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La troménie de Landeleau

par Joël Hascoët


TER de maîtrise d’ethnologie

sous la direction de
M. Jean François Simon

Faculté des lettres Victor Ségalen

Université de Bretagne Occidentale

2001 - 2002

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La troménie de Landeleau

par Joël Hascoët


TER de maîtrise d’ethnologie

sous la direction de
M. Jean François Simon

Faculté des lettres Victor Ségalen

Université de Bretagne Occidentale

2001 - 2002

Photo de couverture : Troménie du 19 mai 2002, 2e station, le chêne de saint Telo.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Remerciements

Je tiens avant tout à remercier deux personnes sans qui ce mémoire n’aurait pu aboutir et envers qui va
toute ma reconnaissance pour le temps qu'ils m'ont accordé, pour leur patience et leur confiance : Mme
Marie-Renée Rannou pour son soutien matériel et psychologique et M. Armand Puillandre pour son
apport personnel sur les plans linguistique et historique.

Je tiens à remercier vivement mon professeur et tuteur de maîtrise M. Jean-François Simon, chercheur
au CRBC et professeur au département d’ethnologie de l’Université de Bretagne Occidentale; et M.
Donatien Laurent directeur de recherche au CNRS et chercheur au CRBC, pour son apport scientifique
sur le sujet des troménies.

Et par ordre alphabétique toutes les personnes que j’ai pu contacter au cours de mes recherches et qui
m’ont accordé leur précieux temps :

M. et Mme Philippe Arlaux de Landeleau, M. et Mme Barazer de Spézet, M. et Mme Louis Blanchard
de Landeleau, l’abbé Yves-Pascal Castel de Châteaulin, M. Yann Celton de Quimper, M. Jean Com de
Landeleau, Mme Marie-Anne Corbel de Landeleau, M. et Mme Dupont-Danican de Landeleau, M. et
Mme Pierre Hemery de Châteauneuf-du-Faou, l’abbé Job an Irien du Minihi Lévenez, le comte Jégou Du
Laz de Cléden-Poher, M. Pierre Le Gall de Landeleau, Mme Marie-Louise Lejeune de Plonévez-du-
Faou, Mme Jacqueline Madec de Landeleau, M. et Mme Jean Madec de Landeleau, l’abbé Pierre Mahé
de Landeleau, M. et Mme Justin Marzin de Landeleau, M. et Mme Guy Marzin de Pontriffin en
Landeleau et leur fils M. Pierre Marzin, M. Hervé Peaudecers de Plougoulm, M. Ronan Pérennec du
Service départemental d’archéologique, M. Maurice Poher de Landeleau, Mme Odette Puillandre de
Landeleau, Mlle Cillie Rannou de Quimper, M. Corentin Rivoal de Landeleau, M. et Mme de
Landeleau, le père Marc Simon de Landévennec, M. Bernard Tanguy du CRBC, Mme Veva Tesson du
Conquet, toute l’équipe du CRBC, toute l’équipe du SAVUBO, tout le service communale de
Landeleau, la communauté des communes de Châteauneuf-du-Faou, toute l’équipe du Presbytal Koz de
Landeleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Je tiens à remercier particulièrement Mr et Miss Tim ap Hywel Leadbeater de Llandeilo Fawr pour leurs
aides matérielle et scientifique lors de mes recherches en Cambrie.

Par ordre alphabétique les gallois qui m’ont accueilli très chaleureusement :

Le révérend Peter Bement de Llandeilo Fawr, Mr et Miss George Cadvill de Penaly, Mr et Miss Glyn
Evans de Llandovery, brother Gildas de Caldey Island, Mr et Miss Impey de Llan Dâv, le père Simon
Leyshon de Llandovery, Mr et Miss Tom Marks de Llandovery, le révérend William Strange de
Dryswlyn.

Et pour finir je remercie vivement les personnes qui ont ont eu l'extrême obligeance de bien vouloir
corriger mon mémoire, soit par ordre alphabétique Mme Claire Arlaux, Mlle Morgane Meillard, Mme
Marie-Renée Rannou, l'abbé Pierre Mahé, M. Guy Marzin, M. George Provost, M. Armand Puillandre,
le révérend William Strange.

L’importance de ma recherche m’a fait peut-être omettre des personnes, qu’elles en soient excusées et
qu’elles n’hésitent pas à se signaler pour réparer mon erreur.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Introduction

PRÉSENTATION DE LA RECHERCHE

C'est suite à la lecture de La Nuit celtique1 de MM. Donatien Laurent et Michel Treguer que l'envie
d'étudier sur ce thème s'est révélée. Ma famille étant originaire de Plomodiern, je voulais travailler sur la
troménie de Locronan, mais sur les conseils avisés de mon professeur M. Jean-François Simon je me
suis orienté sur une troménie vierge de tous travaux universitaires, le tro ar relegou ou la troménie de
Landeleau. Relayé en cela par le soutien matériel d'une amie résidant dans la commune voisine de
Châteauneuf-du-Faou j'ai pu commencer sous les meilleurs auspices une recherche longue et riche en
découvertes.

LE CHERCHEUR ET SA PERSONNALITÉ

Autant les travaux de M. Donatien Laurent et de M. Bernard Tanguy jettent des lumières scientifiques
sur ces processions très anciennes et le plus souvent ignorées du grand public, autant il est dur de sortir
des sillons tracés par de brillants chercheurs. J'ai mis plusieurs mois pour commencer à découvrir des
informations inédites et plus d'un an pour que se révèle le fonctionnement sous-jacent de la troménie
de Landeleau.

La seconde difficulté de la recherche est le rapport du chercheur avec son étude, dans le temps, dans la
réflexion, dans la masse de données recueillie et dans la restitution écrite. Problèmes contre lesquels
nos professeurs nous ont mis en garde, mais qui ne peuvent être compris et étudiés que dans le feu de
la recherche. C'est une marche où beaucoup de camarades de maîtrise chutent et contre laquelle nous
sommes toujours trop peu préparés.

LE TEMPS

La troménie de Landeleau se déroule annuellement le dimanche de la Pentecôte; j'ai entrepris mes


recherches ethnographiques plusieurs mois avant la Pentecôte et c'est en participant à la troménie que
j'ai pris conscience de l'ampleur du fossé qui sépare les représentations collectives d'un événement
communautaire et l'ethnographie de l'événement. A cette difficulté diachronique s'est ajouté celle de la
position de l'observateur face à l'ampleur d'une manifestation religieuse processionnelle, il est très
difficile de réaliser une observation exhaustive d'un tel événement sans prendre conscience de notre
incapacité à saisir l'ensemble du phénomène.

Laurent Donatien & Treguer Michel, La nuit celtique, Rennes, Terres de Brumes, 1997.
1

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Si l'enquête s'est déroulée sur deux années, je me suis concentré sur la troménie de 2001, en ce sens
mon étude propose un cliché photographique synchronique de la troménie appuyé par une recherche
historique diachronique. C'est à travers ces deux axes temporels que je peux offrir une étude qui prend
garde aux changements rapides de pratique et à la faiblesse de documentation historique en notre
possession pour ce rituel perpétué par la foi populaire.

LE SOCIAL

Si le terrain n'est pas trop loin socialement et géographiquement de mes origines, j'ai rencontré une
distance linguistique. La population résidente utilise régulièrement le breton dans le registre familier,
registre auquel je ne pouvais accéder, ce qui a entraîné des limitations dans le développement
ethnographique de la recherche.

Je ne connaissais personne à Landeleau et j'ai pratiqué l'ethnographie participante pour être plus en
confiance avec le terrain et les autochtones. J'ai bénéficié tout le long de ma recherche du soutien de la
mairie, du recteur l'abbé Pierre Mahé et d'un historien local, M. Armand Puillandre; leur connaissance
ainsi que leur profession m'ont été de la plus grande aide dans mes recherches archivistiques
communales et paroissiales, dans les traductions bretonnes, dans les renseignements techniques...
Néanmoins, malgré l'accueil chaleureux de la population de voir un ethnologue étudier leur patrimoine
j'ai mis du temps à approcher les informateurs peu charismatiques mais riches en précisions
ethnographiques. Avec le temps, ma participation aux événements locaux m'a ouvert l'accès aux
informations sous-jacentes de la communauté qui se retrouvent dans le déroulement de la troménie,
mais mon acceptation m'a encore plus ouvert au registre linguistique familier chargé de sens sur les
représentations collectives.

LE SYMBOLI QUE

C'est la partie de ma recherche qui a été la plus longue à se révéler, de par l'absence de toute recherche
et de par la rapide évolution sociale de la communauté au cours de ce siècle. La population est pudique
sur sa représentation du religieux et il est très difficile de recueillir l'expression verbale de
comportements intimes; là encore l'intimité sociale de l'ethnologue doit lui permettre de pénétrer plus
profondément son objet de recherche.

Le terrain s'ouvre à l'aune de l'humilité de l'enquêteur et c'est peut-être grâce à cet aller-retour incessant
entre l'objet de la recherche et la participation de l'ethnologue que ce dernier perçoit et reçoit à la
hauteur de son investissement en prenant garde de ne pas se laisser submerger par son terrain.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

C'est durant la seconde année de recherche que l'entrelacs historique, social et symbolique que véhicule
la troménie a pu être dénoué et, c'est à cette recherche de deux années, qui m'a amenée de l'Armorique
à la Cambrie que je vous invite à découvrir en tournant cette page.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

1ère partie - Le temps et l’espace sacrés

Le titre de cette première partie résume un ensemble d’observations réalisées au cours de deux années
de recherche autour de la troménie de Landeleau. J’emploie le terme de ‘sacré’ en opposition à
‘profane’, ce malgré le sens trop large, à mon goût, du mot ‘sacré’. Avant d’entamer le vif du sujet, il
m’a semblé utile de revoir le champ sémantique du sacré pour mieux appréhender l’expression
populaire de la troménie.

Définir le sacré :
Tout objet spatial ou temporel peut recevoir une sacralité, mais nous observons que le ‘sacré’ trouve sa
pleine mesure dans sa matérialisation à travers un espace ou un objet.

L’espace est indissociable du sacré, il le détermine et le délimite. Le terme « sacré » référencé par le Petit
Robert2 nous est défini comme « Qui appartient à un domaine séparé, interdit et inviolable et fait l’objet
d’un sentiment de révérence religieuse »; le sacré s’oppose au profane défini comme «étranger à la
religion, opposé au religieux, au sacré ». Pour Durkheim « les choses sacrées sont définies comme celles
que les interdits protègent et isolent »3, Roger Brunet, dans Les mots de la géographie4, quant à lui le définit
comme ce « Qui est considéré comme relevant du domaine divin et non de la décision humaine; idée de
réservé, protégé, donc séparé, à part ».

Benoît Frund5 dans son étude sur l’implantation du religieux dans une ville roumaine résume les
notions de sacré à « Ce qui est sacré est séparé, mis à l’écart du profane, parfois interdit, souvent
inviolable. Ce qui est sacré est saint, du domaine de l’incompréhensible, du Tout-Autre. »

Ces définitions ‘idéales’ s’appliquent aisément à des espaces bâtis (église, monastère...), des espaces
confinés dans des structures religieuses (sanctuaire, autel), mais définissent mal l’emploi du mot sacré
dans les fêtes religieuses populaires. A ce propos je reprends l’analyse de Philippe Gaboriau écrite au
sujet d’une étude sur les fêtes familiales et religieuses dans un village du Choletais6 :

2
Paul Robert, Le petit Robert, Montréal, Les dictionnaires Robert – Canada S.C.C., 1989, p 1748.
3
Durkheim E., cité par Frund Benoît, Persistance et métamorphose du sacré, Paris.
4
Brunet R., cité par Frund Benoît, Les mots de la géographie, Montpellier, 1992.
5
Frund Benoît, L’espace sacré en question, à travers l’étude de la ville roumaine de Lasi, mémoire de licence en géographie
humaine, Lausanne, 1999, p 6-9.
6
Gaboriau Philippe, « Fêtes familiales et religieuses dans un village du choletais », La religion populaire, Colloques
internationaux du CNRS, Paris, 1977.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
L’idée selon laquelle l’attitude religieuse caractéristique des masses populaires s’exprimerait par une « religion
festive » marquée par une exaltation du sacré, se solde par une série de porte-à-faux [...] Les fêtes qui
constituent l’héritage principal (du) folklore (religieux), issues ... d’une sacralisation du temps, apparaissent
dans leur contenu, comme des formations mixtes où la référence au sacré est très problématique.

Cette dernière définition caractérise assez bien le sentiment général ressortant de l’observation de cette
manifestation, populaire et religieuse à la fois.

Tout au long de mon travail j’utiliserai les termes de ‘grande troménie’ , de ‘petite troménie’ , de Tro ar
relegou et de ‘semaine pentecostale’. Les guillemets mettent en valeur une notion scientifique, à contrario
des caractères en italiques qui retranscrivent un terme indigène.

Le terme de troménie est une dénomination récente qui se substitue au terme breton indigène Tro ar
relegou, traduisible par « le tour des reliques ». Pour organiser mon propos, je parlerai de la procession
du dimanche de la Pentecôte comme de la ‘grande troménie’, s’opposant au terme de ‘petite troménie’,
tro ar relegou vihan7 ou troménie du jeudi, désignation populaire de la seconde procession, moins solennelle
et moins considérable, dirigée par le prêtre la jeudi suivant le dimanche de la Pentecôte.

Calendrier
La semaine prépentecostale correspond à la période comprise entre le dimanche de l'Ascension et celui
de la Pentecôte, sept jours plus tard. Autrefois le pardon de Notre Dame du Lannac'h avait lieu le
dimanche de l'Ascension, on y vendait l'honneur de porter les reliques et on y désignait les porteurs
d'enseignes.

La semaine pentecostale correspond à la période comprise entre le dimanche de la Pentecôte et celui de


la Trinité, sept jours plus tard. La troménie a toujours eu lieu le dimanche de Pentecôte, une procession
avait lieu dans le bourg le lendemain, soit le lundi lors du pardon de la Pentecôte, aujourd'hui disparu.
Le pardon de la Trinité à la chapelle de Lanzignac, clôture la semaine pentecostale, sept jours après la
Pentecôte.

Les mottes de beurres étaient vendues lors de la Fête-Dieu, quinze jours après la Pentecôte.

7
Le terme de tro ar relegou vihan s'est aussi appliqué à la procession du lundi de Pentecôte, aujourd’hui disparue, qui
s'effectuait dans le bourg.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

A - Le temps

La ‘grande troménie’ a lieu chaque année le dimanche de Pentecôte, ce dimanche ouvre la semaine
pentecostale durant laquelle tout un chacun peut réaliser sa « troménie personnelle » autant de fois qu’il
le désire. Cette « semaine sacrée » était annoncée autrefois le dimanche de l’Ascension, soit une semaine
plus tôt, par la mise aux enchères de l’honneur de porter les reliques, et était clôturée quinze jours plus
tard le dimanche de la Trinité.

LA QUÊTE DE SAINT TELO


Ce temps de fête paroissiale est préparé l’hiver par la quête de saint Telo. Cette quête se déroule
actuellement le mois de février durant une à deux semaines. Elle consiste en une collecte financière de
tous les foyers paroissiaux par des binômes masculins. La paroisse est actuellement divisée en cinq
‘parcelles’, chaque parcelle recevant la visite d’un binôme nommé à l’avance. La quête est mentionnée
dès 1864 et avait lieu le premier ou le deuxième dimanche de l’avent, soit au début du mois de
décembre. Le produit collecté, le plus souvent du blé, était vendu le dimanche suivant après la messe.

Les quêteurs officient le soir après la journée de travail, ils sont généralement bien accueillis, parfois
trop « Il y a des villages qui sont ce qu’est au cyclisme le col du Tourmalet, très dur à passer »8. Certains
paroissiens se font un devoir d’endurcir la tâche en enivrant les quêteurs.

LA QUÊTE DU BEURRE

A cette « quête masculine » correspondait une « quête féminine » une semaine après le dimanche de la
Pentecôte, la quête du beurre. La quête se faisait en binôme féminin, une jeune fille accompagnant une
dame plus âgée; le beurre et l’argent récolté finissaient en des mottes de beurre décorées, qui étaient
vendues au marchand le dimanche suivant :

La quête du beurre, quinze jours après, le lundi en huit de la pentecôte, elle durait huit jours. On les amenait
(les mottes de beurre) le samedi soir en procession jusqu’à l’église, jusqu’au dimanche soir ou lundi matin et
[c’]était vendu au marchand. Les quatre mottes de beurre étaient portées, par deux hommes chacune, du
presbytère à l’église. C’était les dames de Landeleau, qui avaient de l’expérience qui préparaient les mottes de
beurre. Le dimanche c’était la Fête-Dieu, après les quêteurs allaient manger au presbytère9.

La quête du beurre est mentionnée dès 1853 dans le coutumier de Landeleau, manuscrit rédigé par
l’abbé Suignard à l’usage de ses successeurs :
8
Hervé Puillandre, Ménez Banal à Landeleau.
9
Entretien du 24 février 2002 avec Mme Peron, Châteauneuf-du-Faou.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

4° Nommer pour chacune des trois parcelles de la paroisse une femme et une jeune fille pour quêter le
beurre10 - Après la messe on vendra le beurre; (qu’on ne le pèse pas à l’église, à cause du respect dû à ce saint
lieu)11.

La quête est supprimée par le recteur en 1984 :

Traditionnellement, dans la paroisse de Landeleau, il y a au mois de juin, la quête du beurre. Après réflexion, il
a semblé mieux de ne pas la faire cette année. Un peu tout le monde est affronté à des difficultés
actuellement; alors nous pensons que le denier du Culte et la quête de saint Thélo permettront aux paroissiens
de soutenir financièrement la paroisse12.

Ce type de quête reste encore en activité pour le pardon de Notre Dame du Crann à Spézet. Depuis
peu de temps l’argent récolté est assimilé au denier du culte dont une partie va au diocèse, une part
seulement finance l’achat de beurre pour la confection d’une motte de beurre décorée. Si autrefois le
beurre était revendu pour la consommation, les mesures d’hygiène interdisent sa consommation après
son exposition prolongée dans la chapelle. La confection de la motte est assurée par deux
« spécialistes »13 qui perpétuent la tradition et attire un groupe défini de dames, au contraire de la quête
qui risque de s’arrêter par manque de volontaires ; dorénavant la motte symbolise la perpétuation de
l’ancienne tradition, la création collective associée à la joie de la fabrication. La richesse de la campagne
ne s’exprime plus dans la production de beurre aujourd’hui disparue, mais dans le don financier.
D’ailleurs, l’union de l’actuelle quête du beurre au denier du culte diocésain fait grincer les dents de
nombreux spézetois qui s’imaginent que le denier du culte est intégralement transféré au diocèse et
voudraient voir leurs dons servir avant tout à la paroisse, marquant ainsi l’éternelle opposition du local à
l’universel.

Ces quêtes ont une structure symbolique masculine/féminine, et une fonction événementielle.
Symboliquement la quête est divisée entre les deux sexes, les hommes quêtant l’hiver, début décembre
au début du siècle, durant le mois de février aujourd’hui; les femmes quêtent le beurre la semaine du
saint sacrement, quinze jours après la Pentecôte. Cette quête de produits de saison a évolué avec la
société, les dons financiers remplaçant les produits agricoles, avec une prééminence des dons financiers
pour les hommes. D’ailleurs il est intéressant de noter à Landeleau que seule la quête masculine a
subsisté, personne n’ayant pu m’expliquer cette survivance par rapport à sa consœur. Cette quête

10
Suignard, abbé, « 1er dimanche du saint sacrement », Coutumier de Landeleau, 1853, archives paroissiales.
11
Suignard, abbé, « 2e dimanche du saint sacrement », Ibid.
12
Anonyme, A travers les chemins de la troménie, mai-juin 1984 (bulletin paroissial de Landeleau).
13
Je remercie l’abbé Pierre Mahé et Mme Claire Arlaux pour les renseignements fournis au sujet de la paroisse de Spézet.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
masculine se déroulant au début de l’année annonce ainsi le temps fort de la paroisse trois mois avant la
Pentecôte.

1 - OUVERTURE E T F E R M E T U R E D E L A S E M A I N E P E N T E C O S TA L E

Le plus difficile à appréhender dans cette description est le rapport qu’entretient l’ethnographie,
synchronique dans sa pratique, avec la diachronie de l'événement. Le découpage temporel annoncé,
« Ascension/Trinité » correspond aux pratiques religieuses vécues encore jusqu’au milieu du XXe siècle;
cette période est moins pertinente aujourd’hui avec la disparition de la chapelle du Lannac’h, du pardon
de l’Ascension et des pratiques qui leur étaient associées. Seul un des deux grands pardons encadrant la
troménie subsiste encore, le pardon de la Trinité à Lanzignac, « ressuscité » il y a vingt-cinq ans (après
des décennies d’abandon), sur les fondations de la chapelle disparue.

a - Le dimanche de l’Ascension

Le jeudi de l’Ascension est dans la tradition chrétienne le quarantième jour après Pâques, qui
commémore l’Ascension du Christ ressuscité, c’est aussi le jour de la troménie de Gouesnou. A
Landeleau, l’Ascension ouvre la période prépentecostale et par là, la troménie ceci d’autant plus
fortement que l’on remonte dans l’histoire locale.

Comme évoqué précédemment, il ne subsiste plus rien localement de l’importance religieuse ‘passée’ de
la période de l’Ascension, tout au plus l’annonce prônale14 de la ‘grande troménie’ pour le dimanche
suivant. La vente aux enchères de l’honneur de porter les reliques s’interrompt en 1964, les dernières
vêpres sont chantées dans la chapelle Notre Dame du Lannac’h en 1938, le pardon est arrêté en 1930
suite à la dégradation du toit. Toutes ces activités se déroulaient le dimanche de l’Ascension.

Il nous est donc nécessaire de remonter au début du siècle pour comprendre les relations
qu’entretiennent le cinquième dimanche après Pâques, le jeudi et le dimanche de l’Ascension avec la
‘grande troménie’.

Le coutumier de Landeleau nous renseigne sur l’usage régulier en 1853 de mettre à l’encan15, le
cinquième dimanche après Pâques et le jeudi de l’Ascension, les reliques, ou plutôt l’honneur de porter

14
Annonce prônale : annonce non liturgique ayant lieu à la fin de la messe lors du prône.
15
L’encan : annonce de l’ouverture de la mise aux enchères.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
les reliques lors de la ‘grande troménie’. Pourtant la mise aux enchères ne s’effectue que quelques jours
plus tard, le dimanche de l’Ascension lors du pardon de la chapelle Notre Dame de Bonne Nouvelle au
Lannac'h, après les vêpres sur le placître de la chapelle.

En 1853, les reliques et l’image de la vierge sont mises à l’encan :

3° Après la messe aujourd’hui et jeudi on mettra, ici, à l’encan, les reliques de saint Thélo et l’image (la statue
NDR) de la sainte Vierge; et dimanche prochain, (après les vêpres) on les mettra au Lannac’h pour y être
adjugées16 .

En 1877 on ‘nomme’ « pour la Vierge et le reste17 », désormais seules les reliques sont mises à l’encan.

Nous constatons un rôle d’annonce fonctionnel de cette période précédant le dimanche de l’Ascension,
on ne fait qu’annoncer la mise à l’encan des reliques. Il faut attendre le dimanche de l’Ascension, qui est
aussi le pardon de la chapelle du Lannac’h, première station de la troménie, pour assister à la mise aux
enchères de l’honneur du port des reliques pour la troménie pentecostale. Ce dimanche par l’acte de la
vente aux enchères du port des reliques, et de par l’importance du jour, pardon de la chapelle, est
l’ouverture symbolique et sacrée de la période pentecostale.

Cette fonction d’annonce pour la période pré-pentecostale se confirme à travers les archives; à la fin du
XIXe siècle apparaît la mention d’enseignes supplémentaires « 4° un pater et un de profundis pour les
porteurs des reliques et de la Sainte Vierge et des enseignes18 ». A partir de 1887 et de 1888, le port de
quatre statues et de cinq bannières pour la ‘grande troménie’ est mentionné, on nomme les groupes de
porteurs quinze jours avant le dimanche de la Pentecôte. Cette annonce est toujours d’actualité, mais
elle passe désormais par le biais de l’expédition de la liste des porteurs aux personnes concernées,
plusieurs semaines à l’avance. Le cinquième dimanche après Pâques avait avant tout un rôle pratique
d’annonce, cette fonction a évolué avec les pratiques socioreligieuses, d’où la nécessité de prévenir par
voie postale les porteurs un mois à l’avance.

Toujours dans un rôle d’annonce, la liste des défunts de la paroisse morts dans l’année est faite le
dimanche de l’Ascension, ceci pour adresser les prières des vivants le jour de la troménie et pour
rappeler les familles concernées par le port des reliques. Cette annonce prônale est relayée par la
diffusion d’une invitation dans la presse à venir s’inscrire sur la liste des porteurs du reliquaire.

16
Suignard, abbé, « Le cinquième dimanche après Pâques », Ibid.
17
Anonyme, Cahier des prônes paroissiales, 1877, archives paroissiales de Landeleau.
18
Anonyme, Cahier des prônes paroissiales, Pentecôte, 1875, archives paroissiales de Landeleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
On fait la ‘grande troménie’, la ‘petite’ du jeudi ou les ‘troménies personnelles’ pour se garantir une belle
mort et pour des défunts proches.

Le symbole le plus important de la ‘grande troménie’ est le port du reliquaire lors de la procession. Les
familles en lien avec Landeleau frappées par la mort d’un proche se font un devoir de porter les reliques
sur une partie du parcours « afin d’aider les morts à monter au ciel ». Avant 1964 le port du reliquaire
était mis aux enchères, seules les personnes les plus déterminées ou les plus riches accédaient à cet
honneur. Si la ‘grande troménie’ conserve la primauté de l’action psychopompe, les annonces à prier et
les prières de la période de l’Ascension en sont les prémisses.

Le dimanche de l’Ascension reste une fête majeure du point de vue liturgique, son aspect social s’est
effacé avec la disparition des lieux et des pratiques qui lui étaient associés. Cette fête religieuse
exceptionnelle ‘ouvre’ l’espace sacré de la semaine pentecostale dans laquelle se déroule la ‘grande
troménie’ et les troménies individuelles. L’organisation matérielle et les préparatifs pratiques de la
troménie sont annoncés plusieurs jours, voire plusieurs semaines à l’avance, ce sont les principales
actions qui ouvrent la troménie. L’adjudication du port des reliques, le pardon du dimanche de
l’Ascension ainsi que la chapelle du Lannac’h ont quant à eux disparu.

b - Le dimanche de la Trinité

La Trinité à Landeleau marque la fin de la semaine pentecostale. A cette date liturgique est associé le
pardon de la chapelle de la Trinité à Lanzignac. Le pardon de Lanzignac est mentionné dans le coutumier
de 1853, c’est l’occasion durant la messe de revenir sur le dimanche de Pentecôte, de parler des
offrandes et d’inviter à renouveler les prières :
2° Répéter les mêmes prières à l’intention de ceux qui ont porté les reliques de saint Thélau et l’image de la
Vierge le dimanche et le lundi précédent, à moins qu’on ne l’ait dit le jour du pardon 19.

Ce pardon a perduré jusqu’à la dégradation de la chapelle en 1932. Cette année-là, le pardon est annulé
à cause du mauvais état de la chapelle, les vêpres sont annulées pour la participation au pardon voisin
de Notre Dame du Crann20. La chapelle est rasée une dizaine d’années plus tard par la mairie. Durant
toute cette longue absence, le recteur conseille à ses paroissiens lors du prône dominical de rejoindre le
pardon voisin de Notre Dame du Crann à Spézet.

19
Suignard, abbé, Ibid.
20
Anonyme, “ Cette année pas de pardon à Lanzignac à cause du mauvais état de la chapelle. Grand messe au bourg à
10h1/2, heure habituelle. Pas de vêpres à cause du grand pardon de Notre Dame du Crann ”, Cahier des prônes, 1932.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Il faut attendre 1985 pour voir se créer une association pour la valorisation du site de Lanzignac; avec le
soutien des recteurs successifs, le pardon redémarre. La messe a lieu malgré l’absence d’édifice religieux
approprié. Une structure ouverte en bois couverte par une toiture de zinc protège l’ensemble. Un autel
maçonné trône au-dessous d’une toiture pyramidale, à laquelle est accrochée une cloche mis en place
pour le pardon. La cloche de la chapelle disparue se trouve chez une « Menthéour » à Châteauneuf qui
ne veut absolument pas la rendre21. En 2002, suite à la pose d’une nouvelle statue pour le calvaire, le
père Yves Pascal Castel est venu assurer la messe de la Trinité, il en a profité pour bénir la nouvelle
statue entre deux averses. Dans son prêche, il a abondamment commenté l’importance du site de la
Trinité.

Bien que la fête de la Trinité soit une importante fête liturgique chrétienne, les lieux de culte bretons
dédiés à la Trinité semblent dans leur grande majorité avoir une origine préchrétienne, pour reprendre
les conclusions des pères Job an Irien et Yves Pascal Castel. Si cette filiation s’avérait juste, elle ne nous
explique pas pourquoi le site religieux de Lanzignac se trouve en dehors du circuit de la troménie.

L’expression de l’année liturgique à Landeleau se renforce pour la Pentecôte, époque de la troménie.


Actuellement en corrélation avec les évolutions socioculturelles, la participation religieuse a décliné
dans le monde rural, le nombre d’officiants s’est réduit tout comme le nombre de pratiquants. De
nombreuses fêtes religieuses ont disparu à Landeleau, les rogations, le pardon de Saint-Roch, le pardon
du Pénity Saint-Laurent, le pardon de Notre Dame du Lannac’h. Cependant la troménie reste le
moment fort spirituel de la paroisse. Le renouveau du pardon de Lanzignac, le dimanche de la Trinité
clôturant la semaine pentecostale, viennent renforcer ce temps sacré. Ce pic d’activité religieuse à cette
période de l’année est constaté partout en Bretagne et ne fait pas lieu d’exception si ce n’est son
puissant ancrage dans la paroisse.

21
Information transmise par le recteur de Landeleau.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 13


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

2 - LA SEMAINE DE LA ‘GRANDE TROMÉNIE’

Comme nous avons vu précédemment, la troménie était enclose entre deux grands pardons paroissiaux,
celui de Notre Dame du Lannac’h, ouvrant officiellement la troménie principalement par l’adjudication
des reliques et celui de La Trinité à Lanzignac fermant la semaine pentecostale. La semaine pentecostale
s’ouvre le dimanche de la Pentecôte, avec le départ de la troménie de l’église paroissiale à 8h du matin
et se ferme avec la messe de La Trinité à Lanzignac, le dimanche suivant.

a - Le dimanche de la Pentecôte
DÉFINITION
Le terme français de Pentecôte est dérivé du grec biblique pentekostè, cinquante, qui désigne la fête juive
ou chrétienne qui se célèbre le cinquantième jour après la Pâques. Dans l’ancien testament, la Pentecôte
est la deuxième des trois grandes fêtes agricoles annuelles avec pèlerinage (hag) prescrites par les plus
anciens calendriers liturgiques d’Israël. Elle reçoit le nom de « fête de la moisson, des premiers fruits
des travaux, de ce que tu auras semé dans les champs ». Le dévot juif doit compter sept semaines
entières, soit cinquante jours après le premier fauchage de blé pour aller accomplir un pèlerinage à
Jérusalem ou à un sanctuaire local. A ce lieu de culte, il apportera « les prémices des premiers fruits du
sol. »

Dans la tradition chrétienne, la Pentecôte rappelle la descente de l’Esprit Saint, sous forme de langues
de feu, sur les apôtres, leur offrant le don des langues. Cette notion de feu sera retravaillée dans la
dernière partie « Des saints ‘de feu’ au Pénity ».

L IT URG IE
Dans sa liturgie pentecostale à la messe du Pénity (1994-2001-2002), le prêtre fait référence à l’épisode
chrétien de la descente de l’Esprit Saint sur les apôtres, il ne s’intéresse pas aux récoltes. La protection
des cultures agricoles avait lieu lors de la cérémonie des rogations. Il est donc normal d’assister à une
liturgie catholique formelle sans particularisme géographique, en ce dimanche de Pentecôte.

Néanmoins, il y a une adaptation de chants chrétiens aux stations du parcours, des références à la
Vierge Marie avant Notre Dame du Lannac’h, le pardon des fautes avant le chêne, plus récemment leur
absolution22, sortir des ténèbres, aller vers l’espérance avant la messe du Pénity, la liturgie pentecostale à
la messe du Pénity, les pèlerins d’Emmaüs, des témoignages, des prières pour les saints sur la route du
22
En 1977 « Une nouveauté cette année pour la troménie, on donnera l’absolution collective aux personnes qui la
désireront » : si cela ne dit rien au simple croyant, les pratiquants y remarquent une importance supplémentaire.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 14


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
retour, la station de Saint-Roch ne fixant pas précisément de chant, et les vêpres en latin en l’église
paroissiale. Pour les besoins de la propagande, une association sur la semence nouvelle et sur les blés à
moissonner vient compléter la fin du parcours. Depuis la sonorisation du circuit grâce à un véhicule
automobile aménagé, des chants, des musiques, des témoignages sont diffusés tout au long du parcours.

La Pentecôte se déroule durant la saison claire de l’année (cf. les travaux de Donatien Laurent) et
correspond au pic calendaire des manifestations religieuses annuelles. Georges Provost relève cette
fréquence pour la période allant du XVIe au XVIIIe siècle, vérifiant ainsi la fréquence estivale des
pardons bretons, ces derniers ayant peu évolué dans leur date de déroulement.

M. Donatien Laurent remarque que la date de déroulement de la grande troménie de Locronan, soit
entre le deuxième et le troisième dimanche de juillet, coïncide avec le milieu de la saison claire. Sa
démonstration l’amène à faire le parallèle avec les fêtes agraires préchrétiennes. Les moissons des blés
en Bretagne ont lieu durant le mois de juillet, en début ou en fin, suivant les années. Si l’on s’en tient
aux origines de la Pentecôte, elle marque les premières récoltes du Proche-Orient, son sens premier est
donc trop précoce de trente à soixante jours sur le calendrier agraire breton et nous éloigne de la
troménie de Landeleau. Néanmoins, cette idée sera retravaillée plus loin au sujet de la chapelle Saint-
Roch à Moulin neuf.

ÉVOLUTION
Avant les années cinquante, les cérémonies pentecostales commençaient avec les vêpres le samedi soir,
accompagnées d’une confession. La journée du dimanche commençait par deux messes matinales.
Nous ne connaissons pas le contenu des prêches de l’époque, mais nous savons que le cantique de saint
Telo était entonné dans son entier tout le long de la marche.

Le pardon du lundi de Pentecôte a disparu il y a quelques années, et ce dans tout le diocèse. Le pardon
était le jour où les porteurs d’enseignes venaient verser leurs oboles au presbytère, les reliques et les
bannières étaient de nouveau portées en procession autour de l’église.

La liturgie catholique de la Pentecôte ne semble qu’une coloration, elle ne conditionne pas la


procession. Cependant, le sens premier de pentekostè, fête de la moisson, nous rappelle le sens des
premières récoltes agricoles et nous rapproche d’un sens primitif correspondant aux fêtes religieuses
d’un peuple agraire. Le prêtre avec le pardonneur invité sont les maîtres de cérémonie de cette journée,
leur rôle structural est d’assister et de présider la procession, présidant ainsi les nombreuses évolutions
constatées durant ce siècle.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
b - Une semaine ‘d’ouverture’

La semaine pentecostale s’ouvre le dimanche de la Pentecôte et se finit sept jours plus tard par le
dimanche de la Trinité. Durant ces sept jours, tout un chacun peut réaliser individuellement le parcours
de la troménie en plus de la ‘petite troménie’ dirigée par le recteur le jeudi.

LA ‘PETITE T RO MÉ NI E’

La ‘petite troménie’, tro ar relegou vihan ou troménie du jeudi


D’après la mémoire locale, elle permet à tous ceux qui n’ont pu être présents le dimanche de la
Pentecôte, principalement les commerçants, d’effectuer le parcours processionnel durant la semaine.
Elle se déroule chaque année le jeudi, quatre jours après la Pentecôte; avant 1951 elle se déroulait le
vendredi qui suit la Pentecôte. Elle est clairement attestée dès 1948 « Vendredi à 9h1/2 messe à la
chapelle du Pénity à l’occasion de la petite troménie23 », elle est supposée exister entre les deux guerres
et quasiment absente des archives au XIXe siècle. Je ne peux donc pas affirmer l’ancienneté de cette
procession secondaire.

J’ai pu constater la présence à la ‘petite troménie’ de pèlerins absents le dimanche pour des raisons
familiales et professionnelles plus la présence de fervents troménistes. Pour ces derniers, le bon
accomplissement du Tro ar relegou passe par les processions de la ‘grande’ et de la ‘petite troménie’.

La ‘petite troménie’ de 2001, la seule que j’ai pu observer, passe outre les rigueurs de la ‘grande’, elle
prend plus de souplesse cérémonielle que son aînée. Tout en conservant les quatre stations
traditionnelles, elle permet des arrêts plus ludiques comme aux « Trois-croix » et à « Lan al Loc’h »,
mettant en valeur deux lieux patrimoniaux. Par contre n’emportant pas d’enseignes elle ne s’arrête pas
au dépôt de « Loch Conan », ni aux arrêts de regroupement avant et après les chemins étroits. Le
recteur est seul maître de cérémonie, comme il y a peu de pèlerins, il la dirige d’autant plus rapidement
et facilement.

La troménie du jeudi n’a jamais rassemblé de grandes foules, une cinquantaine de personnes après
guerre, une vingtaine aujourd’hui, principalement des femmes. Moins nombreuse, la procession est
d’autant plus rapide, elle démarre de l’église paroissiale à 7h, commence la messe au Pénity à 9h et est
de retour au bourg pour midi. Elle se conclut le plus souvent dans l’église paroissiale par le chant de
quelques couplets du cantique de saint Telo et la vénération des reliques. Elle n’emporte ni les reliques
ni aucune enseigne, pourtant en 1975 « Deux innovations, cette année, que pour ma part, je trouve très
heureuses et qui ont été dues à l’initiative de quelques dames (Qu’elles en soient félicitées !). Pour la
23
Anonyme, Cahier des prônes paroissiales, 1948.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 16


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
première fois, les reliques de saint Telo sont sorties pour la troménie du jeudi ». Cette initiative sera
réitérée pour la seconde et dernière fois l’année suivante. Je pense que l’arrêt de cette innovation est dû
au poids du brancard et à sa difficulté de transport à un rythme rapide. La gente masculine n’hésite pas
à critiquer son homologue féminine « Elles ne savent pas marcher au pas. Elles n’ont pas fait l’armée.
Elles font tanguer le reliquaire ».

Mes vieux informateurs me confirment qu’autrefois les femmes ne portaient jamais le reliquaire même
si elles en étaient les acquéreurs « c’était une affaire d’hommes ». L’initiative du changement est due à
des dames, ce qui est à mettre en parallèle au mouvement d’émancipation féminine de l’après guerre
dans la ruralité. Ce timide mouvement ‘féministe’ a commencé à s’exprimer par le port du reliquaire
lors de la ‘grande troménie’ dans les années cinquante, aujourd’hui les femmes sont majoritaires dans le
port du reliquaire.

TROMÉNIES INDIVIDUELLES

Il est de tradition de pouvoir renforcer les effets bénéfiques de la ‘grande troménie’ en réalisant le
parcours processionnel chaque jour de la semaine après la Pentecôte. Si tout le monde en connaît le
principe, peu de personnes se prêtent au jeu, cependant deux cas marquent encore les esprits : Youn ar
Bail (Yves Le Bail) et Huguette Coacolou.

Youn ar Bail :
J’ai pu collecter auprès de son demi-frère Justin Marzin24 un témoignage précis de l'événement. Yves Le
Bail naît en 1912, sa mère, veuve de la première guerre mondiale, se remarie à monsieur Marzin de
Landeleau. Youn ar Bail devient militaire de carrière, de ce fait il se trouve en Syrie en 1939, puis à
Libreville en 1940, sa famille ne l’a pas revu avant 1945, « On ne savait pas s’il était mort. » Il participe
au débarquement allié en Provence, et concourt aux combats de Cassino. C’est durant cette période
qu’il fait le vœu de faire la troménie huit jours durant, pieds nus, s’il rentre vivant à Landeleau. « En 47
il fait la troménie, les gens rigolaient de l’entendre dire qu’il la ferait pieds nus. Il avait de la foi, il avait
promis de la faire avant d’aller en Indochine ». Il accomplit son vœu huit jours durant marquant la
mémoire locale par sa dévotion.

Huguette Coacolou, née Février :


Le second témoignage, plus récent mais non moins célèbre dans les mémoires locales, est celui de la
propriétaire du salon de coiffure au bourg de Landeleau, Mme Huguette Coacolou. Madame Coacolou
est une catholique pratiquante, qui ne manque pas de faire chaque année la ‘grande’ et la ‘petite

24
Entretien du 17 mars 2001 avec M. et Mme Marzin et M. et Mme Sarrault à Penker choll en Landeleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
troménie’. Suite à un vœu exaucé, elle promet de faire la troménie une semaine durant; ce qu’elle fait
après ses journées de travail. Ne pouvant la faire le mardi, elle l’a fait deux fois de rang le jeudi, elle
accomplit son dernier parcours le samedi. Elle ne se rend pas au pardon de la Trinité à Lanzignac le
dimanche, en justifiant qu’elle était fatiguée et qu’elle n’en voyait pas l’importance.

Monsieur Armand Puillandre emploie le mot de neuvaine pour dénommer les ‘troménies individuelles’
de la semaine pentecostale. Malgré l’imprécision des témoignages, les ‘troménies individuelles’ se font
au nombre de sept, et non huit ou neuf; ce malgré la récurrence de l’emploi des termes de semaine de
huit jours dans le registre oral. D’après le recoupement des témoignages récents, les personnes ne vont
pas, ou ne vont plus, au pardon de la Trinité à Lanzignac clore leur série de troménies individuelles.

Il n’existe pas de cas connu, hormis une légende, de personne qui aurait ‘fait une troménie individuelle’
en dehors de la semaine pentecostale. On évoquera plutôt le principe de faire une randonnée sur le
circuit de la troménie.

La morte qui revient :


La légende retranscrite par les chanoines Abgrall et Peyron évoque le cas d’une personne de Landeleau
qui avait fait vœu de faire le tour des reliques et était morte avant l’accomplissement de sa promesse25 :

Apparut devant une de ses amies et lui dit que, pour la sauver du purgatoire, elle la priait de faire le tour des
reliques à sa place, mais sans parler. - Comment le pourrais-je ? dit celle-ci, car les portes des chapelles sont
fermées, et il me faudra en demander les clefs. - Sois’en sans inquiétude, dit la morte, et fais comme je te le
dis. L’amie se met donc en route, et quel n’est pas son étonnement en arrivant aux chapelles du Lannac’h,
Saint-Laurent et Saint-Roch, de les voir ouvertes, avec les cierges allumés sur l’autel; elle put ainsi accomplir
son pèlerinage. En rentrant dans l’église de Landeleau, elle vit la morte habillée de blanc, qui la remercia en lui
déclarant que grâce à elle le Paradis lui était ouvert.

Cette légende populaire en Bretagne nous indique que la troméniste réalise son parcours en silence; ce
qui est la norme à Locronan. Pourtant à Landeleau personne ne fait silence le long du parcours, avant-
guerre le cantique était chanté plusieurs fois durant la procession ainsi que de nombreux Pater et Ave
Maria. Ce motif relatant le silence peut être un emprunt local d’une légende extérieure, à Locronan?

Réaliser les ‘troménies individuelles’ pendant sept jours semble la norme implicite. Nous pouvons
rapprocher cette période à la période d’ouverture de la grande troménie de Locronan qui se déroule
entre le deuxième et le troisième dimanche du mois de juillet. La ‘petite troménie’ a quant à elle une
importance moindre, le clergé y a une plus grande emprise, emprise qu’il n’a pas sur les ‘troménies

25
Peyron et Abgrall, chanoines, « Landeleau », Association Bretonne, Congrès de Concarneau, 1906, p 12-13.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
individuelles’, ce qui lui donne un caractère plus ‘catholicisant’ en opposition à la structure moins
changeante et plus archaïque de la ‘grande troménie’ .

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

B - L’espace

Si le temps sacré est officialisé par le calendrier liturgique romain, la troménie dans son déroulement
utilise un chemin spécifique plus ‘respecté’ que sacré, lors de la Pentecôte, date importante dans la
liturgie chrétienne; on porte un reliquaire ‘sacré’ en procession religieuse très ‘respectée’. Les mots sont
faibles et trop subjectifs pour décrire la complexité sémantique exprimée par cette ‘grande troménie’ .

1 - LE PA R C O U R S

Le passage de saint Telo en Bretagne armoricaine nous est signalé dans sa vie latine écrite au XIIe siècle
par le moine Geoffroy26, issue du Book of Llan Dâv. Elle apprend que saint Telo fuyant la peste jaune
traverse la Manche et rejoint son compagnon saint Samson à Dol avec une partie de son peuple; il reste
en Armorique durant une période de sept ans et sept mois. Les textes bretons continentaux reprennent
les informations insulaires; mis à part les toponymes, seule une forte tradition orale armoricaine atteste
de la présence du saint.

a - Légende orale de saint Telo et mythe de fondation

Nous devons à Anatole Le Braz la plus ancienne retranscription existante de la légende de saint Telo,
collectée auprès de Mme Françoise Le Borgne de Landeleau, mariée à M. Hourmant, aubergiste à
Collorec. La collecte est paru dans la série « Les saints bretons d’après la tradition populaire27 », et
correspond au séjour de A. Le Braz dans les monts d’Arrée daté d’après les carnets de collectes entre
1891 et 189228. La version collectée souffre de minceur, mais d’autres histoires inédites viennent enrichir
cette enquête de grande valeur.

La deuxième version « Mouzaden sant Thelo » est parue en 1903 dans la Paroisse bretonne de Paris, c’est
une retranscription littéraire ‘léonisante’ signée « Herbot »29. Elle reformule la légende locale en
changeant les lieux d’habitation des protagonistes. Cette version est totalement inconnue à Landeleau.

26
Geoffroy de Monmouth, frère d’Urbain de Llandaff selon les auteurs britanniques, le moine Etienne selon Joseph Loth.
27
Anatole Le Braz, Les saints bretons d’après la tradition populaire, Annales de Bretagne, Tome 8.
28
Alain Tanguy, « transcription du carnet II (1891-1892) », Anatole Le Braz (1859-1954) et la tradition populaire en Bretagne.
Analyse de quatre carnets d'enquêtes indédits (1890-1895), Brest, UBO, Thèse de doctorat en ethnologie, p 81-89.
29
Je remercie vivement M. Peaudecers qui m’a trouvé cette version inconnue à Landeleau mais référencée dans le catalogue
Malrieux.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Pourtant l’auteur cite précisément plusieurs lieux-dits ce qui tendrait à prouver la connaissance
vernaculaire de son auteur.

La troisième collecte est l’œuvre des chanoines Abgrall et Peyron et est publié en 1906 sous le titre « St
Théleau et la Troménie de Landeleau » dans l’Association Bretonne (congrès de Concarneau, p 174-
183). Ils reprennent les ‘renseignements’ recueillis par un recteur de la paroisse vers 1860, « mais qui
sont empruntés à un ancien registre conservé, nous dit-on, au coffre de la fabrique ». Le résultat final
offre un recueil compilant les informations précédemment recueillies par A. Le Braz avec d’autres
sources. Ce recueil offre la version la plus exhaustive et la plus proche du registre local.

Il existe une quatrième version de la légende de saint Telo écrite par le père Yves Pascal Castel pour un
livret d’art paru aux éditions Jos Le Doaré30. Le père Castel m’a confirmé l’absence de valeur
scientifique de la retranscription, elle est le fruit d’une compilation destinée à accompagner une série de
photos. Je ne l’ai donc pas présentée dans mon analyse.

Le chanoine Kerbiriou a publié une plaquette sur Landeleau en 1942, reprenant les travaux des
chanoines Abgrall et Peyron, il refaçonne la légende de façon littéraire, s’éloignant par là même encore
plus de la tradition orale locale; je ne l’exposerai donc pas.

LE R É C I T D E F O N DA T I O N

Je me référerai donc à la compilation exhaustive des chanoines Abgrall et Peyron31 pour présenter le
récit de fondation :

Lorsque saint Théleau vint en ce pays, sa première intention fut de bâtir sa maison sur le Menez-Glaz, près de
Lan al Loch. Il planta à cet effet dans le sol des pierres debout qu’il recouvrit, en guise de toit, d’une pierre
plate. Tout enfant (dit le narrateur) je me suis blotti plus d’une fois dans cette espèce de four (ancien dolmen)
pour m’abriter contre la pluie, mais depuis, la maison du saint s’est en partie écroulée, parce qu’on a voulu y
faire des fouilles sous prétexte d’y chercher un trésor. Sur la pierre plate on voyait des sortes d’empreintes de
mains énormes, les mains, dit-on, de saint Théleau qui se hissait parfois sur le faîte de sa demeure et s’y tenait
prosterné les mains sur la pierre pour prier Dieu. Il commença à construire son logis dans la lande, mais
aussitôt qu’il en eut disposé les premiers matériaux, il fut distrait de sa besogne par un tapage infernal; c’était
les grenouilles du marais voisin Lan al Loc’h qui croassaient toutes ensemble, comme pour lui dire: Théleau,
arrête-toi. Le saint s’obstinant, le vacarme s’accrut, et finalement les grenouilles eurent raison du saint qui ne
pouvait ni prier ni dormir en ce lieu. Il s’enfonça donc plus avant dans le pays, et arriva dans un bosquet, près
d’une fontaine, où il bâtit une maison de planches qu’il assujettissait avec des chevilles qu’il façonnait, dit-on,
sur son bonnet en guise de billot.

30
Castel Yves Pascal, « La grande paroisse de saint Théleau », Légende dorée des saints Bretons, éd. Jos, p 14-15.
31
Abgrall et Peyron, chanoines, « Landeleau », in Association Bretonne, congrès de Concarneau, 1906.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
La maison bâtie, il édifia une église et songea à y joindre un territoire pour former une paroisse. S’étant
abouché de son projet avec le seigneur du pays, le seigneur de Château Gall, celui-ci lui dit: - Je t’abandonne
tout le territoire dont tu pourras faire le tour en une nuit. mais il est bien entendu qu’au chant du coq, en
quelque lieu que tu sois, tu feras halte. Le saint rentrant chez lui conta la chose à sa sœur qui depuis quelque
temps était venue tenir son ménage; celle-ci feignit un grand contentement, mais en conçut au fond du cœur
une violente jalousie.

Cependant, saint Théleau se tenant sur le seuil de sa porte se mit à siffler, aussitôt un cerf sortit du bosquet et
vint s’agenouiller aux pieds du saint ! Celui-ci, la nuit tombée, monta sur le cerf et se mit en route, I’animal
galopant de toute la vitesse de ses jambes, mais comme il traversait la cour du manoir de Castel ar Gall, les
gens lâchèrent sur eux les chiens, le saint n’eut que le temps de sauter sur un chêne, tandis que le cerf se
réfugiait dans le bois. C’est pour cette raison que le saint est représenté à cheval sur un cerf en crosse et mitre.
Il eût sans doute rattrapé le retard causé par les gens de Castel ar Gall, si sa sœur par jalousie n’avait fait le jeu
de ses ennemis. Elle alla prendre un coq dans le poulailler et le fourra dans le tuyau de la cheminée, puis elle
mit le feu dans l’âtre à un fagot de bois vert; le coq cherchant à fuir la fumée battait des ailes, chanta
désespérément, réveilla les basses-cours du village, et ce cri se transmettant de ferme en ferme arrêta saint
Théleau, lié par sa promesse; sans quoi la paroisse de Saint-Théleau se serait étendue jusqu’ à Collorec d’un
côté et à Cléden de l’autre.

C’est en mémoire de ce parcours que saint Théleau accomplit sur son cerf, que tous les ans, le jour de la
Pentecôte, on refait le même chemin en portant les reliques du saint, aussi la procession est-elle appelée Tro ar
relegou, le tour ou parcours des reliques.

ANALYSE
Cette légende est unique à Landeleau, mais sa structure se retrouve dans la légende de saint Edern à
Lannédern. Saint Edern voulant agrandir sa paroisse dans les mêmes circonstances que saint Telo se
trouve arrêté dans sa course par le chant nocturne d’un coq provoqué par la jalousie de sa sœur ; nous
verrons plus loin les apports de cette parenté et leur origine éventuelle.

L’appropriation de l’espace par son encerclement est un rite universel, le motif de la course nocturne
ou diurne est lui aussi récurrent :

Dépourvu de tout caractère magique, ce système de prise de possession sera intégré au droit coutumier des
peuples européens : on pouvait s’approprier autant de terre que l’on parcourait entre l’aube et le coucher du
soleil. En Islande, une femme pouvait occuper la terre qu’elle parcourait au cours d’une journée en menant
une vache attachée à une corde (Gurevich, 1985 : 56) [...] Au Moyen Age, la surface labourable en une journée
était une unité de mesure habituelle (c’est l’acker ou le morgen des Allemands, l’acre des Anglais ou encore
l’Arpent32 des Français)33.

32
Le « journal » français, ou le « devez arzd » du breton.
33
Radu Dragan, La représentation de l’espace de la société traditionnelle, L’Harmattan, 1999, Paris, p 96-97.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Mais le mythe de fondation s’accorde mal avec les frontières de la paroisse, c’est ce qui m’amène à
penser à une construction mythologique plus en lien à un syncrétisme symbolique qu’avec une réalité
matérielle. Le récit tel que nous le connaissons aujourd’hui véhicule un amalgame de traditions
anciennes réactualisées dans un récit des origines.

Ce tour d’horizon pourrait convenir aux processions populaires tant qu’elles répètent religieusement les
traditions ancestrales. Mais ce qui différencie les troménies des processions, est ce principe de
circonscription censé effectuer le tour du minihi. L’essence de la circumambulation est l’appropriation
spatiale, sens que nous retrouvons dans de nombreux mythes de fondations paroissiales, Landeleau
inclus. La troménie répète le circuit effectué par le saint homme lors du mythe de fondation. Répétant
de mémoire le parcours mythique, on se réapproprie le chemin sacré jusqu’à l’année suivante. Ce sont
les prétentions des troménistes de souche qui avancent la notion de sacré inaliénable pour justifier le
passage à travers champs sur les chemins effacés en surface.

On avance l’hypothèse pour les troménies d’avoir « un rôle juridique de conservation de la propriété 34»
Cette affirmation territoriale donnée comme éclaircissement historique pour expliquer le circuit
circumambulatoire des troménies, fonctionne assez mal à Landeleau; en dehors de l’appropriation du
chemin processionnel tout l’espace restant est omis, même le lieu mythique d’arrivée du saint, Ti sant
Telo à Menez-Glaz.

Par contre les motifs du cerf, des chiens, de l’arbre et l’opposition de la sœur sont peu courants voire
inédits.

34
Debary op. cit. p 48 cité par A. Lautrou (Minihis : 48).

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Afin de faciliter la lecture comparative des quatre versions, je propose d’en analyser les motifs
articulateurs à travers un tableau. V 1, 2, 3, 4 correspondent aux versions recensées dans ma recherche :

V 1 : Enquête d'Anatole Le Braz effectué entre 1891 et 1892, retranscrit par A. Tanguy dans sa thèse de
doctorat.
V 2 : Récit signé Herbot, publié dans « La paroisse bretonne de Paris » en 1903.
V 3 : Enquête des chanoines Abgrall et Peyron, publié dans « l’Association Bretonne » en 1906.
V 4 : Collecte orale contemporaine; la tradition orale disparaissant avec les vieilles personnes, je n’ai
récolté que des bribes éparses du récit du XIXe siècle, la majorité des Landeleausiens ne connaissant la
légende qu’à travers ses versions écrites. La collecte n’est que le reflet d’une tradition orale déclinante.

Motifs recensés V1 V2 V3 V4
Rite d’encerclement fondateur de la paroisse X X X
Don de terres par le seigneur local X X X
Rite d’encerclement nocturne X X X X
Parcours sur le dos d’un cerf X X
Parcours sur le dos d’une biche X
Parcours à pied X
Il passe par Châteaugall X X X
Il passe par le château du Grannec X
On lui lâche les (ou le) chiens après lui X X X
Il se réfugie dans le chêne X X X
Le chêne originel s’est dispersé X
Il s’arrête au chant du coq X X X X
Sa sœur fait chanter le coq en l’enfumant X X X X
L’écorce du chêne possède des vertus X X X
Sa sœur est jalouse et mécontente X X X X

A l’examen du tableau, des incohérences surgissent entre ce que nous apprend la légende et ce que
nous pouvons observer aujourd’hui. Si comme nous le dit la tradition orale contemporaine, le parcours
de la troménie correspond au parcours qu’accomplit saint Telo en une nuit, il ne correspond pas aux
limites de la paroisse, ces dernières étant bien plus larges. Pourtant c’est l’explication la plus répandue
au sein de la population, justifiant par le fait que la troménie part du bourg situé au sud de la commune
pour rejoindre le village du Pénity-Saint-Laurent au nord. Insistant sur les divergences spatiales auprès
de mes informateurs, à l’appui d’une carte géographique, on me donne d’autres hypothèses « Les vieux
disaient que la troménie correspondait au parcours que faisait saint Telo pour visiter les malades de la
paroisse ; - En évitant de nombreux villages ? On ne sait pas pourquoi ! »

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 24


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Autre dissonance de la légende, elle nous parle de la sœur de saint Telo, comme quelqu’un de proche
géographiquement et rivale à la fois. Historiquement nous connaissons Anauved, sœur de Telo, mère de
saint Oudocée et mariée au comte Budic de Cornouaille. La présence dans la légende d’une sœur
anonyme, proche et rivale, semble plus un motif structural issu d’anciennes structures mythologiques
qu’une structure inédite. J’analyse dans la troisième partie de l’étude les liens avec le fond mythologique
celtique, ceux-ci nous permettant de proposer une structuration de l’entrelacs légendaire.

La tradition orale de la légende de saint Telo à Landeleau contient le mythe de fondation de la paroisse
et celui de la troménie, elle forme un assemblage symbolique, dont la fonction serait de préserver une
structure symbolique sous-jacente, et ce malgré les incohérences rationnelles spatiales et historiques. Je
développerai dans la troisième partie de cette étude les prolongements de ce symbolisme sous-jacent.

b - Description sémantique et physique du parcours

Nous observons aujourd’hui un circuit ‘sacré’ ou plutôt ‘important’ pour la collectivité, dont la
projection physique décrit deux boucles se rejoignant à Châteaugall, ce circuit s’inscrit dans un
découpage territorial en paroisses. En effet, aux origines de l’immigration bretonne en Armorique,
l’implantation religieuse et sociale de l’Armorique s’est effectuée à travers la création d’un réseau
paroissial dont les toponymes en plou- sont la marque. Les toponymes en lan- seraient liés primitivement
à une installation monastique, anachorétique, de lieux plus désertiques, liminaux35. Dans le cas de
Landeleau, la paroisse correspond à un démembrement de la paroisse primitive de Plonévez-du-Faou,
elle-même créée au détriment de celle de Plouyé36. Ces notions historiques sont absentes de toutes
traditions orales locales. Je traiterai plus loin de l’hypothèse de l’éventualité de l’existence d’un minihi et
d’une communauté monastique qui lui serait associée.

Si le mythe de fondation paroissiale s’accorde mal avec nos connaissances historiques, il semble plus
correspondre à une interprétation symbolique du circuit processionnel, par et pour la population. Le
dernier refrain du cantique de saint Telo chanté abondamment lors des fêtes religieuses commente la
marche circumambulatoire.

Dernier refrain du cantique de 1889

Diskan e fin ar c’hantic


35
Vallerie Erwan, « Origine des grandes paroisses en Lan- », Britannia Monastica 3, 1994, Landévennec, p 72-83.
Tanguy Bernard, Dictionnaire des noms de communes, trêves et paroisses du Finistère, éd. Chasse Marée - Armen,
36

Douarnenez, p 102-103.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Dirac ho relegou
Devant vos reliques
Ni bromet, sant Thelo
Nous promettons, saint Telo
Kerset var ho roudou,
De marcher sur vos traces,
Da betec hor maro.
Jusqu’à notre mort.

Bien que l’expression « De marcher sur vos traces jusqu’à notre mort » puisse être comprise de manière
édifiante, elle peut se comprendre aussi au sens simple les ‘traces’ correspondant au parcours physique
de la troménie.

DESCRIPTION P H Y S I Q U E C O N T E M P O R A I N E D U PA R C O U R S

Le circuit de la troménie totalise en tout 14 05837 m; si on y ajoute les trois tours de l’église (+ 312 m) et
les trois tours de la chapelle du Pénity (+ 150 m) on totalise 14 520 m. La troménie part du bourg,
suivant la route septentrionale, passe devant le lieu-dit « les Trois-croix » et s’arrête à Loch Conan pour
déposer les bannières et les enseignes dans l’entrepôt de la biscuiterie Yannick. Cet arrêt est récent,
autrefois les enseignes étaient déposées à la Chapelle du Lannac’h.

La procession repart sur la même route, grimpe la faible pente de Ménez Lannac’h, avant de traverser le
vallon qui nous mène à la première station de la troménie, la chapelle de Notre Dame de Bonne
Nouvelle au Lannac’h ou en breton, Itron Varia ar C’helou Mat. Il ne reste plus de l’ancienne chapelle
qu’un petit oratoire, constitué d’un bloc maçonné surmonté d’une statue de la Vierge.

Continuant toujours notre parcours sur la départementale, nous la quittons un kilomètre plus loin au
lieu-dit de Lanloch, non loin du dolmen Ti sant Telo, pour attaquer les chemins vicinaux. Il faut faire
attention, l’accès au chemin est creusé d’une rigole d’eau sous le tapis de verdure. Bien que la
municipalité ait procédé à d’importants travaux de drainage et de stabilisation des routes, de
nombreuses zones restent humides durant l’été et agrémentent la marche pentecostale. Le chemin est
étroit, il oblige la procession à s’étirer en longueur et à s’arrêter de nouveau pour effectuer un
regroupement à Ti Nevez. On ose imaginer la longueur de la procession au début du siècle, où l’on
dénombrait plusieurs milliers de pèlerins.

Mesures effectuées avec une roue d’arpentage prêtée par M. Hervé Puillandre que je remercie vivement.
37

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
A Ti Nevez nous retrouvons la route jusqu’à Pont Scoaec, où nous devons passer à travers champs pour
rejoindre le chemin qui nous mène à Keravel. Cette section ne possède pas de chemin, le paysan
s’oblige à ouvrir un chemin à travers les cultures chaque année. Sur le cadastre Napoléonien, le
parcours longe un ruisseau, puis le talus du champ avant de retrouver un chemin vicinal, il ne référence
donc aucun chemin. Keravel est le nom de la ferme sur la butte, cette ferme à été construite au début
du XXe siècle comme nous laisse suggérer son toponyme récent, traduisible par ‘le village venté’. A
Keravel nous débouchons sur une légère hauteur avant de redescendre sur une section goudronnée
jusqu’au chêne de saint Telo, deuxième station de la troménie.

Du chêne nous repartons vers Châteaugall, en 2002 nous avons repris une portion récemment remise
en état sur une initiative municipale38, appelée Goz lenn. Ce terme fait référence à un vieil étang disparu
situé non loin du chemin. Nous quittons ce chemin très humide, traversons la route pour rejoindre le
vieux chemin d’accès à Châteaugall. La nouvelle route passe au-dessus du chemin, mais les troménistes
locaux insistent pour suivre le ‘vrai’ chemin.

Il n’y a pas d’arrêt à Châteaugall, nous ne faisons que passer devant les dépendances rénovées du
château disparu. Châteaugall est traduisible par le château de l’étranger ou le château du français. Non
loin de là, nous croisons le manoir de Kerbellec, dont la traduction « le village du prêtre », semble être
la plus probable. M. Armand Puillandre ma citait l'histoire selon laquelle un chapelain serait mort suite
à la chute d'un pan de mur à Kerbellec. La présence d'un chapelain près d'un château est normale, ce
qui pourrait être l'explication du toponyme « Kerbellec ». Durant le XXe siècle, le parcours empruntait
une courte section de chemin forestier à droite du parcours actuel et originel, à cause du mauvais état
de la route principale.

En contrebas de Châteaugall nous arrivons au pied de Montagne Vraz, traduisible par la grande
montagne; le chemin grimpe un raidillon qui contourne la butte par son versant ouest. Montagne Vraz
ou « La Montagne », 137 m, n’est pas la proéminence la plus importante de Landeleau, voire même du
circuit; Keravel se trouve à 144 m de hauteur, tout le circuit de la troménie se déroule entre les
hauteurs moyennes de 90 m et 130 m. Bien que nous ayons plusieurs toponymes bretons menez
(montagne), le toponyme ‘français’ de «La Montagne»est unique en Landeleau, tant par son caractère
linguistique français en zone bretonnante que par son qualificatif vraz qui le démarque qualitativement
des autres hauteurs environnantes. Ce site par sa qualité toponymique nous rappelle l’importance
qualitative et symbolique du Menez Lokorn dans le circuit de la grande troménie de Locronan. Nous
sortons du chemin forestier en laissant la ferme de Kergoat sur notre gauche, reprenons une section

Nous devons l’idée à l’ancien maire, M. Joël Com, la prise en charge du projet à Mme Arlaux aidé pour le gros œuvre par
38

M. Serge Roland conseiller municipal et les voisins du lieu motivés par M. Roger Bernard.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
routière avant de bifurquer à droite à travers champs, sur un chemin disparu qui nous mène jusqu’au
Pénity-Saint-Laurent, troisième station de notre parcours.

Le village du Pénity regroupe une cinquantaine de maisons, la plupart des résidences secondaires, le
village ne semble plus être que l’ombre d’un passé glorieux. L’antique route Carhaix / Plonévez-du-
Faou, appelée localement Hent Aes (route d’Aes, de Carhaix, Ker Aes), traverse le Pénity par un pont
situé sur un ancien gué. La chapelle, station de notre parcours, se trouve à une centaine de mètres de
l’Aulne la dominant d’une vingtaine de mètres de hauteur. Le site du Pénity a subi de nombreux
bouleversements depuis deux siècles, les maisons ont empiété sur l’enclos, la construction d’une école
après-guerre et de son chemin d’accès ont pratiquement enterré la chapelle; l’oratoire dédié à sainte
Barbe a disparu; le placître est recouvert d’herbe.

Le parcours redescend une cinquantaine de mètres vers l’est en direction de l’Aulne avant de tourner
brusquement sur la droite pour contourner Montagne Vraz par l’est, en prenant le large chemin
dénommé par les anciens, l’allée de Châteaugall. Une partie de l’ancienne route d’accès de Châteaugall au
Pénity n’est plus aujourd’hui qu’un chemin vicinal, une nouvelle route construite après guerre a dévié le
flot de circulation. Sortant de cette section en terre, nous retrouvons la fin de l’allée de Châteaugall
goudronnée, l’ancienne mare de Keros a disparu sous l’asphalte. Nous redescendons au pied de Montagne
Vraz avant de regrimper la pente qui nous mène de nouveau à Châteaugall. Cette fois-ci nous laissons
l’ancienne voie d’accès de Châteaugall pour la nouvelle route, le chemin du retour est plus rapide que
l’aller et moins rigide.

Nous laissons Goz lenn sur notre droite et retrouvons le parcours de notre grande boucle sur son côté
est. Notre prochaine étape est Kervoantec, il est de tradition pour les propriétaires des lieux de servir à
boire aux troménistes. Le chemin du retour est vallonné et ne quittant plus la route goudronnée
jusqu’au bourg, le soleil frappe durement les têtes dénudées. La route redescend sur la quatrième
station, la chapelle de Saint-Roch à Moulin Neuf. Autrefois une grande mare difficile à traverser
attendait les troménistes dans le creux du vallon, ces derniers montaient sur la butte pour passer sous
les reliques à l’entrée de la chapelle. Aujourd’hui les fondations subsistantes de la chapelle menacent
d’être définitivement rasées, et la troménie s’arrête sur la route en contrebas du site.

La route suit le cours de l’Aulne sur une centaine de mètres avant de s’orienter vers Ménez Lannac’h, en
contrebas de Clouaric nous prenons une section de route qui passe entre quelques maisons, laissant
pour une centaine de mètres la route principale. Cette bifurcation inattendue qui surprend les
troménistes néophytes, est due au retraçage de la route principale, évitant les petites portions sinueuses.
L’ascension de la pente de Ménez Lannac’h est difficile et pénible en cette fin de parcours, la

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
procession s’étire en longueur, et le prochain regroupement n’a lieu qu’à Loch Conan, lieu de dépôt des
bannières. Le chemin du retour se conclue par la longue descente accompagnée de la musique d’une
fanfare (2001) ou de bombardes (2002), jusqu’à l’église point de départ et d’arrivée de notre trajet.

DESCRIPTION D E L A P A R O I S S E E T D E L A T R O M É N I E PA R L E S A U T E U R S A N C I E N S

La troménie de Landeleau souffre d’une carence d’archive écrite, il faut attendre le XXe siècle pour voir
apparaître les premiers récits descriptifs de la procession. Auparavant nous avons quelques lignes avec
le père jésuite Maunoir39, qui vient missionner dans la paroisse à la prière du marquis du Chastel :

Le curé ne savait pas le breton, aussi l’ignorance et le désordre étaient-ils grands en ce lieu, où l’on peut voir
l’ermitage du saint anachorète et son tombeau creusé dans un immense rocher.

Les premières topographies de la paroisse commencent avec Jacques Cambry40 lors de son voyage en
Finistère en 1794-95, il ne fait que relever les monuments dignes d’intérêt autour de l’église, soit le
sarcophage, le gisant en kersanton du marquis de Mesle. Une quarantaine d’années plus tard,
Brousmiche41 dépeint le bourg de façon très péjorative :

Peu distant de Pratulo et du pont Trissen on rencontre le laid bourg, le misérable bourg de Landeleau [...]
quelques maisons éparses sur la route, quelques autres environnant l’église, composent cette triste bourgade,
qui ne paraît renfermer que des malheureux et quelques méchants cabarets.

Il continue sa description par les mêmes monuments relevés par Cambry et regrette que Château Gall
soit abandonné.

C’est avec Anatole Le Braz que tout l’arrière pays va être valorisé à travers ses charmes pittoresques et
ses traditions. Il est le premier à publier intégralement la tradition orale Landeleausienne de saint Telo,
accompagnée d’autres récits autour de la troménie.

Mais le premier récit de la troménie est à mettre à l’actif des chanoines Abgrall et Peyron42. Leur travail
va dans le courant de valorisation patrimoniale de chaque paroisse, courant initié à la fin du XIXe siècle
dans l’évêché de Quimper. Même si le récit est emprunt de tournures édifiantes, il offre une enquête de
grande valeur, qui ne souffre pas de concurrence avant la fin des années quatre-vingt-dix.

39
Lebec Eric, Miracles et sabbats, Journal du père Maunoir, Missions en Bretagne 1631-1650, Les éditions, 2000, Paris.
40
Cambry Jacques, Voyages dans le Finistère ou état de ce département en 1794 et 1795, réédition SAF, 1999, Quimper, p 145-146.
41
Brousmiche J.F., Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831, première édition, Tome second, Morvan, 1977, Huelgoat, p
187.
42
Chanoines Peyron et Abgrall, Association Bretonne, « Landeleau », congrès de Concarneau, 1906.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Le second récit est l’œuvre de Madeleine Desroseaux dans son ouvrage La Bretagne inconnue, consacré
aux mystères en tous genres propres à déplacer un écrivain romantique en mal de sujets. Landeleau
n’échappe pas à sa plume, elle reprend l’introduction de A. Le Braz avant de déchaîner son
romantisme43 La Bretagne inconnue est là, dans ce sanctuaire perdu des Montagnes Noires où se coudoient
l’Histoire et la Légende... »; la suite est de la même saveur cherchant du paganisme dans l’ostentatoire
processionnel :

Le Penity Saint-Laurent est presque aussi rustique qu’une grange. Un sol en terre battue plein de crevasses, un
autel de pierre, de vieux saints de bois vêtus de larges rubans blancs brochés de violet et de vert, pailletés d’or
et d’argent. Idoles barbares qui font penser à des icônes asiatiques telles qu’on en voit dans les sanctuaires de
l’Oural.

L’écrivain à travers son lyrisme ne fait qu’imiter la mode du moment, un romantisme édifiant; l’ouvrage
présent au CRBC est un exemplaire dédicacé chaleureusement à Monseigneur Duparc, évêque de
Quimper et de Léon. Dans cette même veine la campagne bretonne devient « la steppe jaune couverte
de fleurs », la procession a la couleur d’une « Belle image médiévale que je garde dans mon cœur ».
Malheureusement pour notre étude, elle ne participe à la troménie qu’à partir du Pénity-Saint-Laurent,
soit sur la route du retour, son récit ne nous aide guère malgré sa longueur.

Le chanoine Kerbiriou est un grand ami de Stanislas Jaffres44 recteur à Landeleau de 1942 à 1948, date
de sa mort. Kerbiriou réalise sur la demande de l’abbé Jaffres une monographie45 sur Landeleau qui fut
disponible pour la troménie de 1942. Il n’a pas participé à la troménie pour écrire sa monographie, pour
ce faire il retranscrit le récit46 d’un troméniste paru dans le Courrier du Finistère en juin 1939. Le
chanoine Kerbiriou oriente son travail sous un angle historique, de grande qualité, malgré les tournures
édifiantes inhérentes à ce type de publication.

Plusieurs articles parus dans « Le Courrier du Finistère » relatent la troménie (1904; 1926; 1939; 1941;
1942; 1943), tous sont anonymes, certains sont repris dans « La Semaine Religieuse du Diocèse de
Quimper et de Léon » (1894; 1896; 1939), hebdomadaire édité par l’évêché de Quimper. Le Courrier du
Finistère était un journal engagé dans la défense du catholicisme, ce qui vaudra des articles fustigeant le
maire socialiste de Landeleau, M. Le Bec (4 juin 1904 « M. le maire se distingue »). Les articles sont
courts par leur support de parution, hebdomadaire, ils comportent parfois des erreurs dues à la chaîne

43
Desroseaux Madeleine, La Bretagne inconnue, Plon, Paris, p 146-156.
44
Renseignement fournis par l’abbé Jean Premel, vicaire à Landeleau de 1946 à 1954.
45
Kerbiriou L., chanoine, Landeleau dans la Cornouaille des Monts, 1942, Quimper, Evêché.
46
Anonyme, « Sera-ce la dernière Troménie? », Le Courrier du Finistère, Landeleau, n°8114, 10 juin 1939, p 2-3. L’article est
coparue dans le Courrier et dans la Semaine Religieuse du Diocèse de Quimper et de Léon, le 9 juin 1939, mais Kerbiriou
cite le titre inquiet du Courrier du Finistère dans sa monographie.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
graphique. Néanmoins, ils offrent quelques informations entre les lignes, présence de fanfare,
composition, nombre de troménistes, descriptions physiques…

Nos derniers ethnographes, Marie-Haude Arzur et Yves Labbé ont publié dans la revue Armen n°85
leur récit de la troménie de 1996. Leur article brosse l’ensemble des connaissances et traditions
conservées à Landeleau. Mais la courte durée impartie par leur travail les a empêchés d’approfondir leur
recherche. Leur article m’a permis de noter certaines évolutions au sein du déroulement processionnel
ou des récits. A cinq ans de distance les récits changent, les mémoires s’effacent un petit peu plus.

A ce florilège d’auteurs continentaux, nous devons rajouter un auteur gallois, Rhobert ap Steffan. Il
participe à la troménie de 1999 et publie une série d’articles sur le sujet pour Cambria the National
Magazine for Wales, printemps 2000, p 42-45, Y Lloffwr, mehefin 2000, p 14-15, Camarthen Journal,9 mai
2001, p 36-37. Il s’adresse à un public gallois en recherche de connaissance sur l’épopée des
évangélisateurs gallois de l’église celtique primitive. Sur le sujet de saint Telo, c’est la ville de Landeleau
et sa troménie qui sont les plus populaires en Cambrie. Un film réalisé pour la télévision galloise a
tourné quelques scènes à Landeleau.

Cette rétrospective bibliographique sur la Troménie est délicate de par l’implication de ses auteurs,
comme l’exprime la locution « on ne trouve que ce que l’on cherche », on assiste néanmoins à une
évolution tant dans la longueur des textes que dans leur qualité descriptive. Néanmoins le processionnel
« archaïsant » de la troménie sert de support aux projections personnelles des auteurs, auxquelles peu
échappent. Le rejet de la ruralité pour Brousmiche, le pittoresque romantique pour A. Le Braz,
l’édification pour les clercs, le paganisme asiatique pour M. Desroseaux , le tour dans le sens du soleil
pour nos contemporains.

Je soulève cette remarque pour éclairer ce qui me semble une appropriation récente des travaux de M.
Donatien Laurent. Depuis la publication d’articles sur la troménie de Locronan j’entends régulièrement
dans les troménies cette notion « on tourne dans le sens du soleil » avancée par de nombreux
informateurs. Si cette constatation est physiquement juste, son origine est toute récente et son auteur
ignoré47. On assiste à une récupération populaire de travaux ethnologiques qui sert à une interprétation
moderne d’un rituel populaire ancien. On jette aux orties les explications « édifiantes » transmises par
nos parents dévots pour de nouvelles, plus en accord avec notre pensée moderne, mais peu nombreux
sont ceux qui peuvent expliquer le sens de leur affirmation et encore moins son origine.
47
Mme Claire Arlaux me faisait remarquer que l’explication de tourner dans le sens du soleil trois fois autour d’une chapelle
est citée depuis une dizaine d’années par de nombreux auteurs, ces derniers se référant aux sens de circulation solaire des
rituels antiques. Plusieurs références écrites et vidéo infirment la constance des trois tours de chapelles, c’est assez variable.
Pour ce cas des trois tours de l’édifice les explications édifiantes disparaissent (par pudeur ?) « faire trois fois le tour ça
permet de faire trois prières » « C’est une tradition, on a toujours fait comme ça » etc.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

ÉVOLUTIONS P H Y S I Q U E S D U PA R C O U R S

« Le chemin de la troménie est toujours resté le même, il n’a pas changé » cette affirmation fait
l’unanimité chez les troménistes de l’après-guerre, mais nous avons remarqué précédemment plusieurs
entorses dans les croyances collectives. Analysons en détail les variations relevées pour vérifier cette
croyance locale.

L’ancien cimetière et l’allée du parking :


Le départ de la troménie s’effectue dans l’allée occidentale du parking de l’église paroissiale. Le parking
a été construit en 1963 dans le cadre du réaménagement du cimetière entourant l’église. Les troménistes
étaient priés de se trouver hors du cimetière, et d’attendre la sortie de la procession de l’église
paroissiale. Comme nous pouvons le constater sur des prises de vues 8 mm datées de 1948, réalisées
par M. Jean Cam48.

La rue de « Saint Thélo » :


La procession, au lieu de prendre directement la rue nationale qui monte vers Ménez Lannac’h,
bifurque sur la gauche pour attraper la fin de la rue de « Saint Thélo », qui débouche cinquante mètres
plus haut sur la rue nationale. Je n’ai pu dater le baptême de la rue49, il semble que ce besoin symbolique
de faire un détour par la rue de « Saint Thélo » soit une marque de respect au saint patron de la
paroisse. Il est fort probable que cet usage fasse suite à la dénomination éponyme de la rue. Il est à
noter que le retour de la troménie ne prend pas la peine de reprendre la section de la rue de « Saint
Thélo » prise à l’aller.

Les Trois-croix :
Il ne subsiste de l’ancienne clairière des Trois-croix qu’un jardin privé, agrémenté d’un calvaire construit
en 1943 et déplacé une dizaine d’années plus tard. La toponymie de ce site ne s’explique plus
aujourd’hui, bien qu’on y ait trouvé, juste sous la surface, une stèle de l’âge du fer d’une hauteur de 2 m.
Le dessin du cadastre napoléonien fait apparaître trois monuments oblongs dans une clairière
quadrangulaire, alignés à l’est de la route orientée nord/sud, séparatrice de l’espace. Ce qui nous amène
à penser que le site des Trois-croix possédait trois stèles alignées le long de la route, soit suivant un axe
nord-sud, l’ensemble se présentant au centre d’une clairière en forme de quadrilatère.

