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Plaisirs croisés : gukuna-kunyaza. Missions, corps et sexualités dans le


Rwanda contemporain

Article  in  Genre Sexualité & Société · December 2012


DOI: 10.4000/gss.2571

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Michela Fusaschi
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Genre, sexualité & société
8  (Automne 2012)
Rituels

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Michela Fusaschi
Plaisirs croisés : gukuna-kunyaza.
Missions, corps et sexualités dans le
Rwanda contemporain
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Référence électronique
Michela Fusaschi, « Plaisirs croisés : gukuna-kunyaza. Missions, corps et sexualités dans le Rwanda contemporain »,
Genre, sexualité & société [En ligne], 8 | Automne 2012, mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 04
septembre 2016. URL : http://gss.revues.org/2571 ; DOI : 10.4000/gss.2571

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Plaisirs croisés : gukuna-kunyaza. Missions, corps et sexualités dans le Rwanda contempor (...) 2

Michela Fusaschi

Plaisirs croisés : gukuna-kunyaza.


Missions, corps et sexualités dans le
Rwanda contemporain
« Nous faisons comme ça » : travailler sur la sexualité
féminine dans le contexte post-génocide
1 Travailler au Rwanda après le génocide signifie faire face au moins à deux niveaux de discours,
dont le premier est constitué par la narration « officielle » du génocide par différents acteurs,
politiciens, scientifiques, journalistes, humanitaires, etc. Toute autre est la densité de la parole
locale, qui donne à entendre les mémoires déchirées, et douloureuses, du massacre et de la
violence de masse, dans la variété et l’intensité des expériences des rescapés, des réfugiés
(anciens et nouveaux), des déplacés, et, aussi, des génocidaires. Entre les deux, il faut aussi se
confronter à toutes les contradictions entre une vision du monde public et celle d’un monde
privé où j’ai essayé d’entrer. Découvrir ce monde s’est révélé un défi particulièrement difficile,
surtout quand on s’intéresse au genre. De fait, au fur et à mesure que le temps passait,j’ai été
obligée de repenser, du fait de ma position d’anthropologue femme, ma place sur le terrain,
tant physique que réflexive.
2 J’avais commencé ma recherche vers la moitié des années 1990 sur la construction de l’identité
ethnique, et j’avais ensuite travaillé sur les réalités socio-culturelles de l’après-génocide
(Fusaschi, 2000  ; 2009)  ; le déplacement vers l’analyse de l’intimité des femmes a été un
processus progressif et inattendu. En ce sens, je dois préciser que le champ de recherche a
imposé, en quelque sorte, ses conditions  : après une période de recherche en solitaire, j’ai
décidé de continuer à travailler avec mon collègue et compagnon Francesco Pompeo. J’ai
concentré alors mes efforts sur le monde des femmes et, notamment, sur la construction sociale
du corps et de la féminité, pour laisser à Francesco l’analyse du monde des hommes. La
décision de travailler en binôme a été, en quelque sorte, contrainte, parce que j’avais eu des
difficultés à me confronter avec les hommes, surtout avec les plus âgés et dans les contextes
ruraux. Ils s’étaient révélés plutôt réticents à parler à une femme des aspects intimes de la vie
conjugale ou sexuelle. Nous avons commencé alors une recherche en deux parties, singulière
et plurielle en même temps, dont le présent article constitue une étape, sûrement partielle et
dont je suis l’unique responsable. Cette partition des rôles a été explicitement appréciée par
nos interlocuteurs, interagissant ainsi avec deux chercheurs, mais, aussi, à leurs yeux, avec un
couple marié statut qui a facilité notre terrain. Sur ce point-là, je rejoins les mots de Danielle
de Lame, anthropologue spécialiste du Rwanda :
« L’anthropologue femme peut, en s’affirmant femme, se faufiler dans les méandres de cette
société en transition en adoptant l’un ou l’autre registre. Se réclamant de la modernité et de la
connaissance scientifique, elle a accès au monde des hommes. Se réclamant de sa féminité elle
peut mettre en évidence la communauté des expériences et des préoccupations et entrer dans le
monde des femmes. Il lui faut pourtant, [...] se défaire de sa part “moderne” de masculinité. Étant
seule sur le terrain, il lui faut présenter l’image locale la plus parlante lorsque la vie privée et la
féminité sont en cause : celle du couple qui donne son identité sociale complète au troisième sexe,
celui des filles. C’est par l’entreprise de mon interprète masculin qui, au cours des entretiens de
travail, donnera l’illusion d’un couple que j’ai pu, [...] bénéficier d’une légitimité suffisante face
aux femmes mariées avec lesquelles je travaillais sur la colline » (de Lame, 1999, 40-41).
3 Ma recherche sur le corps et la sexualité des femmes rwandaises a débuté d’une façon assez
insolite. C’est, en fait lors d’une soirée à Kigali chez Jacques1, il y a presque une dizaine
d’années, que j’ai entendu parler du gukuna pour la première fois : à vrai dire, une gaffe de ma
part en langue kinyarwanda au cours de la conversation avait été accueillie par un éclat de rire
autour de notre table. Tout de suite, Caritas, une amie sur la cinquantaine à l’époque2, m’avait
prise à part et m’avait dit que ce n’était pas là le lieu adapté pour parler d’une « chose pareille,

