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ASSEMBLEfc; NATIONALE —l * SEANCE DU 4 MAI 1950

Il nous restait certainement beaucoup à faire. Nous avions façon dont on a lancé en pâture à l'opinion publique les noms
encore à examiner la question (le la corruption, sur laquelle de 98 des membres de cette Assemblée, manœuvre intolérable
M. Depreux avait été chargé de dresser un rapport. J'ignore quel de la part d'un service chargé de faire la vérité et non pas
sera le sort de la commission dans l'avenir. Ce que je tiens a d'intoxiquer l'opinion publique. (Applaudissements sur de nom-
dire simplement sur ce point, dans l'état actuel de nos travaux, breux bancs à droite, au centre et à gauche.)
m risque de décevoir les amateurs de scandale, c'est que la M. Henry Bergasse. C'était une manœuvre de diversion.
corruption m'a certainement pas été ce que l'on en a dit.
On a jeté dans le public la comptabilité de Van Co. Ces papiers M. Jules Moch. La lumière sur ce point devra également être
ont circulé dans de nombreux journaux. On a parlé de ban- faite.
quets et de bien d'autres choses encore. J'ai la conviction, mes- M. Guy Petit. Voulez-vous me permettre de vous interrom-
dames, messieurs, que la corruption dans cette Assemblée, si pre, monsieur July ?
¡corruption il y a eu, s'est réduite à des choses infimes, et il
¡n'est pas possible de faire, à cette occasion, une comparaison M. Pierre July. Volontiers.
(quelconque entre le scandale dit.« des généraux » et l'affaire
fctavisky ou celle de Panama. C'est une plaisanterie que d'avan- M. Guy Petit. La commission a-t-elle été informée du fait que
(per des choses comme celle-là. le colonel Fourcaud avait été suspendu de ses fonctions, quel-
On a fait reproche à certains de nos collègues d'avoir assisté ques jours avant sa comparution .devant la commission d'en-
& des banquets organisés par Van Co. Van Co a apporté devant quête, par son chef hiérarchique M. Ribière, et que cette sus-
la commission ses titres de créance. Il était le conseiller officiel pension aurait été levée, par décision de M. le président du
du Viet Nam; il était même, je le dis pour ceux qui ne le conseil, trois jours avant la comparution du colonel Fourcaud
s a v e n t pas, un fonctionnaire du haut commissariat français. Des comme témoin devant la commission d'enquête ?
barfquets étaient organisés par ses soins, auxquels assistaient Je pose une autre question. Est-il d'usage qu'un fonction-
des ministres de la République, .des présidents d'assemblées naire se promène en ayant dans sa poche des pièces extraites
élues, des présidents de commissions et de groupes parlemen- d'un dossier de son service et que ces pièces ou cette pièce
taires. Je ne vois vraiment pas comment on peut sérieusement soit sur lui précisément le jour où il va être interrogé sur
reprocher à des députés, dont j'étais — et si c'était à refaire, je des faits qui concernent le dossier, sans avoir préalablement
recommencerais — et qui croyaient servir leur pays, d'avoir informé son chef que cette pièce était distraite du dossier ?
assisté à ces déjeuners.
Puisqu'on tfaite une pièce de ce genre de torchon, je pense
M. Edmond Michelet. Très bien 1 qu'il n'est pas habituel de se promener avec un torchon dans
la poche intérieuie de son veston, et qu'il est tout à fait anor-
M. Pierre Juiy. On a parlé, au cours de la procédure, mal que ce fait n'ait pas donné par la suite lieu à sanction,
'd'argent qui aurait été versé à cette occasion pour acheter des parce que si des pièces du dossier du service de documentation
(consciences. extérieure et de contre-espionnage, puisque c'est le nom
Nous n'avons exactement rien trouvé de semblable dans les complet du S. D. E. C. E., devaient être fournies à la commis-
procédures qui nous ont été soumises. Nous avons posé la sion, ce ne pouvait être que par décision de M. le président du
¡question à de nombreux témoins. Je me rappelle l'avoir conseil.
personnellement posée à Van Co. Dans ce cas, il est bien évident, il est tout au moins à présu-
Lorsque je lui ai demandé ce qu'il savait de la corruption, il mer, que M. le président du conseil aurait estime que les « tor-
ïn'a répondu: Vous cherchez la corruption là où elle n'est chons » ne devaient pas être remis à la commission d'enquête,
pas. Je regrette de ne pas avoir le compte rendu sténographique tandis que les pièces sérieuses devaient lui être remises.
de cette addition. Nous avons travaillé tellement vite que Il y a là des faits assez troublants qui sont peut-être un peu
l'impression est en retard ; mais je me souviens que Van Co extérieurs à l'affaire...
jm'a répondu : La corruption, cherchez-la autour des sociétés
XTimport-export. M. Jules Moeh. Non, non. pas du tout!
