Vous êtes sur la page 1sur 99

Eléments de Sédimentologie et de Pétrologie

sédimentaire

Table des matières


• I. AVERTISSEMENT
• II. INTRODUCTION
o LES ROCHES SEDIMENTAIRES
o L'ETUDE SEDIMENTOLOGIQUE: REMARQUES GENERALES
• III. LES SEDIMENTS DETRITIQUES
o INTRODUCTION
o SABLES, GRES ET CONGLOMERATS
ƒ LES GRES
ƒ LES SABLES
ƒ CONGLOMERATS ET BRECHES
o LES SEDIMENTS ARGILEUX ET SILTEUX
ƒ COMPOSITION
ƒ CLASSIFICATION
o LES ENVIRONNEMENTS DE DEPOT DES ROCHES DETRITIQUES
ƒ ARGILES ET SILTS
ƒ SABLES ET GRAVIERS
• IV. LES EVAPORITES
o INTRODUCTION
o EVAPORITES CONTINENTALES
o EVAPORITES MARINES PEU PROFONDES
o EVAPORITES PROFONDES
o DIAGENESE
• V. LES SEDIMENTS SILICEUX
o INTRODUCTION
o PETROGRAPHIE
o GEOCHIMIE
o CHERTS ET SILEX LITES
o CHERTS ET SILEX NODULAIRES
o SILICITES NON MARINES
• VI. LES PHOSPHORITES
o INTRODUCTION
o CLASSIFICATION
• VII. LES SEDIMENTS FERRIFERES
o INTRODUCTION
o GEOCHIMIE ET PETROGRAPHIE
o FORMATIONS FERRIFERES PRECAMBRIENNES
o FORMATIONS FERRIFERES PHANEROZOIQUES
o FORMATIONS FERRIFERES ACTUELLES
ƒ FER DES MARAIS
ƒ NODULES POLYMETALLIQUES
• VIII. LES GRANDS ENVIRONNEMENTS DE DEPOT DES CARBONATES
o INTRODUCTION
o LE DOMAINE CONTINENTAL
ƒ CARBONATES LACUSTRES
ƒ TUFS ET TRAVERTINS
ƒ GROTTES
ƒ CALICHES, CALCRETES
o LE DOMAINE MARIN
ƒ LES PLATES-FORMES CARBONATEES TEMPEREES
ƒ LES PLATES-FORMES CARBONATEES TROPICALES
ƒ LE TALUS
ƒ LE BASSIN
• IX. DESCRIPTION ET INTERPRETATION DES PALEOENVIRONNEMENTS CARBONATES
o CLASSIFICATION DES ROCHES CARBONATEES
o DESCRIPTION DES PALEOENVIRONNEMENTS CARBONATES
o LES MICROFACIES STANDARDS

MRABTI Nabil 1 Ingénieur ENIT


o INTERPRETATION DES PALEOENVIRONNEMENTS CARBONATES
• X. TAPIS ALGAIRES, STROMATOLITHES & Co
o TAPIS ALGAIRES ET STROMATOLITHES ACTUELS
ƒ INTRODUCTION
ƒ CLASSIFICATION ET DESCRIPTION
ƒ QUELQUES CARACTERISTIQUES DES STROMATOLITHES
o TAPIS ALGAIRES GIVETIENS
• XI. LES RECIFS
o GENERALITES - TERMINOLOGIE
o STABILISATION - MINERALISATION
o EVOLUTION AUTOGENIQUE - EVOLUTION ALLOGENIQUE
o LES RECIFS DANS L'HISTOIRE GEOLOGIQUE
o RECIFS ALGO-CORALLIENS DES EAUX SUPERFICIELLES TROPICALES
ƒ INTRODUCTION
ƒ GENERALITES: MORPHOLOGIE DES RECIFS ACTUELS
ƒ UN EXEMPLE: LES ATOLLS
ƒ UN AUTRE EXEMPLE: LE RECIF BARRIERE
o BIOCONSTRUCTIONS A CORAUX AHERMATYPIQUES
ƒ LES LITHOHERMES
ƒ LES MONTICULES CORALLIENS PROFONDS
o MONTICULES WAULSORTIENS
o MONTICULES MICRITIQUES FRASNIENS
o BIOSTROMES GIVETIENS
• XII. LES SEDIMENTS ORGANIQUES
o INTRODUCTION
o LES SEDIMENTS ORGANIQUES ACTUELS
o LES SEDIMENTS ORGANIQUES ANCIENS
o LES CHARBONS
o LES SCHISTES BITUMINEUX
o LE PETROLE
• XIII. DEPOTS VOLCANO-SEDIMENTAIRES
o INTRODUCTION
o ROCHES PYROCLASTIQUES
o AUTRES DEPOTS VOLCANO-SEDIMENTAIRES
o DIAGENESE DES DEPOTS VOLCANO-SEDIMENTAIRES

I. Avertissement
Ce cours fait suite au cours de "Processus sédimentaires", centré sur l'étude des processus d'altération, érosion,
transport, dépôt, diagenèse. L'optique ici est d'identifier les différents types de roches sédimentaires et de
comprendre leur genèse et le contexte paléogéographique de cette genèse.

Puisqu'en sédimentologie comme en bien d'autres domaines mieux vaut avoir la tête bien faite que bien pleine,
ces notes ne se veulent certainement pas encyclopédiques. Si elles couvrent brièvement l'essentiel des types de
sédiments et de roches sédimentaires, une certaine accentuation est mise sur le monde des carbonates. J'ai en
effet choisi de traiter plus en détail les bioconstructions, qu'elles soient de type récifal, microbien ou algaire. Ces
bioconstructions diffèrent par leur géométrie, les communautés organiques qui les édifient, leur mode de
stabilisation et la source d'énergie primaire utilisée (soleil, matière organique, méthane,...). Outre leur intérêt
intrinsèque, le choix d'illustrer particulièrement les bioconstructions est justifié par le fait que nous en possédons,
en Belgique, de multiples et splendides exemples paléozoïques.

II. Introduction
LES ROCHES SEDIMENTAIRES

Les roches sédimentaires font partie inhérente du cycle géologique, puisque leurs constituants (grains ou ions
solubles) résultent de l'altération de roches ou de sédiments préexistants, que ces constituants ont subi un certain
transport et qu'ils se sont déposés ou ont été précipités dans un bassin de sédimentation. L'évolution post-dépôt
de ces sédiments (diagenèse) les transforme en roches sédimentaires. Ces roches peuvent subir un
métamorphisme et être à leur tour soumises à l'altération lors de leur passage à la surface des continents.

MRABTI Nabil 2 Ingénieur ENIT


Il est possible de classer les roches sédimentaires en quatre grandes classes génétiques:

- les roches détritiques: elles sont formées de particules minérales issues de l'altération de roches préexistantes.
Comme il s'agit de matériel issu des continents, on les appelle aussi "terrigènes". Ces particules sont transportées
par l'eau, la glace, le vent, des courants de gravité et se déposent lorsque la vitesse de l'agent de transport
diminue (ou lors de la fonte de la glace). Lorsque les roches détritiques sont essentiellement constituées de
fragments de quartz, on les appelle aussi "siliciclastiques". Les roches détritiques sont généralement classées en
fonction de la granulométrie de leurs constituants (conglomérats, grès, siltites, argilite, voir ci-dessous). Elles
forment près de 85% de l'ensemble des roches sédimentaires;

- les roches biogéniques, biochimiques ou organiques: elles sont le produit, comme leur nom l'indique, d'une
activité organique ou biochimique. L'altération fournit, outre les particules solides entrant dans la constitution
des roches terrigènes, des substances dissoutes qui aboutissent dans les mers, les lacs et les rivières où elles sont
extraites et précipitées par des organismes. Dans certains cas, l'action des organismes modifie l'environnement
chimique et le sédiment est précipité directement à partir d'eaux marines ou lacustres sursaturées. Dans d'autres,
les organismes utilisent les carbonates, phosphates, silicates pour constituer leurs tests ou leurs os et ce sont leurs
restes qui constituent les roches sédimentaires. Les plantes accumulent des matériaux carbonés par
photosynthèse et sont directement à l'origine du charbon. D'autres types de sédiments carbonés comme les
schistes bitumineux, le pétrole sont générés par des bactéries. Les roches biogéniques forment près de 15% des
roches sédimentaires;

- les roches d'origine chimique résultent de la précipitation (purement physico-chimique) de minéraux dans un
milieu sursaturé. Les évaporites (anhydrite, halite, gypse, sylvite,...) en sont le meilleur exemple: elles se forment
par évaporation de saumures. L'importance relative de ces roches est faible: de l'ordre du %;

- une dernière classe est consacrée aux "autres roches sédimentaires" dont l'origine n'est pas liée à l'altération: les
pyroclastites, les roches liées aux astroblèmes, les cataclastites (liées à des phénomènes de bréchification par
collapse, tectonique, glissements de terrain, etc.).

L'ETUDE SEDIMENTOLOGIQUE: REMARQUES GENERALES

La phase initiale d'une étude sédimentologique est bien évidemment une campagne de terrain. Ce travail peut
prendre de nombreux aspects, depuis la récolte d'échantillons de sédiment actuel en mer jusqu'au levé d'une
coupe paléozoïque en bord d'autoroute... Il est bien sûr impossible d'envisager la démarche à suivre dans des
circonstances aussi variées, mais il faut garder à l'esprit quelques règles de "bon sens géologique":

- toujours se remémorer le principe de la hiérarchie des échelles d'observation: ne pas passer de l'échelle de
l'affleurement à celle du microscope à balayage;

- bien localiser les prises d'échantillons: à la fois dans le temps (position dans une succession lithologique) et
dans l'espace (position de la coupe, du domaine sédimentaire au sein du bassin);

- ne pas oublier l'importance des documents d'observation: ce sont les documents de base et les seuls qui sont
résolument objectifs... Ils doivent pouvoir servir à d'autres. Il n'est pas rare que des affleurements disparaissent:
les seules traces que nous en possédons alors sont les levés des géologues des générations précédentes;

- bien faire la différence entre un document de base et un document de synthèse: outre leur caractère
simplificateur (parfois simplement pour une question d'échelle), ces documents de synthèse servent toujours à
montrer quelque chose, ils sont orientés. Je donne comme exemple la coupe de Vaucelles (Fig. II.1): à gauche le
document de base, à droite la synthèse destinée à être réduite pour publication et tendant à mettre en évidence les
niveaux repères: biostromes et laminites.

MRABTI Nabil 3 Ingénieur ENIT


Fig. II.1: synthèse d'une colonne lithologique de terrain (calcaires). Exemple de Vaucelles, Givétien, bord sud
du Synclinorium de Dinant.

III. Les sédiments détritiques


INTRODUCTION

Les sédiments et roches détritiques sont les plus abondants des dépôts sédimentaires. Au sein de ces dépôts, ce
sont les variétés dont les grains sont les plus fins qui dominent: argiles/silts: 63%; sables, graviers: 22%.

MRABTI Nabil 4 Ingénieur ENIT


Une première distinction parmi les roches détritiques est fondée sur l'état d'aggrégation des particules
sédimentaires: on oppose les roches meubles et les roches plastiques aux roches dures ou cohérentes. Dans les
roches meubles, les grains détritiques sont entièrement indépendants les uns des autres: ils forment un
assemblage en équilibre mécanique dont les espaces intergranulaires (pores) représentent une fraction importante
du volume de la roche. Dans les roches plastiques, la présence de minéraux argileux en quantité importante
permet une déformation sous la contrainte. Dans les roches cohérentes, les constituants sont intimement soudés
les uns aux autres et la roche garde sa forme aussi longtemps que des contraintes ne viennent la briser. La
transformation du sédiment meuble en roche indurée résulte soit de l'introduction d'un ciment entre les grains,
soit de la compaction du sédiment, soit encore de la déshydratation des constituants argileux. On appelle
diagenèse l'ensemble des processus physico-chimiques responsables de la transformation d'un sédiment meuble
en une roche indurée.

Un même critère général sert à la classification des roches meubles et cohérentes: c'est la dimension des
particules détritiques. On admet généralement trois grandes classes ganulométriques:

Diamètre des Brongniart sédiments sédiments


Grabau (1904)
particules (1813) meubles indurés
conglomérat,
> 2 mm pséphite rudite gravier
brèche
de 2 mm à 62 µm psammite arénite sable grès
de 62 de 62
µm à 4 silt µm à 4 siltite
<62 µm pélite lutite µm µm
< 4 µm argile < 4 µm argilite
Tableau III.1: classification des roches détritiques.

Au sein des roches pélitiques meubles, la limite de 4 µm correspond à l'apparition de la plasticité. Il faut noter
que les mots pséphite, psammite sont des termes généraux; malheureusement, les géologues de l'Ardenne
appellent psammite un grès particulier du Famennien du Condroz, caractérisé par un grain fin, un zonage net et
un débitage aisé suivant des joints de stratification couverts de paillettes de micas.

L'étude des sédiments détritiques est relativement différente selon que l'on s'intéresse à des roches meubles ou
consolidées. Dans le cas des sédiments meubles, elle débute sur le terrain par une description minutieuse des
affleurements, elle se poursuit par un échantillonnage qui exige souvent des précautions spéciales (enrobage,
carottage,...) Elle se termine au laboratoire par des analyses très variées dont les principales sont les suivantes:

• analyses granulométriques;
• analyses morphoscopiques (forme des grains, état de leur surface);
• analyses minéralogiques (ex: minéraux lourds);
• analyses pétrographiques sur sédiment enrobé.

Dans le cas des roches cohérentes par contre, c'est l'analyse pétrographique en lame mince qui est l'outil
privilégié et qui va permettre de déterminer la composition minéralogique du sédiment et les relations
structurelles de ses différents constituants. Cette technique est surtout d'application pour les grès et les siltites.

SABLES, GRES ET CONGLOMERATS

LES GRES

Généralités

Les grès sont l'équivalent consolidé des sables, c-à-d. des roches dont les constituants détritiques ont une
granulométrie comprise entre 2 mm et 62 µm. L'examen montre d'une part une phase granulométrique
principale, la plus grossière, qui comporte les grains du grès et d'autre part, soit une matière intersticielle qui
réunit les grains et qu'on appelle le liant, soit des fluides comme de l'eau, du pétrole, de l'air.

MRABTI Nabil 5 Ingénieur ENIT


Ce liant peut être de nature chimique et représenter une précipitation in situ de matière minérale (silice sous
forme d'opale, de calcédoine ou de quartz, carbonate de calcium ou plus rarement hématite, goethite, gypse,
anhydrite, etc.): on parlera dans ce cas du ciment de la roche. Si l'on observe au contraire qu'une phase détritique
plus fine occupe les interstices entre les grains de la phase grossière, on parlera d'une matrice intergranulaire,
représentant une infiltration mécanique de particules fines entre des grains jointifs (en trois dimensions!).

Si les grains les plus gros ne sont pas jointifs, on doit considérer que l'on a affaire à un sédiment mal classé où
les particules grossières et fines ont été déposées en même temps: on distinguera alors entre un simple
empâtement des gros grains dans la matrice silteuse ou argileuse (structure empâtée, caractéristique des
"wackes", voir ci-dessous) ou une franche dispersion des gros grains au sein de la matrice (structure dispersée).

Dans les structures jointives, on peut avoir un simple ciment de contact, conservant à la roche une porosité
importante, mais le plus souvent, le ciment comble la totalité des interstices entre les grains. Dans les
"quartzites", les grains de quartz s'entourent d'une auréole d'accroissement formée de quartz, de même
orientation optique que le grain détritique. Le phénomène de croissance syntaxique peut être mis en évidence
lorsque les grains du sable primitif possédaient un mince revêtement ("coating") d'oxydes de fer.

Composition minéralogique

On peut envisager la composition minéralogique des grès sous des aspects très différents:

• selon la nature minéralogique du liant: grès à ciment siliceux, calcaire, ferrugineux, etc.; et d'après la
présence de constituants minéraux exceptionnels (grès glauconifères, micacés,...);
• on peut aussi opposer les constituants stables (quartz, débris de chert et de quartzite) aux constituants
instable, c-à-d; aisément altérables comme les feldspaths, les micas, les débris de roches en général.
Cette distinction conduit à la notion de maturité des sédiments qui se traduit non seulement par la
disparition progressive des constituants instables mais également par l'élimination de la matrice
argileuse, par l'amélioration du classement granulométrique et par l'augmentation du degré d'arrondi des
grains.

Passons en revue les constituants majeurs des grès:

• le quartz: c'est, en raison de sa résistance à l'altération, de loin le constituant le plus fréquent des grès.
Diverses tentatives ont été réalisées quant à la détermination de la provenance des quartz, mais en
général, les résultats ont été décevants. On peut dire néanmoins que les quartz monocristallins à
extinction ondulante proviendraient de précurseurs plutoniques ou métamorphiques, alors que les quartz
à extinction uniforme proviendraient de roches volcaniques ou de grès recyclés. Les quartz provenant
de grès recyclés possèdent souvent une relique d'un ciment syntaxique précipité durant un ancien
épisode de lithification. La cathodoluminescence peut également aider à distinguer entre quartz de
provenances différentes (Götte & Richter, 2006, p. ex.);
• les feldspaths: suite à leur fragilité (clivage) et leur grande altérabilité, les feldspaths forment rarement
plus de 10 à 15% des grès. Une proportion importante de feldspaths dans un grès doit donc être
considérée comme "anormale". Elle peut indiquer soit un climat où l'altération chimique est faible
(aridité, gel permanent), soit la présence de reliefs, responsables d'un transit rapide des sédiments vers
le bassin;
• les fragments lithiques: comme les roches plutoniques ont tendance à se désagréger avant leur
incorporation dans le sédiment, les fragments lithiques les plus fréquents sont des morceaux de roches
volcaniques, de schistes, de cherts;
• les micas et les minéraux des argiles: les micas sont fréquents dans les grès. Leur granulométrie les
range dans les fractions silteuse et sableuse. Les argiles forment la matrice. Il est généralement difficile
de déterminer si leur minéralogie est originelle (matériel détritique) ou est le résultat de la diagenèse.

Granulométrie

Plusieurs méthodes existent suivant les classes granulométriques et le fait que l'on étudie un sédiment meuble ou
consolidé. Dans ce dernier cas, en dehors de situations exceptionnelles où il est possible de désagréger le
sédiment sans l'altérer (grès à ciment calcaire soluble dans l'HCL), il faut renoncer à faire des analyses

MRABTI Nabil 6 Ingénieur ENIT


granulométriques par tamisage; on ne peut que procéder à des comptages linéaires sous le microscope, de la
façon suivante:

• le long d'une ligne, on mesure les longueurs interceptées par tous les grains dont la longueur apparente
La est égale ou supérieure à une valeur donnée;
• la somme des longueurs interceptées, pour une même gamme de longueurs apparentes (par exemple: de
0,1 à 0,2 mm; de 0,2 à 0,3 mm, etc.) représente la fréquence de cette catégorie.

Les résultats obtenus par cette méthode sont cependant entachés d'erreurs dues au caractère aléatoire des sections
de grains et à l'accroissement des grains par précipitation syntaxique. Au terme d'une étude comparative des
granulométries apparentes et réelles de différents sédiments, Friedman (1962) a établi un graphique permettant
de comparer la distribution apparente d'un grès sous le microscope à celle qui serait déterminée par tamisage du
sable correspondant.