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sur nous, les femmes ! ». Selon elle, il y avait trop de monde, et, surtout, trop d’hommes pour
évoquer ou, simplement, pour nommer le gukuna en public.
4 Quelques jours plus tard, à Kibungo, j’étais assise dans la véranda de ma chambre, la tête
plongée dans mes livres et mes dictionnaires lorsque Catherine, qui, entre-temps, s’était placée
juste derrière moi, posa son index sur le mot gukuna du dictionnaire que j’avais entre les mains.
Sans dire un mot, elle attirait mon attention sur son pagne : elle en avait pris l’ourlet, entre son
pouce et son médium, et avait commencé à tirer comme pour le froncer juste à la hauteur de
ses parties génitales. D’un coup, elle avait saisi ma main et s’était lancée dans un massage en
tirant sur la peau entre mon pouce et mon index. Elle me dit : « Voilà, nous faisons comme
ça. » Elle avait continué à tirer avec énergie sur ma peau en expliquant que les lèvres du vagin
sont « douces comme le plastique d’aujourd’hui » et qu’il faut les rallonger parce qu’elles sont
très appréciées par le mari. Surtout, disait-elle, « elles font du bien au mariage » parce que
le gukuna aide à faire beaucoup d’amazi, de l’eau, et grâce à ça, « les enfants sortent et sont
mieux ». En quelques mots, et à l’aide de gestes qu’à l’évidence elle connaissait très bien, ma
vieille interlocutrice avait résumé plusieurs éléments du gukuna (ou gukuna imishino), une
modification des parties génitales féminines qui sera l’objet de cet article.
5 À l’époque de notre rencontre, Catherine devait avoir soixante ans, et elle était employée en
tant que femme de ménage dans le Centre Saint Joseph de Kibungo, une petite maison d’hôtes à
côté du bâtiment de l’évêché. Je savais qu’elle s’était réfugiée en Tanzanie pendant longtemps,
en tant que Tutsie, et qu’elle était rentrée à Kibungo après le génocide. J’avais longtemps pensé
qu’elle était veuve parce qu’elle ne parlait jamais de son mari ; jamais elle n’avait évoqué en
ma présence son mariage, ou ses enfants, et jamais le sujet du gukuna n’avait été abordé dans
nos conversations jusqu’à ce jour, où elle m’en fit cette démonstration. Ce fut alors que j’ai
discuté avec elle pendant des heures, comme les jours d’après d’ailleurs, surtout de son histoire
à elle, et que j’ai pu reconstruire, petit à petit, des morceaux de vie, découvrant que son mari
l’avait abandonnée depuis longtemps, juste après 1994, pour se remarier (la « remplacer »,
disait-elle) avec une jeune femme connue en exil. Elle était alors restée seule, rapatriée, à
élever trois enfants qui, aujourd’hui, sont désormais des adultes mariés.
6 Nos conversations sur ce sujet, comme celles que j’ai eues avec d’autres informatrices, se
sont toujours déroulées dans l’intimité et bien loin des regards masculins. J’ai privilégié des
longues conversations dans des situations d’« intimité informelle », comme l’avaient souhaité
mes interlocutrices, surtout dans ma chambre au Centre ou parfois dans leurs maisons3. Les
plus âgées m’ont amenée à découvrir cette pratique, mais, surtout, à quel point le concept
« traditionnel » du rituel gukuna était inséparable de la vie conjugale. En fait, il n’a jamais
été mentionné par elles qu’en relation avec le mariage, ou plutôt en vue de sa préparation,
à la différence de certaines jeunes femmes, surtout en milieu urbain, qui évoquent aussi le
gukuna comme une forme de libération sexuelle des « jeunes femmes modernes », en dehors
du mariage.
7 Le gukuna est une modification génitale féminine, pratiquée entre femmes, répandue dans
la région des Grands Lacs (Rwanda, Ouganda, Burundi et Congo). Par un massage mutuel
entre femmes qui commence dans la jeunesse, elle produit, comme nous l’avons défini
ailleurs en critiquant le langage humanitaire, une altération expansive de la zone clitoridienne-
labiale4, le signe du corps produit n’étant sur le plan socioculturel pas recherché en soi,
mais pour l’effet social qu’il engendre (Fusaschi 2003). «  Rite d’institution  », «  acte de
magie sociale  » (Bourdieu, 1982) ou «  mise en conformité  » (Fusaschi, 2008), le gukuna
définit l’identité de genre de toutes les femmes rwandaises en leur attribuant le «  sexe  »
approprié. Grâce à un long apprentissage, elles incorporent progressivement un signe qu’elles
« naturalisent » pendant toute leur vie et par lequel elles deviennent de vraies Rwandaises.
8 Le gukuna s’inscrit aussi dans des rapports de pouvoir entre femmes. Il constitue un savoir
technique attentivement maîtrisé et surveillé par une femme plus âgée, la maasenge, c’est-
à-dire la tante paternelle. Cette dernière joue pour elles un rôle qui va bien au-delà des
prérogatives de la mère biologique : elle est chargée de leur éducation, y compris sexuelle,
et figurant parmi les figures les plus âgées du patrilignage, c’est elle qui donne le nom du
bébé. Moi aussi, je suis devenue la maasenge pour Marie Clarisse, rescapée du génocide. Elle

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a considéré un jour que j’étais la plus apte à tenir ce rôle parce que j’avais, disait-elle, « déjà
quarante ans » (une « vieille » pour les Rwandais), et que j’étais « mariée ». À l’époque, elle
devait se marier et savait que j’enquêtais sur le gukuna et la sexualité : elle voulait quelques
conseils à ce propos. Je ne peux pas oublier l’écoute attentive et respectueuse qu’elle réservait
à mes discours en tant que « sa maasenge » et comment, en même temps, je me sentais
inadéquate dans ce rôle qui a mis en crise mon rôle de chercheuse. La maasenge, en quelque
sorte, « construit les femmes » en donnant les bases d’un bon mariage à partir de la « réalisation
d’un corps approprié » ; en même temps, elle limite le pouvoir des hommes dans un contexte
d’inégalité sociale et de domination masculine, qu’elle aussi, finalement, perpétue.
Quelques repères historiques : Église catholique et corps des femmes au Rwanda.
Dans l’histoire du Rwanda au XXe siècle, le poids de l’Église catholique a été lourd : la présence des
missionnaires, notamment les Pères Blancs, pendant et après les colonisations allemande (1894-1916) puis belge
(1917-1962, année de l’indépendance), a eu « un impact beaucoup plus direct sur la vie des Rwandais que celle
des quelques administrateurs coloniaux » (Linden 1999, 17). « État dans l’État », elle a joué un rôle décisif tant
dans le démantèlement d’une royauté sacrée que dans l’ethnicisation de la société, de la colonisation jusqu’aux
évènements de 1994.
Quand les missionnaires sont arrivés au Rwanda (1886), ils y ont trouvé une royauté sacrée où le mwami (le roi)
était la personnification de la terre et de sa fécondité. Le royaume était basé sur un code rituel, connu par des
spécialistes (abiiru) qui possédaient la connaissance de rituels où l’économie, le religieux et le politique étaient
indissociables et qui deviendront la cible commune des administrateurs coloniaux et des missionnaires. Soutenue
par les colonisateurs et en s’appuyant sur une intense politique d’enseignement (fondation de la première école
à Save en 1900, et du premier Grand Séminaire à Kabgayi en 1913), suivie par la création du clergé indigène,
l’Église catholique mena une offensive contre les pratiques magiques religieuses et les institutions traditionnelles
qui, d’après elle, offensaient la représentation européenne de la famille, de la femme et de la moralité familiale.
Pour les missionnaires, qui étaient aussi parmi les premiers ethnographes, l’objectif était de « gagner des âmes :
supprimer la polygynie, stabiliser les ménages, veiller à éduquer les mères pour qu’elles assurent la conversion de
la génération suivante » (de Lame, 1999, 41). Comme nous le verrons, par exemple, avec l’évêque Bigirumwami,
les pratiques locales concernant le corps des femmes, la sexualité et la reproduction seront officiellement
stigmatisées5.
À la suite de la destitution du mwami Musinga en 1931, l’intronisation de son fils, le mwami Mutara III
Rudahigwa, et sa conversion à la religion chrétienne en 1943 marquèrent le succès politique de l’Église catholique.
Après qu’en 1946 il eut consacré solennellement le royaume au Christ-Roi, il s’ensuivit une vague de conversions
nommée la Tornade du Saint-Esprit. En vingt ans, plus de 90 % des Rwandais étaient devenus catholiques. Cette
conversion et une politique coloniale ethniciste, fondée sur une lecture racialiste et moraliste héritée de l’Europe
du XIXe siècle, mèneront progressivement à la formation des Tutsis, considérés comme « seigneurs féodaux »
et apparentés à la « race blanche », alors que les Hutus seront décrits comme « serfs », voués à être dominés
en tant que sauvages et négroïdes (Chrétien, 2000). L’idéologie des « Tutsis évolués » et des « Hutus nés pour
obéir » (une véritable « invention des ethnies », dans la mesure où tous partageaient la même langue, les mêmes
institutions et pratiques culturelles) fut ainsi méthodiquement véhiculée jusqu’à la moitié des années 1950.
Entre-temps, une nouvelle génération de prêtres flamands entreprit de former une contre-élite hutue issue de
la masse paysanne. Le lien entre les missions et les pouvoirs locaux fut inversé au profit d’un nouveau regard
démocrate-chrétien favorable à une révolution « socio-ethnique ». À la suite de l’Indépendance et de la fin de
la monarchie Tutsi, Grégoire Kayibanda (qui s’était formé aux séminaires de Kabgayi et de Nyakibanda) fut
proclamé président de la Première République d’expression hutu. Les nouveaux dirigeants créeront les conditions
d’un éloignement progressif et forcé de la composante tutsie vers les pays limitrophes. La prise du pouvoir par le
général Juvénal Habyarimana (1973) institua un système de politiques racistes envers les Tutsis, et notamment les
femmes, jusqu’au génocide de 1994.
Dans le cadre des mesures visant l’amélioration de la moralité publique, le nouveau régime, soutenu par l’Église,
s’était engagé dans une campagne virulente contre les femmes, leur corps et certaines pratiques traditionnelles,
comme le gukuna. Dans le contexte d’une société rwandaise déjà patriarcale, où la domination masculine était
assurée, entre autres, par une succession patrilinéaire et une règle de résidence virilocale, les cibles privilégiées de
ces « véritables politiques sexuelles » (Taylor, 2000, 193, italiques de l’auteur) furent les femmes célibataires qui
habitaient en ville, s’habillaient trop à l’occidentale ou fréquentaient des Européens.
Pendant presque un siècle, religion6 et pouvoir politique ont donc été associés dans le cadre d’une transformation
radicale de la société, « faisant violence au système de représentation [certaines pratiques] persistent dans la vision
du monde, de l’espace de vie quotidienne et du corps » (de Lame 1999, 38). Comme nous le verrons, des pratiques
traditionnelles comme le gukuna, persistent cependant dans la période post-génocide, que ce soit dans les collines
ou dans les villes, et ce en dépit des interdictions.

