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Creuser des évidences toutes naturalisées Entretien avec Paola Tabet

Author(s): Hélène Martin, Séverine Rey and Paola Tabet


Source: Nouvelles Questions Féministes, Vol. 27, No. 3, Féminismes autour de la Méditerranée
(2008), pp. 127-137
Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions Antipodes
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40620464 .
Accessed: 15/06/2014 05:31

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Creuser des évidences
toutes naturalisées
Entretienavec Paola Tabet
Réalisé par Hélène Martin et Séverine Rey

Paola Tabetest anthropologue. Elle travailleprineipalement sur les rapports


sociaux de sexe, à propos desquels elle a publié plusieursétudesdevenues
incontournables. Elle a en particuliertraitéde la divisionsexuelledu travail,en
Vanalysantà partirde Vappropriation par les hommes des outilslesplusperfor-
mantset sophistiqués, et en particulierdes armes(1979). Puis elle a étudiéla
questionde la reproduction: ellea interrogé la (soi-disant)naturalité de la ferti-
litéet montré comment les sociétésla manipulent et Vorganisent (1985). Enfin,
elle sfestarrêtée,dans plusieurscontributions, sur la sexualitéet les échanges
entrehommesetfemmes,qu'elle qualified'économico-sexuels : elleproposede
les appréhender à traversVidéede continuum, reliantmariageet prostitution
(1987; 1991; 2001 ; 2004). Par ailleurs,elle s'est également intéressée à cet
autreprocédéde naturalisation qufestle racisme,à traversune étuderéalisée
sur la base de textesd'écoliers(1997 ; 2001). En plus de ses travauxde recher-
che,Paola Tabeta enseignél'anthropologie dans les Universités de Sienne,puis
de Calabre(Italie).

Nousavonsrencontré Paola Tabetà Paris,un après-mididefévrier2008. Dans


notrediscussion,nousvoulionscomprendre, dans leurchronologie
et dans leurs
liens,les différentsthèmesque Paola Tabeta traités.Son parcoursintellectuel
étantétroitement reliéà sonparcourspersonneletaux contactsqu'ellea eus,en
particulieren France,cetentretien d'unethématique
passe régulièrement à une
chronologie, et vice-versa.

Paola, comment en es-tu venue à travailler sur la division sexuelle du travail


à travers l'étude des outils et des armes?

Pourparlerde mesthèmesde travail,il faudrait d'abordpréciserquelques


aspectsbiographiques: je ne suis pas une anthropologue de formation.
Quandj'étais à l'université,j'étais philologueet je m'intéressais
au fol-
klore,aux contes,etc.Puis,à un momentdonné,j'ai toutquitté,l'univer-
sité,la recherche:
c'étaitla périodehippie,les années1969-1970.Jevoya-
et
geais j'ai rencontréen Tunisieun groupequi étaittrèsbien,des gensqui
venaientde San Francisco.Avec eux c'étaittrèspaisible,tellement non

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autoritaire commesituationque je me suis dit que bon,si on peutvivre
dansdes conditions de libertéetd'autonomie personnelle touten vivanten
groupe, mais non en famille, il devient acceptable d'élever des enfants.
Quandje suisrentrée à Paris,j'ai effectivement décidéde faireun enfant...
etj'en ai eu deux,j'ai eu desjumeaux!Avecmesenfants, j'ai continuéun
peu cetteexpérienceet je me suis retrouvée vers les années 1972-1974
d'aborden Toscanepuis en Sicile,dans des communautés hippies.Et là,
c'étaitla déceptiontotale! Ce n'étaitpas du toutun cadrenon autoritaire,
un contextelibre où tout le monde s'intéressaitcollectivement aux
enfants. Les enfants, les mienstoutcommeles autresqui étaientlà, étaient
tousrenvoyésà leurmère,c'étaitaux mèresde s'en occuper.Et,en plus,
les rapports entreles sexesn'étaientpas si différents d'ailleurs.Pourmoi,
c'étaitvraiment une déception. Et si on y ajoutel'ennuide discoursinlas-
sablement répétitifsquej'écoutais...Jeme suis ditqu'il fallaitrevenirà la
recherche surla société,surles inégalitéset les rapportsentreles sexes:
c'est commeça que je suis partieen Toscane,j'ai obtenuune bourse
d'étude,puis un posteà l'Université de Pise etj'ai commencémonétude
surla divisionsexuelledu travailet les outils.

Après avoir commencé par la philologie, pourquoi as-tu choisi l'anthropologie?