Actuellement, l'utilisation de méthodes automatiques basées sur l'analyse d'image permet des développements
intéressants dans ce domaine (augmentation de la précision, du nombre d'analyses,...).

Classification

La plupart des classifications modernes font intervenir la composition minéralogique du grès et sa teneur en
matrice fine. La classification la plus utilisée semble être celle proposée par Dott en 1964 (Fig. III.1). Pour
combiner la composition minéralogique des grès (évaluée sur un diagramme triangulaire quartz-feldspath-
fragments lithiques) avec la teneur en matrice fine (<30 µm), Dott a choisi de diviser les grès en trois grands
groupes: les arénites, les wackes et les mudrocks.

Fig. III.1: classification des grès suivant Dott (1964). Le petit triangle à droite suggère une classification des
greywackes lithiques sur base de la nature des fragments rocheux.

Sans nier l'intérêt de cette classification, il faut néanmoins souligner les points suivants:

• il s'agit d'une classification pétrographique; elle ne tient pas compte de toutes les données de terrain,
souvent très importantes dans l'interprétation d'un grès: structures sédimentaires, géométrie du corps
sédimentaire, autres faciès associés latéralement et verticalement;

MRABTI Nabil 7 Ingénieur ENIT


• elle requiert normalement un comptage de points (500 points en général);
• les grains autres que le quartz, les feldspath et les fragments lithiques ne sont pas pris en compte;
• la matrice est définie comme la fraction inférieure à 30 µm. A vrai dire, une matrice représente la
fraction granulométrique plus fine comblant les interstices entre les plus gros grains d'un sédiment. Le
terme implique donc une taille relative et une disposition particulière et non pas une granulométrie
particulière;
• les teneurs limites en matrice qui délimitent les domaines des arénites, des wackes et des mudrocks ont
été choisies arbitrairement et varient en conséquence d'un auteur à l'autre. Il est clair que ces valeurs
arbitraires deviendraient inutiles si l'on prenait en considération la structure d'agrégat: structure jointive
pour les arénites et structure empâtée pour les wackes.

Nonobstant ces remarques, cette classification a l'avantage d'être très utilisée et elle permet de distinguer quatre
grandes familles de roches, correspondant à des origines distinctes, les arénites quartziques, les arkoses, les
arénites lithiques et les wackes.

Les arénites quartziques sont constituées essentiellement de grains de quartz, chert, quartzite associés à quelques
minéraux lourds résistants. Leur couleur est claire. Ce sont des sédiments matures, c-à-d débarrassés des
constituants instables, généralement bien triés et dont les grains possèdent un bon arrondi. Ce type de sédiment
s'observe depuis la base de la zone d'action des vagues de tempête jusqu'au milieu continental: plages, dunes,
barrières, rides, etc... Le matériau provient typiquement de l'érosion de zones continentales stables à relief faible.

Les arkoses ou arénites feldspathiques sont composées principalement de quartz et de feldspath. Ce sont des
roches claires, souvent roses ou rougeâtres. L'orthose et le microcline sont plus abondants que les plagioclases
quand la croûte continentale représente la source principale du sédiment; dans le cas contraire, une source
volcanique doit être suspectée. On y observe aussi des micas et des fragments de roches. Les arkoses ne sont pas
des sédiments aussi matures que les arénites quartziques: elles sont généralement plus grossières et moins bien
triées que ces dernières (sauf certaines arkoses éoliennes de milieu désertique). Beaucoup d'arkoses sont des
sédiments continentaux, de type cône alluvial, "point bar" de rivière, voire plage. La présence du feldspath
implique, comme dit plus haut, un climat aride (désertique ou arctique) et/ou un relief accusé (soulèvements
récents, failles actives). Certaines arkoses sont des "reliques", accumulées en tout début de transgression marine
et surmontées par des arénites quartziques.

Les arénites lithiques sont constituées de fragments de quartz et de roches diverses. Le mélange de quartz et de
débris divers leur donne un aspect "poivre et sel". Les feldspath sont généralement peu abondants, les micas sont
communs. Ces sédiments s'observent aussi bien dans des cônes alluviaux que des turbidites. Il s'agit de dépôts
immatures, à proximité de reliefs vigoureux.

Les wackes (graywackes): ce sont des roches généralement sombres, constituées d'une matrice et de grains de
quartz, de chert, de calcaire, de roches volcaniques, de schiste, de feldspath (souvent anguleux). Il s'agit de
sédiments immatures, mis en place par des courants de turbidité. On y retrouve en effet les granoclassements et
les autres structures sédimentaires produites par ce type d'agent de transport et de dépôt. Il faut faire attention au
caractère primaire de la matrice et veiller, pour l'interprétation, à ce qu'il ne s'agisse pas plutôt d'une arkose dont
les grains de feldspath ont été complètement altérés.

Pour les sédiments "mixtes", comprenant à la fois des grains de quartz et de carbonate ou de la boue calcaire et
siliciclastique, la classification de Mount (1985) est recommandée.

MRABTI Nabil 8 Ingénieur ENIT


Exemples de roches détrtiques en lame mince. A: quartzophyllade; noter la réfraction de la schistosité (S1) et la
stratification (S0), soulignée par un lit plus grossier; B: schiste à chlorite (flèche); C: arénite quartzique à
structure quartzitique; D: quartzwacke.

LES SABLES

Ce qui a été dit au sujet de la composition minéralogique, de la classification et de l'interprétation


environnementale des grès est évidemment valable pour les sables.

CONGLOMERATS ET BRECHES

Les conglomérats (appelés aussi poudingues) sont des roches cohérentes constituées de galets arrondis à
subanguleux d'un diamètre supérieur à 2 mm et d'un liant. Le terme brèche s'applique non seulement aux brèches
sédimentaires constituées d'accumulations d'éléments anguleux, mais aussi aux roches broyées le long des
accidents tectoniques (brèche de faille ou brèche cataclastique) et aux projections volcaniques grossières
recimentées (brèches pyroclastiques).

Les conglomérats et brèches ne représentent qu'un à deux % des roches détritiques et sont généralement
d'extension limitée (dans le temps et l'espace). La corrélation stratigraphique de ces unités est difficile, car elles
manquent en général à la fois de macro- et de microfossiles.

Composition

Suite à la grande taille des constituants (plus grande que la taille moyenne des cristaux de la plupart des roches),
ce sont les fragments lithiques qui dominent. Comme dans le cas des grès, on peut classer ces fragments en
fonction de leur résistance décroissante à l'altération: quartzite, quartz filonien, rhyolite, roches plutoniques et
métamorphiques, calcaire, schiste. La présence de constituants instables indique un faible transport/altération.

MRABTI Nabil 9 Ingénieur ENIT


Texture

Les études texturales sont effectuées directement sur le terrain (pour la granulométrie, par exemple: même
méthode que pour les grès, avec une ligne matérialisée par une ficelle).

Le classement est généralement moins bon que dans le cas des grès. De plus, beaucoup de conglomérats
présentent une distribution granulométrique bi- ou polymodale. C'est le cas par exemple des conglomérats
d'origine fluviatile qui ont un mode pour la matrice sableuse et un mode pour la fraction grossière. Ces deux
modes correspondent à deux types de transport différents: traction pour les galets et suspension pour les sables.
Les conglomérats très riches en matrice sont encore plus mal classés: ceci reflète leur mise en place par des
agents de transport à faible pouvoir de classement tels que glace, courants de turbidité, écoulements en masse.

La forme: d'une manière générale, la forme des débris reflète plus la nature des roches que le type d'agent de
transport (granites, grès,... donnent des galets grossièrement équidimensionnels; schiste, gneiss, des galets
allongés). Deux exceptions: les galets striés transportés par les glaciers et les fameux "dreikanter" façonnés par le
vent du désert.

L'arrondi: le degré d'arrondi dépend évidemment de la nature du matériau de départ, du type d'agent de transport
et de la durée du transport. On a montré que des fragments de calcaire sont bien arrondis après quelques dizaines
de km de transport fluviatile. Même des roches aussi résistantes que des quartzites sont bien arrondies après un
transport d'une centaine de km.

La morphologie de surface: contrairement aux sédiments plus fins, où l'étude de la surface des grains exige le
MEB, le microrelief des galets est aisément observable. Il inclut les striations (glaciers), les marques d'impact
(croissants), les impressions (au cours de la compaction, diagenèse), le poli (éolien).

La fabrique ou organisation tridimensionnelle des éléments: les éléments de certains conglomérats possèdent une
orientation d'ensemble spécifique: on l'appelle "imbrication". Les conglomérats d'origine fluviatile, glaciaire,
marine, montrent généralement ce type d'imbrication (souvent parallèle, rarement perpendiculaire à la direction
de transport), contrairement aux conglomérats et brèches issus d'écoulements gravitaires.

Classification

Les conglomérats (et brèches) peuvent être qualifiés d'après la dimension de leurs constituants (pisaire, ovaire,
céphalaire, etc.), d'après la diversité lithologique plus ou moins grande des galets (conglomérats polymictiques
ou polygènes d'une part; conglomérats oligomictiques ou monogènes d'autre part), selon la provenance locale ou
lointaine des cailloux (conglomérats intraformationnels ou extraformationnels) ou encore suivant la nature du
liant ou sa proportion (orthoconglomérats: moins de 15% de matrice, structure jointive; paraconglomérats, plus
de 15%, structure empâtée à dispersée).

Prothero & Schwab (1996) proposent une classification dichotomique d'application aisée sur le terrain (Fig.
III.2). Ce schéma distingue d'abord (1) les conglomérats et brèches intra- et extraformationnels, sur base de la
provenance des constituants. Il faut noter que dans le cas d'un conglomérat intraformationnel, c-à-d formé
pratiquement sur place, la matrice et les cailloux ont pratiquement la même lithologie. Exemples de brèches ou
conglomérats intraformationnels: conglomérats littoraux à éléments calcaires issus du remaniement de copeaux
de dessiccation; conglomérats à éléments argileux formés par des augmentations brutales de la vitesse de
courants dans des rivières ou des canyons sous-marins.

On distingue ensuite (2), sur base de la teneur en matrice (valeur-pivot: 15%), les ortho- des paraconglomérats.
Les premiers sont mis en place par des écoulements d'eau qui opèrent un classement des débris. Les galets sont
déposés en période d'écoulement rapide, tandis que la matrice fine est déposée lors de phases de ralentissement
de l'agent de transport et elle s'infiltre entre les cailloux (exemples: rivières, plages). Les paraconglomérats par
contre, sont généralement déposés par la glace ou les glissements en masse.

L'étape suivante (3) consiste à distinguer au sein des conglomérats (extraformationnels), les conglomérats
polymictiques des conglomérats oligomictiques. Ces derniers sont formés presqu'exclusivement de quelques
variétés de roches très résistantes: quartz filonien, quartzite, chert. Dans les conglomérats polymictiques, on

MRABTI Nabil 10 Ingénieur ENIT


observe des éléments de roches moins stables à l'altération comme des basaltes, des schistes et des calcaires.
Comme dans le cas des grès, ceci implique un relief vigoureux et/ou une altération chimique faible.

Les paraconglomérats sont subdivisés (4) sur la base de la nature et de la fabrique de leur matrice. Ainsi, on
observe des paraconglomérats à matrice argileuse ou argilo-silteuse laminaire dans lesquels les galets, blocs,
déforment les laminations proches. Ces blocs sont des "dropstones", c-à-d. soit des éléments amenés par des
icebergs ou des débris flottants qui tombent ensuite (fonte, pourrissement du support) sur les sédiments fins du
fond marin ou lacustre, soit encore des bombes volcaniques. Les paraconglomérats à matrice non laminaire sont
soit des tillites (d'origine glaciaire donc associés à des galets striés, dépôts varvaires, etc.), soit des tilloïdites
(formées par des glissements en masse).

Fig. III.2: classification des conglomérats et brèches d'après Prothero & Schwab (1996).

A: orthoconglomérat oligomictique; B: paraconglomérat à matrice non laminaire: tillite.

LES SEDIMENTS ARGILEUX ET SILTEUX

Ces sédiments représentent entre 50% et 80% de la colonne stratigraphique. Leur étude pétrographique et leur
classification est moins avancée que celle des grès et des calcaires, en raison de leur granulométrie très fine, en

MRABTI Nabil 11 Ingénieur ENIT


partie sous le pouvoir de résolution du microscope. Leur importance économique est cependant grande, avec des
applications industrielles multiples comme la fabrication des ciments, des briques, des céramiques, etc.

COMPOSITION

La composition des roches silto-argileuses est relativement constante: le shale (voir ci-dessous) moyen
comprendrait 30% de quartz, 10% de feldspath et 50% de minéraux argileux (ou de micas), avec les 10%
restants constitués de carbonates ou d'oxydes de fer.

Les minéraux argileux sont le produit de l'altération de roches sédimentaires, métamorphiques et ignées. Ces
dernières ne contiennent pas de minéraux argileux préexistants, mais un de leurs constituants, les feldspaths, sont
aisément dégradables en argiles.

La nature des minéraux argileux (diffraction X) des roches détritiques a souvent été utilisée comme indicateur de
paléoenvironnement ou de diagenèse (voir ci-dessous).

CLASSIFICATION

Ces roches appartiennent au grand groupe des "mudrocks" (littéralement "roches de boue") des géologues
anglais. Ce groupe comprend tous les sédiments siliciclastiques constitués majoritairement d'éléments de la taille
des silts (1/16 à 1/256 mm ou 0,062 à 0,004 mm) et des argiles (< 1/256 mm ou 0,004 mm).

Le tableau suivant est une proposition de classification, basée sur les commentaires de Lundegard & Samuels
(1980):

sédiments faible métamorph.


indurés
meubles métamorphisme plus élevé
silt siltite quartzite
2/3 silt

NON LAMINAIRE: argillite (pas de


mudstone, siltite argileuse? clivage)
CLIVAGE: slate,
mud LAMINAIRE et FISSILE schiste silto-argileux CLIVAGE:
(// à S0): mudshale, siltite schist, ardoise,
argileuse? phyllade

1/3 silt

argillite (pas de
NON LAMINAIRE:
clivage)
clay claystone, argilite? CLIVAGE: slate,
schiste argileux CLIVAGE:
(argile) LAMINAIRE et FISSILE
schist, ardoise,
(// à S0): clayshale
phyllade

Tableau III.2: classification des "mudrocks" (les termes français sont en italique)

Ce tableau montre que le vocabulaire français est moins précis que le vocabulaire anglo-saxon: nous manquons
de mots pour désigner les shales et les mudstones (notons que ce terme anglais peut amener la confusion avec les
mudstones calcaires).

Les shales sont donc des argiles compactées, plus ou moins riches en silts, présentant une fissilité parallèlement à
la stratification. En Belgique, on utilise souvent sur le terrain, le terme "schiste" (="slate") qui doit s'appliquer à
une roche indurée de granulométrie fine, affectée d'une schistosité (c-à-d d'un clivage dû à une dissolution et une
simple réorientation des minéraux sous l'effet des pressions tectoniques ). Les termes ardoise ou phyllade par
contre, impliquent un métamorphisme: la plus grande partie des minéraux ont recristallisé, des espèces nouvelles
sont apparues. Les minéraux ainsi développés sont allongés dans des plans perpendiculaires à la pression

MRABTI Nabil 12 Ingénieur ENIT


tectonique ou lithostatique. Parallèlement à ces plans, la roche se débite en fines plaquettes luisantes, d'aspect
finement cristallin .

L'analyse granulométrique proprement dite ne peut être pratiquée que sur des sédiments meubles. La
détermination des différentes classes est basée sur des techniques appliquant la loi de Stokes.

A la classification granulométrique des sédiments s'ajoutent d'autres caractéristiques, celles-ci résultant soit
d'analyses microscopiques, soit d'observations macroscopiques:

- la coloration, en cassure fraîche pour les roches indurées (utiliser éventuellement une échelle de teintes). Il
s'agit d'une caractéristique importante qui renseigne sur l'état d'oxydation du fer (Fe3+ rouge; Fe2+ vert) et sur la
présence de matière organique (schistes noirs);

- la présence de bioturbations, de laminations;

- la minéralogie de la fraction silteuse (quartzitique, feldspathique, micacée, chloritique).

LES ENVIRONNEMENTS DE DEPOT DES ROCHES DETRITIQUES

Il ne s'agit ici que d'une introduction. Des traités entiers sont consacrés à l'identification des milieux de dépôt des
sédiments détritiques.

Cette démarche interprétative est d'une certaine manière plus délicate encore que dans le cas des environnements
carbonatés car manquent souvent ici les informations importantes livrées par l'écologie des communautés
organiques. Dans de nombreux cas, seules des informations issues de l'interprétation des figures sédimentaires,
de la granulométrie, de la géométrie des corps sédimentaires seront disponibles. Une grande prudence s'impose
donc: des sédiments presque analogues, issus d'environnements différents ne sont pas rares. Tout est dans le
"presque"...

ARGILES ET SILTS

Sédiments résiduels

Ces dépôts continentaux sont rares dans l'histoire géologique, car ils sont en général remaniés au cours des
épisodes transgressifs.

On en connaît cependant un certain nombre d'exemples, dont l'identification est importante, car ce sont des
marqueurs d'émersion relativement prolongée. Il s'agit, en milieu siliciclastique, des silcretes. Les structures
déterminantes de ce type de formation (rhizocrétions, nodules, marmorisation, etc.) sont les mêmes que celles
des calcretes (voir cours de processus sédimentaires). Un bon exemple de ces sols sont les niveaux à radicelles
au mur des veines de charbon dans le Houiller. Ces niveaux sont généralement assez massifs et contiennent des
radicelles et des nodules de sidérite. Certaines variétés plus sableuses peuvent être lessivées et fortement
enrichies en silice, donnant naissance à des quartzites très durs, appelés "ganister" en Wallonie.

La nature minéralogique des argiles des sols est fréquemment utilisée comme indicateur paléoclimatique.

Sédiments détritiques

La grande majorité des siltites et argilites provient de l'érosion continentale. Ces matériaux fins sont transportés
en suspension par les rivières et déposés dans des environnements calmes (plaines d'inondation, lacs, deltas,
océan).

Le vent est aussi un agent de transport important, remaniant des matériaux issus d'environnements désertiques
(déserts chauds ou froids) et les déposant en milieu continental sous la forme de loess ou dans les océans. Le
transport par la glace est à la base de la formation des tillites.

MRABTI Nabil 13 Ingénieur ENIT


(1) En milieu continental, on distingue assez facilement les boues de plaine d'inondation fluviale des boues
lacustres:

- les boues des plaines alluviales sont associées à des corps sableux (chenaux) et montrent souvent des indices de
pédogenèse (nodules, racines, etc.);

- il existe un grand nombre de types de boues lacustres, en fonction de la géochimie des lacs, du climat, de la
nature des apports, de la productivité organique. Une caractéristique commune est néanmoins la présence d'une
lamination millimétrique. Ces sédiments laminaires sont appelés varves. La rythmicité peut être due à des
proliférations planctoniques ou des apports saisonniers de sédiments. Comme dans le cas des bassins océaniques,
des black shales peuvent se former dans des lacs dont les eaux profondes sont déficitaires en oxygène.

(2) En environnement marin, les sédiments fins se déposent dans des zones de bathymétrie très différente: depuis
la côte, en milieu protégé ou le long de "muddy coastlines" jusqu'à l'océan profond.