Retour sur les interprétations et interdictions coloniales


9 Dans le cadre de l’entreprise coloniale de moralisation de la sexualité rwandaise, le gukuna
fit l’objet de nombreux commentaires. Mgr. Laurent Deprimoz, Vicaire apostolique du
Rwanda, édicta en 1946 une instruction demandant à tous les prêtres d’interroger pendant la

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confession les fidèles sur les pratiques sexuelles traditionnelles, notamment le gukuna, afin
d’essayer de l’éradiquer en connaissance de cause. Quelque temps plus tard, Marc Vincent,
médecin pédiatre du gouvernement à Usumbura, publia L’enfant au Ruanda-Urundi (1954),
un classique de l’époque où le gukuna est mentionné dans le chapitre intitulé «  Le sexe».
L’auteur, après avoir situé ce thème dans l’institution du mariage, affirmait que, pour ce qui
concerne les filles :
« On ne se préoccupe pas de leur conduite sexuelle avant la puberté, à ce moment, cependant, le
danger d’une grossesse commençant à exister, il ne s’agit plus que la fille sorte avec des garçons.
La fille, d’ailleurs, à cet âge, commence à penser au mariage ; elle sait que pour être épousée, il
lui faut avoir cet aspect gêné et réservé qui est la marque de la bienséance, et sait aussi que si
elle est enceinte avant son mariage, il lui sera très difficile d’être épousée. Elle est à l’âge des
amitiés de même sexe et en compagnie d’amies plus âgées, elle ira couper des herbes en vue
de procéder à l’allongement des petites lèvres [qui] seront indispensables, pense-t-on, au plaisir
du mari. Les filles se livrent alors aussi à la masturbation, laquelle sera considérée comme une
préparation nécessaire à la procréation » (Vincent, 1954, 169).
10 L’acte de couper les herbes, guca imyeyo, est un euphémisme que les Rwandaises utilisent
encore aujourd’hui quand elles parlent entre elles du gukuna. L’expression renvoie à une
intimité féminine liée à un espace physique et symbolique particulier, celui où les jeunes
femmes se retrouvaient pour couper et tresser les nattes. Elle perdure même si aujourd’hui le
gukuna est pratiqué dans d’autres espaces : dans une chambre, en ville, au village, ou dans
les dortoirs des écoles.
11 Les écrits des religieux et des scientifiques coloniaux qualifièrent cette étape de la vie sociale
des Rwandaises de masturbation, avec des divergences selon que les auteurs considéraient ou
non que les femmes y visaient leur propre plaisir. Dans cette citation, l’allongement mutuel
des petites lèvres était décrit et interprété comme une pratique masturbatoire des femmes qui
n’était pas destinée à leur propre plaisir, mais plutôt à celui du mari7. L’auteur note que le
christianisme, dominant déjà à l’époque, « entreprenant le monde indigène de façon extensive,
n’avait pas foncièrement modifié les mœurs, [mais déjà] introduit le sentiment de culpabilité
classique chez les jeunes gens très assidus aux missions » (Vincent, 1954, 169).
12 Du point de vue de l’Église, cette pratique sera combattue fermement en tant qu’onanisme
et perversion féminine. Dans mes discussions avec un ancien prêtre rwandais, qui est aussi
sociologue et professeur à l’université, il émergeait ainsi que, pour lui, le problème majeur,
c’était le fait que le gukuna soit, hier et aujourd’hui, la conséquence d’une manipulation entre
femmes qui peuvent en tirer plaisir. Il m’a raconté comment pendant sa formation au séminaire
de Zaza, dans les années 1960, la sexualité féminine était enseignée en cours. Pour parler de la
femme, de son corps, et, surtout, de la sexualité, les missionnaires utilisaient des diapositives
dans lesquelles le sexe féminin était illustré par l’image d’un sexe animal (chatte ou lapin).
Ces diapositives, « troublantes et horribles » disait-il, étaient, dans le commentaire qu’en
faisaient les enseignants aux séminaristes, la démonstration d’une infériorité atavique de la
femme, assimilée au monde animal. Pour eux, les femmes avaient, depuis toujours, un instinct
incontrôlé, dont témoignait le fait qu’elles se touchaient leurs corps mutuellement dès leur plus
jeune âge. Tout cela ne pouvait pas être accepté dans l’idéologie chrétienne : « la doctrine de
l’Église, développée par les théologiens et répercutée par les prédicateurs et les confesseurs,
est sans ambigüité  : le plaisir sexuel est intrinsèquement mauvais et n’est tolérable qu’en
vue de la procréation dans le mariage. Celui-ci est donc essentiellement un remède contre la
concupiscence » (Lebrun, 2010, 145).
13 La position de l’Église catholique par la suite peut être illustrée par la figure de l’évêque
Aloysius Bigirumwami. Son œuvre intitulée Imihango yo mu Rwanda (Les traditions du
Rwanda) se révèle précieuse pour comprendre l’histoire de l’Église indigène rwandaise, car il
fut l’évêque de Nyundo de 1959 à 1973, mais aussi un partisan de la recherche ethnographique
comme nouvel élément de la transmission de la tradition à des fins pastorales. Bigirumwami,
qui a bien décrit le gukuna8, l’a en même temps vivement combattu, considérant cette opération
comme « inspirée du diable lui-même ! » et déplorant que « soixante ans d’évangélisation
et d’évolution n’ont guère changé cette pratique. Celle-ci est plutôt plus précoce aujourd’hui

