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Chapitre 2

Les mécanismes de création et de


circulation de la monnaie

Par création monétaire on entend la mise en circulation d’une nouvelle


quantité de monnaie. L’organisme émetteur pouvant être soit l’Institut
d’émission, une banque de dépôt ou le Trésor public. Elle peut également
résulter de la conversion des devises étrangères en monnaie nationale. On en
déduit alors que la monnaie a trois contreparties :

- Les crédits à l’économie distribués essentiellement par les banques.

- Les créances sur le Trésor public.

- Les créances sur l’extérieur.

On parle en théorie économique de la monnaie interne et de la monnaie


externe. La monnaie interne est émise en contrepartie de l’endettement des
entreprises et des particuliers à l’égard des banques. La monnaie externe a
pour origine soit l’endettement du Trésor à l’égard essentiellement de la
Banque centrale et des autres Banques, soit les créances sur l’extérieur. Elle est
dite externe parce qu’elle est considérée comme exogène par rapport aux
besoins effectifs de la l’activité économiques en ressources monétaires.

Ce sont les crédits distribués par les banques qui constituent la première
contribution à la création monétaire en d’autres termes l’origine principale de
la création monétaire est l’octroi (l’accord) de crédit des banques
commerciales aux ménages et aux entreprises, alors que les créances sur le
trésor qui reflètent le financement monétaire du déficit public occupent la
deuxième place. La part des créances extérieures reste marginale étant donné
le déséquilibre structurel qui caractérise notre balance des paiements.

Si les composantes de la masse monétaire figurent au passif bancaire leurs


contreparties figurent à l’actif bancaire.

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I/ La création monétaire par les banques
Chaque fois que la banque consent un crédit à un client elle crée la
monnaie. Un crédit à court terme accordé à une entreprise est considéré
comme une avance pour financer une production en cours. Ainsi le « rôle de
la banque ne consiste pas à convertir les dépôts du public en crédit à
l’économie mais à transformer les actifs non monétaires en avoirs à vue sur
elle. » Autrement dit les banques ne prêtent pas sur des ressources
préexistantes mais créent ex-nihilo la masse monétaire. Cette monnaie
scripturale est appelée la monnaie bancaire. Pour mieux expliquer le processus
de création monétaire, il est commode d’en faire l’illustration à travers l’adage
« les prêts font les dépôts »qui signifie que les crédits accordés par les banques
leur reviennent sous forme de dépôts (loans make deposits).

1/ Les opérations à l’échelle d’une seule banque.

Pour mieux saisir le phénomène de la création monétaire, nous allons


supposer dans un premier temps le cas « irréaliste » d’un pays où il n’y aurait
qu’une seule banque et où ne circulerait qu’une seule monnaie celle émise par
l’unique banque. Cet établissement serait en mesure de réaliser un certain
nombre d’opérations portant sur des transactions relatives aux biens
immeubles, aux devises et à l’escompte d’effets.

L’achat d’un bien immeuble comme l’acquisition de devises par un


établissement bancaire donnent généralement lieu à une création monétaire
définitive qui ne sera pas suivi d’un remboursement, comme lorsqu’il s’agit
d’un crédit. Une banque peut acheter un immeuble à un particulier ou
convertir des devises en Dirhams à un client en créditant seulement en
contrepartie, les comptes des bénéficiaires.

L’avance en compte courant comme la cession d’effets à travers l’escompte,


donnent lieu par contre à une création monétaire provisoire. En accordant un
prêt la banque crée un dépôt. Il sera inscrit au passif bancaire sur le compte du
client, alors qu’à l’actif figurera la créance qui est la contrepartie de l’opération.

