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3 1 Analyser la diversité
des exploitations agricoles
À partir des contributions de P. Bergeret (GRET)
et M. Dufumier (INA-PG)
● Les origines
La notion d’exploitation agricole familiale trouve son origine dans l’organisation de la
production agricole en Europe. Elle a pris corps et s’est consolidée dans le discours
théorique des agronomes et des économistes agricoles à partir du début du XXème
siècle. Elle repose sur la dominance historique longue, en Occident, d’un modèle
d’agriculture basé sur la famille monogame nucléaire et les moyens qu’elle met en
œuvre aux fins de produire des denrées agricoles. Par extension, elle s’applique dans
tous les contextes où l’organisation sociale de la production ressemble au cas euro-
péen. Ailleurs, là où les sociétés se structurent selon des schémas différents, la notion
d’exploitation agricole familiale se révèle plus délicate à utiliser. L’analyse agrono-
mique et économique, faute de mieux, y a malgré tout recours, en l’adaptant.
Le mode d’organisation de l’agriculture s’est discuté, tout au long du XXème siècle, en
fonction du système politico-économique dans lequel le secteur agricole s’insère. Ainsi
les régimes communistes ont-ils œuvré à la mise en place d’une agriculture planifiée,
basée sur l’appropriation collective des moyens de production, soit sous la forme de
coopératives de production, soit sous la forme de fermes d’Etat. Nombre d’analystes,
parmi lesquels beaucoup d’économistes marxistes, prévoyaient que le développement
du capitalisme allait également entraîner la concentration des activités agricoles au
sein de grandes firmes privées employant de nombreux salariés.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est l’exploitation familiale qui a perduré. La chute
des régimes communistes d’Europe ou leur réforme dans d’autres régions du monde
a abouti à la résurgence d’une agriculture basée sur l’exploitation familiale. La moder-
nisation accélérée des agricultures occidentales au cours de la deuxième moitié du
XXème siècle ne s’est pas opérée dans le cadre de grandes firmes agricoles capitalistes
mais au sein des exploitations familiales dont la flexibilité, la robustesse et les capaci-
tés d’adaptation se sont révélées supérieures à celles de tous les autres modèles ima-
ginables.
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> par le mode de tenure des terres. Les terres en propriété appartiennent aux membres de la
famille. Sur les terres en métayage, la famille a un droit d’exploitation pendant une
certaine durée, en échange du versement d’une partie déterminée de la récolte au
propriétaire. En général le propriétaire fournit certains moyens de production des-
tinés à l’exploitation des terres en métayage : semences, engrais, traction animale...
Les terres en fermage font l’objet d’un contrat (ou bail) entre l’exploitant et le pro-
priétaire, pour une durée déterminée. Ce contrat donne le droit à l’exploitant
d’utiliser les terres en question en échange d’une somme fixée à la signature du
contrat et versée au propriétaire à intervalles réguliers (en général tous les ans). Il
peut arriver que des exploitants utilisent des terres dont ils ne sont pas proprié-
taires et pour lesquelles ils n’ont établi aucun contrat avec le propriétaire. On parle
alors de terres occupées. Ces terres peuvent parfois faire l’objet de transactions infor-
melles entre différents exploitants. Enfin, certaines terres peuvent être utilisées par
plusieurs exploitations à la fois : parcours pour le bétail, forêts, etc. Elles ne peu-
vent être considérées comme faisant partie du foncier de l’exploitation, mais doi-
vent être prises en compte dans l’analyse du fonctionnement de l’exploitation.
Pour caractériser le foncier d’une exploitation, il faut bien préciser le mode de tenure
de toutes les terres utilisées (cf. chapitre 32). Le capital foncier est égal à la valeur des
terres de l’exploitation en propriété (cf. chapitre 231).
