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NOS MOTS

nous
UNISSENT

Auteurs
Ghislaine Lavoie / Jalel El Mokh/Heni Farhani / Sliman Chahdi
Jean Yves Metellus / Mohammed Sgaier Guesmi / Souad Hajri
Fethia Brouri / Ismahen Khan / Elsie Suréna / Monia Tuniselle
Coordination entre les auteurs : Fethia Brouri
Image de couverture : Sentiments étranges Hayet Ayed
Graphisme : Hamza Medfï
Illustrations : Youssef Haraketi
Impression : Dar El Founoun

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Nous dédions ce livre à tous les enfants du monde, quel que soit
leur âge ; parce qu’ils s’y retrouveront ; à tous ceux qui ne le sont plus,
pour qu’ils réveillent l’enfant en eux ; à l’humanité entière pour
qu’elle se souvienne du pouvoir des mots pour changer le monde.

L’éditrice

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Préface
L’humoriste, écrivain et journaliste Don Marquis écrivait, mi-figue, mi-
raisin : « Publier un livre de poésie, c'est comme jeter un pétale de rose au fond
du Grand Canyon et attendre l'écho. ». Nul ne pourra prétendre qu’il n’a pas
raison. Lorsque j’ai eu entre les mains ce recueil où onze poètes ont placé leurs
vers, j’ai eu le sentiment d’ouvrir une bouteille jetée à la mer. Il faut vraiment
que la poésie, à notre époque, soit naufragée au large de la Pensée pour que
les poètes se donnent ainsi la main et jettent onze pétales au fond du grand
Canyon dans l’espoir d’un frêle écho.
L’union fait-elle la force ? Pas toujours, et elle peut même affaiblir par ses
discordances internes. Mais lorsque règne l’harmonie, alors oui, un chant sacré
s’élève, qui unit toutes les voix. Les poètes de ce recueil sont tunisiens et
canadiens francophones. Ils ont fait le choix de confier leurs âmes à leur langue
partagée, qui est devenue en quelque sorte leur « patrie poétique ». Unis par
la poésie et par cette modalité, ils ont osé ce livre pluriel.
Leurs affinités sensitives confèrent un charme inédit au recueil. On ne
s’enferme pas dans un style, dans un souffle, dans une pensée unique. Chacun
ici propose sa définition du poète, enclose dans une formule originale et
saisissante :
Ainsi, Ghislaine Lavoie évoque des « Mots volés mots vaincus violés ou
déchus mots ourdis et / Tramés, Jalel El Mokh, lui, fait parler ainsi le poète : « Je

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suis le fils de la chimère /Le descendant des mirages » ; allant plus loin encore
dans la fonction poétique, Héni Farhani déclare : « …je vais mettre l’obole /Dans
la bouche des cadavres »
Après le Voyant de Rimbaud et le Prophète de Hugo, voilà le poète
thaumaturge venu pour ressusciter les morts…que nous sommes !
Et c’est bien de miracles qu’il s’agit ! le poète est, par le pouvoir des mots,
maître des éléments : « La poésie/ Réveille la nuit/ De son sommeil » Slimane
Chahdi.
Le Bateau Ivre devient « … ce bateau fou en sursis sur la berge » sous la
plume de Jean-Yves Metellus, un sursis que ne saurait trouver Mohammed
Sgaïer Gasmi car, pour lui, la poésie est oxymorique.: « La poésie /C'est mon
royaume/ Et ma prison »
Souad Hajri, en alchimiste du verbe, écrit : « J’ai fait de l’histoire des
hommes/ Une voûte céleste au large évasement », et Fethia Brouri lui fait écho,
l’invitant à une réflexion sur la genèse de l’écriture poétique : «…l’artiste …
dans son délire persiste/Comme pour dire j’existe » ; et lorsque Ismahen Khan
donne vie aux mots-mêmes, il n’y a plus de doute ; le poète de nos temps
sombres est plus qu’un phare, c’est un démiurge, ayant non seulement le
pouvoir de redonner vie à nos corps exsangues mais aussi de souffler vie, tel un
dieu, aux mots du dictionnaire : « La vie des mots vibre /A chaque Souffle/ De
tout son cœur » ; Quant au vent, il se charge de porter les chuchotements du
poète, selon Elsie Suréna : «Dis, écoutes-tu parfois les alizés ramener /mes
chuchotements indiscrets à tes oreilles ».
Notre époque obscurcie par son matérialisme débridé, par sa pollution
ravageuse et par les brumes virales échappées d’une lointaine boîte de Pandore
a donc besoin de poésie plus que jamais ! Ouvrons notre cœur aux mots

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magiques du poète ! Implorons ce demi-dieu descendu sur terre, lui qui ose
pétrir le langage pour créer le poème, ce souffle de vie !
D’ailleurs, le poète et le poème seraient deux entités distinctes et ce, par
les lois de l’univers, si l’on en croit Monia Tuniselle, chamanesse étoilée : « Les
uns naissent humains/Les autres poèmes/Les uns s'incarnent en chair/Les
autres en vers »
Que vous soyez amateurs de poésie ou simple curieux importe peu, car sitôt le
recueil entrouvert, des lueurs magiques s’en échapperont. Dès lors, il sera trop
tard pour faire marche arrière. Vous serez pris dans le mystère émerveillé du
langage poétique, seul contrepoint aux grincements et aux gémissement d’un
siècle à l’agonie. Aragon le savait ! : « La poésie est le miroir brouillé de notre
société. Et chaque poète souffle sur ce miroir : son haleine, différemment,
l’embue. »

Eric Boisset*

* Né le 8 novembre 1965, Éric Boisset est un écrivain jeunesse français renommé. Il est
l’auteur, notamment de La Trilogie d’Arkandias et de La trilogie des Charmettes. Il a reçu
le grand prix des jeunes lecteurs PEEP 1997, le prix des dévoreurs de livres en 2009 et
celui de la littérature jeunesse de l’institut français du Maroc en 2012.
La Trilogie d'Arkandias est adaptée au cinéma sous le titre Le Grimoire d'Arkandias par
Alexandre Castagnetti et Julien Simonet (2014)

D’après Wikipédia

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Sommaire

Ghislaine Lavoie P8

Jalel El Mokh p23

Heni Farhani P35

Sliman Chedli P46

Jean-Yves Metellus p62

Mohammed Sgaier Guesmi P75

Souad Hajri P93

Fethia Brouri P104

Ismahen Khan p121

Elsie Suréna p136

Monia Tuniselle p148

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Ghislaine Lavoie
Ghislaine Lavoie est née au Québec et y vit. Elle écrit et publie depuis l’âge
de huit ans : nouvelles, essais, livres scolaires, roman, et tout dernièrement
poésie. Elle a reçu, lors des Jeux floraux du Genêt d’or, le Vase de Sèvres
décerné par le ministère français de la Culture et de la Communication, étant
la première outre-Atlantique à recevoir ce prix.
Enseignante de carrière, elle a travaillé avec l’enfance et les adultes en
difficulté, mais aussi donné des cours de langue française au secondaire et à
l’université. Elle est réviseure depuis plus de vingt ans.
Titres parus :
- Un duo en solos, roman
- Des histoires à croquer, nouvelles
- L’infini temps, poèmes
- Tous les ciels, poèmes
Participation à de nombreux collectifs de nouvelles ou de poésie.

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Amour

Qui joue à joue

Accouche notre vie

De ta lumière

Amour

Qui dure et dore tous

Les fruits du sol et de nos songes

Amour

Qui mouille et drape

La sécheresse du sable des déserts

Qui ouvre l’éventail

D’années-lumière lentement

Et creuse chaque jour

Un palais sous la terre

Amour

Je place mes mots dans tes mains

Seuls brûlent encore

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Mes doigts qui tremblent dans tes doigts

Et je les dis tendresse

Amour

À cause des traces

Dont ma mémoire est pleine

Jusqu’à si court… jusqu’à demain.

Avoir été l’été

S’arracher au désir immobile

S’en aller doucement à demain

Ou n’attendre plus rien

Souvenir trop fragile

Avoir été

L’été

Oui me durait l’été

Avec sa flamme rousse embrasant les chardons

Et son ciel calciné

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Oui me piégeait l’été

Ses pillages de lune aux bleuets des moissons

Et moi d’espoir blessé

Oui me pâmait l’été

Son dur lacis de branche et ses fouets de vent

Dans un ciel chaviré

C’était pourtant l’été

Des jonchées de lumière à battre au cœur du temps

Et tant d’espoir donné

Oui me charmait l’été

Même si en plein jour des spasmes gris sur l’onde

Annonçaient l’en allé

Des frissons de l’été

Renaissait tard le soir sous une étoile blonde

Un feu d’espoir chanté

S’arracher au regret immobile

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S’en aller fleur d’automne à la main

Et passer d’aujourd’hui à demain

Être fort et fragile

Avoir été

L’été

Dans les langues de partout…

Pour dire la vague ou le pain

Et le bruit qu’ils font dans la main

Il existe si peu de lettres

Elles habillent tous nos sons

Pour prononcer oui et peut-être

Ou pour écrire une chanson

Et l’on sait faire tant de choses

Avec ces lettres et ces sons

Un été d’une seule rose

Un vif ouragan d’émotion

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Baptiser l’amour qui se pose

Hurler le malheur et son nom

Attention

Il n’existe que peu de lettres

Mais c’est suffisant pour permettre

De faire un monde à sa façon…

Dans l’infinie variété

Il faut choisir et partager

L’écriture et la voix nous disent

Des mots durs outrancièrement

Des choses douces et exquises

Des mensonges impénitents

On rit et s’écrie de bien-être

On crie pour se rendre vivant

On parle pour être et paraître

Aussi répondre à qui attend

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Qu’aucun silence ne pénètre

La lourdeur de l’air ambiant De tous temps

Il n’existe que peu de lettres

Mais reste à nous de les transmettre

Belles comme un dessin d’enfant…

L’itinérante

On ne connaît ni son nom

Ni son âme ni son âge

La rue c’est son paysage

Tout le ciel son édredon

Le jour se terre au métro

Elle en sort pour les poubelles

Il n’y a d’abri pour elle

Que celui de son ghetto

« Viens un peu juste pour voir

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Viens prendre un café ce soir

Pas de compte pas de file

Pas de regard qui t’exile

Viens…

Ne reste donc pas dehors

Le monde est froid et te mord… »

Dans les gestes disloqués

Dans les creux de son visage

Se racontent les rivages

Où elle n’a pu s’ancrer

Et puis ces yeux qui font peur

Suspendus au bord du vide

Et puis cette bouche avide

Qui se gerce jusqu’au cœur

« Il n’y aura pas de présence

Qui soit pire que l’absence

Pas de questions qui conseillent

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Pas d’Alice et ses merveilles

Viens!