- Les "muddy coastlines" sont adjacentes à des estuaires de grands fleuves, amenant d'importantes quantités de
matériaux fins. Un grand nombre de sous-environnements sont possibles, suivant la morphologie, le climat, etc:
par exemple: "tidal flats", mangroves,... Des boues inter- à supratidales sont également déposées dans des fonds
de baies (exemple: baie du Mont St-Michel) ou dans des lagunes, protégées des vagues par une barrière
(exemples anciens: Marnes de Strassen, Formation d'Evieux).

Critères d'identification des boues côtières


- présence de chenaux de marée remaniant éventuellement des sédiments plus
grossiers;
- lentilles sableuses avec stratification entrecroisée bidirectionnelle
("herringbone"), formées par les courants de marée;
- sédiments mixtes sablo-argileux avec structures en "flaser bedding";
- structures liées à l'émersion: polygones de dessiccation, galets mous, etc;
- flore et faune caractéristiques (voire adaptées à des milieux saumâtres ou
hypersalins);
- horizons pédogénétiques, traces de racines.

- Au-delà des sables côtiers, en direction de la pleine mer et à partir d'une certaine profondeur (sous la zone
d'action des vagues "normales"), on trouve une vaste aire occupée par des boues détritiques ("nearshore mud
belt"). La position de cette ceinture dépend bien sûr du caractère plus ou moins énergique de la houle. Pour des
côtes nettement exposées, la ceinture boueuse peut être fortement déplacée vers le large. On peut utiliser les
critères d'identification suivants:

Critères d'identification des boues de plate-forme (nearshore mud


belt)
- boues généralement bioturbées, riches en épifaune et endofaune (avec un
caractère normal, c-à-d. non restreint);
- organismes pélagiques fréquents;
- des passées plus grossières traduisent des augmentations temporaires de
l'agitation: ce sont les tempestites (Figs. III.8A et B). Selon leur éloignement
relatif du rivage, leur fréquence et leur épaisseur diminue. Un très bel exemple
de boues à tempestites est la Formation de la Famenne et la Formation
d'Esneux. De la base vers le sommet de cette grande séquence, l'évolution des
tempestites souligne une progradation côtière;
- ces boues passent souvent verticalement, par progradation, à des corps
sableux (barrière, plage).

MRABTI Nabil 14 Ingénieur ENIT


- Les sédiments déposés en eaux plus profondes, en milieu océanique, sont appelées boues hémipélagiques. Ce
type de dépôt couvre une part importante de la plate-forme externe, des talus et des bassins océaniques. Dans
l'océan actuel, des eaux froides, denses et bien oxygénées plongent au niveau des régions polaires et diffusent
vers les latitudes moins élevées: ces courants sont responsables d'une bonne oxygénation des fonds marins. Les
boues hémipélagiques possèdent généralement les caractères suivants:

Critères d'identification des boues hémipélagiques


- les seuls organismes présents sont pélagiques: diatomées, foraminifères
planctoniques, coccolithes (Mésozoïque-Actuel), radiolaires (Paléozoïque-
Actuel), céphalopodes (Paléozoïque supérieur-Mésozoïque), graptolites
(Paléozoïque inférieur);
- on y observe des turbidites et des écoulements de débris ("débris flows")
(Fig. III.10). Le Cambro-Ordovicien belge est riche en formations
turbiditiques: citons en exemple les Formations de Tubize (Massif de Brabant)
et de Jalhay (Massif de Stavelot);
- des encroûtements de fer et de manganèses sont parfois présents;
- on peut observer des remaniements, des érosions, des graviers ("lag-
deposits") dûs à des courants de fond;

Les argiles sont un constituant important des boues hémipélagiques (voir Fig. V.1). Les espèces minérales les
plus abondantes sont l'illite, la smectite et la kaolinite; la chlorite et certains interstratifiés sont également assez
répandus. D'une manière générale, ces minéraux sont issus des terres émergées et reflètent de manière assez
précise la nature des argiles compris dans les formations continentales superficielles. De fait, si l'on examine la
Fig. III.3, on constate:

• une augmentation de la kaolinite dans les sédiments proches des zones équatoriales, au débouché des
grands fleuves; en effet, la kaolinite est riche en Al et ne contient pas de cations solubles comme K, Ca,
Na. Ceci indique que ce minéral se forme dans des conditions d'altération particulièrement intenses, où
l'Al se concentre après exportation des autres éléments. Ces conditions correspondent à des sols acides
et bien draînés en milieu tropical;
• une prépondérance de la chlorite dans les zones froides où l'altération physique est prédominante (et où
affleurent des roches Fe-Mg, évidemment);
• beaucoup d'illite là où l'apport terrigène est important: latitudes élevées, embouchures de grands
fleuves, zones à fort apport éolien comme le Pacifique N (vents d'ouest); l'illite est le principal produit
d'altération des feldspaths et des micas en climat tempéré; elle est abondante dans les sols neutres ou
légèrement alcalins;
• une dominance de la smectite (contenant du Fe et du Mg) à proximité de zones relativement arides où
un faible drainage autorise la rétention de Mg, Ca, Na; on l'observe communément dans les produits
d'altération des roches ferromagnésiennes; on la trouve aussi le long des rides médio-océaniques
(altération des basaltes);
• la présence de palygorskite dans des sédiments issus du remaniement de caliches ou d'évaporites.

Ces observations sont valables pour l'océan actuel: à partir d'un certain degré d'enfouissement, le cortège
argileux évolue par diagenèse vers un assemblage illite-chlorite. L'utilisation des argiles comme indicateur
climatique est donc à manier avec précaution.

- Dans certains bassins isolés, où la circulation des eaux est trop faible pour renouveler l'oxygène du fond, la
matière organique s'accumule dans le sédiment et donne naissance à des "black shales". Certains de ces dépôts
peuvent être riches en hydrocarbures. Ces black shales sont dépourvus d'endofaune et on n'y observe que des
fossiles d'organismes pélagiques. Ils sont souvent riches en Cu, Pb, Zn, Mo, V, U et As. Ces éléments sont
adsorbés sur les argiles et la matière organique. Une tendance anoxique peut résulter d'une diminution de la
circulation des eaux mais aussi d'une augmentation de l'apport en matière organique (accroissement de
productivité des eaux de surface). Des exemples actuels sont les fjords, la Mer Noire, certaines fosses
océaniques. Dans l'Ancien et proche de nous, on peut citer les schistes noirs de la Formation de La Gleize
(Cambrien du Massif de Stavelot) et de la Formation de Matagne (Frasnien du bord sud du Synclinorium de
Dinant)..

MRABTI Nabil 15 Ingénieur ENIT


Fig. III.3: répartition des argiles dans l'océan actuel.

Sédiments d'origine volcanique

Les sédiments fins générés par l'altération des roches volcaniques sont appelés bentonites si la montmorillonite
est le constituant principal et tonstein si la kaolinite est dominante. Des zéolites peuvent aussi se former. La
reconnaissance de ces sédiments est basée sur la présence de pseudomorphes de verre volcanique (aiguilles,
bulles,...), de cristaux euhédraux (zircon, par exemple) et sur la composition géochimique.

SABLES ET GRAVIERS

Les sédiments détritiques grossiers se déposent dans une grande variété d'environnements, depuis les dunes
éoliennes jusqu'aux fonds océaniques (debris flows). Ils sont cependant particulièrement caractéristiques des
environnements côtiers, ou l'hydrodynamisme permet leur transport et leur dépôt. Passons ces divers milieux en
revue.

Dépôts de cônes d'éboulis

Avant leur mobilisation par le vent, le ruissellement ou les torrents, les fragments de roche détachés de leur
substrat par l'érosion subissent un transport sous la forme d'avalanche de débris. Ces cônes d'éboulis se mettent
en place au pied de reliefs jeunes et sont caractérisés par un classement et une maturité très faibles.

MRABTI Nabil 16 Ingénieur ENIT


A: avalanche de débris au pied d'un relief; Piau Engaly, France. B: détail montrant la faible maturité des
dépôts: grande variété lithologique, mauvais classement, faible émoussé.

Dépôts éoliens

Les dunes sableuses sont évidemment de bons indicateurs de climat aride: la plupart des déserts sont confinés
entre 20° et 30° de latitude (ceinture des hautes pressions) ou derrière des chaînes montagneuses qui jouent un
rôle d'écran pour les perturbations (Andes, par exemple).

Comme l'air a une densité un millier de fois inférieure à l'eau, sa capacité de transport est beaucoup plus faible et
les matériaux grossiers sont laissés sur place, formant un "pavement". Le vent possède par contre un bon pouvoir
de classement et le transport s'effectue essentiellement par saltation et collisions intergranulaires des grains
sableux, avec le matériau fin exporté plus loin. Ceci explique l'homogénéité granulométrique des dépôts éoliens.
Contrairement à leurs équivalents marins, les courants aériens n'ont pas la limitation imposée par la surface de la
mer et les dunes éoliennes ne sont limitées en hauteur que par la force des vents et l'apport en sable. On peut
considérer les critères suivants comme diagnostiques de dunes éoliennes:

Elements diagnostiques des dépôts éoliens


- géométrie: les champs dunaires peuvent couvrir des centaines de km2 et
former d'épaisses unités sableuses de grande continuité latérale. La pente des
stratifications entrecroisées éoliennes peut atteindre 35° (en moyenne 25°-30°)
et les unités individuelles ("cross-bed sets") peuvent avoir une épaisseur de
l'ordre de 30 m;
- il n'y a pas de séquence type comme c'est le cas en milieu marin
(progradation, par exemple);
- faciès associés: graviers de déflation, fentes de dessiccation (lac temporaire,
oued);
- pétrographie: il s'agit de sables quartzeux très bien classés, avec un bon
arrondi. Au MEB, encroûtements d'oxyde de fer, aspect "grêlé";
- fossiles: rares, hormis quelques terriers, des traces de racines et des
empreintes de pattes.

En conclusion, il faut remarquer que comme pour tous les dépôts continentaux, les dépôts éoliens ont peu de
chance d'être préservés dans l'histoire géologique (sauf dans des bassins à subsidence rapide).

MRABTI Nabil 17 Ingénieur ENIT


Dunes éoliennes fossiles, Pléistocène supérieur, Hergla (Tunisie).

Dépôts fluviatiles

En contexte fluviatile, les premiers corps sédimentaires à se former sont les cônes alluviaux ("alluvial fans"). Ces
cônes se développent (principalement en milieu désertique ou montagnard) au débouché d'un canyon dans une
vallée, quand le courant fluviatile ralentit brutalement. Au fur et à mesure de sa décélération, le courant perd sa
capacité de transport et dépose sa charge sédimentaire.

Ce type de système fluviatile, avec une charge abondante forme un réseau anastomosé ("braided stream") (Fig.
III.4). Outre le transport par les eaux fluviales, les sédiments des cônes alluviaux sont également mobilisés par
des écoulements en masse (debris flows). Dans les régions désertiques, ces écoulements en masse ont souvent un
caractère catastrophique ("flash flood") et peuvent transporter des blocs de plusieurs tonnes: les sédiments qui en
résultent sont extrêmement mal classés et non stratifiés.

Une coupe dans un cône alluvial donnerait une séquence typique d'alternances de debris flows mal classés et de
conglomérats (="fanglomérats") et sables fluviatiles. On y observe une granocroissance générale vers le sommet
du corps sédimentaire, due à l'avancée du cône avec les faciès distaux relativement fins surmontés par des faciès
proximaux plus grossiers.

Si le cône alluvial débouche directement en milieu marin, on a ce que l'on appelle un "fan delta" où les matériaux
grossiers d'origine alluviale peuvent être mêlés à des sédiments marins plus fins. Il faut noter que cônes alluviaux
et fan deltas sont caractéristiques de zones tectoniquement actives, avec un rajeunissement permanent du relief.
Quelques éléments sont diagnostiques:

Eléments diagnostiques des cônes alluviaux


- contexte tectonique actif, proximité de reliefs jeunes;
- géométrie: en forme de cône; la puissance peut être énorme si la subsidence
est continue (plusieurs km);
- faciès: conglomérats fluviatiles, grès à stratification entrecroisée, debris
flows non classés. Matériaux anguleux, immatures. Lignes de courant
divergentes à partir du sommet du cône. Pas de fossiles.

Dans la partie supérieure de leur cours, beaucoup de systèmes fluviatiles possèdent un réseau anastomosé (Fig.
III.4). Leur charge sédimentaire est importante et grossière, leur débit est extrêmement variable. Toutes ces
caractéristiques sont à l'origine de la rapide migration des chenaux.

MRABTI Nabil 18 Ingénieur ENIT


Fig. III.4: schéma d'un système fluviatile à chenaux anastomosés et exemple d'une séquence de comblement.

Eléments diagnostiques des systèmes fluviatiles anastomosés


- comme pour les cônes alluviaux, relief jeune. Les réseaux anastomosés sont
localisés dans la partie amont du système fluviatile;
- faciès: corps sablo-graveleux allongés, relativement rectilignes, passant
latéralement aux dépôts plus fins de la plaine alluviale. Au sein de ce corps,
les faciès sableux et sablo-graveleux sont dominants. Contrairement aux
systèmes fluviatiles à méandres (cf. ci-dessous), silts et boues sont rares. Les
stratifications entrecroisées en festons et en auges ("trough cross
stratification") et les stratifications planes (vitesse de courant maximale) sont
communes. Peu ou pas de fossiles, hormis des traces de plantes.
- séquences relativement courtes et amalgamées: c'est une conséquence du
caractère éphémère des chenaux; la séquence complète est la suivante
(Fig. III.4): gravier (="lag deposit"), chenal (stratification en auges),
éventuellement bancs sableux (stratification inclinée), sables boueux avec
traces de racines (séquence de type "fining upward").

MRABTI Nabil 19 Ingénieur ENIT


Grès et conglomérat dans un chenal fluviatile. Frankenbourg, Permien.

Dans leur partie inférieure, les systèmes fluviatiles possèdent un profil à gradient faible et la plupart des
matériaux grossiers ont été déjà déposés. Leur tracé devient plus sinueux et l'on y observe des méandres.
L'érosion ne se manifeste plus par la formation de nouveaux chenaux (comme dans le cas des réseaux
anastomosés), mais plutôt par l'élargissement des chenaux existants. Mais revenons un peu plus en détail sur les
"chenaux".

Les chenaux sont des structures érosives, concaves vers le haut, pouvant atteindre des dimensions latérales
importantes (de l'ordre de la centaine de m). Leur remplissage sédimentaire, d'épaisseur métrique à
décamétrique, est souvent plus grossier que les sédiments qu'ils entaillent. L'érosion se produit le long de la rive
concave. Le comblement se fait par accrétion latérale sur la rive convexe (Fig. III.5) avec production de
stratifications obliques à grande échelle ("point bars" ou lobes de méandre), par couches horizontales ou
concaves vers le haut (festons, auges). Dans le sédiment remplissant le chenal, différents types de structures
sédimentaires peuvent exister: rides de courant, lamination horizontale, groove marks, slumps, figures de charge.
La base érosive des chenaux est localement surmontée d'un dépôt grossier de galets mous ou de coquilles
("chanel lag"). Les chenaux sont présents dans de nombreux types d'environnements : alluvial, mais aussi
littoral.

Fig. III.5: séquence classique de remplissage d'un chenal (temps t1, t2, t3 et t4).

Voici quelques éléments caractéristiques des systèmes fluviatiles à méandres:

MRABTI Nabil 20 Ingénieur ENIT


Eléments diagnostiques des systèmes fluviatiles à méandres
- les rivières à méandres sont localisées dans la partie basse des cratons. Elles
sont entourées de vastes plaines d'inondation à sédiments laminaires fins;
- faciès: proches des systèmes anastomosés avec cependant une proportion
beaucoup plus importante de sédiments fin, des séquences mieux développées
et surtout des lobes de méandre (Figs. III.5, 6). Des lacs (méandres
abandonnées) sont fréquent de même que tout le cortège des phénomènes de
pédogenèse dans la plaine alluviale.

Fig. III.6: schéma d'un système fluviatile à méandres et exemple d'une séquence de comblement. Sable en beige,
argile et silt en vert, tourbe en gris et paléosols en rouge.

Dépôts côtiers

Généralement, la transition entre environnement fluviatile et environnement côtier est assez graduelle. Un certain
nombre d'environnements peuvent être considérés comme mixtes, reflétant des influences à la fois marines et
continentales: c'est le cas des deltas, des lagunes, des "tidal flats", des mangroves, des îles barrières.

Les deltas se développent lorsque les rivières amènent au milieu marin plus de sédiment que ce que l'érosion
marine peut mobiliser. En fonction du rapport apport fuviatile-érosion marine, on peut distinguer plusieurs types
de deltas, différents morphologiquement (cf. Strahler & Strahler, 1983 par exemple).

Dans une première approche, on peut subdiviser un delta en plusieurs sous-environnements: la plaine deltaïque
avec son système fluviatile et son complexe littoral; le front deltaïque fortement incliné; et le pro-delta qui fait la
transition avec la plate-forme ouverte. Comme les lobes de méandre, les deltas progradent latéralement et les
lignes-temps sont parallèles à la surface du front deltaïque (Fig. III.7).

Comme l'eau douce possède une densité moindre que l'eau salée, le courant fluviatile se propage au-dessus de
l'eau de mer, parfois à grande distance du delta (plusieurs centaines de km dans le cas de l'Amazone...). Ce
courant ralentit progressivement et dépose sa charge sédimentaire sous la forme de levées latérales ou de barres
d'embouchure perpendiculaires au courant ("mouth bars"). En conséquence, beaucoup de deltas apparaissent
comme une formation silto-argileuse (décantation de boues dans les lagunes, la plaine deltaïque, le pro-delta)
dans lequel sont dispersés des corps sableux discontinus: chenaux, barres d'embouchure, dunes, etc.

MRABTI Nabil 21 Ingénieur ENIT


Eléments diagnostiques des deltas
- les deltas sont situés en contexte de marge passive; ils sont associés à des
dépôts fluviatiles et à des sédiments littoraux. Grossièrement triangulaires en
plan et en forme de coin en coupe, leur superficie peut atteindre des miliers de
km2 pour une puissance parfois pluri-kilométrique;
- faciès: contrairement aux séquences de comblement fluviatile qui sont du
type fining-upward, les séquences deltaïques sont de type coarsening-upward,
avec le passage de boues pro-deltaïques à des sables de barres ou de chenaux
et ensuite éventuellement de type fining upward en passant à des boues ou des
sédiments riche en matière organique (charbon) de la plaine deltaïque
(Fig. III.7). Les sables montrent des stratifications entrecroisées. Les levées et
la plaine deltaïque sont constituées de boues laminaires à bioturbées. Les
boues pro-deltaïques contiennent des niveaux sableux occasionnels
correspondant à des crues fluviales. Slumps et déformations syn-sédimentaires
sont fréquents suite à l'inclinaison du front deltaïque;
- la matière organique végétale est très abondante dans la plaine deltaïque
(marais, mangrove). Des organismes de milieux palustre peuvent y pulluler.
La faune des boues pro-deltaïques montre un caractère marin plus affirmé.

Fig. III.7: A: coupe simplifiée dans un delta. B: séquence sédimentaire produite par la progradation d'un delta;
l'épaisseur d'une telle séquence dépend de l'apport sédimentaire, de la subsidence, des variations eustatiques. La
partie supérieure de la séquence (fining upward) peut être très variable en fonction de la localisation des
chenaux.

