Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Pasqua Hervé. Alain de Libera, Thomas d'Aquin contre Averroès. L'unité de l'intellect contre les averroïstes suivi des Textes
contre Averroès antérieurs à 1270. Texte latin, traduction, introduction, bibliographie, chronologie, notes et index. In: Revue
Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 94, n°2, 1996. pp. 354-359;
https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1996_num_94_2_6995_t1_0354_0000_2
que la lecture averroïste est contraire aussi bien à celle des péripatéticiens
grecs (Thémistius, Théophraste, Alexandre d'Aphrodise) qu'à celle des
Arabes (Avicenne, Al-Ghazâlî). Tous font une interprétation opposée à
celle d'Averroès «dépravateur» et «corrupteur» du péripatétisme.
A. de Libéra fait observer que, jusqu'à présent, l'Aquinate procède
philosophiquement sans recourir aux dogmes de la foi, étant entendu que
l'aspect hérétique du monopsychisme est par trop évident. Seuls
comptent les «arguments» (rationes) et les textes des philosophes (dicta phi-
losophorum). Après le rappel des dicta, les chapitres 3-5 développent les
rationes.
Le chapitre troisième est une réfutation de la première erreur
averroïste, à savoir: l'affirmation de la séparation réelle de l'intellect par
rapport à l'âme humaine. Il s'attaque à l'affirmation selon laquelle
l'intellect n'est pas l'âme ou une partie de l'âme qui est forme du corps
humain.
Le chapitre quatrième vise la seconde erreur d'Averroès:
l'affirmation de l'unité de l'intellect possible. Saint Thomas distingue cette thèse
de celle de l'unité de l'intellect agent, qu'il rejette comme contraire à
celle d'Aristote.
Le chapitre cinquième conclut en réfutant les arguments des aver-
roïstes contre la vraie thèse, la pluralité des intellects. Au terme de
l'argumentation les averroïstes se retrouvent seuls à refuser la pluralité
numérique des intellects face au rejet universel du monopsychisme par
tous les philosophes, qu'ils soient arabes ou grecs.
Jetant toute l'énergie de son génie dans la bataille, saint Thomas
pourfend l'idée inhumaine d'un homme qui ne pense pas, que quelque
chose d'autre que lui, un intellect unique et séparé, pense à sa place. (La
postérité averroïste, curieusement tenace, ira plus loin encore que Siger,
visé ici, en niant le fait de conscience et en rejetant toute dimension
personnelle de la pensée). Un de ses arguments les plus forts contre l'aver-
roïsme, relève l'A., est de montrer qu'il ne peut expliquer que l'homme
pense, mais seulement qu'il est pensé (p. 65). La noétique d'Averroès
est bien incompatible avec l'idée d'une pensée individuelle. Sa faiblesse
constitutive est de ne pouvoir saisir le pensant comme pensant mais
seulement comme pensé. Aussi son prolongement le plus logique serait
celui envisagé par A. de Libéra, d'une théorie de la vision telle qu'elle
s'affirme dans la mystique spéculative d'un Maître Eckhart, nous
ajouterions celle du De visione Dei de Nicolas de Cues, où le regard se
saisit lui-même comme regardé. «L'idée, écrit l'A. en note, que l'homme
peut atteindre à une connaissance de soi exercée avec l'œil même de Dieu,
n'est pas sans analogie structurelle avec la thèse averroïste selon laquelle
l'homme pense par l'opération même de l'intellect séparé» (n. 1, p. 71).
358 Comptes rendus