Ainsi le passif retrace la monnaie émise tandis qu’à l’actif nous avons les
causes qui expliquent le recours à cette émission. Schématiquement on aura :
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Banque
Actif Passif

Créance (Crédit) Dépôt (avance bancaire)

Le crédit accordé permet ainsi à l’entreprise de payer ses fournisseurs et ses


créanciers par de simples ordres de virements vers leurs comptes respectifs.
Ainsi la monnaie créée circulera d’un compte à l’autre selon le souhait des
bénéficiaires, elle alimentera d’autres dépôts de banque mais elle restera dans
le même circuit bancaire qui ne subira aucune fuite (car il s’agit dans notre
hypothèse d’une monnaie scripturale émise par le seul établissement bancaire
du pays). A l’échéance du crédit le souscripteur de l’effet rembourse la banque,
la monnaie émise auparavant est alors détruite (rayée des comptes de la
banque). Dans ce cas particulier et en l’absence de fuites la banque en
question peut émettre autant de monnaie qu’elle en a besoin. La création
monétaire est alors illimitée.

2/ La création monétaire à l’échelle de deux ou plusieurs banques.

Le schéma décrit plus haut se complique lorsqu’on se trouve en face d’un


système bancaire comprenant plusieurs banques ayant chacune son propre
circuit et sa propre monnaie. Une monnaie créée par un établissement
bancaire peut se retrouver dans les circuits d’un autre établissement selon les
besoins de paiement de la clientèle. Contrairement au cas précédent les
risques de fuite entre les différents circuits deviennent plausibles.

Prenons par exemple le cas d’un commerçant qui achète à un industriel un


produit en grande quantité en vue de le revendre. Pour payer son du, le
commerçant demande à sa banque de faire un virement au profit de son
fournisseur. Si les deux personnes intéressées sont clientes de la même
banque, l’ordre de virement est matérialisé par un simple jeu d’écriture qui
crédite le compte de l’industriel et débite celui du commerçant. Le circuit de la
dite banque ne subit aucune fuite.

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Si par contre les deux personnes sont clientes de deux banques différentes, le
virement en question donnera lieu à une fuite de la banque du commerçant
vers la banque de l’industriel. Inversement lorsqu’un client remet un chèque
tiré sur une autre banque, c’est cette dernière qui subit la fuite.

La multiplication de ces opérations pose à la banque un problème de


trésorerie car les établissements bancaires sont soumis à la contrainte
d’équilibre du bilan. Pour y remédier elles se retrouvent dans des séances
quotidiennes de compensation dans le cadre du marché monétaire
interbancaire. Là les banques débitrices qui ont subi le plus de fuites
empruntent la liquidité aux établissements bénéficiaires de ces fuites, devenus
créditeurs, afin d’éponger leurs dettes et se retrouver en conformité avec la
réglementation en vigueur de la Banque Centrale. La monnaie créée qui reste
dans le circuit bancaire, autrement dit celle que garde la banque après avoir
compensé toutes les fuites qu’elle a subies représente sa part de marché. Plus
cette part est importante plus sa capacité de création monétaire et ses marges
de manœuvre à l’égard de ses confrères sont grandes. Un système bancaire
concurrentiel est un système dans lequel chaque établissement cherche à
accroitre sa part de marché.

3) La création monétaire à l’échelle d’un système bancaire hiérarchisé.

Au sommet d’un système bancaire hiérarchisé il y a la Banque Centrale.


Parmi les multiples tâches de cette banque deux sont particulièrement
importantes. La première consiste à contrôler l’activité des autres
établissements pour veiller à ce qu’ils ne s’éloignent pas des directives de la
politique du crédit. L’autre tâche réside dans l’émission de la monnaie centrale
et par voie de conséquence de la monnaie fiduciaire. Cette dernière monnaie
est parfaitement substituable avec les dépôts bancaires. Le public a le choix de
ce fait pour régler ses transactions de recourir soit aux billets soit à la monnaie
bancaire. De leur côté les banques ont l’obligation de répondre aux besoins de
leurs clients et de leur procurer le moyen de paiement qu’ils désirent. Lorsque
ces derniers convertissent leurs dépôts en billets il se produit une fuite qui
affecte les circuits bancaires et qui poussent les banques à chercher à
s’approvisionner en liquidité. Celle-ci est constituée par les billets de banque
et les comptes courants créditeurs des intermédiaires financiers et du Trésor
à l’Institut d’Emission.
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Plusieurs alternatives s’offrent à la banque Pour obtenir la liquidité :