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qu’avant l’ère chrétienne. À l’âge de six à huit ans, les fillettes s’adonnent déjà au gukuna,
contrairement à la tradition qui l’empêchait avant treize ans » (Bigirumwami, 1964, 254).
14 Dans les années 1970, le gukuna reste pour les observateurs occidentaux une pratique
masturbatoire source de plaisir féminin, comme en témoigne Pierre Erny, ancien séminariste
Père Blanc lui aussi, qui sera instituteur dans plusieurs pays africains avant d’arriver
au Rwanda dans les années soixante-dix, où il enseigne la philosophie et l’ethnologie à
l’université. Reprenant les analyses de Vincent, il décrit cette opération comme indispensable
pour accroître la jouissance du mari, utile pour élargir l’organe féminin et pour faciliter
l’accouchement, mais surtout comme « une masturbation obligatoire [à tel point que] à ne
pas la pratiquer la fillette devient la risée de tous et acquiert la réputation de ne pouvoir se
marier et procréer. […] La fillette commence très tôt, par imitation des aînées et y prend plaisir
» (Erny, 1972, 91).
15 À la même époque, Anicet Kashamura, ancien ministre de l’Information et de la Culture de
Patrice Lumumba, décrira la pratique de manière culturaliste comme :
« Une initiation à la vie sexuelle que les jeunes filles se donnent entre elles. Il s’agit essentiellement
d’amener au mariage des jeunes filles à la fois sensuelles et averties. L’initiation consiste donc
d’une part à allonger les lèvres et le clitoris (imishino), à élargir les voies sexuelles pour préparer
au coït, car à l’inverse des femmes excisées, celles qui ont la lèvre et les clitoris développés
sont sensuelles et rarement frigides ; d’autre part, par toutes sortes d’exercices, les jeunes filles
s’entraînent mutuellement à accomplir le mieux possible les mouvements de l’amour, à participer
activement à l’acte sexuel, et à atteindre l’orgasme » (Kashamura, 1973, 6).
16 La position de Kashamura introduit ici un discours encore différent, qui consiste à valoriser
cette pratique au nom de l’émancipation sexuelle féminine, plus qu’au nom du respect des
traditions. Dans une logique de réaction au discours colonial, un discours occidental (celui de
la libération sexuelle) est utilisé contre un autre (celui de l’Eglise) : les Rwandaises y sont ici
célébrés comme libérées, à la différence des pays qui pratiqueraient l’excision, comme des
pays de cultures catholiques.

Deviens ce que tu es et assure-toi de ne pas être nue !


17 Le terme gukuna, qui renvoie à l’expression « assure-toi de ne pas être nue » ou « prendre soin
de son corps », traduit l’acte à travers lequel les jeunes femmes s’étendent les petites lèvres À
la différence d’autres contextes africains, où les organes génitaux sont coupés, comme dans le
cas de l’excision, au Rwanda au contraire, les lèvres du vagin sont perçues comme un vêtement
ou comme des rideaux. L’idée d’un organe génital couvert, c’est-à-dire habillé, correspond
à un modèle traditionnel de construction sociale du corps dans lequel les organes génitaux
féminins qui sont « nus naturellement », sont considérés comme inacceptables et indécents. En
effet, quand une femme est debout, elle ne doit pas laisser apparaître l’ouverture de ses organes
génitaux ; à ce propos, les Rwandaises utilisent d’ailleurs le mot umubùundakàli, du verbe
kubùunda, qui signifie se cacher ou prendre et garder en bouche une grande quantité d’eau.
18 Le concept du corps couvert est également attribué à l’homme, mais dans un sens
diamétralement opposé, puisque le pénis n’est pas modifié (il n’est ainsi pas circoncis, sauf
historiquement par quelques musulmans et, surtout, ces dernières années, en ville, comme
appropriation d’un modèle occidental, nord-américain en l’occurrence). Pour les Rwandais il
est en effet déjà habillé naturellement, si bien qu’à ce sujet, certains informateurs ont rappelé
un ancien proverbe : « ce que Dieu nous a donné, nous devons le garder ». On pourra dire,
alors, que la nature – ou Dieu – donne à l’homme ce qu’une femme reçoit seulement à
travers la culture. Il s’agit ainsi d’une différence entre homme et femme qui est considérée
comme évidente mais aussi comme le fondement d’une inégalité : le corps de la femme, pour
entrer pleinement dans le corps social (comme épouse et mère), doit être traité et modelé
culturellement tandis que celui de l’homme est déjà naturellement prêt en soi.
19 Avant la colonisation et l’évangélisation, le gukuna était une étape obligatoire pour toutes les
filles afin de devenir une femme. Un autre proverbe, « Umwàana w’ùmukené » dit ainsi que la
fillette d’un pauvre s’allonge les nymphes en faisant le feu, comme pour dire que les moyens
d’accomplir ce que « il faut faire pour vivre dans la société ne manquent jamais » (Jacob 1983,
295). Selon presque toutes mes interlocutrices, cette étape commence entre dix et onze ans,

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Plaisirs croisés : gukuna-kunyaza. Missions, corps et sexualités dans le Rwanda contempor (...) 7

