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REGARDE-MOI, IL FAUT QU’ON SE PARLE!

DÉVELOPPEMENT SOCIO-
COGNITIF DU BÉBÉ SOURD VIA L’ATTENTION CONJOINTE

Louise-Hélèna Aubineau, Luc Vandromme, Barbara Le Driant

NecPlus | « Enfance »

2017/2 N° 2 | pages 171 à 197


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ISSN 0013-7545
DOI 10.4074/S0013754517002026
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-enfance2-2017-2-page-171.htm
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Regarde-moi, il faut qu’on se parle!
Développement socio-cognitif du bébé sourd
via l’attention conjointe

Louise-Hélèna AUBINEAU1 , Luc VANDROMME1


et Barbara LE DRIANT1

RÉSUMÉ
Faire face à l’annonce de la surdité d’un bébé n’est pas une chose aisée, surtout si
l’on est parent entendant d’enfant sourd. Cet article est une revue de question
sur les tout premiers échanges avec les bébés sourds afin de développer au
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mieux l’attention conjointe, cette capacité à partager un même objet d’intérêt, à
coordonner les regards puis les actions. L’attention conjointe est une compétence
sociale de communication qui est prédictive du langage. Quelle place pend-elle
chez l’enfant sourd ? Nous détaillerons les quatre difficultés que le bébé sourd
va rencontrer pour développer cette compétence d’attention conjointe et nous
évoquerons les stratégies qu’il met en place pour contourner ces difficultés. Au
final, l’appareillage précoce couplé à l’introduction d’une langue codée ou signée
apparaît comme un point fort pour aider l’enfant sourd de parents entendants
à développer ses compétences de communication, et pour offrir au parent
entendant plus de plaisir à échanger avec son enfant sourd.
MOTS-CLÉS : BÉBÉS SOURDS, COGNITION SOCIALE, ATTENTION CONJOINTE, INTEN-
TIONNALITÉ

1 CRP-CPO (AE 7273), Université de Picardie Jules Verne, Pôle Campus, Chemin
du Thil, 80025 Amiens Cedex 1, France. Emails : louise.helena.aubineau@u-picardie.fr,
luc.vandromme@u-picardie.fr, barbara.le driant@u-picardie.fr

nfance n◦ 2/2017 | pp. 171-197


172 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.

ABSTRACT
Look at me, we have to talk!
Socio-cognitive development of deaf babies via joint attention
Dealing with the news that a child is deaf is not easy, especially when the parents
of a deaf child are not deaf. This article is a review of the very first exchanges
that one must make with a deaf child in order to develop the ability of joint
attention at its best; such is the concept of sharing the same object of interest
through the use of looks and of coordinating looks and actions. Joint attention is
a social communication skill that predicts language skills. How can this concept
develop for a deaf child ? In this article, we will detail the four difficulties that
deaf children will encounter in developing joint attention and we will discuss the
strategies capable of circumventing these challenges. Finally, we conclude that an
early introduction of hearing devices coupled with sign language or cued speech
appears to be a powerful combination in order to help deaf children of hearing
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parents to develop communication skills while simultaneously offering hearing
parents greater communication enjoyment with their deaf children.
KEY-WORDS: DEAF BABIES, SOCIAL COGNITION, JOINT ATTENTION, INTENTIONALITY
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Dans nos communications quotidiennes, l’engagement entre partenaires sociaux


se fait par un regard dirigé vers le regard de l’interlocuteur. De même, les
bébés ont une préférence pour des visages présentés de face, une préférence
pour les regards directs (les yeux regardent en face, comme lors d’un regard
mutuel) et non pas pour des regards détournés (les yeux seraient alors orientés à
droite ou à gauche) (Batki, Baron-Cohen, Wheelwright, Connellan, & Ahluwalia,
2000 ; Farroni, Menon, & Johnson, 2006). Par ailleurs, les enfants de 4 semaines
passent un temps impressionnant à regarder les yeux d’un étranger, ce qui fait
de cette partie du visage un lieu privilégié d’échange d’informations entre deux
partenaires (Blass & Camp, 2004). Mais ce qu’il faut retenir de toutes ces études,
c’est la préférence des bébés pour les yeux en mouvement sur un visage présenté
de face. Le mouvement d’un regard opposé déclenche un shifting automatique
(changement de direction du regard du bébé), dès 4 mois, vers l’espace observé;
et le regard mutuel reste le mode d’entrée en communication entre deux individus
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(Farroni, Csibra, Simion, & Johnson, 2002 ; Farroni, Massaccesi, Pividori, &
Johnson, 2004). Par conséquent, cette préférence des yeux en mouvements dès les
premières heures de vie et la possibilité de changement de fixation à 4 mois, mon-
trent que l’enfant possède un intérêt intrinsèque pour le regard mutuel et le suivi
du mouvement du regard. Ces éléments sont nécessaires à l’attention conjointe,
qui est le fait de regarder ensemble un objet pour « discuter » à propos de cet objet,
et que nous définirons en détail ultérieurement. Nous avons donc là l’illustration
de la possibilité des mécanismes oculomoteurs et attentionnels de l’attention con-
jointe, et ce de façon extrêmement précoce. Mais l’attention conjointe ne se limite
pas au regard, il faut aussi qu’il y ait une certaine rythmicité (qui s’est illustrée en
premier lieu par la voix) qui accompagne des ajustements avec les regards.

1. ÉLÉMENTS FONDATEURS DE LA COMMUNICATION


PRÉ VERBALE DU BÉBÉ

1.1. Une temporalité et un espace pour la communication


L’importance de la survie et du développement du nouveau-né motive une
communication basée sur un accordage affectif, un partage d’intention et
d’émotion qui trouve son origine dans l’intersubjectivité. Dès la naissance,
l’enfant forme des attentes interactionnelles (Nadel, 2002) comme le nourrissage.
Ces attentes sont construites grâce à la perception de synchronies lors de la
communication et de régularités comportementales (par exemple, une séquence
simple de stimulations sensorielles qui précède la tétée). Si l’attente n’est pas
satisfaite, alors le bébé manifeste de la détresse. Le besoin de nourrissage fait
vite place à des besoins sociaux dont l’attente sera satisfaite par le toucher,
le regard, le sourire, ou encore la parole. Ces différentes synchronies ont été
mises en évidence par le paradigme de still-face (visage impassible) où une mère
parle à son bébé qui lui répond en vocalisant (Tronick, Als, Adamson, Wise, &
Brazelton, 1978). La mère s’arrête, visage figé face à l’enfant. Alors celui-ci
redouble d’effort pour que sa mère échange avec lui. Puis il détourne le regard,

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174 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.

s’agite et pleure jusqu’à ce que la mère reprenne une communication synchrone.


