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RERJ –N°2 2‫ العدد‬2018 ‫المجلة اإللكترونية لألبحاث القانونية‬

La politique de l’incrimination des personnes morales

Amine MOQRAN 182


Etudiant au cycle de master FSJES OUJDA

Introduction:

Est considérée comme délinquant, toute personne participant à la commission de


l’infraction par n’importe quel moyen et dans n’importe quelle phase, Que ce soit au
niveau de l’élaboration du dessin criminel, au niveau de l’exécution de l’élément
matériel, ou au après la consommation de l’infraction. L’exemple le plus répandu à
la troisième phase se rattache à l’infraction du recel1. Ce délinquant peut être soit
personne physique soit personne morale.
Une personne morale est un groupement de personnes ou de biens auquel la loi
attribue la personnalité juridique. Il existe trois catégories de personnes morales :
premièrement, Les personnes morales de droit public, qui relèvent du droit public et
administratif comme l’état et les collectivités territoriales. Deuxièmement, Les
personnes morales de droit mixte qui se présentent sous forme d’établissements
Publics Industriels et Commerciaux. Enfin, Les personnes morales de droit privé, qui
relèvent du droit privé civil ou commercial comme les associations et les sociétés
commerciales (partie qui nous intéresse).
Une personne morale acquiert sa personnalité juridique après enregistrement
auprès d’une administration. Pour les sociétés commerciales, elles ne sont
valablement constituées qu'après avoir accomplie les formalités d'inscription au
registre de commerce, de publicité dans le bulletin officiel, et dans un journal
d'annonces légales2.
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La base des éléments constitutifs de complicité sont antérieurs à l'infraction, bien que pour le recel,
ses éléments constitutifs se traduisent par des actes postérieurs. Arrêt de la cour suprême n° P594,
rendu le 31 Mars 2004.
Une société anonyme n'est valablement constituée qu'après avoir accomplie les formalités
d'inscription au registre de commerce, de publicité dans le bulletin officiel, et dans un journal
d'annonces légales. Est irrecevable l'appel déposé par cette société avant sa mise en conformité en
application de la loi 17/95 sur les sociétés anonymes puisque celle ci ne dispose ni de la personnalité
morale ni de la qualité pour agir. Arrêt de la cour de cassation n° 1414/08 rendu le 13 Janvier 2010
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A ce stade, il faut bien faire distinction si la personne morale est auteur
d’infraction, fait qui engage sa responsabilité pénale, ou si elle est victime
d’infraction. Dans ce deuxième cas de figure, l’infraction la plus répandue en droit
pénal des sociétés commerciales est celle de l’abus de biens sociaux1.

Quant au premier cas de figure, au regard du droit pénal musulman et du droit


coutumier, la personne morale ne peut pas être responsable pénalement, la théorie de
responsabilité pénale de la personne morale s’est instaurée avec le droit pénal positif2.
De nombreux pays comme les Etats Unis, le Canada, Le Royaume-Unis et les Pays-
Bas admettent depuis longtemps la possibilité de sanctionner pénalement les 183
personnes morales.