toujours avant les premières règles, et se poursuit jusqu’à l’adolescence. Certaines considèrent
qu’il est important de commencer avant la ménarche parce que les menstruations autrement
seront douloureuses et potentiellement corrosives par rapport à l’acte sexuel (au sens où il
n’est pas interdit d’avoir des rapports pendant les règles). En général, l’âge approprié pour
commencer l’opération correspond à peu près à l’époque où les filles étaient capables de suivre
leurs sœurs plus âgées dans la collecte de l’eau, du bois ou pour couper les herbes.
20 Aujourd’hui encore, le gukuna se pratique en groupe de quatre à dix jeunes filles. Pour cette
opération, elles recherchent un emplacement isolé et ombragé (le gukuna ne se pratiquant
jamais au soleil). L’urubohero (du verbe kubóha, tresser) est considéré comme l’endroit des
filles et des femmes et où elles apprennent la méthode du massage rituel mutuel par couple et
où elles apprennent à tresser les nattes et le balai. Fréquenter ce lieu ensemble crée des liens
d’amitié et de solidarité qui peuvent durer toute la vie.
21 Les femmes plus âgées rappellent que «  à leur époque », avant la manipulation, il fallait
accomplir la préparation des éléments rituels qui étaient variés et nullement choisis au hasard :
« nous devions préparer des pommades et des huiles » disent-elles, comme l’amavuta y’inka,
le beurre de vache, ou, parfois, de l’amavuta y’iróralìmwe, le beurre extrait du lait baratté en
une seule séance pour le séparer de la graisse. Ces beurres sont appréciés pour adoucir la peau
depuis toujours, surtout dans la sexualité9.
22 Une fois que les filles sont dans l’urubohero, elles préparent l’endroit pour la séance à l’aide
de grandes feuilles et d’autres éléments végétaux. Positionnées l’une en face de l’autre, elles
se déshabillent en faisant tomber sur le sol, toutes en même temps, le pagne qu’elles portent
comme jupe. Cette opération, expliquent-elles, sert à éviter la pudeur et à éloigner les pouvoirs
négatifs. Une fois nues, elles prennent place, assises par deux, l’une en face de l’autre, avec
les jambes légèrement fléchies et croisées. Chantal, une jeune femme de Kibungo âgée de dix-
huit ans à l’époque de notre entretien (2007), se rappelle sa première fois : elle était petite,
mais se souvient que quand les autres lui avaient dit qu’elle était prête pour tisser, elle était
partie avec elles. C’était en été et là, dans la brousse, « nous étions à l’abri grâce aux autres
nattes que nous avions amenées. Nous avons mangé ensemble, et après, nous nous sommes
déshabillées, puis elles m’ont expliqué comment il fallait faire ». Les jeunes filles se lancent
alors dans un massage mutuel très énergique, en utilisant les beurres qu’elles tiennent entre
leurs jambes. C’est ainsi, et pendant plusieurs années, qu’elles apprennent, par imitation, la
technique du gukuna qui consiste à étirer peu à peu, mais avec force et régularité, les petites
lèvres du vagin. Cette position, assise jambes croisées, est aussi celle de l’acte sexuel dans le
mariage (voir plus bas).
23 Les femmes que j’ai rencontrées ont associé des sensations variables au gukuna. La
manipulation se révèle être, dans les mots de celles qui l’ont pratiquée, assez douloureuse,
mais la souffrance a tendance à diminuer avec la progression dans l’apprentissage de cette
pratique et avec ce que nous pourrons appeler son incorporation. Les sensations physiques
sont aussi médiatisées par les représentations sociales. Cécile, femme de ménage et étudiante
à Kibungo, âgée de vingt ans en 2008, avait avoué avec anxiété qu’elle s’était repentie de
l’avoir pratiquée pendant des années, étant donné qu’elle voulait devenir religieuse. Dans ses
séances, disait-elle, ses compagnes l’avaient incitée aussi à masser son clitoris et elle disait
qu’elle en aurait eu « honte pour la vie devant Dieu ». Elle déplorait ses gestes et, pour se
libérer d’une culpabilité persistante, elle ne cessait de prier, même pendant nos conversations.
Comme à d’autres occasions lors d’entretiens avec des croyantes catholiques, j’ai pu constater
que l’évangélisation avait introduit « le lien entre la chair et le péché » (Le Goff 2010, 113)
qui a changé avec le temps la façon d’interpréter cette pratique.
24 Je me souviens très bien de la honte de Marie Clarisse, nièce d’un prêtre, vis-à-vis du gukuna.
Lors de notre première conversation sur ce thème, elle m’a dit qu’elle ne l’avait jamais fait,
car elle considérait cela comme un geste archaïque et barbare. J’ai découvert plus tard qu’elle
l’avait pratiqué, et je l’ai su par la bouche de son oncle. Celui-ci ne l’avait pourtant jamais
considéré comme une mauvaise pratique, mais plutôt comme un signe d’identité des femmes
rwandaises (par ailleurs, dans sa petite paroisse, sur les collines, il distribuait en cachette des
préservatifs, surtout aux jeunes gens pas encore mariés.) Je me souviens également d’une

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autre jeune fille, Donate, très catholique, elle aussi nièce d’un prêtre et avec une sœur en
monastère, qui souhaitait se marier et qui critiquait régulièrement ses amies «  habituées à
l’opération ». Elle les considérait comme des « filles faciles » car elles utilisaient le gukuna,
disait-elle, «  seulement pour divertir les garçons  », comme si la pratique elle-même était
devenue une prérogative des jeunes femmes « mal élevées et sales » en associant ainsi le
gukuna à la saleté, Donate inversait ainsi les représentations traditionnelles pour soutenir la
position de l’Église. D’après elle, et aussi autres jeunes femmes catholiques pratiquants, ces
femmes utilisaient le sexe, surtout en milieu urbain, de manière intéressée, pour obtenir de
l’argent, des biens ou des recommandations pour travailler. Cela suggèrerait que le gukuna fait
l’objet de réinterprétations contemporaines, en étant une sorte de protection hors du mariage
et une forme d’échange économico-sexuel (Tabet, 2004)10.
25 Pour revenir au rituel, une fois la séance achevée, tous les matériaux utilisés (feuilles, huiles,
etc.) doivent être enterrés ; il est absolument interdit d’utiliser le beurre de la veille, car on
pense qu’il n’est plus frais et donc qu’il empêchera la croissance appropriée de l’organe.
Les lèvres doivent être traitées jusqu’à ce qu’elles atteignent une mesure considérée comme
adéquate : comme d’autres femmes du même âge, Ancelle, une femme de soixante-dix ans
originaire de Butare, réfugiée au Congo puis rapatriée au Rwanda sur la colline de Sakara
depuis 2005, m’a expliqué que la juste mesure devait être égale à celle obtenue par le pouce
placé sur la deuxième phalange du doigt du milieu, soit à peu près cinq centimètres. On dit alors
que le vagin a « les oreilles ». Ne pas atteindre cette mesure, en défaut comme en excès, peut
se traduire par la dérision de toutes les autres femmes, et autrefois le mari pouvait répudier son
épouse pour cela. Un vagin dont les lèvres ont été excessivement développées par étirement
est désigné par une expression (umujábámabyi, du verbe kujába), qui signifie littéralement les
« nymphes qui pendent dans les excréments », stigmatisant une femme qui ne tient pas à son
corps et dont les parties génitales sont trop proches de l’anus, une zone réputée toujours sale.
On dit aussi que les lèvres trop longues sont des ibiziliko, c’est-à-dire des cordes. Le même
terme est d’ailleurs employé pour indiquer un pénis très long. Des lèvres jugées « trop courtes
  ne sont pas appréciées non plus ; elles sont alors comparées aux petites gouttes laiteuses
produites par les feuilles de certaines plantes.
26 Une femme interpellée par de Lame racontait que pour se préparer au mariage ses compagnes
lui disaient :«“fais ceci, fais cela!”. La raison c’est que, lorsqu’elles viennent d’être épousées,
le nouveau marié touche sa jeune femme pour vérifier l’état de son sexe. Si la fille n’avait pas
fait ce que font les autres filles, les beaux-parents la renvoyaient chez ses parents avec une
cruche de bière dans laquelle on avait déposé un tesson de calebasse : cela signifiait qu’elle
n’était pas comme les autres » (de Lame 1999, 46).
27 Au moment du mariage, la femme devrait se présenter à son mari, et à son patrilignage,
avec un corps conforme, c’est-à-dire vierge et avec les petites lèvres allongées. Catherine
m’a aussi expliqué que quand le sexe d’une femme n’est pas jugé conforme, comme quand
elle n’est pas jugée vierge, la mariée est renvoyée à sa famille avec ce récipient vide qui
témoigne de l’« insuffisance » de son corps. Elle n’est pas jugée adaptée au mariage et à la
maternité parce qu’elle n’a pas fermé la cavité, symbole de la fertilité. Même symbole de
l’infibulation, finalement, mais « obtenu » par une opération véritablement opposé dans le
sens que les rwandaises ne coupent et ne cousent rien. L’importance de l’enjeu matrimonial
explique l’intervention de la figure déjà citée de la tante paternelle (maasenge) ; c’est elle qui
se prononce également sur l’interruption de l’allongement. C’est à travers sa supervision et son
autorité dans la famille que le genre est institué et c’est grâce à ses pouvoirs que les femmes
sont consacrées en tant que telles.
28 Ainsi, comme le disait Simone de Beauvoir, « On ne naît pas femme, on le devient ». Ou
encore, « Deviens ce que tu es ! [...] Telle est la formule qui sous-tend la magie performative
de tous les actes d’institution. L’essence assignée par la nomination, l’investiture, est, au sens
vrai, un fatum » (Bourdieu 1982, 62).