● Le travail
Le travail nécessaire aux activités productives de l’exploitation peut être fourni par de
la main-d’œuvre familiale ou extérieure à la famille : salariés, journaliers, groupes
d’entraide, etc. Pour la main-d’œuvre familiale, il importe de prendre en compte les
activités hors exploitation des membres du foyer. Il peut en effet y avoir concurrence
entre travail agricole sur l’exploitation et travail hors de l’exploitation, ce qui influence
son fonctionnement. L’analyse économique d’une exploitation agricole demande une
évaluation quantitative du travail utilisé sur l’exploitation, parfois délicate à conduire.
Pour le recours à la main-d’œuvre extérieure, on analysera les différentes modalités,
leur importance relative et leur coût.
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Parmi les moyens de production, une attention particulière est à porter au bétail. On
distingue les animaux par leur espèce, leur âge et leur fonction : reproduction,
engraissement, transport, traction, etc. Ici encore, tous les animaux ne sont pas forcé-
ment en propriété. Certains peuvent être mis en pension sur l’exploitation, c’est-à-
dire soignés et entretenus sur l’exploitation contre rétribution, alors qu’ils appartien-
nent à un tiers.
Les moyens de production représentent du capital que l’exploitant a dû investir. Ces
investissements ont pu être financés par les gains de l’exploitation agricole elle-même,
par les revenus d’autres activités du foyer ou par le recours au crédit.
Parmi les moyens de production, on distingue :
> le capital fixe d’exploitation qui est la valeur des biens servant à plusieurs cycles de pro-
duction : outils, moyens de traction, bâtiments d’élevage, animaux reproducteurs,
etc.
> le capital d’exploitation circulant (encore appelé consommations intermédiaires) est la
valeur des biens consommés pendant un cycle de production : semences, engrais,
aliments du bétail, etc.
● Le cycle familial
La structure et le fonctionnement d’une exploitation familiale varient dans le temps.
Ces variations ont un impact sur les performances de l’exploitation et sur le bien-être
de la famille. Elles s’expliquent par des causes externes liées au contexte dans lequel
l’exploitation évolue et par des causes internes liées au cycle de la famille. Il y aurait
ainsi une évolution naturelle de l’exploitation familiale, une sorte de respiration, liée
aux différentes étapes que traverse la vie d’une famille.
Alexandre Chayanov, économiste russe du début du siècle, est certainement celui qui
a formalisé de la manière la plus limpide l’effet du cycle familial sur le fonctionnement
des exploitations. Le cycle familial se caractérise principalement par l’évolution du
ratio « nombre de bouches à nourrir/quantité de travail disponible » au sein de la
famille. En situation où le foncier n’est pas bloqué, c’est-à-dire où la surface de l’ex-
ploitation peut varier relativement facilement (cas de figure considéré par Chayanov),
ce ratio détermine, à un instant donné les performances de l’exploitation et le niveau
de vie de la famille.
Lors de l’établissement d’une exploitation familiale, ce ratio est faible car la famille de
l’exploitant est peu nombreuse (couple sans enfants). L’activité de l’exploitation sera
tournée vers l’investissement productif. L’objectif de l’exploitant sera d’augmenter le
plus rapidement possible son capital d’exploitation. Mais une telle période ne dure
pas longtemps.
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Au fur et à mesure que des enfants naissent et que le travail consacré à leur entretien
augmente, le ratio « bouches à nourrir/quantité de travail disponible » augmente. C’est
une période difficile pour l’exploitant, qui doit assurer un revenu suffisant pour sa
famille alors qu’il n’a pas eu le temps de beaucoup accroître son capital d’exploitation.
Puis, avec le temps, les nouvelles naissances s’arrêtent et les enfants grandissent. Dans
la Russie du début du XXème siècle, le taux de scolarisation était fort bas, surtout en
milieu rural. Cette période du cycle familial correspond donc, dans le modèle de
Chayanov, à une diminution rapide du ratio. La force de travail augmente, ce qui per-
met à l’exploitant de cultiver plus de terres et donc d’accroître ses revenus et son capi-
tal d’exploitation. C’est une phase d’accumulation pendant laquelle les revenus de
l’exploitation ainsi que son capital augmentent.