A propos du Maroc, il a connu des législations étrangères pendant le protectorat


( la législation française et espagnole), mais qui sont elles mêmes restées silencieuses
face à ce concept. Ajoutons que même le code pénal marocain de 1953 n’a porté
aucune solution. Toutefois, l’histoire de la jurisprudence marocaine dans la matière
a été marquée par l’arrêt de la cour suprême en 19603 qui était le premier à évoquer
le terme de « responsabilité pénale de personne morale » face à un vide juridique en
matière répressive. Sauf qu’avant cet arrêt, le dahir de 30 Aout 1949 relatif à la
répression des infractions à la réglementation des changes a touché, indirectement,
cette responsabilité par son article 12 qui dispose que : « Lorsque les infractions à la
réglementation des changes sont commises par des administrateurs, gérants ou
directeurs d'une personne morale, ou par l'un d'entre eux agissant au nom et pour le
compte de la personne morale, indépendamment des poursuites intentées contre
ceux-ci, la personne morale elle-même pourra être poursuivie et frappée des peines
pécuniaire4». D’une manière plus simplifiée, c’est le sens de l’irresponsabilité
pénale des personnes morales qui était fréquent pendant le protectorat, Il fallut donc
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Le délit de l’abus des biens sociaux n’est établi, conformément à l’article 523 du code pénal, que
si le bien faisait déjà partie du fonds social. Il en résulte donc que le fait pour l’associé de disposer
d’une partie de ses biens destinés à la formation du capital social de la future société, ne constitue
pas l’élément matériel du délit .
L’appréciation de l’élément moral suppose que le gérant use intentionnellement les biens sociaux
contrairement aux intérêts de la société et pour ses fins personnelles. Arrêt de la cour de la cour de
cassation marocaine N°832 -7-08-11, Dossier pénal N°76-8768/6/10/2011,publié dans la revus :
.346‫ إلى‬343, ‫ ص‬،75‫مجلة القضاء والقانون العدد‬
L’abus des biens sociaux n’exige pas un préjudice, il suffit que la société ait été exposée, sans
nécessité, à un risque de perte non compensé par une chance de gain. Arrêt de la cour suprême n°
2263/7, chambre pénale, rendu le 1er Octobre 1989.
.55 ‫مجلة قضاء المجلس األعلى العدد‬
F. Desportes, F. Le Guhenec, Le nouveau droit pénal, T. 1, Droit pénal général, Economica, Paris
2000, P35
La responsabilité pénale des personnes morales ne peut être retenue que si elle est expressément
prévue par la loi. Arrêt de la cour suprême n°659, chambre criminelle, rendu le 2 Juin 1960.
Notons que ce texte reproduit l’article 12 de l’ordonnance française du 30 Mai 1945.
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attendre jusqu'à 1962, date de promulgation du premier code pénal unifié, pour que
ce type responsabilité pénale soit réglementé concrètement1 par l’article 1272.
Quant au droit processuel, c’est dans le premier code de procédure pénale
marocain que les premières dispositions, donnant sens à l’admission de
responsabilité pénale des personnes morales, ont été capturées. Les articles 721, 722,
723, 724, 725, 726, 727, 728, et 729 imposent au ministère de la justice d’instituer
un casier judiciaire central comportant un fichier pour les sociétés civiles et
commerciales. Ce fichier fait l’objet des avis de condamnations portées à ces
personnes morales, ainsi que leurs dirigeants personnes physiques.
184
I – L’incrimination des personnes morales
Si dans la matière pénale la clarté et la précession sont des conditions du principe
légalité. Il reste à sa voire si cette règle est respecté en ce qui concerne la
responsabilité des personnes morales.