Viens prendre un café ce soir

Viens un peu, juste pour voir… »

Je devine elle s’en va

Et j’en perds le temps et l’heure

C’est sûr elle n’entend pas

Qu’importe alors que je pleure

Que je crie un peu trop loin

« Il n’y a aucune urgence! »

Il ne lui parvient plus rien

… J’ai oublié la distance

La distance

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Nier

Tu n’accosteras pas au rivage intranquille

Ta vie sera toujours isolée comme une île

Et même les marées

Ne feront pas bouger

Cette mer tout autour

Qui te crie au secours

La moindre ondulation peut secouer le monde

Aux hurlements des uns la planète à la ronde

De sitôt déchaînée

Cœur ouvert foi liée

Cherche la panacée

À l’horreur déclenchée

Mais toi l’immuable si féroce en silence

La vie des autres naît après ton existence

Tu préfères nier

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Et déconsidérer

Cette mer tout autour

Qui te crie au secours

Tu n’accosteras pas au rivage intranquille

Ta vie sera toujours aride et infertile

À n’entendre mugir

Que cette obscurité

Qui amène à mourir

En oubliant d’aimer

Si je savais

Si je savais au juste où tu iras mon âme

Je m’engourdirais bien dans ce présent bonheur

Mais je prends soin de toi comme on fait d’une fleur

Qui vit encore un peu sur le pavé du drame

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Si je savais pourtant où tu iras mon âme

Je pourrais en rêver comme on fait d’un sommeil

Doux et lent à venir juste avant le réveil

Dans un ailleurs propice au regard d’une femme

Si je savais vraiment où tu iras mon âme

Je fondrais dans l’espace où aller retrouver

Les partis les errants ceux qui m’ont fait pleurer

Au lieu magique et sûr ombré loin de la flamme

Et même sans savoir où tu iras mon âme

Je me vois occupée de ce présent bonheur

Et je prends soin de toi comme on fait d’une fleur

Qui sourit aujourd’hui malgré le macadam

Solitude

On me croit entouré je suis seul

Et n’ai que moi

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Je reste là sans bouger ou presque, tendu sous la caresse

D’un invisible pinceau

Lorsque des brumes vont et viennent

Lorsque des souffles d’air s’interpellent

Lorsqu’il passe un vent de folie salvatrice

Je ne peux que recroqueviller mes feuilles

Je reste seul

Les calmes et tortueuses voisines

Ces racines qui ne me sourient pas

Effacent mon ombre

Enjambent la roche de passage

Et les branches tombées

Mais je ne suis pas du voyage

En automne la lune viendra

Caresser tous les lingots épars

Elle sera argent sur l’or

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De ces feuilles dansantes autour de moi

Je l’envierai d’atteindre le ciel

Mais rien ne changer

L’hiver me couvrira de blancs oiseaux volants

Froid dans la terre je perdrai les mousses sur le roc et la lumière

Me vouant aux poudreries cinglantes

Tout de même seul ici il m’arrive

En ce temps dont je suis qui demain s’en ira

De chercher la douceur permettant de survivre

Je suis seul mais je suis la vie

Vent d’automne

Vague de ronde au ciel lourd du sillon

Fabuleux souffle où tout vibre et s’achève

Vent de velours volupté et frisson

Songe entrouvert en impossible trêve

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Je t’aime, vent!

Froid goguenard aux éclairs de passion

Tu frondes l’été secouant la grève

Quel fouet cinglant as-tu vagabond

Pour que pleure une accalmie bien trop brève

Tu fouailles, vent!

Oh laisse mourir sans autre intention

Ton haletant cri avant qu’il ne crève

La tiédeur du soir la grâce des sons

Frémissent de peur sous ton sifflant glaive

Tu inquiètes, vent!

Éparpille les cendres d’abandon

Tourbillonne avec la flamme qui lève

Reviens en glissant accord de violon

Venge l’exil invente-nous le rêve

Tu t’apaises, vent…

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Jalel El Mokh
Jalel El Mokh (JEM), écrivain et poète tunisien. Il est l’auteur d’une
trentaine d’ouvrages (poésie, essais, nouvelles, traductions) dont :
-Cortège d’impressions
-Autoportrait
-Le suicide de la femme en rouge
-Ton image
-Vox populi
-La complainte du sachem

Professeur de langues (français et arabe) au centre sectoriel de


formation aux métiers du tertiaire, président de l’Union des Ecrivains
Tunisiens (section Ben Arous) et président du club Idafett au complexe
culturel Ali Ben Ayed à Hammam-Lif, Jalel El Mokh est très actif sur la
scène culturelle tunisienne.

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Joseph

Bien sûr, il y a le grand Senghor

Wole Soyinka, l’illuminé

Les Diop, le jeune et le sénior

Le grandissime Bernard Dadié

Mais il y a aussi le divin Griot

Ce Joseph Rabéarivelo

Bien sûr, l’Afrique est poétesse

Dès l’aube de l’humanité

Les bons dieux et les déesses

Y puisent leur éternité

Mais le seigneur des purs halos

Est Joseph Rabéarivelo

Bien sûr, tu es parti trop vite

Si jeune, si radieux et si beau

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Me délaissant comme un ermite

Errant au pays des bigots

Où l’on déniaise le brio

Mon brave Rabéarivelo

Ton âme enchante le bas de l’Afrique

La mienne en survole le haut

Que se rencontrent nos musiques

Pour former l’éternel duo

Qui ébranle l’imbroglio

Mon frère Rabéarivelo

Tu m’as dédié tes « Presque songes »

Et tu as même traduit la nuit

Qui se blottit dans le mensonge

Prêchant la haine et le dépit

Bourrant le crâne des nigauds

Mon très cher Rabéarivelo

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Je pense à toi Joseph souvent

Je viens pleurer sur ton tombeau

Je psalmodie tes vers, tes chants

Qui rayonnent tels des flambeaux

Les vers du créateur des mots

Mon Joseph Rabearivelo.

L’anti-Pygmalion

Avant de te connaître

J’ai façonné ton être

Et ciselé les lettres

Pour couvrir ton paraître

De fabuleux surnoms

Avant de découvrir

L’éclat de ton sourire

J’ai brûlé de désir,

Eprouvé du plaisir

A te donner mille noms

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Et, avant de te voir,

J’ai transformé en art

Tes gestes et regards

Grâce aux avatars

De l’imagination…

J’ai fait des sacrifices

Pour que les aruspices

Au travers des auspices

Fassent que soient propices

Mes élucubrations…

J’ai invoqué les dieux

Qui dorment dans les cieux

Pour qu’ils ouvrent les yeux

Et rallument le feu

De la récréation…

Quel merveilleux spectacle

Prophètes et oracles

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Quittent leur tabernacle

Pour chanter le miracle

De l’anti-Pygmalion…

Mais quand je t’ai connue

J’ai brisé la statue…

Le fils de la chimère

Je suis le fils de la chimère

Le descendant des mirages

Aux miroirs ténébreux

Quand je me dénude devant

Votre aveuglement

Vous ne me reconnaissez guère !

Je suis le souffle poussiéreux

Mon imaginaire est borgne

Mon sabre est étincelant

Quand je l’aiguise

Sur le miroitement de ma prétention

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Il luit comme les sourires

Tranchants des loups…

J’ai hurlé du fin-fond

De mes déserts fossilisés,

Vos rituels étranges

Ont lancé des échos aboyants…

J’ai lapé la poussière famélique

Avec ma langue rêche

Puis j’ai sellé

Le Phénix de la malédiction

Et lacéré ses flancs

De coups de fouet maléfiques,

J’ai pris la direction

De vos matins

Les ruelles de vos aurores

Fourmillaient

De cortèges tremblants…

Lorsque j’ai fait halte

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Comme une statue rancunière

Au cœur de vos places publiques,

Ensanglantées par des couleurs

Qui haussaient le ton,

J’ai revu l’image de mon néant

Crucifié sur les lignes de vos mains

Qui gueulaient

Telles des fosses affamées…

Mais quand j’ai posé pied

Sur les craintes de vos fenêtres,

J’ai vu à travers les vitres

Des flots de quiétude effrayée

Ruisseler à travers les turbans

De vos enfants

Et entre les barbes de vos femmes

J’ai alors catapulté

Avec les mangonneaux de

L’impossible

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Les toits de vos temples profanés

Et les seuils de vos bordels bâillants

Puis je suis redevenu poussière

Pour ressusciter l’éphémère

Secret

Où se créent

De nouveaux univers…

Autoportrait

J’ai repeint des étoiles

En dehors de la toile

Accrochée vaguement

Au mur des tentations,

J’ai esquissé des mers

Au fond de tes yeux clairs

Dont le bleu se confond

Dans des ciels miroitants,

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J’ai dessiné des fleurs

Sur l’ombre de ton cœur,

J’ai gravé des désirs

Autour de ton sourire,

J’ai colorié la vie

Du teint de tes envies…

Et sur la toile vide

Où posent les Sylphides,

Où vibrent à l’unisson

Mes pinceaux et crayons,

Où chantent en sourdine

Les reflets des sanguines,

Où dansent les pastels

Au gré des aquarelles,

Où valsent les fusains

Au milieu des dessins,

Où suintent les eaux fortes

Sur les natures mortes,

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J’ai entrevu l’image

De mon nouveau visage…

Prière

Grand-Esprit de l’Univers

Architecte des passions

Créateur des sensations

Dans les entrailles de la pierre

Régisseur de nos destins

Qui mit en scène la vie

Et fit tourner nos envies

Devant les écrans déserts

Chorégraphe de nos desseins

Inventeur de la lumière

Qui calque ses horizons

Sur des clartés éphémères

Essence des vérités

Maître des cieux et des terres

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Dompteur des muses en furie,

Des foudres et des éclairs,

Libère les démons avides

De mes élans salutaires

Refleuris tous mes enfers

Bénis tous mes Lucifers

Ebahis tous les mystères

Des instants crépusculaires,

Des moments patibulaires

Exhausse mes tentations

Exauce cette prière

Daigne m’offrir la matière

D’un nouvel imaginaire !..

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Héni Farhani

Né à Sbikha - Kairouan, en 1959, il a étudié le primaire à Sbikha, le


secondaire au lycée technique de la Mansourah à Kairouan, et le
supérieur à l’école normale supérieure de Sousse. Il est actif à la
société civile. Actuellement producteur à une radio privée et chef de
bureau régional de l’Union des écrivains tunisiens à Monastir. Il a
publié : - ‫ ظالل الشوق‬: un recueil poétique en arabe.
-‫ مختصر تاريخ‬/‫ أهمية العنصر األصلي وتكوين الذاتية‬: ‫البالد التونسية‬
- Les rêves de Gaïa : recueil poétique -
- ‫ مجموعة شعرية بالعربية‬: ‫مفاصل الثلج واللهيب‬
- Les cris de Gaïa : recueil poétique

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La cocotte

Le cuisinier, habile et très averti,

Mit les aliments dans sa cocotte garnie

Le feu à fond et la vapeur si serrée

Vingt-trois minutes, elle est ainsi restée

C’était, me rappelle-je, le quatorze janvier.