La phase suivante du cycle voit le départ progressif des enfants qui s’installent à leur
tour et établissent de nouvelles exploitations. Le capital accumulé pendant la phase
précédente est alors partagé selon des modalités propres à chaque société.
L’exploitation de départ se trouve réduite à la taille nécessaire à la survie des parents,
quand ceux-ci ne sont pas tout bonnement intégrés au foyer d’un des enfants.
environnement conditions
socio-économique naturelles
FAMILLE
nombre de
besoins
consommateurs
familiaux
/
quantité de travail
travail au sein de
foncier l'exploitation capital
reconstitution
du capital
organisation de revenu
l'exploitation agricole
agricole familiale brut
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Bien entendu, ce modèle ne s’applique pas forcément dans son intégralité à toutes les
situations. Il est notamment peu adapté aux sociétés dont l’organisation ne repose pas
sur la famille nucléaire. Il n’en reste pas moins que la variation au cours du temps du
ratio « nombre de bouches à nourrir/force de travail » demeure dans la plupart des cas
une clef de compréhension de la diversité et des trajectoires des exploitations dans un
espace donné.
Une autre contribution marquante des travaux de Chayanov réside dans la prise en
compte des activités extérieures du foyer paysan. La quantité de travail consacrée à
l’exploitation est égale à la différence entre la quantité totale de travail disponible
et la quantité de travail à l’extérieur. Il s’agit donc d’une résultante, elle-même affec-
tée par le cycle de la famille. Pendant la phase de diminution du ratio « bouches à
nourrir/force de travail », si les possibilités d’augmentation du capital d’exploitation
sont limitées, alors une proportion croissante de la force de travail sera consacrée à des
activités extérieures à l’exploitation. Si cela même est impossible, alors le temps chômé
augmentera.
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aussi conduire à des alliances entre familles, intervenant lors des mariages, matériali-
sées par des transferts de capital d’une famille à l’autre, sous forme de dot. Les
mariages croisés entre familles et les héritages inégalitaires favorisant un des fils sont
des stratégies classiques de préservation ou de concentration du patrimoine.
● Accroître les surfaces, améliorer la fertilité
En matière de foncier, les stratégies patrimoniales ne visent pas uniquement à
accroître les surfaces en propriété, mais aussi à améliorer, sur le long terme, la fertilité
des terres. Lorsque la transmission du patrimoine foncier est un enjeu important, l’ex-
ploitant pourra consacrer beaucoup d’efforts et de ressources à bonifier les terres de
son exploitation, par des amendements ou par des aménagements hydrauliques :
drainage, irrigation. Il veillera particulièrement à ce que les restitutions au sol soient
suffisantes pour maintenir, ou mieux, augmenter progressivement sa fertilité. Ainsi,
chaque cycle cultural constitue, dans cette perspective, un investissement visant à amé-
liorer la qualité des terres. La fertilité des sols doit donc être considérée non pas
comme une donnée naturelle mais comme un construit humain. Elle constitue en elle-
même une partie importante du capital foncier d’une exploitation et du patrimoine
de la famille.
De telles logiques patrimoniales sur le sol ne peuvent s’exprimer que si la tenure fon-
cière est assurée sur le long terme. Si l’environnement juridique ou les circonstances
socio-économiques sont tels que la tenure foncière est incertaine, alors le comporte-
ment des familles paysannes sera exactement inverse. Il visera une exploitation
minière des sols, ne consacrant aucun effort ni aucune ressource à l’entretien de leur
fertilité.
1 ANCEY, G. 1975, Niveaux de décision et fonction objectif en milieu rural africain AMIRA note no 3.
2 GASTELLU, J.M. 1978. Mais où sont donc ces unités économiques que nos amis cherchent tant en Afrique ? AMIRA
note no 26. Le choix d’une unité.