A – L’imprécision résultant de l’article 127 du Code Pénal


Marocain
Sur le champ des peines, la panoplie pénologie consiste que la personne morale
ne peut être condamnée qu’à des sanctions pécuniaires et aux peines accessoires
déterminées par l’article 36 du code pénal, ainsi qu’aux mesures de suretés prévues
par l’article 623. Sauf qu’au niveau de la pratique juridique, l’article 127 marque son
insuffisance dans la mesure où il ne répond qu’à la question de punissable pénale de
personnes morales tout en gardant silence devant les questions de champ
d’application, d’imputabilité,… menant à poser plusieurs ambiguïtés pour les
praticiens de droit comme les avocats et le juge pénal. En d’autres termes, pour les
grands pénalistes marocains, le législateur a admis le principe de cette responsabilité
sans y trancher les conséquences d’application, Même en se basant sur la
jurisprudence publiée, il est remarquable que les juges n’ont fourni aucun effort
concernant ces vides juridiques.
D’autre part, l’imprécision résultant de l’article 127 réside au niveau de
l’infraction elle-même. Par la lecture du code pénal, on trouve que la plupart des
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Le législateur répressif marocain a élaboré le principe de responsabilité pénale des personnes
morales avant le législateur français, qui l’a fait graver depuis la réforme code pénal de 1992.
Signalons qu’en droit Allemand et Italien, les personnes morales font l’objet d’une « responsabilité
pénale administrative ». Ainsi, Parmi les pays Arabes ayant accordé à la personne morale une
responsabilité pénale citons : La Syrie, Le Liban, Soudan, L’Iraq, …
Article 127 : Les personnes morales ne peuvent être condamnées qu'à des peines pécuniaires et aux
peines accessoires prévues sous les numéros 5, 6 et 7 de l'article 36. Elles peuvent également être
soumises aux mesures de sûreté réelles de l'article 62.
Arrêt de la cour suprême n° 7619, rendu le 2 Décembre 1992.
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infractions ne font l’objet qu’à des incriminations privatives de liberté, ajoutons ainsi,
que plusieurs autres infractions ne peuvent se réaliser, matériellement, que par des
personnes physiques ; le meurtre à titre d’exemple nécessite un acte matériel se
traduisant par des coups portés directement ou par l’intermédiaire d’une arme
quelconque sur une personne en vie, Le vol se matérialise par l’acte de la
soustraction,… ces exemples nous induisent vers l’impossibilité d’imaginer une telle
infraction concrète matériellement commise par une personne abstraite
physiquement.

Au niveau de la technicité législative, la deuxième faute commise par le 185


législateur se manifeste par le manque d’innovations rattachées à l’élaboration de
l’article 127, l’approbation de la responsabilité pénale des personnes morales exige
une vaste modification pour les autres articles figurant au sein du code pénal, afin de
comptabiliser les termes avec les principes généraux du droit pénal. On peut donc
dire que le législateur répressif a posé l’article 127 sans modifier les autres articles,
cet état de fait a donné comme résultat une stigmatisation de la responsabilité pénale
des personnes morale par les praticiens qui la considèrent comme une simple
exception.

B- L’institutionnalisation de la responsabilité pénale en Droit Français

Dans le cadre du droit comparé, notamment en droit français, le législateur était


plus dynamique malgré son retard pour l’institutionnalisation de cette responsabilité.
La situation juridique n’était pas identique à la situation Marocaine vu que la loi
pénale française était plus réglementée par l’instauration du « principe de spécialité »
qui n’existe pas en droit marocain.

La loi du 21 Juin 2001 avait progressivement étendu la responsabilité en matière


de crime et délits portant atteinte aux personnes1 (homicide, empoisonnement,
violence, ajoutons aussi le viol, …), ce principe de spécialité commence à s’effacer
graduellement jusqu’à l’instauration de la Loi Perben l’ayant cassé directement. En
effet, depuis l’intervention de la loi Perben (9 Mars 2004) , les personnes morales
sont tout comme les personnes physiques, responsables d’infractions, sans qu’il ait
lieu d’exclure quelques-unes du champ d’application2. De ce fait, la personne morale
peut commettre toute infraction quel que soit sa nature ;

En droit pénal spécial, l’engagement de la responsabilité pénale, exige la réunion


