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Conversion du CO2 en hydrocarbures


par électroréduction en flux continu
par Cuong PHAM-HUU et Gauthier WINÉ

Le présent dossier démontre la possibilité de réduire de manière électro-


chimique et en une seule étape le dioxyde de carbone en hydrocarbures,
typiquement entre 1 et 9 atomes de carbone, et en éthanol. L’intérêt prin-
cipal de ces travaux réside dans le mode de réaction, c’est-à-dire avec un flux
continu de CO2 , à température ambiante et à pression ordinaire, cela n’ayant
jamais été montré auparavant. De plus, ces conditions douces de réaction
permettent de limiter les apports en énergie, ce qui permettrait dans un futur
proche d’utiliser le rayonnement solaire pour, à terme, générer directement
les protons et les électrons nécessaires par dissociation de l’eau.

1. Contexte Émission de gaz à effet de serre


en France [1]
Cuong PHAM-HUU est directeur de
recherches au CNRS Les émissions de gaz à effet de serre en France
sont composées à 69,6 % de dioxyde de car-
Gauthier WINÉ est post-doctorant
bone. Les quelque 31 % restants sont constitués
Ces deux auteurs travaillent au Laboratoire des de protoxyde d’azote N2O à 15,8 %, de méthane
matériaux, surfaces et procédés pour la catalyse à 12,4 % et de composés fluorés et chlorés
- ECPM - ULP - UMR 7515 du CNRS - Strasbourg (polyfluorocarbone PCF, hydrofluorocarbone HCF
et hexafluorure de soufre SF6) à 2,2 %. Ces gaz
La conversion directe du CO2 en produits hydro- proviennent de la production d’énergie à 13 %,
carbonés, comme les composés entrant dans la for- des transports à 27 %, de l’industrie à 21 %, des
mation de l’essence ou encore les alcools, présente habitations à 20 % et de l’agriculture à 16 %. Les
un grand nombre d’avantages qui rend le projet 4 % restants proviennent des déchets ménagers
possible et viable. En outre, d’un point de vue et industriels. Ces pourcentages ne tiennent pas
strictement environnemental, les lois votées sont de compte de la vapeur d’eau (figure 1).
plus en plus strictes et contraignantes vis-à-vis des
émissions de gaz à effet de serre. En effet, depuis le
16 février 2005, les pays signataires du protocole de
Kyoto (1997) sont obligés de réduire considé-
Déchets
rablement les émissions de ce type de gaz. Industries 3%
Cependant, même si le procédé d’électroréduction de l'énergie Transports
13 % 27 %
du CO2 n’a aucune influence directe sur la quantité
d’émission de ce gaz, il peut cependant réduire sa
concentration dans notre atmosphère. Bien que, à Autres
terme, de petites unités de dépollution pour les 18 %
effluents gazeux d’origine industrielle peuvent être
développées. Industries
20 %
De plus, les activités humaines comme les trans- Agriculture
ports publics ou privés, les industries ou l’agriculture 19 %
génèrent une très grande quantité de dioxyde de car-
bone. Celui-ci peut alors être considéré comme une Le total représente 557 millions de tonnes
source infinie de carbone, alors que les ressources en
gaz et en pétrole ont tendance à s’amenuiser. Il est Figure 1 – Répartition des émissions de CO2
également à noter que les produits de réaction par activité en France en 2003 [2]

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obtenus lors de la réduction, à savoir hydrocarbures,


alcools (comme le méthanol), aldéhydes et acides
carboxyliques sont des composés produits et utilisés Photocatalyse e– Électrocatalyse
en très grande quantité par les industries chimiques
et pharmaceutiques. O2 Fuel
Exemple : la production mondiale de méthanol
à partir de gaz de synthèse était de plus de H+

30 millions de tonnes pour l’année 2005 [3].
La réaction de réduction du dioxyde de carbone
peut être effectuée via différents processus : voie H2O CO2
chimique, biochimique ou radiochimique. Cependant,
le procédé sur lequel la majorité des recherches est
concentrée est le procédé photoélectrochimique : Photocatalyseur Électrocatalyseur
en effet, il présente de nombreuses similarités avec Membrane
la photosynthèse, qui est la réaction la plus impor-
tante dans la nature, et à la base de la vie. Figure 2 – Description d’un réacteur
Exemple de réactions : photoélectrocatalytique

photosynthèse 6CO2 + 6H2O → C6H12O6 + 6O2 (1)


