'époque caro-
lingienne est une reconstitution effectuée sur la base de
l'Office romain et de la Règle de S. Benoît.
Ma deuxième remarque est qu'il n'existe pas non plus
un recueil historiquement transmis des hymnes composées
par S. Ambroise, mais un recueil reconstitué à l'époque

10. Dans son importante thèse de doctorat, soutenue en 1987 et


encore inédite, sur La tradition manuscrite des quatorze hymnes
attribués à S. Ambroise jusqu'àlafin du 11e s., Madame M.-H. JULLIEN
a réétudié systématiquement la provenance des hymnaires jusque
dans le cours du 11e s. tous sont monastiques (pour le cas exceptionnel
de Saint-Martin de Tours, cf. ci-dessous, note 14).
11. Cl. BLUME, Der Cursus S. Benedicti und die liturgischen Hymnen
des 6. -9. Jahrhunderts in ihrenBeziehung zu den Sonntagund Ferial-
hymnen unseres Breviers, Leipzig 1908. A. WILMART, « Le Psautier
de la Reine. Sa provenance et sa date », Revue Bénédictine 28, 1911,
341-378.
12. H. GNEUSS, Hymnar undHymnen im Englischen Mittelalter,
Tübingen 1968.
moderne à partir de quatre hymnes attestées dans l'Anti-
quité et d'un labeur de trois siècles de critique littéraire u.
2° Dans la deuxième moitié du 8e s. et au commen-
cement du 9e s. nous est maintenant connu ce que
j'appellerai le premier hymnaire monastique franc, rem-
placé vers l'époque de Louis le Pieux par un nouvel
hymnaire, définitif pour des siècles, dont Gneuss propose
d'attribuer la constitution à Benoît d'Aniane, le grand
réformateur de l'institution monastique. A quoi j'ajouterai
que l'hymnaire de Benoît d'Aniane a vraisemblablement
été ébauché par Alcuin à Saint-Martin de Tours, à
l'époque où la communauté de Saint-Martin n'avait pas
encore été obligée d'opter entre vie monastique et vie
canoniale 14.
Dans le nouvel hymnaire on peut, suivant les cas,
reconnaître ou deviner tantôt des compositions nettement
plus anciennes, tantôt des créations carolingiennes.
Appartiennent certainement à cette deuxième catégorie
le Veni creator, l'Ubi caritas qui est chanté pendant le

13.
de S. Ambroise attestées par S. Augustin :
L'hymnaire de Liturgia Horarum contient les quatre hymnes
Deus creator omnium
(premières vêpres du dimanche), Aeterne renun conditor (laudes du
dimanche, 2e série), Veni redemptor gentium (office des lectures, 17-
24 décembre). On peut y joindre l'hymne Splendor paternae gloriae
(laudes du lundi, 2e série), d'authenticité quasi certaine, et les deux
hymnes Hic est dies (office des lectures au temps pascal) et Agnes
beatae virginis (Ste Agnès), dont l'authenticité est possible ou même
vraisemblable. Mais il me paraît difficile d'inclure dans ce groupe
l'hymne Apostolorum passio (laudes des SS. Pierre et Paul).
14. Plusieurs arguments paraissent aller dans ce
sens. En premier
lieu les hymnes inclus par Alcuin dans ses Libelli Precum (éd.
WILMART, Rome 1941 ; cf. également le libellus de Bamberg étudié
par R. CONSTANTINESCU, « Alcuin et les "Libelli Precum" de l'époque
carolingienne », Revue d'histoire de la spiritualité 50, 1974, 17-56)
correspondent déjà au nouvel hymnaire de Benoît d'Aniane. En
deuxième lieu l'étude textuelle des hymnes d'Ambroise faite par M.-
H. Jullien permet de déceler une précoce influence tourangelle en
direction de l'Aquitaine. En troisième lieu l'hymne Martine par
apostolis (que la Liturgia Horarum emploie pour le 11 novembre),
doit avoir été composée par S. Odon de Cluny alors qu'il était encore
chanoine à Saint-Martin de Tours. Enfin peut-être pourrait-on exa-
miner dans la même perspective les hymnes attribuées à Alcuin.
lavement des pieds, à la messe du jeudi saint, et l'Ave
maris stella. Heinrich Lausberg a prouvé que le Veni
creator prenait place de façon précise dans le débat
doctrinal franc au sujet de la procession du Saint-Esprit
ab Utroque, et il a même émis l'hypothèse que cette
hymne avait été créée par Raban Maur en 809, lors du
concile d'Aix-la-Chapelle sur le Filioque15. A dire vrai

:
la question du Filioque n'apparaît que dans la strophe
conclusive
Per te sciamus da Patrem
noscamus atque Filium,
te utriusque Spiritum
credamus omni tempore.
Fais-nous connaître Dieu le Père,
Fais-nous apprendre aussi le Fils
Et croire en tout temps que tu es
L'Unique Esprit de l'un et l'autre.

Le reste de l'hymne — et c'est cela surtout que la

:
tradition de la prière a retenu — est invocation de
l'Esprit-Saint dans son mystère
Qui diceris Paraclitus,
donum Dei altissimi,
fons vivus, ignis, caritas
et spiritalis unctio.
Toi qu'on appelle Conseiller,
Don du Seigneur de majesté,
Source vive, Feu, Charité,
Toi qui es onction spirituelle.

C'est la plus belle poésie liturgique romaine sur l'Esprit


Saint avec le Sancti Spiritus adsit de Notker de Saint-
Gall et le Veni sancte Spiritus de l'archevêque de Can-

15. H. LAUSBERG, Der Hymnus 'Veni Creator Spiritus', Opladen


1979.
torbéry Etienne Langton, que le missel romain à
conservée 16.
L'attribution de l'Ubi caritas Paulin, patriarche
à
d'Aquilée et ami d'Alcuin, me paraît au contraire avoir
été solidement établie par Dag Norberg, qui propose d'en
voir l'origine au moment du synode de Cividale de 796
ou 797 et non, comme l'avait pensé Wilmart, dans le
contexte qui sera ensuite celui de cette hymne, à savoir
la pratique monastique du lavement des pieds 17.
Quoi qu'il en soit de ces deux hymnes, je dirais
volontiers, en un paradoxe qui n'est qu'apparent, en
premier lieu que leur valeur classique, en culture et en
prière, est indépendante de leur intention originelle et
des circonstances dans lesquelles elles ont été créées, et
tient à leur rapport à des réalités chrétiennes essentielles,
l'invocation du Saint-Esprit et le lien de la charité en
second lieu que connaître ces circonstances nous aide à
;
percevoir leur valeur de façon plus aiguë, comme Dag
Norberg le rappelle ici-même à propos du Pange lingua
pour l'adoration de la Croix.
Quant à l'Ave maris stella, qui est également d'époque
carolingienne sans qu'on puisse en déterminer avec cer-
titude la date ni l'auteur l8, il combine sans effort la
profondeur de doctrine et de sentiment, la perfection
littéraire et la simplicité :
16. Cf. A. WILMART, Auteurs spirituels et textes dévots dumoyen
âge latin, Paris 1932, 38-45. A quoi l'on peut ajouter qu'il existe un
sermon inédit de Langton sur le Veni S. Spiritus (Leipzig U.B. 443,
97ra-100ra).
(Studia Latina Holmiensia, 2), Stockholm 1954, 87-97 ;
17. D. NORBERG, La poésie latine rythmique du haut moyen âge
L'œuvre
poétiquedePaulin d'Aquilée. Edition critique avec introduction et
commentaire, Stockholm 1979.
18. L'attribution à Ambroise Aupert a été proposée par
H. LAUSBERG, Der Hymnus « Ave maris stella », Opladen 1976, et
récusée par l'éditeur d'Ambroise Autpert, Dom Robert WEBER,
«Ambroise Autpert serait-il l'auteur de l'hymne "Ave maris
stella" ? », Revue Bénédictine 88, 1978, 159-162. Il est clair que l'étude
de Lausberg garde sa valeur du point de vue de la critique littéraire,
mais que la question de l'auteur et du contexte de théologie mariale
est à reprendre à nouveaux frais.
Ave, maris stella, Salut, Etoile de la mer,
Dei mater alma, ô très sainte Mère de Dieu,
atque semper virgo, toi qui es Vierge à tout jamais,
felix caeli porta. ô Porte du ciel bienheureuse.
Sumens illud « ave
Gabrielis ore,
» Toi qui accueilles cet Ave
de la bouche de Gabriel,
funda nos in pace, affermis nos cœurs dans la paix
tu as inversé le nom d'Eve.
:
mutans Evae
nomen.
Monstra te esse Tu es Mère, montres-le nous
Que Celui qui pour nous est né
!
matrem,
sumat per precem en acceptant d'être ton fils
qui pro nobis natus accueille par toi nos prières.
tulit esse tuus.

A ces cas de créations hymniques carolingiennes dont


le contexte nous est connu soit avec précision soit avec
une certaine approximation on pourrait en comparer
d'autres, dans l'héritage plus ancien que l'hymnaire caro-
lingien a recueilli. Du point de vue qui m'occupe l'Aeterne
rerum conditor de S. Ambroise, étudié ici-même par Jean-
Louis Charlet, est originellement une hymne caractéris-
tique ad gallicantum, à l'heure, proche de l'aurore, où
chante le coq, en même temps qu'elle est marquée, dans
la spiritualité d'Ambroise, par l'intérêt qu'il porte au lien
entre le repentir de Pierre et son ministère de pénitence.
Mais on voudrait en savoir davantage, par exemple, sur
l'Ad cenam Agni providi, qui donne l'impression d'être
encore une hymne de l'époque patristique pour des
néophytes adultes 19 :

Ad cenam Agni providi,


stolis salutis candidi,
post transitum maris Rubri
Christo canamus principi.

19. Cf. A. BASTIAENSEN, «The Hymn Ad cenam agni providi »,


Ephemerides Liturgicae 90, 1976, 43-76.
Cuius corpus sanctissimum
in ara crucis torridum
sed et cruorem roseum
gustando, Deo vivimus.
L'Agneau nous convie à sa table,
vêtus de blanc par son salut;
après avoir passé la mer,
célébrons le Christ notre chef.
En goûtant sa chair toute sainte,
brûlée sur l'autel de la Croix,
en goûtant le vin de son sang,
nous vivons de la vie de Dieu.
Une question comparable se pose au sujet de l'Urbs
lerusalem beata de la dédicace des églises son emploi
»
:
par le « pontifical de Poitiers au baptistère, le samedi
saint, est-il dérivé, ou originel 211 Ces deux derniers
exemples montrent en tout cas que, si l'hymnaire romain
a été organisé en milieu monastique, on ne peut dire
pour autant qu'il soit purement et simplement monastique
dans son contenu.

COMPLÉMENTS À L'HYMNAIRE
Fondamentalement constitué en milieu monastique à
l'époque carolingienne, devenu d'un usage général dans
le rite romain vers le temps de la réforme grégorienne,
l'hymnaire a reçu au cours des siècles des additions dont
certaines sont de grands chefs d'œuvre de prière et de

20. Cf. A. MARTINI, Il cosidetto Pontificale di Poitiers (Paris, Bibl.

:
de l'Arsenal, cod. 227), Roma 1979, n" 473 (texte de l'hymne) et
n" 407-408 «Intérim demittitur de camera ecclesiae super fontes
tornatile lignum in modum turritae civitatis. in cuius medio dependet
columba lignea ferens in ore ampullulam cum sacro chrismate. Tunc
canitur versus "Urbs beata Hierusalem". (408) Ad cuius inchoationem
descendit pontifex ab altari cum ordine praecedentium et subse-
quentium praesbiterorum et complet benefictionem fontis post decan-
tationem versus. »
poésie, et n'engendrent pas un manque d'harmonie avec
les pièces pré-carolingiennes ou carolingiennes parmi
lesquelles elles prennent place. On peut donner ici comme
exemples le Iesu dulcis memoria et les hymnes de la
Fête-Dieu. Le lesu dulcis memoria est un poème mystique
d'un cistercien anglais de la fin du 12e s. dont des
morceaux ont trouvé place dans la liturgie romaine 21 :
Iesu, rex admirabilis,
et triumphator nobilis,
dulcedo ineffabilis,
totus desiderabilis.
Jésus, le roi très admirable
et le noble triomphateur,
la douceur que nul mot ne dit,
le totalement désirable.

Les hymnes de S. Thomas d'Aquin pour la Fête-Dieu 22


sont pour une part encore proches du versant présco-
lastique de la poésie du 12e s., de la séquence Veni S.
Spiritus par exemple. Ainsi dans une strophe du Verbum

:
supernum prodiens nec Patris linquens dexteram qui
résume toute l'œuvre du Sauveur
Se nascens dedit socium,
convescens in edulium,
se moriens in pretium,
se regnans dat in praemium.
Naissant, il s'est fait compagnon,
convive, il s'est fait nourriture,
mourant, il s'est fait notre dette,
en son règne, il se donne en prix.

21. Dulcis lesu memoria (Transfiguration) et lesu auctor clementiae

Roma 1946 ;
(Sacré-Cœur). Cf. A. WILMART, Le «Jubilus » dit deS. Bernard,
H. LAUSBERG, Der Hymnus « lesu dulcis memoria »,
München 1967.
22. Sur l'attribution cf. mon article « L'Office du Corpus Christi
et S. Thomas d'Aquin. Etat d'une recherche », Revue des Sciences
Philosophiques et Théologiques 64, 1980, 491-507.
Ailleurs c'est le jeu des idées et des mots qui l'emporte,
d'une manière qu'on pourrait à certains moments compa-
rer à la poésie métaphysique anglaise du 17e s. mais qui
à d'autres nous paraît aujourd'hui trop techniquement
théologique. Par exemple dans cette strophe du Pange,
lingua, gloriosi corporis mysterium :

Verbum caro partem verum


verbo carnem efficit,
fitque sanguis Christi merum,
et, si sensus deficit,
ad firmandum cor sincerum
sola fides sufficit.
Le Verbe fait chair, par son verbe,
fait de sa chair le vrai pain ; ;
le sang du Christ devient boisson
nos sens étant limités,
C'est la foi seule qui suffit
pour affermir les cœurs sincères.
Dans un tout autre genre, plutôt cistercien, on est
heureux que le poème eucharistique Adoro te, dont j'ai
expliqué ailleurs qu'il ne pouvait être attribué à
S. Thomas 2\ ait maintenant trouvé place dans l'Office
du Jeudi Saint :
O memoriale mortis DOfnini,
panis vivus vitam praestans homini,
praesta meae menti de te vivere,
et te illi semper dulce sapere.
0 mémorial de la mort du Seigneur !
pain vivant qui donnes vie au genre humain,
accorde à mon esprit de vivre de toi,
de goûter toujours ce qui fait ta douceur.
C'est d'autre part à juste titre que la réforme de
Vatican II a introduit dans l'hymnaire quelques

23. «L'Office du Corpus Christi et la théologie des accidents


eucharistiques », Rev. des Sc. Ph. Th. 66, 1982, 81-86.
séquences : aucune malheureusement de Notker de Saint-
Gall — il y en a pourtant de lui qui appartiennent au
trésor des hymnes — ; deux du groupe victorin ou parisien
du 12e s. 24 et surtout deux qui sont des chefs-d'œuvre,
le Dies irae et le Stabat mater. Le Dies irae, composé
au 12e s. en Italie méridionale, selon toute vraisemblance
dans le milieu de Joachim de Flore, a été diffusé de
bonne heure dans la messe des défunts par les
Franciscains 25. Lors de la réforme de Vatican II il a
paru incompatible avec le « caractère pascal de la mort
chrétienne » que l'article 81 de la constitution Sacro-
sanctum Concilium a voulu mettre en relief, mais Dom
Anselme Lentini a eu raison de faire une place, ailleurs
que dans la liturgie des funérailles, à cet alliage entre
la crainte de Dieu et le sens de la miséricorde du
Sauveur, et à la mélodie qui l'accompagne
Recordare, lesu pie,
:
quod sum causa tuae viae.
Quaerens me sedisti lassus,
redemisti crucem passus,
tantus labor non sit cassus.
Peccatricem qui solvisti
et latronem exaudisti,
mihi quoque spem dedisti.
Jésus très bon, rappelle-toi
tu t'es mis en route pour moi.
:
A me chercher, tu as peiné,
tu pris la croix pour mon rachat;
qu'un tel labeur ne soit pas vain !.
Tu as exaucé le larron,

24. Notre appréciation du groupe de séquences attribuées à Adam


de Saint-Victor vient d'être renouvelée par l'étude de Margot FASSLER
« Who Was Adam of St. Victor ? The Evidence of the Sequence
Manuscripts ». Journal ofthe American Musicological Society 37, 1984,
235-269.
25. La documentation sur le Dies irae a été réunie en dernier lieu
par K. VELLEKOOP. Dies ire dies illa. Studien zur Frühgeschichte einer
Sequenz, Bilthoven 1978. Selon cet auteur la séquence est un rema-
niement, effectué en Italie, d'une prière rimée d'origine française.
tu as absous la pécheresse
et tu m'as donné l'espérance.
Quant au Stabat, son origine est également à chercher
en milieu franciscain italien, cette fois vers la fin du
13e s. 26. Dans ce cas comme dans celui du Dies irae et
dans un certain nombre d'autres la puissance du sentiment
n'est pas séparable de la mélodie.
La Renaissance italienne, puis l'époque baroque et

caractères:
classique, offrent du point de vue des hymnes trois
En premier lieu il nous en reste certaines
hymnes de valeur telles que, à la fin du 17e s., les hymnes
pour S. Joseph qu'on attribue aujourd'hui au cardinal
Jérôme Casanate 27, ou encore l'hymne Cor, arca legem
continens pour le Sacré-Cœur ou, à l'époque contem-
poraine, l'hymne au Christ-Roi Te saeculorum principem.
Je ne sais si ceux qui ont préparé l'hymnaire de Vatican II
ont envisagé d'y faire place à l'une ou l'autre des très
belles œuvres de Santeuil, ce Victorin du 17e s. qui égalait
les poètes parisiens du 12e s. 28.
En second lieu, de manière négative cette fois, il y a
eu en Italie, aux 15e et 16e siècles, la tentation d'employer
des expressions néo-païennes, expressions rapidement res-
senties comme déplacées même si elles étaient dépourvues
de toute portée autre que purement littéraire. Enfin et
surtout les corrections très nombreuses (près d'un millier)
apportées à l'hymnaire dans un sens néo-classique par
Urbain VIII et ses collaborateurs, contestées ensuite,
firent l'unanimité contre elles au 19e s., et la constitution
Sacrosanctum Concilium décida qu'elles seraient aban-

26. Sur la recension brève du Stabat, peut-être primitive, contenue


dans le ms Paris B.N. Lat. 2843 E, cf. mon « Bulletin de Liturgie »,
Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques 69, 1985, 310.
27. Cf. les pages d'A. WILMART sur « L'hymne Te Joseph cele-
»
brent qui ont pris place dans son livre Auteurs spirituels. (ci-
dessus, n. 16), 559-570, ainsi que, pour l'attribution à Casanate,
l'annotation d'A. LENTINI, Te decet hymnus, Vaticano 1984. 156-158.
28. Sur l'hymnique latine en France au 17e s. cf. de façon générale
H. BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France.,
T. X., Paris 1932, 59-182.
données. Ces longs débats aujourd'hui parvenus à leur
conclusion ont fait prendre conscience de la diversité
historique de la poésie latine, métrique d'abord, ryth-
mique ensuite 29, un peu comme la latinité chrétienne
n'est plus considérée par personne comme un phénomène
de décadence. A quoi il faut ajouter qu'une telle per-
ception de la diversité historique à l'intérieur de la culture
chrétienne nous apparaît aujourd'hui nécessaire non seu-
lement pour ne pas tomber dans l'étroitesse culturelle,
mais pour avoir un sens suffisamment large et juste de
la Tradition et de ses trésors.

PRINCIPAUX CARACTÈRES
DE L'HYMNAIRE ROMAIN

Articulation des hymnes


avec les psaumes
Trois caractères sont très apparents dans l'Hymnaire
Romain, à savoir la manière dont les hymnes s'articulent
avec les psaumes, l'insistance mise sur les temps du jour
et en particulier sur le rapport entre lumière et ténèbres,
enfin la louange trinitaire, à quoi l'on pourrait encore
ajouter un certain accent mis sur la démarche de conver-
sion de l'homme pécheur.
L'articulation des hymnes avec les psaumes et carac-
térisée dans l'Office Romain par la moindre importance
des hymnes en quantité (une seule hymne par rapport
à un minimum de trois psaumes et naguère parfois bien
davantage) et par une place variable 30 jusqu'à Vatican II
:
après les psaumes à laudes et à vêpres, mais avant les
psaumes à l'office nocturne et aux petites Heures dans ;
29. Cf. en particulier D. NORBERG, La poésie latine rythmique du
haut moyen âge, Stockholm 1954.
30. Cf. A.G. MARTIMORT, « La place des hymnes à l'office dans
les liturgies d'Occident », Studi ambrosiani in onore di Mons. Pietro
Borella, Milano 1982, 138-153.
la Liturgia Horarum toujours avant la psalmodie, ce qui
déplace la fonction de l'hymne dans le sens du climat
spirituel donné à l'Heure.
De soi, la réforme de l'Office Romain a laissé inchangée
l'importance des hymnes et cette sorte de complémentarité
et de corrélation fondamentale qui existe depuis des
siècles dans la Tradition romaine entre psalmodie et
chant des hymnes, corrélation que les hymnes elles-
mêmes expriment à l'occasion, par exemple l'hymne
carolingienne Nocte surgentes, qui pourrait être d'Alcuin.
Placée aujourd'hui à l'Office des lectures du mardi de
la deuxième semaine, elle met en contraste l'un avec
l'autre d'une part la rumination des Psaumes, si impor-
à la fois doux et vigoureux des hymnes
Nocte surgentes vigilemus omnes,
:
tante dans la piété liturgique 31, et d'autre part le chant

semper in psalmis meditemur atque


viribus totis Domino canamus
dulciter hymnos.
Levons-nous dans la nuit, tous ensemble veillons,
sans nous lasser jamais de reprendre les psaumes;
avec amour, chantons nos hymnes au Seigneur,
et de toute notre âme.

Hymnes à la Lumière
Quand cela est possible, et en tout cas pour laudes
et pour complies, la répartition des Psaumes est marquée
par le caractère des Heures, mais cette coloration est
beaucoup plus forte pour les hymnes, au point que c'est
à elles surtout qu'il appartient d'exprimer le sens de
chaque Heure, principalement par rapport à l'alternance
de la lumière et des ténèbres, et en second lieu en

31. E. von SEVERUS, «Das Wort "meditari" im Sprachgebrauch


der H1 Schrift », Geist und Leben 26, 1953, 365-375; F. RUPPERT,
« Meditatio-Ruminatio, une méthode traditionnelle de méditation »,
Collectanea Cisterciensia 26, 1964, 277-293.
évoquant la référence symbolique des différentes Heures
aux principaux moments de notre salut.
Le thème biblique de la lumière et celui de l'opposition
entre la lumière et les ténèbres sont importants en bien
des lieux de la foi, en doctrine trinitaire et christologique,
dans les doctrines du mystère pascal et de la Résurrection,
de l'illumination baptismale, de l'existence chrétienne en

la prière de l'Église :
général. Aussi cette thématique revient-elle souvent dans
Au Lumen Christi de la veillée
pascale et dans toute la liturgie de la nuit de Pâques 32 ;
dans les liturgies baptismales et par exemple dans l'oraison
romaine pour l'illumination des catéchumènes 33 ; dans
le symbole de Nicée lorsqu'il confesse le Fils Unique du
Père, «Dieu de Dieu, lumière de lumière ; dans les »
prières eucharistiques, par exemple dans la grande « théo-
logie» trinitaire — au sens de parole de louange sur
Dieu — que S. Basile déploie au commencement de son
;
anaphore 34 mais c'est principalement aux offices du
matin et du soir qu'il est question de la lumière, et
surtout au lucernaire, là où existe cet office ou cette
partie d'office du soir pour allumer et bénir la lumière.
Ce thème, qui apparaît dès le 3e s., à ce qu'il semble,
dans l'hymne Phôs ilaron, est constant dans les hymnes
de l'antiquité tardive et du haut moyen âge pour
laudes et vêpres, qui s'adressent au Christ comme la
lumière et le jour. Par exemple dans cette hymne,
affectée par Liturgia Horarum aux complies, et que

:
chantaient déjà les religieuses d'Arles du temps de
S. Césaire

32. Le petit livre, traduit de l'allemand (Antike und Christentum,


T. V., Münster 1936, 1-44) de F.J. DÖLGER, Lumen Christi, Paris
1958, est surtout intéressant pour la comparaison entre l'hymne Phôs
ilaron et la salutation grecque à la lumière.
33.« Aeternam ac iustissiman pietatem, J'implore ta pitié Dieu
de lumière et de vérité, sur tes serviteurs et tes servantes. Daigne
les illuminer de la lumière de ton intelligence. » (Sacramentaire
Grégorien, éd. J. DESHUSSES, T. Ier, n. 358).
34. Cf. A. HÄNGGI, I. PAHL, Prex Eucharistica, Fribourg Suisse
1968, 230-232.
Christe, qui splendor et dies,
noctis tenebras detegis,
lucisque lumen crederis,
lumen beatis praedicans.
0 Christ, la splendeur et le jour.
Qui chasses l'ombre de la nuit,
Nous croyons que tu es lumière,
Promettant lumière aux élus.
Au thème du Christ-Lumière S. Ambroise joint celui
de la foi comme lumière 35. Ainsi dans l'hymne Deus
creator omnium :

fides tenebras nesciat


et nos fide reluceat.
puisse la foi ignorer l'ombre
et la nuit briller de la foi!
Ou encore, dans le Splendor paternae gloriae :
Laetus dies hie transeat;
pudor sit ut diluculum,
fides velut meridies,
crepusculum nesciat.
Que ce jour dans la joie s'écoule,
Notre pudeur soit comme l'aube;
Tel midi, que la foi rayonne,
Que nos cœurs ignorent le soir.

Pour donner à ce thème de lumière sa profondeur, il


faut ajouter que le Christ Lumière éveille l'âme du
sommeil dans lequel elle ne le connaissait pas encore

lectures au temps pascal; Règle de Césaire:


35. L'hymne Hic est dies verus Dei (Liturgia Horarum office des
office du matin et

met le don de la foi en rapport avec la guérison de l'aveugle-né


»
«Fidem refundit perditis/caecosque visu illuminat (« Il rend la
:
lucernaire au temps pascal), qui est vraisemblablement d'Ambroise,

lumière aux aveugles/aux égarés, il rend la foi»).


ainsi que de l'obscurité du péché 36 et que, le soir, le
cœur croyant reste éveillé lorsque l'homme se livre au
sommeil 37.

Louange trinitaire
Wilmart, connaisseur exceptionnel des écrits spirituels
du moyen âge latin, a marqué vers la fin du 11es. une
sorte de césure jusqu'à laquelle la piété s'est à peine
éloignée de celle de l'âge patristique, tandis qu'a
commencé alors une évolution spirituelle assez rapide 38.
Il y a aussi une certaine césure dans les hymnes, mais
pas exactement au même moment et surtout avec cette
différence, essentielle à la prière liturgique, que celle-ci,
plus encore que la dévotion, se situe dans ce que les
historiens des mentalités appellent le « temps long et »
36. Cf. l'hymne ambrosienne citée à la note précédente et le début
de l'hymne Consors paterni luminis (Liturgia Horarum, office des
lectures du mardi de la Irc semaine) : « Consors paterni luminis/Lux
ipse lucis et dies/noctem canendo rumpimus/assiste postulantibus/Aufer
tenebras mentium. » (« Clarté de clarté, toi, le jour/Qui partages
l'éclat du Père/Soutiens-nous dans notre prière//Quand nos chants
déchirent la nuit/Chasse les ténèbres de l'âme. »).
37. Ainsi les hymnes de Liturgia Horarum pour complies, tous
deux adressés au Christ, le Christe qui splendor et dies, dont il a
déjà été question, et le Te lucis ante terminum. Le premier chante :
« Somno si dantur oculi/cor ad te semper vigilet/tuaque dextra protegas/

:
fideles, qui te diligunt. » (« Nos yeux se livrent au sommeil/Que nos
cœurs veillent pour t'attendre/Protège de ton bras puissant/Ceux qui
te gardent en ton amour »). Et le Te lucis ante terminum «Te
corda nostra somnient/te per soporem sentiant/tuamque semper glo-
riam/vicina luce concinant. » (« Fais que nos cœurs rêvent de toi/

!
Qu'ils te sentent dans leur sommeil !/Et, lorsque l'aube apparaîtra/
Qu'ils célèbrent toujours ta gloire »).
38. WILMART, Auteurs spirituels. (cf. note 16),60-63 Une compo-
sition religieuse du lIes. « est à part quelques détails très secondaires,
une image fidèle de la croyance et de la piété chrétiennes pour les
;
onze premiers siècles, à tel point, par exemple, qu'un fidèle du 4e
et du 5e s. aurait pu la réciter sans y rien trouver d'insolite et,
d'autre part, que son énumération minutieuse des circonstances de
la vie du Sauveur. contient en germe la religion des temps nou-
veaux. »
les liturgistes la tradition
réajuste, mais enlève à peine.
: la tradition liturgique ajoute,

La césure dans l'hymnique, si césure il y a, comporte


un certain déplacement de la confession de foi trinitaire
vers la piété, étant entendu que la seconde existait déjà
auparavant et que la première reste présente dans la
suite. Cette césure serait assez bien marquée, à partir
de la deuxième moitié du 12e s., par le Iesu dulcis
memoria, le Dies irae, puis le Stabat, trois prières non
liturgiques à l'origine. Très modernes aussi sont les
hymnes composées par Abélard pour les religieuses du
Paraclet, dont je n'ai pas eu l'occasion de parler. En
revanche les séquences victorines, le Veni S. Spiritus et
les hymnes de S. Thomas d'Aquin pour la Fête-Dieu
sont, malgré certaines colorations nouvelles, plutôt à
placer avant la césure.
Comme le P. Jungmann l'a fortement marqué dans son
livre Die Stellung Christi im liturgischen Gebet39, la prière
eucharistique romaine et l'euchologie romaine en général
s'adressent, sauf exceptions, au Père par le Fils dans le
Saint-Esprit. Son disciple B. Fischer a montré que la
pratique chrétienne des Psaumes a, depuis le Nouveau
Testament, oscillé entre la prière ad Patrem et la prière
ad Christum 40. Quant à l'hymnique latine, depuis qu'elle
s'est constituée au siècle de S. Hilaire et de S. Ambroise,
elle s'adresse surtout ad Christum ou le cas échéant aux
trois Personnes de la Trinité ensemble, le passage de la
première forme à la seconde pouvant s'effectuer à l'in-
térieur d'une même hymne 41. Dès l'antiquité chrétienne
on rencontre aussi des hymnes adressées aux saints.