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Une partie du produit sert à accumuler des biens durables (bétail, or etc.) ou à ali-
menter des échanges dans les réseaux d’alliances, matrimoniales en particulier. La
constitution, l’augmentation et la transmission du patrimoine familial se réalise au
sein d’une unité d’accumulation (UA) qui peut être distincte de l’UP/UC, en particu-
lier en cas de régime matrilinéaire où les différents biens sont transmis selon des
voies différentes (la terre en lignée maternelle et le matériel de culture en voie
paternelle par exemple).
> l’unité de résidence (UR). L’UR désigne le lieu physique où réside la parenté, plus ou
moins élargie, et qui revêt, selon les sociétés, une taille démographique variable. Il ne
s’agit pas à proprement parler d’une unité économique, mais l’UR sert souvent de
repère géographique pour identifier les unités économiques pertinentes (UP ou UC).
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Un exemple camerounais
En pays bamiléké, chaque épouse dispose d’une sécurité de tenure assez forte sur les parcelles qui
lui sont attribuées et dont elle a l’usufruit. Cette sécurité peut néanmoins être remise en cause lorsque
le chef d’UP prend une nouvelle épouse. Le travail de chaque épouse et de ses enfants se partage
entre l’exploitation des parcelles qui lui sont attribuées et la contribution aux productions contrôlées
par le chef d’UP (le café en l’occurrence). S’il lui reste encore du temps, l’épouse le consacrera à des
activités lucratives dont elle conservera l’intégralité des revenus.
points de vue pour décrire l’exploitation familiale : entreprise agricole ou entité éco-
nomique indissociablement liée au foyer, outil de production ou patrimoine transmis-
sible d’une génération à l’autre, unité économique comprenant des sous-unités aux
fonctions différentes, etc. Les stratégies de production ne se comprennent que par
rapport à des stratégies de reproduction économique et sociale. Elles trouvent leur
cohérence par rapport à elles.
Il importe de bien garder à l’esprit que le fonctionnement de l’exploitation agricole
ne revêt pas qu’une dimension économique. L’analyse du comportement des êtres
humains ne peut se limiter à leur dimension d’homo economicus. On a déjà mentionné
qu’à l’intérieur des exploitations familiales, surtout dans les sociétés structurées autour
de familles élargies dont les membres possèdent des statuts complexes et différenciés,
les comportements des individus visent parfois à asseoir leur place dans la société. Ils
ne peuvent se réduire à des logiques économiques. Par exemple, le chef d’UP veillera
en priorité à ce que certaines dépenses socialement obligatoires soient effectuées. Fût-
ce au détriment des capacités d’accumulation de l’exploitation. Il a déjà été beaucoup
écrit sur les dépenses somptuaires occasionnées par les funérailles en de très nom-
breux endroits du monde. Elles rentrent dans des jeux complexes d’échanges dépas-
sant le cadre de l’exploitation et connectant les vivants au monde des défunts.
De même, si l’on considère une petite région et l’ensemble des exploitations familiales
qui s’y trouvent, on s’aperçoit que les stratégies familiales interagissent et se manifes-
tent par des comportements dépassant la sphère purement économique. Ces com-
portements révèlent souvent des stratégies de domination ou le jeu des systèmes d’ap-
partenance. Ils peuvent engendrer des processus de différenciation ou bien des
phénomènes d’interdépendance entre différents groupes. Ils peuvent aussi parfois
être induits ou renforcés par la politique des Etats.
Au Vietnam
Depuis un siècle, sur les hauts plateaux du centre du Vietnam, de fortes migrations de l’ethnie domi-
nante, les Kinh, ont été à l’origine d’une déforestation accélérée et de la dépossession des ethnies
autochtones de leurs terres. Ces phénomènes sont à l’origine d’un boom caféier : la forêt est abattue
pour faire place à des plantations de café robusta. La différenciation sociale entre groupes qui ont
bénéficié du boom caféier et groupes marginalisés est très forte. Une telle situation aboutit à la pré-
carisation des groupes autochtones, rejetés sur une portion marginale et restreinte du territoire, alors
qu’elles pratiquaient une agriculture de défriche brûlis complétée par la chasse et l’exploitation des
espaces forestiers.