Puis d’un seul coup, cette cocotte éclata

Sur le visage de l’homme qui se brûla

Il tomba très vite, raide mort en souffrant

D’un feu si terrible et énormément chauffant

C’était, me rappelle-je, le quatorze janvier.

Le propriétaire est venu à la hâte

Vite de l’endroit, l’évacua de ses pattes

Puis nettoya la cuisine de ses odeurs

Et la parsema de multiples pots de fleurs

C’était, me rappelle-je, le quatorze janvier.

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Les barbes aux toisons

Portant leur état sur les épaules

Je les trouve fiers de ce qu’ils font

Ils errent dans un rêve pénal

Inspirés de leur sobre démon

Alourdis de leurs pensées arides

Et leurs barbes aux toisons touffues

Ils marchent dans l’histoire du vide

Pensant camper aux terrains voulus

A l’envers des ondes, ils sont égayés

Pourtant la mer les rejette aux rives

Leur ancre flotte pour pagayer

Sur les gouffres des roches massives

Quand vont-ils savoir que notre terre

N’est pas fertile aux pensées assombries ?

Quand vont-ils savoir que le notaire

Enregistre leurs pages étourdies ?

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Sans retour

La barque flotte et avance sciant les eaux

Assombries et mystérieuses un peu ondulées

Elle s’enfonce avec des écumes embaumées

Sous un ciel monotone et sillonné d’oiseaux

Le navigateur emporté et nonchalant

Songe toujours au vide et scrute l’horizon

Quand des gouffres, lui parait l’énorme toison

Et la barque cesse de tirer en avant.

Lui, qui sait que le retour lui est impossible,

Doit diriger sa machine à l’envers des ondes

Chantant « la mort du loup », cette perle du monde.

Il sait que ce voyage est loin d’être paisible.

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La miette univers

Quand les fils de Cronos

Se sont partagé l’univers,

Ils ne m’ont laissé aucune miette.

Même à Hadès, Cerbère

M’a empêché d’entrer.

Il sait

Que je vais mettre l’obole

Dans la bouche des cadavres

Il sait

Que charron m’amène dans sa barque.

Mais, il ne me laisse pas y entrer.

Ulysse est mon semblable.

Je suis égaré

A l’intérieur de mon Histoire,

De mes abîmes et de ma terre.

Le ciel de Zeus

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Ne m’a guère

Délivré ses étoiles

Pour savoir où suis-je ?

Où dois-je m’en aller ?

Mon destin

Est de me cacher

Au fond de moi-même

Pour être la miette

Devenant univers,

L’univers

Où je me sentirai moi-même.

Ambivalence

Associant fragilité et fureur

Je suis un être étrange.

La jubilation de mon corps

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Se remplit et se vide.

Je suis l’ambivalence de Dionysos.

Je suis le bébé qui s’est sauvé

Du ventre de sa mère.

Je suis le bébé qui a pour abri

La cuisse de son père.

Etant le fils d’un grand Dieu,

Je me sens futile.

Ma mère n’est plus ma mère.

Mon père n’est plus mon père.

Je ne peux que me chercher

Dans mon orbite.

Le monde est encore vaste

Pour me trouver un coin,

Loin des matins habituels,

Loin des nuages de mon cœur

Et de la lourdeur de mes yeux

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Regarde-moi dans les yeux

Regarde-moi, regarde-moi bien dans les yeux !

Laisse-moi voir dans le monde de tes cieux !

Tu es l’être de mon être qui m’est très précieux

Et je ne peux avoir d’être que dans tes yeux.

Caresse-moi pour me sentir encore vivante !

Le sang ne peut couler que sous tes mains tremblantes.

Tu es l’orbite où mon âme reste flottante

Et je ne peux avoir d’être que dans tes yeux.

Tes yeux me réjouissent, me lancent dans le bal.

Frappe à ce cœur, je suis une femme orientale

L’amour pour elle, est une corolle en pétales

Et je ne peux avoir d’être que dans tes yeux.

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Le mot et la plume

Un mot

Gémissant amer

Cherchant haleine

En plaine obscure.

Un papier

Tout neuf

Tout blanc

Accroché au milieu de l’azur

Une plume

Attendant

Le démiurge

Rêvant de se servir

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Poème

Poème ! quand je t’écris, tu réjouis mon âme

Tu sors des abîmes fuyant le monde infâme

Je te vois l’abri et la ville de mes rêves

Où je vis le bonheur que je chante sans trêve.

Tu seras à mes yeux, la ville où Satan

Se réunit aux anges et en bal dansant

En pleine harmonie, se caressant les franges

Et entre eux, toujours, l’amour ne parait étrange.

Orphée et Eurydice y sont loin des enfers

Et n’aura pas des croisades la guerre

Noir, blond ou brun, nord ou sud trouveront justice.

Le pétrole de l’orient chassera police

Et mon soleil réchauffant restera au ciel

Pur que tous les oiseaux soient en lune de miel.

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Les poètes

A chaque fois que les jours se dispersent,

Les poètes reviennent à mon cœur.

Il y a les prairies de mon bled.

Il y a les plaines de mon centre.

Il y a les champs des cadavres embrasés.

Le sang se sentait depuis longtemps.

Les oubliés ont trouvé la mort.

Ils sont enterrés dans les tombeaux

Qu’ils avaient creusés eux-mêmes.

Les poètes n’oublient pas.

Mon pays, c’est moi et moi je chante à sa mer

Toute couverte de larmes.

Les poètes ne peuvent pas oublier.

Ils sont là.

Ils sont les descendants du diable

Et les seigneurs de la vie.

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Sliman Chahdi

Citoyen des deux rives, originaire de Jendouba, vit entre la Tunisie et


la France. Il est membre de l’Union des Ecrivains Tunisiens et il a publié
deux recueils de poèmes :
-Du bleu dans la nuit
-Couleurs d’émotion

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Le Pont des Arts

Sur le Pont des Arts

Je me promène

Profitant des berges et des couloirs

Qui bordent la Seine

En amont se dresse le haut de Notre Dame

Majestueuse souriante usant de son charme

Enlaçant les rayons de ce soleil d’automne

Qui chatouille les humeurs monotones

Un guitariste assis en tailleur

Egrène des notes avec candeur

Des cygnes exécutent des figures en chœur

Bercés par le suintement des flots rêveurs

De l’autre côté de la rive

Se dresse une pyramide aux lueurs intensives

Excitant les ruées éruptives

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Des foules en contemplation admirative

Ô Pont des Arts

Toi le confident intime

De nos petites ou grandes histoires

Vivantes ou au fond des abîmes

Lueurs

La poésie

Réveille la nuit

De son sommeil

La prend dans ses bras

Lui glisse des mots tout bas

Le ciel entame une mélodie

Qui chasse les torpeurs et les douleurs

La mélodie des couleurs

Et du vertige dans la nuit

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Journée

Je n’oublierai jamais

Cette journée

Synonyme d’éternité

Béatitude et félicité

Pur hasard

Le hasard fait bien les choses

Une histoire en vers et en prose

Eblouissante aux accents jubilatoires

Une rencontre singulière

Entre l’écriture et l’esprit

La première est rêve et lumière

Le deuxième amoureux des étoiles la nuit

Au petit bonheur la chance

Je dévale les sentiers

Les chemins forestiers

49
Avec insouciance

La lumière pleut en abondance

Des fleurs exhalent une fragrance

Se déversant sur les flancs

Verdoyants

En appétence

Charriant le ruisseau en effervescence

Je me faufile à travers les arbres feuillus

Les branchages crissent

Sous la brise soutenue

Aspiré par une force inconnue

Pris au dépourvu

J’avance

Au petit bonheur la chance

J’oublie par où je suis venu

Je plane sans retenue

Complètement envoûté

Par la magie de la forêt

50
Variations

A l’endroit ou à l’envers

Horizon vert opaline

Vert amande couronnant les collines

Fruit vert et pas mûr

Hors saison

Ver dans le fruit

Quelle abomination

La situation est sous tension

Hissons les voiles

Vers d’autres destinations

Des terres arides

Cramées sans végétation

Sous la tente dressée

Collée aux braises du foyer

En pierres

Chante une théière

51
Accompagnée de ses verres

Le jus d’oasis en robe vert kaki

Exhale un parfum exquis

Plus loin la tempête de sable vocifère

Sculpte des figures éphémères

C’est la chorégraphie du désert

Hantise

Les lèvres marron foncé

A l’écorce de noyer

Un sourire se déclenche

Fait apparaitre des perles blanches

Ce teint caramel

Dans un corps rebelle

Des gestes et des rituels

Me hantent, m’ensorcellent

52
Et puis ces yeux noirs

Profonds et mystérieux

Brillent de mille histoires

De récits et de mythes prodigieux

Je me perds dans ce regard.

Hallucinatoire

Je décolle et je pars

Je traverse le temps et les mémoires.

J’atterris

Dans les mille et une nuits.

Chahrazade finit le récit,

Eteint la lumière rejoint son lit

L’aurore et ses reflets irisés.

Bercés par les vents alizés

Petit à petit

Chassent la nuit

53
La lutte, c’est classe.

C’était le temps des grands laminoirs

Et des hauts fourneaux

Des grandes usines à Aulnay ou à Sochaux

Des mineurs, des sidérurgistes et des traminots

Des grandes galéjades et des blagues en argot

Du plein emploi, de la conso à gogo

Des trois huit, du travail à la chaine

Des rythmes infernaux

Du métro boulot dodo

Des défilés de colère avec faucilles et marteaux

Les tracts tirés avec les ronéos

Non aux bobos

Et proprios des capitaux

Non à l’exploitation des petits

Par les détenteurs de magots

C’était des cris de ras le bol

54
Contre l’injustice et ses fléaux

La classe ouvrière rythmait la vie

Donnait le tempo

C’était le temps des prolos

Qui furent remplacés par des robots

Et puis vint la crise qui chassa le boulot

Les usines fermaient partaient en lambeaux

La revanche de la finance sévissait crescendo

Emportant les vulnérables,

les petits, tous sur le même bateau.

Qui tangue, qui chavire sous le déferlement des flots

La vie a pris des rides

Les territoires fracturés au bord du rouleau

Du coup la résistance se réorganise pour desserrer l’étau

Rendre la dignité à ceux qui sont sur le carreau

Souffler l’air de la résistance et décréter le renouveau

Sortir de la léthargie et imposer le sursaut

55
La lutte « c’est classe » renchérissent nos petits héros

Vertige

Les lettres escaladent les parois glissantes

Des saillies amnésiques

Se perdent dans les arcanes de la sémantique

Les idées sont en hibernation cyclique

Le poète contemple la cité et ses ruelles désertes

Elle parait emportée dans un sommeil profond

Il scrute les étoiles entamant leur retraite

A l’Est le ciel se teint le front en blond

Tout vit ! Tout est plein d’âmes.