Il est possible — je dis bien : il est possible — qu'autour de la M. Edouard Depreux. Ils sont, au contraire, au centre même
'société Rossi-Peyré-Costa-Bouzanquet, se soient produits des de l'affaire.
opérations irrégulières, peut-être même des délits graves de
r corruption. Mais nous n'avons pas de précisions sur ce point. M. Guy Petit. ...mais il est permis, à cette occasion, de poser
D'ailleurs, la commission peut difficilement enquêter à cet des questions précises. Je le fais en toute objectivité, car ces
légard. Nous ne pouvons pas nous transformer en policiers. faits m'ont frappé.
La commission d'enquête a demandé à M. le garde des sceaux Je me suis demandé quelle abominable arrière-pensée pou-
l'ouverture d'une instruction. Cette instruction a été ouverte. vait se dissimuler derrière une manœuvre à la fois aussi
C'est M. Pottier qui a été chargé d'instruire cette affaire, à l'oc- condamnable et aussi enfantine. J'estime que les investigations
casion de laquelle nous avons pu solliciter du Gouvernement de la commission doivent porter sur ce point, qui est à l'ori-
l'extradition de Peyré, et en cela je m'associe aux paroles qu'a gine de la divulgation de ce document, dont tout le monde dit
prononcées tout à l'heure M. Kri'egel-Valrimont pour regretter que c'est un torchon, mais dont la divulgation a eu pour
que le Gouvernement n'ait pas agi plus vite, car je crois me conséquence, dans les départements, où l'on né sait pas tou-
souvenir que le permis de séjour au Brésil dont bénéficie jours exactement ce qui se passe à Paris, de jeter en pâture à
Peyré expire le 10 mai. Si la demande d'extradition avait été une opinion publique malveillante les noms de» honnêtes gens
formulée plus tôt, il n'aurait peut-être pas été renouvelé, et qui siègent dans cette Assemblée. (Applaudissements sur de
peut-être aurions-nous pu espérer voir venir un jour devant la nombreux bancs à droite, au centre et à gauche.)
commission d'enquête, et surtout devant le juge chargé de la
procédure, le dénommé Peyré, qui aurait alors pu nous dire à M. Pierre July. Mon cher collègue, sur le premier point,
.quel rrîoment il avait dit la vérité, et nous donner les précisions vous avez entièrement raison. Le colonel Fourcaud nous a bien
[Voulues. déclaré qu'il avait été l'objet d'une sanction et qu'il avait, je
Voilà ce qu'a fait la commission d'enquête en ce qui con- crois me souvenir, un mois d'arrêts à purger, dont il avait
cerne la corruption. été relevé par une décision de M. le président du conseil trois
Je ne parlerai pas de la liste Tripier. On y a fait déjà allusion jours avant de comparaître devant la commission d'enquête.
tout à l'heure. Je regrette seulement que des officiers de l'armée Sur le second point, je n'ai pas qualité pour vous renseigner,
française servant dans les services de contre-espionnage — si car je ne sais pas dans quelles conditions il est possible de
ces services ne s'appellent pas exactement ainsi, je m'en sortir une pièce d'un dossier de la S. D. E. C. E.
excuse auprès de M. Ramadier — se soient faits les instruments
conscients ou inconscients de manœuvres comme celles-là. En tout cas, nous avions appelé devant nous le colonel
Fourcaud, et nous souhaitions qu'il nous apportât des docu-
M. Louis Rollîn. Très bien! ments, mais des documents sérieux, et lorsque la liste Tripier
est venue à notre connaissance, nous n'avons pas manqué de
M. Pierre July. Le capitaine Girardot commence par nous dire : lui en faire le reproche.
Tai interrogé Peyré et il m'a dit qu'il existait une liste de
ceux qui avaient bénéficié des largesses de Peyré. Il nous a déclaré: Il m'était impossible de vous cacher cette
liste, étant donné que, quelques heures avant ma déposition
C'est la fameuse liste Tripier, et, le soir même ou le lende- le capitaine Girardot y.avait fait allusion et qu'il savait que
main, le colonel Fourcaud sort délicatement de sa poche la j étais porteur de cette pièce.
liste en question.
Autrement dit le colonel Fourcaud a rejeté la responsabilité
J'ai formulé devant M. Ribière le regret, et j'ai même mani- de cette divulgation sur le capitaine Girardot, et la commission
festé une indignation qui n'est pas près de s'apaiser, sur la d enquete, tout en s indignant, n'a pas pu en savoir davantage.

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