de deux conditions, la première consiste du fait que l’auteur du crime, du délit, ou de
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O. Sautel, La mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales, Dalloz 2002, p.1147
Posons comme exception, les délits relatifs à la presse.
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la contravention ait la qualité d’organe ou de représentant1 de la personne morale, et
la deuxième se traduit par le fait que la personne morale a bénéficié du profit
quelconque résultant de l’infraction.
A titre d’exemple, une société se voit responsable du crime d’homicide, à
condition que l’auteur du crime dispose de la qualité d’organe de cette personne
morale, et que ce crime a porté un profit à la société. C’est le cas de l’organe personne
physique d’une entreprise débitrice qui tue le gérant créancier d’une autre entreprise.
D’autre part, il n’est pas nécessaire que l’infraction ait donné lieu à la condamnation
de personne physique pour la responsabilité personne morale soit engagée, il n’est 186
même pas nécessaire que l’identité de la personne physique soit identifiée. Le juge
pénal ne contrôle qui si l’infraction a été commise avec certitude. Toutefois, le
« principe du cumul juridique de responsabilité pénale personne physique et moral »
peut être engagé par le juge afin de punir tout responsable que ce soit direct ou
indirect2. Signalons à cette occasion que Le juge pénal marocain a suivi ce principe
dans l’arrêt n° 7/2263.
Sauf que l’application de ce principe , selon la loi Fauchon du 10 Juillet 2000,
exige une faute intentionnelle se traduisant par l’élément moral lors de la commission
de l’infraction3.
En droit pénal des sociétés, il n ya pas de responsabilité pénale pour les sociétés
créées de fait et les sociétés en participation4.
Et tout comme les personnes physiques, en cas de pluralité de sociétés ayant
commis une seule infraction, les principes de complicité et de coaction peuvent jouer
leurs rôles en s’adaptant à la mesure des personnes morales. On peut même
considérer que la peine de dissolution prononcée à l’encontre de la personne morale
est équivalente à la peine de mort prononcée à l’encontre des personnes physiques.
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Pour P. Conte et P. Maistre du Chambon l’organe ou le représentant, auteur de l’infraction, n’est
pas autrui, pour la personne morale, ils sont la personne morale. Voir à ce sens : P. Conte, P. Maistre
du Chambon, Droit pénal général, Sirey 2008.
De la manière la plus générale, la responsabilité pénale des personnes morales est une
responsabilité dite par ricochet, qui s’exécute pas directement par la personne morale, il faut
obligatoirement un intermédiaire, un moyen, qui est la personne physique.
Toutefois, la chambre criminelle de la cour de cassation française a estimé dans un arrêt rendu en
2014 que la société a, par l’un de ses représentants titulaire d’une délégation de pouvoir à savoir le
directeur de la société et le chef de centre – agissant pour le compte de la personne morale, ainsi
« créé la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de
l’éviter » engageant la responsabilité pénale de la personne morale. La Cour d’appel l’avait déclarée
coupable des délits de blessures involontaires avec ITT supérieure à trois mois dans le cadre du
travail et d’embauche de travailleur sans organisation de formation pratique et appropriée en matière
de sécurité. Cass. Crim. 25 Mars 2014.
Crim. 14 Décembre 1999.
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Ainsi, en cas de fusion de personnes morales ( A et B ayant commis une
infraction fusionnent la société C) , la nouvelle personne morale (C ) ne peut pas être
responsable à l’infraction commise par ( A et B), Le juge se réfère dans ce cas au
critère du « temps » : la date de la commission de l’infraction par rapport à la date de
la fusion des sociétés.

II- La réponse pénal face à la question de la fusion des


sociétés commerciales
La fusion par absorption constitue la principale opération de restructuration des 187
sociétés, cette modification structurelle produisant divers effets relativement à
l’organisation et au fonctionnement des sociétés visées.
Dans une telle situation, se pose notamment la question de l’imputabilité de la
responsabilité pénale aux sociétés concernées par l’opération de fusion-absorption.
En effet, s’il découle des articles 121-1 et 121-2 du Code pénal1 que la responsabilité
personnelle est complétée par un régime de responsabilité de droit commun pour les
personnes morales, il paraît ardu de qualifier la responsabilité pénale de la société
absorbée au détriment de la société absorbante, dans le cadre d’une infraction
commise antérieurement à l’opération de fusion par la société absorbée. En effet, les
conditions édictées à l’article 121-2 du Code pénal emportent l’existence d’une
personnalité juridique caractérisant la personne morale. Or, l’opération de fusion
impliquant une tierce société fait perdre son existence juridique à la société absorbée.
S’étant retrouvée confrontée à cette problématique, la Cour de cassation a fait évoluer
le droit commun de la responsabilité pénale des personnes morales afin de l’appliquer
aux spécificités de l’opération de fusion-absorption.

