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Jacques François - La Genèse Du Langage Et Des Langues-Sciences Humaines Éditions (2017)
Jacques François - La Genèse Du Langage Et Des Langues-Sciences Humaines Éditions (2017)
La genèse
du langage
et des langues
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Diffusion : Volumen
Distribution : Interforum
La genèse
du langage
et des langues
Introduction
Qui ?
Les chercheurs s’entendent pour considérer que la parole
n’a pu émerger que dans l’une des espèces du genre Homo.
L’un des arguments pour cette limitation vient de l’observa-
tion de sociétés de chimpanzés et de bonobos : les primatolo-
11
La genèse du langage et des langues
Quand et où ?
Les bioanthropologues évoquent deux migrations à partir
de l’Afrique à deux époques très distantes l’une de l’autre. La
première est le fait de l’espèce Homo erectus, il y a environ
deux millions d’années, la seconde celle de l’espèce Homo
sapiens il y a environ cent mille ans. C’est l’hypothèse dite out
of Africa ou monocentriste, l’Afrique étant la zone de départ
des deux migrations. Une seconde hypothèse, dite pluricen-
triste, suggère que les Homo erectus dispersés à travers l’Eurasie
ont connu des évolutions analogues ayant engendré différents
groupes d’Homo sapiens. Cette seconde hypothèse est plus spé-
culative, puisqu’elle implique un parallélisme évolutif d’une
probabilité douteuse. Une troisième hypothèse, dite réticu-
lée (soit : en réseau) suggère une hybridation génétique entre
les Homo erectus et néandertaliens résidant en Eurasie depuis
deux millions d’années (et supposés avoir évolué) et les nou-
Comment ?
La communication prélinguistique des premiers représen-
tants du genre Homo était probablement constituée de syl-
labes autonomes pointant sur des choses, des personnes et des
lieux et évoquant des événements. Le protolangage avancé des
Homo erectus comportait probablement des chaînes de mots
articulés dans un ordre fixe et significatif. Il pourrait s’agir de
sortes de mots hypercomposés attestés dans les actuelles lan-
gues polysynthétiques2.
Le langage grammaticalisé qui en est dérivé s’est caracté-
risé par l’aptitude à combiner des mots lexicaux (seulement
des noms et des verbes à l’origine) et des mots grammaticaux
(conjonctions, pronoms, déterminants, prépositions et post-
positions) selon des schémas réguliers, et sans doute par l’as-
sociation de sens différents à des groupes syntaxiques consti-
Communication Émergence de la
prélinguistique* parole sous la forme Langage
(gestuelle chez les d’un protolangage* grammaticalisé*
primates, vocale dénué de grammaire (prérequis pour
chez les cétacés et les (cf. Bickerton, l’automatisation)
oiseaux chanteurs) Tallerman, Wray)
3. Certaines langues, comme le kimbundu, une langue bantoue de l’Angola (citée par Talmy
Givón) forment une voix passive intermédiaire entre les voix actives et passives telles que
nous les connaissons dans les langues européennes, sous la forme d’une construction active
à sujet indéfini combinée à un complément d’agent : Nzua a-mu-mono kwa meme (John
ils-l’ont-vu par moi) ´ John a été vu par moi.
4. Ch. Coupé & J.M. Hombert (2005), « Les premières traversées maritimes : une fenêtre
sur les cultures et les langues de la préhistoire ». J.M. Hombert (dir. : L’origine du langage
et des langues, chap.5), Fayard ; J.L. Dessalles (2000), Aux origines du langage : Une histoire
naturelle de la parole, Hermès Sciences.
5. R. Dunbar (1998), Grooming, Gossip and the Evolution of Language. Harvard University Press. 15
La genèse du langage et des langues
Par ailleurs l’ion sodium Na+ se combine aussi avec l’ion HO-
pour former de l’hydroxyde de sodium (la soude caustique),
tandis que l’ion chlore Cl- se combine avec l’ion hydrogène H+
pour former l’acide chlorhydrique H+Cl-.
De même, deux phonèmes comme la consonne occlusive
bilabiale9 sonore [b] et la voyelle centrale ouverte [a] se com-
binent en français dans la syllabe [ba], laquelle peut figurer
dans un mot (ex. BAteau, raBAT) ou constituer un mot (ex. le BAS)
ou un morphème constitutif d’un mot (ex. le contre-BAS), ce
que M. Studdert-Kennedy résume ainsi : « À un certain niveau
les unités retiennent leur intégrité tout en se combinant pour
fournir des structures superordonnées avec des éventails
de fonctions qualitativement différents par rapport à leurs
composants. »
En effet, les usagers du français sont aptes, d’une part, à
opposer d’un côté [ba] et [pa] (le bas ≠ le pas) et d’un autre
côté [ba] et [bô] (le bas ≠ le beau]. D’autre part, ils parviennent
à identifier [ba] comme la première syllabe de bateau ou la
seconde de rabat, [pa] comme la première syllabe de parent
et la seconde de compas, et [bo] comme la première syllabe de
beauté ou la seconde de rabot.
Bien que les trois syllabes [ba, bo, pa] soient immédiate-
ment perçues, dans un contexte approprié, comme des noms
monosyllabiques (bas, beau, pas), cette aptitude à distinguer
les syllabes apparentées à ces mots prouve que l’identité des
deux constituants de rang élémentaire (les phonèmes) est pré-
servée dans la reconnaissance des constituants de rang inter-
médiaire (les syllabes).
Cela prouve aussi qu’à l’échelon supérieur l’identité des syl-
labes est préservée dans la reconnaissance des mots comme le
montre le tableau ci-après.
9. Consonne interrompant le passage de l’air expiré par clôture des deux lèvres . 17
La genèse du langage et des langues
CHIMIE LINGUISTIQUE
+ -
NA CL bas /ba/, bateau /
molécule (chlorure de Q bato/, badaud / mot
sodium) bado/
[b] consonne
occlusive
constituants bilabiale sonore phonèmes
subatomiques
11 protons1 Q
[a] voyelle centrale
ouverte
10. Arbib M. (2012), How the Brain got Language : The Mirror system Hypothesis. Oxford
University Press. 19
La genèse du langage et des langues
langue (apex) 5
d os de la lan gue (do 6
1 rsum
lèvre 2 )
inférieure 3
4
dents incisives
Cavité pharyngale
langue (radix)
racine de la
inférieures
1 labiales
2 apicales
3 dorsales
4 radiales
23
La genèse du langage et des langues
i y \ u
nombre de
nombre de
I U
e o Les propriétés des différents
voyelles
langues
e { o systèmes vocaliques
E. O
7
1. Schwa, en hébreu, désigne le vide. En linguistique, il désigne une voyelle neutre, qui peut,
à l’occasion, être négligée (comme dans « sam’di »).
1 fonction
1 fonction
communicative
2 fonctions vitales impliquant communicative
chez les seuls
le larynx chez tous les animaux chez tous les
humains liée à la
mammifères
descente du larynx
Æ Æ Ä Æ Ä Æ
14. On observe un processus analogue dans la création de mélodies, qui s’appuie fréquemment
sur la répétition de thèmes aisément mémorisés. 29
La genèse du langage et des langues
32
L’émergence de la parole
16. Cf. J. Vauclair et H. Cochet (2013), « Speech-gestures links in the ontogeny and
phylogeny of gestual communication » in R. Botha & M. Everaert (eds.), The Evolutionary
Emergence of Language - Evidence and Inference, Oxford University Press.
17. Dans un entretien avec L. Testot (J.-F. Dortier, dir. Révolution dans nos origines,
Éd. Sciences Humaines), Jean-Michel Hombert et Gérard Lenclud défendent une vision
similaire : « … chez les chimpanzés l’émission de gestes communicatifs, répondant à de
véritables intentions communicatives, est contrôlée par les régions cérébrales qui sont les
précurseurs de celles qui, chez nous, contrôlent l’usage du langage articulé… les gestes du
chimpanzé seraient donc l’homologue des mots humains ».