Aveccetteragequej'avais à la suitede ma déceptionparrapport au mou-


vementhippie,j'ai vraiment ressentila nécessitéde fairede la recherche.
J'aichoisil'anthropologie, carj'avais fait,une dizained'annéesavant,des
recherches surles transformations culturelles dans un villagetoscan,puis
surla parentéen Calabre.Mais c'étaitun momentoù, en Italie,on n'avait
presquepas d'enseignements d'ethnologieet d'anthropologie; ils étaient
trèsrares.Ce sontdes rencontres qui m'ont confirmée dans la lignequeje
cherchais.J'ai voulu travaillersur la divisionsexuelledu travail,mais
je ne savaispresqueriendestravauxféministes en anthropologie ou socio-
logie, ni du mouvement féministe. J'étais de gauche,j'avais reçuune édu-
cationcommuniste etj'avais adhéréau Partimais,aprèsl'invasionde la
Hongrieen 1956,j'avais quittéle Parti.Puis,le hasarda faitle reste.Pen-
dant que je faisaisce travailsur les outils,à un momentoù je l'avais
presqueterminé, je suis allée à l'EHESS,au Laboratoire de Lévi-Strauss,
pourvoirdes documents. Etje suis tombéesurune affichequi avait été
mise par Nicole-ClaudeMathieu,qui s'intitulait «Questionsféministes».
Alorslà, c'étaitvraiment la joie! Ce quej'ai lu, c'étaitexactement la ligne
qui m'intéressait, ma ligne! C'est comme ça que j'ai rencontré d'abord
ChristineDelphy,puis Nicole Mathieu,Colette Guillauminet enfin
MoniqueWittig:après,elles ont été les personnesavec lesquellesj'ai le
plusdiscutéettravaillé, parcequ'enItalie,j'avais trèspeu d'interlocutrices
avec qui échangerdes idées.Cettedécouverte, ce hasardet,avec ça évi-
demment, le faitde lireleurstextes,ça a été une joie immense,et c'est
vraiment devenuune possibilitéinouïede discussions, de confrontations,
d'échanges, c'étaitabsolument génial! La discussion, aprèsmontextesur

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Entretienavec Paola Tabet
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les outils,s'estfinalement
faiteavecelles.AvecChristineettoutparticulière-
mentavec Nicolequi estplusprochede montravailen tantqu'ethnologue.
Etpendantde longuespromenades surles quaisde la Seineavec Colette.

Pourrais-tu nous préciser comment tu es passée de cette expérience dans la


communauté hippie, ce que tu as vécu et observé avec les enfants, à la ques-
tion précisément des outils?

Jene sais pas exactement ce qui m'ya poussée: ce qui m'a étonnéec'est
que dans ce groupe,les enfantssoientaussi renvoyésà leur mère; ils
étaientune affairedes femmes, finalement, et il y avaitune structure des
rapports de sexe qui n'étaitpas tellement différente de celledu restede la
société...En lisantdes ouvragesd'ethnologie, je suistombéesurdes points
d'inégalitécrianteen ce qui concernela divisiondu travail.À cette
époque-là,on avaitune idéede la naturedes femmes, on voyaitla division
sexuelledu travail,des tâchesattribuéesaux hommesou aux femmes,
presquecommenaturelle, liée à leursplacesrespectives dans la reproduc-
tion,et la reproduction aussi non commedu social mais commefaitde
nature.Ce qui m'a passionnéeimmédiatement et m'a aussilaisséedansun
étatde stupeur, c'étaitque touten décrivant la divisionsexuelledu travail,
personnene s'étaitaperçuqu'il y avait,commedonnéefondamentale, une
divisionpar rapportaux outils,et que cettedivisionétaitsystématique.
Peut-être que les ehercheure-s la voyaient,la décrivaient, mais ils ne la
considéraient pas commeun nœudextrêmement important de cettedivi-
sion.J'aiétéétonnée,parceque bon,il y avaitbienles marxistes qui par-
laientdes moyensde production, du faitqu'ils sontdans les mainsd'une
classe et pas d'une autre,etc.,maisils ne voyaientpas qu'en plus,même
dansles sociétésqui ontune technologie trèssimple,des sociétésde chas-
seurs-cueilleurs, les moyensde production etles outils,sontdansles mains
des hommeset pas des femmes... ou en toutcas que tousles outilsimpor-
tants,complexesd'une sociétésont dans les mains des hommes.Bref,
c'étaitun champcomplètement non étudié:on présentait la divisiondu
travailcommeune donnéed'évidence ; les hommesontles outilsdontils
ontbesoinpourleurtravail,les femmes ontceux qui leursontnécessaires
pourleurtravail,mais on ne disaitpas que ce sontles outilsqui sontle
critèrede la divisiondu travail.Toutle mondedécrivait, par exemple,que
dans des sociétésde chasseurs-cueilleurs, ce sontles hommesqui ontdes
armes,c'étaitcommeça! Mais, d'une part,mêmequand on décrivaitles
interdictions faitesaux femmesd'avoirdes armes,personnene soulignait
le faitque cetteinterdiction donneaux hommesle monopolede la force,
de la violence,donc du pouvoir...aussi surles femmeset contreles fem-
mes.Et,d'autrepart,les armessontdes outilsprivilégiés pours'approvi-
sionner, pourobtenirpar la chasseet la pêchede la nourriture et spécifi-
des
quement protéines : si elles sontdans les mains des hommes,ça veut
direque les femmes n'ontpas un accès directà une partieessentielle de la
nourriture du groupe.C'estun des moyensqu'ontces sociétéspourobtenir

