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INCORPORELS
Bouleversement des pratiques ou inertie ?
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L’adoption en France
des normes IFRS
relatives aux incorporels
Bouleversement des pratiques ou inertie ?
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D
epuis l’adoption obligatoire au plusieurs dizaines d’années (Powell, 2003).
1er janvier 2005 des normes IFRS Elle a porté aussi bien sur la comptabilisa-
(International Financial and tion du goodwill (Brunovs et Kirsch, 1991 ;
Reporting Standards) par les entreprises Colley et Volkan, 1988 ; Ma et Hopkins,
européennes cotées, les comptes consolidés 1988 ; Henning et al., 2000) que sur cer-
sont établis selon des normes internatio- tains actifs spécifiques comme le capital
nales fournissant un langage comptable humain (Lev et Schwartz, 1971), les
commun censé assurer une plus grande marques, les logiciels ou encore les frais de
homogénéité dans la présentation de l’in- recherche et développement (Mather et
formation comptable face à l’internationali- Peasnell, 1991 ; Power, 1992 ; Aboody et
sation croissante des marchés financiers Lev, 1998 ; Lev et Sougiannis, 1996, 1999).
(Whittington, 2005). Dans certains pays Alors même que ces éléments n’ont cessé
européens comme l’Allemagne, l’Autriche de croître et contribuent à la création de
ou la Suisse, la mise en place des normes valeur dans l’entreprise, des réticences ont
internationales a pu être réalisée volontaire- toujours subsisté quant à leur prise en
ment avant le 1er janvier 2005 (Ashbaugh et compte à l’actif du bilan. Des études ont
Pincus, 2001). Cela n’a pas été le cas pour montré, qu’au sein de l’Union européenne,
les entreprises françaises. La possibilité de les réglementations et les pratiques sont
préparer leurs comptes selon d’autres règles restées diversifiées entre les pays, selon les
que les normes nationales n’étant pas ins- types d’actifs incorporels concernés, mais
crite dans la loi ; elles n’ont donc pas pu aussi à l’intérieur d’un même pays (Stolowy
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laires ou distinctives à partir des pratiques nales, entre les normes françaises telles
constatées (Nobes, 1981, 1983 ; Gray, qu’édictées par le Comité de réglementa-
1988 ; Doupnik et Salter, 1993, 1995 ; tion comptable (CRC) et les normes de
d’Arcy, 2001), notre objectif est de mettre l’IASB (cf. tableau 1). Ces différences s’ap-
en évidence des profils d’entreprises affec- pliquaient aussi bien aux goodwill2 qu’aux
tés différemment par le passage obligatoire éléments incorporels identifiables : immo-
au nouveau référentiel comptable. Une bilisations incorporelles acquises ou déve-
méthode de classification novatrice : « la loppées en interne.
méthode DIV (Divisive Clustering Celles-ci s’expliquent, d’une part, par le fait
Method) » permettant d’opérer une classifi- que les règles comptables françaises reflè-
cation hiérarchique descendante des entre- tent « naturellement » des différences cultu-
prises a été privilégiée. Elle a pour intérêt relles et institutionnelles (influence du sys-
majeur de pouvoir décrire un phénomène, tème juridique, mode de financement des
associé à un nombre important de variables, entreprises, rôle de la fiscalité) qui s’oppo-
et d’expliquer l’origine des groupes en sent à celles véhiculées par les normes IFRS
déterminant quelle variable sépare les (Joos et Lang, 1994 ; Biondi, 2004 ; Ding et
entreprises. Il est alors possible de présenter al., 2007). Les normes françaises sont
une typologie d’entreprises affectées diffé- d’ailleurs considérées comme parmi les plus
remment par le changement. divergentes des IFRS (Ding et al., 2007).
Nous observons, dans une première partie, Ces divergences s’expliquent, d’autre part,
que la nature de l’impact du changement de par la nature très spécifique des incorporels.
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2. Le goodwill, appelé également survaleur ou écart d’acquisition, correspond à l’excédent du coût d’acquisition sur
la part d’intérêt de l’acquéreur dans la juste valeur des actifs et passifs identifiables.
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Regroupements : méthode de
l’acquisition ou du pooling.
Possibilité de porter le Regroupements : méthode de Reclassement éventuel
goodwill à l’actif. Dans ce cas, l’acquisition. du goodwill en
durée d’amortissement sur la Goodwill : obligatoirement à immobilisations incorporelles
durée de vie économique. l’actif identifiables.