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Sexualité fluide
29 Il faut maintenant resituer le gukuna dans la symbolique du mariage et de la sexualité. Il y eut
un temps où les mariages n’étaient pas réalisés sur la base d’un libre choix des partenaires,
mais décidés par les patrilignages réciproques11.
30 Pour comprendre la réalité de la sexualité rwandaise dans le mariage, qui a comme but la
descendance selon les rwandais, nous devons réaliser comment le gukuna, la conception du
corps de la femme et d’autres techniques du corps deviennent d’indispensables clefs de lecture
de la cosmologie rwandaise. . En ce sens, la virginité des femmes reste socialement valorisée
(surtout par les hommes), même si aujourd’hui elle ne conditionne plus le mariage.
31 Le gukuna conditionne la sexualité rwandaise. Elle repose en effet sur une série d’actes
codifiés  : les deux partenaires sont assis l’un en face de l’autre avec les jambes croisées
les unes entre les autres (dans la même position que pendant le gukuna). Cette position
croisée des partenaires permet à l’homme de réaliser le kunyaza, qui consiste en une technique
particulière de stimulation du clitoris(l’homme tapote le clitoris avec son pénis). D’après les
interlocutrices, le kunyaza permet aux femmes de « faire beaucoup d’eau » (amazi). Si une
femme n’en produit pas assez, ou pas du tout, elle est appelée igihama, du verbe guhaama,
cultiver un champ durci par le soleil (Jacob 1983, 437). Les Rwandais utilisent le même mot
pour les femmes qui perdent le lait après l’accouchement (Taylor 1992, 70-71)12.
32 Le kunyaza permet à la femme d’atteindre un degré d’excitation élevé et c’est seulement
quand elle est sur le point d’avoir un orgasme qu’elle se couche sur le dos et que le
rapport continue avec pénétration. Le verbe utilisé à propos de l’excitation féminine est
kunyaàra, qui signifie usuellement « uriner », mais qui en connexion avec la sexualité, signifie
«  produire d’abondantes sécrétions vaginales pendant le coït  » (Jacob 1983, 482), ce qui
est socialement valorisé. Dans les paroles de mes informatrices, c’est l’alliance du kunyaza
(technique masculine), et du gukuna (technique féminine de préparation du corps), qui leur
permet d’« arriver à destination », kuraanziga (on notera que le terme utilisé pour désigner
l’accomplissement de l’acte sexuel, l’orgasme, n’est pas le même pour les hommes, pour
lesquels on parle de gusohora).
33 Cette capacité à produire des sécrétions vaginales pendant l’acte sexuel semble avoir été moins
valorisée en lien avec le plaisir qu’avec la procréation. Selon la tradition, si une femme n’arrive
pas à avoir des sécrétions copieuses, on la considèrera comme une mauvaise mère et on la
comparera à des éléments de la nature qui ne peuvent pas se reproduire. On dit dans ce cas-là
que les filles sont des mukagatare, et les fils des gatare, des pierres plates et larges, à savoir
les symboles d’une maternité impénétrable, sèche et dure comme les roches, qui ne sont pas
fertiles. Une femme est considérée comme fertile si elle échange ses fluides avec son mari,
exactement comme la terre baignée par la pluie. Elle devrait fournir au patrilignage des enfants
que la société espère de sexe masculin pour assurer la transmission du bien le plus précieux :
la terre.
34 On peut alors voir dans cette pratique de la sexualité l’effet de représentations propres à la
société rwandaise. Dans la société rwandaise, encore aujourd’hui, les fluides comme l’amazi,
l’eau ; l’amata, le lait de vache ; l’urugwagwa, la bière de bananes et l’ubuki, le miel, sont
valorisés, symboles des liens sociaux ainsi que des liens entre le monde de la nature et le
monde social (Taylor 1988 ; 1992). La bière pour les hommes, et le lait pour les deux sexes,
symbolisent une fluidité sociale permettant les relations avec les amis et les visiteurs, même
lors d’occasions officielles telles que les mariages. Si l’amata (le lait de vache) est l’élément de
base dans le régime alimentaire traditionnel (chaud ou caillé), l’amashéreka (le lait maternel)
est l’aliment transmis de la mère à l’enfant, tout comme l’eau sous forme de pluie est le
gage de la fertilité du sol. Au niveau symbolique, le sol « apparaît comme identifié à la mère
où s’enracine et se perpétue le patrilignage. Le bon comportement de l’épouse garantira la
fécondité de la terre, du bétail et des abeilles avec lesquels elle est placée dans une relation
homologique à celle qu’elle-même entretient avec son mari » (de Lame, 1999, 45). Si le gukuna
n’était pas réalisé, ou était mal réalisé, on considérait que cela constituerait un danger pour
la récolte, pour les semences et, surtout, pour les troupeaux. On attend du gukuna de l’eau,
sous la forme de sécrétions vaginales abondantes pendant le rapport sexuel, le plaisir sexuel