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la soumissiondes femmes et aussi des services,notamment sexuels.Donc
j'étais vraiment étonnée,j'ai cherché désespérément, pendanttroisans,des
exemplesqui pouvaient démentir ma thèse,parceque je ne pouvaispas
comprendre que les anthropologues, et en particulier
les anthropologues
marxistes, ne voientpas ça ! En fait,ils ne voulaientpas le voir,ça ne les
intéressait pas, alors que ça pose vraimentun problèmede divisionde
classessocialeshommes-femmes.

Chronologiquement un article importantque tu as publié après ce travail sur


les outils, c'était «Fertilité naturelle, reproduction forcée»...

Je dois direque j'ai longuement hésitéà travaillersur la reproduction,


parceque l'articlesur les armesm'avaitbeaucoupsecouée,par exemple
quandje suistombéesurle cas des femmes et fillettesauxquelleson coupe
les doigts,dansune sociétéde Nouvelle-Guinée : on ditqu'ellesles donnent
commesacrificeà l'occasionde ritesfunéraires (les hommesen revanche
ne donnentque des cochons)et on ne leurlaissesouventque le pouce et
l'index: le minimum indispensable pourtravailler. Entreça etbiend'autres
choses...j'en avais marre,c'est brutalet je ne voulais plus de brutalité.
Alorsje mesuisditquej'allais travailler surquelquechosequi soitimpor-
tantmaispeut-être moinsdéchirant. Pendantdeuxans,j'ai travaillésurla
céramiquepourréfléchir surles limitesau travailintellectuel des femmes :
d'accord,on faitdes chosesà mainnue,est-cequ'ily a là aussides limites
par rapportau travailintellectuel? Par exemple,est-ceque les femmes
peuventpeindre,sculpter, dessinern'importe quel sujet?Mais finalement,
je me suis dit que non,la reproduction c'étaittropcentral.Et là, encore
une fois,on se retrouve devantle faitque dans les études,toutest consi-
dérécommedu naturel, c'estnaturelque les femmes fassentdes enfants, la
fertilité
estnaturelle : commeje disais,c'estcommela pluiequi tombe.En
analysantbien,on voitque dans les sociétés,ce n'estpas simplement un
faitnaturel, c'estun faitsocial,socialement géré : c'estnaturel de faire des
enfants, maisil y a des moyensde contraindre les femmes à les faire,il y a
la possibilitéde rythmer les naissances,d'imposer la reproduction. Pourle
diretrèsbrièvement, l'ovulationc'estbiologique,le coïtc'estun faitsocial.
La sexualitéchezles humainsestl'objetde différents typesd'intervention.
Biendessociétésfontattention à étudierles moments de fertilité
desfemmes,
commentles géreréventuellement en imposantle coït «quand la femme
estfécondable» : ellesne le fontpas toutesni toutesde la mêmemanière, il
y a des différences énormes, mais c'estun souci bien présent.D'ailleurs, il
suffit de voirce qu'a provoquéla possibilitéd'avorter légalement et l'in-
troduction des moyenscontraceptifs dansles mainsdes femmes, dansnos
sociétés,pourvoircomment il s'agitencoremaintenant un terrainde lut-
tes: en Italie,il y a eu récemment la proposition d'un moratoire pourles
avortements ! Doncj'ai commencé à travailler là-dessusetje peuxdireque
ce n'estpas facileparcequ'avec ce qu'on lit,parfois,on n'a plusenviede
continuer.

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Entretienavec Paola Tabet
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Et alors justement, comment tu faisais pour continuer, c'est difficile quand


quelque chose nous affecte...