Ces dynamiques peuvent s’analyser comme la résultante d’une politique de migration organisée par
l’Etat, afin d’affermir son contrôle sur une zone périphérique du territoire national, à la population mou-
vante et peu stabilisée. À un niveau différent, ces processus peuvent aussi s’analyser comme le choc
de deux cultures. Les Kinh, d’une part, riziculteurs provenant de zones de delta, pour lesquels la forêt
constitue un domaine sauvage, menaçant, rempli de forces malfaisantes qu’il convient de conquérir.
Les populations autochtones d’autre part, pour qui la forêt constitue aussi un milieu potentiellement
dangereux, mais avec qui il convient de composer de manière à en tirer les éléments nécessaires à
leur subsistance. De ces deux conceptions opposées d’un même espace résulte un comportement de
domination d’un groupe sur l’autre, comportement encouragé par l’Etat et alimenté par les méca-
nismes économiques liés au boom caféier.
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3 Le coût d’opportunité d’une ressource est égal au revenu que cette ressource serait susceptible de procurer si elle était
employée par une autre activité.
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4 Fumure de redressement, plantations d’arbres, aménagements de défense et restauration des eaux et des sols, etc.
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● Un exemple de typologie
5 Ces moyens ne sont pas seulement matériels. Ils incluent bien évidemment les informations, savoir-faire et expériences
accumulés par les exploitants au cours de leur vie professionnelle.
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6 Nous préférerons parler d’intérêt plutôt que d’objectifs, car le risque est de se satisfaire de vagues déclarations d’inten-
tion, dont certaines peuvent être complaisantes à l’égard des enquêteurs, et de projeter ensuite sur les agriculteurs des
objectifs qui ne sont pas vraiment les leurs. Le recours à la notion d’intérêt nous oblige par contre à vérifier objectivement
quels sont les éléments matériels qui conditionnent très concrètement les différences d’intérêt.
7 Ces hypothèses ne peuvent être considérées comme des faits toujours avérés mais doivent être bien sûr vérifiées ou infir-
mées à la lumière des observations et enquêtes préalables à la définition des projets.
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D’une façon générale, la survie des exploitations familiales marchandes suppose que
les agriculteurs soient à même d’affronter la concurrence d’exploitations de plus en
plus compétitives sur les marchés. Elle va donc nécessairement de paire avec une mul-
tiplication et une amélioration progressive des équipements.
Mais la capitalisation peut aussi prendre la forme d’un accroissement progressif de la
taille des troupeaux et de la superficie des terrains. Les troupeaux de petits et gros
ruminants représentent d’ailleurs fréquemment une forme privilégiée d’épargne. La
vente d’animaux intervient lorsque les exploitants le jugent nécessaire, pour faire face
aux accidents plus ou moins périodiques mais aussi en vue de procéder à de nouveaux
investissements productifs : achat de terrains et de matériels, construction de bâti-
ments d’élevage, améliorations foncières, etc. Cette accumulation de capital ne signi-
fie pas pour autant que ces exploitations perdent leur caractère familial.
● Les exploitations patronales
Dans ces exploitations, les systèmes de production mis en œuvre exigent une quantité
de force de travail bien supérieure à celle que la seule famille de l’exploitant peut four-
nir. Il est alors nécessaire de recourir à l’emploi de main-d’œuvre extérieure, perma-
nente et saisonnière, dont la rémunération peut prendre des formes très diverses :
salaires en argent, rémunération en nature, concession d’un petit lopin, etc. Les chefs
d’exploitations et leur famille vivent donc à la fois de leur propre travail et de celui de
leurs employés.