18. Notamment P. MacNeilage (2012), op.cit., note 7. 33
La genèse du langage et des langues
5
Dans ce premier chapitre nous avons commencé par le
début, à savoir l’échange de sons assumant une fonction com-
municative primitive (attirer l’attention d’un congénère sur
une chose ou un événement, prévenir d’un danger, etc.) dans
les premières populations de l’espèce Homo sapiens, supposées
aptes à manier des symboles individuellement et collective-
ment. Ces échanges n’ont été efficaces qu’à partir du moment
où les communicants ont tous disposé d’un même inventaire
de morphèmes, eux-mêmes constitués de combinaisons de
phonèmes reconnus comme identiques. À partir de la répéti-
tion de plus en plus ressemblante de ces briques primaires, des
systèmes de phonèmes et de morphèmes ont pu entrer dans la
mémoire de ces populations et leur permettre de se construire
sur les deux plans cognitifs et social. Ce processus représente
la transition entre la parole et le langage : la parole satisfait
les besoins élémentaires de l’équilibre social du groupe, mais
elle ne permet pas à elle seule de construire l’image collective
abstraite du groupe, sa culture, avec son savoir partagé, ses
conventions, ses rites et ses mythes. Il est donc temps de passer
de la parole au langage, avec son substrat cognitif décisif : la
catégorisation.
Chapitre 2
Les conditions cognitives
de la genèse du langage
4. J.-L. Dessalles J (2000), Aux origines du langage : Une histoire naturelle de la parole, Hermès-
Sciences. 37
La genèse du langage et des langues
TRANSITIONS ANTÉRIEURES
(cf. J. Maynard & E. Szathmary)
Æ
TRANSITION SÉMIOTIQUE
(Th. Sebeok, M. Barbieri)
Acquisition de l’aptitude à se représenter le monde ambiant
et à échanger des signes
Æ
TRANSITION PHONOLOGIQUE
(Ph. Lieberman)
Aptitude à exploiter l’espace oral, le pharynx et le larynx
pour produire des sons calibrés
Æ
TRANSITION LINGUISTIQUE
(N. Chomsky, D. Bickerton)
Aptitude à associer des concepts en représentations complexes
et à les communiquer par un système linguistique
(combinaison de morphèmes et de syntagmes)
Æ
TRANSITION GRAPHIQUE
(R. Logan)
Invention des systèmes d’écriture
pictographiques > idéographiques > phonographiques
Æ
TRANSITIONS POSTERIEURES
(M. Mac Luhan, R. Logan)
Invention de l’imprimerie à caractères mobiles,
de la communication électronique et de l’internet
5. H. Jisa (2003), « L’acquisition du langage – Ce que l’enfant nous apprend sur l’homme ».
40 TERRAIN – Anthropologie et sciences humaines 40.
Les conditions cognitives de la genèse du langage
43
La genèse du langage et des langues
CONSTITUANTS SENS
SENS PROPRE D
DE LA PHRASE MÉTAPHORIQUE
notre liaison attachement voyage
débouche sur mouvement mouvement abstrait,
physique, changement d’état
changement de lieu psychologique
une impasse voie sans issue voyage sans
aboutissement
courroie
brassard
lisière colonie
ruban banc
14. J. François (1995), « Je te le donne vs. Tu le lui donnes : La prise en compte de principes
cognitifs dans les règles d’expression du modèle néerlandais de grammaire fonctionnelle »,
L’information grammaticale 67, p.28-34. 53
La genèse du langage et des langues
54
Les conditions cognitives de la genèse du langage
15. E. Bates & B. McWhinney (1989), « Functionalism and the competition model », in
B. MacWhinney & E. Bates (eds.), The cross-linguistic study of sentence processing,
Cambridge University Press, pp.3-76. 55
La genèse du langage et des langues
Calcul de référence (1) : Qu’il apporte est exclu, parce que le paquet ne
peut pas apporter Chronopost (critère sémantique). Qui la porte est exclu,
parce que le pronom objet la réfère à un groupe nominal féminin, alors
56
Les conditions cognitives de la genèse du langage
60 16. J. Bybee (2010), Language, Usage and Cognition, Cambridge University Press.
Les conditions cognitives de la genèse du langage
5
Ce second chapitre a évoqué les travaux de linguistes
explorant les capacités cognitives de l’espèce humaine et leur
évolution, comme Anne Reboul et George Lakoff, ainsi que
de psycholinguistes spécialistes de l’acquisition du langage et
soucieux de comprendre comment l’aptitude à échanger des
chaînes de sons dotés d’une double fonction de communi-
cation et de représentation s’est structurée sous la forme de
protolangages qui ont progressivement acquis une syntaxe
en tirant parti de motivations entrant dans un jeu subtil de
concurrence et de coopération.
La question qui s’impose dès lors est celle du caractère sou-
dain ou graduel de l’évolution cognitive qui a permis un tel
saut qualitatif. La linguistique basée sur l’usage évoquée plus
haut fait l’économie d’une mutation génétique aux effets pro-
digieux, contrairement à la biolinguistique, notamment dans
61
La genèse du langage et des langues
64
Le substrat génétique de la faculté de langage
1. E. Lenneberg (1967), The biological foundations of language. MIT Press (avec une postface
de N. Chomsky). Cet ouvrage a contribué à étayer les thèses déjà biolinguistiques de
Chomsky lors du débat qui l’a opposé à Jean Piaget en 1974 à l’Abbaye de Royaumont
(voir M. Piatelli-Palmarini, dir., Traduction par Y. Noizet, Seuil, 1979).
2. S. Pinker & P. Bloom (1990), « Natural language and natural selection », Brain and
behavioral Sciences 13(4): 707-784.
3. L’adjectif « catastrophiste » dérive du sens mathématique de « catastrophe », un type de
morphogénèse caractérisé par une variation soudaine traité par un jeu particulier d’équa-
tions différentielles (la théorie des catastrophes de René Thom). L’adjectif « saltationniste »
est sémantiquement proche, désignant un saut évolutif dans la théorie des équilibres ponc-
tués du biologiste Stephen.J. Gould. 65
La genèse du langage et des langues
5. M. Hauser, N. Chomsky, W.T. Fitch (2002), « The faculty of language : What is it, who
has it, and how did it evolve ? » Science 298 : 1569-1579. 67
La genèse du langage et des langues
les unes aux autres. Mais leur raisonnement est subtil, car ils
en reconnaissent les effets à propos d’aptitudes autres que le
langage dans d’autres espèces animales, comme la capacité
de repérage des oiseaux migrateurs6. Cet article a suscité un
débat entre d’une part M. Hauser, N. Chomsky et W. T. Fitch
et d’autre part Steven Pinker auquel s’est associé le célèbre
sémanticien Ray Jackendoff7. Tous deux faisaient valoir des
contre-arguments qui méritaient un examen attentif, mais que
les premiers ont malheureusement eu le tort d’écarter comme
simplement hors sujet.
la fleuriste
de la place de la
mairie Marie
la fleuriste de de de la mairie
70
Le substrat génétique de la faculté de langage
Syntaxes animales
En distinguant entre deux niveaux de la faculté de lan-
gage, étendue et étroite, les biolinguistes entendent tracer une
ligne de démarcation rigoureuse entre les capacités linguis-
tiques des espèces pratiquant des vocalisations chargées d’un
sens cognitif et non seulement émotif (les cétacés et certaines
espèces d’oiseaux chanteurs) dont les productions ne peuvent
être que stéréotypées (relevant de la faculté de langage éten-
due) et celles de la seule espèce humaine, dont les capacités
présentent une syntaxe créative relevant de la faculté étroite.
