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Comment ça marche ?
Offrir au chaland le pouvoir de définir les produits qu’il trouvera en rayon ? C’est le
pari de C’est qui le patron ?!. Lancée en 2016, cette étonnante marque compte
aujourd’hui 36 références, du jus de pomme aux steaks hachés, et 14,7 millions
d’acheteurs. D’abord avec le lait (un carton) puis avec les œufs et le beurre, elle s’est
imposée parfois devant de grands concurrents. Et le chiffre d’affaires en rayons atteint
désormais 90 millions d’euros. «Son poids économique est limité, mais la marque a
surtout contribué à un changement de fond dans les supermarchés, précise Yves Marin,
associé chez Battle. Elle a popularisé la démarche équitable.» Car la promesse de
«CQLP», c’est de rémunérer correctement les agriculteurs, avec l’aimable complicité
du consommateur… «C’est cette initiative responsable qui en a suscité des dizaines
d’autres, chez des géants comme Candia ou Lactel, s’enthousiasme l’inventeur du
concept, Nicolas Chabanne. Cela prouve que la Carte bleue est une arme, elle permet
d’infléchir le monde à partir des produits qu’on achète.»
Cahier des charges, contrôle qualité… Chez CQLP, le consommateur se mêle de tout,
ou presque. Pour chaque nouvelle référence, via un questionnaire en ligne très précis,
il décide de toutes les caractéristiques du produit, avec une information claire sur leur
impact prix. «Comme un patron, il doit avoir tous les éléments pour trancher», résume
Laurent Pasquier. Dernièrement, pour le poulet, il devait ainsi choisir l’origine de la
volaille, sa durée de vie… et, en fonction de ses réponses, voyait évoluer le prix qui
serait ensuite conseillé aux distributeurs (on ne peut pas l’imposer en France).
Mais son rôle ne s’arrête pas là : le client est aussi le commercial de cette marque sans
pub ni force de vente. Via une appli téléchargeable par tous, ils sont des milliers à
préciser si un article CQLP est présent dans un magasin et à envoyer un mail au
directeur des lieux si ce n’est pas le cas. «Tout est prérempli, en trois clics vous
pouvez formuler une demande de référencement !», sourit Emmanuelle, habituée de
l’exercice. Et pour finir, les fidèles se chargent du contrôle qualité ! Chaque année, ils
sont des dizaines à se rendre sur les sites de production, agricoles et industriels. «Ils
vérifient les conditions de fabrication, peuvent demander à voir des factures, posent
toutes leurs questions…», note Emmanuel Vasseneix, le patron de LSDH, fournisseur
du lait et soutien historique.
Côté coulisses, une équipe de pros se charge de faire tourner cette drôle de mécanique.
Trouver les industriels partenaires, d’abord, et définir avec eux le fameux
questionnaire de départ. «On discute de ce qu’ils sont capables de faire, on identifie les
grands sujets sur lesquels les consommateurs doivent pouvoir donner leur avis
(nitrites…), et on calcule les prix liés à chaque option», résume Laurent Pasquier. Bien
sûr, les agriculteurs sont aussi consultés et établissent eux-mêmes le fameux «juste
prix» qui leur permet de vivre de leur travail. «Mais ce sont des professionnels en face,
vous ne pouvez pas dire n’importe quoi !», précise Thierry Lafragette, éleveur de
porcs. Une fois le questionnaire voté, les agronomes de la marque traduisent ces
grandes lignes en cahier des charges techniques, et des cabinets d’experts comme
Bureau Veritas en vérifient le bon respect sur le terrain. «Ils complètent bien nos
contrôles consommateurs, estime Constantin, un quidam qui s’est lui-même déjà rendu
en usine. Nous ne sommes pas tous comptables ou ingénieurs.»
Ce drôle de processus débouche sur des produits assez qualitatifs… mais pas toujours
donnés ! Les steaks hachés façon bouchère, concoctés à partir de races à viande, avec
des animaux ayant pâturé six mois par an minimum, s’affichent à 5,65 euros les quatre
en surgelé, presque deux fois plus cher qu’un produit Charal lambda. Les coquillettes à
base de blé écoresponsable français ? 1,24 euro le paquet de 500 grammes, quand des
Panzani peuvent se vendre à moins de 0,80 euro. Toutes les recettes ne font pas un
carton – les sardines peinent à s’installer, les steaks frais sont sortis des rayons… –
mais quand ça marche, tout le monde y trouve son compte. «Le consommateur se
donne une bonne conscience pour pas très cher», note Yves Marin. Les agriculteurs
gagnent mieux leur vie – «C’est qui le patron ?! valorise le kilo de pommes à 19,3
centimes, quand le marché peut tomber à 4», témoigne un producteur – et les
industriels margent autant (parfois plus) que sur le reste de leurs gammes. Les
distributeurs idem. «On prend même 25% de marge brute sur leur brique de lait, contre
20% en moyenne », confie une enseigne. Quant à CQLP, elle s’octroie 5% du prix de
vente, pour faire tourner la boutique et investir dans de nouveaux projets.
Et ils ne manquent pas ! Dans un esprit un peu foutraque, des salariés convaincus par
la cause multiplient les initiatives, en collaboration avec leurs fournisseurs et les
sociétaires, ces consommateurs devenus membres de la coopérative. Parmi leurs
dernières initiatives figure un fonds solidaire pour les petits commerçants et artisans, le
Covid-19 ayant boosté les ventes. On leur doit également la création d’un site en ligne
pour ceux qui peinent à trouver les produits en rayons. Toute la gamme CQLP y
figure, mais aussi des références que des internautes consultés considèrent éthiques…
Mais l’ambition est désormais plus large. «Donner tous les outils pour reprendre en
main notre consommation», promet Nicolas Chabanne. Cet été, une appli permettra de
scanner des milliers d’articles pour en évaluer la composition et la qualité
environnementale. L’originalité ? Si vous entrez vos critères clés (nutrition…), elle
vous dira à quel point telle référence correspond à vos attentes ! «Nous créons aussi un
dialogue entre les consommateurs et de grandes marques qui acceptent de se placer
sous leur regard pour faire évoluer leurs produits et leur modèle», raconte Didier
Livio, chargé de ce projet. Durant des sessions de travail étalées sur six mois, les
entreprises volontaires devront tout partager (factures, bilans sociaux…) avec un
groupe de quidams et d’experts pour qu’ils analysent le produit et identifient des pistes
d’amélioration. Si les marques s’engagent à y travailler et que les internautes votent le
dossier, elles recevront un label «consommateur et citoyen». L’affaire n’est pas donnée
pour l’industriel, 50 000 euros le ticket d’entrée et un pourcentage des ventes, mais des
groupes comme Nestlé ou Accor se sont déjà laissé tenter…
Derrière le succès de la marque, Nicolas Chabanne, communicant aux coups
remarqués…
C’est qui le patron ?! : Si CQLP n’est pas la première marque équitable de lait
(FairFrance existait déjà), Nicolas Chabanne l’impose avec son culot… et son
carnet d’adresses. Son copain Alexandre Jardin a ainsi promu sa brique lors
d’une émission en prime time sur France 2.