Il faut préciser que, contrairement à ce que montre
photoélectrochimie CO2 + 2H2O → CH4 + 2O2 (2) l’équation (4), le méthane n’est pas l’unique produit
issu de ce type de réaction. La sélectivité en produits
Dans le cas de la photosynthèse, les plantes ont
dépend d’un certain nombre de paramètres, tels que
besoin d’eau et de dioxyde de carbone pour produire
le type d’électrode et d’électrolyte, la pression de
du sucre (C6H12O6) qui peut être considéré comme
CO2 et la température de réaction.
du carburant.
Dans la figure 3 sont résumés tous les procédés
Pour le procédé photoélectrochimique, CO2 et H2O
existants pour l’électroréduction du CO2 en phase
sont les réactifs nécessaires pour synthétiser du
liquide, classés par type de solution électrolytique,
carburant qui, dans ce cas-ci, n’est plus du sucre mais
aqueux ou non aqueux, ainsi que par type d’électron
principalement des hydrocarbures, des alcools et des
participant à la réaction, sp ou d. Bien entendu, la
acides carboxyliques. Cependant, l’équation (2) est
nature de ces électrons dépend de la nature même
hypothétique car, dans la cellule où se produit la
du métal constituant l’électrode.
réaction, le dioxyde de carbone ne rencontre jamais
l’eau. La figure 3 montre très clairement la grande
diversité des produits qui peuvent être obtenus lors
de la réduction du CO 2 : depuis l’ion carbonate
1.1 Réduction du CO2 dans un réacteur
2–
photoélectrocatalytique CO 3 , un produit minéral mais aussi l’espèce la
Un réacteur photoélectrocatalytique est constitué moins réduite, jusqu’aux hydrocarbures HC les espè-
de deux parties distinctes : une partie photochimique ces les plus réduites. « MeOH » désigne tous les
et une partie électrochimique (figure 2). Dans la alcools et « formique » tous les acides carboxyliques.
partie photochimique et grâce à un photocatalyseur, Plus le produit est réduit, plus le nombre d’électrons
généralement de l’oxyde de titane (TiO 2 ), les participant à la réaction est important et plus le
molécules d’eau sont dissociées par la lumière solaire système a besoin d’énergie, comme le montrent les
(hν ) en oxygène, protons et électrons (équation (3)). équations (5) (6) (7) (8) et (9) (tableau 1).
La seconde partie du réacteur est composée d’un De plus, pour chaque atome de carbone ajouté à la
électrocatalyseur et d’une membrane à diffusion de chaîne hydrocarbonée, des protons et des électrons
gaz (GDM) qui empêche les réactifs de se mélanger. supplémentaires sont nécessaires, ce qui rend la
Dans cette partie, le dioxyde de carbone est formation de produits lourds (masse molaire élevée)
adsorbé à la surface de l’électrocatalyseur et ensuite beaucoup moins favorable par rapport à la formation
réduit par les protons et les électrons produits dans de produits légers :
la partie photocatalyse, le tout pour former des CIVO2 → C–IVH4
hydrocarbures (équation (4)) :
→ H3C–III – C–IIIH3
Photocatalyse 2H2O → O2 + 4H+ + 4e– (3)
→ H3C–III – C–IIH2 – C–IIIH3
Électrocatalyse CO2 + 8H+ + 8e– → CH4 + 2H2O (4)

Les différents travaux déjà publiés sur le sujet


1.2 Positionnement des travaux
concernent essentiellement la partie électro- Ce travail est la continuité même d’une précédente
catalytique. Plus précisément, en omettant la partie étude effectuée au laboratoire de Messine concernant
photocatalytique, les protons et les électrons prenant la conversion électrocatalytique du CO2 en hydro-
part à la réduction du CO2 ne proviennent plus de la carbures sur des électrocatalyseurs constitués d’une
photodissociation de l’eau ; ils sont respectivement membrane à diffusion de gaz contenant des particules
fournis par un électrolyte dissous dans une solution de platine ou de palladium [6]. Ces réactions ont été
aqueuse ou non aqueuse (comme l’acétonitrile) et effectuées dans une cellule à deux parties séparées
par un générateur externe de courant. par une membrane à diffusion de gaz (figure 4).

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A
No que
n
aq ux In, C, Si, Sn, Pb,
Cu, Zn, Sn
ue Bi, Cu, Zn, Cd
ux
MeOH
Gly.