A- Responsabilité du fait personnel et qualification de la responsabilité


des personnes morales
La fusion peut être définie en tant qu’opération par laquelle une ou plusieurs
sociétés distinctes décident de réunir leur patrimoine et leurs activités en une seule
société et entité patrimoniale. L’opération de fusion-absorption constitue la forme la
plus courante de fusion. Dans ce cas spécifique, la société absorbée, en tant que
personne morale, est dissoute, mais cette dissolution n’emporte toutefois pas de
liquidation de l’entreprise susvisée, puisque le patrimoine de la société absorbée est
transmis à la société absorbante2. Cette dernière voit donc son capital augmenter à la
hauteur des parts sociales et actions transmises par la société absorbée.
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Article 121-1 et 121-2 du Code Pénal Français
Arrêt rendu par la Cour de Cassation Française le 11 février 1986, n°84-12.337.
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Dans cette situation de modification de l’architecture sociétaire de plusieurs
entreprises décidant de fusionner leurs structures respectives, se pose la question de
la responsabilité de la société absorbée ayant commis une infraction avant la
réalisation de l’opération de fusion-absorption, donc avant la disparition de la
personnalité juridique de celle-ci.
Les tierces entreprises à l’opération de fusion peuvent-elles voir leur
responsabilité pénale engagée, du fait de la confusion de leur patrimoine et de leur
structure sociétaire avec celle de la société absorbée se rendant coupable d’une
infraction d’ordre pénal ?
188
À première vue, les dispositions de l’article 121-1 du Code pénal relatives à la
responsabilité personnelle excluent toute poursuite à l’encontre de la société
absorbante, celle-ci ne pouvant décemment être poursuivie pour une infraction
commise par la société absorbée avant que celle-ci ne perde son existence juridique.
En effet, « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». Par
conséquent, le droit commun de la responsabilité pénale des personnes morales, régi
par l’article 121-2 du Code pénal, aux termes duquel « les personnes morales, à
l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement des infractions commises, pour
leur compte, par leurs organes ou représentants », s’applique de plein droit à la
société absorbée se rendant coupable d’une infraction pénale, avant que celle-ci ne
perde son existence juridique.
En l’occurrence, tant que la société absorbée conserve sa personnalité juridique,
celle-ci demeure une personne morale au regard des dispositions légales découlant
de l’article 121-2 du Code pénal, l’infraction étant dès lors intégralement imputable
à la société absorbée.
Par ailleurs, deux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation
Française1, ont établi l’irresponsabilité pénale de la société absorbante pour le compte
des infractions commises par la société absorbée avant la réalisation de l’opération
de fusion, et ce, en application du principe de responsabilité personnelle énoncé à
l’article 121-1 du Code pénal.
Confronté à cette problématique, le juge de cassation a estimé qu’« aux termes
de l’article 121-1 du Code pénal, nul n’est responsable pénalement que de son
propre fait. Il s’ensuit, dans le cas où une société, poursuivie pour blessures
involontaires, fait l’objet d’une fusion-absorption, que la société absorbante ne peut
être déclarée coupable, l’absorption ayant fait perdre son existence juridique à la
société absorbée ».
En outre, il convient de remarquer que cette décision du juge de cassation se
situe dans la lignée d’une décision précédemment rendue par la chambre
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Arrêt rendu le 20 juin 2000 n°99-86.742 et 14 octobre 2003 n°02-86.376
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commerciale, selon laquelle « le principe de la personnalité des poursuites et des
sanctions s’oppose à ce qu’en l’absence de dispositions dérogatoires expresses, des
personnes physiques ou morales autres que l’auteur du manquement en cause,
puissent se le voir imputer et faire l’objet de sanctions à caractère pénal »1. Par
conséquent, les sanctions prononcées à l’encontre de sociétés dans le cadre d’une