48
Je remercie vivement la veuve de M. Jean Cam d’avoir eu l’obligeance de me permettre de consulter leur fond
iconographique sur Landeleau.
49
Mme Arlaux me citait la révision de tous les noms de rue et la création de nouveaux par l’ancienne municipalité il y a une
dizaine d’années. Si on se réfère à une série de photos datées de 1953, la troménie débouche sur la rue nationale par la rue
Saint-Thélo, cette date au moins de plus de cinquante ans.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Les chapelles disparues :
La chapelle de Notre Dame de Bonne Nouvelle au Lannac’h ainsi que la chapelle de Saint-Roch à
Moulin neuf ont disparu avant guerre. Un petit oratoire marque la station au Lannac’h, rien pour la
station de Moulin neuf. Au début du siècle, l’ensemble des troménistes passaient sous les reliques
disposées au-dessus de la porte ouest des chapelles, et ressortaient des chapelles par la porte sud. Ce
petit circuit a disparu, si des voisins passent sous les reliques au Lannac’h, personne n’interpelle les
porteurs du reliquaire à Moulin neuf.

Le chemin de Goz lenn :


Ce chemin creux a été épargné par les bulldozers. La route a été refaite en surplomb de cette zone
humide tout au long de l’année. Les plus vieux se souviennent de ce passage difficile, une année, le
porteur de la croix des mariés s’était pris les pieds dans la boue et était tombé de tout son long. Les
usagers de ce chemin devaient souvent monter sur le talus puis longer le champ pour rejoindre sans
encombre le carrefour en contrebas de Châteaugall. Sur une initiative communale et grâce à une
intervention multiple le chemin a été dégagé de ses carcasses de voitures, d’arbres renversés, puis
stabilisé à l’aide de remblais caillouteux. Tous les troménistes ont pu en 2002 suivre cette ancienne
section et apprécier les restaurations de la fontaine et de son abreuvoir. Lors de mon enquête
informative précédant la troménie de 2001, seuls les proches voisins se souvenaient de cette section
abandonnée, ce chemin impraticable autrefois s’était effacé des mémoires en une cinquantaine
d’années50.

Le chemin sud-ouest de Châteaugall :


Ce petit chemin a failli subir le même oubli que celui de Goz lenn, une route goudronnée a été construite
au-dessus de ce chemin bordé d’arbres. Lors de la première troménie du recteur actuel51, les anciens
insistaient pour passer par ce petit chemin. Aujourd’hui les troménistes n’hésitent pas un instant à
s’engager dans cette section discrète. Sur le cadastre napoléonien ce chemin est représenté large d’une
dizaine de mètres, correspondant à l’allée Occidentale de Châteaugall. La réouverture récente de ce
chemin est le signe d’une réappropriation physique du parcours de la troménie par ses héritiers.

Châteaugall :
Il ne reste de l’ancien château qu’un joli bâtiment, récemment rénové, et un ensemble de dépendances.
Dans un aveu de 1751, la Fabrique de Landeleau déclare que, lors de la procession des reliques, après la
50
L’abbé Pierre Mahé me cite que le chemin semble avoir été emprunté la dernière fois en 1960, année ou Mgr Favé présida
la troménie.
51
Ce dernier, suite à une enquête orale pense que la section n’a jamais été abandonné « On m’a toujours dit que le fourgon
empruntait la voie parallèle aux pèlerins.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 33


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
messe chantée à Saint-Laurent, on doit « conduire les saintes reliques à la chapelle étant au seigneur de
Châteaugal, et en icelle le Recteur prêche et chante les vêpres, et à l’issue, au choix du seigneur de
Châteaugal, celui-ci doit leur délivrer les dites reliques, ou les garder jusqu’au lendemain52 ». Les
chanoines Abgrall et Peyron pensent qu’il s’agit de la chapelle Saint-Roch, mais nous pensons avec M.
Puillandre que cet aveu cite la chapelle Saint-Jean du château de Châteaugall. A la Révolution,
l’ensemble de la propriété est racheté aux titres des biens nationaux par Calohars de Carhaix.
Brousmiche de passage à Landeleau entre 1829 et 1831 observe que Châteaugall est laissé à l’abandon
« Il ne reste debout que quelques pans de murailles de l’ancienne demeure des Châteaugall; ils sont
couverts de lierres 53 ». Quelques informateurs m’ont cité une tradition orale relatant l’arrêt des reliques
dans la grange de Châteaugall sur le chemin du retour. La troménie passe devant Châteaugall, à l’aller
comme au retour, mais ne s’y rend ni ne s’y arrête plus.

La route de Kerbellec :
Kerbellec est cité par Ogée comme appartenant en 1500 à Jehan du Chastel, seigneur de Châteaugall.
Le toponyme évoque une fonction résidentielle pour un servant ecclésiastique, lié au château voisin de
par sa proximité. La route actuelle correspond à la route ancienne visible sur les vieux cadastres,
cependant de par son mauvais état au milieu de ce siècle, un chemin parallèle du côté droit de cette
route a été utilisé quotidiennement pendant plusieurs dizaines d’années, et ce aussi pour le parcours de
la troménie. Ici aussi, seuls les voisins ont pu m’informer de cet ancien état des lieux.

La route de Montagne Vraz :


La route de la ferme de Kergoat jusqu’au village du Pénity a totalement disparu, le nouveau tracé
contourne plus largement Montagne Vraz. Bien qu’il n’y ait pas eu de remembrement à Landeleau,
l’industrialisation agricole s’est chargée de l’agrandissement des parcelles cultivables, de l’arasement des
talus et des chemins communaux. Ce constat semble actuellement s’inverser, la municipalité essayant de
reconquérir son réseau vicinal.

Seule la troménie se réapproprie durant la période de la Pentecôte l’antique chemin, une ouverture de
champ indiquant l’accès. En 2001, la tête de la troménie s’est engagée dans un deuxième accès du
champ, s’éloignant d’une cinquantaine de mètres de l’entrée traditionnelle. Ce fait n’a pas échappé au
recteur, qui aux troménies suivantes s’est placé aux avants-postes pour orienter la procession sur le
parcours traditionnel.

La voie traverse un large champ, et rejoint la section finale de l’ancienne route au sommet d’une
parcelle d’ajoncs. Cette section d’une cinquantaine de mètres est barrée par la nouvelle route orientale
52
Cité par les chanoines Peyron et Abgrall, Landeleau - Notices sur les paroisses du diocèse de Quimper et de Léon, BDHA,
16e année, p 296.
53
Brousmiche, Ibid., p 187.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 34


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
de Montagne Vraz, puis de nouveau barrée par une parcelle construite. Personne ne remarque cette fin
de chemin tronquée, car nous retrouvons dix mètres plus bas la route goudronnée du Pénity.

L’entrée du Pénity-Saint-Laurent :
L’ancien enclos de la chapelle du Pénity a disparu sous les constructions résidentielles et de la nouvelle
école, survenues après guerre. Plusieurs nivellements ont changé la physionomie du lieu. Autrefois le
reliquaire s’arrêtait par deux fois, à l’entrée de l’enclos puis au porche occidental de la chapelle pour
permettre aux voisins et aux troménistes de passer sous les reliques. Aujourd’hui seules quelques vieilles
personnes du village, postées à l’entrée du placître de la chapelle, attendent de passer sous le reliquaire.
Cette entrée est celle qui a suivi le remodelage du site après les nivellements, et ne correspond pas
précisément à l’ancien accès, qui lui a disparu des mémoires.

Autrefois, au départ du Pénity, la procession passait devant la fontaine, la route actuelle surplombe la
fontaine et personne ne songe à faire un détour. La fontaine est alimentée par l’eau de ruissellement et,
depuis la modernisation de la forge du village après guerre, l’eau est devenue impropre à la
consommation par les rejets pétroliers. La croix de granit tronquée plantée dans le talus routier au sud
de la chapelle était située précédemment à l’entrée du placître. Le père Castel Y.P.54 la date du Moyen
Age.

Le passage de la procession devant la fontaine me rappelle celui de la troménie de Gouesnou en 2001.


Au retour de la procession à l’église paroissiale, les enseignes ont fait un détour d’une cinquantaine de
mètres pour passer devant la fontaine monumentale en contrebas de l’église de Gouesnou, ce qui a été
peu suivi par les troménistes.

La bretelle routière dePontigou :


Cette section routière est devenue depuis le réalignement de la route, une bretelle discrète. Lors de sa
première troménie, le recteur actuel Pierre Mahé, marchant en tête, s’est fait héler par ses condisciples
pour prendre la bretelle, vestige du tracé traditionnel du parcours.

LIEUX ET MONUMENTS ASSOCIÉS À TELO


Je viens d’évoquer les évolutions physiques du parcours relevées depuis les deux derniers siècles, et
celles-ci nous amènent à évoquer les lieux et monuments remarquables associés à saint Telo, qui
étrangement sont absents du parcours processionnel.

54
Castel Yves-Pascal, Atlas des croix et calvaires du Finistère, Société Archéologique du Finistère, 1980, Quimper, p 131.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Ti sant Telo :
Le monument sans conteste le plus mythique, la tradition populaire le considère comme la première
maison de saint Telo. Dans la nouvelle édition du dictionnaire d’Ogée, A. De Cillart55 fait en 1843 la
plus ancienne description du mégalithe :

Entre le Huelgoat et Landeleau, à environ 3 kilomètres de ce dernier bourg, est un dolmen bien conservé. La
table, de forme presque circulaire, est fort épaisse, et peut avoir de 3 m. a 3 m. 50 c. De diamètre. Quatre
pierres la supportent à 1 m. au-dessus du sol; l’on pénètre sous ce dolmen, et les enfants s’y réfugient pendant
les orages. Ce monument druidique qui n’a point été indiqué jusqu’à ce jour, porte dans le pays le nom de
Maison de saint Théleau (Ti-san-Thélau) [sic], et la lande dans laquelle il se trouve porte le nom de Men-Glass
[sic].

Anatole Le Braz de passage à Landeleau vers 1892 passe visiter le dolmen :

La table du dolmen repose sur le terrain même, la lande étant en pente, exposée nord-sud, et sur deux pierres
debout, l’une, celle de gauche, large, l’autre plus mince et qui semble avoir dévié sur place; le tout est en
schiste. On y descend comme en un trou.

Mme Françoise Hourmant, son informatrice lui narre le récit suivant :

Saint Théleau, quand il vint au pays, avait d’abord l’intention de bâtir sa maison sur le Ménez-Glaz, en
Landeleau, près de Lan-al-Loc’h. Il y avait mis des pierres debout, des pierres énormes. (J’ai été dessous me
dislawer, me mettre à l’abri de la pluie). On disait qu’il y avait là des trésors et on est allé en chercher, et cela a
abattu la maison. Sur les pierres debout il y avait une pierre plate qui servait de toit, et sur cette pierre il y avait
des marques de mains, des mains de saint Théleau, des mains énormes, larges, pattues. Il voulut bâtir son
église là. Il avait là son ermitage, mais ne pouvait ni prier ni dormir tant les grenouilles de Poull-al-Loc’h
faisaient de bruit. Il dut aller plus loin.

Les traces de mains citées par l’informatrice correspondent à une série de cupules en arc de cercle. M.
Louis Blanchard du bourg, m’informait qu’écolier, suite à une présentation de la préhistoire en classe, le
fils de l’instituteur aurait fouillé et trouvé une hache de pierre polie sous le dolmen56.

Le dolmen suscite bien des interrogations chez mes informateurs. Le recteur, M. Pierre Mahé
s’interroge sur la distance d’environ 200 mètres du chemin de la troménie du dolmen, point fondateur
mythique de la paroisse. Il induit que le tracé primitif devait passer près du dolmen; cette induction
n’est pas partagée par mes autres informateurs. Les habitants du village de Lan al Loc’h, considèrent que
le bourg de la paroisse aurait dû être le village de Leign ar Ménez, centre géographique et croisement
55
Ogée, « Landeleau », Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, 1ère éd. 1780, nouvelle édition
revue par Marteville et Varin, T 1, Molliex, Rennes, 1843, p 431-432.
56
Mme Claire Arlaux me signale la découverte d’autres haches de pierres trouvées à proximité par M. Joseph Le Bec
cultivateur et répertoriées par M. Le Goffic du service régional d’archéologie.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
des axes routiers de la paroisse. Dans cette affirmation ils n’indiquent pas si le bourg primitif se trouvait
à Leign ar Ménez. L'abbé Jean Premel vicaire à Landeleau entre 1946 et 1954 organisait ses activités
Jacistes (de J.A.C. Jeunesse Agricole Chrétienne) à Leign ar Ménez, où se trouvait à l'époque deux
bistrots et une boulangerie, pour lui comme pour beaucoup de résidents c'était plus un centre plus
important que le bourg.

Une informatrice de Lan al Loc’h me confirma la présence d’avant les travaux de drainage, de rainettes
« Mon mari avait construit sa forge ici; le tintement du marteau sur l’enclume les a fait fuir (les rainettes,
NDR)».

L'enquête orale effectuée par M. Armand Puillandre et Mme C. Arlaux auprès des anciens propriétaires
nous permet de déduire que le dolmen actuel est la chambre finale d’un dolmen à couloir, qui
comportait une couverture schisteuse en chevrons et un dallage de pierres verticales. Le dolmen se
trouvait près d’un talus dans une petite parcelle, et aujourd’hui au milieu d’une grande culture.
L’archéologue J. Briard57 date le dolmen de l'âge du Bronze.

Le plus étrange, dans cette association étonnante du dolmen et des origines de la paroisse, est
l’insistance avec laquelle les habitants de souche appuient cette tradition mythique. Il est fort possible
que cette forte association, révèle un « signifié de puissance » qui échappe à notre rationalité. Une amie
me suggérait l’hypothèse suivante pour tenter de résoudre cette énigme symbolique : les croassements
des grenouilles symboliseraient les résistances païennes de la population locale à l’établissement des
chrétiens bretons accompagnant saint Telo. Obligeant ce dernier à s’établir plus au sud, loin du dolmen,
centre cultuel originel du territoire.

Gwele sant Telo :


Le second monument associé à saint Telo est un bloc d’architrave provenant d’un sanctuaire romain
local, réutilisé postérieurement comme sarcophage58. Ce monument est appelé localement Gwele sant
Telo, littéralement ‘lit de saint Telo’, il lui aurait servi de couche. Il se trouve actuellement au pied du
porche occidental de l’église, avant 1886, il se trouvait dans un oratoire, désigné comme l’ermitage de saint
Telo59.

57
J. Briard, J. Peuziat, A. Puillandre, Y. Onnée, « Une nécropole et un camp de l’âge du fer à Landeleau (Finistère), Fouilles
en 1980 », BSAF, 1986, p 27-53.
58
Collectif, La pierre de construction en Armorique Romaine, l’exemple de Carhaix, Cahiers de Bretagne Occidentale n° 17,
CRBC, Brest, 1997, cité par JY Eveillard p 82-84 et Louis Chauris p 41.
59
Chanoine Abgrall, Landeleau, 3e partie, BSAF, T XXVI, 1899, Quimper, p 3-14.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Nous devons la plus ancienne mention du monument au témoignage d’un compagnon de saint Yves
Hélory, relaté par deux amis à son procès de canonisation60:

De Maurice du Mont autrefois mon valet écuyer d’armes lettré et qui est mort, j’ai appris que lorsque les
pèlerins que j’ai cités revenaient de leur pèlerinage à Saint Renan et qu’ils se trouvaient dans un village nommé
Landeleau, dom Yves et le seigneur Maurice entrèrent dans une chambre pour se coucher. Dom Yves était
donc dans cette chambre quand Maurice se mit au lit. Maurice s’endormit. Il croyait que dom Yves se trouvait
dans la chambre et dormait aussi. Or Maurice entendit une voix qui disait : « Le bienheureux est étendu sur
une pierre ». Tiré de son sommeil, Maurice surgit de son lit, mais il ne put trouver dom Yves dans la chambre.
Il se rendit tout de suite au cimetière de ce village et trouva Yves qui dormait; il avait pris place dans la pierre
creuse où saint Telo avait fait pénitence durant sa vie61.

J’ai entendu dire un jour à Maurice du Mont, serviteur « lettré » décédé, que se trouvant avec dom Yves dans
une chambre d’une bourgade appelée Landeleau, lui, le serviteur, dormait dans sont lit et croyait que dom
Yves y dormait aussi. Par trois fois il entendit une voix : « Lève-toi disait-elle, car le bienheureux est couché
dans une pierre ». A ces mots, tiré de son sommeil, le serviteur chercha à tâtons près de lui; il ne put trouver
dom Yves. Vite il se leva, et le hasard fit qu’il arriva auprès de la pierre creuse ou saint Telo avait fait pénitence
durant sa vie. Il y trouva dom Yves en train de dormir62.

Si on en croit le témoignage de Maurice du Mont, la pierre était sujette à vénération, ce que le chanoine
Peyron réitère en 189663 « La pierre dont il vient d’être parlé est toujours l’objet de la vénération ».
Aucune vertu n’est aujourd’hui donnée au bloc de pierre, il ne suscite plus d’intérêt de la part de la
population ou du clergé; après guerre le recteur y a placé au-dessus un panonceau indicateur,
aujourd’hui disparu. M. Armand Puillandre me citait une réinterprétation des trous de scellements du
sarcophage par les anciens du bourg; ils devenaient les empreintes des pattes du cerf de saint Telo
montant la garde lors du repos de son maître.

Jacques Cambry64 lors de son passage à Landeleau en 1794 -95 mentionne la présence du bloc dans une
petite chapelle :

sans parquet, sans armoire, sans autre ouverture qu’une fenêtre d’un pied de haut sur huit pouces de large.
Une tombe de granit lui sert de table; les papiers sont posés par un trou sous l’autel, où l’on voit le matelas de
pierre où saint Telo se reposoit, quand, monté sur un cerf, il avoit achevé de parcourir la paroisse qu’il
protégoit.

60
A. de la Borderie, Abbé J. Daniel, R.P. Perquis et D. Tempier, Monuments originaux de l’histoire de saint Yves, Saint-
Brieuc, imprimerie éd. L. Prud’Homme, 1887.
61
Traduction Jean-Paul Le Guillou, « Témoin 4 », Saint Yves ceux qui l’ont connus témoignent, ceux qu’il a guéris racontent.
Enquête de canonisation, imprimerie Henry, Pédernec, 1989, p 21.
62
Ibid., « Témoin 16 », p 34.
63
Peyron ? Chanoine, « Saint Théleau », La Semaine Religieuse du diocèse de Quimper et de Léon, Quimper, 1896, n° 5, p
77.
64
Jacques Cambry, Ibid., p 145-146.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Il est intéressant de constater la disparition du motif associant le lit à la fin du parcours du saint, et de
son évolution relevée par M. Puillandre.

L’association de pierre naturelle à un saint est très fréquente dans le paysage français, plus près de nous,
nous avons le lit de pierre de saint Edern à Lannédern65, le lit de saint Gouesnou à Gouesnou66. Il existe
dans la commune de Guengat le siège de saint Telo, une large pierre creusée par l’érosion; la tradition orale
attribue sa formation au saut qu’aurait effectué saint Telo de sa chapelle en Plogonnec jusqu’à cette
pierre. Un chroniqueur du BSAF la cite comme ayant des vertus contre les fièvres, les derniers
propriétaires de la ferme de Guénorvan ne lui connaissent aucune vertu, en dehors du plaisir d’y
prendre place67.

Les champs de saint Telo :


Saint Telo possède le privilège de voir son nom associé, en plus des deux monuments extraordinaires
précédemment cités, à des parcelles cultivées disséminées dans la paroisse (conf. cartes), à Spézet pour
une parcelle et à Cléden Poher pour une fontaine. Ces parcelles nous sont connues par leurs toponymes
relevés dans les matrices cadastrales de 1838 : Parc sant Elau, Goarem sant Elau, Veen sant Elau, adjoints
des adjectifs bras (grand), bihan (petit) ou nevez (nouveau). La graphie ‘Elau’ est due au géomètre délégué
à la transcription des matrices cadastrales, elle ne peut-être une référence pour notre étude; sa
retranscription phonétique du breton est très mauvaise et de ce fait de nombreux toponymes sont
actuellement incompréhensibles.

Le toponyme Veen sant Elau est le plus connu de tous, il désigne la garenne où se trouve l’arbre de saint
Telo. C’est dans cette garenne que nous trouvons le plus grand nombre de parcelles associées au nom
du saint, soit neuf en tout. Les autres parcelles se trouvent disséminées fortuitement sur tout le
territoire paroissial.

Histoire :
Dans les matrices cadastrales de 1838, dix champs sont référencés sous le nom de Calohars de Carhaix,
quatre sous la fabrique de Landeleau et six autres sous différents noms. Cet état de fait nous induit à
penser que les champs étaient propriété de la fabrique de Landeleau avant la Révolution. Je n’ai
retrouvé qu’un seul document mentionnant une propriété de parcelle cultivable, associée au nom de
saint Telo, dans les archives de la fabrique conservées aux archives départementales68; comble

65
Le Braz Anatole, saint Edern - Les saints bretons d’après la tradition populaire, BASF, Quimper, p 404.
66
Sébillot P, cité par A Lautrou, Mythologie et folklore de Bretagne, Rennes, Terre de Brume, 1995, p 29.
67
Entretien du 20 mai 2002 avec M. et Mme Legrand, ex-propriétaire de la ferme de Guénorvan à Guengat.
68
Landeleau, « Inventaire de 1701 à 1731 , Liasse 101 G7 », Archives départementales du Finistère, Quimper.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
d’infortune, cette parcelle se trouve sur la paroisse de Spézet : « Parc saint Theleau à Kerprigen [...] 21
avril 1738 », liasse Landeleau 101 G769. Si notre hypothèse est juste, les champs seraient des dons de
paroissiens à la fabrique, qui dans un second temps les aurait mis en location sous le patronage du saint
éponyme et auraient été revendues à la révolution, ce qui explique le monopole de Calohars de Carhaix.

Un document de la liasse 101 G7 référencé sous le titre « Inventaire 1701 à 1731 », nous mentionne un
champ de la garenne de l’arbre de saint Telo, parc St Elloy, et des obligations du seigneur de Tizé envers
la fabrique de Landeleau en 1730, se référençant à un usage ancien des seigneurs de Châteaugall daté de
1607 :

Déclaration fournie par le Seigneur Comte de Tizé à la fabrique de Landeleau le 10e juillet 1730 par laquelle
outre la contribution à la rente [drar sur] le convenant Collidiener. Il reconnoit devoir 15 L Tournois à chaque
lundi de la pentecoste à l’arbre de St Elloy dans l’allée de Chateaugal avec la disme a la [saizie] (seizième)
gerbe des blés qui se semeront [daunez] parc nommé parc St Elloy joignant le d. arbre de la d. rabine outre la
disme rectorialle. Et ce en conformité de l’extrait des aveux fournis au Roy par les [preuve] Seigneur de
Chateaugal les 11 juin 1607, le [19 7bre] (19 septembre) 1671, souscrit le 11e juillet 1730 par le dit Seigneur de
Tizé.

Cette dernière archive argumente notre idée de rente au nom de la fabrique, mais sans autres
documents nous ne pouvons dire si la fabrique possédait et louait toutes les parcelles éponymes et
comment cette acquisition se déroulait.

Les fontaines de saint Telo :


Dernier élément de notre dossier, les fontaines de saint Telo sont étonnament inexistantes à Landeleau,
d’après les recherches de l’abbé Pierre Mahé la fontaine du cimetière se serait appelée « fontaine Saint-
Maudez »70, la fontaine voisine se dénomme « fontaine lap », toponyme mystérieux pour mes
informateurs bretonnants. La seule fontaine éponyme se trouve au village de Trémillo, en face de
Châteaugall, dans la commune de Cléden Poher. Encore que cette dernière ne m’ait été citée que par M.
Pierre Louis Balpe, 82 ans, ancien cantonnier de la commune : « Quand saint Telo était dans l’arbre, il a
jeté son bâton par-dessus l’Aulne (la rivière NDR), qui est tombé à Trémillo et ça a fait jaillir la
fontaine71 ». Malgré nos recherches avec M. et Mme Arlaux nous n’avons pas encore retrouvé la
fontaine de Trémillo72.

69
J’ai trouvé une note manuscrite faisant référence à un second champ en Keramprès en Plonévez-du-Faou « Parcou sant
heleau », mais je n’ai pas pu vérifier sa correspondance sur le cadastre napoléonien.
70
Ce qui se comprend quand on connaît les pratiques thérapeutiques à base de boue associées à saint Maudez.
71
Entretien avec M. Pierre Louis Balpe du 10 juillet 2001. Je remercie Mme Claire Arlaux qui m’a présenté à M. PL Balpe.
72
Pourtant la fontaine est bien connue par la fille (aujourd’hui octogénaire) de l’ancien meunier de Moulin neuf, sa famille
était propriétaire des champs vis-à-vis du moulin, elle traversait l’Aulne pour aller chercher de l’eau. D’après ses indications
la fontaine se trouverait en face de la station dépuration.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 40


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Cette absence de fontaine éponyme est étonnante en Bretagne, d’autant plus que le nom de saint Telo
est associé à de nombreuses sources en Cambrie. En 1898 la Cambrian Archaelogical Society visite les
ruines de l’église de Llandeilo dans le Pembrokeshire; elle nous rapporte l’usage de la famille Melchior de
donner à boire, à une source dans un champ adjacent, à l’aide de la calotte crânienne de saint Telo, cette
pratique ayant des effets magico-thérapeutiques73. La relique après une disparition rocambolesque est
revenue à son lieu d’origine, la cathédrale de Llan Dâv.

73
Bailey Anthony, The Legend of Saint Teilo’s Skull, Llangolman, Preseli Heritage Publications, 1996, p 7-8.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

2 - LES 4 S TAT I O N S

Afin de faciliter l’étude et la présentation de cette partie, je fais précéder l’étude de chaque station par le
récit de la troménie vécue au début du siècle par les chanoines Abgrall et Peyron.

a - Notre Dame du Lannac’h

La chapelle de Notre Dame du Lannac’h est un lieu et une station importante de la troménie. Le port
des reliques pour la troménie y était mis aux enchères le dimanche précédent, après les vêpres. La
procession s’y arrêtait et y déposait les statues et bannières qui étaient reprises au retour de la troménie.
Texte du chanoine Peyron publié en 1906 :

En arrivant à la chapelle, les deux porteurs des reliques les élèvent sur le brancard à bout de bras au-dessus de
la porte d’entrée, et toutes les personnes qui assistent à la procession passent dessous les reliques, essayant au
passage de toucher de la main les reliques ou du moins les franges du brancard qui les supporte. Si vous
suivez jamais la procession, n’oubliez pas qu’il y a quatre à cinq marches pour descendre dans la chapelle, et
que le torrent humain qui s’y précipite pourrait facilement donner le spectacle d’une cascade si on ne prenait
quelque précaution; la chapelle a heureusement une seconde porte par laquelle s’écoule la foule qui, après une
demi-heure de défilé, va se reformer pour recommencer une procession d’une allure un peu plus vive ;

Toponymie
Lannac’h est formé du préfixe lann traduisible par « la lande » ou par « le lieu sacré »; la présence de la
chapelle viendrait confirmer l’existence ancienne d’un lann ou « lieu sacré ». Lannac’h s’écrivait Lanlech
en 1638, le suffixe plus ancien lec’h « lieu, endroit » est issu du vieux breton Legh. Lannac’h ou plus
anciennement Lanlech serait traduisible par le lieu, l’endroit sacré.

Le nom du Lannac’h est assez peu courant pour que je mentionne ses rares homonymes, liés à l’histoire
de saint Telo. Il existe à Lanark, ville située à une trentaine de kilomètres au sud de Glasgow, une
fontaine dédiée à saint Telo (orthographié saint Teiling), ce qui a intrigué la société archéologique locale,
étonnée de trouver le culte d’un saint gallois si loin de la Cambrie.

W. Strange mentionne dans une recherche sur Llandeilo, l’aide apportée par les prières de Telo au roi
Idon dans l’église de Llanarth (Gwent) contre les envahisseurs Saxons74.

Strange William, reverend, « The Rise and Fall of a Saint's Community: Llandeilo Fawr 600-1200 », The Journal of Welsh Religious
74

History, en cours de publication.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Il existe aujourd’hui encore quelques Lanerc dans le sud de l’Ecosse, dont W.F.H. Nicolaisen ferait
remonter leur origine au peuplement breton primitif repoussé par l’invasion saxonne; Lanerc a pour
correspondance le gallois llanerch « espace clair, clairière », l’exemple le plus connu étant Lanark.

Nous voyons qu’à travers une apparente homonymie actuelle, leurs origines sont différentes.

Historique
L’inventaire des Monuments Historiques réalisé dans la commune de Landeleau répertorie la chapelle
comme « édifice disparu dont il ne subsiste pas de document photographique aux archives
départementales »; La construction du dernier édifice est datée du XVIe siècle, un écu sur une petite
fenêtre, dont le dessin donné par Le Guennec la situe au XVIe siècle, portait les armes des Du Chastel
et des Le Soaff de Kergoat.

Lors de la visite de Le Guennec, peu avant l’effondrement de son toit vers 1928, assortie de vols, voici
quel en était le mobilier :
 statue de saint Pierre portant une clé.
 statue de sainte Marie Madeleine.
 statue de saint Noenëc, un sabre à la main (1m de haut environ).
 statue de sainte Thérèse (0,50m de haut).
 un crucifix en bois de (0,20m de haut).
 quatre chandeliers.

J’ai pu retracer l’historique de la disparition de la chapelle dans les années trente. Le cahier des prônes
mentionne en 1930 « dimanche cette année pas de pardon au Lannac’h : dire pourquoi », à cette date le
toit commence à s’effondrer, le pardon est annulé mais on continue à venir y chanter les vêpres et à
mettre aux enchères le port des reliques « si le temps le permet ».

En 1937 le conseil municipal étudie la question de la vente des chapelles puis, en 1939 le maire autorise
le receveur municipal à percevoir le montant des ruines de la chapelle du Lannac’h75.

Cette même année 1939, les enchères des reliques ont lieu à l’église paroissiale.

75
« Session de novembre 1939 », Registre des procès verbaux des Réunions du Conseil Municipal de 1924 à 1945, commune
de Landeleau :
(Délibérations autorisant le receveur municipal a percevoir le montant de la chapelle de Lannac’h). Le maire soumet à
l’assemblée qu’il y aurait lieu de prendre une délibération autorisant le receveur municipal à percevoir le montant de la vente
des ruines de la chapelle de Lannac’h. Le conseil ouï les dires de monsieur le maire décide d’autoriser monsieur le receveur
municipal à encaisser le produit brut de cette vente.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Un article sur la troménie parue dans Le courrier du Finistère en 1942, évoque la disparition totale de la
chapelle à cette date76, « non loin de l’emplacement de l’ancienne chapelle du Lannac’h dont le champ et
les pierres furent vendus à très bas prix par l’ancienne municipalité ».

En 1958, une procession est prévue le mois du Rosaire pour porter à Lannac’h une nouvelle statue de
la Vierge.

En 1960 ont lieu des travaux d’aménagement de la statue de la sainte Vierge au Lannac’h, l’évêque
participe cette année là à la troménie et en profite pour bénir la statue.

Depuis cette date, le site n’a pas évolué dans sa forme physique, ni dans l’intérêt collectif. La
propriétaire actuelle du site a fait construire sa résidence principale au nord du placître, ce dernier étant
recouvert de gazon. Les murets d’enceinte n’ont pas bougé, les ifs vénérables cités par A. Le Braz ont
quant à eux disparu. Il n’est pas prévu de valorisation patrimoniale du site.

b – L’Arbre de saint Telo

Le chêne de saint Telo a toujours été appelé ainsi de mémoire de Landeleausien. La tradition orale
recueillie par A. Le Braz, en parle comme ayant servi de refuge à saint Telo contre les chiens lancés à
ses trousses par le seigneur de Châteaugall, alors qu’il délimitait, en pleine nuit monté sur un cerf, son
nouveau domaine accordé par le même seigneur.

Les plus vieilles mentions historiques sont contenues dans un cahier du presbytère, appelé « Tables des
archives de Landeleau », manuscrit par le recteur Clet Berriet :

Le 26 juin 1639. Mme de Mesle doit payer à l’arbre de St Thelo un sol par an le lundi de Pentecôte […] 1710,
reçu de M. le président du Gay, seigneur de Châteaugall, un sol de rente à l’arbre de St Thelo le lundi de
Pentecôte. 1730, 10 juillet, le comte de Tizé reconnaît devoir 15 deniers tournois, le lundi de la Pentecôte à
l’arbre de St Thelo, dans l’allée de Châteaugall avec la dîme à la 16e gerbe de blé qu’il sèmeront dans un champ
dit parc S. Elloy joignant le dit arbre et la rabine outre la dîme seigneuriale.

La situation géographique « dans l’allée de Châteaugall », semble une erreur, l’allée de Châteaugall connue
de tradition orale, était la voie qui partait de Châteaugall, jusqu’au Pénity en passant par La Montagne77,
l’arbre actuel est à l’opposé de cette voie.

76
Anonyme, « Landeleau », Courrier du Finistère n°3270, samedi 6 juin 1942, p3.
77
Information orale de M. Jean Madec du Pénity, né à la Montagne.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Le chêne est le point autour duquel l’on trouve neuf champs comportant le nom de saint Telo. Sa
datation est difficile, son âge irait entre 200 et 600 ans selon des approximations locales :

L'arbre a une circonférence de 4,20 m. Si l'on se réfère aux normes de croissance attribuées aux arbres soit 2,5
cm d'accroissement de la circonférence/an, cet arbre aurait 168 ans. En réalité je pense qu'il est plus âgé [aux
environs de trois cents ans]. Du reste les 2,5 cm sont une moyenne pour tous les arbres, certains grandissent
vite, d'autre comme le chêne plus lentement78.

Il est impossible, qu’il soit le chêne de la légende, mais plus sûrement son rejeton79, de l’avis de tous.
Les chanoines Abgrall et Peyron80 citent dans leur plaquette sur Landeleau, la présence d’une souche,
censée être l’arbre primitif :

Pendant que quelques dévots au risque de troubler le sermon, s’acharnent à arracher quelques morceaux
d’une vieille souche d’arbre, qu’ils prétendent bien devoir appartenir au tronc de l’arbre primitif et dont les
reliques servent à protéger les maisons de l’incendie.

A. Le Braz note de son informatrice81 :

Dernièrement encore, quand on faisait la procession des reliques, la procession s’arrêtait là, et on y faisait un
sermon. Le chêne s’appelait l’arbre de saint Theleau. Et les pèlerins enlevaient chaque fois un morceau de
l’arbre, en sorte que le chêne s’est dispersé ici. On disait que cela préservait du feu.

Jean Com, ancien employé communal, me confiait qu’il avait entendu de la part des anciens, qu’il y avait
toujours eu deux chênes, un pour remplacer l’autre; cette tradition expliquerait la présence d’un second
chêne à deux mètres de celui de saint Telo; mais personne n’a pu me situer l’éventuel emplacement du
chêne primitif.

Comme le cite l’article des chanoines, la pratique de l’arrachage de l’écorce du chêne lors du passage de
la troménie est une pratique ancienne; autrefois la fonction de protection contre le feu primait,
aujourd’hui on privilégiera la réussite aux examens, la protection personnelle. Certains arracheront le
morceau d’écorce dès leur arrivée au chêne, en dépit de l’allocution religieuse, même en présence de
l’évêque, comme me le confie Armand Puillandre: « L’évêque s’était fichu en boule quand il était là
(troménie 1993), car il avait l’air de dire, oui c’était plus de la religion, c’était de la superstition. Ça, y a
rien à faire, regarde tous les gars se précipitent, ça a toujours été comme ça ». Pendant la demi-heure

78
Informations transmisent par Mme Nadine Nicolas, Fédération Centre Bretagne Environnement, 3 rue du Général de
Gaulle à Huelgoat.
79
Son rejeton de la 2e ou 3e génération si il était déjà dans la force de l’âge au VIe siècle.
80
Abgrall & Peyron, chanoines, Ibid., p 10.
81
Ibid, p 83.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
que dure l’arrêt, l’écorçage continue, certains attendront le départ de la troménie pour faire leur
besogne.

Au départ de la procession je me précipite pour interroger quelques écorceurs; ma question « -Pourquoi


prenez-vous des écorces ? » jette un froid, flottement dans l’atmosphère, personne ne me répond, puis
quelqu’un prend la parole, « -Parce qu’on est breton, et parce que les Bretons aiment les Corses », tout
le monde rit, une femme me confie qu’elle en prend parce qu’elle se marie au mois d’août. Tous ceux
qui ‘consomment’ de l’écorce du chêne de saint Telo, insistent sur l’importance d’en prendre lors du
jour de la troménie, « Après ça vaut rien !».

Les morceaux d’écorce pieusement arrachés ont une durée de vie variant de une à plusieurs années,
cette durée étant conditionnée par l’exercice du pouvoir protecteur supposé de l’objet. On porte son
morceau dans sa poche, son porte-monnaie, sur son bureau, dans sa voiture... Cette pratique dépouille
le chêne d’un demi-mètre carré de son écorce. L’écorçage est effectué en surface, il n’atteint pas la
pulpe de l’arbre. Jean Madec m’a cité la prévoyance de M. Louis et de Marie-Jeanne Le Page, anciens
propriétaires de Kervoantec, qui préparaient un panier rempli de morceaux d’écorces récoltés sur les
chênes aux alentours, à l’attention des pèlerins; dans le souci de ne pas abîmer l’arbre de saint Telo.

Le chêne ne subit pas de protection ni d’attention particulière, en dehors de sa vénération pentecostale.


Il n’est pas classé, mais personne ne porte la main sur ce symbole sacré82. A. Le Braz83 a recueilli une
étrange histoire sur ce sujet : « On voulut abattre l’arbre, dans un temps ancien. Mais il en jaillit du sang
au premier coup de hache. Et on dut laisser le chêne mourir de vieillesse et s’effriter entre les doigts des
pèlerins ».

C’est l’arrêt le plus étrange de la troménie, on se demande de quelle époque il date. L’abbé Castel me
confiait qu’il ne connaissait pas de cas similaire au chêne de saint Telo en Basse Bretagne. L’histoire
religieuse nous rapporte de nombreux faits miraculeux liés aux arbres, plus près d’ici, la statue de N.D.
des Portes a été trouvée dans le creux d’un chêne à Saint Goazec, il existe des arbres dédiés à la Vierge
en Ille et Vilaine, ces derniers portant une statue dans leurs branches; mais un arbre vénéré, dont on
arrache un morceau d’écorce, une semaine dans l’année à l’occasion d’une procession, le cas est unique.

La légende nous dit que saint Telo s’y réfugia pour échapper aux chiens que le seigneur de Châteaugall
lâcha à ses trousses. M. Armand Puillandre voit dans le récit de la légende, l’arbre servir de refuge au
saint contre les gardes du seigneur (en breton le mot chien peut être employé pour désigner
péjorativement les valets d’un seigneur). Au Moyen Age, les églises et certains arbres pouvaient servir
82
Le recensement de l’arbre de saint Telo comme « arbre remarquable » a eu lieu en 2002.
83
Ibid, p. 83.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
de refuge (immunité divine) contre la justice. Cette hypothèse au demeurant très correcte s’insère mal
dans l’ensemble du récit de fondation.

La légende de saint Telo évoque la façon dont fut délimité le territoire concédé au saint, son étendue
dépend d’une prouesse que l’homme de Dieu réalise, affirmant ainsi, dès son installation dans le pays, la
supériorité des puissances dont il se réclame. Alors pourquoi le chêne garde t-il une importance si
grande aujourd’hui, que n’ont pas le dolmen ni le sarcophage, ces derniers sont-ils inexistants dans la
troménie ?

Il semble que le récit légendaire de saint Telo vienne valider la sacralité de l’arbre en l’associant aux
prouesses du saint homme. Ceci permettant au chêne sacré d’entrer sans outrage dans la nouvelle ère
chrétienne. A cet effet, il faut rappeler que le passage du paganisme druidique au christianisme, dans la
zone celtique s’est faite de manière syncrétique, sans qu’il y ait eu à déplorer le moindre martyr.
L’hypothèse d’une vénération ancestrale de l’arbre sacré de la communauté vient assez vite à l’esprit
lorsqu’on est un peu familiarisé avec les conceptions religieuses celtiques.

Le plus intéressant est l’adhésion des fervents dévots de la troménie à la sacralité, la force et la
puissance de l’arbre, ces derniers sont mêmes désolés d’assister à l’écorçage frénétique de pèlerins peu
soucieux du respect du chêne sacré. Deux catholiques pratiquantes me confiaient qu’elles prenaient un
morceau de branche tombé par terre, le lendemain de la troménie.

Le témoignage d’une vieille dame de Landeleau84 :

On a toujours pris des morceaux, et mon mari avait été très choqué une fois, puisqu’il faisait souvent la
troménie, il était très croyant... il y avait un recteur ici qui faisait la troménie, il s’est mis à se foutre des gens
qui prenaient des morceaux d’écorce, que c’était des superstitions. Alors il n’a pas aimé ça, ah non; C’est
spécial la troménie ici, on prend un morceau de chêne... pour être protégé par St Thélo.

Il arrive parfois que le pardonneur85, particulièrement inspiré, se laisse aller à des envolées lyriques :

J’avais bien préparé mon sermon, mais dans ce site splendide, devant ce grand chêne rappelant celui autour
duquel nos druides rassemblaient, il y a des millénaires, nos ancêtres pour l’assemblée de la prière, j’ai préféré
laisser parler mon cœur, exalter les traditions, fondement de notre vraie civilisation, de notre vrai bonheur.

84
Entretien du 28 juillet 2001 avec Marie Anne Corbel, bourg de Landeleau.
85
Elies G., chanoine, Les chemins de la troménie, Landeleau, juin 1972.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

c - Le Pénity St Laurent

Le site du Pénity-Saint-Laurent est occupé depuis, au moins, le mésolithique récent. Lors d’un
séminaire de terrain organisé par Pierre Gouletquer et Patricia Louédec en 1993, le site du Pénity a été
prospecté, des trapèzes ont été découverts, la proportion d’outils retrouvés sur le site est relativement
forte. Diverses études tracéologiques ont été menées sur ces outils. Elles révèlent que ces objets étaient
des armatures de flèches, disposées le long d’un fût en bois. Ces découvertes ont été réalisées sur les
parcelles C4/10-11, parc fulenn, de fubre, moucheron, le champ des moucherons (voire aussi étincelle, feu
follet), et C4/15-16-17 parc roudour, le champ du gué ou passage à gué.

La chapelle Saint-Laurent est datée du XVIe siècle, bâtie de granit et de schiste, de petites dimensions,
orientée, de plan rectangulaire à un vaisseau unique terminé par un chevet plat; mur-pignon occidental à
clocher ajouré sur les quatre faces et couvert d’un dôme à quatre pans; le rampant nord du pignon
ouest porte un escalier; accès par les faces ouest et sud; éclairage par une baie au chevet (réseau
composé de deux lancettes trilobées et d’un quadrilobe), et une petite fenêtre dans le mur sud; chœur
liturgique limité par une balustrade; deux autels de pierre, l’un adossé au mur est, l’autre adossé au mur
nord (table monolithe sur soubassement appareillé)86.

Au Moyen Age, le village du Pénity dépend de la seigneurie de Châteaugall, l’endroit est important car
situé sur le gué d’une voie antique. Le toponyme d’un champ, C3/19 parc ar heff, a conservé l’évocation
du paiement du droit de passage perçu « le champ du tronc de la quête ». Malheureusement nous
n’avons aucune archive qui puisse retracer l’histoire de cet important village.

Peu avant-guerre, le clocher menace de se désolidariser de l’ensemble, depuis un siècle déjà quatre
chapelles ont été rasées fautes de moyens financiers (N.D. du Lannac’h, Saint-Roch, Saint-Maudez,
Sainte-Barbe, la Trinité à Lanzignac). Les témoignages écrits, ainsi que les devis et les factures, évoquent
l’impulsion du recteur de l’époque, l’abbé Jaffrès et le projet de l’architecte Coignet de Morlaix. Les
témoignages oraux du lieu évoquent le dévouement de Pierre Cam du Pénity (1892-1961), son fils
Lucien se rappelle :

Il avait acheté du bois pour faire sa maison; il a tout donné pour refaire la chapelle. En tant que famille
nombreuse, il a eu droit à des subventions, la loi Loucheur. Il s’est fait aider par Jean Louarn, ils étaient tous
les deux couvreurs. Le clocher penchait beaucoup, Jean Marie Tarsiguel a refait la maçonnerie.

86
Anonyme, Inventaire des Monuments Historiques, « Commune de Landeleau ». Je remercie M. Armand Puillandre d'avoir
bien voulu me communiquer un exemplaire de l'Inventaire.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Plus récemment les statues de la chapelle ont elles aussi subi une restauration, qui s’est transformée en
un lifting coloré, désastreux sur le plan muséologique.

Un cimetière entourait l'édifice autrefois, il contenait en plus de la chapelle dédiée à saint Laurent un
oratoire dédié à sainte Barbe; détruit vers la fin du XIXe, ses fondations sont encore visibles.

Le chanoine Peyron la cite dans sa monographie de 1906 :

Après ce repos d’un petit quart d’heure, les pèlerins sont de nouveau en marche vers la troisième station, la
chapelle du Penity St Laurent, située sur une colline dominant les sources de l’Aulne dans un site ravissant; là
à dix heures la grand’messe est chantée, après laquelle, en plein air, le prédicateur fait un nouveau sermon
écouté religieusement par ces deux mille fidèles, après quoi un repos d’une heure et demie leur est accordé
pour prendre quelque réfection bien méritée après ce pieux exercice qui n’a pas duré beaucoup moins de cinq
heures. A une heure, les clairons appellent les pèlerins dispersés qui s’empressent de reprendre le parcours
traditionnel de la procession sans se laisser attarder par les difficultés de la route;

Le site de la chapelle a été remanié après-guerre, les abords ont été nivelés pour permettre la
construction d’une école juste au-dessus de la chapelle; des mauvaises langues disent que la municipalité
voulait enterrer la chapelle. Aujourd’hui la troménie s’y arrête pour sa plus longue halte, trois ou quatre
heures au début du siècle, avec le chant des petites vêpres avant de repartir. Le départ a lieu à 14h.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

d – La chapelle Saint-Roch à Moulin neuf

Saint-Roch est la quatrième station de la troménie, il ne subsiste aujourd’hui de la chapelle que quelques
blocs de pierres taillées, dispersés dans les hautes herbes, un jeune chêne pousse sur l’emplacement de
l’ancien autel. Reprenant le texte très complet du chanoine Peyron :

Après ces quelques moments de répit on repart, pour descendre ou monter par monts et par vaux jusqu’à ce
qu’on atteigne la quatrième station, la chapelle Saint-Roch, où l’on a le temps de se reposer un peu plus
longtemps, pendant que se renouvelle le passage de tous les pèlerins, sous les reliques, à l’entrée de la chapelle
de St Roch.

Lors de la troménie de 1939, un chroniqueur écrit87 :

Une rapide descente conduit à un ruisseau qui l’hiver doit se transformer en torrent et au-dessus duquel se
dressent les murs béants de l’ancienne chapelle Saint-Roch. Des fils de fer semblent en interdire l’accès, mais
la prescription jouerait sans la moindre protestation du propriétaire si l’on écoutait les quelques jeunes gens
désireux de monter jusque là. A quoi bon cependant détruire l’herbe d’un champ pour entrer dans un édifice
en ruines et sans toiture ? On se contente donc de réciter, en bas, les prières traditionnelles et la procession
reprend sa marche pour remonter jusqu’à Ménez Lannac’h.

Je n’ai trouvé aucune photo de la chapelle, par hasard je suis tombé sur un dessin original de Toscer, qui
de passage à Landeleau au début du siècle, relève le plan de la chapelle et son contenu88 :

Landeleau Chapelle St Roch


Excursion du 27 mai 1903 avec M. Jarno
1 ancienne statue de St Hervé, très archaïque, en pierre blanche grossièrement sculptée. Le saint porte un
large chapeau - blouse - manteau - besace - les bas tombent alissant (sic) les jambes nues - bâton de pèlerin -
le loup à droite - le petit Guiharan à gauche.
2 Vierge mère assise portant un Enfant Jésus mutilé, sur le bras gauche- couronnée - bandeau dans les
cheveux - écrase un serpent à figure et buste humain, tenant une pomme de la main gauche.
3 St François d’Assise Dans une niche
4 St Roc (sic) Idem
5 Vierge mère (N.D. de Cléden) Idem
6 St Roch Idem
Au chevet à l’extérieur dans de petites niches : St Roch et fragment (buste) d’un St Sébastien.

87
Anonyme, « Sera-ce la dernière Troménie ? », Landeleau, Le Courrier du Finistère, 10 juin 1939, p.2-3.
Toscer, « Landeleau chapelle Saint-Roch, excursion du 27 mai 1903 avec M. Jarno », dessin, Liasse Troménie de Landeleau,
88

Landévennec, Bibliothèque bretonne.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
L’inventaire des Monuments Historiques mentionne, vers 1925, le vol d’une petite statue de Saint-Roch
Au mois de novembre 1938, la mairie reçoit l’autorisation préfectorale de vendre la chapelle qui est en
ruines avec le terrain y attenant. Les témoignages oraux quant au sort de la chapelle sont plus imprécis,
M. Lucien Cam du Pénity me confiait que son père vers 1937-1938, devant le mauvais état de la toiture,
a ramené avec l’aide de M. Madec de La Montagne toutes les statues de la chapelle au Pénity.
Actuellement une statue de saint Roch serait en l’église paroissiale, deux Vierges mères et un saint
François d’Assise seraient au Pénity.

Le pardon de la chapelle Saint-Roch n’a pas de date précise, il peut se dérouler le quatrième dimanche
de l’Avent en 1864, soit fin décembre, soit le dixième dimanche après la Pentecôte en 1867, le
onzième dimanche en 1868, le quatorzième dimanche en 1869, ce qui correspond au mois d’août; le
pardon s’est arrêté avec la destruction de la chapelle. M. Lucien Cam89 se souvient encore de la troménie
de 1947, il avait alors 18 ans :

On mettait la statue de saint Roch, à Poul sant Roch (en contrebas de la chapelle), sur une table au bord de la
route; on disait des prières, puis des Paters et des « Je vous salue Marie », puis on chantait Gloria.

Récemment le site de l’ancienne chapelle Saint-Roch a bénéficié de la recherche d’une équipe


archéologique départementale dirigée par M. Ronan Perennec90. Le propriétaire du site avait l’intention
de niveler la butte où se trouvaient les fondations de la chapelle. Devant l’importance du site, il a été
décidé de procéder à des sondages archéologiques pour évaluer la valeur patrimoniale du lieu. Ces
sondages ont eu lieu à la fin du mois de mai 2002.

Le sondage a permis de redessiner la structure de la chapelle ainsi que de son enclos. Il apparaît que la
butte originelle a été nivelée à une époque inconnue pour permettre la construction ou la
reconstruction du dernier édifice. Ce dernier n’a laissé que peu de traces hormis ses fondations, M.
Perennec date avec réserve le dernier édifice du XVIe-XVIIe siècle. L’appellation de « cimetière de
Saint-Roch » donnée dans les matrices cadastrales de 1838 peut aussi bien provenir d’un terme
générique que du souvenir d’une réalité concrète, ce malgré l’absence d’inhumation observée.
Néanmoins le site n’est pas à négliger tant par son rôle dans la troménie que sa situation géographique
en surplomb d’un gué, il « offre toutes les garanties d’une occupation antérieure, mais dont on a
cependant peu de chance de retrouver la trace après les travaux d’époque moderne ».

Pour conclure cet aperçu des stations de la troménie je finis par le récit des chanoines :

89
Entretien du 5 juin 2001, M. Lucien Cam chez M. Jean Madec au Pénity-Saint-Laurent.
90
Perennec Ronan, La chapelle Saint-Roch en Landeleau (Finistère), site n° 29.102.011, DFS de sondage, CG du Finistère,
Service départemental d’archéologie, 2002.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
La procession se dirige ensuite vers Landeleau, mais à une demi-lieue du bourg on retrouve les enfants et les
jeunes filles avec les bannières et enseignes, et dès lors la procession s’avance à une allure plus modérée qui
permet aux chants de sortir des poitrines d’une manière plus mesurée et moins haletante, car durant tout le
parcours, à la sonnerie des clairons a succédé le chant du cantique breton composé par un ancien de la
paroisse, en l’honneur du saint patron. A l’arrivée au bourg ceux qui n’ont pu poursuivre la procession, se
rangent en curieux sur le bord de la route, et plusieurs, forçant la consigne, s’efforcent par surprise de passer
sous les reliques, pendant la marche, malgré la vigilance des deux porte-verges préposés à la garde des reliques
et à l’observance des règlements traditionnels; du reste, tous pourront sans tarder satisfaire leur dévotion, car
une fois encore à l’entrée du cimetière, toute la procession défilera sous les reliques, et après le chant des
vêpres et la bénédiction du saint sacrement, les reliques elles-mêmes seront données à baiser à tous les fidèles.
Il est plus de cinq heures quand se termine enfin cette longue cérémonie qui a commencé à sept heures du
matin.

3 - L’ H Y P O T H È S E D’UN MINIHI

Dans cette partie j’étudie l’hypothèse de la présence d’un minihi dans la paroisse de Landeleau et son
origine. Pour ce faire, nous commençons par voir ce que recouvre le terme ‘minihi’, puis nous allons
voir les cas de processions associées à certains minihis. Dans un second temps nous étudions le cas de
Landeleau, à travers son paysage toponymique puis dans un cadre historique plus global.

a - Les minihis bretons

Pour ce sujet je me réfère à l’étude de Melle Annaïg Lautrou « Les minihis » réalisée dans le cadre de son
TER de maîtrise sous la direction de M. J.C. Cassard en 2000-2001. Son étude synthétise les
nombreuses recherches effectuées précédemment sur le sujet. Par souci de simplification phonétique
j’adopterai l’orthographe « minihi » adoptée par Melle Annaïg Lautrou, et non celle de « minihy ».

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 52


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

DESCRIPTION
Etymologie :
L’étymologie couramment donnée pour le terme de troménie le fait remonter du breton tro-minihi
signifiant le tour du minihi, lui-même étant dérivé du latin monachia, désignant à l’origine l’ensemble des
biens du monastère, puis plus tard, le territoire appartenant au monastère91. Nous verrons plus loin les
relations entre les troménies et les minihis, et la particularité de celle de Landeleau, appelée tro ar relegou
ou tour des reliques.

Plus tardivement le terme de minihi va prendre un autre sens, celui de lieu d’asile, de refuge. En effet, les
minihis étaient des terres d'Église et bénéficiaient à ce titre d’exemptions, mais également du bénéfice de
l’immunité. Les minihis étaient protégés de la justice seigneuriale, de ses exactions, et correspondaient en
conséquence à de véritables asiles. Mais comme le précise Largillière : « Minihy n’a pas à l’origine ce
sens92 », mais cette aptitude à donner asile et refuge a supplanté le sens originel de la monachia, le
territoire monastique.

Le terme de minihi a également été utilisé en tant que nom commun, sans aucun lien avec un
quelconque nom de lieu, le mot étant alors utilisé dans le simple sens d’asile. Les minihis peuvent
recouvrir des étendues diverses, d’un petit espace séparant les deux croix de Locmaria-Plouzané à la
paroisse entière de Gouesnou ou de Locronan, voire le minihi de Saint Pol de Léon qui s’étendait sur
sept paroisses, ou celui de Tréguier qui s’étendait sur onze paroisses.

Les minihis étaient donc au Moyen Age, des territoires ecclésiastiques sous la protection de l'Église,
bénéficiant du droit d’asile et de nombreux privilèges, franchises et exceptions. L’acception religieuse
du terme est à nuancer, sur cinq minihis cités dans le cartulaire de Redon (924), trois sont laïcs. Les laïcs
se sont emparés de territoires ecclésiastiques, puis les ont vendus ou achetés à leur guise. Le plus
souvent le terme de minihi se réduit à un simple toponyme, désignant un domaine n’ayant aucune
attache religieuse et aucun privilège.

Origines :
Si aujourd’hui l’étymologie du mot est admise par tous, définir le ou les origines des minihis est
beaucoup plus difficile. Néanmoins on peut classer en trois grandes catégories les fondations de minihi:

91
Annaïg Lautrou, Les minihis, TER de maîtrise d'histoire, UBO, 2000-2001.
92
Larguillière R., cité par Lautrou A., « Les minihys », Mémoire de la Société d'Histoire et d'Archéologie Bretonne, t. VIII,
1927, p 183-216.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Selon les récits hagiographiques, les ermites bretons seraient les principaux fondateurs des minihis. Ces
créations sont subséquentes aux vagues d’émigrations bretonnes entre le IVe et le VIIe siècle, encadrées
par l’Eglise Celtique. Ce clergé chrétien primitif, principalement gallois puis irlandais, va prendre en
charge les communautés religieuses et organiser l’Eglise d’Armorique. Certains de ces saints bretons
tels que Goulven, Samson, Gouesnou, Tugdual, Pol ou Sané, fondèrent des ermitages ou des
monastères, ces lieux sacralisés par leur présence sont devenus pour quelques-uns des minihis.

Les saints bretons ne furent sûrement pas les seuls créateurs, de nombreux seigneurs furent à l’origine
de ces créations, et le Haut Moyen Age n’est pas la seule période de fondations des minihis. Le plus
souvent, les minihis semblent avoir été créés grâce à des donations de seigneurs, comme le laissent
apparaître les récits hagiographiques. Les seigneurs locaux jouèrent un rôle fondamental dans
l’accessibilité de terres à la création de minihis.

De nombreux minihis ont aussi été fondés à l’époque féodale, dans le cartulaire de Redon, on relève
trois mentions pour le IXe siècle et seulement deux dans les années mille. En 1453 le Pape Martin,
s’opposant au droit d’asile prôné par les évêques, suite aux demandes successives des ducs de Bretagne,
reconnaît en termes formels que les minihis sont des lieux profanes, auxquels on a étendu abusivement
la franchise que les conciles n’avaient souhaitée accorder qu’aux églises et aux monastères. Cette
opposition papale au XVe tendrait à prouver que les minihis se sont multipliés entre le XIIe et le XVe
siècle, époque des grands défrichements.

Les origines des minihis peuvent être donc attribuées à l’érémitisme breton du Haut Moyen Age, au don
de terres par les seigneurs à ce clergé breton primitif ou aux défrichements du Bas Moyen Age.

A ces catégories historiques il faut mentionner la réutilisation de sanctuaires pré-chrétiens, comme


tendrait à le prouver l’étude de la troménie de Locronan par M. Donatien Laurent93. La toponymie, les
légendes ainsi que les rituels associés au minihi de saint Ronan trahissent une sacralité préchrétienne de
l’espace, réutilisé de façon syncrétique par le catholicisme jusqu’à nos jours.

93
Laurent Donatien, « Le juste milieu », Tradition et histoire dans la culture populaire, Doc. d’Ethn. Rég. n°11, CARE, 1990,
p 255-292.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 54


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

TROMÉNIES ET MINIHIS

Pour cette seconde partie sur les troménies, je renvoie le lecteur aux travaux exhaustifs de M. Donatien
Laurent, qui renouvellent les études sur la matière; je ne présenterai donc ici qu’un survol du sujet.

Si comme le suppose M. Donatien Laurent, tous les minihis auraient eu leur troménie, le nombre de
troménies en activité est limité par rapport au nombre hypothétique de minihis relevés. La Bretagne
possède encore quatre troménies en activité, la troménie de Gouesnou, la troménie de Bourbriac, la
grande troménie de Locronan, et celle de Landeleau, je ne compte pas la troménie des petits saints de
Plouguerneau dont le déroulement est différent.

Nous avons abordé plus haut l’origine du mot troménie, altération du vieux breton tro-minihi, ayant le
sens de tour du minihi; quelle peut en être sa définition ? Le chanoine Peyron nous propose :

C’est pour fixer à jamais, mieux que sur parchemin authentique, les limites des terres franches appartenant au
saint ou à l’Église que furent instituées ces processions périodiques dans lesquelles on parcourait le plus
scrupuleusement possible les limites exactes de l’asile ou du Minihy94.

En effet nous trouvons de nombreuses allusions aux délimitations de territoire, dans les vies de saints,
soit « la légende évoque la façon dont fut délimité le territoire concédé au saint95 » où il est fait mention
« d’un tour que le saint faisait chaque jour par pénitence 96» ou encore du « parcours processionnel que
l’on fait depuis, chaque année, en l’honneur du saint en promenant solennellement ses reliques autour
de l’enclos sacré 97». Ce tour du minihi aurait eu pour but d’assurer les privilèges et exemptions liés à ce
lieu d’asile et de franchise. Cette démarcation étant légitimée puisqu’elle était le fait d’un saint homme.
La troménie aurait eu « un rôle juridique de conservation de la propriété 98».

Date :
Les troménies existantes se déroulent à des dates différentes, soit le jeudi de l’Ascension pour
Gouesnou, le dimanche de Pentecôte pour Landeleau, le lundi de Pentecôte pour Bourbriac et entre le
deuxième et le troisième dimanche de juillet pour la grande troménie (sexennale) de Locronan. Les
troménies disparues se déroulaient aussi dans ces mêmes périodes, le dimanche de la Pentecôte à
Plouzané, la procession de saint Conogan près de Landerneau le troisième dimanche de mai, celle de
Locmaria à Quimper le dimanche après la fête du saint sacrement.

94
Peyron, chanoine, cité par A. Lautrou, « Pèlerinages, troménies et processions votives au diocèse de Quimper » in
Association Bretonne, Session de Montoncour, 1912, p 274-293.
95
Laurent Donatien, « La troménie », in Un pays de Cornouaille, Locronan et sa région, sous la dir. de l’abbé Dilasser,
Nouvelle Librairie de France, Paris, 1979, p 220.
96
Ibid.
97
Ibid.
98
Debary op. cit. p 48.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Quelle que soit la date où l’on célèbre la fête du saint, la troménie se fait toujours dans une période qui va du
1er mai au 21 juillet. [...] On remarque donc que la plupart de ces troménies sont liées à une fête mobile,
l’Ascension, la Pentecôte, en relation avec la date de Pâques (qui varie suivant les années de plus d’un mois) et
sont indépendantes des fêtes fixes des saints. A Locronan, au contraire, comme d’ailleurs à Landerneau pour
saint Conogan, la célébration a lieu à une date beaucoup plus fixe [...] Cela semble indiquer que le choix de
cette date répond à des motivations d’un autre ordre, sans doute liées au cycle saisonnier99.

Déroulement :
Nous avons vu précédemment le principe foncier des troménies, valider annuellement les limites
d’anciens territoires ‘sacrés’, certaines troménies présentent la particularité géographique de l’ascension
d’une colline, le départ pouvant être associé à l’ermitage du saint, lui-même associé au toponyme
« nemet », indiquant le caractère sacré antique (une clairière sacrée dans une forêt, et par extension le
bois sacré lui-même).
Les troménies décrivent un rituel circumambulatoire, sortant de l’église et partant vers la droite,
marchant dans le sens du soleil comme dans les grands rituels antiques. Les pèlerins peuvent faire la
route pieds nus, sans parler, en s’arrêtant à un certain nombre de stations et en faisant le tour de
certains monuments.

b - Le cas de Landeleau

Nous venons de voir les relations étroites entretenues entre les troménies et les minihis qu’elles
circonscrivent. Pour la paroisse de Landeleau l’existence d’un minihi est plus délicate que dans les cas
précédemment exposés et, sa procession circumambulatoire pentecostale n’est habillée que depuis peu
du titre de « troménie ». Le registre orale populaire conserve le nom breton de Tro ar relegou, en français
le tour des reliques. Les plus anciens écrits en langue française parlent de procession des reliques, 1555,
procession de la Pentecôte à Saint Laurent, 1710, procession, 1853, pèlerinage de la paroisse, 1887, procession des
reliques, 1890, 1896, 1904, tour des reliques, 1892, pardon de saint Telo, 1892, 1894, 1926, pardon du Pénity,
1904, troménie 1939, 1942.

La troménie est peu apparente dans les comptes de la paroisse comme des chapelles qui auraient pu être
concernées (Lannac'h) : le mot n'est jamais présent, on parle banalement de « procession de la Pentecoste ».
Cela ne doit pas surprendre : à Locronan même, le terme est très peu présent dans les archives d'Ancien
Régime, en grande partie parce qu'il fait trop « vulgaire », trop « breton » pour être utilisé par écrit, à une
époque où le français est la référence de la langue écrite. Jamais mentionnée sous ce vocable exact, la troménie
n'est jamais détaillée non plus comme un moment exceptionnel qui mériterait que l'on détaille le montant des
offrandes recueillies à ce moment (elles sont fondues dans un total global, ce qui ne laisse pas supposer
qu'elles soient particulièrement importantes). Pratiquement aucun détail de rituel ne nous apparaît,

99
Laurent Donatien, « Les troménies bretonnes ».

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
contrairement à beaucoup d'autres pardons où la fin du 17e, et surtout le 18e siècle, voient une certaine
enflure cérémonielle100.

Les chanoines Abgrall et Peyron, dans leur étude sur la paroisse de Landeleau, publiée en 1906, sont les
premiers à associer la procession des reliques de Landeleau à « la troménie de saint Ronan, aux
processions de Gouesnou, de Plouguerneau ». Ils titrent « La légende de saint Théleau et la Troménie
de Landeleau », dans un article paru dans l’Association Bretonne en 1906. Ils sont les promoteurs de cette
appellation, qui se démocratise rapidement, puisqu’on la retrouve en 1939, 1942 dans le Courrier du
Finistère, hebdomadaire régional de confession catholique. Cette appellation se confirme par l’utilisation
du nom commun troménistes en 1942 dans un compte rendu du même hebdomadaire. A partir de cette
date, l’appellation « troménie » domine le registre écrit, alors que l’appellation bretonne de tro ar relegou
reste l’apanage du registre oral local. Aujourd’hui le terme de troménie tend à gagner du terrain sur le
lexique courant, d’autant plus que la langue bretonne disparaît avec ses derniers locuteurs natifs.

Le terme générique de troménie regroupe les processions circumambulatoires bretonnes. Pourtant ce


terme n’a été adjoint à la procession pentecostale de Landeleau que récemment et lui est actuellement
systématiquement associé, jusqu’à en cacher le terme primitif indigène de tro ar relegou.

ÉLÉMENTS DE TOPONYMIE

Nous venons de voir la faiblesse étymologique du mot troménie, pour désigner un tour de minihi à
Landeleau. Pourtant la paroisse recense deux toponymes ‘Pénity’ aux extrémités nord et sud. Pour
Bernard Tanguy, ces deux toponymes peuvent indiquer la présence d’un minihi primitif. C’est cette
hypothèse que je vais développer dans un premier temps, puis dans un second temps, je vais aborder
l’hypothèse d’une fondation brittonique en relation avec les recherches historiques galloises et
bretonnes les plus récentes.

Les minihis ont en plus de la fonction d’asile un rôle spatial pratique : vie agricole, habitats, travail
quotidien, zone franche... Ces dernières fonctions conditionnent une planification spatiale ‘pratique’,
que l’on peut résumer en un espace uniforme et relativement restreint, que les moines peuvent cultiver
sans faillir à leurs tâches liturgiques (se conférer à la vie de saint Goulven qui définit le rôle du minihi
religieux). J’exclus de cette vision les minihis laïcs tardifs. Nous remarquerons que pour les minihis
possédant un rituel circumambulatoire, une forme géométrique de quadrilatère apparaît. Cette
géométrie spatiale permet de parcourir symboliquement les quatre directions de l’espace, concept
ancien s’il en est un, on le retrouve dans les rites romains antiques de fondations de villes; le prêtre, à

100
Je tiens à remercier vivement M. George Provost qui a eu l'extrême obligeance de répondre à mes sollicitations dans une
correspondance personnelle que je cite à plusieurs reprises.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
l’aide d’une charrue attelée à un couple de bœufs sacrés, trace un sillon dans les quatre directions
cardinales, et l’espace délimité de la sorte sacralise les fondations de la future ville.

Cette forme récurrente de quadrilatère n’apparaît pas à Landeleau, la troménie comme nous l’avons
indiqué précédemment est formée de deux boucles superposées de tailles différentes reliées entre elles à
Châteaugall. Il est intéressant de noter que les seigneurs de Châteaugall jusqu’à la disparition du château
à la fin du XVIIIe, ont toujours défendu leurs prééminences sur l’église paroissiale et sur la procession
des reliques; et ce malgré la présence du château du Grannec au nord-ouest de la paroisse et la
proximité du château du Pratulo, à 1 km du bourg de Landeleau mais dans la commune de Cléden-
Poher.

Le toponyme de minihi n’apparaît sur aucun des documents consultés, néanmoins la présence d’une
procession circumambulatoire circonscrivant un espace sur plusieurs kilomètres trahit la présence d’un
minihi. Cependant d’autres toponymes vont nous suggérer la présence de notre objet de recherche.

Landeleau :
Le nom de la paroisse dans ses plus anciennes mentions : « Landeleou, 1267; Landeleu, 1270, 1313;
Lanteleau, 1368; Landeleau, 1394; Landeleau, 1448; breton Landelo101 ». Le nom est formé du préfixe lan-
venant de lann « lieu sacré » désignant à l’origine un espace découvert, puis son sens a dérivé en « enclos
religieux », selon Joseph Loth, dans bien des cas il ne correspond qu’à un simple ermitage102. Le suffixe
correspond au saint éponyme Telo, hypocoristique remontant à un vieux-breton To-Eliau103.

L’analyse toponymique du nom nous suggère un ermitage, une fondation monastique, hypothèse que
nous développons dans un deuxième temps.

Pénity :
L’hypothèse d’une présence monastique est appuyée par la présence de deux « penity », Pénity-Raoul
[peniti paur'] pour les locuteurs bretons (traduit comme Pénity pauvre), Pinity Raulet en 1671 à l’extrême
sud, et Pénity-Saint-Laurent, Penety en 1638 à l’extrême nord.

Peniti104, « maison de pénitence » est formé sur le terme pened « pénitence », identique au gallois penyd. Ce
terme a fini par désigner une simple chapelle. Attesté dans la vie de saint Goulven comme glose de penitentiae
domus, il serait d’un emploi contemporain à log.

101
Tanguy Bernard, Dictionnaire des noms de communes, trêves et paroisses du Finistère, Douarnenez, éd. Chasse Marée -
Armen, p 102-103.
102
Deshayes Albert, Dictionnaire des noms de lieux breton, Douarnenez, Le Chasse-Marée/Armen, 1999, p 169.
103
Tanguy B. , ibid.
104
Deshayes A., ibid, p 171.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
M. Bernard Tanguy me confiait que la présence des deux Pénity induisait la probabilité de la présence
d’un minihi. La troménie allant du sud au nord de la paroisse, s’arrêtant au Pénity-Saint-Laurent,
renforce l’importance de ces deux toponymes induisant l’hypothèse d’un minihi primitif. Hypothèse
confirmée par les archives paroissiales de l'Ancien Régime au sujet des dépenses « pour les frais de la
procession de la parou[esse] à la chapelle du Minihy le jour de la Pentecoste, dict avoir payé la somme
de 4 livres »105. Il sagit sans aucun doute de la chapelle du Pénity-Saint-Laurent qui était déclinée sous le
vocable de minihi dans les archives de la fabrique.

Mouster :
Au sud-ouest de la paroisse se trouve un bois dénommé Coat ar Vouster, toponyme breton traduisible
par le bois du monastère.

Mouster, « moustoir », anciennement « monastère », procède d’un emprunt au vieux français moustier « couvent,
église » issu du latin monisterium; ce terme est attesté en breton dès la première moitié du XIe siècle. Bien que
noté Moustoer ou Moustaer dans les actes anciens, il n’apparaît souvent de nos jours que sous la forme Le
Moustoir106.

Coat ar Vouster est à mettre en relation avec le village du Cloître au sud du bois. Non loin du Cloître, à
environ 1500m se trouve le village de Saint-Guinidic à moins de 2 km du bois. Une tradition orale
rapportée par Mme Madec du Pénity, originaire de ce village, nous apprend qu’un des bâtiments de
ferme s’appelait le presbytère. Cette information est complétée par l'enquête d’Anatole Le Braz auprès
de Mme Hourmant107 :

Le village de Saint-Quinidic, en Plounévez-du-Faou, avait sans doute autrefois une chapelle, me-dit-on à
Saint-Théleau. Une femme me dit qu’on entendait quelquefois, la nuit, les cloches sonner. Le saint voulut
agrandir sa paroisse : il ne put englober que Roz-ar-Gaouenn (extrême sud-est de Landeleau NDR).

J’ai pu confirmer cette tradition orale par le recoupement avec le cadastre Napoléonien de la ville de
Plonévez-du-Faou. Les parcelles K9/8- 84-85-86 comportent le toponyme ar chapellou, traduisible par
« les chapelles ». Ce n’est plus une mais des chapelles disparues avant la Révolution que suggèrent les
matrices cadastrales.

La vie latine de saint Telo nous suggère un parallèle avec Saint-Guinidic : « On dit que, sur le fleuve du
Couin, il ressuscita un mort nommé Distinnic108». Avec M. Armand Puillandre nous avons cru retrouver

105
Information fournie par M. George Provost « En décharge (dépenses) la mention suivante est presque systématique »
106
Deshayes A., ibid., p 172.
107
Le Braz A., cité par Alain Tanguy, ibid., p 89.
108
Chanoine Peyron ?, « Saint Théleau », La semaine Religieuse de Quimper du Diocèse de Quimper et de Léon, 11e année,
n°3, 1896, p 46.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
un site breton de la vie latine, mais le toponyme « Quistinnic », châtaigneraie, est très courant en Basse
Bretagne; sans plus d’éléments nous devons arrêter la recherche à ce stade.

Entre ces deux lieux se trouve le village de Kerancoz qui abrite une communauté religieuse indépendante
(affilié à Mgr Le Fèvre selon les rumeurs) qui a décidé de vénérer la mémoire du jeune prêtre Suignard,
né dans ce village et mort en portant secours, lors de la bataille de Pont ar Stang en 1944. Nous assistons
à un redémarrage d’activités religieuses, mais sans lien avec les traditions et avec la population locale.

Ce toponyme mouster, est une survivance ancienne, et indique par là même un ancien établissement
monastique, ceci s’accumulant aux toponymes précités, Landeleau, Pénity-Saint-Laurent et Pénity-
Raoul.

Ker :
Le préfixe ker- est un toponyme intéressant car il connaît un important développement au XIe siècle. Il
nous permet de visualiser sur les cartes la création des villages à une époque postérieure à l’immigration
bretonne.

Kêr, « lieu habité » et, par déviation sémantique, « village » et « ville », connaît à partir du XIe siècle une
expansion rapide et durable puisque son utilisation en toponymie se chiffrerait à 18000 noms, dont la moitié
dans le seul Finistère. A l’origine, le terme kêr avait l’acceptation de « endroit clos, agglomération enclose »,
sens conservé par le gallois caer « forteresse ». La plupart des villages d’Armorique étaient défendus par un
fossé et un talus de terre, mais dans un contexte économique favorable et une paix relative qui suivra l’arrêt
des invasions normandes, le sens de ce terme évoluera en « lieu habité et cultivé ». Il perdra donc le sens
primitif du latin castrum pour adopter celui de villa et s’appliquera à des groupes de maisons rurales109.

La carte toponymique de Landeleau nous révèle une forte présence de toponymes en ker- sur
l’ensemble du parcours de la troménie, ce qui nous induit à penser que le parcours primitif de la
troménie se déroulait en zone forestière, habitée plus tardivement.

109
Deshayes A., ibid, p 165.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

La Montagne :
La Montagne ou Montagne Vraz, est le toponyme désignant la colline qu’encercle la petite boucle de la
troménie. Le toponyme décrit une colline (137m), qui n’est cependant pas la plus haute colline de la
paroisse, Keravel 144m, Kermorvan 152 m, Goarem Zalud 156 m, Botlan 173 m etc. Cette apparente
incohérence entre le toponyme et la topographie environnante relève l’importance du site en donnant
du sens au parcours de la troménie. M. Laurent Donatien soulève l’importance du site du Menez Lokorn
dans le fonctionnement de la grande troménie de Locronan. Les troménies de Plouzané, de Locmaria
comportaient aussi l’ascension d’une colline. Dans le cas de Locmaria nous savons qu’il y avait un
sanctuaire, une acropole pour l’archéologue J.P. Le Bihan, sur la colline du Frugy. Des épées gauloises
tordues ont été retrouvées sur le site au début du siècle, confirmant l’importance cultuelle du site. La
colline de Plouzané a subi récemment une vague d’urbanisme, qui nous empêche de vérifier
l’importance cultuelle antique du site.

L’orthographe française du toponyme de Montagne Vraz peut s’expliquer par sa position, coincé entre le
village du Pénity-Saint-Laurent et Châteaugall. Deux lieux de passage important, très francisant dans le
paysage bretonnant local.

Si la toponymie nous aide à révéler un paysage marqué par le monachisme qui a suivi l’immigration
bretonne, nous serions en mesure d’attendre autant d’indice de la micro toponymie locale. Hélas les
longues heures passées avec M. Puillandre à éplucher toutes les matrices cadastrales de 1838 couvrant le
parcours de la troménie ne nous ont rien révélé de pertinent; hormis la parcelle G6/60, Croissent ar
relegou, indiquant le croisement de Ti Nevez où les reliques se dirigent vers Pont Scoaëc. Néanmoins nous
constatons grâce à la toponymie une présence monastique ainsi que celle d’un minihi, ce dernier
confirme la dénomination ancienne et contemporaine de troménie pour le tro ar relegou de Landeleau.

UNE F O N DA T I O N R E L I G I E U S E B R I T T O N I Q U E

Nous avons commencé ce chapitre par l’étude toponymique des quelques éléments historiques et
archéologiques de la paroisse. Ces éléments nous évoquent une présence monastique dans l’espace
paroissial. Pouvons nous faire le lien entre ces éléments et le monachisme gallois historique ?

La maison de Telo en Cymru (Cambrie) :


Il n’existe que très peu de travaux sur la consistance historique de saint Telo; une biographie exhaustive
par le chanoine Doble dans son livre « The Lives of Welsh Saints », une courte biographie par Elissa

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Henken dans son livre « Traditions of the welsh saints ». Joseph Loth et l’abbé Duine se sont quant à eux
arrêtés à la critique historique de la vie latine du Book of Llan Dâv.

C’est à travers les derniers travaux du révérend William Strange sur l’histoire de la ville de Llandeilo
Fawr, que je vais pouvoir éclairer une période méconnue de l’histoire.

J’ai eu la chance de rencontrer le révérend W. Strange110 au cours de mes recherches en Cambrie. Il


venait juste de finir un ouvrage sur l’histoire de Llandeilo Fawr, des origines à nos jours. Mr Strange est
historien de formation, il est maître de conférence à l’université de Bangor et à celle de Cardiff. La
première partie de son ouvrage vient tout juste d’être publiée dans les « Religious Studies ». Son étude
renouvelle les connaissances sur la figure historique de Telo, sur sa ‘maison’ (maison monastique mère),
et sur sa succession.

Le Gospel de Telo
Le principal élément de l’étude historique de saint Telo, en dehors de sa vie latine tardive est un
Evangéliaire du VIIIe siècle, actuellement détenu par la cathédrale de Lichfield, d’où son nom Lichfield
Gospel. Ce livre est arrivé vers 820 ap J.C. au monastère de Llandeilo Fawr. Les notes manuscrites
contenues dans la marge nous indiquent sur sa provenance :

Il est montré ici que Gelli, fils d’Arthudd, a acheté cet évangéliaire à Cingal et lui a donné (un très bon cheval)
pour cela, et pour son âme il a donné ce gospel à dieu sur l’autel de saint Telo. Gelli fils d’Arthudd et Cyngen
fils de Gruffudd.

On suspecte que le livre a été volé puis donné à l’autel de Telo contre un cheval ce qui est une maigre
compensation pour un objet de cette valeur.

Le livre écrit en latin, contient la vulgate de saint Jérôme; la formulation linguistique a beaucoup en
commun avec les évangéliaires écrits dans l’ouest de la Bretagne et en Irlande. Ce qui suggère qu’il ait
été écrit dans un centre dominé par l’Eglise Celtique. L’évangéliaire ne semble pas avoir servi à la
lecture mais à l’enregistrement d’actes « notariés » comme le montrent les notes marginales; ces
dernières sont les plus vieilles inscriptions connues en vieux gallois.

110
Le révérend William Strange est Director of the Centre for Ministry Studies, University of Wales à Bangor.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

La maison de Telo
L’église ou le monastère de Llandeilo Fawr est devenu un centre ecclésiastique majeur durant les 3
siècles qui ont suivi la mort de Telo, soit de la fin du VIe jusqu’au Xe siècle. Son statut spirituel est
intimement uni à l’importance de la figure de son saint fondateur. Sa prospérité est liée pour ce que
nous savons à l’acquisition de terres. En témoignent les notes marginales du Teilo’s Gospel ajoutées aux
chartes du Book of Llan Dâv.

Les cadeaux pour la communauté étaient donnés au saint lui même, le saint était considéré comme
accompagnant la communauté par la vertu de la présence de ses reliques : « Le roi Maredudd a donné à
saint Telo trois places, appelées Mainaur Brunus, Telichclouman, et TrefCanus ». Ce don semblerait avoir été
fait vers 790 ap J.C., soit plus de deux siècles après sa mort.