Formique Mo, W, Ru,


In, Sn, Pb, Cu,
Os, Pd, Pt
Au, Zn, Cd

HC Ni, Pd,
Rh, Ir
In, Sn, Au, Hg CO
Fe ,Ru, Ni,
Pd, Pt

CO3
In, Tl, Sn, Zr, Cr, Mn, Fe,
Pb, Zn, Hg Co, Rh, Ir

Ti, Nb, Cr,


Oxalique Ni, Pt
Mo, Fe, Pd
sp
d

Figure 3 – Domaines de l’électroréduction du CO2

Tableau 1 – Potentiels de réduction


du CO2 par rapport à ENH [5] Électrode Électrode
de de ENH :
Potentiel Contre-électrode référence travail Électrode normale à
Réaction Équation (Pt) (Ag/AgCl) (électrocatalyseur) hydrogène
redox

CO2 + 2H+ + 2e– E0 = – 0,61 V Soupape de


(5) prélèvement
→ HCOOH (5)
CO2 + 2H+ + 2e– E0 = – 0,52 V
(6) Phase
→ CO + H2O (6)
gaz :
Phase liquide
CO2 ,
CO2 + 4H+ + 4e– E0 = – 0,48 V He
(7)
→ HCHO + H2O (7)

CO2 + 6H+ + 6e– E0 = – 0,38 V


(8)
→ CH3OH + H2O (8) Figure 4 – Cellule électrochimique
pour la réduction du CO2 en phase gaz
CO2 + 8H+ + 8e– E0 = – 0,24 V
(9)
→ CH4 + 2H2O (9)
La figure 5 présente les produits obtenus avec les
paramètres de réaction suivants :
La première partie contient une solution aqueuse à
0,5 M de KHCO3 utilisée comme source de protons. — courant appliqué : 20 mA ;
Ceux-ci peuvent alors diffuser à travers une — température : 25 oC ;
membrane en Nafion pour réagir avec le CO2 à la
surface de la cathode. Dans cette même partie sont — électrolyte : [KHCO3] = 0,5 M ;
localisées deux électrodes : une contre-électrode et — phase gaz : CO2/He (1/1).
une électrode de référence, respectivement un fil de
platine et une électrode Ag/AgCl. La seconde partie Il apparaît clairement que la conversion de CO2 et GDE :
contient un mélange de CO 2 /He (vol. 1/1) direc- la sélectivité en produits dépendent fortement de la Gaz Diffusion Electrode
tement en contact avec l’électrocatalyseur. Le métal nature du catalyseur. Il est à noter qu’il existe une (Électrode à diffusion de
gaz)
de la phase active (Pt ou Pd) est orienté vers la phase réelle influence de la taille des particules métalliques
gazeuse. Un anneau en platine assure la connexion sur la sélectivité. Le diamètre moyen du platine pour
électrique avec l’électrocatalyseur. Ce système à trois le catalyseur commercial (Pt/GDE com.) et le cata-
électrodes est piloté par un galvanostat de type Amel lyseur synthétisé (Pt nano/GDE) sont respectivement
mod. 2049. 10-30 nm et 3-5 nm.

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réduction du dioxyde de carbone en phase gazeuse et


en lit fixe, c’est-à-dire avec une alimentation continue

Moles formées après 30 minutes


du CO2 en fonction du temps. Deux configurations
1 · 10–4
différentes ont été étudiées : H2 ou KHCO3 comme
source de protons.
CH3OH
2. Partie expérimentale
C2H6
5 · 10–5 2.1 Descriptif du dispositif
C2H5OH C3H8 expérimental
2.1.1 Réaction en mode lit fixe :
CH4 flux continus de CO2 et H2
Le dispositif expérimental employé lors de la
0 réaction de réduction du CO2 a été conçu au labo-
Pt nano Pt/GDE Pd nano
/GDE com. /GDE ratoire (figure 6). Il est constitué par un assemblage
de différentes pièces en Plexiglas et en acier inoxy-
dable. Plus précisément, toutes les lignes de gaz sont
Figure 5 – Électroréduction du CO2 en phase gaz des tubes en inox ayant un diamètre de 1/8 de pouce
et liées entre elles par des connexions de type Swa-
gelock.
Ces résultats sont des plus encourageants Lors des réactions, les flux de gaz dans le système
puisqu’ils sont les premiers exemples de conversion (CO2 , H2, N2) sont régulés par des contrôleurs de
électrocatalytique du CO2 en phase gaz et à tempé- débit massique (type : SEC-E40 ) et pilotés par une
rature ambiante. unité de contrôle (MF Control DDC-040S ). De plus,
ces contrôleurs sont réétalonnés très régulièrement
Le but de ces travaux, qui font partie intégrante du afin d’éviter toute dérive dans l’alimentation du
projet ELCAT [7], est l’étude de la réaction de système.