Le long des côtes où l'apport sédimentaire des rivières est faible, ne se forment pas de deltas. La sédimentation
est dominée par l'influence des marées et des courants côtiers. Dans la partie supérieure du littoral (zone
supratidale), se forment des marais maritimes ("schorre" ou "herbus"), inondés lors des grandes marées. Ces
marais maritimes, couverts d'une végétation herbacée, sont des environnements exigeants où ne survivent que
des organismes tolérants à de grandes variations de salinité (exemple: Verdronken Land van Saeftinge, Zwin,...).
Le sédiment est riche en matière organique (boues réductrices) et souvent intensément bioturbé.

MRABTI Nabil 22 Ingénieur ENIT


Marais maritimes. A: vue générale montrant un chenal à marée basse (Ile Grande, Bretagne); B: détail d'un
chenal à marée haute (Paimpol, Bretagne).

Alternance de dépôts argilo-sableux (gris) et de tourbe (noir) dans un sondage recoupant l'Holocène de la
plaine maritime belge. Il s'agit de dépôts de marais maritime.

Colonisation progressive de l'estran (zone de balancement des marées) par une végétation halophile; il s'agit ici
de salicornes. La présence de cette végétation va favoriser l'ensablement en fixant les sédiments et la zone des
herbus (supratidal) va s'étendre. Baie de Somme, France.

MRABTI Nabil 23 Ingénieur ENIT


La zone de balancement des marées (ou zone intertidale) peut voir le développement de "tidal flats" ("slikke"),
zones à très faible relief, recoupées par des chenaux divaguant. Les marées impriment un cachet unique à ce
domaine: un cycle -courant de flux-courant de jusant-exhondaison- répété tous les jours. Ce cycle produit ce que
l'on appelle le "tidal bedding", à savoir la succession d'une lamine sableuse pour le flot, une lamine de boue pour
l'étal de marée haute, une lamine sableuse pour le jusant et à nouveau une lamine de boue pour la marée basse.
Souvant, les lamines sableuses montrent des stratifications inclinées en sens opposé, matérialisant les deux
directions de courant ("herringbone"). Une autre caractéristique des tidal flats est le "flaser bedding" et le
"lenticular bedding": ces structures se forment par dépôt de boue dans les espaces entre les rides de courant. Si
les courants de flux et de reflux ne sont pas parallèles, des rides d'interférence peuvent se former; si les vitesses
des deux courants sont différentes, deux systèmes de rides de longueur d'onde différentes se développent.

Tidal bedding, Holocène, plaîne côtière belge.

Sur les côtes exposées aux fortes houles (et où existe un stock sédimentaire suffisant) peuvent se mettre en place
des cordons de galets, localisés en haut de plage. Le transport a lieu lors des tempêtes.

A: cordon de galets en haut de plage; la mer est à gauche de l'image; B: détail du cordon reposant sur le sable
de la plage; remarquer les marques de ruissellement ("rill marks") sur le sable. Erquy, Bretagne.

MRABTI Nabil 24 Ingénieur ENIT


Eléments diagnostiques des schorres et slikkes
- côtes à marées de forte amplitude;
- faciès: sédiments fins dans la partie supérieure des tidal flats et les marais
maritimes, relativement grossiers dans la partie inférieure et dans les chenaux.
Nombreuses structures sédimentaires typiques: herringbone, flaser et
lenticular bedding, rides d'interférence. Bioturbation et matière organique
(tourbe, charbon) dans les marais maritimes.
- séquences: la séquence de progradation est de type "fining upward": sables à
stratifications entrecroisées, flaser ou lenticular bedding (boues et sables),
boues noires bioturbées;
- fossiles: faune et flore tolérants aux changements de salinité: certains
crustacés, huîtres,...

Des barrières, complexes sableux allongés parallèlement à la côte et séparés de celle-ci par des lagunes, se
forment le long de côtes où l'apport sédimentaire est important et où le marnage est suffisamment faible (<3m en
général) pour que l'influence des courants de dérive littorale soit prépondérante sur celle des courants de marée.
Ces barrières isolent des lagunes où domine la sédimentation boueuse. Le long d'un transect perpendiculaire à la
plage, en progressant vers le large, on observe une diminution progressive de la granulométrie des sédiments et
une grande variété de structures sédimentaires.

La zone du littoral s'étendant depuis la basse plage jusqu'à la base des vagues de beau temps ("shoreface", zone
subtidale) montre des rides d'oscillation de vagues symétriques et bifurquées, des stratifications en auges, des
stratifications planes. Plus au large, entre la base de la zone d'action des vagues de beau temps (ZAVBT ou en
anglais "Fair Weather Wave Base") et de tempête (ZAVT ou "Storm Wave Base"), on observe des niveaux
sableux avec des stratifications en mamelons (HCS, "hummocky cross stratification"), les tempestites
(Fig. III.8).

A: stratification plane de plage. B: passage latéral entre des rides de courant et une stratification plane,
Zuydcoote.

Eléments diagnostiques des plages et barrières


- association avec d'autres faciès côtiers, ainsi qu'avec des faciès de mer
ouverte;
- faciès: sédiments sableux matures (quartz), occasionnellement minéraux
lourds. Stratification plane, herringbone, entrecroisée en auges, rides
d'oscillation. Les fossiles sont généralement brisés; lumachelles;
- la séquence de progradation est de type coarsening upward et comprend les

MRABTI Nabil 25 Ingénieur ENIT


termes suivants: sables fins bioturbés, stratifications HCS (ZAVT-ZAVBT),
sables bien classés avec stratifications planes et entrecroisées (auges,
oscillation, courant).

Plus au large encore, les sédiments fins deviennent prédominants avec seulement quelques niveaux sableux, des
lumachelles et une bioturbation importante. Arrêtons-nous un moment aux tempestites.

Ces corps sédimentaires développés sur des plates-formes ouvertes, soumises à des tempêtes périodiques,
montrent à la fois une évolution verticale, sur quelques cm à quelques dm (séquence dite de tempestite, Fig.
III.8) et une évolution latérale, depuis des dépôts proximaux jusqu'à des dépôts distaux.

La séquence idéale de tempestite se caractérise par les éléments suivants (de bas en haut):

- des sillons (" furrows ") plus ou moins érosifs à la base, témoins de l'augmentation brutale de la vitesse des
vagues et des gouttières d'érosion ("gutter casts"). Les sillons sont des figures de base de banc, concaves, de
largeur supérieure à 50 cm ; les gouttières peuvent être droites ou sinueuses, ont de 2 à 25 cm de largeur pour
une profondeur pouvant atteindre 15 cm. Leur surface peut comporter de nombreux "tool marks" et leurs parois
latérales peuvent être abruptes;

- un premier dépôt grossier très souvent constitué de coquilles et débris;

- un sable avec des laminations planes parallèles, passant vers le haut à des stratifications en mamelons, puis
éventuellement des stratifications de rides de vagues;

- des sédiments plus fins, souvent bioturbés: ces derniers dépôts correspondant à la sédimentation de "beau
temps", avec une diminution de la vitesse de sédimentation et de la granulométrie.

Cette séquence est la plus complète. En zone plus distale, les sillons sont de moins en moins marqués et finissent
par disparaître vers le large. En ce qui concerne la séquence sédimentaire, elle se réduit latéralement d'abord aux
sables à stratification en mamelons, ensuite à des "strates granoclassées" laminaires d'épaisseur centimétrique,
enfin à des sphéroïdes. Les sphéroïdes sont des objets ovoïdes cm à dm, déposés en lits, le grand axe dans la
stratification. Ils sont souvent laminaires ou présentent des stratifications entrecroisées.

Il faut noter aussi qu'une caractéristique importante des tempestites est leur caractère amalgamé. Ceci signifie
qu'une tempestite peut remanier une bonne part de la tempestite précédente, détruisant ainsi la partie supérieure
de la séquence (sables à rides de vague, dépôt de beau temps).

Dans les séquences sableuses cycliques, on doit toujours rester attentif à faire la distinction entre séquence de
tempête et séquence de turbidité.

Eléments diagnostiques des tempestites


- contexte général de plate-forme;
- absence de figures de base de banc de type flute casts et au contraire la
présence de sillons;
- absence de granoclassement vertical;
- présence de stratifications en mamelons et souvent absence de rides de
courant;

MRABTI Nabil 26 Ingénieur ENIT


Fig. III.8 A: position relative des trois principaux faciès des tempestites au sein d'un épandage sableux (la
source d'alimentation n'est pas nécessairement le littoral: il peut s'agir de barres sous-aquatiques ou même de
dépôts de tempêtes antérieurs. L'évolution distal-proximal ne s'effectue donc pas nécessairement par rapport à
la côte). B: séquences élémentaires à l'échelle de la strate pour plusieurs types de tempestites. Les tempestites
amalgamées résultent de la superposition de plusieurs tempestites avec érosion basale des dépôts antérieurs.

Dépôts de plate-forme

La profondeur de la plate-forme peut varier entre 10 et 200 m (un bon exemple actuel de plate-forme
siliciclastique est la Mer du Nord, mais la majeure partie des matériaux sont des reliques d'environnements
glaciaires, fluviatiles ou côtiers, formés avant la transgression flandrienne).

Les sédiments de plate-forme subissent l'action des courants tidaux et des courants et des vagues de tempêtes. On
distingue en général deux grands types de plates-formes (Fig. III.9): les plates-formes où les processus
sédimentaires sont dominés par l'action des vagues ("weather dominated"=WD) et les plates-formes où ces
processus sont dominés par l'action des marées ("tide-dominated"=TD).

- Les courants tidaux modérés induisent la formation de rides sur les fonds sableux et les courants forts (>60
cm/s), de mégarides ou dunes sous-marines ("megaripples"). Ces dunes peuvent atteindre une quinzaine de
mètres de hauteur pour une longueur d'onde de 500 m. La stratification est inclinée (avec "foresets") ou
entrecroisée en auges. Dans le cas des rides, l'épaisseur des unités ("sets") est inférieure à 4 cm, dans le cas des
mégarides, elle peut atteindre 1 m (très beaux exemples dans le Sinémurien de la Lorraine belge). Des structures
herringbone sont souvent présentes. Le sédiment sableux est bien classé.

- Le sédiment peut être également transporté par des courants générés par des tempêtes (courants de densité). Les
plus grandes des structures ainsi produites peuvent ressembler aux rides de courants tidaux, avec stratifications
entrecroisées. Un certain nombre de différences permet cependant d'effectuer la distinction:

MRABTI Nabil 27 Ingénieur ENIT


• on n'observe pas de changements périodiques dans la direction des courants (herringbone);
• des stratifications en auge et mamelons (HCS) sont présentes.

Eléments diagnostiques des dépôts sableux de plate-forme


- association avec des dépôts côtiers, voire des dépôts de bassin;
- faciès: corps sableux lenticulaires (parfois de grande dimension) au sein de
sédiments plus fins (argiles, shales). Sédiments matures, souvent bien classés:
quartz, fragments de coquilles, glauconite. Nombreuses figures sédimentaires
dont: HCS, stratification inclinée à grande et petite échelle, lits granoclassés
(tempestites), etc.
- la séquence progradante type est la suivante: boues bioturbées, boues à
niveaux sableux de tempêtes, sables à HCS, mégarides à stratifications en
auges ou inclinée;
- fossiles: caractère marin ouvert, non restreint.

Dépôts de bassin

Les sédiments de bassin sont surtout des sédiments boueux. Les principaux sédiments grossiers qu'ils
contiennent sont les turbidites (Fig. III.10) et les debris flows. Il faut noter (Shanmugam, 1997) que l'appellation
"turbidite" doit être restreinte à des dépôts dont le mode de transport est un courant de turbidité, c-à-d. un fluide
où les particules sont maintenues en suspension par la turbulence seule. A ceci s'opposent les debris flows, qui
sont des écoulements plastiques où les particules sont supportées par une matrice. Les turbidites vraies sont
granoclassées et constituées de sédiments fins, à la différence des debris flows qui peuvent inclure des débris de
toute taille.

Fig. III.10: modèles de turbidites.

IV. Les évaporites


INTRODUCTION

Les évaporites sont des sédiments résultant de l'évaporation de l'eau et de la précipitation des sels qui y sont
dissous. Les minéraux principaux en sont le gypse, l'anhydrite et la halite. D'autres minéraux, quoique moins
fréquents, peuvent être des constituants importants de certains dépôts salins. Le tableau IV.1 en donne une liste.

MRABTI Nabil 28 Ingénieur ENIT


minéraux
minéraux des
des
évaporites
évaporites
non marines
marines
halite, gypse,
halite NaCl
anhydrite
sylvite KCl epsomite MgSO4.7H2O
carnallite KMgCl3.6H2O trona Na2CO3.NaHCO3.2H2O
kainite KMgClSO4.3H2O mirabilite Na2SO4.10H2O
anhydrite CaSO4 thenardite NaSO4
gypse CaSO4.2H2O bloedite Na2SO4.MgSO4.4H2O
polyhalite K2MgCa2(SO4)4.2H2O gaylussite Na2CO3. CaCO3.5H2O
kieserite MgSO4.H2O glauberite CaSO4.Na2SO4
Tableau IV.1: principaux constituants des évaporites.

Les évaporites ont une grande importance économique. En particulier, elles forment le toit imperméable de
certains des plus grands gisements pétroliers du monde. Au point de vue sédimentologique, leur reconnaissance
est essentielle puisqu'elles sont de bons marqueurs climatiques (climat aride, où l'évaporation excède de loin les
précipitations, c-à-d dans la ceinture tropicale des hautes pressions, entre 10° et 30° de latitude).

Pour comprendre la genèse et la constitution des dépôts évaporitiques, il est nécessaire de revenir à la
composition chimique des eaux de mer et de rivière, exprimée au tableau IV.2. On voit rapidement que si les
rivières contiennent principalement HCO3- et CO3=, avec une proportion moindre de Ca++, H4SiO4, SO4=, Cl-,
Na+, Mg++ et K+, les océans contiennent en grande quantité de SO4=, Cl-, Na+ et K+. Ces différences reflètent en
fait la manière dont les sels dissous sont extraits de l'eau de mer et incorporés dans les sédiments. Le tableau
IV.3 donne les temps de résidence des principaux ions de l'eau de mer (temps de résidence en années=masse
totale d'un ion dans les océans / apport annuel des rivières).

eau de rivière moyenne eau de mer moyenne

(% du résidu solide) (% du résidu solide)


HCO3- et CO3 =
48,6 0,4
++
Ca 12,4 1,2
H4SiO4 10,8 <0,01
=
SO4 9,3 7,7
-
Cl 6,5 55
+
Na 5,2 30,6
++
Mg 3,4 3,7
+
K 1,9 1,1
++ +++
Fe et Fe 0,6 <0,01
Al(OH)4- 0,2 <0,01
-
NO3 0,8 <0,01
total 99,7 99,7
salinité 121 ppm 35.000 ppm
Tableau IV.2: abondance relative des ions dissous dans l'eau de mer et l'eau de rivière (d'après Mason, 1966 et
Livingston, 1963, respectivement)

temps de résidence principaux types de

MRABTI Nabil 29 Ingénieur ENIT


(années) sédiments
Cl- ∞ évaporites
+
Na 260.000.000 évaporites
++
Mg 12.000.000 évaporites, dolomite
+
K 11.000.000 argiles, évaporites
=
SO4 11.000.000 évaporites
++
Ca 1.000.000 carbonates
HCO3- et
110.000 carbonates
CO3=
H4SiO4 8000 cherts, dépôts siliceux
++
Mn 7000 nodules
++ +++
Fe et Fe 140 sédiments riches en Fe
Al(OH)4- 100 argiles

Tableau IV.3: temps de résidence et devenir des principaux ions dissous dans l'eau de mer. D'après Prothero &
Schwab.

Le sodium et le chlore sont très abondants dans l'eau de mer car d'une part, ils ne sont pas utilisés par les
organismes et incorporés au sédiment sous la forme de tests comme le calcium, la silice, les carbonates et d'autre
part, ils n'entrent pas dans le réseau des argiles au cours de la diagenèse comme l'aluminium et le fer. Seule
l'évaporation de l'eau de mer, dans des circonstances forcément exceptionnelles, permet leur extraction des
océans.

Si l'on observe l'apparition progressive des précipités lorsque l'on fait évaporer de l'eau de mer (salinité 3,5%),
on a la séquence suivante:

- dans certaines circonstances, de la calcite ou de l'aragonite précipitent lorsque le volume de l'eau est réduit de
50%;

- le gypse et l'anhydrite commencent à précipiter lorsque le volume de l'eau de mer n'est plus que 35% du
volume initial;

- lorsque le volume de l'eau n'atteint plus que 10% du volume de départ, des minéraux plus solubles comme la
halite et la sylvite cristallisent;

- enfin, lorsque l'évaporation est presque totale, des borates et nitrates précipitent.

Si l'on examine les dépôts évaporitiques naturels, on constate que cette séquence idéale est rarement réalisée.
Des répétitions, des cycles tronqués sont fréquents: c'est le signe d'une évolution plus mouvementée du bassin
évaporitique, alternant remplissage, périodes d'évaporation, nouveau remplissage avec dissolution d'une partie
des espèces précédemment précipitées, etc.

Les évaporites s'observent depuis le Précambrien jusqu'à l'époque actuelle, mais leur répartition spatiale et
temporelle est inégale: elles sont particulièrement représentées au Cambrien, au Permien et au Trias. On classe
généralement les évaporites en trois grands types: les évaporites continentales, les évaporites marines de milieu
peu profond et les évaporites marines profondes.

EVAPORITES CONTINENTALES

Ces dépôts s'accumulent dans des lacs endorhéiques en région aride ou semi-aride. La minéralogie de ces
évaporites est relativement variable puisqu'elle dépend de la composition des eaux fluviales, elle-même
dépendante de la géologie régionale.

MRABTI Nabil 30 Ingénieur ENIT


On observe en général une répartition horizontale concentrique des différents dépôts (gypse-halite-nitrates) en
fonction de leur degré de solubilité, les plus solubles étant localisés au centre, lorsque l'extension du lac en cours
d'assèchement était la plus restreinte. Cette structure particulière, la présence d'autres types de sédiments
continentaux, certaines espèces minérales rares en environnement marin comme le borax, l'epsomite, le trona , la
gaylussite et la glauberite permettent de reconnaître des évaporites continentales.

EVAPORITES MARINES PEU PROFONDES

Ces évaporites comprennent les dépôts inter- et supratidaux comparables à ceux qui se forment actuellement le
long du Golfe Persique, de certaines zones de la côte d'Afrique du Nord, etc. et les dépôts subtidaux de plate-
forme, dont nous ne connaissons pas encore d'équivalent actuel.

- Les premiers sont aussi appelés évaporites de sabkhas (Fig. IV.1). Ces sabkhas sont des plaines côtières
développées le long de zones continentales arides. Outre les évaporites, les sédiments de sabkha comportent des
éléments détritiques provenant du continent (amenés par les vents, les cours d'eau) et des sables et boues
provenant de la plate-forme, transportés lors de tempêtes. Au point de vue hydrologique, les sabkhas sont des
systèmes assez complexes avec une recharge due aux inondations marines périodiques, mais aussi aux apports
souterrains à partir de la nappe phréatique marine.

Fig. IV.1: localisation et coupe dans la sebkha El Melah.