En 900 ap J.C., la maison de Telo atteint le plus haut point de sa richesse et a conservé ses terres
jusqu’au Xe et XIe siècle.

La communauté
Elle devait être un établissement monastique qui a évolué vers le IXe siècle en clergé régulier. L’évêque
de Telo devait rayonner sur les églises et les terres liées à Llandeilo Fawr, en un régime de clergé
monastique à l’opposé du système épiscopal contemporain.

Les mémorandums du Gospel de Telo nous apprennent que Dyfrin et Cuhlin sont « fils de l’évêque » ;
cela suggère que Llandeilo a dû être une église héréditaire, passant de père en fils, comme nombre
d’églises importantes dans le Haut Moyen Age gallois.

L’église
L’église où les hommes vivaient était plus qu’un simple lieu de culte, elle était gardée par le pouvoir
invisible de la sainte protection, le nawdd. Cette protection pouvait être invoquée dans la forme
‘malédiction de saint Telo. Les limites du Llan et par-là même de l’action du nawdd sont représentés par
le mur d’enceinte du cimetière (l’intrusion de la route date du XVIIIe siècle).

L’église était un centre d’enseignement tel dans la communauté que des grands hommes comme le
professeur (scholasticus) Sulien y sont passés au IXe siècle, comme le relate le mémorandum 5. La stèle

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
de Curganus, datée du Ve siècle, contenait une inscription latine, il se peut que la maîtrise de la langue
latine n’ait jamais été perdue jusqu’à l’époque du passage de Sulien.

La fin de la maison de Telo


En parallèle avec tous les grands centres de l’Eglise galloise, les statuts de Llandeilo Fawr ont décliné
entre le IXe et le XIIIe siècle, soit entre l’apogée et le début des archives historiques.

La perte de l’Evangéliaire est un des grands mystères. Il doit être arrivé à Lichfield vers la fin du Xe,
début du XIe siècle comme l’indiquent les notes marginales. Il a pu disparaître lors d’un raid frontalier
ou être donné comme tribut au roi Mercian, ce qui expliquerait pourquoi nous n’entendons plus parler
de la maison de Telo après cette date.

La seconde raison est que Llandeilo aurait souffert d’attaques concertées, que témoignerait l’état des
croix, qui sont datées de plus ou moins 1000 ap J.C.

Llandeilo Fawr n’avait pas entièrement perdu sa réputation de lieu saint, quand en 1295 Edward
premier, souverain du trône de Grande Bretagne d’origine galloise, a visité sur son trajet de retour
l’église et a fait une oblation d’un tissu pour le tumulus de st Thilawi (saint Telo) à Thlanthilogh vaur
(Llandeilo Fawr). Les faits nous confirment une crise autour de l’an mille, accompagnée ou suivie de la
perte de l’évangéliaire. Suit une érosion graduelle de la richesse à ce moment là jusqu’au XIIe siècle, qui
conduit à la perte du statut épiscopal et à la dissolution de la maison de Telo. Le moment le plus
critique de ce déclin semble avoir eu lieu avant l’intrusion des Normands.

La présence de saint Telo en Armorique :

Les toponymes :
Nous avons relevé une importante fréquence de toponymes monastiques à Landeleau, induisant
l’hypothèse d’une implantation monastique faisant suite à l’immigration bretonne. Cette implantation
monastique justifierait le nom de la ville de Landeleau, le lan de Telo; ceci à l’instar des nombreux
Llandeilo en Cambrie. Le chanoine Doble recense quant à lui 32 lieux de culte dédiés à saint Telo dans
le sud de la Cambrie.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 64


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
En Armorique nous recensons une dizaine de toponymes éponymiques de Telo :
 les villes de :
 Plédéliac (22), Pledelia, 1187, Pludeliau, 1234 (plou-teliaw), avec la proximité du
village de Landébia qui a une correspondance près de Llandeilo Fawr avec
Landybie.
 Montertelot (56).
 Saint-Thélo (22), de Sant Theliaut, 1182.
 Landeleau (29), Landeleou, 1267, Lanteleau, 1368.
 les villages de :
 Landeilau en Plévin (22), chapelle disparue.
 Saint Eloi en Louargat (22), Saint-Thuleau & Saint-Theleau, 1544.
 Landeleau en Dinéault (29), chapelle disparue.
 Saint-Théleau en Plogonnec (29), chapelle et station de la grande troménie
dédiées à saint Telo.
 Village et Lande de saint Eliau en Bubry (56)111.
 Village de saint Hilio à Saint Pabu, devant être lu Tilio pour J. Loth112.

 des monuments :
 un mégalithe en Guengat (29), appelé la chaise de saint Telo.
 un dolmen en Landeleau appelé Ti sant Telo et un sarcophage de granit appelé
Gwele sant Telo.
 des champs :
 Landeleau (29).
 Saint Pabu (29).
 Bubry (56).
 des églises dédiées au culte de saint Telo :
 Saint Thelo (22).
 Leuhan (29).
 Landaul (56).
 Plogonnec, chapelle de Saint-Théleau (29).

111
Cité par Joseph Loth, Revue Celtique, t. XXX, 1909, p 298-299
112
Ibid.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
L’histoire religieuse bretonne :
Pour l’étude historique, je me réfère aux travaux de Gwenaël Le Duc113 sur les origines de l’évêché de
Quimper. Son étude a le mérite de donner une consistance historique à la figure semi-mythique de saint
Telo en Bretagne armoricaine.

Si on se réfère à la vie latine du Book of Llan Dâv, saint Telo se rend avec son peuple à Dol pour fuir la
peste jaune, datée de 547-548, qui ravage la Cambrie. Il y reste sept ans et sept mois, chasse une énorme
vipère et remplace saint Samson à la tête de l’évêché de Dol. L’épisode de la fontaine Cai, de la
plantation des vergers de Dol ainsi que la confession du roi Guerenn semblent être un emprunt à la vie
de saint Turiau, disciple de saint Samson.

Ces maigres renseignements sont étoffés par la vie de son neveu et disciple saint Oudocée. Budic marié
à Anauved sœur de Telo, lui a promis de lui envoyer son fils Oudocée. Budic, fils de Cybrdan, natus de
Cornugallia (ce qui semble désigner la Cornouaille armoricaine), expulsé, vint en en Demeticam regionem. Il
fut rappelé en Cornouaille par les indigènes, leur roi étant mort, et alors il régna sur toute l’Armorique
(regnauit per totam armoricam patriam114).

Nous aurions donc d’un côté Budic, roi de Cornouaille, et son parent Telo, venu le rejoindre
temporairement en Cornouaille. Si l’on se base sur la toponymie on observe une répartition du culte de
Telo, non seulement sur la Cornouaille mais aussi sur les autres évêchés. C’est ce qui fait penser à G. Le
Duc une extension primitive (VIe siècle) bien plus large de l’évêché d’Aquilonia (Quimper), à l’époque
où la Bretagne continentale s’appelait la Domnonée. Néanmoins, il reste très prudent sur la caution à
donner ces preuves bien incertaines.

Les éléments historiques locaux :


Landeleau a l’exception de véhiculer une importante tradition orale sur son saint éponyme et de
posséder de nombreux toponymes éponymiques. Je pense que le rituel processionnel annuel de la
troménie joue un rôle efficace de fixation symbolique en intégrant la figure et les prouesses de saint
Telo sur le territoire paroissial. Ceci est d’autant plus vrai qu’on en oublie les autres villes ou chapelles
bretonnes où est présent le nom ou le culte du saint homme.

Landeleau possède un assez riche patrimoine archéologique, la nécropole de Penfoul datée de l’âge du
Bronze, la (ou les) stèles gauloise(s) des Trois-croix, le camp celtique de Tréambon (à la frontière de

113
Gwenaël Le Duc, « Les premiers temps de l’évêché de Quimper ? », Britannia Monastica, vol III, Landévennec, 1994, p
138.
114
Gwenororyn Evans, The text of the Book of Llan Dâv reproduced from Gwysaneg Manuscript, Aberyswith, the
National Library of Wales, 1979, p 130.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Landeleau en Plonévez-du-Faou), de nombreux sites microlithiques sur les bords de l’Aulne, un temple
gallo-romain au centre bourg.... Nous observons une stratification historique des sites, comme pour le
bourg et pour le village du Pénity, et une dispersion spatiale des autres sites archéologiques, Penfoul, le
dolmen de Menez-Glaz...

Les éléments toponymiques et historiques dont nous disposons nous permettent d’avancer l’hypothèse
de travail selon laquelle saint Telo, ou ses disciples successeurs sont venus en Armorique avec une
partie de l’émigration bretonne. Le culte de saint Telo est associé à la protection équestre, comme nous
l’apprend le rédacteur de la vie latine du Book of Llan Dâv, ce qui a provoqué des substitutions de
dédicaces plus tardivement envers saint Eloi et saint Alar. Nous observons que la mémoire de saint
Telo s’est mieux conservée dans le centre Bretagne, d’une région allant de Plogonnec (29) à Saint-Thélo
(22), zone moins exposée aux changements culturels. La création ou le syncrétisme du rituel de la
troménie est dans les possibilités de ce clergé gallois, syncrétique par fonctionnement en ces débuts de
christianisation. Mais sans plus d’éléments probants, cette supposition ne dépasse pas le stade de
l’hypothèse de travail.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

2e partie - Éléments d’ethnographie

Dans cette deuxième partie, je présente les éléments constituants de la troménie. Leur nombre est aussi
important que leur évolution est complexe, pour ce faire je m’appuierai sur les archives de la paroisses
pour étudier dans une première partie les enseignes; puis dans un second temps, le reliquaire et ses
reliques, une recherche qui m’a amené jusqu’en Cambrie. La troisième section de cette partie nous
retranscrit l’évènement de la troménie du 3 juin 2001.

A - Les enseignes de la troménie

1 - DES ORIGINES À NOS JOURS

a - Des origines modestes

Les plus vieilles mentions du port des enseignes, pour la troménie de Landeleau, nous sont données par
le coutumier de Landeleau, rédigé par l’abbé Suignard en 1853, recteur de Landeleau, à l’intention de
ses successeurs. Le coutumier décrit précisément tous les rites de l’année liturgique, beaucoup de pages
manquent à ce livret manuscrit, mais fort heureusement la partie qui nous intéresse est complète :
Pâques, Ascension, la Pentecôte, la Trinité, le saint sacrement, la période des mois d’avril à juillet, soit
avant et après la troménie.

Il écrit à la date du cinquième dimanche après Pâques, soit deux semaines avant la Pentecôte :
3° Après la messe aujourd’hui et jeudi, on mettra, ici, à l’encan, les reliques de St Thélo et l’image de la Ste
Vierge; et dimanche prochain, (après les vêpres) on les mettra au Lannac’h pour y êtres adjugées.

Le dimanche de la Pentecôte :
4° Annoncer les offrandes perçues et dire un Pater, ave : De profundis,
7° Nommer 4 hommes pour porter la bannière.

Le dimanche de la Trinité :
6° Nommer 4 hommes pour porter la bannière - Quatre plus jeunes pour porter le dais - 2 enfants pour
porter les lanternes.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Ce document nous évoque la pauvreté du nombre d’enseignes portées lors de la troménie au milieu du
XIXe siècle, soit les reliques de saint Telo et la statue de la Vierge. Les notes sont maigres, mais nous
apprenons la présence d’une bannière, et de deux lanternes115 le dimanche suivant lors de la Trinité, on
peut en déduire la présence de ces mêmes enseignes le dimanche précédent, lors de la troménie.
Comment peut-on expliquer cette pauvreté d’enseignes à cette époque, alors que la surenchère
ostentatoire des processions bretonnes commence dès le milieu du XVIIe siècle 116?

Les longues processions aux multiples bannières, aujourd’hui indissociables du rituel des pardons, sont bien
moins anciennes qu’on ne le croit généralement. Jusqu’au début du XVIIe siècle, les processions des pardons
se limitent en effet à fort peu de chose : à Guissény, en 1568, on ne relève que les reliques, la croix et une
bannière, tout comme à Loc-Brévalaire en 1642 où la procession se réduit à trois « enseignes », terme
générique qui désigne l’ensemble que forment les reliques, les statues, les croix et les bannières. Ce n’est
qu’après 1660 que l’on voit les processions s’étoffer. Les bannières se banalisent, tout comme les statues
explicitement processionnelles.

La pauvreté de la paroisse et son repli vers le centre Bretagne semblent les constantes indissociables
pour expliquer l’apport tardif et par là même la survivance de pratiques processionnelles anciennes :
mise aux enchères des reliques, port de bannières par classe d’âge, gardiens du reliquaire armés de
bâtons etc., pratiques disparues depuis plusieurs décennies dans les environs :

Cette modestie ne me surprend pas vraiment : on l’observerait, je crois, pour la plupart des autres Troménies
des 17e et 18e siècles, même à Locronan. Elles apparaissent alors, me semble-t-il, comme des « tours de
paroisse » relativement banals, qui n’appellent pas forcément de grands investissements cérémoniels ; la
Réforme catholique s’y est beaucoup moins intéressée qu’aux pardons « classiques », en un lieu fixe, qu’elle a
cherché à canaliser et à actualiser en renouvelant leurs indulgences. Et en plus, il est vrai que Landeleau n’est
pas situé dans les zones de prospérité toilière des 17e et 18e siècles. Le manque de dynamisme autour de la
troménie résulte aussi sans doute d’un certain manque de moyens ; mais ce n’est pas à mon avis la première
raison, qui est d’ordre religieux117. Il y a là tout un ensemble de conditions qui tend à faire de l’Ancien Régime
une période relativement creuse pour la troménie, entre la ferveur possible du Moyen Age (cf saint Yves au
XIVe) et le renouveau après 1850.

APRÈS LA RÉVOLUTION AGRICOLE :


La révolution agricole initiée au milieu du XIXe siècle, enrichissant les campagnes, va permettre le
développement du costume traditionnel bas-breton et développer l’ostentatoire des paroisses. A cette
évolution économique il faut aussi faire la part à une évolution religieuse, au contexte de redécouverte,
de la part du clergé notamment, des saints bretons et de la foi « populaire » après une période d’assez
nette défaveur118 :
115
Suignard, abbé, ibid., « 1er Dimanche du St Sacrement ».
116
Georges Provost, La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, série Histoire
religieuse de la France, éd. Paris, Cerf, 1998.
117
Transmis par M. Geogre Provost, ibid.
118
Transmis par M. George Provost, ibid.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Désormais, la Troménie -comme les pardons- redevient quelque chose de « sympathique » au clergé de la
seconde moitié du 19e siècle, qui y voit volontiers l’une des vitrines de la « Bretagne catholique ». Et donc le
contexte devient favorable à une enflure cérémonielle autour de la Troménie : cela passe par la multiplication
des enseignes.

Nous observons avant cette date à Landeleau une modestie dans les enseignes portées le jour de la
troménie. Le plus ancien cahier de prône (1864-1887)119, conservé au presbytère de Landeleau,
mentionne plusieurs fois entre 1864 et 1887, la mise aux enchères des reliques et de l’image, ou statue de
la Vierge, ce qui confirme le faible nombre d’enseignes de la paroisse :

1869 Reliques : 195 F


Vierge : 30 F
1870 Reliques : 151 F
Vierge : 33 F
1871 Reliques : 132 F
Vierge : 30 F
1873 Reliques : 120 F
Vierge : 12 F

En 1875, la statue de la Vierge n’est plus mise aux enchères, dorénavant « On nomme pour la Vierge »; les
reliques remportent les plus hautes enchères, leur importance dans le contexte de la troménie est
toujours de mise; par contre la statue de la Vierge a subi une revalorisation ostentatoire depuis le milieu
du XIXe siècle : des enchères, elle passe à une désignation nominale de seize femmes au choix du
recteur.

Le nombre d’enseignes portées lors des processions augmente dans les deux dernières décennies du
XIXe siècle. En 1886 un cahier à l’usage des « Quêteurs à l’église et aux chapelles, dits fabriciens - Quêteuses de
beurre - Porte-enseignes » est constitué, y sont répertoriés pour l’année 1887 par ordre d’apparition :
 la statue de la Ste Vierge, 12 femmes,
 la bannière de la Ste Vierge, 3 femmes,
 la bannière de l’enfant Jésus, 3 femmes,
 les étendards, 9 filles,
 la bannière de St Théleau, 3 hommes,
 les étendards de St Théleau, 3 garçons,
 les lanternes, 2 garçons.

119
Anonyme, Cahier des Annonces Paroissiales de 1864 à 1887 et des prières nominales de 1861 à 1887, Landeleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
En 1888, apparaissent d’autres enseignes sur le cahier :
 les oriflammes, 2 filles,
 les rubans de la sainte Vierge, 5 filles,
 les étendards, 9 filles et 8 garçons,
 la bannière du Sacré-Cœur, 3 hommes,
 la statue de sainte Anne, 9 femmes,
 la statue de St Joseph, 8 hommes.

Ces innovations au sein de la troménie sont imputables à la fabrique, dont le souci est de gérer au
mieux l’organisation sociale des manifestations religieuses locales ; cette gestion socio financière est
chose courante en Bretagne depuis le XVIIe siècle :

Mais une telle inflation des enseignes ne pourrait se comprendre si elle ne répondait à une forte demande de
la population qui les finance non seulement pour les acheter mais aussi pour les porter ! Car dans de
nombreux pardons, en Léon et au nord de la Cornouaille, le port des enseignes est payant, et il le demeurera
jusqu’au milieu du XXe siècle. Les reliques, statues, bannières, croix de diverses natures, plus modestement
cierges, fanaux, clochettes sont donc mis publiquement aux enchères quelques jours avant la fête. Il ne s’agit
pas d’un usage très ancien : on le voit apparaître dans la plupart des paroisses à partir du milieu du XVIIe
siècle. Dans chacun de ces pardons, plusieurs paroissiens, de quinze à vingt en général, se relaient donc
chaque année pour porter croix, statues et bannières120.

Cette multiplication à partir des années 1880 est tardive, c’est vrai, par rapport aux pardons du Léon qui la
voient dès 1650-1750. Je crois vous avoir donné à peu près les raisons qui peuvent l’expliquer. Cependant, ce
tournant des années 1880 n’est pas isolé : je l’ai retrouvé en étudiant, il y a quelques mois, le pardon
trégorrois du Yaudet. Cette enflure passe par l’implication d’une large partie des paroissiens dans le port
d’enseignes de plus en plus nombreuses121.

LES BOULEVERSEMENTS DE L’APRÈS-GUERRE :


Il est à noter que l’évolution de la pratique du port des enseignes lors de la troménie a subi beaucoup de
changements au cours du XXe siècle ; jusqu’en 1959 les porteurs d’enseignes sont désignés par le
recteur lors du prône dominical, au plus tard le cinquième dimanche de Pâques soit deux semaines
avant la procession, et ce parmi les pratiquants réguliers de bonne situation sociale :

Auparavant c’était un tri, il y en a qui n’aurait jamais porté. C’était le prêtre qui désignait ; on mettait les filles
des fermes, pas les bonniches. On nommait en chaire, dans l’église122.

120
Georges Provost, ibid.
121
Transmis par M. Georges Provost, ibid.
122
Entretien du 28 juillet 2002 avec Marianne Corbel, bourg de Landeleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Cette sélection sociale était peu appréciée des couches les plus démunies, le changement de pratique est
à mettre à l’œuvre de l’abbé Le Scao, recteur de Landeleau de 1957 à 1964. Résolument moderniste il
rompt avec l’ancienne tradition de sélection sociale par l’avoir, pour faciliter l’accès des pratiques
ostentatoires à la majorité123 :

Voici ceux qui sont invités à porter les croix et bannières. Nous avons pensé, pour que tous puissent avoir
l’honneur de prendre part à la procession, mettre les porteurs de croix et bannières par âge et si possible
établir cette tradition. … La croix d’or sera portée par les soixantenaires, ils seront aidés par les
cinquantenaires qui porteront St Joseph. Il en sera de même pour la statue de la Ste Vierge et N.D. du Sacré-
Cœur.

C’est encore sous son impulsion, que la mise aux enchères de l’honneur de porter les reliques de saint
Telo pendant la troménie, est arrêté en 1962, répondant ainsi à une aspiration pastorale plus
« démocratique », elle survient à une époque d’évolutions économiques, la structure sociale paroissiale
subissant aussi des changements.

En résumé on peut remarquer l’implication d’une large partie des paroissiens dans le port des enseignes
de plus en plus nombreuses, avec trois modalités qui toutes ont pour objet d’ordonner la procession124 :

1) Mise aux enchères, pratique associée au port des reliques avant tout, même si elle a pu s’élargir à la Vierge
au milieu du 19e siècle. C’est pour les reliques que les enchères sont nées, peut-être dès le 17e siècle, et c’est
pour les reliques qu’elles ont duré le plus longtemps, jusque 1961; l’importance des sommes en fait clairement
un marqueur social, bien avant la fin du 19e siècle.
2) Nomination assortie implicitement d’une offrande : solution de plus en plus fréquente, car elle correspond
bien au souci d’impliquer davantage de monde, puisqu’il y a de plus en plus d’enseignes ; elle reflète aussi
l’autorité croissante du recteur sur ses ouailles, qui atteint une sorte d’apogée de 1850 à 1914. [...]
3) Attribution collective à une « classe d’âge », inaugurée dès la fin du 19e siècle pour les enfants (et parfois
dès le 18e siècle dans certains pardons) ; reflet pour les adultes de l’évolution « démocratique » survenue
depuis les années 1950. [...]

b - Le remplacement des vieilles enseignes

Mis à part les reliques, les vieilles bannières sont remplacées par des neuves, les deux enseignes pouvant
se côtoyer quelques années. La bannière de St Thélo est remplacée par une bannière neuve en 1908,
ainsi que la grande bannière de la sainte Vierge ; l’ex grande bannière de la sainte Vierge continuera
d’être portée pendant cinq années encore, côtoyant la nouvelle bannière et requérant un don monétaire

123
Le Scao, abbé « 3 mai 1959 »Cahier des prônes paroissiales 1957-1964, Landeleau,.
124
Transmis par M. George Provost, Ibid.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
inférieur à celui de la nouvelle bannière. La petite bannière souffre d’un même remplacement en 1925
et côtoit sa remplaçante pendant six années.

Lors du renouvellement d’une enseigne, la dédicace peut être améliorée, ainsi la bannière de l’enfant
Jésus, est remplacée en 1928 par la « bannière de sainte Thérèse de l’enfant Jésus ».
L’enseigne peut aussi être abandonnée au profit d’une autre, ainsi le port de la statue de sainte Anne est
délaissée après-guerre au profit d’une nouvelle statue « Notre Dame du Sacré-Cœur » , offerte à la
paroisse par Mme Guichoux, du bourg de Landeleau, et portée par la classe des femmes de cinquante
ans.

L’emploi des enseignes est avant tout pour le processionnel extérieur125, prenant toute son importance
pour la troménie pentecostale. Il était de tradition que la procession des enseignes précède la troménie
l’emmenant jusqu’à la première station, la chapelle du Lannac’h. Les enseignes y étaient déposées
jusqu’au retour de la troménie, qui les reprenait pour redescendre au bourg. Les enseignes étaient de
sortie encore le lendemain pour le pardon du lundi de Pentecôte, où elles précédaient de nouveau le
reliquaire pour un circuit dans le bourg.

c - Evolution du dépôt des enseignes

Il n’y a pas toujours eu de dépôt d’enseignes pour la troménie. En effet, à travers les archives dont nous
disposons, nous constatons une explosion du nombre d’enseignes entre 1886 et 1887, passant de deux
(reliquaire, une bannière) à huit enseignes adultes (bannières et statues) sans compter les nombreuses
enseignes portées par les enfants. Elles sont déposées à la chapelle de Lannac’h de 1886 à 1938. La
pratique de s’acquitter seulement du port des enseignes, du bourg à la chapelle, sans accomplir la
procession dans son entier était chose courante, même après le rapprochement près du bourg du lieu de
dépôt.

Durant cette période les porteurs sont désignés quinze jours avant; ils portent les enseignes le jour de
la troménie et le lendemain, jour du pardon.

En 1939, le pardon de Lannac’h est arrêté à cause de la ruine de la chapelle; de 1942 à 1951, nous avons
quelques traces nous permettant d’affirmer que les enseignes sont amenées jusqu’au Lannac’h puis sont
ramenées à l’église. Au retour de la procession, vers le milieu de l’après midi, les porteurs d’enseignes
n’ayant pas fait le tour, ramènent les enseignes de l’église paroissiale au croisement de Ménez Lannac’h.

125
Quoique j’ai assisté à la réalisation d’un circuit intramuros lors de la petite troménie de Locronan en 2000, la météo avait
fait reculer le corps officiant face aux rafales de pluie.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Un article paru en 1942 dans le courrier du Finistère signale le retour au bourg d’une partie de la
procession126 : « la première partie de la procession rebroussa chemin vers l’église paroissiale » ; puis en
1946, dans les prônes paroissiales consignées par le prêtre : « Nous prions ceux qui ont été désignés
pour porter les enseignes de se trouver à l’église peu avant 8 heures et d’y retourner vers 2 h ½ afin
d’aller à la rencontre de la troménie, de ne pas se bousculer ».

Cette scission d’une partie des participants de la troménie, empêchés par la nécessité de ramener les
enseignes au retour de la procession, va être résolue par la création d’un nouveau dépôt d’enseignes; en
1952 M. François Lallouet prête une grange au Ménez Lannac’h, pour y déposer les enseignes le jour de
la troménie.

En 1953 le prêtre explique au prône l’avantage du dépôt à Ménez Lannac’h:

Les porteurs d’enseignes sont priés d’être à l’église pour 8 h ¼, que tous y soient à l’heure. La procession ira
jusqu’à Méné Lannac’h, les enseignes seront déposées chez M. François Lallouet. Ainsi les porteurs
d’enseignes pourront faire la Troménie. Au retour, on reprendra les enseignes à Méné Lannac’h.

En 1968 le dépôt de Ménez Lannac’h est délaissé au profit d’un abri à la biscuiterie industrielle Yannick,
à Loch Conan, aimablement prêtée par madame Jettain; c’est le dépôt que nous connaissons
aujourd’hui. Les porteurs d’enseignes sont unanimes quant au rapprochement du lieu de dépôt, il faut
les porter pour apprécier toute la difficulté à porter ces lourdes enseignes sur une longue distance. Si
certains hommes peuvent éprouver de la fierté à « parader » avec de lourdes enseignes, les femmes
trouveront là un moyen douloureux de pénitence.

Il est intéressant de remarquer le respect des Landeleausiens envers la troménie, malgré les réticences
d’une importante frange de la population à cautionner le cléricalisme. Quoique, en 2002 les sonneurs
qui ont accompagné la descente de la troménie sont restés après les vêpres animer des danses sur la
place et ont ensuite été restaurés aux frais de la municipalité le soir lors du repas à l’école publique.

Les enseignes sont un marqueur religieux, ostentatoire et social introduit à la fin du XIXe siècle dans la
troménie, dont les valeurs évoluent avec la société tout en ayant la prétention de perpétuer la tradition
communautaire, peu ou prou partagée.

Autrefois l’expression ostentatoire prenait toute sa mesure avec le don financier obligatoire des
porteurs d’enseignes, le recteur annonçant en chaire le don de chacun.

126
Anonyme, « Sera-ce la dernière troménie ? », Courrier du Finistère, 10 juin 1939.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Il semble que l’expression religieuse, la dévotion, la pénitence soit plus l’exercice de la gente féminine,
les hommes étant plus discrets et moins démonstratifs quant à leur foi. Mme Claire Arlaux me confiait
son expérience de porteuse de bannière, en me citant plusieurs cas de personnes qui ont porté
pénitentiellement les enseignes, cachant leurs difficultés physiques et refusant toute aide du groupe. Les
porteurs(euses) d’enseignes ont beaucoup de pudeur à exprimer leur zèle pénitentiel, tout comme les
personnes proches sont discrètes quant à exprimer les causes supposées du zèle du pénitent.

Aujourd’hui le côté social s’exprime plus dans le plaisir de se trouver dans le groupe de sa classe d’âge ;
ceci n’allant pas sans poser de problèmes chez les dames qui craignent de révéler leur trop grand âge à
tous en participant au port des enseignes.

L’expression sociale de la pratique religieuse est en perte de vitesse dans les jeunes générations, ceci
allant de pair avec la baisse démographique du monde rural. Cette défection transparaît très fortement
dans la procession des enseignes de la troménie ; on peut même pronostiquer l’évolution prochaine
d’un port des enseignes, non plus par désignation de classe d’âge, mais collectif au libre choix des
volontaires avant le départ de la troménie127. Seule les enseignes les plus prestigieuses, la croix d’or, la
statue de la Vierge, les bannière de saint Telo et de la Vierge, dédiées aux classes d’âges avancées,
conserveront un peu plus longtemps leur attrait religieux.

2 - LES S TAT U E S

Toutes les statues sont solidement fixées sur des brancards, facilitant ainsi leur port par deux porteurs
(euses). Les statues sont remisées dans le grenier de la sacristie le reste de l’année ou peuvent être
laissées sur leur brancard au fond de l’église près du baptistère, fait que j’ai constaté entre la Pentecôte
2000 et la Pentecôte 2001. Après la Pentecôte 2001 et celle de 2002 les statues ont été remises à leur
place dans l’église.

a – Statue de saint Joseph

Saint Joseph est dans la tradition chrétienne le père adoptif de Jésus le Christ, il est par là même une
des plus hautes entités dans la hiérarchie catholique, mais après saint Telo, saint patron de la paroisse.
Nous pouvons observer que la division sexuelle sociale se reproduit dans l’ostentatoire de la troménie,
les statues des entités masculines pour les hommes, les entités féminines pour les femmes. La hiérarchie
127
C’est ce que j’ai pu observer aux troménies de 2001 et de 2002 pour les enseignes enfants.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
hagiographique représentée par les statues se reflète dans les classes d’âges, dans les sexes et dans
l’ordre d’apparition dans la procession. Le sexe masculin d’âge avancé avancera en tête, puis sa
contrepartie féminine de même classe d’âge ensuite, la procession reproduisant ce schéma
masculin/féminin par âge dégressif, les jeunes communiantes de l’année fermant la procession.

La statue est régulièrement portée depuis 1888 jusqu’à aujourd’hui par les hommes. Depuis 1959 elle
est à la charge de la classe des hommes de cinquante ans.

Le nombre de porteurs désignés, est d’une moyenne régulière de huit, jusqu’en 1915 ou elle passe à une
moyenne de douze avec un pic à quinze en 1920 et deux trous, un à cinq en 1921 et un à dix en 1929.
Depuis les années 1970, le nombre de porteurs invités est tombé en dessous de dix avec de nombreuses
variations. Le don financier individuel se stabilise autour de 5 F.

b – Statue de la sainte Vierge

Son port est cité dans le coutumier de 1853. A cette époque il est mis aux enchères et semble être
réservé aux femmes, pour la troménie comme pour la procession du saint sacrement128 :

Le lundi de la Pentecôte. Après l’instruction :


1° Annoncer les offrandes perçues et dire un Pater, un ave et un de profundis.
2° Aujourd’hui ou dimanche prochain, on dira les mêmes prières pour les 2 hommes qui ont donné tant pour
les reliques de saint Thélo; et pour les filles qui ont donné tant pour la Vierge.

Le Dimanche de la Trinité :

2° Répéter les mêmes prières à l’intention de ceux qui ont porté les reliques de St Thélau et l’image de la
Vierge le dimanche et le lundi précédent, à moins qu’on ne l’ait dit le jour du pardon.
4° Dimanche prochain est le 1er dimanche du St Sacrement. La procession se fera autour du bourg avant la
grand’ messe.
5° Nommer quatre jeunes filles ou 4 femmes pour porter la Vierge, si on le juge à propos.

Les enchères pour la statue de la Vierge sont supprimées en 1875 au profit de la nomination de seize
porteuses, désignées par le recteur parmi les paroissiennes de Landeleau. Ce chiffre reste constant tout
au long du XXe siècle. En 1959, le port de la statue pour la troménie est dévolue à la classe des femmes
de soixante ans. Après 1971, soumis aux variations démographiques, le nombre de porteuses varie entre
dix-huit et trois.

128
Suignard, abbé, ibid.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 76


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Malgré la surenchère numéraire des statues portées lors de la troménie, le port de la statue conserve un
certain prestige; précédemment mise aux enchères en même temps que les reliques, elle est confiée aux
soins de seize porteuses nommées par le recteur, c’est le plus grand nombre alloué à une statue, jusqu’à
la fin des années vingt. En 1959, elle est confiée à la classe des femmes de soixante ans, important
privilège que l’on peut mettre en rapport avec le port de la croix d’or pour la classe des hommes de
soixante ans et le port de la statue de Notre Dames des Portes lors de la fête mariale du 15 août, dans la
commune voisine de Châteauneuf-du-Faou, réservée à la seule classe des femmes de cinquante ans.

c – Statue de sainte Anne

Elle apparaît dans le cahier des porteurs d’enseignes en 1888, le nombre de porteuses est de huit
jusqu’en 1908, où il va se stabiliser autour de seize. En 1946, elle est portée par les femmes mariées
dans l’année; son port est abandonné après-guerre, pour une raison inconnue.

Sainte Anne est dans l’hagiographie chrétienne, la mère de la Vierge, elle est considérée
traditionnellement comme la mère patronnesse de la Bretagne. Elle n’a pas de chapelle sous son
patronage à Landeleau. Malgré l’importance de son culte en Bretagne, elle vient en second plan dans le
port des enseignes, juste après la statue de la Vierge. Quand le personnage de sainte Anne apparaît,
dans une tradition orale locale, c’est pour valoriser la troménie au détriment de son sanctuaire de Sainte
Anne d’Auray.

Je cite ici une collecte des légendes de Landeleau, paru en 1906 sous la plume des chanoines Abgrall et
Peyron129. Un pèlerin ayant décidé de faire le pèlerinage à Sainte Anne d’Auray, le jour de la troménie de
Landeleau, rencontre deux personnes sur son chemin l’interpellant :

- Mais n’est-ce pas aujourd’hui le pardon de saint Théleau ?


- Oui, et j’aurais bien aimé y rester, mais j’avais promis d’aller à Sainte-Anne, ce jour-là.
- Eh bien, croyez-moi, dit la femme, retournez à Landeleau, faites avec les autres le tour des reliques, et vous y
gagnerez plus d’indulgences qu’en faisant le pèlerinage de sainte Anne, c’est moi qui vous le dis.
La bonne femme parlait d’un air convaincu, mais notre homme s’imaginant qu’elle voulait lui en imposer,
continua son chemin. Arrivé à Sainte-Anne, il veut se confesser pour faire ses dévotions, mais le prêtre
apprenant qu’il était de Landeleau, le renvoya en lui disant qu’il aurait dû rester au pardon de sa paroisse.
- On me l’a déjà dit, répondit celui-ci.
- Eh bien, dit le prêtre, si vous aviez regardé en face ceux qui vous l’ont dit, vous auriez suivi leur conseil.

Peyron, chanoine, Bulletin Archéologique de l³Association Bretonne, 46e Congrès de Concarneau, 1905, Saint-Brieuc,
129

Imprimerie René Prud’homme -1906

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Là-dessus le pèlerin revient de Sainte-Anne bien déconcerté; en approchant du pays il rencontra les deux
personnages qui l’avaient abordé à l’aller.
- Eh bien, lui dit la femme, avez-vous fait bon voyage?
- Ma foi, non. M. le Recteur de Sainte-Anne m’a bien grondé, m’a refusé l’absolution et m’a dit que j’aurais
mieux fait de suivre votre conseil.
- Ne vous en étonnez pas, mon brave homme; si le Recteur de Sainte-Anne vous a si mal accueilli, c’est
qu’aujourd’hui ni saint Joachim, ni sainte Anne n’étaient chez eux.
Elle souriait étrangement la vieille femme en s’exprimant ainsi; le pèlerin la regarda attentivement ainsi que
son compagnon, et n’eut pas de peine à reconnaître les traits de sainte Anne et de saint Joachim dont il venait
de voir les statues à Sainte-Anne.
C’étaient eux en effet qui étaient allés rendre visite à saint Théleau à l’occasion de son pardon. Le pèlerin ne
savait quelle contenance faire, il s’était machinalement découvert et tournait son chapeau entre les doigts d’un
air fort décontenancé.
- Consolez-vous, lui dit la bonne sainte Anne, il ne vous en coûtera rien pour cette fois d’avoir délaissé la fête
de votre saint patron, mais que la leçon vous serve, car les plus grandes grâces se gagnent aux pieds des saints
de son pays.

Cette histoire n’est aujourd’hui connue qu’à travers les publications d’Anatole Le Braz et des chanoines
Abgrall et Peyron.

d – Notre-Dame du Sacré-Cœur

C’est la statue la plus récente, elle est offerte après la Seconde Guerre mondiale par Mme Guichoux du
bourg de Landeleau; son port est réservé à la classe des femmes de cinquante ans.

e – Statue Notre-Dame de Lourdes

Elle est portée pour la première fois lors de la troménie de 1926, par dix-huit femmes, par la suite ce
chiffre se stabilisera autour de seize. En 1959, l’abbé Le Scao la réserve à la classe des jeunes filles de
quatorze ans. En 1994, par désistement des intéressées, elle cesse d’être portée lors de la troménie.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

3 - LES BANNIÈRES

a – Bannière de saint Telo

Caractéristiques techniques : Poids : 9 kg, hauteur : 319 cm, double toile brodée de 106 X 142 cm,
diamètre de la hampe : 5,5 cm. Sur le recto de la bannière est brodée la figure de saint Telo à cheval sur
un cerf, portant crosse et mitre accompagnée de la mention : Sant Telo Patron Landelo; Pedit evit ho Pugale
(saint Telo, patron de Landeleau; priez pour vos enfants). Sur le revers est brodée la figure de saint
Roch escorté de son chien, accompagné de la mention : Sant Roch Pedit Evidomp (saint Roch priez pour
nous). Comme pour la bannière de la Vierge, deux guidons pendent des deux côtés sommitaux du T de
la hampe.

La plus vieille citation précise date de 1887, son port est alors réservé aux jeunes conscrits de l’année.
Après 1889 le rédacteur du cahier ne mentionne que la catégorie des personnes désignées130 :
En 1889, jeunes gens qui ont tiré au sort - en 1891, les futurs conscrits de l’année - en 1892, les
conscrits de l’année - en 1899, porté tous les ans par les jeunes gens qui doivent partir pour le service au
mois d’octobre.

En 1908 l’ancienne bannière est remplacée par une neuve (c’est cette dernière que nous connaissons
aujourd’hui), à cette date la désignation nominale des porteurs réapparaît131 :

1.Achat d’une bannière neuve à Saint Théleau –sur l’autre côté Saint Roch- fait aux Dames ursulines qui ont
fabriqué la bannière moins les motifs qui sont venus de Lyon. L’image de saint Théleau a été faite sur une
photographie tirée par Melle Du Laz –prix de la bannière : 420 fr-. Jusqu’ici l’ancienne bannière –vrai
torchon- était portée par les jeunes gens qui devaient dans l’année aller au service militaire et ne donnaient
rien. Le recteur demanda une offrande aux porteurs de la nouvelle étant donnée la dépense faite pour l’avoir,
pria ceux qui désiraient la porter de donner leurs noms. Quelques rares firent savoir de loin qu’ils le voulaient
bien. Ils furent agréés et nommés avec d’autres. Sur dix, neuf vinrent et donnèrent chacun 5 fr.

Se mettre sous la protection du saint patron de sa paroisse était le lot de tous les conscrits du canton,
néanmoins certains saints auront plus de succès dans cette fonction. La protection de saint Telo pour
les conscrits était connue dans tout le canton, M. Pierre Hémery né en 1913, futur conscrit
Châteauneuvien est allé faire la troménie pour recevoir la protection de saint Thélo durant son service
sous les drapeaux132 :

130
Anonyme, Cahier des porteurs de bannières 1887 à 1913, Landeleau.
131
Ibid.
132
MM feu Pierre et Henry Hemery, entretien du 11 octobre 2000, Au bon coin à Châteauneuf-du-Faou.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

On allait la faire l’année de notre service militaire, c’était une nécessité de la faire tout (les jeunes) le canton,
(la faisait) pour être protégé pendant le service. Même les non-pratiquants la faisaient.

Le Kantic sant Telo, composé par Cleac’h Coz, contient un couplet dédié aux jeunes conscrits133 :

Ainsi donc, jeunes gens, priez-le avec confiance,


vous qui êtes destinés à garder le drapeau de la France;
faites tous le tour de ses reliques avant de partir pour l’armée,
et vous aurez meilleure chance pour faire votre congé.

Faire la troménie à des fins de protection militaire est une des particularité de cette procession, ceci
nous ramène aux qualités protectrices de saint Telo citée dans sa vie latine du Book of Llan Dâv. Dans le
premier récit, saint Telo aide le roi Idon, contre les attaques Saxonnes, en restant prier durant la bataille
dans la chapelle de Llanarth accompagné de son clergé. Après lui avoir donné la victoire, le roi donne à
saint Telo tout le territoire autour duquel il avait prié134. La seconde mention, place saint Telo comme le
plus ancien saint protecteur breton des chevaux connu, il bénit la cavalerie bretonne allant au combat135 :

Et devant tout le monde, pria Dieu de faire des cavaliers armoricains les premiers du monde; prière qui fut
exaucée, car, aux dires de l’hagiographe, de son temps les Armoricains étaient sept fois plus forts à cheval qu’à
pied. On trouve chez Gaufrei de Monmouth un écho de cette légende. Lorsque Aurélius fait appel aux
Bretons insulaires et continentaux contre les Saxons, il convoque trois mille cavaliers armoricains. Les Saxons
allaient l’emporter dans la bataille qui suivit, sans l’intervention de la cavalerie armoricaine. Cette légende a un
fond de vérité : c’est à cheval que les Bretons armoricains ont livré les grands combats pour l’indépendance et
qu’ils ont notamment remporté la décisive victoire de Ballon sur Charles le Chauve.

Cette exclusivité pour les conscrits n’est pas un simple épiphénomène. En effet la bannière de Notre
Dame du Crann à Spézet avait la même fonction ; on peut voir une attraction plus forte à la troménie,
cette dernière proposant la protection de l’autre monde envers les soldats, autre monde auquel la
troménie intercède chaque année.

L’implication des conscrits dans le port des bannières est effectivement classique : sous l’Ancien Régime, les
bannières sont souvent réservées aux jeunes gens, qui saisissent l’occasion pour faire étalage de leur force ; à
l’heure où le service militaire concerne une part importante de la population, dans le courant du 19e siècle, l’usage
s’est naturellement transféré sur la catégorie des « conscrits »136.

133
Anatole Le Braz, Les saints bretons d'après la tradition populaire, Annale de Bretagne, T 8, p.633-640.
134
Gwenororyn Evans, Ibid., p. 123F.
135
Joseph Loth, « La vie de saint Teliau, d'après le livre de Llandaff », Annales de Bretagne, Tome IX, 1893, p. 81-85.
136
Transmis par M. George Provost, ibid.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
La bannière de saint Telo pourrait être l'enseigne mentionnée dans le coutumier de 1853137, ce qui
expliquerait son remplacement par une bannière neuve en 1908. L’imprécision du texte ne nous permet
pas d’affirmer qu’il s’agit bien de celle de saint Telo qui était portée lors de la troménie, et encore moins
qu’elle était réservée aux futurs conscrits.

En 1887, à l’arrivée des nombreuses enseignes pour la troménie, la bannière est mentionnée en fin de
liste, avec les enseignes portées par les enfants, les plus faibles payeurs; effectivement, au regard des
autres enseignes les futurs conscrits payent rarement le port de leur bannière.

En 1963, alors réservée à la catégorie des futurs conscrits, la bannière est déléguée aux soins de la classe
des hommes de trente ans. L’abbé Le Scao justifie implicitement ce changement de catégorie par
l’absence des concernés138 : « Nous n’avons plus la possibilité d’avoir à la troménie ceux qui vont à la
caserne, mais nous invitons à venir remercier saint Thélo de sa protection ceux qui sont rentrés
d’Algérie ». La classe des jeunes conscrits disparaît, associée à la classe des hommes de vingt ans, la
charge de la bannière du Sacré-Cœur leur étant dévolue. En 1969, ce sont les classes de trente et
quarante ans qui en ont la charge, puis l’année suivante seule la classe des quarante ans est invitée;
aujourd’hui la bannière est réservée à cette seule classe.

Lors de la troménie du 3 juin 2001, sur les dix hommes de la classe des quarante ans invités, seulement
trois étaient présents.

b – Grande bannière de la Vierge

Caractéristiques techniques : Poids : 5 kg, hauteur : 295 cm, double toile brodée de 85 X 140 cm,
diamètre de la hampe : 3,6 cm. Sur le recto de la bannière est brodée une Vierge accompagné de son
titre Regina Virginum (Reine des Vierge). Sur le revers le Sacré-Cœur du Christ est joint de celui de la
Vierge. La bannière de la Vierge à l’instar de celle de saint Telo, possède deux guidons aux extrémités
du T de la bannière.

Elle apparaît dans le cahier des porteurs d’enseignes en 1887, trois porteuses lui sont dévolues; en 1908
elle est remplacée par une bannière neuve139 :

2. Achat d’une bannière neuve à la sainte Vierge que le recteur trouva chez les dames ursulines qui ajoutèrent
le Sacré-Cœur et le cœur de Marie sur le revers. Prix de cette bannière ainsi fournie : 225 fr.

137
Suignard, abbé, ibid.
138
Le Scao, abbé, Cahier des prônes paroissiales 1957-1964, Landeleau, 3 mai 1959.
139
Anonyme, Journal du recteur de Landeleau de 1900 à 1960, 1908.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Mais la vie de l’ancienne grande bannière de la Vierge continue, elle est portée de 1908 à 1914 sous la
dénomination ancienne bannière de la Vierge, puis de 1915 à 1924 sous la dénomination de petite bannière de
la Vierge, puis de 1927 à 1931 sous la dénomination de troisième bannière.

En 1959, la grande bannière de la Vierge de 1908 est déléguée à la classe des femmes de 40 ans, elle est
rénovée en 1950140:

La grande bannière de la Vierge était en piteux état. Grâce aux bons soins de M. Léon de Landivisiau qui avait
confié le travail à une maison de Lyon, cette bannière a maintenant belle apparence. Coût : 34 500 f.

c – Bannière du Sacré-Cœur

Caractéristiques techniques : Poids : 3 kg, hauteur : 246 cm, double toile brodée de 73 X 110 cm,
diamètre de la hampe : 3,4 cm. Sur le recto est brodé un Christ rayonnant un cœur flamboyant. Sur le
revers est brodé la sainte famille (la Vierge, saint Joseph et le Christ enfant).

Elle apparaît dans le cahier des porteurs d’enseignes en 1887, trois hommes sont désignés pour la
porter, le nombre augmente à cinq en 1915 puis après 1925 passe à huit porteurs. En 1957 elle est
entièrement refaite141 :

La bannière du Sacré-Cœur et de la sainte famille a été presque entièrement refaite. Au lieu de sujets en
carton habillés, ce sont des dessins entièrement brodés à la main (même les yeux). Travail fait à Lyon par la
maison de soieries Y. Peret de Lyon. Coût : 90 000 f.

Après 1959, elle est déléguée à la classe des hommes de 20 ans.

140
Ibid., 1950.
141
Ibid., 1957.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

d – Bannière de l’enfant Jésus

Caractéristiques techniques : Poids : 3 kg, hauteur : 246 cm, double toile brodée de 73 X 110 cm,
diamètre de la hampe : 3,4 cm.

Elle apparaît dans le cahier des porteurs d’enseignes en 1887, trois femmes sont désignées pour la
porter; leur nombre assez variable, augmente plus précisément après 1915 pour passer à cinq, puis à
sept en 1927. Après 1959, elle est déléguée à la classe des filles de douze ans.

e – Petite bannière de la Vierge

Caractéristiques techniques : Poids : 2 kg, hauteur : 258 cm, double toile brodée de 74 X 114 cm,
diamètre de la hampe : 3,6 cm. Sur le recto est brodée la Vierge écrasant un serpent, au revers est brodé
un cœur flamboyant.

L’ancienne grande bannière de la Vierge, datant de 1887, est réemployée en 1915 sous le nom de petite
bannière de la Vierge. En 1925, à l’introduction d’une bannière neuve, l’ex-petite bannière est reléguée au
rang de troisième bannière jusqu’en 1931.

Après 1959, la petite bannière de la Vierge de 1925 est déléguée à la classe des filles de quinze ans.

f – Les Guidons

Les guidons sont les cordelettes qui pendent aux deux extrémités sommitales de la bannière, aidant le
porteur à maintenir la bannière dans le vent. Ils sont mentionnés la première fois dans le cahier des
porteurs d’enseignes en 1887, quatre jeunes filles leur sont dédiés; le copiste du cahier de compte de la
fabrique les associe plusieurs fois dans ses comptes avec les étendards. Puis ils ne sont plus mentionnés
par la suite.

Comme je vais l’évoquer au sujet des enseignes des enfants, de nombreuses enseignes ‘secondaires’,
étendards, fanions, lanternes, guidons, sont omis des cahiers de comptes de la fabrique. Il est par
conséquent difficile de suivre leur évolution dans le temps. Leur première mention date de la fin du
XIXe siècle, puis se perd après 1945. A l’appui d’une série de photos datées de 1955 nous pouvons
observer leur présence, mais plus aucune mention dans les archives atteste de leur présence par la suite.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Actuellement le ‘port’ des guidons est empirique, quand ils volent au vent, des membres du groupe
affecté au port de la bannière les rattrapent et les tiennent. L’objet appelle par lui même à une fonction,
sa présence en ‘désordre’ appelle l’attention des accompagnateurs du porteur qui doivent reprendre en
main cet ‘apparent désordre’ sous peine de laisser apparaître au public une mauvaise tenue de la
bannière. J’utilise le mot empirique du port des guidons car personne n’a pu me justifier d’un savoir
transmis quant à leur usage « Je crois que c’est pour maintenir la bannière !», me répond un homme,
« Quand il y a du vent, cela aide beaucoup le porteur à maintenir la bannière droite » me souffle Mme
Claire Arlaux.

D’une fonction ostentatoire, religieuse et payante pour les plus jeunes participants, la désignation pour
le maintien des guidons est abandonnée, ils sont désormais tenus de façon empirique par les membres
du groupe des porteurs.

4 - LES CROIX

Les croix sont les dernières enseignes introduites dans la troménie, la croix d’or apparaît dans le cahier
des porteurs d’enseignes en 1933, ce qui ne veut pas dire qu’elles n’existaient pas avant cette date. Le
rituel catholique est sur ce point très précis « ce qui caractérise la procession, c’est qu’elle suit la
croix »142. Il se peut qu’elles ne fassent pas l’objet d’une nomination avant cette date. Trois autres croix
sont notées pendant la Seconde Guerre mondiale : la première croix, la seconde croix, la troisième croix. Cette
classification correspond aux divisions sociales instituées au sein des pratiques cultuelles paroissiales :
les paroissiens les plus riches bénéficient des faveurs du clergé pour le port d’ornement de première
classe, d’office de première classe etc.

Autrefois il y avait plusieurs croix pour les enterrements, il y avait la première classe et la deuxième classe, et la
troisième classe. La première classe, ils avaient droit à la croix d’or. Ça c’était par ordre [...] On payait plus
cher pour la première classe, c’était selon la notoriété des gens.143

Ce manque d’archives pour la période allant de 1945 à 1970 ne me permet pas de suivre précisément
leur évolution. En 1970 leur désignation a changé, la deuxième croix est réservée aux hommes mariés de
l’année, depuis la dernière troménie, elle peut être aussi nommée, croix de la troménie. La première croix
est dorénavant appelée petite croix.

142
Transmis par George Provost, ibid.
143
Entretien du 28 juillet 2001 avec Marie-Anne Corbel bourg de Landeleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
a - La croix d’or

La croix d’or est depuis 1959, réservée à la classe des hommes de soixante ans, c’est elle qui ouvre la
procession des enseignes. La seconde croix, nommée aussi croix des mariés, ferme la procession. En
dehors de la croix d’or, il est assez dur de suivre le parcours des trois autres croix; leur utilisation
exceptionnelle et la désaffection populaire pour les pratiques cultuelles, effacent leur importance
symbolique de la mémoire collective. Peu de mes informateurs peuvent me différencier les deux croix
argentées, posées contre le mur est du vaisseau droit absidial dans l’église paroissiale. Pourtant Mme
Christiane Rochard me faisait remarquer qu’une année, des troménistes trop pressés s’étaient trompés
de croix et avaient pris la croix d’enterrement, cette dernière se différencie de sa consœur par la
présence d’une boule au pied de la croix au sommet de la hampe.

b- La croix des mariés

Il est très difficile de déterminer l’évolution précise d'événements sur la seule foi de témoignages oraux.
Durant sa fonction, le recteur Jean Ladan a réintroduit la présence d’une croix devant le reliquaire, aux
soins des jeunes troménistes144 :

Les lanternes n’avaient plus de sens, on a mis la croix, qui a plus de sens et d’importance, dans
l’accompagnement. La croix faisait tout le tour de la troménie après cela !

Je n’ai pas retrouvé de documents iconographiques démontrant l’absence de croix le long du parcours,
par contre j’ai pu observer l’évolution du port de la deuxième croix, communément appelée aujourd’hui
croix des mariés, elle est prise en charge par les adolescents dans le courant des années quatre-vingt.
Durant la dernière troménie, c’est un paroissien aidé d’un ami qui la porte jusqu’au chêne, ensuite ce
sont les adolescents de Landeleau, qui sont invités à la porter. Mme Christiane Rochard a pris l’initiative
de veiller au changement de croix145 :

L’année dernière la croix a été oubliée, ils s’en sont rendu compte à Loch Conan, on est allé jusqu’au Pénity
(St Laurent) sans croix; elle était présente au retour. J’ai vu des jeunes, je leur ai demandé s’ils font la troménie,
je leur ai demandé s’ils étaient d’accord pour porter la croix; je les ai retrouvés au chêne (2e station), j’ai pris
l’initiative (de leur offrir le port de la croix pour la suite du parcours), il faut les éduquer, on prépare les
enfants pour plus tard.

L’absence de croix résulte de la difficulté à perpétuer un rituel « traditionnel », dans une société en
pleine mutation. L’organisation paroissiale, responsable de la cérémonie, gère difficilement ces
144
Entretien téléphonique avec l'abbé Jean Ladan, recteur de Landeleau de 1987 à 1994.
145
Entretien du 4 juin 2001 avec Mme Christiane Rochard, Le Rest, Landeleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
mutations démographiques et socioculturelles; les derniers recteurs s’impliquant de moins en moins
dans l’organisation, ne s’occupant que de la partie liturgique de la journée, il en résulte une certaine
organisation minimale gérant au plus juste l’encadrement de la procession, ceci occasionnant des oublis,
des solutions rapides pour faire porter les enseignes.

5 - LES ENSEIGNES JUVÉNILES

a – Les lanternes

Leur présence lors de la procession pour le dimanche de la Trinité, soit deux semaines après la
Pentecôte, est attestée dans le coutumier de 1853. Elles sont citées pour la troménie la première fois en
1887, dans le cahier des porteurs d’enseignes. Leur port, payant, est réservé aux jeunes garçons, au
nombre de deux, puis de quatre en 1897. Après 1959, les communiants de l’année sont désignés pour le
port des lanternes, leur nombre est parfois plus important que le nombre de lanternes, alors ils se
partagent leur port à tour de rôle.

Le port des lanternes est stoppé par décision du recteur en 1995, par réaction à un incident occasionné
par les futurs communiants. Actuellement les quatre lanternes restent rangées dans le grenier de la
sacristie attendant des jours meilleurs.

Le recteur actuel est favorable pour leur réintroduction au sein de la troménie, cet avis n’est pas partagé
par son prédécesseur M. Jean Ladan, qui estimait que les lanternes n’avaient plus de sens dans le
parcours processionnel146: « Les bougies s’éteignaient, les carreaux (des lanternes) étaient cassés, ça
n’avait plus de sens! »

b – Diverses enseignes des enfants

Entre 1887 et 1889, nous pouvons noter la présence de nombreuses enseignes portées par les enfants :
Guidons, étendards, étendards de saint Thélo, oriflammes, rubans de la sainte Vierge et drapeaux. Par la
suite elles sont notées plus épisodiquement, parfois elles sont associées sous une même rubrique. Les
oriflammes et les rubans de la sainte Vierge sont réservés aux filles; les drapeaux, les guidons et les
étendards peuvent être sexués ou asexués.

146
Entretien téléphonique du 18 août 2001 avec l’abbé Jean Ladan.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Sur des documents photographiques datant de 1953, nous notons la présence de jeunes filles de moins
de douze ans, encadrées par des sœurs religieuses, tenant dans leurs mains de petit fanions triangulaires.
Mes informateurs se souviennent difficilement de ces fanions. Le port de ces enseignes de moindre
importance est rarement nominal, le plus souvent il est noté pour les catégories garçons ou filles,
parfois les deux, néanmoins leur port est le plus souvent payant mais la contribution enfantine reste la
plus modeste de toutes.

Les enseignes réservées aux enfants ont disparu dans la période allant de 1953 à 1967, et depuis cette
date je n’ai trouvé aucune mention de leur présence dans l’iconographie existante.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

B - Le reliquaire et les reliques

1 - D E L’ O R I G I N E DES RELIQUES À NOS JOURS

Les reliques de saint Telo sont intéressantes à plus d’un titre, par leur pérégrination extraordinaire et par
leurs usages variés. Leur histoire commence à la mort de saint Telo vers la fin du VIe siècle, 566 selon
Anthony Bailey147.

a – Les trois corps de saint Telo

LE RÉCIT DE LA MORT

La vie latine du Book of Llan Dâv écrite au XIIe siècle nous relate la dispute de la dépouille de saint Telo
suite à sa mort survenue dans son monastère de Llandeilo Fawr. Par contre elle ne nous donne aucun
renseignement sur les circonstances de sa mort.

Par commodité j’utilise la traduction parue dans la Semaine Religieuse148. Comme tous les articles de
l’hebdomadaire de l’évêché, elle est anonyme, mais elle peut être attribuée fort probablement au
chanoine Peyron, qui a travaillé avec le chanoine Abgrall à la rédaction de la plaquette sur Landeleau. La
traduction est plus littéraire que littérale, mais cela ne porte pas à conséquence pour notre étude.

Dans la nuit même de son trépas, une grave dissension s’éleva entre les membres du clergé de ses trois
Eglises, dont chacune, s’appuyant sur ses propres droits et privilèges, prétendait à la possession de son corps.
La première, l’Eglise de Pennalun, faisait valoir qu’elle était le lieu de sépulture des aïeux de saint Théleau,
dont le patrimoine était sur son territoire; la seconde avait vu ses débuts dans la vie monastique, puis sa vie
solitaire sur la rive du Tyui, et c’était là aussi qu’il avait glorieusement terminé sa carrière; en troisième lieu,
l’Eglise de Landaf se prévalait des droits du siège épiscopal, des privilèges et de l’autorité qui lui
appartenaient, [...] Le matin, un vieillard, regardant l’endroit où le corps était exposé, poussa un grand cri. [...]
Voici qu’on vit trois corps, de dimensions semblables, de visages également beaux, de conformation tellement
identique, qu’aucune dissemblance ne s’y pouvait constater. Un tel prodige ayant ramené la paix, les clercs s’en
allèrent chacun à son église, où ils ensevelirent, avec les plus grand honneurs, chacun des trois corps. Mais par
les monuments que nous ont laissés nos pères, on sait, à n’en pouvoir douter, que tout le peuple reconnut
Landaf pour la vraie sépulture du saint, car les miracles y furent beaucoup plus nombreux. A la tombe de ce
pontife si grand, d’innombrables malades étaient délivrés de toutes leurs infirmités, les aveugles recouvraient

147
Anthony Bailey, The Legend of Saint Teilo’s Skull, Preseli Heritage Publications, Llangolman,1996, p 4-6. Il donne comme
date approximative de la vie de saint Telo 480 - 566 ap J.C.
148
Peyron ?, chanoine, « Saint Théleau », La Semaine Religieuse du diocèse de Quimper et de Léon, n° 27, 30, 43, 44, 45 -
1895, n° 1, 3, 5 - 1896.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
la vue, les sourds entendaient. Ces merveilles, et bien d’autres plus nombreuses et plus éclatantes encore, mes
frères bien aimés, la vertu divine les a opérées pour glorifier le très saint confesseur Théleau.

LES T RO I S É G L I S E S S A N C T UA I R E S

Le texte nous évoque trois villes galloises liées à la personne du saint. Pennalun (Penalun ou Penaly) lieu
de sa naissance, Landaf (Llan Dâv ou Llandaff) lieu de sa charge épiscopale et son monastère de
Llandeilo Fawr.

Penalun :
Le chanoine Doble cite à Penalun le corps d’un saint non identifié qui a été crédité autrefois être le
corps de saint Telo. Mr George Cadvill, historien local de Penalun, n’a pu me confirmer la citation de
Doble.

Llandeilo Fawr :
Comme nous l’avons précédemment cité au sujet du rayonnement de la maison de Telo à Llandeilo
Fawr, il est communément admis que la vie latine écrite à Llan Dâv avait pour but de récupérer les
privilèges de Llandeilo Fawr, en déclin au XIIe siècle, en associant Llan Dâv à la vie du saint. Llandeilo
Fawr n’avait pas encore perdu sa réputation de lieu saint quand en 1295, Edouard Premier visite l’église
de Llandeilo Fawr, sur son trajet de retour en Angleterre, et fait une oblation d’un tissu pour le tumulus
du saint « the tumulus of Saint Thilawi at Thlanthilogh Vaur 149». Ce qui indique la présence d’une tombe,
un tumulus, visible encore à cette époque. Actuellement il n’y a plus aucune trace de la tombe ou des
reliques du saint à Llandeilo.

Llan Dâv :
Troisième lieu de sépulture selon la vie latine, et qui possède encore plusieurs monuments et objets
dédicacés à saint Telo. Une porte monumentale du XIIIe siècle, un enfeu avec un corps, un morceau de
calotte crânienne. La statue du saint célébré par le poète du XVe siècle, Llwyd ap Gwilym150 (Jean le Gris
fils de Guillaume), était encore présente avant les destructions iconoclastes de la révolution protestante.
La calotte crânienne présentée au public aurait été prise sur le corps de Telo au XVe siècle. Nous en
reparlons plus longuement dans la partie consacrée aux reliques galloises.

LA TRIPL ICATION DU CO RPS

La triplication du corps de saint Telo nous ramène selon le révérend W. Strange aux mythes celtiques
très présents en ce début de christianisation. « The story of Teilo’s triple body may therefore provide evidence that

149
E.B. Fryde, cité par le révérend William Strange, The Book of Prests of the King’s Wardrobe for 1294-5, Oxford : Clarendon;
Oxford, 1962, p 200.
150
Wiliiams Edward, Iolo manuscripts : a selection of ancien welsh manuscripts, Llandovery, William Rees, 1848, p 296.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
the early Christian community at Llandeilo Fawr not only claimed the sacred springs and groves of the older paganism in
Teilo’s name, but equally readily appropriated the myths of the older gods for the greater honor of their saint151 ». Je ne
développe pas plus longuement les nombreuses analyses portées à son argumentation, elles sont issues
des textes hagiographiques et des découvertes archéologiques.

Les triades galloises, recueils de textes du Moyen Age, relatent elles aussi la triplication du corps du
saint152 :

Tri Chorff a wnaet Duw er Theilav :


(vn) yssydd yn Llandaff y Morgannvc,
Yr eil yn Llan Teilo Vavr,
A’r trydydd yMhenalun yn Dyfet,
mal y dyweit yr Ystorya.

(Three Bodies which God created for Teilo : The first is at Llandaff in Morgannwg, the second at Llandeilo Fawr, and
the third at Penalun in Dyfed, as the History tells us)
(Trois corps que Dieu créa pour Telo : Le premier est à Llandaff dans le Glamorgan, le second à
Llandeilo Fawr, et le troisième à Penalun dans le Dyfed, comme l’histoire nous l’apprend).

151
Strange William, reverend, « The Rise and Fall of a Saint's Community: Llandeilo Fawr 600-1200 », The Journal of Welsh Religious
History, en cours de publication.
152
DS Brewer, cité par Elissa Henken, Traditions of the welsh saints, Teilo, Cambridge, 1987, p 133.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

b - Les reliques contemporaines

LES RELIQUES GALLOISES


L’histoire nous apprend que saint Telo fut inhumé dans trois villes de Cambrie, et seule la cathédrale de
Llan Dâv conserve à ce jour une relique remontant d’avant la révolution protestante. Cette dernière a
connu un périple qui l’a amener de Llan Dâv, à la campagne galloise avant de partir pour l’Australie puis
pour Hong Kong avant de réintégrer son lieu d’origine en 1994.

L’histoire153 de la calotte crânienne de saint Telo commence au XVe siècle avec Sir David Mathews,
gardien de la tombe de saint Telo à Llan Dâv. Il restaure la tombe du saint après les diverses
dégradations subies au cours du siècle : raid pirate de Bristol en 1403, sac par Owen Glyndwr. Sir
Mathews se voit confier la garde du crâne de saint Teilo par l’évêque de Llan Dâv, charge qui se
perpétuera au sein de la famille à travers la descendance mâle, soit jusqu’en 1658. A cette date le
septième descendant, William Mathews, n’ayant pas de descendance mâle, décide de confier la
précieuse relique à ses bons amis, les Melchiors, locataires de ses terres à Llandeilo dans le
Pembrokeshire.

A cette date nous perdons sa trace jusqu’en 1897, où une équipe de la Cambrian Archaeological association,
à la recherche de pierres inscrites dans le Pembrokeshire, retrouve la relique à Llandeilo-Llydarth
conservée et utilisée par les descendants de la famille Melchior. Miss Melchior utilise la calotte
crânienne de saint Telo comme coupelle pour administrer l’eau de la source à des fin curatives. La
source est appelée dans le voisinage, Ffynon yr Ychen (The Oxen’s Well). Le chroniqueur nous cite une
histoire de guérison exceptionnelle154. « Un vieil homme du voisinage nommé Stephen Evan, nous
conte l’histoire d’un transport tiré par quatre chevaux invalides, qui pour se restaurer ont bu l’eau de la
source. Ils s’en retournèrent aussi mal en point qu’ils étaient venus parce qu’ils n’avaient pas bu l’eau
propice de la source à l’aide de la relique. Déterminé le conducteur décide refaire le long trajet de
Swansea à la source et de recevoir l’eau de la manière traditionnelle. Cette fois-ci ils furent guéris ».

L’archevêque Mathews, descendant d’une branche cadette de l’ancêtre gardien, essaya en vain en 1890
de recouvrer la précieuse relique. En 1927 Miss Dinah Melchior accepte de rétrocéder la relique à la
famille Mathews contre la somme de 50 £. Quelques journaux avant-guerre essayent sans succès de
retrouver les nouveaux propriétaires. Le mystère s’est résolu en 1993 avec la restitution de la relique à la
cathédrale de Llan Dâv par le capitaine Mathews, résidant à Hong Kong et dernier descendant mâle. Il
avait lui même reçu la relique de son père Frank Mathews résidant australien mort en 1982. La sœur de
153
Anthony Bailey, The Legend of Saint Teilo’s Skull, Llangolman, Preseli Heritage Publications, 1996.
154
Ibid., cité par Anthony Bayley, p 12-13.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Mr Mathews, Mrs Upton nous apprend que la dernière personne à avoir utilisé la ‘coupe’ (la calotte
crânienne) était sa sœur, Jane Mathews, juge de la cour suprême, lors d’une célébration de la fête de
saint Telo dans l’hémisphère Sud le 9 août. La juge a invité ses amis juges à boire dans la relique lors
d’un rassemblement dans le Downing Centre Court complex.

La cérémonie de restitution à la cathédrale de Llan Dâv a lieu le 9 février 1994, en présence de l’évêque,
du capitaine Mathews accompagné de sa femme et de sa fille. Aujourd’hui la relique est enchâssée dans
un reliquaire en argent rangé dans un écrin encastré dans le mur de la chapelle de saint Telo, dans
l’abside nord-ouest de la cathédrale. Le clergé anglican, d’influence protestante, ne pratique pas le culte
des reliques comme nous l’observons dans le catholicisme. La relique est plus valorisée par son statut
historique que par sa sacralité.

Il existe bien un gisant de saint Telo dans la cathédrale, mais personne n’ose affirmer qu’il s’agit bien du
tombeau historique, encore moins qu’il s’agit du saint éponyme. Le tombeau a été ouvert en 1850,
dedans se trouvait un témoignage d’une autre ouverture datant de 1736 ; la personne inhumée apparut
être un évêque par son habit pastoral et sa crosse155.

LES RELIQUES ARMORICAINES


Les reliques armoricaines sont plus difficiles à suivre dans le temps, seules celles de Landeleau offrent
un suivi chronologique plus consistant.

Landeleau (29) :
La première mention des reliques date de 1555, dans un document sur les prééminences à Landeleau de
la famille Du Chastel seigneur de Châteaugall156 :

Prééminences à Landeleau, St Herbot, Les portes, Huelgoat, Pénity St Laurent, Lansiliac, procession des
reliques et remises d’offrandes.

155
David Hugh Farmer, The oxford dictionary of saints, second edition, Oxford, 1987, Oxford university Press, p 398: “The
tomb of Teilo, on which oaths were taken, is in Landaff Cathedral. It was opened in 1850. Inside it was a record of another
opening in 1736 : the Parson buried appear’d to be a bishop by his Pastorall Staffe and Crotcher’. The staff had dropped to
pieces, but the ‘crotcher’ of pewter, still just held together. A large cup by his side had ‘almost perished”.
156
Clet Berriet, abbé, « 1555 », Table des archives de Landeleau, recteur à Landeleau de 1892 à 1898, manuscrit.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
La seconde mention date de juin 1639 à propos des comptes de la fabrique157:

Madame de Mezle doit payer à l’arbre de St Thelo un sol par an le lundi de Pentecôte, rente annuelle de 12
sols pour le tombeau de M. de Merros en l’église de Landeleau et reçu 32 sols du seigneur de Merros pour les
deux torchers de flambeaux (sic).
D’avoir reçu Messieurs Les [Gde] [Cudamen] pour [acheptecomber] [passez] la dite Eglise, lorsqu’il porteront
les reliques à la chapelle de [Mouson] S. Laurent en procession je charge d’avoir reçu 20F.

Le 27 juin 1845, Monseigneur Graveran évêque de Quimper fait ouvrir le reliquaire et authentifie les
reliques qui « sont vénérées dans la paroisse de temps immémorial ». Le 9 novembre 1904,
Monseigneur François-Virgile Dubillard, évêque de Quimper, au vu de la reconnaissance des reliques
de Landeleau par son prédécesseur, « en extrait une parcelle pour M. Le Recteur de Landaul (Morbihan)
et l’avons fait refermer et sceller de notre sceau sur ruban rouge ».

Plus récemment, à ma demande, le docteur Philippe Arlaux158 a bien voulu se prêter au jeu de
reconnaître à travers la vitre du reliquaire les saints ossements. Il s’agissait d’aller au-delà des
nombreuses rumeurs non-vérifiées qui voyaient dans les reliques un bras. Malgré la présence de l’équipe
féminine chargée de l’entretien de l’église, nous avons pu observer à notre aise les précieux os159.
Nous avons donc, non pas un bras mais des os de tout le corps :
 un cubitus (os de l’avant-bras)
 un tibia et un bas de fémur
 un humérus entier plus un bas d’humérus
 un morceau de crâne
Le tibia (os de la jambe) étant l’os le plus long prend la diagonale de la boîte, il en détermine sa
longueur : 33 cm. Nous avons deux articulations, un bras et une jambe. D’après la longueur du tibia, on
peut dire que son propriétaire était de petite taille. Je traiterai plus loin de cette étonnante sélection d’os,
inhabituelle pour des reliques.

Aucun autre saint n’a eu ses reliques vénérées à Landeleau, par déduction nous en concluons que ce
sont toujours les reliques de saint Telo qui sont vénérées de temps immémorial.

157
Ibid, « 1639 ».
158
Je tiens à remercier M. Arlaux de son extrême obligeance envers mes sollicitations scientifiques.
159
Cet apparent abandon des reliques durant l’année me fait renforcer l’idée d’un propitiatoire extraordinaire plutôt qu’un
propitiatoire à usage quotidien.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Saint-Théleau en Plogonnec (29) :


Il existait à la chapelle de Saint-Théleau en Plogonnec un reliquaire exposé à la vénération des pèlerins
lors de la grande troménie de Locronan, comme nous le montre une photo prise au début du siècle. Par
déduction je pense qu’il devait contenir des reliques du saint patron, mais je n’en ai retrouvé aucune
trace.

Landaul (56) :
Comme nous l’avons précisé, les reliques de la paroisse de Landaul proviennent du reliquaire de
Landeleau, ouvert pour la circonstance en 1904 par l’évêque de Quimper.

2 - DES RELIQUES BIEN PROTÉGÉES

a - La châsse reliquaire de saint Telo

Les reliques du saint patron sont fixées, sur un velours rouge avec de la ficelle dorée, dans un reliquaire
en plomb en forme de boîte rectangulaire, comportant une face vitrée. Le reliquaire est recouvert de
peinture dorée et sur sa face supérieure est peinte la mention suivante : SANT THELEAU PEDIT
EVIDOM (saint Théleau, priez pour nous). Devant le très mauvais état de la châsse le recteur décide de
la faire réparer :

A l’occasion de la troménie on a été plus généreux, mais la châsse des reliques est en très mauvais état. Il faut
la réparer. Elle est partie à l’usine, le devis de réparation est de 40 000 fr. Les frais de la troménie se sont
élevés à 25 000 fr. Plus de la moitié des recettes sont donc déjà utilisées160.

La facture dépasse de 21 000 fr le montant initial du devis :

Les offrandes à l’occasion de cette troménie permettront de payer la réparation du reliquaire de la procession,
qui était en très mauvais état et n’aurait pas tardé à être inutilisable. Les frais de réparation se montent à 61000
fr.161

Le reliquaire est enfermé dans une châsse reliquaire si remarquable que j’en emprunte la description à
l’Abbé P.Y. Castel :

160
Le Scao, abbé, Cahier des prônes paroissiales, 19 juin 1960, saint sacrement.
161
Le Scao, abbé, Les chemins de la troménie, n°40, mai 1960, Landeleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Dans le vaste champ des reliquaires la châsse de saint Théleau constitue une curiosité assez exceptionnelle et
mérite plus d’un regard distrait même si le coffret coiffé par une toiture en bâtière, n’est guère original (L. :
0,36 m, l. : 0,14 m, H. : 0,24 m). Il rappelle la maison ou la chapelle, mais aussi le tombeau, le sarcophage ou le
cercueil ancien, rien que de très habituel pour un type d’objet destiné à recueillir les reliques d’un saint
personnage. Ce qui est moins courant ce sont les deux grands cerfs qui se regardant l’un l’autre, portent le
coffret en travers de leur échine. Deux cerfs et non un cerf et une biche comme dit le « Nouveau Répertoire
des Eglises et chapelles du diocèse de Quimper et de Léon » (1988, notice Landeleau), reprenant la
description du « Bulletin diocésain d’histoire et d’archéologie » (1916, p. 295). Une autre particularité de la
châsse est son matériau, du plomb ordinaire pour le corps de l’objet avec des éléments en étain, et du zinc
pour la réparation relativement récente de la porte sur l’arrière.
L’auteur de l’ouvrage demeure anonyme. N’utilisant ni le cuivre, ni le bronze, ni l’argent, apanage des
orfèvres, il fait partie de la corporation des potiers d’étain. Fournisseur d’ustensiles domestiques, écuelles et
pots, le potier d’étain donnait à l’occasion dans le religieux. Il lui appartenait de couler dans des moules plats
les figurines pieuses vendues aux pardons pour constituer de petits oratoires et les enseignes de pèlerinage que
l’on cousait au revers du manteau. Ajoutons que la châsse étant antérieure au XVIIe siècle, il ne faut pas
s’attendre à la trouver marquée de poinçons de contrôle ni même de maître. Disons aussi qu’en cinq siècles de
processions elle a connu bien des vicissitudes, d’où le raccourcissement des pattes des deux cerfs, éléments
fragiles par essence, où se distinguent fort bien les raccords du réparateur.
La large ouverture rectangulaire pratiquée sur l’avant relaye la lunette ovale qui sur la pente du toit permettait
la vénération par osculation. Au dos, deux vantaux horizontaux montés sur charnières permettent d’accéder à
la boîte rectangulaire, en plomb elle aussi, mais doré, où est conservé le petit lot des cinq ossements. La boîte
venant s’ajuster exactement dans l’intérieur de la châsse se présente aujourd’hui de telle façon que les reliques
sont visibles de face. Mise dans une position inversée, sur le champ, on les apercevait jadis par la lunette ovale
supprimée. La mention : SANT THELEAU PEDIT EVIDOM a été peinte récemment sur la boîte intérieure
en grande lettres.

L’aménagement de l’ouverture transversale sur la face antérieure a pu amener la suppression d’une partie des
ornements du reliquaire, qui ne demeurent intacts que sur les élévations latérales. Ici, ce sont des fenestrages
gothiques flamboyants, à l’instar de ce que l’on voit dans les églises et les chapelles de la région. Des trois
baies ogivales aveugles, celle du centre domine surmontée d’une rose composée de six trilobes. A la différence
des baies inférieures dont les soufflets et les mouchettes sont unis, les trilobes de la rose sont garnis de
pointes. Un tel détail situe le reliquaire au temps où le flamboyant orné le cède au profit d’un flamboyant
épuré, selon une loi inverse à celle qui veut que dans leurs évolutions les styles aillent du plus simple au plus
complexe. On est donc ici dans la première moitié du XVIe siècle, où le gothique toujours vivant vient aussi
s’égayer d’ornements Renaissance. Ainsi, les pignons accueillent des macarons d’homme et de femme, celui-ci
dans un cartouche fleuri, motifs charmants qui se retrouvent sur la face antérieure. Notons aussi, pignon de
gauche, un petit saint Michel terrassant le dragon. En motif d’amortissement des pignons, un lion d’origine se
tient accroupi en face d’une croix, fruit d’une réparation sommaire. Quant à la crête faîtage visible sur
d’anciennes photographies, elle a disparu.
Un des intérêts du reliquaire réside dans le cortège des dix-huit personnages plaqués dans les niches et les
fenêtres signalées plus haut, dix-huit figurines en bas-relief, de deux à trois centimètres, dont plusieurs sont
tirées du même moule. En voici le détail :

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Face antérieure à gauche :
1.Saint Jacques le Majeur, tunique retroussée pour faciliter la marche, aumônière en bandoulière et bâton de
pèlerin en main.
2.Crucifix sans bras, les pieds croisés.
3.Apôtre, livre ouvert et bâton.
Face antérieure à droite :
4.Saint Tugen, mitre crosse et chasuble, appuyé sur une clé dont la tête repose sur le sol.
5.Apôtre ... voir n° 3.
6.Saint Jacques ... voir n° 1.
Face latérale de droite :
7.Crucifix ... voir n° 2.
8.Sainte femme non identifiée.
9.Apôtre ... voir n° 3.
10.Saint Tugen ... voir n° 4.
11.Sainte femme ... voir n° 8.
12.Apôtre ... voir n° 3.
Face latérale de gauche :
13.Crucifix ... voir n° 2.
14.Saint Tugen ... voir n° 4.
15.Apôtre ... voir n° 3.
16.Sainte femme ... voir n° 8.
17.Saint Roch montrant sa plaie accompagné de son chien.
18.Sainte femme ... voir n° 11.

Le choix des personnages, dont plusieurs sont dupliqués, est traditionnel. Trois Christs en croix (n°2, 7 et 13),
les bras coupés pour cadrer avec les niches. Quatre saintes femmes (n° 8, 11, 16 et 18) qui pourraient être la
Vierge Marie. Deux apôtres représentés par saint Jacques (n° 1 et 6) et un second personnage non identifié
(n°5, 3, 9, 12 et 15). La présence de saint Roch (n° 17) qui avait sa chapelle près de Châteaugal, et où se tient
la quatrième station de la troménie, n’est que normale. En revanche la question se pose devant le saint Tugen
à la clé (n° 4, 10, 14). Guérisseur de la rage, on le convoque ici pour conjurer la meute qui, selon la légende, se
déchaîna en pleine nuit à Châteaugal contre saint Théleau.