Cette syntaxe se manifeste dans l’organisation du langage par
le biais de groupes syntaxiques constitués d’une tête, laquelle
dote le groupe d’une classe particulière (N, V, Adj, etc.), et de
membres de classes compatibles avec celle de la tête qui sont
hiérarchisés, avec des classes éventuellement auto-emboîtées
(fonction de récursivité*). On se souvient tout de même que,
dans leur article de 2002, Hauser, Chomsky et Fitch2 admet-
taient que d’autres capacités peuvent avoir un caractère récur-
sif, notamment la faculté d’orientation des oiseaux migrateurs.
En réalité, les choses ne sont pas si simples. Le primatologue
Klaus Zuberbühler, de l’université de Neuchâtel, a enquêté
avec ses collaborateurs sur différentes espèces de primates et
de grands singes anthropomorphes. Leur but était d’identifier
13. Cependant la préférence de chaque langue pour un ordre Tête-Membres (centrifuge dans
les termes de Lucien Tesnière, exemple en français : la famille de Pierre) ou Membres-
Tête (ordre centripète, exemple en anglais : Peter’s family) n’est pas imputable au lexique.
Et l’une ou l’autre option n’est pas complètement indifférente, contrairement à ce que
Chomsky suggère, car l’ordre centripète impose un effort supérieur à la mémoire de tra-
vail ou un entraînement à la prédiction de la Tête postposée à partir de l’enregistrement
74 des Membres préposés.
Le substrat génétique de la faculté de langage
15. A. Lemasson, K. Ouattar, E.J. Petit, Kl. Zuberbühler (2011), « Social learning of vocal
76 structure in a nonhuman primate ? ». BMC Evolutionary Biology, Vol. 11, 362, 16.12.2011.
Le substrat génétique de la faculté de langage
16. Je fais référence à l’expression « un saut qualitatif dans la série quantitative » qu’employait
Friedrich Engels pour décrire la transformation du singe en homme, elle-même issue de
l’image du bourgeon se transformant en fleur dans la Phénoménologie de l’esprit de Hegel.
C’est la source de l’adjectif « saltationniste » (Bickerton défend une théorie saltationniste,
Pinker une théorie gradualiste de l’hominisation).
17. Ch. Behme, « A “Galilean” science of language ». Journal of Linguistics, mai 2014 : « Dans
une perspective biologique, la thèse saltationniste est tellement exotique qu’elle a été
rejetée à la quasi-unanimité par des chercheurs qui sont par ailleurs en désaccord entre
78 eux sur de nombreux autres aspects de l’évolution du langage ».
Le substrat génétique de la faculté de langage
21. Voir J. Koolman & K.H. Röhm (2011, 4e éd., 230), Biochimie humaine, Lavoisier. 81
La genèse du langage et des langues
KE examinée par Gopnik & Crago est affectée par une autre
mutation [mut.2] qui remet en cause certains des avantages
de la mutation [mut.1], touchant notamment le contrôle oro-
facial, comme l’illustre le tableau ci-dessous :
22. K. Diller & R. Cann (2009), « Evidence against a genetic-based revolution in language
50,000 years ago », in R. Botha & Ch. Knight (eds. 2009), The Cradle of Language,
Oxford University Press.
23. K. Diller & R. Cann (op.cit., p.149) « D’un point de vue neurolinguistique, si FOXP2 a
réellement une importance cruciale pour l’évolution du langage en favorisant un contrôle
neuromusculaire des organes de la parole, on s’attendrait à ce que les mutations humaines
de FOXP2 se soient produites au début ou près du début du processus de croissance
considérable du cerveau, de telle sorte que le langage parlé et l’aptitude biologique au
langage puissent co-évoluer en se renforçant mutuellement. Nous présumons que le
million et demi d’années qu’a duré la croissance du cerveau dans le genre Homo a coïncidé
avec cette co-évolution du langage et des structures biologiques pour le langage. » 83
La genèse du langage et des langues
Édification de la syntaxe :
entre architecture et bricolage
Nous avons rencontré précédemment des manifestations
convaincantes de l’auto-organisation dans le domaine de la
phonologie28, mais, selon la thèse émergentiste de William
O’Grady, l’auto-organisation touche aussi la syntaxe et elle
remet en cause l’idée d’une grammaire universelle innée. Dans
son ouvrage de 2005 sur « la charpenterie syntaxique »29, ce
linguiste propose une approche originale de l’étude de la for-
mation des phrases. Partant de la thèse émergentiste que la
structure et l’usage du langage sont modelés par des forces plus
fondamentales et non linguistiques plutôt que par une gram-
maire universelle, O’Grady montre comment les propriétés
définitoires de différents phénomènes syntaxiques résultent de
l’intervention d’un processeur linéaire, guidé par la recherche
d’efficience. Il débouche sur une vue originale et fascinante de
la formation des phrases basée sur les conditions psycholin-
guistiques de leur traitement en production et en réception.
O’Grady résume ainsi sa thèse :
« quand il s’agit de phrases, il n’y a pas d’architecte ; il y a seulement des
charpentiers. Ils imaginent (design) en construisant, et ils tiennent compte
uniquement du matériau à leur disposition et de la nécessité d’achever
28. Notamment B. De Boer (2001), The Origins of Vowel Systems, Oxford University Press ;
P.Y. Oudeyer (2013), Aux sources de la parole : Auto-organisation et évolution, Odile Jacob ;
P. MacNeilage P. (2008), The Origin of Speech, Oxford University Press.
29. W. O’Grady (2005), Syntactic Carpentry: An Emergentist Approach to Syntax, Londres,
86 Routledge.
Le substrat génétique de la faculté de langage
30. J. Hawkins (2004), Efficiency and complexity in grammars, Oxford University Press.
31. M. Christiansen & Ellefson M. (2002), « Linguistic adaptation without linguistic
constraints : the role of sequential learning in language evolution », in A. Wray (ed.), The
88 transition to language, Oxford University Press.
Le substrat génétique de la faculté de langage
32. Il ne s’agit pas de leur éloignement dans la phrase Qui est-ce que Sarah croit connu de tout le
monde ? qui est modéré, mais de la relation entre ces deux mots à travers la hiérarchie des
groupes dont ils font partie, dont il n’est pas possible de donner une représentation ici. 89
La genèse du langage et des langues
92
Le substrat génétique de la faculté de langage
93
La genèse du langage et des langues
94 36. L. Cavalli-Sforza (2005), Évolution biologique, évolution culturelle (p. 21), Odile Jacob.
Le substrat génétique de la faculté de langage
aléatoire37.
Dès 1981, Luigi Cavalli-Sforza et son partenaire, le bioma-
thématicien Marcus Feldman, se donnaient comme objectif,
dans leur livre sur « la transmission culturelle et l’évolution »38,
de classer et de systématiser les différents modes de transmis-
sion de la culture et d’explorer leurs contributions respectives
à l’évolution culturelle. Ils développaient pour cela une théo-
rie mathématique de la transmission de traits culturels indé-
pendants de la génétique, dont Cavalli-Sforza, dans une inter-
view donnée en 2005, regrettait cependant qu’il ait effrayé les
anthropologues par son haut niveau de formalisation39.
Bien entendu, l’échelle chronologique et les modalités des
deux types d’évolution diffèrent profondément : la transmis-
sion biologique est lente et « verticale » (de génération en
génération), tandis que la transmission culturelle est rapide
et « horizontale » (entre interlocuteurs). Certains choix cul-
turels peuvent influer sur le succès reproductif, voire sur la
survie des individus, il suffit d’avoir à l’esprit l’effet de l’usage
ordinaire de drogues dangereuses ou la propagation du sida.
