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Les mycorhizes
Des alliés dans l’alimentation
et la protection des plantes
©MG
Chambre d’agriculture Dordogne - Les mycorhizes, des alliés dans l’alimentation et la protection des plantes - 09/2020 - F. Hirissou 1
forme la plus répan-
due est la mycorhize
à arbuscules (CMA)
(Fig.2).
C’est cette famille
qui intéresse le
Arbuscules
monde agricole (Surfaces d’échanges entre le
champignon et la plante)
Hyphes
(Filament de transport des nutriments)
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est le phosphore. Cet élément clef de la consti- tosynthèse pour entretenir son réseau mycorhi-
tution et du fonctionnement des êtres vivants zien. Cette dépense n’a plus lieu d’être lorsqu’il
(membranes, acides nucléiques, énergisation, y a apport d’engrais phosphaté minéral, type
métabolisme de base) est indispensable à la vie super phosphate, capté à seulement 15 % par
cellulaire à tel point que c’est un des premiers les racines de la plante, les 85 % restant étant
engrais dont la nécessité fut reconnue pour les rétrogradés dans les sols. La plante n’entretient
plantes. donc pas de réseau mycorhizien, et cette décon-
Depuis des millénaires les chinois utilisaient nection est problématique car elle ne permet
les broyats d’os pour améliorer les cultures, et pas de bénéficier des autres services assurés
au moyen âge en Europe les cimetières furent par les mycorhizes (résistance au stress hy-
une source d’approvisionnement en phosphore. drique, protection contre les pathogènes, amé-
Mais si les sols des pays tropicaux souffrent lioration qualitative…) et rend les cultures plus
d’une réelle rareté de phosphore qui est le fac- fragiles et dépendantes des intrants extérieurs.
teur limitant pour la production agricole, les Il faut souligner que les cultivars modernes de
terres des pays tempérés (riches) regorgent maïs, blé et autres plantes naturellement myco-
de phosphore accumulé par des décennies rhizées, sélectionnés sur les seuls critères de
d’apports massifs de phosphore minéral mais rendement en conditions optimales de fertilisa-
peu utilisable par des plantes mal adaptées. En tion minérale ont perdu leur capacité à former
raison du fait qu’il est indispensable à la vie, des mycorhizes, ce qui augmente leur vulnéra-
et d’une consommation mondiale qui pourrait bilité. Deux groupes de plantes sont fortement
dépasser les ressources disponibles avant une dépendants de la mycorhization : les légumi-
cinquantaine d’années, le caractère de plus en neuses (pois, féverole, luzerne, trèfle, hari-
plus indispensable du phosphore pour nourrir cots...) et les alliacées (poireaux, ails...). Les
l’humanité en fait une ressource stratégique au racines des poireaux, des ails, des oignons sont
même titre que le pétrole. trop grosses pour bien explorer les sols et ont
Très peu mobile dans les sols, le phosphore absolument besoin des filaments mycéliens qui
est rapidement rétrogradé et difficilement dis- les prolongent pour s’alimenter. Le poireau est
ponible du fait de sa forte liaison aux argiles, d’ailleurs une plante indicatrice de la présence
aux calcaires en sols basiques ou aux oxydes de mycorhizes.
de fer et d’aluminium en sol acides et par ses Les légumineuses sont également dépendantes
formes organiques très stables (phytates). Les des mycorhizes car elles ont besoin d’un appro-
orthophosphates (seule forme minérale assimi- visionnement important en phosphore pour réa-
lable par les plantes) sont présents à très faible liser la fixation d’azote par les bactéries de leurs
concentration dans la solution du sol et sont l’un nodosités (rhizobium), très coûteuse en énergie.
des principaux facteurs qui limitent la distribu- Le champignon optimise l’activité de la bactérie
tion et la croissance des plantes. en exploitant plus efficacement le phosphore du
Seules les endomycorhizes en association sol et en retour la bactérie procure de l’azote
avec des bactéries ont les moyens d’ex- en quantité à la plante qui assimile davantage
traire le phosphore par des enzymes (phos- de carbone atmosphérique, puisque l’azote est
phatases), des acides organiques (citrate, un facteur limitant de la photosynthèse (chlo-
oxalate, malate) ou la libération de pro- rophylle). Ce carbone transformé en sucres va
tons, et grâce à des transporteurs spéci- augmenter l’activité des mycorhizes (Jean Gar-
fiques de le conduire jusqu’aux racines de baye - la symbiose mycorhizienne - 2015).