opération de scission doivent être annulées, puisque les manquements reprochés sont
directement imputables, en vertu du principe de responsabilité personnelle, à l’entité
préexistante, et non aux tierces sociétés impliquées dans l’opération de
restructuration sociétaire.
189
B - Affinement de la jurisprudence de la Cour de cassation par la Cour
de justice de l’union européenne
Selon les dispositions de l’article L. 236-1 du Code de commerce, « une ou plusieurs
sociétés peuvent, par voie de fusion, transmettre leur patrimoine à une société
existante ou à une nouvelle société qu’elles constituent ». Il résulte de ces précisions
que toute fusion nécessite la réalisation concomitante d’opérations juridiques et
financières.
En premier lieu, la fusion entraîne la transmission universelle du patrimoine de la
société ou des sociétés fusionnées au profit de la société ou des sociétés absorbantes.
Par conséquent, la transmission du patrimoine des sociétés absorbées se traduit par
une augmentation du capital de la société absorbante. Ensuite, comme on l’a vu
précédemment, la fusion emporte la dissolution de la société fusionnée, mais non la
liquidation de cette dernière. Enfin, l’échange de droits sociaux entre les sociétés à
l’opération de fusion implique que les associés des sociétés fusionnées conservent
cette même qualité au sein de la société absorbante, en rémunération des apports
effectués dans les conditions stipulées dans le contrat de fusion.
Lesdits effets ont conduit les instances communautaires à faire évoluer leurs
réglementations en matière de responsabilité pénale des sociétés concernées par une
opération de fusion-absorption, bouleversant ainsi la jurisprudence établie par la
Cour de cassation.
En effet, l’article 19, paragraphe 1, de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9
octobre 1978 relative aux fusions des sociétés anonymes, énonce que « la fusion
entraîne ipso jure et simultanément les effets suivants : a) la transmission
universelle, tant entre la société absorbée et la société absorbante qu’à l’égard des
tiers, de l’ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée à la société
absorbante ; b) les actionnaires de la société absorbée deviennent actionnaires de la
société absorbante ; c) la société absorbée cesse d’exister ».
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Arrêt rendu par la Cour de Cassation Française le 15 juin 1999, n°97-16.439
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L’on peut observer que la réglementation européenne reprend presque à l’identique
les dispositions nationales internes émanant de l’article L. 236-3 du Code de
commerce, aux termes desquelles « la fusion ou la scission entraîne la dissolution
sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur
patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l’état où il se trouve à la date de
réalisation définitive de l’opération. Elle entraîne simultanément l’acquisition, par
les associés des sociétés qui disparaissent, de la qualité d’associés des sociétés
bénéficiaires, dans les conditions déterminées par le contrat de fusion ou de
scission ».
190
Par conséquent, une fusion par absorption, au sens de la directive et des textes de loi
susvisés, entraîne de plein droit la transmission universelle du patrimoine de la
société absorbée à la société absorbante. Toutefois, ce patrimoine contient également
les créances, droits, biens et obligations de la société absorbée. L’imputabilité de
l’infraction à la société absorbée, condamnée au paiement d’une amende avant la
réalisation de l’opération de fusion, entraîne la substitution de la société absorbante
à la société absorbée, en vertu du principe de transmission universelle du patrimoine
inhérent à l’opération de fusion-absorption. La société absorbante se voit donc
contrainte de s’acquitter de l’amende initialement due par la société absorbée (CJUE,
5 mars 2015, n°C-343/13).
L’irresponsabilité de principe de la société absorbante du fait des agissements
frauduleux de la société absorbée pose la question de l’instrumentalisation de
l’opération de fusion-absorption à des fins d’évitement des poursuites pénales. Ce
risque est notamment apprécié par Pierre Truche, dans son Introduction au colloque