L’église de Landeleau possède un second reliquaire, fine chapelle néo-gothique en bronze doré, portant la
mention : OFFERT PAR L’AMICALE DU 42 RAC, 16 MAI 1948. Sans doute jugeait-on une telle pièce plus
convenable pour honorer les reliques de saint Théleau. Mais résistance heureuse de la tradition, il est resté
désespérément vide.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

b - Des gardiens armés de baguettes


§
Il peut paraître étonnant d’observer qu’autrefois les porteurs du reliquaire de saint Telo étaient
accompagnés de plusieurs gardiens armés de baguettes de coudrier. L’origine de cette fonction trop
marginale pour être relevée par les chroniqueurs anciens est difficilement traçable dans le temps. Les
plus anciennes références de gardiens armés de baguettes ou de bâtons proviennent des récits de la
grande troménie de Locronan. Pourtant il existe un fonds folklorique local (danse, légende, conte) sur
les baguettes de coudrier assez important pour ne pas être négligé. C’est à travers cet ensemble de
perspectives que nous pouvons avancer dans l’analyse symbolique et sociale du rôle de ces gardiens
armés de baguettes.

AU S E RV I C E D U M A I N T I E N D E L’ O R D R E

Nous devons les plus anciennes mentions de gardiens armés de baguettes à la troménie de Landeleau
au récit des chanoines Abgrall et Peyron datables du début du siècle. Leurs fonctions est bien trop
anodine dans le rituel pour interpeller les observateurs. C’est d’ailleurs à cause d’une rixe à la grande
troménie de Locronan que nous devons le témoignage plus ancien de leur existence dans une
troménie162 :

Il y avait des cantines ; on y buvoit et mangeoit. Et lorsque la procession commença à défiler, je suivis
immédiatement les prestres, pendant que je voyois tous ces drôles habillés de blanc, de tous côté, pour faire
place, roulant du bâton et même autour de moy. Ce qui me fit grand plaisir et aux prestres, car sans cela je ne
say pas comment nous nous serions tirés d’affaire, car tout le monde vouloit estre proche des reliques et avoir
occasion de passer souvent dessous et repasser. J’y passai aussi une fois par l’aide de trois ou quattre de cette
jeunesse, quoi qu’elle fut bien yvre, et de tems en tems se battoient eux-mêmes à bons coups de bâton..

J’emploie le mot existence, car les gardiens du reliquaire ont disparu vers la seconde moitié du XIXe
siècle à Locronan. Dans ce récit les gardiens sont décrits portant des bâtons, la description nous les
rapprochent des pen-baz traditionnels, bâtons à l’extrémité noueuse caractérisant l’importance sociale de
son propriétaire, homme et non enfant.

On a voulu souvent voir à travers ces bâtons honorifiques des casses têtes redoutables, ce qui n’a jamais
été démontré. Autrefois, au non moins célèbre pardon de Saint-Servais, on entendait s’entrechoquer les
pen-baz des Cornouaillais et des Vannetais, avant la lutte sans merci (sans l'usage de pen-baz) pour la
bannière de saint Servais, cette dernière étant censée protéger les cultures de la région contre les gelées
de l’année à venir.
Paul Parfouru, Une rixe à Locronan, pendant la procession de la troménie (14 juillet 1737), Rennes, imprimerie Simon,
162

1897, p 13.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Dans le récit locronanais les gardiens, sous l’emprise de l’alcool, se battent rudement avec leur bâtons
devant les troménistes, puis se réconcilient comme si rien ne s’était passé. Le chroniqueur décrit une
cohue derrière le reliquaire et l’intervention musclée des gardiens pour assurer le maintien de l’ordre.
Dans ce récit la fonction de maintien de l’ordre des gardiens du reliquaire prédomine.

C’est en substance le même commentaire atténué que font les chanoines Abgrall et Peyron sur leur rôle
au début du siècle à la troménie de Landeleau. En arrivant à la chapelle du Lannac’h, les porteurs du
reliquaire élèvent le brancard à bout de bras au-dessus de la porte d’entrée, permettant aux pèlerins de
passer sous les reliques :

Essayant au passage de toucher de la main les reliques ou du moins les franges du brancard qui les supporte,
et c’est ici qu’interviennent avec leur baguette les deux gardes; ils tolèrent bien qu’on touche les franges, mais
si les mains ont la témérité de vouloir toucher aux reliques elles-mêmes, la baguette blanche s’abat
immédiatement sur la main audacieuse; mais il n’y a que deux baguettes, pour cinq ou six mains qui se tendent
à la fois, et plusieurs ont pu satisfaire leur dévotion sans que leurs doigts soient trop endoloris.

Les chanoines nous décrivent bien des baguettes et non des bâtons à l’usage douloureux pour contrer
les mains audacieuses.

Bien que cette notion de maintien d’ordre soit largement commentée dans les récits anciens, les
témoignages oraux des troménies entre 1940 et 1970 ne citent pas cette nécessité. Pourtant, j’ai trouvé
une mise en garde de bonne tenue des paroissiens le jour de la troménie dans le coutumier de 1853 : «
4° Qu’on devra, en allant et en retournant, marcher avec ordre, se garder de se jeter les uns sur les
autres ni sur les pèlerins163 », recommandation que l’on retrouve régulièrement dans le cahier des
annonces prônales : « Je prie ceux qui veulent faire le tour des reliques de ne pas se bousculer et de se
tenir derrière les reliques164 ». Pourtant à cette période, d’après le témoignage oral de l’abbé Premel165,
vicaire à Landeleau de 1948 à 1954, on n’observe aucune bousculade après le reliquaire « De mon
temps, c’était pas une nécessité; je n’ai jamais vu de chahut ». La puissante ferveur religieuse envers les
reliques du saint, génératrice de bousculades, semble s’être dissipée avec l’évolution des mœurs. Cette
évolution générant la disparition à plus ou moins court terme de l’importance des gardiens, que l’on
observe au milieu du XIXe siècle dans la grande troménie de Locronan, en 1962 à Landeleau.

Néanmoins, si la cohue n’est plus de mise après le reliquaire, tous les anciens de Landeleau vous disent
qu’il importe de ne jamais dépasser le reliquaire, et de le faire remarquer chaque année au recteur. A ce

163
Suignard, Abbé, Ibid., « Dimanche dans l’octave de l’Ascension ».
164
Anonyme, « 28 mai 1944, dimanche de Pentecôte », Cahier des prônes paroissiales, Landeleau.
165
Entretien téléphonique du 31 août 2001 avec l'abbé Jean Premel, vicaire à Landeleau de 1946 à 1954.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
propos, ils vous rappellent que les gardiens armés de baguettes empêchaient la foule de dépasser le
reliquaire, indiquaient aux porteurs les arrêts... Même si l’ordre processionnel peut laisser à désirer, de
nouveaux gardiens ou un service d’ordre n’est pas à l’ordre du jour au conseil de gestion paroissial166.

LES BAG U E T T E S

§L’usage des baguettes a disparu avec la nomination des gardiens qui étaient désignés par les acheteurs
des reliques. La seule baguette que j’ai retrouvée était abandonnée derrière le baptistère de l’église et
correspond aux baguettes observées sur les anciennes photos. Soit une tige de noisetier d’un mètre de
longueur, écorcée sur toute sa longueur exceptés les dix derniers centimètres; ce type d’écorçage à 90 %
se retrouve sur les pen-baz des paotr saout (verges des garçons vachers) pour mener les troupeaux au
champ. La tige est légèrement courbée, le diamètre de l’extrémité basse, 15 mm, est inférieure à son
extrémité haute, 18,7 mm, facilitant ainsi le maintien dans sa partie la plus large et la partie la plus fine
frappant le sol et les mains impudentes. Cette dernière se finit par un bout noueux et aplati par les
coups portés au sol, à l’inverse de la poignée dont l’extrémité est finement taillée en demi-coupole
rendant agréable sa manutention. Le bois utilisé est du noisetier, appelé populairement coudrier,
apprécié pour sa facilité de débitage, permettant la réalisation de baguettes droites et flexibles.

Le noisetier (ou coudrier) :


Le noisetier est une essence sacrée pour les peuples celtes, il servait à la confection des baguettes des
druides irlandais, il est associé à plusieurs repas présacrificiels167. Nous l’apprenons par l’autopsie de
divers corps humains retrouvés dans des tourbières, et par un texte de malédiction écrit sur une feuille
de plomb daté du IVe siècle retrouvée dans la vase de la rivière Little Ouse à Brandon dans le Suffolk168 :

[Quiconque]... esclave de l’un ou l’autre sexe, homme ou femme libre, homme ou femme...a commis le vol
d’une casserole en fer, il est sacrifié au Seigneur Neptune avec du coudrier.

Plus proche de nous, les sourciers utilisent des branches de noisetier pour la fabrication de leur baguette
en Y. La tradition populaire a conservé beaucoup de croyances quant au pouvoir du noisetier, je renvoie
à la lecture de l’excellent ouvrage d’Eugène Rolland169, Flore populaire ou histoire naturelle des plantes. Pour
résumer, les baguettes de noisetier ont la capacité de concentrer le pouvoir de leur propriétaire sur le
matériel, ou de contrer les forces occultes, l’auteur cite plusieurs dizaines de possibilités allant des
maladies, aux sorts, aux bêtes, aux amoureux...

Contes :
166
Termes collecté auprès des paroissiens, l'évêché préférera les termes de « relais paroissial » ou de « conseil économique ».
167
Miranda Green, Les druides, trad. Claire Sorel, Paris, Errance, 2000, p 73.
168
Ibid. p 73.
169
Eugène Rolland, Flore populaire ou histoire naturelle des plantes, dans leurs rapports avec la linguistique et le folklore, T
X, Paris, Maisonnneuve et Larose, 1967, p 182-200.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
La force des baguette prend toute son ampleur dans les contes où elles prennent une dimension
magique. De par leur grand nombre je limiterai ma sélection à l'enquête de Luzel en Basse Bretagne. Le
héros du conte reçoit une baguette blanche, d’un roi mendiant (Luzel, T I, p 36-37), d’un vieil homme
(Luzel, T I, p 83), ou d’une vieille dame (Luzel, T I, p 189 & T III, p 281), d’une magicienne (Luzel, T
II, p 32- 34), d’une princesse (Luzel, T II, p 101) ou du maître des lieux (Luzel, T II, p 75). La baguette
donnée au héros lui permet d’ouvrir une porte de rocher vers les mondes souterrains (Luzel, T I, p 36-
37), de faire souffler le vent (Luzel, T I, p 83), de voyager (Luzel, T I, p 189 & T II, p 75), de construire
un pont (Luzel, T I, p 297), ou un château (Luzel, T II, p ..), d’abattre un bois (Luzel, T II, p 32- 34), de
faire disparaître la bosse d’un bossu (Luzel, T II, p 101) voir de créer un Wignavaou (agglomérat)
provoquant le rire de tous (Luzel, T III, p 281). Un seul conte cite le bois de la baguette (Luzel, T I, p
297) en l’occurrence du saule.

L’exhaustivité des contes nous informe de la diversité des bienfaiteurs des héros, de l’usage varié des
baguettes et de leurs principales caractéristiques, elles sont de couleur blanche et sont dotées
d’importants pouvoirs magiques. On peut dégager de cette variété le symbolisme d’instrument donné
par des personnes altruistes ayant la connaissance des choses cachées afin de permettre
l’accomplissement de travaux. Les baguettes blanches, à travers les contes, concentrent cette évocation
poétique, d’instrument doté de pouvoirs extraordinaires, élément de passage dans l'autre monde.

Légendes :
Anatole Le Braz170 nous cite l’association de baguettes blanches comme insigne de la profession de
pèlerine par procuration de défunts : « elle va d’abord s’agenouiller au cimetière sur la tombe du défunt,
et frappe trois coups sur cette tombe avec la petite gaule blanche, insigne de sa profession, puis
interpelle le mort ». La baguette ou gaule prend aussi le rôle de bâton de guide « Le parrain lui donne
une gaule blanche, qui le guidera jusqu’à Rome. Elle a été coupée naguère à la croix du Rédempteur,
alors que cette croix était encore un arbre qui portait branches, dans la forêt de Jérusalem »171.

Je dois à M. Armand Puillandre une légende inédite localisée à Landeleau qui nous ramène aux
baguettes blanches, Paotr rouz bihan ar harz, le petit gars roux du talus. M. Puillandre tient cette légende
de sa mère qui la tenait elle même de sa grand-mère. Pour ses besoins d’élevage, un lointain aïeul
maquignon engage un paotr saout (un garçon vacher), Paotr rouz bihan ar harz, pour garder ses vaches. Il
paye le gardiennage une miche de pain par semaine. Un dimanche Paotr rouz bihan lui demande son dû
car il arrête le travail, l’aïeul bien décidé à garder un si bon paotr saout refuse le départ anticipé de ce
dernier. Le nain s’énerve, il coupe deux baguettes de coudrier sur le talus, les lance en l’air et l’aïeul de

170
Anatole Le Braz, « Les pèlerinages des âmes », La légende de la mort, p 93.
171
Ibid, p 365.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
voir les deux baguettes se battre entre elles, puis tomber par terre toutes épluchées. L’aïeul se dit en lui
même, en voilà un qui connaît plus que son pater; il court chercher une miche de pain pour le travail
accompli, la donne au nain qui s’en va s’en plus d’explication. Il ne l’a plus jamais revu ni entendu
parler.

Cette légende unique, a la particularité de conserver le motif des baguettes blanches, qui ici n’ont
d’autres fonctions que de faire peur à l’ignorant. Mais leur présence à Landeleau est à mettre en
corrélation avec les baguettes des gardiens du reliquaire, où le demi-homme détenteur de pouvoirs
magiques dévoile ses capacités à l'aide de baguettes blanches.

Les gardiens :
D’après les chanoines Abgrall et Peyron seulement deux gardiens sont désignés pour protéger le
reliquaire, ce chiffre m’est confirmé par mes informateurs, quoique l’on observe trois jeunes gardiens
armés sur une photo datée de 1953.

La désignation des gardiens est effectuée par le ou les acheteurs des reliques. Si les acheteurs sont
plusieurs, chaque acheteur désignera son gardien. M. Corentin Rivoal me citait qu’acheteur des reliques
en 1955 avec M. Jean Nédellec, il avait demandé à son jeune neveu, Victor Rosnen, de l’accompagner
comme gardien et réciproquement pour l’autre famille acquéreuse demandant au jeune Madec de venir
assurer le second poste.

Les gardiens peuvent être liés par les liens filiaux aux acheteurs ou par des liens amicaux. M. Louis
Blanchard est venu assister à sa demande l’abbé Jaffrès, acquéreur des reliques en 1944 : « c’est moi qui
la coupais (la baguette), deux jours avant [...] c’était du noisetier, j’ai coupé, j’ai enlevé l’écorce, pour la
poignée je laissais l’écorce. Ils n’avaient pas le droit de toucher les reliques comme aujourd’hui ». Il n’a
pu conserver sa baguette très longtemps auprès de ses camarades « À la sortie des vêpres, ils m’ont
arraché le bâton et l’ont cassé; je pensais le garder en souvenir ».

Les baguettes ne semblent pas avoir une durée de vie postérieure à la troménie, chaque année de
nouveaux gardiens fabriquent de nouvelles baguettes blanches. Il n’y a pas de rites autour de leur
fabrication ni de leur conservation, seul leur rôle auprès du reliquaire justifie leur courte vie. Leur
origine est déterminée par les caractéristiques plastiques de l’arbre, grande souplesse, longue tige et
écorçage aisé; en l’occurrence le jeune noisetier que l’on trouve partout en bordure de route sur les
talus.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Il semble que la disparition des gardiens fasse suite à la disparition des enchères des reliques, leur
désignation incombait à l’acheteur. L’organisation de la troménie n’ayant jamais été très rigoureuse, les
changements rencontrés ont créé des évolutions plus empiriques qu’organisées. Le rôle et le pouvoir
des acheteurs n’ont jamais été remplacés, il ont simplement disparu.

Les baguettes protectrices des cultures de lin :


Un peu plus éloigné du Poher mais associée à des rituels propitiatoires, Daniel Giraudon et Jean-Yves
Andrieux172 nous citent l’ancienne pratique à Plougasnou dans la garenne de Lann-Festour, lors de la
grande fête du lin à l’occasion du pardon de sant Jelvestr (saint Sylvestre), le troisième dimanche de mai,
la fabrication par les enfants du pays de baguettes de noisetier pelées, sauf à la poignée. Les pèlerins
achetaient ces baguettes puis les trempaient ensuite dans la fontaine de l’oratoire, s’en suivait une série
de rites complexes, pour planter au final la baguette dans le champ de lin à protéger, la partie non
écorcée en terre.

La danse des baguettes :


Le plus étonnant pour ce type d’instrument reste ses nombreuses références dans le folklore local, trop
nombreuses pour ne pas être citées. Nous devons la première référence à Mme Galbrin, puis la seconde
à Jean-Michel Guilcher dans son ouvrage sur la tradition populaire de danse en Basse Bretagne173, il cite
la danse des baguettes répandue dans le centre Bretagne et observée à Spézet. Taldir Jaffrenou y voyait
une danse du glaive d’origine celtique. Hypothèse que conteste J.M. Guilcher, il constate son importante
répartition en Europe, souvent dépourvue de toute solennité; les baguettes pouvant être interchangées
avec les mains, des foulards, des ceintures etc. « Il semble assez probable qu’elle soit, comme plusieurs
autres, un apport relativement récent174 ». Je tiens de M. Emile Philippe175, ancien président du Cercle
Celtique de Spézet l’information que la danse des baguettes a perduré dans le Poher, à Spézet, jusqu’au
milieu de ce siècle; la danse s’effectuait dans les mariages des fermes, les cuisinières venaient danser
avec leur baguette (ou bâton de bouillie). Le Cercle de danse de Châteaulin en aurait conservé la
pratique. En dehors de son nom, la danse des baguettes ne présente aucun intérêt pour notre étude, les
baguettes étudiées précédemment y sont quasiment absentes.

172
Jean-Yves Andrieux, Daniel Giraudon, Teilleurs de lin du Trégor 1850-1950, Skol Vreizh, n° 18, p 41.
173
Jean-Michel Guilcher, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Coop-Breizh - Chasse-Marée/Armen, Spézet -
Douarnenez, p 527-531.
174
Ibid, p 531.
175
Entretien du 28 juin 2001 avec M. Emile Philippe chez Mme Claire Arlaux à Landeleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Il est difficile de conclure sur un objet aussi ambivalent que les baguettes. Néanmoins nous pouvons
classer leurs différents rôles et à travers eux définir celui de leur présence auprès du reliquaire. Toutes
les baguettes citées se ressemblent par leur taille de moins d’un mètre, de par leur origine du noisetier
(plus rarement du saule), de par leur couleur blanche suite à leur écorçage et de la partie de maintien
manuel non écorcée. Nous observons une utilisation profane, sacrée et onirique (pour définir
l’imaginaire des contes). L’utilisation profane est réservée, pour ce que nous connaissons, aux garçons
vachers; l’utilisation onirique est réservée aux héros et leur permet d’accomplir des exploits
extraordinaires (La baguette magique des prestidigitateurs s’en veut la réplique). L’utilisation sacrée se
retrouve dans la troménie, les baguettes sont alors les intermédiaires entre les mondes profane et sacré,
elles frappent les mains impudentes, protégeant ainsi la hiérophanie du reliquaire durant la
circumambulation pentecostale. Leur essence de noisetier possède des qualités plastiques et
surnaturelles176, les baguettes de sourcier en étant l’exemple le plus vivant. Leur sacralité commence et
finit avec la troménie, durant ce temps, elles sont à la charge de deux gardiens de sexe masculin plus ou
moins jeunes. Il est intéressant d’observer que cette fonction est exclusivement masculine, reproduisant
ainsi le schéma religieux catholique où le masculin est l’intermédiaire auprès du divin.

176
Je ne crois pas à une survivance des qualités magiques du noisetier héritées des religions préchrétiennes.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

3 - DU SOCIAL ET DU SACRÉ DES RELIQUES

a - Fonctionnement social des reliques

Le ‘port’ ou ‘l’honneur de porter’ les reliques reste l’élément important de la troménie ; la tradition
locale, veut que des personnes ayant eu un défunt dans l’année, se doivent au moins de faire la
troménie, et au mieux, de porter les reliques. Cette condition peut s’élargir aux vœux de guérison pour
soi ou pour un proche, à la promesse de sauvegarde d’un soldat... Bien que l’achat de l’honneur du port
des reliques soit aujourd’hui terminé, ceux qui le veulent peuvent rétribuer financièrement leur acte.

DE LA NOBLESSE À LA NOTABILITÉ

La plus ancienne mention des reliques provient de la table des archives de Landeleau, manuscrit rédigé
par Clet Berriet, recteur de Landeleau de 1892 à 1898177, recensant des archives de Landeleau
aujourd’hui aux Archives départementales. Il mentionne un document daté du 6 octobre 1555, sur les
prééminences à Landeleau de la famille Du Chastel seigneur de Châteaugall :

Menu et déclaration de la Seigneurie de Mezle et de Chateaugal, comme héritier de Jan du Chastel son frère
aîné décédé au mois de mars 1550 et de Charles Du Chastel son fils décédé au commencement du mois
suivant 1555. Prééminences à Landeleau, St Herbot, Les portes, Huelgoat, Pénity St Laurent, Lansiliac,
procession des reliques et remises d’offrandes.

Toujours dans ce même document, à propos des comptes de la fabrique, daté de juin 1639 :

Madame de Mezle doit payer à l’arbre de S. Thelo un sol par an le lundi de Pentecôte, rente annuelle de 12
sols pour le tombeau de M. de Merros en l’église de Landeleau et reçu 32 sols du seigneur de Merros pour les
deux torchers de flambeaux (sic).
D’avoir reçu Messieurs Les [Gde] [Cudamen] pour [acheptecomber] [passer] la dite Eglise, lorsqu’ils
porteront les reliques à la chapelle de [Mouson] S. Laurent en procession je charge d’avoir reçu 20F.

La troménie fait l’objet de comptes de la Fabrique à la fin du XVIIe,dès le compte de 1691, donc
concernant la troménie de 1690, le plus ancien que l’on conserve pour la paroisse178 :

En charge (recettes) : le trésorier de l’année « dict avoir receu pour port des relliques la somme de 10 livres,
10 s ». La mention des offrandes reçues pour les reliques ne paraît plus en 1692, 1710, 1715 (le compte est
incomplet) mais elle réapparaît en 1717 (18 livres), 1751 « de ceux qui ont porté les saintes reliques 19 livres 7

177
Clet Berriet, abbé, ibid.
178
Transmis par M. George Provost, Ibid.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
sols 6 deniers », 1755 (28 livres), 1773 (30 livres). Elle n’apparaît pas en 1784, compte très « résumé » comme
souvent dans les dernières années de l’Ancien Régime. La belle croissance des sommes est tout à fait normale
étant donné l’inflation du 18e siècle ; elle montre en tout cas qu’il y a toujours un égal intérêt des plus riches
paroissiens pour le port des reliques. Et tout me laisse penser qu’il y a déjà, à l’époque, mise aux enchères,
même si le terme n’est pas présent dans les comptes (mais c’est une précision que rien n’obligeait à donner
dans un document « administratif » comme un compte). [...]le port des reliques fait l’objet d’offrandes issues
vraisemblablement d’une mise aux enchères (le phénomène est léonard et nord-cornouaillais : Rumengol,
Plougastel etc.).

Les maigres mais précieux documents en notre possession nous induisent à penser que les enchères
sont une pratique relativement ancienne succédant à la remise d’offrandes du seigneur en accord avec
les pratiques de l’époque. Il est intéressant de noter que l’arbre de saint Telo reçoit lui aussi une
offrande, certes modeste, mais qui indique l’importance de son rôle dans la troménie à cette époque179 :

Dans un autre domaine, je remarque aussi dans le compte de l’année 1710 et dans celui de 1784 le versement
d’une rente symbolique (1 sol en 1715, 7 sols 6 deniers en 1784) due à la paroisse par le seigneur de
Chateaugal à « l’arbre de saint Théleau le lundy de la Pentecoste » (1715) et plus précisément « au passage de
la procession » (1784). L’imbrication entre le versement de rentes et les pardons est signalée par endroits en
Basse-Bretagne (cf. ma thèse p. 50, note 4) ; mais il s’agit généralement de rentes versées aux seigneurs, et non
l’inverse.

Le coutumier de 1853 évoque la mise à l’encan des reliques le cinquième dimanche de Pâques après la
messe et le jeudi de l’Ascension, avant d’êtres mises aux enchères le dimanche de l’Ascension après la
messe, lors du pardon de la chapelle de Notre Dame de Bonne Nouvelle au Lannac’h. La pratique de la
mise aux enchères du port des reliques à Landeleau est donc attestée dès 1853, l’usage de mettre les
reliques, statues, bannières, croix de diverses natures, aux enchères quelques jours avant la fête, n’est pas
un usage très ancien, on le voit apparaître dans la plupart des paroisses à partir du milieu du XVIIe
siècle. Georges Provost dans son étude circonstanciée sur les pardons et pèlerinages en Bretagne aux
XVIIe et XVIIIe siècle, évoque la pratique religieuse et sociale de revêtir un habit spécial proche du
surplis ecclésiastique, pour porter les reliques lors de processions au XVIIe siècle180 :

Le port des reliques n’est pas à la portée du commun, pour les hommes du XVIIe siècle, les femmes sont
rares parmi les porteurs181. L’usage sera général en Basse Bretagne jusqu’au milieu du XIXe siècle, à la surprise
des voyageurs et de membres du clergé de plus en plus perplexes face à une appropriation laïque d’un
ornement ecclésiastique182. La situation du porteur est d’autant plus gratifiante que la fonction était voici peu
179
George Provost, ibid.
180
George Provost, ibid.
181
Archives Départementales du Finistère, 22G 2. « Les hommes dominent à une écrasante majorité parmi les enchérisseurs
et porteurs mais des femmes apparaissent également de temps en temps ».
182
« Est-il incongru de risquer le rapprochement avec l'usage qui consiste aujourd'hui à ce que les porteurs revêtent les
costumes traditionnels, châles, coiffes et chapeaux à guides étant devenus aussi costumes de parade ». A. Guillou,
"Vêtements d'hier, gens d'aujourd'hui, mise en scène", Ils ont des chapeaux ronds. Vêtements et costumes en Basse

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 105


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
de temps encore l’affaire exclusive de la noblesse, qui n’en a perdu le monopole qu’au cours du XVIIe siècle.
Partout, le port des reliques par les nobles ne subsiste plus que de façon quasi accidentelle à partir du milieu
du XVIIe siècle. Il y a sans doute là un symbole très fort de l’affirmation de la structure paroissiale par
rapport au pouvoir seigneurial et nobiliaire, à l’heure où les riches paysans dominent les conseils de fabrique.
A partir du XVIIe siècle, il est clair en tout cas que le port des principales enseignes aux pardons est un critère
de notabilité… et il l’est probablement toujours.

Ce critère de notabilité s’est maintenu à Landeleau jusqu’à l’arrêt de la mise aux enchères du port des
reliques en 1962. L’adjudication pouvait être mal vécue par les personnes ne pouvant remporter les
enchères : « En 45, les prisonniers sont revenus, une dame avait promis d’acheter les reliques pour son
mari revenu. Les enchères montaient, elle n’a pas pu suivre, elle est partie en pleurant à Collorec »183.

LES ENCHÈRES

Comme nous l’avons vu dans la première partie de notre étude, la mise aux enchères de l’honneur du
port des reliques le jour de la Pentecôte, avait lieu lors du pardon de Notre Dame du Lannac’h le
dimanche de l’Ascension. Après les vêpres, le président du conseil de fabrique monte sur le talus du
midi et commence les enchères. Tout le monde observe les quelques familles qui vont enchérir le plus
qu’elles peuvent, devant mettre leur argent en commun s’il le faut. A chaque chiffre annoncé le
président du conseil de fabrique crie en breton eur vech, daou vech (une fois, deux fois), jusqu’à la
conclusion de l’enchère finale.

Dans les comptes de la fabrique, l’achat des reliques est noté au nom de l’acheteur, parfois avec
l’intention de l’enchère184 : « Corentin Rivoal, Poulru, pour son fils Co Rivoal, adjudant revenu
d’Indochine et Jean Nédelec185, Kerbizien ». Bien que Corentin fils ait promis l’achat des reliques, c’est
son père qui les achète, ce dernier s’étant mis d’accord avec M. Jean Nédellec pour mettre en commun
leurs enchères « Ils ont mis moitié-moitié, 10 000 F chacun186 ». Corentin va néanmoins aider
financièrement son père « il n’était pas riche, il était paysan et avait beaucoup d’enfants ». Corentin fils
va porter les reliques, aidé de son beau-frère Roger Meneu sur la partie sud du parcours à l’aller comme
au retour, laissant la partie nord à Yves et Hervé Rolland, ce dernier étant gendre de M. Nédellec.

L’achat du port des reliques peut se faire par procuration : « 1950 Corentin Rivoal de Poulruz pour sa
sœur Marie Rivoal employée à l’hospice de Morlaix, 4100 F187 ». « Cette année là, j’ai porté les reliques

Bretagne, catalogue d'exposition, Quimper, (1990), p.87-95.


183
Entretien du 21 août 2001 avec MMe Gisèle Poupon et Suzanne Lucas, route de Plonévez-du-Faou à Landeleau.
184
Anonyme, « Noms de ceux qui ont acheté les reliques, 1915-1980 », Cahier des comptes de la fabrique de Landeleau,
p.164.
185
M. Jean Nédellec coachète les reliques pour sa femme qui était infirme, source M. Corentin Rivoal.
186
Entretien du 28 juillet 2001 avec M. Corentin Rivoal, Poulru, Landeleau.
187
Anonyme, « Noms de ceux qui ont acheté les reliques, 1915-1980 », Ibid.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
avec mon père, ma tante avait payé ; elle avait de l’argent 188» ; les reliques peuvent être achetées par le
recteur paroissial : « 1944, M. Jaffrès recteur, 3000 F », ou être partagées avec d’autres personnes, ce
pouvant aller jusqu’à quatre familles différentes : « 1934, 1) Pierre Guern, Penker Loïs, 2) Yves Derrien,
Lannac’h, 3) Louise Guichès, Restanoïc, 4) Veuve Godefroy, bourg, 400 F », sachant que plusieurs
membres d’une même famille peuvent aider officieusement le pieux achat. Après l’arrêt de la pratique
des enchères en 1962, le nombre de familles inscrites monte jusqu’à neuf en 1969. La courbe
démographique descendant cette dernière décennie, il y a de moins en moins de décès dans l’année et
de ce fait, aujourd’hui peu de familles s’inscrivent pour le port des reliques lors de la troménie, ce qui
n’empêche pas des personnes en deuil de venir porter le reliquaire sans inscription préalable.

L’ A R R Ê T DES ENCHÈRES

A la dégradation de la chapelle en 1930, l’abbé Kervella (1924-1941) décide d’annuler le pardon annuel
au Lannac’h. Cependant, les vêpres continuent d’y être chantées et les reliques mises aux enchères à
l’issue des vêpres. En 1939, les ruines de la chapelle sont mises en ventes par la municipalité189,
l’adjudication des reliques par le sacristain est déplacée du Lannac’h à l’église paroissiale, sur « la pierre
d’appel » au pied de l’entrée du cimetière. L’adjudication s’y tiendra jusqu’à son abolition par l’abbé Le
Scao en 1962 ; ce dernier ne laisse aucune mention écrite de ce changement. Son successeur, l’abbé Jean
Hily, annonce au prône en 1964 la nouvelle pratique190 :

Ceux qui désirent porter les Reliques de St Thélo cette année peuvent s’inscrire dès maintenant. Il n’y plus
d’enchère afin de permettre, même aux plus pauvres, d’obtenir l’honneur de les porter.

L’arrêt des enchères est un sujet trouble à Landeleau : ceux qui ont assisté aux dernières enchères disent
qu’ils ne se rappellent plus, ceux qui n’étaient pas présents parlent pour les autres, et certains se voient
au centre du changement. Depuis quelques années la reprise économique de l’après-guerre génère de
nouvelles fortunes et provoque l’augmentation sans mesure des enchères. Ceci allant de pair avec
l’émancipation de la jeunesse manifestant une réaction de protestation devant l’iniquité financière face à
la tragédie du deuil commence à sourdre. On peut dégager trois mouvements qui ont participé à l’arrêt
des enchères.

Comme nous l’avons vu précédemment, l’abbé Le Scao est à l’origine de l’arrêt de la nomination
arbitraire des porteurs d’enseignes en 1959, lui préférant une désignation par classe d’âge plus
188
Corentin Rivoal, Ibid.
189
Anonyme, « session de novembre 1939 », Registre des procès verbaux des Réunions du Conseil Municipal de 1924 à 1945,
Landeleau :
« (Délibérations autorisant le receveur municipal à percevoir le montant de la chapelle de Lannac’h). Le maire soumet à
l’assemblée qu’il y aurait lieu de prendre une délibération autorisant le receveur municipal à percevoir le montant de la vente
des ruines de la chapelle de Lannac’h. Le conseil ouï les dires de monsieur le maire décide d’autoriser monsieur le receveur
municipal à encaisser le produit brut de cette vente ».
190
Jean Hily, abbé, « 30 mars - Dimanche de Pâques », Cahier des prônes paroissiales 1957-1964, Landeleau.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 107


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
démocratique. Ce changement a été très bien accueilli par la population majoritairement rurale et en
pleine émancipation, on peut voir en lui quelqu’un de novateur en accord avec son temps, si on prend
comme référence la rénovation cultuelle proposée par le concile de Vatican II. Il annonce sa distance
d’avec les traditions ancestrales, en annonçant au prône en 1959191 « Ceux qui désireraient avoir la garde
des reliques de saint Thélo, voudront bien se trouver à la pierre d’annonce vers 11 h ¼ » , prenant de la
distance d’avec son prédécesseur qui annonçait en 1956192 « Aujourd’hui vente de l’honneur de porter
les reliques après la grand’ messe ». A l’arrêt des enchères en 1962, l’abbé Le Scao note discrètement en
bas de la page « Reliques St Thelo », son successeur l’abbé Hily officialise dans les archives prônales
l’arrêt des enchères. La motivation de l’arrêt des enchères n’est pas imputable à l’abbé Le Scao, lui
même n’assistant pas aux enchères après les vêpres.

Le second mouvement est initié par les jeunes de la J.A.C. (Jeunesse Agricole Chrétienne) mécontente
de voir le prix des enchères grimper de façon spectaculaire et laisser sur la touche les personnes les plus
endeuillées par les morts de la guerre d’Algérie. Un des responsables du conseil de gestion paroissiale,
M. Pierre Le Gall193 se souvient des évènements :

Au moment de la guerre d’Algérie, il y a eu un mort ici [...] Et son père s’est porté acquéreur et n’a pas obtenu
le droit de ... Et n’a pas emporté la mise. [...] Ce qui fait que, il n’a pas eu les reliques à porter. [...] Et, donc,
aux vues de ce fait [...] nous nous sommes réunis là, une bande de jeunes à l’époque; [...] une trentaine
environ, et on a été voir le prêtre et puis on l’a mis devant le fait, on lui a dit : c’est finit cette histoire là, ça ne
peut pas marcher comme ça, c’est un peu...

A ma question sur ce qui l’avait poussé à agir de la sorte, était-ce la proximité du défunt ?

Non, mais par le fait que c’était une coutume païenne parce que c’est la loi du plus fort, c’est la loi de la
jungle, si on veut et que ce n’est pas ça, ce n’est pas du tout dans notre esprit à nous.

L’intervention des jeunes de la J.A.C. est dans ce récit déterminante quant à l’arrêt des enchères.

Le troisième mouvement est initié par M. Guy Marzin194. M. Marzin comme beaucoup de paroissiens est
mécontent de la pratique discriminatoire de la vente aux enchères des reliques; depuis quelques années
les enchères décuplent passant de 6 500 fr en 1951 à 72 000 fr en 1960. Il en parle avec le recteur tout
en lui reprochant son absence durant les enchères, ce dernier lui fait comprendre qu'il n'a pas le pouvoir
191
Le Scao, abbé, « 3 mai 1959, 5e dimanche après Pâques » Ibid.
192
Diquelou, abbé, « 10 mai 1956, dimanche de l'Ascension », Cahier des prônes paroissiales 1949-1957, Landeleau.
193
Entretien du 25 octobre 2000 avec M. Pierre Le Gall, conseiller du conseil de gestion paroissial bourg de Landeleau.
194
M. Guy Marzin m’a signalé la venue de Pierre Bonte d’Europe 1 lors de la troménie dans les années soixante pour son
émission « Bonjour M. le maire ». Son fils, M. Pierre Marzin a eu l'extrême obligeance de me copier la fin de l'émission,
correspondant à l'interview de M. René Roussel sur la troménie. On apprend que les jeunes filles faisaient la troménie
autrefois afin de trouver un mari. L’enregistrement dure 3’40’’, M. Roussel utilise un registre linguistique tellement soutenu
qu’il reste très convenu sur la description de la troménie.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
d'opérer ce changement face à un conseil de fabrique attaché à ses prérogatives et à ses traditions. M.
Marzin lui confie son intention d'enregistrer les enchères pour le mettre face au problème « Il ne
craignait qu'une chose, que je l'enregistre et que je le communique à l'équipe de Pierre Bonte. J'avais un
magnéto sur courant; j'ai pris du courant dans le fond de l'église. Il m'avait donné l'accord pour le faire;
ça l'arrangeait, il aurait souhaité modifié cela ». M. Marzin gare sa voiture près du porche occidental de
l'église, y cache son magnétophone et avec la complicité de M. Yves Le Ny enregistre les enchères
présidées par le président du conseil de fabrique, M. Pierre Guichoux. Les enchères s'envolent en
présence de M. Caro, originaire de Plonévez-du-Faou et propriétaire de garage à Brest « J’étais révolté,
je pensais à Corbel qui était un mutilé de guerre195, je comprenais ses convictions ». Après les enchères
M. Marzin se rend au presbytère et donne au recteur l'enregistrement « Je n’ai pas écouté
l’enregistrement, je l’ai envoyé au presbytère, je lui en ai fait cadeau. Il a fait écouter la bande à Pierre
Guichoux ». M. Marzin a été discret sur le contenu de sa conversation avec l’abbé Le Scao, mais il
constate que les enchères sont définitivement supprimées l’année suivante.

Si les enchères servaient avant tout à financer le presbytère, leur arrêt n’a pas fait diminuer les dons
(1962 : 60 000 F; 1963 : 75 000 F; 1964 : 80 000 F), les dons ont continué à accroître avec
l’augmentation du nombre de familles participantes à ce ‘denier du culte’ de la Pentecôte.

LE LUNDI DE PENTECÔTE
Les acheteurs s’acquittent de leur offrande le lendemain de la troménie, en allant à la sacristie ou au
presbytère. Depuis l’arrêt des enchères, ceux qui le veulent peuvent sur le parcours, demander à porter
les reliques, sans obligation financière, mais la tradition de l’offrande est toujours bien présente pour
ceux qui prennent le soin de s’inscrire :

Mon cousin, ayant eu un décès dans sa famille, s’est inscrit pour porter les reliques. Lundi il va pour donner
l’argent, quand il a vu que les autres avaient mis leur argent dans une enveloppe, il est revenu chez moi me
demander une enveloppe. Il y a toujours des gens qui s’inscrivent. Certains donnent des chèques, ils les
mettent au nom de la paroisse de Landeleau196.

Je fais remarquer à mon interlocutrice que, bien que les gens s’inscrivent pour porter les reliques, les
organisateurs ne peuvent garantir la possibilité du port du reliquaire pour la simple raison qu’ils ne
préposent personne à la surveillance du reliquaire lors de la troménie. Cette fonction est malgré tout
remplie certaines années par une paroissienne dynamique, auquel l’ancien recteur Jean Ladan, avait
demandé de s’acquitter de la besogne. Depuis, quand elle est disponible, elle improvise une surveillance

195
M. Corbel de Kerderrien en Landeleau était un mutilé de la première guerre mondiale.
196
Mmes Poupon et Lucas, Ibid.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
auprès du reliquaire, organisant les changements des porteurs, régulant le rythme de la marche. Sans
aucun lien avec le conseil de gestion de la paroisse, organisateur officiel de la procession.

Le port du reliquaire lors de la troménie, acte réservé à la noblesse au Moyen Age, est tombé dans le
domaine public à l’époque moderne, avec les enchères il conserve un critère de notabilité. A travers
l’évolution sociale de la fin du XXe siècle, et suite aux nombreux morts au milieu du XXe siècle, de
nombreuses voix s’élèvent face à cette iniquité religieuse, les plus pauvres, voire tous les Landeleausiens,
ne peuvent plus emporter les enchères. Cet ensemble de facteurs provoque l’arrêt des enchères,
permettant à tous les autochtones d’accéder à l’honneur du port du reliquaire sans discrimination
financière. L’ostentatoire du port des reliques, hérité du Moyen Age, disparaît pour la fonction de deuil.
Néanmoins la compensation financière ne disparaît pas, elle change de forme, désormais les gens
donnent ce qu’ils veulent ou ce qu’ils peuvent les jours suivant la Pentecôte .

b - Une hiérophanie extraordinaire

Il était nécessaire d’aborder les origines, puis l’histoire des reliques encore existantes, avant d’étudier
leur fonctionnement au sein de la troménie de Landeleau. Comme je l’ai signalé précédemment, les
reliques ne sont actuellement ‘utilisées’ que pour la troménie, le reste de l’année, elles restent dans
l’ombre de l’oubli dans l’église paroissiale. Lors de leur sortie annuelle, elles précèdent la foule des
pèlerins sur un brancard, et sont vénérées au retour en l’église paroissiale. Les troménistes, en vénérant
les saintes reliques, recourent à la protection de l’intercesseur divin.

UNE SORTIE ANNUELLE

Comme nous l’avons vu précédemment, « on achète l’honneur de porter les reliques », cet usage n’est
pas à la portée du commun et il n’a cessé de se rapprocher de plus en plus des couches populaires au
cours des derniers siècles. Ainsi par leur prestige, elles sont associées aux actes importants de la vie
locale et par là même, ne sortent qu’exceptionnellement de l’église paroissiale, écrin séculaire du sacré
de la communauté. Soit, aujourd’hui, uniquement le jour de la troménie. Autrefois, en plus de la
troménie, elles étaient amenées jusqu’à la chapelle du Lannac’h pour leur adjudication, et plus
récemment, elle faisaient la procession dans le bourg lors du pardon de la Pentecôte, soit le lendemain
de la troménie, donc toujours dans la période pentecostale.

Cette sortie annuelle, exclusive à la période de la Pentecôte, est confirmée chaque année dans les
archives prônales, dans le coutumier rédigé en 1853, voire dans les archives retranscrites par l’abbé Clet

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 110


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Berriet datées de 1555, 1639. Cette préciosité et cette constance expriment bien la vénération dont elles
sont l’objet.

Néanmoins, j’ai trouvé dans les archives de la fabrique des dons monétaires pour le reliquaire, lors de
l’érection de la croix celtique des Trois-croix en 1943. Toute la population, ainsi que le conseil
municipal, furent invités à participer physiquement et financièrement à la procession qui fit l’aller retour
de l’église aux Trois-croix. La période troublée de l’occupation allemande a été propice à l’exhortation
vers le divin, et le fait que les reliques y participent est signe de la demande exceptionnelle effectuée.
D’ailleurs un article inquiet du Courrier du Finistère titre son article sur la troménie de 1942 « Sera-ce la
dernière troménie ? ».

UN SYMBOL E R ÉPÉT É CYCL IQU EM E NT

L’année religieuse est divisée en moments forts (Noël, Pâques, Ascension...) avec les symboles qui leur
sont associés (crèche, jeûne, rameaux...). Ce calendrier religieux nous fait pénétrer dans un temps
circulaire de douze mois, permettant ainsi de rentrer dans l’éternité197. Les reliques issues du(es) saint(s)
patron(s) de la paroisse sont associées à leur fête calendaire, au(x) pardon(s) paroissial(aux). Les reliques
sont le support du divin, à l’instar de l’hostie, elles s’inscrivent dans l’espace proche, physiquement
accessible, elles sont un marqueur identitaire pour la communauté qui s’y réfère. La figure de saint Telo
est plus palpable que la trinité divine, à cet effet, on cite souvent la célèbre phrase de Marie Le Bec198 « A
Landeleau, c’était pas le même bon Dieu, c’était saint Théleau le bon Dieu, d’ailleurs on ne parlait que
de lui ». Et elle répétait souvent à son fils M. Armand Puillandre : « Le bon Dieu, la Vierge , tout ça,
peut-être c’est vrai, peut-être pas, mais saint Théleau c’est sacré ».

Landeleau s’inscrit dans ce mouvement populaire, la sortie des reliques marquant l’exceptionnel du
temps religieux local, permettant ainsi le passage du temps profane évanescent au temps sacré, éternel.
Pénétrant dans le temps sacré, cyclique et éternel, la population rentre en contact avec le temps des
ancêtres, de la tradition inlassablement répétée. Les reliques par leur association physique à la troménie,
sont le lien symbolique et physique de ce temps sacré.

C’est d’ailleurs le cas pour toutes les troménies, mais la force de ce lien symbolique est dépendant de la
tradition qui lui est associée; je pense dans ce cas à la troménie de Gouesnou, au fonctionnement
identique à celle de Landeleau, mais à la population immigrée (de toute la Bretagne). Cette immigration
affaiblit les liens d’avec la tradition du saint local et je remarquais que les troménistes s’identifiaient avec
moins de force à la présence des reliques de saint Gouesnou comparativement à Landeleau; en résulte

197
La vie monastique par son isolement s’emploie pleinement à vivre ce temps circulaire, d’où leur nom de clergé d’éternité
en opposition aux recteurs de paroisse, le clergé séculier vivant le temps linéaire du siècle.
198
Marie-Haude Arzur, Yves Labbé, « Au ‘Tour des reliques’ de Landeleau », Armen, n° 85, p 34.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
une plus grande distance d’avec les reliques à Gouesnou, affaiblissant la puissance du sacré mis en
fonction... Les personnes ne font pas la troménie pour les morts comme à Landeleau, le port du
reliquaire est plus un acte de participation collectif qu’un acte d’intercession vers le divin. Nous verrons
plus loin la force des liens filiaux et territoriaux à Landeleau qui expliquent le fort attachement aux
traditions et leur évolution plus ralentie.

CIRCUMAMBULATION P RO PI TIAT O IRE

Ce tour d’horizon pourrait aussi convenir aux processions populaires tant qu’elles répètent
religieusement les traditions ancestrales. Mais ce qui différencie les troménies des processions, est ce
principe circumambulatoire censé effectuer le tour du minihi. L’essence de la circumambulation est
l’appropriation, sens que nous retrouvons dans de nombreux mythes de fondations. La troménie répète
le circuit effectué par le saint homme lors du mythe de création de la paroisse. Répétant de mémoire le
parcours mythique, on se réapproprie le chemin sacré jusqu’à l’année suivante, légitimant ainsi
l’inaliénabilité du chemin, effacé à de nombreux endroits199.

On avance l’hypothèse pour les troménies d’avoir « un rôle juridique de conservation de la propriété 200».
Cette affirmation territoriale donnée comme éclaircissement historique pour expliquer le circuit
circumambulatoire des troménies, fonctionne assez mal à Landeleau; en dehors de l’appropriation du
chemin processionnel tout l’espace restant est omis, même le lieu mythique d’arrivée du saint, Ti sant
Telo à Menez-Glaz.

C’est ce qui m’amène à aller plus loin à la recherche de l’exaltation vécue par les troménistes et du rôle
des reliques dans ce circuit. Le port des reliques aide à faire le deuil pour les porteurs, les vieilles
personnes en passant sous le reliquaire effectuent leur dévotion envers le saint, mais les reliques ne sont
réellement utilisées qu’à la fin du parcours, lors de la vénération dans l’église paroissiale. Comment
expliquer cette utilisation postcircumambulatoire ? Pourquoi les reliques n’attirent plus personne en
dehors de la troménie?

A travers la déambulation sur le circuit sacré, les reliques se chargent d’énergie sacrée (à défaut de terme
plus approprié) qui est récupérée par les troménistes à la fin du circuit. C’est d’ailleurs le rôle des
gardiens, d’empêcher de toucher les reliques avant la vénération en l’église paroissiale. Dans une église
comble de personnes âgées, la vénération des reliques fait un « tabac » auquel ne participe pas les
jeunes. Certes ce sont les personnes âgées qui ont le plus de foi quant à l’intercession des saints auprès

199
La dernière grande troménie de Locronan à dû contourner une ferme suite au refus du nouveau propriétaire de voir
passer des pèlerins durant une semaine au milieu de son exploitation agricole. L’inaliénable du sacré s’est heurté au droit
foncier de la propriété individuelle laïque protégée juridiquement.
200
Debary op. cit. p 48 cité par A. Lautrou (Minihis : 48).

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
du divin. Ce chargement s’effectue donc par la circumambulation collective, d’ailleurs les rares
expériences de port du reliquaire en dehors de la ‘grande troménie’ n’ont pas eu de suite (1976; 1977).
Le collectif est nécessaire au fonctionnement propitiatoire des reliques.

J’ai utilisé le terme de hiérophanie dans le sens d’investissement par la divinité. C’est bien une
hiérophanie qui a lieu lors de la procession circumambulatoire de la Pentecôte, les reliques se chargent
tout le long du parcours d’une énergie sacrée, qui sera redistribuée à la fin du parcours lors de la
vénération collective au sein de l’église paroissiale. Si les troménistes ne peuvent analyser l’importance
de leur geste, ils répètent cette pratique collective chaque année, accédant ainsi au temps symbolique et
sacré des origines en lien avec les ancêtres, permettant ainsi la transmission de l’héritage symbolique à
travers les générations.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

C - La ‘grande troménie’ du 3 juin 2001

1 - D E L’ É G L I S E AU DÉPÔT DES EN SEIGNES

8h00, j’arrive au bourg de Landeleau, je dois me garer assez loin de l’église vu le nombre exceptionnel
de voitures, je croise Jean Com, soixante-douze ans, ancien employé communal qui vient voir le départ
de la troménie. Je prépare mon matériel photographique et d’enregistrement pour être opérationnel
immédiatement. Les porteurs d’enseignes s’organisent devant l’entrée occidentale de l’église paroissiale,
les pèlerins se pressent contre les maisons de la place attendant le signal du départ pour suivre les
enseignes. Jo Rouat s’occupe de la sonorisation installée dans la caisse d’un camion, prêté pour
l’occasion par M. Sarreau ; Jo Rouat sera accompagné tout au long du trajet par une sœur religieuse et
deux paroissiennes qui assureront les chants et les prières durant la marche processionnelle. Le bon
fonctionnement de l’installation prend du temps, Jo se dépêche devant la foule qui attend le signal du
départ.

Je cherche à être partout à la fois assurant l’enregistrement du son et la prise de photos et je ne vois pas
ce qui se passe autour de l’église. Mme Claire Arlaux, responsable de la cellule patrimoine au sein du
conseil municipal, me dit plus tard qu’elle a observé de nombreux pèlerins entrer dans l’église, en sortir
par la porte ouest, puis partant sur leur droite en faire le tour trois fois (dans le sens du soleil) pour y
rentrer par là même porte. Il y a deux ans portant la bannière de sa classe d’âge elle a été invitée à
réaliser ce cérémonial par une amie.

8h10, Jo Rouat salue la foule, présente la troménie, son pardonneur : l'abbé Christian Le Borgne. Il finit
par un court historique sur les origines hagiographiques de la troménie. La sonorisation est défectueuse
en ce début de matinée, le son saute et il est difficile de suivre la présentation. Le pardonneur, l'abbé
Christian Le Borgne, est un responsable diocésain au plan liturgique et à ce titre il est lui-même
intéressé par les diverses manifestations liturgiques importantes du diocèse, il a été invité par le recteur
de la paroisse pour présider la troménie; en 1993 l’évêque en personne a présidé le tro ar relegou, filmé en
cette occasion par les caméras de FR3 de l’émission « Faut pas rêver ». Le recteur, Pierre Mahé ne
connaît pas particulièrement l'abbé Le Borgne, c'est lors d'un repas à l'évêché de Quimper, il y a
quelques mois que le recteur à proposé à l'abbé Le Borgne la présidence de la troménie en 2001. Les
deux clercs sont vêtus de vêtements légers et souples comme les autres pèlerins, ils ne prendront leurs
habits liturgiques qu’à la messe au Pénity et aux vêpres en l’église paroissiale.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
8h15, le signal du départ est lancé, le camion sono démarre et dirige la procession en diffusant le Kantic
sant Telo201. La croix des mariés prend le devant de la procession, suivent les autres enseignes puis le
reliquaire qui se détache de quelques mètres de l’ensemble des troménistes. Ces derniers sont
concentrés afin de ne pas rater le départ, les plus anciens chantent en cœur le cantique.

Le cortège se dirige sur la gauche afin d’emprunter la fin de la rue St Thélo qui rejoint à une dizaine de
mètres en amont la rue nationale. Le chant transperce le bruit sourd du moteur diesel qui résonne dans
les rues étroites; quelques personnes aux fenêtres regardent la procession animer leur pas de porte. Le
cortège se dirige, conservant son ordre initial, jusqu’à Loch Conan où il déposera les bannières, les
statues et la croix d’or.

Le début de cortège est constitué par les porteurs d’enseignes, la croix des mariés les devance
systématiquement. La croix des mariés est une croix argentée, actuellement portée sans sa hampe. La
croix des mariés à l’instar des reliques, accomplit l’ensemble du parcours de la troménie, son port
incombe aux hommes mariés à Landeleau et aux Landeleausiens mariés depuis la dernière troménie.
Cette année, il n’y a eu que deux hommes mariés à Landeleau, mais ils ne sont pas présents, une tierce
personne s’est chargée de cette fonction. Un ami prendra le relais après Loch Conan.

Mme Christiane Rochard, une Landeleausienne de souche, retraitée, présente dans le nouveau conseil
municipal, fait la troménie chaque année si elle n’en est empêchée, elle prend la charge de veiller au bon
port du reliquaire et de la croix des mariés; Elle m’explique qu’on lui a proposé cette responsabilité lors
d’une troménie « Jean Ladan (l’avant avant-dernier recteur) est venu me voir, et il m’a demandé de
regarder après la croix et les reliques », cette responsabilité n’est pas une sinécure.

Le port des enseignes, bannières et statues, se répartit suivant les classes d’âges de l’année de la
troménie :

• Les hommes de vingt ans portent la bannière du Sacré-Cœur, ceux de quarante portent la bannière
de saint Telo, ceux de cinquante portent la statue de saint Joseph et ceux de soixante portent la
lourde croix d’or.

• Autrefois les communiants de l’année portaient les quatre lanternes qui entouraient le reliquaire, les
lanternes étaient déposées avec les enseignes. Les enfants avaient la charge du port des étendards.

201
Cantique de Saint Théleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
• Les filles de la profession de foi, portent la bannière de sainte Thérèse, les filles de quatorze ans
portent la statue de Notre Dame de Lourdes, celles de quinze ans portent la petite bannière de la
sainte Vierge, celles de quarante ans portent la bannière de la sainte Vierge, celles de cinquante ans
portent la statue de Notre Dame du Sacré-Cœur, celles de soixante ans portent la statue de la
Vierge.

• Autrefois, d’autres enseignes étaient portées par les jeunes filles, oriflammes et parfois les
étendards.

Le reliquaire contenant les reliques de saint Telo parcourt la troménie dans son entier. Il consiste en une
petite boîte de métal comportant une face vitrée à travers laquelle nous distinguons les ossements
soigneusement reliés par une ficelle dorée; sur sa face supérieure est écrit SANT THÉLEAU PÉDIT EVIDOM,

saint Telo priez pour nous. Le reliquaire est enfermé dans une châsse-reliquaire, en étain de petites
dimensions (30 x 24 x 14 cm), en forme d’oratoire soutenu à ses deux extrémités par deux cerfs
avançant de front, les têtes se faisant face. Cette châsse-reliquaire est couramment comprise comme le
reliquaire, le jour de la troménie elle est portée sur un brancard de bois peint en blanc, décoré de deux
pièces de velours. Autrefois le brancard comportait un arceau de protection recouvert de velours, qui
n’est plus utilisé.

Les enseignes
D’après les commentaires généraux, le nombre de porteurs diminue d’année en année. Habituellement,
si le manque de porteurs est prévu, on demandera à des amis du même sexe, proches de l’âge de la
classe des porteurs de venir en aide. Si les porteurs font défaut au départ de la troménie, les
organisateurs devront recruter rapidement d’autres porteurs dans les rangs des fidèles, de préférence
parmi leurs connaissances.

Pour cette troménie, M. Rosnen père est venu seconder son fils, seul à porter la bannière des 20 ans. Ils
n’étaient que deux porteurs pour la bannière de saint Telo; l’un des porteurs me confiait qu’ils sont
pourtant une vingtaine de personnes recensées de la classe, mais la majorité vit actuellement hors de la
région. Elles n’étaient que trois porteuses de la classe soixante des ans, présentes pour porter la statue
de la Vierge , une amie plus jeune est venue faire la quatrième porteuse.

La procession monte à un pas moyen la rue principale, le camion de sonorisation en tête, suivi de deux
photographes, venus spécialement pour l’occasion, quelques jeunes enfants les suivent; la croix des
mariés ouvre la procession suivie par la croix d’or (hommes de soixante ans), puis vient la statue de la
Vierge (femmes de soixante ans), la statue de saint Joseph (hommes de cinquante ans), la statue N.D.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
du Sacré-Cœur (femmes de cinquante ans), la bannière de saint Telo (hommes de quarante ans), la
bannière de la sainte Vierge(femmes de quarante ans), la bannière du Sacré-Cœur (hommes de vingt
ans), la petite bannière de la sainte Vierge (filles de quinze ans), la statue N.D. de Lourdes (filles de
quatorze ans), et enfin la bannière de sainte Thérèse (filles de la profession de foi).

Au n°49 de la rue des Trois-croix, dans le prolongement de la rue du Kreisker, deux dames se
précipitent au devant de leur maison pour disposer sur la largeur de la route un parterre de fleurs et de
feuillage. Ce parterre fleuri éphémère restera toute la journée jusqu’au retour de la troménie, il sera
enlevé peu après.

Il est communément admis, que les parterres fleuris improvisés sur la route le jour de la troménie, sont
en définitive un marquage à l’intention des porteurs des reliques pour qu’ils s’y arrêtent quelques
instants, permettant aux gens du voisinage présents sur le bord de la route de passer sous les reliques.
Malgré l’unanimité de cette affirmation, au retour de la troménie au croisement de Kerroz, la dame qui
a disposé les fleurs sur la route me répond qu’elle le fait, comme sa mère le faisait à chaque troménie.
Mais elle-même ne passe pas sous les reliques. Elle est la seule personne du voisinage présente, les
fleurs ne seront pas ramassées après la procession, elles y seront toujours quelques jours plus tard.

La troménie continue sa route et passe devant les Trois-croix sans marquer d’arrêt. Pourtant ce lieu est
associé à l’histoire religieuse locale. La doyenne, Philomène Chaussy nous apprend que « Autrefois il y
avait un tantad, aux Trois-croix. La veille de la troménie. On y allumait des fusées. Je ramenais des
cendres avec moi ». Aujourd’hui il ne reste plus de traces des Trois-croix primitives, elles ont disparu à
l’époque de la guerre, il reste une croix celtique érigée en 1943. La bénédiction de la croix a nécessité la
présence des reliques lors d’une procession digne de la troménie. Le toponyme des Trois-croix est la
survivance de la localisation de trois stèles préchrétiennes. L’une d’elle, découverte en mai 1994, se
trouve aujourd’hui devant la mairie, les deux autres doivent toujours dormir sous le sol.

Continuant la marche, la procession s’arrête à trois cent mètres des Trois-croix à la biscuiterie Yannick à
Loch Conan, pour déposer les bannières et statues; elle s’y arrêtera au retour pour les reprendre et les
ramener religieusement à l’église paroissiale d’où elles étaient parties. M. Jettain directeur de la
biscuiterie, prête gracieusement un quai de déchargement, qui consiste en un préau ouvert sur la cour
d’entrée de l’usine. Les porteurs d’enseignes les déposent précautionneusement contre les murs pour les
bannières ou sur le sol pour les statues, elles resteront toute l’après-midi sans surveillance.

L’usine « Biscuiterie Yannick » est le troisième dépôt historique des enseignes de la troménie, le dépôt
originel avait lieu à la chapelle Notre Dame de Lannac’h, qui est aussi la première station de la

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
troménie. Le toit de la chapelle s’est effondré à la fin des années trente, mais les enseignes y étaient
encore déposées d’après le témoignage oral de Jean Cam du Pénity. Après la disparition des vestiges de
la chapelle, les enseignes ont été déposées dans la grange de M. François Lallouet à Ménez Lannac’h,
puis dans les années soixante-dix chez M. Hervé Jettain directeur de la biscuiterie Yannick à Loch
Conan; cette aide a surpris plus d’une personne, M. Jettain étant considéré de gauche. Mais la troménie
dépasse les dissensions politiques aux dires de tous.

Il est intéressant de noter que le rapprochement du dépôt des enseignes n’a rencontré aucune
opposition202, pourtant les troménistes sont réticents aux changements de parcours, sous couvert de ne
pas déroger à la tradition.

2 - LE CHEMIN DE PÉNITENCE

Le service d’ordre
Leur besogne finie, les porteurs rejoignent rapidement la procession qui les attend sur la route; durant
ces quelques minutes d’attente, une pelle automotrice se fraye difficilement un chemin parmi les
pèlerins. Il n’y a pas de service d’ordre pour régler la circulation, pourtant cette année ils ont reçu des
recommandations de sécurité de la part de la gendarmerie en tant que manifestation importante. Le
secrétaire de mairie me confie « Je suis ici depuis (19)75, il n’y a jamais eu de service d’ordre; cette
année je ne sais pas qui a été se plaindre, on nous a demandé d’avoir un service d’ordre ».

Durant la messe à la chapelle du Pénity, une personne dans l'assistance a fait une crise d'épilepsie; le
docteur Arlaux présent sur les lieux a assisté le malade, le temps aux pompiers de Carhaix d'amener une
ambulance. Effectivement l’organisation n’a rien prévu pour la sécurité routière ou médicale de la
procession Landeleausienne. A Gouesnou, l’organisation forte d’une vingtaine de personnes, a prévu
quatre personnes équipées (brassard, panneaux manuels) pour la sécurité routière, une voiture de tête
montée de panneaux signalisants et d’un gyrophare, et une voiture balai; le parcours est d’autant plus
dangereux qu’il traverse la zone industrielle de Kergaradec et des rocades routières. A Locronan, le
parcours de la troménie est champêtre, mais le nombre de pèlerins dépasse le millier de personnes, la
sécurité médicale est organisée par la Croix Rouge.

L’organisation de la troménie est gérée par le conseil de gestion paroissial, un de ses responsables se
plaint du manque d’investissement de la part des jeunes Landeleausiens. Cet avis n’est pas partagé par

202
« Parce que c’est lourd » me souffle Mme Arlaux, porteuse de la la bannière de la sainte Vierge en 2000.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
tous, qui critiquent la main mise de responsables sur ce même conseil de gestion. Le recteur, intervient
très peu dans les affaires du conseil de gestion; étant nommé pour une durée limitée, il justifie sa
position par son manque de connaissance des affaires de la paroisse et la difficulté à s’immiscer dans
une organisation traditionnelle et complexe. L’organisation du conseil de gestion de la paroisse est de
type traditionnel, les membres, présents sur de longues périodes, plusieurs dizaines d’années, essayent
de transmettre leur responsabilité à leur parenté filiale

Les forces de l’ordre ne sont pas venues troubler le rassemblement religieux, et la procession s’est
déroulée sans encombres. Les seules difficultés signalées, sont la gêne de touristes automobilistes
bloqués par la procession, devant faire preuve de patience pour continuer leur route.

L’arrêt à Loch Conan dure près de cinq minutes, la procession redémarre, le camion de sonorisation en
tête, suivi de près par les photographes et l’équipe vidéo, la croix des mariés mène toujours la
procession suivie par le reliquaire à une dizaine de mètres; les pèlerins suivent et débordent de temps à
autre le reliquaire, mais ne dépassent jamais la croix des mariés. Cet ordre perdurera tout le long de la
troménie jusqu’à la reprise des enseignes à Loch Conan sur le chemin du retour, elle reprendra alors
son ordre initial jusqu’à l’église paroissiale.

N O T R E DA M E DU LANNAC’H
La procession dépasse Ménez Lannac’h et descend sur la chapelle de Notre Dame de Lannac’h ou
plutôt devant ce qu’il en reste, un oratoire consistant en un large pilier, construit avec des blocs de
pierre de taille de l’ancienne chapelle, surmonté par une statue de la Vierge d’une trentaine de
centimètres; l’ensemble est entouré d’un carré de haie taillée ouverte sur la route, ombragé par un arbre.
Aujourd’hui l’oratoire a été richement décoré de fleurs par le voisinage, pour accueillir la troménie. La
procession y marque son premier arrêt officiel, des personnes âgées voisines venues en spectateurs, en
profitent pour passer sous les reliques.

Un commentaire sur N.D. de Bon-Secours203, sur l’amour de Dieu, par une paroissienne, puis courte
allocution de Christian Le Borgne sur le rayonnement de l’évangile, puis chant des quatre couplets du
Pegen kaer ez eo Mamm Jezuz. Le camion attend la fin du cantique avant de redémarrer, de nouveaux
porteurs se proposent pour le reliquaire, le changement s’effectue prestement et la troménie peut
reprendre sa route.

203
L’abbé Pierre Mahé me confiait l’ambiguïté de la dénomination de la chapelle N.D. De Bonne Nouvelle appelée quelques
fois N.D. De Bon Secours dans les archives paroissiales.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
L’ambiance sur la route est détendue, les enceintes du camion sono lancent des prières « Avec Dieu
notre père » page six du livret, « lecture aux épitres aux Corinthiens« etc. Peu de personnes semblent se
concentrer sur les prières, les troménistes en tête de la procession reprennent les refrains en cœur.
Christian Le Borgne se voit offrir le micro de temps à autre et répond à cette invitation en lançant
quelques prêches. La troménie prenant toute la largeur de la route, surprend quelques automobilistes
étrangers à la région; un conducteur italien essaye de forcer le passage à l’arrière de la troménie, mais en
vain, il attendra que la procession bifurque à Lan Loc’h, dans les chemins creux pour la dépasser.

« Nous passons à 200 m du dolmen appelé Ti sant Telo, la maison de saint Telo, la légende le cite comme
la première demeure du saint dans la région »; c’est en résumé le commentaire que les pèlerins essayent
de comprendre dans les soubresauts de la sonorisation.

Le reliquaire marque un court arrêt à Lan Loc’h, permettant à des personnes âgées du voisinage
d’accomplir leur dévotion envers les reliques du saint patron, par le passage sous le reliquaire. L’arrêt ne
dure que quelques instants, la tête de la procession s’engage dans un chemin creux, bordé de hauts
talus, elle s’étire dans cet étroit chemin en avançant sur un front de trois à quatre personnes. Je cours
sur le côté pour remonter la file des pèlerins, imité par le cameraman qui s’est laissé enfermer dans la
marée humaine.

Le chemin débouche sur une route goudronnée à Ti nevez, le caméraman et le photographe sont en
position et mitraillent la tête de la procession, qui s’arrête quelques dizaines de mètres plus loin,
permettant au cortège de se reformer. Le camion a contourné ce chemin impraticable aux véhicules
routiers et attend le signal pour reprendre la route. La procession ne reste que 200m sur la route, peu
avant Pont Scoaec, elle la quitte pour descendre à travers champs; de nouveau la procession s’étire plus
longuement à travers ce goulet d’étranglement.

Lors du dic’harzh , notre premier travail a été de dégager l’accès au champ; Pierre Le Gall m’explique
qu’il faut faire un passage pour que quatre personnes puissent passer de front. Notre tâche a consisté a
débroussailler cet accès, d’autres personnes sont passées après nous et ont creusé une volée de marches
dans la terre, facilitant encore plus le cheminement de ce passage incommode.

Nous longeons sur une cinquantaine de mètres un ruisseau avant de remonter le champ en gardant le
talus sur notre droite. Une année particulièrement pluvieuse, les troménistes ont remonté le chemin de
l’autre côté du talus, dans un autre champ. Aujourd’hui le temps est sec, nos chaussures s’enfoncent
dans la terre labourée, les pèlerins de tête tassent la terre pour les suivants. Seul le talus de bordure

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
indique à cet endroit l’emplacement du chemin; l’agriculteur a agrandi sa surface cultivable au détriment
des chemins de la troménie, mais il ne s’oppose pas au passage de la procession.

La destruction des talus et la récupération optimale des surfaces cultivables sont contestés par la
population locale, mais mise devant le fait accompli, aucune action n’est intentée contre cette
appropriation forcée. La principale industrie de Landeleau, en dehors de la fabrication de crêpes est
l’agriculture; Landeleau n’a pas connu un remembrement forcé, il s’est effectué progressivement au fur
et à mesure du rachat des terres par les jeunes agriculteurs. Les contraintes de rendement ont justifié
l’agrandissement des parcelles cultivables au détriment des talus de bordure. Ces changements imposés
à la physionomie géographique font pester les citadins contre les agriculteurs, « Autrefois le chemin qui
menait au chêne était bordé d’allées d’arbres, c’était magnifique! Aujourd’hui, regarde ce que c’est
devenu, on voit les champs partout ». Des rumeurs plus catastrophiques circulent sur l’avenir du chêne.
« Oui, M. X qui a déjà arasé tous les talus près du chêne, voulait lui couper les branches! Elles
ombrageaient les cultures; si un parent n’était pas intervenu, on aurait eu à craindre pour le chêne (de
saint Telo) », l’agriculteur incriminé m’a répondu, très surpris, qu’il n’en avait jamais été question.
Travaillant dans une petite communauté, beaucoup d’informations me sont confiées, avec du recul je
me rends compte que de nombreuses rumeurs erronées y circulent, causant beaucoup de tort à tous en
nuisant à la solidarité rurale.

Nous quittons le champ Goarem Kreiz204, la garenne du milieu en contrebas de Goarem ar Zalut205, la
garenne du salut, pour prendre le chemin remontant jusqu’au croisement de Keravel. Nous marchons
dans un chemin ombragé, sur un tapis d’herbe fraîchement coupé, la marche en est d’autant plus
facilitée.

Buvette clandestine
Nous arrivons au croisement de Keravel, là nous rejoignons la route qui descend vers le chêne de saint
Telo, deuxième station. J’aperçois garée dos à la troménie, une 2CV avec son conducteur, à une dizaine
de mètres dans l’allée de Keravel; c’est une position inhabituelle pour quelqu’un venu voir la
procession. Je ne m’arrête pas et continue mon chemin rapidement, de peur de rater quelques
évènements. Une amie m’apprendra quelque temps plus tard, que la 2CV était une buvette clandestine,
elle a essayé de me prévenir, mais je m’étais déjà éloigné du lieu de libation improvisé.

Cette même amie m’avait prévenu quelques jours avant, de la présence de bistrots clandestins, ou
comme elle les dénommait plus poétiquement, buvettes de talus, d’autres les dénomment gîtes de lièvre. Le

204
Cadastre 1838, B8 – 7.
205
Cadastre de 1838, B8 – 6.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
principe est de fournir aux pèlerins restés en fin de procession de quoi se désaltérer ou plus
prosaïquement de boire un coup, alcoolisé de préférence.

J’ai compté deux grosses buvettes clandestines, une au croisement de Keravel, l’autre avant le chêne. A
Keravel, c’est le plus souvent un automobiliste landeleausien qui a promis de venir soutenir ses
coreligionnaires, il ouvre son coffre qui se doit d’être bien approvisionné en boissons de tous genres.
Cette année le propriétaire de la 2CV a prévu une table de camping pour disposer ses bouteilles et des
gobelets plastiques. La pause boisson dure une dizaine de minutes, le temps que le prêche commence
au chêne. La seconde buvette s’organise dans une entrée de champ à une trentaine de mètres du chêne,
là un troméniste prévoyant débouche une bouteille de vin blanc alsacien et sert ses amis assemblés, peu
discrètement, autour de lui. Les conversations fusent, l’ambiance est à la détente. Une troméniste me
confiait qu’elle a observé « juste avant l’arrivée du bourg, quelqu’un prendre une bouteille de bordeaux
déposée dans une boîte aux lettres comme convenu au préalable avec le propriétaire de la maison ».

Mlle Sylvette Denêfle, dans un article sur la troménie de Gouesnou206 évoque aussi la présence de
buvettes clandestines, soit des invitations chez des particuliers, soit des bouteilles cachées pour le jour
de la procession. Présent à la dernière troménie de Gouesnou, je n’ai pas vu de telles pratiques, mais je
suis resté en tête du cortège dans la première partie du parcours, celle qui traverse la campagne, la
seconde partie traverse la zone urbanisée de Gouesnou et permet moins de telles dispositions. Un
troméniste m’a confié que chaque année il était invité à venir boire un verre chez un ami lors de la
septième station à l’ancien séminaire de Keraudren.

A l’arrivée au village du Pénity-Saint-Laurent, les invitations à se désaltérer chez l’habitant ne manquent


pas non plus, et au retour il y a l’arrêt à Kervoantec; il s’agit là d’une halte buvette traditionnelle,
transmise par les anciens aux nouveaux propriétaires; « quand nous sommes arrivés ici, les anciens
propriétaires nous ont dit que c’était à notre tour de percer une barrique de cidre et d’offrir des
rafraîchissements aux pèlerins. C’est ce que nous faisons depuis ce temps là ». C’est l’ancien adjoint au
maire avec sa famille qui officient la buvette, par jour de grosse chaleur, la halte est la bienvenue; la
troménie s’arrête 300m plus bas, attendant les nombreux pèlerins retenus par la pause boisson.

M. Jean Madec du Pénity me confiait qu’enfant, il habitait au village de La Montagne, situé sur la route
du retour, et que son père bien que peu enclin aux choses religieuses, apportait « une pleine brassée de
bouteilles de cidre aux pèlerins lors du passage de la procession » en face de chez lui. L’importance de
se désaltérer n’est pas une sinécure, plusieurs de mes informateurs ont vu des pèlerins tomber
d’inanition, sur la route du retour, par jour de grosses chaleurs.
Sylvette Denêfle, « Une épreuve d'endurance : La troménie de Gouesnou. Actualisation de la tradition », Ethnologie des
206

faits religieux, CTHS, 1993, p 35-42.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Le chêne de saint Telo est la deuxième station de la troménie, la plus importante en durée après celle du
Pénity. Le reliquaire est déposé précautionneusement sur « l’autel » de pierre coincé entre le chêne de
saint Telo et un chêne plus fin. L’autel est richement fleuri pour la circonstance par les personnes du
« large » voisinage.

LE CHÊNE

L’arbre de saint Telo se trouve sur le bord droit de la route, quand on descend depuis Keravel. Le talus
droit, contourne le chêne, en pénétrant par une large courbe dans le champ contigu, appelé Goarem sant
Thelo. L’arbre de saint Telo est un chêne majestueux, non daté, de plus de cinq mètres de circonférence.
Ses larges branches se déploient de part et d’autre de la route. Il est accompagné d’un autre chêne (son
rejeton?), et entre les deux chênes se trouve un petit autel maçonné.

Certains troménistes arrachent un morceau d’écorce dès leur arrivée au chêne, en dépit de l’allocution
religieuse; Pendant la demi-heure que dure l’arrêt, l’écorçage continue, certains attendront le départ de
la troménie pour faire leur besogne.

Au départ de la procession je me précipite pour interroger quelques écorceurs; ma question « -Pourquoi


prenez-vous des écorces ? » jette un froid, flottement dans l’atmosphère, personne ne me répond, puis
quelqu’un prend la parole, « -Parce qu’on est breton, et parce que les Bretons aiment les Corses », tout
le monde rigole, une femme me confie qu’elle en prend parce qu’elle se marie au mois d’août. Tous
ceux qui « consomment » de l’écorce du chêne de saint Telo, insistent sur l’importance d’en prendre lors
du jour de la troménie, « Après ça vaut rien ».

Le clergé local ne s’oppose pas à ce type de pratiques, le recteur actuel ayant lui-même longtemps vécu
au Portugal, a été régulièrement confronté à des pratiques de piété populaire peu catholiques. Les
personnes déconsidérant ces pratiques les traiteront de superstitieuses. A l’inverse, les photographes et
vidéastes présents se ruent sur les écorceurs, les prennent en plan rapproché. Cette boulimie d’images
dure plusieurs minutes, ce qui ne perturbe nullement les intéressés. On a l’impression que l’on
accentue, pour les besoins médiatiques, les « néo-survivances païennes ». Pour certains troménistes la
passivité apparente du clergé est une acceptation implicite de cette ancienne coutume.

La station à l’arbre de saint Telo est devenue récemment une célébration pénitentielle. Le recteur a
prévu cette année un poème de Youenn Gwernig sur les arbres, diffusé sur la sono automobile, suivi
par une musique d’ambiance, biniou et orgue, laissant le temps à la procession de se reformer. Le

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
pardonneur prend la parole en introduisant ses propos par un exposé sur la symbolique du chêne pour
reprendre sur une partie théologique. L’animatrice lance la prière « Seigneur, Seigneur, prends pitié de
nous » page sept du livret. Le prêche reprend de plus belle, il est clos par la chanson « Peuple de
l’alliance ».

L’autel
« L’autel » du chêne est une table surmontant un coffre, l’ensemble étant constitué de l’agencement de
plusieurs plaques tombales d’ardoise maçonnées. Cette construction récente, remaniée, est l’œuvre du
voisinage, responsable officieux de l’agencement du site pour chaque troménie; En 1955, le reliquaire
était posé sur un châssis de bois, recouvert d’un drap blanc, entre les deux chênes, un autre drap blanc
étant tendu derrière le reliquaire. Ce reposoir démontable préfigure l’autel maçonné qui sera construit
au même emplacement dans les années soixante. Cette construction constituée de pierres tombales ne
choque personne, elle intrigue plus qu’elle ne dérange; elle est improprement dénommée « autel » le
clergé n’ayant pas consacré l’édifice.

Le sculpteur M. Dupont-Danican
La ferme de Keravel, l’habitation la plus proche, a été construite ex nihilo au XIXe siècle, les
propriétaires actuels M. et Mme Danican, sont arrivés il y a cinq ans dans la région. M. Danican est
artiste peintre et sculpteur. Une de ses sculptures, « L’homme et le cerf » a attiré l’attention de la
population locale, qui l’a renommée « saint Telo et son cerf ». C’est une œuvre réalisée il y a une
trentaine d’années qu’il n’a jamais vendue, et lors d’une porte ouverte de son atelier, « Quand les gens
d’ici l’ont vue, ils m’ont dit c’est saint Telo ». Il m’explique qu’il a taillé la statue dans une vieille poutre
provenant d’une vieille demeure, son arrière grand mère était née à Llandeilo en Cambrie, et avant son
arrivée à Landeleau il n’avait jamais entendu parler de troménie « C'est presque de la poèsie207 ». Sur la
demande de ses voisins, il a accepté une année de disposer sa statue sur l’autel du chêne le jour de la
troménie. L’expérience n’a pas été renouvelée, par manque d’insistance des voisins m’affirme t-il.

Lors de leur installation à Keravel, l’ancienne propriétaire, Mme Mahé, leur a dit : « -Vous êtes les
nouveaux gardiens du chêne de saint Telo! »; de la ferme on aperçoit facilement le chêne. Eux-mêmes
se considèrent plus sous la protection de saint Telo que les gardiens du chêne, vu leur peu
d’investissement dans la vie religieuse ou sociale locale.

207
Entretien du 3 novembre 2000 avec M. et Mme Dupont-Danican, Keravel, Landeleau.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

La procession quitte en chantant l’arbre de saint Telo, et descend vers Châteaugall, en laissant sur sa
gauche, en contrebas de la route, l’ancienne portion de chemin charretier, appelé Goslenn. Ce chemin
était l’un des passages les plus difficiles de la troménie, l’eau ruisselante rend le passage extrêmement
boueux. Autrefois, quand la troménie y passait, « on s’y enfonçait jusqu’aux genoux, certains tombaient
même de tout leur corps ». Récemment redécouvert et valorisé pour l‘intérêt patrimonial de la fontaine,
la troménie a profité de cette ouverture pour retrouver son ancien chemin processionnel. Le toponyme
de Goslenn est une forme ancienne du breton, formée de Gos et lenn, le vieil étang. Ce vieil étang aurait
été situé en amont du ruisseau, mais la toponymie ne nous renseigne guère plus.

Nous bifurquons sur la gauche au croisement, pour remonter sur Châteaugall, nous quittons la route,
construite après la guerre, pour nous engager sur la droite dans un vieux chemin. Il nous mène cent
mètres plus loin, dans les dépendances de l’ancienne seigneurie de Châteaugall. Du château, il ne reste
plus qu’une aile rénovée, actuellement habitée par les nouveaux propriétaires. Mais nous n’entrons pas
dans la cour du château, nous le laissons sur notre droite et retrouvons la route goudronnée, sans
fléchir le cruciphore nous emmène vers Kerbellec, « le village du prêtre », le château primitif aurait pu
se trouver à cet emplacement.