CO2

N2

H2
Four

GDE
Galvanostat

Cathode

Anode
O2
Fuel

Décane – 5 °C

Figure 6 – Description du montage en lit fixe – mode continu

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Électrode Électrode
de de Phase active
Contre-électrode référence travail
(Pt) (Ag/AgCl) (électrocatalyseur)

Fuel

H2 CO2

Phase
gaz :
Phase liquide
CO2

Membrane
Anneau Pt

Figure 7 – Cellule pour une réaction en mode Figure 8 – Disposition des électrodes dans le réacteur
semi-continu en mode lit fixe

La cellule quant à elle est constituée de Plexiglas. 2.1.3 Mode opératoire des tests catalytiques
Elle est séparée en deux parties par une membrane à
diffusion de gaz. 2.1.3.1 Réaction en mode lit fixe
Dans la première partie est localisée l’anode (élec- Dans le cas de la réaction en mode lit fixe, deux
trode commune à la contre-électrode et électrode de électrocatalyseurs sont nécessaires : le premier pour
référence du galvanostat). Dans la seconde se trouve l’oxydation de l’hydrogène gazeux en protons et le
la cathode qui est l’électrode de travail. Dans les second pour la réaction proprement dite de réduction
deux cas, un anneau en platine est utilisé pour du CO2 . Ces électrocatalyseurs, autrement appelés
assurer la connexion électrique entre le galvanostat électrodes à diffusion de gaz (GDE) à cause de la pré-
et les électrocatalyseurs. Les gaz réactifs bullent sence du film de Nafion, sont ajustés dans la cellule
dans de l’eau avant de réagir afin de garder la de manière que, dans chaque partie du réacteur, la
membrane humide, ce qui a comme conséquence de phase active soit en contact avec les flux de gaz,
favoriser la diffusion des protons. Les réactions qui comme décrit figure 8.
ont lieu aux électrodes sont les suivantes : Le réacteur est ensuite purgé par un flux continu NTP :
— adsorption et réduction du CO2 à la cathode ; d’azote à 20 cm3/min (NTP), alors qu’un courant de Conditions normales de
— adsorption et oxydation de H2 à l’anode. 250 µA est appliqué pendant une heure, afin de température et de
pression
désorber toutes les impuretés présentes à la surface
Les produits issus de la réaction de réduction du des électrocatalyseurs. Le courant est alors coupé et
CO2 sont ensuite piégés dans du décane à – 5 oC et le flux d’azote est remplacé par du CO2 avec un débit
FID :
analysés par chromatographie en phase gazeuse à Flame Ionization
de 20 cm3/min pendant trente minutes supplémen- detector
l’aide d’un détecteur FID pour les composés taires. Dans le même temps, un courant d’hydrogène (détecteur par
organiques et d’un détecteur TCD pour le CO. de 20 cm3/min est utilisé pour purger l’autre partie ionisation de flamme)
Finalement le réacteur est localisé dans un four de la cellule. Finalement, les paramètres de réactions
pour pouvoir étudier l’influence de la température sur sont fixés, et t 0 correspond au moment où le courant TCD :
l’électroréduction du CO2 . est appliqué. Thermal Conductivity
Detector
Nota : le Nafion est un polymère composé d’un enchaînement de (détecteur à conduc-
2.1.2 Réaction en mode semi-continu : flux tétrafluoroéthylène et comportant des fonctions sulfonates. Il a été tivité thermique)
continu de CO2 et H+ fourni par KHCO3 découvert dans les années 1960 au sein de la société DuPont de
Dans ce cas-ci, le système décrit plus haut a été Nemours. Les applications sont nombreuses, de la catalyse [8] aux
résines échangeuses d’ions. L’intérêt pour ce polymère n’a cessé de
modifié afin de pouvoir travailler avec un flux continu grandir ces dernières années, vu son énorme potentiel comme
de CO2 et une solution aqueuse de KHCO3 comme membrane de séparation de gaz dans les piles à combustible.
source de protons (figure 7). La cellule est toujours
constituée de deux parties ; la première contenant 2.1.3.2 Réaction en mode semi-continu
une solution de bicarbonate de potassium de 0,5 M
Pour ce qui est du mode semi-continu, le flux
dans de l’eau distillée. Dans cette même partie sont
d’hydrogène comme source de proton est remplacé
localisées deux électrodes : une contre-électrode et
par une solution aqueuse de bicarbonate de sodium.
une électrode de référence, respectivement un fil de
Afin d’effectuer la réaction de réduction du CO2 , une
platine et une électrode Ag/AgCl. Dans la seconde
seule électrode est donc nécessaire. Elle est déposée
partie circule un flux continu de CO2 , directement en
comme décrit sur la figure 9 : la phase active est en
contact avec l’électrocatalyseur. Un anneau en platine
contact avec la phase gaz et la membrane en
assure la connexion électrique avec l’électro-
Nafion est en contact avec la phase liquide.
catalyseur. Ce système à trois électrodes est piloté par
un galvanostat de type Amel mod. 2049. Un anneau La procédure générale de réaction est alors
en platine assure la connexion électrique. Le système identique à celle décrite plus haut, en omettant la
à trois électrodes est piloté par un galvanostat. partie H2 .