Cette procédure est améliorée par la mise en place d’un dispositif de double
liaison vidéo, où mère et enfant sont dans un box séparé et communiquent
par écrans interposés (Murray & Trevarthen, 1986 ; Nadel, Carchon, Kervella,
Marcelli, & Réserbat-Plantey, 1999). En phase 1, les communications sont en
temps réel et synchrones. En phase 2, l’enfant voit une vidéo de sa mère en
différé, donc non synchrone avec le comportement de l’enfant. En phase 3,
les communications sont de nouveau en temps réel et synchrones. Tout ceci se
déroule sans rupture temporelle (sans écran noir entre les phases, par exemple).
On observe que l’enfant supporte mal, non plus le simple visage impassible,
mais bien les communications désynchronisées de sa mère lors de la phase 2.
Cela le mène à l’amoindrissement des regards et des sourires dirigés vers la
mère, jusqu’au désengagement relationnel. Ainsi, les attentes interactionnelles
participent à l’anticipation de comportements par le nourrisson et laisse envisager
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l’existence d’attribution d’intention (toujours par le nourrisson) au partenaire
de l’interaction (Nadel, 2002). Le repérage de synchronies est à la base des
imitations intra- et inter-modales qui façonnent les échanges (Devouche &
Gratier, 2001). Ainsi la détection précoce de synchronies existe donc aussi lors de
l’exploration visuelle de visages (D’Entremont & Muir, 1997 ; Philippe Rochat,
Striano, & Blatt, 2002), et au cours d’échanges gestuels comme l’imitation de la
protrusion de la langue (Kugiumutzakis, 1999) ou d’échanges vocaux telles que
les proto-conversations à deux, puis à trois partenaires avant de se complexifier
avec le langage (Gratier, 2003). Les proto-conversations commencent par des
imitations vocales entre l’adulte et l’enfant. Elles se développent autour de
jeux prosodiques à partir du babil et des vocalisations de l’enfant. Elles sont
spontanées mais elles ont leurs rythmes d’écoute et de « prise de parole ».
Adultes et enfants se coordonnent autour de temps, dans un échange vocal.
C’est donc avant l’apparition des premiers mots que les proto-conversations et les
échanges conversationnels ont lieu, dans un espace particulier, lors de moment
privilégiés : bain, change, repas, observation d’un livre, etc. Bruner (1983) utilise
le concept de format pour définir ces moments où se construisent les échanges
conversationnels et dans lesquels l’enfant fait l’expérience de la pragmatique1 .
Les formats sont des schémas d’interactions structurés qui reviennent lors
d’interactions parent-enfant. Ils ont donc un haut niveau de prédictibilité : suite
à son action, l’enfant attend une réponse spécifique de la part de l’adulte et peut
ainsi interpréter le comportement de l’adulte, du moins partiellement (Veneziano,
2000). Par conséquent, leur usage implique une part d’intentionnalité. Ils ne sont
pas seulement construits de lexiques, mais aussi de regards, d’expressions faciales,
de mouvements de tête, de touchers, d’actions menées vers un but, d’émotions.
Ainsi, ces échanges participent aussi à la construction d’une sémantique, d’une
communication pré verbale porteuse de sens.

1 Deleau et Le Maner Idrissi (2004) définissent la pragmatique comme un ensemble de règles et


de conventions tacites qui organisent le monde social.
Développement socio-cognitif du bébé sourd 175

1.2. L’attention conjointe


Lové dans ces échanges intermodaux, on pourrait parler de l’attention conjointe
comme d’une imitation des yeux. Cependant, c’est un mécanisme d’attention
visuelle plus complexe, fait de trois composantes, qui émerge vers les 9 mois
de l’enfant. Il faut donc attendre que l’enfant soit en mesure de contrôler sa
posture, de manipuler les objets (après 6 mois) (Rochat, Querido, & Striano,
1999). L’attention conjointe est un concept de Werner et Kaplan (1963) pour
définir la communication référentielle lors de la période pré verbale, c’est-à-dire
partager un même espace d’intérêt : les regards de l’enfant et de l’adulte se
coordonnent pour partager un intérêt commun qui peut être une troisième
personne, un objet ou un événement. C’est un acte perceptif (voir ensemble) qui
implique un acte cognitif (savoir ensemble). L’attention conjointe permet donc
la transition du réel (voir un objet par exemple) vers le symbolique (avec notre
exemple, en nommant l’objet grâce au langage ce qui permet la création d’une
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représentation mentale de cet objet et la possibilité d’en reparler sans que l’objet
soit visible). L’attention conjointe est aussi appelée intersubjectivité secondaire
(Carpenter, Nagell, Tomasello, Butterworth, & Moore, 1998 ; Tomasello, 1995,
1999). Elle intègre une relation triadique ou coopérative (Baron-Cohen, 1995 ;
Tomasello, Carpenter, Call, Behne, & Moll, 2005 ; Trevarthen & Aitken, 2003).
Ceci implique que de voir ensemble (perception), on sait ensemble (cognition)
et on agit ensemble (collaboration). Concrètement, il faut que deux personnes se
regardent mutuellement puis que l’un des protagonistes glisse son regard vers un
objet d’intérêt et que le second protagoniste suive ce glissement jusqu’à l’objet
pour l’observer à son tour : ensemble, les partenaires peuvent « parler » à propos
de, ou agir autour de cet objet d’intérêt. Ses composantes sont : la réponse (ACr),
quand par exemple le bébé glisse son regard sur la ligne de mire de l’adulte
jusqu’au jouet regardé par ce dernier; l’initiation (ACi) quand l’adulte regarde le
bébé (qui le regarde aussi) puis regarde le jouet; le maintien (ACm) lorsqu’après
une ACr ou une ACi, un des partenaires effectue au moins un aller-retour entre
l’objet et l’autre partenaire de l’interaction (figure 1).
En grandissant, l’enfant produit de plus en plus d’épisodes d’attention
conjointe, s’engageant de plus en plus dans les interactions (Bakeman &
Adamson, 1984 ; Carpenter et al., 1998 ; Flom & Pick, 2007 ; Gredebäck, Fikke, &
Melinder, 2010 ; Moore & Dunham, 2014 ; Mundy & Gomes, 1998 ; Scaife &
Bruner, 1975 ; Tomasello, 1995). Qualitativement, l’ACm est plus présente, l’ACr
diminue au profit de l’ACi. Ainsi l’ACi est la composante qui prend de plus en
plus le pas sur les autres composantes avec l’âge : l’enfant propose à l’adulte ou à
son pair des échanges triadiques. L’attention conjointe visuelle est le précurseur
du pointage, de l’intentionnalité, du langage. Kristen et al. (2011) montrent le
lien entre attention conjointe et compréhension de l’intention avec des enfants
de 7, 9, 12, 15, 18 mois. La compréhension d’un regard référentiel à 9 mois
est prédictive de la compréhension de l’intentionnalité à 15 mois; puis à 34
mois, des états mentaux. Ainsi, la compréhension du regard référentiel est la
base pour la compréhension implicite (préverbale) et explicite (verbale) des états

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176 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.

Figure 1.
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Illustration des trois composantes de l’attention conjointe, après un regard
mutuel : l’initiation (ACi), la réponse (ACr), et le maintien (ACm)

mentaux. Par ailleurs, les auteurs (Kirsten et al., 2011) montrent un lien entre
attention conjointe et geste déclaratif de pointage (pointage index, équivalent
d’un « Regarde! »), les gestes impératifs n’étant pas corrélés avec l’intentionnalité
(pointage main équivalent d’un « Donne! »), en accord avec les travaux de
Camaioni et al. (2004). Si la compréhension du regard référentiel est prédictive
de la compréhension de l’intentionnalité, le simple suivi du regard, lui ne l’est pas.
Le geste de pointage index de l’adulte est un marqueur référentiel plus sûr que le
suivi du regard pour l’enfant (Liszkowski, Carpenter, Striano, & Tomasello, 2006).
De même les actions déclaratives comme le partage d’émotions ou d’intérêts
(sourire, vocalises. . .) soulignent la prise en compte de l’intention d’autrui (Aureli,
Perucchini, & Genco, 2009), et accompagnent bien souvent l’attention conjointe.
La compréhension du regard référentiel implique que l’enfant puisse se mettre
à la place de la personne qui regarde, en prenant sa perspective. Cette prise
en compte de la perspective d’autrui a un double sens : purement perceptif ou
représentationnel. Il y a donc un glissement d’un aspect physique, perceptif vers
un aspect représentationnel, plus abstrait, symbolique de ce que l’autre pourrait
être en train de voir. L’enfant parvient à comprendre la relation adulte-objet
car il comprend que l’adulte a le désir de partager avec lui, à propos de l’objet,
en utilisant ce glissement de son regard sur l’objet (Brooks & Meltzoff, 2002 ;
Butler, Caron, & Brooks, 2000 ; Moore & Corkum, 1998 ; Woodward, 2003).
Ensemble les partenaires coordonnent leurs points de vue pour que le « voir »
devienne un « savoir » partagé à propos de l’objet. Puis l’enfant reprend cette
mécanique à son compte car il a le désir de partager à propos de l’objet avec
l’adulte : il va initier l’AC, dans ce désir de moduler ou de contrôler la ligne
du regard, la perspective spatiale. Cette capacité précoce, que l’on situe autour
de 12 mois pour être en pleine efficience à 18 mois, est à mettre en lien avec
l’intentionnalité (Carpenter, Tomasello, & Striano, 2005 ; Moll & Tomasello,
Développement socio-cognitif du bébé sourd 177