- Elle peut puiser dans son encaisse propre en monnaie légale ou recourir
à ses réserves libres à travers son compte courant créditeur à la banque
centrale.
- Elle peut également se procurer la liquidité en augmentant son
endettement à la Banque Centrale
- Une autre solution consiste dans la vente ferme d’un titre avant son
échéance à la l’Institut d’Emission. C’est l’opération communément
appelée réescompte.
- Enfin la banque peut obtenir la monnaie centrale comme nous l’avons
signalé au marché monétaire interbancaire qui est le lieu privilégié où se
négocie la liquidité entre les différents établissements.

Ainsi nous constatons bien qu’a priori la création monétaire est illimitée, telle
que nous l’avons vu dans la première hypothèse « irréaliste » étudiée ci dessus.
Cependant la multiplication des fuites qui affectent les circuits pèsent sur la
trésorerie bancaire. Le besoin de refinancement qui en résulte réduit donc les
marges de manœuvre des établissements de crédit et limite le flux de
monnaie qu’ils peuvent mettre en circulation.

II/ Les autres formes de création monétaire.


A côté des crédits à l’économie qui sont à l’origine d’une monnaie émise
en contrepartie du financement des agents non financiers, nous trouvons la
monnaie externe qui résulte de l’accroissement de l’endettement du Trésor et
de la conversion des devises étrangères en Dirham. Ces deux dernières formes
de création monétaire constituent une richesse nette pour la nation car elles
augmentent les moyens de paiement des entreprises et des ménages.

1) Les créances sur le Trésor.

Le Trésor est une institution qui remplit les fonctions financières de l’Etat.
Il effectue conformément à la loi de finances et pour le compte de ce dernier et
des collectivités publiques les opérations de caisse et de banque entrant dans

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le cadre de la gestion des finances publiques. Ce qui donne lieu à une création
monétaire directe et une création indirecte.

a) Le financement monétaire du Trésor.

A l’instar des banques le Trésor émet la monnaie scripturale. Les dépôts


qu’il gère directement sont constitués par :

- Les avoirs inscrits dans ses comptes, des entreprises non financières et des
ménages.

- Les fonds des entreprises non financières et des particuliers auprès des
comptables publics.

Comme les autres banques, le Trésor peut être à court de liquidités. Il a la


possibilité de s’adresser à la Banque Centrale pour bénéficier de ses avances.
Celles-ci étaient constituées par plusieurs facilités temporaires ou
conventionnelles et extraordinaires. Les dispositions qui étaient alors en
vigueur permettaient au trésor de se procurer ce refinancement rapide et peu
couteux chaque fois qu’il en avait besoin. Cependant la tendance générale au
niveau international est de limiter voire supprimer ces avances afin de pousser
le Trésor à se refinancer selon les conditions du marché, pour mieux
rationnaliser les dépenses et contenir autant que possible le déficit. C’est dans
cette optique que se situent les nouvelles dispositions des statuts de B.A.M.,
après la réforme intervenue en 2004. Ainsi selon la nouvelle réglementation la
Banque Centrale ne peut plus accorder au Trésor qu’une facilité limitée à 5%
des recettes fiscales de l’année budgétaire écoulée. Le recours massif du
Trésor au marché depuis, s’explique amplement par cette nouvelle attitude de
l’Institut d’Emission à son égard.

Lorsqu’il s’adresse au marché il émet en contrepartie des emprunts contractés


auprès des banques et des autres institutions financières, des titres publics ou
Bons du Trésor à court terme à leur profit. Son compte courant à la Banque
Centrale sera alors crédité et celui de ces établissements débité. Il se produit
de ce fait un transfert de base monétaire des banques vers le Trésor qui ne
donne pas lieu pour autant à une création monétaire. Toutefois le Trésor crée
la monnaie lorsque les bénéficiaires de ses virements sont des agents non
financiers, à l’occasion par exemple du paiement de ses fournisseurs ou du

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règlement mensuel des fonctionnaires de l’Etat. C’est cette monnaie créée
directement qui représente les créances sur le Trésor, deuxième contrepartie
de la masse monétaire après les crédits bancaires à l’économie.

b) Le financement par épargne du Trésor.