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nolique contenant le métal (le précurseur est H2PtCl4)


et le ligand est agitée sous hydrogène afin d’obtenir
Phase active Pt0. Les nanoclusters de platine ainsi obtenus sont
déposés sur un tissu de carbone (E-TEK ) par la même
méthode que celle décrite précédemment. La
concentration en platine est également fixée à 20 %
en masse, ce qui correspond à une concentration de
surface également comprise entre 0,4 et 0,6 mg/cm2.
« H+ » CO2
3.1.3 Assemblage des électrodes
L’assemblage des électrodes est basé sur les
Phase liquide Phase gaz
travaux de Wang, Hsing & Yue, publiés dans
« Journal of Power Sources » [11]. Pour chaque
électrode, la procédure consiste à effectuer un pres-
sage à chaud entre les électrocatalyseurs synthétisés
Membrane précédemment (Pt/C et nanoclusters de Pt) avec une
membrane de Nafion, à 80 atm et 135 oC pendant
une minute et demie. Cette durée de pressage a été
Figure 9 – Disposition des électrodes dans le réacteur
auparavant optimisée : elle est assez longue pour
en mode lit fixe semi-continu
obtenir l’électrode et assez courte pour éviter la
décomposition du Nafion.

3. Résultats et discussion 3.2 Électroréduction du CO2


3.2.1 Réaction en mode lit fixe
3.1 Synthèse des électrocatalyseurs
Les premières expériences ont été effectuées avec
3.1.1 Platine supporté sur noir de carbone les paramètres réactionnels suivants :
(Vulcan XC-72 )
— flux de CO2 à 20 cm3/min ;
Le catalyseur Pt/C a été préparé par réduction — flux de H2 à 20 cm3/min ;
méthanolique en phase liquide [9]. Une solution du
surfactant SB12 (m = 2,1 g) (hydroxyde de dodécyl- — température de 25 oC ;
diméthyl(3-sulfopropyl)ammonium) dans 12 mL d’un — courant de 20 mA ;
mélange méthanol-eau (vol. 1/3) est mélangée à — 2 électrodes de platine (20 % en masse).
une solution de platine H2PtCl6 (m = 250 mg) dans A u b o u t d ’ u n e h e u r e , n o u s o b s e r vo n s u n e
12 mL d’un mélange méthanol-eau (vol. 1/3) et du conversion cumulée par rapport au CO2 inférieure à
Nafion N115 et N330. Sont ensuite ajoutés 600 mg 1 %. La production est composée principalement
de noir de carbone (Vulcan XC-72 ). La suspension d’hydrocarbures (de C1 à C7) et d’éthanol, la pro-
résultante est mélangée et chauffée à reflux pendant portion en C5 correspondant à la moitié des produits
1 h. Le solide est récupéré par centrifugation à (figure 10).
1 800 tr/min pendant 10 min et séché une nuit à
70 oC. La charge en platine est de 20 % en masse Ces résultats préliminaires sont extrêmement
dans le but de comparer son activité catalytique avec encourageants car ils montrent que l’électroréduction
un catalyseur commercial (E-TEK 20 % en masse de du CO2 est possible et peut être effectuée en mode lit
platine sur tissu de carbone). Dans notre cas, le sur- fixe avec un flux d’hydrogène comme source de
factant est nécessaire pour stabiliser les nanoclusters protons. Cependant, la conversion totale observée
métalliques et ainsi éviter l’agrégation des nano- est dix fois inférieure à celle obtenue avec un
particules de platine en particules de tailles plus réacteur fermé, le tout dans les mêmes conditions de
importantes. La stabilisation par le SB12 est possible température, de pression et de courant appliqué.
grâce à ses propriétés électrostatiques : la partie Cela a été attribué à la disponibilité des protons :
hydrophobe est orientée vers la surface des parti- dans le réacteur fermé, ils sont présents dès le
cules métalliques, alors que la partie hydrophile l’est départ grâce à l’électrolyte, alors que, dans ce cas-ci,
vers la solution aqueuse. Le solide obtenu est alors en mode lit fixe, ils sont produits par oxydation de
broyé, ajouté à 2 mL d’éthanol et passé au bain à l’hydrogène, ce qui est le facteur limitant. De ce fait,
ultrasons pendant 10 min. La suspension ainsi pour étudier plus précisément la réaction de
obtenue est déposée sur du tissu de carbone (E-TEK ) réduction du CO2 , nous avons décidé de modifier le
et laissée à évaporer à température ambiante. La réacteur, afin de pouvoir travailler en mode
couche de Pt/C obtenue sur le tissu est ainsi relati- semi-continu, c’est-à-dire avec une alimentation
vement homogène. Il est possible d’exprimer la continue en dioxyde de carbone, mais avec une
concentration en platine par rapport à la surface de solution de KHCO3 comme source de protons.
l’électrode : elle est comprise entre 0,4 et
0,6 mg/cm2. 3.2.2 Réaction en mode semi-continu
3.2.2.1 Influence du mode de réaction
3.1.2 Nanoclusters de platine [10] Le mode de réaction utilisé pour l’électroréduction
La synthèse de nanoclusters de platine est possible du CO2 , c’est-à-dire en réacteur fermé (les protons
via la complexation des atomes par un ligand sont fournis par un sel en solution aqueuse et une
organique à savoir le 4,7-diphényl-1,10-phénan- quantité fixe de CO 2 est introduite en début de
throlinium di(sodiosulfonate). Une solution étha- réaction), le mode semi-continu (les protons sont