Ainsi s’exclamait le mage

Par son génie, son art et sa flamme

Ciselés dans la mémoire vagabonde et les drames.

Ecrire c’est quoi ? Peux-tu me le dire ?

56
Est-ce le vertige quotidien et les soupirs Cette quête du

funambule sur le fil acrobatique.

Le beau est-il vrai. Le vrai est-il forcément tragique ?

La ville ouvre les yeux, s’étire très lentement.

Là-haut, le cri des mouettes et des goélands sillonnent le ciel

Cherchant à becqueter en glapissant

Le paquebot quitte le port, les séparations sont cruelles

Ce matin, les misérables, les gueux pathétiques

Les étrangers, les exilés, les sans voix rêvent

Ne serait-ce que le temps d’une brève

Illumination vers une destination idyllique

Femme aux yeux bleus

Assise sur un carton

Ses yeux sont bleus

Comme l’océan

Où défilent des histoires des images

57
De tempêtes, des naufrages

Et autres tourments

Epiques tel un roman

Le visage ridé tuméfié

Par le froid et le vent

Elle porte une robe ample délavée

Des galoches lui couvrent les pieds

Se met debout pour se réchauffer

C’est la Rom des Balkans

Portant sur son dos sa maison

Faisant des sourires tendres

Aux passants

Qui, parfois s’arrêtent

Et rendent le compliment

En laissant une petite pièce d’argent

Ce matin elle porte un nourrisson

Accroché à sa poitrine par des bandes d’étoffe

Et des rubans

58
Adossée contre le mur, elle attend

Le temps qui passe

Sans passe-temps

Les pommettes gelées

Les lèvres gercées

Le regard profond

Elle ferme ses yeux

Se perd dans les souvenirs d’antan

L’hôtel du sable à Tabarka

Te souviens-tu de ces soirées d’été

A l’époque du festival

La ville était animée

Jusqu’aux lumières aurorales

Des aiguilles jusqu’aux plages éloignées

Se dressaient des stands et des scènes en préfabriqué

Deux camps pour les festivaliers

Des barbus des babas cool yéyés

59
Les nuits étaient chaudes et animées

Des stages de danse de chants et une kyrielle d’activités

IL était interdit de bronzer idiot

Les lumières inondaient la ville les pieds dans l’eau

Nous étions une bande de rigolos

Adorateurs du coucher du soleil

Le soir derrière les flots

Nous contemplions en silence cette merveille

Nous n’avions pas beaucoup de sous

Pour nous c’était vraiment hors sujet

On s’en foutait

Ne rien rater et être dans les bons coups

Nous tissions des relations avec les touristes

Anglais suisses et français

C’était des moments surréalistes

60
A graver dans le marbre pour l’éternité

Et puis après une journée de vadrouille

A la nuit tombée place à la débrouille

Nous nous dirigions vers l’hôtel du sable

Un endroit tranquille et inestimable

Allongés dans nos duvets

Les vagues chantaient des petites mélodies

Les étoiles nous couvraient de sourires exquis

Nous nous abandonnions dans les bras de Morphée

61
Jean Yves Metellus
Jean Yves Metellus est né en Haïti en 1962. Il a fait des études en
Arts Visuels à l’École Nationale des Arts (ENARTS) et a suivi des cours
en Science de l’Éducation au Collège Universitaire Caraïbe (CUC).
Pendant une décennie, il a enseigné les littératures (Haïtienne et
Française) et l’Éducation Artistique au niveau du secondaire. En 2002,
il a laissé le pays pour séjourner aux Etats-Unis pendant quelques
années, puis au Québec où il vit actuellement. Il est membre de
l’Association des Artistes en Arts Visuels du Nord de Montréal (AAVNM)
et étudiant en Création Littéraire à l’Université du Québec à Montréal
(UQAM). Il a publié plusieurs recueils de poésies :
- Pré-noms de Femmes
- Œil Profane
- D’une rive à elles
et participé à une dizaine de publication collective.

62
Faim sans fin

À mesure qu’on approche

Du destin qui est sien

Le doute nous tend la main

Pourtant le clair matin

Dans son cri clandestin


Pénètre notre chemin
Pourquoi le teint éteint
Nous languissons soudain
Au plein fond d’un ravin
Fermentons en nos seins
Le vin comme le venin
D’une main le dédain
D’un soupir un refrain
Faut-il du souterrain
Bâtir une tour d’airain
Pour piéger le divin
Ô rumeur du lendemain Faim sans fin
À vos bras je m’accroche

63
L`invité du silence

Couvertes de perles et de Cachemire

Elles sont toutes frémissantes

À l'orée du village

Attendant sans révolte

L'embrasement de leur corps

Nées dans la brume épaisse

En marge des grattes ciel

Elles vendront leur nectar

À la lie des caresses

Aux marchands de promesses

Et chaque once de délice

Aura sa propre fêlure

Sauront-elles ces anges

Transcrire dans l'insomnie

Les couleurs de l'aurore?

64
Sauf en villégiature

Si d'aventure leur cœur

Exhalera un matin

L'irrésistible parfum

Quand passe le jardinier

Des secrets immortels

L'imperceptible émoi

M'habite dans tous les pores

Je suis l'invité du silence

Je, comme un autre.

Terres sans frontières, barricadées dans le silence.

Pays couronnés par une ère de tourment.

Masques sans visages

qui traduisent en vrac la vulnérabilité de l’être.

Séquelles du beau temps ruminées en sursaut.

65
J’assiste à la paralysie des mains

qui n’indiquent plus le sillage des étoiles,

ni la singularité des pierres sous nos pas enlacés.

J’assiste à l’infidélité du regard, rivé sur les écrans, de

l’aurore au couchant; à la sécheresse des lèvres qui, par la

fenêtre, balbutient des mots inusités et vides, tel un aveu de

la fleur coupée de la flore, ou du bouquet offert

à la naissance d’un amour.

Oui, des gestes lents et primaires ont envahi nos quotidiens.

Carcasses et corps sont devenus pareils, marqués tous deux par le

repos, l’inanition formelle ou dérisoire.

Faudra-t-il traverser le chaos des départs pour trouver un chantier à

l’ampleur des promesses?

66
Encore, des pleurs coulent à flot sur nos visages bouffis

comme ceux de gros matous aux regards mystérieux,

autant que la sueur dans la frénésie des nuits blanches.

Est-ce la déliquescence d’une humanité piégée

dans ses propres repères?

Par l’abondance des signes de détresse,

je, comme un autre,

configure l’espace de nos manques frivoles

au cœur même du poème,

infecté par l’ennui.

Quand j’aurai soif

Le désir est servile

S’il n’élève le corps

Au rang de cathédrale

Où vitrille l’amour

67
Et le rêve tourment

S’il n’est point volutes

Échappées d’incendie

Sur les ruines éternelles

Il faut sinon toute la métamorphose du jour

Sur nos langues mortes

Pour conter une histoire

Je changerai pour toi l’arc-en-ciel du destin

Toi qui es traquée

Jusque dans tes secrets

La beauté sera jubilation

Ou bien fermentation du silence

Mais quand j’aurai soif de frisson

C’est dans le noir que tu me trouveras

68
La coupe qui reçoit

La coupe qui reçoit

Le vin pur de l’alliance

Même de bois est d’or

Souvent à l’avènement

Meurt un forçat

Laissant naître un seigneur

Sur tout lieu de mémoire

Et muse naît la bergère

Recouverte de rosée

Viens au temple mon amour

Viens oser la magie

Ici n’est point de pays

Que la virginité du geste

Viens au temple mon amour

Viens oser la beauté

69
Mais le prix de l’offrande

Est un voile de mystère.

L'orient diffus

L'orient diffus. Élans mystiques.

Concupiscents appels.

Enivrés d'odeurs fauves, sombrent tes cieux lactés

dans l'abîme du silence.

L'eau manque à la purification de ton sang qui étouffe en un même

glouglou

le hêtre au préau

et le harnais des chameaux.

D’ambre moulées, mille âmes illuminées

se statufient en ton sein vermeil.

Si haut, plus haut,

70
scripturales ruptures, baisers futiles, déserts intimes.

Par quelles mains cacher, Ô gardiens de lunes,

dans le bleu des songes, l’éternel secret!

Claironne l'enfant pauvre au cor lointain

la stridence de l'errance.

Dans son corps on lit, le malaise du divin,

à ses pieds, l'écorce.

Quel rituel,

quel poids pour sa fragilité!

Dans les dunes éternelles,

dis-moi où est la source

et que cache l'horizon!

Grain de sel sous la langue,

danse extatique,

richesse et démence.

L’homme demeure

71
Des pétales de roses

Des pétales de roses parsemés dans l’allée,

J’attends dès l’aube la fiancée

dont le sourire auréolé

est une épure de Voie lactée.

Mon cœur insatiable,

perlé de rosées

s’étiole déjà à ses pieds.

Des éléments

Une brise parfumée aux frimas de lys

A fécondé la mer de petits moutons blancs

Qui au grand horizon trépassaient s’en allant

Aux cieux lactés les nuages d’un sort pareil se lient

Soudain l’heur épuisé de funestes ennuis

72
Se nourrit des échos portés par l’ouragan

Outremer sont la joie et le soleil levant

Quand s’ébranlent les rocs ou les pans de la nuit

Puis l’écume arrivant, tonitruante larve

À la cime du doute monte sans entrave

D’insolites vivants partent pour l’au-delà

Je suis ce bateau fou en sursis sur la berge

Mon saut net d’amertume au glas du grand trépas

Un feu doux et secret lentement me submerge

Que revienne l’ancien

Et mon cœur orphelin traine dans la marée

Je flaire le déclin des effluves d’été

Des astres sibyllins aux portiques dorés

Est-ce ainsi le destin couronne les années

73
Je veux de ce bon vin que boivent les athées

M’alanguir de tes reins ô vierge de beauté

Que je sois un divin l’esclave révolté

Le dernier assassin des étoffes zélées

À l’usure mes mains ne sont point boucliers

Mes yeux à vifs écrins sont déjà dilatés

Voyez ce fond marin non encore ébruité

Que revienne l’ancien

M’engloutir en entier.