la plante. S’il n’y avait pas ce réseau myco-
• La protection contre les stress hydrique
rhizien, le seul système racinaire de la plante
aurait rapidement épuisé sa zone d’approvision- L’eau est le premier facteur limitant pour la
nement en phosphore (1 à 2 mm autour des croissance des plantes dans les agroécosys-
poils absorbants). Le maïs, les céréales, le pom- tèmes continentaux et ce facteur de production
mier, le noyer, la vigne et en fait la plupart des va devenir de plus en plus contraignant du fait
cultures (sauf les brassicacés – colza, chou... - du réchauffement climatique.
et les chénopodiacés – betterave, épinard) sont Le sol, du fait de ses composantes colloïdales
dépendants des réseaux mycorhiziens pour leur (argile et matière organique) et de sa structure
alimentation lorsque celle-ci ne provient pas microporeuse, retient très activement l’eau et
d’apports exogènes sous forme d’engrais. limite fortement sa disponibilité pour les orga-
En effet, la plante investie une partie de sa pho- nismes vivants et les racines des plantes no-
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tamment en période de sécheresse. En terme de la feuille et le mouvement de l’eau lors de
physique on dit que l’eau ainsi fixée par le sol périodes sèches.
est à un potentiel hydrique négatif, le poten-
• La protection contre les organismes
tiel zéro étant celui de l’eau libre à la surface
pathogènes (Fig.4)
du sol par exemple. Hors, il faut un flux d’eau
très important au travers du végétal pour as- Les mycorhizes sont des agents de lutte bio-
surer sa nutrition (tous les éléments minéraux logique qui permettent à un grand nombre de
sont en solution), sa thermorégulation (l’eau en plantes de se protéger contre les agents patho-
s’évaporant évacue les calories et maintient une gènes principalement racinaires. La réduction
température adéquate pour la vie de la cellule), des symptômes de maladies a été décrite pour
la photosynthèse (les électrons et l’hydrogène des pathogènes tels que Phytophtora, Piétin,
transférés à la molécule de CO2 pour former Pythium, Rhizoctone, Aphanomyces ou des
les sucres –réduction– proviennent de l’eau) et nématodes comme Rotylenchus, Meloidogyne.
son état dressé permanent grâce à la pression Pour agir, les mycorhizes doivent être installés
hydrique à l’intérieur des cellules. Pour produire dans le système racinaire de la plante avant
1 kg de matière sèche végétale il faut un trans- l’attaque car elles ne sont pas capables de
fert de 300 à 500 kg d’eau dans la plante. prendre le dessus sur un champignon patho-
Là encore les champignons en-
domycorhiziens sont essentiels
à la plante car ils jouent un rôle
LA MYCORHIZE
majeur dans la prospection et PROTECTRICE
l’extraction de l’eau du sol à des- 100%
tination des racines. En effet une
+ mycorhizes
racine mycorhizée explore un volume
de sol beaucoup plus grand qu’une
racine seule (pour 1 cm de racine il y
a 10 m de mycélium) et les filaments Survie
après 50%
fongiques ont un diamètre beaucoup
l’attaque
plus faible que les racines (1/100 de
mm contre 1/10 à 1 mm) leur per- - mycorhizes
mettant de pénétrer dans la micro-
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- Déclenchement d’une résistance systémique 3. Importance des réseaux communs
de la plante, induite par les mycorhizes, qui la
prépare à se défendre par la synthèse de molé- mycorhiziens dans le biocontrôle des
cules toxiques (polyphénols, alcaloïdes), d’en- cultures
zymes de défense (protéases, chitinases), de
barrières de protection dans la paroi (callose) Les champignons mycorhiziens, parce qu’ils
qui empêchent la progression du pathogène. ont une faible spécificité d’hôte, peuvent inter-
connecter des espèces différentes entre elles
• La biostabilisation des sols. Les CMA for- et favoriser des échanges de nutriments ou
ment un important réseau de filaments mycé- de signaux. Les champignons mycorhiziens à
liens pouvant atteindre 30 mètres par gramme arbuscules forment ainsi des Réseaux Mycé-
de sol. Ce réseau apporte une contribution liens Communs (RMC) de plusieurs mètres par
importante à la structure et aux propriétés gramme de sol selon les espèces. Cette proxi-
physiques des sols qui est très favorable aux mité, établie entre plantes par l’intermédiaire
cultures. En effet, les filaments mycéliens lient des champignons symbiotiques, a été mise
ensemble les particules minérales et orga- à jour grâce à l’identification moléculaire des
niques pour former des micro-agrégats stables individus, par marqueurs ADN, simultanément
entre lesquels s’établit une porosité permet- pour la plante et pour le champignon associés,
tant la rétention de l’eau et la circulation des dans de nombreuses études de végétation (fo-
gaz qui sont indispensables au fonctionnement rêt tempérée, prairies).