La route redescend vers Poull meur, aujourd’hui la propriété d’un artiste britannique; à Poull meur, nous
nous engageons à nouveau dans un chemin creux, qui serpente sur le flanc ouest de la colline jusqu’à la
ferme de Kergoat. La procession s’étire de nouveau dans ce chemin étroit qui grimpe entre les talus
boisés de La Montagne, pour redescendre vers la chapelle du Pénity-Saint-Laurent. La Montagne est
dénommée ainsi dans le cadastre de 1838. En son sommet, se trouvent les villages de Kerroz (le village
du coteau, de la pente) et de La Montagne.

Passée la ferme de Kergoat, nous bifurquons à travers champs, mais la tête de la troménie se trompe et
s’engage par la deuxième entrée de champ, ce qui ne nuit pas au parcours, car nous nous retrouvons
dans la même parcelle cultivée, fraîchement coupée, à descendre sur le Pénity. Le recteur a remarqué
l’erreur et s’étonne qu’elle ait pu se produire, mais « -Ce sont les gens qui se sont trompés. Ils savent
mieux que moi en principe, puisque ce n’est que la deuxième fois que je la fais ». Le jeudi suivant lors de
la troménie du jeudi, je prends les devants et oriente les pèlerins vers la première entrée de champs, des
voix s’élèvent « C’est pas ici, c’est là-bas... », le recteur vient à ma rescousse et confirme l’accès en
rappelant l’erreur produite lors du dernier parcours. Le chemin de la troménie n’est pas balisé, et le
danger est toujours présent que le groupe de tête s’engage, par erreur, sur une fausse route.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Nous descendons maintenant le large champ, à l’herbe rase, nous commençons à apercevoir le village
du Pénity. Nous rejoignons la route par un petit chemin, qui nous oblige à former une file indienne,
c’est souvent à cet endroit que quelqu’un se dévoue pour comptabiliser le nombre de pèlerins de la
troménie. J’entends dire qu’on en a compté trois cents. Sur la route nous attend M. Lucien Cam et son
fils, accordéoniste pour l’occasion. On se rassemble dix mètres plus bas, et quelques minutes plus tard
M. le recteur précédant le cortège peut descendre, en chantant le cantique de saint Thélo, jusqu’à la
chapelle du Pénity-Saint-Laurent, accompagné de l’accordéon.

3 - A U P É N I T Y -S A I N T -L A U R E N T

Le Pénity-Saint-Laurent est le village septentrional de Landeleau, au nord-est. Il est appelé couramment


Pont-Pénity, en regard du pont qui traverse L’Aulne et permet de rejoindre les communes de Plouyé et de
Kergloff. Il est en opposé au hameau du Pénity-Raoul, qui est situé au sud-est près de Pont Triffen, le
second pont de la commune. Après-guerre, Pont-Pénity a concentré la majorité des votes socialistes de la
commune, à l’opposé du bourg, plus blanc, de droite et clérical; On le surnommait la Russie rouge ou
petite Russie, creuset de non croyants, d’excommuniés et autres révolutionnaires anti-cléricaux. Le fils de
l’ancien bedeau du Pénity était quant à lui surnommé le communiste croyant à cause de son lieu de
résidence.

Aujourd’hui, c’est le jour de fête au Pénity, M. et Mme Madec, sont sur le perron de leur maison pour
« saluer » la troménie. Cette année, de nombreuses maisons sont fermées, les résidants passent le week-
end de Pentecôte en dehors de la commune. Mais l’accueil le plus important se passe à la chapelle, la
route est envahie de dizaines de voitures garées sur les bas-côtés, de nombreux pèlerins, trop âgés pour
parcourir à pied les quatre lieues du parcours, sont venus en voiture jusqu’au Pénity pour assister à la
messe; certains seront de nouveau présents le jeudi suivant à la messe de la ‘petite troménie’. Ils ont
amené avec eux des chaises pliantes.

La cloche de la chapelle sonne l’arrivée de la troménie, il est 11h05. La croix et le reliquaire rentrent
directement dans la chapelle par la porte ouest, la croix est déposée à plat208 sur l’autel est et le reliquaire
est déposé sur l’autel du mur nord. La messe se déroule sur le placître de la chapelle, sur lequel une
large tente abrite l’autel, les deux prêtres officiants, la chanteuse et l’organiste, faisant face à l’assemblée
des pèlerins assis sur des bancs de bois, pour la majorité, et debout autour du placître et sur le talus

La croix des mariés ne consiste en fait qu'en une tête de croix, cela fait plus de vingt ans qu'on ne prend plus la lourde
208

hampe de la croix.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 126


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
pour de nombreux autres. Le camion sono est garé au-dessus du placître, Jo Rouat y officie seul,
attentif aux besoins liturgiques. Il a prévu un panel de musiques assez large, allant de la kora africaine au
couple biniou-bombarde breton, mais il a peu de temps pour diffuser des musiques d’ambiance.

Le temps pour les deux prêtres officiants d’enfiler leurs aubes et leurs chasubles, l’office commence.
L’assistance est concentrée, rien ne la perturbe. Le pardonneur, Christian Le Borgne lance un prêche
enflammé sur les apôtres, saint Telo, l’agriculture et remercie les photographes qui « transmettent le
message ». La liturgie succède aux chants et à la musique de l’orgue électrique, installé sous la tente pour
l’occasion. M. Pierre Mahé annonce 400 personnes présentes, un troméniste enthousiaste lui a soufflé le
chiffre. Les cantiques bretons sont très appréciés, la messe finit sur un couplet du Kantic sant Thelo
accompagné d’un Ni ho Salud gand Karantez.

Dans la chapelle, les deux joueurs de bombarde, le docteur Arlaux et Fernand L’haridon attendent le
moment de la quête pour jouer un air de cantique. Invités à jouer deux jours avant, ils se sont réunis la
veille pour mettre au point quelques airs de cantique. Ce sont deux sonneurs expérimentés, Fernand
L’haridon joue dans le groupe de musique « Molybdène ». Le son aigu de la bombarde incommode une
personne âgée proche, mais les musiciens sont concentrés et ne faiblissent pas leur souffle.

Certains n’ont pas attendu la fin de la messe pour aller se désaltérer dans la cantine de l’ancienne école,
transformée pour l’occasion en buvette officielle de la troménie. Cette année, l’association des parents
d’élèves de Landeleau, a demandé à l’association des jeunes de la commune, « Abribis », de s’occuper de
la buvette du Pénity. Ils sont secondés par les parents d’élèves, qui les aident pour les crêpes et la
sandwicherie. La cantine est remplie de monde, troménistes pédestres et troménistes automobiles, dans
cette dernière catégorie, il y a les pratiquants et les non pratiquants, tous sont là pour célébrer
l’évènement autour d’une hostie ou d’un verre de vin. La carte des boissons proposées est modeste,
mais suffisante, on y propose des vins blanc et rouge, du kir, du cidre, de la bière kronenbourg, de la
limonade, du jus d’orange, du café. Les bénéfices récoltés serviront à l’aménagement d’un foyer pour
les jeunes landeleausiens membres de « Abribis ».

Après la messe, les fidèles se dispersent pour le déjeuner, une partie va pique-niquer sur le placître et
autour de la chapelle, d’autres sont invités au village du Pénity, et la facilité automobile aidant, un
certain nombre vont effectuer le déplacement jusqu’à leur domicile pour déjeuner. Ce ne sont pas les
plus croyants qui restent, mais ceux pour qui l’évènement est exceptionnel, les organisateurs, les
officiants déjeunent au bourg.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Le soleil darde ses rayons, la tente montée pour la messe est investie par les pique-niqueurs; les joueurs
de bombardes sont rejoints par un accordéoniste, des airs dansants sont joués pour le plus grand plaisir
des pèlerins présents. Mais personne ne tente de pas de danse sur le placître, les pèlerins ont les jambes
lourdes et ils doivent se réserver pour le retour.

La troménie draine une population hétéroclite, que nous pouvons diviser en deux groupes, catholiques
pratiquants et non pratiquants. Du premier groupe nous trouvons une forte population de Landeleau,
de la région périphérique, et une minorité extérieure à la région (Morlaix, Quimper, Lorient...) amatrice
de marches religieuses. Le deuxième groupe, plus important, est constitué exclusivement de
landeleausiens résidents et d’origine, à ce dernier groupe viennent s’ajouter quelques personnes en
quête d’ésotérisme.

Plus généralement les landeleausiens expliquent la fréquentation de la troménie par une majorité de
personnes, amatrices de randonnées, venant se faire plaisir sur ce parcours. En effet nous pouvons
constater au travers de la documentation iconographique, une évolution vestimentaire. Dans les années
cinquante les officiants portent le vêtement cérémoniel, les pèlerins portent leur « habit du dimanche »,
quelques femmes portent le costume « traditionnel » du Poher. Cet état évolue au cours des années
soixante-dix, en 1980 l’officiant revêt pour les stations sa aube, les pèlerins, peu nombreux, sont habillés
décontractés, en tenue d’été. Dans les années quatre-vingt-dix, en lien avec l’explosion des sports
outdoor (randonnée, VTT, alpinisme...), la majorité des troménistes portent des chaussures de
randonnées, des vêtements légers. Cet année le pardonneur porte des chaussure de randonnée, une
casquette américaine, une ceinture de randonnée (gourde), il revêt son aube au Pénity et à l’église
paroissiale.

Cette évolution vestimentaire explique en partie l’affirmation de l’invasion des randonneurs, pourtant
un informateur surenchérit en m’expliquant que des amis randonneurs, ont insisté auprès de lui pour
qu’il se joigne à eux lors de la troménie, justifiant l’aspect plus ludique de cette journée. Le recteur
répond à ces assertions : « Il y a trois cent soixante-quatre jours dans l’année pour faire de la randonnée
sur les chemins de la troménie, mais le jour de la Pentecôte , c’est la troménie ». Ce type de
troménistes, sont issues du groupe catholique non pratiquant, se défendant de pratiques religieuses
explicites.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

4 - LA ROUTE DU RETOUR

Je redescends peu avant 14 h observer la chapelle du Pénity, pour guetter le départ de la procession;
comme au départ de l’église paroissiale, les pèlerins vont faire trois fois le tour de l’édifice avant de
reprendre leur marche processionnelle. Ce matin, les pèlerins l’ont fait de leur propre initiative, les
reliques et les enseignes ne l’ont pas réalisé. La chapelle est calme, j’observe les statues fleuries pour
l’occasion quand je suis surpris par le vent de panique s’engouffrant dans l’oratoire : « Vite, vite,
dépêchez-vous, il faut prendre les reliques, la troménie va partir; il ne faut pas perdre de temps... » C’est
Christiane, elle s’est rendu compte que personne ne s’occupait des reliques, elle a pris quelques pèlerins
et leur force la main pour la précieuse charge.

Vaine agitation, le camion sono est arrêté, tous les pèlerins attendent patiemment derrière lui; je
demande ce qui se passe, on me répond que des jeunes garnements essayent de rester dans le camion
pour le retour et gênent le travail des adultes. Après une attente, qui semble une éternité, le chauffeur
redémarre son véhicule et demande quelques indications au recteur pour sa prochaine destination, qui
se trouve une dizaine de mètres en contrebas de la route. La procession, tout en reprenant le Kantic sant
Telo, descend la route principale en direction de l’Aulne, laissant sur sa gauche la croix et la fontaine de
la chapelle; elle bifurque sur la droite entre deux maisons, pour grimper sur un chemin de terre, étroit
au départ, s’élargissant rapidement; nous sommes sur l’ancienne allée de Châteaugall, autrefois une
large route reliant Châteaugall au village du Pénity, aujourd’hui chemin forestier délaissé au profit de
nouveaux tronçons routiers, construits par les prisonniers allemands après-guerre. La troménie ne
faiblit pas le pas, et attaque de nouveau l’ascension de La Montagne, cette fois-ci par son côté oriental.
Le camion sono nous rejoint au débouché du chemin sur la route de Châteaugall, le temps que la
procession se reforme, le pardonneur en profite pour prêcher au micro et passe la parole à une
religieuse qui nous offre une lecture de l’évangile.

Nous passons sur une section fleurie à la hauteur du village de Kerroz, mais le reliquaire ne s’arrête pas.
La dame à l’origine de ce fleurissement m’explique qu’elle le fait suivant la tradition héritée de sa mère,
mais elle n’éprouve pas le besoin de passer sous le reliquaire. Nous redescendons vers Poull Meur et
regrimpons la route de Kerbellec, puis Châteaugall, que nous laissons sur notre gauche, la procession
ne reprend pas l’ancienne portion de chemin, plus difficile, mais la route goudronnée qui surplombe le
chemin primitif. Je m’enquiers de la raison de ce changement d’itinéraire auprès d’un landeleausien, ce
dernier me répond :

- Ah, ça je ne saurais pas dire. - A chaque fois c’est pareil ? - Oui, de tradition je pense; en fait c’est le retour; il
y a eu un parcours, et il faut un chemin du retour qui quelque part, n’a pas la même signification que l’aller. Il

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
n’y a pas les même symboles, les mêmes points d’accroche. J’imagine que c’est la raison pour laquelle... Je crois
que le retour, c’est le fait accompli.

Cet apparent paradoxe entre la valorisation du chemin primitif et son oubli sur le trajet du retour est
difficilement explicable, l’importance de l’aller par rapport à la moindre importance du retour, est
l’explication la plus couramment fournie par les troménistes. Eux-mêmes sont étonnés de cet état de
fait, mais n’y voient pas de contradiction.

Passé Châteaugall nous remontons vers Kervoantec, la messe et la pause du déjeuner ont bien entamé
nos forces, le soleil est lourd en ce début d’après-midi, d’autant plus difficilement supportable que la
route est peu ombragée. Les difficultés rencontrées sont vite oubliées en arrivant à Kervoantec, M. et
Mme Justin Marzin convient les troménistes à venir se désaltérer dans leur véranda. L’invitation
rencontre un franc succès, la moitié de la troménie s’y arrête plusieurs minutes, pendant que la tête de la
procession continue. Nous devons faire la queue pour passer l’étroite entrée de la véranda, qui est
remplie de monde, Justin, sa fille et son gendre, ses petits enfants s’affairent à servir les pèlerins
déshydratés. L’offre est variée, vin blanc ou vin rouge, canettes de bières, jus d’orange, eau minérale; elle
satisfait tout le monde, même le pardonneur apprécie cette pause liquide en cette chaude journée. Mme
Marzin est surprise par l’affluence, « - Mais il y a beaucoup plus de monde cette année ? » Cette halte
n’est pas sans danger, des histoires circulent sur un troméniste qui se serait laissé enivrer, et serait
reparti en sens inverse pour rattraper la troménie. M. Justin Marzin m’explique son activité
exceptionnelle :

- Depuis que je suis là; il paraît que c’est une vieille tradition (M. Louis Le Page, ancien propriétaire perçait
une barrique le jour de la troménie). - Avant c’était la barrique de cidre, que je mettais là. Après il y a eu une
traversée de désert, parce qu’il y a eu plusieurs années où il n’y avait personne; où j’ai eu un locataire, où tu
sais bien aussi, qu’un jour il y aura là quelqu’un, qui ne connaîtra personne...(Je lui signale la présence de sa
fille et des petits enfants) - Oui il y aura peut-être quelqu’un qui me remplacera un jour !

Toujours pressé, je ressors prestement pour courir après la troménie qui est déjà bien loin, mais de
nombreux troménistes discutant nonchalamment, me rassurent « Ne t’inquiètes pas, tout le monde va
rattraper, c’est comme ça ici, il y a toujours une petite distance qui s’installe ». Effectivement, trois cents
mètres plus loin, la troménie s’est arrêtée pour sa quatrième station, à Moulin neuf, en contrebas de
l’emplacement de la chapelle disparue de Saint-Roch.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

S A I N T- RO C H
§Saint-Roch est la quatrième station de la troménie, il ne subsiste aujourd’hui de la chapelle que
quelques blocs de pierres taillées, dispersés dans de hautes herbes, un jeune chêne pousse sur
l’emplacement de l’ancien autel (ce dernier a été coupé peu après). Aujourd’hui, les troménistes de tête
attendent patiemment l’arrivée des retardataires, le pardonneur a déjà commencé son prêche, il évoque
le personnage de saint Roch, « celui qui était invoqué contre la peste », des saints, de leurs prières, le
recteur prend la suite en lisant un passage de l’évangile de saint Mathieu « C’est vous qui êtes la lumière
pour le monde... », puis improvise un prêche sur le thème :

- On peut dire que depuis deux mille ans, il y a eu bien des âmes qui ont fait briller des hommes et des
femmes de chez nous, qui ont fait briller cette lumière, qui nous ont transmis le flambeau; aujourd’hui nous
faisons mémoire de saint Telo [...] Et nous prenons la page treize de notre livret, « Ta paix sera notre
héritage ».

Mes informateurs de Kervoantec, arrivent enfin, le chant vient de commencer, malicieusement ils me
répondent « Si on avait su, on aurait pu traîner un peu plus ». Le chant est l’occasion de redémarrer la
procession, Arsène, le secrétaire de mairie en profite pour m’indiquer la présence de pèlerins du Lot-et-
Garonne. Je m’enquiers de la raison de leur présence, avec un fort accent du sud, l’un d’eux me répond
« Nous on est du Sud, si on commence à vous parler, le machin va être plein (je lui présente un
micro) », mais sympathiquement il répond à mes questions, il m’explique que son père est natif de
Landeleau, après-guerre il a émigré dans le sud et y a fondé sa famille. Occasionnellement, quelques uns
de ses enfants et petits-enfants reviennent à Landeleau et participent à la troménie :

On revient de temps en temps, mais comme on se marie cette année, c’est pour ça qu’on le fait ! Mais bon, on
peut toujours avoir une bonne occasion de le faire...C’est étonnant, trois cents personnes qui suivent un
chemin comme ça, qui passent sous un chêne ramasser un bout d’écorce...tradition, ou peut-être regarder un
peu plus loin...Voilà, ça continue, ça c’est le plus étonnant. Les gens qui font trois, quatre cents, cinq cents, six
cents kilomètres, comme nous pour venir. Quand même c’est étonnant... On est d’ici, nos racines sont ici...
Nos enfants auront peut-être envie de continuer.

La route est encore longue, la procession s’étire en longueur, les pèlerins commencent à fatiguer; la
montée de Ménez Lannac’h devient difficile en cette fin de parcours, on parle moins, nous dépassons
sans nous arrêter le carrefour qui mène à la chapelle N.D. du Lannac’h. Autrefois, c’est à ce carrefour
que les enseignes, déposées à la chapelle à l’aller, attendaient la venue de la procession :

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Le retour s’effectue par un autre chemin, peut-être plus poétique encore que celui du matin, qui nous ramène
à quelque distance de la chapelle de Notre-dame de Bonne-Nouvelle. La foule s’agenouille, pour saluer une
dernière fois la bonne Mère, et pour recevoir les bannières qui attendent en cet endroit209.

M. Pierre Balpe, 80 ans, ancien employé communal, se souvient de l’arrivée de la troménie à Ménez
Lannac’h :

Donc, moi j’étais sur mes gardes pour regarder, pour regarder les gens descendre pour aller prendre les
bannières, et puis ils amenaient (au carrefour), parce que la troménie montait de Moulin neuf; donc ils
devaient être là, prêts pour... Des gens qui ne... (faisaient pas la troménie), y-en a qui faisaient la troménie
quand même, mais les bannières devaient être au croisement, avant que la troménie n’arrive. Donc ils étaient
des fois un quart d’heure, vingt minutes, une demi-heure (à attendre). De Ménez Lannac’h on voyait à
Kervoantec une sacrée poussière, pareille comme on aurait dit, le train autrefois, le marc’h du, et donc ça
annonçait le passage de la troménie; tellement de poussière, de ce temps là il y avait du monde.

Après-guerre, les enseignes sont déposées dans une grange à Ménez Lannac’h, puis plus récemment à
Loch Conan. La troménie continue son chemin sans s’arrêter jusqu’à Loch Conan, où nous attendent
les enseignes et des musiciens; les riverains sont à leurs fenêtres pour observer l’animation
exceptionnelle.

Le bagad An Arvorig nous attend à Loch Conan, chaque année le conseil de gestion de la paroisse, avec
l’aide financière du syndicat d’initiative, invite un bagad régional pour accompagner le retour de la
troménie depuis le dépôt des enseignes. Les bagads de Spézet, Châteauneuf-du-Faou, Carhaix ont été
invités plusieurs fois à venir jouer. Il est de tradition d’avoir un accompagnement musical lors de la
troménie, cet accompagnement a beaucoup évolué au cours de l’histoire, mais il existe toujours; les
témoignages oraux sont peu précis quant à l’évolution de l’accompagnement musical de la troménie, ils
se souviennent de la présence d’une clique aux alentours de la guerre, puis de la présence annuelle d’un
bagad invité par la fabrique. M. Jean Madec du Pénity, se remémore :

- En ce temps là aussi, ça c’était tout de suite après la guerre, jusqu’aux années 55 il y en a eu; c’était les gars
qui avaient été dans la clique, dans une fanfare au régiment, qui sonnaient la trompette et le clairon. - Les
fanfares communales? - Oui, ça c’était en dernier, ils prenaient ça pour partir...(du bourg). Au début, c’était les
gars qui avaient fait leur service dans une fanfare...alors ils ne sonnaient que sur les buttes, quand ils arrivaient
sur une hauteur. Parce que autrement, en bas, on ne les entendait pas. - Quels genres d’air ? - Oh c’étaient des
marches militaires qu’ils jouaient.

209
Anonyme, « Landeleau », La Semaine Religieuse du Diocèse de Quimper et du Léon, 1894, Annonces non officielles,
p.341.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Les sources écrites et iconographiques sont rares, mais elles nous renseignent plus précisément sur
l’évolution de l’accompagnement musical :

• En 1784210, des tambours sont mentionnés dans les dépenses de la fabrique, ils ont pu se produire à
la troménie ou à la Fête-Dieu.

• En 1894211 « Le signal est donné par les clairons et tambours, qui viennent prendre le clergé au
presbytère. On entonne les litanies, les clairons alternent avec le chant....(au Pénity) A une heure et
demie, la cloche sonne, les clairons retentissent de nouveau : c’est l’heure et le signal du départ ».

• En 1926212 « La musique du patronage de Spézet soulevait l’enthousiasme. Depuis la guerre, nous


sommes privés de musiciens... »

• En 1939213 « ... onze clairons et deux tambours donnent le signal du départ : ils ont pour mission
d’entraîner aussi la foule dans les pénibles ascensions, de signaler les carrefours et les
agglomérations ... »

• En 1949, sur un film 8mm de M. Jean Cam, j’ai pu dénombrer une clique de trois tambours et six
trompettes, rangée sur deux rangs après les enseignes et devant les reliques, au départ de l’église
paroissiale. Les musiciens portent tous un béret militaire, et portent pour certains des médailles.

• En 1955, sur une série de photos provenant du presbytère de Landeleau, le bagad de Châteauneuf-
du-Faou précède les enseignes dans la montée des Trois-croix, il est composé d’une grosse caisse,
d’une caisse claire et de sept clairons.

Les clairons et les tambours sont mentionnés dès 1894, comme accompagnant la troménie sur son
parcours, cette forme d’accompagnement perdure jusque dans les années cinquante; cette clique,
soumise aux aléas des contraintes militaires, peut être absente ou être remplacée par une musique de
patronage, comme l’article du Courrier du Finistère de 1926 nous l’a signalé précédemment. Les vitraux
de l’église paroissiale posés en 1944 nous montrent une clique ou fanfare, composée de trompettes et
de tambours devant la troménie. La clique est remplacée par une formation musicale communale, dans
les années cinquante, de composition instrumentale proche, comme nous le montre la photo de 1955.
A cette date la fanfare limite son accompagnement musical au transport des enseignes, à l’aller (voir
210
Information transmise par M. George Provost, liasse « Landeleau 101 G7 », 1784, archives 29.
211
Anonyme, « Landeleau », ibid., p 340.
212
Une ancienne élève de l'école libre, « Grand Pardon de Saint-Théleau », Le Courrier du Finistère, 5 juin 1926, N°2416,
Landeleau, p.2.
213
Anonyme, « Landeleau », La Semaine Religieuse du Diocèse de Quimper et de Léon, 1939, p 360.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
photo) et vraisemblablement aussi au retour, mais je n’ai pas trouvé de témoignages écrits ou
iconographiques. La composition instrumentale de la fanfare évolue au cours des décennies pour
intégrer des binious et des bombardes, et devenir un bagad. Actuellement le bagad invité, accompagne
uniquement le retour des enseignes, et la sortie des vêpres. Le bagad an Arvorig est un bagad de
troisième catégorie, formé de musiciens du centre ouest Finistère.

15h45, la procession s’arrête quelques minutes à Loch Conan, permettant aux porteurs de reprendre les
bannières et les statues déposées le matin. Un groupe de touristes, manifestement surpris par la
présence de la troménie, passent sous les reliques à la suite de riverains. Le bagad précède les enseignes
dans le retour vers le bourg, il commence par une marche du pays Pourlet, puis continue par un Kasabarzh.
Il marque un arrêt deux cents mètres plus loin, inexpliqué, la procession s’arrête, légère attente, le penn
sonneur lance un signal « trois, quatre », les tambours roulent à nouveau, les binious mugissent
gravement, les bombardes sifflent un nouvel air; dans un tonnerre roulant et sifflant de décibels, la
troménie peut redémarrer, pour s’arrêter comme à l’aller, au n°49 de la rue principale. Les résidentes
ont redisposé de nouvelles fleurs sur le parterre du matin, et s’approchant du reliquaire elles lui
indiquent de s’arrêter, leur permettant de passer dessous à nouveau.

A mesure que nous nous rapprochons du bourg, nous croisons de plus en plus de personnes sur les
bords de la route, venues accueillir la troménie; nous nous engouffrons dans le bourg, la rue se rétrécit,
la musique résonne encore plus fortement et c’est dans un brouhaha infernal, que débouche la troménie
sur la place de l’église. Une dizaine de personnes, dont une majorité de femmes âgées, n’ayant pu faire la
troménie, sont venues attendre son retour sur le haut de la place de l’église pour satisfaire leur dévotion
en passant sous les reliques. Certaines sont venues avec leurs petits-enfants, et passent deux fois sous les
reliques, ce qui provoque une interrogation chez l’enfant « - Pourquoi, on a passé deux fois? » et sa
tutrice, gênée, lui demande de se taire.

Sur la place de l’église l’accueil est triomphal, la procession se fraye un passage dans une foule de fidèles
venue l’accueillir. Tout en continuant de jouer, le bagad s’avance dans l’allée occidentale de l’église et se
place en rangs serrés à gauche du porche, les bannières se penchent pour passer l’entrée, la croix des
mariés rentre à leur suite, le reliquaire change de porteurs, ces derniers le tenant à bout de bras, en
travers de l’entrée permettant à tous, pèlerins et fidèles, de passer sous les reliques. Les bannières sont
rangées sur leur support mural, tout autour de la nef, les quatre statues sur leur brancard sont rangées
dans l’aile sud orientale de la nef, sous le châsse reliquaire de 1944.

L’église est déjà occupée par de nombreux fidèles, rapidement toutes les places assises sont prises
d’assaut, par une population âgée; « Les jeunes déposent leurs enseignes et filent dehors », me confie le

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
recteur. Seuls les catholiques pratiquants, restent pour les vêpres, pour les autres pèlerins la troménie est
accomplie, ils peuvent disposer librement de leur fin de journée.

Ne perdant pas de temps, je me glisse dans l’église, trouve une place assise à l’avant de l’église. L’office
commence sans tarder, le recteur et le pardonneur président les vêpres, rejoints pour l’office par le
recteur de Leuhan. La partie est difficile pour Jo Rouat, la sono de l’église étant défectueuse il a dû
prendre celle du camion pour assurer l’office religieux. L’organiste est assisté par un groupe de
chanteuses. L’office commence par : « Deus, + adjutorium meum inténde ! -Domine, ad adjuvandum me festina !
Cloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Sicut erat in principio, et nunc, et semper, et in saecula saeculorum. - Amen.
Alleluia ».

Une sœur religieuse évoque le premier psaume, « le seigneur a vu; en chantant ce psaume nous voulons
rappeler que Jésus de Nazareth est le fils de Dieu ». Les chœurs reprennent avec les fidèles le Dixit
Dominus, psaume 109; La sœur religieuse explique le deuxième psaume et prépare le chant, « le
deuxième psaume commence par ces mots, Laudate pueri, c’est à dire vous ses enfants, louez le
seigneur » . L’église commence à chanter le laudate pueri, psaume 112. C’est le moment choisi pour la
quête, deux paroissiens dans la force de l’âge s’affairent dans l’église pleine en faisant circuler leur
« panier ».

16h25 la sœur religieuse reprend la parole et nous parle du troisième psaume, Laudate Domimun, qui est
une invitation à louer Dieu. La foule répond à son invitation en chantant après le chœur le Psaume 116.
Le recteur reprend la parole et annonce la deuxième lecture tirée de l’épître de saint Paul aux Romains,
par une paroissienne. Léger silence après la lecture, le pardonneur vient prêcher à l’autel, sur la chair, le
corps créé à l’image de Dieu, en lien avec la lecture précédente. Cette transition lui permet d’expliquer
la place des reliques, la place du Christ dans le corps de l’homme : « En ce jour de la Pentecôte, soyons
cette Eglise, sans cesse rajeunie, par le souffle du ressuscité. »

Puis, la même sœur propose aux fidèles de chanter le Veni Creator; l’orgue lance quelques notes
permettant aux chanteurs de se lancer sur l’air joué; le refrain est chanté par le chœur de femmes. Elle
reprend la parole « maintenant nous allons rendre grâce à la Vierge Marie », elle évoque l’épisode de
l’Annonciation, et la descente de l’Esprit Saint. Le Magnificat est repris en chœur aussitôt après, le
recteur de Leuhan214 lance la première vocalise, suivi par la foule.

Le recteur annonce l’exposition du saint sacrement, « c’est une manière pour nous de dire, de redire
notre foi, en la présence du Christ au milieu de son Eglise, au milieu des chrétiens que nous sommes...

214
L’abbé Louis Costiou s’investit beaucoup dans la chorale de Châteauneuf-du-Faou.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Nous chanterons Adoromp Holl ». Toujours aussi efficace, le chant est repris en chœur. Le pardonneur
préside l’exposition du saint sacrement. Le recteur invite à la suite à chanter Meuleudiou, qui tout aussi
populaire que les précédents cantiques, est entonné par tous. A la suite du chant le recteur propose à
ceux qui le veulent la possibilité de vénérer les reliques, avant de terminer la célébration :

Et embrasser les reliques de saint Telo, peut être une manifestation de notre respect, de notre affection pour
lui, cela peut aussi signifier que nous prenons le relais, pour être à son épaule, et témoins de l’évangile, ceux
qui le souhaitent peuvent s’approcher pour vénérer ces reliques de saint Telo215.

Ce qui se fera après l’intervention de Jo et de Marie-Françoise. Le Da feiz on tadou koz, retentit, puis le
recteur renouvelle les remerciements, déjà faits ce matin, au propriétaire du camion, sonorisé pour
l’occasion, ainsi que le chauffeur, la sono et ses installateurs, Jo Rouat et son fils, la municipalité,
l’équipe des dic’harzherien , les animateurs de la procession et de la messe, l’organiste, Marie-Françoise et
les autres, Christian Le Borgne le pardonneur, M. Jettain le propriétaire du dépôt des enseignes, « et
beaucoup d’autres que j’oublie certainement », les porteurs d’enseignes, et remerciement général à la
présence de tous et toutes.

Jo Rouat prend la parole, et parle de l’église, de la responsabilité de chacun, puis remercie au nom de
tous, tous ceux qui ont permis la bonne marche de la troménie, le pardonneur, le recteur, Louis Costiou
recteur de Leuhan, Yves Le Clec’h l’organiste, puis aux dévots présents, aux troménistes (ceux qui se
sont échappés de l’église ?), « Que l’esprit de la troménie soit dans vos vies chaque jour ».

Marie-Françoise reprend le micro « Avant de nous séparer, ceux qui le souhaitent, vont pouvoir vénérer
les reliques de saint Telo, et nous allons prendre le chant de notre saint patron ». La foule s’ébroue dans
l’allée centrale pour pouvoir vénérer les reliques, le cantique du saint patron retentit dans la nef, les
couplets se succédant les uns à la suite des autres.

L’équipe vidéo, peu empressée au cours de l’office s’active tout d’un coup devant ce rituel, assez
exceptionnel pour susciter la plus grande fébrilité chez nos reporters. Cet intérêt médiatique limité à la
capture d’images, donne l’impression de découvrir des pratiques païennes dans les pratiques cultuelles
populaires, avec la même fascination que les romantiques du XIXe siècle redécouvraient les traditions
régionales.

Tous les fidèles se pressent pour la vénération exceptionnelle de leur saint Patron, la moyenne d’âge est
très élevée, autour de la soixantaine, les moins de trente ans sont moins d’une dizaine. Le recteur, seul
215
En 2002, à l'arrivée de la petite troménie en l'église paroissiale, le recteur a proposé pour la vénération des reliques à ceux
qui le veulent, de pouvoir les vénérer en les baisant ou en posant simplement la main sur le reliquaire. Une seconde
proposition qui a été suivi par de nombreux troménistes (par peur hygiènique?).

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
devant l’autel, propose le reliquaire à la vénération des fidèles, ces derniers viennent délicatement
« baiser » du bout des lèvres la précieuse boîte ; après avoir accompli leur dévotion, ils quittent l’église
résonnant du Kantic sant Telo pour la fête foraine. Dehors, le bagad posté devant le porche, joue d’autres
airs créant avec le cantique un brouhaha indescriptible devant l‘église. Si on en croit ce qu’écrivent les
chanoines Abgrall et Peyron216, au début du siècle « les reliques elles-mêmes seront données à baiser à
tous les fidèles », aujourd’hui elles sont baisées à travers le reliquaire.

Tout le monde quitte l’église, le chant et la musique du bagad cessent faute de participants, la troménie
se finit au retour au bourg pour certains, à la fin des vêpres pour d’autres. M. le recteur m’invite à
prendre un verre au presbytère avec l’abbé Costiou, le pardonneur et l’organiste, ce qui lui donne l’idée
d’inviter les organisateurs de la troménie pour l’année prochaine, à se retrouver après les vêpres pour le
pot de l’amitié. Je suis exténué après cette journée exceptionnelle, je n’ai pas arrêté de courir le long de
la troménie, allant du devant vers l’arrière et vice versa. J’accepte l’invitation avec plaisir, j’abandonne
les lieux une demie-heure plus tard.

Pourtant la fête continue à Landeleau, tout le monde est convié au pot offert par le Syndicat d’Initiative,
et à participer au boeuf-bourguignon organisé à l’école publique, ce dernier est dénommé repas champêtre
dans le prospectus distribué par l’équipe d’animation. L’expo photos se déploie sur les fenêtres de l’école,
visible de l’extérieur; elle consiste en un déploiement de reproductions de vieilles photos, allant de la
troménie de 1955, prêtée par le recteur aux photos du club de foot, ainsi que quelques vues du bourg.
C’est la seconde année consécutive que se déroule l’exposition, organisée par M. Jean Gestin; annoncée
tardivement, l’exposition n’a pas reçu beaucoup de photos.

AV E R T I S S E M E N T
La description relatant la troménie de 2001 décrit un esprit festif durant la troménie, c’est une
ambiance que je n’ai pas retrouvée l’année suivante. Fort de plus d’une année de participation à la vie
locale je connaissais beaucoup de personnes qui ont porté les reliques lors de la troménie 2002, et j’ai
été surpris par la gravité du deuil portée par ces dernières. Celles qui fêtaient joyeusement le retour de la
troménie l’année précédente fêtaient cette nouvelle en portant le deuil ou en priant avec toute la foi que
leur ont légué leurs parents. C’est ce qui m’a interpellé et fait réviser les conclusions de mon étude.

216
Abgrall et Peyron, chanoines, Landeleau, imprimerie Kerangal, Quimper, 1906?, p 12.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 137


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

3e partie – La communauté

A – Le temps profane

1 – Le Dic 'harz

Dic’harzh217 vient du verbe breton dic’harzhañ, débroussailler, le verbe étant formé du nom commun
garzh, haie d’arbres, talus boisé ; dic’harzh signifie le débroussaillage, travail le plus souvent effectué à
l’aide d’une serpe. Le dic’harzh est le résultat matériel de l’enlèvement des ronces et autres herbes folles
qui « encombrent » un talus. J’utilise cette expression à cause de sa récurrence quasi constante dans le
discours des indigènes.

Le débroussailleur s’écrit dic’harzher, dic’harzherien au pluriel. Le mot est souvent confondu avec harz,
haie, frontière, limite.

a - Un travail arrosé

Mercredi 30 mai, dic’harzh des chemins de la troménie à Landeleau.


Rendez-vous à 9h du matin devant la mairie, le rendez-vous est informel « Si c’est comme l’année
dernière, c’est à 9h ». J’arrive au rendez-vous à l’heure, je cherche les dic’harzherien , je repère derrière la
mairie un groupe d’hommes aux cheveux grisonnants, faucille à la main, c’est eux. Je passe à la mairie
dire bonjour, je suis accueilli avec des sourires « - Tu as vu tu es en page central ! ». L’article de la
correspondante du télégramme est parue aujourd’hui dans la page locale, il titre pompeusement « une
thèse sur la troménie ». Après quelques blagues sur les difficultés qui m’attendent, je rejoins le groupe
des dic’harzherien. « - Ah mais on se connaît, tu étais passer me voir », Pierre Le Gall me reconnaît, je me
présente aux quatre autres membres du groupe, certains ont lu le journal avant de venir, je suis bien
accueilli malgré ma jeunesse dans ce groupe de soixante et onze ans de moyenne d’âge, d’après Pierre
Le Gall.

Rapidement il est décidé de partir rejoindre les chemins creux de la troménie, « la troménie commence
aujourd’hui ! » m’annonce fièrement un des travailleurs. Hier, deux personnes ont broyé l’herbe des
chemins avec un gyrobroyeur tiré par un tracteur. Nous devons dic’harzhañ les passages étroits ou le
tracteur n’a pu passer et les talus. Il n’y a pas de chef, l’organisation se fait par affinité, « toi tu es de la

217
Je tiens à remercier M. Fanch Morvannou pour les corrections linguistiques bretonnes apportées à mon travail.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 138


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

commune, nous de la paroisse » la division proposée correspond à la division politique ancienne de la


commune, la gauche au nord et la droite plus religieuse au bourg. Je suis invité à monter dans la voiture
de François Cochennec, avec Pierre Le Gall, ce dernier m’invitant à m’asseoir à l’avant de la voiture. On
passe me prendre un outil chez Pierre, une fourche, vu que je suis venu les mains vides, puis nous
partons de notre côté à Pont Scoaec.

Nous allons avec Pierre à Pont Scoaec, nous garons la voiture chez un voisin à cent mètres du lieu à
débroussailler. François et Pierre dégagent rapidement un espace assez large pour permettre à trois
hommes de front de passer facilement. Je ne fais pas grand chose avec ma fourche, mais personne ne
me dit rien, le travail n’est pas très important. Je continue à pied avec Pierre le long du champ, pendant
que François déplace la voiture à l’autre bout du parcours, près de Keravel. Le chemin ne se repère plus
qu’à l’unique talus encore présent sur la droite, l’agriculteur a agrandi son champ en arasant le chemin
et un des talus. La terre a été travaillée, on enfonce nos chaussures facilement, s’il pleut dimanche, ce
sera de la gadoue, « l’année dernière c’était un vrai ruisseau, on a dû longer le chemin dans l’autre
champ (de l’autre côté du talus) ». Pierre ancien « gros » agriculteur, investi en politique, me parle des
dissensions de la commune de Landeleau, rouge et blanche (gauche laïque et droite cléricale). « Ces
dissensions ont laissé le patrimoine religieux tomber en ruine, en cinquante ans trois chapelles ont
disparu. Il reste la troménie mais pour combien de temps, il y a de moins en moins de curés,
aujourd’hui le nôtre doit aller dans trois paroisses. Bientôt on ne pourra plus le payer... Mais la troménie
continuera, avec ou sans curé », reprend-il avec détermination.

Vingt minutes plus tard, nous rejoignons François accompagné des trois autres dic’harzherien. Pierre a
débroussaillé le côté droit du chemin, il interpelle Germain de l’autre groupe « -T’es de la commune,
faut que tu fasses le côté gauche !», Germain lui répond, « -C’est quand qu’on boit un coup ? ». Tout le
long de la journée Pierre et Germain se taquineront à en rire jaune. Cette année les gars avec le
gyrobroyeur ont travaillé très finement, le chemin est large, « - On dirait de la pelouse ». Je prends
quelques photos, avant que le groupe remonte jusqu’aux voitures garées au croisement de Keravel.
Première pause, Yves sort une bouteille de vin blanc et deux verres du coffre de sa voiture. « - Ah il est
bon, tiens, prends un verre ! » La pause dure cinq minutes, Yves range sa bouteille, nous voilà reparti en
voiture continuer la vérification des chemins.

On s’arrête voir la fontaine de Goslenn, elle est enfouie dans un chemin creux boueux bordé de hauts
talus. Il était question de dégager cet ancien chemin de la troménie pour cet été, mais il y a encore un
arbre déraciné en travers du chemin et une carcasse de voiture. La troménie passe, sur la route
goudronnée, à une dizaine de mètres au-dessus du chemin actuel. Autrefois c’était un des passages les
plus difficiles de la troménie, « -J’ai vu des gens tomber complètement dans la boue ! » me dit Pierre.

La halte suivante a lieu à Châteaugall, il n’y a rien à faire, le chemin a été bien dégagé par le
gyrobroyeur. Nous continuons en voiture jusqu’au bas de La Montagne, en contrebas de Kerbellec.
Seconde pause boisson, Yves nous ressert de sa bouteille de vin blanc. Yves me demande si je veux

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 139


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

laisser la fourche dans la voiture, je décline son invitation en espérant qu’elle me soit d’une plus grande
utilité dans ce chemin. Les deux chauffeurs rejoignent l’autre extrémité du chemin. Le chemin de La
Montagne est le plus escarpé et le plus étroit de tous, le tracteur n’a pu y passer, nous devons le
débroussailler manuellement. Germain et François s’occupent du côté droit du chemin, Pierre le
gauche. Ma fourche trouve une plus grande utilité, je dois dégager les ronces coupées. Le travail est plus
important que tout à l’heure, on parle moins. Vingt minutes plus tard, on rejoint Yves et François,
venus de l’autre extrémité. Le recteur Pierre Mahé est avec eux, cette année il n’a pas pu venir
dic’harzhañ, il se contente de passer rapidement avec sa moto nous offrir quelques rafraîchissements, « -
Ah voilà l’abbé Pierre !», lance François. L’ambiance est détendue, on n'a pas vraiment soif, mais on ne
change pas la tradition, ni les habitudes d’effectuer de nombreuses pauses rafraîchissements.

Le secrétaire de mairie m’a prévenu, ceux qui ont trop arrosé le dic’harzh ne sont pas autorisés, par leur
épouse, à revenir l’année suivante. Pierre se plaît à raconter les péripéties d’un des dic’harzherien : « -
J’avais un blouson chez moi qui était resté après le dic’harzh. Je téléphone à tout le monde pour leur
demander si c’était leur blouson. Tout le monde me dit que non, ce n’était pas à lui. L’année suivante,
au dic’harzh, je demande à qui peut être le blouson, et c’est... qui l’avait oublié, Ahaha... Il tenait une
cuite quand il était sorti de chez moi. » L’accusé présent avec nous rigole, et me dit « - Mets pas mon
nom, hein ! » et tout le monde de rire de plus belle.

Nous continuons à travers champs jusqu’au Pénity-Saint-Laurent. Autrefois entre Kergoat et Pénity, il y
avait un chemin bordé de talus, l’agriculture moderne a rasé cet espace, mais l’ancien chemin est libéré
chaque année le jour de la troménie. Le curé me dit qu’il est passé voir l’agriculteur pour s’assurer de
l’accessibilité du passage le jour de la troménie. Nous quittons les champs pour retrouver le goudron à
l’entrée du village du Pénity. « - Allez, on passe voir Jean Madec ! » Nous nous arrêtons donc chez Jean
Madec, soixante-douze ans, ancien conseiller municipal; il quitte son jardin pour venir nous accueillir
avec sa femme, « - Bon, vous prendrez bien un verre ? » Il nous invite à rentrer dans son garage où
nous attend une table dressée, « - Que prends-tu ? » me demande Mme Madec pendant que son mari
débouchonne une bouteille de vin rouge. Tout le monde boit un verre de plus, les discussions vont bon
train, les souvenirs resurgissent. Germain finit son verre rapidement, « - Allez, faut qu’on y aille, la
journée n’est pas encore finie ».

Il donne l’impulsion du départ, nous quittons les lieux avec effusion pour descendre la rue principale
du village du Pénity pour nous arrêter cent mètres plus loin chez le nouveau conseiller municipal
« c’est de tradition que de s’arrêter chez un membre du conseil municipal. Lagadec, il n’est plus en
fonction », me confie Pierre. M. Rivoal nouvel adjoint au maire est en déplacement, mais sa femme
nous invite à nous désaltérer dans le garage. Distribution d’alcools forts, Whisky, Pastis, Pinot des
Charentes...

Nous ne nous attardons pas et allons jusqu’à la chapelle du Pénity. Il est midi passé, l’équipe de
débroussaillage mécanisée de la mairie a quitté les lieux, nous constatons l’avancement des travaux avec

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 140


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

le conseiller municipal qui vient de nous rejoindre. Le voisin de la chapelle M. André Hellec218, en
profite pour évoquer les désagréments excrémentiels occasionnés par la longue station de la troménie
près de sa propriété. Le conseiller est pris de cours dans ses nouvelles fonctions, mais il se ressaisit
rapidement et promet de faire venir des toilettes chimiques pour l'événement de la Pentecôte.

b - Une fin de travail encore plus arrosée

Nous repartons vers le bourg de Landeleau, au presbytère où nous sommes invités par le curé à prendre
l’apéritif. Le secrétaire de mairie m’expliquait que depuis quelques années, la municipalité convenait
avec le curé le partage des frais du dic’harzh des chemins de la troménie. La municipalité prend à sa
charge le débroussaillage mécanisé et le repas des dic’harzherien au restaurant, le curé quant à lui offre
l’apéritif. Au presbytère, la correspondante du quotidien Ouest-France nous attend pour la photo, elle
préfère prendre la photo avant le déjeuner les gens se tiennent mieux et le cliché a une chance d’être
publié; l’année dernière la rédaction a refusé la photo des dic’harzherien un peu trop éméchés. Le curé
nous reçoit avec convivialité, c’est le sixième verre de la matinée avant le déjeuner.

Le restaurant au centre bourg « Chez Pépé », nous a réservé une table dans la salle à manger. Je
m’assieds près des préposés au débroussaillage mécanisé, je me réserve et ne bois plus que de l’eau, une
table voisine nous fait remarquer le fort brouhaha de nos conversations. L’alcool aidant, mes convives
se laissent aller aux confidences. « - J’ai toujours un morceau d’écorce (du chêne de saint Telo) pendant
cinq à six ans. Si tu n'y crois pas c’est pas la peine ! Je suis sûr qu’il y a un morceau dans l’épareuse
(tracteur équipé d’un broyeur sur bras articulé) ». Il continue en m’expliquant le sens actuel de la
troménie « C’est une ballade avec les copains, et pour donner une part de chance dans la vie. Je l’ai fait
dans la tradition, c’est un truc religieux et croyant. Des jeunes font le tour pour le bac, pour des
malades ». Il conclut par « Il n’y a jamais de miracle, mais il n’y a jamais personne qui s’est plaint... »

A la fin du repas nous reprenons un dernier verre au bar; il est 15h30 nous quittons « Chez Pépé » pour
prendre le digestif au presbytère. Une dizaine de bouteilles d’alcool fort accompagnée d’un tonnelet
d’eau de vie portugaise à 60° trônent sur la table. Mon voisin de table m’invite à reprendre un verre, je
réponds que je dois conduire, il insiste sur l’exception de cet évènement. Je quitte cette joyeuse troupe
peu après 16h00, je pense que je n’en apprendrai pas plus aujourd’hui.

Le dic’harzh tel que nous le connaissons aujourd’hui est récent, mais il a déjà pris le statut de traditionnel
pour tous les landeleausiens. Pierre Le Gall, conseiller paroissial et coordinateur du dic’harzh se plaint du
manque de jeunes et craint pour la perpétuation de cette activité conviviale mais néanmoins nécessaire.
Pour mes informateurs plus jeunes, ils ne demandent pas mieux de venir si on prenait la peine de les y
inviter. Quelqu’un me souffle qu’il n’en est pas question dans la mesure où quelques vieux dic’harzher ne
218
« André Hellec Sonorisation » est le nom de son entreprise sise dans l'ancienne école du Pénity.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

souhaitent pas réellement voir des jeunes empiéter sur leur terrain (de jeux?). Le dic’harzh est profane et
festif dans son déroulement, à croire que l’important, une fois le travail accompli, étant l’enivrement
justifié par l’activité exceptionnelle.

L’ethnologue ne sait jamais réellement ce que les autochtones disent et pensent de lui, pourtant il m’est
permis de déduire des commentaires du dic’harzh 2002. M. Takanori Shintani, professeur du National
Museum of Japanese History, travaillant depuis plusieurs années sur les processions bretonnes a suivi en
2002 l’ensemble de la troménie de Landeleau. Il a donc participé au dic’harzh, et à ce titre a eu droit à
des attentions particulières comme le laisse suggérer les commentaires des dic’harzherien « Ah on a mis
une cuite au japonais, il avait du mal à marcher. Ahaha ». Je peux en déduire que mon ethnologie
participante a pu elle aussi induire ce genre de commentaires.

2 – Le w e e k-end de la Pentec ôte

a - Le samedi soir

Le samedi soir vers 22h00, je passe au bourg de Landeleau observer les festivités organisées en cette
veille de Pentecôte. Les forains ont installé leurs manèges depuis jeudi, ils repartiront le lundi suivant;
les lumières des manèges disputent aux enceintes la magie de cette soirée, je dénombre un manège
d’auto-tamponneuses, un cheval de bois, une pêche aux cadeaux, une pêche aux peluches.

Le casse bouteille de Marcel est local, c’est une remorque aménagée pour lancer des boules de bois sur
des bouteilles vides. C’est un stand que tenait déjà son père me confie Arsène le secrétaire de mairie,
c’est l’attraction locale, il ne travaille que dans les communes environnantes, et est présent à toutes les
fêtes, tout le monde le connaît. Pour l’instant, le stand est vide, Jean-Yves l’emploi jeune de la mairie
cherche des participants « - Cent francs, on a quatre parties (pour quatre personnes) avec cinq boules, le
dernier paie la bolée ! ». Je me laisse séduire par ses arguments et je joue quatre parties avec Jean-Yves,
Edern le nouveau directeur du Presbytal Koz et Patoche passablement éméché. Marcel nous ressert à la
demande des gobelets de bière. Le jeu est simple, nous disposons de cinq boules chacun que nous
lançons à la main une par une, l’un après l’autre. Parfait débutant dans ce sport, je prends du retard que
je rattrape aux tours suivants; le jeu est assez violent, il faut que les bouteilles de verre volent en éclat.
Nous entrecoupons nos tours avec d’autres séries de joueurs que Jean-Yves interpelle « - Allez vient
jouer ! Quinze francs la partie, cinquante les quatre ! Le dernier paie la bolée ». Sa technique de vente lui
vaut des parties gratuites avec Marcel. Si le joueur casse quatre bouteilles sur cinq tirs il gagne une
bouteille de vin rouge ou une bouteille de bière, de faible coût. Dans tous les cas il ne regagne pas sa
mise de départ.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 142


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Je les laisse peu après la partie pour rejoindre quelques mètres plus loin, les trois concerts organisés au
bar « Chez Pépé ». Habituellement l’organisation d’une fête ou d’un concert la veille de la troménie est
dévolue à l’association des jeunes Landeleausiens, cette année rien n’était prévue, les gérants de « Chez
Pépé » membres d’une association de promotion musicale, se sont mobilisés pour l’organisation du
concert qui a lieu chez eux, la salle « Per Poher » étant réservée pour le barbecue des anciens joueurs de
football réunis pour un tournoi amical ce samedi-là. Une cinquantaine de personnes se pressent dans le
bar, le groupe « Natural Wit » joue son reggae devant un public conquis par les paroles du chanteur.
Trois groupes se partagent la scène ce soir, « Roger and Co » une formation de Jazz local de bonne
facture, « Bajka » un groupe de Laval inspirée par la musique Tsigane, et « Natural Wit » un groupe de
Reggae. Je quitte les lieux vers minuit.

b – L’animation communale autour de la troménie

Le week-end de la Pentecôte est à Landeleau un moment de fête pour toutes les générations et pour
tous les landeleausiens expatriés, de retour dans leur familles pour l’événement, « toutes personnes
originaires de la Commune sont concernées » indique le prospectus de la mairie.

LE TOURNOI DE FOOT

Chaque année, le tournoi de sixte (football à six) de la Pentecôte organisé par l’U.S.L. (Union Sportive
de Landeleau) réuni les jeunes et les anciens au stade municipal la journée et autour d’un repas le soir; la
convivialité est le mot d’ordre de l’évènement.

Cette année les vétérans invitent des équipes amies pour un tournoi amical, souvent d’anciens joueurs
de Landeleau, avec cette année, des équipes invitées de Quincay (86) dont M et de Beauvoir/Niort (76)
dont sont résident et joueurs MM. Kerhoas Christian et Bernard Didier. Ils ont réservé le stade pour la
journée du samedi ainsi que la salle municipale Per Poher pour la ripaille du soir.

Les jeunes, quant à eux, vont au concert ce samedi soir et jouent au tournoi de sixte le lundi de
Pentecôte. Le tournoi de sixte permet à plus d’une vingtaine d’équipes de jouer de façon plus ludique
dans des temps plus courts. Beaucoup d’ex joueurs de Landeleau viennent jouer sur leur ancien terrain
pour la cinquantième édition de ce tournoi annuel.

L’U.S.L. Est la principale association sportive de la commune; « A Landeleau, en dehors du foot il n’y a
rien » me confie M. Armand Puillandre qui a connu les débuts du football à Landeleau après-guerre. Le

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

tournoi de la Pentecôte est le seul tournoi organisé par le club, tout le monde est de la partie pour son
organisation la journée comme le soir.

Traditionnellement l’U.S.L. Organisait son bal annuel le dimanche soir après la troménie, elle négociait
un arrangement avec l'ancienne boîte de nuit « Le Kreisker »; les joueurs s'occupaient des entrées et
conservaient les bénéfices, le gérant gardait les bénéfices des consommations. « Depuis la disparition du
Kreisker il n'y avait plus rien219 », ce vide a poussé le club il y a quelques années, à relancer le bal annuel
dans les locaux de l'école publique; le bal est désormais précédé d'un repas champêtre. L'organisation
de la soirée conserve l'organisation des équipes de joueurs, une pour la vaisselle, une pour la mise en
place, une pour le service... Près de soixante-dix licenciés accompagnées de leurs compagnes y
participent.

Etant exténué par mon parcours, je n'ai pas pu me joindre aux festivités du dimanche soir, l'abbé Pierre
Mahé y est allé en 2002 et a été très surpris de la bonne ambiance générale (plus de 400 personnes) et
de l'investissement des jeunes dans l'organisation « Tout le monde est au pot. Cette année ça été une
vraie réussite; tout le monde remarquait qu'il y avait une cohésion ». L'animation de l'U.S.L. Fonctionne
en coordination avec la troménie « Il y a beaucoup de gens extérieurs, il faut les accueillir. Si on ne fait
rien après la troménie, les gens vont partir ailleurs220 ». La troménie justifie l'investissement du club et
réciproquement le club justifie du déroulement de la troménie pour son animation annuelle, l'animation
footbalistique fonctionne en complémentarité de la troménie, malgré que les licenciés s'en défendent.

LES AU T RE S A NI MAT I ON S

L’exposition de photos de la commune


Depuis deux ans, M. Jean Gestin organise une exposition photo sur le thème de la commune et invite
les personnes à prêter leurs photos le temps de l’exposition; ce qui n’est pas très suivi. J’ai passer une
annonce dans Le Télégramme à la recherche de photos anciennes sur la troménie, personne n’a
répondu; c’est en rencontrant les personnes chez elles qu’elles ont accepté de me prêter leur fond
iconographique, souvent intéressant. Il est question de réaliser une collecte photographique de façon
plus efficace, mais le projet n’a pour le moment pas abouti.

Le concert du samedi soir


Très attendu, le concert du samedi soir vient remplacer le tantad aux Trois-croix du début du siècle, lui
même remplacé par une animation de danses bretonnes sur la place de l’église entre 1946 et 1962 selon
les archives paroissiales :

219
Information fournie par le secrétaire de mairie, M. Arsène Le Cleac'h.
220
Ibid.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 144


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
A 9 heures du soir grande sonnerie de clocher suivie du tantad et d'une série de feux avec le concours des
binious et bombardes. Pour terminer la soirée on chantera le cantique à saint Télo221.

Plus récemment, ce sont les jeunes qui ont pris en main l’organisation d’un concert le samedi soir avec
le soutien du S.I. En 2001, aucun concert n’était organisé, les propriétaires du bar-restaurant « Chez
Pépé » fort d'un soutien associatif musical décident en dernier ressort d’organiser un concert dans leur
établissement.

Lors de la Pentecôte 2002, trois sonneurs ont accompagné la troménie dans son ensemble, MM.
Arlaux, L'Haridon et Robin; Plusieurs autres sonneurs ont été invités officieusement à accueillir l'arrivée
de la troménie au bourg :

Il n'y avait pas de bagad, c'était plus convivial. Des musiciens de Spézet sont venus sans invitation officielle.
Ça a donné un air plus festif et plus populaire. On leur a demandé de rester après les vêpres faire le bal et
tout le monde a aimé. A l'issue des vêpres, Mme le maire a dit -La municipalité s'en occupe (d'offrir le repas
de l’U.S.L. Aux musiciens).

On remarque que l'esprit de réunion généré par la troménie à la capacité de relancer une animation
festive populaire et traditionnelle (le Poher est un creuset de musique bretonne) que tout le monde
semble attendre après la cérémonie.

J’ai été invité en 2002 à participer aux réunions de coordination, du week-end de la Pentecôte, présidées
par le S.I. Et j’ai pu prendre la mesure de l’ampleur des préparatifs. Les trois jours du week-end doivent
être remplis du samedi après-midi au lundi soir, avec cette année, l’impératif d’éviter l'empiétement des
manifestations. Étant allé plusieurs fois en Cambrie, je proposais de lancer un échange avec les gallois
de Llan Dâv et de Llandeilo Fawr pour la troménie de 2002, accompagné d’un jeu scénique sur la vie de
saint Telo. Seul Mr Tim ap Hywel, président de l’association « The friends of Teilo » a pu venir et le jeu
scénique est devenu une conférence sur la vie de saint Telo en Cambrie. C’est en m’impliquant au sein
cette organisation que j’ai pris conscience du stress et des complications générés par le week-end de
Pentecôte. Au départ je voulais éviter le rush de ce week-end mais on m’a expliqué que tous les gens
viennent à Landeleau le vendredi soir et repartent le lundi soir, d’où la nécessité de regrouper les
animations de façon très dense.

221
Abbé Jaffrès, « 2 juin - Dimanche de l’Ascension », Cahier des prônes paroissiales, Landeleau, 1946.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 145


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

B – La dimension symbolique

Après avoir abordé les différents aspects du temps et de l’espace, du sacré et du profane, des éléments
participants à la troménie, il nous reste à voir la dimension symbolique. C’est à travers trois aspects, la
fonction psychopompe, la protection divine et la dimension communautaire que se révèle la force
symbolique du tro ar relegou.

1 – Une procession pour aider les morts de l'année

Comme nous l’avons précédemment évoqué dans la première partie du travail, les landeleausiens font
le tro ar relegou avant tout pour un défunt proche, mort depuis la dernière troménie. Un ami me confiait
en parlant d’une de ses amies endeuillée par la mort de son mari : « Elle, elle va faire la troménie trois
ou quatre fois », dans l’idée que la participation à la troménie est un puissant acte d’affliction, une mort
violente pouvant susciter une succession de troménies sur plusieurs années. Cette idée de deuil est
indissociable pour la très grande majorité des habitants de Landeleau d’une participation à la troménie
suivante. M. Armand Puillandre me confiait que les participations filiales aux troménies sont des
repères mnémotechniques pour situer l’année de la mort d’individus. C’est ce puissant faisceau de
symboles obituaires qui m’a poussé à approfondir l’élément fédérateur, le cerf.

Nous avons remarqué l’étroit lien qui unit le tro ar relegou à saint Telo, saint fondateur de la paroisse,
dont les reliques sont portées en procession annuelle sur le circuit ancestral. Plus que tout autre saint222,
saint Telo est associé au cerf tant en Cambrie qu’en Armorique ; c’est le départ de notre recherche qui
dans un second temps va nous amener à analyser la fonction psychopompe du cerf.

a – saint Telo et le cerf


§EN CAMBRIE :
La vie latine du Book of Llan Dâv mentionne le miracle de deux cerfs venant secourir Telo et Maidoc à
leur corvée de bois leur permettant ainsi de consacrer plus de temps aux choses célestes :

Soudain, se présentent à eux deux beaux cerfs, d'une parfaite ressemblance, d'une étonnante douceur; ils
courbent eux-mêmes la tête pour recevoir le joug […] quand les deux saints revinrent après avoir chargé leur
chariot, ils n'aiguillonnèrent pas les cerfs chargés d'un poids si lourd; au contraire, ils les précédaient de
beaucoup et les animaux les suivaient sans contrainte. Et pour que désormais leur prière n'eût plus à subir

222
En plus de saint Eustache, saint Hubert et saint Edern.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
d'interruption par suite d'affaires de ce genre, pendant bien longtemps, par la volonté de Dieu, ces bêtes firent
pour eux les transports de bois et de tout ce qui leur était nécessaire223.

Ce motif, classique dans les compositions hagiographiques, nous ramène un animal cher au panthéon
préchrétien celte. A travers les sources écrites galloises en notre disposition, le Book of Llan Dâv, le
Cotton vespasien de la British Library, les notes de Thomas Saint archidiacre de St Davids (début XVIe) et les
notes marginales du Lichfield Gospel (VIIe) nous remarquons la fréquences de motifs mythologiques
issus du fond celtique : triplication du corps à sa mort, cerfs et chevaux soumis à sa volonté, les cinq
enfants sauvés de leurs parents par Telo qui les amena à Geneu’r Coed (The Mouth of the Wood), la
malédiction de saint Telo invoqué par ses successeurs… Le rédacteur du Book of Llan Dâv fait aller saint
Telo avec saint David et saint Patern à Jérusalem recevoir la consécration du patriarche, prenant ainsi sa
distance avec Rome. Ces notes poursuivent l’hypothèse couramment admise du passage en douceur de
la religion celte au christianisme primitif en Cambrie, ce passage s’effectuant sous la forme d’un
syncrétisme spirituel, le nouveau clergé chrétien conservant les structures de l’ancienne hiérarchie
religieuse druidique. En résumé, les saints gallois sont les successeurs directs des druides socialement et
spirituellement. Cette hypothèse est valorisée par l’actuel clergé anglican qui justifie de cette façon sa
distance d’avec le catholicisme et l’autorité vaticane. Hypothèse qui n’est pas très bien acceptée en
France suite aux excès du mouvement Romantique du siècle dernier, il ne fait pas bon de parler des
filiations possibles des religions préchrétiennes.

Si le personnage de saint Telo est associé dans les écrits gallois à maintes reprises au vieux fond
mythique celte, son iconographie n’en est pas moins inexistante. La révolution protestante, iconoclaste
dans son expression, adjointe aux troubles dus au puissant voisin anglais ont effacé toute l’iconographie
religieuse brittonique. Néanmoins l’anglicanisme actuel, High Church, en opposition aux églises de
tendances protestantes, Low Church, ne refuse pas l’imagerie pieuse. Pour ce faire, elle emprunte pour
une bonne part au fond iconographique breton continental.

Nous pouvons décomposer trois mouvements iconographiques principaux concernant le personnage


de saint Telo en Cambrie :

• Les vitraux susceptibles d’être rencontrés datent pour les plus anciens du XIXe siècle, sont
d’inspiration préraphaélite, ils reproduisent le saint (de façon anonyme) de plein pied en habit
d’évêque.

• Une association de saint Telo pour le retour du christianisme en Grande-Bretagne a été fondée à la
fin du XIXe siècle. L’église catholique de Tenby, près de Penaly, première étape de la reconquête
catholique a été construite en 1893 ; l’iconographie est d’inspiration continentale, un moine ou un
évêque chevauchant un cerf.

223
Peyron ?, chanoine, « Saint Théleau », La Semaine Religieuse du diocèse de Quimper et de Léon, Quimper, 1895, n° 33,
p 538-539.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

• L’iconographie utilisée pour les publications de l’église anglicane de Llandeilo Fawr reprend le
dessin du vitrail du XVIe siècle de la chapelle de Saint-Théleau en Plogonnec, où l’on voit saint
Telo en habit d’évêque chevauchant un cerf.

On remarque donc dans l’iconographie galloise du XXe siècle, le motif récurrent présentant saint Telo
chevauchant un cerf, cette iconographie étant issue de l’imagination artistique, sans négliger l’influence
du fond iconographique médiéval armoricain. La Cambrie n’ayant pas conservé d’ancien rituel
catholique ni de tradition orale, le cerf n’est associé à saint Telo qu’à travers l’imagerie et sa vita ; ce qui
n’est pas le cas de l’Armorique.

EN ARMORIQUE
La Bretagne armoricaine a mieux préservé la tradition orale et iconographique des saints brittoniques.
L’iconographie la plus ancienne est représentée par la statuaire et un vitrail du XVIe siècle. La présence
du cerf, discrète dans la vita galloise est incontournable dans la tradition orale landeleausienne. Soit la
tradition landeleausienne a influencé toute l’iconographie équestre du saint ou elle est la seule à avoir
conservé le motif cervidé issu d’une tradition celtique aujourd’hui effacée des mémoires.

La tradition orale :
La tradition orale armoricaine bien que plus vivante que sa consœur galloise n’en est pas moins à demi-
effacée en cette fin de siècle. Aujourd’hui, peu de landeleausiens peuvent conter correctement
l’intégralité de la légende de la fondation paroissiale par saint Telo. De plus, j’ai observé quelques
erreurs dans certaines publications, ce qui ne nous engage pas à prendre tous les collectes au pied de la
lettre. On peut néanmoins avec précaution, dégager certains motifs oraux associés à saint Telo :

• L’assurance face au loup à Plogonnec.


• Son association aux pommes et à des pratiques magiques à Landaul.
• Son association au cerf à Landeleau.

Des motifs universels mais aussi celtiques, ce qui dans notre recherche galloise nous ramène à la
puissante filiation celtique de saint Telo ; ce qui en soi n’est pas étonnant au vu des zones
géographiques concernées, Cambrie et Armorique.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Moyen Age

Statuaire :
Nous avons une statuaire générique, représentant saint Telo en habit d’évêque portant mitre et crosse,
chevauchant un cerf. L’ensemble en rond de bosse, est sculpté dans le bois pour une hauteur de 1,60 m
environ. La réalisation de cette statuaire est datable entre le XVIe et le XVIIe siècle.

Dans les églises : de Landeleau (29)


de Leuhan (29)

Dans les chapelles : de Saint-Théleau en Plogonnec (29)


de Notre Dame de Kerdévot en Ergué-Gabéric (29)

Nous avons une statuette à la chapelle de Saint-Théleau en Plogonnec (29), reprenant le motif de la
grande statuaire. La statuette exposée lors de la grande troménie de Locronan est une reproduction en
plâtre-moulée polychrome d’un original plus ancien, détenu par les héritiers des propriétaires du placître
de la chapelle.

Orfèvrerie :
En Orfèvrerie, nous avons la magnifique châsse-reliquaire de Landeleau, où deux cerfs portent une
chapelle miniature (voir description p 96 ).

Vitraux :
Nous avons en l’église Saint-Thurien de Plogonnec, un magnifique vitrail provenant de la chapelle
Saint-Théleau. Il n’existe aucun travail d’Histoire de l’Art sur le vitrail, le chanoine Peyron224 néanmoins
identifie saint Telo deux fois sur le vitrail, avec les ornements et les insignes épiscopaux à cheval sur un
cerf, faisant vis à vis à saint Edern, figurant sur une semblable monture, habillé en simple moine ; et
saint Telo figurant dans le navire qui le transporte de Grande-Bretagne en Armorique.

224
Peyron ?, chanoine, ibid., n° 27, p 442-443.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

XIXe-XXe siècle

Plus près de nous entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle, nous avons une floraison
iconographique qui s’exprime dans les vitraux et le mobilier.

Vitraux :
Saint Telo est représenté en évêque dans l’église de Saint-Thélo (22) sur un modèle classique du XIXe
relativement anonyme et à Landaul, en image équestre au travers d’une esthétique moderne de la
seconde moitié du XXe siècle.

La série de trois vitraux de l’église paroissiale de Landeleau date de l’année 1944, l’iconographie reprend
la légende de fondation de la paroisse avec l’omniprésence du cerf ; la figure de ce dernier se retrouve
dans la mouchette centrale surmontant la verrière du cœur.

Mobilier :
Déjà en 1895 le chanoine Peyron225 avait remarqué la représentation équestre du saint sur de
nombreuses armoires bretonnes : « Cette représentation de saint Théleau se trouve également sur de
nombreux meubles bretons, et j’ai eu occasion d’en voir récemment un curieux spécimen, à la porte
d’un marchand d’antiquités bretonnes ». M. A. Puillandre m’a photographié une armoire bretonne
possédant le motif équestre de saint Telo, chez l’un de ses amis . Nous remarquerons le stéréotype de la
représentation, le saint avec les ornements et les accessoires d’évêque monté sur un cerf. Le même
motif est visible sur une armoire bretonne exposée au Musée National des Arts et Traditions Populaire
à Paris.

Bannière :
La bannière de saint Telo à Landeleau date de 1908, elle remplace l’ancienne bannière tout en
conservant le motif ancien grâce à l’apport photographique de la comtesse Jégou du Laz226. Là encore,
nous avons une représentation équestre du saint.

Statuaire :
Nous devons à l’artiste M. Dupont-Danican, résidant depuis 1994 à Keravel en Landeleau, une
sculpture de bois en rond de bosse dénommée « le vieil homme et le cerf », mais renommée « saint Telo
et le cerf » par les voisins lors d’une ouverture d’atelier (voir description p 125).

225
Peyron ?, chanoine, ibid.
226
Voir p 80.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Ce tour d’horizon exhaustif227 des représentations armoricaines de saint Telo confirme :

" Son association systématique au cerf du Moyen Age jusqu’à l’époque contemporaine, excepté pour
le XIXe siècle qui a reproduit le saint sur des modèles génériques d‘évêques anonymes.

" La présence du cerf, plus discrète dans la vie latine est omniprésente dans la tradition
Landeleausienne. Il semble que cette dernière tradition ait influencé toute l’iconographie en notre
possession, à moins que d’autres traditions aient disparu ne laissant derrière elles que le motif
équestre du saint.

LES SA I N T S A SS O C I É S AU C ER F :
Peu d’autres saints partagent cette présence cervidée, saint Edern, saint Hubert, saint Eustache, saint
Cadoc, saint Hernin, saint Ké, saint Ludre. La légende de saint Eustache christianise au VIIIe siècle le
mythe de la chasse au cerf, sa légende est popularisée par Jacques de Voragine et sa Légende dorée au
XIIIe siècle228 :

Eustache, d'abord nommé Placide, était un général romain. Un jour, alors qu'il participait à une chasse, il vit
un grand et magnifique cerf qu'il poursuivit. Au bout de quelque temps, le cerf s'arrêta, une croix apparut
entre ses bois et lui-même se mit à parler, s'identifiant alors comme le Christ. Aussitôt Placide se convertit et
fut baptisé sous le nom d'Eustache. La légende d'Hubert, qui a pris sa source en Belgique et dans le Nord de
la France, est en tout point semblable, hormis le fait qu'Hubert était un noble mérovingien. Toutefois, cette
dernière ne remonte vraisemblablement qu'au XVe siècle mais elle introduit un nouvel élément qui semble
spécifique aux pays celtiques : Hubert est fêté le 3 novembre, non loin de la fête des morts.

Or il est remarquable de constater que les représentations les plus anciennes que l'on connaisse de la légende
d'Eustache proviennent toutes pour la plupart d'Anatolie et qu'elles sont pour beaucoup présentes dans des
tombeaux229. C'est d'ailleurs aussi en Anatolie que l'on connaît l'ancêtre de cette iconographie avec des cerfs
d'époque romaine en bronze portant entre leurs bois l'aigle de Jupiter. Ce culte du cerf remonte à l'époque
Hittite, mais il est vraisemblable qu'il s'est exercé en plus une influence galate, car toutes les représentations
anciennes d'Eustache sont situées en plein territoire galate. Par l'intermédiaire de ce peuple celtique, nous
voilà revenu dans le domaine de la mythologie française.

Saint Cadoc est fêté le 1er novembre, saint Hernin est fêté le 2 novembre , saint Ké le 5 novembre,
saint Ludre le 1er novembre230. Ces dates nous ramènent à la fête des morts du 1er novembre, la

227
Il se peut que j’ai oublié certaines représentations, de nombreuses bibliographies s’avérant fantaisistes je remercie
d’avance les lecteurs qui me communiqueront d’autres représentations non-citées.
228
Patrice Lajoye, « Hellequin, le dieu aux bois de cerf et le Dagda », Bulletin de la société de Mythologie française, n° 202,
Paris, 2001, p 2.
229
Nicole Thierry, « Le culte du cerf en Anatolie et la vision de saint Eustache », Les Dossiers d Archéologie, 1987, n°121,
p. 62-79.
230
Cités par Patrice Lajoye Ibid., p 3.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Toussaint Catholique ou la fête de Samain Celte ; la figure symbolique du cerf associe la fête des saints à
la fête des morts.

La figure d’Edern ainsi que la légende de fondation de la paroisse de Lannédern nous ramène aux
anciens mythes celtes connus par les manibogions gallois. Henri Fromage231 dans une étude parue dans le
bulletin de la société de mythologie française met en parallèle le saint breton et le chevalier Edern du
roman arthurien Gereint et Enid. Plus en avant de l'étude, nous développerons plus amplement cette
association du personnage de l’Au-delà dont le double animal est le cerf.

Saint Telo est fêté en Armorique et en Cambrie le 9 février, l’église de Dol au XVIIIe siècle, le fêtait le
29 novembre, d’après le Lectionarium dolense, de 1769-1770232. Le décalage de sa fête par rapport au
premier novembre n’enlève rien à son association symbolique au cerf.

Nous observons l’association de saint Telo et du cerf dans les traditions iconographiques et orales
bretonnes et dans les traditions écrites et iconographiques galloises. Cette association allégorique nous
ramène à une filiation mythologique celte qui se trouve confirmée par les motifs mythiques de
l’hagiographie galloise. De ce point de vue, le symbolisme du cerf nous amène à sa fonction
psychopompe et à son association à la fête des morts du 1er novembre, soit la fête de Samain Celte ou
la Toussaint catholique. Cette association du cerf, de la fête des morts, de la similitude des dates des
fêtes de saints catholiques eux aussi associés au cerf nous amène à reconsidérer l’hagiographie
catholique syncrétique dans son fonctionnement. Seul saint Telo possède une fête décalée, ce fait
induisant peut-être un aspect historique à ce saint à la charnière du passage des anciennes religions
celtiques au christianisme primitif celtique. Il semble être plus le véhicule historique de la puissance du
cerf mythique que la fabrication hagiographique d’un syncrétisme local comme pourrait l’être saint
Edern à Lannédern, saint Denis à Paris etc. Mais en l'état actuel des recherches cette affirmation ne
dépasse pas le stade de l'hypothèse de travail.

La troménie offre cette association du cerf, d’un saint et d’une fête des morts où saint Telo y est
intimement associé par la présence de ses reliques portées par deux cerfs. C’est cette omniprésence du
cerf dans la troménie qui me fait m'interroger sur les qualités psychopompes du cerf.

231
Henri Fromage, « Les aspects celtiques du personnage de saint Denis, Bulletin de la société de Mythologie française, n°
144, 1987, p 21.
232
Cité par l’abbé Duine, Mémento des sources hagiographiques de l’histoire de Bretagne, Rennes, 1918, L. Bahon-Rault, p
136.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

b - Un cerf psychopompe omniprésent

Le cerf de par ses qualités physiques a toujours été vu comme un animal noble et par là même associé à
l’homme, aux moments importants de sa vie, initiations, inhumations, chasses, protections etc.
L’importance de sa personnalité s’est donc culturellement glissée dans le symbolisme des sociétés
humaines, il en devient un symbole générique évoqué tout le long de l’année, associé à de nombreuses
fêtes et danses. C’est donc à travers les aspects historiques et symboliques que nous allons analyser
l’évolution diachronique de sa perception dans notre société.

RAPPORTS H I S T O R I Q U E S D U C E R F AV E C L A S O C I É T É O C C I D E N T A L E

Le monde préhistorique
Depuis le paléolithique, le cerf est associé à des rites funéraires et à des pratiques cultuelles ainsi qu’en
témoigne la présence de bois de cerf dans les six tombes du mésolithique des îles Théviec et d’Hoëdic
du Morbihan, la représentation d’hommes coiffés de ramures dans la grotte des Trois Frères dans
l’Ariège. En Italie, dans la grotte du Cavillon à Baousse-Rousse233, un crâne humain datant de trente
mille ans avant J.C., est décoré de vingt-deux crânes de cerf.

Le monde gréco-romain
La représentation d’une chasse au cerf n’est pas un motif nouveau dans l’iconographie funéraire du
territoire français. Elle apparaît au 1er siècle après J.C., ornant une urne funéraire en marbre trouvée à
Lyon234, sur une face de laquelle on voit un chasseur à pied, accompagné d’un chien et armé d’une
lance, menacer un cerf gigantesque qui bondit vers lui. Derrière le chasseur se trouve un sanglier au
repos, alors que l’autre face de l’urne présente un énorme dogue affronté avec un taureau. Il est à
remarquer que tous les éléments présents sur cet objet, mis à part le sanglier, le sont aussi sur le
panneau du dieu au bois de cerf du chaudron de Gundestrup, un lien entre l’iconographie de la chasse
au cerf et le mythe de Cernunos n’est donc pas à exclure235.

Le motif de la chasse infernale est très tôt récupéré par l’iconographie paléochrétienne. Sur de
nombreux sarcophages du IVe siècle après J.C., on peut observer des chasses au sanglier, au cerf, mais
aussi au lion, motif inspiré des thèmes gréco-romains qui sera d’ailleurs très vite abandonné durant le
Moyen Age. Si certaines christianisations primitives ne sont pas parfaites, accusant un mélange
d’influences diverses, les exemples les plus récents sont tous chrétiens, ainsi le sarcophage orné d’une
chasse au sanglier provenant de l’ancien monastère de Saint-Samson-de-la-Roque en Normandie236.
233
Cité par Bernard Rio, « Le cerf dans la mythologie », Armen, n° 126, janvier 2002, Le Chasse-Marée – Armen,
Douarnenez, p 24.
234
Jean-Jacques Hatt, cité par Patrice Lajoye, « L’urne cinéraire de la rue Pierre Audry à Lyon », Revue Archéologique de
l’Est et du Centre-Est, 1986, t. XXXVII, fasc. 1-2, p. 140-146.
235
Patrice Lajoye, « Hellequin, le dieu aux bois de cerf et le Dagda », Bulletin de la Société Mythologique Française, n° 202,
2001.
236
Christian Pilet, cité par Patrice Lajoye, « Les nécropoles de Gilberville », Catalogue de l’exposition organisée par le Musée
de Normandie, Château de Caen, Eglise Saint-Georges, du 8 avril au 25 mai, publication du Musée de Normandie, Caen,

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Le motif n’est toutefois définitivement christianisé qu’avec l’introduction à Rome au VIIIe siècle du
mythe de saint Eustache, puis sa popularisation par Jacques de Voragine (voir p 153).