Oui,et ça m'a affecté. Pourles outils,quandj'ai lu l'histoiredes femmes


aux doigtscoupés,je pleuraisà la bibliothèque : parfoisc'esttrop! Alors
comment est-cequ'on fait?On parleavec les gens,c'estjustementlà que
la présenced'amiesféministes qui travaillaient sur les mêmessujetsou
dans des domainesvoisinsa été importante. Là, pendantle travailsurla
reproduction, a commencéaussi monamitiéavec JeanneFavret-Saadaet
JoséeContreras (à laquelleje dois aussi la traduction de tous mes textes
surl'échangeéconomico-sexuel). Etj'ai connuégalementNicoleÉchard1,
qui a été extrêmement importante pour le travailsur ce que j'ai appelé
l'échange économico-sexuel. Là non plus,ce champd'étudedes rapports
économico-sexuels n'existaitpas en tantque tel: il y avaitplutôtla vision
d'un échangemarchandlimitéeaux rapports plus ou moinsclassiquesde
prostitution. Au lieu d'unedivisionentrela prostitution et toutautrerap-
port,j'ai posé l'idée d'un continuum qui, de fait,en partantdes rapports
légitimes commele mariage,s'étendjusqu'aux rapports stigmatisés et défi-
nis commeprostitution. C'estun continuum qui passe parbiendes formes
différentes et qui comprend tousles rapports sexuelsoù il y a un échange
entreles hommeset les femmes:de la partdes femmes, un échangede
sexualité,ou un service sexuel,contre quelque chose d'autre de la partdes
hommes,que ça soit des biens,de l'argent,une promotion, du prestige
commele nom,etc.En travaillant surce sujet,j'ai aussi eu la chancede
connaître, à l'occasiond'uncolloqueinternational à Madrid,GailPheterson
qui travaillait,commechercheuse et commeactiviste, sur la prostitution.

L'idée du continuumde l'échangeéconomico-sexuel provoquetoutefois


une considérable résistance, souventpresqueun déni.Je l'ai vu dans des
nombreuses discussions autourde monlivreLa grandearnaque.Pourbeau-
de
coup femmes, ce n'est pas une idée trèsfacileà supporter. Et parfois
aussidansla recherche, on a tendanceà utiliser cetteidéede façoncoupée,
parfoispresquesimplement commeune nouvellemanièrede nommerla
prostitution: donc, encore une fois,on séparetotalement la prostitutiondes
autresrapports d'échange,alorsqu'ily a biendes formes d'échange écono-
miquequi n'ontpas les mêmescaractères d'échangetariféet contractuel que
la prostitutionetqui ne sontpas stigmatisés de la mêmemanière. il
D'ailleurs,
me semblequ'il manqueune recherche effective surl'échangeéconomico-
sexuelà l'intérieur du mariage : c'estune grossepartiedu sujetqui doitêtre
mieuxétudiénotamment pourles sociétéseuropéennes. Pources dernières,
c'estdifficiled'envisager d'étudier ce qui concerne le mariageou le rapport
de cohabitation, paesé ou non, dans cette perspective.Pourcertainspays,
par exemplele Niger,ce n'estpas difficile du tout: je suis allée au Niger,
parceque NicoleÉchard,qui y a beaucouptravaillé, mel'avaitsuggéré.Elle

1. Anthropologueféministe, Nicole Échards'était listede ses publications,voir PierreBonté (1994).


en particulierspécialiséesur la société hausa, au «Nicole Échard(1937-1994)». Journaldes Africa-
Niger.Pour un brefhommagecomplétépar une nistes,64 (2), 91-95. [N.d.l.r.]

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me disait: «Tu vois, les difficultés que tu as ici à repérerles situations
d'échanges, là-bas c'est tout à faitclair,les échangeséconomico-sexuels
sontadmisetpas cachéscommeici.Ici c'estunehonte,pourunefemme, de
dire:je me marieparcequeje seraientretenue, j'aurai des cadeaux,j'aurai
ceciou cela.Au Niger,c'estl'évidencemême.Les femmes disent: est-ceque
j'iraisavec un hommes'il ne me donnerien?»Pourquoiy aller?Nicoleme
racontaitque chez des copinesà elles qui étaientdes employéesde haut
niveau,de ministères, etc.,elle voyaitdébarquerun amantpar exemple
avec un lustrequi venaitd'Europe: c'étaitle cadeau pourson amante.Et
avec les grandscadeauxd'objetsou d'argent, ellesarrivaient à ouvrirune
boutique, à se faire
des maisons... Ce n'était
pas caché du tout. Dans beau-
de il
coup pays, n'y pas a l'idéeque mélanger la sexualité ou la tendresse
avecl'argentpeutêtrequelquechosede honteux, doncc'estbienplusfacile
d'enparler:le continuum estbeaucoupplusaisé à établir, à analyser.

Est-ce que tu vois un lien entre ce dévoilement d'un mécanisme difficile à


admettre pour soi-même et le fait que ton idée de continuum n'est pas
complètement reprise?