39. J.A. JUNGMANN, Die Stellung Christi im liturgischen Gebet,


Münster 1925 (2e éd. 1962).
40. Cf. son article fondamental « Le Christ dans les Psaumes »,
LMD 27, 1951, 86-113, et son recueil d'études Die Psalmen als
Stimme der Kirche, Trier 1982, dont j'ai dit ailleurs la signification
pour l'histoire de la liturgie à l'époque contemporaine (Revue des
Sciences Philosophiques et Théologiques 67, 1983, 317-318).
41. Sur la structure trinitaire de la prière, cf. mon article «De
trinitaire structuur van het liturgisch gebed », Tijdschrift voor Liturgie
70, 1986, 416-419.
Jungmann attribuait à la réaction anti-arienne l'im-
portance de la prière ad Christum, en voyant là, dans
une certaine mesure, une déviation accidentelle par rap-
port à l'axe chrétien essentiel de la prière ad Patrem.
:
A mon avis il faut donner pleine force au correctif que
Fischer a apporté à cette thèse Non seulement la prière
de louange ad Christum — celle qui prévaut dans les
hymnes —, et celle ad Trinitatem complètent la prière
ad Patrem, mais il faut tenir compte davantage que ne
l'a fait Jungmann, de la dualité essentielle entre la
confession (et doxologie) baptismale trinitaire d'une part,
et l'eucharistie per Christum ad Patrem d'autre part :
cette dualité, explicitée en théorie par S. Basile, plonge
ses racines à l'endroit même où la prière chrétienne se
distingue de la prière juive.
Dans l'antiquité tardive et le haut moyen âge, ce n'est
pas seulement l'adresse des hymnes qui est christologique
ou trinitaire, c'est, avec des nuances pour l'hymnique
spécifiquement monastique, leur substance même. La
relation au Christ et à la Trinité est une relation de foi
confessante et de louange. En revanche, avant l'époque
carolingienne, on ne rencontre de doxologies trinitaires
strophe du Deus creator omnium de S. Ambroise
Christumrogamus et Patrem,
:
que de manière occasionnelle. Ainsi dans la dernière

Unum potens per omnia


Fove precantes Trinitas.
:
Christi Patrisque Spiritum,

Nous prions le Christ et le Père,


et l'Esprit du Père et du Christ,
0 Trinité une et puissante,
Daigne écouter ceux qui te prient.
C'est peut-être Alcuin qui a généralisé pour les hymnes
l'emploi des doxologies trinitaires, à l'imitation de la
doxologie des psaumes.
P.M. GY
La Maison-Dieu, 173, 1988, 41-60
Jacques PERRET

AUX ORIGINES
DE L'HYMNODIE LATINE
L'APPORT
DE LA CIVILISATION ROMAINE

L ES hymnes, telles que nous les chantons aujourd'hui,


n'ont pas toujours fait partie de la liturgie des
églises d'Occident. Des témoignages contemporains,
confirmés par toute la tradition ultérieure, nous appren-
nent que les premières y furent introduites par l'église
de Milan, à l'initiative de saint Ambroise, composées
par Ambroise lui-même, en 386. L'initiative connut un

:
vif succès, fut reprise en plusieurs provinces; elle ne se
généralisa pourtant qu'à la longue. C'était en effet une

des compositions toutes modernes ;;


véritable nouveauté à côté des psaumes ou des cantiques
qui lui étaient familiers, l'évêque proposait au peuple

selon les canons de la poésie profane


le texte était versifié
l'exécution musi-
cale — et ce fut peut-être le plus important — ne
ressemblait pas à ce qu'on entendait d'ordinaire à l'église.
Dans les générations suivantes, Ambroise poète trouva
des émules, d'abord si exactement fidèles que dans les
ses œuvres des leurs ;
manuscrits liturgiques il est souvent difficile de distinguer
on les désigne collectivement,
d'ailleurs, sous le même nom (au pluriel) d'Ambrosiana.
des libertés vis-à-vis de la formule primitive :
A mesure que le temps passe, les imitateurs prennent
ils restent
toujours fidèles à l'organisation strophique qui semble
bien essentielle, mais ils essaient d'autres vers. Il arrive
aussi que des hymnes soient composées avec des extraits

usages. Enfin la langue évolue ;


d'œuvres plus étendues primitivement écrites à d'autres
la versification primiti-
vement prosodique (syllabe brève/syllabe longue) devient
peu à peu rythmique (syllabe accentuée/syllabe atone) ;
nombre fixe de syllabes, mais c'est déjà beaucoup
toutes les époques, des fervents tentent, comme ils le
;
parfois du vers primitif, il ne subsiste plus guère qu'un
à

peuvent et souvent avec bonheur, de restaurer dans leur


netteté les formules anciennes qui n'ont jamais été
oubliées. La persistance de ces caractères formels, les
contraintes d'un usage communautaire, voire liturgique,
la nécessité de s'accorder à un type de chant qui, lui

;-
aussi sans doute, doit vivre largement du trésor de ses
origines enfin, et plus ou moins dans la dépendance
de tout cela, un vocabulaire, une thématique qui, sous

;
le patronage d'Ambroise, tendent eux aussi à devenir
traditionnels
:
ces divers facteurs concourent à instituer
entre toutes les œuvres une sorte d'air de famille à
côté des Psaumes elles seront les Hymnes.

I POÉSIE

Qu'est-ce qui fit, à l'époque d'Ambroise l'originalité


qu'on reconnut aussitôt à l'hymnodie nouveau-née ?
Sans doute d'abord — c'était le plus visible — d'in-
troduire dans une église, d'y faire chanter au peuple
chrétien des pièces modernes composées de la veille et,
par surcroît, arborant une forme insolite en tel lieu,
familière certes à tous les chrétiens, mais dans la mesure
précisément où ils n'étaient pas uniquement des chrétiens
et prêtaient parfois l'oreille aux chants ou aux chansons
des païens.
Les chrétiens de l'époque d'Ambroise n'avaient plus
sans doute l'allégresse qui avait permis aux premières
générations de se donner une liturgie neuve avec des
prières neuves, quitte à y intégrer des éléments allogènes.
Il y a des cantiques dans les Évangiles, dans l'Apocalypse,

:
chez saint Paul. La fixation progressive d'un canon des
Écritures n'avait pas tari cette veine Clément de Rome,
l'auteur de la Didaché, Hippolyte composent ou repro-
duisent d'admirables prières. Un peu plus tard les Latins
ont connu quelque chose de cette audace créatrice, le
Gloria, le Te Deum, l'Exultet. Mais déjà, avec le foi-
garder, la tendance est à la fermeture :
sonnement de productions hérétiques dont il faut se
on voudra
n'employer pour la prière publique que les seuls textes
de l'Ecriture, Psaumes, cantiques de l'Ancien et du
Nouveau Testament. C'était sans doute une erreur il
aurait été fâcheux que dans les liturgies, l'homélie,
:
;
inévitablement vouée au didactisme, constituât le seul
élément vivant il est important d'avoir aussi, en rapport
avec les situations du moment, des prières qui se renou-
vellent.

Psaumes et cantiques à l'église

Quoi qu'il en soit, on notera qu'avant Ambroise les


chrétiens de langue latine n'ont jamais, dans leur liturgie
officielle, employé que des textes en prose. Psaumes et
cantiques de l'Écriture sont en latin des textes de prose
le Te Deum, le Gloria sont bâtis sur le même modèle,
;
dont ils reprennent, de façon sûrement intentionnelle les
caractères stylistiques. Et en effet si l'on veut en latin
recourir à la poésie, à quelle autre poésie songer qu'à
celle qu'ont inventée et que pratiquent encore aujourd'hui
?
les païens N'est-ce pas ouvrir la porte à Bélial ? « Que
fait Horace avec le Psautier, et Virgile avec l'Évangile ?
Nous ne devons pas boire en même temps la coupe du
Christ et la coupe des démons », écrit Jérôme (Ep. 22,
29), qui pense peut-être à Ambroise.
Rétrospectivement nous avons, il est vrai, l'impression
que, dans d'autres secteurs que celui de la prière, certaines
initiatives ont pu préparer la voie à Ambroise. Il n'est
pas le premier chrétien de langue latine à avoir écrit en

; ;
vers. Commodien avait donné forme d'hexamètres à ses
invectives contre les Juifs et les païens
mètre Juvencus récrit les Evangiles
dans le même
Damase compose
en l'honneur des martyrs des épitaphes en vers. Si ces
tentatives, comme on l'admet généralement, ont préparé
l'initiative d'Ambroise, il nous importe de reconnaître
ce qui les inspirait. Les chrétiens, ce faisant, voulaient-
ils gagner les païens cultivés? On doutera, en tous cas,
que Commodien se soit proposé cette fin. La poésie
mentale à des fins de propagande ?
aurait-elle eu pour eux une fonction purement instru-
Ils ont dû le dire
quelquefois pour justifier des entreprises qui pouvaient,

son désir de convertir Memmius ;


à de rigoureux censeurs, paraître futiles. Mais Lucrèce,
lui aussi, pour s'excuser d'avoir écrit un poème, alléguait
il ne donnait sans
doute pas toutes ses raisons. Chez un poète il n'est pas
imprudent de supposer l'amour de la poésie, c'est-à-dire,
fût-il chrétien ou philosophe, le désir de donner forme
belle à ce qu'il croit vrai.
Dans l'antiquité particulièrement, à côté de ceux qui
tenaient la poésie comme une vanité, tout un courant
;
de pensée y reconnaissait une réalisation éminente de la

;
beauté elle était la langue des dieux, celle de l'âge
d'or Orphée, Musée, pères de toute civilisation, s'étaient
exprimés en vers. Ces idées que Tacite (Dial. Or. 12-

pas disparu au déclin de l'Empire ;


13) avait illustrées avec un éclat incomparable n'avaient
on en retrouve
l'empreinte dans les milieux les plus modestes où des
gens très simples, peu cultivés, chrétiens comme païens,
tiennent à honorer leurs défunts d'une inscription en
vers. Et quel paradoxe que dans l'Église même, offi-
ciellement, quand il s'agit de célébrer des martyrs morts,
à ce qu'on disait, en foulant aux pieds les vanités du
monde, Damase, un pape (366-384), entreprenne de leur
composer des elogia en vers !
Il reste vrai qu'avant Ambroise la poésie de facture
profane ne semble avoir jamais franchi le seuil des églises
de langue latine. Mais, à aucune époque, la prière de
la liturgie officielle n'a été l'unique prière des chrétiens,
pour la simple raison qu'il faut toujours prier et que les
:;
chrétiens ne passent pas toute leur vie à l'église. Tertullien
recommande la prière familiale «psaumes et hymnes
sont un lien entre mari et femme ils chantent ensemble
et rivalisent à qui chantera mieux pour son Seigneur.
Le Christ les entend, les voit et se réjouit, il leur envoie
à tous deux sa paix » (Vx. 2, 8-9). Il y a aussi les petits

ou se rencontrent souvent :
groupes, les réunions d'amis qui vivent en communautés
autour d'Augustin à Cassi-
ciacum, autour de Paulin de Nole, nous entrevoyons un

;
peu de leur vie, premières ébauches d'un monachisme
occidental là aussi on prie ensemble. Les prières parfois
étaient improvisées, Tertullien (Apol. 39, 18) l'atteste
expressément. Dans une civilisation où l'improvisation
poétique a toujours été pratiquée, honorée comme un
des éléments de la vie sociale, il y a fort à parier que
ces prières chantées étaient parfois en vers.
A plus forte raison la poésie se trouve-t-elle comme

:
en sa patrie propre dans le domaine illimité de la prière
personnelle dans l'effort de la composition poétique,
;
l'âme fidèle cherche un moyen de concerter son attention,
d'instaurer des images qui l'aideront à prier la quête
de mots appropriés arrache l'esprit à sa torpeur. De là
parfois le recours à des formes étranges et comme
héroïques, les centons où l'on mobilise des hémistiches
virgiliens pour chanter la gloire du Christ, certains peut-
être des acrostiches et poèmes figurés de P. Optatianus
Porfyrius (début du 4e siècle) il est beau de voir appa-
:

raître le chrisma concrètement sur-imprimé en un poème


dont il dévoile tout le sens. En un genre très différent,
aux confins de la poésie et de la prose d'art, P. Marius
Victorinus compose (vers 360) trois hymnes à la Trinité.
Ausone, dans l'Ephemeris où il prétend nous dire ses
occupations quotidiennes (vers 380), a inséré une longue
prière de 85 hexamètres. Au-delà même des hymnes
d'Ambroise, on voit dans les poèmes de Paulin de Nole
et de Prudence (début du 5e siècle) se continuer la
tradition d'une prière devenue, selon l'heureuse expres-
sion de J. Fontaine, exercice spirituel.

:
Ce type de prière personnelle est peut-être une des
formes constantes de la vie chrétienne poèmes de saint
Jean de la Croix, épigrammes chrétiennes de la Renais-
sance, poésies dévotes si sottement moquées dans les
Provinciales, Angelus Silesius ; sans oublier les poésies
de ses sœurs, souvent si touchantes;
que Thérèse de Lisieux improvise à son usage ou à celui
sans oublier pour
le Moyen Age tant de belles prières que des critères

destinées à la liturgie;
purement formels ont fait ranger parmi les hymnes
aux origines, les « »
hymnes
d'Hilaire, surtout la première, écrite en une métrique si
ambitieuse, pourraient bien appartenir à cette poésie de
dévotion où l'auteur se livre lui-même comme fidèle en
train de prier.
:
Tout cela nous permet de situer un peu l'hymnique
;
liturgique instituée par Ambroise elle n'est pas née de
rien, si nouvelle qu'elle fût le milieu, comme on dit,
était porteur. Elle répond à une religiosité qui n'est pas
celle de la tradition orientale ou juive, mais bien celle

:
de l'antiquité romaine dans ce qu'elle avait de plus
estimable confiante en la vertu de la beauté, profon-
dément attachée à ces perfections de la forme d'où naît
la beauté.

Le style d'Ambroise
L'œuvre d'Ambroise n'a pas été seulement d'introduire
dans la liturgie ecclésiale des prières composées selon

;
les canons de la poésie profane. Il a sa manière propre
de se rattacher à la tradition poétique romaine il a son
style à lui.
:
Plusieurs traits sont d'emblée saisissables ses hymnes
sont des pièces courtes (32 vers) alors que les poésies
religieuses en usage chez les chrétiens pour leur prière
privée ou semi-privée sont souvent beaucoup plus longues,
capables comme les Psaumes de se prolonger indéfini-

;
ment, quitte à s'interrompre soudain sans raison appa-
rente ses hymnes sont articulées en strophes, les mêmes
dans toutes les hymnes et d'une structure très simple,
étant composées de quatre vers identiques, eux-mêmes
d'un schéma très simple (le dimètre iambique), alors que
les autres poètes, même quand ils usent de formes
strophiques, ne s'astreignent pas à employer toujours la
;
simples
: 8x4x8,
même et usent souvent de strophes et de vers moins
toutes les hymnes qu'on peut raisonnablement
lui attribuer sont superposables 8 strophes de 4 vers
ayant presque toujours 8 syllables. singulière
formule.
Certains des traits que nous venons de rappeler peuvent
Ambroise a destiné ses hymnes :
s'expliquer en partie par les requêtes de l'usage auquel
elles seront courtes
parce que cette forme nouvelle doit se contenir dans des
bornes modestes, l'hymne devant être une sorte de
prélude à la liturgie traditionnelle qui suivra, ou au
contraire une conclusion par quoi se prépare le retour
»
des fidèles dans le «siècle ; la forme strophique ne
déconcertera pas des chrétiens habitués sans doute à
chanter certains psaumes en chœurs alternants, et tant
mieux si, à quelques-uns, elle peut rappeler Horace.
Mais cela n'explique ni le choix du dimètre iambique,
ni la constance sans faille avec laquelle toutes les hymnes
représentent la formule 8x4x8.
Quoi qu'il en soit, il est clair que toutes ces régularités
dont on ne retrouve nulle part ailleurs un semblable
groupement se renforcent mutuellement dans un effet
d'ensemble. Ambroise refuse l'indéfini, l'illimité, ce que
;
les Anciens appelaient l'apeiron et qui était pour eux
désordre et chaos il refuse même les agréments de la
variatio et toute possibilité de surprendre. Comme chez
nous dans le sonnet, le poète se donne à l'avance un
champ limité, peu étendu, à l'intérieur duquel tout devra

;
s'organiser, au terme préfix duquel une conclusion s'im-
posera c'est aussi l'esthétique du meilleur classicisme
romain, celui d'Horace en particulier. Laissons là le
;
sonnet
pensons en termes d'architecture :
comme Horace lui-même le fait quelquefois,
il est impossible de
ne pas ressentir devant ces formules rigoureuses la sug-
gestion d'une monumentalité faite pour durer.
:
L'étude de la phraséologie, du vocabulaire vient confir-
mer cette interprétation phrases courtes souvent conclues
dans les huit syllabes du vers, très peu de subordonnées,
simplicité de l'ordre des mots, peu d'adjectifs qualificatifs.
L'auteur semble avoir tablé sur le poids des réalités que
:
désignent soit les substantifs soit les verbes qui marquent
leurs relations
;
en pareil contexte ces mots se trouvent
en effet chargés d'efficacité la lecture spirituelle de
l'Écriture, un enseignement qui lie tout ce qu'il touche

d'harmoniques immensément prolongées ;


dans un réseau de symboles font de chaque mot le nœud
toute aurore
rappelle le Christ, sa génération dans la Trinité, son
apparition sur la terre, notre future conversion, le lever
du jour final où il viendra tout achever. Qu'ajouter à
telle densité, à telle cohérence ?
Dès le début de leurs travaux, les philologues se sont
demandé pour quelle raison Ambroise avait composé ses
hymnes en dimètres iambiques suivis. Ce n'est pas le
mètre de la grande poésie qui privilégie l'hexamètre
dactylique ; il ne paraît presque jamais au théâtre
n'est pas le mètre du lyrisme romain, Horace, Catulle
; ce
n'en ont aucun exemple. La simplicité de sa formule
chez Ambroise, l'idée qu'une création neuve, et surtout
chez les chrétiens, ne peut que provenir du peuple a
fait supposer qu'il s'agissait sans doute d'un mètre popu-
laire ; mais il n'en est aucun indice. Pour nous faire une
idée de ce que représente ce vers à l'époque d'Ambroise,
nous avons la chance de disposer de l'œuvre d'Ausone
le dimètre est chez lui, expert en tant de mètres, le vers
;
du badinage, du bavardage non contrôlé, de l'improvi-
sation. Ausone est ici dans le droit fil d'une tradition
qui remonte aux Jeux d'amour (Erotopaegnia) de Laevius
(2e siècle avant J.-C.), que nous retrouvons dans l'épi-
taphe mélancolique d'Hadrien (animula vagula blandula),
dans une admirable épigramme érotique conservée par
Aulu-Gelle (19, 11), dans les recherches souvent extra-
vagantes des poetae novelli du 2e siècle. Nous sommes
;
aux antipodes de l'hymne ambrosienne. Volucripes dime-
tria insaisissable dimètre.
L'histoire de la métrique nous permet peut-être aujour-
d'hui de nous y reconnaître un peu. A la différence de
l'hexamètre (Homère), du trimètre iambique et du tétra-
mètre trochaïque (Archiloque), des vers éoliens (Alcée),
le dimètre iambique ne s'est que très tardivement consti-
tué en un vers distinct. Comme tel, il apparaît seulement
à l'époque alexandrine quand les grammairiens tentent
d'analyser les grands « systèmes » du lyrisme choral des
siècles précédents (Pindare, Bacchylide), de donner nom
et figure aux éléments qu'ils en dégagent. C'est donc
une création de grammairiens et de soi assez chétive
une unité trop courte, trop ouverte en son dessin (elle
:
;
n'a pas de clausule distincte) pour devenir un vers
véritable elle ne rappelle aucune de ces œuvres pre-

;
stigieuses qui ont chance d'imprimer durablement un
caractère à une forme ce n'est qu'un élément sans ethos
propre et susceptible d'être employé à n'importe quoi.
Ambroise a donné à ce dont il va faire vraiment une
création neuve une carrure, une simplicité auxquelles le
dimètre iambique pouvait se prêter mais qu'il n'avait
:;
jamais eues et qui lui confèrent à la fois unité et dignité
il le contient dans des strophes tétrastiques régulières

;
il tent à en bannir les pieds trisyllabiques qui y avaient
toujours tenu tant de place il renforce le contraste entre
les pieds de chaque dipodie ; il ne se permet presque
aucune licence. Le vers ainsi bâti reste, malgré tout,
compte tenu des constantes du vocabulaire latin, assez
facile à employer, il n'oblige pas le poète à des contorsions
syntaxiques ou à l'emploi de mots « poétiques » :

des destinataires, et en même temps qu'il donne pleine


du côté

satisfaction aux oreilles les plus exigeantes, ce vers,


devenu un octosyllabe avec alternance régulière d'une
syllabe faible et d'une syllabe forte, aura acquis un

;
rythme aisément perceptible aux chanteurs les moins
cultivés il traversera sans encombre la période difficile
où dans le rythme de la langue les intensités se subs-
titueront aux quantités.
Oui, le vers de l'hymne ambrosienne est un vers simple,
très propre à un emploi ecclésial, mais le dimètre iambique
n'est devenu tel que par la stylisation que lui a imposée,
à des fins supérieures, Ambroise, théologien, évêque et

mise en forme analogue ;


métricien. Le septénaire trochaïque se serait prêté à une
Hilaire, d'ailleurs moins puriste
qu'Ambroise, a essayé d'en tirer parti, mais à l'époque
impériale ce vers, surtout quand on l'emploie en strophes
;
tristiques, avait acquis un caractère martial, presque
militaire la liturgie l'emploiera parfois avec bonheur (le
Pange lingua de Fortunat) comme rythme de marche
pour ses processions. Ambroise, par rythmes et strophes
a voulu certes toucher les cœurs, mais pour les établir
en attitude contemplative, dans la paix. Son recours au
dimètre iambique l'exposait sans doute aux périls d'un
ductus trop égal et l'on comprend que plus tard d'autres
hymonodes aient préféré des vers et des strophes plus
sensiblement sculptés. Mais aujourd'hui nous n'en pou-
vons plus juger, car il y avait la musique que nous
n'avons plus.

II — MUSIQUE

L'étude attentive du texte des hymnes peut nous


apprendre beaucoup de choses et notamment leur pré-
histoire, si l'on peut dire, comme les éléments de leur
originalité. Mais le témoignage des contemporains
(Augustin, Paulin de Milan) peut n'être pas moins ins-
tructif ; ils nous diront comment eux-mêmes ils ont reçu
ces hymnes nouvelles et comment ils s'expliquent leur
succès. Or ils n'ont pas eu le sentiment d'assister à
l'aboutissement de quelque chose qui, de longue date,
se préparait, mais bien celui d'une nouveauté radicale,

pas l'usage dans la liturgie de pièces inédites ;


comme explosive. Et cette nouveauté, pour eux, n'est
on ne
voit pas non plus que le recours aux mètres de la poésie
profane ait directement retenu leur attention; la chose
capitale pour eux, ce fut une musique nouvelle.
A première vue, cette indication, si intéressante soit-
:
elle, semble devoir, entre nos mains, demeurer à peu
près stérile nous pouvons raisonner sur la stylistique
;
des Ambrosiana, leur métrique, leur phraséologie, leur
vocabulaire nous ne pouvons restituer leur musique.
;
Les premières notations n'apparaissent ici qu'à partir du


10e siècle il est douteux que les mélodies de cette époque
puissent nous renvoyer six siècles en arrière elles ne
sont d'ailleurs pas concordantes. Résignons-nous réflé-
chir seulement sur ce que pouvait être dans l'Eglise à
la fin du 4e siècle une musique nouvelle.
Cette nouveauté, évidemment, ne peut s'entendre que
Ce chant lui non plus nous ne le connaissons guère
mais nous savons ce qu'on chante, ce sont les Psaumes
;
par rapport au chant pratiqué jusqu'alors dans la liturgie.

et les cantiques de l'Écriture, voire quelques compositions


plus récentes (Gloria, Te Deum, Exultet peut-être) d'une
forme littéraire analogue. Or cette forme nous renseigne
sur la sorte de musique qui peut lui être appliquée parce
que d'elle-même elle l'attire. Quelle qu'ait pu être dans
l'original hébreu leur structure poétique, les Psaumes
sont en latin des textes de prose où des membres
syntaxiques d'une étendue approximativement égale se
groupent souvent deux à deux pour des effets de paral-
lélisme ou de contraste, en sorte que leur articulation
doit être nettement marquée. Dans une diction solennelle
»
qu'on peut appeler un « chant », la « musique sera au
service des articulations de la syntaxe et de la phraséo-
logie. Un peu comme dans la prose métrique des Latins

:
ou dans les formes les plus simples de la psalmodie
d'aujourd'hui quelques accidents pour notifier les fins
de phrases ou de membres, le reste étant énoncé recto
tono.
Si les hymnes ont une autre musique, ce doit être une

:
musique étrangère à cette cantillation, et l'hypothèse se
trouve confirmée par la forme littéraire des pièces non
plus phrases amorphes d'une suffisante longueur pour
qu'un accident mélodique à valeur de ponctuation fût le
bienvenu afin d'en indiquer le terme ou les articulations,
mais vers très courts, exactement mesurés, où chaque
syllabe, selon un schème préfix, a une quantité (ou une
intensité), bref une qualité déterminée. Pour nous repré-
senter la musique qui pouvait animer des textes ainsi
structurés, il paraît presque inévitable de penser à la
musique qui dans cette même civilisation de la latinité
tardive accompagnait, dans des circonstances profanes,
« mondaines », « séculières », des textes en vers sembla-
blement composés, voire composés des mêmes vers. Cette
musique, nous la connaissons directement par quelques
textes notés selon la notation musicale antique, et beau-
coup mieux encore par les traités de théoriciens très
nombreux. Elle procède à partir de notes, définies par
;:
des rapports mathématiques qui instituent entre elles des
intervalles précis c'est la musique tonale, retrouvée par
l'Occident moderne «science des intervalles et des
accords» (Alypius, mus. 1, p. 367 Jan).
Si abstraite, si intellectuelle qu'elle nous apparaisse
chez les musicographes de l'antiquité, cette musique, par
la mobilité permanente de sa mélodie, une mélodie qui
animait la totalité de l'énoncé, avait — elle a toujours
— une présence, une puissance qui inquiétait les chrétiens.
Depuis que l'Église avait pénétré dans le monde grec et
romain, elle l'a toujours sentie comme une menace, une
tentation, et elle l'a souvent rejetée radicalement avec
horreur. Sans doute parce que cette musique était trop
étrangère aux traditions dont elle avait hérité de la
synagogue. Mais elle lui reprochait aussi d'être sensuelle,
d'ébranler l'imagination, de confisquer l'attention qu'on
aurait dû porter aux textes sacrés. Tous périls, en effet,
auxquels les fidèles ne risquaient guère d'être exposés
par la cantillation des Psaumes. Sensualité, ébranlement
affectif qui risquaient d'être d'autant plus néfastes que
cette musique avait partie liée, et à l'origine exclusive-
ment, avec les divertissements, cérémonies et liturgies
d'une société païenne hostile.
Peu à peu pourtant la situation se modifie, surtout
depuis que l'empereur est devenu chrétien et que l'Église,

:
face à la société, ne peut plus se poser comme un corps
étranger
;
dans la même famille certaines branches sont
chrétiennes, d'autres païennes les mariages mixtes sont
nombreux, facilités du fait que l'habitude de retarder
indéfiniment le baptême maintenait bon nombre de chré-
tiens dans un statut un peu équivoque. Sans doute les
répugnances anciennes n'ont pas disparu d'un seul coup
au goût d'Athanase, la cantillation psalmique elle-même
;
est déjà trop musicale et il conseille d'en aplanir le plus
possible les accidents mélodiques (cf. Augustin, Conf. 10,
50). Jérôme (Ep. 107, 4-8, vers 400) souhaite qu'une
jeune chrétienne ignore, bien entendu, les chansons du
monde, ignore même les noms de lyre et de cithare,
ignore au moins ce qu'on peut faire des objets que ces
noms désignent. Pour discréditer un doctrinaire (Bar-

;
desane, Arius, Paul de Samosate), on racontera qu'il
fait chanter comme au théâtre, comme dans les mauvais
lieux, des hymnes de sa composition les donatistes
s'excitent par le vin à chanter des psaumes qu'ils ont
inventés (Augustin, Ep. 55, 34) ; on réveillera contre
Ambroise les soupçons de magie qui s'attachent à une
;
musique inconnue (Ambroise, C. Auxentium, 34). La
musique est toujours du côté de l'hérésie si des ortho-

:
doxes s'y aventurent un peu, il faut leur chercher des
excuses c'est (Ephrem) pour combattre les hérétiques
avec leurs propres armes; Ambroise a voulu empêcher
;
le peuple de se démoraliser dans des circonstances cri-
tiques il avait d'ailleurs le précédent des églises orien-
tales (Augustin, Conf. 9, 15).
L'attitude de l'Église à l'égard de la musique du siècle
répond assez à ce que fut son attitude à l'égard de la
philosophie des sages de ce monde. Honnie, bannie,
radicalement exclue — au moins le croyait-on — à
l'origine, et par la suite indéfiniment vilipendée par ceux-
là mêmes qui en tirent parti. Philosophie, musique avaient
d'ailleurs une solide parenté, Pythagore, Platon présidant
à l'une et à l'autre. En la personne d'Ambroise on les
retrouve toutes deux et, de la part de ses admirateurs,
;
les mêmes imaginations à l'œuvre pour l'en disculper
comme d'une tare Paulin de Milan (Vita Ambrosii, 7-
9) tient à nous assurer qu'il voulait tout ignorer de la
philosophie, mais il avait lui-même prétendu le contraire
pour qu'on ne le choisît pas comme évêque. C'est dans
cette même intention — et nous retrouvons sans doute
ici la musique — qu'il aurait à la même époque et
ostensiblement fréquenté des femmes publiques (c'est
ainsi que les chrétiens appelaient alors chanteuses et
musiciennes)
Ces textes nous montrent les résistances que devait
affronter une innovation comme celle d'Ambroise. Il
fallait pour l'entreprendre une exceptionnelle autorité,
puis pour la mener à bien beaucoup de sûreté et de
justesse dans l'exécution. Son succès montre pourtant
qu'elle a rencontré des oreilles favorables. Ici, pour
comprendre un peu ce qu'on y a apprécié positivement,
nous sommes presque exclusivement tributaires d'Au-
gustin. La rareté des témoignages ne doit pas nous étonner
en une matière où il y avait à dire des choses fines,
neuves et qui allaient à contrecourant. Augustin d'ailleurs
n'est pas seulement une personnalité exceptionnelle dont
on pourrait penser que le témoignage ne vaut que pour
lui. Il s'est exprimé sur le sujetjusqu'à la fin de sa vie,
en des années où il avait des reponsabilités et ne pouvait
ignorer que son jugement aurait quelque poids pour
l'Eglise. Dans les Confessions, dans son traité De la
musique, dans ses lettres, ses sermons, dans les Rétrac-
tations pour finir, nous avons l'impression de percevoir
le retentissement, le choc de cette musique nouvelle dans
une âme qui reste sensible alors même qu'elle cherche
à se défendre de cette émotion et à en reconnaître le
principe.