Les minéraux typiques des évaporites de sabkha sont l'anhydrite, le gypse et la dolomite. La dolomitisation de
particules calcaires est courante et est une conséquence du haut rapport Mg/Ca (suite à la précipitation des
sulfates de calcium) des solutions intersticielles. La dolomitisation elle-même libère des ions Ca++ qui favorisent
une poursuite de la formation de gypse et d'anhydrite. Le gypse est le plus commun des précipités (cf. les roses
des sables par exemple), surtout en climat semi-aride. Si l'évaporation est très intense, le gypse est
progressivement remplacé par de l'anhydrite. La morphologie originale des cristaux de gypse (lentilles,

MRABTI Nabil 31 Ingénieur ENIT


chevrons) est conservée si le sédiment est suffisamment cohérent. Souvent, une précipitation continue
d'anhydrite refoule progressivement les sédiments carbonatés ou détritiques interstratifiés, avec comme
conséquence ultime la formation de la structure bien connue appelée "chicken wire" (nodules d'anhydrites
séparés par de minces lamines de sédiment). Une autre structure courante est appelée "entérolithes": il s'agit de
lits d'anhydrite à aspect irrégulièrement contourné (Fig. IV.2).

Structure en "chicken wire" dans la Formation de Martinrive à Chanxhe.

Dépôt de halite dans la Sebkha El Melah, Tunisie; on observe un système de conduits où circulent des eaux à
caractère réducteur.

Les sédiments de sabkha possèdent fréquemment une nature cyclique: au cours de la progradation (comblement
progressif) de la plaine littorale, la sabkha s'avance en direction de la mer, surmontant des sédiments de type
stromatolithique, des boues lagonaires bioturbées, des corps oolithiques.

MRABTI Nabil 32 Ingénieur ENIT


Fig. IV.2 A: Photo aérienne de la plaine d'accrétion à Abu Dhabi. a: chenal de marée sous-aquatique; b: lagune
infra-tidale; c: zone intertidale à peloïdes; d: tapis algaire; e: zone supratidale (sabkha) évaporitique avec
nombreuses traces d'accroissement. B: séquence type de sabkha, montrant la progradation de la plaine littorale
depuis un milieu subtidal jusqu'à l'émersion.

- Certaines formations évaporitiques de grande extension ne peuvent être expliquées par des dépôts de sabkha. Il
s'agit vraisemblablement de plates-formes isolées par un seuil permettant une recharge continuelle par les eaux
océaniques. Dans ce cas, du gypse précipite sur le fond marin, en cristaux généralement de forme prismatique,
dressés comme le sont les brins d'herbe d'une prairie ("gazon" sélénitique). A ces niveaux s'associent diverses
structures sédimentaires comme des cristaux cassés et redéposés, des péloïdes, des niveaux à stromatolithes, etc.

A: couches plissées (slump) formées de croûtes de gypse ("gazon sélénitique"); B: détail montrant les cristaux
prismatiques. Messinien, Heraklea Minoea, Sicile.

EVAPORITES PROFONDES

Certains types d'évaporites, souvent laminaires, sont associées à des critères indiscutables d'environnement
profond: grande continuité latérale des lamines individuelles, turbidites, slumps, absence d'algues,... Dans ces
évaporites, les lamines de gypse, d'anhydrite, de halite, alternent avec des lamines de micrite ou de matière

MRABTI Nabil 33 Ingénieur ENIT


organique. Ce caractère pratiquement varvoïde est attribué à des variations saisonnières (température, humidité,
"bloom" de certaines espèces).

DIAGENESE

Si la diagenèse est souvent responsable de la déshydratation du gypse et de sa transformation en anhydrite (à


partir d'une profondeur de 700 m suivant certains auteurs), le processus inverse peut se produire lors du passage
de couches d'anhydrite dans la zone phréatique météorique, au cours par exemple d'un soulèvement régional. Le
gypse secondaire se présente alors sous la forme de porphyrotopes et d'albâtre. Les porphyrotopes sont de grands
cristaux de gypse, dispersés au sein de l'anhydrite. L'albâtre consiste en masses de gypse à bordure cristalline
irrégulière, à extinction ondulante. On peut observer aussi (Keuper du sondage de Latour, par exemple), des
veines de gypse fibreux dont les fibres sont perpendiculaires aux épontes. Ces veines sont probablement créées
par fracturation hydraulique.

A: dolomie et gypse en rosettes. B: célestite. C: baryte. D: de gauche à droite, successivement: dolomite (d);
gypse (g); anhydrite (a). Nicols croisés.

V. Les sédiments siliceux


INTRODUCTION

Les américains utilisent le mot "chert" comme terme générique pour qualifier l'ensemble des roches siliceuses
massives à cassure conchoïdale, constituées de calcédoine fibreuse, d'opale amorphe ou de quartz microcristallin.
En Europe, ce terme s'applique aux concrétions, nodules et lits siliceux intercalés dans les calcaires ante-Crétacé.
En Belgique, on l'utilise uniquement pour les accidents siliceux des roches paléozoïques. Le mot "silex" est
réservé aux accidents siliceux de la craie mésozoïque. "Porcelanite" se rapporte à des roches siliceuses à grain

MRABTI Nabil 34 Ingénieur ENIT


fin, de texture comparable à celle de la porcelaine non vernie. On pourrait utiliser comme terme général
englobant toutes les roches siliceuses le mot "silicite"

Les silicites (ou cherts au sens large) sont généralement subdivisées en deux grandes catégories: les silicites
nodulaires et les silicites litées. Ces dernières sont généralement considérées comme primaires et seraient les
équivalents des boues océaniques actuelles à diatomées et radiolaires. Les silicites nodulaires, fréquentes dans
les calcaires et, dans une moindre mesure, les shales et les évaporites, seraient elles d'origine diagénétique. Les
sédiments siliceux s'observent en milieu marin aussi bien que lacustre.

PETROGRAPHIE

Les cherts (s.l.) comprennent quatre sortes de silice: le microquartz, le mégaquartz, les formes fibreuses et
l'opale:

- le microquartz consiste en cristaux équigranulaires de quartz, de quelques microns de diamètre. Ils se forment à
partir de solutions impures, sursaturées en silice dissoute;

- le mégaquartz, comme son nom l'indique, est constitué de cristaux beaucoup plus grand, dépassant 20 µm et
montrant des formes cristallines bien développées. Ces cristaux réguliers apparaissent lorsque les solutions
siliceuses sont diluées et pauvres en cations;

- les formes fibreuses (terme général: calcédoine) où les cristaux ne sont plus individualisables au microscope
optique et s'empilent pour former des fibres. Elles comprennent plusieurs espèces suivant les caractères optiques:

• la quartzine, à allongement positif, dont les fibres forment des sphérolites ou des éventails (divergence
des fibres à partir d'un point); on observe la quartzine en remplacement des évaporites, mais aussi dans
les cavités et dans de nombreux autres types de silicification;
• la lutécite, dont les fibres, groupées en faisceaux, ont un allongement positif et se rejoignent, non pas en
un point central mais suivant des droites, en dessinant des chevrons; l'extinction est oblique; on la
rencontre essentiellement en produit de remplacement des sulfates;
• la calcédonite est fibreuse comme les précédentes, mais possède un allongement négatif. Elle semble se
former en l'absence d'ions SO42-;
• la lussatite: il ne s'agit plus ici exactement d'une forme fibreuse du quartz, mais plutôt d'une opale dotée
d'une certaine cristallinité (opale-CT, voir ci-dessous). Au microscope, elle montre un indice faible,
voisin de 1,45, un aspect fibreux, une biréfringence très faible, une extinction droite et un allongement
positif.

- l'opale est une forme amorphe et hydratée de la silice (contenant jusqu'à 10% d'eau), constituant (entre autre) le
squelette des diatomées, des radiolaires et les spicules d'hyalosponges. L'opale est métastable, de sorte que son
abondance décroît au cours du temps: elle est absente des roches paléozoïques. L'opale biogénique amorphe
(appelée opale-A) se transforme au cours du temps en opale-CT, déjà cristalline (il s'agit d'un interstratifié
cristobalite/tridymite), puis en quartz et calcédoine. L'opale précieuse est constituée d'un empilement régulier de
sphères dont le diamètre varie entre 150 et 350 νm, constituant ainsi une sorte de réseau cristallin à grande
échelle dont l'ordre de grandeur est proche de celui de la lumière visible; la diffraction de la lumière blanche
produit des irisations qui varient en fonction de l'angle d'incidence.

- la lechatelliérite, forme amorphe assez rare, se rencontre dans les roches quartzeuses vitrifiées par l'impact de la
foudre (fulgurites) ou par les impacts de météorites. On en observe aussi dans les geyserites.

Insistons sur le fait que d'une manière générale, les formes fibreuses de la silice à allongement positif,
remplacent des sulfates. Les formes à allongement négatif par contre, apparaissent dans les roches où l'ion S042-
est absent au moment de la silicification. Elles remplissent des cavités et sont les plus courantes dans la nature.

MRABTI Nabil 35 Ingénieur ENIT


A: radiolarite; les radiolaires sont cimentés par de la calcédonite et du mégaquartz, la matrice par du
microquartz; noter la présence d'épines de radiolaires dans la matrice. B: spiculite totalement silicifiée; C:
lutécite dans un calcaire partiellement silicifié. D: fracture remplies par du quartz et de la calcédonite; la
matrice est remplacée par du microquartz.. Nicols croisés.

GEOCHIMIE

La solubilité des différentes formes de silice est variable. La silice biogénique est très peu stable et possède une
solubilité de 50 à 80 ppm à 0°C, atteignant 100 à 140 ppm à 25°C. La forme la plus stable, le quartz, est aussi la
moins soluble des formes de silice: 6 à 14 ppm. Les calcédoines sont intermédiaires entre la silice biogénique et
le quartz, mais plus proches du quartz. L'opale a une solubilité variable, supérieure aux calcédoines et inférieure
à la silice biogénique dès qu'une organisation cristalline apparaît.

L'eau de mer est très nettement sous-saturée par rapport à la silice (environ 1 ppm). La silice amenée par les eaux
fluviales (altération continentale des feldspaths), fournie par l'altération sous-marine des basalte et injectée
directement par l'hydrothermalisme est immédiatement utilisée par les organismes. Ceci se marque notamment
dans la variation de la concentration de la silice dans l'océan en fonction de la profondeur: moins de 1 ppm dans
la zone photique, jusqu'à 11 ppm au-delà de 2 km de profondeur.

La solubilité de la silice dans l'eau n'est que très peu influencée par le pH entre 2 et 9, bien qu'elle soit un peu
plus soluble en milieu acide qu'en milieu faiblement alcalin. En solution fortement basique par contre, sa
solubilité croît considérablement: elle atteint 4000 ppm à pH 11, par exemple (cas de certains lacs
évaporitiques). Mais tout ceci n'est vrai qu'à nature d'ion constante. En effet, la solubilité de la silice n'est pas
fonction du seul pH, mais aussi des ions en présence. C'est ainsi que Fe3+ en solutions acides (pH 1,5 à 3) produit
une dissociation de la silice bien plus importante que Ca++ ou NH4+ dont les solutions ont des pH faiblement
acides, neutres, voire alcalins. Parmi les autres ions, seuls Al+++ et Mg++ affectent la solubilité en l'abaissant. Il se
formerait une mince couche protectrice de silicate d'aluminium ou de magnésium. Les organismes siliceux

MRABTI Nabil 36 Ingénieur ENIT


marins ne semblent échapper à la dissolution durant leur vie qu'en adsorbant des ions Al ou Mg ou en formant
des complexes organo-siliciques.

Enfin, il faut bien noter qu'en terme de stabilité, la silice se dissout si le carbonate précipite et vice-versa: ceci
explique la disparition très rapide des spicules d'éponges dans les récifs carbonatés. Hartman (1977) cite même
des exemples actuels où les spicules siliceux de sclérosponges sont déjà en voie de dissolution alors même qu'ils
sont incorporés dans le squelette aragonitique basal de l'éponge.

CHERTS ET SILEX LITES

Les boues à radiolaires et à diatomées s'accumulent actuellement sur les fonds océaniques, sous les zones de
haute productivité des eaux de surface (grâce aux upwellings). Les boues à diatomées sont typiques des hautes
latitudes, tandis que les boues à radiolaires s'observent en zone équatoriale.

L'accumulation des tests siliceux est la plus manifeste dans les zones où les sédiments siliceux ne sont pas dilués
par un apport en carbonates et/ou en terrigènes, c'est-à-dire loin des embouchures fluviales et sous la zone de
compensation des carbonates (CCD) (Fig. V.1). Des équivalents anciens de ces boues siliceuses, sous la forme
de cherts lités, sont fréquemment observés. Dans ces cherts, les radiolaires sont mal conservés et on ne remarque
généralement plus que quelques moules de tests, emplis de mégaquartz, isolés dans une matrice de microquartz.
Certains de ces cherts lités montrent un granoclassement et des laminations entrecroisées ou planes parallèles. Il
s'agit dans ce cas de turbidites remaniant des boues siliceuses provenant de zones en surélévation.

Les cherts lités sont souvent associés avec des pillow lavas, des black shales, des ophiolites, ou encore des
turbidites siliciclastiques ou carbonatées, suivant le contexte paléogéographique général.

Fig. V.1: carte de répartition des différents types de sédiments océaniques. Les boues siliceuses s'observent au
niveau des zones de haute productivité planctonique (équateur et hautes latitudes), les boues carbonatées au-
dessus de la CCD (voir ci-dessous, ch. VIII), les sédiments terrigènes au débouché des grands fleuves et les
sédiments glacio-marins au large de l'Antarctique et du Groenland.

MRABTI Nabil 37 Ingénieur ENIT


A: radiolarites, Sumeini Group (Ladinien, Trias), Wadi Shu'yab, UAE-Oman. B: radiolarites, Al Jil Formation
(Capitanien, Permien), Wadi Hawasina, UAE. Photos A-C. da Silva.

CHERTS ET SILEX NODULAIRES

Ces accidents siliceux sont fréquents dans les carbonates. Il s'agit de nodules, de rognons siliceux, généralement
concentrés le long de certains plans de stratification. Ces nodules peuvent ête coalescents et former des bancs,
ressemblant dès lors aux cherts lités. On observe ces nodules aussi bien dans des calcaires de plate-forme que
dans des calcaires pélagiques.

A: niveaux de cherts, parallèles à la stratification, dans les calcaires de la Formation de Leffe, Rocher Bayard;
B: silex moulant des terriers (flèche) dans la craie, sur une surface de stratification, Etretat.

Diverses hypothèses ont été émises quant à leur origine. On considère généralement que la silice disséminée
dans le sédiment (spicules en environnement peu profond, radiolaires en environnement pélagique,...) se dissout
et précipite sous la forme d'opale-CT à proximité de germes de croissance (fossiles, grains détritiques) dans des
zones favorables (terriers, souvent). La transformation diagénétique de l'opale en microquartz et calcédoine se

MRABTI Nabil 38 Ingénieur ENIT


fait ensuite progressivement de manière centripète. On a remarqué aussi que le microquartz remplace les
carbonates, tandis que la calcédoine et le mégaquartz sont plutôt des remplissages de cavités.

SILICITES NON MARINES

Des sédiments siliceux peuvent se former en milieu lacustre, par exemple par accumulation de diatomées
(diatomites), ou encore par évaporation d'eaux riches en silice dissoute (eaux à pH >9). Dans ce dernier cas, celui
de certains lacs temporaires très riches en phytoplancton, quartz et minéraux des argiles sont dissous lors des
proliférations planctoniques ("blooms") et la silice précipite ensuite sous la forme d'un gel lors de l'évaporation.
On trouve aussi des enrichissements en silice dans les "silcrete", qui résultent d'une pédogenèse en milieu très
riche en silice instable (sols sur rhyolithes, volcaniclastites).

VI. Les phosphorites


INTRODUCTION

Beaucoup de roches sédimentaires contiennent des quantités mineures de phosphates. Les phosphorites (dépôts
sédimentaires de phosphates, caractérisés par une teneur en P2O5 de l'ordre de 20% ou plus) sont par contre
relativement rares. Le phosphate des roches sédimentaires se présente essentiellement sous la forme de
fluorapatite (Ca5(PO4)3F), dont une part du phosphate peut être remplacée par du carbonate ou du sulfate, dont le
fluor peut être remplacé partiellement par OH- ou Cl- et dont le calcium peut être substitué par Na, Mg, Sr, U et
des terres rares. les variétés cryptocristallines et isotropes d'apatite sont appelées "collophane".

Dans la plupart des sédiments, le phosphate est disséminé sous la forme de quelques fragments d'apatite (minéral
dense), de coprolites ou d'ossements. Par quel mécanisme de concentration en arrive-t-on aux énormes gisements
de phosphorites que l'on connaît actuellement?

Débris phosphatés (orangés) dans un packstone bioclastique (Jurassique, Lorraine belge); à gauche, lumière
naturelle, à droite, nicols croisés.

CLASSIFICATION

On classe en général les phosphorites en trois grandes catégories:

- les phosphorites nodulaires ou litées forment généralement des dépôts de grandes dimensions. Ces phosphorites
semblent être les équivalents actuels des accumulations de phosphate qui se forment le long de la bordure
océanique de certaines plates-formes. Le mécanisme responsable de telles accumulations est la présence de
courants d'upwelling, riches en nutrients, favorisant des proliférations de phytoplancton. On peut supposer que
périodiquement, ces proliférations provoquent une mortalité massive des poissons, avec apport d'os et de matière
organique riche en phosphore dans le sédiment. D'un point de vue plus général, il semble que ce type de dépôt

MRABTI Nabil 39 Ingénieur ENIT


phosphaté soit lié à des périodes de haut niveau marin, voire de transgressions. Durant les périodes
transgressives, un certain déséquilibre de la sédimentation peut se produire, déséquilibre qui se manifeste par des
baisses de l'apport en terrigènes et la formation de fonds durcis. Dans ce cas, il est facile d'expliquer la
concentration des débris phosphatés par un arrêt de la dilution par la sédimentation détritique.

- les "bone beds": ce sont des niveaux plus ou moins enrichis en os et écailles de poissons. Ces graviers se
forment lorsque les courants de vague ou de marée concentrent les éléments les plus lourds sous la forme de "lag
deposits". En lame mince, le phosphate des éléments squelettiques se distingue par sa coloration jaune à
brunâtre, la présence de structures d'origine biologique (lignes de croissance, canaux) et son caractère isotrope ou
faiblement anisotrope. Associés à ces bone beds, on observe souvent des coprolites riches en collophane. Au
cours de la diagenèse, une phosphatisation plus poussée des sédiments (croissance de nodules autour des
fragments osseux, cimentation par de la collophane,...) peut avoir lieu. Un bon exemple d'un de ces bone beds est
le niveau graveleux de la Formation de Mortinsart (Rhétien), visible en Gaume, dans la coupe de Grendel. Le
lecteur intéressé peut consulter les références ci-dessous.

- le guano: les déjections d'oiseaux et, dans une mesure moindre, de chauves-souris, peuvent dans certaines
circonstances, former des gisements de phosphate d'intérêt économique. La percolation dans le soubassement
carbonaté des solutions dérivées du guano peut être responsable d'une phosphatisation secondaire.

VII. Les sédiments ferrifères


INTRODUCTION

Comme dans le cas des phosphates, la plupart des roches sédimentaires contiennent une proportion mineure de
fer. Ne sont actuellement considérés comme minerais que les roches où la teneur en fer dépasse 15%. Comme le
fer existe sous deux degrés d'oxydation, Fe++ (l'ion ferreux) et Fe+++ (l'ion ferrique), son comportement est
contrôlé par la géochimie des environnements sédimentaire et diagénétique.