74
MohamedSgaier Gasmi

- Le foulard de ma mère Poésie 2011


- Dessine-moi un nouveau monde! Poésie 2012
- Au gré de l’âme et de la rame Poésie 2014
- Clins d’œil et sous...rires Ensemble de billets
sarcastiques humoristiques
- Le crime (Poésie de l’Iranien Jamal Nassari) 2016
Traduction de l’arabe au français en collaboration avec HENI Farhani
- -Chemtou (Roman de Mustaph El Kurna) 2016
Traduction de l’arabe au français.
- Dis aux papillons Traduction de l’arabe au français
du recueil de poésie de Fethi Sassi
- Petits murmures Poésie arabe
- Fantômes sur les rivages de Oued Bouchiib Roman

75
Dans ton cœur une rose

Quand les temps sont gâchés

Et les jours très moroses

Je saurais faire pousser

Dans ton cœur une rose

Par des mots très divins

Je la ferais exalter

Il suffit d’un câlin

Pour que poussent mille bouquets

Je la ferais boutonner

Par mes doigts séducteurs

Il suffit de choyer

Pour qu’éclosent plein de fleurs

Mais le temps vite s’en va

76
Et la rose va sécher

Quand le corps perd l’éclat

Par l’outrage des années

J’aimerais au printemps

Que nos joies reverdissent

Comme les champs tous les ans

Où s’enivrent les beaux lys

Mais les roses dans les cœurs

Peuvent-t-elles repousser

Revoient-elles le bonheur

Quand les corps sont fanés

Reste-t-il en ces corps

Des appâts qui enchantent

Pourrait-on fuir le sort

Par des fards qui nous mentent

77
C’est le deuil c’est le drame

Quand la grâce fuit les corps

Fausse le pas à nos âmes

Et refuse tout accord

La joie est dans ces riens

Beaucoup de ces détails jadis insignifiants

Des dates et des faits vécus dans le passé

Des mots et des paroles qu'on a redits souvent

Surgissent du néant sublimes comme des fées

Des faits solennisés aux coins des souvenirs

Cachés au fond de l'âme pareils à des trésors

Des vifs et tendres riens qu'on a pu retenir

De cette longue vie qu'on plaint et on déplore

Des gouttes que nous comptons souvent et recomptons

De peur que quelques-unes se perdent ou s'égarent

78
Ou que ce loup méchant portant le nom du temps

En fait d'elles des proies grignote et dévore

Un mot qui sort du lot qu'on a jadis redit

Exalte fort le cœur des nuits et des journées

Un nom venu comme ça sans cause à l'esprit

Anime comme un souffle de joie et de gaieté

Les joies pain de la chance jaloux nous les gardons

Au chaud très enfouies dans l'âtre de nos cœurs

Devant les temps moroses quand souffle en proue le vent

Vers elles on met le cap pour y trouver bonheur

En fait est près de nous la joie qu'on cherche loin

Cette ile au trésor qui hante bien de gens

Dans ces menus détails et dans ces mille riens

Dans tous ces vieux vestiges qui tiennent tête au temps

79
Et tu t’en vas ? Oh quel dommage !

La corrosion a abîmé

Le grand portail et l’attirail

Qui protégeaient notre éden

Des grands ravages

Et des outrages nocifs du temps

Les sentiments cédèrent le pas

Aux grands vertiges de l’abandon

Et tu t’en vas…

C’est bien dommage

Tes mains jadis comme du velours

Ou de la soie

Sont devenues depuis un temps

Comme des godasses toutes râpeuses

Et de l’ortie

80
Ta voix flatteuse qui d’habitude sentait l’encens

Et se pliait à tous mes vœux

Et à tous mes sens

S’esquive honteuse

Fuit ma présence

Oh quel dommage... !

Elle m’abandonne

Et toi aussi

Tu t’abandonnes aux mœurs du temps

Et tu t’en vas

Seul me laissant sur toute ma soif

Et sur ma faim

Très très pensif

Et dépressif

Pâture aux crocs mordants

De l’amertume et l’abandon

81
Tu lâches prise sans résistance

Aux ouragans

Aux grands typhons qui se bousculent

Et qui te jettent comme une épave

Sur les récifs à fleur de l’âme

Dévastateurs

Aux durs tourments

La corrosion, cette rouille du temps...

Fait des ravages

Tu baisses les bras sans résistance

Et tu t’en vas…

Oh quel dommage… !

Oh quel dommage… !

82
Amertume

Quand la neige tombera

Sur les cœurs desséchés

Et ton corps souffrira

Des outrages des années

Je partirai pèlerin

Visiter les musées

Pour toucher les beaux seins

Des statues étalées

Je partirai cœur battant

Attoucher ces divas

Sans pouvoir pour autant

Les serrer dans mes bras

83
Quand on cherche embrasser

Une bouche toute de pierre

On se sent contrarié

Par le manque de douceur

Toutes ces belles très suaves

Aux rondeurs féeriques

Aux baisers quelles reçoivent

Toutes refusent la réplique

La poésie

La poésie

C'est mon royaume

Et ma prison

Ce sont mes pas

Lourds et blessants

C'est toute l'errance

Et la souffrance des pauvres gens

84
Et tout l'exil

Qui me tracasse

C'est la panique qui me menotte

Et en moi qui trotte

Et mes années qui toutes passent

Et me délaissent

Seul et perdu

Sur le trottoir

Sale et désert

D’une longue rue

Dans le cœur d’une mère

Dans le cœur d’une mère

S’amoncèlent les chagrins

Cède le pas la douleur

Au sent-bon du jasmin

Dans les yeux d’une mère

S’entremêlent les combats

85
Les sourires et les pleurs

Les grisailles et les joies

Dans les jours d’une mère

Se bousculent les blessures

Quelques joies éphémères

Des émois qui perdurent

Dans la vie d’une mère

Les regrets du passé

Du présent la misère

Des délices et des plaies

Dans la lutte d’une mère

Des projets et fiascos

Des succès et revers

Plein de bas et de haut

Dans le fond d’une mère

Tout s’éveille tout renait

Comme les roses en hiver

Et la neige en été

86
Tu resteras dans mes chansons

Dans tous ces poèmes que je vais écrire

Et semer les odes sur les pages blanches

Dans les lits en mots je te ferai chérir

Belle comme un lys à ta vue je flanche

Je te dédierai toutes les chansons

Et te placerai sur le trône des mots

Dans toutes les pages tant qu’il y a du temps

Je ferai de toi un symbole du beau

Toutes tes manies et tes petits gestes

Je les ferai vivre au milieu des pages

Ton mielleux sourire ta démarche leste

Seront éternels tout au long des âges

Rien qu’à lire mes mots on peut récréer

87
Tes moments de joie, toutes tes folies

Tes intimes aveux et tes chauds baisers

Tes secrets cachés, les scènes de ta vie

Sauront faire de l’ombre tes cheveux soyeux

Sur les allées blanches qui séparent les lignes

Je ferai munir par des feux tes yeux

Pour que les non-voyants puissent lire les signes

Je saurai écrire quelques symphonies

Et des airs jolis qui imitent les sons

Et si on est pris d’une folle envie

De t’ouïr vivante il t’entend dedans

Quant à ta beauté qui est fort divine

Je la sauverai des outrages du temps

Jeune tu resteras tout au long des lignes

Belle et jolie tenant tête aux ans

Toutes tes envies, tes sourires et pleurs

Tes moments de joie, tes temps de détresse

Vivants resteront bien au fond des cœurs

88
Gravés par les mots vantant ta joliesse

Parler de joie dans les enfers

Pourquoi veux-tu me torturer

Me malmener

Cherchant savoir comment je t'aime

Tous mes tourments te dessiner

Te les graver

Et mettre à nu mon fond de l'âme?

Je te désire comme ce parfum

Qui crée l'envie et le chaos

Comme ces refrains qui viennent de loin

Passant presto du sol au do

Sais-tu qu'il n'est jamais aisé

Parler du cœur

Les pulsations les justifier

89
Et les secrets tous divulgue

Oh toi ma fleur

Toi mon Néron en robe de fée

Je te désire comme ce pinson

Chantant très gai soir et matin

Et ces canards que l'on dit cons

Laissant leurs nids et partent loin

Ne me dis pas comment je t'aime

Puisque jamais

Je ne pourrai

Dans ce volcan qui jette les flammes

Décrire l'enfer là où je rame

Et la douceur de ses bûchers

Comme c'est ardu d'écrire les notes

Qu'aime jouer l'allègre cœur

Pouvoir compter toutes les gouttes

90
Et rendre doux les eaux des mers

Le temps, ce compagnon…

Le temps ce voyageur témoin de notre vie

Depuis nos premiers jours toujours bon compagnon

Tantôt il est loué et maintes fois maudit

Très beau ou très mauvais suivant l'humeur des gens

Ce temps trainard et lent pareil à un ruisseau

A peine remarqué sans nom et sans gloire

Laissant sur son chemin des gouts doux ou amers

On dit qu'il est " tardif" des fois et d'autres "tôt"

Il peut être" présent"* allègre et fort heureux

Afin de faire de lui le plus beau souvenir

L'appui bien prometteur d'un cycle très radieux

Ce temps qu'on dit courant et tend vers l'avenir

Il passe des fois très lourd chargé par des tristesses

91
Qu'on tente comme on peut très vite affaiblir

Et comme les espérances étouffent ce qui nous blesse

On fait fi au présent on rêve d'un beau futur

Le temps c'est un espace de joie des fois ou peine D'amour entre les

gens peut être ou de haine

C'est toute la vigueur marquant toute la jeunesse

Ou même un lent tic-tac très doux comme la vieillesse

Le temps qu'on dit très dur méchant et insoumis

Il joue de très beaux rôles ajuste nos envies

Charmant et émouvant ou bien des fois cruel

Il est comme nous le sommes docile ou bien rebelle

Il a la même allure depuis sa création

Que suivent les aiguilles trottant sur un cadran

Jusqu'à quand Dieu le veut où tout doit s'arrête

Où l'heure serait marquée de toute éternité

92
Souad Hajri
Diplômée de l'ENA, membre actif du club Carmen ayant participé
à des récitals en Tunisie et en Algérie, elle a édité un recueil de poésie
en 2012 sous le titre les évasions secrètes aux éditions Sokrys-Paris., Elle
a collaboré à plusieurs anthologies de par le monde dont :
- Sourds à l’appel de la nature éditions Lire et méditer.
- 100 poètes pour l’Union du Grand Maghreb, sous l’égide du
ministère Marocain de la culture et de la communication.
- Nice, la tragédie du 14 juillet 2016 pour un monde meilleur,
Gaza.
- Plume liberté, paix, nous sommes tous des poètes dans l’âme,
- A bas les armes vive la paix avec le Groupement des poètes
engagés pour la paix / Haïti.
- Passager de ma vie roman multi-plumes édité à L’empire
Desmarais Lavigne Canada

93
L’Adieu

- Papa, papa, j'ai froid


- Maman est partie chercher du bois
- Papa, papa, j'ai faim
- D'ici peu maman sera là, elle va nous faire à manger
- Papa, j'ai soif
- Oh Rania, point d'eau, vide est le seau et tu le sais bien.
Dors et ne me demande plus rien

- Mais papa, j'ai mal


- Que faire si près de chez nous, il n’y a ni médecin ni hôpital?
- Je ne sens plus mes pieds papa,
- Ne vois-tu que la neige couvre le toit ? Dors et tout à l'heure tout
ira bien

- Mes mains aussi, je ne les sens pas papa


- Voici ma veste..., rendors-toi
- Merci papa, là je me sens mieux
- Sérieux ?