des racines (Garbaye 2015). Cette action est
renforcée par la sécrétion d’une glycoprotéine C’est donc vraisemblablement la règle dans
(protéine avec sucre fixé), la glomaline, agis- toute formation végétale. On a ainsi montré que
sant comme une « colle » qui assure la stabilité les RMC influencent la germination des plantes
des agrégats. La glomaline supporte les hautes (Dickie et al. 2002), leur survie, leur physiolo-
températures et son caractère hydrophobe lui gie, leur croissance et leur défense (Wu, Teste,
permet de résister à la dégradation par les mi- Babikova, 2009). Les RMC sont également une
cro-organismes. Ces propriétés font de cette source d’inoculum fongique. En effet les racines
glyco-protéine un composant majeur de la frac- des plantes en germination se greffent sur les
tion organique des sols où les formations végé- RMC existants ce qui leur permet d’acquérir
tales sont dominées par des espèces à endo- rapidement des éléments nutritifs dans le sol
mycorhizes arbusculaires (Garbaye 2015). Les pour la croissance des parties racinaires et aé-
chercheurs considèrent que la glomaline peut riennes, et assurer ainsi leur survie (Teste et
représenter jusqu’à 1/3 du carbone des sols, ce al. 2009). Cette communication inter-plante via
qui fait des champignons endomycorhiziens à les champignons mycorhiziens nous conduit à
arbuscules des acteurs essentiels de stockage repenser notre compréhension des interactions
du carbone dans les sols. multitrophiques dans la nature.
• Production végétale de meilleure quali- Les RMC pourraient être valorisés et utili-
té pour la santé humaine. Les champignons sés en tant que boite à outils essentielle à
endomycorhiziens ont un effet sur la qualité une agriculture durable.
des productions agricoles comme il ressort de
recherches faites sur un certain nombre de
plantes. Chez les arbres fruitiers, les CMA in- 4. Les relations bénéfiques entre rhi-
duisent une floraison et une fructification pré- zobactéries et mycorhizes
coces (Sohn et al. 2003) et améliorent la qua-
lité des produits végétaux (Bona et al. 2014). Les rhizobactéries sont des micro-organismes
On observe une amélioration de la qualité des qui vivent à proximité des racines des plantes
fruits de plantes maraichères telles que l’arti- et leurs sont étroitement inféodées par l’ali-
chaut (Ceccarelli et al. 2010), la fraise (Castel- mentation qu’elles en reçoivent à partir des
lanos-Morales et al. 2010), le melon (Copetta exsudats (sucres, acides aminés, acides gras,
et al. 2010) et la tomate (Salvioli et al. 2012), vitamines...) diffusés par les racines. Les
mais aussi des grains de céréales comme le plantes entretiennent ainsi à leur avantage ces
maïs (Berta et al. 2014), en lien avec une aug- populations de bactéries pour l’effet protec-
mentation des concentrations en antioxydants teur qu’elles assurent (sécrétion d’antibiotiques
(ex. anthocyanes) ou en sucres induits par les contre les pathogènes, captation de fer ou
mycorhizes. de phosphate facilité, induction de résistance
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systémique de la plante...). Les espèces bac- d’engrais minéraux et notamment les phos-
tériennes majeures représentées dans la rhi- phates sont défavorables aux symbioses my-
zosphère des plantes appartiennent aux genres corhiziennes car la plante, qui investit jusqu’à
Azotobacter (fixateur libre d’azote), Bacillus, 20% de sa photosynthèse dans la fourniture de
Pseudomonas, Rhizobia (fixateur symbiotique carbone aux champignons, interrompt cette
d’azote des légumineuses). Il est aujourd’hui relation qui ne lui est plus nécessaire. Elle perd
reconnu que la présence de ces rhizobac- en même temps les autres services rendus par
téries est avantageuse pour les champi- les mycorhizes et devient plus fragile et plus
gnons endomycorhiziens et que ces deux dépendante des produits de synthèse. À l’in-
populations de micro-organismes entre- verse, un apport d’engrais organique à minéra-
tiennent des relations réciproques et bé- lisation lente peut stimuler les CMA (Gianinazzi
néfiques qui profitent en dernier lieu à la et al. 2010). Les herbicides détruisent la flore
plante. spontanée colonisée par les endomycorhizes et
Effets bénéfiques de cette co-existence pour les inhibent le développement du mycélium et la
cultures : germination des spores. Ils diminuent ainsi le
potentiel mycorhizien des sols au détriment de
• La tomate : amélioration de la croissance (Vo-
tous les effets positifs des mycorhizes sur les
satka et al. 1992), de la nutrition phosphatée
cultures. Les fongicides sont également dom-
(Gamalero et al. 2004), de la concentration en
mageables aux mycorhizes et une étude a mon-
antioxydants et en lycopènes (Ordookthani et
tré que sur 19 des principales matières actives
Zare 2011), et une meilleure tolérance aux né-
de fongicides, 11 réduisent significativement
matodes (Liu et al. 2012).