● Les exploitations capitalistes
Dans les exploitations capitalistes, les propriétaires des moyens de production ne tra-
vaillent pas directement eux-mêmes et n’apportent que du capital. Ces exploitations
sont dirigées le plus souvent par des gérants salariés dont la tâche est de conduire les
systèmes de production qui maximisent la rentabilité des capitaux. La substitution
éventuelle de la main d’œuvre salariée par des machines est généralement dépen-
dante des gains de productivité et de l’évolution du rapport entre le prix des maté-
riels et celui de la force de travail. Elle peut donc intervenir avant qu’il n’y ait des
opportunités d’emplois à l’extérieur. Il n’est donc pas rare dans ces conditions d’ob-
server des systèmes de production peu intensifs en travail dans des régions où sévit un
chômage chronique. Les immenses ranchs d’élevage extensif de l’Amérique latine en
sont la plus parfaite illustration.
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les ans, à raison de plusieurs cycles de culture annuels8, terrains cultivés épisodique-
ment en rotation avec des friches de plus ou moins longue durée, surfaces de terres
indivises sur lesquelles l’exploitant peut librement faire pâturer ses animaux, jardins
en copropriété, etc.
Il devient ainsi nécessaire de prévoir des questionnaires exagérément lourds pour des
personnels à qui on demande, par ailleurs, de procéder à de très nombreuses
enquêtes. La qualité des informations risque d’en sortir considérablement amoindrie.
À ceci s’ajoute le risque d’oublier certains paramètres importants si l’on n’a pas déjà,
au préalable, une connaissance suffisante de la réalité que l’on souhaite analyser ! Le
résultat le plus fréquent est la mise en place de dispositifs d’observations et d’enquêtes
extrêmement lourds et coûteux, sans assurance que le travail qui en résulte soit de
bonne qualité. Le manque de fiabilité des informations recueillies est alors souvent
beaucoup plus grave que les éventuelles erreurs d’échantillonnage.
Force est donc de reconnaître que les dispositifs d’enquêtes et d’observations fondés
sur le recueil d’un très grand nombre d’informations qualitatives et quantitatives, à
partir d’un échantillon d’exploitations de grande dimension, sans connaissance préa-
lable suffisante des phénomènes à analyser, aboutissent rarement à des résultats pro-
bants. Faute d’hypothèses suffisamment fondées sur les variables explicatives de la
diversité des exploitations et des systèmes de production agricole, le recours préma-
turé aux méthodes d’analyse multidimensionnelle se révèle presque toujours déce-
vant. La question se pose donc de savoir comment construire progressivement de
telles hypothèses.
8 Sans confondre la superficie réelle des terrains et la surface annuelle totale des cultures.
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à profit la mémoire et les connaissances accumulées par ces agriculteurs sur leur
propre histoire collective. Ce sont les auteurs des transformations qui peuvent les
décrire avec le plus d’exactitude et de précision et qui en ont sans doute le mieux
conservé la mémoire.
La typologie qui en résulte est souvent qualifiée de « typologie à dires d’acteurs », dans
la mesure où elle est issue d’informations en provenance de personnes ayant active-
ment participé aux évolutions étudiées. Sa construction et son interprétation restent
bien évidemment de la responsabilité des personnes extérieures qui sont chargées de
la réalisation du diagnostic.
La difficulté réside parfois dans le choix des agriculteurs à interviewer, sachant qu’on
ne connaît pas à priori leur diversité et que chacun d’entre eux peut avoir sa propre
vision des mêmes événements. L’important est de réaliser les entretiens avec des agri-
culteurs de conditions sociales différentes, de façon à pouvoir construire la typologie
en confrontant les informations provenant de sources suffisamment diverses (cf. les
chapitres 11 et 12). Plus important encore est l’obligation de faire porter les entretiens
sur des faits matériels, datés et vérifiables, en écartant, autant que faire se peut, les
enquêtes d’opinion.
Cette typologie reposera sur des différences d’autant plus objectives qu’elle résulte
d’une analyse de l’évolution de phénomènes concrets dont on a vérifié l’existence et
la date avec des informateurs aux intérêts fort divers. On évitera de se fier aux seules
opinions émises par les responsables administratifs et les leaders à la représentativité
plus ou moins douteuse.