La musique et l'âme
Il
pas honte de le confesser:
entend les hymnes d'Ambroise, il pleure et il n'a
« En ces jours-là (hiver 386),
je ne me rassasiais pas de la surprenante douceur que
j'éprouvais à considérer tes desseins salutaires. Combien
!
j'ai pleuré à entendre tes hymnes, tes cantiques, les
!
suaves accents dont retentissait ton Église Quelle émo-
tion j'en recueillais Ils coulaient dans mon oreille,
distillant la vérité dans mon cœur. Un grand élan de
;
piété me soulevait les larmes ruisselaient sur ma joue,
mais elles me faisaint du bien » (Conf. 9, 14).
Quelques semaines plus tard, au cours des mois où il
se prépare au baptême, il entreprend la composition d'un
traité De musica, œuvre improvisée, œuvre de néophyte
en ce domaine mais à laquelle il doit tenir puisqu'il
l'emportera en Afrique. Il y travaille encore et notamment
pour mettre au point le 1. VI à quoi doit aboutir tout
le reste et qu'il envoie en 409 à l'évêque Memorius
(Ep. 101). Or ce n'est pas un traité sur la « musique »
traditionnelle de l'Église, mais sur la musique tonale de
tradition grecque, la musique profane de son temps.
Chez un homme décidé à faire du christianisme le tout
de sa vie, une telle entreprise est bien remarquable et
d'autant plus que c'est une apologie en profondeur de
cette musique dont il rattache la vertu à celle des
harmonies numériques — le mot numerus revient sans
cesse — qui sont image ici-bas de la sagesse de Dieu.
Puis c'est la mort de Monique (automne 387). Augustin
rentre chez lui ivre de chagrin et sombre dans le sommeil.
Au réveil il se trouve apaisé et cette délivrance rappelle
à sa mémoire «les vers si vrais de ton Ambroise »,

; ;
l'hymne Deus creator omnium dont il cite les deux
premières strophes « je sentis la douceur de pleurer en
ta présence ces larmes furent comme un lit que j'étendis
sous mon cœur et où il trouva le repos
33).
» (Conf. 9, 32-

Beaucoup plus tard, vers 400, au moment d'achever


la partie biographique des Confessions, il s'interroge sur
ses plus graves faiblesses. « Les plaisirs de l'ouïe m'avaient
jadis captivé, mais tu m'en as délivré. Pourtant, aujour-
d'hui encore, je l'avoue, j'écoute avec une certaine
complaisance les sons qu'animent tes paroles lorsqu'ils
:
sont portés par un chant agréable et bien réglé. Non
pas que j'en devienne captif je me reprends quand je
le veux. Cependant, pour être accueillis en moi avec les
pensées justement qui leur donnent vie, ils réclament à
mon cœur quelque considération et j'ai peine à ne leur
réserver que celle qu'ils méritent. Il me semble quel-
quefois que je leur accorde plus d'honneur qu'il ne
convient, alors même que je ressens que ces mêmes
paroles saintes pénètrent nos âmes d'une flamme de piété

;
plus ardente, plus religieuse, quand elles sont ainsi chan-
tées, que si elles ne l'étaient pas je sens aussi que dans
la voix et le chant tous nos sentiments trouvent des
correspondances en rapport avec leur diversité, et je ne
sais quelle mystérieuse affinité qui les stimule. Quand je
me souviens des larmes que me tiraient les chants de
ton Église aux premiers temps de ma foi retrouvée et
qu'aujourd'hui même je suis ému non par le chant mais
parce ce qu'on chante quand c'est à voix pures et menées
convenablement, je reconnais une fois de plus la grande
»
utilité de cette institution (Conf. 10, 49-50). On notera
ce mot d'institution, comme en 9, 15 à propos de
l'initiative d'Ambroise.
Augustin ne s'est pas borné à constater l'efficacité
religieuse du chant des hymnes. Il a voulu en rendre
compte et les raisons qu'il nous donne nous permettent
d'entrevoir un peu ce qu'était l'ethos de cette musique.
Reprenons le De musica. En dépit de la généralité des
discussions poursuivies, on ne saurait douter en effet
qu'au 1. VI en particulier les problèmes sont posés dans
la perspective de l'hymne ambrosienne ce n'est pas un
:

hasard si pour illustrer ses thèses Augustin choisit pré-


cisément le cas du dimètre iambique et l'équilibre ordonné
qu'il réalise entre ses éléments (6, 14, 47). De même,
le seul vers cité dans le livre à titre d'exemple et trois
fois répété (6, 2, 2 ; 6, 9, 23 ; 6, 17, 57) est emprunté
à l'hymne Deus creator omnium, lié aux événements de
Milan, aux souvenirs de Cassiciacum et de Monique (De
beata vita 35, Confessions, supra). Ce vers initial résu-
merait d'ailleurs assez bien toute la pensée d'Augustin.

vue, c'est une perfection d'équilibre ordonné :


Ce qui charme l'oreille dans la musique qu'il a en
les sons
produits peuvent être déficients, plus ou moins approxi-
matifs, mais ils supportent un ordre idéal que l'âme leur
impose et que l'oreille entend. Si l'âme a ce pouvoir
d'être créatrice d'ordre, c'est parce que Dieu imprime
en elle son merveilleux équilibre. Ainsi c'est Dieu qui
est l'auteur de la musique. Le péril pour l'âme serait
de s'attacher davantage à l'ordre qu'elle a institué dans
l'univers des sons, au préjudice de l'ordre plus élevé qui
l'a rendue elle-même capable de cette entreprise.
Dans cette représentation selon laquelle la beauté
:
s'imprime dans le sensible en descendant d'en haut, on
reconnaît la pensée de Plotin «Il y a dans la nature

;
un logos qui est l'archétype de la beauté qui est dans
les corps il provient d'un archétype plus beau qui est
dans l'âme. Celui-ci porte dans l'âme, pour l'ordonner,
une lumière plus haute encore, celle du Beau originel
ne résidant en rien d'autre qu'en soi. Il ne s'agit plus
cette fois d'un logos, mais du créateur (poietes) du logos
qui est dans l'âme» (Enn. 5, 8, 3).
Mais Augustin n'en reste pas là. Chez Plotin l'âme

la beauté, puis elle l'imprime dans le sensible ;


reçoit, dans une contemplation supérieure, impression de

cette opération reste pour elle sans fruit ni intérêt.


mais

« Comment un être capable de contempler la vérité irait-


il s'appliquer à ce qui n'en est qu'une image (Enn. 3,
8, 4) ? » Concrètement, celui qui est capable de contem-
pler cet ordre supérieur grâce à quoi il pourra, à un

ne fera ni n'écoutera de musique :


degré inférieur, percevoir, instituer la beauté musicale,
il contemplera l'ordre
supérieur. Augustin est bien d'avis, nous l'avons vu, qu'il
:
ne faut pas s'engluer dans ce que la musique comporte
de sensible, mais il dit aussi «Il ne faut pas penser
que tout ce qui se passe dans l'âme soit meilleur que
»
tout ce qui se passe dans le corps (6, 4, 7). « S'il est
une beauté, quoique passagère, dans les harmonies sen-
sibles, pourquoi la divine Providence nous refuserait-elle

11, 33)? «L'âme pécheresse elle-même est ordonnée


»
cette beauté qui est liée à notre condition mortelle (6,

par des harmonies et en produit jusqu'aux plus bas degrés


de la corruption charnelle. Ces harmonies ne peuvent
manquer tout à fait de beauté et Dieu souverainement
bon, souverainement juste, n'est jaloux d'aucune beauté »
(6, 17, 56). «Le corps aussi est une créature de Dieu
et orné d'une certaine beauté même inférieure. Ainsi
toutes ces harmonies en rapport avec notre condition
mortelle, ne les excluons pas des ouvrages de la divine
Providence» (6, 14, 46). «Un jour, quand Dieu aura
vivifié nos corps mortels, nous les contemplerons sans
»
aucune inquiétude et pleins de joie (6, 15, 49).
Augustin réhabilite la musique sensible par la foi en
un Dieu créateur et par l'espérance de la résurrection.
C'est bien là, croyons-nous, le point central et Augustin,
en 427, au terme de sa vie, y revient dans ses Rétractations
(1, 11, 1-2) pour corriger un passage du De musica (6,
4, 7 fin) où il s'était, pense-t-il, laissé entraîner à une
appréciation trop péjorative des harmonies sensibles :
« J'ai eu tort d'écrire que l'âme fait un progrès quand

ne vaut pas pour le ciel :


elle se passe des sensations charnelles. Cela, en tout cas,
alors elle sera affermie et
parfaite, les harmonies corporelles ne la détourneront
pas de la contemplation de la sagesse, elle les reconnaîtra,
elle en jouira. »
Ainsi la musique de ce monde ne trouve qu'au ciel
sa place tout à fait assurée. N'est-ce pas dire qu'ici-bas,
en dépit de ses incertitudes, elle peut nous donner un
?
avant-goût du ciel On aura noté que dans ses traités
et analyses théoriques Augustin réjoint les expériences
qu'il nous a décrites en ses Confessions à l'écoute des
hymnes d'Ambroise. D'ailleurs, les termes mêmes qu'il
emploie ici pour décrire l'harmonie musicale (parilitas,
aequalitas, proportio, similitudo, ordo, conuenientia,
constantia, concordia) ou pour dénoncer ce qui lui est
contraire (perturbatio, aestus, inquietum, lasciuia, clau-
dicatio, inordinatio, imparilitas) s'appliquent exactement
à ces pièces que déterminent de façon si nette la régularité
du dimètre ambrosien, l'architecture des strophes, la
formule si frappante 8x4x8 (cf. supra). Aeternum,
incommutabile. Augustin n'a pas été seulement un audi-
teur exceptionnellement sensible mais un interprète et
analyste exact de ce qu'Ambroise avait tenté de réaliser.
III — UNE DILATATION DE LA
SPIRITUALITÉ
Poésie, musique, voilà sans doute, aux origines de
l'hymnodie latine, l'apport le plus important de la civi-
à l'autre que nous ne les connaissons aujourd'hui ;
lisation romaine. Poésie, musique, plus liées alors l'une
pour
un Ancien, le terme de chant ferait assez bien leur unité.

:
Mais dans la création ambrosienne, c'est la musique,
croyons-nous, qui répond à l'intention fondamentale et
représente la plus grande nouveauté il y a poésie, c'est-
à-dire forme métrique, pour qu'il puisse y avoir chant
ou plus exactement ce chant qui serait de façon pénétrante
instaurateur de sérénité, approche de l'éternel. Et c'est
sa musique, nous l'avons vu, qui fit la fortune de
l'hymnodie.
Intégrées à la vie de l'Église, les hymnes y diffusent
1

conserveront la mémoire ;
leur influence. Inséparables de l'esthétique comme des
formes littéraires et musicales de l'Antiquité, elles en
sur les traces d'Augustin et
avec des exigences de plus en plus techniques, les chrétiens
étudieront les problèmes théoriques du chant, ils réveil-
leront de leur sommeil les musicographes d'autrefois,
d'où Boèce, Hucbald et la renaissance au 11e siècle d'une
notation musicale précise. Concrètement l'expérience
parallèle de l'hymnodie exercera son influence sur la
psalmodie elle-même qui dépouillera sa rudesse mono-
tone ; on verra naître des genres nouveaux, tropes et
séquences.

une partie concordante;


Assurément le texte, les mots, la piété qu'ils inspirent
devront, dans cet ensemble métrique et musical, tenir
on ne met pas n'importe quelles
paroles sur n'importe quelle musique, surtout quand c'est
le même auteur qui compose (ou choisit) l'une et l'autre.
C'est donc par une nécessité interne, non par recherche
d'une vaine parure, que le vocabulaire, la réminiscence
de la culture antique et notamment des poètes qui l'ont
illustrée apparaissent dans les hymnes d'Ambroise et dans
la lignée qui les continue, prenant place à côté des

quelques emprunts ou allusions ;


souvenirs de l'Ecriture. Il ne s'agit pas seulement de
pour reconnaître le
phénomène dans sa véritable mesure, il faut déchiffrer
l'hymne presque mot à mot. On verra ce qu'apporte une
pareille méthode dans l'édition des Hymnes d'Ambroise
présentement en cours dans la Coll. des universités de
France sous la direction de Jacques Fontaine, mais déjà
dans plusieurs travaux du même rassemblés dans le recueil
Etudes sur la poésie latine tardive (Les Belles Lettres,
1980).
Ce vocabulaire contribue à donner aux hymnes une
tonalité spirituelle qui n'est pas tout à fait celle des
Psaumes. Un Dieu serein, ordonnateur des régularités
cosmiques poli rector, un fidèle qui ne tremble ni ne
gémit mais demande que croissent en lui les vertus,
l'effacement de tout égoïsme ou agressivité personnels,
une certaine luminosité générale, ces images prolongent
ou approfondissent quelques-uns des thèmes les plus
estimables de la sagesse romaine. Par rapport à la tradition

l'homme:
juive, la spiritualité des hymnes instaure une religion
moins pathétique, plus confiante en la docilité de
quelque chose de l'humanisme avec sa noblesse
et ses risques.
Dans le développement de l'Église, l'hymnodie
(Ambroise médiateur de la poésie et de la musique
romaines) joue au plan de la prière un rôle comparable
à celui des théologiens et moralistes (Ambroise encore
et Augustin) qui intègrent dans la doctrine les meilleures
parts du stoïcisme et du néo-platonisme. La religion du
Christ «s'inculture» dans un nouvel univers et intrin-
sèquement s'enrichit; Dieu en des langues et selon des
tonalités différentes sera plus universellement adoré
prière multiforme, écho de la sagesse multiforme de Celui
:
qui a tout créé, qui ne rejette rien de ce qu'il a créé,
mais au contraire le guérit, le dilate et l'assume en lui.
Deus creator omnium.

J. PERRET
La Maison-Dieu, 173, 1988, 61-69
Jean-Louis CHARLET

RICHESSE SPIRITUELLE
D'UNE HYMNE D'AMBROISE :
AETERNE RERUM CONDITOR *

p ENDANT la lutte entre chrétiens orthodoxes et héré-


tiques ariens soutenus par l'impératrice-mère Jus-
tine, l'évêque Ambroise introduisit en 386 le chant
des hymnes dans la liturgie milanaise. Mais l'hymne
ambrosienne, création poétique la plus originale du chris-
tianisme latin antique, va bien au-delà des préoccupations
immédiates de cette conjoncture politico-religieuse. Des-

* L'auteur, professeur à l'Université de Provence, fait partie de


l'équipe chargée de la traduction des hymnes de la Liturgia Horarum
pour les pays de langue française et, à ce titre, avait la responsabilité
de la traduction de cette hymne. Par ailleurs, il prépare au sein

tée des hymnes d'Ambroise (responsabilité personnelle :


d'une équipe dirigée par J. Fontaine une édition scientifique commen-
lam surgit
hora tertia et Inluminans Altissimus). Pour le présent article, il a
utilisé la version dactylographiée de l'introduction générale et de la
notice d'Aeterne rerum conditor, préparées par J. Fontaine pour cette
édition collective (dépôt du manuscrit définitif à l'éditeur avant la
fin de 1988).
tinée à la prière des heures ou à la célébration des
grandes fêtes de l'année liturgique, elle constitue un
instrument privilégié de la conquête du temps par la
liturgie chrétienne, et n'a cessé d'exprimer et de nourrir
la prière chrétienne, collective ou privée.
Sur l'effet produit par le chant des hymnes ambrosiennes
au moment de leur création, nous avons le témoignage
exceptionnel de saint Augustin, témoin oculaire et auri-
culaire. L'expérience augustinienne éclaire de l'intérieur
les causes d'un succès dont Augustin lui-même et, indi-
rectement, Prudence attestent le caractère quasi universel
dans le monde latin, de l'Afrique à l'Espagne. Dans un
premier passage des Confessions, Augustin parle seule-
ment des effets immédiats du chant hymnique dans la
conjoncture de 386 il s'agissait de remonter le moral
:

du peuple chrétien persécuté par l'impératrice-mère Jus-


tine favorable aux ariens Mais un peu plus loin,
méditant sur les différentes formes de la concupiscence,
il en vient aux plaisirs de l'ouïe et sa réflexion
s'approfondit 2. Augustin souligne d'abord la séduction
esthétique qu'exerce l'hymne ambrosienne sa musicalité :
opère un véritable charme sur l'auditeur et l'émeut
jusqu'en son tréfonds. Aussi Augustin éprouve-t-il un
premier mouvement de méfiance devant un tel enchan-
des effets salutaires :
tement. Mais ce charme a des vertus pédagogiques et
ce que l'on reçoit avec douceur
reste gravé au fond du cœur. Or, grâce au chant hym-
nique, la vérité de la foi, « filtrée et décantée », pénètre
l'âme. L'hymne produit une sorte d'illumination intérieure
qui amène le fidèle à comprendre la Vérité en proclamant
le mystère du Christ et de la Trinité. Dans un troisième
temps, cette illumination provoque une adhésion ardente
du cœur et l'élève à la véritable piété. Quand il évoque
les hymnes d'Ambroise, Augustin se réfère surtout à
Deus creator omnium 3. Nous voudrions, à partir d'une

1. Conf. 9, 15.
2.Conf.10,49-50.
3. Conf. 4, 15 ; 9, 32 ; 10, 52 ; 11. 35.
autre hymne, Aeterne rerum conditor 4, montrer quelle
richesse spirituelle les hymnes d'Ambroise peuvent appor-
ter à la prière chrétienne en cette fin du 20e siècle.

TEXTE 5 TRADUCTION
Aeterne rerum conditor, Éternel Créateur du monde
noctem diemque qui regis Qui régis la nuit et le jour
et temporum das tempora Et qui rythmes le cours du temps
ut alleues fastidium, Afin d'en alléger le poids,

praeco diei iam sonat. Déjà. pour le jour, le coq chante,


noctis profundae peruigil, Veilleur au profond de la nuit,
nocturna lux uiantibus Lueur nocturne aux voyageurs
a nocte noctem segregans. Séparant la nuit de la nuit.

Hoc excitatus lucifer Par lui, surgit l'astre de l'aube


soluit polum caligine, Qui chasse les ombres du ciel ;
hoc omnis errorum chorus Par lui, les troupes de rôdeurs
uias nocendi deserit ; Délaissent les sentiers du mal.

4. Augustin connaissait aussi Aeterne rerum conditor, dont il cite


les vers 15-16 (retr. 1, 21, 1), attestant ainsi de façon formelle la
paternité ambrosienne de l'hymne.
5. Le texte donné est celui de l'édition préparée par J. Fontaine
et son équipe. Dans l'hymnaire de la Liturgie des heures (Te decet
hymnus, a cura di A. Lentini, Vatican 1984, p. 14), les strophes
originales 5 et 6 ont été supprimées « per brevità » (ne peut-on
regretter cette suppression dans une hymne d'une telle qualité et
d'une telle concentration ?) ; en revanche, une strophe doxologique
a été ajoutée. Au v. 11, A. Lentini a conservé, avec plusieurs éditeurs
modernes, mais contre les manuscrits, la correction introduite dans
le bréviaire romain de 1632 erronum (à la place d'errorum) ; au v. 25
(= LH v. 17), il a préféré, comme plusieurs éditeurs, pour des
raisons métriques, la leçon labantes à labentes, pourtant bien mieux
attesté dans la tradition manuscrite.
6. Cette traduction rythmée est celle élaborée en commun, à partir
de notre propre travail, par la commission chargée de la traduction
des hymnes de la Liturgia Horarum pour les pays de langue française,
sauf pour les strophes 5 et 6 (voir n. 5) : pour ces deux strophes,
nous avons adapté la traduction de l'édition J. Fontaine au schéma
d'alternance des finales masculines et féminines FMMM choisi pour
la Liturgie des Heures.
hoc nauta uires colligit Par lui, le marin reprend force,
pontique mitescunt freta,
hoc ipse Petra Ecclesiae
Le calme revient sur la mer ;
A son chant, Pierre, le Rocher,
canente culpam diluit. Lave sa faute dans les pleurs.
Surgamus ergo strenue :
gallus iacentes excitat
Dressons-nous donc avec courage :
et somnolentos increpat,
gallus negantes arguit ;
;
Le cfcq lève celui qui gît,
Invective les somnolents
Le coq confond les renégats.
gallo canente, spes redit, A son chant revient l'espérance,
aegris salus refunditur, L'infirme recouvre santé,
mucro latronis conditur, Le larron cache son poignard,
lapsis fides reuertitur. Qui est tombé retrouve foi.

:
lesu, labentes respice
et nos uidendo corrige
Regarde, ô Jésus, ceux qui tombent
En nous voyant relève-nous : ;
si respicis, lapsus cadunt A ton regard, l'erreur s'enfuit,
fletuque culpa soluitur. Les pleurs effacent le péché.
Tu lux, refulge sensibus
mentisque somnum discute
te nostra uox primum sonet
; Brille pour nos yeux, ô Lumière,
Éveille les cœurs endormis.
Que nos premiers chants soient pour toi :
et uota soluamus tibi. Pour toi, nos vœux soient accomplis !
Sit, Christe, rex piissime, Gloire à ton Père, à toi la gloire,
tibi Patrique gloria Roi de toute bonté, ô Christ !
cum Spiritu Paraclito, Gloire à l'Esprit Saint Paraclet,
in sempiterna saecula. Pour les siècles d'éternité.

La signification de l'hymne est étroitement liée à sa


situation liturgique. Il s'agit d'une hymne pour le chant
du coq, c'est-à-dire pour la partie de la nuit qui précède
l'aube et le lever du jour7. Déjà au 6esiècle, Césaire
d'Arles la prescrivait pour le second nocturne, et l'hym-
naire romain la fait chanter à laudes chaque dimanche.
En cette fin de la nuit, elle exprime l'attente de la
lumière du jour, mais aussi, à travers elle, de la lumière

:
du Christ, vrai Jour, Soleil de Justice. Ambroise part
d'un phénomène naturel le chant du coq qui annonce
le lever du jour. Mais, en s'appuyant sur le récit biblique
de la création de la lumière (première strophe cf. Gn 1, :
7. Ce que les latins
31.
appellent le gallicinium : voir ISID. nat. 2,
3-5) et sur la péricope du reniement de Jésus par Pierre
avant le chant du coq (v. 15-16 : cf. Le 22, 61-62 plutôt
que Mt 26, 34 ; Mc 14, 72 ou Jn 13, 38), il en dégage
la signification morale et spirituelle pour la vie des
chrétiens. A une première partie méditative et contem-
plative où domine l'indicatif (strophes 1 à 4) succède
une seconde partie d'exhortation et de demande où se
multiplient subjonctifs et impératifs (strophes 5 à 8).
Les deux premières strophes associent une invocation
au Dieu créateur du temps, du rythme alternatif du jour
et de la nuit qui remédie à la faiblesse humaine en
compensant l'activité diurne par le repos nocturne, à une
méditation sur les vertus du coq et de son cri héraut:
du jour, le coq annonce le lever du Jour véritable, du
Soleil de Justice. Les strophes 3 et 4 expriment les
bienfaits spirituels de ce chant pour les chrétiens :
par
lui, le lever du jour va dissiper non seulement les ténèbres
atmosphériques, mais encore les ténèbres morales. Le
calme revient sur les flots, mais aussi dans l'âme du
chrétien qui, une fois écarté le mal, retrouve à l'image
de Pierre au chant du coq la force du bien par le repentir.

de la première partie contemplative :


Les strophes 5 et 6 tirent la conclusion parénétique
le chant du coq et
l'exemple de Pierre doivent inciter à la vigilance spiri-
tuelle. Que l'homme se dresse donc de son lit ; mais
qu'en même temps il redresse son âme en la relevant
du péché, dans l'espérance de la ré-surrection promise,

louange — strophes 1 et 2 — à la demande :


du Salut éternel. L'invocation finale à Jésus (strophes 7
et 8) formule une prière de demande (l'hymne va de la
strophes
7 et 8) : par son regard tout-puissant, que Jésus nous
redresse et nous libère du péché, comme il l'a fait pour
Pierre. Vraie Lumière, qu'Il éveille et illumine spiri-
tuellement nos âmes, à nous, chanteurs de l'hymne qui
lui est due. En deux mouvements complémentaires et
symétriques, l'écriture symbolique suggère un sens moral
de la première partie ;
et spirituel derrière les tableaux apparemment descriptifs
puis, dans la seconde partie,
l'illumination spirituelle de l'âme par le vrai Soleil rappelle
en arrière-plan la dissipation de l'obscurité et des brumes
par les rayons du matin.
Cette rapide analyse permet de comprendre pourquoi
Sa réussite littéraire est indéniable :
l'hymne ambrosienne s'est imposée à travers les siècles.
Ambroise a créé
une forme fixe (huit strophes de quatre dimètres iam-
biques généralement octosyllabiques) dont le rythme, les
thèmes et les images ont modelé la prière liturgique de
l'occident chrétien jusqu'au 16e siècle. Par ses qualités
de concentration et de fluidité8, il a su exprimer à la
fois la transcendance divine et la proximité d'un Dieu
présent à qui le prie. Il a atteint la grandeur en restant
simple et transparent pour être compris de tous, même
si l'expression du mystère et des réalités spirituelles
conduit parfois à des alliances de mots elliptiques et
surprenantes 9. Mais l'expression poétique est au service
d'un projet religieux et l'hymne ambrosienne est avant
tout une réussite spirituelle et liturgique.
Ambroise a parfaitement compris la triple dimension
temporelle de la liturgie. Au moment où il chante, le
chrétien se situe entre la révélation biblique accomplie

8. Pour la concentration, comparer l'hymne au passage correspon-


dant de l'œuvre en prose d'Ambroise (où abondent digressions et
descriptions gratuites) ou à la première hymne du Cathemerinon (sur
ce point, voir notre étude La création poétique dans le Cathemerinon
de Prudence, Paris, Les Belles-Lettres, 1982, p.91-94). La concen-
tration et la fluidité, qualités qui ne s'assemblent pas nécessairement,
; ;
sont obtenues ici par un mélange artistement dosé de parallélismes
(concinnitas parallélismes syntaxiques variations synonymiques et
paronymiques à fonction à la fois incantatoire et pédagogique figures
de la réitération comme l'anaphore, la paronomase, l'allitération,
l'homéotéleute.) et de variations (rupture des symétries quand elles
deviennent trop appuyées). Tour à tour, Ambroise souligne ou estompe
les symétries et le dimètre iambique permet un énoncé formulaire
d'une plénitude grave. Sur la stylistique d'Ambroise hymnode, voir
M. Simonetti, Studi sull'innologia popolare cristiana dei primi secoli,
Roma, 1952.
9. Ici, au v. 26, lapsus cadunt qui signifie littéralement « les chutes
tombent ». Le péché est un faux-pas, une chute. Pendant la nuit. il
fait tomber l'homme. Mais, par un juste retournement des valeurs,
quand le jour a dissipé la nuit, c'est le faux-pas qui trébuche, c'est
le péché qui tombe.
et la parousie à venir. Mais le présent de la célébration
liturgique actualise le passé biblique (ici, la création du
jour et de la nuit et le reniement de Pierre suivi par
son repentir) dans l'attente de la venue eschatologique
du Soleil de Justice. C'est de là que le moment présent
vécu par le chrétien en prière prend un sens religieux.
Le génie d'Ambroise a été précisément de dégager le
sens spirituel d'une expérience aussi commune que celle
du chant du coq et de la venue de la lumière, en la
liant à la Parole de Dieu (la Bible) et au mystère du
Christ venu s'incarner dans les ténèbres pour y mourir,
mais pour ressusciter et préparer son retour à la fin des
temps comme Soleil de Justice.
Concrètement, les mots de l'hymne suggèrent au chan-
niveaux :
teur une triple interprétation, une compréhension à trois
le sens littéral, matériel et descriptif le sens
moral (les implications pour la vie quotidienne du chré-
;
tien) ; et le sens spirituel (le mystère du Christ et la
perspective eschatologique).
Ainsi, le « veilleur au profond de la nuit lueur noc-
turne aux voyageurs séparant la nuit de la nuit (v. 6- »
8), c'est, au premier degré, le coq, veilleur nocturne qui
fait espérer la lumière à l'homme encore plongé dans la
nuit, qui sépare la mauvaise nuit, la « nuit intempestive»
(intempestum), du gallicinium, la bonne nuit orientée
vers l'attente du jour. Mais ce veilleur nocturne est pour
chaque chrétien un exemple moral de vigilance, une
incitation à veiller et à prier pour échapper aux tentations
nocturnes et à la ténèbre infernale. Enfin, comme l'ex-
plicitera quelques années plus tard Prudence en imitant
Ambroise, le coq «est l'image de notre Juge 10. Il »
symbolise le retour du Christ à la fin des temps pour
juger les vivants et les morts, les séparer «comme le
berger sépare les brebis des boucs »
(Mt 25, 32, où les
traductions latines emploient le verbe segregare).
De même au vers 17, le subjonctif d'exhortation sur-
gamus doit se comprendre d'abord au sens matériel la :
10. Prudence, Cathemerinon :
1, 16 « nostri figura est iudicis ».
matin va arriver, «levons-nous »
de notre lit. Mais
l'adverbe strenue incite à lui donner aussi (deuxième
niveau de compréhension) un sens moral :
levons-nous
pour ne point paresser (cf. v. 19), levons nos âmes en
même temps que nos corps, « redressons-nous
rieurement dans la lutte morale que constitue la vie
inté- »
quotidienne. Mais la suite du texte (v. 21, spes redit ;
v. 22 salus refunditur : salus signifie « santé »,
mais aussi
« salut») incite à comprendre surgamus d'une troisième
manière, comme resurgamus (les poètes latins emploient
souvent le verbe simple pour le composé) «ressusci-
tons», associons notre lever, notre «surrection
mystère de la Résurrection du Christ, quotidiennement
au
:

»
figuré par le chant du coq et le lever du soleil. Le lever
ou redressement est donc non seulement physique, mais
moral et, finalement, résurrection spirituelle.
De la même manière, les iacentes du v. 18 désignent
au premier degré les dormeurs « couchés », « étendus»
;
sur leur lit au deuxième degré, l'homme qui, comme
Pierre avant le chant du coq, est tombé dans le mal
;
(image de la chute aux v. 24 à 27), qui gît endormi par
ses fautes au troisième degré — conséquence du second
—, l'homme étendu mort par le péché, qui n'a pas
encore été ressuscité par le Christ. Derrière le sommeil
physique, Ambroise suggère le sommeil moral et la mort
:
spirituelle. En définitive, le coq est le Christ qui nous
incite à ressusciter avec Lui d'où l'apostrophe finale à
Jésus, v. 25-32
Ambroise a donc su enraciner l'hymne dans l'expérience
humaine la plus concrète, la plus immédiate et la plus
large — donc accessible à tous — pour instruire mora-
lement celui qui chante et l'élever progressivement au
mystère de Dieu, inscrit dans la nature et révélé par

de traduire des mots ou des images à triple sens :


11. On voit combien il est difficile, et parfois quasiment impossible,
le traducteur
implore l'indulgence du lecteur. Mais s'il a redonné l'envie de lire,
de chanter, de méditer le texte latin en rendant plus immédiatement
accessibles à des francophones quelques-unes de ses richesses spiri-
tuelles, il n'a peut-être pas perdu sa peine et son temps.
:
l'Écriture comme l'homélie, l'hymne est un écho humain
et une méditation de la Parole divine, clé de compré-
hension du monde et de l'homme. Car pour Ambroise,
qui a réfléchi sur la fonction spirituelle de la psalmodie
(In psalm. 101 et 118), l'hymne, nouveau psaume chris-
tique, est un microcosme de la vie spirituelle. Comme
la lecture ruminée des Psaumes, la méditation des hymnes

:
est un exercice spirituel qui fait progresser dans la voie
du salut par cette prière de louange et de demande,

mation du mystère de Dieu a un effet pédagogique


chanteur s'enseigne lui-même et devient son propre
:
l'homme reçoit de Dieu le sens de sa vie. Mais le chant
a aussi d'autres vertus. Pour chaque chrétien, la procla-

maître. Pour le peuple chrétien assemblé pour la prière


le

liturgique, le chant collectif des hymnes réalise son unité


dans l'Eglise.
La démarche d'Ambroise qui consiste à partir de la
vie quotidienne pour mener par le chant hymnique au
mystère de Dieu est d'une grande actualité pour la prière
chrétienne. Les citadins que nous sommes pour la majeure
partie d'entre nous sont peut-être moins sensibles que

;
les contemporains d'Ambroise ou que les chantres médié-
vaux à la valeur du chant du coq et le développement
de la lumière artificielle a quelque peu estompé l'op-
position entre la nuit et le jour. Il n'en reste pas moins
que le rythme d'alternance entre la nuit et le jour est
biologiquement ancré au plus profond de nous-mêmes.
Les vers d'Ambroise s'appuient sur une expérience inscrite
dans la nature humaine et donc, même pour un homme
»
de la fin du 20e siècle, ils partent de son « vécu (comme
disent les modernes !) pour le mener au mystère ineffable
de Dieu. C'est à ce titre que l'hymnodie ambrosienne
reste très moderne et demeure une source vivante de
prière pour les chrétiens du 20e siècle, et bientôt du 21e :
partir de l'homme dans le monde et dans le temps pour
le mener à Dieu, à l'éternité dans l'infini, n'est-ce pas
ce que recherche toute forme de prière ?
Jean-Louis CHARLET
LA FOI N'ESTPAS
CE QUE
VOUS PENSEZ
Bernard Bro
passij'ailafoi."Jecrois. Et

mavie.
jesaisquec'estleplusbeaucadeaude
"Je ne sais

--~
ce -

128pages,55F.
La Maison-Dieu, 173, 1988, 71-79
Dag NORBERG

LE « PANGE LINGUA »
DE FORTUNAT
POUR LA CROIX

VI une province
ERS de l'Empire romain,
la fin Gaule avait été
la
célèbre pour son érudition, son art
oratoire et sa littérature. Au 5e siècle quand les
Francs, les Goths et les Bourguignons s'étaient installés
dans le pays, on y trouvait encore des hommes qui
s'appliquaient à écrire avec l'élégance formelle de
l'époque passée. Mais au siècle suivant, la situation
changea. La disparition de l'administration romaine fut
définitive, les villes ne purent plus maintenir l'enseigne-
ment scolaire, l'évolution de la langue parlée ne fut plus
arrêtée par les règles de l'école. Les prêtres et les évêques,
pour que le peuple pût les comprendre, se trouvèrent
obligés de s'exprimer d'une manière plus simple et de
laisser de côté les subtilités rhétoriques, auparavant si
aimées des Gaulois. Nous pouvons en voir le résultat
chez Grégoire de Tours, conteur plein de vie et d'intérêt,
mais dont le latin diffère complètement de celui de
Cicéron et de saint Augustin. Cette différence est consi-
dérable même si l'on essaie de fermer les yeux sur
l'orthographe mérovingienne et d'entendre Grégoire lire
ses textes.
La situation de la poésie, dominée par la versification
dactylique, était pire encore. L'évolution de la langue
avait effacé l'ancienne distinction quantitative des syllabes
et la prosodie classique n'était plus perceptible aux oreilles
sans des études approfondies. Comment acquérir ces
?
connaissances quand les écoles avaient disparu Au début
du siècle vivaient encore certaines personnes qui avaient
étudié la versification classique. Tel était Avit, évêque
de Vienne, mort en 518. Il avait composé quelques livres
en hexamètres sur la création du monde et son histoire
primitive. Mais, ne sachant si ce qu'il faisait allait dans
le bon sens, il annonce dans une préface son intention
de finir «parce que ceux qui comprennent la mesure
des syllabes sont si peu nombreux ».
Bien que l'on ne possédât plus les connaissances néces-
saires pour écrire des vers, on ne méprisait pas l'art
poétique. Même les rois barbares trouvaient un certain
plaisir à entendre leurs vertus louées en vers latins. De
Chilpéric, roi à Soissons et à Paris et assassiné en 584
après une vie de crimes de toutes sortes, Grégoire de
Tours raconte qu'il avait lui-même écrit des vers latins
qui, cependant, étaient si mauvais que l'on ne pouvait
pas les accepter. Chilpéric, son frère Sigebert et d'autres
encore ont reçu le poète Venance Fortunat avec bien-
veillance quand celui-ci visitait leurs cours et exprimait
ses remerciements en poèmes latins.