En pointant sur la croyance en la virginité de la mère de Jésus,
autoritairement décrétée par le second concile de Constanti-
nople en 553, le généticien de Stanford illustre l’analogie entre
des innovations génétiques aléatoires, qui constituent la dérive
génétique, et des innovations culturelles dont la diffusion est
purement idéologique.
37. Le processus cyclique est largement illustré en linguistique, par exemple dans l’expression
du futur qui est passée d’un format flexionnel en latin classique à un format analytique
(avec un auxiliaire du futur du type avoir à) en latin vulgaire, puis à la reconstitution d’un
format flexionnel en français et dans les autres langues romanes suivie de la réapparition
d’un format analytique avec cette fois un auxiliaire du type aller qui s’oppose au type venir
de. Exemple : elle va arriver ≠ elle vient d’arriver.
38. L. Cavalli-Sforza & M. Feldman (1981), Cultural transmission and evolution, Princeton
University Press.
39. « Des gènes aux idées-Rencontre avec Luca Cavalli-Sforza », in Révolution dans nos
origines, J-F. Dortier (dir.), éditions Sciences Humaines, 2016, p.350. 95
La genèse du langage et des langues
41. C’est une méthode désormais classique en dialectologie, élaborée à la fin du xixe siècle par
le linguiste allemand Hugo Schuchardt. 97
La genèse du langage et des langues
42. Les langues des peuples voisins des Romains du Latium durant le dernier millénaire avant
notre ère sont dites « italiques » et les langues qui sont issues du latin vulgaire pratiqué
98 dans les provinces romaines sont dites « romanes ».
Le substrat génétique de la faculté de langage
43. P. Manning (2013, 2e éd.), Migration in world history, Routledge (p. 51).
44. E. Hamel & Th. Vennemann (2014), « Le vascon, première langue d’Europe ? », Dossier
Pour la science n° 82 : L’évolution des langues - Quel avenir ?. 101
La genèse du langage et des langues
45. P. Depaepe (2016), « Et les hommes peuplèrent la terre ». dans J.F. Dortier (dir.),
102 Révolution dans nos origines, op. cit., p.346-7.
Le substrat génétique de la faculté de langage
46. B. Pakendorf, « La génétique appliquée aux langues », Dossier Pour la Science n° 82,
L’évolution des langues : quel avenir ? (p. 46-51). 103
La genèse du langage et des langues
5
Dans ce troisième chapitre, j’ai souligné l’intérêt de la thèse
biolinguistique du point de vue de l’organisation de la pen-
sée permise par l’émergence d’un lexique doté de catégories
hiérarchisées du particulier au général, et de structures syn-
taxiques également hiérarchisées en groupes emboîtés les uns
dans les autres. Mais j’ai en même temps mis en doute l’hypo-
thèse « catastrophiste » ou « saltationniste » imputant ce saut
qualitatif (que Chomsky, reprenant la métaphore de Mao Tsé
Toung, appelle « le grand bond en avant ») à une mutation
génétique aléatoire ayant affecté à l’origine un individu sin-
gulier. Rares sont les généticiens qui accordent du crédit à
cette hypothèse, celle d’une famille d’hominidés enfantant un
47. Selon un processus apparenté à ce qui s’est produit quand les Francs se sont mis à parler
le gallo-roman, ce qui a généré le dialecte francien du Nord de la France (ou langue d’oïl)
se distinguant notamment de la langue d’oc (l’occitan) par la mutation consonantique
104 /k/ B /ю/ (cat ≠ chat).
Le substrat génétique de la faculté de langage
105
Chapitre 4
Le point de vue des psychologues
et des anthropologues évolutionnistes
2. A. Damasio (2003), Spinoza avait raison : Joie et tristesse, le cerveau des émotions, Odile Jacob. 109
La genèse du langage et des langues
BIOLOGIE
ÉVOLUTIONNAIRE
BIOANTHROPO-
LOGIE évol. spéc. sur les facultés cognitives
ANTHROPOLOGIE
évol. des affects
ÉPISTÉMOLOGIE
évol.
5. Mac Luhan observe en particulier que « la culture des Grecs illustre la raison pour laquelle
la manifestation visuelle ne peut pas intéresser un peuple avant qu’il ait intégré la technique
alphabétique dans son mode de vie (…) Les Grecs imaginèrent leurs innovations artistiques
et scientifiques une fois qu’ils eurent intégré l’alphabet dans leur structure psychique. »
6. L’imprimerie à caractères fixes était connue des chinois depuis le viie siècle de notre ère.
7. Mc Luhan note encore qu’ « en transformant les langues provinciales en média de masse ou
en systèmes clos, l’imprimerie a créé les forces uniformes et centralisatrices du nationalisme
moderne ». 111
La genèse du langage et des langues
E E M
En 1991 le psychologue Niveau II mimétique
Niveau I épisodique
(Homo erectus)
Merlin Donald propose trois (primates)
8. M. Donald (1991), Origins of the Modern Mind: Three stages in the evolution of culture and
112 cognition, Harvard University Press (p. 270).
Le point de vue des psychologues et des anthropologues évolutionnistes
9. R. Logan, The Fifth Language: Learning a Living in the Computer Age (1997). ISTE
Editions.
10. R. Logan (2004), The Sixth Language : Learning a living in the internet age, Caldwell, NJ,
Blackburn Press et en guise de synthèse (2007) The Extended Mind: The Emergence of
Language, the Human Mind and Culture, Toronto University Press.
11. R. Dunbar (1998), Grooming, gossip, and the evolution of language. Oxford University
Press.
12. R. Dunbar (2016), Human evolution : our brains and our behaviour. Oxford University
Press. 113
La genèse du langage et des langues
13. Une version d’inspiration marxiste de la genèse du langage par l’intermédiaire des
psalmodies est proposée par Mike Beaken (2010, 2e éd., The making of language,
Dunedin) qui voit dans le chant et la danse « une première forme de mémoire collective,
où les techniques du travail étaient consolidées dans une danse mimétique qui a conservé
un grand pouvoir pour les premiers humains ». En s’associant à une danse mimétique, la
psalmodie renforce la mémorisation des techniques de travail. En outre Beaken suggère,
tout comme Dunbar, que la pratique de la psalmodie rythmée a favorisé l’aptitude
humaine à produire des syllabes structurées en consonnes et voyelles. 115
La genèse du langage et des langues
14. B. Victorri (2002), « Homo narrans : le rôle de la narration dans l’émergence du langage »,
Langages 146 ; (2005), « Les mystères de l’émergence du langage », J.M. Hombert, dir.
116 (2005), Aux origines des langues et du langage, chap.8., Fayard).
Le point de vue des psychologues et des anthropologues évolutionnistes
17. M. Osvath & P. Gärdenfors, « Quand les hommes inventèrent l’avenir », in J.-F. Dortier
(dir.), op.cit., 2015. Dans un autre article paru en 2012, P. Gärdenfors, I. Brinck et
M. Osvath expliquent que les bénéfices de la coopération visant le futur ont contribué
à l’évolution de la communication symbolique, laquelle impliquait une syntaxe
minimale à partir d’un certain degré de complexité de la pensée : « la coopération avec
une visée sur le futur a coévolué avec la communication symbolique, la communication
gestuelle intervenant probablement à un stade intermédiaire. Toutefois, sans la présence
d’une ample capacité d’anticipation cognitive et de l’intersubjectivité, le potentiel de
coopération et les pressions sélectives consécutives qui ont débouché sur les symboles
n’auraient pas émergé (…) La capacité de coopération avec une visée sur le futur requiert
une planification basée sur une capacité d’anticipation cognitive et des formes complexes
d’intersubjectivité. Ces deux capacités cognitives sont bien plus développées chez les
humains que dans toute autre espèce. »
18. Il se peut aussi qu’ils aient fui des adversaires invincibles, comme cela s’est produit au
ve siècle de notre ère avec des peuples germains pénétrant en Gaule transalpine parce
qu’ils étaient refoulés par les Huns. 119
La genèse du langage et des langues
Ä pour cela il faut que je puisse transporter des vivres dans l’abri
Ä pour cela il faut que je dispose d’armes efficaces pour tuer les proies
et d’artefacts pour les transporter.