2006). Cette part d’intention est donc dans la composante d’initiation à l’attention
conjointe : l’enfant intentionnellement va chercher le regard du partenaire social
pour partager un intérêt. Selon le modèle neuro-cognitif issu des travaux de
Mundy (Mundy et al., 2007 ; Mundy & Gomes, 1998 ; Mundy & Jarrold,
2010 ; Mundy & Newell, 2007), l’ACi, étroitement liée à la maturation du cortex
préfrontal, interviendrait de façon efficiente avant les 18 mois de l’enfant (pour
revue, Aubineau, Vandromme, & Le Driant, 2014).
En résumé, lors de l’intersubjectivité, la communication entre partenaires
se fait grâce à un espace choisi et une temporalité particulière dans laquelle
les repérages de synchronies assurent une anticipation et une perception
d’intention dans les échanges. Ces synchronies repérées permettent les imitations,
notamment gestuelles, mais aussi vocales avec les proto conversations qui vont
mener au langage, par le biais d’échanges conversationnels de plus en plus
structurés et complexes. Meltzoff (Meltzoff & Nadel, 2015) explique que cette
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compétence à imiter illustre l’aspect transmodal du système perceptif de l’humain
dès sa naissance. La communication la plus précoce est d’emblée transmodale,
faite de redondance sensorielle (Bahrick, Lickliter, & Flom, 2004 ; Bahrick,
2013 ; Reynolds, Bahrick, Lickliter, & Guy, 2013). Puis vers 9 mois, l’émergence
de l’attention conjointe vient ouvrir le champ des échanges via une relation
triadique qui, appuyée par le geste de pointage et la parole, permet un étiquetage
linguistique qui favorise l’acquisition du langage (Morgenstern, Leroy, & Mathiot,
2008). Autour de 18 mois, l’attention conjointe est « mature », elle permet de
finaliser la rencontre triadique pour se coordonner autour d’un objet d’intérêt
et enfin d’agir ensemble. Ainsi, la communication de l’enfant avec le parent lors
d’épisodes d’attention conjointe permet de comprendre les intentions d’autrui,
dans un contexte qui la rend prévisible, attendue et c’est ce qui lui offre une valeur
sémantique. Petit à petit, l’enfant va comprendre des règles des conventions
tacites du monde social, tout en entrant dans le langage. C’est pourquoi l’attention
conjointe est l’interaction clef de voûte du développement social (Mundy &
Newell, 2007).
Privé d’audition, le bébé sourd est mis en difficulté lors des tout premiers
échanges intermodaux. La détection de synchronies et les ajustements entre
partenaires sociaux sont altérés. L’attention conjointe se trouve alors fragilisée : la
communication pré verbale de l’enfant sourd sera-t-elle alors porteuse de sens ?
Pour amener des éléments de réponse, nous prenons en compte la diversité de
la surdité et des choix d’appareillage ainsi que l’importance du statut auditif des
parents de l’enfant sourd.

2. LA COMMUNICATION PRÉ VERBALE DU BÉBÉ SOURD :


COMPRENDRE LA SURDITÉ CONGÉNITALE

2.1. Les surdités


La surdité congénitale est de 1/1 000 en France et environ 4 % des bébés sourds
sont issus de parents sourds signeurs. Par conséquent 96 % des enfants sourds

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178 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.

Tableau 1.
Classification de la surdité en fonction de la perte tonale

naissent dans des familles dépourvues de stratégies de communication adaptées


pour leur enfant sourd, mettant à mal la création de l’intersubjectivité, premier
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espace socio-cognitif où la voix à une place importante comme nous venons
de le voir. Le terme de surdité regroupe « des réalités communicatives » très
différentes qui impliquent une variabilité très importante dans la population des
enfants atteints de surdité. Une première classification de la surdité se fait selon
l’âge d’apparition (pré linguale ou congénitale; post linguale; presbyaccousie) et
de la perte tonale (tableau 1). Pour les surdités sévères, la voix peut être perçue
mais la parole ne peut pas être comprise; et pour les surdités profondes, ni la voix
ni la parole ne peuvent être perçues.
Une autre classification se fait en fonction de la localisation et la latéralisation
du dysfonctionnement. Les surdités de transmission qualifient un dysfonction-
nement de l’oreille externe et/ou interne où le son est perçu par transmission
osseuse du crâne; les surdités de perceptions sont liées à un dysfonctionnement
de l’oreille interne ou cortical comme dans le cas de méningite. À chaque surdité
correspond un type de prise en charge et donc, d’appareillage. La réponse
médicale est fonction de l’âge de prise en charge, de l’audiométrie, de l’imagerie
cochléaire; d’un tableau présentant (ou non) un polyhandicap, une dimension
génétique; de l’environnement familial; de l’évolution de la surdité (Mondain,
Blanchet, Venail, & Vieu, 2005 ; Noël-Pétroff, 2012).

2.2. Les appareillages


La nature de l’aide prothétique varie selon la localisation de la surdité et
l’intégrité physiologique du système auditif. L’amplificateur (contour d’oreille ou
bandeau BAHA2 ) est proposé quand l’oreille interne n’est pas trop défaillante.
Il amplifie les sons afin qu’ils soient transformés en impulsions électriques
par l’oreille interne. L’appareillage par amplificateur peut être la première

2 Le dispositif bandeau BAHA n’est pas un implant mais un amplificateur pour assurer une
conduction du son par les os du crâne ; il peut permettre ultérieurement, la pose d’un implant
à encrage osseux.
Développement socio-cognitif du bébé sourd 179

étape vers un Implant cochléaire (IC). L’IC transforme directement le signal


acoustique en impulsion électrique sur les cellules ciliées de la cochlée ou sur
le nerf auditif. Il existe aussi l’Implant sur le tronc cérébral (ITC) qui stimulera
directement le noyau cochléaire. L’ITC est préconisé quand les deux cochlées
sont endommagées ou en cas d’ossification, lors d’agénésie du nerf auditif (arrêt
de formation au cours du développement) ou encore de shwannome vestibulaire
(tumeur). Ces implants sont complétés par de l’informatique, avec un processeur
qui codera le son selon une stratégie définie par l’audioprothésiste (HAS, 2007).
L’un des inconvénients du contour d’oreille, c’est qu’il peut avoir un délai
temporel et une imprécision du spectre sonore, ce que n’ont pas les implants. Ceci
a des implications sur le repérage de synchronie que nous développerons plus
tard. Peu d’études sont faites à ce jour sur l’implant auditif du tronc cérébral chez
l’enfant, même si les avis des spécialistes sont positifs sur cette chirurgie pour
des jeunes enfants qui bénéficient d’une grande plasticité cérébrale (Couloigner et
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al., 2014). L’implant cochléaire est incontournable dans la littérature scientifique
car il offre une réponse adaptée à des surdités pour des enfants évoluant dans
un système de communication oraliste. C’est un appareillage invasif comparé au
contour d’oreille. Actuellement, la chirurgie développe des techniques robotisées
et assistées par ordinateur pour permettre le maintien d’un maximum de cellules
ciliées et préserver une audition acoustique. L’implantation peut par ailleurs
entraîner des troubles vestibulaires (équilibre), généralement transitoires. Une
implantation cochléaire est toujours précédée d’une période d’appareillage par
amplification d’au moins 6 mois. Ceci dans l’objectif d’évaluer la capacité de
réponse auditive de l’enfant (perception/compréhension), d’observer s’il s’agit
ou non de surdité évolutive, de stimuler les aires corticales auditives afin que
les voies neuronales puissent fonctionner pour limiter la dégénérescence et la
réorganisation neuronale; et enfin, pour savoir si l’implant cochléaire peut être
une solution efficace pour le type de surdité observé.
Par ailleurs, il existe une controverse au sujet de l’implantation unilatérale ou
bilatérale. En effet, certains praticiens souhaitent garder la meilleure oreille en cas
de problème postopératoire ou pour la complémentarité du signal auditif perçu
(Hamzavi, Marcel Pok, Gstoettner, & Baumgartner, 2004); alors que d’autres
veulent privilégier un signal plus rapidement perceptible et intense, une meilleure
localisation du son, de la communication préverbale et du développement du
langage (Lammers, van der Heijden, Pourier, & Grolman, 2014). Au final,
l’implantation bilatérale semble être faite au cas par cas, selon l’équipe ORL et
aussi selon la surdité rencontrée. À terme, une nouvelle thérapie génique devrait
se développer avec possibilité de réparation autonome des cellules endommagées
par des cellules souches (Kohrman & Raphael, 2013). L’implantation cochléaire
n’est pas un acte anodin ni une « solution miracle » (Virole, 2006). L’IC ne fait
pas toujours l’unanimité, surtout auprès de la communauté Sourde (Nomballais,
2008), bien que de nombreux bénéfices soient évalués lors d’implantations
précoces (Horn, Davis, & Pisoni, 2003 ; Horn, Fagan, Dillon, Pisoni, &
Miyamoto, 2007 ; McConkey Robbins, Koch, Osberger, Zimmerman-Phillips, &