la colonisation mycorhizienne des cultures qui
• La fraise : amélioration de la concentration en sont traitées, notamment lorsque le produit
anthocyanes (Todeschini et al. 2018), en sucre, touche le sol.
en vitamines et en acides mais aussi sur le ren-
Les programmes de sélection et d’amélioration
dement et la taille des fruits (Bona et al. 2014).
génétique des plantes ignorent complétement
• Le maïs : amélioration du contenu en amidon la contribution de la symbiose mycorhizienne
(Berta et al. 2014). au rendement final des cultures. La sélection
• Le pois chiche : amélioration de la nutrition est faite pour des systèmes de cultures à haut
(Tavasolee et al. 2013). niveau d’intrants qui minimisent ou annulent la
• Le pommier : réduction des maladies raci- formation des mycorhizes. Les variétés qui res-
naires (Dohroo et Sharma 2012). sortent de ces programmes sont non seulement
très peu dépendantes de la symbiose mais irré-
versiblement incapables d’en bénéficier si elles
5. Pratiques agricoles favorables aux sont cultivées en réduction d’intrants (Garbaye
mycorhizes 2015). Les recherches ont ainsi montré que sur
11 variétés de blé sélectionnées après 1975
La symbiose mycorhizienne est, on l’a vu, très
une seule était mycorhizée, alors que sur 11
bénéfique pour les cultures. Mais les pratiques
variétés anciennes, 8 étaient colonisées par les
agricoles conventionnelles qui utilisent des va-
mycorhizes (Hetrick et al. 1995). Tout est donc
riétés peu dépendantes des mycorhizes, avec
une question de compromis et il est nécessaire
un travail intensif du sol, et l’utilisation mas-
de prendre en compte les services rendus par
sive d’engrais minéraux (notamment les phos-
les réseaux mycorhiziens aux cultures, pour
phates), de fongicides et d’herbicides ont un
mettre en œuvre des processus de transition
impact certain sur la présence et l’activité de
agronomique qui les favorisent dans les pra-
ces champignons.
tiques culturales. Parmi les éléments forts qui
Le labour, en retournant le sol, disperse les sont à développer pour entretenir la symbiose
spores des champignons et les met hors de mycorhizienne il y a :
portée des racines des plantes. Les pratiques
de pulvérisation (herse-rotative) détruisent • Le non retournement ou pulvérisation du sol
les réseaux mycéliens en même temps que les (la fissuration pour décompacter est moins
agrégats de sol, base de leur stabilité. Tout le dommageable) pour éviter de déstructurer les
bénéfice des réseaux communs mycorhiziens réseaux mycorhiziens
pour le démarrage des cultures est alors perdu •
La fertilisation organique plutôt que miné-
et le recours aux intrants extérieurs est d’autant rale qui permet d’entretenir les communautés
plus nécessaire. On a montré que les apports bactériennes auxiliaires des mycorhizes tout
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en évitant que la plante cesse d’alimenter ces • Noyers en culture conventionnelle et biolo-
champignons nécessaire pour transférer azote gique avec couverts végétaux dédiés à base
et phosphore organique de légumineuses implantés en inter-rang après
• La couverture maximale des sols et notam- récolte
ment la pratique des couverts végétaux en in- • Noyers en plantation en association avec maïs
terculture qui permettent de maintenir en acti- en interrang
vité les réseaux mycorhiziens • Maïs avec semence traitées par fongicide de
•
L’introduction maximale de légumineuses contact à large spectre et semences non trai-
dans les rotations car ces plantes sont myco- tées
rhizogènes et assurent également ce service en
plus de celui de la fixation d’azote
Techniques d’identification des
• La limitation des brassicacées (colza, radis, mycorhizes
moutarde...) dans les rotations ou les intercul-
tures car ces espèces ne sont pas mycorhizées • Identification par analyses biomoléculaires
et diminuent la présence des réseaux dans les Les progrès considérables réalisés depuis le dé-
sols. Pour compenser ces effets négatifs, il faut but des années 2000 en biologie moléculaire,