Contrairement au financement précédant qui aboutit à une création


monétaire effective, le financement par épargne n’a pas d’effet direct sur la
création monétaire. Il vise la mobilisation d’une fraction de l’épargne nationale
pour financer le déficit budgétaire. Si le Trésor conserve les fonds collectés
dans ses comptes, à la Banque Centrale par exemple sans les dépenser, ce sera
alors l’équivalent d’une destruction monétaire. On enregistre par contre une
création monétaire si le Trésor utilise ces ressources pour financer les dépenses de
fonctionnement et d’investissement. Ce qui se traduit par le débit de son compte au profit
des bénéficiaires de ces dépenses.

Le financement du Trésor par le marché se réalise à travers l’émission de titres à moyen et


long terme qui sont cédés conformément au procédé des adjudications. Organisées de
manière régulière, selon un calendrier dressé par le Trésor, ces opérations ont lieu sur le
marché primaire où ne sont admis que le Intervenants en Valeurs du Trésor (I.V.T.),
constitués par une dizaine de banques et d’institutions financières. Les titres émis sont
ensuite échangés sur le marché secondaire au profit essentiellement des établissements
bancaires et des investisseurs institutionnels.

Les adjudications jouent un rôle essentiel au niveau du marché des capitaux. C’est d’abord
une technique qui a favorisé le désengagement du Trésor vis avis de l’Institut d’émission et
permis une meilleure rationalisation de la gestion des finances publiques. Au niveau du
marché elle offre aux banques et aux investisseurs institutionnels des produits susceptibles
de satisfaire à leurs besoins de placement à moyen et long terme, ce qui est le cas
particulièrement des compagnies d’assurance et des caisses de retraite. Enfin il faut mettre
l’accent sur le fait que les taux d’intérêt rémunérant les titres publics émis représentent une
référence sur laquelle se basent les taux du marché de même maturité.

3 La création monétaire résultant des opérations avec l’extérieur.

Les devises représentent des créances monétaires sur les banques centrales étrangères qui
les ont émises. Le règlement des importations et des exportations, les transferts des
résidents et les différents mouvements de capitaux, donnent lieu à un flux ininterrompu de
devises, de l’étranger ou vers l’étranger. Selon le rapport de l’Office des Changes « les
règlements entre le Maroc et l’étranger et précisément entre les résidents et les non
résidents sont effectués essentiellement par virements bancaires, par chèques ou traveller’s
chèques libellés en devises ou en billets de banques étrangers. »

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Ainsi les entrées nettes de devises aboutissent à une création monétaire alors que les
sorties nettes de devises se traduisent par une destruction monétaire. C’est la balance des
règlements qui enregistre les paiements effectifs des règlements entre le Maroc et le reste
du monde. En privilégiant les flux en devises elle permet de saisir l’évolution de tous les
autres postes de la balance des paiements (les paiements courants et les opérations du
compte de capital et financier), car elle en constitue la contrepartie monétaire. Elle établit
de ce fait le solde des mouvements des capitaux et les avoirs extérieurs nets du pays. Au
Maroc ces données sont obtenues par le cumul des réserves internationales de l’Institut
d’Emission (y compris les disponibilités en D.T.S. et les souscriptions en tranche de réserves
du F.M.I.) et des avoirs internationaux des banques de dépôts, diminuées de leurs
engagements extérieurs respectifs. Ce sont ces avoirs extérieurs nets qui représentent la
troisième contrepartie de la masse monétaire.

Dans tout ce processus le rôle de la Banque Centrale reste déterminant car c’est elle qui crée
la monnaie centrale véritable levier d’expansion de la masse monétaire. Elle est émise par
B.A.M. lorsqu’elle procède à l’achat des devises, à l’occasion du refinancement des banques
ou quand elle accorde des avances au Trésor. Ces opérations se reflètent au niveau de son
bilan où on retrouve au passif la monnaie centrale avec ses différentes composantes (billets
et réserves des banques et du trésor) et à l’actif la contrepartie de ces postes à savoir les
réserves extérieures, les concours au Trésor et les crédits à l’économie.