20. Th. Suddendorf, D.R. Addis & M. C. Corballis, « Mental time travel and the shaping of
the human mind », Phil. Trans. R. Soc. B (2009) 364, 1317-1324.
21. Dans leur entretien avec L. Testot en 2015 (op. cit.), J.-M. Hombert et G. Lenclud vont
dans le même sens en déclarant qu’ « il s’est produit une rupture entre les systèmes de
communication dont disposent les animaux et le langage, à partir du moment où des êtres
ont disposé des moyens d’évoquer des choses absentes de leur champ de vision, et d’en faire
le contenu de messages émis intentionnellement », la gestion mentale de l’absence étant le
122 premier pas vers le déplacement hors du présent et hors de l’univers tangible.
Le point de vue des psychologues et des anthropologues évolutionnistes
22. Th. Suddendorf (2013), The Gap : The Science of What Separates Us from Other Animals,
Perseus Books Group. 123
La genèse du langage et des langues
23. Il faut cependant accorder une place à part à Peter Gärdenfors dont les travaux en
124 sémantique cognitive font autorité.
Le point de vue des psychologues et des anthropologues évolutionnistes
GRAMMATICALISATION
Traitement collectif d’une chaîne de sons linguistiques comme un morphème
(un signe linguistique minimal doté d’une forme sonore et d’un sens)
Æ
SYNTACTISATION
Accord de la communauté linguistique sur un groupement régulier de
morphèmes constitué d’une tête et de membres et doté d’un sens constant
Æ Æ
MORPHOLOGISATION LEXICALISATION
Figement d’un groupe syntaxique Figement d’un groupe syntaxique
en un mot constitué d’une tête en un mot constitué d’une tête
lexicale et d’affixes (préfixes et/ou lexicale et d’affixes (préfixes et/ou
suffixes) grammaticaux suffixes) lexicaux
(ex. fini + r + -ai Ä finirai) (ex. fini(r) + -tion Ä finition)
et distribution des mots lexicaux dans
l’espace conceptuel
(ex. ang. hair ≠ fr. cheveu / poil)
129
La genèse du langage et des langues
Représentation
Expression Appel
Émetteur Récepteur
27. Cf. M. Tomasello (2003, Constructing a language) : « Le plus frappant est que les primates
non humains ne pointent pas du doigt ou ne gesticulent pas pour autrui en direction
d’objets extérieurs [aux partenaires de l’échange] ou d’événements, ils ne se saisissent pas
134 d’objets pour les montrer à autrui et ils ne tendent pas des objets pour les offrir à autrui. »
Le point de vue des psychologues et des anthropologues évolutionnistes
28. Ce faisant, Tomasello considère implicitement que la fonction primaire est celle de
représentation (jumelée avec celle d’appel). La fonction d’expression est secondaire, elle
vise à se présenter en tant qu’émetteur sous un certain angle (l’expert ou le candide, le
senior ou le junior, le raisonneur ou le séducteur, l’imperturbable ou l’émotif, etc.) et à ce
second niveau l’exigence du compactage disparaît : le discours de séduction ne se satisfait
136 pas d’une énonciation compacte.
Le point de vue des psychologues et des anthropologues évolutionnistes
1. Une personne qui éprouve un sentiment ou une émotion ou exerce son activité cognitive.
2. Une chose qui produit un sentiment ou une émotion.
De la collaboration au mensonge30
Tomasello voit comme origine de la communication lin-
guistique des actions collaboratives menées par un groupe de
congénères. Ce faisant il distingue collaboration et coopéra-
tion de la manière suivante : comme les animaux qui restent en
troupeaux pour faire front contre les prédateurs, les premiers
hommes avaient une tendance naturelle à collaborer, mais
par l’intermédiaire de l’attention partagée, ils ont découvert
la possibilité de concentrer collectivement leur attention sur
un même objet ou un même événement et de partager leurs
émotions, leurs observations et leurs intentions à ce propos.
L’individu qui comprend qu’il possède une information
qu’ignore son interlocuteur, et qui s’imagine un meilleur ave-
nir si l’un et l’autre partagent cette information, tend à offrir
son aide. Inversement s’il ignore une information cruciale que
connaît manifestement son interlocuteur, il en attend autant
de sa part. La base de ce comportement d’offre et d’attente
d’informations est ce que Tomasello appelle « l’intuition
empathique récursive » (recursive mindreading). La récursivité
en cause ici est plutôt une réversibilité, celle de la théorie de
l’esprit. Exemple : Je sais que tu ignores P /Tu sais que je sais P /
Tu sais que je sais que tu ignores P, etc. Le verbe composé mind
+ read (lire dans l’esprit d’autrui) traduit bien ce processus.
29. Un autre exemple classique est celui du latin folium (neutre : la feuille) dont le pluriel
était folia. En latin vulgaire, le genre neutre disparaît et comme le féminin singulier
est généralement marqué par la désinence –a, l’ancienne marque de neutre pluriel est
réanalysée comme un féminin singulier, d’où en français la feuille. Le genre neutre du
latin classique apparaît encore dans l’emprunt à l’ablatif latin comme dans un in folio.
138 30. Voir M. Tomasello (2008), The Origins of Human Communication, MIT-Press.
Le point de vue des psychologues et des anthropologues évolutionnistes
33. Sur ces modalités énonciatives, voir P. Charaudeau (1992), Grammaire du sens et de
l’expression, Hachette.
140 34. T. Givón (2009), The genesis of syntactic complexity, Amsterdam, Benjamins.
Le point de vue des psychologues et des anthropologues évolutionnistes
141
La genèse du langage et des langues
communication dénuée
¼ communication codée
de codage
1 lexique ¼ grammaire
2 propositions à un mot ¼ propositions à deux ou
trois mots
3 discours à une proposition ¼ discours
multipropositionnel
4 pidgin prégrammatical ¼ langage grammaticalisé
5 propositions enchaînées ¼ propositions emboîtées
6 référence fixe ¼ référence déplacée
7 actes de langages ¼ actes de langages
manipulatifs déclaratifs et interrogatifs
8 modalité déontique ¼ modalité épistémique
(obligations) (probabilités)
35. R. Botha & M. Everaert (eds, 2013), The Evolutionary Emergence of Language. Evidence
and Inference. Oxford University Press. 143
La genèse du langage et des langues
145
La genèse du langage et des langues
Le peuplement de l’Australie
Dans un entretien de 2014 avec Laurent Testot, le
linguiste africaniste Jean-Marie Hombert et son partenaire
anthropologue Gérard Lenclud (op. cit.) examinaient
l’hypothèse d’une polygénèse du langage survenue entre
80 000 et 50 000 ans dans trois aires de peuplement en Afrique,
en Australie ou au Moyen Orient. Concernant l’exploration et
la colonisation de l’Australie, leur raisonnement repose sur une
preuve indirecte provenant de la reconstruction archéologique
des premières migrations maritimes, car celles-ci suggèrent un
tableau des capacités linguistiques des explorateurs.
La démonstration en a été faite en 2005 dans un article38 de
Christophe Coupé et Jean-Marie Hombert, évoqués plus haut.