94
- Oui oui papa, même que j'ai chaud
- Dis papa, tu vois cet ange qui m’appelle ?
- Chouette alors, va jouer avec lui
- Il veut m'emmener au paradis
- Content pour toi, dis-lui merci
- Et toi papa
- Moi je reste ici, maman aura besoin de moi pour calmer ses cris !

Dans le rêve d'un salut

Il a chu sur la vieille, le ciel en éclat

Il a plu sur ses os, le raffut des pas,

Quand sur ses lèvres s'est posé le baiser de judas

Il a plu dans son regard un silence creux

Il a plu dans ses oreilles, des jurons odieux

Et sur sa nuit il a plu, le supplice vicieux

Sur sa chair a fleuri un tapis de frissons

De sa bouche ont fui des suppliques en sang

95
Quand son corps fut violé par des yeux gourmands

Il a plu sur son âme, le fatal délit

Sur ses cuisses il a plu, les œufs des maudits

Dans son ouïe il a plu, le requiem d’une vie

Il a plu sur sa stèle des cris et des pleurs

Sur son âge il a plu, le malheur d'une heure

Sur le monde il a plu le glas des valeurs

Je suis … tu es…

Je suis Aphrodite, tu es Cupidon

Je suis fille, tu es garçon

Tu es l'arbre, je suis le fruit

Tu es le sol, je suis la pluie

Je suis la ligne, tu es la page

Je suis la fête, tu es l’éclairage

Tu es l'absence, je suis l'ennui

Tu es le corps, je suis l’esprit

96
Je suis le volcan, tu es la lave

Je suis le À , tu es l'accent grave

Tu es la phrase, je suis le mot

Tu es la voix, je suis l’écho

Je suis le désir, tu es le but

Je suis le poème, tu es la chute

Tu es le chemin, je suis le pas

Tu es la lumière, je suis l’éclat

Je suis la lune, tu es le réverbère

Je suis la vague, tu es la mer

Tu es l'artère, je suis le sang

Tu es le soleil, je suis le rayon

Tu es le mage, je suis la fée

Tu es la guerre, je suis l'épée

Je suis le cœur, tu es l'élan

Je suis la blessure, tu es la potion

Je suis la brise, tu es le printemps

97
Je suis le problème, tu es la solution

Tu es l'emblème, je suis la patrie

Tu es la tentation, je suis l’envie

Je suis la phrase, tu es le mot

Je suis la voix, tu es l'écho

Tu es le sujet, je suis le verbe

Tu es le parfum, je suis la gerbe

Je suis la chair, tu es la coquille

Je suis la lumière, tu es la pupille

Tu es la tentation, je suis l’écart

Tu es le rendez-vous, je suis le hasard

Tu es l’horizon, je suis la limite

Tu es le début, je suis la suite

Je suis la rivière, tu es l'onde

Je suis la terre, tu es le monde

Je suis la femme, tu es l'homme

Je suis Jerry, tu es Tom

Même espèce, même génome

98
Amis, ennemis sous un même dôme.

Et de nos actes, nous sommes la somme

Femme de demain

Tu as traversé plein de sentes épineuses

Vu tant de rêves dans leur envol se briser

Il est venu le temps de déplomber tes ailes

Pour élire la place où ton cœur veut poser

Verse dans tes poumons des énergies nouvelles

Pour bien nourrir tes yeux du désir d'exister

Ne te laisse dominer par la peur cruelle

Sois dans ton présent la voyageuse zélée.

Travaille, ne reste au bas de l'échelle

Agis avant de voir ta jeunesse ridée

Écris de tes doigts ta légende personnelle

Sois la gérante de ta propre destinée

Tu as les outils pour verdir tes champs mortels

Où les fleurs qui y poussent sont vite fanées

99
Les rosaces ont besoin d'eau et de soleil

Pour gagner le parfum et garder la beauté

A toi les beaux trophées, les rubans de lumière

A toi le monde aux paysages attrayants

Ne te soucie guère des critiques acerbes

Et va chanter la vie là où le pas te prend

Et le rêve continue...

J'ai fait de l'histoire des hommes un portique,

Une voûte céleste au large évasement

Pour voir couler mes jours sans ces angles à-pic

Auxquels les destinées se heurtent si souvent.

En flèches adressées à l’azur magnifique

Vers lequel mon cœur fuse si lestement,

Et lorsque le rêve envoie son festival magique

Rampe à mes pieds le bonheur à l'aube et au couchant

100
L’amour inconstant

Amour au printemps

Léger comme le vent

Sa trace s’efface

Avec la rosée du matin

Amour en été

Comme un petit jouet

Il ravit l’enfant

Juste un moment

Amour en automne

Comme un ivrogne

L’effet de son vin

Prend fin au matin

Amour en hiver

De verglas couvert

Le verglas se déglace

L’amour suit sa trace

101
Ève

Je bénis tes mots

Tes yeux noyés d’eau

Tes tresses et ta chair

Tes bobos sur le dos

Je bénis ta grâce

Ta beauté, ton audace

Ton joli cœur volage et

Le teint de ta peau

Je bénis ton éclat

Je bénis ta joie

Le timbre de ta voix

Limpide tout comme l'eau

Je bénis ton front

Tes cils papillons

Et la couleur qui drape

Ton regard enfant

102
Je bénis tes lèvres

Je bénis leur sirop

Tes courbes et tes formes

Aux p’tits et grands défauts

Je te bénis déesse

Je bénis tes prouesses

Le lot de tes promesses

Même s'ils sonnent faux

103
Fethia Brouri

Ecrivaine, poétesse, membre de l'Union des Ecrivains Tunisiens,


coordinatrice de son club Dialogue avec les écrivains francophones et
présidente du Salon de Littérature contemporaine. Elle a publié quatre
recueils de nouvelles et un de poésie :

1-Par Amour recueil de poèmes 2008


2-Faits divers recueil de poèmes 2012
3-Etrange Rencontre et autres histoires recueil de nouvelles 2015
4-Le Rêve américain et autres histoires recueil de nouvelles 2019
5-Je me perds dans mes vers recueil de poèmes 2020

104
L'Artiste

Témoin omniprésent

A travers tous les temps

Pour témoigner avec talent

De différents évènements

Qui marquent la vie des gens

Qu’il soit peintre ou sculpteur

Cinéaste, réalisateur ou acteur

Ecrivain, poète ou conteur

Parolier, compositeur ou chanteur

Acrobate, jongleur ou danseur

Il contribue à sa manière

De porter la lumière

Sur certains faits divers

Et même des abus du pouvoir

Assumant ainsi son devoir

105
Il risque parfois la potence

Et de souffrir de carence

Mais rien ne peut l’empêcher

D’exprimer ce qu’il pense

On cherche alors à l’écorcher

Mais tentatives vaines

Par ces bourreaux de la haine

Dépourvus de valeurs humaines

Qui parfois le traînent

Devant les instances suprêmes

Mais l’artiste résiste

Et dans son délire persiste

Comme pour dire j’existe

Il crie fort et haut sa colère

Pour condamner les barbares

106
Il glorifie la République

Et maudit la supplique

Il clame la justice

Et dénonce le supplice

Mais jamais, il ne se rabaisse.

Ténacité

Au gré du vent, j’avance

Et des menaces, je m’en balance

Je dis toujours ce que je pense

Peu importe la sentence

Je sais que parfois cela blesse

Certaines personnes dont les faiblesses

Leur font perdre leur sagesse

Alors, ils s’emportent, ils m’agressent

Et ils profèrent contre moi des menaces

107
Mais cela davantage me pousse

A exprimer haut et sans cesse

Ce que je pense avec hardiesse

Sacré Poète!

Ta plume fait valser les rimes

De tes écrits et poèmes

Emane une douce musique

Qui nous transporte dans un monde féerique

Tes écrits sont parfois de terribles cris

Pour dénoncer la barbarie

D'autres des douceurs enfouies

Qui bercent nos sens à l'infini

Tu vis bien à ton rythme

Tu cries, tu maudis

108
Tout ce que tu dis

Nous charme à l'infini.

Lire

Ma passion de lire et lire

Me pousse parfois au délire

Et m'empêche de dormir

Cette passion douce et immortelle

Fait de moi une grande sentimentale

Peut-être me rend-elle éternelle?

Lire pour moi c'est le fil d'Ariane

Le vrai oxygène

Qui me rattache à la vie

Et me fait encore et encore renaître.

109
Le monde en détresse

Le monde sombre dans la folie

La haine hante âmes et esprits

Les guerres ravagent tout

Et la souffrance règne partout

Des êtres mutilés

Des femmes violées

Des enfants maltraités

Et souvent exploités

Le monde est au seuil du gouffre

Enfants, jeunes et vieux souffrent

Pourquoi tant de tristesse

Et tous ces êtres perdus en détresse ?

Pourquoi autant de peine

Et toute cette haine ?

Qui sauverait l’univers

De ses maux divers, de cet enfer?

110
La Tirelire

L’enfant est heureux d’avoir une tirelire

Chaque matin, il y met quelques sous avant de partir

Il la voit de plus en plus s’alourdir

Il rêve déjà de faire le tour du monde

Et surtout de visiter Disney land

Mais voilà qu’un jour, le rêve est rompu

Puisque la tirelire a disparu

Il est tout en pleurs

Il n’arrive pas à comprendre

Pourquoi on lui a volé sa tirelire

Sa mère essaye d’essuyer ses larmes

Mais l’enfant réclame son arme

Et se demande pourquoi on le désarme

De sa tire lire qui incarne son rêve

Qui lui permettrait un jour de son cocon sortir

111
Pour le monde aller découvrir

Il continue à pleurer sans trêve

Il réclame sans cesse sa tirelire

Aucune explication ne puisse le satisfaire

Sa mère impuissante se fond en larmes

Elle ne peut pas lui avouer son délire

Son mari depuis longtemps chôme

Elle a cassé la tirelire

Pour subvenir à ses besoins de môme

Et elle ne sait pas comment le lui dire

Elle vient de tuer le rêve de son petit

Alors que l’idée ne lui a jamais effleuré l’esprit.