Les thèmes d’enquête
Les entretiens portent essentiellement sur les conditions et les modalités de l’accumu-
lation différentielle de capital au sein des exploitations. Il convient notamment de
repérer les étapes durant lesquelles certains exploitants ont pu acquérir de nouveaux
moyens de production et les raisons pour lesquelles il n’en a pas été de même pour
toutes les catégories d’agriculteurs. Une attention particulière doit alors être portée
aux diverses modalités d’autofinancement, aux possibilités de recourir à des
emprunts, aux modalités concrètes de leur remboursement, aux conditions d’appro-
visionnement en intrants et de mise en marché des produits agricoles, aux opportu-
nités de travail à l’extérieur, aux rapports de prix en vigueur, et à la plus ou moins
grande sécurité de tenure foncière.
L’identification des types de trajectoires
Certains exploitants peuvent acquérir des matériels et moyens de traction leur per-
mettant de travailler plus rapidement des superficies sans cesse croissantes. Ainsi en
est-il, par exemple, lorsque les agriculteurs ont recours à la mécanisation et à la moto-
risation des opérations culturales.
D’autres exploitants peuvent immobiliser de grandes quantités de capital sur des éten-
dues relativement réduites. C’est le cas lorsque les exploitants investissent dans des
plantations pérennes exigeant beaucoup de soins (vergers, vignobles…), des bâtiments
d’élevage (étables, porcheries…), des ateliers de transformation (production de fro-
mages, confitures, boissons fermentées…), ou des infrastructures diverses (irrigation,
drainage, serres, terrasses…). Les systèmes de production agricole deviennent alors
souvent beaucoup plus intensifs en travail et en intrants divers (engrais, pesticides…).
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Certains exploitants peuvent ne pas avoir les revenus suffisants pour investir davan-
tage dans leurs unités de production, ni même parfois pour simplement entretenir et
renouveler les équipements déjà en place. Leurs exploitations sont alors en décapita-
lisation avec le risque de disparaître à plus ou moins long terme, faute de pouvoir res-
ter compétitives avec celles qui ont investi et augmenté la productivité du travail. Leur
disparition permet parfois l’accroissement de la taille des exploitations restantes aux-
quelles sont cédées ou vendues les surfaces ainsi libérées. La décapitalisation des uni-
tés de production les moins compétitives peut aussi parfois se traduire par une sur-
exploitation des écosystèmes et une baisse irréversible de leur potentiel productif :
moindre production de biomasse, perte de biodiversité, chute du taux d’humus des
sols, multiplication des ravageurs et prolifération de certaines adventices, etc.
La réalité peut évidemment se révéler beaucoup plus complexe et chaotique que ces
trois grands types de trajectoires. L’accumulation de capital dans les exploitations est
rarement progressive et se manifeste fréquemment au contraire par des sauts et
paliers successifs. Les exploitants âgés peuvent hésiter à investir dans leurs unités de
production tant qu’ils ne sont pas sûrs de pouvoir léguer ces dernières à leurs héri-
tiers. De jeunes exploitants peuvent avoir intérêt, au contraire, à réaliser d’emblée de
gros investissements, de façon à pouvoir devenir plus compétitifs sur le long terme.
Les immobilisations de capital fixe vont alors souvent de pair avec une relative spé-
cialisation des systèmes de production agricole, qui permet de mieux rentabiliser les
investissements réalisés.
L’analyse historique des évolutions techniques, économiques et sociales permet finale-
ment de montrer comment diverses catégories d’exploitants ont pu accumuler
différents moyens de production et ont été ainsi amenées à pratiquer des systèmes de
production eux-mêmes très distincts. C’est précisément cette relation entre les diffé-
renciations sociales et les changements techniques qu’il convient de mettre prioritai-
rement en évidence : la typologie actuelle des exploitations agricoles apparaît alors
très clairement comme l’aboutissement logique d’évolutions simultanées et complé-
mentaires.
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