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fournis par un sel en solution aqueuse et un flux


continu du CO2 en fonction du temps) et le mode
Millimoles formées après 1h

continu (un flux continu de H2 et CO2 en fonction du


6 ·10–6 temps) ont une influence non négligeable sur la
quantité de produits formés. Le tableau 2 et la
figure 11 montrent les différences entre ces modes
5 ·10–6 de réaction et les influences sur les résultats. Chaque
C7 réaction a été effectuée à température ambiante
C6
avec un courant appliqué de 20 mA. La production en
4 ·10–6 hydrocarbures est plus élevée lorsque la source de
protons est du bicarbonate de potassium en solution
aqueuse, par rapport à un flux continu d’hydrogène.
3 ·10–6 Dans les réactions en mode semi-continu et dis-
C5
continu (c’est-à-dire dans un réacteur fermé), la
quantité de produits formés est du même ordre de
2 ·10–6 grandeur, bien que le mode discontinu soit deux fois
C4
Éthanol plus efficace. Le mode semi-continu est, quant à lui,
Propane quatre fois plus productif que le mode continu.
1 ·10–6 Éthane
Ces différences de conversion et de sélectivité
Méthane peuvent être expliquées par le nombre et la
0 complexité des étapes impliquées dans le processus
Pt/GDE com.
de distribution des protons pour la réaction de
réduction. Pour le flux continu d’hydrogène, les
molécules de H2 doivent, dans un premier temps,
Figure 10 – Sélectivité en produits obtenue être adsorbées à la surface de l’électrocatalyseur,
pour une réaction en mode lit fixe avec un flux puis être dissociées suivant l’équation :
continu de CO2 (20 cm3/min) et de H2 (20 cm3/min) H2 → 2H+ + 2e–. Finalement les protons doivent

Tableau 2 – Influence du mode de réaction sur la conversion de CO2 .


Pour le mode discontinu, le temps de réaction est de 30 min
Mode de réaction Continu Discontinu Semi-continu
Source de H+ H2 = 20 cm3/min [KHCO3] = 0,5 M [KHCO3] = 0,5 M
Source de CO2 CO2 = 20 cm3/min 1 cm3 CO2 = 20 cm3/min
mmol formée après 1 h de réaction 5 ⋅ 10–6 4 ⋅ 10–5 2 ⋅ 10–5
Millimoles formées après 1h

C8-C9
4 ·10–5 Aromatiques
C7
3,5 ·10–5 C6
buOH
3 ·10–5 C5
Éthanol
2,5 ·10–5 Propane
Éthane
Méthane
2 ·10–5

1,5 ·10–5

1 ·10–5

5 ·10–6

0
Continu Discontinu Semi-continu

Pour le mode discontinu, le temps de réaction est de trente minutes

Figure 11 – Influence du mode de réaction sur la conversion de CO2

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Millimoles formées après 1h


8 ·10–5 C8-C9
Aromatiques
C7
7 ·10–5
C6
buOH
6 ·10–5 C5
Éthanol
5 ·10–5 Propane
Éthane
4 ·10–5 Méthane