112
Ma Femme

Ma femme

Je ne la veux pas parfaite

Ni trop bien faite

Mais juste prête

A payer mes dettes

Sans trop s’en prendre la tête

Ma femme

Je la veux docile

Voire même trop facile

A la limite débile

Pour gober mes idées malhabiles

Ma femme

Je ne la veux pas intellige

113
Ni trop pensante

Surtout pas méchante

Ni trop bruyante

Ma femme

Je la veux chouette

Si possible coquette

Et surtout prête

A pardonner mes conquêtes

Ma femme

Je ne la veux pas mélancolique

A la rigueur antipathique

Elle laisse passer mes tics

Sans jamais penser à l’éthique

Ma femme

Je la veux patiente

Toujours à la recherche d’une entente

114
Qui à mes idées soit satisfaisante

Même si elles ne sont pas convaincantes

Ma femme
Je ne la veux pas ignorante

Ni trop bête

Mais juste un peu instruite

Et ne pensant qu’à faire la fête

Ma femme

Je la veux généreuse

Peu importe si elle n’est pas heureuse

Elle ne doit pas se plaindre de mes combines dangereuses

Ni paraître malheureuse

Ma femme

Je ne la veux pas inquiétante

Ni trop gémissante

115
Mais juste prête

A payer mes dettes

Sans trop s’en prendre la tête

Tabous

On m’a élevée avec sévérité

Selon les vertus de la société

En tant que jeune fille, je dois être rangée

Et nullement gênée

Je dois faire preuve de docilité

De dévouement et de fidélité

Pour perpétuer les valeurs d’une société

D’une société révolue, une société patriarcale

Erigée par mes ancêtres depuis des siècles

Je ne dois pas protester

Mais obéir et mon sort accepter

Accepter d’être dominée par le mâle

116
Sans jamais oser dire avoir mal

Dans ma société, la liberté de la femme

Pose un grand dilemme

Après l’avoir pensé acquise

Aujourd’hui, de nouveau la polémique, elle aiguise

Certains fanatiques, de tabous, la femme accusent

Et tiennent à ce qu’elle soit recluse

Ils pensent qu’elle est la mère de tous les vices

Et que l’homme a le droit de lui affliger tous les sévices

Pour à la société rendre service

Polygame

Polygame, tu es infâme

Tu disposes à ta guise des femmes

Tu épouses la première

Et tu lui fais croire

Qu’elle est reine

Et la danse, elle mène

117
A peine le bonheur, elle aperçoit

Alors, tu l’envoies

Demander la main de la seconde

Qui devrait être féconde

Pour que la tradition ancestrale, elle répande

Enfanter c’est un devoir

Auquel elle doit fermement croire

Une fois sa santé se fragilise

Pour une autre, tu la délaisses

Et tu te maries avec une jeune

Belle et surtout sans gêne

Pour raviver tes désirs

Et l’impression d’être encore jeune te sentir

Mais comme tu es frivole

Si vite vers une quatrième, tu t’envoles

Cette dernière est une gamine

Poussée dans tes bras par la famine

En t’épousant, elle croit trouver le bonheur

118
Mais tôt, elle se rend compte de son malheur

Tu règnes sur cette gente de femmes

Si l’une d’elles proteste Vite, tu la détestes

Et tu la répudies ferme

Pour s’envoler avec une autre femme

Polygame, tu es infâme

Narcissique, sadique et sans âme

Bientôt le déluge

Il pleut des cordes et des chats

Les chats de gouttières guettent leurs proies

Les proies se cachent dans multiples endroits

Endroits sordides, sombres et noirs

Le noir règne partout

Tout le monde craint le déluge

Le déluge viendra-t-il peut-être

Peut-être sur tous les maux

119
Les maux dont le monde souffre ?

Les souffre-douleurs auront-ils la paix ?

La paix de l’âme et de l’esprit

L’esprit a beaucoup souffert de la cruauté

La cruauté sous ses différents aspects

L’aspect qu’il soit physique ou moral

La morale n’a plus lieu d’exister

L’existence devient impossible avec ces magnats

Ces magnats de l’économie et de la politique

Leur politique abominable a tout détruit.

120
Ismahen Khan

Amel Ladhibi Bent Chadly, nom de plume Ismahen Khan, prix


d’encouragement pour la Tunisie, attribué par le Forum Femmes de la
Méditerranée pour sa nouvelle Le désert de mes silences.
Ses œuvres :
-Depuis 2017, elle écrit des haïkus traduits en japonais et des
gogyohkas traduits en italien.
- En 2019, elle a participé au cinquième volume de l’anthologie de
haïku University..
-Elle participe au volume 6 de 2020 avec 150 Hajjins du monde.

121
Réminiscence

A l’infini des rives insondables

Le feu de l’automne brûle

Les feuilles les arbres

Le feu creuse l’incommensurable

Question du sens de la vie

Le feu ravive la mort de nos atomes

Miroir qui multiplie le gouffre immatériel

Le feu et ses laves creusent la nuit

Brûlures de l’âme immuable

Écriture de l’immortalité

Prière mystique ...crépite le silence ...

Art poétique

De mes écrits jamais inédits

Les pétales d’une rose séchée

Et l’encre diffus sur le papyrus

122
En plein en délié

En délire, en ébullition

Des larmes séchées

Des soupirs étouffés

Des hémorragies cycliques

De poèmes morts -nés

Des crues de toutes saisons

Sur les rives du temps

A la recherche de soi

Des fils en soie

Tissage de patience

Habillés mes écrits

A la recherche des années

Révolues

Et révoltées

Cette image de la poésie

Dans mes écrits engagés

123
Dans l’humain Le féminin ...

La vie des mots vibre

A chaque souffle

De tout son cœur

De tout son corps

Elle s’en va

Au fil

Des instants ....

Rencontre

Quelque part

Une femme aux yeux bavards

T’attends

Quelque part

Ses mots de brumes

Ses poèmes de nuages

Ses tableaux

124
De tonnerre d’éclair

Traversent le temps

Te parviennent

Avec le vent

Quelque part

Et nulle part

En traversant la lumière

Une femme de feu

Son cœur en flammes

Sans âge

Elle traverse les vagues

Pour te rencontrer

Quelque part entre rêve et réalité

Elle disparaît..

125
Pensées

Et si les fleurs

Portent le nom

De nos manques

De nos âmes

Nostalgiques

Et si les fleurs

Portent le nom

De nos pensées

Non dites

Nos âmes mis à nue

Se couvrent de pétales ...

Poèmes pour la paix en Palestine

Sur les arabesques

Lascives de ma langue

Maternelle

126
Glissent sur un arc-en-ciel

Tous les mots d’amour

D’adoration d’espoir

Paix liberté indépendance

Cohabitation pacifique

Ou pacifiste d’un pays

Nommé mal aimé

Palestine

Par ces neuf lettres de l’alphabet

Arrivent les souvenirs des milliers d’années

Le désert a vu naître toutes les religions ...

Enlevez la poussière de l’histoire

Sur les papyrus brûlés par les guerres ...

Toutes les mains tendues sont trahies ...

Impossible les tentatives de paix

Noirceur du ciel des lieux saints

Entendez ces prières des prisonniers

Par ces fêtes que vous célébrez au nom des textes sacrés

127
Arrivent les pleurs des enfants torturés tués

La délivrance s’éloigne et les coups de feu

En cavale se font entendre de loin de prêt

Sur le mont de piété ou dans la mosquée d’Al Qods

Tu es la capitale de tous les pèlerins et des pieux

Incroyables fouilles et ineffable les cris des murs

Nait de chaque gravas qui s’effrite un soupir un cri

Éternelle ville sacrée et massacrée à chaque instant

D’où viennent mes inspirations ?

Mes poèmes me parviennent

De ces vagues langoureuses

De ce ciel hésitant et si odorant

Des frémissements des jasmins

Balbutiements d’un bébé

Moment cristallin

Entre le jour et la nuit

128
Une étoile qui scintille

Mes poèmes des rêves éveillés

Lumière d’un jour d’été

Fragile passage d’éternité

Ils me surprennent

Méditation douce

Murmures d’un sourire

Reflets sur une goutte d’eau

Mes poèmes accostent

Aux rives azuréennes

Aux cimes des palmiers

Se colorent de sourire d’enfants

Mes poèmes naissent

Estampes d’Asie

Sur le papyrus jauni

Parsemés de rosée ....

129
Fenêtre sur l’océan

Ouvrez vos fenêtres

Sur l’immensité de l’océan

Réalisez vos rêves et vos espoirs

Rapprochez-vous de la voie lactée

Et la lumière vous habille

Dans la nudité de la nuit

Elle purifie votre cœur

Trempé dans l’instant féerique

Vos regards ce chant ineffable

Écoutez la musique séismique

Des étoiles qui brillent

Écoutez ces nuits infinies

La vie est là saisissante

Dans la brillante illumination ...

130
Pour la paix en Palestine

Dans l’immensité

Étendue des vagues

Je voulais sauver

Un peuple qui vivra

Dans la paix

Dans l’immensité

Étendue du désert

Deux peuples

Se déchirent

Et des prophètes

Cohabitent En paix

Dans l’immensité

Étendue du ciel ....

131
Pour lui

..... C’était une journée Comme tant d’autres

Une journée pleine de lumière, jusqu’au moment où les détonations

déchirent le silence et le ciel

Ces quelques coups de feu, plusieurs, deux ou quatre l’ont

fait taire à jamais

Son sang déversé sur la banquette de sa voiture ....

le 6 février 2013

Zone d’ombre cette tâche de sang

Il part vers le ciel bleu et des robes noires pendant des années se

mettent à vouloir élucider le mystère

CHOKRI BELAÏD

Pandémie

Elle survient en 2020

La vague virale

Le monde autrement

132
S’endorment seules

Toutes les rues tristes

Et les avenues fantômes

Nous regardons

Par les fenêtres

Nous retenons

Notre souffle

Tout ce calme

Autour de nous

S’arrêtent de décoller

Les avions

D’amarrer les paquebots

Le confinement

Et les écoles ferment

Leurs grandes portes

Et les cours sont vides et silencieuses ....

133
Sablier

Les lisières infinies

Des cieux se colorent

Des rayons mordorés

D’un crépuscule

Descente en crescendo

Telle une musique

Les rayons passent

Du rose au rouge intense

La nuit de loin

A retardé son envol,

Les aquarelles aquatiques

S’étendent sur la plage

Les vagues

Un métronome

Rythment le silence

134
La lune est là

Entre les replis

Du ciel

Déplacement

Du jour

A la nuit ...

Gauche à la main

Droite

Notre amitié

135
Elsie Suréna
Elsie Suréna produit depuis une douzaine d'années dans les genres
brefs, notamment poésie et récits, tout en s'adonnant à la traduction
littéraire. Également photographe, elle a exposé en Haïti, aux États-Unis
et au Canada. Haïkiste reconnue, elle a obtenu le Prix Belleville-Galaxie
au 5e Grand Concours International Marco Polo de Haïku (France, 2009)
et une Mention Honorable à deux reprises au Concours International de
Haïku du Mainichi Daily News (Japon, 2009, 2014). Elle écrit surtout en
français et en créole haïtien. Ses textes figurent dans diverses revues et
anthologies, y compris en ligne, et plusieurs ont été traduits en anglais,
portugais, espagnol et japonais.
Illustré de ses photos, Reflets d’automne dans la Mattawishkwia
sorti en mars 2017 aux Éditions Cantinales réunit haikus, haïbuns et
prose. Installée au Canada depuis 2010, elle vit à Hearst, en Ontario, et
poursuit un baccalauréat en Études et pratiques littéraires à l’Université
Laval de Québec. Elle est membre de l’Association des auteures et
auteurs de l’Ontario français (AAOF) et du Bureau des Regroupements
des Artistes visuels de l’Ontario (BRAVO).