Ces deux chercheurs ont examiné de manière approfondie les
conditions dans lesquelles des hommes archaïques, antérieurs
à l’espèce Homo sapiens, ont atteint et colonisé des îles en
général visibles depuis la côte, mais parfois seulement devinées
à partir des déplacements d’oiseaux marins ou de fumées
suggérant un feu de forêt sur une île invisible. Ils partagent
implicitement le point de vue de l’archéologue Clive Gamble
qui considère que l’Australie et ses environnements n’auraient
pas pu être colonisés aussi rapidement sans des réseaux sociaux
étendus qui permettaient aux colonisateurs de compter les uns
sur les autres en cas de nécessité. Il voit dans la colonisation
du Pacifique « une entreprise délibérée, témoignant d’une
5
Bien entendu l’inventaire des disciplines impliquées dans
l’étude interdisciplinaire de la genèse du langage ne s’arrête
39. R. Lavenda & E. Schultz (2008), Anthropology : What does it mean to be human ? Oxford
148 University Press.
Le point de vue des psychologues et des anthropologues évolutionnistes
149
Chapitre 5
La genèse du langage humain
selon la sémiotique, la philosophie
et l’informatique évolutionnaires
2. « Proposition » s’entend ici au sens logique : une proposition se compose d’un prédicat et
d’un ou plusieurs arguments.
3. J. Hurford (2011), The origins of grammar, Oxford University Press. 155
La genèse du langage et des langues
RÉCEPTEUR
organe récepteur
central structure inverse
organe effecteur
central
EFFECTEUR
6. L’ouvrage de référence de Jacob von Uexküll est Umwelt und Innenwelt der Tiere (1909,
« Monde environnant et monde interne des animaux »). 157
La genèse du langage et des langues
9. Voir chap.6 l’équivalence posée par Peter Munz entre une théorie et un organisme
désincarné et inversement un organisme et une théorie incarnée. 159
La genèse du langage et des langues
les deux. Les adaptations deviennent donc une description du monde dans
un langage biologique10. »
Donald Campbell, le premier théoricien de l’épistémologie
évolutionnaire adaptationniste (variante de première généra-
tion), estimait que l’aptitude au langage au sens large, incluant
le langage des abeilles et les phéromones, résulte de deux apti-
tudes préalables, celle de la mémorisation et celle de l’appren-
tissage par observation et imitation. Et l’expérience cognitive
est mutualisée par le langage, car différents explorateurs font
des essais dont ils enregistrent les succès et les échecs avant de
mettre leurs acquis dans un pot commun.
Une deuxième approche est attachée à la notion de « gène
égoïste » développée par le biologiste Richard Dawkins en
1976. Selon lui les gènes sont égoïstes parce qu’ils sont poten-
tiellement immortels et véhiculent temporairement des répli-
cateurs, vecteurs d’information.
« L’évolution résulte de la survie différentielle de réplicateurs. Les gènes
sont des réplicateurs ; les organismes et les groupes d’organismes ne sont
pas des réplicateurs, ils sont des véhicules grâce auxquels des réplica-
teurs se déplacent. La sélection du véhicule est le processus par lequel
certains véhicules sont plus aptes que d’autres à assurer la survie de leurs
réplicateurs11. »
Je ferai abstraction de cette approche purement génétique,
car elle n’a rien de particulier à dire sur les processus mentaux
qui conditionnent l’émergence du langage humain.
Une troisième approche est qualifiée par N. Gontier de
constructiviste : elle intègre les boucles de rétroaction de la
systémique et s’inspire donc directement du cycle fonctionnel
de J. von Uexküll. Peter Munz dit du poisson qu’il « est une
théorie de l’eau » et N. Gontier lui emboite le pas en disant de
essai 1 ¼ &
 ' essai 2 ¼ ' essai 3 ¼ &
 &  ' essai 4 (…)
13. N. Friant et al., « Le système éducatif : un système complexe que l’on peut modéliser ».
Éléments 05, Le magazine de l’université de Mons, mars 2011, Dossier Les systèmes com-
164 plexes, p.43-45.
La genèse du langage humain selon la sémiotique,
la philosophie et l’informatique évolutionnaires
14. L. Steels (2015), The talkingheads experiment: origins of words and meanings, Language
Science Press, chap. 12 : « Manguage evolution ».
15. B. de Boer (20001), The origins of vowel systems. Oxford University Press. 165
La genèse du langage et des langues
Niveau de bruit B 20 % ± 15 % 10 %
CV Â
[du] CVC Â
[dur] CCV/CVV Â
[dru, lui] V/VC Â
[eu, eurent] CCVC/CCVV Â
[croule, plié] etc.
168
La genèse du langage humain selon la sémiotique,
la philosophie et l’informatique évolutionnaires
16. À titre d’illustration, ma petite fille âgée de trois ans, cherchant à prononcer le nom de
Saïda, articule /haïda/. Le point d’articulation du /s/ est palatal, celui du /h/ est glottal,
mais ces deux consonnes sont des fricatives sourdes. Cela signifie que sa « boucle de
rétroaction » entre l’audition du /s/ et la production du /h/ ne lui permet pas encore de
distinguer auditivement les deux sons et donc de reproduire distinctivement les deux
gestes articulatoires.
17. Dans une conférence récente diffusée sur France Culture, un scientifique parlant
d’entomologie a produit [on rencontre] des sectes d’../ des sortes d’insectes qui….. Dans la
littérature sur les lapsus, ce type de dérapage oral est classé comme une anticipation. Dans le
plan d’organisation de la phrase à énoncer, le nom sorte est confondu avec la seconde syllabe
du nom insecte qui doit être énoncé immédiatement après, car le nom secte, qui a la même
consonne initiale, existe aussi. La syllabe /sekt/ est donc articulée prématurément, et cela
d’autant plus facilement qu’elle a une existence lexicale autonome. 169
La genèse du langage et des langues
0.95
0.9
0.85
0.8
0.75
0.7
0.65
0.6
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
172
La genèse du langage humain selon la sémiotique,
la philosophie et l’informatique évolutionnaires
L’acquisition de la syntaxe
Dans un article paru en 1999, Jeffrey Elman, brillant cher-
cheur en intelligence artificielle, a présenté un jeu de trois
simulations multi-agents dont l’objectif est de reconstituer la
manière dont un enfant arrive à repérer les régularités syn-
taxiques dans les énoncés auxquels il ou elle est confronté(e)
et comment il ou elle les réplique.
Elman sélectionne un corps de catégories syntaxiques incluant
trois types de verbes : intransitifs, transitifs avec objet obligatoire
et transitifs avec objet facultatif, et quatre types de relatives avec
pronom sujet ou objet et un antécédent qui exerce la fonction de
sujet ou d’objet dans la proposition principale. Il se donne ainsi
les moyens de tester la capacité de l’algorithme simulant l’inter-
prète à identifier dans ces constructions relatives les relations
correctes entre groupes nominaux et verbes par leur position et
leur accord. Trois simulations sont menées successivement.
173
La genèse du langage et des langues
19. Cet exemple suppose que la boîte a une face particulière. 175
La genèse du langage et des langues
5
En 1953, les deux biochimistes Stanley Miller et Harold C.
Urey ont conçu une expérience destinée à tester l’hypothèse
de l’origine des composés organiques, les briques de la vie,
en recréant les conditions qu’on pensait avoir régné sur terre
après la formation de la croûte terrestre. « Ils ont enfermé dans
un ballon des gaz (méthane CH4, ammoniac NH3, hydrogène
H2 et eau H2O) et soumis le mélange à des décharges élec-
176
La genèse du langage humain selon la sémiotique,
la philosophie et l’informatique évolutionnaires
1. T. Deacon (1997), The Symbolic species : the coevolution between language and the brain,
Norton.
2. Voir J. Lyons (1978), Éléments de sémantique, Larousse.
3. Voir S. C. Dik (1997), The theory of functional grammar (2 vol.), De Gruyter [édition
posthume par K. Hengeveld].
4. C’est l’une des bases de l’épistémologie évolutionnaire et un thème que l’on retrouve aussi
180 chez le physiologiste Gerald Edelman (cf. Biologie de la conscience, 2008, Odile Jacob).