La majorité des gisements ferrifères semblent s'être formée en milieu marin et beaucoup sont fossilifères. Un
grand problème est cependant le manque d'équivalents actuels: les seuls grands dépôts ferrifères actuels sont les
nodules métallifères des grands fonds océaniques et le fer des marais ("bog-iron") qui semblent être de peu
d'importance géologique.

On distingue généralement deux grands types de dépôts ferrifères: les "banded iron formations" du Précambrien
(BIF's) et les sédiments ferrifères phanérozoïques. Les premiers sont typiquement d'épaisses séquences
constituées de sédiments ferrifères alternant avec des cherts noirs, déposés dans de grands bassins
intracratoniques; les seconds sont d'extension plutôt réduite et forment des unités plus minces, généralement de
nature oolithique.

D'une manière très générale, on observe que la formation de sédiments ferrifères est favorisée par de faibles taux
de sédimentation, souvent liés à des épisodes transgressifs, et par une forte altération chimique continentale
(climat tropical). Il semble également qu'une corrélation existe entre une faible concentration d'oxygène dans
l'atmosphère et les époques de formation des gisements ferrifères: cette relation est vérifiée pour l'Ordovicien, le
Dévonien, le Jurassique. Ce phénomène est la conséquence d'un apport accru de Fe++ à l'océan par des eaux
moins oxygénées.

GEOCHIMIE ET PETROGRAPHIE

On considère actuellement que la principale source de fer pour le bassin océanique est l'altération continentale
des roches basiques et des sols latéritiques. Dans les conditions Eh et pH de la majorité des eaux de surface, le
fer est à l'état Fe+++, largement insoluble. Sa concentration en solution est dès lors très faible, de l'ordre de 1 ppm
pour l'eau de rivière et de l'ordre de 0,003 ppm pour l'eau de mer. Trois mécanismes de transport du fer sont
envisageables:

- sous la forme de films d'oxyde sur des particules détritiques;

- en liaison avec la matière organique;

MRABTI Nabil 40 Ingénieur ENIT


- sous la forme de suspensions colloïdales d'hydroxydes qui précipitent par flocculation lors du mélange des eaux
fluviales et marines.

Une fois déposé, le fer peut être remis en solution dans le sédiment si les conditions Eh-pH sont appropriées et
être ensuite reprécipité sous la forme de minéraux ferrifères. La Fig. VII.1 donne les conditions de stabilité de
ces minéraux en fonction de l'Eh, du pH, de l'activité de S= (pS2- =-log [S2-]) et de la pression partielle de CO2.
(Rappelons qu'un des principaux facteurs affectant l'Eh des eaux est la teneur en matière organique: sa
décomposition bactérienne consomme de l'oxygène et génère des conditions réductrices). D'après ces
diagrammes, on peut voir que l'hématite est la forme stable dans des conditions modérément à fortement
oxydantes, c-à-d dans un sédiment pauvre en matière organique. Pour les minéraux comprenant du fer ferreux,
les champs de stabilité sont fortement dépendants de la PCO2 et de la pS2- de la solution. Dans les sédiments
marins, le soufre est généralement disponible par la réduction bactérienne des sulfates et c'est la pyrite ou la
marcassite qui se forment; les carbonates de fer sont rares.

4 FeOOH + 4 SO4= + 9 CH2O → 9 HCO3- + H+ + 6 H2O + 4 FeS

En environnement météorique (eaux douces), ce n'est pas le cas et les carbonates de fer sont plus fréquents.
Cependant, même en milieu marin, si tout le soufre est consommé, de la sidérite peut aussi se former. Un bon
exemple est la cristallisation de sidérite dans certains marais intertidaux actuels. Le développement des silicates
de fer (glauconite,...) est encore sujet à hypothèses.

Figure : VII.1A: diagramme Eh-pH de stabilité du fer ferrique, du fer ferreux, de l'hématite, de la sidérite, de la
pyrite et de la magnétite. Ce diagramme montre que l'hématite est le minéral stable dans les environnements
modérément à fortement oxydants. Pour des minéraux comme la pyrite, la sidérite et la magnétite, stables en
environnement réducteur, les champs de stabilité sont fortement dépendants du pH, mais aussi des
concentrations en CO32- et S2-. Le cas illustré par le diagramme est celui d'une solution riche en CO32-et pauvre
en S2-. Dans le cas inverse, le champ de stabilité de la pyrite s'étend pour occuper la presque totalité de la partie
inférieure du diagramme.Lorsque à la fois CO32-et S2- sont en faible concentration, c'est le champ de la
magnétite qui s'accroît. Bet C: champs de stabilité des minéraux ferrifères en fonction (B) de l'Eh et de pS2- (-log
de l'activité de S2- ) et en fonction (C) de l'Eh et de PCO2. D'après Krauskopf (1979) et Berner (1971), cités par
Tucker (1991).

D'un point de vue pétrographique, l'hématite (rouge vif en réflexion) se présente surtout en ooïdes et
imprégnations secondaires de fossiles, sauf dans les BIF's où elle peut former des lamines ou des niveaux
massifs. La goethite (couleur jaune brunâtre) forme en général des ooïdes. La limonite, un mélange de goethite,
d'argiles et d'eau, est un produit de l'altération subaérienne des oxydes de fer.

MRABTI Nabil 41 Ingénieur ENIT


La sidérite remplace généralement des ooïdes et des bioclastes et peut former des ciments. On observe soit des
cristaux de grande taille à clivage rhomboédrique (comme la calcite), soit des micro-rhomboèdres de taille
micronique, soit encore des fibres regroupées en sphérulites.

La pyrite est facilement reconnaissable par ses cristaux cubiques et sa couleur jaune vif en réflexion; elle peut
former des agrégats de microcristaux appelés "framboïdes". La marcassite n'est fréquente qu'en nodules dans les
craies et les charbons.

Les silicates de fer: les plus importants sont la berthierine-chamosite, la greenalite et la glauconite. La berthierine
est un phyllosilicate du groupe des serpentines (espacement réticulaire de 7 Å), riche en fer, tandis que la
chamosite est une chlorite (espacement réticulaire de 14 Å), avec Fe++ comme cation principal dans les sites
octahédriques. La berthierine est un minéral primaire qui se transforme en chamosite à partir de 120-160°C.
Donc, si les sédiments ferrifères les moins anciens contiennent souvent de la berthierine, à partir du Paléozoïque,
on ne trouve plus que la chamosite. Berthierine et chamosite (toutes deux vertes et à faible biréfringence)
forment souvent des ooïdes dans les sédiments ferrifères phanérozoïques. Contrairement aux ooïdes
aragonitiques, ces corpuscules paraissent être demeurés mous au cours de la diagenèse précoce. On observe en
fait fréquemment des ooïdes fortement déformés, voire même des fragments d'ooïdes déformés formant le
nucleus d'autres ooïdes. Les conditions de formation de ces ooïdes sont mal connues, mais on pense que la
berthierine précipite directement dans le sédiment en milieu anoxique pauvre en soufre.

La greenalite est un minéral probablement très proche de la berthierine-chamosite, verte et isotrope. on la trouve
généralement en péloïdes, mais on ne sait pas s'il s'agit d'un minéral primaire.

La glauconite est un alumino-silicate de fer et potassium avec un rapport Fe+++/Fe++ élevé. Certaines glauconites
(dites ordonnées) sont des phyllosilicates de type illites, mais la plupart forment des interstratifiés avec la
smectite. La glauconite est généralement observée sous la forme de péloïdes, de couleur verte, souvent
pléochroïque et d'aspect microcristallin. La glauconite est fréquente dans les sables et grès et elle se forme
actuellement sur beaucoup de plates-formes continentales, à des profondeurs de quelques dizaines à quelques
centaines de mètres, dans des zones à sédimentation ralentie (au point de vue séquentiel, elle souligne souvent
les " surfaces d'inondation maximales "). Comme pour les autres silicates de fer, il s'agirait d'un milieu anoxique
pauvre en soufre

FORMATIONS FERRIFERES PRECAMBRIENNES

Ces formations, de grande importance économique, se retrouvent sur les boucliers anciens de la plupart des
continents. D'après des études effectuées au Canada, deux types de gisements peuvent être distingués:

- un type lenticulaire, d'extension géographique relativement faible et associé à des roches volcaniques et des
graywackes, d'âge 2500 à 3000 Ma;

- un type de grande extension régionale, déposé en contexte de plate-forme stable, d'âge 1900 à 2500 Ma.

Sur la base des minéraux ferrifères présents, il est possible de distinguer quatre faciès: (1) oxydé (hématite-
magnétite), (2) silicaté (greenalite), (3) carbonaté (sidérite) et (4) sulfuré (pyrite). Les minéraux primaires
seraient respectivement un composé amorphe de type Fe(OH)3, la berthierine, la sidérite et la pyrite en fonction
des conditions géochimiques. On peut d'ailleurs observer, suivant l'augmentation de la paléobathymétrie, une
zonation oxyde et silicate-carbonate-sulfure. Un des faciès les plus spectaculaires consiste en laminations
millimétriques à centimétriques d'hématite alternant avec du chert. Certaines de ces laminations ont une
extension de 30.000 km2.

Le gros problème de ces BIF's concerne le transport et l'origine du fer. On suppose que l'atmosphère
précambrienne était pauvre en oxygène et plus riche en dioxyde de carbone. La plus grande richesse en CO2
aurait diminué le pH des eaux de surface, avec comme conséquence une altération continentale plus efficace. Le
dépôt des lamines ferrifères pourrait être la conséquence d'upwellings, amenant des eaux anoxiques riches en fer
sur la plate-forme plus oxygénée, de précipitation microbienne ou encore, de phénomènes saisonniers de
mélange d'eaux (turnover) dans un océan ordinairement stratifié. Les lamines de chert pourraient quant à elles
résulter de proliférations périodiques d'organismes siliceux (blooms).

MRABTI Nabil 42 Ingénieur ENIT


Hématite et chert dans un BIF. Belo Horizonte, Brésil.

FORMATIONS FERRIFERES PHANEROZOÏQUES

Les plus importantes de ces formations sont les oolithes ferrifères, constituées d'hématite-chamosite dans le
Paléozoïque et de goethite-berthierine dans le Mésozoïque. On en recense deux épisodes majeurs, durant
l'Ordovicien et le Jurassique. Il s'agit de périodes caractérisées toutes deux par un haut niveau marin, de larges
zones pénéplanés et un climat chaud et humide, responsable d'une importante altération chimique continentale.

Un exemple fameux et proche de nous de ces oolithes ferrifères est la Minette de Lorraine et du Luxembourg.
D'âge aalénien, sa puissance varie de 15 à 65 m et on y observe plusieurs séquences.

En Belgique, la minéralisation est nettement moins développée. A Halanzy, l'Aalénien a 4,8 m de puissance et
4,5 m dans la région de Musson-Grand Bois. On y constate l'existence de deux couches de minerai sous
lesquelles apparaît une troisième lentille vers le milieu de la concession de Musson. En limite des concessions de
Musson et Halanzy, la couche supérieure a 2,15 m de puissance, la moyenne 1,35 m, séparée par 0,4 m de marne
ferrugineuse. Le minerai est constitué par des oolithes ferrugineuses rougeâtres à brun rouge, avec grains de
quartz émoussés. Le tout est dans un ciment argileux ou limoniteux, voire calcaire. Parfois, on trouve des débris
coquilliers en calcite. On aurait observé en outre la présence de glauconie au toit de la couche supérieure dans le
centre des oolithes. Les stériles différent seulement par la rareté ou l'absence d'oolithes ferrugineuses.

Modèle génétique de la Minette: "Le territoire où se situe le gisement lorrain représentait à la fin du Toarcien la
bordure littorale d'une mer couvrant le bassin de Paris. Du NE, par la dépression eifelienne, arrivaient un ou
plusieurs fleuves importants. Le bassin ferrifère se situait à l'emplacement de leur embouchure. On peut
représenter (...) le paysage comme une aire très plate soumise à l'influence des marées. Les eaux fluviatiles se
frayent un chemin vers la mer (...) Dans ces chenaux s'opère, au rythme des marées, la rencontre des eaux
marines et fluviales. Les courants ne sont intenses qu'en certains endroits entre lesquels apparaissent des bancs
de sable à stratification oblique (...) En dehors des chenaux, sur les aires plates, les sédiments sont soumis à un
mouvement de va et vient, avec exondation temporaire: c'est la slikke vaseuse. Le courant marin sur le flanc de
la lentille, où son action est dominante, apporte des sédiments marins et en particulier des débris de coquille et
des grains de quartz. Les courants fluviatiles apportent le fer qui précipite dans cette zone en oolithes
ferrugineuses. La phase qui précipite a donc une origine continentale (hydroxyde de fer). Les processus
diagénétiques transforment la limonite en hématite, sidérose puis magnétite, lorsque la limonite est en excès; en
chlorite et sidérose dans un sédiment fin et argileux (Waterlot et al., 1973). Signalons que d'après Teyssen
(1984), la minette s'est formée en environnement subtidal, sous la forme de rides sableuses montrant une
séquence de type coarsening upward (boue-faciès de transition-minette-faciès coquillier). Ces séquences sont
également caractérisées par une augmentation du contenu bioclastique et par une diminution de la bioturbation.

Accessoirement, dans les formations ferrifères phanérozoïques, il faut encore citer les argilites et shales riches en
sidérite, correspondant vraisemblablement à des environnements lagunaires, estuariens, voire deltaïques. La
sidérite peut s'y manifester en cristaux dispersés, en nodules ou en bancs plus ou moins continus.

MRABTI Nabil 43 Ingénieur ENIT


Ooides hématitiques, Formation de Presles, Frasnien, Tailfer.

FORMATIONS FERRIFERES ACTUELLES

FER DES MARAIS

Les seuls dépôts ferrifères de quelqu'importance (avec les nodules océaniques) à se développer de nos jours sont
donc les "bog iron ores". Ces sédiments s'observent dans les lacs et marais des latitudes moyennes à élevées,
comme l'Amérique du Nord, l'Europe et l'Asie.

La nature du minerai est assez variable, variant depuis des ooïdes et des pisoïdes jusqu'à une forme terreuse. Le
minéral prédominant semble être la goethite, suivie par la sidérite. Contrairement à la plupart des autres
formations ferrifères, le contenu en manganèse est assez élevé, atteignant fréquemment 40%. Le fer des marais
se forme lorsque des aquifères acides se déversent dans des lacs et marais relativement mieux oxygénés.
L'augmentation de Eh et pH qui en résulte est reponsable de la précipitation du fer ferreux en solution, sous la
forme d'hydroxydes de fer.

A: précipitation d'hydroxydes de fer à l'intervention de bactéries (filaments) dans un marécage (Islande); B:


nodule polymétallique.

NODULES POLYMETALLIQUES

Les nodules polymétalliques, appelés aussi "nodules de manganèse" s'observent dans différents types
d'environnements océaniques profonds, situés souvent à quelques centaines de m sous la CCD et caractérisés par
une vitesse de sédimentation très faible. Il s'agit de concrétions de 1-10 cm de diamètre, constituées d'oxydes de
Fe et Mn, accompagnés de Ni, Cu et Co (ces nodules constituent d'ailleurs -hélas- d'importantes réserves de ces
métaux). On constate aussi la présence d'argile et de tests d'organismes planctoniques. Le nucleus des

MRABTI Nabil 44 Ingénieur ENIT


concrétions est habituellement un fragment d'origine organique (dent de poisson, etc.) Beaucoup de nodules ont
leur partie supérieure (au contact des eaux océaniques) enrichie en Fe et Co et leur partie inférieure (au contact
du sédiment), riche en Fe et Mn ce qui suggère des échanges chimiques entre les nodules et leur
environnement. De plus, la composition des nodules est variable selon leur localisation (les nodules Pacifiques
sont plus riches en Mn, Co et Cu, au contraire des nodules Atlantiques qui sont plus riches en Fe).

La vitesse de croissance des nodules polymétalliques est extraordinairement lente, de l'ordre de quelques mm par
million d'années! C'est beaucoup plus lent que la vitesse de sédimentation des sédiments océaniques sur lesquels
on les observe et cela pose évidemment le problème de leur présence en surface. Plusieurs hypothèses ont été
proposées pour expliquer ce paradoxe: dissolution-reprécipitation à l'interface eau-sédiment; érosion des
sédiments par des courants de fond; migration des nodules vers la surface par l'effet de la bioturbation. Le
mécanisme de formation des nodules lui-même est encore peu connu: précipitation sous l'effet de conditions
oxydantes (arrivée d'eaux oxygénées); activité bactérienne (ce seraient dans ce cas des "oncoïdes Fe-Mn");
recyclage et remontée en surface de solutions formées dans des zones plus réductrices du sédiment. Signalons
enfin que beaucoup de nodules montrent des signes de déplacement (orientation préférentielle, cassures,
granoclassement,...)

densité environ 2
porosité 30-50%
concentration (zones d'intérêt économique) 7 kg/m2
Mn 29,5% Al 1,12%
Fe 6,34% K 0,8%
Si 4% Ti 0,3%
Na 2,92% Co 0,25%
Mg 2,88% S 0,23%
Ca 1,44% P 0,14%
Ni 1,40% Zn 0,14%
Cu 1,16% Mo 0,06%
Tableau VII.1: données générales concernant les nodules polymétalliques (d'après Chamley, 1990).

VIII. Les grands environnements de dépôt des carbonates


INTRODUCTION

Comme dans les autres domaines de la sédimentologie, un fondement essentiel de l'interprétation des
paléoenvironnements carbonatés se trouve dans l'étude approfondie des modèles actuels. Le but du présent
chapitre est d'introduire brièvement les grands environnements de dépôt des carbonates. Certains de ces
environnements seront traités plus en détail aux chapitres suivants.

Dans une première approche d'ensemble, deux grands domaines s'individualisent de part et d'autre du trait
morphologique important qu'est le rivage: le domaine continental et le domaine marin.

LE DOMAINE CONTINENTAL

Le domaine continental se caractérise par des dépôts souvent très localisés. Bien que ce domaine ne présente en
général que peu de sédiments carbonatés, on citera les dépôts lacustres, fluviatiles, glaciaires (moraines,...),
désertiques, karstiques, de grottes. Il est en outre soumis à l'action des phénomènes météoriques, ce qui est à
l'origine d'importantes transformations diagénétiques (voir ce chapitre). Un chapitre spécial sera réservé dans la
suite du cours à la pédogenèse.

CARBONATES LACUSTRES

MRABTI Nabil 45 Ingénieur ENIT


Les carbonates lacustres (eaux douces et salées) sont le résultat de précipitations inorganiques ou
d'accumulations algaires ou coquillières.

- Les précipitations inorganiques peuvent être liées à une soustraction de CO2 (photosynthèse,...), à un
mécanisme d'évaporation ou encore au mélange d'eaux à pH différents (lac/rivière, par exemple). L'équation
suivante est une notation simplifiée de l'équilibre des carbonates:

CaCO3 + H2O + CO2 Ca++ + 2 HCO3-

Le rapport Mg/Ca détermine le minéral précipité: Mg/Ca<2 précipitation de calcite (ex. Lac de Constance);
Mg/Ca de 2 à 7 calcite Mg (Lac Balaton); Mg/Ca de 7 à 12 calcite Mg et dolomite par transformation de calcite
Mg; Mg/Ca>12 aragonite.