3 ·10–5

2 ·10–5

1 ·10–5

0
Pt/GDE com. Pt/GDE [Pt/C]/GDE

Figure 12 – Influence du catalyseur sur la production

diffuser à travers la membrane électrolytique dans le à 3-5 nm. L’analyse des catalyseurs par diffraction de
but de réagir avec le CO2 adsorbé. Lorsque les rayons X (figure 13) permet de calculer ces tailles de
protons proviennent d’un sel en solution aqueuse, ici particules. Elles sont de 3,0 nm pour [Pt/C]/GDE et
KHCO3 , ils sont directement disponibles et ce en de 5,3 nm pour Pt/GDE.
grande quantité. Leur concentration élevée favorise
leur diffusion. Cette diminution de la taille moyenne induit un
changement dans le comportement électro-
3.2.2.2 Influence de l’électrocatalyseur catalytique, changement qui est clairement montré
L’influence de la phase active a été étudiée en effec- par la quantité totale de produits formés. Cependant,
tuant la réaction d’électroréduction du CO2 sur trois concernant Pt/GDE et [Pt/C]/GDE, l’augmentation de
électrocatalyseurs différents, tous à base de platine : la conversion est principalement due à une plus
tout d’abord deux catalyseurs à base de platine dont grande formation de C8-C9 (figure 12) par rapport
les synthèses ont été décrites précédemment, à savoir aux résultats obtenus sur le catalyseur commercial.
des clusters de platine déposés sur un tissu de car- Cette plus grande quantité obtenue peut être
bone ainsi que des particules de platine imprégnées expliquée par de plus fortes interactions entre les
sur du charbon actif et également déposées sur un produits légers avec les particules de platine ou avec
tissu de carbone, appelés respectivement Pt/GDE et des produits lourds. Les produits lourds peuvent ainsi
[Pt/C]/GDE. Les résultats obtenus ont été comparés être vus comme de meilleurs groupes partants, qui
avec un catalyseur commercial, également à base de désorbent plus facilement du catalyseur.
platine déposé sur un tissu de carbone, appelé Pt/GDE
com. Les conditions de synthèse sont les suivantes : Il faut également noter que le taux d’agrégation
des particules de platine peut avoir une influence non
— flux de CO2 de 20 cm3/min ;
négligeable sur la réactivité catalytique. En effet,
— courant appliqué 20 mA ; d’après les diagrammes de diffraction des rayons X,
— [KHCO3] = 0,5 mol/L. les deux catalyseurs présentaient des tailles de par-
La réaction est effectuée à 25 oC. Les résultats ticules très proches, à savoir 3 et 5 nm. Les analyses
sont consignés sur la figure 12. effectuées par MET (microscopie électronique par
transmission) (figure 14) montrent la différence de
Il apparaît clairement que la production est dispersion pour Pt/GDE et [Pt/C]/GDE. Dans le cas de
beaucoup plus élevée dans le cas des catalyseurs [Pt/C]/GDE, les clichés MET montrent une large
synthétisés (Pt/GDE et [Pt/C]/GDE), par rapport au dispersion des particules de platine et, de ce fait, un
catalyseur commercial. faible niveau d’agrégation : une analyse systémati-
Dans tous les cas, la concentration en platine est que a mis en évidence la faible taille des particules de
de 20 % en masse, ce qui correspond à la quantité platine généralement inférieure à 10 nm. Pour ce qui
de phase active introduite lors de la conception des est de Pt/GDE, l’absence du charbon actif comme
catalyseurs. Cependant, il existe une différence support lors de la synthèse, et ceci contrairement à
fondamentale entre ces trois espèces, qui est la taille [Pt/C]/GDE, ne permet pas d’obtenir une bonne dis-
moyenne des particules de platine. En effet, cette persion des particules de platine. La meilleure acti-
taille moyenne diminue lorsque l’on passe du cata- vité catalytique du composé [Pt/C]/GDE peut, de ce
lyseur commercial aux catalyseurs synthétisés, res- fait, être également attribuée à sa plus grande dis-
pectivement de 10-30 nm (données du fournisseur) persion.

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Intensité (u.a.)
RECHERCHE

Intensité (u.a.)
180 250
160
140 200

120
150
100
80
100
60
40 50
20
0 0
20 40 60 80 20 40 60 80
2 θ (°) 2 θ (°)
a Pt/GDE b [Pt/C]/GDE