Homo symbolicus, le manipulateur de symboles
J. Lyons, S. Dik,
T. Givón1 P. Munz
K. Hengeveld
1 entités du 1er ordre : choses, prélangage langage
personnes unidimensionnel
2 entités du 2e ordre : protolangage langage
prédications localisables dans bidimensionnel
l’espace (et le temps)
3 entités du 3e ordre : langage langage
propositions, dotées d’une structuré tridimensionnel
valeur de vérité (dans un
monde dont conviennent les
interlocuteurs)
Pour Munz, dès lors que l’espèce humaine s’est dotée d’un
langage tridimensionnel, elle a acquis une double faculté.
D’une part, celle de construire des théories c’est-à-dire des
modélisations réfutables du monde ambiant (l’Umwelt de
J. von Uexküll). D’autre part, celle de composer avec ce mon-
de, c’est-à-dire d’en reconnaître les contraintes et d’en tester
le contournement, ce qui passe par ce qu’on appelle commu-
nément la négociation du sens, c’est-à-dire la construction
collective d’une représentation commune par le dialogue.
182
Homo symbolicus, le manipulateur de symboles
N2. Parmi l’éventail des organismes, C2. Parmi l’éventail des théories, sélection
sélection naturelle de ceux qui culturelle par le groupe de celles qui sont
Ù
sont viables. « vraies » (représentant correctement
l’environnement naturel et social).
¾ ¾
185
La genèse du langage et des langues
5. J.M. Hombert et G. Lenclud (2013, Comment le langage est venu à l’homme, Fayard)
lui préfèrent le qualificatif d’Homo culturalis, mais les deux désignations se recouvrent
188 largement dans la mesure où le maniement de symboles est à la base de toute culture.
Homo symbolicus, le manipulateur de symboles
6. http://www.signosemio.com/peirce/semiotique.asp 189
La genèse du langage et des langues
9. En contradiction avec cette généralisation, nous avons vu plus haut que les vocalisations de
certaines espèces d’oiseaux chanteurs et de cétacés sont dotées d’une syntaxe. 193
La genèse du langage et des langues
11. E. Jablonka & M. Lamb (2005), Evolution in Four Dimensions : Genetic, Epigenetic,
Behavioral, and Symbolic Variation in the History of Life, MIT-Press. 195
La genèse du langage et des langues
14. « L’évolution culturelle a introduit une rupture entre l’homme et l’animal », entretien de
Nicolas Journet avec Bernard Thiery, J.-F. Dortier (dir.) 2015, op.cit., p.118-125. 197
La genèse du langage et des langues
15. Le biosémioticien Kalevi Kull et ses partenaires préfèrent parler d’une niche sémiotique
puisqu’elle réside dans l’opération individuelle de symbolisation et le maniement collectif
des symboles, et en premier lieu des signes linguistiques : « Une niche sémiotique se définit
comme la totalité des signes et des indices dans l’environnement d’un organisme – des
signes qu’il doit être capable d’interpréter de manière sensée pour assurer son équilibre
et son bien-être » (« Theses on Biosemiotics: Prolegomena to a Theoretical Biology »,
Biological Theory, 4(2) 2009, 167–173).
198 16. E. Jablonka & M. Lamb (2005), op.cit.
Homo symbolicus, le manipulateur de symboles
5
Dans ce chapitre nos interrogations ont pris un tour
épistémologique.
L’épistémologue évolutionniste Peter Munz nous a déli-
vré avec sa vision – déjà ancienne, mais toujours précieuse
– des organismes comme des théories incarnées et des théo-
ries comme des organismes désincarnés, une épistémologie
en forme de ruban de Moebius : sur une face les théories, sur
200
Homo symbolicus, le manipulateur de symboles
201
Chapitre 7
L’origine des classes de mots
et de leurs combinaisons
204
L’origine des classes de mots et de leurs combinaisons
3. Il est à noter que la fonction de certains affixes est seulement de renforcer (de manière
redondante) la cohésion grammaticale entre les noms, adjectifs et verbes par un accord
entre classes en nombre, genre ou personne. Mais certains de ces affixes ne se manifestent
qu’à l’écrit et la communication orale s’en dispense très bien. Si je dis une grande personne/
des grandes personnes, seul l’article une/des véhicule le nombre singulier ou pluriel à l’oral. 207
La genèse du langage et des langues
6. À ne pas confondre avec le francique, dialecte germanique qui s’est maintenu dans le nord
de la Lorraine jusqu’à la première moitié du xxe siècle. 217
La genèse du langage et des langues
LATIN
LATIN VULGAIRE FRANÇAIS
CLASSIQUE
218
L’origine des classes de mots et de leurs combinaisons
220 8. Ici, le terme incorporant, créé par Humboldt, a disparu, remplacé par polysynthétique.
L’origine des classes de mots et de leurs combinaisons
9. K. Greenberg (1963), « Some universals of grammar with particular reference to the order
of meaningful elements ». J. Greenberg (ed.) Universals of Grammar. MIT Press, pp.73-113.
10. Le symbole Δ symbolise la place libre pour un groupe nominal dépendant. 223
La genèse du langage et des langues
12. Par exemple, dans une langue qui ne connaît que des pronoms relatifs en fonction de sujet
de la relative (qui et non que ou à qui), cette limitation est compensée par un éventail de
différentes voix passives, comme cela se passe notamment dans les langues d’Indonésie,
228 des Philippines et en malgache.
L’origine des classes de mots et de leurs combinaisons
229
Chapitre 8
Les méthodes d’investigation
de la généalogie des langues
232
Les méthodes d’investigation de la généalogie des langues
grammaire historico-
comparative,
3e génération :
4
néogrammairiens
(Brugmann, Paul,
MÉTHODES ALTERNATIVES
Meillet ±1870-1930)
¾ ¾
lexicostatistique
intégration des deux approches classique et
informatisée
alternative à deux niveaux :
(2e génération :
(1) débroussaillage lexicostatistique ;
6 R. Gray,
(2) classement final par la méthode
Q. Atkinson,
néogrammairienne
M. Pagel depuis le
(G. Starostin depuis le tournant du xxie s.)
tournant du xxie s.)
singulier
1. ber+em luf+ige sokj+a mach+on brenn+e am+am1
2. ber+i luf +ast sokj+ais mach+ost brenn+er am+as
3. ber+ed luf +ath sok+eith mach+ot brenn+er am+at
pluriel
1. ber+im luf+iath sokj+am mach+omes brenn+um am+amus
2. ber+id luf+iath sok+eith mach+ot brenn+ed am+atis
3. ber+end luf+iath sok+and mach+ont brenn+a am+ant
Lithuanian
Slavic
vic
Sla Celtic
lto-
Ba
Italic
c
elti
ic o-C
an Ital
erm
c -G Albanian
vi eltic
Original Indo- Sla Ary lo-C
k-Ita
European language
o-Gre
ek- Gree
Italo-C Greek
eltik
Aryan
Iranian
Indic
f þ x xw p t k kw b d g gw
PGe
fricatives sourdes sonores
238
Les méthodes d’investigation de la généalogie des langues
LEXICOSTATISTIQUE
études
lexicostatiques
sans perspective
chronologique études combinant la
lexicostatique et la études glotto-
glottochronologie chronologiques
conduites dans
d’autres secteurs
que le lexique
GLOTTOCHRONOLOGIE
242
Les méthodes d’investigation de la généalogie des langues
Concordances sur 40 30 5 25 5 15 5
[5%] [63%] A
[5%] [75%]
[5%] [38%] B
C
La démarche de la glottochronologie est plus ambitieuse et
plus fragile, car elle vise à substituer à la chronologie relative
des divergences (implicite dans le dendogramme représenté
plus haut, avec une première divergence entre A-B et D sui-
244
Les méthodes d’investigation de la généalogie des langues
La comparaison multilatérale
Le tableau ci-après6 illustre la comparaison multilatérale
des lexiques élaborée dans les années 1950 par Joseph Green-
berg. La méthode consiste – comme dans l’approche lexico-
statistique – à sélectionner des concepts basiques, dont on sait
qu’ils ont peu de chance de donner lieu à des emprunts entre
langues, notamment des noms de nombres (un, deux, trois) et
des parties du corps (tête, œil, nez, bouche).