- Les carbonates algaires sont le résultat de:

• la biocorrosion d'un substrat carbonaté par des cyanophycées, des chlorophycées, des rhodophycées, des
champignons ou des lichens, donnant naissance à des sédiments carbonatés de la taille des silts;
• des phénomènes de piégeage de sédiments et de précipitation par des mousses et des stromatolithes;
• la formation d'oncoïdes (cyanophycées et algues vertes non squelettiques) avec incorporation de
coquilles et débris carbonatés;
• des accumulations d'oogones de charophytes (gyrogonites).

- Les accumulations de coquilles (gastéropodes, lamellibranches) sont du même type qu'en milieu marin. Elles
ne forment jamais qu'une faible proportion des carbonates lacustres.

A: Calcaire de Ventenac (Eocène, Minerve); un niveau de lignite interrompt la sédimentation lacustre. B:


oncolithe fluviatile (Eocène, Coustouge).

TUFS ET TRAVERTINS

Au débouché de certaines sources, ou plus rarement en rivière, se forment des précipitations de calcite. Ces
accumulations peuvent être constituées de lamines denses et régulières (travertin) ou de matériau très poreux et
irrégulier (tuf) Un bel exemple de tuf est visible en Lorraine belge: la "Cranière" de Lahage. Il semble admis que
les processus de précipitation inorganiques dominent dans le cas des travertins (perte de CO2) tandis que les tufs
se forment par précipitation de calcite sur des mousses ou des algues.

MRABTI Nabil 46 Ingénieur ENIT


Cranière de Lahage; A: vue générale du dépôt; B: production actuelle de travertin.

GROTTES

Les concrétions aragonitiques de grottes (speleothems) peuvent être identifiées, même après leur transformation
en calcite, par leur morphologie (planchers, stalactites, stalagmites, pisoïdes) et par l'alternance de lamines de
fibres peu allongées et de fibres très allongées, atteignant plusieurs centimètres.

LE DOMAINE MARIN

On y distingue essentiellement un milieu de plate-forme et un milieu de bassin séparés par un talus. La


différenciation de ces termes est morphologique, mais en gros, d'un point de vue bathymétrique, on peut dire que
la profondeur varie de 0 à environ 200 m sur la plate-forme; le bassin étant caractérisé par des profondeurs plus
importantes.

La morphologie des plates-formes est sujette à variation, de même que la nature et la géométrie des corps
sédimentaires qui s'y déposent. Une nette distinction sédimentologique peut être effectuée entre plates-formes
carbonatées tropicales et plates-formes carbonatées tempérées. Lees & Buller (1972) opposent un modèle
CHLOROZOAN à un modèle FORAMOL (Fig. VIII.1).

LES PLATES-FORMES CARBONATEES TEMPEREES

Ces dernières sont actuellement nettement moins connues que leurs homologues tropicales. Certaines de ces
plates-formes (sud de l'Australie, ouest de l'Irlande) couvrent pourtant des milliers de km2 de fonds marins.

D'après Lees & Buller (1972), les principaux groupes d'organismes représentés dans les sédiments y sont: les
mollusques, les foraminifères benthiques, les échinodermes, les bryozoaires, les barnacles, les ostracodes, les
spicules (calcaires) d'éponges, les tubes de vers et les coraux ahermatypiques pour les animaux, les algues rouges
(Lithothamnium) pour les plantes. Les foraminifères et les mollusques étant généralement dominants, cette
association est appelée "foramol". En eau tropicale, cette association s'enrichit notablement en coraux et/ou
algues vertes calcaires (ex: Halimeda), tandis que la contribution des bryozoaires et barnacles diminue
considérablement: on a l'association "chlorozoan" (chlorophytes + zoanthaires).

MRABTI Nabil 47 Ingénieur ENIT


Concrétions calcaires dues à des Lithothamnium (flèches) dans une mare côtière (Ile Grande, Bretagne).

En ce qui concerne les grains non squelettiques (peloïdes, ooïdes, aggrégats,...), ils semblent être largement liés à
l'association chlorozoan, sauf peut-être pour les péloïdes qui peuvent déborder sur l'association foramol. La
micrite est constituée d'aragonite et de calcite magnésienne dans le domaine tropical, tandis qu'en domaine
tempéré, l'aragonite devient beaucoup plus rare. La cimentation est faible en milieu tempéré.

Signalons que dans l'océan actuel, le carbonate de précipitation chimique est l'aragonite (suite à un rapport
Mg/Ca élévé, cf. compléments de sédimentologie). Ceci ne veut évidemment pas dire que toute boue calcaire
d'origine marine est aragonitique puisque la dégradation des tests des organismes fournit une part importante des
sédiments fins et que ces tests peuvent être calcitiques. Le tableau VIII.1 donne la composition des test des
principaux organismes calcaires.

Calcite
Aragonite et
TAXON Aragonite (mol%
calcite
MgCO3)
ALGUES CALCAIRES
rouges 10-20
vertes oui
coccolithes 5
FORAMINIFERES
benthiques rare 5-15
planctoniques 5-17
EPONGES rare 10-20
STROMATOPORES oui 5?
COELENTERES

MRABTI Nabil 48 Ingénieur ENIT


rugueux 5
tabulés 5
scléractiniaires oui
alcyonaires rare 10-20
BRYOZOAIRES rare 5-17 rare
BRACHIOPODES 5-10
MOLLUSQUES
chitons oui
lamellibranches oui 5-10 oui
gastéropodes oui 5-10 oui
ptéropodes oui
céphalopodes oui
bélemnites 5
ANNELIDES oui 5-17 oui
ARTHROPODES
décapodes 7-12
ostracodes 5-10
barnacles 5-10
trilobites 5
ECHINODERMES 7-17
Tableau VIII.1: types de carbonates précipités par les principaux groupes d'organismes. D'après Scholle (1978),
modifié.

Concernant la répartition des deux associations, il semble que chlorozoan soit limitée aux latitudes inférieures à
30°, tandis que foramol puisse s'étendre entre 60° et l'équateur. Une étude plus fine des facteurs limitant
chlorozoan montre que c'est en conjugant une température océanique minimale supérieure à 14-15°C et une
température moyenne annuelle supérieure à 23°C que l'on cerne le mieux l'aire de répartition. Il ne faut pas
oublier évidemment que sous la zone photique, l'association chlorozoan disparaît.

MRABTI Nabil 49 Ingénieur ENIT


Fig. VIII.1: répartition des assemblages "foramol" et "chlorozoan" dans l'océan mondial et comparaison avec la
répartition de grains caractéristiques.

LES PLATES-FORMES CARBONATEES TROPICALES

Les facteurs du milieu

L'action différentielle de certains facteurs de l'environnement sur les plates-formes carbonatées permet de définir
un certain nombre de sous-environnements (Fig. VIII.4). Ces facteurs particuliers sont la morphologie,
l'hydrodynamisme, le chimisme (salinité, oxygénation) et la pénétration de la lumière. Les multiples possibilités
de variation de ces facteurs expliquent la diversité des plates-formes carbonatées. Il ne faut donc pas raisonner à
partir d'un modèle figé.

- La morphologie de la plate-forme: contrôlée essentiellement par l'existence, l'absence ou la localisation


variable d'une barrière ou d'un haut-fond plus ou moins continu (Fig. VIII.2). Cette barrière revêt une géométrie
et une nature variable et complexe. L'existence d'un relief a une influence directe sur le niveau d'énergie, le
chimisme des eaux (salinité, oxygénation) et l'activité biologique: il entraîne la distinction entre un milieu de
plate-forme interne et un milieu de plate-forme externe ou de bassin. En l'absence de rupture de pente nette, la
profondeur augmente de façon progressive depuis le littoral jusqu'au bassin: on parle alors de rampe.

MRABTI Nabil 50 Ingénieur ENIT


Fig. VIII.2: morphologie des rampes et plates-formes carbonatées.

Il est à noter que le vocabulaire anglais est plus précis: les "carbonate platforms" regroupent à la fois les "ramps"
(sans rupture de pente) et les "shelves" (avec rupture de pente). En français, nous ne disposons que du terme
plate-forme que l'on doit donc opposer à rampe. On peut éventuellement regrouper rampe et plate-forme s.s. au
sein des "plates-formes s.l."...

PLATE-FORME AVEC BARRIERE RAMPE


rupture de pente pas de rupture de pente
présence d'une barrière continue pas de barrière continue
énergie forte près de la barrière, énergie forte près du rivage, formation
diminue vers le rivage de bancs ("shoals")
bioconstructions=surtout bafflestones,
barrière=surtout framestones
bindstones
turbidites, blocs exotiques provenant peu de turbidites, pas d'olistolithes,
de la barrière tempestites
sédiments lagunaires cycliques de sédiments restreints peu étendus, non
grande extension géographique cycliques.
Tableau VIII.2: exemples de différences sédimentologiques entre rampe et plate-forme s.s.

- Les facteurs dynamiques: ils comprennent vents, courants de vagues et de marées. Leur résultat est surtout un
tri granulométrique. La granulométrie des sédiments et certains types de figures sédimentaires donnent donc des
informations importante quant au niveau d'énergie du milieu, souvent en relation avec la profondeur et le degré
de protection.

- Le chimisme des eaux: la sursalure, le manque d'oxygénation des eaux entraînent de profondes modifications
dans le contenu faunistique, ce qui peut conduire à distinguer:

• un milieu ouvert: la circulation des eaux marines n'est pas entravée;


• un milieu restreint: la circulation des eaux marines est entravée et en conséquence leur qualité subit des
modifications plus ou moins importantes.

Ces distinctions s'entendent même en dehors de toute considération morphologique du type barrière, par exemple
dans le cas d'une plate-forme très étendue.

MRABTI Nabil 51 Ingénieur ENIT


Le contenu en nutriments des eaux est aussi un paramètre très important. Ce paramètre permet de distinguer des
environnements oligotrophique, mésotrophique, eutrophique et hypertrophique (Fig. VIII.3). En milieu
oligotrophique, relativement pauvre en nutriments, les processus de recyclage de la nourriture sont essentiels et
les organismes capables d'utiliser plusieurs sources d'énergie sont favorisé (exemple: les coraux hermatypiques
qui outre leur caractère hétérotrophe, profitent de la photosynthèse de leurs algues symbiotiques); le facteur
limitant dans ce type d'environnement est l'apport de nutriments. En milieu mésotrophique, l'apport de
nutriments est plus important et d'autres organismes interviennent: algues, faune benthique plus riche; le facteur
limitant est la compétition pour l'espace disponible. En milieu eutrophique, l'apport en nutriment est suffisant
pour que se développe largement le phytoplancton; le facteur limitant est la lumière et la profondeur de la zone
photique et enfin, en milieu hypertrophique, le développement de phytoplancton et l'accumulation de la matière
organique sont tels que la dégradation de cette matière consomme une bonne part de l'oxygène du sédiment,
limitant la vie benthique; dans ce dernier cas, le facteur important est la teneur en oxygène.

Fig. VIII.3: communautés organiques et nutriments dans les eaux tropicales et équatoriales.

- L'influence de la lumière: la pénétration de la lumière permet également de distinguer deux domaines entre
lesquels les conditions biologiques varieront considérablement: un domaine photique et un domaine aphotique.
L'absorption de la lumière par l'eau est sélective: les infrarouges sont absorbés dans le premier mètre, tandis que
les longueurs d'ondes plus courtes (bleu) pénètrent relativement profondément dans l'océan (plus de 100m). Les
différents organismes n'utilisant pas les mêmes longueurs d'onde en fonction de leur pigment (algues rouges et
algues vertes, par exemple), l'étendue de la zone photique est variable suivant les communautés considérées.

Il est évident que certains facteurs ne sont pas indépendants les uns des autres et que l'édification d'un accident
topographique continu (barrière, banc, récif, seuil) aura une incidence sur le chimisme des eaux et sur leur
dynamique. Dès ce moment, la plate-forme interne sera à circulation restreinte. Si la barrière est de nature algaire
(algues vertes, cyanobactéries) ou récifale (coraux, algues rouges), elle ne pourra s'établir que dans le domaine
photique. Même si les eaux sont peu turbides et claires, les profondeurs d'implantation n'excéderont pas quelques
dizaines de mètres.

Les grands environnements de dépôt

L'action des facteurs du milieu est à l'origine de la différentiation des environnements au sein des plates-formes.
Pour les mers où la marée est sensible, on distingue sur la plate-forme interne (Fig. VIII.4):

• un milieu supratidal: très épisodiquement envahi par les hautes marées de vives eaux. Différents types
de milieux particuliers s'inscrivent dans ce domaine, tels que: sebkha, étangs côtiers,... Les dépôts que
l'on y trouve sont plus ou moins développés en fonction du profil de la côte. Leur nature est fortement
influencée par le climat (par exemple: climat aride=possibilité de sebkha, climat humide=platier
algaire). La présence à la fois d'eaux douces et salées en font un milieu particulièrement favorable à la
diagenèse précoce;

MRABTI Nabil 52 Ingénieur ENIT


• un milieu intertidal: correspondant à la zone de balancement des marées. Les périodes d'exhondaison et
d'ennoyage se marquent par des dépôts et des faciès typiques (birdseyes, etc.), parfois rythmiques. C'est
un milieu où la vie est généralement abondante, mais où les conditions écologiques sont extrêmement
difficiles du fait des alternances entre émersion et immersion, des variations de température,
d'insolation, de salinité, de pH, de chimisme des eaux. Seuls des organismes spécialement adaptés
peuvent y survivre. L'influence du climat est toujours importante, par exemple en ce qui concerne le
développement des tapis algaires, localisés dans l'intertidal en climat aride, dans le supratidal en climat
plus humide (voir chapitre XII). C'est dans ce milieu intertidal que l'on rencontre les estrans, plages,
chenaux de marée, levées, mangroves, etc. C'est aussi avec le milieu supratidal un environnement
privilégié de la diagenèse précoce. L'énergie des dépôts y est généralement élevée; toutefois, suivant
l'ampleur des marées, la direction des vents et des courants, la présence ou non d'une barrière, les
caractères propres à ce milieu tendront à s'estomper et à se confondre avec ceux du milieu subtidal;
• un milieu subtidal: dans ce milieu, l'énergie est variable en fonction de la profondeur. La diversité des
faciès, liée au gradient hydrodynamique, reste importante. La faune et la flore y sont variées. Des
organismes comme les éponges et les échinodermes deviennent plus abondants. On observe également
l'apparition de quelques formes pélagiques. Au point de vue chimique, aux faciès carbonatés et
évaporitiques peuvent s'ajouter des faciès enrichis en silice, phosphates, oxydes de fer,...

A: sebkha en milieu supratidal (El Melah); les bords rebroussés des polygones métriques sont dûs à la
croissance d'évaporites dans le sédiment; B: mangrove et palétuviers en milieu intertidal; observer les échasses
servant à assurer la stabilité des arbres dans la boue carbonatée (Laing), photo A. Herbosch.

La barrière isole ensuite la plate-forme interne de la plate-forme externe où l'environnement est beaucoup plus
stable et homogène, en liaison avec le milieu océanique. Les organismes pélagiques deviennent prépondérants et
les sédiments sont généralement fins, situés sous la zone d'action des vagues. La teneur des eaux en nutriments
contrôle la productivité organique.

Fig. VIII.4: répartition des environnements sur une plate-forme avec barrière.

MRABTI Nabil 53 Ingénieur ENIT


Critères de caractérisation des milieux de dépôt

- Critères liés aux facteurs biologiques: le type de communauté organique renseigne sur la bathymétrie par la
présence ou l'absence d'organismes photosynthétiques , sur l'agitation du milieu (formes robustes ou délicates),
sur la température (foramol-chlorozoan) et sur la teneur des eaux en nutriments (Fig. VIII.3).

Dans le cas d'un profil complexe, à barrière, les critères biologiques peuvent contribuer à distinguer les zones
internes par rapport au reste du profil. Le rôle d'écran joué par la barrière (organismes coloniaux constructeurs)
permet généralement de différencier le milieu subtidal interne (organismes spécialisés) du milieu marin ouvert
qui est le domaine de vie des organismes pélagiques. L'utilisation (réfléchie) de modèles de répartition de la
faune et de la flore trouve ici sa pleine justification (voir exemples).

Si le profil est plus simple (sans barrière), la distinction entre plate-forme interne et externe est parfois difficile.
Le passage peut être graduel et correspondre à une limite d'énergie entre un milieu peu profond et un milieu plus
profond. La distinction entre ces milieux différents est alors basée sur la fréquence et l'oligospécificité
d'organismes benthiques, plus forte en plate-forme interne et sur la fréquence des algues, également plus grande
en plate-forme interne.

- Critères liés aux facteurs physiques (dynamisme des eaux): le niveau d'énergie est estimé en général en
fonction de la taille, de la densité et de l'angularité des grains d'une part et de la présence ou non d'un matériau
fin d'autre part (absence ou présence de boue primaire). Cependant, à la différence des séries détritiques, l'origine
même des carbonates joue évidemment un rôle important et ne permet pas d'établir un rapport direct entre le
niveau d'énergie et le faciès. Les variations du niveau d'énergie seront donc définies par estimation de la
proportion relative du matériau fin et des grains, en relation avec leurs caractéristiques morphologiques initiales.
Il faut toujours se rappeler que les éléments pris en considération doivent être critiqués en fonction d'autres
facteurs possibles: taille des bioclastes et angularité fonction de leur origine, micrite d'origine secondaire, par
microsparitisation d'un grainstone par exemple. Ceci permet en général de déterminer si les sédiments étudiés se
sont déposés en eau calme ou agitée, sans indication d'environnement particulier. Dans le cas d'un profil de
plate-forme complexe, le gradient des niveaux d'énergie est discontinu: la plate-forme externe et la barrière
présentent des niveaux d'énergie forts, comparables à ceux de l'intertidal, alors que ceux de la plate-forme interne
sont faibles. Un niveau d'énergie faible peut être significatif d'un dépôt en eau profonde, sous la zone d'action des
vagues ou bien, au contraire, caractériser un dépôt en eau très peu profonde dans un domaine protégé par la
présence d'une barrière.

LE TALUS

L'étude détaillée des talus est loin d'être achevée. Outre les plongées profondes, ce domaine exige l'emploi de
méthodes sismiques lourdes.

Le talus possède une pente moyenne de 0,7 à 1,3 m par km et s'étage d'environ 130 m à environ 2000 m, c'est-à-
dire sous la zone photique et sous la zone d'action des vagues. Une sédimentation déclive complexe caractérise
donc les talus: mise en place de turbidites par glissements liés à la gravité, à des cisaillements mécaniques ou à
des contraintes tectoniques, séismes, etc. Ces épandages sont accompagnés de coulées de sédiments, slumps,
blocs, olistholithes,... Le talus est de ce fait essentiellement une zone de transit des sédiments. A la base des
talus, les dépôts du glacis continental sont étalés sous la forme d'éventails deltaïques profonds. Ce sont des
prismes détritiques bathyaux, coincés contre la base du talus et s'épandant vers les fonds océaniques moyens.
Leur superficie est parfois considérable, avec chenaux d'épandages, interfluves, ravinements intraformationnels
et slumps.