III) La relation entre la monnaie et le crédit.


Lorsqu’on raisonne dans le cadre d’un système bancaire consolidé on relève deux catégories
de fuites qui constituent des limites à la création monétaire. Il s’agit des fuites naturelles qui
sont le résultat de la conversion des dépôts en billets, selon les besoins des agents
économiques, et des fuites institutionnelles que les autorités monétaires mettent en place
pour mieux contrôler l’activité bancaire.

Milton Friedman relève que l’offre de monnaie dépend du comportement de trois catégories
d’agents qui sont le public, les banques et les autorités monétaires. Seule cependant l’action
de ces dernières est déterminante car elles ont la possibilité d’émettre la base monétaire,
une monnaie surpuissante (High Powered monney) qui conditionne le stock monétaire et le
volume globale des crédits distribués. Le multiplicateur de crédit et le diviseur de crédit sont
deux modèles qui permettent de mesurer la capacité et les limites de l’action bancaire, en
tenant compte des différentes catégories de fuites que subissent les établissements de
crédit. Les deux outils d’analyse s’inscrivent dans le cadre de l’adage « les prêts font les
dépôts » qui ne peut cependant expliquer à lui seul la relation qui existe entre la monnaie et
le crédit.

1- Les modèles de l’offre de monnaie.

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On admet généralement l’existence de deux théories de la banque, une théorie
macroéconomique et une théorie microéconomique. Dans le cadre microéconomique on
considère que le bilan de la banque est constitué à l’actif par les crédits distribués et les
réserves en monnaie centrale que la banque doit ou désire conserver. Au passif figurent les
dépôts avec éventuellement le refinancement, c’est à dire la liquidité que la banque se
procure sur le marché ou à l’Institut d’Emission pour éponger ses dettes.

Actif Passif

Crédits(C) Dépôt(D)
Réserves(R) Refinancement(RF)

De sorte que le refinancement égalise la différence entre le crédit et les dépôts nets de
réserves, RF = C - D

Si la banque est excédentaire ses dépôts sont plus importants que la somme des crédits et
des réserves constituées. A l’inverse si les crédits et les réserves dépassent les dépôts, la
banque devient déficitaire, elle a alors recours au marché pour se procurer la liquidité afin
d’éponger ses dettes.

Au niveau de la théorie macroéconomique de la banque on prend en considération le bilan


consolidé des établissements bancaires car il fait ressortir l’équivalence qui existe entre la
monnaie et ses contreparties, ce qui nous donne :

Monnaie = Dépôts + Espèces = Contreparties = Crédits.

On estime généralement que chaque agent détermine un ratio optimal entre la monnaie
manuelle et les dépôts bancaires en sa possession. Tout revenu supplémentaire est ajusté
par l’ensemble du public selon ce ratio. Ce qui amène les banques à prévoir une réserve
supplémentaire en monnaie centrale pour toute création monétaire additionnelle.
Parallèlement elles sont astreintes à l’obligation de geler une fraction de leurs exigibilités à
la Banque Centrale, selon la réglementation des réserves obligatoires. Ce sont ces différents
éléments qui déterminent l’évolution de la masse monétaire et des crédits, comme le
montrent les modèles du multiplicateur et du diviseur. Si pour les deux modèles les
déterminants de l’expansion monétaires sont similaires et leurs deux formules assez
proches, leurs méthodes d’analyse divergent. En effet alors que dans le cas du multiplicateur
du crédit la création de monnaie est tributaire de l’existence préalable d’une base monétaire
sous forme d’une réserve excédentaire ex nihilo, la démarche du diviseur du crédit repose
sur l’idée que cette réserve est empruntée par les banques soit à l’Institut d’Emission soit
par le recours au marché interbancaire. On retiendra que les deux analyses cherchent à
démontrer comment une base monétaire d’un certain montant permet la mise en
circulation d’une quantité de monnaie beaucoup plus importante.