Le monde Celte
Le monde celte nous intéresse particulièrement par la filiation directe de la culture bretonne
armoricaine au monde mythologique celto-brittonique. Nous retrouvons sa présence dans les
manibogions gallois dans la geste arthurienne de Gereint et Enid, dans les récits présentant Myrddin
(Merlin), la geste de Pwyl…

Dans Gereint et Enid, le roi Arthur décide d’aller chasser le cerf merveilleux de la forêt de Dena. Son
épouse Guenièvre -Gwenhwyfar (blanche apparition)- veut assister à la chasse et convainc le roi de
donner au vainqueur du cerf le droit d’en offrir la tête à la personne qu’il aime. Au début de la chasse, la
reine rencontre le jeune et brillant Gereint qui lui fait aussitôt la cour. Mais cette courtoisie est
interrompue par la venue d’un chevalier fier et hautain (Edern), accompagné d’une très belle femme et
d’un nain. Tout en refusant de se faire connaître, il fait fustiger Gereint par son nain. Gereint après
maintes aventures va obliger le chevalier Edern à faire sa soumission à Guenièvre, au moment où l’on
rapporte la tête du fameux cerf à l’origine de l’aventure237 :

Le chevalier cerf-Edern doit être vaincu et décapité pour que le jeune conquérant gagne le cœur de sa Dame ;
ou encore la Dame ne se conquiert qu’au prix de la tête du chevalier-cerf. […] Merlin est aussi l’Homme
Sauvage-Cerf, ce qu’en terme courtois on appellera le Chevalier Edern ou même le Chevalier Vert.

La geste de Gereint et Enid nous fait écho au récit de fondation de la paroisse de Lannédern, et nous
rapproche par-là même de la légende de fondation de la paroisse de Landeleau. Saint Edern doit
s’accorder avec sa sœur Genovofa pour la création de leurs paroisses respectives. Cette dernière lui
impose d’en réaliser la circonscription entre le coucher du soleil jusqu’au chant du coq marquant l’aube.
Aidé par un cerf, Edern englobe sa future paroisse mais sa sœur arrête sa course nocturne en faisant
chanter un coq avant l’aube. Les motifs de la légende de saint Edern sont étonnamment proches de
ceux utilisés par Geoffroy de Monmouth, ces derniers étant issus du fond mythologique gallois du bas
Moyen Age. Cette parenté pourrait nous aider à comprendre la superposition des motifs de la légende
landeleausienne.

Le personnage le plus populaire de la tradition brittonique est sans conteste Myrddin (Merlin); nous le
trouvons sous trois formes : Myrddin Emrys, Myrddin le Sauvage et l'esprit Myrddin238. Myrddin apparaît
comme le maître des animaux, l’homme sauvage, un prophète, l’esprit tutélaire de l’île de Bretagne. Il

1981.
237
Henri Fromage, « Les aspects celtiques du personnage de saint Denis », Bulletin de la Société de Mythologie Française, n°
144, 1987, p 21-22.
238
Je renvoie le lecteur au résumé de l’allocution de M. Tim ap Hywel sur la figure de Myrddin, dans les appendices.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

est un personnage légendaire et mythique en relation avec le cerf, un intermédiaire entre le matériel et
le divin.

Pwyll pendeuic Dyvet, Pwyll prince de Dyvet vit une aventure fantastique qui va le mener dans l’Au-delà
où il sera roi d’un royaume presque parfait, compagnon d’une reine de toute beauté et vainqueur d’un
monstre ennemi de ce royaume239 :

L’introduction à ce voyage-séjour dans l’Au-delà est la rencontre d’une chasse merveilleuse où sa propre
meute interceptera une autre meute mystérieuse poursuivant un cerf extraordinaire. Pwyll rattrape le cerf et le
tue. Alors apparaît un cavalier impétueux qui lui reproche vivement sa mauvaise foi puisqu’il a pris un cerf
qu’un autre poursuivait. Pwyll, qui est fort correct, accepte de donner réparation, et c’est en échange de sa
loyauté que le cavalier, qui est prince de l’Au-delà, lui offre de régner un temps sur son royaume. On voit par
ce récit que le cerf n’était qu’une manifestation ou un avant-courrier du prince de l’Au-delà.

Dans ces trois exemples le cerf est présenté comme coursier et symbole de l‘Autre monde, repère
matériel permettant la transition vers l’Au-delà.

Le Moyen Age français


Trois écrivains se démarquent de cette période pour l’utilisation du cerf dans leur œuvre, Geoffroy de
Monmouth et Jacques du Fouilloux et Chrétien de Troyes.

Geoffroy de Monmouth familiarisé aux traditions brittoniques développe dans la geste de Tristan et
Iseult le pouvoir amoureux et psychopompe du cerf240. Le pouvoir amoureux découle d’une
observation éthologique des cervidés lors de la saison des amours. Le cerf se comporte en mâle
dominant intransigeant envers la harde qu’il a conquise et va copuler jusqu’à épuisement physique. A
leurs morts, les deux amants, Tristan et Iseult se font embaumer puis coudre dans une peau de cerf
avant d’être embarqués sur un esquif pour leur dernier voyage. Le géant Morholt tué en combat
singulier par Tristan avait déjà subi le même traitement.

Cette fonction psychopompe n’est pas l’apanage du génie romanesque de Geoffroy de Monmouth, si
l’on en croit l’acte de décès du pape avignonnais Clément VI, ce dernier s’étant fait inhumer dans une
peau de cerf le 8 avril 1353.

239
Henri Fromage, Ibid., p 22-23.
240
Bernard Peirani, « Sur les traces mythique du cerf avec Tristant et Iseut », Bulletin de la société de Mythologie Française,
n° 181-182, 1996, p 70-80.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Jacques du Fouilloux auteur du XVIe siècle est célèbre pour son traité de vénerie241, où il se fait écho de
l’ophiophagie242 du cerf, tradition antique selon laquelle le cerf est le « vray contraire » du serpent243 :

Quand il est vieux, decrepit & malade, il s’en va aux fosses & cavernes des Serpens, puis avec les narines
souffle & pousse son haleine dedans, en sorte que par la vertu & force d’icelle il contraint le Serpent de sortir
dehors : lequel estant sorty, il le tue avec le pié, puis le mange et dévore. Apres il s’en va boire : lors le venin
s’espand par tous les conduitz de son corps. Quand il sent le venin il se met à courir pour s’échauffer. bien
tost apres il commance à se vuider & purger, tellement qu’il ne luy demeure rien dedans le corps, sortant par
tous les coduiz que Nature luy ha donnez : & par ce moyen se renouvelle & se guarist, faisant mutaiton de
poil.

Il décrit plusieurs remèdes contres les morsures de serpents à base de certaines parties du cerf. Cet
usage thérapeutique et prophylactique reptilien était déjà conseillé au 1er siècle de notre ère par Pline
L’Ancien. Au XIIe siècle, la grande vogue des bestiaires médiévaux a popularisé « les interprétations
selon lesquelles le Serpent est le démon, le Cerf est Jésus et l’eau qu’il verse de sa bouche sur les
serpents est sa doctrine244 ». Ces notions sont partagées par les grands intellectuels du Moyen Age,
sainte Hildegarde de Bingen, Bruno Latini maître de Dante, Gaston Phébus, Ambroise Paré etc.,
jusqu’aux traités de vénerie du XIXe siècle.

Jean-Loïc Le Quellec conclut par l’ancienneté du thème de l’ophiophagie du cerf de Du Fouilloux,


thème retrouvé chez les auteurs antiques tels que Nicandre, Dioscoride, Lucrèce, Pline, exploité par la
symbolique paléo-chrétienne dans le sujet du cerf assoiffé ingérant un serpent pour rajeunir. Ce thème
prend racine dans le fonds de croyances préchrétiennes associés aux rituels de la fête de Samain sans
doute en rapport avec Cernunos, le dieu tenant de sa main gauche le serpent criocéphale245. On peut
donc proposer la figure symbolique d’un cerf-solaire en opposition d’un serpent-chtonien, ces deux
couples étant toujours associés au surnaturel et au temps éternel et cyclique.

Par concision et par manque de place, je n’ai pas voulu développer les nombreuses autres associations
du cerf calendaires et festives, faisant de lui une figure symbolique générique tant dans son utilisation
temporelle qu'allégorique. A travers ce voyage diachronique, nous pouvons dégager le polymorphisme
symbolique du cerf dans la sphère géographique celte, correspondant à notre étude :

Le cerf est un des rares animaux avec le cheval associé dès le néolithique à l’inhumation, pour ce que
nous en révèle l’archéologie. Le cerf sauvage s’opposant au cheval domestique, dans le but
d’accompagner matériellement et (peut-être) spirituellement le défunt dans son chemin vers l’Au-delà.
241
Jacques du Foüilloux, cité par Jean-Loïc Le Quellec, La Venerie de Jacques du Foüilloux, Gentilhomme, Seigneur dudit
lieu au païs de Gastine en Poitou, avec Plusieurs Receptes & Remedes pour guerir les Chines de diverses maladies, Paris,
Pour Gallot du Pré, Librairie iuré, ruë St. Jacques, à l’enseigne de la Galere d’or, 145 p. (reprint : Paris, Dacosta, s.d.).
242
Qui se nourrit de serpent.
243
Jean-Loïc Le Quellec, « Jacques du Fouilloux et l’ophiophagie du cerf », Bulletin de la Société de Mythologie Française,
n° 161, p 19-31.
244
Cité par Jean-Loïc Le Quellec, Ibid., p 22.
245
Se conférer à l’iconographie du chaudron de Gundestrup.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

L’Antiquité développe le thème mythologique de la chasse sauvage pour le monde méditerranéen, du


dieu cornu Cernunos pour le monde Celte, et de Myrddin maître des animaux, esprit tutélaire de l‘île de
Bretagne. Toutes ces figures représentent le cerf comme un animal intermédiaire, passeur vers l’Au-delà
et porteur du divin. Le Moyen Age continue d’associer au cerf des qualités thérapeutiques,
prophylactiques et magiques en accord avec la divinité christique et par-là en opposition au monde
chthonien reptilien. Son pouvoir psychopompe est formulé dans les récits de Geoffroy de Monmouth
et attesté pour l’inhumation du pape Clément VI.

En résumé, nous pouvons avancer que le cerf est une figure composite, un passeur solaire vers l’Au-
delà, puissant animal psychopompe de l’univers celte. Il est intimement associé au personnage
historique et mythique de saint Telo, tant dans l’iconographie que dans l‘hagiographie brittonique écrite
insulaire et orale continentale. Ce qui nous amène à nous demander si saint Telo n’est pas le successeur
et la couverture chrétienne de la figure mythologique d’un dieu cerf psychopompe dans le rituel
processionnel de la troménie. Ces symboles psychopompes prennent tout leur sens dans la troménie
dans la mesure où les personnes touchées par un décès viennent porter le deuil par le port du reliquaire
durant le parcours processionnel pentecostal. Je rappelle que le reliquaire de saint Telo est porté par une
châsse-reliquaire soutenue aux deux pignons par deux cerfs. Par le port de la châsse-reliquaire, les
porteurs effectuent psychologiquement le deuil de leurs proches, symboliquement ils les aident à
monter au ciel et religieusement ils prient saint Telo d’intercéder à leurs prières, auprès de la hiérarchie
céleste comme en témoigne un article paru dans le bulletin paroissial246 « Il priera pour vos morts,
puisque, très souvent c’est pour vos morts que vous faites la troménie ».

246
Anonyme, « La troménie », Bulletin de la troménie, n°64, Landeleau, avril-mai 1963.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

2 – Un culte arboricole « antique »?

a - L’arbre ou le chêne de saint Telo

Pourquoi l’arbre de saint Telo est-il un chêne ? N’était-ce pas les ifs, symboles de longévité
multiséculaires qui étaient associés aux cimetières bretons ?

L’if de la chapelle du Lannac’h décrit par Anatole Le Braz247 n’a pas résisté aux vicissitudes du temps,
« abritée par un if gigantesque comme épaisseur et comme expansion. L’enclos est ombragé tout à
l’entour par des chênes et des hêtres ». C’est le seul if mentionné pour une chapelle à Landeleau, que
l’on peut rajouter au bosquet circulaire d’ifs remarqué à la ferme de Clouaric près du Lannac’h248.

L’arbre de saint Telo est dénommé depuis le Moyen Age « arbre de saint Telo » (1639, 1710, 1730)249 et
à ce titre était le symbole matériel vivant de la présence du saint éponyme. La fabrique percevait les
dons de riches personnes au nom de « l’arbre de saint Telo ». L’appellation courante contemporaine
utilisera indifféremment les mots « arbre » ou « chêne » de saint Telo, soulignant la probabilité que
l’arbre ait toujours été un chêne, ce au moins depuis le XVIIe siècle.

Il est intéressant de noter que durant les fonctions cléricales des deux frères Kervella, Nicolas recteur
de 1924 à 1941 et François vicaire de 1936 à 1941, deux chapelles, stations de troménie, ont été
abandonnées puis détruites. Sans l’intervention du recteur suivant, le dynamique abbé Jaffrès, la
chapelle du Pénity-Saint-Laurent aurait subi le même sort. En dehors de cette dernière intervention,
seul le chêne a survécu sans aide extérieure à cette destruction de bâti religieux. Landeleau n’ayant pas
connu de remembrement forcé, le chêne a été protégé des vicissitudes de ces dernières décennies. Il
vient d’être recensé en 2002 sur l’intervention de l’association « Les amis de la troménie de saint Thélo,
Mignoned sant Telo » avec l’aide de la FCBE250 et le soutien de la municipalité. La communauté
landeleausienne s’est portée garante de sa protection et de son devenir. Un arbre peut donc être un
vecteur religieux plus pérenne qu’un bâti.

247
Alain Tanguy, Ibid., vol. III, p 89.
248
L’abbé Pierre Mahé me signale la survivance d’ifs à la chapelle de N.D. Du Krann à Spézet et à la chapelle du Moustoir à
Châteauneuf-du-Faou.
249
Clet Berriet, abbé, Ibid.
250
Fédération Centre Bretagne Environnement actuellement basée à Huelgoat, association pour la préservation de
l’environnement.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

b - Le symbolisme

Quel est le symbolisme du chêne ? La vénération pentecostale de l’arbre de saint Telo peut-elle être
analysée à l’aide de références extérieures? L’on craint toujours de se perdre dans un symbolisme
universel ou dans les méandres de l’histoire antique pour expliquer le particulier. Pourtant, nous ne
devons pas négliger ces pistes fautes d’éléments sylvicoles locaux pertinents valorisant une essence plus
qu’une autre. L’arbre de saint Telo est un chêne et l’a sûrement toujours été, comme nous l’induisent
son âge, entre deux et quatre siècles, sa formation en couple, les abords remplis de chênes et de
noisetiers et les archives paroissiales.

La légende de fondation de la paroisse précédemment analysée, comporte dans toutes ses versions le
motif de l’arbre permettant à saint Telo d’échapper aux chiens du seigneur de Châteaugall. La
permanence de ce motif renforce son importance symbolique et religieuse; symbolique au sein de la
communauté Landeleausienne et religieuse dans le parcours fondateur de la paroisse, bien que les
frontières de cette dernière soient différentes.

Il semble que la survie du chêne soit due à sa formation en couple. Nous observons dans l’espace
circonscrit à la station, deux chênes et non un seul, « un chêne devant remplacer l’autre disaient les
anciens » m'expliquait l'ancien cantonnier municipal Jean Com. La station de l’arbre saint Telo est
circonscrite par la route au nord et un chemin de circumambulation au sud, ce dernier créant un
renflement du talus dans le champ contigu. Ce renflement déjà visible sur le cadastre de 1838 est donc
très ancien, cela nous permet d’accréditer la thèse de l’ancienneté de l’emplacement de la station et de la
succession de l’arbre par son rejeton voisin. Au début du siècle251, s’apercevait encore une vieille souche
à la station que « quelques dévots au risque de troubler le sermon, s’acharnent à arracher quelques
morceaux d’une vieille souche d’arbre, qu’ils prétendent bien devoir appartenir au tronc de l’arbre
primitif ». Ce binôme « naturel », un arbre succédant à son rejeton voisin semble être la clé de la
pérennité du symbolisme incarné de l’arbre de saint Telo.

Le chêne, par ses caractéristiques physiques suscite de nombreuses analogies dans le registre
linguistique humain :

• Son bois dur suggère : la dureté, la force ...


• Sa longévité suggère : la mémoire, la noblesse, les ancêtres ...
• Ses qualités combustibles suggèrent : la chaleur, le feu...

251
Abgrall & Peyron, chanoines, Ibid., p 10.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

« Le chêne est le support végétal d’un symbolisme qui unit le savoir et la force et seul cet arbre était
susceptible de servir à ce symbolisme, dans la dépendance des divinités souveraines 252». La symbolique
militaire s’approprie l’iconographie des feuilles de chêne pour les plus hautes décorations.

En évoquant juste le symbolisme suggéré par ses qualités physiques, le chêne offre un large champ de
métaphores linguistiques au registre linguistique populaire à la recherche d'un support symbolique
naturel propre à la transmission de la mythologie communautaire. « Le symbole ouvre sur l'infini, sur
autre chose que nous. Le symbole ouvre des portes sur le ciel253 ». L’objet par son allégorie et par sa
matérialité devient le lien symbolique et historique avec la mémoire des ancêtres254.

c - La filiation religieuse

L’histoire antique associe les arbres, plus particulièrement le chêne aux religions gauloises d’avant
l’invasion romaine : « Pline nous dit que le chêne rouvre était l’arbre de prédilection des bois sacrés
gaulois [...] Les Galates se réunissaient dans un sanctuaire commun appelé Drynemeton et qu’on peut
traduire que par le « sanctuaire du chêne » 255». La présence de ce nemeton n’est pas sans rappeler le nom
de la forêt de Nevet de Locronan, survivance toponymique d’un nemeton antique associé à la grande
troménie de Locronan. Pour les historiens celtiques F. Le Roux et C.-J. Guyonvarc’h « Le chêne est
partout dans le monde celtique au sommet de la hiérarchie végétale ». C’est cette importance religieuse
qui fait réagir les évêques gaulois pour ordonner aux chrétiens le déracinement des arbres sacrés en 658
au concile de Nantes256.

L’arbre de saint Telo ne possède pas de gui, plante parasitaire, je pense que c’est une des raisons pour
laquelle la population n’associe pas le chêne directement au druidisme gaulois comme le suggérait
l’imagerie romantique du XIXe siècle nous montrant des druides cueillant rituellement le gui dans un
chêne.

La filiation religieuse de l’antiquité jusqu’à nos jours est souvent contestée mais nous devons admettre
qu’il existe de nombreux exemples d’arbres christianisés, le plus souvent de chênes; Paul Sébillot signale
l'intervention systématique du clergé dans la christianisation de ces arbres « sacrés » pour, je cite :

252
Françoise Le Roux & Christian-J. Guyonvarc’h, Les druides, Ouest-France, 1986, Rennes, p 152-153.
253
Frère Gilles Baudry de Landévennec.
254
Ce lien d’avec les ancêtres est revenu lors des fouilles de la chapelle Saint-Roch. Je validais auprès d’un autochtone
l’ancienne sacralité du lieux, argument ne valant pas le moindre effort de conservation selon lui; tandis que M. A. Puillandre
valorisait l’intérêt conservatoire du lieu quant au fait que plusieurs générations de ses ancêtres étaient sûrement venus en ces
lieux prier lors des troménies. Le lien ancestral prime sur le religieux.
255
Jean-Louis Brunaux, Les religions gauloises, nouvelles approches sur les rituels celtiques de la Gaule indépendante,
Errance, 2000, Paris, p 56.
256
A. Le Moyne de la Borderie, Histoire de Bretagne, 1, 541.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

« détourner les fidèles de cette idolâtrie »257 il cite plusieurs exemples à son assertion. Ces arbres peuvent
être associés à la découverte d’une statue, à un culte marial, et à de nombreuses autres pratiques
magiques thérapeutiques ou propitiatoires comme le plantage de clous, l’offrande, l’accrochage de
chiffons etc. Le chêne de saint Telo ne semble être utilisé que pour les qualités propitiatoires de son
écorce, mais de par son intégration à la légende de fondation paroissiale, il est le symbole vivant de la
mémoire communautaire258.

Nous constatons que la légende locale valide la sacralité de l'arbre en l'associant aux prouesses du saint
homme ceci permettant au chêne d'entrer dans l'ère chrétienne sans outrage. A cet effet, il faut rappeler
que le passage de la religion druidique au christianisme, dans la zone celtique s'est fait de manière
syncrétique, sans qu'il y ait eu à déplorer le moindre martyr. L'hypothèse d'une vénération ancestrale de
l'arbre sacré de la communauté vient assez vite à l'esprit lorsqu'on est un peu familiarisé avec les
conceptions religieuses celtiques.

Le chêne de saint Telo n’a jamais été christianisé par une statue, un oratoire, une croix. L’élévation
maçonnée recouverte de pierres tombales est improprement appelée « autel », car elle n’a pas été
consacrée par le clergé. Le chêne est donc christianisé par sa légende et par son statut de deuxième
station de la troménie. Le culte pentecostal s’imbrique dans le fonctionnement temporel de la troménie
(conf. 1ère partie). L’office unique se déroule annuellement à chaque Pentecôte, dans le temps sacré et
par-là renforce l’intemporalité de l‘arbre. Le symbole du chêne mythique primitif est plus présent et
visible que ses deux successeurs contemporains. Ces deux derniers matérialisent et véhiculent le
symbole primitif du chêne, avec tout son signifié allégorique, et par-là sont les vecteurs matériels de la
mémoire mythique communautaire, renouvelant le lien de la communauté primitive à chaque troménie.

257
Paul Sébillot, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne, Maisonneuve et Larose, Paris.
258
Comme en témoigne poétiquement l’inscription des pierres tombales de l’autel du chêne « La mémoire ».

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

3 – Une tradition ancienne

La question qui revient sans cesse est celle de l’ancienneté de la troménie. Est-elle antérieure aux
témoignages des archives du XVIIe siècle? A la bulle papale limitant la création de minihis au XIIIe
siècle? A l’immigration brittonique en Armorique au VIe siècle? Ou, est-ce le reliquat d’un culte
« païen »? A défaut de pouvoir apporter une réponse à l’éternel question des origines nous allons
essayer de démêler l’entrelacs symbolique et historique que nous offre le tro ar relegou contemporain.

a - Des saints « de feu » au Pénity259

Notre première étape nous conduit à l’analyse de la petite boucle de la troménie. Comme je le
remarquais précédemment, le tro ar relegou se singularise des autres troménies pas sa forme en deux
boucles superposées et non pas en quadrilatère comme à Locronan, à Gouesnou, à Bourbriac... C’est
cette forme inhabituelle qui m’a fait chercher plus en avant sur l’importance du site du Pénity-Saint-
Laurent et sur sa relation avec Châteaugall. Le Pénity-Saint-Laurent est un site occupé depuis le
Mésolithique comme le montrent les découvertes archéologiques effectuées par Pierre Gouletquer260 et
Patricia Louédec261 :

La proportion d’outils est relativement forte sur ce site. Il ne devait certainement pas correspondre à un site
de débitage où l’on se serait contenté de pratiquer les premières phases de la chaîne opératoire de débitage.
[...] Ces découvertes attestent donc d’une occupation de la commune de Landeleau au Mésolithique récent.
Elles ne permettent en rien de disserter sur la densité de la population à l’époque.

Ces découvertes sont multiples dans la vallée de l’Aulne, tendant à prouver l’utilisation des vallées
fluviales comme axe de pénétration des populations mésolithiques. Le village du Pénity est situé dans
une vallée surplombant un des trois gués landeleausiens (Moulin-neuf et Pratulo) de l’Aulne; cette
position lui vaut d’être sur l’axe routier gallo-romain menant à Carhaix. La route est d’ailleurs
surnommée Hent Aes, le vieux chemin d’Aes. C’est sans doute cette convergence de qualités qui en fait
un lieu géostratégique, protégé par le site fortifié de Châteaugall, abandonné de la noblesse peu avant la
révolution. Le site du Pénity par son importance économique et géographique, a conditionné
l’implantation du château dominant les méandres de l’Aulne, l’ancienne et large route menant au Pénity
s’appelait l’allée de Châteaugall. Le pouvoir de la seigneurie devait s’exercer sur la traversée de l’Aulne à
travers un droit de péage comme nous le suggère le toponyme parc ar heff (C3/19), le champ du tronc
de la quête. La présence d’un château à proximité de ce lieu n’a rien d’exceptionnel, mais nous allons
revenir plus en avant sur les relations entre le Pénity, Châteaugall et la troménie.

259
Ou des saints ayant subi le martyre du feu.
260
Pierre Gouletquer, Séminaire de terrain, le Mésolithique en Basse Bretagne, 1993.
261
Courrier personnel de Melle Estelle Yven, voir les appendices.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

S AI N T L AU R EN T ET SAINTE BA R B E
§La toponymie du lieu nous induit la présence religieuse d’un pénity, traduisible par maison de pénitence.
Maigre information que nous ne pouvons que mettre en relation avec son toponyme voisin méridional
de Pénity-Raoul et avec l’extension septentrional de la troménie. Ce toponyme breton est lié ou
postérieur à l’implantation brittonique en Armorique soit entre le VIe et le VIIIe siècle. Dans ce lieu, à
la toponymie bretonne, se trouve une chapelle dédiée à un saint romain, saint Laurent, chapelle datée
des environs du XVIe siècle selon l’Inventaire des Monuments Historiques. Le cadastre napoléonien de
1838, ainsi que les archives paroissiales nous révèlent l’existence d’un oratoire dédié à sainte Barbe,
disparu au milieu du XIXe siècle. Une présentation de l'hagiographie de ces deux saints va éclaircir leur
présence en ces lieux.

Saint Laurent262
Laurent de Rome, fête le 10 août selon le calendrier général.
Saint, martyr †1258, La passio de saint Laurent, rédigée au moins un siècle après sa mort, n'est pas crédible. Le
récit prétend que Laurent, diacre du pape saint Sixte II, fut mis à mort trois jours après le martyre de ce
dernier et qu'il fut brûlé à petit feu sur un gril. La plupart des auteurs modernes estiment qu'il fut décapité,
comme Sixte. Quoiqu'on pense de la valeur historique de ses acta, il n'en reste pas moins que Laurent a
toujours été vénéré, en Orient ainsi qu'en Occident, comme le plus célèbre des nombreux martyrs romains.
Les écrits des saints Ambroise, Léon le Grand, Augustin et Prudence témoignent de ce culte. Son martyre a
fortement dû impressionner les chrétiens romains. Prudence dit même que «sa mort signifiait la mort de
l'idolâtrie à Rome», qui perdit beaucoup de terrain à partir de ce moment. II fut enterré à la voie Tiburtine,
sur le Campus Veranus, où se trouve sa basilique. Son nom est cité dans la première prière eucharistique. II est
représenté comme diacre, tenant un gril ou couché dessus.

Ste Barbe263
Barbe (Barbara), fêtée le 4 décembre selon l'ancien calendrier.
Sainte, vi., martyre - ? - D'après une légende du Xe siècle, que Méthaphraste nous a rapportée, Barbe fut
enfermée dans une tour par son père, à cause de sa foi. Son père l'aurait tuée de sa propre main et fut lui-
même frappé par la foudre pour ce forfait. Le Martyrologe Romain d'avant 1970 situe ces événements à
Nicomédie sous Maximien Ier. La légende, cependant, est manifestement fausse, la sainte n'ayant jamais
existé. Elle était la patronne des fabricants de feu d'artifice, des artilleurs, architectes, fondeurs, maçons,
fossoyeurs, ainsi que des fortifications et des arsenaux. On l'invoquait contre la foudre, le feu, la mort subite
et l'impénitence. D'habitude, elle est représentée en tenant une tour et avec la palme du martyre, ou avec un
calice ou une plume, ou encore en piétinant un Sarrasin. Son culte a été supprimé en 1969.

L'hagiographie nous dévoile les aspects plus mythiques qu'historique de ces deux saints, et leurs
origines romaines dans une zone bretonnante renforcent l'hypothèse de leur introduction à des fins
syncrétiques. M. J.Y. Eveillar,d au sujet de la présence d'un monument funéraire ou cultuel gallo-romain
262
Bénédictins de Ramsgate (les), Dix mille saints – Dictionnaire hagiographique, trad. Marcel Stroobants, Belgique, Brepols, 199,
p 306.
263
Ibid., p 77.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

au bourg de Landeleau, suggérait que la distance du bourg d'avec la ville romaine de Carhaix
correspondait à la lieue romaine induisant au bourg de Landeleau la présence d'un relais romain. Cette
même distance est observable pour le site du Pénity, avec ses caractéristiques géographiques
précédemment citées, nous pouvons induire une même présence romaine sur le site. Les deux saints
actuels ne seraient alors que des saints ayant subi le martyre du feu se substituant264 à d'anciennes
divinités vulcaniennes romaines du site.

La présence de ce binôme, saint Laurent-sainte Barbe pourrait passer inaperçu si ce n’est la position
septentrionale du Pénity dans la petite boucle de la troménie, la boucle prenant naissance à Châteaugall.

LA PETI TE BOUCLE OU LA CIRCUMAMBULATION DE C H ÂT E AU GA L L


Avant de commencer ma recherche, personne n’avait soulevé l’étrangeté de la forme en deux boucles
superposées du tro ar relegou. Les rares dessins effectués en surimpression de la carte IGN au 1/25000
n’attirent pas l’attention. C’est en reproduisant le cadastre napoléonien que la qualité de la petite boucle,
expurgée de ses nouvelles routes, est apparue.

On peut observer la symétrie au 1/2 de la petite boucle par rapport à la grande, mais cette symétrie
n’est pas assez parfaite pour présenter une pertinence suffisante à notre recherche. Par contre, nous
observons la forme circumambulatoire de la petite boucle autour de la colline du Pénity dénommée La
Montagne. Ce toponyme est intéressant car il est un des rares toponymes français de Landeleau et il se
trouve à proximité géographique de Châteaugall, lui aussi toponyme français. Le toponyme La
Montagne désigne une éminence physique de 137 m de haut qui n’est pas la plus haute de la paroisse :
Keravel 144m, Kermorvan 152 m, Goarem Zalud 156 m, Botlan 173 m etc. Comme je l’ai précédemment
souligné dans la partie consacrée à la toponymie, le site se singularise par sa position au sein d’une
circumambulation, par son toponyme La Montagne, et par sa ressemblance avec d’autres montagnes
sacralisées par des circumambulations comme le Menez Lokorn de Locronan, le mont Frugy de Quimper
et par des processions comme à Lannédern... Cette dernière constatation renforce l’importance
symbolique de La Montagne induisant l’éventuelle autonomie circumambulatoire de la petite boucle et
par là même son antériorité par rapport à la grande.

Châteaugall :

§Aujourd’hui, la seigneurie de Châteaugall n’est plus que l’ombre de son passé, l’ancienne seigneurie ne
gouverne plus le destin de la paroisse. Les dépendances du château sont en cours de rénovation par leur
nouveau propriétaire. La troménie emprunte un vieux chemin qui la mène au pied de la propriété mais
elle ne s’y arrête pas, à l’aller comme au retour. Pourtant, un aveu de 1751265 stipule le devoir des clercs
d’amener les reliques, lors de la troménie, dans la chapelle du Château :
264
Le père Marc Simon de Landévennec émet des réserves quand à l’éventuelle substitution de saint Laurent.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 164


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Les curés sont tenus de faire conduire les reliques (du saint), gardzs en l'église paroissiale de Landeleau, le
lundi de Pentecôte, à la chapelle du Penity Saint-Laurent, et d'y célébrer la grande messe, à l'issue de laquelle
ils doivent venir conduire les saintes reliques à la chapelle, étant au seigneur de Chateaugal, et en icelle le dit
Recteur prêche et chante vespres et à l'issue est au choix du dit seigneur de Châteaugal, a présent seigneur de
Kerdreau, de leur délivrer les dites reliques ou les garder jusqu'au lendemain.

Avec M. Armand Puillandre, nous pensons que la chapelle citée dans l’aveu est l’ancienne chapelle
Saint-Jean de Châteaugall et non celle de Saint-Roch à Moulin neuf, elle aussi dépendante de la
seigneurie. Un troméniste me confiait l’information selon laquelle les reliques de saint Telo étaient
déposées au retour de la troménie dans la grange située près de la route, encore visible.

La participation de la noblesse à la troménie n’est pas en soi étonnante à cette époque, comme nous
l’apprend l’étude de M. George Provost précédemment citée, l’arrêt des reliques pour une durée allant
jusqu’au lendemain est par contre plus étonnante. Les comptes de la fabrique évoquent le versement
d’une rente par le seigneur de Châteaugall à l’arbre de saint Telo le lundi de la Pentecôte « au passage de
la procession »266. Ce qui induirait une procession le lundi de la Pentecôte, ainsi que le suggère l’aveu
précité, qui parcourait le même circuit que la troménie du dimanche et qui se serait réduit à une
procession dans le bourg, cette dernière étant supprimée au milieu des années quatre-vingt-dix267.

Cette exigence de « délivrer les dites reliques ou les garder jusqu'au lendemain » implique grandement le
seigneur dans le processus de la troménie. Cette pratique a disparu fort probablement à l’époque de la
déshérence de la châtellenie, soit à la fin du XVIIIe siècle.

C’est ce faisceau d’indices allant du Pénity-Saint-Laurent à Châteaugall qui nous suggère l’ancienneté et
l’autonomie de la petite boucle de la troménie. L’hypothèse de travail serait la préexistence d’un rituel
circumambulatoire autour de La Montagne, partant et revenant à Châteaugall en passant par le Pénity-
Saint-Laurent. Au vu de la dédicace du Pénity, le rituel serait d’inspiration vulcanienne à l’usage du site
militaire de Châteaugall. La date de la Pentecôte, par son symbolisme exprimant la descente de l’Esprit
Saint sous forme de langues de feu, pourrait justifier la date de déroulement de ce rituel
circumambulatoire, renforçant par là même son ancienneté et sa préexistence sur la troménie
contemporaine.

L'appellation de Minihy relevée dans les archives pour la chapelle du Pénity ne viendrait que confirmer
l’appropriation monastique d’un espace sacré laissé en déshérence cultuelle après la chute de l’ancienne
structure religieuse de l’Empire Romain. La « circumambulation vulcanienne » devient un tro-minihy
265
Cité par les chanoines Peyron et Abgrall, « Landeleau - Notices sur les paroisses du diocèse de Quimper et de Léon »,
Bulletin diocésain d'Histoire et d'Archéologie, 16e année, p 296.
266
Archives départementales du Finistère, liasse « 101 G 4 de 1691 à 1784 », 1784.
267
La suppression du pardon le lundi de la Pentecôte est général à l’évêché.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

sous le patronage de saint Telo, saint protecteur militaire brittonique, et le site du Pénity syncrétise son
ancienne dédicace « vulcanienne » pour deux saints romains aux pouvoirs comparables, soit saint
Laurent et sainte Barbe.

b – Un rituel ancien réactualisé

Dans cette partie, je convie le lecteur à pénétrer l’entrelacs historique et symbolique de la troménie tel
que nous le connaissons aujourd’hui. La démarche proposée s’inscrit dans le développement d’une
hypothèse de travail que les recherches futures viendront amender suivant l’évolution des connaissances
sur le sujet. Je convie donc le lecteur à suivre le cheminement de cette recherche jusqu’à son
aboutissement, ce dernier voulant essayer d’éclairer l’obscurité de notre mémoire populaire.

DES F ON D S C E LT E S E T ROM A I N S

L’exhaustivité des éléments analysés lors de notre étude nous a permis d’appréhender les charges
symboliques des principaux constituants de la troménie : le mythe de fondation, l’immigration
bretonne, le cerf et le chêne, la forme des boucles. Maintenant, nous pouvons en proposer une analyse
globale.

le mythe de fondation

Le mythe de fondation paroissial présente plusieurs niveaux amalgamés dans un récit qui pour être peu
rationnel n’en véhicule pas moins des éléments légendaires ayant un fond historique et des éléments
symboliques ayant un sens fonctionnel. On peut dégager du mythe tel que nous l’ont transmis A. Le
Braz et les chanoines Abgrall et Peyron plusieurs niveaux :
• Les motifs du cerf, de la sœur jalouse seraient issus du fond mythologique celtique, comme le
laisserait supposer le mythe de fondation paroissial de Lannédern, identique et mieux préservé que
celui de Landeleau.
• La circonscription nocturne de saint Telo justifiant la circumambulation pentecostale
contemporaine, serait quant à elle un élément plus ancien commun à la sphère européenne (cf.
Radu Dragan) dans le principe d’appropriation territoriale; ce qui est confirmé par le don de terres
à saint Telo par le seigneur de Châteaugall.
• Le motif de l’arbre de saint Telo semble par contre un ajout légendaire permettant de passer l’arbre
sacré dans le monde chrétien sans outrage.
• Dans la même inspiration, la figure de saint Telo, importante personnalité du christianisme primitif
gallois et beau-frère du comte Budic de Cornouaille est le lien historique permettant le syncrétisme
des couches préchrétiennes de la troménie.
• L’arrivée de saint Telo au dolmen de Mein Glas, puis la construction de l’église à l’actuel bourg de
Landeleau, peuvent être interprétées comme le déplacement du centre d’influence religieux.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 166


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

• Le chevillage des planches de l’église sur le bonnet du saint en guise de billot nous semble
incohérent aujourd'hui. Je n'ai pas eu le temps de chercher dans les rites de construction de bâti, de
charpentes; peut-être il y aurait-il une piste inexplorée ?

L’immigration bretonne
L’étude toponymique de Landeleau nous a permis de déduire une présence monastique sur la paroisse.
Cette présence monastique est vraisemblablement à l’origine des toponymes du Pénity, du Minihy, du
Coat ar Vouster, du Cloître, de Clouaric. Comme le suggère l’ancienneté des toponymes du Pénity, du
Minihy et de Coat ar Vouster, ce monachisme serait d’origine brittonique et serait à l’origine de
l’introduction du culte de saint Telo, visible dans le nom de la paroisse.

Il est par contre plus difficile d’affirmer la présence de l’évêque gallois Teilo à Landeleau et ce malgré
une forte tradition orale locale. Pourtant, sa vie latine nous le présente guidant ses ouailles en
Armorique à la rencontre de son vieil ami saint Samson à Dol. Si nous manquons de preuves pour
affirmer sa présence, l’important nombre de dédicaces de lieux de culte qu’il a suscité en Basse-
Bretagne nous incline à revoir l’importance de son culte et du monachisme qui lui a succédé. Les
travaux du révérend William Strange nous éclairent sur l’importance cultuelle monachique qui lui a
succédé dans tout le sud de la Cambrie, il nous est permis de penser à la présence à Landeleau d’un
monachisme celtique issu du monastère de Llandeilo Fawr.

Ce monachisme celte est le créateur ou le conservateur des éléments cultuels préchrétiens et chrétiens
de la troménie tels que nous les connaissons aujourd'hui.

Le cerf et le chêne

Bien qu’évoqués pour le mythe de fondation, il est intéressant de revenir sur ces deux éléments fort peu
chrétiens et par là même fort probablement préchrétiens. La distance de Landeleau par rapport aux
mouvements économiques et historiques sont les causes principales de la persistance d’ancienne
pratiques cultuelles. Le père Job an Irien expliquait malicieusement l’iconographie représentant saint
Telo sur un cerf par l’image de la religion catholique portée par le paganisme. Cet avis est partagé par
l’écrivain P. Saintyves268 dans son essai de mythologie chrétienne où il fait succéder le culte des saints
chrétiens des cultes des héros antiques, appuyant son argumentation sur plus de quatre-cent pages
d’exemples.

Nous avons évoqué les qualités psychopompes du cerf, présentes au cœur de la troménie au travers des
deux cerfs porteurs du reliquaire conservant les reliques de saint Telo. Comment expliquer la
perpétuation d’un tel symbole animal, « païen » en puissance sans lui adjoindre une figure
268
P. Saintyves, Les saints successeurs des dieux, Paris, Librairie critique Emile Nourry, 1907.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

hagiographique romaine « mythique » tels que saint Eustache ou saint Hubert. Nous avons suggéré
l’épaisseur mythique de saint Edern à Lannédern et c’est ce qui m’amène à penser au rôle de saint Telo,
ou plus exactement de l’évêque-abbé gallois Eliud, hiérarque du christianisme celtique primitif, comme
étant un personnage historique véhiculant le symbolisme de l’ancienne religion celtique, et
probablement du symbolisme du dieu cerf. C’est aussi l'analyse qu’en fait le révérend William Strange
d’après son étude sur les légendes qui lui sont associées en Cambrie. Je pense donc que la figure de
saint Telo syncrétise à Landeleau un culte au dieu cerf psychopompe, lui ou ses successeurs s’étant
chargés d’y coller son image sur ce culte préchrétien. C’est d’ailleurs, ce qui s’est fort probablement
passé à la grande troménie de Locronan ou saint Telo préside la onzième station.

Le chêne de saint Telo suit probablement le même parcours que le cerf, son homologue préchrétien :

Le chêne est rapide :


Devant lui tremblent le ciel et la terre ;
C’est un vaillant portier devant l’ennemi,
Son nom est un soutien.
« Le combat des Arbrisseaux269 »

Lui aussi est un symbole « sauvage » associé au registre symbolique humain pour le plus loin que nous
puissions remonter dans les écrits; dispensateur et protecteur, robuste et éternel sont les qualités qui lui
sont généralement associées. Saint Telo vient une fois de plus sauver un élément cultuel préchrétien des
dommages de l’évangélisation par l’effacement des anciens cultes. Je ne crois pas que le chêne ait pu
être un élément non religieux rattaché tardivement au légendaire de la fondation de la paroisse. La
survivance de son culte ou de sa vénération est imputable à son association au rituel de la troménie,
d’autant plus que la durée de vie du chêne n’aurait pas permis sa traversée millénaire. Mais, heureuse
initiative de nos ancêtres, « le chêne va par deux, un pour remplacer l’autre » ce qui lui a permis d’être
présent aujourd'hui dans toute la force de son symbolisme et physiquement par son rejeton, de la
énième génération.

269
Guyonvarc’h C.-J., trad., cité par Jean-Loïc Le Quellec, Bulletin de la Société de Mythologie Française, n° 190-191, 1998.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

La forme des boucles


Nous arrivons à la partie la plus étonnante de cette étude, la forme de deux boucles superposées de la
troménie. Nous avons vu sa différence avec ses consœurs bretonnes en forme de quadrilatère et donc
du procédé de construction suivant quatre directions cardinales. Nous avons étudié la validité de
l’hypothèse de l’antériorité de la petite boucle ou « circumambulation de Châteaugall », ce qui laisse un
vide pour expliquer la forme de la grande.

Nous devons partir du postulat que les trois stations de la grande boucle, le chêne de saint Telo, N.D.
Du Lannac’h et Saint-Roch, préexistent ou que ces deux dernières datent de la création de la grande
boucle. Dans la légende de fondation, la sœur jalouse de saint Telo est censée résider au Lannac’h,
l’endroit sacré comme son étymologie Lanlech le laisse entendre. Le pardon du Lannac’h précédait et
introduisait la procession pentecostale, et par le symbolisme celtique de la sœur jalouse j’associerai le
symbolisme celtique du cerf plus facilement à cette station.

La station de Saint-Roch est plus muette que les autres stations, les seules choses que l’on puisse
évoquer sont, son lien avec châteaugall, sa proximité avec Moulin-Neuf, appelé autrefois le moulin de
Châteaugall, et son emplacement en surplomb d’un gué de l’Aulne. La présence d’une chapelle près
d’un gué est récurrente dans la région270 :

C’est le cas pour la chapelle du château de Pratulo (accès landeleau-Spézet), la chapelle Saint-Roch
(Landeleau-Kergloff-Carhaix et Landeleau-Cléden-Poher), celle du Pénity-Saint-Laurent (Landeleau-Collorec-
Carhaix), et celle de Saint-Nicodème (Plouyé-Carhaix). De même les anciennes routes importantes, parfois
distinctes de nos routes modernes plus rapides, apparaissent-elles par le biais des chapelles qui les parsèment.

Son origine semble liée plus au gué qu’à la troménie, d’où sa dédicace à Saint-Roch qui retint la peste
au-delà d’une rivière. Il se peut en revanche que Moulin-Neuf, moulin dépendant de Châteaugall ait
joué un rôle dispensateur d’offrande en nature lors de la troménie; comme le suggère l’aveu de 1751
pouvant ordonner l’arrêt des reliques à Châteaugall une nuit entière, le seigneur pouvant alors pourvoir
en nature les troménistes. Cette idée découle des nombreuses libations alcoolisées que les troménistes
s’octroient durant la procession, sauf pour les plus dévots271. Ce besoin, de réhydratation suite à
l’important effort physique fourni, s’observe à Gouesnou et à Locronan, mais pas avec l’ampleur
Landeleausienne où les buvettes de talus sont sans équivalent. C’est ce qui pourrait justifier la « semi-
officialité »272 de la pause boisson à Kervoantec, à trois cents mètres de Saint-Roch, l’arrêt y est aussi
long qu’à la station de la chapelle. J’ai l’impression qu’avec l’évolution des mœurs cultuelles et le risque
de disparition définitive de la butte de l’ancienne chapelle, l’arrêt à Kervoantec pourrait se substituer
symboliquement à la station de Saint-Roch. Sans plus d’éléments, nous ne pouvons qu’observer la

270
Ronan Perennec, La chapelle saint-Roch en Landeleau (Finistère), CG 29, Service Départemental d’Archéologie, 2002.
271
Quoique la troménie du jeudi prisée par les fervents troménistes s’est finie autour d’un apéritif au presbytère.
272
Lors de la troménie 2002, le recteur a invité l’ensemble de la troménie à marquer l’arrêt à Kervoantec, ce qui a été très
apprécié par les pélerins.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

désaffection de la station, ce qui nous indique que son symbolisme ne parle plus à la population, que le
site ne répond plus aux attentes contemporaines.

Après avoir étudié la charge symbolique de chacun des éléments constituants de la troménie, j’avance
l’hypothèse d’une structuration par strates successives de la troménie telle que nous la connaissons
aujourd'hui.
• La première strate comporterait la circumambulation « vulcanienne » de Châteaugall, le port de
reliques de « héros » pouvant être associé au rite.
• Les éléments cultuels du cerf psychopompe associé au Lannac’h, de l’arbre sacré et de la chapelle
du gué de Moulin-Neuf semblent être plus populaires et indépendants symboliquement.
• L’assemblage de tous les éléments que nous connaissons a pu prendre beaucoup de temps, la
première phase étant peut-être le déplacement du cœur socioreligieux populaire du centre
géographique de Landeleau de Lan al Loc’h/Leign ar Ménez vers le bourg actuel sous l’égide de
saint Telo ou de ses successeurs.
• La participation à la circumambulation de Châteaugall fait passer les pèlerins près d’autres points
cultuels et de ce fait, les inclus dans un circuit agrandi; la station du Pénity restant l’objectif majeur
de la troménie agrandie et le retour au bourg moins de rigoureux, comme l’exprime toujours les
troménistes aujourd'hui.

L’idée de reliques de héros nous est induite par l’origine inconnue des reliques Landeleausiennes
d’autant plus que nous connaissons l’histoire des reliques galloises. Si le récit de triplication du corps de
saint Telo correspond à une division en trois parties pour les trois églises galloises nous sommes encore
plus étonnés de trouver à Landeleau des os du crâne, de l’avant-bras et de la jambe. C’est ce qui nous
suggère la volonté rituelle de posséder une sélection d’os représentative d’un corps entier pour une
hiérophanie annuelle extraordinaire, qui serait dans la lignée des circumambulations antiques du corps
de héros.

Un heureux concours de circonstances nous a permis de conserver plus fidèlement qu’ailleurs cet
ensemble d’éléments cultuels jusqu’à aujourd'hui. En résumé, on peut dire que la troménie est un
palimpseste où l’écriture catholique laisse lire à grand’ peine quelques mots de la religion de nos
ancêtres.

LE LI EN DE LA CO MM UNAUTÉ

Le précédent chapitre nous a entretenu sur l’entrelacs symbolique et historique que nous offre la
troménie contemporaine, mais il ne nous a pas expliqué pourquoi cet assemblage perdure à travers les
évolutions socioculturelles rencontrées partout ailleurs en Bretagne. C’est ce constat qui m’a fait
m'intéresser à la force sociale centripète que dégage la troménie et qui est peut-être le garant de sa
pérennité.

Le festif

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Ce qui frappe le plus la personne étrangère à Landeleau c’est l’esprit festif qui soude la communauté à
travers les deux grandes manifestations locales que sont la troménie et la fête du Stang le premier
dimanche d’août. A ces deux grandes fêtes nous pouvons y joindre la création du festival musical de
dimension européenne « Les vieilles charrues », qui se déroule depuis à Carhaix mais qui fonctionne
toujours avec une importante équipe Landeleausienne.

La fête du Stang est vieille d’une trentaine d’année (1972), elle emploie près de deux-cent-cinquante
bénévoles et s’adresse à la population locale et refuse un développement touristique. La fête est
l’occasion pour tous les gens de Landeleau et des communes environnantes de se retrouver le temps
d’une journée. L’organisation est confiée au syndicat d’initiative (S.I.) de Landeleau, et bien que la
gestion d’un événement d’une telle ampleur ne soit pas chose aisée et puisse créer des dissensions dans
la communauté, tout le monde se réconcilie et retrousse les manches pour sa réussite annuelle. L’argent
récolté est redistribué par le S.I. Aux associations participantes, cette circulation financière du travail des
bénévoles aux associations sensibilise la jeunesse et l’initie au coût de la vie273.

Cette fête communale où la majeure partie de la population est impliquée crée un solide lien
communautaire au sein de la population. Ce lien se retrouve dans l’importante participation de
bénévoles au festival des Vieilles Charrues : 270 personnes plus ou moins proche de Landeleau prêtées
par le S.I. De Landeleau. Cette importante participation locale est un soutien essentiel au bon
déroulement du festival et est une vitrine du dynamisme du Poher.

A ces deux importants mouvements se joint celui de la Pentecôte, où en parallèle de l’organisation


paroissiale se déroule de nombreuses manifestations festives; Sur la demande du recteur, voulant éviter
une surenchère festive se marchant les unes sur les autres, le S.I. A présidé plusieurs réunions
préparatoires pour le week-end de la Pentecôte, se déroulant toutes autour de la troménie. Quelques
personnes devant les difficultés organisationnelles ont suggéré d’empiéter sur le temps dominical de la
troménie, ce qui a été catégoriquement refusé. Il est à croire que si la troménie disparaissait les activités
profanes de la Pentecôte dépériraient.

On ne retrouve pas dans les communes voisines une telle force et cohésion communautaires dans
l’organisation des festivités, ces forces agissant de manière centripète sur l’attachement affectif à la
commune; ce qui n’empêche pas l’expatriation professionnelle des forces vives de la commune.

C’est en substance ce que me confiait Mme Claire Arlaux pour justifier la non-implication de jeunes de Landeleau dans la
273

dégradation visiblement volontaire de vitraux de l’église.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Le sacré

Ce festif profane fonctionne comme le festif sacré analysé tout au long de notre étude, et je pense que
c’est l’un des éléments explicatifs de la pérennisation du rituel au XXe. J'évoquais la force centripète de
la troménie, je pense qu’elle s’exerce par sa force symbolique et par le lien filial qu’elle offre auprès des
troménistes landeleausiens de souche, de filiation ou de résidence.

Les liens symboliques sont le circuit, le chêne, le saint patron et les reliques. Ce sont, en substance les
éléments qui reviennent dans les explications des troménistes. Le chêne et saint Telo véhiculent la
mémoire mythique traditionnelle de la communauté. Le circuit et les reliques sont les symboles
matériels avec qui les personnes vont échanger une intimité par leur marche ou par le baisement.

Les troménistes ont tous un rapport filial à Landeleau, soit par leur naissance, leur parenté proche ou
par leur résidence, la troménie n’est pas une cérémonie exclusive, elle accepte la participation de tous
sans jugement, comme certains pourraient le ressentir à l’église lors de leurs rares participations à des
offices extraordinaires. Les troménistes, par leur participation, renouent avec leurs liens filiaux et
accomplissent le rituel du temps sacré, qui nous met en contact avec nos ancêtres et nos morts.

Le week-end de la Pentecôte est le temps du retour à la communauté pour de nombreux expatriés et la


troménie en est l’axe central. La pérennité du tro ar relegou revient à ses participants qui offrent une
marche au sacré ancestral par le biais du rituel circumambulatoire. Ils reçoivent en retour un ancrage
symbolique à la communauté primitive et mythique des ancêtres. Ce rituel a aussi une puissante
fonction psychologique de deuil en offrant un exutoire individuel avec le soutien de la communauté.

La troménie de Landeleau a survécu aux évolutions de ces dernières décennies et on peut gager qu’elle
continue d’évoluer au gré des attentes communautaires tout en véhiculant les apports cultuels anciens.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Conclusion

J'aimerais conclure en mettant en évidence les limites de l’étude, limites que j’ai essayé de repousser
aussi loin que me le permettaient les outils et les matériaux ethnographiques en ma possession. Ce qui a
le plus caractérisé cette étude est l’absence de travaux historiques sur le tro ar relegou, ceci en parallèle
d’une fascination populaire pour ce type de procession circumambulatoire bretonne; ce qui ne manque
pas de générer une foule de nouvelles interprétations, éloignées des conceptions traditionnelles
observées encore il y a trois décennies. Mon étude reflète donc deux voies de recherches, l'historique et
l'ethnologique, difficile cohabitation de la diachronie et de la synchronie que j'ai essayé de concilier au
sein de ce mémoire et dont je mesure l'ambivalence.

LA RECHERCHE

La recherche est limitée par sa nouveauté et par son fond ethnographique complexe, dont la mémoire
est la plus souvent négligée par la population, ce qui ne manque pas de compliquer la tâche du
chercheur. Néanmoins, j’ai bénéficié du soutien de plusieurs chercheurs pour les corrections nécessaires
de l’étude, ce qui en relève ses qualités ethnographiques et historiques.

L’archéologue détruit son objet de recherche pour pouvoir l’étudier, bien que l’ethnologue n’ait pas la
même prétention, ses analyses enrichissent les bibliothèques et contaminent le terrain observé. Si j’ai
rencontré des difficultés historiques sur ce terrain vierge de travaux, j’ai apprécié la qualité des
informations collectées peu ou prou influencées par des publications scientifiques sur le sujet.

LE TEMPS

« On peut ne jamais finir une maîtrise » me confiait une doctorante, le bouclage du mémoire sur une
courte période force les conclusions d’une étude ethnologique, et donc fausse ses qualités
diachroniques. L’étude doit donc être prise comme un cliché photographique événementiel, beaucoup
d’évolutions ayant été remarquées en deux années de recherches, tant sur le terrain observé que chez
l’observateur. M. Armand Puillandre me confiait qu’il était plus facile pour un observateur étranger
d’étudier la troménie que pour un landeleausien de souche, si on prend en compte les fortes divisions
politiques qui animent régulièrement la commune. La neutralité filiale avec le terrain m’a permis
d’interroger assez facilement un large panel de personnes, mais j’ai pris conscience au cours de la
deuxième année de recherche, l’emploi à mon égard d’un registre linguistique soutenu que seul un
événement important ou une alcoolémie prononcée rompait pour un registre familier bien plus riche

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
sémantiquement et qualitativement. Je pense que beaucoup de choses m’échappent encore de par mon
statut de chercheur étranger à la communauté.

LE SOCIAL

Le social pour un étranger est indissociable du temps d’adaptation communautaire, ne sachant pas jouer
au foot je me suis dirigé vers les cours de kan ha diskan au Presbytal Koz. Des cours proposés par
l’association culturelle bretonne Kan an douar (le chant de la terre), associée à la figure de M. Yann
Puillandre un de ses sympathiques et médiatiques fondateurs. Le Presbytal Koz est jugé par une partie de
la population comme un refuge de nationalistes bretons et est sujet à la plus grande défiance. Cela s’est
révélé lors d’une conférence sur mes travaux donnée le 9 novembre à la salle municipale Per Poher. Seule
la salle Per Poher était assez grande pour accueillir un public largement surestimé, mais cette dernière est
associée dans l’esprit de beaucoup de vieilles personnes, d’après l’emploi jeune de la mairie, au « honni »
Presbytal Koz « -Beaucoup n’iront pas si tu fais ça à la salle Per Poher ». Les absents ont toujours tort, et
les peurs collectives ne vous aident jamais dans votre travail; je remercie vivement l’aide offerte par Kan
an douar, qui m’a prêté gracieusement à plusieurs reprises une salle pour des interventions orales autour
de saint Telo. A trop s’impliquer, on atteint vite les limites de la neutralité sociale recherchée, mais cela
fait partie de l‘expression du terrain envers les sollicitations du chercheur en constante communication
avec lui.

LE SYMBOLI QUE

La perception symbolique est propre à chacun et il est difficile de se détacher de ses projections
personnelles pour trouver la hauteur suffisante à l’analyse de l’objet communautaire observé. Mes
débuts dans la recherche ont amené une vivacité dans les analyses à l’opposé de l’expérience de mes
professeurs propre à rasséréner l’enthousiasme de la jeunesse étudiante. Le symbolisme est bien un des
terrains les plus riches et des plus inexploités scientifiquement de nos communautés humaines; mais
l’ampleur de la recherche est à la hauteur de la difficulté de ne pas s’y égarer.

Ces deux années de recherche m’ont beaucoup apporté à tous les niveaux, sauf sur le plan financier,
apanage de la vie étudiante. L’ethnologue entretient une relation d’affection avec son terrain, et je reste
encore étonné par l’attente enthousiaste de la population envers les résultats de ma recherche.

« On aime bien les ethnologues » me répond un membre de Kan an douar suite à ma présentation; cette
réponse résume assez bien l’attente des minorités pour la reconnaissance de leurs patrimoines et de

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
leurs valeurs face aux bouleversements de ces dernières décennies. Suite à la lecture de mon mémoire
M. Armand Puillandre m'a annoncé fièrement « -Maintenant elle ne mourra plus ». C’est par ces
reconnaissances que j’aimerais conclure mon mémoire, qu’il soit dédié avant tout à la communauté qui
a accueilli cette recherche et a permis sa réalisation, puisse-t-il offrir à cette société un reflet fidèle de sa
mémoire circumambulatoire ancestrale.

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« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

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PEYRON (?), chanoine, « Saint Théleau », La Semaine Religieuse du diocèse de Quimper et de Léon, n° 27, 30,
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PEYRON, chanoine, « Pèlerinages, troménies et processions votives au diocèse de Quimper » in


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PROVOST Georges, La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, série
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T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 178


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
ROLLAND Eugène, Flore populaire ou histoire naturelle des plantes, dans leurs rapports avec la linguistique et le
folklore, T X, Paris, Maisonneuve et Larose, 1967, p 182-200.

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SÉBILLOT Paul, cité par A. Lautrou, Mythologie et folklore de Bretagne, Rennes, Terre de Brume, 1995, p
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Journal of Welsh Religious History, en cours de publication.

TANGUY Alain, « transcription du carnet II (1891-1892) », Anatole Le Braz (1859-1954) et la tradition


populaire en Bretagne. Analyse de quatre carnets d'enquêtes indédits (1890-1895), Brest, UBO, Thèse de doctorat
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TANGUY Bernard, Dictionnaire des noms de communes, trêves et paroisses du Finistère, Douarnenez, éd. Chasse
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Troménie de Landeleau, Landévennec, Bibliothèque bretonne, 1903.

VALLERIE Erwan, « Origine des grandes paroisses en Lan- », Britannia Monastica 3, 1994, Landévennec, p
72-83.

ARCHIVES PA RO I S S I A L E S

SUIGNARD, abbé, Coutumier de Landeleau, 1853, manuscrit.

Recteur, A travers les chemins de la troménie (bulletin paroissial de Landeleau), 1959-1997.

Recteur, Cahier des prônes paroissiales, 1864-1980.

Anonyme, Cahier des porteurs de bannières, 1886 -1913, 1914-1940, 1941-1944.

Anonyme, Cahier des comptes de la fabrique de Landeleau, 1915-1980.

ARCHIVES JOURNALISTIQUES

Anonyme, « Landeleau », annonces non officielles, La Semaine Religieuse du Diocèse de Quimper et du Léon,
1894, p.341.

Anonyme, « Landeleau », annonces non officielles, La Semaine Religieuse du Diocèse de Quimper et du Léon,
1896, p.325.

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 179


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Une ancienne élève de l'école libre, « Landeleau - Grand Pardon de Saint-Théleau », Le Courrier du
Finistère, 5 juin 1926, N°2416, p2; (il serait possible que ce soit la sœur de M. A. Puillandre suite à la
découverte d’archives dactylographiées).

Anonyme, « Landeleau », Courrier du Finistère, samedi 4 juin 1904.

Anonyme, « Sera-ce la dernière Troménie ? », Landeleau, Le Courrier du Finistère, n° 3114, 10 juin 1939, p
2-3.

Anonyme, « Landeleau », La Semaine Religieuse du Diocèse de Quimper et de Léon, 1939, p 360-361.

CARDALIAGUET René, « La Troménie de Saint Théleau – Pentecôte, 24 mai », Courrier du Finistère n°


3267, samedi 16 mai 1942.

Anonyme, « Landeleau », Courrier du Finistère n°3268, samedi 24 mai 1942.

Anonyme, « Landeleau – La Troménie de saint-Théleau 24 mai 1942 », Courrier du Finistère n°3270,


samedi 6 juin 1942, p3.

Anonyme, « Landeleau », Courrier du Finistère n°3270, samedi 8 mai 1943.

ARCHIVES COMMUNALES

Anonyme, « session de novembre 1939 », Registre des procès verbaux des Réunions du Conseil Municipal de
1924 à 1945, Landeleau.

Atlas Cadastral de la commune de Landeleau, Exécuté en 1838, par MM. Ollivry contrôleur, Déniel et
Grillot géomètres.

ARCHIVES D É PA R T E M E N T A L E S D U FINISTÈRE
Landeleau, « Inventaire de 1701 à 1731 , Liasse 101 G7 ».

Landeleau, « Série 78 V dépôt ».

Table des matières


Remerciements................................................................................................................................1
Introduction....................................................................................................................................3
Présentation de la recherche.......................................................................................................................................................................... 3
Le chercheur et sa personnalité....................................................................................................................................................................3
Le temps..........................................................................................................................................................................................................3
Le social...........................................................................................................................................................................................................4
Le symbolique.................................................................................................................................................................................................4

1ère partie - Le temps et l’espace sacrés.....................................................................................6


Définir le sacré :...................................................................................................................................6
Calendrier..............................................................................................................................................7
A - Le temps........................................................................................................................................................8
La quête de saint Telo....................................................................................................................................................................................8

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 180


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
La quête du beurre ........................................................................................................................................................................................8

1 - Ouverture et fermeture de la semaine pentecostale.....................................................................10


a - Le dimanche de l’Ascension.....................................................................................................10
b - Le dimanche de la Trinité.........................................................................................................12
2 - La semaine de la ‘grande troménie’.................................................................................................14
a - Le dimanche de la Pentecôte....................................................................................................14
Définition......................................................................................................................................................................................................14
Liturgie .........................................................................................................................................................................................................14
Évolution ...................................................................................................................................................................................................... 15

b - Une semaine ‘d’ouverture’........................................................................................................ 16


La ‘petite troménie’......................................................................................................................................................................................16
Troménies individuelles ..............................................................................................................................................................................17

Youn ar Bail :......................................................................................................................................17


Huguette Coacolou, née Février :....................................................................................................18
La morte qui revient :........................................................................................................................18
B - L’espace........................................................................................................................................................ 20
1 - Le parcours.........................................................................................................................................20
a - Légende orale de saint Telo et mythe de fondation..............................................................20
Le récit de fondation ................................................................................................................................................................................... 21
Analyse........................................................................................................................................................................................................... 22

b - Description sémantique et physique du parcours.................................................................25


Description physique contemporaine du parcours .................................................................................................................................26
Description de la paroisse et de la troménie par les auteurs anciens ....................................................................................................29
Évolutions physiques du parcours ............................................................................................................................................................32

L’ancien cimetière et l’allée du parking :.........................................................................................32


La rue de « Saint Thélo » :................................................................................................................. 32
Les Trois-croix :.................................................................................................................................. 33
Les chapelles disparues :...................................................................................................................33
Le chemin de Goz lenn :................................................................................................................... 33
Le chemin sud-ouest de Châteaugall :............................................................................................. 34
Châteaugall :........................................................................................................................................ 34
La route de Kerbellec :..................................................................................................................... 34
La route de Montagne Vraz :............................................................................................................ 35
L’entrée du Pénity-Saint-Laurent :...................................................................................................35
La bretelle routière dePontigou :.....................................................................................................36
Lieux et monuments associés à Telo ......................................................................................................................................................... 36

Ti sant Telo :.......................................................................................................................................36


Gwele sant Telo :................................................................................................................................ 38

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 181


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Les champs de saint Telo :................................................................................................................40
Les fontaines de saint Telo :.............................................................................................................41
2 - Les 4 stations...................................................................................................................................... 42
a - Notre Dame du Lannac’h ........................................................................................................ 42
Toponymie..........................................................................................................................................42
Historique............................................................................................................................................ 43
b – L’Arbre de saint Telo................................................................................................................ 44
c - Le Pénity St Laurent..................................................................................................................49
d – La chapelle Saint-Roch à Moulin neuf...................................................................................51
3 - L’hypothèse d’un minihi...................................................................................................................53
a - Les minihis bretons.................................................................................................................... 53
Description.................................................................................................................................................................................................... 54

Etymologie :........................................................................................................................................ 54
Origines :.............................................................................................................................................54
Troménies et minihis.................................................................................................................................................................................... 56

Date :...................................................................................................................................................56
Déroulement :..................................................................................................................................... 57
b - Le cas de Landeleau..................................................................................................................57
éléments de toponymie................................................................................................................................................................................58

Landeleau :..........................................................................................................................................59
Pénity :................................................................................................................................................. 60
Mouster :.............................................................................................................................................60
Ker :.....................................................................................................................................................61
La Montagne :..................................................................................................................................... 63
Une fondation religieuse brittonique.........................................................................................................................................................63

La maison de Telo en Cymru (Cambrie) :......................................................................................63


La présence de saint Telo en Armorique :......................................................................................66
2e partie - Éléments d’ethnographie.........................................................................................70
A - Les enseignes de la troménie....................................................................................................................70
1 - Des origines à nos jours ................................................................................................................... 70
a - Des origines modestes .............................................................................................................70
Après la révolution agricole :......................................................................................................................................................................71
Les bouleversements de l’après-guerre :....................................................................................................................................................74

b - Le remplacement des vieilles enseignes ................................................................................75


c - Evolution du dépôt des enseignes ..........................................................................................76
2 - Les statues ........................................................................................................................................78
a – Statue de saint Joseph ............................................................................................................ 79

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 182


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
b – Statue de la sainte Vierge ....................................................................................................... 79
c – Statue de sainte Anne ..............................................................................................................80
d – Notre-Dame du Sacré-Cœur ..................................................................................................81
e – Statue Notre-Dame de Lourdes .............................................................................................81
3 - Les bannières ..................................................................................................................................... 83
a – Bannière de saint Telo .............................................................................................................83
b – Grande bannière de la Vierge ................................................................................................85
c – Bannière du Sacré-Cœur .........................................................................................................86
d – Bannière de l’enfant Jésus ....................................................................................................... 87
e – Petite bannière de la Vierge ....................................................................................................87
f – Les Guidons .............................................................................................................................87
4 - Les croix.............................................................................................................................................. 88
a - La croix d’or................................................................................................................................ 89
b- La croix des mariés.....................................................................................................................89
5 - Les enseignes juvéniles...................................................................................................................... 90
a – Les lanternes..............................................................................................................................90
b – Diverses enseignes des enfants...............................................................................................90
B - Le reliquaire et les reliques........................................................................................................................92
1 - De l’origine des reliques à nos jours...............................................................................................92
a – Les trois corps de saint Telo...................................................................................................92
Le récit de la mort .......................................................................................................................................................................................92
Les trois églises sanctuaires.........................................................................................................................................................................93

Penalun :.............................................................................................................................................. 93
Llandeilo Fawr :.................................................................................................................................. 93
Llan Dâv :............................................................................................................................................ 93
La triplication du corps................................................................................................................................................................................ 94

b - Les reliques contemporaines....................................................................................................95


Les reliques Galloises...................................................................................................................................................................................95
Les reliques Armoricaines...........................................................................................................................................................................96

Landeleau (29) :..................................................................................................................................96


Saint-Théleau en Plogonnec (29) :................................................................................................... 98
Landaul (56) :...................................................................................................................................... 98
2 - Des reliques bien protégées.............................................................................................................. 98
a - La châsse reliquaire de saint Telo............................................................................................. 98
b - Des gardiens armés de baguettes..........................................................................................101
Au service du maintien de l’ordre............................................................................................................................................................101
Les baguettes............................................................................................................................................................................................... 103

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 183


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Le noisetier (ou coudrier) :.............................................................................................................103
Contes :.............................................................................................................................................. 104
Légendes :.........................................................................................................................................104
Les gardiens :....................................................................................................................................105
Les baguettes protectrices des cultures de lin :............................................................................106
La danse des baguettes :..................................................................................................................106
3 - Du social et du sacré des reliques..................................................................................................109
a - Fonctionnement social des reliques....................................................................................... 109
De la noblesse à la notabilité..................................................................................................................................................................... 109
Les enchères................................................................................................................................................................................................111
L’arrêt des enchères...................................................................................................................................................................................112
Le lundi de Pentecôte................................................................................................................................................................................114

b - Une hiérophanie extraordinaire.............................................................................................115


Une sortie annuelle ...................................................................................................................................................................................115
Un symbole répété cycliquement ............................................................................................................................................................116
Circumambulation propitiatoire...............................................................................................................................................................117

C - La ‘grande troménie’ du 3 juin 2001......................................................................................................119


1 - De l’église au dépôt des enseignes................................................................................................119
Les enseignes....................................................................................................................................121
2 - Le chemin de pénitence..................................................................................................................123
Notre Dame du Lannac’h ........................................................................................................................................................................124

Buvette clandestine..........................................................................................................................127
Le chêne......................................................................................................................................................................................................128

L’autel................................................................................................................................................129
Le sculpteur M. Dupont-Danican.................................................................................................130
3 - Au Pénity-Saint-Laurent.................................................................................................................131
4 - La route du retour...........................................................................................................................135
Saint-Roch...................................................................................................................................................................................................137
Avertissement.............................................................................................................................................................................................144

3e partie – La communauté......................................................................................................145
A – Le temps profane..................................................................................................................................... 145
1 – Le Dic'harz......................................................................................................................................145
a - Un travail arrosé....................................................................................................................... 145
b - Une fin de travail encore plus arrosée..................................................................................148
2 – Le week-end de la Pentecôte......................................................................................................... 149
a - Le samedi soir........................................................................................................................... 149
b – L’animation communale autour de la troménie.................................................................150
Le tournoi de foot......................................................................................................................................................................................150

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 184


« La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët
Les autres animations ...............................................................................................................................................................................151

B – La dimension symbolique....................................................................................................................... 154


1 – Une procession pour aider les morts de l'année.........................................................................154
a – saint Telo et le cerf.................................................................................................................. 154
§En Cambrie :.............................................................................................................................................................................................154
En Armorique............................................................................................................................................................................................156

Moyen Age........................................................................................................................................ 157


XIXe-XXe siècle..............................................................................................................................158
Les saints associés au cerf :.......................................................................................................................................................................159

b - Un cerf psychopompe omniprésent .................................................................................... 161


Rapports historiques du cerf avec la société occidentale......................................................................................................................161

a - L’arbre ou le chêne de saint Telo...........................................................................................166


b - Le symbolisme ........................................................................................................................167
c - La filiation religieuse................................................................................................................ 168
3 – Une tradition ancienne................................................................................................................... 170
a - Des saints « de feu » au Pénity...............................................................................................170
Saint Laurent et sainte Barbe....................................................................................................................................................................172
La petite boucle ou la circumambulation de Châteaugall.....................................................................................................................173

b – Un rituel ancien réactualisé...................................................................................................175


Des fonds celtes et romains......................................................................................................................................................................175

le mythe de fondation...................................................................................................................... 175


L’immigration bretonne..................................................................................................................176
Le cerf et le chêne...........................................................................................................................176
Le lien de la communauté.........................................................................................................................................................................179

Le festif.............................................................................................................................................. 180
Le sacré.............................................................................................................................................. 181
Conclusion...................................................................................................................................182
La recherche................................................................................................................................................................................................182
Le temps......................................................................................................................................................................................................182
Le social.......................................................................................................................................................................................................183
Le symbolique............................................................................................................................................................................................. 183

Bibliographie...............................................................................................................................185
Ouvrages généraux..................................................................................................................................................................................... 185
Archives paroissiales..................................................................................................................................................................................188
Archives journalistiques............................................................................................................................................................................. 188
Archives communales................................................................................................................................................................................189
Archives départementales du Finistère....................................................................................................................................................189

T.E.R. De maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 185


La troménie de Landeleau
- appendices -
par Joël Hascoët
TER de maîtrise d’ethnologie

sous la direction de
M. Jean François Simon

Faculté des lettres Victor Ségalen

Université de Bretagne Occidentale

2001 - 2002

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Table des matières


La troménie de Landeleau - appendices audio-visuelles du cédérom......................................................... 4
« La Troménie : une partie de notre patrimoine » - Armand Puillandre................................................... 6
La commune de Landeleau au Mésolithique - Estelle Yven........................................................................ 7
« Sera-ce la dernière Troménie ? » 10 juin 1939 – Le Courrier du Finistère........................................... 10
« La Troménie de Saint-Théleau », 24 mai 1942 – Le Courrier du Finistère.......................................... 13
Bulletin de la troménie, avril-mai 1963 – L'arrêt des enchères.................................................................. 16
Mouzaden sant THELO - Herbod............................................................................................................... 19
Paotr rouz bihan ar harz - Armand Puillandre............................................................................................ 21
Poésie - Mois de mai en arvor - Anna du poher......................................................................................... 22
Poésie - La troménie de Landeleau - Michel Barazer................................................................................. 24
CYWYDD TEILO SANT – Une méditation sur saint Telo ................................................................... 25
CYWYDD TEILO SANT - Notes by Mr Tim ap Hywel......................................................................... 28
Myrddin - Résumé de la conférence de Mr Tim ap Hywel ..................................................................... 30
Cantic Sant Télo – Clec'h Coz....................................................................................................................... 32
Cantic Sant Thelo – 1889............................................................................................................................... 32
Cantic Sant Thelo – A. Le Braz..................................................................................................................... 35
Kantik Sant Telo – 1944................................................................................................................................. 38
Le cantique de saint Telo - Analyse.............................................................................................................. 40
1 –L'abbé J.F. Le Goff.............................................................................................................................. 41
2 - Les versions antérieures ...................................................................................................................... 44
3 - Clec’h Coz............................................................................................................................................. 47
Vie de Saint Teiliau Archevêque de l’église de Llan Dâv............................................................................... 50

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 3


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

L a t r o m é n i e d e L a n d e l e a u - a p p e n d i c e s a u d io - vi s u e l l e s
du cédérom

• Enregistrements MP3
• Chants et légendes de Landeleau
• Légendes de Landeleau
• Le lutin de la fontaine de Kerbuluet
• Le lutin de Kerbulutet par Jean Com
• Le lutin de kerbuluet Jean Com et Maurice Poher

• Légendes Mme Peron


• 1 Les lutins par Mme Peron
• 2 Hen ar vardel le corbeau noir
• 3 Le taureau noir
• 4 La vrac'h du puit
• 5 Bec coz celui qui prédisait les morts
• 6 Le voleur de beurre
• 7 Aller sur deux moutons

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 4


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

• Légendes M. Armand Puillandre


• 9 Paotr rouz bihan an harz
• 10 Le crieur de nuit

• Armand Puillandre et Jo Jézequel Kan ha diskan


• Enregistrements de la Pentecôte 2002
• Troménie du 19 mai 2002 (58 fichiers MP3)
• Petite troménie du 23 mai 2002 (2 fichiers MP3)
• Pardon de Lanzignac du 26 mai 2002 (2 fichiers MP3)
• Entretiens de Landeleausiens autour de la troménie
• Claire Arlaux, 19-10-00, Landeleau
• Pierre Le Gall, 25-10-00, bourg de Landeleau
• Corentin Rivoal, 28-7-01, Poul ru Landeleau
• Jean Com et Maurice Poher, 17-11-00, Landeleau
• Jean Madec, 19-5-01, Pénity St Laurent Landeleau
• M. et Mme Barazer, 23-11-00, Pontriffin Spézet
• Marie-Anne Corbel, 28-7-01, église de Landeleau
• Mme Peron, châteauneuf du Faou
• Mmes Marie Lejeune 89 ans et Jeanne Le Braz 88 ans, 27-7-01, Maison de retraite Plonévez du Faou
• Philomène Chaussy, 92 ans, 7-12-00, Landeleau
• Pierre Louis Balpe, 81 ans, 10-7-01, Châteauneuf du Faou

• Archives sonores d'Europe 1


• La troménie par René Roussel et Pierre Bonte

• Winamp - lecteur de fichiers MP3


(à installer sur le disque dur pour écouter les fichiers sonnores au format MP3)

Images au format « .jpg »


• Anciennes troménies 1953 1955 1956
• Troménie 1953 – Anonyme (6 photos)
• Troménie 1955 – Anonyme (33 photos)
• Troménie 1956 – Anonyme (33 photos)
• Photos diverses – Anonyme (6 photos)

• Divers articles de journaux


• Divers documents du presbytère
• Cantiques 1889 et 1944
• Copies des listes des acheteurs des reliques
• Copies des listes des quêteurs de St Thélo
• Copies des listes pardonneurs
• Copies des listes Quêteuses de beurre
• Copies des recettes du Pardon
• Photos armoire à rubans
• Coutumier de Landeleau
• Textes du presbytère troménie 2001

• Images du Teilo Gospel (issues du Cambria magazine volume 3 n°5)


• LANDELEAU vue du ciel (32 photos)
• Troménie 3 juin 2001 – Photos Joël Hascoët (140 photos)
• Troménie 19 mai 2002 - Photos Christophe Filliette (52 photos)

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 5


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

« L a T r om é n i e : u n e p a r t i e d e n o t r e p a t r i m o i n e » - A r m a n d
P ui l l a n d r e

Armand Puillandre, « LA TROMÉNIE : une partie de notre PATRIMOINE », A travers les chemins de la
Troménie, Presbytère de Landeleau, mars – avril 1992.

Malgré son riche passé, et mis à part un vieux Manoir presbytéral en plein bourg, Landeleau ne possède
ni enclos paroissial, ni chapelle ni château digne d’intérêt, et son territoire ne comporte non plus aucune
« curiosité naturelle » capable d’attirer les foules.

De ce fait, et au contraire de ses voisines Cléden Poher, Spézet, etc., la commune ne figure sur aucun
guide touristique important, et elle voit défiler sur la « Nationale » touristes et promeneurs du « week-
end » qui passent mais ne s’arrêtent pas.

Et pourtant, pour se faire connaître, Landeleau possède un atout extraordinaire : la Troménie.

Sortie du fond des âges, le « Tro ar relegou », est la plus importante et la plus authentique des très rares
troménies bretonnes. Elle est la plus importante pour la longueur de son circuit et par sa fréquence qui
est annuelle. Elle est la plus authentique, car elle ne s’est pas figée dans le folklore, comme à Locronan
par exemple. Elle est restée le reflet d’une culture populaire, qui évolue avec son époque.

Cette Troménie, nous nous devons de la sortir de l’oubli, car en plus de la ferveur religieuse qui anime
les participants du « Tro ar Relegou », c’est également un acte de foi dans l’avenir de notre commune !
Quand on voit l’abondante littérature suscitée par la Troménie de Locronan, je pense qu’il existe là un
moyen de faire sortir Landeleau de son anonymat.

Armand Puillandre.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

L a c o m m u n e d e L a n d e l e a u a u M é s o li t h i q u e - E s t e l l e Y ve n

La commune de Landeleau a été prospectée lors d'un séminaire de terrain organisé par Pierre
Gouletquer1 en 1993 et par Patricia Louédec qui a complété certaines collections. Deux sites ont été
repérés sur cette commune, le site dit de Pénity-Saint-Laurent et le site dit le Stang. Tu trouveras ci-joint
les cadastres et extraits de la carte I.G.N. qui te permettront de les localiser précisément.

Sur ces deux sites des trapèzes ont été repérés. Ils remontent donc, tout au moins en partie, à la
dernière phase du Mésolithique appelée le Mésolithique récent. Les trapèzes sont en effet des armatures
caractéristiques du Mésolithique récent sur l'ensemble de l'Europe.

Diverses études tracéologiques2 ont été menées sur ces outils. Elles révèlent que ces objets étaient des
armatures de flèche, disposées le long d'un fût en bois. Certaines fouilles réalisées dans des zones
humides ont permis de découvrir ces flèches entières. Ces flèches étaient bien entendu associées à des
arcs.
Ces découvertes attestent donc d'une occupation de la commune de Landeleau au Mésolithique récent.
Elles ne permettent en rien de disserter sur la densité de la population à l'époque. Il faudrait pour cela
avoir découvert tous les sites remontant à cette période, en somme, prendre une pelleteuse et enlever
toute la terre pour atteindre les niveaux mésolithiques, ce, sur toute la commune de Landeleau :
impossible. A ce jour on ne connaît aucun indice du Néolithique sur cette commune mais je te parle là
d'un état de la recherche.