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féminin étant ainsi indirectement la garantie d’un bon mariage. Celui-ci est la conséquence
du fait que la femme a suivi toutes les étapes rituelles pour y arriver ; elle a ainsi modelé son
corps, qui est ainsi devenu le symbole de toute la maison et de l’enclos. Elle sera une bonne
mère parce qu’elle a empêché grâce au gukuna la fertilité de s’échapper. Son corps, comme
la terre, devient ainsi sacré : elle sera d’abord une bonne épouse puis une bonne mère parce
que baignée par ses secrétions et celles de son époux.
35 Aujourd’hui la terre n’a plus la valeur symbolique d’autrefois, à cause de l’introduction et
de la circulation de la monnaie, qui n’existait pas avant la colonisation. Jusqu’aux années
1990, avant la réforme du droit familial, la terre était la propriété exclusive des hommes; les
femmes ne pouvaient même pas en hériter, même en cas de veuvage. La femme, épouse et
mère, comme la terre, assure la perpétuation du patrilignage de son mari  ; le pouvoir des
femmes était déterminé par l’ascendant du lignage de leur père et par leur capacité à gérer les
biens de leur mari (de Lame, 1999, 45). Il n’est alors pas aléatoire que le terme désignant le
mari, umugabo soit dérivédu verbe kugaba, qui signifie « donner gratuitement », et aussi « être
maître, commander » (Jacob, 1983, 308). Il donne son sperme, sert le lait aux invités, lègue la
terre à ses fils. Les femmes sont tout à fait contrôlées par les maris : elles travaillent leurs terres,
que la pluie rend fertiles ; à travers les enfants, elles augmentent la puissance, symbolique ou
non, du groupe de parenté tout entier. Mais « si les hommes possèdent la terre et les femmes,
les femmes sont la terre » (de Lame 1999, 48) et les maris ne peuvent pas se passer d’elles.
36 Cette appropriation des femmes et de la terre par les hommes est mise en évidence par
le symbolisme qui entourait la première nuit de noces  : le contact sexuel ne se faisait pas
principalement par voie sexuelle, mais après une « lutte entre » les partenaires. Il s’agit d’une
tradition qui fut très combattue par l’Église et qui n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir, dans
les cérémonies actuelles. Lors de cette bataille, la mariée devait faire de son mieux pour ne pas
être dominée et, pour cela, elle s’enduisait le corps de beurre. Le mari devait tester la virginité
de sa femme à travers l’introduction d’un doigt dans ses parties génitales et c’est seulement
après cela qu’il y avait une pénétration, incomplète. Les quelques gouttes de sang qui tachaient
le tapis après la rupture de l’hymen devaient se mêler avec le sperme : c’était ainsi que le
mariage était validé. Cet échange de fluides avait lieu par terre dans la maison du nouveau
mari, où la mariée était allée vivre. Les missionnaires appelaient kushereza, destruction, cette
éjaculation par terre, au même titre que le coitus interruptus et que la masturbation.C’est
parce qu’ils étaient considérés comme un péché d’onanisme que certains rituels du mariage
traditionnel furent interdits officiellement pendant la colonisation.
37 Mais au Rwanda, le corps de la femme était le symbole ultime relié à la terre, au point qu’elle
était l’incarnation de la maison et de tout l’enclos : « l’harmonie sociale est maintenue par
un échange continu de fluides, y compris ceux du corps  » (Koster et Leimar Price, 2008,
194.). Danielle de Lame, qui a retracé les relations entre les sexes en revisitant ce thème dans
la royauté sacrée, écrit que les rites « réglaient cette circulation interne entre des entités qui
délimitaient le pays en deux moitiés complémentaires, à la façon dont les époux se trouvaient
complémentaires dans la perpétuation du lignage expérimentant au quotidien des rapports
inégaux aux sols et à la circulation dans l’espace » (1999, 42).
38 De plus en plus déconnectés cependant aujourd’hui des références agricoles, les discours
contemporains présentent des articulations très variables entre sexualité, plaisir et
procréation.Le médecin contemporain Nsekuye Bizimana ne mentionne pas le gukuna, mais
seulement le kunyaza, qu’il décrit comme une technique masculine efficace pour déclencher
l’orgasme féminin (Bizimana 2010, 168). Il s’agit selon nous d’une vision partielle et machiste,
qui marginalise la participation féminine. Nos échanges avec les femmes montrent au contraire
leur participation active à la vie sexuelle, dans cette société patriarcale. S’il est vrai que les
femmes plus âgées disent « nous le faisons pour eux », en même temps, elles apprennent à
connaître leur propre corps, et à l’écouter, pour leur propre plaisir, même si cet aspect n’est pas
recherché dans le rituel, mais peut, parfois, être une conséquence du massage. Apprendre ces
techniques dans une société inégale, patriarcale, permettrait aux femmes, d’une part, d’établir
des amitiés durables avec leurs consœurs, et donc une forte solidarité, et d’autre part, cela leur
offrirait la possibilité de reconnaître des capacités corporelles qui seront « exploitées » pendant

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l’acte sexuel. Certaines de mes interlocutrices, qui sont devenues mes amies, des femmes
scolarisées, proches de mon âge (entre quarante et cinquante ans), ont affirmé être contentes de
posséder, grâce à cette pratique, des secrets du corps. Elles sont conscientes d’un savoir-faire
sur le corps et pour le plaisir du corps, féminin et masculin, qui défie aussi les idées reçues de
l’Église et qui, d’une certaine façon, rééquilibre les rapports entre les sexes, même si cela ne se
traduit pas par une égalité. Elles disent que le gukuna, associé au kunyaza, amènerait au plaisir
en un temps assez rapide et que les hommes aiment les femmes qui participent activement au
rapport. De plus, les hommes, parfois, disent que le kunyaza est une sorte d’épreuve mise en
place par les femmes, lesquelles peuvent se moquer d’eux quand elles considèrent que leur
partenaire n’est pas trop capable dans cet « art ». Ainsi, une incapacité dans le kunyaza est
presque considérée comme de l’impuissance, et ce qui a pu avoir, autrefois, des conséquences
graves sur le patrilignage, en a, aujourd’hui, sur la réputation auprès des amis.
39 De plus, chez les plus jeunes, l’acte sexuel rwandais semble s’émanciper de la procréation pour
devenir de plus en plus, surtout en milieu urbain, une forme de « plaisir croisé et mutuel » selon
l’expression utilisée par un jeune couple de fiancés étudiants à Kigali, Philibert et Agathe.
Cette vision de la sexualité est présente dans plusieurs conversations que mon compagnon a eu
avec des hommes ayant entre trente et quarante ans. Ces derniers pensent que l’on est un vrai
homme en sachant donner du plaisir aux femmes, par le kunyaza, et c’est un sujet de fierté,
mais ils considèrent aussi que le kunyaza ne marche qu’avec et grâce au gukuna des femmes.

Corps des femmes, christianisme et le « court vingtième


siècle » : notes conclusives
40 Le gukuna, les usages du mariage traditionnel (la lutte de la jeune épouse, les relations
sexuelles rituelles), comme d’autres pratiques locales liées à la sexualité et à la reproduction,
furent prohibés par l’Église catholique pendant des décennies, au nom de dogmes chrétiens
comme la virginité et la pureté avant le mariage, l’interdit du corps touché entre femmes et
du plaisir féminin en dehors de la procréation. Aujourd’hui, les rituels mêlent à la tradition sa
réinvention. Le gukuna s’individualise, surtout en ville, mais continue d’exister, en cachette
et comme secret entre femmes, malgré un combat de l’Église qui le stigmatise comme un acte
impur lors des cérémonies religieuses.
41 S’il est vrai que, même dans le gukuna, on a à faire à une représentation hiérarchisée des
sexes et de leur place dans la sexualité, cette pratique, à la différence de l’excision ou de
l’infibulation par exemple, permet en même temps une activité féminine, qu’elle soit réelle,
présumée ou espérée, que l’Église réprouve depuis toujours et à laquelle elle confère un
sentiment de culpabilité. On sait, en fait, que « le moralisme sexuel fut une incitation coloniale
», ici comme ailleurs (Le Pape et Vidal, 1984, 111). Les récits des femmes âgées confirment
cette ingérence de l’Église dans la sphère sexuelle, même s’il faut distinguer, le plan officiel
du plan privé dans le sens que les femmes en public parlent peu de ces aspècts intimes ou bien,
si elles le font parfois, elles soutiennent les positions de l’église. En fait, avant la colonisation
et l’évangélisation, la cosmologie prévoyait un degré élevé de conscience du corps et des
éléments qui l’entourent, féminins et masculins témoignés par des rituels spécifiques, qui, avec
la colonisation et la moralisation, devient ce qui perturbe un équilibre des différences sexuelles
dans la gestion de la sexualité elle meme.
42 En même temps, la question de la procréation reste le dogme de l’Église qui, dans le but
d’empêcher les pratiques traditionnelles (surtout les massages entre femmes), les entoure en
invoquant la politique en faveur de la famille, comme c’est le cas pour l’interdiction d’utiliser
le préservatif ou d’avorter, en oubliant que le SIDA s’est encore plus propagé avec les guerres.
43 Malgré l’inégalité du pouvoir et la dynamique indéniable de la domination masculine, le
gukuna, d’une certaine manière, donne naissance à une sorte d’« écologie de couple et dans le
couple » en établissant des normes et des règles sur la vie, la fécondité à travers un échange
continu entre les fluides corporels, la terre, et, enfin, les hommes et les femmes. Cette écologie
peut devenir pour d’autres femmes une forme de réappropriation et de réinvention de la
tradition, un pouvoir du corps et, peut-être, un vecteur vers une émancipation.