nfance n◦ 2/2017
180 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.

Kishon-Rabin, 2004). Quel que soit l’appareillage, il ne restaure jamais l’audition,


il ne reproduit jamais fidèlement les sons de la parole. Un long travail avec
des orthophonistes, des audioprothésistes suit une implantation. Tout type
d’appareillage reste donc une limite à la perception de la voix pour toutes les
personnes sourdes. C’est pourquoi, quel que soit l’appareillage, il est souvent
« complété » par un langage signé, le LPC (Langue parlée complétée ou code)
ou la LSF (Langue des signes française) et plus communément, dans les centres
de prise en charge précoce comme les CAMSP (Centre d’action médico-sociale
précoce) en France, les équipes utilisent un mélange de ces deux approches pour
utiliser le FCSC (Français complet signé codé) qui sera repris dans les échanges
avec les familles.

2.3. Enjeux de l’appareillage précoce


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D’un point de vue physiologique, la maturation des voies auditives centrales du
tronc cérébral est terminée vers 2 ans, celle des structures nerveuses corticales
vers 4 ans. Sharma et Campbell (2011) rapportent que durant la première
année de vie, le développement du cerveau dépend largement de stimulations
externes pour former les connexions neuronales et des réseaux neuronaux
fonctionnels. Les réponses corticales sont retardées ou inexistantes chez les
personnes sourdes, ce qui implique des conséquences sur cette maturation
des voies neuronales. À long terme (chez les adultes sourds), en l’absence de
stimulation des aires auditives, les processus de traitement de l’information
visuelle et somato-sensorielle occupent la place de l’aire corticale auditive (Finney,
Fine, & Dobkins, 2001 ; Lomber, Meredith, & Kral, 2010). Ainsi, lors de tâches
auditives3 , le cortex visuel est la région recrutée exclusivement et constamment,
au lieu du cortex auditif (Giraud, Price, Graham, & Frackowiak, 2001). Ceci
confirme l’importance de faire un dépistage et un appareillage bien avant la fin
de la maturation corticale (Colette, 2000). Par ailleurs, une réorganisation de la
connectivité cérébrale se fait au cours du développement jusqu’à l’adolescence
(Neville & Bavelier, 2002). Sharma et Campbell (2011) estiment la période
sensible pour l’implantation cochléaire autour des 3 ans et demi, mais cet âge
correspond à celui du développement optimal des aires auditives. Durant ces
trois premières années de vie, l’enfant a de nombreux besoins psychologiques,
notamment développer ses habilités sociales et de communication. Après de
longs débats concernant la période de réalisation du dépistage (à la naissance
ou après 3 mois), le dépistage de la surdité se fait en France dès la naissance, à la
maternité, afin de répondre au plus prés aux besoins de prise en charge précoce.
Le diagnostic de surdité est établi deux à trois mois après le dépistage.
En résumé, la prise en charge de la surdité débute systématiquement par
au moins 6 mois de port d’amplificateurs avant d’envisager une implantation si

3 Reconnaissances auditives et répétitions de mots et de sons chez l’adulte implanté après


éducation post implant.
Développement socio-cognitif du bébé sourd 181

celle-ci s’avère envisageable et cohérente avec la surdité dépistée. Une période


sensible optimale d’implantation cochléaire est estimée avant les 3 ans et demi
de l’enfant. Une tentative de préservation des cellules ciliées lors d’implantation
cochléaire est envisagée pour maintenir un signal acoustique et pour stimuler de
façon électrique le nerf auditif et les aires corticales. Le signal sonore sans délai
temporel de l’implant cochléaire rend synchrones et redondantes les informations
visuelles et auditives pour l’enfant. Pour finir, les troubles d’équilibre liés au fonc-
tionnement du vestibule sont suppléés en partie par la vision : fixer visuellement
un point dans l’espace aidera l’enfant à retrouver son équilibre. Donc l’enfant
sourd utilise la même modalité (visuelle) pour différentes fonctions : la
prise d’information, le contrôle de l’environnement, l’alerte (Smith, Quittner,
Osberger, & Miyamoto, 1998) et parfois même pour maintenir son équilibre.

2.4. Pourquoi l’enfant sourd et ses parents entendants peuvent-ils


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rencontrer des difficultés pour échanger ?
Comme nous l’avons vu, l’enfant sourd nait majoritairement dans une famille
entendante. L’état émotionnel des mères à l’annonce de la surdité de leur
bébé change fondamentalement les interactions enfant-parents (Le Driant,
Vandromme, Kolski, & Strunski, 2006). En effet, le dépistage suscite une anxiété
des mères (d’autant plus accrue qu’il se passe juste après l’accouchement, en
France) et ceci vient modifier leur état psychologique les rendant moins sensibles
aux signaux de leur bébé. En cas de faux positif4 , cette annonce peut plonger
inutilement les parents dans des difficultés de positionnement lors des échanges
avec leur enfant ou dans l’accueil de cet enfant, différent de celui attendu. Le choc
de l’annonce peut conduire les parents jusqu’au déni de la surdité de leur enfant,
ce qui met en péril la prise en charge et donc le développement de leur enfant et
son intégration sociale (Goasmat, 2006).
Si les enfants sourds de parents sourds (ES/PS) bénéficient d’une langue
maternelle et de stratégies de communication adaptée aux besoins du nouveau-né,
il en est tout autrement pour les enfants sourds de parents entendants (ES/PE) :
ils ont perdu leur langue maternelle. L’implant cochléaire replace les enfants
sourds de parents entendants (ES/PE) dans un système de communication orale,
système de communication maîtrisé par la famille. C’est pourquoi il peut être
perçu comme un outil miracle mais n’oublions pas qu’il intervient souvent après
un an de vie et de développement de l’enfant et qu’il est limité : il ne retranscrit pas
parfaitement les sons de la voix. De longs mois d’éducation sont nécessaires après
l’implantation, pour « apprendre les sons ». Un accompagnement des familles est
donc une nécessité pour faciliter d’une part la communication précoce avec le
bébé sourd, et d’autre part la prise en charge médicale à venir.

4 Le terme « faux positif » est utilisé pour un dépistage de la surdité précoce qui ne serait pas
confirmé trois mois plus tard. C’est pourquoi certains praticiens préfèrent parler de « repérage »
à la maternité et de diagnostic lors de la seconde évaluation de l’audition en cabinet ORL ou à
l’hôpital juste avant les trois mois de l’enfant.

nfance n◦ 2/2017
182 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.