sur la responsabilité des personnes morales (Revue sociétés 1993. 231), en tant que
« suicide sans risque des personnes morales ».
En effet, l’arrêt n°16-80366, rendu le 25 octobre 2016 par la chambre criminelle de
la Cour de cassation, illustre la faiblesse des fondements légaux relatifs aux
conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales dans le
cadre d’une opération de fusion par absorption. Malgré le fait que, dans le cas
d’espèce, la transmission « est d’autant plus avérée par les caractéristiques de
l’opération de fusion-absorption par une société qui était propriétaire de près de la
moitié de la société absorbée et dont les dirigeants et les biologistes y travaillant
étaient en même temps associés de la société absorbante ; que cette identité des
associés des deux sociétés, absorbée et absorbante, montre que les personnes
physiques qui les composent ne pouvaient ignorer, en tant qu’associés de la société
absorbante, les agissements des personnes travaillant au sein de la société
absorbée », l’arrêt rendu par la chambre d’instruction de Rennes en date du 18
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décembre 2015 est cassé, au motif que l’article 19 de la directive 78/855/CEE du
Conseil du 9 octobre 19781 est dépourvu d’effet direct à l’encontre des particuliers.
En sus, les précédents jurisprudentiels en la matière (Cass. Crim., 20 juin 2000, n° 99-
86.74, Cass. Crim., 14 octobre 2003, n° 02-86.376) confirment une jurisprudence
constante établissant que l’article 121-1 du Code pénal ne peut s’interpréter que
comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l’encontre de la
société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette
dernière perde son existence juridique par l’effet d’une fusion-absorption.
Il convient donc de conclure que la réglementation communautaire a bouleversé la
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jurisprudence établie par la Cour de cassation, en ce qu’elle a donné lieu à des
tentatives de la part des juridictions nationales d’opérer un revirement de
jurisprudence sur la base du droit de l’Union (et plus particulièrement en s’inspirant
de l’arrêt CJUE 5 mars 2015, n° C-343/13, ayant condamné la société absorbante à
payer une amende due par la société absorbée, la responsabilité pénale de la société
absorbante étant engagée du fait de la transmission universelle des droits, obligations,
biens et créances de la société absorbée à la société absorbante).
Les différends jurisprudentiels et doctrinaux entre juridictions nationales et instances
communautaires mettent en exergue un défaut de coordination internationale en
matière de responsabilité pénale des personnes morales. Ce manque d’articulation
des législations et réglementations est à l’origine de risques accrus de forum shopping
et de fraude à la loi (la fraude à la loi constituant depuis l’arrêt Cass. Com., 15 juin
1999, n° 97-16.439, une possible exception au principe de l’irresponsabilité de la
société absorbante) de la part des sociétés recourant à une opération de fusion-
absorption afin de bénéficier du régime protecteur de l’irresponsabilité pénale
résultant des dispositions nationales françaises.
Il semble donc qu’une harmonisation des législations, des procédures judiciaires et
répressives soit nécessaire afin de garantir l’efficacité des dispositifs mis en place par
les institutions communautaires afin de lutter contre les abus des sociétés perpétrés
dans le cadre d’opérations de fusion-absorption. Il apparaît que cette coordination de
l’activité normative permettant une évolution doctrinale et des ajustements
jurisprudentiels en matière de responsabilité pénale des personnes morales
impliquées dans une fusion par absorption, passe par l’instauration de mécanismes
de coopération judiciaire à l’échelle tant européenne qu’internationale.
Conclusion:
En guise de conclusion, remarquons que tous les vides juridiques laissés par
législateur pénal en la matière sont remplis, récemment, par le juge marocain qui
interprète en s’appuyant sur les dispositions doctrinales du droit comparé.
‫ـــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬
La directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978
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