Le multiplicateur du crédit.
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D’origine monétariste, le multiplicateur du crédit est un outil d’analyse qui permet à partir
des réserves excédentaires dont dispose une banque, de calculer le montant global des
crédits pouvant être distribués. En d’autres termes « c’est le rapport entre l’augmentation
des dépôts et l’augmentation de la monnaie centrale qui en est à l’origine. » (Frederic
Mishkin, dans Monnaie, banque et marché financier).

« Le mécanisme apparaît comme un mécanisme comprenant plusieurs vagues de crédits


successifs ». Chaque montant de prêts alloués sera amputé à la fois d’un pourcentage de
billets p, déterminé par les habitudes de paiement du public et de la fraction r que la banque
devra geler à l’Institut d’Emission. Ce qui se traduira comme suit :

Une première vague de crédit donnera : (1-r)(1-p)

La deuxième vague de crédits sera : (1-r)²(1-p)²

La troisième vague : (1-r)3 (1-p)3

Ainsi les mêmes fuites se produisent lors des différentes vagues successives. Plus les fuites
sont importantes plus le multiplicateur sera réduit. A la énième vague le coefficient sera :

K = 1/1-(1-r)(1-p)= 1 / r+p-rp

ou encore r+p-rp = 1 /K

A travers l’exemple suivant, si r = 0,1 et p = 0,5 ; sachant que les réserves excédentaires
H=100

Nous aurons K = 1/ 0,1+0,5 – (0,1 05) = 1 / (0,55) = 1,81

Comme la somme des vagues de crédit distribués est un multiple k des réserves
excédentaires initiales, la nouvelle monnaie créée sera de

ΔM = KΔH d’où ΔM = 1,81 100 = 181

Ce modèle qui s’est imposé des décennies durant par sa pertinence n’est cependant pas sans
failles. Ainsi sa démarche reste au niveau de l’offre de monnaie sans tenir compte du rôle de
la demande de monnaie dans le processus. Parallèlement on relève que dans le cadre de
cette analyse la banque adopte un comportement passif, en se contentant de redistribuer
sous forme de prêts les réserves excédentaires que la clientèle lui a permis de constituer. De
surcroit signalons que ce raisonnement ne peut être efficace que dans les pays où les
banques disposent de suffisamment de liquidité. Dans le cas d’un système bancaire illiquide
le mécanisme du multiplicateur ne fonctionnerait pas. En réalité les banques ont tendance
en cas de besoin à se procurer la liquidité, comme nous l’avons déjà signalé, par le biais de la
cession ou de la mise en pension des actifs mobilisables disponibles dans leur portefeuille. A
travers ce comportement elles sont plus proches de la démarche du diviseur de crédit que
de celle du multiplicateur.

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Le diviseur du crédit.

Dans le modèle du multiplicateur « la monnaie créée par le crédit du système bancaire est
un multiple supérieur à un des avoirs des banques en monnaie centrale ». Dans l’hypothèse
du diviseur la banque qui est directement responsable de la création monétaire, constitue
des réserves pour pouvoir distribuer de nouveaux crédits. Elle doit disposer d’un quantum
de monnaie centrale calculé en fonction des fuites naturelles et institutionnelles en
prévision. « C’est la création de la masse monétaire qui entraine un besoin de base et non
un excédent de base monétaire qui se transforme en masse »(Didier Marteau, dans
Monnaie, Banques et Marchés Financiers).

Ainsi tout crédit supplémentaire ^M sera soit transformé en billets à hauteur de p(^M), soit
réintroduit sous forme de dépôts dans la banque émettrice ou dans les autres banques à
raison de (1-p)^M ; En outre sur ce même montant la banque devra geler à la Banque
Centrale l’équivalent d’un pourcentage représentant le taux de réserves obligatoire r. Tout
nouveau crédit nécessite un nouveau refinancement ^H à l’Institut d’Emission ou au marché
monétaire, pour satisfaire la demande du public en billets et les exigences des autorités
monétaires en matière de réserves obligatoires. Ce qui nous donne :

ΔH = r [( 1-p)ΔM)] +p(ΔM)