L’étude de Meadow-Orlans & Spencer (1996) montre que les dyades d’enfants
sourds de parents sourds (ES/PS) et celles d’enfants entendants/parents
entendants (EE/PE) ont des habilités communicatives analogues. En revanche,
ces habilités diffèrent significativement entre les dyades d’enfants sourds de
parents sourds (ES/PS) et celles d’enfants sourds de parents entendants
(ES/PE). Ces résultats pointent que ce n’est pas tant la surdité sinon l’asymétrie
du statut auditif qui crée une moindre qualité des habilités communicatives entre
partenaires sociaux. Le bébé sourd est donc compétent : il faut savoir le solliciter.
Par conséquent, le contexte linguistique et socioculturel des enfants sourds élevés
par des parents entendants a des implications pour le développement social et
cognitif (Corina & Singleton, 2009). Pour Deleau et Le Maner-Idrissi (2004), les
enfants sourds auraient avant tout des difficultés d’ordre pragmatiques5 avec de
grosses lacunes pour acquérir et organiser des connaissances tacites sur le monde
social. Et c’est dans la période pré-verbale que ces lacunes peuvent s’observer
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et que des facteurs explicatifs peuvent être découverts, lors des tout premiers
échanges des parents entendants avec leur bébé sourd. Au-delà de la plasticité
cérébrale, on comprend mieux quelle est la période critique de prise en charge
pour ces enfants sourds si l’on considère le décours temporel suivant : avec le
dépistage à la naissance, le diagnostic de surdité se fait deux à trois mois après; la
mise en place d’un appareillage amplificateur sera effectuée vers 5-6 mois; vers 12
mois les équipes envisageront (ou non) un implant cochléaire selon la situation.
Ainsi, la période avant la première année semble fondamentale pour construire
une communication, en stimulant l’ensemble des compétences de l’enfant et
en répondant au mieux à l’ensemble de ses besoins, et ce avant l’usage d’un
appareillage adapté et performant.
Suite à l’asymétrie du statut auditif des dyades enfants sourds de parents
entendants (ES/PE), la première difficulté est de réussir à construire un espace
de communication séquentiel, rythmé, là où les enfants entendants de parents
entendants (EE/PE) et les enfants sourds de parents sourds (ES/PS) ont un
espace de communication parallèle ou simultané, rythmé par la redondance
sensorielle. La modalité visuelle a toute son importance car elle permet cette une
organisation séquentielle aux bébés sourds. Cette communication séquentielle
sera très nettement illustrée lors d’épisodes d’attention conjointe. C’est pourquoi,
observer étape après étape le développement du bébé sourd amènera d’autres
points de réponse pour comprendre les difficultés dans la mise en place de
l’attention conjointe.

3. LE DÉVELOPPEMENT DE LA COMMUNICATION
PRÉ VERBALE DU BÉBÉ SOURD
Les enfants sourds participants aux études citées ont une surdité profonde.
Quatre difficultés vont ponctuer le développement de la communication pré

5 Connaître les règles et les conventions sociales


Développement socio-cognitif du bébé sourd 183

verbale de l’enfant sourd. La première concerne l’intersubjectivité et les suivantes


concernent l’attention conjointe : percevoir la relation triadique; accéder à un
espace sémantique; pouvoir répondre et produire l’attention conjointe.

3.1. Première compétence et difficulté du bébé sourd :


l’intersubjectivité, perception sociale et ajustements
Dans certains cas, le nouveau-né sourd n’a pas d’expérience in utero du son, ni de
mémorisation des stimulations rythmiques, mélodiques, externes et internes telle
que la voix maternelle. Par l’absence de ce tout premier mécanisme d’intégration
sensorielle basé sur le repérage de synchronies, l’enfant sourd est confronté à
une première difficulté pour créer une unité de son environnement, lors des
interactions face à face avec sa mère (intersubjectivité). De fait, il y a une mise
à mal de « l’émergence de la perception sociale » (Muir, Hains, & Lefebvre,
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2000) avec l’absence de redondance sensorielle, lors de la reconnaissance du
visage parlant de la mère (Granier-Deferre & Busnel, 2011). Les expériences
de still-face montrent à quel point voix et visage induisent un rythme dans les
échanges, des tours de paroles qui permettent un ajustement des partenaires
(MacLean et al., 2014 ; Murray & Trevarthen, 1986 ; Nadel, Carchon, Kervella,
Marcelli, & Réserbat-Plantey, 1999 ; Streri, Coulon, & Guellaï, 2013 ; Tronick, Als,
Adamson, Wise, & Brazelton, 1978). L’échange est alors harmonieux et gratifiant.
Cependant, la privation auditive entraine un défaut d’intégration audition/vision,
elle parasite la rythmique et l’ajustement nécessaires à la qualité de l’échange.
Cette intégration visage/voix est fondamentale car elle est constitutive de la
cognition sociale (Streri, Coulon, & Guellaï, 2013), elle permet l’accès aux
émotions (Grossman, 2013) et au langage (Leybaert & Colin, 2007). Cette
première étape, essentielle à la relation intersubjective qui évolue vers l’attention
conjointe, semble alors impossible.
Cependant, le bébé sourd va rechercher une solution pour contourner sa
difficulté en privilégiant un sens, la vision, et en établissant la redondance
sensorielle avec l’aide d’autres modalités sensorielles, tel que le toucher (Bahrick,
2013). Ainsi, il parvient à réaliser ce repérage de synchronies qui permet la
redondance sensorielle. Par conséquent, il peut lui aussi créer l’unicité du monde
social et physique. Mais ceci est conditionné par les stimulations et l’écoute
des parents afin qu’ils rendent synchrones leur communication en l’étayant
sur plusieurs sensorialités, et qu’ensemble, ils s’ajustent. Après le contact œil
à œil, le bébé sourd développe, entre 2 et 6 mois, d’autres compétences tout
comme ses pairs : le sourire social et la compréhension des expressions du
visage (Lepot-Froment & Clérebaut, 1996). Ces éléments participent activement
aux échanges en dyade, à l’intersubjectivité. Entre 9 et 18 mois, les enfants
sourds montrent une plus grande sensibilité aux visages des mères lorsqu’elles
communiquent avec eux; et ceci est d’autant plus vrai pour les ES/PS (Chasin
& Harris, 2008). Le regard permet l’acceptation ou le rejet de la communication,
régulant « les tours de parole » (Skelt, 2010).

nfance n◦ 2/2017
184 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.

Mais ceci n’est pas aisé dans l’environnement du bébé sourd, où les partenaires
sociaux sont entendants, avec des stratégies de communication qui sont propres
à leur statut auditif. En effet, les enfants sourds de parents entendants (ES/PE)
de 6, 12, 18 mois perdent des informations visuelles en situation d’attention
conjointe (création de « blancs »), lorsqu’ils effectuent un aller-retour entre une
personne et un objet, mais pas les enfants sourds de parents sourds (ES/PS)
(Tait, De Raeve, & Nikolopoulos, 2007). Par conséquent, c’est la compétence
communicationnelle de l’adulte entendant qui guidera l’enfant sourd pour rendre
contingent la communication, réduisant d’autant ces « blancs » en apportant du
sens (Tait et al., 2007). Ainsi, dès 6 mois, le statut auditif du parent influence la
communication de l’enfant sourd avec des patterns de shifting visuel différents dès
cet âge (Loots & Devise, 2003).
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3.2. Seconde compétence et difficulté du bébé sourd :
l’attention conjointe (AC), perception d’objet et ajustements
sociaux
Les vocalisations puis le babil vont se mettre en place progressivement et
permettent d’obtenir des réponses parentales dans un partage de jeux et
d’échanges affectifs entre 4 et 6 mois (Delaroche, 2012). Le babil de l’enfant
sourd est particulier. Il comporte plus de productions glottiques (interrompu par
des coups de glotte) et moins de babil canonique6 que celui de l’enfant entendant
(Hage, 2006). Lors des jeux vocaux, les parents et l’enfant produisent des
sons bilabiaux de la langue sur le modèle Consonne-Voyelle-Consonne-Voyelle
(comme par exemple « MAMA »). Or, l’enfant sourd perçoit bien les mouvements
des lèvres mais les répétitions des labiales (p-m-b) ne se feront pas comme
avec les enfants entendants, car d’un point de vue articulatoire, les labiales ne
sont pas différenciées et ainsi dans notre exemple « MAMA » = « PAPA » =
« BABA » (Leybaert, 2005). Ce décalage peut être ressenti de part et d’autres
des interlocuteurs et venir entacher la qualité de l’échange (imitations, silences,
paroles, émotions). De plus, autour de 6 mois, le bébé sourd ne va pas prendre
autant de plaisir que l’enfant entendant dans ses échanges s’il est privé de la
musicalité et du rythme des sons. Ainsi, le bébé sourd s’attache surtout aux
mouvements du visage qui ont lieu durant les échanges (Delaroche, 2012). C’est
pourquoi il semble littéralement aimanté par les visages, avec un regard perçant7 ,
alors que chez l’enfant entendant, on constate à cet âge un moindre intérêt pour
le face-à-face au profit des objets (Spencer, 2000). C’est comme si le bébé sourd