Goodwill acquis Avant 2000, possibilité Test de dépréciation annuel Inversement, reclassement
d’imputer le goodwill sur les des unités génératrices de éventuel en goodwill d’actifs
capitaux propres. trésorerie (UGT) ou plus incorporels non reconnus en
Badwill comptabilisé en souvent si nécessaire. IFRS.
provisions au bilan et repris Badwill décomptabilisé en Badwill décomptabilisé en
annuellement au compte de début de période début de période.
résultat.
Immobilisations incorporelles
comptabilisées à leur coût.
Reconnues à leur juste valeur Immobilisations incorporelles
si acquises lors d’un évaluées à leur coût ou à leur Certains incorporels
regroupement. juste valeur. répondant aux définitions et
Fonds de commerce : avant Immobilisations à durée de critères de reconnaissance
Immobilisations 1999, pas d’amortissement vie finie : amorties sur leur peuvent sortir du goodwill :
incorporelles obligatoire. Après 1999 : durée d’utilité. Tests de reclassement éventuel du
identifiables amortissement systématique. dépréciation si indices de goodwill en immobilisations
pertes de valeur. incorporelles identifiables.
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Dépenses de création de
logiciels : obligatoirement à Marques, notices, titres de
journaux et de magazines, Incorporels créés considérés
Immobilisations l’actif (sous conditions). listes de clients créés en
incorporelles Activation des marques comme des actifs dans le
créées : interdite. interne : activation système comptable utilisé
identifiables impossible.
créées Frais d’établissement : activés antérieurement : non
et amortis sur 5 ans. Frais d’établissement, reconnus en IFRS
Dépenses de formation et de dépenses de formation et de (imputation sur les capitaux
publicité : charges publicité : charges. propres du bilan
d’ouverture).
Dépenses liées à la phase de Éléments précédemment
recherche fondamentale : constatés en charges (tels les
charges. frais de développement) :
Dépenses de recherche Frais de R&D : possibilité de les reconnaître
appliquée et de – passage en charges pour la en immobilisations
Recherche et phase de recherche.
développement développement : possibilité incorporelles (s’ils répondent
de les porter à l’actif, avec un – activation pour la phase de aux définitions et critères de
amortissement systématique développement. reconnaissance).
sur 5 ans (critères
d’activation).
3. Le PCG et le Règlement 99-02 relatif aux comptes consolidés s’appliquent aux sociétés françaises cotées avant
le passage aux IFRS.
4. IAS 38 : norme internationale relative aux immobilisations incorporelles
5. IAS 36 : norme internationale relative aux dépréciations d’actifs.
6. IFRS 3 : norme internationale relative aux regroupements d’entreprises.
7. IFRS 1 : norme spécifique qui précise les dispositions à respecter lors de la première application des IFRS.
L’adoption des normes IFRS relatives aux incorporels 97
2004) voire de « révolution dans sa culture maintenir les pratiques comptables pre-
comptable » (Hoarau, 2003, p. 5). IFRS dans les états financiers établis en
La norme IAS 38 (Intangible Assets) normes IFRS. Ainsi, les traitements comp-
énonce des conditions restrictives d’activa- tables liés aux incorporels qui existaient
tion des éléments incorporels obligeant les dans les pratiques nationales avant la mise
entreprises françaises à une réflexion au cas en place des IFRS pourraient perdurer sous
par cas sur la nature de leurs éléments IFRS. Il souligne que maintenir les pra-
incorporels. Ainsi, certaines immobilisa- tiques des années antérieures permet alors
tions incorporelles reconnues en tant qu’ac- d’assurer une plus grande cohérence dans
tif dans le référentiel français ne satisfont l’établissement des états financiers. Recon-
pas aux dispositions de l’IAS 38 et doivent duire les choix précédents permet de sim-
être réintégrées dans l’écart d’acquisition. plifier les traitements.
A contrario, le référentiel IFRS apporte une La question reste donc ouverte : le change-
certaine souplesse des critères de recon- ment de normes comptables relatif aux
naissance des immobilisations incorpo- incorporels a-t-il donné lieu au bouleverse-
relles acquises lors de regroupements d’en- ment annoncé dans les comptes des entre-
treprises : l’existence de droits contractuels prises françaises ou a-t-on plutôt assisté à
ou légaux attachés à l’immobilisation un phénomène d’inertie de la part d’entre-
incorporelle est considérée comme une prises désireuses de modifier leurs états
condition suffisante mais non indispensable financiers a minima ?