implanter ces espèces en association avec des et l’expertise mondiale acquise par l’INRA de
légumineuses comme le colza semé avec des Dijon, partenaire de Mycoagra, dans l’étude
lentilles, gesse, fénugrec ou les mélanges de des endomycorhizes à arbuscules par l’ana-
couverts végétaux avec légumineuses domi- lyse ADN, ont permis l’identification rapide et
nantes exhaustive des espèces de champignons pré-
• L’utilisation de semences issues de variétés sentes selon les différentes modalités. L’analyse
anciennes mycorhizées, sélectionnées dans des est faite à partir de l’extraction d’ADN issu des
sols à haut potentiel mycorhizogène et pro- échantillons de racines de noyers, de maïs et
duites en condition de réduction d’intrants de couverts associé selon les différentes moda-
lités. Après amplification des molécules d’ADN,
des amorces universelles vont permettre de
6. Mycoagra repérer des séquences de motifs molécu-
Pour intégrer les symbioses mycorhiziennes laires portant l’information génétique propre à
dans les réflexions et les pratiques agrono- chaque espèces, à lire ces motifs et à les com-
miques favorables aux sols, la Chambre d’agri- parer à des bases de données en libre accès et
culture de Dordogne en relation avec un en- qui contiennent les séquences d’un très grand
semble de partenaires scientifiques (INRA, nombres d’espèces déjà connues.
Muséum d’Histoire Naturelle, Institut Unila- • Identification par coloration
salle, CTIFL, Station de la Noix de Creysse) a Ce mode d’observation a été utilisé en complé-
mis en œuvre le projet MYCOAGRA destiné à ment de l’analyse moléculaire pour évaluer les
étudier le statut mycorhizien d’une culture pé- taux de colonisation et l’intensité des échanges.
renne comme le noyer et d’une culture annuelle Il a été également présenté comme un dispo-
comme le maïs. Ces deux productions sont très sitif facile à acquérir par les agriculteurs qui
représentées dans le bassin Dordogne, Lot, souhaitent avoir un outil de caractérisation de
Corrèze et peuvent être considérées comme mycorhizes dans leurs cultures. Basé sur la
des cultures pilotes en pratiques innovantes où coloration et l’observation à l’aide d’un micros-
certaines pratiques agronomiques favorisant cope, du mycélium et des organes d’échanges
la vie des sols et notamment les micro-orga- (arbuscules) et de réserves (vésicules) du
nismes se développent. Ainsi, cinq modalités champignon présent dans les racines, il peut
de culture ont été analysées par rapport à leur donner les premiers indicateurs de présence
incidence sur les communautés mycorhiziennes de mycorhizes avec des éléments d’évaluation
pour évaluer les pratiques favorables à ces concernant les taux de colonisation et l’inten-
communautés. sité des échanges. Il ne permet pas l’identifica-
• Noyers en culture conventionnelle avec in- tion des espèces mais est un outil intéressant
trants chimiques (engrais minéraux, herbicides) pour évaluer la mycorhization en fonction des
• Noyers en culture biologique avec fertilisation pratiques cuturales.
organique seule
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Les résultats obtenus nel avec fertilisation minérale et désherbage
• Un nombre important de mycorhizes sur le rang sont moins mycorhizées que celle
identifiées conduite en bio avec fertilisation organique et
désherbage mécanique : plus faible intensité
C’est la première donnée majeure du pro-
de mycorhization et d’abondance arbusculaire.
gramme de Mycoagra qui a été fournie. 520
Ces noyeraies conventionnelles et bio ne béné-
Unités Taxonomiques Opérationnelles (OTUs)
ficient pas en outre d’une couverture végétale
d’endomycorhizes ont été identifiées par sé-
dédiée à base de féverole de fin octobre à fin
quençage ADN sur les racines de l’ensemble
avril, mais d’une couverture spontanée à base
des plantes échantillonnées (noyers, maïs,
de graminées principalement et d’espèces en-
couverts végétaux). L’analyse moléculaire per-
démiques (pissenlit, pâquerette, renoncule...)
met en effet de repérer toutes les espèces ou
indicatrices de sols compactés.