ΔH = ΔM [r(1-p) +p]

Comme r+p -rp = 1 /K (voir plus haut) nous aurons ΔH = ΔM/K

La causalité du diviseur du crédit est donc à l’opposé de celle du multiplicateur. Comme nous
l’avons expliqué cette optique tient compte davantage des facteurs qui divisent et réduisent
les crédits plutôt que des facteurs qui les multiplient. Ainsi à partir d’une réserve
excédentaire de 100 nécessitant une encaisse de 50 pour couvrir les différentes fuites, nous
aurons un coefficient du diviseur K égal à :

K = 1/(1- 0,5) = 2

Cependant le diviseur du crédit qui était au départ un outil d’analyse répondant au contexte
monétaire et bancaire propre à l’économie d’endettement, est devenu désuet par les
transformations qui ont marqué la finance indirecte et par l’ampleur que connait l’économie
des marchés des capitaux depuis plusieurs décennies.

2- Le comportement bancaire face à la nouvelle relation des prêts et des dépôts.

Ces différentes analyses mettent toutes l’accent sur la corrélation étroite qui lie le crédit à la
masse monétaire. Beaucoup de spécialistes ont cherché à vérifier cette relation à travers
des études empiriques et des modèles économétriques. Leurs conclusions ne vont pas
toutes dans le sens de l’adage « les prêts font les dépôts ». Certains parmi eux en arrivent
même à dissocier le crédit de la monnaie. C’est le cas des deux analystes Brunner et Meltzer,

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deux économistes américains qui ont diagnostiqué cette relation. Même si leurs analyses se
trouvent quelque peu dépassées après les mutations qu’a connues le système financier en
général lors des dernières décennies, leur pertinence nous permet de mieux comprendre le
lien existant entre la création monétaire et les prêts bancaires.

Brunner et Meltzer ont expliqué le rapport liant les deux grandeurs par l’équation M = βEb
avec M indiquant la création monétaire, Eb le crédit bancaire et β exprimant le degré de
corrélation entre les deux. Le modèle étudié inclut le comportement bancaire, la formation
des taux d’intérêt sur le marché monétaire ainsi que les variables indicatives concernant la
politique monétaire et le stock de monnaie qui en résulte.

Il ressort de leurs conclusions que les facteurs impactant monnaie et crédit ne sont pas
similaires. Si l’évolution du crédit dépend essentiellement de la conjoncture économique
intérieure et extérieure, des anticipations des opérateurs et du comportement bancaire,
celle de la création monétaire est en rapport avec les marchés des titres, le déficit
budgétaire et la politique monétaire en général. Ces deux processus évoluent souvent dans
des directions opposées, particulièrement pendant la durée d’un cycle. On a souvent
constaté aux Etats Unis qu’un ralentissement de la croissance monétaire n’a pas conduit à
une baisse des prêts bancaires. Monnaie et crédit ne sont donc pas toujours identiques.

Cette constatation est destinée à attirer l’attention des autorités monétaires sur la question,
car elles ont tendance à considérer que le stock de monnaie et le volume du crédit bancaire
sont des indicateurs interchangeables. Or les instruments de leur politique n’affectent pas
de la même manière les deux grandeurs, ce qui pose un problème de cohérence entre la
politique de contrôle de la monnaie et la politique du crédit en général. De nos jours bien
évidemment la politique monétaire vise tout autant le contrôle du stock monétaire que le
suivi de l’évolution de l’activité bancaire en général et les crédits de ces établissements en
particulier, dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler la supervision bancaire.

Les grandes mutations du système financier ont eu pour conséquence le développement du


financement par l’émission de titres aux dépens de crédit bancaire. Le contexte américain a
permis à certains analystes (Georges A. Kahn « does more money mean more bank loans »)
déjà dans les années 90 de commencer à distinguer le crédit bancaire du crédit total. Ce
dernier est constitué en plus des crédits accordés par les banques aux entreprises, des
financements distribués par ces mêmes établissements ou d’autres institutions financières
américaines sous forme d’acquisitions de TCN ou de valeurs mobilières du marché. Le terme
mobilièrisation décrit ce processus, généralisé depuis essentiellement dans les pays
industrialisés. Il implique une création monétaire qui n’a pas pour origine le crédit bancaire
mais l’émission de titres au profit des banques, par l’état et les entreprises, sur les marchés
monétaire et financier.