6 Le babil canonique est une succession de syllabes de plus en plus complexes (CVCV comme
MAMA par exemple) et avec un rythme assez rapide de leur exécution.
7 L’étude de Watanabe et al. (2011) souligne que les adultes sourds japonais regardent plus
longtemps et fréquemment les yeux que le nez alors que les entendants regardent plutôt le nez
(le centre du visage). Ceci est à mettre en lien sur la spécificité d’aimantation sur la région des yeux
observée à chez le bébé sourd, mais qui n’a pas été à notre connaissance évaluée spécifiquement
chez le bébé sourd par des études.
Développement socio-cognitif du bébé sourd 185

traitait les visages avec la même intensité que lors du premier mois, accompagné
d’une faible attraction pour les objets. Le visage sert encore fortement de référent
et l’enfant sourd peut avoir une difficulté particulière pour entrer dans une
relation triadique, dans l’attention conjointe, car il doit se détacher de ce visage
porteur d’informations et aller vers l’objet commun d’intérêt. Néanmoins, entre
4 mois et 6 mois, le bébé sourd marque lui aussi un intérêt pour les objets,
cependant dans une moindre mesure que les enfants entendants. En effet, lorsque
l’enfant sourd détourne son focus attentionnel de son partenaire social pour
observer les objets, il le fait au risque de perdre des informations. Cette situation
rend difficile les « tours de parole ». La perte d’information rend une situation
d’échanges (rituel d’habillage par exemple avec présentation des vêtements)
moins similaire que la précédente, donc moins prédictible pour le bébé sourd. Ce
désengagement attentionnel, de l’objet vers le visage et du visage vers l’objet, est
donc la seconde difficulté majeure de l’enfant sourd. Cette coordination de regard
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(objet/personne) est un véritable défi. L’attention conjointe est nécessaire pour
rentrer dans un espace symbolique, le langage, avec sa dimension pragmatique.
Elle permet la transition du réel (l’objet vu ensemble) vers le symbolique (langage,
représentations de l’objet sans sa présence). Leybaert (2005) souligne que
l’attention visuelle de l’enfant sourd sur les visages est d’autant plus importante
qu’elle permet une communication sociale avec son locuteur (saisir les intentions)
et une communication linguistique (saisir des bribes de lecture labiale ou même de
sons, et aussi du LPC). Ainsi, objet et visage sont nécessaires au même moment,
donc dans un même espace, pour que l’enfant sourd puisse progressivement
construire des représentations à l’aide d’une langue. L’enfant sourd de parents
entendants ne parvient pas à « entrer » dans des épisodes d’attention conjointe, à
coordonner son regard entre le partenaire et l’objet aussi aisément que les enfants
sourds de parents sourds (ES/PS). Il va perdre des informations lorsqu’il quitte le
visage de son partenaire. Cette attention conjointe des enfants sourds de parents
entendants (ES/PE) est alors moins importante que chez les enfants entendants.
Mais attention, Dye et Hausser (2014) soulignent que les faibles performances
observées chez un enfant sourd de parent entendant (ES/PE) peuvent être
la résultante d’un environnement communicationnel précoce déjà pauvre. Cela
signifie que les enfants sourds interagissent avec des adultes entendants qui
les sollicitent peu, pour participer à des épisodes d’AC. Sous-sollicité, l’enfant
sourd de parents entendants (ES/PE) ne peut alors montrer l’ensemble de ses
compétences.
Là encore, le bébé sourd va contourner sa difficulté pour faire face à la
perception d’objet et d’ajustements sociaux. La solution réside donc dans le
rythme apporté par le regard comme de réels « tours de parole ». Ces regards entre
personne et objet sont associés à des temps porteurs d’informations lexicales
et pragmatiques. Enfant et parents doivent alors trouver le rythme, le moment
opportun pour effectuer cette mécanique d’attention conjointe, du regard mutuel
vers l’objet d’intérêt.

nfance n◦ 2/2017
186 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.

3.2.1. Les différentes stratégies d’AC parents sourds (ES/PS) versus parents
entendants (ES/PE)
Bien que réalisée auprès d’enfants de 2 et 4 ans, l’étude de Lieberman et al. (2014)
offre une compréhension des comportements de communications permettant
l’attention conjointe dans les dyades enfants sourds/parents sourds (ES/PS),
confirmant ainsi la spécificité du statut auditif des parents dans les habilités
communicatives des enfants sourds. Les partenaires sourds ont ce savoir-faire
communicationnel particulier : prendre le temps du contact visuel, accepter les
regards tournés vers « ailleurs » de l’enfant sourd et attendre qu’il réengage
son attention sans que l’adulte intervienne. Les mères sourdes stimulent plus
leurs enfants sourds : elles ont plus d’échecs pour attirer l’attention de leurs
enfants sourds, mais au final, elles entrent plus en communication grâce à cette
persévérance (Harris & Mohay, 1997).
Pour les enfants sourds, des stratégies visuo-tactiles assurent une meilleure
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communication. Elles sont utilisées par les parents sourds employant la LSF
(Loots, Devisé, & Jacquet, 2005). Les bébés sourds ont donc des « tours de
parole » qui rythment l’échange et participent à la contingence. De plus, les
mères sourdes s’adaptent aussi à leur enfant sourd avec un « discours signé dirigé
vers l’enfant » (Swisher, 1992 ; Swisher, 2000). Tout comme le discours dirigé
vers l’enfant, le discours signé se distingue par de plus grandes amplitudes, non
pas des fréquences des sons de la parole, mais du temps lors de l’exécution
d’un signe, accompagné par de nombreuses répétitions du signe (Lieberman
et al., 2014). Comme entre 4 et 6 mois l’enfant a plus d’intérêt pour les objets
que pour les visages, ce discours signé est aussi accompagné de stratégies
visuelles pour garder le focus attentionnel de l’enfant en signant dans le champ
visuel de l’enfant, parfois sur leur corps et en maintenant un contact visuel
permanent avec un regard plus appuyé (Holzrichter & Meier, 2000). Enfin, les
partenaires sourds sont sensibles aux invitations de partage visuel que l’enfant
peut avoir et y répondent plus fréquemment. Ainsi, les enfants sourds de parents
sourds (ES/PS) de 20 mois parviennent à effectuer un shifting séquentiel sans
perte d’information et à créer un espace de partage symbolique propice au
développement du langage (Loots et al., 2005). Dans l’étude de Chasin et Harris
(2008), l’augmentation des regards « provoqués8 par la mère à dessin », entre
9 et 18 mois, est bien plus importante chez enfants sourds de parents sourds
(ES/PS); mais quel que soit le statut auditif des parents, à 18 mois, les enfants
sourds regardent beaucoup plus le visage des mères en situation de regards
« provoqués ». Ces résultats montrent bien que l’enfant sourd a compris qu’il y
a dans le regard du partenaire social, une information pertinente à rechercher
quand ce partenaire provoque une interaction de façon ostensible (intention;
éléments linguistiques), comme le soulignait Leybaert (2005).