souches présentes sur les milieux étudiés. Les
OTUs sont des souches d’endomycorhizes très - Par contre les noyeraies conduite en conven-
proches par leur génome (97 % d’homologie) tionnel ou en bio mais avec un couvert végé-
et qui sont séquencées grâce à des amorces uni- tal dédié à base de féverole (150 kg/ha) de
verselles propres à leur groupe. Hors, il n’existe fin Octobre à fin avril (6 mois) présentent une
actuellement dans les banques de données intensité de mycorhization deux fois plus éle-
que 250 espèces répertoriées par culture et vées que dans les modalités sans couvert de
observation morphologique différenciée de leur légumineuses et une abondance arbusculaire
spores ou d’autres caractéristiques extérieures. deux (conventionnel) à quatre fois plus éle-
Cette analyse fine et exhaustive permise par le vée (bio). Cette observation est renforcée par
séquençage ADN montre la grande richesse et l’analyse moléculaire des espèces présentent
diversité du microbiote de la rhizosphère des selon les modalités. En effet la comparaison
cultures étudiées dans l’ensemble des modali- des espèces de mycorhizes présentes sur les
tés présentes. Certains genres de champignons racines des noyers montrent qu’il y a deux fois
et leur souches sont prédominants comme Glo- plus d’espèces présentes lorsqu’il y a un cou-
mus et Rhizophagus, tandis que d’autres se vert de féverole en conventionnel ou bio que
retrouvent en proportion plus faible comme lorsqu’il n’y en a pas. De même, les racines de
Septoglomus et Funneliformis, mais tous ont féveroles présentent deux fois plus d’espèces
un rôle à jouer dans la symbiose avec la plante. d’endomycorhizes que les racines de couverts à
base de graminées ou de flore spontanée. Cette
• Impact des modes de conduite sur la my- constatation illustre bien l’importance que peut
corhization (Fig.5) avoir l’utilisation de légumineuses dans les sys-
- Les noyeraies conduite en mode convention- tèmes de cultures pour favoriser la présence et
Fig. 5
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l’action des mycorhizes. noyers et de maïs ainsi que la contribution du
carbone des plantes dans la construction du
- Les couverts végétaux à base de légumineuses
réseau commun mycorhizien n’ont jamais été
sont des relais de mycorhization des cultures.
évaluée en conditions réelles de cultures. Pour
L’analyse des taux de mycorhization de toutes cela, nous avons utilisé des noyers (Juglans
les espèces en mélange dans les couverts vé- nigra L., plante en C3) et du maïs (Zea maïs
gétaux aussi bien que celles répertoriées dans L., plante en C4), qui affichent des ratios nette-
les enherbements naturels des parcelles liées ment différents de carbone 13/carbone 12, pour
à l’étude, montre que la féverole est l’espèce suivre la fourniture de carbone par les plantes
présentant le meilleur taux de mycorhiza- aux endomycorhizes. Les mesures ont été
tion; elle est dite hautement mycorhizotrophe faites dans une plantation de noyers de variété
(plante compagne qui aide à la mycorhization Fernette de 1 an, sur la station expérimentale
d’autres plantes). On peut avancer l’hypothèse de Creysse (Lot) dans laquelle 8 rangs de maïs
suivante sur le relais mycorhizien assuré par ont été implantés en mai 2018. Des pièges à
la féverole : en période hivernale, les noyers mycorhizes ont été disposés à 15 cm de pro-
ralentissent leur photosynthèse. Cela freine les fondeur entre les rangs de noyers et les deux
flux de sucres dans les vaisseaux de la plante rangs les plus proches de maïs pour recueillir le
et vers les champignons symbiotiques, qui se mycélium fongique et mesurer les taux de car-
retrouvent de fait beaucoup moins sollicités. bone 13 et carbone 12. La diversité des CMA a
Dans ces conditions, le maintien des champi- été déterminée par analyses moléculaires. Les
gnons mycorhiziens sous forme d’hyphes est résultats obtenus sont les suivants :
compromis. Les féveroles qui sont actives pen-
- 93 Unités Taxonomiques Opérationnelles de
dant l’hiver, maintiennent leurs populations en-
CMA appartenant toutes à la famille des Glo-
domycorhiziennes en fonctionnement. Celles-ci
mérales ont été séquencées.
sont alors actives pour coloniser directement le
noyer sans perte de temps, à sa reprise de vé- - La plupart de ces OTUs étaient communes
gétation au printemps, lui permettant ainsi de aux deux plantes et une OTU du genre Glomus
bénéficier de cette symbiose immédiatement. sp (cluster 1) regroupait 33 % (maïs) et 22 %
(noyer) de toutes les séquences isolées sur l’en-
• Association noyers – maïs et services semble des systèmes racinaires maïs et noyer.