L'itinéraire de Venance Fortunat


Venance Fortunat (qui, au dernier tiers du 6e siècle,
quitta son pays pour la Gaule) avait reçu une éducation
solide selon les méthodes de l'ancienne école latine dans
une Italie gouvernée encore par l'empereur romain de
Constantinople. Né vers 530-540 à Trévise il avait per-
fectionné son éducation à Ravenne, qui à cette époque
était la capitale de l'Italie. Encore très jeune, il fut
atteint d'une ophtalmie qu'il guérit en oignant ses yeux
de l'huile d'une lampe qui se trouvait sur l'autel de saint
Martin dans une église de Ravenne. Pour témoigner sa
reconnaissance, Fortunat décida de partir en pèlerinage
au tombeau de saint Martin à Tours. Le voyage le mena
d'abord au-delà des Alpes, à Mayence, Cologne et Trèves
où il montra ses talents poétiques dans de petits poèmes
dans lesquels il présenta ses hommages aux évêques de
ces villes. A Metz, le roi Sigebert le reçut. Il y eut
l'occasion de célébrer, en un épithalame, le mariage du
roi avec la princesse wisigothique Brunehaut. Il est
vraisemblable que ce soit à Metz qu'il a rencontré certains
membres de l'aristocratie franque, Gogon, Mummolenus
et les ducs Loup et Bodegiselus auxquels il a dédié
plusieurs lettres versifiées.
Fortunat a continué son pèlerinage à Soissons, où il
Cependantil
semble avoir vu le roi Chilpéric, et enfin à Tours.
n'a pas terminé son voyage à Tours; mais
à Poitiers en 567. De là il n'y avait pas de retour pour
Fortunat. Les Lombards avaient envahi le Nord de l'Italie
où ils se sont vite rendus maîtres. Fortunat n'avait plus
de désir de retourner dans sa patrie. Il est resté à Poitiers
qui est devenu son nouveau domicile. Il y est ordonné
prêtre et vers la fin du siècle élu évêque. Mais il ne
semble pas avoir présidé longtemps à l'église poitevine.
L'année de sa mort est inconnue et on doit se contenter
de la supposer vers 600.
Fortunat était un homme aimable qui se conciliait
facilement l'amitié de tous. Il était lié à plusieurs des
ecclésiastiques gaulois, surtout à Grégoire, archevêque
de Tours en 573-584. Nous pouvons suivre leur amitié
dans plusieurs lettres en vers. A la demande de Grégoire
il raconte la vie de saint Martin en quatre livres d'hexa-
mètres. Fortunat a aussi composé de petits poèmes en
l'honneur de nobles laïques. Ainsi nous trouvons dans
sa correspondance des poèmes à Dynamius, patricius à
Marseille, qui appartenait à une vieille famille romaine
où il avait même appris l'art de composer des vers. Mais
pour Fortunat et son développement spirituel rien ne fut
plus important que l'amitié de Radegonde.
Radegonde était fille du dernier roi des Thuringiens,
Berthaire. Elle avait vu son père et plusieurs proches
parents assassinés dans le Franc Clotaire 1 (512-561) avait
conquis la Thuringe. Elle fut elle-même faite prisonnière
et emmenée en Gaule, où Clotaire l'épousa. Mais Rade-
gonde, qui dès l'enfance avait été éprise du mysticisme
chrétien, se livra aux prières, aux jeûnes et aux veilles
avec une telle ardeur que le roi disait qu'il n'avait pas
épousé une reine mais une religieuse. Bientôt Radegonde
ne supporta plus la vie de la cour qu'elle abandonna
pour se consacrer à une vie religieuse. A Poitiers elle
entra dans un couvent qu'elle fit construire et où sa fille
adoptive Agnès fut supérieure. Fortunat admirait beau-
coup la vie des deux dames. Dans plusieurs petits poèmes
il leur présente ses salutations respectueuses, exprime ses
remerciements de fleurs, de fruits ou d'autres petits
cadeaux, il leur dédie aussi un chant plus étendu De
virginitate. Radegonde mourut en 587 et Agnès, semble-
t-il, à peu près en même temps. Dans une biographie
en prose, Fortunat a décrit la vie sainte de la reine qui
renonça à tous ses privilèges pour secourir les malheureux.
L'œuvre littéraire de Fortunat consiste en quelques
vies de saints en prose, en un chant en hexamètres sur
la vie de saint Martin et en beaucoup de poèmes en
distiques dactyliques dont la plupart ont la forme de
lettres en vers. Ce sont des vers de circonstance où le
poète témoigne de son amitié, remercie de cadeaux,
déplore la perte d'un ami, recommande une personne,
etc. Il exalte souvent les vertus du destinataire qu'il ne
se gêne pas pour combler de flatteries plus ou moins
exagérées. On a discuté si la poésie de Fortunat appartient
à l'Antiquité ou au Moyen Age, en la comparant avec
les déclamations stériles dans la poésie d'un Avit de
Vienne ou d'un Ennodius de Pavie. C'est une discussion
infructueuse. Les lettres versifiées de Fortunat sont à
comparer avec les lettres en prose de la basse Antiquité,
où Sidoine Apollinaire, Rurice de Limoges ou Gogon,
Dynamius et d'autres contemporains de Fortunat, ont
essayé de masquer le contenu banal et superficiel par
une forme élégante et par des finesses d'expressions. Il
faut avouer que la poésie de Fortunat, qui s'exprime
avec une facilité étonnante, est souvent vide de substance.
Il emprunte ses phrases à Virgile, à Ovide, à Iuvencus,
à Sedulius et à d'autres qu'il pastiche avec une virtuosité
remarquable. Mais parce qu'à cette époque la versification
dactylique dépendait si étroitement de modèles, elle
manque la plupart du temps de fraîcheur et de spon-
tanéité.

Le « Pange lingua »

Comment est-il possible que Fortunat ait réussi, à


composer Pange lingua gloriosi, une hymne marquée par
la profondeur du sentiment aussi bien que par la per-
?
fection artistique Nous croyons que l'influence de sainte
Radegonde y fut pour beaucoup. Elle lui a révélé la
valeur d'une vie entièrement dévouée à la foi mystique.
C'est grâce à elle qu'il a trouvé des ressources nouvelles
pour son art. Un événement de l'an 569 a dégagé la
vitalité littéraire du poète.
Depuis quelque temps, Radegonde avait souhaité don-
ner le nom de Sainte-Croix à son couvent. Pour ce but,
elle avait besoin de reliques et, aidée par ses parents
royaux, elle avait demandé un fragment de la Croix à
Constantinople. L'empereur Justin et l'impératrice Sophie
se montrèrent favorables et vers la fin de l'an 569 des
légats arrivèrent avec les reliques à Poitiers. Ce fut un
événement exceptionnel dans la vie à Poitiers. Les reliques
furent reçues et déposées au couvent de Radegonde dans
une fête solennelle, présidée par l'archevêque de Tours
Eufronius, prédécesseur de Grégoire. Nous n'avons pas
de renseignements sur les détails mais de ce que nous
savons d'autres cérémonies de ce genre, il est permis de
conclure que l'on a porté les reliques dans une procession
en chantant l'hymne Pange lingua de Fortunat.
Pange, lingua, gloriôsi proé-
lium certàminis, et super crucis
tropéo dic triûmphum nôbilem,
la glorieuse lutte;
Chante, ma langue, le combat,
dis le noble
triomphe du trophée de la croix :
quàliter redémptor orbis immo- le rédempteur du monde, immolé,
làtus vicerit. est vainqueur.
De paréntis protoplàsti fraude Le créateur, attristé de l'éga-
factor côndolens, quando pomi rement du premier père, précipité
noxiâlis morte morsu côrruit, ipse dans la mort en mordant le fruit
lignum tunc notàvit, damna ligni néfaste, choisit lui-même un arbre
ut sôlveret. pour réparer l'arbre de mort.
Hoc opus nostrae salutis ordo Cette œuvre de salut, l'ordre
depopôscerat, multifôrmis perdi- divin l'exigeait, pour vaincre par
tôris arte ut artem fàlleret, et la ruse la ruse du malin, pour
medélam ferret inde, hostis unde porter le remède d'où venait la
lœserat. blessure.
Quando venit ergo sacri ple- Quand fut accomplie la plé-
nitude témporis, missus est ab nitude du temps, envoyé d'auprès
arce Patris Natus, orbis cônditor, du Père, le Fils, créateur du
atque ventre virginàli carne factus monde, devenu chair dans un sein
prôdiit. virginal, parut.
Lustra sex qui iam peràcta Trente années achevées, au
tempus implens côrporis, se terme de sa vie, il se livre volon-
volénte, natus ad hoc, passiôni tairement à la passion à laquelle
déditus, agnus in crucis levâtur il était destiné. L'Agneau est
immolàndus stipite. élevé en croix pour être immolé
sur le bois.
/Equa Patri Filiôque, inclito Au Père et à son Fils, à l'Esprit
Paràclito, sempitérna sit beâtæ consolateur, à l'heureuse Trinité,
Trinitâti glôria, cuius alma nos gloire éternelle, car sa grâce bien-
redémit atque servat grâtia. faisante nous rachète et sauve.

tyliques comme d'ordinaire ;


Le poète n'a pas composé ce chant en distiques dac-
mais en ces vers que les
métriciens appellent «tétramètres trochaïques catalec-
tiques ». Ce fut un choix heureux. Bien que les vers
soient quantitatifs selon les règles de la poésie classique,
les accents des mots alternent en général régulièrement.
On n'a donc pas de difficulté à entendre le rythme. De
plus, le poète n'était pas lié aux formules et aux lieux
communs du vers dactylique. Il s'est procuré la liberté
de créer une langue simple, adaptée au sujet, qui nous
touche par sa spontanéité et sa ferveur. On n'y trouve
rien de la monotonie ou de l'artifice superficiel qui, trop
souvent, marquent la poésie de la basse Antiquité.
Après Fortunat les chants de procession montrent
souvent la même versification. Ainsi Urbs beata Ierusâlem
dicta pacis visio, « La cité bénie de Jérusalem, appellée
"la vision de la paix" », probablement composée à
l'époque mérovingienne, et plusieurs hymnes du 9e siècle.
C'est peut-être le résultat du succès liturgique de l'hymne
de Fortunat. Mais Fortunat n'est pas le premier qui se
soit servi de ce vers. A peu près 150 ans plus tôt son
prédécesseur sur le siège de Poitiers Hilaire avait écrit
un livre d'hymnes dont, malheureusement, la plus grande
partie est perdue. Mais, entre les hymnes conservées, il
y a une qui commence par les mots Adae carnis gloriosa
et caduci corporis in caelesti rursum Adam concinamus
proelia, « Chantons les glorieux combats d'Adam de chair
et de corps fragiles, achevés par l'Adam céleste. » On
a signalé que gloriosa, rapporté à proelia, se trouve au
même endroit du vers que gloriosi chez Fortunat et on
en a tiré la conclusion que Fortunat connaissait l'hymne
d'Hilaire. C'est possible mais il faut souligner que les
hymnes d'Hilaire, à ce que nous pouvons voir, étaient
imprégnées d'une érudition tout autre que simple et
populaire.
Il nous semble plus vraisemblable que Prudence ait
inspiré Fortunat. Prudence se sert du même vers dans
deux chants. Dans Péristéphanon 1, il rend hommage aux
martyrs de Calahorra Emeterius et Chelidonius, dans
Cathémérinon 9, il décrit la vie et l'œuvre de salut du
:
Christ. Dans le premier chant il ose formuler la sentence
hardie dulce tune iustis cremari, dulce ferrum perpeti,
« les justes trouvaient de la douceur à être brûlés, de
la douceur à supporter le fer ». Fortunat se rappelle

originale:
peut-être de ces mots quand il écrit, dans la version
dulce lignum dulce clavo dulce pondus susti-
nens, «o bois très doux qui porte un fardeau si doux
avec des clous si doux ».
Il est plus probable que Fortunat se souvient de la
strophe suivante dans le dernier chant de Prudence :
Solve vocem, mens, sonoram, solve linguam mobilem,
die tropaeum passionis, die triumphalem crucem,
pange vexillum, notatis quod refulget frontibus.
« Délie la voix harmonieuse, délie la langue mobile. Dis
le trophée de la passion, dis le triomphe de la Croix,
chante le signe qui brille sur les fronts qui en sont
marqués. »
Le sujet est le même dans la première strophe de
Fortunat, les mots sont partiellement les mêmes (pange,
lingua, tropaeo, die triumphum). Les reliques de la sainte
Croix ont été portées, comme dans une procession de
triomphe, au monastère de Radegonde. Fortunat savait
bien que dans un triomphe romain on montrait les
trophées conquis dans la bataille. Le Christ avait remporté
la victoire sur la croix, et la croix était donc devenue
son trophée.
Les pères de l'Église ont souvent interprété l'Ancien
Testament à la lumière du Nouveau. On a comparé Eve
et la sainte Vierge, l'arbre du serpent au milieu du
Paradis et l'arbre de la Croix. Le péché fut introduit au
monde par une femme, il fallut que le monde soit délivré
du mal par une femme. L'homme tomba par l'arbre du
Paradis, c'était du même arbre que dépendait la Rédemp-
tion. Dieu avait donc marqué l'arbre du Paradis, disait-
on, dont un plant fut sauvé dans le déluge pour devenir
l'arbre dont on a fait la Croix. Saint Ambroise dit, dans
son commentaire du Psaume 35, 3 « La croix du Christ
:

nous a rendu le Paradis. Car cet arbre est celui que le


Seigneur a montré à Adam. »
C'est la même idée que Fortunat exprime dans les
strophes 2 et 3 qu'il introduit par le vers De parentis
protoplasti fraude factor condolens, marqué par la double
assonance de p et de f.
:
Dans l'épître aux Galates 4, 4 saint Paul dit « lorsque
les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né
d'une femme ». Fortunat a presque littéralement rendu
ces mots dans la strophe 4 ; mais à natus, « Fils», il a
ajoutéorbis conditor pour faire ressortir le contraste
entre la majestueuse puissance du Créateur et le petit
nouveau-né, pleurant dans la crèche, dont il parle dans
la cinquième strophe.
La période de 30 ans est exprimée, à la mode romaine,
par les mots lustra sex. C'est après cette période, dit
Fortunat dans les deux strophes suivantes, que le sacrifice
de Jésus s'achève sur la croix. Le poète évite ici toute
prolixité. Hic acetum, fel, harundo, sputa, clavi, lancea
écrit-il dans la version originale avec une concentration

:
vigoureuse. Les particules de liaison sont aussi omises
dans la suite sanguis, unda profluit, terra, pontus, astra,
mundus quo lavantur flumine.
Dans les trois strophes finales Fortunat s'adresse direc-
tement à la Croix. Inutile d'essayer de paraphraser ou
d'expliquer ce texte. Aucune traduction, aucune inter-
prétation ne peuvent rendre justice à la beauté des vers
finaux. Il faut les lire dans leur forme latine originale
pour bien entendre la profondeur de l'émotion du poète.
Ils sont sublimes.

Dag NORBERG
e Sources Chrétiennes

TERTULLEEN
LE MARIAGE UNIQUE
Introduction, texte critique, traduction et notes par Paul MATTEI.
Troisième traité de ce père de la théologie latine sur le mariage. Dans son rigorisme même,
Tertullien est un témoin important de la sainteté et de la bonté de cette institution qui est
aussi un sacrement.
Sources ChrétiennesnO 343 430 pages 325F.

HILAIRE DE POITIERS
COMMENTAIRE SUR LE PSAUME 118
Introduction, texte critique, traduction et notes par Marc MILHAU.
Un des premiers essais de l'exégèse latine. ue ce psaume sapientiel par excellence. Hilaire
tire tout une doctrine de la perfection chrétienne.
Sources ChrétiennesnO 344 528 pages 164F.

Jean CHRYSOSTOME
COMMENTAIRE SUR JOB, tome 1

Introduction, texte critique, traduction et notes par Henri SORLIN.

eu beaucoup à tirer du Livre de Job pour éclairer la vie quotidienne dans la foi mal,
tentation,salut, justice.
:
Le grand orateur a constamment commenté la Bible à l'usage du peuple. Et il y a toujours

Sources Chrétiennesno 346 300 pages 232F.

RÉÉDITION
LETTRES DES PREMIERS
CHARTREUX, tome 1

rf
Introduction, texte critique, traduction et notes par un Chartreux.
Les lettres authentiques de saint Bruno et de quelques-uns des tout premiers prieurs de
Chartreuse permettent de saisir les débuts de l'étonnante aventure cistercienne.
Sources Chrétiennesno88 278 pages. 160F
La Maison-Dieu, 173, 1988, 81-100
Sœur ÉTIENNE

LE CANTIQUE NOUVEAU
DE L'ÉGLISE EN PRIÈRE

D EPUIS le « Gloria in excelsis Deo » chanté — mais


en quelle langue ? — par le chœur des anges à
!

Bethléem, le trésor de l'hvmnodie chrétienne n'a


l'invitatoire des psalmistes :
cessé de s'enrichir au long de l'Histoire de l'Église. Car
«Chantez au Seigneur un
à la terre entière :
chant nouveau », les prédicateurs de l'Évangile l'ont lancé
Paul invite les chrétiens de Colosses
à chanter « des hymnes, des cantiques inspirés »
(Col 3,
16). Et au début du 2e siècle, Pline le Jeune écrivant à
Trajan dit des chrétiens de Bythinie qu'« ils ont coutume
de chanter en chœurs alternés des hymnes au Christ
comme à un Dieu ». Ces hymnes des premiers chrétiens 1

constituent le début d'un répertoire immense, au point


qu'à la fin du Moyen Age, on ne comptera pas moins
de 30 000 hymnes dont 75 seulement étaient restées dans
le Bréviaire romain d'avant Vatican II.

1. Le P. Deiss les a rassemblées dans Hymnes etprières despremiers


chrétiens, Ed. Fleurus, 1963.
Comment la Réforme conciliaire de la Liturgie des
Heures allait-elle se situer devant un pareil héritage
prouvant à l'évidence que chaque époque avait exprimé
sa foi au Christ avec son propre langage 2 ? Ne convenait-
il pas, selon le souhait de Paul VI, de conserver « les
trésors des moments les plus inspirés de la piété chré-
tienne, sans pour autant sceller les lèvres de l'Eglise
d'aujourd'hui de sorte qu'il n'en puisse sortir quelque
chant nouveau, si vraiment le souffle de l'Esprit l'y
habilite»3 ?
Convoqués par l'Église, inspirés par l'Esprit, des poètes
et des musiciens d'aujourd'hui ont créé pour la « Prière
du Temps Présent »260 hymnes qui constituent pour
l'expression de la foi dans notre langue une richesse
inappréciable. Les quelques réflexions qui suivent vou-
draient mettre en relief la saveur spirituelle de ce nouvel
hymnaire.

« Du levant au couchant du soleil »,


des hymnes pour toutes les heures

« L'Office divin, d'après l'antique tradition chrétienne,


est constitué de telle façon que tout le déroulement du
jour et de la nuit soit consacré par la louange de Dieu »
La Constitution De sacra Liturgia n° 88 a remis en
honneur le principe fondamental de la vérité des Heures.
L'Office divin n'est pas une obligation dont on s'acquitte
deux Heures de l'Office !-
— en bloquant par exemple en une seule célébration
; son but est de sanctifier
la journée et toute l'activité humaine. Son fruit spirituel
est lié à cette prise en compte réelle du temps 5.
A cet égard, le rôle de l'hymne est déterminant, car
« elle manifeste presque toujours d'emblée, mieux que

2. « Constitution de la sainte Liturgie », De sacra Liturgia (DSL),


n" 93.
3. Documentation Catholique, 1966, col. 1827.
4.DSL, n"84.
5.DSL, n"94.
les autres parties de l'Office, le caractère propre des
»
Heures ou de chaque fête 6. L'hymne par sa fonction
d'ouverture, donne l'heure, pourrait-on dire Mais, !
comme dans la vie de Jésus, l'Heure y est inséparablement
repère chronologique (chronos) et « moment favorable»
(kairos), temps du salut. De l'aurore à la nuit, du plein

:
midi au jour qui s'achève, notre vie quotidienne est
marquée par cet écoulement du temps « Un jour nou-
veau commence », « Le jour s'achève », « Seigneur, au
seuil de cette nuit », « Voici la nuit ».
L'hymne trans-
forme le chiffre muet de notre montre à quartz en

:
louange du Créateur. Grâce à elle, chaque matin a la
saveur du premier matin du monde

« Père du premier mot


Jailli dans le premier silence
Où l'homme a commencé.
Père du premier jour
Levé sur les premières terres
Au souffle de l'Esprit. » (p. 809) 7.

Comment ne pas s'émerveiller devant « le dernier-né


des jours qui monte »
(p. 736), s'émerveiller de Dieu,
de l'ouvrage de ses mains et de l'amour qu'il nous
manifeste!
«Emerveillés ensemble,
Émerveillés de toi. Père,
Nous n'avons pour seule offrande
Que l'accueil de ton amour »(p. 755).

Chaque matin a aussi saveur de Pâque, car Il s'est


levé, l'Autre Soleil, le Christ ressuscité, « Soleil levant
sur ceux qui gisent dans la mort » (p. 644). Face à
l'Orient, l'Eglise accueille « la nouvelle lumière montant

6. Institutio Generalis de Liturgia Horarum (IGLH), n" 173.


7. Par commodité, la page de l'hymne est celle de l'édition de
Prière du Temps Présent en un seul volume (1980).
au plus secret des corps »
(p. 736). Aux Laudes du
Temps pascal surtout, elle chante son espérance :
« Vivre ressuscités pour Dieu
Dans la lumière neuve.
Aurore de la joie :
Les hommes surgiront
Au grand espoir
qui monte dans leur corps
A l'aube de ce matin » (p. 348).

Mais chaque jour du Temps ordinaire oriente déjà le


regard de la foi vers le Jour de la Résurrection finale :
«Le Jour nouveau se lève,
Le Jour connu de toi. Père,
Que ton Fils dans l'homme achève
La victoire de la Croix »
(p. 755).

Ainsi, l'hymne matutinale met-elle notre cœur en forme


pour la journée, «en consacrant à Dieu le premier
mouvement de notre âme et de notre esprit, pour que
nous n'entreprenions rien avant de nous être réjouis à
la pensée de Dieu » 8.
L'autre pôle de l'Office quotidien, «l'Office du soir
»
célébré quand le jour baisse déjà est depuis les origines
de l'Eglise lié au rite du lucernaire. « A cette heure-là,
nous unissons notre voix à celles des Églises d'Orient
en invoquant la Joyeuse Lumière de la sainte gloire du
Père céleste et éternel, le bienheureux Jésus Christ.
Parvenus au coucher du soleil, en voyant la lumière du
soir, nous chantons Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit 9.
L'hymne de Vêpres — l'antique Phos Hilaron (p. 688)
»
- ramène le cœur de l'Église vers le Seigneur qu'elle
a servi au long du jour :
8. Texte de saint Basile cité par IGLH, n" 38.
9. IGLH, n" 39.
«Le jour s'achève
Mais la gloire du Christ
Illuminelesoir»(p.727).

La louange du soir a cependant sa tonalité propre


la foi et l'espérance n'ont-elles pas été mises à rude
:
épreuve par les événements de la journée ? :

«Vienne Jésus pour dissiper le brouillard et les doutes.


Vienne Jésus pour surmonter la fatigue des jours.
Vienne Jésus pour consoler de la mort implacable. »
(p. 708).

:
Fin de la journée, fin de la vie, fin des temps l'hymne
du soir chante tout cela. Elle rassemble les voix d'un
peuple de veilleurs dans l'attente du Retour du Christ :
« Ilviendra,
Un soir
Pareil à celui-ci,
Peut-être.
Ilviendra,
Un soir
Sera le dernier soir du monde.
Un silence d'abord
!
Et l'hymne éclatera » (p. 599).

Ainsi, depuis l'aurore qu'elle devance, jusqu'à la nuit


où elle veille, l'Église en prière ne cesse de chanter des
hymnes. Aux gens pressés que nous sommes, elle offre
la chance de. «prendre le temps »! ! Certes, nous ne
vivons plus à l'époque du cadran solaire mais la liturgie
chrétienne ne pourra jamais se passer du rythme cosmique
pour célébrer le mystère de la foi, comme elle a besoin
de toute l'ampleur du temps humain depuis le Commen-
cement jusqu'au terme de l'Histoire pour chanter le
« Père des siècles du monde » et le Christ, «Premier-
né de son amour
(p. 736).
» et « Premier-né d'entre les morts»
De plus, l'alternance de la nuit et du jour, le rythme
des saisons, ne sont pas seulement le cadre extérieur où
se déroulent la vie humaine et le Jeu liturgique. Le
:
poète le sait bien qui nous introduit par ces symboles
jusqu'au plus secret de la vie intérieure
Car vous avez l'hiver et le printemps,
«
Vous êtes l'arbre en sommeil et en fleurs;
Jouez pour Dieu des branches et du vent. » (p. 676).
« Cœur du Très-Haut, soleil du Christ,
Console-nous du grand hiver ;
Esprit de Dieu, très pur Amour,
Descends dans notre nuit obscure» (p. 751).
« Mais ton printemps s'est réveillé
»
Dans mes sarments à bout de sève (p. 346).

Des hymnes pour admirer le seigneur


dans sa beauté
Une autre durée rythme le temps de l'Eglise, celle de
l'Année Liturgique. « Elle y déploie tout le mystère du
Christ, de l'Incarnation et la Nativité jusqu'à l'Ascension,
jusqu'au jour de la Pentecôte et jusqu'à l'attente de la
bienheureuse espérance et de l'avènement du Seigneur. »
« La grande solennité de Pâque » en est le cœur 10.
L'hymne occupe une place de choix dans la célébration
du cycle annuel des mystères du Christ, en introduisant
d'une manière lyrique dans le temps liturgique Il faut
pour cela qu'elle ait une réelle valeur à la fois poétique
et doctrinale. Selon l'antique adage «Lex orandi, lex
credendi », la foi de l'Eglise s'y exprime en une théologie
admirative qui accueille la Révélation dans l'émerveil-
lement, avec le « O » du regard étonné et ravi !
10.DSL, n"102.
11.IGLH,n°173.
A Noël:

« 0
Fils unique, Jésus Christ,
Nous contemplons en ton visage
La gloire dont tu resplendis
Auprès de Dieu avant les siècles » (p. 662).

La Nuit de Pâque :
« 0 Nuit, de quel éclat tu resplendis ! » (p. 341).

Le jour de la Transfiguration :
« 0
Toi dont le chant éclaire
Le commencement du monde. » (p. 1278).

« Voici »
est encore un mot qui fait lever les yeux
:
pour contempler les merveilles de Dieu.
Au temps de l'Epiphanie

« Voici, au profond de la nuit,


Sous nos regards l'Astre paraît.
Quelqu'un pas à pas nous conduit
»
Vers une source de clarté (p. 159).

Le jour des Rameaux :


«Voici que s'ouvrent pour le Roi

Hosanna !
Les portes de la ville
Béni sois-tu, Seigneur ! » (p. 290).

Pour la fête de l'Immaculée Conception :


Voici l'aurore avant le jour,
«
Voici la Mère virginale »
(p. 1386).

L'admiration qui saisit l'assemblée et la met en état


de chant vient de ce que le mystère célébré n'est pas
un événement du passé, mais un « aujourd'hui », « pour
nous ».
A Noël:

« Aujourd'hui dans notre monde le Verbe est né. Aujour-


d'hui dans nos ténèbres le Christ a lui. » (p. 88).

Le Vendredi-Saint :
« La Parole en silence
Se consume pour nous » (p. 315).
Le jour de Pâque :
« Lumière aux nuits de mort,
Feu de Pâque aujourd'hui,
Allume un chant d'espoir,
Dieu de Pâque dans nos vies » (p. 349).

Le jour de la Toussaint :
Aujourd'hui l'univers
«
met sa robe de gloire ,
l'ordre du monde est restauré » (p. 1366).
Avec cet «Hodie », nous sommes au centre d'une
spiritualité liturgique. Pour les croyants, Avent, Carême,
Temps Pascal, Temps ordinaire sont tous des moments
favorables, « le temps où Dieu fait grâce à notre terre»
(p. 1151). Mais l'hymne donne à chaque temps sa couleur,

! !
en mettant sur nos lèvres les acclamations traditionnelles
« Maranatha », « Hosanna
:
!

:
», « Alleluia
nouveaux dont le poète les habille
», et les mots

« !
Debout le Seigneur vient
Une voix prophétique
A surgi du désert
Un désir, une attente

Préparons-nous !
Ont mûri nos esprits
» (p. 1).
Jean-Baptiste est toujours là, au seuil de l'Avent, pour
inviter à la conversion.
:
Le chant des anges continue d'inspirer les hymnes de
Noël

« Le Fils de l'Homme est né, Noël !


Jésus nous est donné.
Jour de notre grâce :
L'étable accueille un Dieu caché ;
Rebut de notre race,
Il vient sauver le monde entier.
Paix à ceux qu'il aime. Dieu soit glorifié ! » (p. 92).

Chaque Carême est un nouvel Exode, un temps pour


renaître :
« Dépouillez-vous !
Quand vous mourrez, vous perdrez tout !
!
Suivez votre exode à l'avance
Tombe la mort tombe le soir
!!
N'attendez pas qu'il soit trop tard
Pour que Dieu vous donne naissance »
(p. 202).

Et le Temps pascal est le temps d'annoncer, au milieu


des Alleluia, la Bonne Nouvelle de la Résurrection de
Jésus :
« Quand il disait à ses amis:!
'Si vous saviez le don de Dieu
Nous avons asséché
Les sources de la vie.
Mais ce matin, allelula !
Notre naissance a jailli du tombeau
! !
Alleluia, alleluia, Jésus est vivant » (p. 343).

!
On le voit, il n'y a pas que l'icône à être dans la
liturgie une théologie de la beauté Le langage poétique
de l'hymne introduit aussi à la connaissance savoureuse,
à la contemplation des mystères du Christ célébrés au
long de l'année liturgique.
:
« Sème les
nous te dirons » !
mots qui donnent vie

La sève biblique des hymnes


Dans la célébration de la liturgie, la Sainte Écriture
«
a une importance extrême. C'est d'elle que sont tirés
les textes qu'on lit ainsi que les Psaumes que l'on chante.
C'est sous son inspiration et dans son élan que les prières,
les oraisons et les hymnes liturgiques ont jailli 12. »
La Parole de Dieu écoutée dans la lecture, ruminée
dans les Psaumes constitue l'élément stable de la célé-
bration de l'Office divin. Mais dans le dialogue de
l'Alliance entre Dieu et son peuple, comment « d'heu-
?
reuses paroles
l'Epouse
» ne jailliraient-elles pas du cœur de
D'origine non biblique, l'hymne apporte à la
Parole de Dieu l'écho actuel de la prière de l'Église.
C'est en elle que le Peuple de Dieu chante le Mystère
du Christ tel qu'il le perçoit, avec sa sensibilité propre.
Voici comment le Père Didier Rimaud — à qui l'on
doit une bonne quarantaine d'hymnes de Prière du Temps

la liturgie:
présent — parle de son travail de poète écrivant pour
«Ce qui me fait prendre un crayon et du
papier, c'est souvent un mot de la Bible qui commence
à bouger en moi et ne me laisse plus de repos, ou deux
bouts de versets qui se mettent à jouer l'un avec l'autre
et trouvent du sens, ou telle image fugitive cueillie dans
la parole d'un autre et qui m'habite le cœur. Je ramasse.
Je ramasse avec le désir que ce que je reçois d'ailleurs
germe et donne une pousse neuve. Et si cette pousse,
longtemps taillée et retaillée, travaillée, me paraît avoir
suffisamment de vigueur et de rigueur, pour être risquée
dans l'univers liturgique, à côté des mots jaillis de la
bouche de David, d'Isaïe, de Job et de Jean et de tous

12. DSL, n" 24. Dans un article de La Maison-Dieu, 1982 (n" 150)
intitulé « Bible et poésie », Sœur Marie-Pierre Faure de la Commission
Francophone Cistercienne (CFC) a abordé ce sujet. Pour ce qui
concerne les hymnes p. 35 à 44. On sait qu'une centaine d'hymnes
de PTP viennent de la CFC.
risque ;
ceux qui ont fait le Livre, alors je lui laisse courir ce
mais c'est toujours en tremblant, toujours en
me demandant si j'ai assez contemplé ce que Dieu me
donnait à lire dans le monde, les hommes et la Bible u. »
Oui, l'Écriture, parce qu'elle est inspirée, est inspi-
rante !