136
Tu invites Francis Cabrel, j’oublie tes chaines.

Enlacés dans la morsure de février, nous franchissons à moto les

interdits des autres.

Ton amour me brûle les yeux

et le corps; tu es mon premier carnaval.

Des nuages au bout des doigts et le goût de toi aux lèvres, nouvelle

Reine de Saba, je t’offre une à une les pépites de mes vingt ans.

Des larmes et de nos chemins de traverse,

aucun regret

**********

137
automne

flamboyance et fragilité

**********

Hurlant à la lune

Des branches d’épinettes noires

Tremblotent

**********

138
La saison

de solitude

aux visages masqués

jaunit les espoirs

effeuille les rêves

déprime et tue

Les eaux têtues

de la Mattawishkwia

clament à tue-tête :

Vive qui veut vivre !

tandis qu’un cadavre

remonte sans bruit

du fond brunâtre

**********

139
Soir

Départ

j’arrive trop tôt angoisse

Laisser le temps

Filer

Un lieu

sans vous

Rumeur d’averse

**********

140
vent frisquet

des feuilles mordorées jonchent le gazon –

que deviens-tu ?

**********

141
Vent taquin ce soir

des mouettes batifolent à deux

près des enfants

Sentirais-je encore tes doigts

lentement

défaire mes tresses?

142
**********

Dis, écoutes-tu parfois les alizés ramener mes chuchotements

indiscrets à tes oreilles dont j’aimais sucer le lobe doux-amer,

éclaboussé de lotion après-rasage ?

Dis, te rappelles-tu encore la très mienne senteur d’algues

fraiches?«

Ces algues ont la fragrance de ton désir au petit jour »,

murmurais-tu lors de notre escapade à Cyvadier l’été dernier.

Dis, te souviens-tu au moins de ces baisers rieurs dont tu

m’inondais toute sous les hésitantes bruines de novembre ? « Pour

que tu cesses de détester la saison des pluies », disais-tu.

Que Cyvadier semble triste en janvier, lorsque la pluie chuchote de

douloureux souvenirs au feuillage !

143
**********

En mal de pluie, les nuages rompent les eaux d’un coup

Odeur de moisi et de copeaux d’épinettes.

Du liquide glacé s’immisce dans mes tresses, me titille le cou, perle

mes cils

Mille après mille s’échappe d’un véhicule solitaire

Abri discret d’un porche. Déjà plusieurs flaques où jouent des

ronds enfantés par de grosses gouttes

Ma vue se brouille et m’apparait la théière qui chante des volutes de

verveine, posée à côté d’un recueil

de Nelligan

Une madeleine avec, juste une

Dans l’air frais et vif, la hâte de te retrouver près des chenets de fer

**********

144
Si jamais j'oublie un jour

la stridente note des cigales blessant l'été

et la route du Saint-Laurent lourd de majesté

Si jamais j'oublie un jour

la lumière tremblante de tes yeux

et la chaleur de ta paume le soir de ton aveu

Si jamais j'oublie un jour

ces chansons souvent fredonnées ensemble

et les cadeaux échangés en décembre

Si jamais j'oublie un jour

le rond visage de ton meilleur copain

et l'entrée arrière de notre petit jardin

145
Si jamais j'oublie un jour

les vacances volées à nos agendas chargés

Et nos rendez-vous d'amoureux attardés

Si jamais j'oublie un jour

Les cicatrices que notre vie t'a fait à l'âme

et ces rides qui pour toi ne sont pas un drame

Si jamais j'oublie un jour

ton infidélité tel un soudain orage

et ces sautes d'humeur mises au passif de l'âge

Si jamais j'oublie un jour

l'insoutenable chagrin du décès de ta mère

et l'accident qui faillit te coûter ta carrière

Si jamais j'oublie un jour

le nombre de nos enfants, petits-enfants

et les anniversaires les plus marquants

146
Si jamais j'oublie un jour

le lieu où je naquis, là-bas au pays premier

et la précise place des mois du calendrier

Si jamais j'oublie un jour

ta tendresse qui résista aux vents et marées

et ces mots et gestes qui souvent l'ont manifesté

Si jamais j'oublie un jour

ton nom sous l'effet de l'impitoyable maladie

et qu’elle efface aussi l’amour de ma vie

Alors souviens-toi de nous deux

Souviens-toi pour deux

147
Monia Tuniselle
Professeure de français ayant publié sous le nom de Monia Belazi depuis l’an
2000 :

- La série jeunesse Mon ami le livre 5 titres édition Sildar Tunisie

- La série Souviens-toi, Sarra 5 titres édition Sildar Tunisie

- La série Une comète raconte 8 titres édition Yamama Tunisie

- Environ une quarantaine de titres d’adaptation en français facile


d’œuvres littéraires universelles éditions Slidar et Yamama

- Un recueil de poèmes Pygmalion du langage autoédition

- Un recueil de poèmes en co-édition Eclats de vers édition Princesse

- Une participation au recueil de poèmes collectif Le Damier édition


Feel, France.

Prix littéraires :

- Prix d’excellence des poètes caudaciens en 2000 pour sa participation


au concours L’envers des vers

- Médaille d’argent à la foire du livre de Sfax en 2002 pour la série


mon ami le livre

148
Dans une autre vie

Dans une autre vie, les fleurs enfantaient des étoiles

Les fées jouaient avec des papillons de lune de miel

Les rires dansaient dans des forêts tropicales

Et le soleil était éternel et la chair immatérielle

Tu m’aimais.

Dans une autre vie, j’étais pétale de rose frêle

Aile de séraphin voltigeant autour de ta corolle

J’étais houri baignée de satin, sublime et irréelle

Chuchotant à Eros mes idées les plus folles

Je t’aimais.

Dans une autre vie, tu coulais, divin nectar,

En mes veines et je dormais au creux de ta paume

Je m’abreuvais de ta voix et de tes regards

Tu cueillais des nuages et m’en faisais des psaumes

Tu m’aimais et je t’aimais.

149
Dans une autre vie, nous avions des peaux magnétiques

Nos chairs, souvent, jouaient à se désintégrer

Nos âmes habitaient des palais magnifiques

Des elfes faisaient les récoltes de nos pommiers

Nous nous aimions.

Dans cette vie-ci, des barbelés nous séparent

Des nids de vipères jonchent les chemins

Les jours passent comme des corbillards

Le destin a été imbibé de gouttes de venin

Je t’aime encore !

Et je t’invente à ton image, doux mirage

Et je ferme les yeux sur ton visage

Et je ferme tes yeux sur mon rivage

Et je me love au creux de la page

Miraculeux vaisseau qui voyage

Vers les vies antérieures

Vers les rêves, vers les chimères

Vers la céleste cité du bonheur

150
Où nous attend notre chaumière.

Dans une nouvelle vie peut-être

Le son de ta lyre me fera-t-il renaître.

Poésie nocturne

Les vers se versent en averse et traversent les chairs.

Les nuits cumulent les rêves divers et déversent les vers.

Jeux de je. Jolie jeune fée, muse qui s’amuse à me taquiner.

Je n'ai plus le goût de jouer. Il a trop plu.

Je rentre vers mon antre.

Délire de lire le destin clandestin contre ton sein, Ô mère !

Je veux rentrer dans ton ventre douillet et me recroqueviller.

Le chemin de traverse a été un chemin de croix.

Désolée.

Désolée d'être née.

J'ai pas fait le bon choix.

J'aurais dû demeurer en ta chair et faire des vers.

151
Mais je suis en dehors de toi et dedans l'hiver, Ô mère !

Tu reviendras, dis ? et nous traverserons la vie à l'envers.

Je redeviendrai joli bébé rieur et toi, hirondelle

Je dormirai, apaisée, sous le duvet de ton aile.

Et les vers n'auront plus de revers à exprimer.

Les vers seront les messagers de ma paix.

AGARTHA

Errante de l'azur déchiqueté

Amante d'une étoile chauffée à blanc

Jalousée par les naines, adulée

Par la lune de mon firmament

Mère minérale, océan de vie

Abritant vos rêves dans mes nids

Et versant mon éther sur vos douleurs

M'accrochant à la danse céleste

Fière de vos rires et de mes couleurs

Depuis que l'aube de votre humanité

152
Succéda à la nuit de mes temps

Commença ma géhenne mais

Je ne l'ai compris que maintenant !

Hommes ! j'ai mal au ventre !

Vous me nourrissez de sang

Vous me servez des pleurs

D'enfants en cadavres hachés

Des cœurs d'acier à grignoter

Des plats poivrés aux malheurs

Des gémissements pour dessert

Et le pire, c'est que vous croyez bien faire !

J'ai honte d'avoir misé sur vous

D'avoir versé l'eau de mon ciel

Sur vos visages de loups

Sur vos cœurs de fiel

Hommes, chaque matin, mon étoile

Pose sa lumière en doux baiser

Sur les fronts de toute l'humanité

153
Et vous vous levez, ragaillardis

Hélas ! vous écrasez la libellule

Qui voltigeait, crédule

Pour fêter votre réveil

Et vous épaulez votre haine

Et se meurt l'abeille

Et tarissent mes veines

L'eau de mon ciel a un goût de souffre

Les roses se plaignent de la rosée

Elle irrite les pétales, elle sent mauvais

Les pommes enflamment vos gosiers

Ma mer est un terrible gouffre

Où vos marées noires dessinent vos repères

Votre vie est une sale guerre

Dont je n'ai que faire !

Laissez-moi à ma ronde, à ma transe

Autour de mon soleil déçu

Je veux regagner son estime

154
Redevenir sublime

Retrouver mon bleu qui a viré au gris

Revoir mes abeilles et reconstruire mes nids

De vous, je ne veux plus !

Gaïa ! je suis Gaïa ! non ! je ne le suis pas !

Je suis la douce Agartha

Couverte d'ivraie mais plus pour longtemps

Je vous catapulterai en un rien de temps

Hors de moi, hors du temps

Alors ma vie intérieure s'épanouira

Et de mes entrailles jaillira

Une humanité digne de moi.

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Le poème comme il vient

Les uns naissent humains

Les autres poèmes

Les uns s'incarnent en chair

Les autres en vers

Je n'ai jamais écrit de poésie

Les termes s'agencent d'eux-mêmes

Le poème existe depuis la création

Mes doigts le frôlent et

Lorsqu'il se sent en confiance

Il en oublie son essence

Et se coule dans mes paumes arrondies

Je l'entends ronronner

Alors, je le pose dans le berceau

Des mots

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Ce livre est produit par :
SO.W.ED
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3 rue El Kram Radès 2040
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Prix unitaire : 25 Dinars tunisiens – 15 Euros – 18 Dollars canadiens

ISBN 978-9938-9966-0-9
Dépôt légal 3ème trimestre 2021

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