rendus par les mycorhizes (Fig. 6) - Pour savoir s’il y avait une connexion permise
La modalité agroforesterie de noyers en plan- par ces OTUs entre les noyers et le maïs, les
tation (de 1an à 6 ans)
avec maïs en interculture
a été également étudié par
rapport au statut myco-
rhizien des deux plantes
et aux interactions favo- Fig. 6
rables produites grâce
à cette symbiose. Cette
pratique d’une culture an-
nuelle dans une plantation Schéma d’un réseau
de noyers est intéressante mycélien commun
économiquement car elle (RMC) dans un système
agroforestier entre des
permet de rentabiliser le
noyers et du maïs en
coût de la plantation et la inter-rang
période de croissance sans
© INRA UMR Agroécologie - Dijon - 2018
RMC
production. L’objectif des
observations est de mieux
comprendre comment les
mycorhizes agissent sur
les deux cultures.
La diversité des espèces
d’endomycorhizes asso-
ciées aux racines de
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valeurs de carbone 13 ont été mesurées dans tés portant sur les seuls critères de réponse à
les feuilles de noyers, de maïs, ainsi que dans le la fertilisation minérale, dans des conditions de
mycélium. Ces mesures ont montré que le my- culture optimales en intrants (travail du sol,
célium recevait à la fois du carbone des noyers azote et phosphore non limitant, irrigation...)
et du maïs, et le fait que l’un des OTUs les plus ne favorisent pas les mycorhizes. Le traite-
prédominants ait été détecté dans les systèmes ment des semences est un obstacle de plus à
de racines des deux plantes permet d’émettre leur présence comme le montre notre étude.
l’hypothèse de la présence d’un Réseau Com- Pour favoriser la résilience de cultures comme
mun Mycorhizien entre ces plantes. Ce réseau le maïs, aux problèmes de stress hydrique et
assure la fourniture de carbone d’une plante à d’adaptation aux changements climatiques, il
l’autre, et donne une preuve d’un lien physio- est sans doute nécessaire de mieux prendre en
logique entre une culture pérenne (le noyer) et compte les symbioses mycorhiziennes dans les
une culture annuelle (le maïs) en association processus de sélection et dans les modes de
mutualiste grâce aux mycorhizes. cultures.
• Impact du traitement des semences sur
les mycorhizes (Fig.7) 6. Les mycorhizes s’inscrivent dans
L’étude de l’impact du traitement des se- les processus de transition agroécolo-
mences de maïs avec un fongicide (Thirame)
sur la colonisation mycorhizienne de la plante gique (Fig.8, page 11)
a été également étudiée. La comparaison de Les mycorhizies s’inscrivent comme des vec-
racines de maïs issues de semences non trai- teurs puissants dans le cadre de la transi-
tées avec celles issues de semences traitées a tion agro-écologiques des pratiques agricoles
montré une différence significative de mycorhi- (M. Chave, V. Angeon - INRA Guadeloupe 2019).
zation. Les semences non traitées présentaient Elles regroupent en effet un ensemble de pro-
une fréquence de mycorhization (90 %/25 %) priétés favorables aux plantes en général et aux
quatre fois plus élevées que les semences trai- cultures en particulier qui doivent être prises en
tées et une intensité arbusculaire de la partie compte pour promouvoir les approches agrono-
mycorhizée (60 %/15 %) également quatre fois miques fondées sur la biodiversité et l’intensifi-
plus élevées. cation des interactions agro-écologiques.
Le maïs est une plante dépendante de la myco- Sur les aspects biologiques et agronomiques,
rhization et qui peut bénéficier des multiples les mycorhizes sont essentielles pour :
services rendus par cette symbiose pourvu que - Favoriser les apports de nutriments et notam-
celle-ci soit possible. Or la sélection des varié- ment les plus sensibles pour les cultures comme
Thiram
Dimethilthiocarbamyl
(fongicide et insecticide)
François Hirissou
Chambre Agriculture Dordogne 2019
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Fig.8 COMMENT EXPLOITER LA MYCORHIZATION DANS LES SYSTEMES DE CULTURES
C2 C3
C1
Utilisation du réseau Densification du réseau
Introduction de propagules
mycorhizien de la parcelle mycorhizien
Réduction de Réduction
Souches Souches Cultures en Cultures en
perturbation d’apport
standards indigènes rotation association
du sol d’intrants
Couverts Réduction
Semis direct dans couvert permanent
végétaux d’engrais
Induction de
Effet donneur de mycorhizes en pépinières stress hydrique
le phosphore ou les oligoéléments peu mobiles • La densification de ces réseaux mycorhiziens
(Zn, Mn, B...). par la réduction de travail du sol et le semis
- Intervenir dans les réponses au stress hy- direct sous couverts, la fertilisation organique,
drique en situation de sécheresse amenée à se l’arrêt progressif d’utilisation d’intrants nocifs
reproduire régulièrement dans le futur. aux mycorhizes (fongicides, herbicides...).