à son identification et pour prouver le
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8. SBF 120 : indice constitué des 120 plus grosses capitalisations boursières en France.
9. Les auteurs tiennent à disposition de leurs lecteurs les informations relatives à la constitution de l’échantillon et
au détail des 78 variables retenues.
98 Revue française de gestion – N° 207/2010
La méthode de traitement des données, qui devait permettre de traiter un nombre important
de variables, a été développée de façon à faire ressortir des typologies relatives aux incor-
porels lors du passage aux nouvelles normes internationales. N’ayant pas d’a priori sur la
classification et ne connaissant pas la variable binaire qui permet de diviser les groupes, une
méthode de classification hiérarchique a été utilisée pour constituer mécaniquement des
groupes homogènes. La plupart du temps, c’est une méthode de classification hiérarchique
ascendante qui est privilégiée, utilisant le critère de Ward (Stolowy et Tenenhauss, 1998 ;
Sucher et al., 1999). Elle permet, à partir de chaque individu considéré isolément, de consti-
tuer des groupes de plus en plus gros. Adoptant une approche plus novatrice, Chavent et al.
(2006) proposent une analyse descendante (DIV) qui permet, à la différence des études
ascendantes, d’expliquer l’origine des groupes en déterminant quelle variable sépare les
entreprises ce qui permet de les classer dans des groupes différents. C’est cette dernière
méthode qui a été retenue. Selon cette approche, les entreprises sont divisées en deux sous-
classes aussi différentes que possible, chacune de ces classes est ensuite redivisée et ainsi de
suite. On qualifie la méthode de descendante puisqu’on part de l’ensemble des entreprises
considérées dans une seule classe (Chavent, 1998). Cette classe est divisée au fur et à mesure,
jusqu’à obtenir le nombre de classes optimal. L’interprétation des classes de partitions est
obtenue par la méthode DEMOD de SPAD, en mettant en évidence les variables caractéris-
tiques des classes ainsi que leurs modalités11. Une typologie des pratiques comptables liées
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III – TROIS CLASSES tales qui coupent l’arbre. Pour une partition
D’ENTREPRISES AFFECTÉES en trois classes, on s’intéressera donc aux
DIFFÉREMMENT PAR LE PASSAGE classes C1/3, C2/3 et C3/3. On constate
AUX NORMES INTERNATIONALES alors que la première classe est inchangée
C’est la partition en trois classes qui a été par les partitions successives en 3, 4 et 5
retenue, car permettant une interprétation classes.
optimale12. Le dendrogramme de décision Autrement dit, la classe C1/3 regroupe les
DIV obtenu après quatre itérations est pré- classes C1/4 et C1/5. Elle est constituée par
senté en figure 1. Il se présente comme un les entreprises Fimalac à PPR. L’ordre dans
arbre de décision. À chaque nœud de lequel sont présentées les entreprises n’est
l’arbre, une variable produit la construction pas anodin puisqu’il indique leur représenta-
de deux sous-classes. La partition en 3, 4 ou tivité au sein du groupe, de la plus représen-
5 classes se lit à partir des lignes horizon- tative à la moins représentative. La deuxième
11. Les variables caractéristiques des classes sont les variables quantitatives continues. Leurs modalités sont les
variables nominales qualitatives.
12. Les résultats des partitions en 2, 4 et 5 classes n’ont pas été reproduits dans cet article. Nous les tenons à la dis-
position des lecteurs.