Oui,c'estdifficile, c'estjustement pourça queje pensequ'il fauttravailler


ce terrain. Parceque mêmedans des cerclesféministes ou de femmes, ces
échangeséconomico-sexuels sontrenvoyés aux autresfemmes, aux femmes
de là-bas: on faitun petittrucinconscient, un peu raciste,on se ditque
pournous,cheznous,ce n'estpas commeça. C'estun champtrèsdifficile :
je suisconvaincuequ'onestformées à êtredesfemmes, on nousa tellement
formées à unesituation de service,de care,d'amour, qu'onne peutpas voir
la sexualitécommeun échange.Ce n'estpas qu'on ne veutpas,on ne peut
pas. Parceque c'estconsidéré commenormal, évident : les hommesgagnent
plus et les femmes, elles font ce qu'ellesestiment propreà leurcaractère, à
leurmanièrede vivre,ellesn'estiment pas qu'elles le font dansle cadred'un
échangeéconomico-sexuel. Surle plandu travail, la sociétémetles femmes
dansune situationde différence de salaired'uncôtéet,de l'autrecôté,de
différence d'accèsaux emplois,de tempsde travail,de précarité. Dans cer-
tainspays d'Europepar exemple,les femmesmariéesn'ontpas le droità
l'allocationchômageparcequ'onestimeque c'està leursmarisde les entre-
tenir!Toutcet ensembled'énormesdifférences entrehommeset femmes,
c'estle litde l'échangeéconomico-sexuel, c'estle litinstitutionnel,maison
ne peutpas se le dire,on ne veutpas se le dire.Alorssi l'idéedu continuum
n'estpas reprisepar d'autres, c'estune manièrede réduireradicalement ce
concept,de ne pas le voirdansson utilitéheuristique, dansle potentiel de
connaissance de nos sociétésqu'ilpourrait permettre, ou mêmede connais-
sancede soi-même, individuellement. Ce n'estpas un rejet,maisen même
tempsc'estune telleréduction que ça équivautpresqueà un rejet.L'idée
d'un champétendud'échangeéconomico-sexuel, d'un continuum réelest
énormément à
affaiblie, la limite l'échange économico-sexuel peut devenir
un purmotqui désignele «sexe contrepaiement». Et ça, ce n'estpas très

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intéressant. Ce n'estpas ça sur quoi je voulaistravailler: je voulaistra-


vaillersurquelquechosequi estvraiment à la base des rapports sociauxde
sexe dansles différentes sociétéset qui prenddes formes sans douteextrê-
mement différentes.Parfoisl'échangeestbienvisible,estbienadmisetpar-
foisil ne l'estpas du tout.Le mariaged'intérêt, il y a un siècle,n'étaitpas
vu commequelquechose d'extrêmement négatif.Mais maintenant, tu ne
diraispas à une amie: je faisun mariaged'intérêt. Et pourtant on disaitet
on ditdes chosescomme: elle a trouvéun bon parti.

Quel accueil tes travaux ont-ils reçu dans les universités où tu as travaillé?

Parrapport à l'accueilde mesthèsesen Italie,je ne sais pas. En toutcas,je


peux direune chose:tandisque des anthropologues marxistesavaienttrès
bienreçul'article surles outils,cela n'a pas du toutétéle cas pourles articles
surla sexualitéet la reproduction, c'étaitla catastrophe! En réalité,j'ai très
peude rapports aveclesuniversitaires italiens.Ce n'estpas seulement de leur
faute,c'est de la mienneaussi: je détestealler dans des colloquespar
exemple.Etpuis,c'estassezmarrant parcequeje suisconsidérée commeune
féministe française plutôtque comme une féministeitalienne.
Cela s'explique
aussiparle faitque,dansla première périodeoùje faisaisde la recherche, le
féminisme en Italieétaitlargement un féminisme de la différence,
aveclequel
je n'airienà faire.Etenfin, il y a aussile faitquej'ai vécude façonasseziso-
lée,en vivantbeaucoupà la campagne, j'avais deuxenfants à éleveret sur-
toutje n'avaispas un sou. Ce qui a constitué monlieu de référence, c'était
Parisavec le groupede Questions Féministes. De tempsen temps, je laissais
mesenfants à mesparents etje venaisà Paris,oùj'avais uneaideimportante:
j'ai pu êtrehébergée, avoir des personnes avec quije pouvaisparler.C'estça
la substancenutritionnelle qui m'a permisde travailler. J'aiaussieu le sou-
tiende trèsbonnesamiesqui ne sontpas dansle champnide la sociologieou
de l'anthropologie, ni des féministes, mais qui m'ontbeaucoupaidée en
m'hébergeant, parfoispour des périodesconsidérablescar,pour chaque
article,je metsbeaucoupde temps,parceque ce n'estpas toujourssi facile
de déblayerle terrainou les informations. Chaque fois que je venais à
Paris,je travaillaiscommeune folledans les bibliothèques, ou j'allais au
Laboratoire de Lévi-Strauss etje ramassaistoutce queje pouvaisramasser.

C'est là qu'on voit à quel point le réseau est important!

Les réseaux,c'est essentiel,c'est une nourriture


vitale.J'ai eu quelques
contactsd'une importanceexceptionnelle, qui ont été fondamentaux,
absolumentfondamentaux. Revenirà Paris et pouvoirdiscuteravec les
personnesqui étaientcellesqui développaient des aspectsthéoriquesqui
m'intéressaient,
ça a étéune chance Sans cela,montravail
exceptionnelle.
n'auraitpas progresséde la mêmemanière.