« Béni sois-tu d'avoir semé


Dans l'univers à consacrer
Des mots qui parlent aujourd'hui
Et nous façonnent » (p. 199).

Le poète liturgique puise dans la Bible comme dans


un réservoir inépuisable d'images, de mots, de thèmes,
mais c'est pour que sa propre parole, les mots de tous
les jours s'en trouvent réanimés, rechargés d'une énergie
nouvelle. Donnons un seul exemple avec l'hymne « Pre-
»
nons la main (p. 1151) la formule biblique « Voici le
temps » :

empruntée à 2 Co 6, 2 se met à jouer avec


l'expression familière «Prenons le temps ». De cette

nons les mots »,« prenons la paix


: !
rencontre naît. un jeu de mots Le verbe « prendre
trouve d'autres compléments
« prenons le pain»
(cf. la parole de Jésus à la Cène). Le mot temps«
»
« Prenons la main », « pre-
»,
»
le mot «grâce»
grâce.
:
s'insère dans un triple refrain qui joue lui-même avec
faire grâce, rendre grâce, vivre en

« Voici le temps où Dieu fait grâce


A notre terre.
Voici le temps de rendre grâce
A notre Père.
Prenons le temps de vivre en grâce
Avec nos frères. » (p. 1151)

La valeur de prière, la durabilité aussi, de l'hymne,


tient à la richesse de ses références bibliques explicites

13. Dans le journal La Croix, mars 1978.


ou cachées. L'art du poète est consommé quand l'hymne
donne à celui qui la chante le bonheur de voir venir à
la mémoire du cœur, à partir d'un seul mot parfois,
toute une page d'Écriture. Plus encore, de devenir lui-
même «poète » en découvrant les rapprochements de
textes bibliques pleins de sens et créateurs de sens.
Quand je chante : « Laisse ce soir nos cœurs aller dans
» :»
cette paix que tu promets à ceux qui t'aiment (p. 781),
comment ne pas évoquer le Cantique de Siméon «Tu

de Jésus dans le Discours après la Cène


!:
peux laisser ton serviteur s'en aller dans la paix (Le 2,
29) et — surprise du rapprochement — la promesse
«Je vous
laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jn 15, 27)?
L'hymne devient alors véritable école de lectio divina,
elle ouvre l'appétit pour une écoute et une lecture toujours
plus savoureuse et plus nourrissante de la Parole de
Dieu.
Nous ne pouvons dans le cadre de cet article faire

ce pas tout le livre de l'Exode qu'évoque l'hymne :»


apparaître la richesse de l'hymnaire à cet égard. N'est-
« Sois

et bien d'autres hymnes du Carême ?


fort, sois fidèle, Israël, Dieu te mène au désert (p. 197)
Et comment ne
pas admirer la valeur inspiratrice du récit des pèlerins
d'Emmaus dans les hymnes du Temps pascal !
«Jésus qui m'as brûlé le cœur
Au carrefour des Écritures. » (p. 345).
Que cherchez-vous au soir tombant
«
?
Avec des cœurs aussi brûlants » (p. 363).
«Regarde où nous risquons d'aller
Tournant le dos à la cité
De ta souffrance.

:
» (p. 837).

Merveille du Jeu Liturgique de l'hymne il fait de

!
ceux qui la chantent les propres acteurs de l'Histoire du
!
salut dont elle s'inspire Ils sont aujourd'hui Israël sortant
d'Égypte, les pèlerins sur la route d'Emmaüs
« Dieu est àl'œuvre en cet âge» :
des hymnes pour le temps présent

Pour chanter l'hymne qu'« Il a introduit dans notre


exil terrestre, le Christ s'adjoint toute la communauté
des hommes et se l'associe dans ce Cantique de
louange»14. C'est dire que la prière de l'Église n'est
pas intemporelle, mais « Prière du Temps Présent », avec
« ses joies et ses espoirs, ses tristesses et ses angoisses».
L'hymne, comme « création ecclésiastique », est l'élément
de l'Office le plus marqué par les préoccupations d'une
époque. Je relèverai trois aspects qui, dans l'hymnaire,
:
me paraissent rejoindre la sensibilité contemporaine
?
confrontée aux grandes énigmes de toujours le Mal —
« Mon Dieu, pourquoi » (Ps 21, 2) —, Dieu — « Où
?
le bonheur ?
est-il » (Ps 41, 4) —, l'homme — « Qui nous fera voir
» (Ps 4, 7).

1. Chanter l'espérance du Royaume


dans un mondeinjuste et violent

Bien des textes se font l'écho, sous forme de prière


ou de question, de la violence qui habite notre monde :
« Vois le mal et la souffrance
Et tant d'hommes chancelants
Dans l'immense enchaînement
du mépris et des violences »
(p. 2).

« Puisqu'il est avec nous


Pour ce temps de violence
Ne rêvons pas qu'il est partout
Sauf où l'on meurt »
(p. 956).

14. DSL, n° 83.


Le regard de la foi se lève souvent sur un Dieu
Crucifié :
« Dieu blessé. tu dis seulement
L'appel déchirant
D'un Dieu qui apprendrait la souffrance.
Tu dis seulement
Je suis l'innocent
A qui tous les bourreaux font violence»(p. 694).

Il est clair, par exemple, que les hymnes de la fête


des Saints Innocents sont écrites après Auschwitz, après

:
l'holocauste de milliers d'enfants juifs marqués de l'étoile
jaune

« L'enfant juif
L'enfant captif
Dans la nuit succombe
Il est mort
Sous l'étoile d'or
Écoutez pleurer Rachel
Au lendemain de Noël
Souvenez-vous de ses fils
Traqués dans l'ombre » (p. 1403).

Le scandale du malheur innocent éclate dans la


deuxième hymne proposée pour cette fête :
« Pourquoi ce lourd silence,
Dieu caché.
où donc est ta victoire,
Dieu caché,
Quand tombe sous le glaive
?
L'Homme innocent » (p. 1402).

L'amour invincible de l'Enfant qui échappe à Hérode


pour livrer un jour tout son corps aux bourreaux dit
pourtant mystérieusement de quel amour Dieu aime le
monde (fin de chaque strophe).
L'engagement dans les luttes pour la justice marque
aussi le rapport au monde de l'Eglise de ce temps et
donc sa prière. Nous trouvons dans les hymnes l'écho
de ce combat pour les Droits de l'Homme et surtout
des plus pauvres auxquels le Christ s'est identifié :
« Frappe à ma porte
Le cri de tes affamés
Frappe à ma porte
La chaîne du prisonnier.
R/Je ne sais ni le jour ni l'heure
Mais je sais que c'est toi, Seigneur» (p. 763).
« Si la colère t'a fait crier
Justice pour tous
Tu auras le cœur blessé.
Alors tu pourras lutter
Avec les opprimés »
(p. 1486).

L'Église en prière « porte vers Dieu, comme un appel


l'espoir des hommes d'aujourd'hui »(p. 679). Elle pro-
»
clame que «Dieu est à l'œuvre en cet âge
l'homme peut hâter la venue du Royaume : et que

« Il faut défendre l'exploité


Ouvrir au prisonnier
Et l'éclat du Seigneur remplira l'univers
Mieux que l'eau ne couvre les mers » (p. 8).

2. « 0
toi, l'au-delà de tout, quelle hymne te dira
Chanter un Dieu inévident
? »

Une autre note, qu'on pourrait dire apophatique, me


semble marquer l'hymnaire de Prière du temps présent
et rejoindre la sensibilité d'un monde pour lequel Dieu
est souvent inévident, voire absent. Certes, la liturgie
n'est pas célébrée par des incroyants ni pour eux Et
l'hymne, surtout à sa place actuelle comme chant d'ou-
!
verture de l'Office, se doit d'être une profession de foi
en Dieu Vivant révélé en Jésus-Christ, « le fruit de lèvres
qui confessent son nom » (He 13, 15). Pourtant, nous
le savons bien, la lumière de la foi est crépusculaire,
car « Nul n'a jamais vu Dieu ». Il est donc légitime que
l'hymne chante aussi cette quête de la Face promise
ouvrant l'accès au mystère d'un Dieu toujours plus grand.
Ainsi :
« Dieu au-delà de tout créé,
Nous ne pouvions que t'appeler
»
L'Inconnaissable (p. 199).

« A la mesure sans mesure


De ton immensité.
Tu nous manques. Seigneur.
Dans le tréfonds de notre cœur
Ta place reste marquée
Comme un grand vide, une blessure » (p. 670).

« Dieu que nul œil de créature


N'a jamais vu,
Nulle pensée jamais conçu,
Nulle parole ne peut dire,
C'est notre nuit qui t'a reçu :
Fais que son voile se déchire » (p. 786).

En Jésus, Dieu se rend visible à nos yeux, mais

:
l'Incarnation et la Passion du Fils redoublent aussi le
Mystère et la foi s'étonne

?
Qui donc est Dieu, si démuni, si grand, si vulnérable
«
?
Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi » (p. 720).

Elle interroge: «Dieu caché (à Bethléem). Dieu


blessé (sur la croix). Dieu sans voix (au tombeau).
»
Explique-toi par ce lieu-dit (p. 694).
3. «Heureux ceux que Dieu a choisis
Nos amis, les saints ! »

Les hymnes du sanctoral, loin de tout discours édifiant,


présentent la sainteté chrétienne comme une réponse à
un appel au bonheur. Le mystère de la Communion des
saints établit entre «eux »
et «nous »
une proximité
fraternelle (p. 1365), au point que l'hymne leur parle
parfois sur un ton presque familier :
« Vous qui passiez jadis
sur nos chemins
Comme l'annonce d'une enfance à venir,
Découvrez-nous sa grâce,
sœurs aimées dans le Christ.
Partagez-nous encore
»
votre secret (hymne pour les Vierges p. 1514).

?
Quel est donc le secret de ces ami( e)s de Dieu N'est-

de perdre leur vie pour lui et l'Évangile ?


ce pas d'avoir aimé passionnément le Christ, au point
« Heureux,
heureux »
est le leitmotiv de nos hymnes. Car il y a
bonheur !
une chose qui accompagne toujours la sainteté, c'est le
Les Béatitudes de l'Evangile inspirent donc
les hymnes du sanctoral et en font parfois des Litanies
des saints :
Bienheureux le pauvre au seuil des festins. bienheureux
«
le cœur assoiffé d'amour. bienheureux le sang des martyrs
sans nom. bienheureux les bras ouverts au pardon. »
(p. 1470).
« Heureux qui vient au jour
Par la nuit de Jésus.
Heureux qui va joyeux
Sous le joug de Jésus.
Heureux qui perd sa vie
Sur la croix de Jésus. » (p. 1472).
Marie,
« une femme dont on n'a rien dit» ! (p. 1291).

Ce titre d'une hymne mariale proposée pour la fête


du 15 août ne manque pas d'un certain humour ! Il paraît
assez significatif d'une dévotion mariale renouvelée par
la place reconnue à Marie dans le Mystère du Christ et
de l'Église au Concile Vatican II. «En composant des
hymnes mariales, écrit Sœur Marie-Pierre Faure de la
CFC, les auteurs contemporains ont eu généralement le
souci de rester près de l'Écriture et d'éviter l'hyperbole
comme le minimalisme 15, » La plupart d'entre elles font
mémoire de ces événements que Marie elle-même gardait
soigneusement dans son cœur. Ainsi dans l'hymne « Une
femme dont on n'a rien dit », sont évoqués successivement
l'Annonciation, la Nativité, Jésus perdu au Temple, Cana,
la croix, le Cénacle.
Significatif aussi, semble-t-il, le nom de «
Femme »
très souvent donné à Marie dans les hymnes. Appellation
johannique, bien sûr, puisque comme on le sait, c'est
ainsi que Jésus s'adresse à sa Mère aux noces de Cana
et au Calvaire (Jn 2, 4 -19, 26). Mais dans un siècle
profondément marqué par la revendication féministe, le
mot biblique jailli de l'émerveillement du premier Adam
devant «l'os de ses os
valeur : » (Gn 2, 23) prend toute sa

« Femme voulue par Dieu


Comme une œuvre parfaite. » (p 1299).
« Elle est bénie de Dieu
La Femme qui met au jour le Premier-Né » (p. 1293).

« Femme debout près de la croix


Voici la nouvelle Genèse »
(p. 1438).

15. Revue Église qui Chante, n" 232. Sœur Marie-Pierre présente
l'hymne « Humble servante du Seigneur ».
Le chant de l'Église à celui « qui habite
les hymnes d'Israël» (Ps 21, 4)

Dans sa rubrique «Chanter le Temps Présent », la


revue «Église qui chante »présente depuis plusieurs
mois des hymnes de la Liturgie des Heures 16. C'est que,

hymne, il faut les trois éléments que voici et de la:


selon l'antique définition d'Augustin, «pour qu'il y ait
louange, et de la louange de Dieu, et du chant 17. Il »
tient à l'essence de l'hymne d'être un acte de chant et
de chant d'assemblée 18. Si, à la musique des mots —
rythme des vers, rimes et assonances — s'ajoute la
musique des notes, ce n'est pas pour faire œuvre d'art,
mais parce que la valeur du chant pour prier ensemble
fait partie de l'expérience ecclésiale. Qui mieux que
?
l'évêque d'Hippone a perçu cela « Chantez au Seigneur
un chant nouveau. Vous voulez connaître sa gloire ?
gloire est dans l'assemblée des saints. La gloire de Celui
Sa

qu'on chante n'est autre que le chanteur 19. » Il serait


donc incomplet d'en rester à la seule présentation des
textes pour donner une idée de la saveur spirituelle des
hymnes de la liturgie des Heures. C'est, portés par des
musiques, que ces textes sont mémorisés aujourd'hui par
ceux et celles qui célèbrent l'Office. Et l'on peut souhaiter
l'édition d'un Hymnaire qui permette de chanter sur les
musiques jugées les meilleures toutes les hymnes conte-
nues dans Prière du Temps Présent.
Comment conclure ces quelques réflexions sans rendre
hommage au poète qui aura marqué de son génie le
nouveau trésor hymnique de l'Église ?
En écrivant des

projets qui lui tenait le plus à cœur :


hymnes, Patrice de La Tour du Pin réalisait un des
«Rendre à la
poésie son rôle de véhicule de la foi. » Pour en parler,

16. Revue Église qui Chante, nos 229 à 236.


17. Saint Augustin Enarrationes, Ps 148.
18.IGLH,n°280.
19. Saint Augustin, Sermon 256.
il créait le mot de « théopoésie » 20. Dans la Préface à
:
un livre récent consacré à l'auteur de « La Somme », le
Père Gélineau écrit «Prophète créateur d'un langage
nouveau pour dire Dieu aux hommes, Patrice de La
Tour du Pin peut et doit être dit théologien. au sens
où la théologie est une quête amoureuse de Dieu qui
n'a de cesse qu'elle n'ait pu le dire et le chanter dans
logie :
un verbe de communion. Là serait le sommet de la théo-
une doxo-logie, une parole de louange, en un
mot, l'HYMNE 21. »
Lorsqu'elle chante des hymnes, l'Église en prière ne
croire ;
dit pas seulement sa foi, elle exprime aussi sa joie de
et n'est-ce pas à la joie des sauvés que les
hommes de notre temps découvriront le Visage du
Christ ?
Peuple de Dieu, n'aie pas de honte,
«
Montre ton signe à ce temps-ci !
En traversant l'âge du monde,
Cherche ton souffle dans l'Esprit;
Lève ton hymne à sa puissance,
Tourne à sa grâce ton penchant
Pour qu'il habite tes louanges
:
»
Et soit visible en ses enfants (p. 203).

Sr ÉTIENNE, o.s. b.
Abbaye de Pradines

20. P. de La Tour du Pin « Une lutte pour la vie » — « Lettre


de Carême à des citadins à propos de Théopoétique », p. 71 à 88
(Gallimard, 1970). Une vingtaine d'hymnes de P. de La Tour du
Pin sont entrés dans la Liturgie des Heures.
21. J. Gauthier, Patrice de La Tour du Pin, quêteur du Dieu de
joie, Médiaspaul, 1987.
La Maison-Dieu, 173, 1988, 101-121
Anselme DAVRIL

RÉFORME DE L'OFFICE DIVIN


ET TRADITION

L A réforme de l'office divin fut, au cours des derniers


siècles une question sans cesse agitée et toujours
reprise. Il n'est pour s'en rendre compte qu'à
consulter la table des matières de l'ouvrage classique de
Baümer-Biron sur l'histoire du bréviaire 1.
Le cardinal Quignonez fut le premier, au début du
16e siècle, à réaliser une refonte radicale du bréviaire
romain, reçu d'abord avec enthousiasme, comme en
témoignent les cent éditions qui se succédèrent de 1535
à 1567, le nouveau bréviaire fut pourtant rejeté et aboli
par Pie V comme antitraditionnel. C'est alors la publi-
cation, en 1568, du bréviaire du concile de Trente, retour
résolu à la tradition millénaire de l'office romain. Mais
tout au long des décennies, puis des siècles qui suivront
il est question de corrections ou enrichissements du
bréviaire sous Sixte-Quint, Grégoire XIV, Clément VIII,
Urbain VIII, puis de la commission de réforme mise en

1. S.BAÜMER, Histoire du bréviaire, traduction française par


R. BIRON, 1-2, Paris, 1905.
place par Benoît XIV au 18e siècle et qui n'aboutira pas.
Pendant ce temps les évêques de France étaient passés
à l'action et ce fut la prolifération des bréviaires dio-
césains, dits néo-gallicans, qui disparaîtront vers le milieu
du 19e siècle, accusés eux aussi d'être contraires à la
tradition romaine. Ceci n'empêchera d'ailleurs pas la
commission de réforme formée par Pie X de reprendre
à son compte la plupart des principes sur lesquels avaient
été bâtis ces bréviaires français et jusqu'à leur structure
avec l'office de matines uniformément composé de neuf
psaumes.
Publié en 1911, le bréviaire de Pie X était déjà perçu,
moins de cinquante ans plus tard, comme inadapté aux
conditions de vie du clergé et Pie XII mit la refonte du
bréviaire au programme de la commission pour la réforme
générale de la liturgie qu'il établit vers la fin de son
pontificat. Jean XXIII publia partiellement les conclusions
de cette commission en 1960 dans le Code des Rubriques
du bréviaire et du missel romain, mais en précisant que
les grands principes commandant la réforme de l'ensemble
de la liturgie devaient être proposés aux Pères au cours
du prochain Concile œcuménique 2.
La tâche à laquelle se trouvaient affrontés les Pères
conciliaires en ce qui concerne l'office divin était parti-
culièrement difficile. Il fallait à la fois, selon les principes
énoncés au paragraphe 23 de la Constitution conciliaire
Sacrosanctum Concilium, d'une part maintenir la saine
tradition, et d'autre part faire des innovations, mais ne
les faire « que si l'utilité de l'Église les exige vraiment
et certainement et après s'être bien assuré que les formes
nouvelles sortent des formes déjà existantes par un
développement en quelque sorte organique ».
C'est cette tension dialectique entre fidélité à la tradition
et adaptations nécessaires qu'on voudrait essayer de
discerner ici, à la fois dans le chapitre sur l'office divin

2. Motu proprio Rubricarum Instructum (25 juillet 1960), Docu-


mentation Catholique, 57 (1960), 993-996.
de Sacrosanctum Concilium et dans la mise en œuvre
concrète de la Liturgia Horarllnl.

Quelle tradition

?
Question préalable, de quelle tradition s'agit-il A la
différence des rites sacramentels, l'office divin ne peut
pas se référer à une institution par le Christ, ni même
à une structure fondamentale remontant à l'époque apos-
tolique. L'apparition progressive, en Orient comme en
Occident, d'abord d'heures plus particulièrement affectées
à la prière, puis d'une structure de prière pour ces
différentes heures correspond pourtant au besoin de
répondre le moins mal possible au précepte évangélique
et apostolique de prier sans cesse3, tout en le conciliant
avec les nécessités de la vie concrète et, très particuliè-
rement lorsqu'il s'agit des ministres de l'Église, avec
l'exigence missionnaire. Mais ceci laisse toute liberté à
l'initiative de l'Église et bien qu'on puisse discerner des
structures de base communes à toutes les traditions
liturgiques 4, nous constatons pourtant des différences
profondes sur le plan de la réalisation concrète entre les
divers rites d'Orient et d'Occident. Ainsi, pour nous
limiter aux rites romain et byzantin, nous pouvons relever
la similitude de structure des offices du matin précédés
l'un et l'autre par une longue psalmodie monastique,
commençant par le psaume 50, utilisant des cantiques de
:
l'Ancien Testament et terminés par les psaumes de
laudes 148-150. Mais sous cette structure commune la
différence reste grande entre l'office romain presqu'u-
niquement composé de textes scripturaires et son parallèle
byzantin où la composition poétique en vient à recouvrir
ou même à remplacer le texte inspiré.

;
3.Lc18,1 1Th5,16.
4. Ceci a bien été mis en lumière par R. TAFT, The Liturgy of
the Hours in East and West, Collegeville, 1986.
En ce qui concerne le rite romain, nous nous trouvons
en face d'une tradition bien délimitée et facile à cerner
puisque l'office divin s'y est élaboré et constitué dans sa
structure entre le 4e et le 6e siècles. Si nous n'avons pas
de documents nous permettant de suivre les étapes de
cette élaboration, nous voyons apparaître dans la règle
de saint Benoît, vers le milieu du 6e siècle, une structure
d'office bien élaborée et qui se réfère explicitement à
un office de l'Église romaine déjà constitué 5. D'autre
part, la comparaison entre cet office bénédictin et l'office
romain tel que nous l'atteignons dans les documents du
9e siècle fait apparaître entre les deux une similitude de
structure qui ne peut s'expliquer que par la dépendance
de l'office bénédictin par rapport à l'office romain. Nous
sommes donc sur un terrain particulièrement solide, en
présence d'une tradition qui, déjà constituée au 6e siècle,
s'est conservée inchangée quant à ses lignes générales
jusqu'au 20e siècle 6. Certes les conditions dans lesquelles
cet office est célébré ont beaucoup changé au cours de
ce millénaire et demi, de la célébration uniquement
chorale on est passé à la récitation privée généralisée
par ailleurs des végétations parasites se sont développées
;
puis ont disparu, le répertoire s'est enrichi au cours des

dentine; mais la structure de base :


siècles médiévaux puis appauvri lors de la réforme tri-
répartition des
psaumes au cours de la semaine, comme éléments consti-
tutifs de chacune des heures, tout cela est resté inchangé.
C'est donc à cette tradition bien délimitée qu'il faudra
toujours se référer dans l'étude du chapitre sur l'office
divin qui occupe les paragraphes 83 à 101 de Sacrosanctum
Concilium.

5. RB 13, 10 « On dira un cantique tiré du prophète et assigné


pour chaque jour, comme les psalmodie l'Église romaine. »
psalmodie courante de type monastique :
6. On sait que l'office romain ne comportait que deux plages de
les vigiles et les vêpres où
les psaumes 1 à 108, puis 109 à 147 étaient répartis suivant les jours

;
de la semaine. Les autres heures avaient des psaumes choisis et
fixes aux laudes, seuls variaient un psaume et le cantique de l'Ancien
Testament.
Théologie de l'office divin
Tant que l'on reste dans le domaine des généralités
énonçant les principes sur lesquels est bâtie une doctrine
de l'office divin, la fidélité à la tradition ne soulève aucun
problème particulier.
L'office divin est présenté à l'article 83 comme parti-
cipation à la louange céleste du Christ prêtre et en même
temps intercession pour le salut du monde entier. Prier
les heures de l'office c'est donc participer à la prière
même du Christ tête et corps, c'est prendre sa part de
la prière de toute l'Église, idée développée, à la suite
de toute la tradition d'Orient et d'Occident, par la
Présentation générale de la liturgie des Heures 7.
Se référant explicitement à l'antique tradition chré-
tienne, l'article 84 rappelle que l'office divin consacre par
la louange de Dieu tout le déroulement du jour et de
la nuit, notion traditionnelle qui remonte plus haut que
la constitution de l'office proprement dit. On peut la
déceler déjà en germe à l'époque apostolique dans la
prescription de la Didachè demandant la récitation du
Pater trois fois par jour. Avec Tertullien nous avons la
mention explicite de la coutume de prier aux troisième,
sixième et neuvième heures du jour qui sont à la fois
les plus importantes de la journée et celles que les
apôtres ont fixé, heures au cours desquelles il faut
expliciter et actualiser la prière, étant sauf le précepte
de prier toujours et partout et en tout temps 8. Notion
qui sera reprise et développée par Cyprien, Jérôme,
Augustin, Cassien et, à travers ce dernier, par les règles
monastiques, et que nous retrouvons à l'article 86 de la
Constitution. Article ajouté au schéma lors de la dis-
cussion conciliaire et qui s'adresse plus particulièrement
aux prêtres adonnés au ministère pastoral pour leur rap-
peler la fécondité spirituelle de la prière au nom de

7.IGHL,5-9.
8. De ieiunio 10, 3-4, Corpus Christianorum Ser. Lat. 2, 1267.
l'Église, idée sur laquelle les Pères conciliaires reviendront
encore à l'article 90, lui aussi ajouté au cours de la
discussion, pour préciser que la célébration des heures
est non seulement la prière publique de l'Église, mais
doit être aussi la source de la piété et l'aliment de la
prière personnelle. Rappel hautement traditionnel qui
fait allusion à la recommandation de la règle de saint
Benoît ut mens nostra concordet voci nostrae 9.
Dans la mise en œuvre concrète, tout a été fait pour
que les heures de l'office puissent être récitées de façon
fructueuse et, comme le demande l'article 94 de la Consti-
tution, « au moment qui se rapproche le plus du temps
véritable de chaque heure canonique ». Pourtant, et nous
aurons l'occasion d'y revenir, la nécessaire adaptation
aux conditions de la vie moderne a amené à renoncer
à un temps de prière assigné pour la nuit, alors que
l'article 84 mentionnait explicitement le déroulement du
jour et de la nuit.

La répartition des heures de la prière


Passant du domaine des principes à celui des réalisations
concrètes, l'article 88, après avoir affirmé la nécessité de
restaurer le cours traditionnel des heures « de telle façon
que les heures retrouvent la vérité du temps dans la
mesure du possible », constate également la nécessité
d'une adaptation pour tenir compte des conditions de la
vie présente, surtout pour ceux qui s'appliquent à l'apos-
tolat. Il est évident, en effet, que notre manière de
compter le temps, de distinguer les périodes au cours
de la journée n'est plus celle des hommes de l'Antiquité
gréco-latine. Puis l'article 89 s'applique à tirer les consé-
quences concrètes et pose les normes selon lesquelles les
diverses heures devront être révisées.
Tout d'abord est affirmée la nécessité de mettre en
valeur les laudes comme prière du matin et les vêpres

9. RB 19, 7.
comme prière du soir, d'après la vénérable tradition de
l'Église universelle 10, de sorte que ces heures constituent
le duplex cardo, les deux gonds sur lesquels s'articule
l'office quotidien. Aussi « doivent-elles être tenues pour
les heures principales et être célébrées en conséquence »,
ce qui ne signifie pas simplement précisa le rapporteur
que ces offices doivent être dits en temps opportun, mais
encore que les prêtres doivent les considérer comme
prière du matin et prière du soir La vénérable tradition
de l'Église universelle à laquelle se réfère le texte conci-
liaire est une allusion aux deux heures de l'office célébrées
quotidiennement avec et pour la communauté chrétienne,
cet office cathédral, comme l'appellent les historiens de
la liturgie, dont on discerne l'existence au 5e siècle en
Orient comme en Occident et dont on retrouve encore
les vestiges après sa fusion avec l'office d'origine monas-
tique. Et nous pouvons encore lire la vivante description
du lucernaire dans la Jérusalem du 4e siècle finissant telle
que la pèlerine espagnole Egérie la faisait à ses
correspondantes 12.
Le caractère populaire de cet office cathédral lui venait
du fait qu'il était composé d'un petit nombre de psaumes,
toujours les mêmes donc faciles à mémoriser, tandis
litaniques d'intercession et les rites sensibles :
qu'étaient davantage développés l'hymnodie, les prières
lumière,
encens, attitudes corporelles. Concrètement on ne pouvait
songer à revenir à la pratique des psaumes fixes alors
que la sensibilité contemporaine rejette toute idée de
répétition comme inévitablement entachée de routine, ce
qui avait déjà amené le bréviaire de Pie X à rompre
avec la tradition universelle dans tous les rites chrétiens
de terminer chaque jour l'office matinal par les
psaumes 148, 149, 150. Mais l'article 127 de la Présen-
tation générale nous informe que l'on a choisi pour ces

10. Article 89a.


11. Rapport de Mgr Martin à la 73e Congrégation générale, le
22 novembre 1963. Cité dans LMD 156 (1983), 259.
12. Egérie, Journal de voyage 24, 4, éd. P. MARAVAL, SC 296,
Paris, 1982, 239-241.
deux heures les psaumes les plus appropriés à une
célébration avec le peuple.
Pour les complies, l'article 89b demande simplement
qu'elles soient organisées de façon à bien convenir à la
fin de la journée et la Présentation générale, prenant en
compte les conditions de la vie moderne, précise que
cette prière, qui doit retrouver sa fonction traditionnelle
de prière du coucher, pourra se faire même après minuit
le cas échéant13.
Avec l'office qu'on appelait récemment encore les
matines, la tension entre la tradition pour laquelle il
s'agit d'une heure de prière nocturne et les conditions
de la vie moderne, celles du clergé séculier en particulier,
atteignait son maximum. Délibérément la Constitution
conciliaire a tranché en faveur de la nécessaire adaptation
et a totalement innové sur deux points. Tout d'abord
en détachant cet office de tout rapport avec le dérou-
lement des heures de la journée, puis en transformant
sa structure qui comportera désormais moins de psaumes
et des lectures plus longues, soit le renversement des
proportions traditionnelles 14. D'où le nouveau nom d'of-
fice de lecture que la Présentation générale donne à cette
célébration qui « a pour but de proposer au peuple de
Dieu, et surtout à ceux qui sont consacrés au Seigneur
d'une manière particulière, une riche méditation de la
sainte Ecriture ainsi que les plus belles pages des auteurs
»
spirituels l'i.
La Présentation générale de la liturgie des Heures,
aux articles 70 à 73 propose par ailleurs la possibilité de
réintégrer l'office de lecture dans le cycle des heures,
du moins pour les dimanches et les solennités, et de le
transformer en vigiles en faisant suivre les deux lectures

13.IGHL,84.
14. Art. 89c, « L'Heure qu'on appelle matines, bien qu'elle garde
dans la célébration chorale son caractère de louange nocturne, sera
adaptée de telle sorte qu'elle puisse être récitée à n'importe quelle
heure du jour, et elle comportera un moins grand nombre de psaumes
et des lectures plus étendues. »
15.IGHL,55.
de trois cantiques, selon la tradition du troisième nocturne
de l'office bénédictin, puis d'une lecture d'évangile
conclue par le Te deum.
Mais ces innovations, voulues en fonction des conditions
de vie du clergé, n'étaient pas destinées aux communautés
de vie contemplative. L'article 89c affirmait que cette
heure devait garder dans la célébration chorale son
caractère de louange nocturne. Surtout le rapport de
Mgr Martin aux Pères du Concile à propos de l'adaptation
de l'office aux conditions de la vie présente faisait
remarquer qu'il s'agissait « seulement de l'office à dire
par ceux qui mènent une vie active tels que les clercs
séculiers et religieux et non de l'office à dire par ceux
qui mènent la vie contemplative. Si le Concile décide
une nouvelle réforme et abréviation de l'office, il ne
conviendrait pas que cet office, abrégé à cause du minis-
tère des âmes, soit imposé aux moniales et aux autres 16.
Et en octobre 1966, au cours de la réunion du groupe
»
de travail du Consilium qui fixa définitivement la structure
du nouvel office, il était encore prévu des adaptations
particulières à envisager dans un second temps en ce qui
concerne la célébration nocturne des communautés de
vie contemplative 17.
Or pratiquement on n'a pas proposé aux moniales
(exception faite de celles qui utilisaient l'office bénédictin)
d'autre alternative que la Liturgie des Heures. Ceci
signifie que ces moniales n'ont plus jamais l'occasion de
pratiquer cet exercice fondamental de l'ascèse monastique
traditionnelle qu'est la psalmodie prolongée, cette lente
rumination des psaumes sans cesse répétés, semaine après
semaine, au milieu du silence nocturne qui a façonné
pendant près de deux mille ans l'âme des contemplatifs.
Psalmodier, écrivait Césaire d'Arles, «c'est comme si
l'on semait dans un champ, prier c'est comme si l'on
enfouissait et l'on recouvrait la semence en labourant

16. Cité dans LMD 156 (1983), 256.


17. Cf. A. BUGNINl, La Riforma liturgica, Roma, 1983, 495.
»
une seconde fois 18. Quel fruit de prière récoltera-t-on
si l'on ne sème plus ?
Le psautier en effet est par excellence le livre de la
Bible qui ne parle que de Dieu, ou bien le psaume
s'adresse à Dieu pour le supplier ou lui rendre grâce,
ou bien il y est question de Dieu, et le psaume contemple
les merveilles de Dieu dans la création ou dans ses
interventions dans l'histoire de son peuple, il chante la
miséricorde de Dieu surtout, la fidélité avec laquelle il
revient sans relâche vers le peuple infidèle pour par-
donner, rechercher le petit reste et l'appeler à revenir
vers le Seigneur son Dieu. L'office romain traditionnel,
ordres de moniales non bénédictines :
celui qu'ont connu et pratiqué les fondateurs des grands
saint François,
saint Dominique, sainte Thérèse, comportait douze
psaumes chaque nuit, neuf au moins les jours de fête.
Neuf psaumes également dans l'office de Pie X. Il ne
reste plus maintenant que trois brèves sections de
psaumes, moins que la matière d'une petite heure dans
l'ancien office romain 19. Il n'est pas question de mettre
en cause cette disposition en ce qui concerne l'office
destiné au clergé et aux fidèles, mais ceci ne convient
pas pour des moniales et la perte de cet aliment de base
de la vie contemplative qu'est la psalmodie prolongée
pourrait bien à la longue avoir des conséquences néfastes
sur la vie des communautés concernées.
Et ceci en un temps où la notion même de Dieu étant
pratiquement bannie de notre univers culturel, l'antidote
qu'est le psautier n'en est que plus indispensable, et où
la possibilité de psalmodier en français a enfin dévérouillé
les psaumes et rendu à chacun et chacune la possibilité
de s'investir tout entier dans la parole du psalmiste et
de la faire sienne en profondeur.