La prolifération de ces titres représente parallèlement autant d’opportunités de placement


pour les banques. Ainsi une augmentation des dépôts bancaires n’aboutira pas

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nécessairement à un accroissement de l’offre de crédit car les banques peuvent être tentées
par l’acquisition sur les marchés, d’actifs monétaires et financiers mieux rémunérés et
moins risqués que le crédit.

La conjonction de ces deux mouvements aboutit à une baisse notoire de la part du crédit
dans le financement de l’économie et dans la création monétaire. Ce qui donne lieu depuis
les années 80 à la désintermédiation qui se manifeste par une tendance à la baisse de la
finance indirecte qui s’est contractée par rapport à la finance directe. On constate
l’incidence de ces mutations au niveau du bilan bancaire comme suit :

L’actif du bilan où on retrouvait essentiellement les crédits à la clientèle est de plus en plus
composé de titres dont l’acquisition par la banque donne lieu à une création monétaire.

Le passif ne se réduit plus aux dépôts de la clientèle mais comprend plus de titres.

En effet la désintermédiation se traduit également par le développement des produits de


placement à court terme comme les OPCVM monétaires qui offrent aux épargnants des
rendements plus avantageux que les dépôts rémunérés dans les banques. Ce qui explique
leurs succès auprès des agents non financiers. Notons par ailleurs que les OPCVM
monétaires peuvent également créer la monnaie, mais d’une manière différente des
banques, en émettant des titres convertibles à tout moment sans risque de perte en capital
significatif.

Ces tendances dans leur ensemble se traduisent par une certaine défection à l’égard des
dépôts bancaires et un déficit croissant de la trésorerie des banques. Analysant ce
phénomène il y a plusieurs années déjà Lévy Garboua (« Les crédits font-ils encore les
dépôts ? » Revue Banque 1992) avait estimé que les OPCVM monétaires constituent une
fuite supplémentaire du côté des ressources bancaires, parallèlement aux réserves
obligatoires et aux conversions des dépôts en billets. Il faut dorénavant en tenir compte
pour le calcul du multiplicateur du crédit qui restera inchangé ou diminuera, selon que les
fuites relatives aux nouveaux produits de placement sont recaptées par les établissements
de crédit ou placées ailleurs. L. Garboua en conclut ainsi que les prêts ne font plus les dépôts
ou plus exactement que les prêts font moins de dépôts.

La monnaie a trois sources principales qui sont les crédits à l’économie, les créances sur le
Trésor et les avoirs extérieurs. La création monétaire incombe essentiellement aux banques
dont le rôle en la matière consiste à transformer des actifs non monétaires en avoirs à vue
sur elles. Le processus se déroule selon l’optique de l’adage « les prêts font les dépôts »,
fondé sur l’existence d’une relation étroite entre les crédits et la masse monétaire, relation
que cherche à prouver les modèles du crédit du multiplicateur et du diviseur.

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Les mutations qui ont touché l’environnement financier de la plupart des pays industrialisés
lors des dernières décennies se sont manifestées par la dissociation constatée entre le
crédit et la monnaie,( ce qui est particulièrement le cas des Etats Unis) et la part
grandissante des titres monétaires et financiers dans les bilans bancaires. Il est donc
nécessaire de nuancer les conclusions de cet adage pour lui substituer d’autres formes de
relations entre les deux grandeurs que sont le crédit et la monnaie. En outre dans un monde
ouvert et globalisé il est impératif d’adapter les méthodes d’analyse au nouveau contexte
financier national et international. C’est ce que recherchent les modèles classiques et post
keynesiens contemporains qui tiennent compte des mutations de l’environnement financier
international pour élaborer des approches d’analyse et de politique monétaire en phase
avec le contexte actuel.

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