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Ce doit être réciproque, parce que ce qui est frappant, dans tes livres mais
aussi dans ceux de Nicole-Claude Mathieu et dans ceux de Colette
Guillaumin, c'est que vous vous citez beaucoup, on voit que vous réfléchissez
ensemble.

Ah oui avec Colette,par exemple,commeje le disaistoutà l'heure,j'ai


marchédes heures,ici à Paris,en discutant notamment de la reproduction.
Et avec Gailsurl'échangeéconomico-sexuel. C'estvraique simplement la
possibilitéde parlerde ses travauxet d'écouterdes considérations de l'au-
trepersonneetles questionsqu'ellepose,ça pousseà réfléchir dix foisplus
vite! Cela t'amènepeut-être aussi sur des sentiersque tu n'avaispas vus
ou pas assez développés, doncça faitune différence essentielle.
D'ailleurs,
quandj'ai commencé la réflexionsur les outils,je faisaisdes séminaires à
Piseet on avaitforméun petitgroupeféministe avec d'autresfillesqui tra-
vaillaientà l'Université etje me rappellequ'on discutaitpar exempledes
Baruya2, des lectures qu'on faisait, et c'était très important.
La possibilitéde discuterde la sexualitéou de pleinde choses,c'estabso-
lumentessentiel, sans cela on étouffe, la pensées'arrêteun peu tropvite.
En plus,ce sontdes champstellement durs,que sansun soutiendes autres,
tu es désespérée.

Comment es-tu passée de ces sujets-là à tes recherches sur le racisme?

L'uniquelivreque j'ai publiésurle racismeest La pelle giusta.J'ai com-


mencé ce travailimmédiatement après la parution,dans la revueLes
TempsModernes,de l'article«Du don au tarif».Avec ce travailsur le
racisme,ce n'est pas que je suis passée d'une chose à une autre; c'est
arrivépar hasard.Évidemment, il y a un lien entreracismeet sexisme,
commele montrent les textesde Guillaumin qui théorisesurl'idéologiede
la nature,soitdu côtéde la race,soitdu côtédu sexe.Et,en fait,c'estgrâce
à l'élaborationthéorique de Colettequej'ai pu fairece texte.L'occasionde
ce travailesttoutesimple: pendantmescoursà l'Université de Sienne,une
étudiante avaitdonnédes devoirsaux enfantsd'uneécoleprimaire où elle
enseignait.Ellem'avaitracontécela et ça m'avaitparutrèsintéressant. J'ai
voulu savoirà quel pointdes enfantsd'écoleprimaire et secondaire,jus-
qu'à 13-14ans,étaientinfluencés dans
par le racisme.Alorsj'ai recueilli,
les écolesde presquetoutesles régionsde l'Italie,des milliersd'essaissur
le thème«Si mes parentsétaientnoirs»ou d'autrestitresanalogues.J'ai
publiéune partiede ces textespourmontrer comment le racismea diffé-
rentesfacettes manièresdontces enfants
: la peur,le dégoût,les différentes
voyaientles autres,ce qui poureux étaitautre,étaitfabriquécommeautre,
etc. C'estun travailqui m'a prisplusieursannées,notamment parceque

2. Population de la Papouasie-Nouvelle-Guinée,
notamment étudiéepar MauriceGodelier.[N.d.l.r.]

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Creuserdes évidencestoutesnaturalisées
Entretienavec Paola Tabet
IRéalisé par Hélène Martinet SéverineRey

c'estassez longde recueillir,


puis de lireseptou huitmilletexteset de les
analyser.Les textesétaienttrèstrèsrépétitifs.J'aiétablides catégories,
j'ai
faitun travailde miseen formedu discours,avec une longueintroduction
surle racismeen Italie,et puis des petitesintroductions aux chapitresqui
montraient manifestations
les différentes de ce racismequi émergeaient
des essaisdes enfants.Donc parexemplela peur,le dégoût,la méconnais-
bref,toutun ensemblede sentiments
sance,la supériorité... et de manifes-
tations,souventmêmede «bienveillance», où l'enfantditgentiment qu'il
va toutapprendre aux «autres»parceque ces gens-làne sontpas vraiment
humains,ils ne saventrien,en toutcas bienmoinsqu'unenfantitaliende
7-8 ans.

Tu dis quelque part qu'on peut désapprendre le racisme. Qu'entends-tu exac-


tement par «désapprendre le racisme» et penses-tu qu'on puisse alors aussi
désapprendre le sexisme?