18. Césaire, Serm. 76, 1 CC SL 103, 316. Cité par A. de VOGÜÉ,


La règle de saint Benoît, VII, Commentaire doctrinal et spirituel,
Paris, 1977,211.
19. Concrètement, dans telle communauté de moniales contempla-
tives, l'office de lecture, célébré un quart d'heure après les complies,
est plus bref que ces dernières (vingt minutes environ).
Le problème n'a d'ailleurs pas échappé aux responsables
romains de la liturgie et la notification du 6 août 1972
de la Congrégation pour le Culte divin, après avoir
affirmé que toutes les communautés religieuses devaient
recevoir de bon cœur l'esprit et la lettre de la nouvelle
Liturgie des Heures, proposait une adaptation de l'office

tempus longius :
de lecture pour ceux qui désireraient le prolonger per
A l'office férial on peut ainsi dire six
psaumes (ou fragments de psaumes), les trois de la
première (ou seconde) semaine suivis par la lecture
d'Écriture sainte et son répons, puis les trois de la
troisième (ou quatrième) semaine suivis par la lecture
patristique et son répons. Les dimanches et jours de fête
»
on peut enfin y joindre les « vigiles dont déjà il a été
question 2(). On ne peut certes pas encore parler de
psalmodie protracta, l'amélioration n'en est pas moins
notable. Mais qui connaît cette instruction qui n'a pas
été publiée en français ?
La suppression de l'heure de prime, prévue par
l'article 89d, ne semble avoir posé aucun problème. En
effet comme l'écrivait le Père P.M. Gy, faisant le
commentaire de ce chapitre, cette suppression « se justifie
à la fois par la tradition et par les conditions actuelles
de l'office divin. la cause qui a fait établir prime ayant
disparu, il est normal que cette heure ne soit pas
maintenue » 21.
»
Vient enfin la question des « petites heures de tierce,
sexte et none. Comme on l'a déjà vu, la coutume de
prier à tierce, sexte et none, déjà considérée comme
apostolique par Tertullien, pouvait se prévaloir d'un solide
poids de tradition. Mais Tertullien constatait que ces

la journée :
trois heures correspondaient aux grandes articulations de
«ces trois heures, écrivait-il, parce qu'elles
partagent le jour, qu'elles distinguent les occupations,
qu'elles sont annoncées en public, doivent aussi être les

8des(1972),
20. Notitiae 254-258. La «notificatio» de 1972 a été
comptétée par précisions publiées
par Notitiae 10 (1974), 39.
21. LMD 77 (1964), 165.
»
plus solennelles dans les prières 22. Et ici force est bien
d'admettre que les articulations de la journée moderne
sont différentes, prétendre rétablir la vérité des heures
et maintenir l'obligation de la célébration de ces trois
offices, et a fortiori de leur récitation en privé, c'était
s'engager dans une impasse. Aussi, une fois encore, la
tradition a-t-elle dû céder devant les nécessités de l'adap-
tation.
Pourtant la Constitution conciliaire fait-elle la distinc-
tion entre, d'une part, le prêtre et le laïc engagé dans
la vie active et récitant l'office hors du chœur et à qui
il est permis de choisir une seule de ces trois heures,
dite heure médiane, et, d'autre part, l'office choral où
l'on devra garder la célébration de tierce, sexte et none.
La Présentation générale maintient la même norme et
rappelle l'obligation de ces trois heures au chœur et pour
ceux qui mènent la vie contemplative23. Et pourtant
certaines communautés, même contemplatives, ne célè-
brent actuellement que la seule heure médiane, pratique
qui peut d'ailleurs se prévaloir des Directives pratiques
pour la célébration de la Liturgie des Heures, normes
insérées en tête du Thesaurus Liturgiae Horarum Monas-
ticae et approuvées en 1977 par la Congrégation pour
le Culte divin. D'après ces normes, en effet, il suffit de
célébrer au chœur au moins trois heures par jour, il est
seulement recommandé (commendatur) que la commu-
nauté se réunisse quatre ou cinq fois par jour pour la
prière liturgique. Une fois encore la tradition a dû céder
devant la pression des conditions de la vie moderne,
même dans les cloîtres. Cependant il faut reconnaître
que si tierce est parfois difficile à caser dans une journée
monastique, il ne semble pas tellement onéreux de célé-
brer sexte avant le repas et none avant de reprendre le
travail.

22. De ieiunio 10, 3-4 CC SL 2, 1267.


23. IGHL 76. Obligation rappelée par les deux notifications de la
Congrégation pour le Culte divin en 1972 et 1974. Cf. supra, note 20.
Les composantes de l'office divin

Le psautier reste, selon la tradition, la base de toutes


les heures de l'office, et la Constitution conciliaire main-
tient le principe de la récitation intégrale du psautier,
traditionnelle dansl'office de type monastique. Pourtant
l'article 91 décidait de renoncer à la tradition romaine
et bénédictine de la récitation hebdomadaire du psautier,
décision qui s'imposait puisque le bréviaire de Pie X qui
avait réparti les cent cinquante psaumes sur une semaine
en évitant toute répétition était à l'expérience jugé encore
trop lourd. On pouvait d'ailleurs, en restant sur le terrain
traditionnel, invoquer le rite milanais où la psalmodie
de l'office nocturne est répartie sur deux semaines 24.
Mais une autre question, à laquelle le texte de la
Constitution ne fait pas allusion, fut soulevée lors de la
discussion, celle des psaumes dits imprécatoires. Question
épineuse où arguments de tradition ou de convenance
théologique d'une part, et d'opportunité d'autre part se
heurtaient sans espoir de conciliation. Nous savons main-
tenant qu'il n'aura pas fallu moins de trois interventions
personnelles de Paul VI pour arbitrer le conflit et décider,
pour des motifs d'ordre pastoral, d'omettre les
psaumes 57, 82 et 108, considérés comme intégralement
imprécatoires, ainsi qu'un certain nombre de versets
d'autres psaumes 25.
Plus suprenante est la décision, due elle aussi à l'ar-
bitrage de Paul VI, de réserver aux temps privilégiés
d'Avent, de Noël, du Carême et de Pâques les psaumes
historiques 77, 104 et 105, décision que la Présentation
générale justifie par le fait que ces psaumes dévoilent
plus clairement dans l'histoire de l'Ancien Testament la

24. Ce qui en définitive aboutit à un cursus psalmique assez lourd,


puisque les psaumes 1 à 108 sont répartis sur dix jours, du lundi au
vendredi de chacune des deux semaines.
25. A. RAFFA, « 1 salmi "imprecatorii" e "storici" nell' iter della
riforma liturgica » dans Mens concordet voci, Paris, 1983, 663-678.
préfiguration de ce qui se réalise dans le Nouveau 26.
En fait plusieurs Pères conciliaires avaient demandé la
suppression de ces psaumes qui leur semblaient ne pas
être des prières proprement dites ou ne pas favoriser la
piété 27. Comme si cette histoire du peuple d'Israël
retombant sans cesse dans son infidélité, châtié, mais en
définitive toujours pardonné par la miséricorde divine
n'était pas l'histoire personnelle des rapports de chacun
d'entre nous avec l'amour miséricordieux ?
La réforme du lectionnaire de l'office posait moins de
problèmes et l'article 92 de Sacrosanctum Concilium pré-
voit la conservation des trois catégories de lectures
scripturaires, patristiques et hagiographiques, en deman-
:
dant une nouvelle sélection de textes.
La commission chargée de l'office divin au sein du
Consilium avait préparé un cycle de lectures scripturaires
sur deux ans afin de répondre au souhait de l'article 92a
«qu'il soit facile d'accéder plus largement aux trésors
de la parole divine ». Les articles 146 à 152 de la
Présentation générale s'expliquent en détail sur cette
disposition qui assure une lecture sinon de l'intégralité
de l'Écriture, du moins des parties principales de tous
les livres de la Bible, Innovation en ce qui concerne la
répartition sur deux ans, mais innovation dans le sens
de la tradition en réalisant un agencement selon lequel
presque tous les livres de la sainte Écriture se lisent
chaque année soit à la messe, soit à la Liturgie des
Heures. C'est la réalisation pratique de ce qu'avait tenté
l'ancienne répartition romaine des livres de l'Écriture au
cours de l'année, répartition théoriquement bien agencée
si le manque de temps n'avait concrètement réduit plu-
sieurs livres à ne figurer que par quelques versets de

26. IGHL 130. On oublie habituellement de signaler que l'intro-


duction de ces trois psaumes dans le cursus a pour corollaire la
suppression de ceux dont ils prennent la place, soit les Ps 54, 49,
130, 131 et 135. Ce sont donc selon les saisons, soit cent quarante-
quatre psaumes, soit cent quarante et un qui sont répartis sur les
quatre semaines du cursus psalmique.
27. A. RAFFA, art. cit., 663.
leur premier chapitre, d'où la décision de répartir le
cycle sur deux ans. Malheureusement les exigences maté-
rielles de l'édition, qui imposaient de ne pas dépasser
le cadre des quatre volumes habituels du bréviaire,
obligèrent à adopter au dernier moment un cycle d'une
année qui sacrifia la moitié des livres de l'Ecriture et
non des moindres. Ainsi ont disparu la Genèse et la
moitié des épîtres de saint Paul dont l'épître aux
Romains 28.
La lecture quotidienne d'un texte patristique n'avait
pas été prévue par les Pères du Concile. Elle se présente
par rapport à la tradition romaine comme une innovation
de grande richesse. Peut-être pourrait-elle invoquer un

:
antécédent dans la pratique de l'office férial en hiver tel
que l'avait prévu la règle de saint Benoît « Aux vigiles,
on lira les livres de l'Écriture sainte, tant de l'Ancien
que du Nouveau Testament, ainsi que les commentaires
qui en ont été donnés par les plus qualifiés des Pères
orthodoxes universellement reçus 2'1. » Mais la règle ne
précise pas comment se faisait la répartition des trois
lectures quotidiennes entre Ecriture et textes patristiques,
et lorsque nous atteignons la pratique réelle des monas-
tères bénédictins du 9e siècle, nous constatons qu'on s'y
est alligné sur l'office romain où les lectures patristiques
ne figurent que les dimanches et jours de fête.
Enfin la solution adoptée par la Liturgie des Heures
pour les lectures des fêtes de saints est nouvelle en ce
qu'elle abolit l'usage de la littérature hagiographique
traditionnelle pour la remplacer par des lectures patris-
tiques en rapport avec la personne du saint fêté. C'était
sans doute le seul moyen de résoudre le problème, sans
cesse soulevé et jamais résolu, de la veritas historica
dans les vies de saints insérées dans le bréviaire.
Pour ce qui est des hymnes, la mesure traditionnelle
de l'office romain est conservée, il y a toujours une

28. Cf. CI. WIÉNER, «Le lectionnaire biblique de l'office »,


LMD 105 (1971), 103-116.
29.RB 9,8.
hymne, et une seule, pour chaque heure de l'office.
Pourtant l'office bénédictin, puis l'office romain à sa
:
suite, attribuait à l'hymne une place différente selon les
heures au début de la célébration pour les vigiles et
les petites heures, après la psalmodie et avant le capitule
pour complies, entre le répons bref et le cantique évan-
gélique à laudes et vêpres. La Liturgie des Heures a
unifié en plaçant toujours l'hymne au début de l'office,
son rôle est ainsi «de donner à chaque heure ou à
chaque fête sa tonalité propre, et à rendre plus facile
et plus joyeuse l'entrée dans la prière, surtout quand la
»
célébration se fait avec le peuple 30.
Il faut noter enfin, à l'actif de la réforme, la restauration
des prières d'intercession aux offices du matin et du soir.
Il s'agit là, nous l'avons vu, d'un des éléments fonda-
mentaux de l'antique « office cathédral ». L'office romain
avait d'ailleurs toujours gardé, du moins en théorie, ces
intercessions sous la forme de ce qu'on appelait les
«preces feriales ». Mais, par une curieuse évolution,
commencée au Moyen Age, les rubriques du bréviaire
romain réservaient ces preces aux jours de pénitence
Avent, Carême, quatre-temps; caractère encore accentué
:
par le code des rubriques de 1960. Quant à l'office
monastique, il n'avait conservé qu'un organe témoin,
mais du moins quotidien, la triple invocation :
eleison, Christe eleison, Kyrie eleison chantée à la fin de
Kyrie

chacune des heures. Désormais avec Liturgia Horarum,


nous avons retrouvé quotidiennement une vraie prière
d'intercession chaque matin et chaque soir.

Les sujets et les modes de la célébration


Rappelant les règles de l'Église latine en matière
d'obligation à l'office, la Constitution conciliaire
commence, en conformité avec la tradition, par men-
tionner l'obligation qui incombe aux communautés aux :
30.IGHL42.
diverses églises de chanoines réguliers, de moines, de
moniales et des autres réguliers astreints au chœur, ainsi
qu'aux chapitres des églises cathédrales et collégiales.
Puis l'obligation personnelle qui incombe aux membres
de ces communautés qui ont été empêchées de se joindre
à la célébration chorale, comme à tous les clercs dans
les ordres majeurs 31.
L'article 97, ajouté au cours de la discussion conciliaire,
souhaitait que les rubriques du nouvel office romain
prévoient les commutations de l'office divin avec une
action liturgique. Pratiquement la Présentation générale
n'a trouvé à ajouter aux cas déjà prévus pendant le
triduum pascal, et invoqués comme précédents, que les
complies de Noël pour ceux qui participent à la vigile
avant la messe de la nuit. On ne voit d'ailleurs pas bien
concrètement comment les rubriques auraient pu déter-
miner les cas où une autre action liturgique telle que
l'administration des sacrements, le sermon, la messe
solennelle auraient pu entraîner la suppression d'une
heure canonique, comme l'avait demandé un Père
conciliaire 32.

«députés à cela par institution de l'Église ».


Les articles 84 et 98 s'attachent à déterminer ceux qui
accom-
plissent la prière publique de l'Église, et étendent cette
députation aux « membres de n'importe quel institut de
perfection qui, en vertu des constitutions, acquittent
quelque partie de l'office ». Avec cette idée de la dépu-
tation nécessaire pour pouvoir accomplir la prière
publique de l'Église, c'est une catégorie juridique élaborée
dans les tout derniers siècles et devenue doctrine
commune qui est reprise, doctrine d'après laquelle les
fidèles n'étaient considérés comme accomplissant la prière
publique de l'Église que s'ils priaient avec le prêtre selon
la forme approuvée. Mais il s'agissait là d'une notion
tout à fait étrangère à la tradition, étrangère surtout à

31. Art. 95-96. Cf. P. SALMON, L'officedivin (Lex orandi 27), Paris,
1959, Ch. 1 Obligation de la célébration de l'office, 11-16.
32. LMD 156 (1983), 278.
la nature même de la liturgie, actualisation par toute
l'Église de l'œuvre salvifique du Christ en son mystère
pascal. Aussi la Présentation générale rend-elle à tous
les fidèles sans exception leur privilège baptismal
«Quand les fidèles sont convoqués et se rassemblent
:
pour la Liturgie des Heures en unissant leur cœur et
leur voix, ils manifestent donc l'Eglise qui célèbre le
mystère du Christ 33. » A la notion de députation est
substituée celle de mandat de célébrer la Liturgie des
heures, mandat que l'Église confie aux ministres sacrés,
évêques, prêtres et diacres, ainsi qu'aux communautés
religieuses astreintes au chœur 34, mais sans exclure pour
autant ceux qui décident de célébrer cette prière par
libre choix.
Même retour à la tradition, dans la Constitution comme
dans la Présentation générale, par les exhortations à
célébrer l'office divin en commun et en le chantant 35,
dans l'invitation également adressée aux laïcs eux-mêmes
à participer à la célébration de l'office en commun dans
l'église, voire même à la célébrer individuellement 3ft.
Malheureusement, du moins en France, très rares sont
les lieux où la possibilité d'une célébration commune de
la Liturgie des heures est offerte aux fidèles. Si, dans
tous les autres domaines de la liturgie, on peut se féliciter
des progrès accomplis depuis vingt ans, ici force est bien
de constater une pénible régression depuis la totale
disparition dans nos paroisses des vêpres dominicales 37.
Par contre on ne peut que se réjouir en constatant que
la célébration communautaire de la Liturgie des heures
est devenue la pratique habituelle de la plupart des
communautés de religieuses.

33. IGHL 22, cf. aussi 27, 32.


34.IGHL 28-31.
35. SC 99. IGHL 267-284.
36. SC 100.
37. Il faut signaler pourtant quelques trop rares essais réussis de
«
restauration des vêpres signalés par C. QUENTIN, Retour aux
Vêpres », Questions Liturgiques 68 (1980), 37-42.
Le chapitre sur l'office divin de la Constitution conci-
liaire s'achève sur le paragraphe traitant de la langue à
employer dans l'office. On sait combien cette question
de la langue liturgique fut vivement débattue, aussi ne
s'étonnera-t-on pas de voir les quelques concessions
d'usage de la langue du pays, énumérées aux
:
paragraphes 2 et 3 de l'article 101, précédées au
paragraphe 1 par l'affirmation « Selon la tradition sécu-
laire du rite latin dans l'office divin, les clercs doivent
garder la langue latine. » Par la suite les dispenses de
l'usage du latin furent progressivement étendues en 1964
et 1965 puis 1967 pour arriver en 1971 à la faculté laissée
aux Ordinaires de lever toutes les restrictions 3S. A-t-on
ainsi délibérément rompu avec la tradition séculaire de
l'office divin? Matériellement c'est certain et les pro-
blèmes posés par cette brusque rupture, sur le plan du
répertoire, plus encore sur le plan musical, sont encore
loin d'être tous résolus.
Pourtant si l'on prend la peine de considérer le statut
de la langue latine tout au long des siècles sur lesquels
s'étend la tradition de l'office divin en Occident, il faut
nuancer la réponse. Lors de la formation de l'office
romain en Italie aux 4e-5e siècles, le latin était en effet
langue du peuple et n'avait acquis, aux dépens du grec,
le statut de langue liturgique que dans le courant du
4e siècle. Lorsqu'aux 8e-9c siècles la liturgie romaine s'im-
posa aux pays francs et germaniques, il ne pouvait être
question d'utiliser une autre langue que le latin, seule
langue de culture, seule langue véhiculaire commune au-
dessus de la multiplicité des parlers locaux, la situation
du latin était alors tout à fait similaire à celle du français
ou de l'anglais dans l'Afrique contemporaine, seules
langues communes aux différentes ethnies dont est consti-
tuée, par exemple, une communauté monastique, et par
suite langue liturgique de la communauté. Cette situation
perdura dans nos contrées pendant tout le Moyen Age.

38. R. KACZYNSKI, Enchiridion Documentorum Instaurationis Litur-


giae (EDIL), 283-287, 505-525, 837, 2579.
Quand enfin les langues européennes eurent atteint leur
maturité et furent devenues des langues littéraires, c'est
la réforme protestante qui s'en empara comme arme de
combat contre le catholicisme, mais la remarquable réus-
site du Book of common prayer anglican est là pour
témoigner qu'un office divin dans la langue du peuple
est chose possible. Possible et souhaitable, peut-on ajouter
si l'on songe à l'influence bénéfique exercée sur tout le
peuple anglais par la pratique généralisée et populaire
de la célébration de Mattins et Evensong.
En définitive c'était la première fois, dans l'histoire
millénaire de l'office romain, que la question de sa
traduction en d'autres langues pouvait se poser. La
tradition avait-elle alors une réponse à apporter à une
question qu'elle ne s'était jamais posée ?
En terminant il faut rendre hommage au courage de
la petite équipe de liturgistes, bons connaisseurs de la
tradition, qui, sous la direction de Mgr Martimort a
réalisé ce travail d'aménagement de la liturgie des heures.
Tenant compte des contraintes qu'imposaient d'une part
l'obligation de se conformer aux principes de base posés
par la Constitution conciliaire et d'autre part les difficultés
à plusieurs niveaux :
d'un travail de groupe qui devait ensuite être approuvé
les évêques du Consilium, puis les
évêques du monde entier39, il semble qu'il n'était pas
possible de faire mieux.
L'actuelle Liturgie des Heures se veut et est réellement
une prière destinée non pas spécialement au clergé et
aux religieux et religieuses, mais à l'ensemble du peuple
chrétien. Si en fait elle est encore trop ignorée de celui-
ci, si surtout on n'offre pas, ou beaucoup trop rarement,
au peuple fidèle la possibilité de célébrer communautai-
rement les offices du matin et du soir, la responsabilité
n'en revient pas à ceux qui ont conçu et réalisé ces
offices. Il suffit pour s'en convaincre d'assister à cette
célébration dans les trop rares lieux où elle est pratiquée,

39. Cf. A. BUGNINI, op. cit., 503, décembre 1968, envoi d'un
spécimen du nouvel office aux évêques du monde entier.
je songe ici — pour ne parler que de quelques cas
personnellement connus — aux vêpres chantées chaque
jour à Saint-Leu, les jeudis à Saint-Sulpice, aux offices
du matin, de midi et du soir à Saint-Germain l'Auxerrois
à Paris, ou encore à la courageuse équipe de laïcs qui
célèbre l'office dans l'église Saint-Pierre du Martroi au
centre d'Orléans. Et on sait combien les nouvelles commu-
nautés de moines urbains, Saint-Gervais à Paris ou Saint-
Jean de Malte à Aix-en-Provence, d'autres encore, attirent
de nombreux fidèles à leurs offices.
?
Est-il permis de rêver à une nouvelle étape Il semble
qu'il faudrait en arriver à retrouver concrètement la
distinction entre office cathédral, disons plutôt paroissial,
et office monastique. Le premier ne comporterait que
les offices du matin et du soir dans lesquels on incor-
porerait les lectures scripturaires et patristiques de l'actuel
office de lecture, retour à la tradition, mais aussi et
surtout adaptation réaliste aux conditions de la vie
moderne. Les moniales pourraient alors retrouver un
office vraiment monastique adapté à leur vocation contem-
plative.

Anselme DAVRILO.S. b.
MUSIQUE ET LITURGIE
Le document Universa Laus

CI. Duchesneau

[
M. Veuthey

-1

Le rôle
et le fonctionnement
du chant et de la musique
dans la liturgie.
| - j

et
Tous les musiciens, pasteurs,
responsables, ou animateurs
de la musique dans la liturgie,
A f.,.Í •a.
trouveront dans ce livre une
information et une réflexion
solides pour le renouvellement
et l'approfondissement de leur
pensée et de leur pratique.
rites

ceîf,
symboles

Coll. Rites et Symboles !


-
247pages89F
J
La Maison-Dieu, 173, 1988, 123-132
Renée MOINEAU

CATHÉDRALE,
DEMEURE DE DIEU,
DEMEURE DES HOMMES »
COLLOQUE DE PONT-À-MOUSSON, JUIN 1987

P' OUR la quatrième fois depuis 1984, la Commission


1

pour la sauvegarde et l'enrichissement du patrimoine


cultuel 2 et le Centre européen d'art sacré 3 ont
organisé au Centre culturel de l'abbaye des Prémontrés

1. 1984 Culte et culture. Aménagement des lieux de culte. Les


Actes sont parus chez Desclée, 1987.
1985 Musique et musiciens d'église.
1986 Art et liturgie aujourd'hui. La majeure partie des conférences
est parue en 1986 dans le n" 169 de La Maison-Dieu.
1987 Cathédrale, demeure de Dieu, demeure des hommes. Les
Actes paraîtront chez Desclée en juin 1988.
2. La Commission pour la sauvegarde et l'enrichissement du patri-
moine cultuel a été créée en 1980 à l'initiative du Ministre de la
Culture et la Communication et de l'Épiscopat de France. Elle a
pour objet d'être une commission consultative sur les questions ayant
trait aux églises. (Au sein de la Commission se trouvent deux membres
représentant l'Église réformée et l'Église orthodoxe.)
3. Le Centre européen d'art sacré.
au thème:
à Pont-à-Mousson, en juin 1987, un colloque consacré

hommes. »
« Cathédrale, demeure de Dieu, demeure des

L'intention de ces rencontres, est celle d'une concer-


tation exigeante et féconde entre l'Église et l'État.

ORGANISATION DU COLLOQUE
Ce colloque fut élaboré en liaison avec la Direction
du patrimoine au Ministère de la culture et de la commu-
nication et le Centre national de pastorale liturgique.

ce thème:
Plus de deux cents personnes se retrouvèrent autour de
des évêques, des responsables administratifs
de la Direction du patrimoine, de nombreux architectes
en chef, des inspecteurs des Monuments historiques, des
représentants de Commissions diocésaines d'art sacré,
des curés de cathédrales, des artistes.
Les cathédrales sont depuis quelques années au cœur
des préoccupations du Gouvernement et de celles du
Comité national d'art sacré.
« La cathédrale est un lieu privilégié où se concentrent
la pensée et l'imaginaire sur les rapports entre culte et

;
culture. C'est le lieu de l'évêque au milieu de son peuple
chrétien rassemblé pour le culte de Dieu mais en même
temps, elle constitue un grand centre d'intérêt pour la
communauté civile. Demeure de la présence de Dieu,
demeure des hommes, de tous les hommes, ces mots
reviendront comme un leitmotiv tout au long du colloque
et sous-tendront chacune des conférences et des inter-
ventions.
Des conférences consacrées à la cathédrale dans son
passé, son présent et son avenir, des ateliers mis en
place pour réfléchir à la conservation et à la mise en
valeur du bâtiment et à son fonctionnement liturgique,
une évocation sur place de l'histoire de la cathédrale de
Metz ont été proposés aux participants.
Les conférences

Mgr Pierre Jounel, professeur émérite à l'Institut catho-


lique de Paris et M. André Vauchez, professeur à l'Uni-
versité de Paris X ont évoqué la cathédrale hier, le
premier à travers la liturgie, le second à travers l'histoire.
Reliant le passé à l'avenir, M. Nicolas Rosiny, l'un
des deux architectes chargés de la restauration et du
réaménagement de la cathédrale de Trèves entre 1969
et 1974, présenta d'abord l'édifice (à l'aide de nombreuses
diapositives) puis le travail accompli durant cinq années.
Selon la volonté des évêques allemands et les avis des
historiens d'art allemands il fallait intégrer les acquis du
passé dans un contexte vivant, conserver tous les éléments
architecturaux qui se sont ajouter au cours des siècles
en consolidant l'édifice et en assurant sa stabilité, mais
aussi tenir compte des réformes liturgiques du Concile
Vatican II.
M. Yves Boiret, architecte en chef des Monuments
historiques, a souligné la nécessité de tout mettre en
œuvre pour rester à la hauteur de ces manifestations de
génie que sont les cathédrales. Des services spécialisés
existent.
M. Jean-Pierre Bady, directeur du Patrimoine, montra
la place essentielle tenue par les cathédrales dans la
politique du patrimoine, parce que ce sont des témoi-
gnages majeurs de notre histoire, des symboles nationaux,
des édifices vivants au cœur de la vie de l'Église, des
lieux touristiques et des lieux de vie culturelle. Un devoir
de sauvegarde s'impose parce qu'elles sont en danger
(vieillissement, maladie de la pierre.) ainsi qu'une doc-
trine de restauration.
L'État affirme la prééminence cultuelle des cathédrales
et s'engage à un devoir de respect à leur égard. Mais
tous les hommes, qu'ils soient croyants ou non, doivent
avoir accès à ces édifices qui sont en même temps de
hauts lieux culturels.
Dans une démarche d'approche progressive de la cathé-
drale depuis l'extérieur jusqu'au sanctuaire et l'autel,
Mgr Feidt, président de Commission épiscopale de litur-
gie, a montré comment prolonger l'histoire de l'art et
de la foi dans les 93 cathédrales françaises.
C'est dans la liturgie que la symbolique de la cathédrale
s'exprime le mieux et l'œuvre d'art peut devenir une
médiation, un jalon conduisant à la rencontre de Dieu.

Les ateliers

Huit ateliers ont été proposés 4.


Parmi les convictions exprimées par les rapporteurs,
se sont dégagées avec force la nécessité de préserver
avant tout le caractère sacré de la cathédrale et la priorité
du cultuel sur le culturel.
La nécessité d'une concertation réelle et d'une coor-

:
dination des efforts apparurent très fortement.
Enfin un souhait celui de ne pas figer l'édifice mais
d'en faire un lieu de vie et de création.
Mgr P. Jounel termina sa conférence en faisant citation
d'un discours du Cardinal Pacelli sur la vocation de la
France, prononcée le 13 juillet 1937 à Notre-Dame de
Paris:
«Au milieu de la rumeur incessante de cette immense
métropole, parmi l'agitation des affaires et des plaisirs, dans
l'âpre tourbillon de la lutte pour la vie, témoin apitoyé des
désespoirs stériles et des joies décevantes, Notre-Dame de

répéter sans relâche à tous ceux qui passent


Priez, mes Frères
:
Paris, toujours sereine en sa calme et pacifiante gravité, semble

; Orate fratres,
elle semble, dirai-je volontiers, être elle-
même un Orate Fratres de pierre, une invitation permanente
à la prière.