8 Les autres types de regards sont « spontané » ou « répondant ».


Développement socio-cognitif du bébé sourd 187

D’autres stratégies couramment utilisées par les parents sourds peuvent


être l’utilisation de lumières intermittentes ou des vibrations du sol. Tout ceci
s’apparente à un amorçage pour une attention sélective de meilleure qualité :
il faut ajouter un élément dans le faisceau attentionnel de l’enfant afin de
suppléer l’absence de son par une autre information. Les enfants sourds de
parents entendants (ES/PE) ne bénéficient pas de ces stratégies ce qui explique
les difficultés qu’ont leurs parents pour attirer leur attention et la maintenir.
Les échanges sont alors moins importants, et de qualité moindre. Les mères
entendantes sont souvent dirigistes dans les jeux, ce qui provoquent le retrait
de l’enfant sourd lors des interactions car elles ne parviennent pas à se saisir des
propositions de leur tout petit lors des échanges. L’attention conjointe est alors
difficile à construire.

3.3. Troisième compétence et difficulté du bébé sourd :


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l’attention conjointe, accéder à un espace sémantique,
porteur de sens
L’attention conjointe des bébés sourds se construit grâce aux flux d’informations
séquentiels à cause de la nécessité des « tours de regards ». De fait, ils ne peuvent
être équivalents aux flux d’informations parallèles que représentent des « tours de
paroles » pour l’enfant entendant, même si certaines stratégies tentent de mettre
dans le focus attentionnel de la vision, visage de l’interlocuteur, objet et élément
linguistiques comme le langage signé; même si certains parents parviennent à ne
pas émettre d’information tant que le regard de l’enfant est « ailleurs ». Chaque
élément (personne, objet, environnement) sera perçu par la vision de façon
séquentielle avec un délai temporel très court ce qui augmente leur signification,
l’accès à un système sémantique. Ainsi, la proximité spatiale et temporelle de
plusieurs éléments permet de créer une unité porteuse de sens pour l’enfant
sourd; mais cela demande de la part du partenaire social, une capacité à offrir
plus de temps dans l’échange avec le bébé sourd, à attendre que le bébé sourd
puisse séquentiellement collecter ces éléments. Par ailleurs, l’accès à la sémantique
est aussi amorcé par le contexte de l’échange qui va participer à la mise en place
de routines qui permettent au bébé de prédire, d’anticiper l’échange avec son
partenaire (Briec et al., 2012 ; Bruner, 1983). Les enfants sourds de parents sourds
(ES/PS) produisent moins de regards en dehors des zones de l’interaction, ce
qui suggère une habilité de la coordination qui s’améliore avec le temps et qui
leur permet d’agir, de s’adapter (Lieberman et al., 2014). Ce succès s’explique
par un renforcement positif : coordonner son regard avec le partenaire offre
une récompense qui est l’acquisition de vocabulaire nouveau. Cette dimension
motivationnelle manque aux enfants sourds de parents entendants. C’est aussi
une dimension motivationnelle que reprend Van Hecke et al. (2007, 2012) pour
qualifier le contrôle des interactions sociales avec la dimension IBR (Inhibition
Based on Reward – Inhibition basée sur la récompense), qui est la capacité de
l’enfant à se réguler pour un bénéfice social ultérieur. La recherche de Briec et al.
(2012) souligne que durant les échanges conversationnels (donc prédictibles), les

nfance n◦ 2/2017
188 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.

enfants sourds de parents entendants (ES/PE) sont moins dans l’échange; et


que l’accès à la compréhension des règles implicites du langage est appauvri.
Ceci inclut la compréhension du regard référentiel9 du parent, donc de ses
intentions. Si l’enfant sourd perçoit l’ensemble des éléments de communication
(expressions faciales, de mouvements de tête, de touchers, d’actions menées vers
un but, émotions), il ne peut les replacer dans un système sémantique clair :
quel est le sens de ce soulèvement de sourcil ? Un étonnement ? Une peur ?
Une attention nouvelle ? Ce système sémantique est implicite, donc il est peu
accessible à l’enfant sourd. Le sens de ce soulèvement de sourcil sera trouvé
grâce au langage qui l’accompagne. Lors de surdité, l’enfant ne peut donner une
valeur pragmatique à des échanges qu’il observe pourtant. Les échanges sont alors
détachés de leurs conventions sociales. De plus, les émotions sont habituellement
véhiculées par la voix (dans un continuum qui commence lors de la vie prénatale).
Sans la voix, les émotions sont discriminées plus difficilement et en conséquence,
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utilisées avec moins de justesse entre les partenaires sociaux. Une autre étude de
Le Maner-Idrissi et collègues (2008) souligne une amélioration de la qualité des
échanges conversationnels lors d’un suivi longitudinal d’enfants sourds implantés
autour de 2 ans. Après un an d’implantation, l’amélioration des compétences
sociales des enfants laisse suggérer que la voix est fondamentale dans la
construction d’échanges de qualité. En effet, cette amélioration, concernant
certaines règles sociales tacites, pourrait s’expliquer ainsi : les enfants sourds
perçoivent un environnement qui est plus riche en stimulations perceptives
et ils emploient d’avantage leur attention soutenue (qui elle aussi s’améliore
significativement). De plus, la stimulation auditive participe au développement et
à la structuration d’une meilleure attention visuelle. Mis ensemble, ces différents
points améliorent l’acquisition du langage (Le Maner-Idrissi et al., 2008).
Ainsi, l’enfant sourd de parents entendants (ES/PE) a besoin de réduire la
temporalité entre les éléments signifiants durant l’échange, afin d’accéder à cette
compréhension que l’adulte parle bien de l’objet, dans un contexte et qu’un sens
est à comprendre lors de cet échange. Il y a un lien dont l’enfant sourd doit
s’emparer. Ce lien est l’élément linguistique porteur de sens. S’il n’est pas le
langage lui-même, il est un étayage fort au langage : la gestualité. Malgré cette
communication séquentielle, l’enfant sourd va user de sa compétence gestuelle
pour contourner sa difficulté. Cette gestuelle de communications (pointage main,
pointage index, tapping) va appuyer l’attention conjointe.
Cette gestuelle trouve ses sources dans l’imitation qui suit un développement
particulier. L’enfant sourd imite les gestes précocement tout aussi bien et
fréquemment que l’enfant entendant puis vers 6 mois, l’imitation s’estompe
(Toffin & Alis-Salamanca, 2014). Ce qui lui est propre est la production d’un
rythme au niveau des mouvements des mains (vision et proprioception), qui
évolue vers des jeux d’ouverture et de fermeture de mains avec l’apparition des

9 Le regard référentiel est celui qui dessine la ligne de mire jusqu’à l’objet référentiel. Il va
permettre le partage entre partenaires sociaux à propos de l’objet, tout comme la coordination,
et l’ajustement des partenaires entre eux.
Développement socio-cognitif du bébé sourd 189

premiers signes à partir de 6 mois10 . Vers 7-8 mois, l’enfant sourd va participer
aux jeux sociaux comme ses pairs (faire tomber les jouets, jeu de coucou) mais le
tapping prend une place de plus en plus importante pour attirer l’attention. Autour
de 12 mois, la prononciation du premier mot et la réapparition de l’imitation avec
une forte imitation gestuelle, servent d’appui lors de l’apprentissage du LPC ou
de la LSF (Toffin & Alis-Salamanca, 2014). À 10-12 mois, l’enfant entendant
pointe en direction des personnes et des objets. Puis il cesse de pointer les
personnes et reprend ce pointage vers l’âge de 18 mois. Le pointage chez l’enfant
sourd suit ces mêmes délais développementaux mais avec une fréquence plus
importante pour l’enfant sourd (Morgenstern et al., 2008 ; Morgenstern, Mathiot,
Leroy, & Limousin, 2009). Comme nous l’avons vu (1.2 L’attention conjointe), le
pointage est un geste de désignation mais aussi un geste linguistique (étiquetage
linguistique et construction progressive du lexique), il a aussi une valeur
pragmatique qui accompagne l’attention conjointe, qui aide à sa construction en
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rendant ostensible l’objet d’intérêt. Entre 12-15 mois, les activités d’imitation et
les jeux de faire semblant, les conventions sociales (comme le « allô ? ») sont très
présents. Puis jusqu’à 18 mois, l’enfant sourd répétera de plus en plus de signes,
avec juxtapositions de signes entre eux, accompagnés de vocalises pour oraliser
les premiers mots. À 18 mois, le vocabulaire devient plus étoffé en perception et
en production. Mais tout ceci est observable seulement pour les enfants sourds
de parents entendants (ES/PE) appareillés (Delaroche, 2012).
Malgré toutes les stratégies développées par l’enfant sourd, ces trois difficultés
vont mener à une quatrième difficulté dans le développement de l’attention
conjointe (tableau 2).