Je ne sais pas trèsbien. Il fautd'abordconsidérer que le bouquinétait


avanttoutadresséaux gens qui travaillent dans les écoles: leurmontrer
comment les enfantssontsusceptibles d'absorber biendes choses,qu'il est
évidentqu'ils ne les ontpas crééeseux-mêmes, maisqu'ellesviennentde
leurentourage. Ils ontparfoisdes connaissancestoutà faitabsurdes,une
désinformation énorme.Alors,qu'est-ceque c'estque désapprendre? Pour
moi,c'estun problème trèsdifférent selonqu'il estposé du côtédes domi-
nantsetdes dominés.Toutepersonnequi naîtdansnos sociétésou dansles
autressociétésapprendtrèsvite,trèstrèsvite,dès la toutepetiteenfance,
les rapports de sexe: tu es forméen tantque femmeou en tantqu'homme,
on te demandedes chosestrèsdifférentes, tu intègrescommenttu dois
bouger, comment tu ne dois pas bouger, que tu peux faire,etc.,ça s'ap-
ce
prend à une vitesse incroyable. Dans ce sens-là,qu'est-ceque ce seraitde
désapprendre? Votre question n'est pas facile.Moij'ai tendanceà penser
qu'un désapprentissage est très difficile
: le sexisme,les rapportsde pou-
voirentreles sexes,c'esttellement intégrédanstoutnotrecorps.La façon
donttu entresdansun café,donttu t'adressesà quelqu'un,elle estsignée,
elle est marquéepar l'apprentissage de ce qu'estune femme, ce qu'estun
homme.Commeje le disaisà proposde l'échangeéconomico-sexuel, l'ap-
prentissage à l'amour,au service,à l'attention, à la soumissionpartielleou
pas, on l'apprendtellement vite,ce sontdes signesparfoisminuscules, et
déconstruire toutça c'estune lutteénorme.Et,du côtédu dominant, quel
intérêt a-t-ilà désapprendre, quand toutest posé pourlui donnerun peu
plus de confort, de service,du pouvoir?Mêmesurdes trucsextrêmement
simples, parexemplequi faitla vaisselle,il y a pleinde couplesqui se bat-
tentpendantdes années.C'estincroyable, ça, c'estune chosetoutepetite,
comment partagerdes servicespersonnelsou domestiques, maismêmelà
on n'arrivepas à ce simpledésapprentissage! C'est trèsdifficilequ'un
dominantrenonceà ses privilèges, ou par exemplequ'il désapprenneà
entreren dominantdans un café,un lieu publicquelconque...Mais ça

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dépendaussi de la classesociale,de la «race».Il estclairque cela se pose
différemment pourun hommes'il estpauvreet/ouobjetde racisme:l'as-
surancealorsestbienmoindre. Pourentrer dansun lieu avec une certaine
assurance, pour une il
fille, faut déjà se considérer belle,êtrebienhabillée,
êtreconforme... sinonelle se sentsouventmal à l'aise, bien plus qu'un
garçon.Et elle doitsupporter le regard...Ou alorscommentest-ceque tu
apprendsà avoirdes droits?Parceque pourune femme, ce seraitde savoir
qu'elle a des droits,des droitsentiers.Le désapprentissage c'estvraiment
une questiontrèsdifficile, il faudraity réfléchir plus. Plus qu'un désap-
prentissageindividuel,c'est un changementcollectifqu'il faudrait,un
changement qui passe aussipardes désapprentissages individuels. Un seul
: la
exemple peur.Nous, femmes,les nous sommes habituées à avoir peur.
Si tumarchesdansla ruela nuit,etsi c'estun endroit un peu désert, etque
tu entendsun pas d'hommederrière toi,je pense que 90% des femmes
éprouvent un certain malaise ou de la peur.À ce propos,quandje deman-
dais à mes étudiantesà l'Université si elles sortaientet si elles rencon-
traientdes problèmesà sortirla nuit,une partied'entreelles me répon-
daient: «Mais non!» Alors je leur demandais: «Donc vous sortez
librement?» - «Mais on n'a pas tellement enviede sortir», elles disaient!
Pourune partiedes femmes, ça veut direqu'ellesne peuventmêmepas
pensersortirla nuit seules. Ce qui veut dire renoncerà un espace de
liberté.Si elles peuventagir contrecettepeur,alors au lieu d'avoirune
femmedansla rue,il y en aura dix,cent! Et ellesn'aurontpas peur.Et ça
c'est un désapprentissage qu'on faitcontresoi-mêmesi tu veux, c'est-
à-direc'estune décisionde résistance. À monavis,le désapprentissage ne
peut être que ça. C'est difficile,ça demande un effort de chacune, mais
c'estseulement des chosesqui deviennent collectivesqui peuventamorcer
un changement.

Tu écris, dans tes textes sur les échanges économico-sexuels, que les femmes
peuvent résisterd'une certaine manière aux échanges qu'on leur impose, mais
que finalement elles sont toujours contraintes d'utiliser leur corps; donc elles
ont une marge de manœuvre qui est relativement restreinte.Dans ce cadre-
là, quelle place vois-tu pour la résistance ou pour un retournement des
choses: est-ce une marge très limitée ou bien y a-t-il une possibilité d'action
qui serait, comme tu viens de le dire, peut-être plus collective?