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VINCENT Marc, L’enfant au Ruanda-Urundi, Bruxelles, Institut Royal Colonial Belge, 1954.
VINCKE Édouard, « Liquides sexuels féminins et rapports sociaux en Afrique centrale », Anthropologie
et Sociétés, 15, 2-3, 1991, pp. 167- 188.

Notes
1  Jacques R. est un entrepreneur de Kigali qui a aujourd’hui plus de soixante ans et mon informateur
depuis longue date sur le thème de l’identité. Sa femme l’a quitté après le génocide pour vivre dans le
nord de la France. Il a trois enfants qui ont fait leurs études en France ou aux États-Unis et qui sont rentrés
au Rwanda pour travailler dans l’entreprise du père. Il est de religion protestante.
2  Caritas est une rescapée du génocide et mon amie depuis longtemps. Elle avait, avec son mari, un
commerce qui a été détruit en 1994. Ils ont par la suite racheté un petit hôtel à Kibungo, une ville de la
Province de l’Est. Le couple, catholique non pratiquant, n’ayant pas eu d’enfants avait décidé d’aider
des orphelins.
3  J’ai ainsi rencontré vingt femmes, âgées de dix-huit à soixante-dix ans, qui vivaient à Kibungo, parmi
lesquelles des jeunes universitaires et des rescapées employées comme serveuses au petit restaurant
du Centre. Les femmes les plus âgées étaient soit des femmes de ménages, ou bien des femmes au
foyer qui habitaient sur la colline de Sakara dans les alentours de Kibungo. À Kigali j’ai interviewé
une dizaine de jeunes femmes, de vingt à trente ans, dont la moitié avaient grandi à l’extérieur du pays
(Tanzanie, Burundi et Ouganda) comme réfugiées, mais avaient appris cette pratique rwandaise par leur
tante paternelle (maasenge) ou par des amies plus âgées.
4  Il faut noter que jusqu’en 2008, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classait le gukuna comme
« mutilation génitale féminine », dans la catégorie « autres mutilations » (allongements, incisions, etc.),
même si elle ne comporte aucune ablation et se situe à l’opposé de l’infibulation. J’ai analysé ailleurs
ces différentes manipulations et leur traitement dans le langage humanitaire (Fusaschi 2003 ; 2011).
5   Bigirumwami représente une attitude assez commune des religieux vis-à-vis des pratiques
traditionnelles du corps féminin. Sur les modifications des organes génitaux féminins en lien avec le
colonialisme, voir aussi Janice Boddy (2007), Michela Fusaschi (2003).
6  La population du Rwanda était en 2010 d’un peu plus de dix millions et demi, dont en 2009 plus de
quatre millions de baptisés catholiques. Après le génocide, la part des autres confessions a augmenté,
notamment les musulmans (5% de la population), et les évangéliques (12%), augmentation qui a pu être
attribuée au rôle joué par certains religieux catholiques dans les actions génocidaires (WHO/UNICEF/
UNFPA/World Bank MMR report 2010).
7   La masturbation masculine était de son côté décrite chez les adolescents comme une activité
« normale » (Vincent, 1954, 168).
8  Il reprenait les thèses du Père Blanc Jean-Marie Robert, qui fut chargé par la hiérarchie ecclésiastique
d’étudier les « mœurs païennes » des Wafipa, au Tanganyika où il était arrivé en 1906. Il y avait réalisé
une ethnographie des pratiques qui utilisaient comme symbole l’organe génital féminin et les fluides
non menstruels, en classifiant les sécrétions féminines comme des humeurs froides, symptômes d’une
sexualité incontrôlée et excessive, capable d’inhiber l’action bénéfique du sperme, liquide chaud, produit
par le mari pour la procréation (Vincke, 1991).

Genre, sexualité & société, 8 | Automne 2012


Plaisirs croisés : gukuna-kunyaza. Missions, corps et sexualités dans le Rwanda contempor (...) 14

9   Aujourd’hui, les filles disent que ces huiles peuvent être utilisées seules, mais autrefois, elles
étaient enrichies d’autres ingrédients d’origine végétale et animale. Ainsi, Aloysius Bigirumwami avait
répertorié plus de deux cents ingrédients associés au gukuna (1954). Voir aussi Musabyimana (2006) ;
Koster, Leimar Price (2008) ; Fusaschi (2010).
10  Cela peut aussi renvoyer aussi à ce que certains ont appelé la « clochardisation sexuelle de jeunes
» (Mbembe, in de Lame 1999, 53) qu’on retrouve ailleurs en Afrique, mais qui évidemment n’explique
pas tout.
11  Aujourd’hui le choix du conjoint est libre en milieu urbain, moins sur les collines (Buscaglia 2009).
12   Un proverbe dit que quand un homme a des rapports avec une femme qui n’a pas de sécrétions
vaginales, son pénis gonfle (Iyo umugabo yeenzé umugoré w’igihama arabyìimburwa, Jacob, 1983, p.
437).

Pour citer cet article

Référence électronique
Michela Fusaschi, « Plaisirs croisés : gukuna-kunyaza. Missions, corps et sexualités dans le Rwanda
contemporain », Genre, sexualité & société [En ligne], 8 | Automne 2012, mis en ligne le 01 décembre
2012, consulté le 04 septembre 2016. URL : http://gss.revues.org/2571 ; DOI : 10.4000/gss.2571

À propos de l’auteur
Michela Fusaschi
Professeure d'Anthropologie culturelle et sociale
Université Rome 3

Droits d’auteur

Genre, sexualité et société est mis à disposition selon les termes de la licence Creative
Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

Résumés
 
Issu d’une recherche ethnographique de plusieurs années dans le Rwanda post génocide, cet
article propose d’analyser la façon dont le corps des femmes rwandaises est modelé grâce au
gukuna, un rituel traditionnel d’étirement des petites lèvres de la vulve, qui a lieu entre femmes.
Associé au kunyaza, technique sexuelle masculine, le gukuna est destiné à augmenter le plaisir
sexuel féminin, lui-même considéré comme condition de la fécondité féminine.À partir de
textes de la période coloniale et de témoignages récents, l’auteure analyse comment ce rituel,
qui a été combattu par l’Église depuis la colonisation, perdure dans le pays, et questionne ses
réinterprétations contemporaines.

Crossed pleasures : gukuna-kunyaza. Missions, bodies, and


sexualities in contemporary Rwanda
Based on ethnographic research in post-genocide Rwanda, this article analyzes how femininity
is embodied through a ritual practice called gukuna, which consists of the elongation of the
labia minora through a reciprocal massage between young women. This social construction
of the female body, in addition to kunyaza, a traditional male sexual technique, is expected to
facilitate pleasure during sexual intercourse. Through an analysis of colonial period texts as
well as recent interviews, this article shows how this ritual, has persisted in the country despite
its condemnation by the Catholic Church since the colonial time, and explores how it is being
reinterpreted by women.

Entrées d’index

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Mots-clés : modification génitale féminine, catholicisme, Rwanda, corps, jeunesse


Keywords : female genital modification, Catholic Church, Rwanda, body, youth

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