On constate alors que pour les mots qui commencent par
une consonne, les cognats sont généralement immédiatement
reconnaissables. Cependant des mutations consonantiques
mises en évidence au xixe siècle, notamment par Jacob Grimm
pour le groupe germanique, ont un effet perturbateur. Ainsi les
cognats germaniques de trois se répartissent en trois variantes
à consonne initiale d- pour le hollandais et l’allemand, t- pour
5. Voir plus loin le dendogramme de Gray et Atkinson (2003) discuté par Ruth Berger (2014,
« L’arrivée des langues indo-européees en Europe », Dossier Pour la Sciences n°82, op.cit.
note 28), qui fait remonter la divergence du hittite à quelque neuf millénaires avant le
temps présent, soit ±7000 ans et non 3600 ans avant notre ère.
6. Tableau emprunté à Colin Renfrew, « La diversification linguistique » (p.48) dans Les
langues du monde (Sylvain Auroux, dir. 1999, « Bibliothèque Pour la Science », Belin). 245
La genèse du langage et des langues
Légende partielle
UF : langues finno-ougriennes
< ouraliennes
UF1 : finnois baltique
(incluant l’estonien)
UF 2 : langues sam (lappons)
UF5 : hongrois
AT : langues turques < altaïques
AT12 : turc de Turquie et
communautés en Bulgarie,
Allemagne, France,
Grande-Bretagne
AT12 : tatare de Crimée
Eurasiatic Kartvelian
Indo-European
Uralic
Dravidian
Altaic
Eskimo+Aleut
Paleo-Siberian
FORME
LANGUE (attestée ou SENS
reconstruite :*)
latin caput, -itis n. tête, pointe, dôme, chose
principale, capitale
*proto-IE *kaput- tête
étymologie nostratique ¼ (…)
vieil indien *kaput-’ dans kapúc- tête
chala- n. touffe de cheveux sur la partie
arrière de la tête
germanique *xa(u)b-Vd-a- m., n
proto-germanique *xa(u)bVda-z, -n tête
gotique haubie (-d-) n. (a) tête
vieux norrois haufuo, hOfuo n. tête, commandant, homme
norvégien hovud
suédois huvud
danois hoved
vieil anglais hēafod, tête, chef, source, point de
gen. hēafdes m. départ ou le plus haut
(d’un fleuve, d’un champ, etc.)
anglais head
vieux frison hāved, hāfd
vieux saxon hōvid
moyen néerlandais hōvet, hooft, hoot
néerlandais hoofd n.
vieux franconien hōvid
moyen bas allemand hövet
vieux haut allemand houbit ` tête (viiie siècle)
moyen haut allemand houbet, houpt st. n. tête des hommes et des
animaux
allemand moderne Haupt n.
253
La genèse du langage et des langues
12. M. Pagel M., Q. Atkinson, A. Calude & A. Meade (2013), «»Ultraconserved words point
to deep language ancestry across Eurasia », Proceedings of the National Academy of Sciences
256 110, p.8471-6.
Les méthodes d’investigation de la généalogie des langues
14. L’arbre ne tient pas compte de la localisation actuelle des populations dravidiennes,
258 refoulées au sud de l’Inde par les aryens.
Les méthodes d’investigation de la généalogie des langues
PD
PK
PU
0.27
PIE
0.55
PA
0.44
PCK
0.3
PIY
Identifier des cognats n’est pas une tâche aisée et une telle
entreprise court le risque d’être un colosse aux pieds d’argile,
le colosse étant ici un algorithme statistique permettant d’inté-
grer une multitude de paramètres et les pieds étant le matériau
linguistique qui l’alimente. Pourtant l’équipe d’Atkinson reste
confiante, estimant que son modèle statistique « l’emporte sur
les objections à l’identification et à l’existence de relations pro-
fondes entre cognats, en fournissant un cadre quantitatif pour
259
La genèse du langage et des langues
15. E.B. de Condillac (1746), Essai sur l’origine des connaissances humaines, ouvrage où l’on
réduit à un seul principe tout ce qui concerne l’entendement humain [rééd. Vrin 2014];
J.G. Herder (1772), Traité de l’origine du langage, Puf [édition originale 1772] ; J.-J. Rousseau
(1755,) Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Amsterdam.
16. J.Ch. Adelung & J.S. Vater (1806-1817), Mithridate, ou science générale des langues
260 (en allemand), 4 vol., Berlin.
Les méthodes d’investigation de la généalogie des langues
261
La genèse du langage et des langues
5
Donc, en réponse à l’intitulé interrogatif de cette section, la
généalogie des langues devrait continuer à faire rêver tous ceux
qui s’interrogent sur l’évolution de l’espèce, sur les rapports
entre la culture, la langue partagée et la pensée individuelle et
sur la capacité des sciences plus ou moins directement concer-
nées par la faculté de langage à fournir collectivement une
image multidimensionnelle, en largeur géographique et en
profondeur historique, de l’éventail fonctionnel des langues
en termes de communication, de représentation cognitive, de
calcul argumentatif et d’évocation affective, par comparaison
avec les langages numériques. Cela concerne en particulier les
sciences de l’ingénieur, avec le traitement automatique des
langues et la reconstruction d’états anciens des langues sans
tradition écrite, ainsi que les sciences de la cognition, avec
l’intelligence artificielle appliquée à la modélisation de dis-
264
Les méthodes d’investigation de la généalogie des langues
265
Épilogue
267
La genèse du langage et des langues
1. La liste de ces propriétés est empruntée à « Five Graces Group » (2008), Language as a
268 complex adaptive system (Santa Fe Institute Working Paper).
Épilogue
2. Stuart Kauffman s’est rendu célèbre en faisant valoir (dans Origins of order, 1993, Oxford
University Press) que la complexité des systèmes et des organismes biologiques s’explique
mieux par l’auto-organisation et une dynamique adaptative que par le processus de sélec-
tion naturelle imaginé par Darwin.
3. R. Logan (2006), « The extended mind model of the origin of language and culture »,
270 N. Gontier, J.-P. van Bendegem & D. Aerts (eds : 149-168), op.cit.
Épilogue
271
Glossaire
283
Table des matières
Introduction 5
Chapitre 1
L’émergence de la parole 11
Qui ? 11
Quand et où ? 12
Comment ? 14
Pourquoi et pour quoi faire ? 15
Les gestes articulatoires à la source de la parole 15
Les sons de la langue forment système 19
Les mouvements cycliques de la mâchoire
ont produit des syllabes 25
La parole dérive-t-elle du geste ? 30
Chapitre
Les conditions cognitives
de la genèse du langage 35
Chapitre
Le substrat génétique
de la faculté de langage 63
Chapitre
Le point de vue des psychologues
et des anthropologues évolutionnistes 107
286
Table des matières
Chapitre
La genèse du langage humain selon
la sémiotique, la philosophie et l’informatique
évolutionnaires 151
Chapitre
Homo symbolicus,
le manipulateur de symboles 179
Chapitre
L’origine des classes de mots
et de leurs combinaisons 203
287
La genèse du langage et des langues
Chapitre
Les méthodes d’investigation
de la généalogie des langues 231
Épilogue
En quoi la conception du langage comme un système
adaptatif complexe éclaire-t-elle son évolution ? 267
Glossaire 273
Bibliographie commentée 279