Dans le contextede l'échangeéconomico-sexuel, je ne sais pas,je ne me


suispas posé la questionde la mêmemanière : quandje parlaisde la peur,
qu'on peut envisagercommeun pas
il s'agissaitd'une chose différente,
versune prisede consciencecollective.On peutvoirdéjà une résistance,
par exemplede la part des femmesafricaines,quand elles sortentdu
mariage.Ces femmes, depuisdes années,émigrent de leurvillage,vonten
maisavec ça, elleséchappentà des liens
ville,parfoisellesse prostituent,
privésd'appropriation extrêmement violents,où ellespeuventêtrebattues,
où elles sontexploitéeset ont énormément de travailà accomplir.C'est

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Entretienavec Paola Tabet
IRéalisé par Hélène Martinet SéverineRey

elles-mêmes qui disent:moije ne revienspas au village,je ne veux pas


fairetoutce travail, en plusavecun mariquiva mebattre. Ellesy échappent
mais ce n'estpas sans un coûtimportant: ellesvontfairede la prostitu-
tion.Ce n'est donc pas échapperà une domination:là, elles travaillent
avec leurcorpscommetu disais,mais avec quand mêmeun élémentde
mesure,de contrat, de «je te donnetantpourtant».Tandisque, dans le
mariage,il n'y a pas de limite,ni de temps,ni d'utilisation, ni de rien.Par
exemple, une filleau Niger me racontait
qu'on luitordaitle braspar-derrière
pourlui imposerle coït et qu'on la battait; tandisque, quand elle va en
ville,comme«femmelibre»,elle choisitses clients,elle choisitdes amants:
c'estune situationbiendifférente quandmême.D'ailleurs,on connaîtbien
les migrations de femmes en Europedansles sièclespassés: les femmes qui
migraient de la campagneà la ville,ellesse retrouvaient bonnes,nourrices
ou prostituées, ou certainesentraient dans les industrieset devenaientdes
ouvrières. Mais la plusgrandepartiearrivait dansdes situations de service
de nouveau,et cellesqui étaientouvrières entraient encoreprobablement
le plus souventdans des situationsde servicepar rapportà leur mari.
Et aujourd'hui,on a des migrations importantes de femmesd'Amérique
de
latine,d'Afrique, Thaïlande, de Chineou des Philippines.Donc,il y a eu
et il y a des mouvements de résistancequelquepart, de refus. Peut-être ça
n'aboutitpas à grand-chose, maisc'estun refus.Il y a une résistance par
rapportà une partiede ce système, maison n'a pas un changement total.
Alorscommentarriverà d'autresformesde résistance?Mais la sortiede
toutça, ce n'estpas moiqui pourraile dire. ■

Publications de Paola Tabet

(1979). «Les mains, les outils, les armes». In Marie-Claude Hurtig, Michèle Kail, Hélène
L'Homme,19, 3, 5-61 [reprisdans Tabet, 1998, Rouch (Éds), Sexe et genre.De la hiérarchieentre
paru en anglais: «Hand, Tools, Weapons», dans les sexes (pp. 227-243). Paris: Éditionsdu CNRS.
FeministIssues,2 (2), 3-62, 1982].
(1997). La pelle giusta.Torino: Einaudi.
(1985). «Fertiliténaturelle,reproductionforcée». (1998). La construction sociale de l'inégalitédes
In Nicole-Claude Mathieu (textes réunis par), sexes. Des outils et des corps.Paris: L'Harmattan
L'arraisonnement desfemmes.Essais en anthropo-
(Bibliothèquedu féminisme), 208 p.
logie des sexes (pp. 61-132). Paris: Éditions de
l'École des hautes études en sciences sociales (2000). «Comme s'ils avaient la peau juste». Pro-
(Cahiersde L'Homme;XXIV) [reprisdans Tabet, Choix,16, 19-26.
1998, paru en anglais: «NaturalFertility,Forced (2001). «La grandearnaque. L'expropriation
de la
Reproduction». In Diana Leonard et Lisa Adkins sexualitédes femmes».ActuelMarx,30, 131-152.
(Éds), Sex in Question:FrenchMaterialistFemi- (2004). La grandearnaque. Sexualitédes femmes
nism(pp. 109-177). London: Taylorand Francis, et échange économico-sexuel.Paris: L'Harmattan
1996].
(Bibliothèquedu féminisme),207 p. [éditionen
(1987). «Du don au tarif.Les relationssexuelles italien: La GrandeBeffa,Sessualità delle donnee
impliquantcompensation».Les TempsModernes, scambio sessuo-economico. Soveria Mannelli:
490, 1-53. Rubbettino, 2004]
(1991). «Les dentsde la prostituée:
échange,négo-
ciation,choixdansles rapportséconomico-sexuels».

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