4. A savoir: 1. La conservation et la mise en valeur des cathédrales.

; ;
2. Les orgues (entretien, restauration et utilisations. 3. Les concerts
spirituels et les manifestations culturelles 4. L'accueil, les visites et
la sécurité
;
5. L'espace intérieur, l'éclairage, le chauffage, l'acous-
tique; 6. L'aménagement liturgique du choeur 7. Les autres lieux
liturgiques (réserve eucharistique, chapelle de semaine, lieu du bap-
tême ; 8. L'iconographie et la décoration.
Le Message de Notre-Dame de Paris, c'est le message de
toutes les cathédrales de France, de toutes les cathédrales du
monde. »

ÉVALUATIONS

L'intérêt des évaluations que nous communiquons


réside notamment dans le fait qu'elles émanent, l'une
du Ministère de la Culture et l'autre du Président de la
Commission Épiscopale de Liturgie. Pour en mesurer la
portée il faut se rappeler, par quelques phrases extraites
la problématique contenue dans le titre
demeure de Dieu, demeure des hommes. »
:
du dossier remis aux participants, les aspects délicats de
« Cathédrale,

Pour les Monuments historiques, la mise en valeur des


cathédrales «sera réalisée conformément aux règles
propres au Service des Monuments Historiques »
leurs ils parlent de la fonction liturgique qui devra
et ail-
s'exercer « en conformité avec l'organisation architectu-
rale du monument ».
Or, de son côté le clergé, conscient de son droit
d'affectataire, désire utiliser la cathédrale «selon ses
»
propres règles et demande à l'État « de ne pas entraver
l'application de ces règles, même si l'Église les modifie
sur certains points ». Ces derniers mots faisaient notam-
ment référence à la réforme liturgique instaurée par le
Concile Vatican II.
Sur d'autres points encore, les positions de départ
paraissaient irréductibles. Ainsi, à propos des manifes-
tations culturelles les Monuments historiques estiment
que si l'autorité administrative, sous réserve de l'accord
du clergé a donné l'autorisation administrative, celle-ci
« doit être assortie d'une redevance domaniale puisque
seule la mise à disposition de la cathédrale aux ministres
du culte pour la pratique de leur religion est gratuite ».
Or, le clergé, se référant à la loi et à la symbolique de
l'édifice pense que la cathédrale ne cesse jamais d'être
le lieu de la prière et du culte chrétien et doit donc
demeurer en permanence disponible pour la « pratique
de la religion ». C'est ce que la loi appelle « affectation
cultuelle totale et permanente ».
Et pourtant le dialogue a eu lieu et il a été fructueux.
Renée MOINEAU
COMMUNIQUÉ
DUMINISTÈRE DE LA CULTURE

Dans les jours qui ont suivi le colloque, le Ministère


de la Culture a fait connaître dans un communiqué de
presse son appréciation globale de la rencontre et si on
ne peut trouver dans ce texte le détail des avancées réalisées
trouver dans les documents issus du colloque :
on y pressent l'intérêt de ce qu'on pourra chercher et

« Ce colloque, préparé en liaison avec la Direction du


Patrimoine au Ministère de la Culture et de la commu-
nication et le Centre National de la Pastorale Liturgique,
s'est déroulé au Centre Culturel des Prémontrés à Pont-
à-Mousson avec la participation de Jean-Pierre Baby,
Directeur du Patrimoine, représentant François Léotard,
Ministre de la Culture et de la Communication, et de
Mgr Claude Feidt, archevêque de Chambéry, président
de la commission épiscopale de liturgie. Témoignant d'un
esprit de concertation et de confiance, pleinement res-
pectueux des lois de séparation et, partant de l'indé-
pendance des institutions tant nationales qu'ecclésiales,
il a permis le rapprochement des points de vue sans
prétendre pour autant engager l'État et l'Église catho-
lique. Par là même, il a contribué à faciliter une réflexion
fondamentale et à proposer des solutions concrètes sur
l'action commune à mener vis-à-vis de ce patrimoine
insigne que constituent les cathédrales.
C'est ainsi que se sont nettement dégagées, à travers
desétudes historiques approfondies et une approche de
la situation actuelle des cathédrales, la place éminente
de celles-ci dans la culture actuelle et les devoirs qui
s'imposent tant pour leur conservation que pour leur
rayonnement. Ces conclusions tenaient compte de la place
essentielle de l'affectataire ecclésiastique, que d'ailleurs
lui reconnaît pleinement la foi, et du rôle de l'évêque
au sein de sa cathédrale. »
LES CONCLUSIONS DE MGR FEIDT

C'est au cours du colloque même que Monseigneur


Feidt, à la suite de J. -P. Bady, directeur du Patrimoine
et avant D. Ponnau, président de la rencontre, a formulé
les conclusions suivantes, annoncées dans le programme
comme Conclusions d'un responsable de l'Eglise :
1. Ce colloque a été organisé par la Commission pour
la sauvegarde et l'enrichissement du patrimoine cultuel.
Il prolonge et amplifie le travail ordinaire de la dite
Commission. En tant que Président de la Commission
épiscopale de Liturgie je fais confiance à cet organisme
pour qu'il assume, pour sa part, les suites du Colloque.
Ce colloque a été pour moi un lieu réel de concertation,
de dialogue, dans un climat de respect et de confiance
mutuels. Et, pour ces raisons, il devrait un peu servir
de modèle aux divers modes de concertation qui restent
peut-être à trouver pour résoudre mieux, localement, les
problèmes concernant ses cathédrales.
En effet, ici, je suis persuadé que ceux qui, avec moi,
se sont exprimés au nom de l'Eglise ont pu, sans res-
triction, dire ce qu'ils croient et ce qu'ils espèrent, mais,
en même temps, je me suis réjoui de pouvoir entendre
s'exprimer longuement des personnes qui, de par leur
profession et leur compétence, ont beaucoup à nous
apprendre dans ce dialogue à instaurer ou à parfaire
dans nos diocèses.
2. Je voudrais maintenant lire ici un texte que nous
avons entendu dans le montage audiovisuel présenté
vendredi après-midi. Ce texte a été écrit avec les Evêques
de la Commission Episcopale de Liturgie et exprime
donc, en résumé, le point de vue de cette Commission
:
sur un certain nombre de points évoqués au cours de
ce Colloque
« Par la loi de 1905, dite loide Séparation de l'Église et
de l'État, l'État reconnaît à l'Église Catholique romaine le
droit d'exercer son culte dans les édifices qui lui appartiennent.
Pour l'exercice de ce culte, l'Église se réfère à ses propres
règles et l'État se trouve donc engagé à ne pas entraver
l'application de ces règles, même si l'Église les modifie sur
certains points.
De son côté l'Église, dégagée des charges qui incombent à
l'État, se sent pleinement concernée par la conservation du
patrimoine cultuel, dont la foi chrétienne a inspiré la création
au cours des siècles.
:
80 ans plus tard, l'État est confronté à des données nouvelles
à l'idée de conservation, s'ajoutent celles de restauration, de
mise en valeur et de financement.
80 ans plus tard l'Église, qui a vocation de proposer le
message du Christ au monde, se trouve aujourd'hui confrontée
à une utilisation liturgique différente des lieux anciens.
Il y a un peu plus de 20 ans, en effet la Constitution sur
la Liturgie de Vatican II a établi des normes en partie nouvelles
pour la pratique de la liturgie.
L'application de cette Constitution implique des conséquences
dans la manière d'utiliser le patrimoine existant, conçu pour
une autre forme d'exercice de la liturgie et appelle la création
d'œuvres nouvelles adaptées aux besoins d'aujourd'hui.
Attachés aux mêmes édifices, responsables des mêmes lieux,
amoureux d'un même objet, pour des raisons différentes, Église
et État désirent se concerter.
La collaboration entre l'Église et l'État doit donc se pour-
suivre, dans un esprit nouveau, afin de favoriser une création
contemporaine qui s'inscrive dans une tradition millénaire. »

J'ajouterai qu'en référence à cette loi de Séparation,


depuis 1905, compte tenu des problèmes nouveaux qui
se sont posés à l'Église et l'Etat et à leurs relations
mutuelles, un certain nombre d'actes ont créé une juris-
prudence. D'autres problèmes se manifestent aujourd'hui.
Il importe que tous les textes qui, à l'initiative de l'État
ou de l'Église, proposent une manière d'agir face à ces
problèmes, soient toujours rédigés avec soin et après
concertation. Je pense en particulier aux textes qui pour-
raient concerner l'utilisation culturelle occasionnelle des
lieux de culte.
Je vais maintenant reprendre quelques points de ce
texte de la Commission Épiscopale de Liturgie et les
commenter à la lumière des travaux de notre Colloque.
3. « Pour l'exercice de ce culte, l'Église se réfère à
ses propres règles et l'État se trouve donc engagé ne à
l'Église
pas entraver l'application de ces règles, même si
les modifie sur certains points. »
Un des bienfaits de ce Colloque nous permet d'ajouter
ici la conviction que les représentants de l'État, non
seulement ont bien perçu l'importance de l'application
des règles liturgiques pour des Communautés vivantes,
mais pourront nous aider à les mettre en œuvre d'une
manière qui respecte l'état des lieux. Je pense, en
particulier, à tout ce qui est à faire dans des dizaines
de cathédrales pour l'aménagement du Sanctuaire.
Ceux qui sont plus spécialement représentants de
l'Église ont pu témoigner et manifester que, dans l'amé-
nagement des églises, il faut poser comme principe
premier la prééminence des personnes sur les objets et
le rôle primordial de l'Assemblée. Il faut sans cesse nous
rappeler que la théologie de l'assemblée chrétienne pose
en principe le primat de la personne sur l'objet. La tâche
principale n'est pas de meubler fonctionnellement le lieu
de la célébration, ni même de conférer à un certain
nombre d'objets (autel, ambon, trône, etc.) leur place
véritable et leur pleine signification liturgique. Elle est
de donner forme à une communauté vivante. Il importe
donc que l'autel, l'ambon et la présidence soient réel-
lement mis au service de l'assemblée. C'est en contribuant
à la perfection du dialogue entre les fidèles et le prêtre
qui les préside qu'ils trouveront leur vraie densité spi-
rituelle. Sans quoi les symboles que nous y aurons attachés
seront des symboles morts. Là est une des régies d'or
qui doivent guider notre recherche.
4. «De son côté l'Église, dégagée des charges qui
incombent à l'État, se sent pleinement concernée par la
conservation du patrimoine cultuel, dont la foi chrétienne
a inspiré la création au cours des siècles. »
Il y a deux jours, nous entendions prononcer cette
phrase. Or, dorénavant, lorsque cette idée nous reviendra
à l'esprit, nous nous rappellerons certainement la manière
dont Messieurs Boiret et Bady ont illustré ce propos en
parlant des cathédrales en péril.
5. «80 ans plus tard, l'Église, qui
a vocation de pro-
poser le message du Christ au monde, se trouve aujour-
d'hui confrontée à une utilisation liturgique différente
des lieux anciens. »
A ce propos, je souligne l'importance du rôle des
Commissions d'Art Sacré existantes ou à instaurer qui,
entre autres tâches, ont, avec leur évêque, à assumer la
réalisation de l'intention manifestée par cette phrase.
6. « Il y a un peu plus de 20 ans, en effet, la Consti-
tution sur la Liturgie de Vatican II a établi des normes
en partie nouvelles pour la pratique de la liturgie. »
« Des normes en partie nouvelles
» » :
Cette expression
«en partie montre que les dispositions liturgiques
actuelles sont dans la ligne d'une tradition séculaire en
référence étroite aux sources de la foi et de la vie
chrétienne et qu'ainsi, elles réalisent ce que nous sou-
haitons pour l'aménagement des lieux de culte, c'est-à-
dire à la fois la fidélité à la tradition dans ce qu'elle a
d'intangible et l'innovation correspondante à l'évolution
culturelle du monde dans lequel l'Église doit réaliser sa
mission.
La collaboration entre l'Église et l'État doit donc se
poursuivre dans un esprit nouveau, ou renouvelé par ce
Colloque, afin de favoriser une création contemporaine
qui s'inscrive dans une tradition millénaire.
La Maison-Dieu. 173, 1988, 133-138
Paul Card. POUPARD

IMAGE, IMAGINAIRE
ET FOI

L E 13 septembre 1987 s'est tenu à Sion (Valais) un


colloque auquel participait Mgr Poupart, Président
du Conseil Pontifical pour la culture. On trouvera
ci-après l'essentiel de son allocution de clôture.

« Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du


ciel et de la terre, de l'univers visible et invisible. »
C'est dans cet article du Credo qu'est le point de
départ et la possibilité première de toute expression
artistique pour le chrétien. Ce monde avec son infinie
richesse de formes, avec sa palette bariolée de couleurs,
avec la vibration plurielle des sons, ce monde avec son
mystère et sa splendeur magistrale est création de Dieu.
Le chrétien confesse que ce monde a un commence-
ment, qu'il n'est pas l'effet d'un morne hasard ou d'une
nécessité aveugle. Il sait qu'il provient de la Parole libre
de Dieu. Et c'est la raison pour laquelle, à son tour, il
est parole. Parole adressée à l'homme.
Il n'était absolument pas nécessaire que le monde fût,
mais il est, de par un acte libre de Dieu. C'est pourquoi,
il est grâce, gratuité, légèreté et transparence. Loin de
la lourdeur et de l'opacité d'une matière qui aurait sa
raison d'être en elle-même, que personne n'aurait voulue
et qui n'aurait pas de sens.

Le chrétien sais que ce monde provient de l'amour.


C'est la raison de sa beauté. «La beauté est la forme
que l'amour donne aux choses », disait magnifiquement
Ernest Hello, un auteur aujourd'hui injustement oublié.
Ce monde sorti de la liberté et de l'amour de Dieu,
avec sa vérité et sa beauté, peut être aimé et admiré.
La création — Parole adressée à l'homme — est source
inépuisable d'inspiration artistique.
C'est cela qu'un artiste s'efforce d'exprimer. Devant
un arbre, un animal, une figure humaine, touché par les
formes, les lignes, les mouvements, il perçoit la grâce
et la vérité des êtres et l'exprime dans son langage
propre.
Toute œuvre d'art authentique est l'effet d'une ren-
contre. « Don du poète, tu es le don d'une perpétuelle
rencontre. » Les créatures font écho à l'acte créateur de
Dieu. Leur simple existence est un appel. L'homme
écoute et répond à leur message, exprime leur message
en formes, en couleurs et en sons. Plus forte est sa
capacité de rencontre, plus riche, plus profonde et plus
subtile sera sa réponse au moyen de l'œuvre d'art.
Ainsi, dans l'œuvre d'art, les choses dévoilent leur
essence intime, s'ouvrent et acquièrent une expression
plus vivante et plus vraie.
Dans le Credo, le chrétien confesse aussi que le Fils
de Dieu, «né de la Vierge Marie, s'est fait homme ».
En Jésus-Christ, Dieu accueille de nouveau le monde
qui s'était éloigné de lui par la faute mystérieuse des
origines. Il lui donne une nouvelle splendeur, supérieure
à la première. Par l'Incarnation du Fils de Dieu, le
monde acquiert «une dignité pour ainsi dire infinie»,
disait saint Thomas d'Aquin. Il marque la fin du dou-
loureux antagonisme entre ciel et terre. La plénitude des
temps que signifie sa venue, abolit la tension entre présent
et avenir. Ce temps n'est pas d'absence et de vide. C'est
le temps de la grâce où la force créatrice de l'homme
peut s'épanouir en liberté. Ce n'est pas par hasard si le
christianisme a parsemé le monde d'innombrables œuvres
d'art d'une beauté et d'une force magnifiques.

Invité à s'unir au drame de la Rédemption qui se


continue dans l'histoire, le chrétien est convié à la lutte
contre tout ce qui dégrade et enlaidit l'homme et le
monde. S'il exprime ce monde qui se refuse à la lumière,
s'il peint la souffrance et la mort qui persistent comme
séquelles du péché, son art sera toujours illuminé par
l'espérance d'un accomplissement dernier.
Ainsi, son art, même fondamentalement lumineux, aura
ce caractère dramatique d'une quête de la « terre nouvelle
et des cieux nouveaux
sa pleine vérité.
», où tout ce qui existe trouvera

La Révélation nous dit qu'un monde nouveau surgira,


après que la figure de celui-ci aura passé. Nous savons
— notre cœur le sait — que les choses, telles qu'elles
sont, ne sont pas ce qu'elles devraient être. Nous savons
que nous ne sommes pas ce que nous devrions être.
Aucun homme ne se résigne jamais à être ce qu'il est,
car « l'homme passe infiniment l'homme », selon le mot
si vrai de Pascal. Mais il ne peut pas se dépasser par
ses propres ressources. L'avenir absolu, l'existence trans-
parente, la proximité d'avec les choses, tout cela ne peut
être qu'un don de Dieu.
C'est de cette promesse que l'art témoigne. Ainsi toute
œuvre d'art authentique est prophétie d'un accomplis-
sement dernier. Elle est d'essence eschatologique, et par
là religieuse.

A vingt ans du Concile œcuménique Vatican II, je


voudrais vous remettre en mémoire le message qu'il
adressait aux artistes, par la voix de Paul VI, il m'en
souvient, sur la place ensoleillée de Saint-Pierre de Rome,
le 8 décembre 1965 :

« A vous artistes, qui êtes épris de beauté et travaillez pour


elle.
A vous tous, l'Église dit par notre voix
amis de l'art véritable, vous êtes mes amis
:! si vous êtes les

L'Église a dès longtemps fait alliance avec vous. Vous avez


édifié et décoré ses temples, célébré ses dogmes, enrichi sa
liturgie. Vous l'avez aidée à traduire son divin message dans
le langage des formes et des figures, à rendre saisissable le
monde invisible. Aujourd'hui comme hier, l'Église a besoin
de vous et se tourne vers vous. Ce monde dans lequel nous
vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la
désespérance. La beauté comme la vérité, c'est ce qui met la
joie au cœur des hommes, c'est le fruit précieux qui résiste
à l'usure du temps, qui unit les générations et les fait communier
dans l'admiration. Et cela par vos mains. »

Chers amis, épris de beauté, il vous est donné de


rendre à Dieu sa louange de gloire. Quelle qu'en soit
l'expression, vous êtes profondément unis par Celui qui
est le Créateur de tout don, la Source même de toute
inspiration, et la Fontaine de toute beauté, le Christ
Rédempteur du monde, trésor caché dans le champ du
monde, perle précieuse dans cet écrin qu'est l'Église.
L'Église, au seuil de ce troisième millénaire, est sur la
vaste scène du monde, comme un ferment qui soulève
la pâte, une lumière qui éclaire la nuit, un aimant qui
attire le regard de l'homme, et oriente sa conscience et
son expérience vers le mystère du Christ, ce Jésus qui
l'Eglise,
« est
homme »la route principale de la route pour tout
nous dit Jean-Paul II dans son encyclique
Redemptor Hominis.
Chaque homme dans sa nuit s'en va vers la lumière.
Les vers du poète chantent en nos mémoires éprises de
Beau, de Vrai, de Bon. Tant de voies sont ouvertes et
tant de modes de révéler Dieu, ce Dieu qui est notre
frère, ce frère qui est notre Dieu, qui a pris visage
d'homme en Jésus-Christ. En Lui, nous avons la vie, le
mouvement et l'être. Il est la source inépuisable de toute
Beauté. Puissent tous les artistes comme Pierre à la porte
:
du temple, dire aux affamés de justice, de beauté, de
vérité « De l'argent et de l'or, je n'en ai pas, mais ce
que j'ai, je te le donne. »
Ce témoignage de l'image inspirée par la foi, exprimé

l'un de ses caractères les plus attachants :


selon la vocation personnelle de l'artiste, révèle Dieu en
!
sa beauté
Beauté ancienne et toujours nouvelle. Plus l'intimité
avec Dieu grandit, plus il prend de place en la vie
intérieure, plus aussi l'art se renouvellera, tout empreint
d'une beauté incomparable dont l'esthétique chante cette
donc sans cesse générateur de vie nouvelle :
beauté qui est Vérité et Vie. Le Christ est Dieu, et
vie qui a
pour nom l'Amour. L'amour ne cesse de se communiquer,
de se donner, plus il donne, plus il veut donner encore.

!
A quoi bon posséder les dons les meilleurs si je n'ai
pas l'amour Tout est ordonné à l'amour. Voilà ce que
seuls peuvent comprendre les tout-petits, eux qui rendent
grâce de tout, sachant que la source de tout bien n'est
pas en eux, mais en Dieu seul.
Puissance de l'image, capable d'irradier l'Amour,
l'Amour qui s'est laissé clouer sur la croix, pour nous
:
régénérer en Lui, nous rendre cette beauté irradiée de
l'Unique beauté. Vocation de l'art religieux partager le
message de ce que nos yeux ont vu, de ce que nos
mains ont touché du Verbe de Vie, pour qui notre cœur
brûle, de ce trésor, caché et sans cesse révélé aux tout-
petits, à ceux dont l'esprit et le cœur sont ouverts à la
Vérité, que nous aimons sans l'avoir vu, en qui nous
croyons sans le voir encore, sur lequel nous fixons notre
regard, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur,
jusqu'à ce que luise le jour et que l'étoile du matin se
lève en nos cœurs.

En nos temps difficiles où l'image même de l'homme


est mutilée, l'art religieux est porteur d'espérance s'il est
messager d'amour à l'image du Christ, tant il est vrai
que le mystère de la condition humaine ne s'éclaire
pleinement que dans le mystère du Verbe incarné, l'in-
visible rendu visible à nos yeux émerveillés sur le théâtre
fugace du monde.

Paul Card. POUPARD


La Maison-Dieu, 173, 1988, 139-141
René RÉMOND

PAUL VI ET LES ARTS

A l'initiative conjointe de Ylstituto Paolo VI de Bres-


cia et de l'Institut catholique de Paris, une journée
d'études a été consacrée le mercredi 27 janvier à
l'un des thèmes qui ont inspiré ce grand Pape, dont les
travaux des historiens montrent chaque jour un peu
:
mieux que ce fut une personnalité exceptionnelle et qui
imprima à l'Église une orientation ineffaçable l'art. Sous
la présidence du Cardinal Poupard, un des initiateurs de
la journée, deux belles communications du professeur
Vincenzo Cappelletti, qui enseigne à la Sapienza à Rome,
actuel directeur général de l'Istituto dell'Enciclopedia
Italiana, sur « la sensibilité artistique de Paul VI », l'autre
de Gilles Chazal, Conservateur du Petit Palais, «La
pensée de Paul VI sur la mission des artistes», firent
entendre par de nombreuses citations la voix même de
Paul VI et éclairèrent par leurs interventions convergentes
et complémentaires les motivations du grand intérêt de
Paul VI pour l'art.

thème;
A les entendre on prenait conscience de la richesse du
les textes où Paul VI précise sa pensée sont fort
nombreux et d'une grande variété. Ils constituent une
mine dont l'exploitation appelle et réserve encore des
découvertes. Il s'est adressé aux artistes, a entretenu des
Ses interventions couvrent un champ très vaste :
relations avec plusieurs, s'est entouré de leurs œuvres.
elles
concernent toutes les formes d'expression, les arts plas-
:
tiques aussi bien que la musique. Le cinéma n'est pas
absent c'est au début des années 1960 qu'il évoque le
;
rôle de l'image comme une caractéristique d'une civili-
sation nouvelle or à l'époque le thème de la civilisation
de l'image était encore loin d'être le lieu commun qu'il
est devenu aujourd'hui. Replacée en son temps, la décla-
ration du Pape retrouve sa nouveauté et révèle son
aptitude à discerner les signes du temps. Il traite de
toutes les sortes de relations qui peuvent s'établir entre
art et religion. L'Église a besoin du concours des artistes
pour annoncer l'Évangile et exprimer le mystère chrétien.
Sans cette médiation il manquerait une dimension essen-
tielle à l'attestation de la foi. Cet intérêt personnel, qui
est l'expression d'une authentique sensibilité artistique,
et cette conviction de la nécessaire harmonie entre la
mission de l'Église et le génie artistique se sont traduits
de multiples façons, en dehors des déclarations et écrits.
Ainsi Paul VI a opéré une profonde rénovation des
appartements pontificaux, qu'il a dépouillés de tout ce
qui y avaient accumulé, sans goût ni raison, les pontificats
précédents, et qui étaient l'héritage d'une Cour de l'ancien
régime, pour y substituer une sobre décoration mettant
en valeur quelques œuvres d'art tirées des réserves des
musées. Il a passé commande à des artistes. Les inter-
ventions ont particulièrement mis en évidence que la
pensée de Paul VI sur l'art et son action en ce domaine
étaient l'expression d'une étroite harmonie entre sensi-
bilité et réflexion. Elles s'enracinent dans une esthétique
et une vision de l'œuvre d'art qui se fondent elles-mêmes
sur une théologie du signe et de la fonction des symboles,
des relations entre le visible et l'invisible. On retrouve

de son pontificat:
à cet égard quelques-unes des orientations fondamentales
un grand respect pour la liberté de
l'homme qui a conduit Paul VI à demander pardon aux
; ;
artistes pour les temps où l'Église les contraignit une
vision optimiste de l'homme une ouverture à son temps
et à tout ce qu'il comportait de virtualité positive. Une
pensée qui fait le plus grand cas des médiations, dont
l'art est une des plus importantes et des plus originales,
entre Dieu et l'homme, l'action de l'Esprit et le génie
humain. Ces traits, en même temps qu'ils révèlent sa
personnalité, dessinent les grandes lignes d'un humanisme
pour notre temps dont on notera qu'il est en harmonie
avec l'ecclésiologie et la théologie des réalités terrestres
formulées par Vatican II.
René RÉMOND
Uneœuvre
référence
pour
de
surVaticann

;11
cety
T
1'-1
r- (It
,,
v,

!
5|
'-SUt
Q.

,«»—j"»*•"*"
&

?t
**m
i<
touteréflexion

;
**
nfiSS^Ï-
T'C

30
n

septembre

BELL*RMIN
La Maison-Dieu, 173, 1988, 143-152
Gaston SAVORNIN

ÉCHO DU COLLOQUE
«PAUL VI ET LES ARTS»

E N rapportant ici un écho du Colloque sur « Paul VI


et l'art» qui s'est déroulé le 27 janvier 1988 à
l'Institut Catholique de Paris et à l'UNESCO, La
Maison-Dieu attire l'attention sur l'intérêt que présen-
teront les actes du colloque et prolonge la réflexion
;
développée dans les numéros que la revue a consacrés
aux questions touchant l'art sacré par d'autres aspects
aussi, ce colloque s'inscrivait dans une continuité. Comme
le signalaient dans les discours d'ouverture le Docteur
Giuseppe Camadini, Président de l'Institut Paul VI de
Brescia et Monseigneur Paul Guiberteau, co-organisateurs
du Colloque, il était apparu nécessaire d'accorder une
attention particulière aux relations de Paul VI avec l'art,
après qu'on ait traité à Louvain, Fribourg et Brescia de
« Paul VI et la réforme liturgique
réformes institutionnelles ».
» «Paul VI et les

:
Le Président de l'Institut inaugurait alors la série de
citations qui allaient émailler les divers témoignages et
conférences «ô voix bienheureuse de l'art, écho
magique, toi qui, du mystère de la beauté silencieuse,
tire la musique des signes et des formes ». Par un autre
aspect encore, le colloque s'inscrivait dans une histoire
à la fois fort ancienne et très récente. Parmi les nom-
breuses personnes qui avaient répondu à l'invitation des
organisateurs, beaucoup s'étaient déjà rencontrés pour
mettre en commun, à propos de l'art sacré, les compé-
tences et finalités diverses qui sont celles des artistes,
des fonctionnaires du Ministère de la Culture, des théo-
logiens et liturgistes etc. L'évocation des relations de
Paul VI avec les artistes ne pouvait qu'enrichir ce dialogue
entre culte et culture dont le pape lui-même a souvent
évoqué l'histoire déjà longue et diverses péripéties :
« Nous vous avons quelque peu contrariés. Nous vous
avons imposé comme première règle l'imitation, à vous
qui êtes des créateurs toujours vivants, vous chez qui
pétillent mille idées de mille nouveautés. » Mais les
artistes présents au colloque ont pu témoigner à quel
point Paul VI a vécu de manière positive la relation avec
les artistes et a pratiqué les recommandations qu'on
trouvera exprimées dans le message aux artistes des pères
du Concile lors de sa clôture le 8 décembre 1965
L'Église
:
« a dès longtemps fait alliance avec vous. Vous
avez édifié et décoré ses temples, célébré ses dogmes,
enrichi sa liturgie. Vous l'avez aidée à traduire son divin
message dans le langage des formes et des figures, à
rendre saisissable le monde invisible. » En inaugurant la
séance qui, à l'UNESCO, allait donner la parole aux
artistes qui avaient collaboré avec Paul VI. M. Henri

:
Lopes, Sous-Directeur Général pour la Culture et la
Communication notait que « Paul VI s'est entouré d'ar-
tistes, de leurs œuvres et de leur amitié. Ce n'est pas
là un hasard car l'artiste, dans l'action, entre dans les
climats du mystérieux divin. Lui-même, moins encore
que quiconque n'est en mesure d'expliquer les forces
dont il est la proie lorsque l'inspiration l'agite et le
saisit. l'art a pour fonction ultime de répondre au
double besoin de connaître le réel et de dépasser le
réel. » Or, comme en témoignait un artiste présent au

à la rencontre de la démarche de l'artiste :


colloque, M. Hansing, Paul VI venait en quelque sorte
«Paul VI
abordait les œuvres d'art avec le désir d'entrer dans le
monde spirituel de l'artiste. Il était intéressé par la
nouveauté à laquelle il voulait être réceptif et qu'il voulait
comprendre et assimiler. Il acceptait les abstractions
porteuses de symboles. »
Après les témoignages des artistes, de Jean Guitton,
d'Isabelle Rouault, le Cardinal Paul Poupard, Président
du Conseil pontifical pour la Culture et membre du
Comité Scientifique de l'Institut Paul VI invitera les
participants à « prendre appui sur l'œuvre si remarquable
de Paul VI pour s'orienter vers les tâches d'aujourd'hui
qui sont celles de l'Église, dans le fécond sillage de ce
grand pontife qui fut un don de Dieu pour notre temps ».
En début de journée, le professeur Cappelletti et
avaient traité de deux sujets essentiels :
M. Gilles Chazal, Conservateur au Musée du petit palais
la sensibilité
esthétique de Paul VI et la mission des artistes selon
Paul VI.

LA SENSIBILITÉ ESTHÉTIQUE
DE PAUL VI
Après avoir évoqué des souvenirs personnels corres-
pondant à l'époque où Mgr Montini était Substitut de
la Sécrétairerie d'État et définissait les conditions d'un
dialogue positif avec le monde d'aujourd'hui, le professeur
Cappelletti, encyclopédiste, analyse deux homélies du
Cardinal-Archevêque de Milan. La première a été pro-
noncée en 1959 en la cathédrale de Crema lors de la
Dedicace de celle-ci. La deuxième a eu pour cadre le
Duomo de Milan. Le conférencier y vérifie la thèse selon
laquelle, pour Paul VI, l'art a été une manière anthro-
pologique fondamentale de concevoir et d'exprimer l'exis-
tence.
Cette vérification se fait dans la manière de concevoir
la cathédrale à la fois œuvre d'art, lieu de rassemblement
des croyants et édifice symbolique au sein de la cité.
Montini cherche l'idée exacte qui expliquerait le fait de
la cathédrale. Il ne la trouve pas dans l'histoire, pas
même dans l'identification de la cathédrale comme espace
et lieu de culte. Car la cathédrale avec ses composantes
de culture et d'architecture au sein de l'aventure de la
foi et de l'esprit devient symbole dans sa totalité. En
effet, l'art y a son propre langage où le règne subit des
transformations progressives, des torsions jusqu'à devenir
symbole. Alors il renonce au rapport conventionnel avec
l'objet et il le remplace par une analogie relative et
fondamentale. La cathédrale, de simple espace pour le
culte, devient la ville sur la montagne dont parle l'Evan-
gile.
La cathédrale est expression d'unité. Or l'unité réalisée
par la cathédrale est christocentrique ; tout converge vers
le tabernacle, se rapporte à la première création à travers
le verbe et à la deuxième, la Rédemption, à travers
l'homme-Dieu. « C'est une merveille que l'art chrétien
puisse exprimer l'invisible avec les éléments les plus
matériels, qu'il puisse chanter avec des éléments immo-
biles et muets, qu'il sache animer la matière avec tout
le paradis d'une communion des saints telle que l'exprime
le Dome de Milan. C'est comme une lévitation de la
matière qui prend son vol pour dépasser la mutabilité
de choses matérielles.