Figure 13 – Diagrammes de RX pour Pt/GDE et [Pt/C]/GDE

4. Conclusion
Durant ces travaux, nous avons étudié la réaction
d’électroréduction du CO2 en hydrocarbures. Le sys-
tème présenté est le premier exemple de réduction
du dioxyde de carbone en phase gaz, en mode lit
fixe, à température ambiante et à pression ordinaire.
La réaction a été effectuée dans deux types de
réacteur : tout d’abord avec un flux continu de CO2
et de H2 . Dans ce cas-ci, les protons nécessaires à la
réaction de réduction du CO 2 sont fournis par
l’oxydation de H2 en H+. Cependant, la conversion
obtenue était extrêmement faible, c’est-à-dire moins
de 1 % après une heure de réaction. La nature des
produits formés est principalement des hydro-
carbures (de C 1 à C 7 ) et également une petite
quantité d’éthanol.
50 nm
Pour étudier plus précisément la réaction d’électro-
réduction du CO2 , nous avons donc décidé de
a Pt/GDE changer de mode réaction, et de passer d’un mode
continu, c’est-à-dire avec un flux continu d’H2 à un
mode semi-continu. Dans ce cas-ci, les protons ne
sont plus issus de H2 mais d’un électrolyte en
solution aqueuse. Nous avons choisi le bicarbonate
de potassium avec une concentration de 0,5 mol/L.
Dans cette configuration-ci, il a alors été possible
d’étudier l’influence de la nature du platine dans la
réaction de réduction.
Malgré ces résultats des plus encourageants, il
reste un certain nombre de freins quant au déve-
loppement industriel futur du projet. En effet, pre-
mièrement la phase active du catalyseur employé est
constituée uniquement de platine, un métal noble qui
n’est pas disponible en grande quantité et qui, de ce
fait, présente un coût relativement élevé. Il serait
plus rentable, d’un point de vue strictement éco-
nomique, de remplacer le platine par du fer, présent
en très grande concentration sur terre et beaucoup
10 nm moins coûteux. Deuxièmement, de futures études
utilisant des nanotubes de carbone comme support
de catalyseur vont être effectuées. Ces nanotubes ne
b [Pt/C]/GDE
sont actuellement produits qu’en très faible quantité
et sont également très coûteux. Cependant, l’intérêt
Figure 14 – Images MET de Pt/GDE et [Pt/C]/GDE des nanotubes de carbone comme support de cata-

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RECHERCHE

lyseur est non négligeable. En effet, de nombreuses Bibliographie


études ont démontré leur potentiel dans le domaine
de la catalyse hétérogène, principalement à cause de
leur morphologie particulière, comme la présence [1] http://www.industrie.gouv.fr/energie/deve-
d’un canal central et un rapport longueur/diamètre lopp/serre/textes/se_kyoto.htm
très élevé [12] [13]. [2] http://www.effet-de-serre.gouv.fr/
Les perspectives relatives à ce travail sont nom- [3] OLAH (G.A.), GOEPPERT (A.) et PRAKASH (G.K.S.). –
Beyond oil and gas : the methanol economy.
breuses, et des travaux sont en cours de réalisation Wiley-VCH, p. 210 (2006).
afin d’étudier l’influence de divers paramètres sur la
[4] JITARU (M.) et al. – J. Applied Electrochemistry, 27,
réaction comme : p. 875-889 (1997).
— la température de réaction ; [5] HALMANN (M.M.) et STEINBERG (M.). – Greenhouse
— la nature du support (remplacement du noir de gas CO2 mitigation. Science and Technology, Éd. Lewis,
carbone par des nanotubes de carbone) ; p. 411 (1999).
[6] CENTI (G.) et al. – Science and Technology in
— le type métal (utilisation d’une phase active de Catalysis. Éd. Kodansha et Elsevier, p. 283 (2002).
catalyseur à base de fer).
[7] Projet ELCAT (ELectrocatalytic Gas-Phase Conversion
of CO2 in Confined CATalysts).– Partenaires : université
de Messine (Italie), université de Patras (Grèce),
Frizt-Haber-Institüt der Max-Plank-Gesellschaft
(Berlin), Laboratoire des matériaux, surfaces et pro-
cédés pour la catalyse (ULP – ECPM – UMR 7515 du
CNRS), http://www.ELCAT.org
[8] EL-KATTAN (Y.), McATEE (J.) et NAFION (H.). –
Ce travail a été réalisé par les différents par-
Nafion-H. In Encyclopedia of Reagents for Organic
tenaires du projet ELCAT [7] dont les noms Synthesis. John Wiley & Sons (2001).
suivent :
[9] WANG (X.) et Hsing (I.–M.). – Electrochim. Acta 47,
— Julien Amadou, Dominique Bégin, 2981-2987 (2002).
Marc-Jacques Ledoux, Gauthier Winé et Cuong [10] SCHMID (G.), MORUN (B.) et MALM (J.-O.). – Angew.
Pham-Huu (Strasbourg) ; Chem Int. Ed. Engl. 28, No 6, 778-780 (1989).
— Siglinda Perathoner, Gabriele Centi [11] WANG (X.), HSING (I.-M.) et YUE (P.L.). – Journal of
(Messine) ; Power Sources 96, 282-287 (2001).
— Fu Qiang, Dengsheng Su, Robert Schlögl [12] BONARD (J.-M.), LÀSZLÓ (F.), UGARTE (D.), WALT de
(Berlin) ; HEER (A.) et CHÂTELAIN (A.). – European Chemistry
Chronicle 3, 9-16, 1-9 (1998).
— Costas Vayenas, Alexandros Katsaounis,
[13] SERP (P.), CORRIAS (M.) et KALCK (P.). – Appl. Catal.
Souentie Stamatis (Patras).
A, 253, 337-358 (2003).

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