3.4. Quatrième compétence et difficulté du bébé sourd :


répondre et produire l’attention conjointe
Les enfants sourds de parents entendants (ES/PE) produisent moins d’épisode
d’attention conjointe et pointent plus que les enfants entendants (Morgenstern
et al., 2009). En grandissant, les enfants produisent de plus en plus d’épisodes
d’AC et un changement qualitatif s’opère : l’enfant va mieux maintenir son
attention conjointe et d’avantage l’initier (Bakeman & Adamson, 1984 ; Carpenter
et al., 1998 ; Flom & Pick, 2007 ; Gredebäck et al., 2010 ; Moore & Dunham, 2014
; Mundy & Gomes, 1998 ; Scaife & Bruner, 1975 ; Tomasello, 1995). Cependant,
l’enfant sourd de parents entendants (ES/PE) semble avoir plus de difficulté à
répondre à l’attention conjointe de son partenaire, donc à détecter les éléments de
l’attention conjointe (Le Driant et al., 2014). Cette étude de Le Driant et al. (2014)
montre que l’enfant sourd répond mieux aux sollicitations de l’orthophoniste
qu’à celles des mères. Ainsi stimulé, l’enfant sourd de parents entendants
(ES/PE) est plus enclin à initier de l’attention conjointe avec l’orthophoniste

10 L’enfant entendant, lui, produit beaucoup de sons répétés vers 6 mois au lieu de ces gestes
répétés.

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190 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.
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Tableau 2.
Récapitulatif des difficultés des enfants sourds de parents entendants pour
le développement de l’attention conjointe, en fonction de grandes étapes
développementales et appuyé par les travaux scientifiques

qu’avec sa mère. Les auteurs ont observé les stratégies mises en place par
l’orthophoniste : les gestes et les contacts tactiles sont plus nombreux que chez
les mères. Cela renvoie donc à la difficulté des parents entendants à adapter
leur mode de communication adressé à leur enfant sourd. Par conséquent, la
guidance parentale trouve toute son importance pour permettre une évolution
de la communication parentale, vers des stratégies plus efficientes, en allant d’une
communication faite de sourires et d’expressions faciales (stratégie émotionnelle)
vers une communication plus axée sur une stratégie tactile et gestuelle qui
accompagnera les sourires et les expressions faciales. Pour ces auteurs (Le Driant
et al., 2014), l’enfant sourd comprend le regard référentiel et l’intentionnalité à
partir du moment où il utilise l’initiation à l’attention conjointe vers 30 mois.
Avant, cet âge les enfants sourds de cette étude détectent seulement le regard
et y répondent. Par conséquent, de façon précoce un déséquilibre se fait sur
les performances de l’enfant sourd à saisir le regard de son partenaire comme
porteur d’intention et à utiliser cette connaissance à son tour. En effet, les enfants
sourds de cette étude n’engagent pas l’attention conjointe, ils ne sont pas à
l’initiative d’une proposition d’échange avant 30 mois, comme s’ils s’ancraient
dans un aspect purement perceptif de la communication sans aller vers un aspect
plus abstrait, plus représentationnel avec la compréhension des intentions de
communication. D’un point de vue développemental, l’usage de l’ACi à 30 mois
est très tardif, puisque l’usage de toutes les composantes de l’AC couplé à un
Développement socio-cognitif du bébé sourd 191

changement qualitatif de l’AC est observé autour de 18 mois. On voit donc une
grande difficulté à reprendre cette mécanique de l’ACi par les enfants sourds
de cette étude, et cela nous interroge aussi sur leur désir de partager à propos
de l’objet avec l’adulte. Il semble ne pas y avoir d’envie de moduler ou de
contrôler la ligne du regard de l’adulte, la perspective spatiale, comme on peut
le voir chez les enfants entendants dès 12 mois (Carpenter, Tomasello, & Striano,
2005 ; Moll & Tomasello, 2006). Cette asymétrie de la relation d’échange impacte
l’entrée ultérieure dans le langage. En effet, les auteurs (Le Driant et al., 2014)
soulignent la corrélation faite entre la réponse à l’attention conjointe et le
langage : un faible niveau d’AC est lié à un faible niveau de langage. À l’opposé,
une étude de cas lors d’un suivi longitudinal de 12 à 18 mois, menée sur un
enfant sourd de parents entendants (ES/PE) utilisant le LPC dès le premier mois
de vie, et avec toute la famille élargie, montre que les compétences d’ACi sont
très précocement présentes, tout comme chez les enfants entendants (Aubineau,
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2016). Cet enfant sourd est compétent pour construire une communication
perceptive ainsi que représentationnelle, pour porter des intentions et les partager
avec un partenaire. Aussi ce résultat suggère que lorsqu’on replace l’ES/PE dans
un système de langue précoce (avant les 12 mois), en utilisant la modalité gestuelle
dans une communication largement visuo-tactile, cela permet à l’enfant sourd de
maîtriser l’AC sur le même décours temporel que les enfants entendants. Par con-
séquent, la compréhension du monde social est facilitée, ce qui laisse supposer de
meilleurs habilités socio-cognitives dès l’âge pré scolaire qui pourront perdurer.

CONCLUSION
L’enfant sourd de parents entendants nécessite une attention particulière pour
développer l’ensemble de ses compétences de communication, et notamment
l’attention conjointe. Elle est définie comme la capacité, après un regard mutuel,
de partager un même objet d’intérêt. C’est une coordination de regard qui permet
de « parler » à propos de, d’agir ensemble. La difficulté de l’enfant sourd est liée
en premier lieu au statut auditif de ses parents. En effet, le parent entendant
n’utilisera pas toujours intuitivement des stratégies de communications capables
de mettre en avant les compétences de son bébé sourd. Dès les premiers mois
de la vie, l’attention conjointe des bébés sourds est un facteur majeur pour le
développement des compétences sociales et de communication. Les observations
récentes de l’attention conjointe chez le bébé sourd de parents entendants et
de la prise en considération de l’intentionnalité du partenaire social, montrent
la fragilité de la mise en place de ce processus de communication. Dès lors,
se pose la question de la spécificité de prise en compte de l’intention d’autrui
comme particularité de l’AC chez l’enfant sourd de parents entendants. Par
conséquent, l’enfant sourd de parents entendants aurait du mal à proposer
des échanges à ses partenaires sociaux et à rentrer dans une pragmatique, une
compréhension du monde social, étroitement liée à l’usage d’une langue. Aussi,
un appareillage précoce couplé à l’usage d’une langue codée ou signée offre
un appui aux familles. La dyade a alors un échange pré verbal satisfaisant.

nfance n◦ 2/2017
192 Louise-Hélèna AUBINEAU et al.

C’est pourquoi, un accompagnement médico-social précisant cette fragilité est


un élément important. Il servirait de ressources aux familles sur ces différents
aspects (appareillage, langues signée ou codée, stratégies de communication
explicitées. . .) et nourrirait d’autant plus le plaisir à échanger entre parents
entendants et enfants sourds.

REMERCIEMENTS
Cet article a été réalisé dans le cadre du projet Visu, financé par le Fond Européen
de Développement Régional et la Région Picardie (Contrat Région Visu 1012007880
(2011-2014)).

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