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Maryline Filippi évoque le concept de souveraineté alimentaire,

remis sur le devant de la scène suite à la pandémie de COVID-19.

La souveraineté alimentaire est définie comme le droit des peuples à définir leur propre alimentation
et agriculture. Plus précisément, elle inclut leur droit à̀ protéger et à réguler la production agricole
nationale et le commerce afin d’atteindre des objectifs en termes de développement durable ; à
déterminer leur degré́ d’autosuffisance ; à limiter les pratiques de dumping de produits sur leurs
marchés. Il s’agit non pas de limiter le commerce international dans une perspective de repli mais de
favoriser des pratiques commerciales pour garantir l’accès à, et le contrôle de, l’alimentation des
peuples dans le respect de l’environnement (WINDFUHR and JONSEN, 2005 ; Delvaux, 2013 ; Filippi,
2020).

Rappelons que selon Malassis (1994), « le système alimentaire, c’est la manière dont les hommes
s’organisent, dans l’espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture ». Ainsi,
l’objectif d’un système alimentaire est-il de garantir l’accès de tous à une alimentation en quantité,
culturellement acceptable et dont les qualités sanitaires et nutritionnelles sont jugées satisfaisantes.
L’alimentation demeure indissociable de l’agriculture, mais aussi de la transformation et de la
logistique pour des chaînes de valeurs durables et équitables.

La souveraineté alimentaire ne doit en effet pas être confondue avec des termes proches comme :
- la sécurité alimentaire (Food Security) : avoir un accès à une alimentation (accès aux terres, pouvoir
d’achat), une disponibilité suffisante en quantité et en qualité, saine et nutritive.
- la sécurité sanitaire (Food Safety) : ne pas être malade, avoir des aliments sains, comestibles.
Ainsi la souveraineté alimentaire ajoute une dimension politique, celle d’une communauté, d’une
région ou d’un Etat à décider de ses choix en matière d’alimentation sans pour autant basculer dans
une indépendance alimentaire.

Mettre en œuvre une souveraineté́ alimentaire repose sur différents principes imbriqués :
- L’alimentation se doit d’être considérée non pas comme une simple commodité́, source de
profit ou objet de spéculation, mais comme un bien collectif.
- Le principe de la reconnaissance de la valeur et la protection des producteurs alimentaires
s’impose pour reconnaître leurs droits ainsi que celle des services environnementaux qu’ils
rendent à la société.́
- La protection des ressources naturelles devient un principe essentiel pour s’assurer que le
système de production, de transformation, de distribution et de consommation ne se fasse
pas au détriment de l’environnement. Concevoir des agroécosystèmes durables permet de
garantir une meilleure résilience des systèmes
- Le principe de renforcement des systèmes alimentaires localisés permet de rendre la priorité́
à l’alimentation locale, régionale et nationale plutôt qu’à l’exportation.
- Le principe de contrôle démocratique permet la participation active des personnes et de leurs
organisations dans l’élaboration des politiques agricoles les concernant en tenant compte des
dimensions sociales et environnementales. Il s’agit d’interdire la privatisation des ressources
naturelles, comme l’eau, afin de renforcer l’accès et le contrôle des ressources par les individus
eux-mêmes. Cela inclut également la prise en compte d’une gouvernance économique
internationale pour restreindre l’emprise des multinationales.
- Enfin, l’éducation et la production de savoirs autorisent la création de connaissances et de
capacités collectives d’adaptation impliquant producteurs, consommateurs, chercheurs et
pouvoirs publics pour favoriser la maîtrise et la dissémination des connaissances afin de mettre
en œuvre des solutions innovantes adaptées à chaque contexte.

Souveraineté́ alimentaire, produits d’exportation et commerce international :

Loin de signifier un enfermement, la souveraineté alimentaire repose sur un équilibre entre


productions locales et cultures d’exportation, pour autant que ces dernières se développent dans le
respect des communautés locales et des systèmes alimentaires localisés. La souveraineté́ alimentaire
est donc un processus devant mener à l’instauration et au renforcement de systèmes alimentaires
localisés, résilients, durables, démocratiques, ancrés dans les droits humains.

La Covid-19 a accéléré le besoin de transitions vers des systèmes alimentaires automnes et


responsables. Elle a joué comme un révélateur de l’importance de l’alimentation. Alors que les crises
alimentaires semblaient réservées aux pays en développement (comme la crise de 2008), les pays dits
développés ne pensaient pas être confrontés à ce risque en raison de systèmes agricoles et agro-
alimentaires robustes, exportateurs et diversifiés. Elle a aussi révélé ses vulnérabilités (avec le manque
de main d’œuvre agricole, le rôle des data, …) et des fragilités, des fractures territoriales et sociales.

Au Nord comme au Sud, la souveraineté alimentaire impose de repenser les systèmes alimentaires et
de lutter contre l’insécurité́ alimentaire (faim, surpoids, malnutrition...) et la pauvreté́ (qu’elle soit
urbaine ou rurale). De nombreuses initiatives existent au Nord comme au Sud, dans les zones rurales
comme urbaines. Mais cela ne peut se faire que via des politiques publiques coordonnées et
cohérentes, afin de lutter contre des pratiques d’approvisionnement en aliments à bas prix accroissant
les inégalités entre les producteurs et les consommateurs.

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