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classe est constituée des groupes C2/5 et non négligeable d’entreprises comportait
C5/5 d’Areva à Pages jaunes. La troisième des immobilisations incorporelles particu-
classe est constituée des groupes C3/5 et lières (fonds de commerce et parts de mar-
C4/5 d’Air France jusqu’à Thomson. ché) dont les montants et le poids étaient
Le premier critère qui différencie les entre- importants en normes françaises. Celles-ci
prises de la classe C2/3 (à droite du dendro- n’étant plus reconnues sous référentiel
gramme), de celles appartenant aux classes international, les entreprises de cette classe
C1/3 et C3/3, est le poids du goodwill dans ont dû procéder à des reclassements à la
les actifs incorporels sous normes fran- transition qui ont profondément modifiés la
çaises (GW/IA CRC <=62.8 pour les structure des actifs incorporels (la réparti-
classes C1/3 et C3/3). Les entreprises du tion entre immobilisations incorporelles et
groupe C 2/3 sont donc des entreprises dont goodwill). Cela a entraîné une variation
le poids du goodwill est prédominant sous importante du goodwill. Alors que, sous
normes françaises. On rappelle que les référentiel français, la part du goodwill dans
actifs incorporels sont constitués par le le total des actifs incorporels était très infé-
goodwill et les immobilisations incorpo- rieure à la moyenne des entreprises de
relles identifiables. Le deuxième critère qui l’échantillon, à la transition, il est constaté
différencie ensuite les entreprises apparte- une très forte augmentation du goodwill à la
nant aux deux autres classes, C1/3 (au fois en structure et en valeur. Le montant
centre) et C3/3 (à gauche), correspond à la des immobilisations incorporelles baisse
variation du goodwill sur les actifs incorpo- par rapport à la moyenne des entreprises de
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Variation des ventes (mesure de taille) – 0,159 – 0,047 0,315 0,179 – 2,87
Poids du goodwill dans les actifs
24,941 58,965 14,971 32,219 – 4,85
incorporels en normes françaises
Variation du montant
des immobilisations incorporelles – 0,150 – 0,029 0,059 0,069 – 8,00
% de la % de la % de la
modalité modalité classe Valeur
Modalités caractéristiques Poids
dans dans dans la test
la classe l’échantillon modalité
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13. Le terme « Moyennes dans la modalité » désigne les moyennes de chaque variable caractéristique dans la classe.
Pour ce tableau, dans la classe 1/3.
14. La valeur-test permet de sélectionner les variables continues ou les modalités des variables nominales les plus
caractéristiques de chaque classe. Les variables qui n’apparaissent pas ne permettent pas de caractériser les classes.
Elles ne sont donc pas retenues par la méthode comme étant significatives.
L’adoption des normes IFRS relatives aux incorporels 105
15. Pour cette classe, aucune modalité (variable qualitative) ne ressort comme étant caractéristique.
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% de la % de la % de la
modalité modalité classe Valeur
Modalités caractéristiques Poids
dans la dans dans la test
classe l’échantillon modalité
Pas de reclassement
d’immobilisations incorporelles 77,27 51,81 39,53 2,58 43
en goodwill
Catégorie principale
d’immobilisations incorporelles
27,27 10,84 66,67 2,36 9
en normes françaises = marques,
enseignes, logos, titres de publication
L’adoption des normes IFRS relatives aux incorporels 107
s’explique par le fait que les entreprises retraitement propres à la transition. Aucune
détiennent davantage de marques, variable n’est liée aux caractéristiques
enseignes, logos et titres de publication que propres des entreprises (taille, dette, sec-
la moyenne des entreprises de l’échantillon. teur, rentabilité, statut de cotation).
Les marques dans les comptes des sociétés Les classes 2 et 3, représentant 80 % de
françaises répondaient généralement aux l’échantillon étudié, viennent illustrer le
critères d’immobilisations incorporelles de phénomène d’inertie mis en avant par
l’IAS 38 et n’ont pas eu besoin d’être retrai- Nobes (2006) puisque les pratiques pre-
tées à la transition. On peut donc conclure à IFRS (autrement dit sous normes fran-
une certaine stabilité pour les entreprises de çaises) sont maintenues sous référentiel
la classe 3. international.
Prenant appui sur notre étude, deux études
CONCLUSION récentes viennent confirmer nos résultats.
Celle d’Astolfi (2010), menée sur une
L’objectif de cet article était d’opérer une
période plus étendue, 2005-2008, confirme
classification des entreprises dans le cas
l’effet d’inertie. Elle permet de conclure
d’un changement obligatoire illustré par le
que l’absence de changement observé dans
passage aux nouvelles règles internatio-
notre étude n’est pas simplement une
nales comptables au 1er janvier 2005. Cette
volonté des dirigeants de modifier graduel-
typologie a été réalisée sur les entreprises
lement l’image de l’entreprise. Celle de
françaises n’ayant pu adopter volontaire-
Boulerne et Sahut (2010), menée sur un
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On peut, en effet, regretter de ne pas pou- Il s’agira néanmoins de vérifier si ces résul-
voir mettre à jour les raisons réelles des tats, spécifiques à la France, peuvent être
reclassements d’incorporels : s’agit-il d’une étendus aux entreprises d’autres pays
application stricte de l’IAS 38 ou de gestion n’ayant pas pu appliquer les normes IFRS
comptable ? par anticipation.
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