Art et liturgie
Selon Paul VI, cité par le professeur Cappelletti, il y
a identité du langage artistique et du langage liturgique.
Et pourtant, au centre de la liturgie, il y a ce mystère
qui séduit la raison en même temps qu'il la dépasse et
dont le rapport avec l'art n'est peut-être pas évident. Le
pain et le vin, tout en conservant leurs apparences propres
sont totalement remplis de transcendance, de sorte que
s'opère un changement de deux substances subordonnées
dans la hiérarchie de l'être en une présence parmi nous
de la substance suprême du Dieu qui s'est fait homme.
Quand le Pape reçoit les promoteurs de la messe des
:
artistes, le 7 mai 1964 il dit « notre ministère requiert
votre collaboration car, vous le savez bien, nous devons
rendre accessible et compréhensible, l'ineffable de Dieu.
Or vous êtes des maîtres en cette opération qui traduit
le monde invisible en formules accessibles, intelligibles,
c'est votre métier, votre mission à vous. Sans votre
aide, le ministère deviendrait bégayant, incertain. Ainsi,
par exemple, le chant augmente la noblesse de l'action
liturgique. ».
L'art donne au culte son langage ineffable qui rend
en quelque manière sensibles les choses spirituelles, tandis
que le culte donne à l'art un contenu que l'art ne pourrait
pas recevoir ailleurs.

Modernité et art moderne


Dans l'encyclique ecclesia suam le Pape « renverse la
position moderniste et, en même temps, dépasse la

de l'histoire avec confiance et dit aux hommes :


position antimoderniste. L'Église saisit l'étonnante nou-
veauté du temps moderne mais elle avance sur les chemins
«j'ai
ce que vous cherchez, ce qui vous manque ». C'est dans
cette perspective que se situe le Pape lorsque, pensant
à l'art nouveau, à la fécondité virtuelle de la pensée
humaine et à ce que la Bonne Nouvelle peut lui apporter
confiance à l'égard de l'artiste:
pour surmonter le doute et l'angoisse, il plaide pour la
«Le monde a besoin
de beauté non moins que de vérité pour se sauver du
désespoir. »

LA MISSION DES ARTISTES


M. Gilles Chazal, Conservateur au Musée du Petit
Palais et professeur d'iconographie chrétienne à l'École
du Louvre se réfère aux mêmes textes que le conférencier
précédent mais axe son investigation sur la définition,
par Paul VI, de la mission des artistes et sur les modes
d'exercice de cette mission.
Une mission
La notion même de mission des artistes peut étonner
car pour qu'il y ait mission, il faut qu'une autorité
extérieure la définisse et la confie. Cela peut choquer
une mentalité contemporaine « qui trouve en l'artiste le
symbole même de l'être indépendant, autonome dans
de son univers artistique très personnel :
son atelier, puisant en lui-même toutes les composantes
univers artistique
qu'il offre au regard des autres, en attendant recon-
naissance et non pas contrainte ». En fait, les propos de
:
Paul VI sur la mission des artistes se situent dans la
ligne d'une théologie du signe « la manifestation exté-
rieure du sentiment religieux est non seulement un droit
mais aussi un devoir, du fait de la nature même de
l'homme dont l'activité intérieure reçoit, des signes exté-
rieurs, une impulsion pour son activité intérieure ». Par
ailleurs, « l'économie divine de l'Incarnation contient une
intention providentielle de visibilité, l'intention de prendre
les choses créées et sensibles pour en faire des signes
sacrés des réalités incréées et invisibles ». Or, à ce
carrefour du visible et de l'invisible, l'artiste intervient

:
pour revêtir d'expression, de formes, de couleurs, les
trésors du ciel, de l'esprit. Et Paul VI ajoute que « vous
avez cette prérogative qu'en rendant accessible et compré-
hensible le monde de l'esprit, vous lui conservez son
caractère ineffable et transcendant. » (Messe des artistes,
7 mai 1964). Les artistes ont donc pour mission de rendre
visible l'invisible par la voie poétique, la voie de l'émotion.
Cette voie est un mode de connaissance spécifique,
profondément riche, irremplaçable. « M. Chazal constate
que la définition du rôle de l'artiste, telle qu'elle se
précise, se développe, se déploie dans une série de

sur la Liturgie:
discours de Paul VI, est celle qu'exprime la Constitution
(n° 122) parmi les plus nobles activités
de l'esprit humain, on compte à très bon droit les beaux-
arts, mais surtout l'art religieux et ce qui en est le
sommet, l'art sacré. Par nature, ils visent à exprimer de
quelque façon dans les œuvres humaines la beauté infinie
de Dieu. »
Les modalités et conditions d'exercice
de la mission de l'artiste
La première condition est la liberté de l'artiste. « Nous

; ;
vous avons quelque peu contrariés. Nous vous disions
"nous avons ce style, il faut vous y adapter nous avons
:
;
cette tradition, il faut que vous y soyez fidèles nous
avons ces maîtres, il faut les suivre
; nous avons ces
règles, vous ne pouvez vous en écarter". Nous vous

:
avons parfois imposé une chape de plomb on peut bien
le dire pardonnez-le nous » (7 mai 1964). Paul VI
connaissait cet art contemporain parfois déroutant, il
savait, pour avoir rencontré les artistes, que «l'artiste
moderne est subjectif. C'est plus en lui-même qu'en
dehors de lui qu'il cherche les motifs de son œuvre ».
Mais cette indépendance farouche peut constituer une
chance pour l'Église. Or la liberté de l'artiste à l'égard
de l'Église a pour corollaire la liberté de l'Église à l'égard

:
de l'artiste et des formes que l'art a pu prendre au cours
de l'histoire « L'Église n'a jamais considéré aucun style
comme lui appartenant en propre, mais, selon le caractère
et les conditions des peuples, et selon les nécessités des
divers rites, elle a admis les genres de chaque époque. »

:
(Const. Lit. n° 123). Dès lors l'Église se considère comme
d'autant plus libre pour affirmer « Que l'art de notre
époque et celui de tous les peuples, et de toutes les
nations, ait lui aussi, dans l'Église, liberté de s'exercer. »
La deuxième condition du bon exercice de la mission
de l'artiste désireux de «servir les édifices et les sites
sacrés avec le respect qui leur sont dus » est, selon
:
Paul VI, leur enracinement dans la vie ecclésiale et la vie
spirituelle « vous êtes à la recherche de ce monde de
l'ineffable, et vous trouvez que sa patrie, son foyer, sa
source la meilleure c'est encore la foi, la prière, la
religion. Nous vous serons reconnaissants de venir puiser
chez nous le motif, le thème, parfois plus que le thème,
ce fluide sacré qui s'appelle inspiration, grâce, charisme
de l'art. ». Dès lors l'art trouve comme naturellement
sa place dans la liturgie et, en retour, il y trouve un
enrichissement car en se faisant liturgique, en pénétrant
dans le sanctuaire des réalités positives de la religion,

:
d'incertain et subjectif qu'il était, il devient sûr, objectif,
social «Insérez votre art, votre œuvre l'oblation de
;
votre génie et de votre travail dans le grand cycle de
la prière de l'Église dans la liturgie sacrée. Entrez dans
l'esprit et les finalités de la solennelle Constitution conci-
liaire sur la liturgie. » Paul VI a bien conscience que
l'artiste pourra éprouver quelque peine à maintenir l'équi-
libre entre les deux pôles de sa mission que sont, d'un
côté, l'indispensable liberté et, de l'autre, la fidélité aux
fins propres de l'Église. Pensant à la manière dont l'artiste
pourra participer à l'application de la Constitution conci-
liaire, il prévoit que « l'insertion de l'art dans le culte
entraînera pour l'artiste de nombreuses limitations, de
nombreuses prescriptions finalisées par le but fondamental
de la participation active du peuple de Dieu à l'action
liturgique mais, en dehors du moment liturgique, l'artiste
pourra revendiquer une plus grande, et dans un certain
sens, une complète liberté, car la liturgie pastorale voulue
par le Concile, n'épuise certainement pas l'immense
fécondité de l'art» (4 janvier 1967).

CRITÈRES D'APPRÉCIATION
DE L'ŒUVRE D'ART
En essayant de définir ces critères, développés à travers

:
plusieurs discours, Paul VI se réfère encore à la Consti-
tution sur la liturgie « L'Église s'est toujours comportée
en juge des beaux-arts, discernant parmi les œuvres des
artistes celles qui s'accordaient avec la foi, la piété et
les lois traditionnelles de la religion, et qui seraient
susceptibles d'un usage sacré. »
Le critère premier, pour Paul VI est celui d'une véri-
table création, car Dieu est vie et l'art naît de la liberté
de l'homme. L'Église doit donc faire appel à d'authen-
tiques créateurs.
Le deuxième critère est celui de l'intelligibilité. Le
Pape se souciait, en effet, du fossé existant non seulement
entre les artistes et le monde d'aujourd'hui, mais aussi
entre les artistes et le monde contemporain en général.
«Nous qui voudrions voir dans l'art une signification,
un service, un contenu, nous sommes comme devant une
tour de Babel. nous croyions que le royaume de l'art
était béatitude, alors qu'aujourd'hui il est souffrance et
confusion. » Aussi le Pape souhaite-t-il que les diverses
expressions de l'art concourent à la liturgie sacrée dans
laquelle, dit-il, « nous voulons que se fondent la beauté
et la simplicité, la plénitude et la brièveté, les sonorités
reçues du passé et les voix des temps nouveaux, tout
cela fondu en une sorte de nouvelle harmonie (13 octobre
1966).
Le troisième critère dégagé par Paul VI pour juger les
œuvres d'art est la beauté considérée comme liée à
l'harmonie et source d'intuition, de facilité, de bonheur
«cette facilité, ce bonheur, vous ne les donnez pas
:
toujours et, alors nous restons surpris, intimidés, loin-
»
tains (7 mai 1964).

pression:
Le quatrième critère pourrait s'appeler densité de l'ex-
«Notre âge est celui de la science, de la
recherche du réel dans le savoir et l'être. C'est l'ère de
l'essentiel où la rhétorique détonne car de toute chose
complexe on cherche le noyau, la force première. l'art
doit s'inscrire dans cette recherche de l'essentiel et se
distinguera « par une beauté simple et noble plutôt que
par la seule somptuosité ». C. Chazal a réuni dans sa
conclusion un certain nombre de propos de Paul VI
relatifs à la responsabilité que l'Eglise encourt dès lors
qu'elle définit la mission des artistes, les conditions de
son exercice et les critères d'évaluation des œuvres pro-
duites. Si l'artiste qui accepte d'entrer dans les finalités
propres de l'Église se sent responsable devant elle,
l'Eglise, en retour, ne doit pas manquer à sa tâche.
Il convient que l'Église soit active en faveur des artistes,
qu'elle affiche clairement et concrètement le besoin qu'elle
a d'eux.
L'Église doit laisser les artistes libres dans la forme,
tout en les enseignant sur le fond.
:
L'Église a pour tâche de chercher les signes des temps
perceptibles dans les œuvres d'art «Les artistes sont,
par leur farouche liberté et par leur quête d'intériorité,
sensibles très immédiatement à la dimension tragique de
la condition humaine contemporaine. L'Église doit inter-
roger cet art, en faire un objet d'étude tout à fait
particulier et engager un dialogue en profondeur avec
les créateurs. »
A propos de ce dialogue dont Paul VI a donné
l'exemple, le Cardinal Poupar note, dans son discours
:
de clôture à l'UNESCO, qu'il est aussi nécessaire aujour-
d'hui qu'autrefois « d'une part, l'application des textes
du Concile et des documents qui en ont spécifié la visée,
a provoqué de nombreuses initiatives, notamment en ce
qui concerne l'aménagement des lieux de culte. Dans le
fait que beaucoup d'aménagements ont un caractère
provisoire, faut-il voir, soit une négligence, soit un doute
sur l'aptitude de l'art contemporain à réaliser le cahier
des charges établi par les responsables d'Eglise, ou encore
une attente qu'il ne faudrait pas lasser par des délais
toujours prolongés.
D'autre part, une réelle prise de conscience de la part
de nos contemporains et les initiatives des responsables
en faveur du patrimoine artistique et de sa mise en
valeur, ont intensifié l'intérêt porté à l'art sacré ».
Sur la voie tracée par Paul VI, Jean-Paul II demande

:
qu'on avance avec ces convictions qu'il exprime devant
le Conseil pontifical pour la Culture et son Président,
le Cardinal Poupard « La quête de la beauté correspond
à une aspiration profonde de l'homme et l'ouvre à la
transcendance. Avec l'artiste, nous saisissons en un
éclair la mystérieuse unité des choses si recherchées dans
notre monde aux prises avec des bouleversements culturels
sans précédent. »
G. SAVORNIN
La Maison-Dieu, 173, 1988, 153-160

COMPTES RENDUS

de théologie fondamentale, Paris — Montréal


Bellarmin (coll. Recherches n"28), 1982, 482p.
:
R. LATOURELLE, G. O'COLLINS, éd. Problèmes et perspectives
Desclée -
On peut se demander ce que vient faire dans une Revue
consacrée à la liturgie la recension d'un gros livre collectif sur
la théologie fondamentale. Il s'agit d'une réflexion « collé-
giale », diversifiée, visant à établir un bilan de cette discipline
théologique à la fois nouvelle et ancienne, indispensable et
insaisissable, qu'on appelle la «fondamentale », héritiére
contestataire de l'apologétique. Dix-neuf théologiens de divers
horizons géographiques ou épistémologiques font le point, à
la fin des années 70 et au début des années 80 (le volume est
d'abord paru en italien en 1980), dans ce domaine fort
complexe.

: ;
Il n'est pas question de résumer ici les diverses contributions.

;
Elles sont regroupées en quatre parties 1) Problèmes d'identité
et de méthode 2) Questions d'herméneutique 3) Approches
christologiques ; 4) Perspectives ecclésiologiques. En début de
volume, après la table des matières, chacun des collaborateurs
est présenté de manière succincte et précise, puis une intro-
duction condense bien l'apport de chacun des auteurs.
Tout lecteur averti et patient trouvera dans ces quelque cinq
cents pages la matière et l'occasion de réflexions multiples et
contrastées. Celui qui s'intéresse à la liturgie ne sera pas le
moins gratifié. En effet, l'article le plus riche à cet égard est

son enseignement sur l'Église-communion :


celui d'Avery Dulles sur « L'Église, sacrement et fondement
de la foi» (p. 343-363). Le second concile du Vatican a centré
c'est à partir de
ce centre herméneutique que peuvent être compris tous les
cercles concentriques de l'expérience du salut moyennant la
foi. Or, la liturgie constitue l'exercice le plus complet de
l'activité ecclésiale, comme source et sommet de toutes les
autres. Il apparaît donc que l'approfondissement de la vie

difficiles problèmes de la théologie fondamentale :


liturgique de l'Église est capable de clarifier beaucoup les
la commu-
nion ecclésiale est le lieu de la foi par l'incorporation sacra-
mentelle (p. 350).
« Les anciens apologètes se fondaient sur un paradigme
institutionnel plutôt que sacramentel. » « Jusqu'ici, la théologie
fondamentale n'a fait que commencer à considérer les impli-
cations d'une vision sacramentelle de l'Église. » Selon cette
perspective, « la tâche de l'Église est d'amener ses membres
à participer à la vie et à la réalité qu'elle représente, c'est-
à-dire à la vie de foi en Dieu qui, par amour, s'est approché
de nous dans la personne de Jésus Christ » (p. 355).
Précisément, la personne de Jésus est connue, reçue dans
la célébration de la foi qu'est la liturgie. En conséquence,
« pour être un véritable théologien, il faut vivre en esprit à
l'intérieur de la communauté de foi, participer aux symboles
de la communauté chrétienne et à la signification qu'ils ont
pour elle (.) surtout en partageant la vie de son culte»
(p. 361).
Le Christ, mort et ressuscité, tel qu'il nous est livré -
traditum — dans l'Eucharistie, reste l'ultime et principale pierre
de touche des authentiques traditions ecclésiales (G. O'Collins,
p. 443).
»
Les diverses « christologies philosophiques qui caractérisent
la philosophie moderne de Spinoza à Hegel, montrent bien la
différence qui existe entre « ces grandes cathédrales désaffectées
que sont les systèmes idéalistes » (X. Tilliette, p. 194) et la
communauté chrétienne qui vit de la vie du Christ ressuscité.
Ces systèmes sont de « somptueux mausolées du Christ»
(p. 209) face au temple vivant qu'est l'Église.

:
Le Christ vivant est le seul facteur d'unité de l'humanité
entière il l'opère dans la liturgie, qui, seule, récapitule en

:
acte toutes choses en lui (cf. G. Martelet), ce qui constitue
le christocentrisme en acte c'est l'exercice en acte des média-
tions du Christ, de l'Église et des Écritures (cf. T. Citrini,
p. 244 s.) ; tout ceci dans l'Esprit Saint, dont la possession est
le critères de l'appartenance à l'Église du Christ (H. Fries,
p. 421-422 ; cf. J. Alfaro, p. 458-459).
Les Écritures viennent d'être évoquées. On sait la place
qu'occupe en théologie fondamentale la question de l'Écriture
et de la Tradition, mieux posée par la Constitution Dei Verbum
de Vatican II (n" 9). Or, il faut dire que les moments de la
rencontre liturgique sont le lieu de naissance et le milieu de
vie des plus anciennes traditions qui ont abouti aux textes du
Nouveau Testament (G. Ghiberti, p. 306). C'est aussi dans la

; :
liturgie que les deux Testaments montrent le mieux les rapports
qui les unissent Jésus est leur lien « son mystère est l'unique
»
réalité dont ils sont porteurs l'un et l'autre (P. Grelot, p. 265,
268).

:
La liturgie est, pour l'Église, la plus importante herméneu-

;
tique de l'Écriture l'interprétation d'un texte le fait renaître
comme parole vivante, adressée à quelqu'un dans la liturgie,
la Parole retrouve sa portée personnelle et communautaire,
de Dieu à nous et de nous à Dieu (R. Marlé, p. 121-122 ; cf.
P. Grech, p. 176). Tout cela permet de dire que la liturgie
constitue le « cercle herméneutique
(A. Dulles, p. 361-362).
» essentiel du théologien

Faut-il ajouter que plusieurs auteurs font allusion aux trois


dimensions temporelles du mystère du Christ, que la liturgie
télescope ? En effet, le chrétien sur la terre, est toujours
orienté à la fois vers un avant et vers un après (I. de la
Potterie, p. 149) ; il fait mémoire du passé, l'actualise en son
présent, et anticipe l'avenir (p. 153). Tout ceci est donné, en
acte, dans le mémorial liturgique, spécialement dans le sacrifice
eucharistique, qui actualise dans le présent le sacrifice passé

le Christ, l'histoire était annonciatrice ;


du Calvaire en nous donnant les arrhes de la gloire. Avant
après lui, elle est
sacramentaire (cf. P. Grelot, p. 259-260, 272-273 ; J. Alfaro,
p. 455-456). Nous revenons ainsi au point de départ de ce
compte rendu qui soulignait, avec le Père Avery Dulles l'im-
portance de la clef herméneutique que nous a laissée le premier
numéro de Lumen gentium, avec sa quasi-définition de l'Église-
sacrement.
Malgré un certain nombre de coquilles typographiques et
de maladresses des traducteurs, ce livre nourrit donc la réflexion
de ceux qui veulent approfondir la place de la liturgie dans
le mystère chrétien et dans rapproche qu'on peut en faire.
Haut-lieu théologique, « lieu herméneutique », la liturgie ecclé-
siale peut être aussi pour beaucoup la porte d'entrée dans le
mystère du Christ, avant d'être le moment de la célébration
des mystères.

Robert LE GALL, o.s. b.

F. DELL'ORO, H. ROGGER, B. BAROFFIO, G. FERRARIS,


Monumenta liturgica Ecclesiae Tridentinae, saeculo XIII anti-
quiora, vol. II A, Fontes liturgici — liber sacramentorum,
Trento, 1985, 560p.

Le sacramentaire conservé aujourd'hui au castel del buon-


consiglio à Trente (Sacramentarium tridentinum = T) est un
des manuscrits qui a le plus suscité la curiosité des spécialistes
de ce type de livre liturgique au cours de ces vingt dernières
années. Avec ce volume, le liturgiste italien F. Dell'Oro met
à la disposition des chercheurs le texte de ce sacramentaire
sur lequel la littérature est déjà très importante.
La première partie de ce volume est consacrée à une étude
très fouillée de la paléographie, de la codicologie et de la
décoration du codex (pp. 3-17), à un exposé (beaucoup trop
long nous semble-t-il, pp. 17-38) de l'importante correspon-
dance entre Dell'Oro, B. Bischoff et dom J. Deshusses, entre
autres, et à une enquête sur l'historique de T à travers l'histoire
de la bibliothèque tridentine (pp. 38-63). Les investigations

aboutissent aux conclusions suivantes :


des différents spécialistes, Deshusses et Bischoff principalement,
T est un manuscrit
réalisé probablement dans la région du sud Tyrol au cours du
premier ou du second quart du 9e siècle, et représente un état
du sacramentaire grégorien antérieur à l'Hadrianum, d'où son
appellation de « préhadrianique » ; il s'agit donc d'un manuscrit
essentiel pour l'histoire du grégorien.
L'édition, sans le martyrologe compris aux folios 204r-217r
et édité dans le volume 1 des Monumenta liturgica (pp. 279-

:
307), occupe les pp. 73 à 416. Une seule remarque à son
propos on ne comprend pas très bien les raisons qui ont
guidé l'A. dans le choix des manuscrits figurant dans l'apparat
critique. Beaucoup des manuscrits retenus n'éclairent en rien
en quelconque aspect de T.
A la suite de l'édition, s'ouvre une « seconde section », que
l'on doit à Mgr G. Ferraris, consacrée à l'étude de fragments
d'un sacramentaire tridentin du 10e siècle et conservé à la
bibliothèque Capitulaire de Verceil (Cod. CXXVIII), et que
l'A. met en rapport évident avec T, tant du point de vue
paléographique, et iconographique que liturgique. C'est éga-
lement l'occasion pour Mgr Ferraris de nous offrir des pages
nouvelles sur la bibliothèque de Verceil au haut Moyen Age,
et sur le rôle joué par l'évêque Léon (998-1026) dans son
enrichissement, notamment par l'acquisition de l'un des sacra-
mentaires de Fulda de la fin du 10e siècle (Cod. CLXXXI).
Cette seconde section est close par une édition de ces fragments
du 10e siècle.
Soulignons, pour terminer, la qualité de l'illustration, tant
en noir et blanc qu'en couleur. Celle-ci est d'un grand intérêt
car elle facilite grandement les commentaires sur l'écriture ou
la décoration du manuscrit.

Eric PALAZZO

Liber Sacramentorum Engolismensis, Manuscrit, B.N. Lat. 816,


le sacramentaire gélasien d'Angoulême. Édité par Patrick
Saint-Roch. Corpus Christianorum, series latina, CLIX C,
Turnholt, 1987, 591 p.

Par ce volume du Corpus Christianorum, Patrick Saint-Roch


offre une nouvelle édition du sacramentaire gélasien d'An-
goulême, conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris. Cette
édition remplace désormais celle publiée en 1918 par dom
Cagin, qui ne comportait ni introduction, ni commentaire.
P. Saint-Roch a fait précéder son édition et les tableaux de
concordances d'une dense introduction (21 pp.). L'auteur y
aborde successivement la présentation matérielle du manuscrit,
sa localisation, les additions postérieures, sa datation, le
contexte de son utilisation (monastique ou épiscopal), enfin,
et il s'agit certainement de la partie la plus riche de cette
introduction, la comparaison entre Lat. 816 (A) et ses congé-
nères, afin de cerner sa place dans la famille des gélasiens.

sions de l'auteur sont les suivantes:


Concernant ces différentes questions, les principales conclu-
Le ms. fut vraisembla-
blement réalisé entre 768 et 781. Cette fourchette chronologique
tient principalement compte de la situation politique de l'Aqui-
taine où, après de longues années de troubles, le calme revient
sous Charlemagne durant cette période. L'analyse de l'écriture
que l'on doit à Jean Vezin, confirme la vraisemblance de cette
datation. L'origine angoumoisine du ms. ne fait pas de doute :
le formulaire pour la messe de saint Cybard (1er juillet), propre
à Angoulême, est un des arguments les plus sûrs en faveur
de cette origine. Le formulaire de la messe de sainte Madeleine,
d'une main du 11e sur un feuillet ajouté, dont le culte ne se
développa dans la région que dans les premières années du
11e siècle, montre que le codex dut servir au moins jusqu'à
cette époque.
A la question de savoir si ce sacramentaire était destiné à
l'usage d'un monastère ou de l'évêque, l'auteur répond, selon
nous de façon convaincante, qu'il devait s'agir d'un sacra-
mentaire à usage épiscopal, si l'on tient compte, entre autres,
du faible nombre de messes, d'oraisons ou de bénédictions
contenues dans le manuscrit, propres à l'usage monastique.
Il faut rendre hommage à l'auteur d'avoir esquissé en si
peu de pages, mais de façon très pénétrante, la comparaison
de A avec ses congénères (notamment Gellone, Saint-Gall,
Rheinau et le Phillipps conservé à Berlin-Est). Les deux
tableaux de concordances (pp. 367-523) éclairent d'une lumière
nouvelle non seulement la place de A au sein des gélasiens,
mais aussi l'histoire complexe de cette famille et la recherche
de son archétype. A ce titre, le travail de P. Saint-Roch se
situe dans la lignée de ceux des grands spécialistes des géla-
:
siens Dom de Puniet, A. Chavasse et le P. Dumas. On
attendra donc avec impatience l'étude sur l'histoire des gélasiens
dans l'histoire de la liturgie des 8e-11e siècles que l'auteur se
propose de mener au cours des prochaines années.
Signalons, enfin, l'utilité des différents indices (lieux, per-
sonnes, lieux de cultes romains, index scripturaire, initia, tables
des titres) qui contribuent également à faire de cette édition
un excellent instrument de travail.

Eric PALAZZO

Rinaldo FALSINI, Per celebrare l'Eucharistia, Istruzione generale


del Messale Romano, éd. Paoline, 1987, 244 p.

I
Dans la série « libri liturgici commentati », le P. Falsini,
o.f.m. professeur à l'Université Catholique de Milan, offre un
guide de lecture de la Présentation générale du Missel romain.
Il ne faut pas chercher dans ce petit livre une étude technique
ou historique de la Présentation, encore que l'auteur soit bien
au courant des difficultés rencontrées au cours de la genèse
du document et après sa publication. Visant un large public,

:
il va droit à l'essentiel. Son exposé suit donc les divers chapitres
de la Présentation du Missel il relève au passage les rédactions
successives de tel numéro (7, 48), en faisant observer que les
modifications de la seconde rédaction n'ont pas suffi à faire
taire les critiques mais ont énervé inutilement la vigueur de
l'exposé. L'auteur souligne aussi, avec bonheur, certains points
qui sont demeurés peu apparents ou lettre morte. Ainsi,

et l'Eucharistie de l'Eglise :
lorsqu'il note le lien au niveau rituel entre la dernière Cène
«La réflexion dogmatique ne
devrait pas s'isoler de ce cadre en opérant une séparation
injustifiée. Le donné liturgique mérite respect en tant qu'il
transmet le donné de la foi. Cela reste fondamental, malgré
les développements et les accentuations ultérieures »
51). De même, lorsqu'il s'agit de la prière eucharistique :(pp. 50-

n'entre pas avec la prière eucharistique dans la zone réservée


« On

au prêtre, mais dans la phase de participation la plus intense


et la plus explicite de la part de l'assemblée, dont le prêtre
ne cesse d'être le porte-parole. Il accomplit une fonction
proprement sacerdotale, au nom du Christ, et en même temps
il agit aussi au nom de l'assemblée » (p. 53). La prise de
conscience de cette double fonction pourrait avoir à la longue

:
des répercussions sur un mode de participation de l'assemblée
qui ne se contenterait pas d'une ratification finale les prières
eucharistiques actuelles ont déjà introduit une anamnèse dite
par l'assemblée. Une meilleure connaissance du rôle prévu
par la Présentation pour le prêtre célébrant devrait entraîner
« un nouveau style de présidence de l'Eucharistie » (pp. 61-
62). L'auteur note que dans les diverses formes de messes,
on ne parle pas des messes pour des groupes particuliers « et
pourtant il n'est pas douteux que l'expérience des dernières
années a démontré leur poids dans la dynamique de la célé-
bration » (p. 70).
L'interprétation des n. 38-39 est assez confuse : le verset
avant l'évangile n'est pas un autre chant qui suit l'alleluia, il
fait corps avec celui-ci, et ce n'est pas parce que l'alleluia est

côté. Les n. 38-39 disent autre chose ;


interdit pendant le carême que le verset peut être laissé de
si l'on ne chante pas
l'alleluia avec son verset, il est inutile de les dire, un chant
étant fait pour être chanté.
Le guide de lecture est suivi du texte intégral de la Pré-
sentation générale du Missel, suivi des déterminations supplé-
mentaires apportées par la Conférence épiscopale italienne à
l'occasion de la promulgation de la seconde édition du Missel
en italien (pp. 111-216). Le tout est suivi d'un index analytique
très fourni et très commode (pp.217-239).
Pour les équipes d'animation liturgique aussi bien que pour
les prêtres et les autres ministres de la célébration, un livre
semblable en Français serait des plus utiles.

Jean EVENOU
n RAISONS
I réition compacte"
pour choisir

I de la Bible de Jérusalem.

]LaBibledeJérusalemestle 5 Bleestàlafois
11
lestSeller" des Bibles en français. très lisible et très maniable.
[édition compacte présente le texte intégral de la Bible de
47
L'édition "compacte" réalise en effet le meilleur compromis

j
Jérusalem vendue à plus de 2.000.000 d'exemplaires dans
lesdifférentes éditions existantes.
possible entre
"—~
fil
lisibilitéetnt'
l'exigence d'une
e ni,
l maniablegrâceà«
h ISM88l' LAGEIV
pa ate, ISI ,llte et tous le, ouLA
ac GENÊ
~oav~
parfaite
n d'ar^mjUrJla[s°n deSfld
SE
a traduction Prend en compte le choix d'un livre

8
ft
Sn Il "OUà
d un étr
lesdernièresdécouvertesdes un format
120.5xi5u
unformat et réduitapp&
pltandisu/parut Ialu
es emleres ecouvertes es
unereliuret' du C ..c*1,lf* se d
son
1 unerelurequ ¡J vit Jour. 2 A entree de Marn
.J,.'
an leo résistante. P*
..,
oglques"
(Fac-similé
bre,
sciences bibliques
b.bl" et ::nIUi;, dè;o,omc
fll!, q.u::tt:eles 1
dey::X:niu a,ur:
so i
soupletrès
souple très lui, debou< H dit.tealeurqu'il 1,, Vit,

et
résistante, rencon vit- il¡JcOuru! ent deut prés dit-el
Œcole Biblique de Jérusalem
, qui dirige les travaux de traduction
yeux RLÏ D1 aterr:
cOului dd,. @è
de la
lu as

b'bl'
bibliques h'
meilleurs spécialistes
regroupe en effet les
et archéologiques.
, des sciences

de Jérusalem bénéficie ainsi à chaque nouvelle édition,


La Bible
es
I
v' ac-slml

PlecJS
vouster.Q
duneponion
de page).
J
0" «
teur sans

d'cau-m-J
vous rclCr 4 Q
en Prie, Pr'
ncpis i detonsçrvi,
sscr prés d
'on apPOrte
6 Vint
etonsçrvi-
gracc

des dernières avancées deces sciences. Son prix ',",


] Saqualitélittéraireest estextrêmementcompétitif.
e

j
Uunanimement rapportqualitéprixexceptionnel
reconnue.rapport
unammementreconnue. pourun
exceptionnelpour ouvragede
unouvrage off.de
deprès
près un

2.000 1)8908 sur papier ^'e'


Latraduction de ale de Jérusalem qui al'imprimature
lafidélftéauxtextesoriginaux,hébreuougrec,etde
de l'Eglise Catholique, répond en effet à la fois aux exigences
la
1
re
de
Quallte
C'est vraiment l'édition de référence.

Il"d
4Leltion Les qualités du texte et les caractéristiquestechniques de

l' 'd" compacte est conçue l'édition "compacte" de laBible de Jérusalem en font
l'ouvrage de référence pour toute personne - du lycéen au

pour Iintelligence - soucieuse de connaître et comprendre l'un des textes


retraité
d,u texte. fondateurs de notre culture.

C'est de faitlaseule édition de


(avecl'édition Major grand format),
laBible de Jérusalem
comportant des notes de
[nITI0N LUIl/lInll
LUI11Ulil -U lùu
PnNn|nl/n|PnAn[nTT|r IL/ lJI. [r
basdepagestrèsdéveloppéesainsiquedesréférences
â*
contribuentégalementàl'intelligencedulivre,cer
marginales qui apportent un précieux éclairage au texte. Les
larges introductions aux principaux Livres ainsi qu'un vaste
tableau chronologique et 8 pages de cartes en fin de
volume,
~-~ -m/w~
l'édition "compacte"

de la Bile de Jérusalem.

Vous aimerez peut-être aussi