- Participer aux dispositifs de résistance des • L’introduction de propagules du commerce à
plantes par leurs actions antagonistes vis-à-vis partir de souches standards ou la multiplication
des champignons pathogènes et par l’interac- et l’exploitation des souches naturelles des par-
tion avec des micro-organismes favorables. celles = cultiver ses mycorhizes.
- Être des acteurs majeurs de production et
stockage de carbone dans les sols par la syn- 2) Raisonnement systémique. La diversité
thèse de glomaline et la participation à la ge- des solutions disponibles avec les mycorhizes,
nèse et la stabilité des agrégats, unités de base en interaction avec l’ensemble du microbiote de
dans le fonctionnement biologique de ces sols. la rhizosphère ne s’additionne pas mais se mul-
tiplie ! C’est tout l’enjeu des relations multiples
Dans les processus de reconception des sys-
au cœur des systèmes complexes et qui sont le
tèmes de culture, les mycorhizes peuvent être
fondement de l’agroécologie. Il est nécessaire
des « outils » très intéressants, car leur prise en
d’adopter un raisonnement systémique pour
compte dans les orientations agro-écologiques
gérer des solutions multi-objectif et intégrées.
répond aux cinq principes incontournables à
Á ce titre l’utilisation des réseaux mycorhi-
mettre en œuvre :
ziens et leur densification doivent être mise en
1) Solutions multiples. Les agrosystèmes œuvre avec les combinaisons presque infini de
basés sur la biodiversité doivent explorer une cultures seules ou en associations, de plantes
gamme de propositions et de concepts, et les mycorhizogènes, de succession dans le temps,
solutions issues de la prise en compte des my- de modes d’interventions mécaniques, de recy-
corhizes sont multiples et comportent notam- clage organique, d’action de biocontrôle, etc.
ment :
3) Approche spécifique au site. Parmi la
•
L’utilisation des réseaux mycorhiziens des variété des solutions, les agriculteurs doivent
parcelles par la pratiques de cultures myco- avoir la possibilité d’établir leurs propres com-
rhizogènes (légumineuses) et notamment des promis, en s’appuyant sur leurs savoirs, ainsi
couverts végétaux, et leur diversification dans que sur les produits et technologies disponibles
le temps (rotations, relay cropping). (Meynard et al. 2012). Une telle conception
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admet l’agroécologie comme étant intrinsè- pragmatiques sur leurs parcelles. La gestion des
quement inclusive car, considérant les points réseaux mycorhiziens des sols est une des portes
de vue des agriculteurs, leurs connaissances et d’entrée essentielle vers ces actions amenant au
leur expertise impliquent une reconnaissance changement et mettant en œuvre des dispositifs
majeure de leur place et de leur rôle dans les expérimentaux entre agriculteurs.
processus de prise de décision (Wezel et Soldat
5) Une dynamique d’amélioration conti-
2009). Là encore, la prise en compte des sym-
nue. Ces quatre démarches impliquent une
bioses mycorhiziennes, dans toute l’étendue de
évaluation permanente et un réglage des pra-
leur interaction avec les autres composantes
tiques (Duru et al. 2015). Elles placent les
du système sol et pratiques culturales, est très
agriculteurs dans une dynamique d’améliora-
productive pour accompagner le changement.
tion continue qui s’appuie sur l’acquisition de
4) Impulsion vers un changement trans- savoirs agronomiques de nature fonctionnelle
formateur. La construction de nouveaux sys- qui constituent l’un des fondements de l’action :
tèmes de cultures fondés sur l’exploitation « Je sais comment agir parce que je sais com-
maximale de la biodiversité fonctionnelle des ment cela marche ». Les symbioses mycorhi-
sols se fait à travers l’expérimentation et les ziennes peuvent participer à cette dynamique
comparaisons de situations agronomiques. De et renforcer les pratiques mises en œuvre dans
ce fait les agriculteurs s’approprient de nou- la transition agroécologique de l’agriculture.
velles solutions et développent des actions
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Article rédigé par François HIRISSOU,
chargé de mission en agronomie
Tél. 05 53 26 60 80
francois.hirissou@dordogne.chambagri.fr
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dordogne.chambre-agriculture.fr
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