Étude sommaire des collections d'après les analyses et dessins de Pierre Gouletquer (tu
n'oublieras pas de le citer si tu utilises ses données (d'autant que ces données sont inédites alors si tu
recopies les dessins, tu mettras à chaque fois : dessins de Pierre Gouletquer, j'insiste lourdement mais
on assiste trop souvent à des pillages dans notre métier) et de me citer si tu utilises ces commentaires.

LE SITE DE PÉNITY-SAINT-LAURENT
La proportion d'outils est relativement forte sur ce site. Il ne devait certainement pas correspondre à un
site de débitage où l'on se serait contenter de pratiquer les premières phases de la chaîne opératoire de
débitage.
5 types de matériaux ont été retrouvés sur ce site : de la calcédoine (calc), du microquartzite (fl), du grès
armoricain (grès) du grès lustré (gl) et du phtanite (ph).
Ces matériaux étaient utilisés pour pallier l'absence de silex en position primaire dans le massif
armoricain. On ne retrouve pas de silex dans le massif armoricain. On le trouve uniquement le long des
côtes sous la forme de galets qui résulteraient de la destruction d'affleurements crétacés actuellement
submergés. Les hommes des époques préhistoriques ont donc utilisé divers matériaux présentant des
1 Séminaire de terrain : le Mésolithique en Basse Bretagne.
2 Au cours des études tracéologiques, les tracéologues étudient les traces et les cassures que laissent les diverses
utilisations d'un objet. Certains lustrés laissés par la sève des plantes permettent de savoir que tel objet a été utilisé
comme faucille, des cassures sont caractéristiques de certains types d'utilisation.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

aptitudes à la taille. Au cours de prospections géologiques il est possible de repérer les gisements dont
sont issus ces matériaux et ainsi de raisonner sur la distribution et la circulation des roches, des hommes
qui les transportaient.

Je ne te ferai ici qu'un bref développement parce que tout cela c'est un des chapitres de ma thèse donc
ça pourrait être long.

La calcédoine : un important gisement de calcédoine exploité de l'Épipaléolithique au Mésolithique


récent a été découvert par l'équipe de Pierre Gouletquer dans la région de Morlaix. Il peut en exister
d'autres mais la présence de calcédoine à Landeleau témoigne certainement de contacts entre la région
de Morlaix et ta région (cf : article Gouletquer).

Le microquartzite : le microquartzite est une roche associée à la calcédoine. Il peut donc provenir de la
région de Morlaix mais également de La Forêt-Landerneau où l'on connaît un important affleurement
de cette roche.

Le grès armoricain : est présent sur l'ensemble du massif armoricain. Impossible donc de savoir d'où
proviennent les échantillons retrouvés à Pénity.

Le grès lustré : est issus de placages tertiaires. On peut en retrouver dans beaucoup de types de
contextes, difficile donc de savoir d'où proviennent ceux de Landeleau.

Le phtanite : c'est la roche que j'étudie actuellement. Le phtanite est issu d'une formation géologique
appelée le Briovérien à phtanites. On la retrouve dans la région de Callac. A ce jour je ne connais qu'un
seul gisement exploité au Mésolithique moyen et récent: le gisement de Kerhuellan (Plusquellec) (cf
article Yven). Une relation certaine est à établir entre Pénity et la région de Callac.
Je reste à ta disposition si tu as besoin d'autres informations.

Bibliographie :
Gouletquer, P., Kayser, O., …-1996- Où sont passés les mésolithiques côtiers bretons?
Revue archéologique de l'Ouest, n°13. pp. 5-30.
Yven, E., à paraître - The deposits of raw material and the quarry-sites at the Mesolithic in the Trégor
in Brittany (France). 6th International Conference on the Mesolithic in Europe. Oxbow Monographs.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

« S e r a - c e l a d e r n i è r e T r o m é n i e ? » 1 0 ju i n 1 9 3 9 – L e C o u r r i e r
du Finistère

Courrier du Finistère, n° 8 114, samedi 10 juin 1939, « Sera-ce la dernière Troménie ? »

Chaque année, par monts et par vaux, sur la rive droite du canal de Nantes à Brest, de l’église de
Landeleau au confluent de l’Ellez et de l’Aulne, a lieu une Troménie qui, pour être moins célèbre et
moins fréquentée que celles de Plouzané, Gouesnou et surtout Locronan, n’en est pas moins longue ni
moins pittoresque; pas de touriste, ici; seulement les fidèles de Landeleau et des paroisses voisines.
L’affluence un peu plus grande cette année était due à l’annonce du « pardonneur « , un Vicaire général
M. Louvière Supérieur du Grand Séminaire, que plusieurs se rappelaient avoir déjà accompagné alors
qu’il était Secrétaire de l'Évêché, à la Troménie de 1911, il y a 28 ans.

Le matin de la Pentecôte, à 8 heures, au son de l’harmonieux et puissant carillon des quatre cloches et
au chant des Litanies, à travers la foule qui remplissait l’église s’avança le modeste reliquaire reposant
sur deux cerfs (en souvenir de celui qui servit de monture à St Théleau) et solidement fixé sur un
brancard que porteront sur out le parcours les mêmes deux paroissiens; à leurs côtés deux amis, armés
chacun d’une baguette de coudrier dépouillé de son écorce, ont mission d’empêcher toute bousculade
et de réprimer la ferveur indiscrète de certains pèlerins.

A la sortie du cimetière, où sont déjà rangés en bon ordre, les croix (dont une magnifique en vermeil),
les statues, bannières et oriflammes qui rentreront à l’église après avoir conduit la procession jusqu’à
l’emplacement de Notre Dame de Bon-Secour (au Lannac’h, où on les gardait naguère), onze clairons,
accompagnés de deux tambours donnent le signal du départ : leurs accents entraînant faciliteront
l’ascension des plus rudes côtes et signaleront les croisements de routes ainsi que les agglomérations,
près desquelles se groupent les fidèles empêchés de suivre la Troménie mais désireux de donner à leur
saint patron un témoignage de dévotion en passant sous ses reliques que les porteurs soulèvent
aimablement à cette intention.

Après une heure un quart de marche, le plus souvent à travers champs et par chemins creux, où malgré
la sécheresse persistante se rencontrent des bourbiers presque impossibles à éviter (on y enfonce
jusqu’à la cheville), ayant enjambé un ruisseau quatre ou cinq fois sans que se ralentisse le chant des
cantiques (celui du saint avec ses 32 couplets et son refrain retentira deux fois au retour comme à
l’aller), on arrive au chêne dit de saint Théleau, vigoureux et magnifique descendant de celui sur lequel
le saint dut monter pour échapper à la fureur des chiens du seigneur de Castell-Gall. D’un talus face à

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

l’arbre que contournent ou déchiquettent nombre de dévots, le « pardonneur « fait une exhortation,
très courte à cause de la brise et de l’ombre qui ne seraient pas sans danger pour certains pèlerins « en
nage « ; puis l’on repart vers la « Montagne Vraz « pour ensuite descendre au Pénity Saint Laurent où
se dresse la chapelle, but de la procession. Il est 10H ¼ ! Un quart d’heure de répit, et la grand’messe
commence, chantée par M. Louvière avec sermon de circonstance par M. François Kervella, vicaire.

L’office terminé, on pique-nique un peu partout, sur la garenne et dans les champs voisins en
contemplant un splendide et reposant panorama ; de gauche à droite, les prairies et les coteaux de
Plouyé et de Kergloff coupés par l’Ellez et l’Aulne, et, par delà le canal, Cléden-Poher, Spézet et un
coin de St Hernin.
Mais quand en se retournant on regarde la chapelle le cœur se serre à la vue du clocher qui penche
dangereusement à l’ouest, de la large brèche creusée par son descellement et de l’affaissement de la
toiture crevée en plusieurs endroits ! N’y a-t-il pas à craindre que tout cela s’écroule à la prochaine
tempête? ... Une réfection complète s’impose au plus tôt, sans quoi il en sera de cette chapelle comme
des deux autres qui, avant la guerre, servaient de station à la Troménie : de Bonne-Nouvelle il ne reste
plus que l’emplacement et le souvenir ; de celle de Saint-Roch, seuls les murs subsistent. Et alors qu’en
sera-t-il de la Troménie, cette dévotion millénaire à laquelle Landeleau doit ce qu’il a de meilleur ? Que
penser de la solennelle promesse si souvent renouvelée :

Dirac ho relegou
Ni ha bromet sant Thelo
Kerset var ho roudou
ha betec hor maro.

Il n’y aura pas de place dans l’église paroissiale pour les vieilles statues si curieusement assemblées là :
deux de la Sainte Vierge, deux de saint Roch, deux de Sainte Barbe (dont une petite, posée au pied de
l’autre, intrigue fort les visiteurs), une de saint Laurent, titulaire de la chapelle, saint François d’Assise et
saint Fiacre, toutes ornées de rubans aux nuances antiques qui les enserrent étroitement.

A 1h1/2 se reforme la procession qui, après avoir fait le tour de la chapelle et dévalé la garenne, reprit le
chemin du bourg en gravissant l’autre versant de « Montagn-Vraz », du côté du canal : les clairons
aident à gravir la rude côte, et le ravissant horizon qui se découvre là-haut jusqu’à la Montagne Noire
fait vite oublier toute fatigue ; mais l’on s’engage bientôt en de mauvais chemins, secs, heureusement,
dans lesquels on bute souvent tout préoccupé que l’on est des louanges du grand saint Théleau qui si
souvent accomplit ce même trajet. Une rapide descente conduit à un ruisseau qui l’hiver doit se
transformer en torrent et au-dessus duquel se dressent les murs béants de l’ancienne chapelle Saint-

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Roch.

Des fils de fer semblent en interdire l’accès, mais la prescription jouerait sans la moindre protestation
du propriétaire si l’on écoutait les quelques jeunes gens désireux de monter jusque là. A quoi bon
cependant détruire l’herbe d’un champ pour entrer dans un édifice en ruines et sans toiture ? On se
contente donc de réciter, en bas, les prières traditionnelles et la procession reprend sa marche pour
remonter jusqu’à Ménez Lannac’h où attendent les croix, statues et bannières venues au devant des
pèlerins.

Au chant du cantique de saint Théleau qui domine les accents des clairons et la joyeuse sonnerie des
cloches, tant est grand l’enthousiasme, on arrive à l’église paroissiale où commencent aussitôt les vêpres
solennelles suivies de la Bénédiction du Saint-Sacrement et du baisement des reliques qui dure vingt
bonnes minutes. La Troménie est finie ; il est 4h1/2 !

Le pardon de la paroisse eut lieu le lendemain : Grand’messe chantée par M. le Supérieur du Grand
Séminaire, très beau sermon par M. Bourlès, recteur de Spézet (pourquoi trop peu d’auditeurs,
d’hommes surtout ?) ; l’après-midi, vêpres, procession, salut et baisement des reliques.

Pour le bien et l’honneur de Landeleau, nous espérons qu’une prompte entente et une parfaite
collaboration de la municipalité et du clergé aura bientôt décidé et réalisé les réparations nécessaires, si
urgentes, qui conserveront leur chapelle et assureront la perpétuité de leur belle Troménie.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

« L a T r o m é n i e d e S a i n t - T h é l e a u » , 2 4 m a i 1 9 4 2 – L e Co u r r i e r
du Finistère

Courrier du Finistère, n° 3270, samedi 6 juin 1942, « La Troménie de Saint-Théleau, 24 mai 1942 ».

Rarement cette Troménie s’est faite dans des conditions aussi défavorables : de fortes pluies de nuit et
de jour avaient, depuis une semaine, inondé les champs et détrempé la boue des chemins creux qui
composent la plus grande moitié du parcours de cette procession de 17 kilomètres. Aussi enfonça-t-on
jusqu’à la cheville dans les larges mares, impossibles à éviter aux carrefours, et pour ne pas patauger
dans l’eau stagnante qui remplissait nombre d’ornières il fallut souvent marcher en équilibre sur l’étroit
sommet encore assez résistant des rebords. En plusieurs endroits on avait aligné des fagots de ronces
ou mis quelques planches, des portes mêmes et couché des barrières, mais avant que les 800 pèlerins
eussent passé, le tout disparaissait dans la boue! ...

C’a été l’épreuve providentielle qui a rendu plus méritoire, au lendemain de la reconstruction de la
chapelle de la Station au Pénity Saint-Laurent, cette Troménie de résurrection qui, autrement eut été
triomphale et suivie par moitié plus de pèlerins.

Outre la mention de ce paroissien de Landeleau qui en est à sa 22e troménie, un acte de pieux courage
mérite d’être relevé : celui de deux pèlerins à pied (ils devaient s’en retourner de même) venant de
Motreff après avoir communié au sanctuaire de Cléden-Poher.

A 9h la sortie de la procession est annoncée par l’harmonieux et puissant carillon des quatre cloches
sonnant à la volée. Une ondée de mauvaise augure a heureusement pris fin et, au chant du long cantique
de saint Théleau (32 couplets) - qui retentira inlassablement sur tout le parcours entre deux chapelets -
croix, bannières et statues entremêlées avancent lentement vers le haut du bourg, saluées par les
paroissiens : ils attendront chez eux la cérémonie du retour, mais ils passent nombreux sous le modeste
et curieux reliquaire soulevé sur un brancard par les deux porteurs, heureux de leur faciliter ainsi cet
acte d’humble et confiante dévotion à leur saint patron.

A deux kilomètres de l’église paroissiale, non loin de l’emplacement de l’ancienne chapelle de Lannac’h,
dont le champ et les pierres furent vendus à très bas prix par l’ancienne municipalité, la première partie
de la procession rebroussa chemin vers l’église paroissiale. Seuls, ayant à leur tête M. le Vicaire Général
Louvière, Supérieur du Grand Séminaire assisté de M. le recteur et du prédicateur, M. Rannou, directeur
de l’Ecole Professionnelle de Guissény, feront la troménie environ 800 pèlerins, précédés du reliquaire

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

et de la croix dont les porteurs ne faibliront à aucun moment du parcours, si mauvais que soit le
chemin, si profonde que soit la boue.

Bientôt sous une ondée assez forte (la seule à l’aller, nous en subirons une autre au retour) on quitte la
grand’route pour s’engager à droite dans les mauvaises voies charretières. Le premier contact avec les
mares fut désagréable, plusieurs hésitèrent ; mais, comme il fallait passer, tous se décidèrent, et jamais
plus ne reculèrent devant les flaques les plus gluantes. De temps à autre nous fut donné le soulagement
d’aller à travers champs, où dans l’herbe humide se décrassaient pour un moment les chaussures.

Vers 10h ½ nous arrivions à un chêne vigoureux, descendant de celui sur lequel saint Théleau pour
échapper à la fureur des chiens de Castell-Gall lâchés sur lui... Monté sur le talus d’en face, M. Rannou
lui emprunta le sujet de sa courte allocution exhortant à une foi profonde et inébranlable les
troménieurs.

Nous avons fait près de sept kilomètres; il en restait cinq à parcourir pour atteindre le Pénity Saint-
Laurent. La foule désormais grossie les franchit à la même allure, par les mêmes chemins creux aussi
boueux et les mêmes accidents de terrain. Midi était sur le point de sonner quand, dévalant sur la
grand’route, parvint à nos oreilles le son de la cloche de la chapelle : salut joyeux du clocher restauré
aux pèlerins.

Un quart d’heure de répit et la grand' messe fut chantée par M. le Vicaire général Louvière, la bonne
moitié des fidèles obligés d’y assister en plein air. Environ 600 personnes se pressent à l’intérieur de la
chapelle aux murs refaits recrépis, au toit sans lambris mais désormais solide et garni de brillantes
ardoises.

Toutes les statues sont en habit de fête, enveloppées de riches rubans aux couleurs anciennes et variées.
Aux recommandations d’usage, M. le Recteur joignit quelques mots pour exprimer sa joie et sa
reconnaissance de l’empressement généreux mis par ses paroissiens, des amis et pieux étrangers pour lui
permettre de reconstruire la chapelle.

Après la messe, le sermon donné au dehors, pour la commodité de tous. Du haut d’une butte fleurie de
genêts M. Rannou, s’inspirant des difficultés et des aspérités de la route parcourue en trois heures,
précisa les étapes et les épreuves de la voie du salut et de la sainteté à l’encontre du chemin large et
facile qui mène à perdition : « Qu’étroite est la porte et resserrée la voie qui conduit à la vie, et qu’il y
en a peu qui la trouvent ! « Soyez de ce nombre, insista-t-il ; entrez par la porte étroite, étant logiques

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

dans cette foi dont vous donnez un aujourd’hui un témoignage admirable.

Le temps heureusement, demeura beau et l’on peut pique-niquer à l’aise et à loisir, jusqu’à 3 heures,
quand la croix et la relique reprirent la tête de la procession, faisant une fois le tour de la chapelle,
descendant sur la route pour aussitôt gravir à pic la colline opposée. Les chanteurs eurent bien de la
peine et du mérite à continuer leur couplet dans cette montée ! Elle est facilitée en temps normal par les
sonneries du clairon et par les roulements du tambour, mais pars aujourd’hui. Un coup d’œil sur le
ravissant panorama qui ferme la vallée de l’Aulne à gauche, et sous notre seconde ondée il fallut être
attentif aux accidents de la route dans les chemins creusés d’ornières profondes et boueuses.

Une rapide descente, - le passage d’une véritable rivière sur un pont de roches dépolies jetées en travers,
et l’on s’arrêta devant le pan de mur qui subsiste de l’ancienne chapelle St Roch : une prière, quelques
mots bien sentis du prédicateur sur la nécessité de relever nos ruines pour que reprennent de plus belle
tant la vie nationale que la vie spirituelle, et en route pour la dernière étape derrière nos infatigables
porteurs de croix et de reliques.

Au Lannac’h nous attendait depuis déjà un bon moment (il est 5h ½) la procession du bourg, et le
contraste fut des plus marquants entre ces souliers cirés et reluisants, ces pantalons ou ces jupes
immaculés et les souliers tout recouverts d’une boue gluante, pantalons et robes des troménieurs crottés
jusqu’à mi-jambe.

Le cantique retentit de plus belle grâce à ce renfort de voix fraîches et au chant des quatre cloches, à
travers une foule considérable venue de toutes les paroisses voisines on arriva à l’église qui fut aussitôt
pleine à déborder. Entre les Vêpres et le Salut, M. le Recteur tint à redire sa joie et ses espérances, en
insistant sur les nouveaux progrès souhaitables et facilement réalisables avec un peu plus d’esprit de foi.

Ce rapport serait incomplet s’il ne mentionnait pas pour les féliciter et les encouragés ce petit groupe
d’enfants de cœur si bien stylé pour les cérémonies et les chants, et aussi la chorale de jeunes filles qui
nous donnèrent la joie d’un ensemble irréprochable : leur concours rend aussi attrayant que possible les
offices de la paroisse; il y contribuera, nous en sommes convaincus, à y amener en plus grand nombre
encore les paroissiens.

Un Troménieur.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Bulletin de la troménie, avril-mai 1963 – L'arrêt des enchères

Nous nous en approchons à grands pas. Ensemble nous nous efforcerons de la bien célébrer. Vous qui
avez promis à St Thelo de « refaire son chemin » c’est avec Foi que vous vous mettrez en route. Lui le
faisait en pensant à tous ceux qui vivaient ou devaient vivre sur cette terre de Landeleau et la région. A
vous aussi par conséquent, en priant Dieu pour eux tous. Vous, vous referez le cheminement pensant à
Lui, en lui demandant les grâces que vous espérez obtenir par Lui. Et lui, toujours fidèle à son peuple,
priera pour vous. Il priera pour vos morts, puisque, très souvent c’est pour vos morts que vous faites la
Troménie. Mais attention, ce n’est pas parce que vous aurez fait 18 km que vous pouvez penser
« quitte » avec vos morts. C’est un geste de Foi d’abord, de supplication pour que Dieu prenne en pitié
une âme qui vous est chère et qui peut être souffre encore. Priez donc Dieu pour vos morts, .... et pour
vous, pour que vous gardiez l’Espérance, avec la Foi et la Charité.

Saint Thelo priera pour vous qui aviez promis de faire la Troménie pour une guérison, un succès, une
chance? , oui, mais attention, ne vous croyez pas quitte pour cette Troménie, saint Thelo ne vous
exauce pas, c’est Dieu qui a exaucé St Thelo pour vous. Votre marche sera donc une prière A DIEU, en
même temps qu à saint Thelo, mais d’abord à Dieu !

Donc Foi en Dieu d’abord, et c’est cette foi en Dieu que saint Thelo exaucera. Vous qui êtes invités à
porter les Croix, Bannières et Statues; ne manquez pas de répondre à cette invitation. Nous avons
besoin de nous entraider tous pour garder toute sa splendeur à notre Troménie. Soyez donc là dès le
matin, puis l’après midi. Combien ce serait encore mieux que vous fassiez tous le tour ! Non, ce n’est
pas le moment, ni l’occasion de se faire confectionner un nouveau costume, votre costume propre et ...
de route pour faire la Troménie. Attention, c’est à Landeleau de maintenir sa Troménie, pas aux voisins,
alors ... pas le jour des grands repas non plus, le lendemain, ou le soir, oui ! Et surtout, maintenant que
vous avez vos voitures, tous à la messe à Pénity, n’y manquez pas, c’est votre grand Pardon !

Les Reliques de saint Thelo


Depuis quelques années, les « enchères » des Reliques ont vraiment « crevé le plafond ». Bien sûr nous
ne reprochons pas à ceux qui, à cette occasion, ont donné de si larges offrandes. Ils voulaient porter les
Reliques, ils ont suivi la tradition établie depuis si longtemps, ils ne pouvaient faire autrement.
Mais combien d’autres qui auraient désiré le même honneur; hélas, c était devenu au-dessus de leurs
moyens !
Et pourtant n’avaient-ils pas les mêmes droits ?
Dans l’Eglise, le pauvre doit être le préféré, le Concile vient de nous rappeler avec insistance cette

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 16


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

première exigence de l’Evangile.


Rendons donc ses droits au pauvre, tout en le gardant aux autres.
IL N’Y AURA PLUS D’ENCHERES POUR LES RELIQUES.
Comment allons nous faire ?
Voici une solution proposée, qui peut n être pas la définitive, à vous d’en proposer d’autres si vous
en voyez.

CEUX QUI DESIRENT PORTER LES RELIQUES vont bien simplement donner leurs noms. Ils
donneront leur offrande directement à M. Le Recteur, l’offrande qu’ils voudront, personne d’autres ne
la connaîtra.
Ceux qui pensaient à une offrande large, donneront généreusement suivant leur moyen; ceux qui n’ont
pas les mêmes moyens donneront ce qu’ils voudront. L’offrande ne doit pas être connue : que votre
main gauche ne connaisse pas ce que donne votre main droite a dit Jésus dans son Evangile.

QUI PORTERA LES RELIQUES ?


Ceux qui se seront inscrits s’arrangeront pour s’entraider dans le parcours. C’est pour ceci qu’on leur
demande de s’inscrire à temps.
N’est-ce pas mieux ainsi ? Le pauvre avec le riche, dans les mêmes honneurs, le voisin avec son voisin,
ne croyez-vous pas que c était là l’esprit que St Thelo a voulu faire passer dans son Evangélisation ?
Certains diront : Eh bien ! Cette fois c’en est fini de la Troménie ! . Oh ! Tout de même ! La
troménie tentait donc à ses enchères et à l’honneur pour une seule famille ? Eh bien St Thelo ne devait
pas en être fier !
D’autres diront : Eh bien, le recteur, il la sentira, il n’aura plus ses grandes offrandes !
Une mise au point d’abord : l’offrande n’allait pas au recteur, mais à la paroisse, et vous pensez bien
qu’une Troménie amène beaucoup de frais.
Il y aura moins d’offrandes ? Peut être ! Cependant ceux qui pensent donner une offrande, sincèrement,
sans y être obligé, peuvent tout de même encore la donner, et ignorée, elle n’aura que plus de valeur !
Mais aussi, même s’il n’y a moins d’offrande, l’esprit de la troménie, ne va-t-il pas y gagner ? Et n’est ce
pas le plus important ?
Mettons nos donc, au contraire de toutes ces critiques, à mieux vivre notre Troménie; je suis sûr que St
Thelo s’en trouvera plus honoré !

Donc, faites connaître autour de vous la nouvelle façon de désigner les porteurs des Reliques :
1/ S’inscrire le plus tôt possible avant la Troménie.
2/ Les inscrits s’arrangeront pour porter les Reliques.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

3/ Chaque inscrit donnera l’offrande qu’il jugera devoir donner.

Comme vous l’avez su par votre dernier Bulletin, la Troménie 1963 sera présidée par Monsieur Premel,
ancien vicaire de la Paroisse. Elle sera dirigée par le P. Alexandre, missionnaire capucin, habitué à ces
grands pèlerinages.
A noter le changement intervenu dans la désignation des porteurs de la Bannière de St Thelo. Il est
difficile désormais d être assuré d’une classe entière venant de caserne, les libérations se faisant à des
périodes très diverses.

Ce sont donc les 30 ANS qui sont donc désormais invités à porter la grande bannière du saint Patron.
Il est possible que des erreurs et des oublis soient intervenus dans l établissement de cette liste.
Qu’on ne pense pas à des omissions volontaires. De pareilles listes ne s établissent jamais sans erreur.
Qu’on ait donc la simplicité de les signaler et que les intéressés surtout fassent bien simplement comme
s’ils étaient désignés.

Dès maintenant, que soient remerciés ceux qui voudront bien préparer les chemins en mauvais état,
combler les trous par les ronces et autres qui seraient coupés aux talus. Ceci particulièrement pour les
chemins de Lanloc’h, de Kergonval-Keravel, du chêne, de Kergoat et de Montagne.
Merci surtout aux propriétaires de champs ou prairies qui se trouvent sur le parcours. Et aussi, bien sûr
à ceux qui préparent les stations de Lannac’h et du chêne.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Mouzaden sant THELO - Herbod


"Brouille de saint THELO avec sa soeur"
Légende
Herbod, Paroisse Bretonne de Paris, 1903.

LE SAINT
La lune est déjà élevée au-dessus de la montagne de Laz
Garçon, amenez mon grand cheval.
Afin que j'aille voyager cette nuit.
Jusqu'à ce qu'ait chanté le coq de Merroz.

SA SOEUR
Mon frère, je vous en prie, croyez-moi,
N'allez pas voyager cette nuit.
Écoutez le vent mugir sourdement
Et les loups hurler dans la forêt.

LE SAINT
Puisque le comte de Merroz m'offre de me donner toute la terre que je pourrai circonscrire cette nuit, je
ne puis rester ici à la maison, sous prétexte de mauvais temps.

SA SOEUR
Puisque je suis venue pour vous voir, vous pouvez bien rester pour cette nuit : Vos moines ont bien
assez de terres, pour vivre exempts de tout souci.

LE SAINT
Qu'importe? Il faut partir; malgré le ciel couvert de nuages, je pourrai bien arrondir mon domaine de
tous côtés. Allons garçon, sellez tout de suite.

SA SOEUR
Quant à votre cheval, il ne bougera pas. Je ne puis tolérer que vous soyez surpris par la pluie battante, le
tonnerre et la grêle.

Et si vous ne cédez, le coq qu'on a envoyé ici de Merroz pour cette nuit, ce coq, aura fait entendre sa
chanson, avant le lever de l'étoile du matin.

Malgré le mauvais temps, malgré sa sœur, le saint fit comme il l'avait dit: il se mit en route, à pied, en
priant Dieu et les saints.

Et le bon Dieu soudain devant lui envoya un animal alerte : une biche aux longues cornes, à la croupe
lustrée, aux sabots solides.

Le saint l'enfourcha, s'accrocha aux cornes et prompts comme l'éclair, ils partent dans la
direction de Cléden (Poher).

Thelo brûlait du désir d'aller jusqu'à Plouyé, en prenant un coin de Cléden et même de Poullaouen si
possible.

De retour, en pressant le pas, il ôterait encore à saint Pierre le Véridé et Pen-al-Lan, jusqu'à la rivière qui
passe à Pont-ar-Stank-Vian.

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 19


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Hélas! à peine la bête encornée était-elle dans la cour du château du Grannec, qu'on entendit une voix
perçante, déchirant l'air d'une façon lamentable!

La biche aussitôt s'arrêta court au milieu de la grande lande; et Thelo, parmi les bruits de la nuit,
distingua la voix du coq de Merroz.

Bon, se dit-il en lui-même, il faut retourner : voici le jour! voici que les coqs chantent; et pourtant il fait
encore bien sombre!...

Il fallait laisser de côté les villages éloignés de Plounevez : jamais le bon saint ne verra Pen-al-Lan,
faisant partie de la paroisse de Landeleau.

Quand le saint arriva chez lui, il y trouva sa bonne sœur, endormie sur le foyer déjà froid, tenant le coq
sur les genoux.

Thelo demeura surpris en comprenant ce qui s'était passé : Sa sœur, en effet, avait chauffé le coq, qui,
réveillé par la chaleur, avait chanté de toutes ses forces.

Ma sœur, dit alors le saint avec colère, levez-vous, je vous l'ordonne; il vous eût cent fois mieux valu, si
vous étiez restée chez vous au Lannac'h cette nuit.

Car je le jure, ma sœur, sauf votre respect, tant que durera la montagne de Laz, on n'entendra jamais de
Lannac'h la voix des cloches de Landeleau.

Malgré les siècles écoulés ceci est resté vrai : chers lecteurs, si vous ne le croyez, venez à Landeleau pour
le constater.

Herbod,

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 20


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Paotr rouz bihan ar harz - Armand Puillandre

Il avait dit que ça c’était passé à Menez Banal; il y en avait deux, paotr rouz bihan ar harz. Il y a comme
le grand-père était marchand de vache il allait à Gourin, un peu partout; et à chaque fois il avait des
vaches des veaux qui partaient et qui étaient bouffés par des loups. Il avait beau engager des commis,
des paotr saout, les loups arrivaient. Et puis un jour il y a un gars qui est arrivé et qui lui disait
Il n’était pas plus haut qu’un demi-homme et qui s’est proposé comme paotr saout, et il demandait
comme paye qu’une demi-miche de pain par semaine.
Alors mon grand-père dit celui-ci est économique.
Et puis le gars est resté, il est resté et puis un jour, je ne sais pas combien de temps il est resté, peut-être
un mois, deux mois, six mois, j’en sais rien, c’était pas dit.
Et pendant ce temps là pas un poulain, pas une jument, pas un veau mangé par les loups, rien n’avait
disparu, donc mon grand-père était très content.
Et puis un jour, mon grand-père alla voir ses bêtes, un dimanche matin, entre Pen roz et Menez Banal,
il a été voir le gars qui lui à dit :
- Eh bien voilà ! Mon temps est fait, je pars, je vais quitter, alors il faut que tu me donne ma paye.
Et le grand-père de lui répondre :
- Ah non ! Tu ne vas pas partir comme ça, ah non ! Il ne faut pas.
Ah ! Mais qu’il dit :
- Je dois partir, c’est comme ça, c’est tout.
Et puis mon grand-père refusait, refusait, et puis, le gars, le nain puisqu’il était haut comme un demi-
homme, s’est fichu en boule, il est allé au talus et il a coupé deux baguettes de noisetier.
Il les a jeté en l’air, et comme il les a jeté en l’air, les baguettes sont restées se battrent en l’air, elles ne
tombaient plus, elles restaient s’entrechoquer. Et quand elles sont retombées à terre, elles étaient toutes
blanches écorcées.
Et quand le grand-père il a vu ça, il a dit ... celui-ci connaît plus long que son pater, il vaut mieux que je
lui donne sa paye.
Il avait été estomaqué, quand il a vu ça il ... l’histoire se termine comme ça.

Armand Puillandre,

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

P o é s i e - M o i s d e m a i e n a r v o r - An n a d u p o h e r
Mois de mai en arvor
Quel splendide décor
Les lilas refleurissent
Pour le mois de Marie.

Chez nous à la Pentecôte


La paroisse de Landeleau
Suivant la tradition
Vénère son saint Patron.

Car tout au long des siècles


Paroissiens de Landeleau
Sachez que nos ancêtres
Ont aimé saint Thélo.

Pénétrés de ferveur
Combien de joies au cœur
Pas à pas , ont suivi
Cette chère Troménie.

Comme dons autrefois


Gardons bien leur foi vive
L'espoir en au-delà
Etait leur joie de vivre.

Par les sentiers et les chemins


Nous irons en vrais Pèlerins
Suivant les tracas du précurseur
Il nous mènera au bonheur .

Et saint Thélo le grand patron,


Chevauchant par vallées et .monts
Nous est un guide merveilleux
Quand nos chemins sont tortueux.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Et au soir de cette belle fête


Nous chanterons avec allégresse
Ce beau refrain si populaire
Et chers à tous nos coeurs fidèles

Dirak ho relegou
N'hi bromet, san Thelo
Kerzet war ho roudou
D'ha betek bar marc.
Anna au Pays du poher

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

P o é s i e - La t r o m é n i e d e La n d e l e a u - M i c h e l B a r a z e r

Par les monts, les plaines et les rudes coteaux,


S'en va la grande TROMENIE de LANDELEAU
Avec ses splendides bannières, brodées d'or,
Portées avec entrain par les gars de l'ARMOR.

D'un pas vif, les Pèlerins suivent les chemins creux,


Étroits chemins bretons jolis et sinueux,
Chantant des cantiques aux louanges de Marie,
Mains jointes avec ferveur, à hautes voix ils prient.

Puis sur la route verdoyante, Artisans et Paysans


Sous les reliques de SAINT THELO, le Saint d'antan,
Passent, courbent leur front avec respect et ferveur
Pour obtenir le bonheur, les grâces et faveurs.

Très loin, le chêne à la belle ramure


Où la TROMENIE s'arrête et s'incline;
SAINT THELO, poursuivi, y trouva refuge sûr.
Le Pèlerin arrache l'écorce fine.

Voici la chapelle de PENITY-SAINT-LAURENT,


Basse, trapue, de style Gothique et Roman;
Le Pèlerin y fait trois tours en Pénitent
Puis écoute la messe en plein air, suppliant.

La TROMENIE arrive à sa fin aux TROIS-CROIX


Et l'on découvre sur la route qui poudroie
Le beau panorama des MONTAGNES NOIRES
PELERIN savoure ton BONHEUR de CROIRE !

Michel BARAZER.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

C Y W Y DD T E I L O S A N T – U n e m é d i t a t i o n su r sa i n t T e l o
EDWARD Williams, Iolo manuscripts : a selection of ancien welsh manuscripts, Llandovery, William Rees, 1848,
p 295.

CYWYDD TEILO SANT A MEDITATION ON SAINT TEILO UNE MÉDITATION SUR SAINT TELO

RHadau dalm rho Duw Deilaw, Blessings for a long while may God give Teilo, Que Dieu donne à Telo, des bienfaits pour longtemps
RHieddog loyw eurog law! Shining nobleman with the golden hand! Cette noble lumière à la main d'or!
Gwych fu'r term y'th gonffermiwyd, Splendid was the period you were confirmed, Qu’elle était superbe l'époque ou tu fus confirmé,
Glân fal diddig Ensig wyd. You who are a handsome person like anger-free Ensig. Toi qui est noble comme le serein Ensig.
LLin Hychdwn, pen farwn pur, Of the lineage of Brown-Pig, stainless head baron, De la lignée de Hychdwn (Porc-Brun), baron et chef
destiné,
Dawn ei wiwglod yn eglur, Whose gift of well-deserved fame is luminous, Dont la célébrité est claire et bien méritée;
A llin urddedig Sant llwyd, And of the honoured lineage of holy Sant, Dont la lignée fut élevée au rang de Sainteté,
Cedig, Ceredig ydwyd. Cedig and Ceredig art thou. De Cedig et de Ceredig que tu viens.
Mawr oedd fonedd Cunedda, Great was Cunedda's nobility, Qu’elle était grande la noblesse de Cunedda, fondateur
du Gwynedd,
Wiw loywdeg ddawn wledig dda. Whose good ability as Count was outstandingly brilliant and Dont l’autorité de chef était exceptionnelle, brillante et
fair. juste.
Dofreth benadur difreg The livelihood of a model sovereign La puissance d'un souverain sans défaut
Dy orugo, Deilo deg, Paining you, admirable Teilo, En te peinant, admirable Telo,
Esgob santol, freiniol fryd, A saintly bishop of exalted intent Saint évêque aux nobles intentions
A fuost o iawn fywyd. You became, of upright life. Tu fus, au travers d’une vie droite.
Eurlythr diorwag ragor Illuminated letter of not inconsiderable pre-eminence Une lettre enluminée de prééminences
Yn LLan-daf caraf y côr, At LLan-daf, of which I love the choir, A LLan-daf, dans le choeur adoré de laquelle,
ór gwleddrym o Arglwyddryw, Man of the Lord's sort through forcefulness at the feast, Un homme au rang de Seigneur de par sa force au
festin,
Ef a'th gonffermiwyd, lwyd lyw, You have been confirmed, spiritual helmsman, On t'a confirmé comme gouvernail spirituel,
Yn benrhaith drwy seithiaith sant, As chief justice across the seven holy language-communities Juge suprême sur les sept langues sanctifiées
Morgannwg mawr ogoniant. Of greatly-famed Glamorgan. Du Pays de Morgan, la gloire duquel est grande.
Fal y mae gwarau gwiwras As the distinguishedly gracious mercies Comme les gracieuses indulgences
(O rym gwyrthiau Duw a'i ras) (Through the power of God's miracles and his grace) (Par le pouvoir des miracles de Dieu et par sa grâce)
Dewi, dy iawngar diwael, Of Dewi, your unbase direct kinsman, De Dewi, ton parent direct en sainteté et non des
moindres,
Yn nhir Deheubarth, ôr hael; Are to the territory of West Wales, liberal man; Sont au sud des terres de Cymru, seigneur libéral;
ór cadr, fal y mae Padrig, O brave man, as Patrick is - O homme brave, comme l’est Padrig -
Bucheddol o freiniol frig, Right-living person of exalted branches, Personne vertueuse à la noble conscience,
Yn ben o'r saint, iawnfraint Iôn, Head of the saints, by righteous appointment of the Lord, Le chef des saints, dans le droit titre du Seigneur,
Wiw eurddull, ar Iwerddon; Select golden company, throughout Ireland; Cette compagnie d'or choisie, sur l'Irlande;
Megis Tomas urddasawl, Like majestic Thomas, Comme l'auguste Thomas,
Merthyr lle crybwyllir mawl, Martyr where praise is sounded, Martyr dont on sonne les louanges,
Arlwydd ar fonedd eurlyn, Lord over a gold-drinking élite, Seigneur de l’élite du précieux vin de communion,
O Gantrbri, gwn honni hyn: For Canterbury, I am able to declare this much: De Canterbury, je peux déclarer ceci:
Felly sant trwy warantrwydd So also a saint with a warrant Un saint responsable
Yr wyd, rywiog broffwyd rhwydd, Are you, kindly generous prophet, L’es-tu, prophète doux et généreux,
Yn saith gantref, nef nifer, To the seven divisions, the number of the heavens, Dans les sept districts du royaume, le nombre des cieux,
Morgannwg, fy niwg nêr. Of Glamorgan, my pleasant lord. Du Morgannwg, mon agréable seigneur.
Un o'r tri, pêr foli pur, One of the three, pure sweet praising, Un des trois, purs et doux éloges,

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 25


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Da ydwyd, myn Duw awdur, Good men art thou, by God our author, Hommes es-tu de ceux, qui de par Dieu le créateur,
Oedd yn myned, ged gyfoeth, Who went, granted dominion, Allaient, pour un subside d'autorité,
Tua RHufain deml gain goeth. To Rome with its magnificent refined temple. Vers Rome au temple magnifique et raffiné.
Pêr foliant pan gânt yn gain Sweet acclaim when they find magnificent Du doux éloge ils ont été fascinés par
Gloywach ryfedd gloch Rufain; The amazingly more brilliant Roman bell; La cloche étonnamment plus brillante de Rome;
Yn wör praff yr honnir hyn, Stalwart men it declares them,- Elle auréole les hommes solides,
Wych hirbarch yn eich erbyn. Glorious sustained honour awaiting you. D’un glorieux respect en vous attendant.
Yno yn fils union ffawd, There, as a boy of upstanding fate, Là, fils à la grande loyauté,
A'th bregeth difeth dafawd, With your unfalteringly tongued sermon, Avec ton sermon à la langue intarissable,
Ti a gefaist deg afael, You received, it was a lovely acquisition, Tu as gagné un présent magnifique,
Teilo, i'th ddwylo hael: Teilo, into your princely hands, Telo, dans tes mains généreuses:
Gloyw chwaen wymp y gloch yn wir, In a brilliant pretty incident, the bell, which justly, Du brillant incident de la cloche en effet,
Felen glaer gain a folir; Yellow, bright, beautiful, we admire; Ce trésor jaune vif que nous admirons;
Yr hon a wna, dda wiwdda wedd, The which doth bring, good excellent aspect, Laquelle est faite, d’excellent aspect,
Byw o farw heb oferedd. Alive the dead without frivolity. Fait revivre les morts sans futilité.
Wedi hynny yr honnir After that they announce Après cela ils apportent
Da len wych Deilo yn wir. Teilo a gorgeous good mantle in reality. A Telo une cape splendide en vérité.
Ar ôl mae Duw i'th foli Yet to come is God commending you Encore Dieu doit venir t'acclamer
Euryn dy wir derfyn di. Golden jewel of your own true border. Magnifique joyau de tes propres frontières.
Trillu, pwnc blin fu'r trallawd, Three armies, the fracas was a sorry todo, Trois armées, ce fut le sujet déplorable de ce malheur,
A aethant trwy ffyniant ffawd Went, flourishing in fortune, Sont allées, en grande fortune,
I Benalun gyfun gâr, To a meeting with kinsman at Penally, A ta réunion avec des parents de Penalun,
Dyfod gwaith diedifar, Coming in unrepentant action, En vue d'une action répréhensible,
A'u bryd ar gael, ddiwael ddydd, With their mind set upon getting, noble arbitration, Leur esprit fixé sur la possession terrestre, de cette
réunion sacrée
Dy gorff, Deilo deg eurffydd. Your body, fair Teilo of the golden faith. Ton corps, beau Telo à la foi d'or.
Yna rhag terfysg annoeth Then for fear of unwise disturbance Alors de peur d'une émeute imprudente
Amdanad y ciwrad coeth, About you, oh cultivated curate, A cause de toi, O grand prêtre érudit,
Teilwng waith glân dianair, In a pure dignified act beyond detraction, D'un acte pur sans férir,
Trichorff a wnaeth mab maeth Mair; Mary's nursling made three bodies; Comme le nourrisson de Marie fit trois corps;
Pob un o'r tri, ddifri ddawn, Each of the three parties, meaningful gift, Chacune des trois parties, était un don précieux,
A gafas gorff yn gyfiawn. Received a body legitimately. Légitimement chacune des trois armées reçut un corps.
Da fy rhan gwör Morgannwg, Good for my faction, the people of Glamorgan, Bon pour ma faction, le peuple du Glamorgan,
Duw i'r rhai grasus a'i dwg, To whom God graciously brings him, Auxquels gracieusement Dieu leur offra,
Cael yno, nid coel annoeth, That they have there - no foolish fetish, Ce qu'ils ont - non pas un stupide fétiche,
Y corff cysegredig coeth; The refined body sacred, Mais un corps précieux et sacré,
A'th drwsiad glanwedd heddiw And your comely guise today Et aujourd'hui ta tenue de belle apparence
A'th dlysau gwerthfawr gwawr wiw, With your valuable jewels of rich hue Avec tes somptueux joyaux aux éblouissantes teintes
A'th goron trwy ddaioni - And your crown acquired through goodness - Et ta couronne acquise par la bonté -
Wasgad Duw a wisgit ti, God's covering which you put on, Tu as porté la cape de Dieu,
A'th gloch (mi yw un o'th glêr) And your bell (It is I who am one of your minstrel clerks) Et ta cloche (C'est moi qui aie un de tes poètes)
A'th grib a'th lyfr iaith groywber. And your comb, and your book of clear sweet speech. Et ton peigne et ton livre composée d’une langue pure.
Duw a wnaeth lawer erod God has done extensively for you Dieu a beaucoup fait pour toi
Da wyrthiau glân diwarth glod, Good holy miracles of shame-free repute, Ses miséricordieux miracles t’auréolent d'une
renommée sans honte,
Gwna dithau, mygr drwy wyrthiau mwyn, Do you for your part also, resplendent through gentle miracles, Fais, toi aussi part – de resplendissant et bienfaisant
miracles,
Draw, Deilo, dros adolwyn. Act, Teilo, in response to my plea: Agit Telo, en réponse à ma supplication.
Dewin wyd, o daw yn nes You who a wizard are, if the men of England's ships Toi qui est magicien, si les navires

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 26


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

LLongau gwör LLoegr a'u llynges And their fleet draw near, Des hommes d'Angleterre et leur flotte approchent,
LLadd rai ar drai o ryw draill, Kill some of them at low tide by some means, Tue-en quelques-uns à la marée basse par quelque
moyen,
Bydd ddewraf sant, bawdd eraill; Be the most valorous saint, drown others. Sois un saint des plus vaillant, noie les autres.
Dial yn sor am dorri Wrathfully avenge their breaking into Venge avec courroux l'effraction
Da glos Duw dy eglwys di. God's good close, your church. De ton église, enclos sacré de Dieu.
Teilo fab llewych, fab llais Teilo, son of the lustre, son of the voice Telo, le fils de la flamme et de la voix
Ensig na ado unsais; Of Ensig, do not leave a single barbarian; D'Ensig, n’épargne aucun barbare;
Gyr hwynt oer fraw bwynt ar frys Drive them into a state of stark terror forthwith, Pousse-les aussitôt dans des états de terreur fatale,
Eurfawl enw ar Fêl Ynys. Golden plaudited celebrity throughout Beli's Isle. Accueillis aux ovations par l'Ile de Beli.
Teilwng wynfyd, pryd prydferth, Deserving of bliss, of beautiful features, Méritant la félicité, le beau visage,
Tegan wyd ti a gei nerth You who are a gem shall receive strength Fascinant, tu recevras la force
O rai ysbrydol ar hynt From spiritual people on their way Des croyants en chemin
Atad, dy genedl ytynt. To you, who are your nation. Vers toi, ils sont ta nation.
Gwenllaw praff gwinlliw, proffwyd He of the white hand, wine-coloured sturdy person, prophet Toi à la main blanche, robuste, couvert de rouge,
prophète
Diwael yw â Dewi lwyd, Who is unbase as sublime Dewi, Qui est noble comme saint Dewi,
Gwedi ceffych goethwych gad After you gain a pure glorious battle Après la bataille glorieuse et dure
Gwir ytyw y gwör atad. Men are true to you. Les hommes te sont à jamais fidèles.
Na fydd wâr a thrugarawg, Do not be civil and compassionate, Ne sois pas plaisant et miséricordieux,
Bydd greulon radlon y rhawg. Be generously cruel for the duration. Sois dorénavant largement cruel.
Yng nghilbant ni luniant les In their retreat they shall not work benefit Dans un lieu on ne fera pas d'avantage
wrthynt, lin Alys arthes; Against them, the line of Alice the she-bear; Envers eux, de la lignée d'Alice l'ourse (femme du
premier roi Anglo-saxon);
Teilwng gwna ddinistr tylwyth Deservedly bring about the destruction of the family A juste titre entraîne la destruction de la famille
Hen sais o lin Hensies' lwyth. Of the deplorable barbarian of Hengist's tribe. Du méprisable barbare de la tribu d'Hengist.
Aur oedd dy sens fab Ensig, Ensig's son whose incense was golden, Fils d'Ensig dont l'encens fut d'or,
Er Duw a'i wyrthiau iôr dig, For God and his miracles, rate lord, De part Dieu et ses miracles, seigneur en colère,
Hel ar unwaith hil Ronwen, Chase at once Rowena's offspring, Chasse tout de suite la progéniture de Ronwen,
Frut iawn waith o Frytwn wen. In fulfilment of the prophecy, out of holy Britain. Comme l’annonçait la prophétie, hors de la sainte
Bretagne.

Ieuan LLwyd ap Gwilym a'i cant Composed by John Grey-Williams Composé par Jean le Gris fils de Guillaume.
Traduction anglaise de Mr Tim ap Hywel Traduction française de Mr Tim ap Hywel avec l’aide de
Mr Colyn Andras et de M. Joël Hascoët

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 27


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

CYWYDD TEILO SANT - N o t e s b y M r T i m a p Hy we l

To understand where this poem is coming from one has to appreciate that it was composed in
the heyday of the princeship of Owain Glyn-dôr, say around 1406; specifically in response to an
attack made by the men of Bristol on Cardiff, in which they tried to pillage LLan-daf, but were
repulsed. In it the bard, in effect, prays Teilo to endorse and expedite Owain's political agenda.
(And insofar as Owain Glyn-dôr's dream failed, that failure could be laid at Teilo's door, not only
as having let down Owain and Wales, but also as having refused a bona fide bard his legitimate
prayer;- except the story is not over yet).

We must imagine Ieuan LLwyd ap Gwilym as standing, in composing or reciting his poem,
before the shrine and statue of Teilo which in pre-reformation times were to be found in the lady
chapel at LLan-daf. Ironically perhaps, the corollary of Teilo's apparent refusal to implement the
request made in the poem: that he should roll back eastern dominance of western affairs, in the
timescale requested, viz. "at once", was that a mere hundred and thirty years later the image of
the saint before which the prayer had been made itself lay in shards; a victim to the unimpeded
operation of that aforesaid eastern dominance, in the shape of militant protestant iconoclasm.

Golden hand This is not merely a poetic conceit: in the register of assets of LLan-daf
to be sold off at the time of the dissolution of the old church (1535) are
listed some fragments of Teilo's smashed-up statue, including a silver gilt
head of Teilo, Teilo's arm - gilded, and his jewelled shoes.

Ensig Ieuan LLwyd is assiduous in commemorating, in correct bardic manner,


the excellence of his subject's forebears. Ensig is Teilo's father, who
resided at Penalun and was possibly lord of Penfro; who in placing his
young son at Dyfrig's monastic school was demonstrably anxious that his
heir should be brought up, not in traditional iron-age mode - versed in
the arts of war, but rather in the arts of peace.

Brown-pig Ensig's father. In the genealogies his name normally appears as Hyddwn
'Brown-stag', but Ieuan has it as Hychdwn 'Brown-pig'!

Ceredig Brown-pig's father, founder of Ceredigion 'Cardiganshire'.

Cedig, Sant Cedig is Brown-pig's brother, and Sant Cedig's son: grandfather and
father respectively of Dewi Sant, who thus is second cousin to Teilo.

Cunedda Teilo and Dewi's great-great-grandfather, the original progenitor of his


remarkable dynasty, so prominent in the military, political, spiritual and
intellectual achievements of its age. Argued by some to be identifiable
with Emrys, 'Ambrosius', Cunedda more than anyone was responsible
for laying the substrate of modern Wales.

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 28


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Illuminated letter
Standing in front of the gold, silver and bejewelled simulacrum of Teilo
the bard compares his position in LLan-daf to that of an illuminated
letter at the start of a gospel.

The seven divisions of Morgannwg


1. Margan (Tawe to Ogwr); 2. Gwrinydd (Ogwr to Naddawan); 3.
Penychyen (Naddawan to Taf); 4. Senghennydd (Taf to RHymni); 5.
Gwynllôg (RHymni to Usk); 6. Gwent is-coed (Usk to Wye, below
Wentwood); 7. Gwent uwch-coed (Gwent above Wentwood).

Thomas Thomas Becket, Archbishop of Canterbury 1162-70

Warrant Interesting to see the bard holds firm the LLan-daf line that Teilo is pre-
eminently the saint of Glamorgan. Whatever happened to Cadog? He
seems to have got outmanoeuvred by the sons of Cunedda somewhere!

Rome Ieuan LLwyd has hold of a variant account of the consecration of the
three British saints: Teilo, Dewi and Padarn. In Teilo's Life in the Book
of LLan-daf it is to Jerusalem, not to Rome, that they go for it.

Roman bell The picture here drawn of the bells of Rome speaking to our three
heroes, applauding them, is reminiscent of the bells of London speaking
to Dick Whittington.

Yellow, bright, beautiful


Once again the bard is probably looking at the brightly-coloured likeness
of the saint in front of him.

Gorgeous good mantle


I take it this is a reference to Teilo's being consecrated bishop and vested
with the episcopal cope.

Penally The LLan-daf Life likewise has Teilo dying at LLandeilo Fawr, and by
implication the conference and miracle of the three bodies taking place
there, rather than at Teilo's family home at Penally.

Mary's nursling
Jesus. Mab maeth normally means 'foster son', but it's difficult to see how
Jesus could be Mary's foster son, unless the poet is regarding Jesus as
eternally born from the beginning (Filium dei unigenitum et ex patre natum
ante omnia saecula) and so by his human birth having been in some sense
fostered on Mary.

Your crown His episcopal mitre.

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 29


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Myrddin - Résumé de la conférence de Mr Tim ap Hywel

Conrérence du vendredi 10 août 2001 au Presbytal Koz à Landeleau.

Le personnage le plus populaire de la tradition brittonnique est sans conteste Myrddin (Merlin); nous le
trouvons sous trois formes : Myrddin Emrys, Myrddin le Sauvage et l'esprit Myrddin.

Myrddin Emrys : correspond au personnage exhumé de la tradition orale galloise par Geoffroy de
Trefynwy (Monmouth en anglais), il avait collecté que Myrddin était un barde du sixième siècle qui avait
passé sa vie à vagabonder tout seul et aliéné dans la forêt de Celyddon, dans l'ancien nord de Cymru,
mais qui est maintenant à l'Écosse. Ce que Geoffroy a découvert était écrit par Nynio de Bangor, dans
l'Histoire des Bretons, un exposé d'un exploit de jeunesse de la part du Comte Emrys où celui-ci a
prononcé une très forte prophétie, justification ultime de la vision brittonique, qui allait y être apportée
par un nouveau commandant, prophétisé sous le symbole d'un dragon rouge. Geoffroy en conclut
enfin que ce prophète devait être le même que le Myrddin de la tradition galloise. De cette manière est
né la créature composite, Myrddin Emrys, ou en latin, Merlinus Ambrosius.

Myrddin le Sauvage : est la figure historique du barde LLallogan contemporain de saint Telo, il est barde
à la cour de Gwenddolau, souverain britannique antichrétien contre le roi RHydderch. Après la défaite
sanglante d'Arfderydd (de l'Armure Brillante) à Arthuret auprès de Caerliwelydd en 573, Llallogan pris
de remords est possédé par l'esprit Myrddin et fuit vers le bois de Celyddon ou il se cache pendant
cinquante ans, vivant avec les animaux et connaissant leur secret. Myrddin prophétise sur le devenir de
la Grande-Bretagne et meurt de la triple mort. Sept poèmes lui sont attribués, subsistants dans les plus
anciens documents gallois (quatre dans le Livre Noir, deux dans le Livre Rouge, et un d'un manuscrit
plus tardif.) Son renom en Cambrie du Moyen Age est fondé sur les prophéties que ces poèmes
contiennent.

L'esprit Myrddin : Dans une section du Livre Blanc au sujet des noms de l'île de Bretagne on
déclare que le premier nom que l'île a porté, avant même qu'elle ne fût conquise et habitée c'était
Clas Myrddin, lequel veut dire la Confrérie de Myrddin. Myrddin y est envisagé comme avoir été
présent dans l'île dés son origine. « Une telle confrérie doit avoir été celle des bêtes sauvages de la
Bretagne, ou autrement d'êtres visiteurs de l’autre monde. Myrddin, à cette ère, devait être le
seigneur des animaux ». L'ancien géographe grec Hecaté d'Abdère en décrivant l’île de Bretagne de
l’âge du Bronze nous dit que les insulaires vénéraient une divinité quasi-apollonienne, et évoque un

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

temple rond d’Apollon, ce qui semble une allusion aux Pierres Pendues, Stonehenge en anglais.
Geoffroy écrit que Myrddin a transporté les Pierres Pendues d’Irlande jusqu’en Bretagne. Le cercle
des pierres bleues, le plus ancien de l’ensemble mégalithique, provient du Dyfed, dans le sud de la
Cambrie, qui était sous gouvernement de langue irlandaise entre 390 et 900. La capitale de Dyfed,
était et est Caerfyrddin (Carmarthen) lequel signifie littéralement la cité romaine de Myrddin. La
cité bretonne de Myrddin, était connue par les envahisseurs romains comme Moridunum, se
trouvait jadis au sommet d'Allt Fyrddin (la colline de Myrddin, ou de Moridunum) à deux milles à
l'est de Carmarthen.

Pour me terminer je ne peux rien faire de meilleur que de vous citer, tout d'abord en gallois, puis en français,
une strophe d'un des sept poèmes, à savoir de Les Pommiers de Myrddin dans le Livre Noir, où le barde
s'adresse au pommier de la vision bretonne authentique.

Afallen beren, ha bren ffion!


A dyf o dan gêl yng nghoed Celyddon,
Cyd ceisier ofer fydd herwydd ei hafon,
Oni ddêl Cadwaladr o'i gynnadl Ryd Reon,
Cynan yn ei erbyn, ef gychwyn ar Saeson;
Cymru a orfydd, cain bid eu dragon.
Caffawd pawb eu teithi, llawen fi bri Brython,
Cenitor cyrn elwch, cathl heddwch a hinon.

[Le Livre Noir, p.52, Les Pommiers de Myrddin]


Pommier vivace, ah arbre rose!
Qui pousse en cachette dans le bois de Celyddon,
Quoiqu'on le cherche ce sera en vain, à cause de sa rivière,
Avant que Cadwaladr vienne à son congrès au gué de RHeon,
Cynan en le supportant il se lancera aux barbares,
Les Cambriens vaincront, leur dragon sera magnifique.
Chacun recevront leur droit, la pensée des Bretons sera heureuse,
On sonnera les cors de fête, un chant de la paix et du beau temps.

Tim ap Hywel

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Cantic Sant Télo – Clec'h Coz Cantic Sant Thelo – 1889


Composition originale par Clec'h Coz Imprimatur, 25 mai 1889, F. Ollivier Vicaire général.

Ton: Santes Mari, mamm Doue... Ton: Santes Mari, mamm Doue...

A . - 1 Ninho ped o ma Doue da skleraat hor speret B . - 1 Guechal, e Breiz-Izel, hon tud voa païanet,
‘Vit ma elfomp diskleria d’hor breudeur bretonet Doue d'ho sclerijenna en devoa digasset
Eur loden deuz a vuez Sant Thelo, hor patron Sent evit deski dezo ar guir relijion;
Pehini deuz ho karet deus a greis e galon. Unan demeus ar re-ze voa hor sant Patron.

Diskan :
Sant Thelo, pastor mad,
Pedit vidom Doue,
Bezit guir alvocat
Evit ho pugale.

A.1 E Bro-Zaos evoa ganet an Otrou Sant Thelo B.1 E Bro-Zaos e voa ganet an Aoutrou sant Thelo,
Deuz a gérent pinvidik, an nopla deuz e vro Deuz a gerent pinvidik, an nopla deus ar vro,
He dad ‘voa hanvet Enzik, Guenhaff e voa e vam He dad voa hanvet Enzik, Guenhaff e oa he vamm,
Ar vro ma clec’h ma chomment voa hanvet Cardigan. Ar vro ma chomment henni voa hanvet Cardigann.

A.2 Daou zra hag a zo dibot da velet assamblez B.2 Daou zra hac a zo dibot da velet assamblez,
Tud sant Thelo d’hoa madou ha kalz vertuzi ivez Tud sant Thelo doa madou ha cals vertus ivez;
Ho c'halonou ‘voa tannet gant karantez Doue Ho c'halon voa tanet gant carantez Doue,
Setu perag ho deus gret sent deus ho bugale. Setu perac o deus greet Sent deuz ho bugale.

A.3 Sant Thelo e voa kasset gant e dad hag he vam B.3 Sant Thelo a voue kasset gant he dad hac he vamm
Da skol eun dén vertuzuz, pa voa c'hoas yaouanc flam Da skol eun den vertuzuz, pa voa c'hoas iaouank flamm,
Sant Dubric a leverer, voa e vest skol kenta Sant Dubric, a lavarer, voa he vestr skol kenta,
Pehini hadaz'ne ene vertuziou ar c'haera. Hac a hadas ne ene vertuziou ar c'haera.

A.4 B.4 Buhan henvel an avel, an Aoutrou sant Thelo


A rede dre ar vro-ma, pignet var eur c'haro,
Evit cass sicour guella d'an dud clan, d'ar beorien,
En eur ranna etrez he damic aluzen.

A.5 B.5 Mar boa Thelo damantus e kenver he nessa,


En he genver he-unan n'oa ket er memes tra,
Rac iun a re aliez; vit goële da gousket,
Hor sant Patron n'en devoa nemet eur mean kalet.

A.6 An drouc-speret kounnaret o velet e santelez B.6 An drouc-speret counnaret o wel he santelez,
A glaskas koll sant Thelo dre ar fallagriez A glaskas coll sant Thelo dre ar fallagriez;
Poulza a reaz merc'hed fall da voned d'hen denti Poulza reas merc'het fall da vonet d'he denti,
Meaz ker e koustaz dezho, sivoas ho falloni. Mes ker e coustas dezo, sivoas ! ho falloni.

A.7 Doué zivoale Thelo hag en devoe permétet B.7 Doue ziwoalle Thelo hac heu doa permettet
Ma vije ar merc'hed-ze raktal diskiantet Ma viche ar merc'het-ze raktal di skiantet;
Biskoaz n'ho devoa gallet mont betec sant Thelo Biskoas n'o devoa gellet mont betec sant Thelo,
Kaër en devoa an drouc speret heseta anezho Caër heu doa an droua-speret hegasi anezo.

A.8 Tud ar vro pa d’oa klevet pétra a c'hoarvezas B.8 Tud ar vro pa doa klevet petra a c'hoarvezas,
O devoa évit Thelo goude eur respet braz O devoa evit Thelo goude eur respet bras;
Kalz a baianet soken zistroas ous Doue Kals a baïanet soken zistroas ous Doue,
Eur roué bras hag e dud evoa deuz ar reze Eur roue bras hac he dud a voa deus ar re-ze.

A.9 Var dro ar blavez pemp kant hervez a leverer B.9 Vardro ar blavez pemp kant, hervez a leverer,
Sant Thelo a guitéas e vro hag e garter Sant Thelo a guiteas he vro hac he garter,
Evit heulia sant David hag ive sant Patern Evit heulia sant David hac ive sant Patern,
E skolach brudet Polin, hac e Jerusalem E skolach brudet Polin, hac e Jerusalem.

A . 10 Patriarch Jérusalem hervez ma zeo skrivet B . 10 Patriarc'h Jerusalem, hervez ma-z-eo scrivet,
Eo a reas eun eskop deuz hor zant beniget Eo a reas eun Eskop deus hor Sant benniget;

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Ac'hane eo e zenas d'hor bro a Vreiz-lzel Ac'hano eo e teuas d'hor bro a Vreiz-lzel,
Da ziskoues d'hou tadou coz ar madou eternel. Da ziscoues d'hon tadou coz ar madou eternel.

A . 11 An histor c'hoas a lavar penoz en amzer ze B . 11 An histor c'hoas a lavar penaos en amzer-ze C
Sant Thelo hen d’hoa eur c'hoar ho chom barse kerne Sant Thelo en doa eur c'hoar o chom bars e Kerne,
Pehini ‘voa dimezet d'eur c'hont hanvet Budic Pehini voa dimezet d'eur c'hont hanvet Budic,
Eun den an henorapla hag ive pinvidic. Eun den an henorapla hac iye pinvidic.

A . 12 Evit renta d'he vreur kaër an henor, ar respet B . 12 Evit renta d'he vreur-caër an henor, ar respet,
Ar zant, n’eur zont er vro-man a zeas d'hoguelet Ar Zant, n'eur zont er vro-man, a zeas d'ho guelet;
Meaz, ne zaleas ket pell gant e vreur hag e choar Mes, ne zaleas ket pell gant he vreur hac he c'hoar,
Rag he galon’ voa distag deuz draou an douar. Rac he galon voa distak deus traou an douar.

A . 13 Thelo ‘voa n’em gonsakret da servicha Doue B . 13 Thelo voa n'em gonsacret da servicha Doue,
ha ne glaskè er bedman nag aour nag danne Ha ne glaske er bed-man, nac henor, na danve;
Nann biskoaz nen devoa sonjet en aour nag en arc'hant Nann, biscoas n'en doa sonjet en aour nac en arc'hant,
Kass eneou d'ar Baradoz ‘voa e brassa c'hoant. Cass eneou d'ar Barados voa he vrassa c'hoant.

A . 14 Epad seiz vla a seiz miz eo bet gant sant Samson B . 14 Epad seïz vla ha seïz miz eo bet gant sant Samson
Ho planta bars er vro man ar guir religion O planta bars ar vro-man ar gwir relijion;
Goude é voa bet escop e Landaff, en he vro Goude voa bet Eskop e Landaff, en he vro,
Meaz ne chomaz ket eno da betec ar maro. Mes na chommas ket eno da betec ar maro.

A . 15 Skoet e voa er vro-ze gant an derzen, sivoas B . 15 Scoët e voa ar vro-ze gant an derzen, sivoas !
Hag a laze 'velt kellien an dud, bian a bras Hac a laze vell kellien an dud, bian ha bras,
Betec ar loënet zoken vize ganthi taget Betec al lonet soken vize ganti taget,
Ne voa 'vit ho farea na louzou na remet. Ne voa vit ho faréa na louzou, na remet.

A . 16 Hor pastor mad sant Thélo n'espernas ket e boan B . 16 Oh! pastor mad, sant Thelo n'espernas ket he boan
Evit dousaat ho foaniou danholl, braz ha bian Evit doussad ho foaniou d'an oll, braz ha bian,
A galon vad a roas ar pezic en devoa A galon vad a roas ar pezic en devoa
Vit zoulaji e zenved a klask ho faréa. Vit soulagi he zenvet ha clask ho farea.

A . 17 Noz deiz e pede Doue da galmi he goler B . 17 Noz deïz e pede Doue da galmi he goler
Ha da zellet a druez ouz e vugale ger Ha da zellet a drue ouz he vugale ger;
Peden ar sant’ voa klevet, rag eun deiz ho pedi Peden ar Zant voa clevet, rac eun deïz ho pedi,
Doue zigassas eun aël evit hé gonsoli. Doue zigassas eun aël evit he gonsoli.

A . 18 Cannad Doue lavaras d'an Otrou sant Thelo B . 18 Cannad Doue lavaras d'an Aoutrou sant Thelo
Mond gant lod demeuz e dud ractal er meaz er vro Mond gant lod demeus he dud ractal er meaz ar vro,
Senti a reas dostu ouz gourc'hémen Doue Senti a reaz dostu ous gourc'hemen an aël,
Hag e teuas adarre en dro da Vreiz-lzel. Hac e teuas adarre en dro da Vreiz-lzel.

A . 19 Darn a gred ezeo neuze a reas sant Thelo B . 19 Darn a gret ez eo neuze a reas sant Thelo
Tro ar brocession a reomp c'hoaz hirio Tro ar brosession gaër a reomp c'hoas hirio,
Evit trugarekat Doue da veza preservet Vit trugarecad Doue da veza prezervet
Lod deuz e vugale baour gant pere’voa heuliet. Lod deus he vugale baour gant pere voa heuilliet.

A . 20 Pa’ voa fin d'ar c'hlenvejou bars e bro ar c’hambri B . 20 Pa voa fin d'ar c'hlenvejou, bars e bro ar C'hombri,
Deuz ar vro man sant Thelo a iëlas adarre d'hi Deuz ar vro-man sant Thelo a ieas adarre d'hi;
Er vro-ze eo a varvas peus tost d’ar guer Marden Er vro-ze eo e varvas, peus-tost d'ar guer Marden,
Var dro ar blavez pemp kant unnec a tririguent. Vardro ar blavez pemp kant unnec-ha-triugent.

A . 21 Kerkent a ‘voa maro e savas eun disput B . 21 Kerquent a ma voa maro, e savas eun dispud
Divar ben corf sant Thélo etre dri rummad tud Divar-ben corff sant Thelo, etre dri rummad tud
Re Landaff, a Pennalun, re Landeliou-vavi Re Landaff, ha Pennalun, ha Landeliou-Vavi,
Eo an tri rum a glaske he gorf da enterri. Eo an tri rumm a glaske he gorf da anterri.

A . 22 Tud Landaff ho devoa erfin gonezet ar victor B . 22 Tud Landaff ho doa erfin gonezet ar victor,
Hag eno’ voa enterret hor patron, hor pastor Hac eno oa interret hor patron, hor pastor.
Var e vez a c'hoarvezas nombr’bras a viraclou Var he vez a c'hoarvezas niver a viraclou,
Araog ma voa digasset deomp ni e relegou. Arok ma voa digasset deomp-ni he relegou.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

A . 23 Setu aze kristenien, eur loden, eur pennad B . 23 Setu aze, cristenien, eul loden, eur pennad
Deuz a vuez sant Thelo, hor pastor hag hon tad Deus a vuez sant Thelo, hor patron hac hon tad,
Pehini en deus guechal plantet e Breiz-Izel Pehini heu deus guechal plantet e Breiz-Izel
An had a gomzou Doue hanvet an aviel. An had a gomzou Doue, hanvet an Aviel.

A . 24 Tud a barrez Landelo, o c'houi zo evuruz B . 24 Tud a parrez Landelo, o c'hui zo evuruz
Da bossédi eur loden deuz e gorf présius Da bossedi eul loden deus he gorf precius;
Douguit eta gant respet relegou sant Thélo Dougit eta gant respet relegou sant Thelo,
Ha kerzit var he roudou da betec ar maro. Ha kerzit var he roudou da betec ar maro.

A . 25 Hiniennou achanoc'h a d’ho poan marteze B . 25 Hiniennou ac'hanoc'h o do poan marteze,


Evel sant Thelo guechall o servicha Doue Evel sant Thelo guechal o servicha Doue;
Meaz na gollet ket courach bars e creiz ar gombat Mes, na gollit ket courach bars e creïz ar gombat,
Zonjit ho peuz bars en env eur zant 'vit alvokad. Sonjit ho peus bars en env eur Zant vit alvocat.

A . 26 Pa vemp éta bourrevet gant ar boan an anken B . 26 Pa vemp eta bourrevet gant ar boan, an anken,
Kénigomp da sant Thelo heb eur beden Kenigom da sant thelo heb dale eur beden,
Zur omp da ‘ve sikouret dre e broteclion Sur omp da voud sikouret dre he brotection,
Testéni a gemense hor beus en hor chanton. Testeni a gemense hor beus en hor c'hanton.

A . 27 Ped guech nor beus ket klevet an hini ma hini B . 27 Ped guech n'hor peus ket cleved an hini ma hini,
Zo bet klanv gant poan spered hag ar boan izili Zo bet clan gant poan speret hac ar boan izili,
Kasset zoken gant klenvet betec dor ar maro Casset soken gant clenvet betec dor ar maro,
Hag a zo bet pareet kren n’eur bédi sant Thelo. Hac a zo bet pareet n'eur bidi sant Thelo.

A . 28 Ha Doue dre ar zant ma a ra da galz sikour B . 28 Ia, Doue dre ar Zant-ma, a ra da gals sicour
En danjer deuz ho bue var zouar ha var zour En danjer deus ho bue var zouar ha var zour;
Betec ebarz an arme, e kreiz tan ar brezel Betec ebars an arme, e creïz tan ar bresel,
Sant Thelo a voar divoal he vignonet fidel. Sant Thelo a voar divoal he vignonet fidel.

A . 29 Rag-ze eta, tud yaouancq, en pedit gant fiziam B . 29 Rac-ze eta, tud iaouank, heu pedit gant fianç,
C'houi pere zo destinet da zivoal drapo Franç C'houi pere'zo destine da zivoal drapo Franç,
Gret oll tro he relegou araog moned dan arme Gret oll tro he relegou aroc mont d'an arme,
Hag ho pezo guelloch chanz da ober ho konje. Hac ho pezo guelloc'h chanç da ober ho conje.

A . 30 Tadou ha maman kristen pedit pedit ive B . 30 Tadou ha mammou cristen, pedit, pedit ive
Ho patron mad sant Thelo evit ho pugale Ho patron mad sant Thelo evit ho pugale,
Rag eneou ho pugale ve ivez en danger Rac eneou ho pugale ve ivez en danjer,
Kerkoulz ‘velt d’ho c’horfou pa ven pelldious ar gue. Kercouls evel d'ho corfou pa vent pell deus ar ger.

A . 31 Hon tud coz a voa devot da bedi sant Thelo, B . 31 Hon tud coz a voa devot da bedi sant Thelo,
Meaz ivez ho bugale, dle ober enveld'ho: Ni ive, ho bugale, dle ober henvel d'ho,
Baleomp vare ar roudou ho deuz gret hontud koz, Baleomp var ar roudou ho deus gret hou tud coz,
Hag amp bo espéranç d'ho guelter Baradoz. Hag hor bezo esperanç d'ho guelet er Barados.

Diskan e fin ar c'hantic :


Dirac ho relegou
Ni bromet, sant Thelo
Kerset var ho roudou,
Da betec hor maro.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Cantic Sant Thelo – A. Le Braz


Version recueillie par Anatole Le Braz auprès de
Françoise Hourmant à Collorec en 1892-1893.

C.1 E Bro-Zôs e oa ganet an Otrou sant Thelo, En Grande-Bretagne était né Monsieur saint Theleau
Deuz a gérent pinvidik, an nopla deuz ar vro. de parents riches, les plus nobles du pays;
He dad oa hanvet Enzik, Guenhaff e oa hé vamm. son père avait nom Enzic, Guenhaff était sa mère;
Ar vro ma chomment enn-hi oa hanvet Cardigann. le pays où ils demeuraient s'appelait Cardigan.

C.2 Daou zra hac a zo dibot da véled assamblès, Deux choses qui vont rarement de compagnie,
Tud sant Thelo doa madou ha vertuziou ivez; les parents de saint Theleau avaient à la fois des biens et des vertus:
Ho c'halon e oa tanet gant carantez Douè, leur cœur était enflammé de l'amour de Dieu;
Setu perac ho deus grêt sent deuz ho bugale. c'est pourquoi ils ont fait des saints de leurs enfants.

C.3 Sant Thêlo a oué kasset gant hé dad hac he vamm Saint Theleau fut envoyé par son père et sa mère
Da skol eun dén vertuzuz, pa oa c'hoas iaouank flamm. à l'école d'un homme vertueux, quand il était encore tout jeune.
Sant Dubrik, a lavarer, oué hé vestr-skol kenta Saint Dubric, dit-on, fut son premier maître d'école
Hac a c'hadas 'n he éné vertuziou ar c'haera. et sema dans son âme les vertus les plus belles.

C.4 Buhan evel an avel, an Otrou sant Thelo Vite comme le vent, Monsieur saint Theleau
A redé dré ar vro-ma, pignet var eur c'haro, courait à travers ce pays, monté sur un cerf,
Evit kass sicour guella d'an dud clanv, d'ar beorien, pour porter secours plus prompt aux malades, aux pauvres,
En eur ranna étré-z-ho he dammik aluzen. partageant entre eux sa modeste petite aumône.

C.5 Mar boa ar Zant damantuz e kenver hé nessa, Si saint Theleau était libéral envers son prochain,
En he genver hé unan n'oa ket er memes-tra, envers lui même en revanche il ne l'était guère.
Rac iûn a re aliès. 'Vit gwél da gousked Car il jeûnait souvent; pour lit à dormir
Hor Zant Patron n' hen dévoa német eur mén kaled. notre saint patron n'avait qu'une pierre dure.

C.6 An drouk-spéred kounnaret o weld hé santélez Le malin-esprit, furieux de voir sa sainteté,


A glaskas koll sant Thêlo dré ar fallagriez. essaya de perdre saint Theleau par la malignité;
Poulza reas merc'hed fall da voned d'he denti, il poussa de mauvaises filles à l'aller tenter,
Mes kér e coustas d'ezho, ziouas ! ho falloni. mais elles expièrent chèrement, hélas ! leur félonie.

C.7 Doué ziwalè Thêlo hac hen doa permétet Dieu gardait Theleau, et il permit
Ma vichè ar merc'hed-sé raktal diskiantet; que ces filles perdissent aussitôt Ia tête
Biskoaz n'ho devoa gellet mond bétek sant Thêlo, jamais elles ne purent arriver jusqu'à saint Theleau
Kaer hen doa an drouk-spéred hégazi anezho. en dépit des excitations du malin-esprit.

C.8 Tud ar vro pa doa klewet pétra a c'hoarvézas Les gens du pays, en apprenant ce qui s'était passé,
Ho devoa évit Thêlo goudé eur respet braz. eurent pour Theleau par la suite un grand respect;
Kalz a baïaned zokén zistroas ouz Doué, beaucoup de païens même se convertirent à Dieu:
Eur roué braz hac hé dud a oa deuz ar ré-sé. un grand roi et ses gens furent de ce nombre.

C.9 Var dro ar blavez pemp kant, hervez a lévérer, Vers l'an cinq cent, à ce que l'on dit,
Sant Thêlo a gwitéas hé vro hac hé garter saint Theleau quitta son pays et son quartier,
Evit heulia sant Divy hac ivez sant Patern pour suivre saint Divy, et aussi saint Patern,
E skolaj brudet Polin, hac e Jéruzalem à l'école renommée de Paulin, puis à Jérusalem.

C . 10 Patriarc'h Jéruzalem, hervez ma 'z e skrivet, C'est le patriarche de Jérusalem, selon qu'il est écrit,
Eo a réas eun eskop deuz hor zant benniget. qui fit un évêque de notre saint béni.
Ac'hano eo e teuas d'hor bro a Vreiz-lzel C'est de là qu'il vint à notre pays de Basse-Bretagne
Da ziskoues d'hor zadou coz ar madou éternel. enseigner à nos vieux pères les biens éternels.

C . 11 An histor c'hoas a lavar penoz en amzer-sé L'histoire encore dit qu'en ce temps-là
Sant Thêlo hen doa eur c'hoar o chom 'bars en Kerné saint Theleau avait une sœur habitant la Cornouailles,
Pehini oa dimezet d'eur c'homt hanvet Budik, et qui était mariée à un comte nommé Budic,
Eun dén an énorapla hac ivez pinvidik. homme des plus honorables et, de plus, riche.

C . 12 Evit renta d'he vreur kaer an énor, ar respet, Pour offrir à son beau-frère ses hommages et son respect,
Ar zant, 'n eur zond er vro-ma ez eas d'ho gwéled; le saint, en arrivant dans ce pays, alla les voir;

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Mes, né zaléas ket pell gant hé vreur hac hé c'hoar, mais il ne séjourna pas longtemps près de son frère et de sa sœur,
Rac he galon oa distag deuz oll draou an douar. car son cœur était détaché de toutes les choses de la terre.

C . 13 Thelo oa 'n em gonsakret da zervicha Doue, Theleau s'était consacré au service de Dieu
Ha né glaskè er bed'man nac énor, na danvé. et ne cherchait en ce monde ni honneurs ni fortune.
Nann, biskoaz n'hen doa zonjet en aour nac en arc'hant. Non, jamais il n'avait eu souci ni d'or, ni d'argent;
Kass an dud d'ar baradoz e oa hé vrassa c'hoant. envoyer les gens au paradis, tel était son plus grand désir.

C . 14 Epad seiz vla ha seiz miz eo bet gant sant Samson Pendant sept ans et sept mois, il a aidé saint Samson
O planta 'bars ar vro-ma ar gwir rélijion; à planter en ce pays la vraie religion.
Goudé-sé oa bet eskop e Landaff, en hé vro. Ensuite il fut évêque à Landaff, dans son pays,
Mes na chommas ket éno da bétek hé varo. mais il n'y resta pas jusqu'à sa mort.

C . 15 Skoët e oué ar vro-sé gant an derzen, ziouas ! Ce pays fut frappé par la fièvre, hélas!
Hac a laze 'vel kellien an dud, bihan ha braz; Elle y tuait comme mouches les habitants, petits et grands.
Betek al lônet zoken vizè ganthi taget, Il n'était pas jusqu'aux animaux qu'elle n'étranglât;
Né oa 'vit ho faréa na louzou, na rémed, il n'y avait pour les sauvegarder ni simples ni remêdes.

C . 16 Hor fastor Inad sant Thêlo n'espernas ket hé boan Notre bon pasteur saint Theleau n'épargna point sa peine
Evit doussad ho foaniou d'an oll, braz ha bihan. pour adoucir leurs maux à tous, grands et petits;
A galon vad a röas ar pézik hen dévoa, de grand cœur il donna le peu qu'il avait
Vit zoulaji hé denved ha clask ho faréa. pour soulager ses brebis et tâcher de les sauver.

C . 17 Noz deiz e pédè Doué da galmi hé goler Nuit et jour, il suppliait Dieu de calmer sa colère
Ha da zelled a druez ouz hé vugalè ger. et de jeter un regard de pitié sur ses enfants chéris.
Peden ar zant oué clewet, rac eun deiz o pédi, La prière du saint fut entendue: car, un jour qu'il priait,
Doué zigassas eun El évit hé gonzoli. Dieu envoya un ange le consoler.

C . 18 Kannad Doué lavaras d'an Otrou sant Thêlo Le messager de Dieu dit a Monsieur saint Theleau
Mond gant lod démeuz hé dud rakdal e mês ar vro. d'aller avec une partie de ses gens hors du pays;
Zenti a réas doc'htu ouz gourc'hémen an El, il obéit aussitot à la recommandation de l'ange
Hac e teuas adarré en dro da Vreiz-lzel. et vint de nouveau dans les parages de la Basse-Bretagne.

C . 19 Darn a gred ez eo neuzé a réas sant Thêlo D'aucuns croient que c'est alors que saint Theleau institua
Tro ar brosession gaer a réomp c'hoas hirio, la belle procession circulaire que nous faisons encore aujourd'hui,
Vit trugarécad Doué da véza prézervet pour remercier Dieu d'avoir préservé
Lod deuz hé vugalè baour gant péré oa heuliet. nombre de ses pauvres enfants qui l'avaient suivi.

C . 20 Pa oa fin d'ar c'hlenvéjou 'bars e bro ar C'hombri, Quand eurent pris fin les maladies dans le pays de Cambrie.
Deuz ar vro-ma sant Thelo a iès adarrè d'hi. De ce pays-ci saint Theleau s'en retourna là-bas;
Er vro-sé eo e varvas peur-dost da gêr Marden c'est en ce pays-là qu'il mourut, non loin de Caermarthen,
Var dro ar blavez pemp kant eunnek-ha-triugent. vers l’an cinq cent soixante et onze.

C . 21 Kerkent a ma oué maro e zavas eun disput Aussitot qu'il fut mort, il s'éleva une dispute
Divar benn korf sant Thelo étré dri rummad tud; au sujet du corps de saint Theleau entre les habitants de trois villes !
Ré Landaff, ré Pennalun ha Landéliou-Vavi ceux de Landaff, de Pennalun et de Landeliou vavi
Eo an tri rum a glaskè he gorf da anterri. furent les trois groupes qui voulaient avoir son corps à enterrer.

C . 22 Tud Landaff ho doa er-fin gonézet ar victor, Les gens de Landaff remportèrent enfin la victoire.
Hac éno oué interret hor fatron, hor fastor. Là fut enterré notre patron, notre pasteur.
Var hé vez a c'hoarvézas niver a viraclou Sur sa tombe il se fit nombre de miracles,
Arok ma oué digasset d'éomp hé rélégou. avant que fussent apportées chez nous ses reliques.

C . 23 Setu aze, christenien, eul loden, eur pennad Voilà, chrétiens, une partie, un chapitre
Deuz a vuhez sant Thêlo, hor fatrom hac hor zad, de la vie de saint Theleau, notre patron et notre père,
Pehini hen deus guechall plantet e Breiz-Izel lequel a jadis planté en Basse - Bretagne
An had a gomzou Doué hanvet an Aviel. la semence des paroles de Dieu appelée l'Evangile.

C . 24 Tud a barrez Landelo, o c'hui zo evuruz Gens de la paroisse de Landeleau, ô, vous êtes heureux
Da bossédi eul loden deuz hé gorf présius. de posséder une partie de son corps précieux.
Dougit éta gant respet rélégou zant Thelo, Portez donc respect aux reliques de saint Theleau
Ha kerzit var he roudou da bétek ar maro. et marchez sur ses traces jusqu'à la mort.

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 36


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

C . 25 Hiniennou ac'hanoc'h a dô poan martézé D'aucuns d'entre vous auront à souffrir peut-être
Evel sant Thelo guechall o servicha Doue. comme saint Theleau, pour le service de Dieu.
Mes, na gollit ket kourach 'bars e kreiz ar gombad; Mais ne perdez pas courage au milieu du combat.
Zonjit ho peus 'bars en env eur zant 'vit avokad Songez que vous avez dans le ciel un saint pour avocat.

C . 26 Pa vemp éta bourrevet gant ar boan, an anken, Quand nous serons donc torturés par la peine, par l'angoisse,
Kénigomp da sant Thêlo heb dalè eur béden adressons à saint Theleau sans retard une prière.
Zur omp da voud zikouret dré hé broteclion. Nous sommes assurés d'être secourus par sa protection.
Testéni a gément-sé hor beus en hor c'hanton. Nous avons de cela témoignage en notre canton.

C . 27 Ped guech n'ho peus ket kiewed an hini ma hini Que de fois n'avons-nous pas entendu dire que tel ou tel.
Zo bet clanv gant poan spered hac ar boan izili, malade de peines d'esprit ou de peines de membres,
Kasset zokén gant klenved betek dor ar maro mené même par la maladie, jusqu'aux portes de la mort,
Hac a zo bet paréet 'n eur bédi zant Thêlo. a été sauvé net pour avoir prié saint Theleau.

C . 28 Ia, Doué dré ar zant-ma a ro da galz zikour, Oui, Dieu, par l'intercession de ce saint, porte à beaucoup secours
En danier deuz ho buhez var zouar ha var zour; (alors qu'ils sont) en danger de (perdre la) vie sur terre et sur mer;
Belek ébars an armè, e-kreiz tan ar brézel même à l'armée, au milieu du feu de la guerre,
Sant Thelo a war diwal he vignoned fidel. saint Theleau sait veiller sur ses amis fidèles.

C . 29 Rak-se éta, tud iaouank, hen pedit gant fianz, Ainsi donc, jeunes gens, priez-le avec confiance,
C'hui péré zo destinet da ziwal drapo Franç, vous qui êtes destinés à garder le drapeau de la France;
Gret oll tro he rélégou arok mond d'an armè, faites tous le tour de ses reliques avant de partir pour l'armée,
Hac ho pézo guelloc'h chanç da ober ho conjè. et vous aurez meilleure chance pour faire votre congé.

C . 31 Hor zud coz a oa devot da bédi zant Thelo, Nos ancêtres étaient dévôts à prier saint Theleau;
Ni ivez, ho bugale, dlè ober henvel d'ho: nous, leurs enfants, nous devons aussi faire comme eux;
Baléomp var ar roudon ho deus grêt hor zud coz, marchons sur les traces qu'ont laissées nos ancêtres,
Hac hor bezo espérans d'ho gweld er Baradoz. et nous aurons l'espérance de les revoir en Paradis.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Kantik Sant Telo – 1944


Imprimatur, 15 Avril 1944, A. Moenner Vicaire général.
D . 10 Arc'heskob Jerusalem, hervez m'eo bet skrivet,
TON : D'hor mamm, Santez Anna... A reas eur gwir eskob eus hor patron karet.
Ha dem-c'houde sant Telo a ziskennas e Breiz
Sant Telo, pastor mat Evit sikour hon tadou da zerc'hel mat d'o feiz.
Pedit 'vidomp Doue,
Bezit gwir alvokad D . 11 En istor 'lennomp, ivez, penaos en amzer-se,
Evit ho pugale. Sant Telo en doa kerent du-hont e bro-Gerne:
Eur c'hoar dezhan dimezet gant eun den pinvidik,
TON : Santez Mari, mamm Doue. Bet ganet e Breiz-Izel, hanvet e oa Budik.

D . - 1 Gwechall a-hed ar vro-man, n'oa nemet paianed D . 12 Vit rei da dud e familh eur merk a garantez,
Arôk ma teuas enni tadou ar Vretoned, Mont a reas d'o gwelout gant eur gwir levenez.
Tud kalonek ha dispont, tud a relijion, Met ne chomas ket gwall bell gant e vreur hag e c'hoar,
Gwir vugale sent brudet, evel hor sant patron. Ken distak oa e galon diouz holl draou an douar.

D.1 E bro-goz ar Vretoned eo bet ganet Telo, D . 13 E vuhez en doa gouestlet da servicha Doue,
En eur familh pinvidik, ha karet mat er vro. Ha ne glaskas er bed-man, nag enor, na leve,
Ano e dad oa Enzig, ano e vamm Gwenhaff, Morse n'en deus bet sonjet en aour, nag en arc'hant,
Daou zen eus ar re wella, o chom wardro Landaff. Kas pep kristen d'an neñvou oa bolontez hor sant.

D.2 Tud hor sant o doa madou ha kalz vertuz ivez, D . 14 Epad seiz vloaz ha seiz miz a-unan gant Samson
Daou dra diaes da gavout dastumet asamblez ! E prezegas er vro-man ar gwir relijion;
En o c'halon ne vagent nemet doujans Doue, Warlerc'h ez eo bet eskob, e Landaff, en e vro
Setu perak e rejont sent eus o bugale. Met ne vevas ket eno tre betek ar maro.

D.3 Sant Telo a voe kaset gant e dad hag e vamm D . 15 Ar vro-man a voe gwastet gant eun derzienn, siouas!
Da skolaj eun den santel p'edo c'hoaz yaouank flamm. Hag a laze 'vel kelien an dud bihan ha bras.
Dubrig, an eskob brudet, ar mestr leun a furnez, Al loened o-unan ganti 'veze taget
A daolas en e galon hadenn ar santelez. Hag evit o farea n'oa gwir louzou ebet.

D.4 Founnus evel an avel, an aotrou sant Telo, D . 16 Ar pastor mat sant Telo n'espernas ket e boan
A gerze hed ar maeziou pignet war eur c'haro, Evit dousaat o foaniou d'an holl, bras ha bihan.
Evit kinnig pep sikour d'an dud klañv, d'ar beorien A galon vat e roas ar pezig en devoa
Ha ranna kenetrezho e dammik aluzen. Evit sikour e zenved ha klask o farea.

D.5 Mar doa tener e galon e kenver e nesa D . 17 Noz ha deiz digant Doue goulenn a ra pardon
Evit e gorf e-unan n'oa ket ar memez tra; En ano e vugale ken gwasket o c'halon.
Ouspenn ma yun alies, 'vit gwele da gousket Ar sant a voe selaouet p'edo c'hoaz o pedi,
N'en devoa hor sant patron nemet eur maen kalet. Eun ael eus ar baradoz a zeuas en e di.

D.6 An drouk-spered kounnaret o welout e furnez, D . 18 Kannad an aotrou Doue 'laras da sant Telo
A glask beuzi sant Telo e fank an hudurnez; Kas gantan e gristenien ha mont kuit eus ar vro.
Merc'hed, eus ar re falla, a boulzas d'e denti, Senti a reas kerkent ouz gourc'hemenn an ael,
Met ker e koustas dezho, eun deiz, o falloni. Hag e teuas adarre en dro da Vreiz-Izel.

D.7 Doue, difennour Telo, en devoa permetet D . 19 Neuze, hervez ar gredenn, e kare sant Telo
Ma ve ar merc'hed fall-man, raktal diskiantet, Ober an dro ken santel a reomp ni c'hoaz hirio,
Hep dezho beza gallet mont betek sant Telo, Evit laret da Zoue bennoz ha trugarez
Daoust m'edo an drouk-spered a-unan krenn ganto. Da veza bet diwallet e dud en dienez.

D.8 Tud ar vro dal ma klevjont kelou a gement-man D . 20 Pa voe fin d'ar c'hlenvejou, du-hont e bro Geumri
A zougas da sant Telo eun doujans vras kenan, Sant Telo a zistroas, eun deiz, d'e eskopti.
Ar baianed o-unan a zeu diwar neuze E ker Marden eo marvet, evel ma varv ar sent,
Da c'houlenn ar vadiziant, en o fenn eur roue. Wardro ar bloavez pemp kant unnek ha triugent.

D.9 Wardro ar bloavez pemp kant, hervez ma red ar vrud, D . 21 Kerkent warlerc'h e varo, e sav eun tamm tabut
Sant Telo a lavaras hep kenavo d'e dud, Diwarbenn korf sant Telo, etre tri rummad tud:
Evit heulia sant David, sant Patern, spered-lemm, Re Landaff ha Pennalun ha Landeliou-Vavi
Betek skol vras Paulinus ha kêr Jerusalem. Eo an tri rumm a glaske e gorf da anteri.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

D . 22 Tud Landaff a c'hounezas war an holl ar viktor. D . 29 Rak-se c'hwi tudou yaouank, bleuenn dispar hor bro,
El lec'h-man e voe beziet hor patron, hor pastor. Evit chom gwir gristenien, holl pedit sant Telo,
War e vez e choarvezas niver a vurzudou Grit holl tro ar relegou araok mont d'an arme,
Arôk m'eo bet degaset deomp-ni e relegou. Hag e vezoc'h diwallet en amzer ho konje.

D . 23 Setu aman, kristenien, eul loden, eur pennad D . 29 Merc'hed yaouank Landelo, holl verc'hed ar c'hanton,
Eus a vuhez sant Telo, hor skoazell hag hon tad, bis Deuit ivez da bedi sant Telo hor patron,
An den santel a stourmas, gwechall, e Breiz-Izel Hag e chomoc'h direbech epad ho yaouankiz,
Da virout er c'halonou hadenn an Aviel. Fidel war hent an dever, ha fidel d'an Iliz.

D . 24 Tud vat parrez Landelo, na c'hwi 'zo evurus, D . 29 Pôtred, merc'hed ar skoliou, evit beza furoc'h,
Dre ma talc'hit eul lodenn eus e gorf presius. tierce Deuit da skol sant Telo, n’eus ket eun all gwelloc'h.
Dougit bepred gant doujans relegou sant Telo Digorit ho taoulagad ha sellit gant evez,
Ha chomit war e roudou, holl, betek ar maro. Ouz ar gwer livet ken brao en hoc'h iliz parrez.

D . 25 Meur a hini marteze a gavo gwall galet, D . 30 Tadou ha mammou kristen, pedit, pedit bemde
Beza kristen direbech a-wel d'an holl, bepred. Hor patron mat sant Telo evit ho pugale.
Morse na gollit fizians, hag e kreiz ar stourmad Rak ene ho pugale a vez e gwall danjer
Sonjit hoc' h eus en neñvou eur sant 'vit alvokad. Dal ma vezont en henchou ha pellik diouz ar ger.

D . 26 Pa vimp eta bourevet gant ar boan, an anken, D . 31 Hon tud koz a oa devot da bedi sant Telo
Kasomp betek sant Telo hep dale hor pedenn Ni breman, o bugale, a rank ober 'veldo;
Hag e vezimp divec'hiet gant skoazell hor patron : Baleomp hed a roudou o deus grêt hon tud koz
Testeni a gement-man hon eus en hor c'hanton. Vit ma vevimp da viken ganto er baradoz.

D . 27 Pet gwech n'hon eus ket klevet gant hini pe hini, DISKAN DIWEZA:
Dalc'het klañv gant poan spered pe gant droug izili,
Tud kaset gant o c'hlenved betek dor ar maro Dirag ho relego
Hag a zo bet pareet o pedi sant Telo. E touomp, sant Telo,
Kerzout war ho roudou
D . 28 Doue dre nerz ar Sant-man, da galz a ro sikour, Holl betek ar maro.
Pa vezent sur e danjer war zouar pe war zour.
Betek en dachenn-emgann, e kreiz tan ar brezel IMP. CLOITRE, R. FONTAINE-BLANCHE,
Sant Telo a oar difenn e vignoned fidel. LANDERNEAU

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Le cantique de saint Telo - Analyse

Le cantique de saint Telo est le cantique traditionnel chanté à Landeleau pendant la troménie, dont la
première version « officielle », possédant l'imprimatur de l'évèché de Quimper, date de 1889. Le
cantique chanté actuellement en est une version remaniée datée de 1944.

Lors des grands évènements religieux de la vie locale Landeleausienne, mariages, enterrements,
troménie, les paroissiens apprécient de chanter quelques-uns des trentre-quatre couplets du cantique de
saint Telo sur l’air de Santez Anna du Folgoet. Le cantique de saint Telo était l'accompagnement majeur
des troménies jusqu'à l'après-guerre, avant que la sonorisation du circuit n'amène son lot de
changements; aujourd'hui durant la troménie on peut entendre des témoignages chrétiens, chansons,
musiques diverses etc; quelques couplets du cantique de saint Telo étant chanté au départ du bourg, à
l'arrivée au Pénity et à l'arrivée de la troménie en l'église paroissiale.

Pour les facilités de présentation j’ai choisi


de classer les quatres versions connues du
cantique par les lettres :
• A - composition originale
de Clec’h Coz autour de 1880.
• B - cantique officiel de 1889.
• C - gwerz d’Anatole Le Braz de 1893.
• D - cantique officiel de 1944.

(Anonyme – 1953) Montée de la troménie


devant Châteaugall

Par commodité je propose la traduction rédigée par Anatole Le Braz qui donne le sens général du
cantique, elle correspond aux versions A, B et C datées de la fin du siècle dernier.

Je commencerais l'étude par la présentation du cantique contemporain dont la réfection est l'oeuvre de
l'abbé Jean-Marie Le Goff.

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 40


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

1 –L' A B B É J.F. L E G O F F

a - Prêtre, poète et militant breton

Le cantique actuel a reçu l’imprimatur de l’évêché en 1944, il succède à un cantique plus ancien, daté de
1889. Cette recomposition a été commandité par l’abbé Jaffres, recteur de Landeleau (1936 - †1948), à
son ami J.F. Le Goff, recteur de Kernével.

Afin de comprendre son oeuvre je joins ici sa biographie issue de Geriadur ar Skrivagnerien ha Yezhourien 3
le Dictionnaire des écrivains et des linguistes bretons que M. Fench Morvannou a eu l'extrême
obligeance de me traduire :

Il fait ses études à l’école de Kéroulas et au collège Notre Dame du Kreisker à Saint-Pol de Léon. Il fut
appelé à l’armée en 1914 et fut très courageux au front. On lui donna la croix de guerre et la médaille
militaire. A l’époque il était sous-lieutenant. Et ensuite il fut fait chevalier de la légion d’honneur pour ses
coups d’éclats pendant les combats, aussitôt après la guerre en 1919, il prit part à la création du Combat
National Breton, avec Marshall, Prado, De Roincé etc; et fut le vice président de l’Union de la Jeunesse
Bretonne. Une année après il alla au séminaire de Quimper et après avoir été ordonné prêtre il fut nommé
vicaire à Douarnenez en 1923. Là-bas il fonda l’équipe sportive Stella Maris et le cercle En Erninig quii devint
un véritable foyer d’esprit national breton. L’influence de Saig ar go sur les jeunes gens et les jeunes filles de
Douarnenez, a été considérable et beaucoup d’entre eux lui sont redevables de leur foi bretonne. En 1934 il
fut nommé professeur au collège de Lesneven, il y resta jusqu’à la dernière guerre. Mobilisé encore en 1939, il
fut fait prisonnier par les Allemands et déporté en Allemagne. Assez vite cependant, on le laissa partir en
raison de son âge, alors il fut nommé recteur de Kernével en 1942, et de Plounéourtrez en 1952, après
Augustin Conque. Là-bas il fonda un bulletin paroissial, il a publié quantité d’articles bretons, et chaque fois il
rédigeait l’éditorial dans la langue nationale du pays. Il mourrut avec beaucoup de courage, tout a fait comme
il avait passé sa vie, en disant Kenavo à ses paroissiens et à ses amis.

L’abbé Le Goff, à son retour de captivité vient assister plusieurs fois (1943, 1948) son ami l’abbé Jaffres
à la troménie, les prônes paroissiales conservent les éloges sur ses prêches. Sa biographie permet de
mieux comprendre l'impulsion de la réécriture apporté au cantique de 1944.

Il est a noté qu'il est l'auteur de la pièce de théatre4 « Bokedig Sant Telo », qui semble n'avoir jamais été
jouée à Landeleau. Cette pièce était censée se jouer en marchant, mais le breton utilisé estun registre
léonard soutenu, donc incompris dans le Poher « on ne pouvait pas jouer ça à Landeleau compte tenu
du niveau culturel des gens; les gens qui n'ont jamais été instruit en breton5 ».

3 Geriadur ar Skrivagnerien ha Yezhourien, Al liam, 1992.


4 J.F. Le Goff, Bokedig San Telo, imprimatur M. Hervé, vicaire général, Moulerez bro Kerne, Quimper, 1950.
5 Entretien, septembre 2001 avec M. Fench Morvannou à Brest.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

b - Le c ant iqu e de 1944

J.M. Le Goff refond le cantique de 1889 tant linguistiquement que sémantiquement. Du point de vue
linguistique, J.M. Le Goff efface toutes les francisations et réécrit le breton du cantique; les repères sont
conservés mais le vocabulaire est remanié. Du point de vue sématique, l'abbé Le Goff édifie le texte et
réoriente le sens patriotique de certains couplets pour une morale vertueuse.

Dans le couplet B-14 planta « planter » devient en D-14 prezegas « prêcher ».

Dans le couplet B-21 disput « dispute » devient en D-21 tamm tabut « une sorte de querelle ».

Dans le couplet B-29 da ziwal drapo Franç « le drapeau français » est transformé en evit chom gwir gristenien
« pour demeurer des vrais chrétiens ».

Cette épuration systématique se double d’un travail de fond sur l’expression écrite bretonne; cette
dernière est réarrangée aux canons linguistiques de l’après guerre, soit le breton écrit de la région
léonarde, correspondant au Nord-Finistère. Cette refonte dialectale est faite avec un souci de
constrution poétique. Je propose comme exemple le second couplet sous sa forme ancienne et sous sa
nouvelle forme remaniée accompagnés de leur traduction.

Couplet B 1 du cantique de 1889


E Bro-Zôs e voa ganet an Aotrou Sant Thelo En Grande Bretagne était né Monsieur saint Theleau
Deuz a gérent pinvidik, an nopla deus e vro de parents riches, les plus nobles du pays;
He dad voa hanvet Enzik, Guenhaff e oa hé vamm. Son père avait pour nom Enzic, Guenhaff était sa mère;
Ar vro ma chomment enn-hi voa hanvet Cardigan. Le pays où ils demeuraient s’appelait Cardigan.

Couplet D 1 du cantique de 1944


E bro-goz ar Vretoned eo bet ganet Telo, Telo était né dans le vieux pays des bretons,
En eur familh pinvidik, ha karet mat er vro. Dans une riche famille très estimée dans le pays,
Ano e dad oa Enzig, ano e vamm Gwenhaff Le nom de son père était Enzic, le nom de sa mère était Guenaff,
Daou zen eus ar re wella, o chom wardro Landaff. Deux personnes parmi les meilleures, et qui habitaient dans les
parages de Llandaff.

Dans le couplet B-4 Buhan « rapide » devient en D-4 founnus « rapide », ce changement est étonnant car
buhan est plutôt un mot littéraire utilisé en Léon, et founnus est cornouaillais. Dans le couplet B-10
Patriarch « patriarche » devient en D-10 Arc’heskob « archevêque », ce dernier mot, plus récent, a apparu
plus breton à l’auteur que le français « patriarche », qui correspond plus difficilement à une éventuelle
réalité historique.

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 42


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Le troisième souci de l’auteur est d’édifier le cantique, à cet effet il y rajoute deux couplets à l’attention
des jeunes filles, garçonnet et fillettes de Landeleau.

Cantique de 1944, couplet D 29bis


Merc'hed yaouank Landeleau, holl verc'hed ar c'hanton, Jeunes filles de Landeleau, toutes les filles du canton
Deuit ivez da bedi sant Telo hor patron, Venez prier saint Telo votre patron,
Hag e chomoc'h direbech epad ho yaouankiz, Et vous serez sans reproches durant votre jeunesse,
Fidel war hent an dever, ha fidel d'an lliz. Fidèles sur le chemin du devoir et sur le chemin de l’Eglise.

Cantique de 1944, couplet D 29tierce


Pôtred, morc'hed ar skoliou, evit beza furoc'h Garçonnets, fillettes des écoles pour être plus sage
Deuit da skol sant Telo, n'eus ket eun all gwelloc'h. Venez à l’école de saint Telo, il n’y en à pas un autre de meilleur,
Digorit ho taoulagad ha sellit gant evez, Ouvrez les yeux et regardez avec attention
Ouz ar gwer livet ken brao en hoc'h iliz parrez. Les vitraux si beaux de votre église paroissiale.

La dédicace de ces deux couplets aux jeunes filles, puis aux garçonnets et fillettes vient compenser les
nombreux couplets dédiés aux jeunes conscrits; ces derniers ne sont plus célébrés pour l’action
guerrière, mais sont priés d'orienter leur prières plus fermement vers leur saint patron.

Dans le couplet B-29 Rak-se éta, tud iaouank, hen pedit gant fianz, C'hui péré zo destinet da ziwal drapo Franç,
« Ainsi donc, jeunes gens, priez-le avec confiance, vous qui êtes destinés à garder le drapeau de la
France »; prend sous sa plume une tout autre tournure Rak-se c'hwi tudou yaouank, bleuenn dispar hor bro,
Evit chom gwir gristenien, holl pedit sant Telo, « C’est pourquoi vous jeunes gens, fleur incomparable de notre
pays, pour demeurer de vrais chrétiens, priez tous saint Telo ».

On remarquera l’allusion aux si beaux vitraux de l’église paroissiale, elle correspond à la rénovation
complète des vitraux de l’église paroissiale par les ateliers Marzin de Nantes, bénits le jour de Pâques
1944 pour le grand vitrail et au soir de la troménie pour les deux vitraux sur les côtés du choeur6:

Le 9 avril - jour de Pâques- à lieu la bénédiction du grand vitrail qui domine le maître autel. Il sort des ateliers
de M. Marzin, Maître-verrier à Nantes (coût : 40 000 F). Le 28 mai -le jour de la Pentecôte- au soir de la
troménie, sont bénits les deux vitraux qui sont situés de chaque côté du choeur et qui représentent, l’un (celui
de droite) saint Thélo grimpant dans un arbre pour échapper aux chiens du Seigneur de Castel-Gall; l’autre,
(celui de gauche) l’entrevue de saint Thélo avec son cousin, le Comte Budic (Coût 20 000 F).

Nous avons vu que la composition du cantique actuel date du milieu de siècle, elle est l’oeuvre d’un
prêtre lettré bretonnant ami du recteur de Landeleau. Son édition, sous l’imprimatur de l’évêché,
coïncide avec bénédiction lors de la troménie de 1944 de plusieurs vitraux rénovés, de l’église
6 Anonyme, A travers les chemins de la troménie, presbytère de Landeleau, janvier 1974.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

paroissiale. L’abbé Le Goff a orienté son travail de recomposition du cantique de 1889 sous trois axes;
une élimination des francisations du breton du texte, une réécriture « léonarde » plus poétique et une
introduction de formules moralisantes.

2 - LES VERSIONS ANTÉRIEURES

Le cantique de 1944 est la version remaniée du cantique de 1889, lui même étant une réécriture de la
composition de Clec'h Coz, compositeur local inspiré par une gwerz ancienne aujourd'hui disparue,
selon Anatole Le Braz de passage dans la région en 1892-1893.

a - Le c ant ique de 1889


Quand les anciens parlent du vieux cantique ils citent le cantique de 1889, c’est en effet la plus vieille
version, ayant reçue l’imprimatur, du cantique. Le cantique diffère de la gwerz de Clec'h Coz par
l’adjonction d’un air musical issue du répertoire religieux, Santes Mari, mamm Doue, Sainte Marie mère de
Dieu; et par l’ajout de trois couplets et de deux refrains. Il semble que les apports sus-cités soient
l'oeuvre de l'évêché, ce dernier imposant des retouches de principes, conformes aux canons religieux
des cantiques de la fin du XIXe siècle pour avaliser son imprimatur.

Le premier refrain est repris tout le long du cantique jusqu’au dernier couplet ou l’on entonne un
refrain final différent du précédent.
Diskan Premier refrain du cantique de 1889
Sant Thelo, pastor mad, Saint Thelo, bon pasteur
Pedit vidom Doue Priez Dieu pour nous
Bezit guir alvocat Soyez véritable avocat
Evit ho pugale Pour vos enfants.

Diskan e fin ar c’hantic Dernier refrain du cantique de 1889


Dirac ho relegou Devant vos reliques
Ni bromet, sant Thelo Nous promettons, saint Thelo
Kerset var ho roudou, De marcher sur vos traces,
Da betec hor maro. Jusqu’à notre mort.

Le premier refrain introduit de façon édifiante le cantique, il s’inscrit dans la ligne classique des
cantiques religieux. A la différence du dernier refrain, orienté sur la troménie ou plus exactement sur le
tro ar relegou, vu qu’il est question de marcher sur les traces de saint Telo, promesse faite devant ses
reliques.

T.E.R. de maîtrise d’ethnologie - UBO 2001-2002 44


Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Ce souci d’édification amène le correcteur à créer un couplet d’introduction pour le cantique, avec un
intérêt évident de réaffirmer la prééminence de la vraie religion sur nos ancêtres païens.

Couplet B-1 du cantique de 1889


Guechal, e Breiz-Izel, hon tud voa païanet, Autrefois en Bretagne, nos ancêtres étaient païens,
Doue d’ho scerijenna en devoa digasset Dieu pour les éclairer, avait envoyer des saints
Sent evit deski dezo ar guir relijion; Pour leur apprendre la vraie religion
Unan demeus ar re-ze e voa hor sant Patron. Un de ceux là a été notre saint patron.

Les deux derniers ajouts sont les couplets B-4 et B-5, ils parlent de la monture cervidée et du lit de
pierre de saint Telo, deux particularités légendaires propre à la paroisse de Landeleau. Cet ajout s’insère
dans le début cantique et crée dans la composition un anachronisme que personne ne remarque. Le
cantique, comme le remarquait Joseph Loth7 « elle n’a rien de populaire et n’est guère qu’une paraphrase
abrégée de notre vie », soit la vie latine du Book of Llan Dâv; cette dernière ne mentionnant pas le
passage en Cornouaille du saint gallois. L'insertion de l'épisode Landeleausien aurait été plus logique
après le couplet D-19, mentionnant l'émigration galloise en Armorique.

Couplet B 4 Cantique de 1889


Buhan evel an avel, an Otrou sant Thelo Vite comme le vent, Monsieur saint Telo
A redé dré ar vro-ma, pignet var eur c'haro, Courait à travers ce pays, monté sur un cerf
Evit kass sicour guella d'an dud clanv, d'ar beorien, Pour porter secours plus prompt aux malades, aux pauvres,
En eur ranna étré-z-ho he dammik aluzen. Partageant entre eux sa modeste petite aumône.

Couplet B 5 Cantique de 1889


Mar boa ar Zant damantuz e kenver hé nessa, Si saint Telo était libéral envers son prochain,
En he genver hé unan n'oa ket er memes-tra, Envers lui même en revanche il ne l’était guère.
Rac iûn a re aliès. 'Vit gwél da gousked Car il jeûnait souvent; pour lit à dormir
Hor Zant Patron n' hen dévoa német eur mén kaled. Notre saint patron n’avait qu’une pierre dure.

Cet ajout est difficile à expliquer par manque d’informations, nous pouvons juste constater le caractère
édifiant et local des couplets.

En dehors de l’adjonction d’un air « classique » pour les cantiques, de deux refrains et d’un couplet
introductif, le texte de 1889 comme nous allons le voir est quasiment identique à ses deux
prédecesseurs, les gwerziou d'Anatole Le Braz et de Clec'h Coz.

7 Joseph LOTH, « La vie de saint Teliau », Annales de Bretagne, tome X, 1894, p 70.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

b - la gwerz d’Anatole Le Braz

Anatole Le Braz de passage dans le Poher en 1892 et 1893 pour la réalisation de son ouvrage sur Les
saints bretons d'après la tradition populaire, s’arrête à Collorec dans l'hôtellerie de M. et Mme Hourmant.
Mme Françoise Hourmant, née Le Borgne est originaire de Landeleau, elle est la nièce de Clec’h Coz,
« le compositeur » de la plus vieille version écrite connue du cantique et reconnue comme tel dans les
archives paroissiales de l’époque.

Le texte du cantique ou pour reprendre A. Le Braz, de la « gwerz », est retranscrit dans le tome VIII des
Annales de Bretagne, dans la série « Les saint bretons, d’après la tradition populaire », p 632-640. Il
présente son informatrice en reconnaissant « qu’ elle ne connaît pas de plus grand thaumaturge que
saint Theleau », puis elle lui débite sa « gwerz », la nouvelle composée par un prêtre et imprimée, et « non
l’ancienne, qui était plus belle, plus longue, et qui s’est perdue ». Cette remarque donne l’occasion à Le
Braz de s’épancher sur la disparition des complaintes primitives et de leur remplacement par de
nouvelles formes, soigneusement expurgées, pour la plupart œuvre du clergé, « ce sont proprement des
élucubrations liturgiques »8.

Nous constatons que Le Braz est restée un certain temps auprès de Mme Françoise Hourmant afin de
collecter la « gwerz » de saint Telo et il nous décrit son auteur comme un prêtre. Il fait l'amalgame entre
le compositeur Clec'h Coz, oncle de Mme Françoise Hourmant, et le correcteur anonyme de l'évêché.
Clec'h Coz, parent de la conteuse, est le lien entre l'ancienne et la nouvelle gwerz; Le Braz omet de le
citer et se plaint des corrections édifiantes de l'évêché. Clec'h Coz est avant tout un compositeur de
cantiques très investit dans la vie paroissiale, si Le Braz l'a rencontré, ce qui pourrait-être fort probable,
l'entrevue est resté stérile.

La gwerz recueillie est contemporaine du cantique, néanmoins elle ne possède pas les refrains, le couplet
d’introduction, ni le couplet B-30 du cantique de 1889. Ces différences marquent la distance formelle
d’entre le cantique et la gwerz pour un même texte.

On peut noter une différence dans l'orthographe utilisé par Le Braz et celle du cantique, phénomène
courant à la fin du XIXe siècle, où une orthographe unique du breton n’était pas encore arrêté.

8 A. Le BRAZ, « Les saints bretons d’après la tradition populaire », Annales de Bretagne, tome VIII, p 632.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

3 - CLEC’H COZ

Avec M. Puillandre nous avons cherché la plus vieille version du cantique, soit une gwerz dont
l'existence est citée par Mme Françoise Hourmant à Anatole Le Braz. Malgré nos nombreuses
recherches, nous n'avons trouvé qu'un manuscrit compilant les œuvres de Clec'h Coz, daté des années
cinquante. Cette retranscription est l'œuvre de son neveu et c'est la seule référence au texte prototype
des versions successives des textes précédemment étudiés.

a - Le barde de l’aulne

Pour présenter Yves-Louis Le Clec'h, appelé Clec'h Coz, je retranscris un courrier d'un parent, l'abbé
Michel Guyomar adressé à M. Armand Puillandre9:

« Barz an Staër Aon »


Le Barde de l'Aulne
Yves-Louis Le Clec'h 1834-1907
Yves-Louis Le Clec'h, appelé « Ewénik », naquit à l'écluse de Lesnévez, en Cléden-Poher, le 9 octobre 1834.
Son père était Yvon et sa mère Catherine Thépot. Il est à remarquer que dans cette famille Le Clec'h un
garçon, en règle générale l'aîné, portera le prénom Yves. Confié à sept ans à sa tante Louise Le Clec'h, épouse
Derrien, il vint habiter Landeleau.
Monsieur Bescond, recteur de cette époque, s'occupa de lui et lui donna les premières leçons de français.
Ewénik devint enfant de chœur, mais, on ne sait pour quelles raisons, fit sa première communion à Cléden-
Poher. Le recteur Bescond mourut en janvier 1843 et fut remplacé par Monsieur Janin. Yves-Louis devint
sacristain de l'église de Landeleau, apprit le métier de cordonnier; et en 1858, à l'âge de 24 ans, il épousa
Marie-Jeanne Sizun, de Kervéguer, en l'église de Landeleau. De cette union naquirent trois enfants : Yves-
[Henri] qui épousa Josèphe Le Borgne, Anna qui devint la femme de Jean Caro et Joséphine qui mourut
enfant. Puis Yves-Louis fit commerce de grains, engrais et bois.
Il entra dans le conseil municipal, fut élu adjoint-maire, et devint maire en 1871, mais ne garda cette charge
qu'une année. C'est en 1870, qu'il fit bâtir la maison qui existe toujours, au milieu du bourg, en bordure de la
grand'rue.
Appelé au Conseil de Fabrique, il dirigea avec les recteurs du temps les affaires de la paroisse. C'est pendant
cette période que fut construite l'église actuelle terminée en 1896. Pendant les travaux, il donna le bâtiment
qui lui servait de magasin pour la célébration des messes et des offices.
A quel moment commença-t-il à s'occuper de nombreuses fermes des environs et toucher les fermages pour
le comptes de propriétaires n'habitant pas sur la paroisse?
En 1906, il reçut chez lui le barde Jaffrennou Taldir. Vers la fin de cette année 1906, sa santé s'altéra et il dut
s'aliter. Sa femme mourut le 4 janvier 1907, après une brève maladie, et lui-même le 23 mars suivant, à l'âge
de 72 1/2ans.

9 Je tiens à remercier M. Armand Puillandre d'avoir eu l'extrème obligeance de me prêter le document.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Yves-Louis Le Clec'h était de taille au-dessus de la moyenne, large d'épaules, avec le visage coloré, des yeux
bleus. D'un tempérament régulier, tenace, ordonné, il était toujours calme.
Le nombre des « gwerziou » et « soniou » composés et rimés par lui est assez étendu. Il est sans doute difficile
d'en connaître le nombre, certains ayant disparu.
L'œuvre n'est pas sans défaut au point de vue style ou rime, mais son originalité, sa tournure, la pureté de son
inspiration sont un régal pour le poète avide d'inédit tout en étant un précieux souvenir pour la famille et la
communauté landeléenne.
Son « Kanaouennou d'ar Merc'her » a été imprimé à Morlaix, et connut une aventure. Contrefaite par un
marchand-chanteur ambulant sous le couvert de l'anonymat, cette chanson devint « Son ar c'hafé » qui eut un
succès local évident.
Le cantique de saint-Thélo (le vieux cantique, pas l'actuel), imprimé à Quimper, est aussi de Yves-Louis.
Ces quelques notes rapides je les ai recueillies dans des archives familiales qui m'ont été gentiment prêtées.
Malheureusement le temps m'a manqué pour réaliser un travail approfondi et méthodique : peut-être dans
quatre ans... Car il y a un travail historique et des recherches à faire : les dates à retrouver, l'ensemble des
poésies à chercher, des documents, des photos. Et on retrouverait ainsi celui qui a été « Ewénik » et « Ar
Clec'h Koz ».
Michel Guyomar

(prêtée par Mme Françoise Blanchard – date inconnue) Clec'h Coz est au centre de la photo.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

b – L'ancienne gwerz

La pus vieille version connue de la gwerz de saint Telo est une retranscription manuscrite par son neveu,
insérée dans une compilation de textes du barde. Ce travail rédigé sur un cahier est daté de 1951. La
retranscription nous restitue l’orthographe phonétique du breton dialectale usité à Landeleau à la fin du
XIXe siècle. L’originalité dialectale est appréciée différemment de nos jours selon le point de vue
adopté, elle correspond parfaitement au registre oral du breton de Landeleau, mais reste « fantaisiste »
dans son orthographe selon les critères linguistiques contemporains.

Le contenu ne varie pas dans les versions successives si ce n’est le couplet d’introduction différent dans
le cantique de 1889, l’absence des couplets correspondants à B-4 et à B-5 faisant références à l'épisode
Landeleausien de la vie du saint.

Le premier couplet est avant tout introductif au contenu proprement dit de la gwerz, en ce sens il à la
même fonction que son homologue du cantique de 1889.

Couplet A -1 gwerz de Clec’h Coz Couplet A -1 traduction française


Ninho ped o ma Doue da skleraat hor speret Nous te prions, oh mon Dieu d’éclairer notre esprit
‘Vit ma elfomp diskleria d’hor breudeur bretonet Pour que nous puissions faire découvrir à nos frères bretons
Eur loden deuz a vuez Sant Thelo, hor patron Une partie de la vie de saint Telo, notre patron
Pehini deuz ho karet deus a greis e galon. Aimé du fond de notre cœur.
La confection à grande échelle des cantiques bretons en l'honneur d'un saint protecteur des paroisses, a
débuté au milieu du XIXe siècle, pour connaître un âge d'or dans la première moitié du XXe siècle. La
plupart de ces cantiques, en dehors des grands sanctuaires, sont imprimés sur des feuilles volantes; ils
peuvent être l'œuvre d'un Kantiker (auteur de cantiques) diocésain, ou être la création d'un recteur doué
pour la rime, plus rarement d'un laïc. Le texte manuscrit devait recevoir l'imprimatur de l'évêque ou du
vicaire général pour pouvoir être imprimé.

Les cantiques sont rarement des œuvres originales, ils reprennent le plus souvent les vies des saints
écrites par les historiens tels qu'Albert Le Grand, A. de la Borderie ou de la Buhez ar Zent (Vie des
saints).

Dans notre cas il reproduit la vie latine du Book of Llan Dâv et de ce fait ne nous apporte que peu de
choses. L'ancienne gwerz retravaillée par Clec'h Coz nous reste inconnue, si on en croit Anatole Le
Braz elle « était plus belle et plus longue ». M. Armand Puillandre a cherché en vain l'ancienne gwerz,
mais les anciens ne se souvenaient que du cantique de 1889, ce qui arrête notre recherche à ce stade.

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

Vie de Saint Teiliau Archevêque de


l’église de Llan Dâv
Chanoine Peyron ?, La Semaine Religieuse du diocèse de Quimper et de Léon, « Saint Théleau », n° 27, 30, 43,
44, 45 - 1895, n° 1, 3, 5 - 1896.

Ce saint, mes Frères bien aimés, honora Dieu dès son enfance, et ce n’est pas étonnant puisque le
Seigneur l’avait prédestiné à être son serviteur. Il a prédestiné celui qu’il a choisi; il a choisi celui qu’il a
aimé, et à cet objet de son amour il a décerné la palme de la vraie sainteté.
Cet homme de Dieu fut donc bon dans ses premières années, meilleur encore dans l’adolescence et la
maturité, parfait dans la vieillesse.
Nous ne pouvons passer sous silence, comme si c’était chose inconnue, ce qui a trait à son origine :
Dieu le fit naître de parents nobles, pour que la splendeur de son origine relevât encore, aux regards des
hommes, la prédilection que la noblesse de son âme lui avait value de la part du Seigneur. Quand il eut
grandi en âge, en vertus et en sagesse, des hommes, qui étaient sages aussi, lui donnèrent un surnom qui
lui convenait : ils l’appelèrent Elios. En grec, ce mot veut dire Soleil. Sa science qui se communiquait
aux fidèles brillait en effet comme l’astre le plus beau. Les hommes illettrés, le désignant par ce surnom
en altérèrent la finale, si bien qu’arrivé à l’adolescence il s’appelait non plus Elios mais Eliud. Nous
avons lu que, dès l’enfance, il fut instruit dans les saintes écritures par l’archevêque saint Dubrice, dont
il devait être le successeur immédiat; il fut donc tout d’abord son disciple, jusqu’au jour où le maître eut
reconnu que l’enfant, si heureusement doué, ne lui cédait nullement en science sacrée, mais que, sous
l’action du Saint-Esprit, il triomphait des difficultés de l’Ecriture bien mieux par lui-même que par les
explications d’autrui. Saint Dubrice, comprenant qu’il n’avait plus à l’instruire, puisque la science et
l’intelligence de l’élève l’emportaient sur celle du maître, voulut qu’il lui succédât dans l’enseignement.
Cependant, saint Théleau était tellement dominé par la grâce, sa ferveur pour l’étude du texte sacré
était si grande, que malgré sa capacité pour instruire, il cherchait encore qui l’instruirait; non pas qu’il
ressemblât à ces philosophes sont tout le but est d’humilier leurs adversaires; son but était de confondre
les erreurs des hérétiques; aussi réussit-il, non seulement à leur prouver la fausseté de leurs doctrines,
mais à leur faire embrasser la vérité. Pr la simplicité de son argumentation, par la pureté de sa foi
catholique, il fut plus utile aux fidèles que n’aurait jamais pu l’être un philosophe recourant à la subtilité.
Plus tard, ayant entendu parler d’un sage nommé Poulin, il alla le trouver et demeura auprès de lui
pendant quelques temps; si quelques-unes des difficultés de la sainte Ecriture ne leur présentaient tout
d’abord qu’obscurité, ils s’en entretenaient tous deux, et, par l’exposition même qu’ils s’en faisaient l’un
à l’autre, ils arrivaient à comprendre. C’est alors qu’il s’attacha à saint David, dont la vie était si parfaite.
Leur affection était si vive, la grâce par laquelle le Saint-Esprit les unit était si forte, qu’en toutes choses
ils n’avaient qu’une même volonté, et que ce qui déplaisait à l’un répugnait à l’autre. Voilà, frères bien-
aimés, comment Dieu rapproche sur la terre ceux qu’il a choisis pour en faire des habitants du ciel. Il a
élu ces deux-là, afin que, par eux, fut procurée l’élection d’un grand nombre. Oh! qu’heureuse fut leur
vie, qui répandit la fraîcheur sur tant d’âmes!
Aux jours de saint Théleau et de saint David, vinrent de la Scythie des hommes qu’on appelait Pictes;
cette dénomination leur avait été donnée ou à cause de la couleur de leurs vêtements, ou en raison de
leur usage de se peindre les paupières. On n’aurait pu compter les navires de la flotte qui les transporta
en Bretagne; ce qui les avait attirés, c’était un violent désir de posséder cette terre dont les riches
productions surpassaient celles de toutes les autres îles, et pour se rendre maîtres du territoire des
Bretons, ils eurent bien plus recours à la fraude qu’à la force ouverte. Lorsqu’ils l’eurent conquis, ils
firent subir aux vaincus une incroyable tyrannie. Il n’y a pas à s’étonner de la victoire des Pictes, car ils
étaient très rusés, et de plus bien exercés à la lutte par de fréquents combats sur terre et sur mer; les
Bretons, au contraire, tout en étant doués d’une grande force corporelle, formaient un peuple simple et

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

pacifique et qui n’ayant été attaqué par personne, par conséquent ne sachant guère combattre, put être
bien plus facilement subjugué. Si quelqu’un désire se renseigner plus complètement à ce sujet, qu’il lise
les écrits de Gildas, l’historien des Bretons.
Abandonnant leurs navires au mouillage, certains de ces barbares avaient pénétré dans les terres, tuant
sur leur passage les malheureux habitants, brûlant les maisons et les églises des saints; un de leurs
princes vint jusqu’à la ville de Ménévie, s’y établit et y construisit son palais. Témoin de la vie parfaite
de saint Théleau, de saint David et des serviteurs de Dieu établis auprès d’eux, il éprouva ce
qu’éprouvent d’ordinaire les méchants qui portent envie à ceux dont ils voient forcément la bonté. Ne
se contentant pas de les envier et de les haïr intérieurement en les voyant uniquement appliqués au
service de Dieu, il les accablait d’oppobres, comme s’il avait pu ainsi les séparer de Jésus-Christ. Voyant
qu’il n’y parvenait ni par les menaces, ni par les propos honteux, il s’efforça de le induire en tentation
par différents moyens et crut enfin que le plus efficace serait celui-ci : il ordonna à sa femme d’envoyer
dans le voisinage des saints ses suivantes qui, par leurs danses extravagantes et par leurs obsessions,
effleuraient bien la pureté à laquelle ils avaient voué leur vie. En exécutant les ordres de leur maîtresse,
c’est à dire en feignant d’être insensées, ces filles devinrent réellement folles... Témoin de ce prodige, le
persécuteur embrassa la foi catholique par la grâce des serviteurs de Dieu; toute sa maison la reçut avec
lui et ils furent baptisés au nom de Jésus-Christ. Bienheureux donc fut celui qui sciemment persécutait
les justes pour devenir juste, ce qu’il ne savait certes pas. Il tentait les saints, et c’était pour devenir saint
lui-même. Il était en lutte avec les hommes, et c’était pour s’attacher à l’humilité.
« Un jour, le bienheureux Théleau et Maidoc se trouvaient dans la cour d’entrée du monastère et
s’occupaient à commenter non les fictions des poètes ou les récits des vieux historiens, mais les
lamentations de Jérémie, en vue d’augmenter encore la ferveur de leur aspirations vers la patrie céleste;
survint tout-à-coup un serviteur, disant qu’il n’y avait plus de bois pour préparer le repas des frères. Les
deux moines en furent vivement contrariés; ce n’était pas qu’ils eussent à se reprocher quelque
négligence dans les soins à rendre à la communauté, mais ils calculaient qu’en allant plus tôt à la forêt,
ils n’en pourraient revenir pour préparer à temps le repas accoutumé; ils partirent cependant et en toute
hâte. Il persévéraient dans leur inquiétude au sujet de l’heure, et ils se demandaient, en outre, comment
ils pourraient transporter assez de bois pour suffire aux besoins du monastère pendant plusieurs jours,
afin de n’avoir eux-mêmes, dans l’intervalle, qu’à vaquer aux pieuses lectures et à l’oraison; soudain, se
présentent à eux deux beaux cerfs, d’une parfaite ressemblance, d’une étonnante douceur; ils courbent
eux-mêmes la tête pour recevoir le joug; c’était la Providence qui envoyait aux religieux ces deux
serviteurs dociles. Il semblaient dire : « Dieu voyant la cause de votre inquiétude, de sauvages que nous
étions a fait de nous de bonnes bêtes qui vont faire votre travail « . Quand les deux moines les eurent
attelés, ils louèrent le Seigneur en disant : « Béni soit Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui
dans sa miséricorde a jeté les yeux sur ses serviteurs travaillant pour leurs frères; il a changé en douceur
la nature farouche des bêtes fauves de ces forêts; il leur a fait porter pour nous de pesants fardeaux « .
quand les deux saints revinrent après avoir chargé leur chariot, ils n’aiguillonnèrent pas les cerfs chargés
d’un poids si lourd; au contraire, ils les précédaient de beaucoup et les animaux les suivaient sans
contrainte. Et pour que désormais leur prière n’eût plus à subir d’interruption par suite d’affaires de ce
genre, pendant bien longtemps, par la volonté de Dieu, ces bêtes firent pour eux les transports de bois
et de tout ce qui leur était nécessaire.
Qui donc douterait de la sainteté de ces hommes que Dieu faisait ainsi servir par des animaux sauvages
auxquels on peut bien donner la mort, mais qu’on ne saurait transformer ainsi ?
Quand les deux moines approchèrent du monastère, les gens du voisinage accoururent tous et
s’écrièrent : « O nos seigneurs et nos frères, combien la grâce divine brille aujourd’hui sur vous à qui
des animaux sans raison rendent leurs services ! Nous sommes des malheureux, nous qui n’avons pas
accordé aux saints cette obéissance que nous enseignent maintenant les brutes elles-mêmes « . En ce
moment, saint David, sortant de sa cellule, trouva près de la porte le livre que Théleau et Maidoc y
avaient oublié dans leur précipitation, et quoiqu’il tombât une pluie abondante, le livre n’était nullement
mouillé. Dans son étonnement il dit : « Dieu est admirable dans ses Saints, et saint dans toutes ses
oeuvres ». Et parce qu’il ne faut pas taire ce qui est bien, mais qu’il faut le proclamer, il appela les plus

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

anciens du peuple pour leur faire adresser au Seigneur leurs voeux et leurs prières à la vue des
merveilles divines, et aussi pour leur montrer la sainteté de ses frères dont le livre avait été préservé de
la pluie.
Le même Dieu qui fit couler l’eau du rocher, pour étancher la soif du peuple d’Israël, voulut faire
éclater plus encore en ses Saints le don des miracles, par la vertu de Jésus-Christ; comme eux aussi
étaient privés d’eau, le Seigneur fit jaillir de nouvelles sources, et ainsi que nous l’avons appris des plus
anciens habitants du pays, ceux qui buvaient à ces fontaines affirmaient que c’était plutôt du vin que de
l’eau, tant le goût en était agréable. Grâce à ces merveilles que la vertu divine opérait pour eux, à mesure
que le temps s’écoulait, le renom de leurs mérites se répandait partout; et Dieu, les voyant ornés de tant
de qualités admirables, jugea qu’ils devaient être promus aux dignités ecclésiastiques. En effet, il leur
envoya un ange pour leur annoncer qu’ils devaient se rendre à Jérusalem, et que, dans la ville sainte, ils
seraient élevés aux premiers rangs de la milice. Nos deux Saints, c’est-à-dire Théleau et David, obéissant
en tout à la volonté divine, n’osèrent pas lui résister, mais s’associèrent à Patern, homme chéri de Dieu.
Au nom de la Trinité, tous trois commencèrent donc le voyage qui leur était ordonné; mais au lieu
d’apporter avec eux beaucoup d’argent, comme le font bien des pèlerins, ils s’en allèrent sans bourse et
sans bâtons, mettant leur principale espérance en Celui qui donne leur nourriture aux troupeaux et aux
petits des corbeaux qui la lui réclament. Leur espérance n’était point vaine, et, par la main de ses fidèles,
Dieu pourvoyait à leur nécessité temporelles. C’est que sur eux brillait la lumière de la grâce céleste,
tellement que leur arrivée répandait une douce joie et que leur présence rendait la santé aux malades. Il
laissèrent donc dans diverses provinces des vestiges de leur sainteté, car ils soulagèrent les douleurs de
tous ceux qui se présentaient à eux, demandant au nom de Jésus-Christ le remède à leurs maux, et
mettant en sa puissance tout leur espoir de guérison. Lorsque les méchants les poursuivaient dans le
voyage, non seulement ils leurs abandonnaient leurs dépouilles, mais si par mégarde les voleurs leur
laissaient quelque chose, ils le leur offraient eux-mêmes d’un air joyeux, et en voyant cette bonne
simplicité, les misérables leur demandaient pardon, restituaient leur capture et se faisaient leurs
bienveillants conducteurs, jusqu’à ce qu’ils les eussent mis à l’abri de tout danger. Ainsi ces saints
personnages, arrivant inconnus, étaient bientôt connus de tous, et pour leurs persécuteurs mêmes
devenaient les meilleurs des amis, si bien que leur réputation les ayant précédés quand ils furent arrivés
à Jérusalem, terme de leur voyage, tout le peuple accourut au-devant d’eux, en saluant leur arrivée par le
chant des hymnes et des cantiques, et c’est au milieu de cette pompe qu’ils furent conduits au temple
du Seigneur. Bien qu’ils fussent très fatigués d’un si long pèlerinage, ils ne cherchèrent pas des sièges
commodes pour se reposer, mais, prosternés sur le pavé du temple, ils prolongeaient leurs prières
pendant trois jours, dans une contemplation si profonde des choses célestes, qu’ils oubliaient
complètement tout ce qui est de la terre « .
« Pendant qu’ils oubliaient ainsi la terre pour le ciel, tout le clergé n’aspirait qu’à voir quel siège
prendrait chacun des saints, quand ils auraient mis fin à leur méditation. Comme s’il avait été averti par
un ange, il voulait connaître dans ce choix des sièges quel était celui qu’il établirait comme prélat au-
dessus des autres.
« Depuis des temps très reculés, il y avait dans la basilique trois chaires établies pour les anciens, deux
d’entres elles étaient faite de différents métaux; le travail en était merveilleux; la troisième était de cèdre,
et n’avait aucun ornement que la beauté naturelle du bois. Ce fut cet humble siège que l’humble Eliud
choisit pour lui-même, laissant à ses frères, par respect, ceux qui étaient plus précieux. A cette vue, tous
les assistants tombèrent prosternés devant Eliud, en disant : « Salut Théleau, saint de Dieu, accordez-
nous que vos prières nous servent auprès du Seigneur, car aujourd’hui vous avez été exalté au-dessus de
vos frères, vous qui avez pris place sur le siège d’où Notre-Seigneur Jésus-Christ prêchait le royaume de
Dieu à nos pères ». En entendant ces mots, le saint se leva stupéfait, mais pour se prosterner de
nouveau et pour s’écrier : « Bienheureux l’homme qui ne s’est point égaré au conseil des impies, qui ne
s’est pas attardé dans la voie des pécheurs, et qui ne s’est pas assis sur une chaire empestée. Et béni soit
le Sauveur qui s’est choisi un siège de bois, lui qui, par le bois, a voulu secourir le monde qui périssait « .
C’est avec cette humilité que Théleau adorait cette chaire ou plutôt Celui qui s’y était assis, car c’est là ce
qu’une créature considère nécessairement dans le siège du Créateur. Ce qui résultat de tout ceci, c’est

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que l’assemblée lui demanda de l’instruire, en lui parlant du Christ, afin que l’ayant imité en occupant sa
chaire, il l’y imitât aussi par sa prédication. En voyant de quel amour ils brûlaient pour la parole divine,
il éprouvait un singulier embarras, non qu’il ne sût que leur dire, mais il se demandait comment sa
parole leur profiterait, puisqu’il ignorait complètement leur langue; néanmoins, pour se rendre aux
supplications de ce peuple, il se mit à leur exposer les saintes Ecritures, et chacun des auditeurs qui
l’entouraient le comprit dans sa propre langue; ils trouvaient un tel charme dans l’audition de sa parole,
que plus ils l’écoutaient, plus ils désiraient l’entendre encore. Mais quand ils furent enfin rassasiés de cet
enseignement si rempli pour eux de saveur, lui-même dit au peuple, afin de ne point paraître
revendiquer pour lui seul l’office de prédicateur : « C’est maintenant de la bouche de mes frères que
vous devez recevoir la parole de vie, car ils sont plus parfaits que moi, et leur science surpasse bien la
mienne « . Alors donc, se levèrent saint David et saint Patern le très humble serviteur de Dieu, et ils
parlèrent au peuple en se confiant dans le Seigneur qui a dit : « Lorsque vous serez en présence des rois
et des gouverneurs, ne vous demandez pas ce que vous direz et de quelle manière vous le direz, car à
l’heure même vous sera fourni ce qui vous aurez à dire « . Ainsi nos saints, se succédant dans l’exercice
de la prédication, nourrissaient les esprits de leurs auditeurs comme de mets variés; et si quelques-uns
n’avaient jusque là qu’une fois chancelante, grâce à leur parole ils purent désormais garder une foi
parfaite en la Sainte Trinité.
« A la suite de tout ceci, ils furent élus par tout le peuple et élevés à la dignité sublime des pontifes,
conformément à ce qui avait été annoncé par un ange; Théleau était élu à la place de Pierre, David à la
place de Jacques, et, comme pour témoigner de la grâce immense qu’ils avaient reçue du Seigneur, trois
dons précieux leur furent faits suivant ce qui convenait le mieux à chacun : à Patern, en qui il avait
reconnu un chanteur excellent, le peuple donna un bâton et une chape tissée de la soie la plus belle; à
saint David, un autel merveilleux dont jamais personne n’a bien connu la matière; or, ce n’est pas sans
raison que ce présent lui fut octroyé de préférence, car jamais prêtre en célébrant n’a tant charmé ceux
qui assistaient aux saints mystères; enfin, au bienheureux pontife Théleau, fut offert un don qui ne le
cédait pas aux précédents : c’était une cloche qui est devenue plus célèbre encore qu’elle n’est grande;
elle est aussi plus précieuse que belle, car elle rend un son plus doux que celui de tout instrument de
musique. Elle fait connaître et condamner les parjures, elle guérit les malades, et, ce qui peut paraître
plus admirable encore, elle sonnait autrefois les heures, sans que personne la mit en mouvement; mais
on commit la faute de ne pas la soustraire au contact téméraire de mains souillées, et elle cessa par suite
de remplir la fonction d’horloge. Ce n’était cependant pas sans raison qu’elle l’avait reçue, car de même
la cloche, tirant l’homme de la torpeur du sommeil et de la paresse, l’invite à se rendre à l’église, de
même l’illustre pontife Théleau, devenu le héraut du Christ, invitait sans cesse par sa prédication les
fidèles à n’aspirer qu’au ciel « .
« Mis en possession de ces glorieux présents, ayant reçu la bénédiction de leurs hôtes et les ayant bénis
à leur tour, ils reprirent le chemin de leur pays, et leur voyage s’accomplit heureusement. Saint Théleau
prit aussitôt l’administration pastorale de l’église de Landaff, pour laquelle il avait été consacré, avec
celle de la paroisse qui y est jointe, et dont son prédécesseur saint Dubrice, avait déjà pris le soin. Mais il
ne put y demeurer longtemps à cause de la peste qui avait déjà détruit presque tout son peuple. On
l’appelait la peste jaune, parce qu’elle privait de sang et rendait jaunes ceux qu’elle atteignait. Elle
apparaissait aux regards humains comme une colonne formée par un nuage pluvieux, dont une
extrémité se dirigeait vers la terre, tandis que l’autre errait à travers les airs et parcourait toute la région c
comme ces pluies qui se précipitent dans les vallons. Tous les êtres vivants qu’atteignaient ses
exhalaisons empestées, ou bien mouraient sur le champs ou du moins étaient condamnés à une mort
prochaine. Si quelqu’un s’efforçait de porter remède aux malades, non seulement les médicaments
restaient sans effet, mais l’horrible mal emportait le malade et celui qui le soignait. C’est ainsi qu’il
emporta Mailcun, roi de Guénédocie, contrée dont la peste éprouva tellement la population, que
bientôt le pays ne fut guère qu’un désert. Or, pendant que ce mal sévissait sur les animaux, sur les
reptiles, autant que sur les hommes, saint Théleau jeûnait, pleurait, et criait vers le Seigneur : «
Epargnez votre peuple, vous qui ne voulez pas faire mourir, mais faire vivre le pêcheur. Ne condamnez
pas votre héritage à une perte totale ». Par cette prière et par celle d’autres saint encore, la colère de
Dieu fut apaisée pour un temps, et saint Théleau connut, par un avertissement céleste, qu’il devait se

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

retirer dans des contrées lointaines avec ceux de son peuple qui avaient survécu. Il y en eut qui allèrent
en Hibernie; d’autres, en plus grand nombre, sous la conduite à lui, gagnèrent la France, en attendant
que Dieu les invitât à revenir dans leur patrie. Tout cela fut fait sur un ordre apporté par un ange, qui
dit à saint Théleau : « Lève-toi, passe la mer et rassemble les restes de ton peuple, qui devra te suivre
jusqu’à ce que Dieu, riche en miséricorde, abaisse les yeux sur lui, prenne en pitié sa misère, et accorde à
tes efforts, à tes prières pour les tiens, après un bon accueil sur la terre étrangère, un heureux retour de
l’exil; alors vous serez pour toujours à l’abri du danger que vous fuyez aujourd’hui. Hâte-toi, ajouta
l’Esprit céleste; n’hésite pas; qu’un ange du Seigneur t’accompagne dans ton voyage, t’accompagne à
ton retour, et qu’avec tous ceux qui te suivent aujourd’hui, il te ramène heureusement dans ton pays « .
Saint Théleau se mit donc en chemin, amenant à sa suite quelques uns des évêques ses suffragants, des
ministres de différents ordres, et un groupe d’hommes et de femmes. Il arriva d’abord en Cornouailles
et fut bien accueilli par le roi du pays, Gérenn, qui fit beaucoup d’honneurs à lui et à toute sa troupe.
Pendant qu’il lui donnait l’hospitalité, le prince, causant familièrement avec le saint évêque Théleau, lui
dit : « Mon seigneur et mon père, je vous prie d’entendre ma confession, et d’être désormais mon
confesseur « . L’évêque consentit, entendit sa confession et lui dit avec assurance : « Vous ne
connaîtrez point la mort avant d’avoir reçu le corps dur Seigneur, consacré par moi « . Puis le Saint
partit avec ses compagnons pour se réfugier près des peuples de l’Armorique, et là encore il recevait
bientôt le plus favorable accueil « .
Samson, archevêque de l’Eglise de dol, ayant appris l’arrivée de son frère dans l’épiscopat, en ressentit
une grande joie et se rendit à sa rencontre. Ils étaient du même pays, parlaient la même langue, et
avaient reçu en même temps les leçons du saint archevêque Dubrice, qui lui avait lui-même imposé les
mains lors de sa consécration épiscopale, ainsi que le fait est attesté dans l’histoire de sa vie. Saint
Samson pria saint Théleau de rester avec lui; celui-ci acquiesça à cette demande et demeura fort
longtemps près de son ami; il a même laissé en ces lieux, comme marque et souvenir de sa sainteté, un
signe protecteur : c’est la salutaire fontaine de Cai, que le Seigneur fit jaillir à sa prière. Outre les grâces
de guérisons, que les malades y obtiennes au nom de Dieu et de saint Théleau, elle opère encore
aujourd’hui même, cet autre prodige : pour obtenir un vent favorable à leur barques, afin de diriger leur
marche à leur gré suivant la route à parcourir, les matelots de cette partie de l’Armorique ont coutume
de nettoyer la fontaine miraculeuse, et presque toujours leur est accordé ce qu’ils demandent par
l’intercession du saint pontife, c’est-à-dire le vent qui doit enfler la voile de leur navire et qui leur
permet d’avancer joyeusement sur la mer jusqu’au but qu’ils se sont proposé. Voici un second signe de
sa protection : de concert avec saint Samson, il avait planté un grand bois d’arbres fruitiers; ce bois avait
une étendue de trois milles et allait de la ville de Dol à la fontaine de Cai; maintenant encore, il porte le
nom des deux Saints. Depuis ce temps aussi, au témoignage de tous les Bretons armoricains, l’évêché
de Dol a acquis un honneur spécial et une célébrité particulière, et cela parce qu’il a accueilli saint
Théleau et l’a entouré de tant de respect.
« Tandis que se passait tout cela, le Christ, dans sa miséricorde, écarta la peste jaune de toute la Bretagne
insulaire; le mal cessa complètement. Saint Théleau l’apprit, et il en conçut quelque joie; alors le Saint-
Esprit l’avertit à son tout, et le saint évêque envoya en France et au delà des Alpes, en Italie, vers ses
compatriotes, pour que partout où on les saurait réfugiés ils fussent informés de la disparition absolue
de la peste, et de la possibilité de revenir en paix, chacun à son patrimoine. C’est ainsi qu’en conducteur
fidèle il réussit à grouper tout son troupeau, et pour transporter toute cette foule de peuple, il prépara
trois vaisseaux immenses. Ce fut au milieu du deuil et des larmes qu’il arriva au port; on déplorait le
départ de l’homme si grand et si saint qu’on regardait comme un père; or, pendant que saint Théleau
attendait le vent favorable au voyage, voici que Budic, roi du pays, vint se présenter à lui, suivi de toute
une armée d’Armoricains, et le prince et l’armée se prosternèrent à ses pieds. Théleau demanda ce que
cela signifiait et le roi répondit : « Nous nous agenouillons devant vous, afin que vous priiez Dieu pour
moi et pour mon royaume, en raison du fléau que nous subissons actuellement; une vipère immense a
fait récemment son apparition dans mon pays, dont elle a déjà ravagé le tiers en y détruisant tout « . Le
saint évêque hésita; il craignit d’avancer, car on faisait sur cette bête des récits terrifiants. L’ange du
Seigneur apparut en cet instant au pontife, et lui dit ces paroles, qui lui donnèrent courage : « Avance-

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Appendices - « La troménie de Landeleau » par Joël Hascoët

toi sans crainte avec eux; la vertu du Christ sera avec toi; c’est elle qui, par ta main, anéantira cette
vipère, de telle sorte qu’à cause de toi Jésus Rédempteur et Sauveur sauvera et délivrera complètement
la patrie des Armoricains « . Et suivant le conseil évangélique, il osa marcher contre le dragon qui était
pourvu d’ailes et de plumes. A l’heure même, guidé par une inspiration divine, il prit son étole, dont il
entoura et lia le cou du monstre, puis lui appliquant l’ordre formulé par le Seigneur, il lui dit de venir
jusqu’à la mer et de ne plus répandre son venin et son souffle pernicieux. A l’ordre de l’évêque, le
monstre changea sa méchanceté en douceur; il n’agita même pas les ailes pour exciter l’effroi; il ne
montra pas les dents comme pour siffler, ni son dard pour répandre son souffle embrasé. Traînant à sa
suite ce monstre énorme, lié par son étole, le pieux prêtre l’amena jusqu’à la mer, invoqua le nom du
Seigneur, et aussitôt le dragon, se jetant au milieu des flots, alla se heurter contre un grand rocher. A
cette vue, les Armoricains tinrent conseil avec leur pontife Samson et lui dirent : « Père saint, c’est à
vous de nous sauver; car si cet homme de Dieu nous quitte, le serpent reviendra, il nous détruira, il
ravagera notre patrie; veuillez donc retenir Théleau au milieu de nous; priez le, suppliez-le d’y consentir,
afin que nous ne périssions pas de cette horrible manière « .
« En entendant leur demande et en la voyant présentée par le pontife Samson et par le roi Budic, il en
fut peiné; il résolut aussitôt de leur opposer un refus. Or, voici qu’un ange du Seigneur lui apparut, la
nuit suivante, le réconforta et lui dit : « N’hésite pas à demeurer encore avec eux; c’est par toi, il est
vrai, que ta patrie trouvera refuge et secours. Voici le signe qui te prouvera que j’ai été envoyé vers toi
par Dieu lui-même : demain matin, le roi et l’évêque viendront te trouver à la tête d’un peuple
nombreux; ils t’offriront la charge épiscopale et la primauté dans toute l’Armorique, te priant et le
suppliant de l’accepter. Conforme-toi à l’ordre divin que je te transmets; acquiesce à leur demande;
accepte leur offre pour un temps, et c’est dans cet intervalle même que ton peuple, dispersé, se réunira.
Dis-leur donc : « Je demeurerai avec vous tant qu’il plaira à Dieu; j’attendrai que mon troupeau exilé ait
pu se grouper complètement « . L’ange lui dit encore : « Je te donnerai un autre signe : demain tu
trouveras l’évêque et le roi venant à ta rencontre, avec une foule considérable, accourue pour
t’introniser solennellement sur le siège pontifical, et, comme ils auront entrepris de t’offrir le plus beau
de leurs chevaux, comme ils voudront te le faire monter, refuse. A l’instant même, comme témoignage
de la permission que Dieu te donne de demeurer encore ici, tu recevras de moi une incomparable
monture. C’est sur celle-ci que tu feras ton entrée triomphale, suivant la volonté de Dieu, pour régir
l’église de Dol, pendant le temps marqué par le seigneur « .
« Le lendemain, toutes choses s’accomplirent conformément à la promesse de l’Ange. En effet, le roi et
le pontife, avec la multitude, vinrent trouver saint Théleau, pour le conduire, pour lui confier le soin de
l’Eglise de Dol, et l’introniser avec les honneurs convenables. Au moment même où ils lui offraient leur
plus beau cheval, et où il le refusait, un autre cheval, vraiment admirable, parut auprès de lui; c’était
Dieu qui l’envoyait. Le Saint le monta; puis, suivi de la foule, il vint jusque dans la ville de Dol, et,
suivant l’ordre qu’il avait reçu, il s’y fixa pour tout le temps que le Père céleste lui-même avait mesuré.
Or, quand le moment fut venu, saint Théleau appela à lui le roi Budic, le bénit avec effusion, lui offrit le
cheval qui était un présent divin, et, devant tout le peuple, il demanda avec instance au Seigneur que les
soldats d’Armorique fussent les meilleurs cavaliers d’entre ceux de toutes les nations, qu’ils fussent ainsi
les défenseurs et les sauveurs de leur patrie, et que par leur victoires, ils tirassent vengeance de leurs
ennemis. La faveur que demanda pour eux saint Théleau, et qui leur fut accordée, les Armoricains la
possèdent encore aujourd’hui, suivant le témoignage soit verbal, soit écrit de tous les anciens de la
contrée. En combattant à cheval, ils remportent sept fois plus d’avantages qu’en combattant à pied.
« Tandis que tout cela se passait, le saint évêque Théleau adressa un appel à sa propre famille, c’est à
dire au peuple de sa vraie patrie, et il termina ainsi l’entretien plein d’affabilité qu’il eut avec eux : « Mes
petits enfants, vous savez que notre roi Gerenn est gravement malade, et qu’il souffre beaucoup.
D’après ce qu’un ange m’a fait connaître, je crois que cette maladie l’enlèvera bientôt de ce monde. En
effet, lorsque je venais en Armorique, j’ai passé sur son territoire, je lui ai fait visite, et, avec les miens,
j’ai reçu de lui l’hospitalité la plus honorable. Or, je lui ai promis, au nom du Seigneur, qu’il ne verrait
point la mort, qu’il ne verrait point luire son dernier jour, avant d’avoir reçu de ma main le corps du
Seigneur, qu’alors seulement il pourrait quitter ce monde. Préparez-nous donc un vaisseau, qui nous

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appartienne, afin qu’avec la permission divine, que nous avons désirée si longtemps, et qui nous avait
été promise, nous puissions retourner dans notre patrie « . On prépara une grande embarcation; saint
Théleau avait passé sept ans et sept mois dans le pays des Armoricains, quand il s’embarqua avec
plusieurs docteurs et plusieurs hommes, revêtus comme lui de la dignité épiscopale; la peste ayant enfin
cessé, ils allaient rendre à la nation bretonne la vie de sainteté « .
« Au moment de s’embarquer pour retourner en Grande-Bretagne, saint Théleau, s’adressant aux siens,
leur donna cet ordre : Prenez ce sarcophage; qu’il nous suive pour que le corps de Gerenn y soit
déposé. Les insulaires, stupéfaits, répondirent qu’étant données les dimensions du bloc de pierre, ils ne
pouvaient lui obéir. C’est à peine, disaient-ils, si dix paires de bœufs pourraient le déplacer « . Saint
Théleau, plein de confiance dans le Seigneur, dans la prière de ses évêques et de leurs peuples,
commanda de mettre le sarcophage à la mer, devant la proue du navire, pour que dirigé par Dieu, il
arrivât sans rame jusqu’au rivage, et c’est ce qui advint. Comme ils naviguaient en pleine mer, un autre
vaisseau vint au-devant d’eux; les matelots des deux navires se réunirent et engagèrent conversation; un
évêque, envoyé par le roi Gerenn, fit savoir que le prince se mourait, mais qu’il attendait cependant
l’arrivée et la visite de saint Théleau. Les deux équipages, naviguant d’accord, prirent terre au port qui
s’appelle Din-Gerein; aussitôt la pierre dont nous avons parlé, et que l’on avait jetée à la mer, apparut
entre les deux vaisseaux; conformément à la confiance qu’avait eue le saint évêque, le Christ manifesta
ainsi la gloire de sa majesté. Saint Théleau, pénétrant auprès du roi, le trouva encore vivant, et, quand il
lui eut donné de sa main le corps du Seigneur, Gerenn, comblé de joie, s’en alla vers Dieu; son corps
fut décemment enseveli par son bienheureux confesseur, déposé dans le sarcophage, et confié à la garde
de Dieu.
« C’est seulement après ces événements, que le saint homme regagna son siège épiscopal; le clergé et le
peuple l’y accompagnèrent en foule et c’est là qu’il se fixa jusqu’à la fin de sa vie, ayant autorité sur
toutes les Eglises du pays qui forme la droite de la Bretagne, autorité conférée par les Pères qui l’avaient
consacré à Jérusalem, comme nous l’avons raconté.
« Mais bien que son peuple fut d’abord fort peu nombreux, il s’accrut très rapidement et forma une
grande multitude; sans doute, Dieu le permit, pour récompenser l’obéissance avec laquelle les fidèles
obéissaient au moindre commandement de leur pasteur. C’est ainsi que cette église, déjà connue par sa
sainteté, fut exaltée, au retour de sa dispersion, grâce à Théleau, saint entre tous les saints. Près de lui
vinrent se grouper les anciens disciples du bienheureux Dubrice, jaloux d’imiter ses mœurs et de suivre
sa doctrine; c’étaient Junabui, Gurmaet, Cynmur, Toulidauc, Juhil, Fidèle, Hismael, Tyfhei, Oudocée et
beaucoup d’autres. Il choisit Hismael pour lui donner la consécration épiscopale, et l’envoya pour faire
revivre l’Eglise de Ménévie, déjà privée de son pasteur; en effet, saint David avait déjà émigré vers le
Seigneur. Il éleva de même à l’épiscopat beaucoup de prêtres, et les envoya sur différents points de la
Bretagne, sa patrie, leur distribuant les paroisses, d’une manière conforme à la commodité du clergé et
du peuple.
« Après avoir connu ce qui a été écrit sur les prodiges qu’il a faits, nous l’avons transcrit à notre tour et
nous en conservons ainsi la mémoire; car c’est une faute grave de garder le silence sur la puissance de
Dieu et de ses saints; au contraire, en la faisant connaître, nous participons à leur bonheur.
« Saint Théleau avait trois chevaux qu’aucun autre ne dépassait; sans aucun guide, ils s’en allaient à la
forêt; dès que les bûcherons leur avaient donné leur charge, ils revenaient également sans guide, et c’est
tous les jours qu’il faisaient ainsi le service des religieux, qui vivaient en frères auprès du Saint.
« On dit que, sur le fleuve du Couin, il ressuscita un mort nommé Distinnic. On raconte qu’un
dimanche dans l’église de Radh, il guérit un paralytique devant tout le peuple, et que les malades, quelle
que fut leur infirmité, en étaient délivrés par l’imposition de ses mains. Au contraire, ceux qui se
rendaient coupables envers lui mouraient de mort subite; c’est ce qui arriva à une femme téméraire qui
l’insulta devant tout le peuple, et qui disparut aussitôt d’une manière bien étrange.
« Un seigneur, nommé Guaidan, viola l’asile d’une église qui lui était dédiée, et de son nom s’appelait
Lanteliau-Bechan; aussitôt le sacrilège fut atteint de démence, poussa des cris furieux, et, quelques
instants après, rendit l’âme dans le cimetière faisant partie de l’asile qu’il avait profané. Mais par les

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prières du saint le salut et le pardon étaient accordés à ceux qui reconnaissaient leurs fautes « .
« Dans la nuit même de son trépas, une grave dissension s’éleva entre les membres du clergé de ses
trois Eglises, dont chacune, s’appuyant sur ses propres droits et privilèges, prétendait à la possession de
son corps. La première, l’Eglise de Pennalun, faisait valoir qu’elle était le lieu de sépulture des aïeux de
saint Théleau, dont le patrimoine était sur son territoire; la seconde avait vu ses débuts dans la vie
monastique, puis sa vie solitaire sur la rive du Tyui, et c’était là aussi qu’il avait glorieusement terminé sa
carrière; en troisième lieu, l’Eglise de Landaff se prévalait des droits du siège épiscopal, des privilèges et
de l’autorité qui lui appartenaient, de tout ce que saint Théleau y avait consacré, de l’obéissance qu’il y
avait trouvée, du vœu unanime du peuple, enfin, des règlements et de la constitution ecclésiastique
établis par saint Dubrice et par les autres Pères. Les trois partis, acquiesçant au conseil de quelques
hommes sages, se mirent à jeûner et à prier, demandant à Jésus-Christ qui est l’arbitre suprême, qui
confère lui-même aux saints toute autorité et tout privilège, de vouloir bien montrer, par un signe
évident, laquelle des trois églises était plus digne de recevoir le corps sacré du saint évêque.
« Le matin, un vieillard, regardant l’endroit où le corps était exposé, poussa un grand cri. Il disait : «
Mes frères, le Seigneur a exaucé notre prière, lui qui n’enlève à personne ce qu’il a mérité. Levez-vous et
voyez ce qu’a fait le Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, et cela pour apaiser notre dissension,
puis, pour qu’il y eut des miracles à la mort de saint Théleau, comme il y en a eu dans sa vie « .
« Voici qu’on voit trois corps, de dimensions semblables, de visages également beaux, de conformation
tellement identique, qu’aucune dissemblance ne s’y pouvait constater.
« Un tel prodige ayant ramené la paix, les clercs s’en allèrent chacun à son église, où ils ensevelirent,
avec les plus grand honneurs, chacun des trois corps. Mais par les monuments que nous ont laissés nos
pères, on sait, à n’en pouvoir douter, que tout le peuple reconnut Landaf pour la vraie sépulture du
saint, car les miracles y furent beaucoup plus nombreux. A la tombe de ce pontife si grand,
d’innombrables malades étaient délivrés de toutes leurs infirmités, les aveugles recouvraient la vue, les
sourds entendaient. Ces merveilles, et bien d’autres plus nombreuses et plus éclatantes encore, mes
frères bien aimés, la vertu divine, les a opérées pour glorifier le très saint confesseur Théleau. Célébrez
donc la fête d’un si grand homme avec toute la dévotion dont vous êtes capables; accourez nombreux à
son église, et, suivant vos facultés, donnez aux pauvres, au nom de Celui qui accepte comme grandes
des offrandes bien petites, mais comme bien petits des présents somptueux; c’est ainsi qu’il accepta un
verre d’eau de la Samaritaine, comme si cette femme lui avait donné mille talents d’or. Puissiez-vous, en
imitant saint Théleau, par vos bonnes oeuvres, mériter d’être glorifiés en sa société, dans les célestes
demeures, par l’aide de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui toujours vit et règne dans les siècles des siècles.
Amen ».

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