LE BASSIN

La température des eaux y est pratiquement constante et comprise entre -1° et 4°C. Au point de vue biologique,
on y observe une dominance des organismes pélagiques. Le benthos est réduit, sauf pour certaines communautés
spécialisées: certains types de crinoïdes, récifs profonds à Lophelia (ch. XI). On note l'absence totale d'algues,
naturellement.

Par rapport aux eaux baignant les plate-formes, en général bien oxygénées par l'agitation due aux vagues et la
production photosynthétique d'oxygène, les eaux plus profondes peuvent présenter des phénomènes de sous-

MRABTI Nabil 54 Ingénieur ENIT


oxygénation. Un élément important est la présence de la zone d'oxygène minimale (ZOM), résultant de la
consommation d'oxygène par la respiration des organismes et surtout par la décomposition de la matière
organique. Cette ZOM se développe dans l'océan actuel entre -500 et -1200 m environ. Les fonds baignés par des
eaux sous-oxygénées se caractérisent par des sédiments anoxiques (sombres et non bioturbés). Rappelons qu'au
contraire, la présence d'eaux arctiques ou antarctiques de fond, froides, denses et salées, contribue à
l'oxygénation des fonds océaniques.

En ce qui concerne l'équilibre des carbonates, le degré de saturation de la calcite est inversément proportionnel à
la profondeur, quel que soit le type d'océan concerné. L'augmentation de la pression et l'abaissement de la
température augmentent le taux de solubilité du CaCO3, d'où une tendance à la décalcification générale des
sédiments à partir d'une profondeur critique appelée "lysocline" (on note une très brusque diminution du CaCO3
vers -4000 à -5000 m). Dans les sédiments, la lysocline peut être définie par le passage d'un faciès à organismes
carbonatés bien préservés à un faciès à organismes partiellement dissous (Fig. VIII.5). Inversément, le contenu
en SiO2 et phosphates augmente progressivement avec la profondeur. Des concentrations en Fe et Mn, sous
l'influence de mécanismes bactériens, sont également possibles.

Il faut remarquer que la dissolution des tests carbonatés est sélective et dépend de paramètres comme la
minéralogie (par résistance croissante: aragonite-calcite Mg-calcite), la taille, la présence éventuelle d'enduits
organiques, la présence de courants de fond froids qui favorisent la dissolution. Cette particularité permet de
subdiviser la lysocline en plusieurs zones caractérisées par la nature des tests préservés (exemple: de bas en haut:
lysocline des coccolithes, lysocline des foraminifères).

En conséquence, les sédiments océaniques profonds ne peuvent être constitués de boues carbonatées qu'au-
dessus de la lysocline. Il s'agit alors essentiellement de débris d'organismes planctoniques: coccolithes,
foraminifères (globigérines), ptéropodes. Au-dessous ou à des latitudes non favorables, s'observent des boues à
radiolaires et diatomées (eupélagique) et des boues terrigènes (hémipélagique) auxquelles s'ajoutent des
turbidites (Fig. V.1). Il semble qu'un autre facteur important de la formation de carbonates profonds soit la
précipitation de ciments (calcite Mg et surtout calcite) dans des zones à sédimentation très ralentie.

Fig. VIII.5: profondeur de la CCD dans l'océan mondial et relation entre lysocline et CCD.

MRABTI Nabil 55 Ingénieur ENIT


IX. Description et interprétation des paléoenvironnements
carbonatés
CLASSIFICATION DES ROCHES CARBONATEES

Les roches carbonatées peuvent être classées en fonction de leur composition chimique ou minéralogique, de
propriétés physiques comme leur porosité ou encore en fonction de leur texture, matrice ou ciment et grains.
Actuellement, les classifications les plus utilisées font appel à des paramètres accessibles sur échantillon ou en
lame mince tels que proportion matrice-ciment-grains.

Un consensus semble s'être progressivement établi au sein de la communauté des sédimentologues quant à la
classification la plus commode: il s'agit de la classification proposée par Dunham (1962) et complétée par Embry
& Klovan (1972) et Tsien (1981). La classification de Folk (1959) possède également des adeptes.

Classification de Folk (Fig. IX.1)

On considère que les constituants majeurs des calcaires sont:

- les "allochems" (grains, corpuscules, éléments figurés):

• les intraclastes: sédiments remaniés;


• les pellets: grains ovoïdes de micrite de taille inframillimétrique;
• les oolithes;
• les fossiles, bioclastes et grains squelettiques;

- la matrice (micrite);

- le ciment (sparite).

Les appelations obtenues par combinaison d'un préfixe (intra-, pel-, oo-, bio-) et d'un suffixe (-micrite ou -
sparite) peuvent être complétées par l'adjonction du terme "rudite" pour les grains dont la taille est supérieure à 4
mm (exemple: "biosparrudite" décrit un calcaire à grands bioclastes ou fossiles cimentés par de la sparite).

MRABTI Nabil 56 Ingénieur ENIT


Fig. IX.1: classification des roches calcaires selon Folk (1959).

Classification de Dunham complétée par Embry & Klovan et Tsien (Fig. IX.2)

Cette classification est basée essentiellement sur la texture de la roche et sur le type de liaison entre les grains.
Les différents termes de la classification sont ensuite combinés avec les noms des types de grains les plus
abondants. On a:

- avec matrice micritique:

• mudstone: moins de 10% de grains;


• wackestone: plus de 10% de grains, mais texture non jointive ("mud-supported");
• packstone: texture jointive, c'est-à-dire empilement des grains en équilibre mécanique ("grain-
supported")

- avec ciment sparitique:

• grainstone: texture jointive;

- "boundstones", constructions récifales, c'est-à-dire roches dont les éléments étaient liés d'une manière ou d'une
autre dès le dépôt:

• bafflestone: organismes érigés piégeant le sédiment en suspension par ralentissement de l'écoulement


du fluide transporteur (exemple: bryozoaires);
• coverstone: organismes lamellaires ou tabulaires stabilisant le sédiment par leur simple présence
(exemple: tabulés lamellaires des monticules frasniens);
• bindstone: organismes stabilisant le substrat par encroûtement (exemple: algues corallines);
• framestone: organismes édifiant une charpente rigide (exemple: coraux constructeurs actuels);

MRABTI Nabil 57 Ingénieur ENIT


- contenant plus de 10% d'éléments > 2 mm:

• floatstone: texture non jointive;


• rudstone: texture jointive.

Fig. IX.2: classification des roches calcaires selon Dunham (1962) et Embry & Klovan (1972).

DESCRIPTION DES PALEOENVIRONNEMENTS CARBONATES: LA NOTION DE FACIES

A la base de cette notion coexistent à la fois un souci de simplification et de standardisation de la description


sédimentologique et une volonté de clarifier l'interprétation. Détaillons ces deux aspects.

- Il est évidemment possible, pour décrire une succession de types de sédiment, de reprendre à chaque banc,
niveau, etc. une caractérisation détaillée de ce que l'on observe. Si certains de ces types de sédiment sont
"raisonnablement" identiques, il est beaucoup moins fastidieux de définir une série de "sédiments-types" (faciès)
et de représenter leur succession en regard de la coupe.

- Dans l'esprit de la plupart des sédimentologues, on trouve l'espoir qu'à un type de sédiment corresponde un
environnement bien précis. Des exceptions à cette relation s'observent, bien entendu, mais si des types de

MRABTI Nabil 58 Ingénieur ENIT


sédiment analogues existent, ceux-ci, par des études plus approfondies, devraient voir leur individualité propre se
dessiner de plus en plus nettement.

La description synthétique envisagée ici est aussi une aide à l'interprétation des paléoenvironnements dans la
mesure où elle permet de détecter une organisation à grande échelle des types de sédiment dans un corps
sédimentaire. Cette organisation à grande échelle est souvent une des clés de l'interprétation. Précisons
maintenant ces fameux "types de sédiment".

Le lithofaciès: ce terme a été défini pour la première fois par Krumbein (1948, p. 1909) comme "the sum total of
the lithological characteristics of a sedimentary rock", incluant donc outre la lithologie, la nature, l'abondance
des organismes s'ils sont caractéristiques de la roche en question. Ce terme est descriptif et ne doit contenir
aucun élément interprétatif. Il est donc, pour prendre un exemple, injustifié de parler de "lithofaciès de mer
ouverte" pour ce qui devrait être appelé "lithofaciès des calcaires argileux gris beige à brachiopodes".

Le microfaciès: c'est la correspondance microscopique du lithofaciès. Flügel (1982, p. 1) en propose la définition


suivante: "Microfacies is the total of all the paleontological and sedimentological criteria which can be classified
in thin-sections, peels, and polished slabs". Il va sans dire que cette notion est elle aussi purement descriptive.

L'utilisation conjointe des notions de lithofaciès et de microfaciès permet de respecter le principe de la gradation
des échelles d'observation (on ne passe pas directement de la photo satellite au microscope à balayage...).
L'expérience montre qu'en général, à chaque lithofaciès correspondent un ou plusieurs microfaciès. A chaque
microfaciès ne correspond qu'un lithofaciès.

L'assemblage fossile: c'est la somme des constituants biotiques d'un sédiment. Cette notion à coloration plus
directement écologique est donc incluse dans la notion de faciès. Un micro- ou lithofaciès est caractérisé à la fois
par la nature, la texture,... du sédiment et par un assemblage fossile.

LES MICROFACIES STANDARDS

Afin d'une part d'arriver à une plus grande objectivité et homogénéité dans la description sédimentologique et
d'autre part de faciliter l'interprétation des paléoenvironnements, un certain nombre d'auteurs ont proposé une
série de "microfaciès standards", localisés dans un modèle général de plate-forme carbonatée.

Le plus connu et le plus utilisé de ces modèles est celui de Wilson (1975), basé sur 24 "standard microfacies
types" ("SMF"), intégrés dans un système de neuf ceintures de faciès ("standard facies belts", "SFB")
correspondant à des grands environnements de dépôt: "basin (SFB1)-open sea shelf (SFB2)-deep shelf margin
(SFB3)-foreslope (SFB4)-organic buildup (SFB5)-winnowed edge platform sands (SFB6)-shelf lagoon, open
circulation (SFB7)-shelf and tidal flats, restricted circulation (SFB8)-sabkhas with evaporites salinas (SFB9)".
Voici ces microfaciès, avec successivement leur abréviation, leur nom et éventuellement une brève description et
enfin, la ceinture de faciès où ils peuvent être observés (Fig. IX.3).

• SMF1: spiculite: mudstones ou wackestones argileux sombres, riches en matière organique et/ou
spicules d'éponges. SFB1, bassin.
• SMF2: packstones microbioclastiques: grainstones et packstones à très petits bioclastes et péloïdes.
SFB1, SFB2, SFB3.
• SMF3: mudstones et wackestones à organismes pélagiques (exemple: globigérines, certains
lamellibranches, etc.). SFB1, SFB3.
• SMF4: microbrèche ou packstones à lithoclastes et bioclastes: mono- ou polymictique; peut inclure
également du quartz ou chert. SFB3, SFB4, avant-talus.
• SMF5: grainstones/packstones ou floatstones à éléments récifaux; géopètes et structures d'ombrelle dûs
à l'infiltration de sédiments fins. SFB4, flanc récifal.
• SMF6: rudstones à éléments récifaux; gros fragments de constructeurs, peu de matrice. SFB4, talus
d'avant-récif.
• SMF7: boundstone: organismes constructeurs en position de vie. SFB5, récif, environnement de haute
énergie.
• SMF8: wackestones et floatstones avec fossiles bien conservés, quelques bioclastes. SFB2, SFB7, plate-
forme ou lagon ouvert, sous la zone d'action des vagues.

MRABTI Nabil 59 Ingénieur ENIT


• SMF9: wackestones bioclastiques bioturbés; les bioclastes peuvent être micritisés. SFB2, SFB7, plate-
forme ouverte peu profonde, près de la zone d'action des vagues.
• SMF10: packstones/wackestones avec bioclastes dégradés et encroûtés. SFB2, SFB7, grains provenant
d'environnements à forte agitation, déposés en milieu calme.
• SMF11: grainstones à bioclastes encroûtés. SFB5, SFB6, corps sableux dans la zone d'action des
vagues, éventuellement en bordure de plate-forme.
• SMF12: grainstones/packstones/rudstones bioclastiques, avec prédominance de certains types
d'organismes (crinoïdes, bivalves, dasycladales,...). SFB5, SFB6, bordure de plate-forme.
• SMF13: grainstones à oncoïdes et bioclastes. SFB6, agitation assez importante, profondeur très faible.
• SMF14: "lags": grains dégradés et encroûtés, localement mélangés à des oolithes et des péloïdes, voire
des lithoclastes; phosphates, oxydes de fer. SFB6, accumulation lente de matériaux grossiers dans des
zones agitées.
• SMF15: grainstones à oolithes, à stratification entrecroisée. SFB 6, bancs, dunes, cordons oolithiques en
milieu agité.
• SMF16: grainstones à péloïdes, souvent mélangés à quelques bioclastes (ostracodes, foraminifères,...).
SFB7, SFB8, environnement très peu profond à circulation modérée.
• SMF17: "grapestone": grainstones à grains agrégés (lumps, bahamite), quelques péloïdes, et grains
encroûtés. SFB7, SFB8, plate-forme à circulation restreinte, "tidal flats".
• SMF18: grainstones à foraminifères ou dasycladales. SFB7, SFB8, cordons littoraux, chenaux
lagonaires.
• SMF19: loferite: mudstones/wackestones laminaires à péloïdes et fenestrae, passant à des grainstones à
péloïdes; ostracodes, quelques foraminifères, gastéropodes et algues. SFB8, mares et lagons à
circulation restreinte.
• SMF20 & 21: mudstones à stromatolithes. SFB8, SFB9, mares intertidales.
• SMF22: wackestones/floatstones à oncoïdes. SFB8, environnement calme, souvent en arrière-récif.
• SMF23: mudstones homogènes, non fossilifères; évaporites possibles. SFB8, SFB9, mares hypersalines.
• SMF24: rudstones/floatstones à lithoclastes de micrite non fossilifère. SFB8, "lag deposit" de fond de
chenaux tidaux.

L'utilisation des microfaciès standards peut aider lors d'une première approche et possède le mérite certain de
structurer les observations. Dans un deuxième temps, l'affinement des observations doit permettre de mieux
préciser les environnements de dépôt et de modifier en conséquence le modèle standard.

MRABTI Nabil 60 Ingénieur ENIT


Fig. IX.3: microfaciès standards de Wilson (1975).

INTERPRETATION DES PALEOENVIRONNEMENTS CARBONATES: UNE BREVE ANALYSE DES


METHODES UTILISEES

L'interprétation d'un faciès en terme de paléoenvironnement est basée bien entendu sur une comparaison avec la
nature actuelle. Si la continuité des processus sédimentaires peut être garantie en première approximation pour
des échelles de temps relativement grandes en ce qui concerne les processus physiques de la sédimentation
(viscosité et température des fluides, pression, teneur en oxygène,...), ce n'est évidemment pas le cas dès
qu'intervient la vie, en constante évolution. L'application de l'actualisme doit alors être tempérée suivant
l'ancienneté des environnements étudiés.

- L'actualisme appliqué aux organismes: cette méthode d'actualisme strict n'est applicable que pour des
environnements très récents, où les espèces sont identiques. Au-delà du Miocène, la proportion d'organismes
possédant des équivalents actuels tend vers zéro au niveau de l'espèce, puis du genre et enfin de la famille.
L'étude de l'Actuel nous montre que des espèces différentes d'un même genre peuvent occuper des niches
écologiques très différentes.

MRABTI Nabil 61 Ingénieur ENIT


- L'analyse morpho-fonctionnelle: il s'agit de déduire des implications écologiques de la morphologie et des
diverses adaptations d'un organisme. Cette méthode est à appliquer avec précaution. Exemple: les épines: il peut
s'agir d'un moyen de défense contre des agresseurs, mais aussi d'un instrument de fixation au substrat; voir
également les nombreux essais d'interprétation en terme de bathymétrie de la morphologie des organismes
constructeurs (lamellaires, branchus, etc.);

- L'actualisme appliqué aux processus physico-chimiques: revenons-y pour souligner que pour de grandes
échelles de temps, des modifications générales de ces paramètres sont possibles: exemples: la teneur plus élevée
en CO2 de l'air au Carbonifère est peut-être à l'origine de la taille plus importante des libellules (densité de l'air
plus élevée); autre exemple: les "Red Banded Ironstones" du Précambrien impliquent une atmosphère différente
de notre atmosphère actuelle. D'une manière générale, cependant, cette démarche est extrêmement fructueuse
pour l'interprétation des innombrables structures sédimentaires d'origine physique (types de stratification,
granoclassements,...);

- L'actualisme appliqué à la structure des populations: cette méthode est centrée sur le fait que dans toute
population, même si les organismes ont évolué au cours du temps, des analogies de fonctionnement demeurent:
il faut alors identifier la fonction, la "niche écologique" (herbivore, suspensivore, mucophages, détritivores, etc.)
de chaque membre de l'assemblage fossile et interpréter le paléoenvironnement en comparant avec des
peuplements actuels de même type (exemple: peuplement saumâtre, récifal, etc.). Pour citer un exemple, une
communauté à éponges, bryozoaires et brachiopodes sera systématiquement localisée en milieu plus profond
qu'une communauté à algues et coelentérés constructeurs et ce, aussi bien au Silurien (récifs de l'Arctique
canadien, Narbonne & Dixon, 1984 p. 47) qu'au Frasnien (Canning Basin, Australie, Playford, 1981, p. 13) ou
qu'à l'époque actuelle (Golfe d'Aqaba, Hottinger, 1984).

Le principal écueil de cette méthode réside dans la dégradation au cours du temps de l'information disponible.
Cette dégradation se produit en plusieurs étapes; détaillons-les:

• entre sa mort et son enfouissement, l'organisme peut se décomposer (disparition des organismes "à
corps mou"); exemple: Nereis: ces peuplements peuvent représenter jusqu'à 90% de la biomasse d'une
communauté. Ces organismes sans test disparaissent cependant totalement lors de la fossilisation. Seule
la découverte de leurs terriers peut témoigner de leur présence. Autre exemple: les éponges dont la
présence peut n'être révélée que par les stromatactis (voir plus loin);
• de même, les tests résistants peuvent se désarticuler par disparition des tissus qui maintenaient leur
cohésion (crinoïdes,...) ou être désagrégés par abrasion mécanique ou chimique (usure, transport,
ingestion, oxydation, dissolution,...); exemple: il est souvent difficile d'identifier avec certitude la
provenance d'un sable corallien: madréporaires ou mollusques?
• après l'enfouissement, le test peut être fortement dégradé par la compaction et la diagenèse:
remplacement (pyritisation, silification, dolomitisation, inversion des carbonates) ou dissolution;
• lors de l'inventaire des fossiles, plusieurs biais peuvent être introduits: on ne récolte souvent que les
"beaux" specimens; dans les séries dures, les fossiles sont plus difficiles à récolter que dans les roches
tendres; le recensement des organismes dépend aussi de la spécialisation du géologue, de sa minutie et
de son expérience...

Le résultat de tout ce qui précède constitue un assemblage fossile qui n'est en fait, sauf cas exceptionnel, qu'une
fraction dérisoire de la communauté originale: mais c'est notamment sur ce témoignage que seront construits les
modèles interprétatifs. De toute manière, pour bien appréhender un peuplement, il faut garder à l'esprit que la
plupart sont organisés de la façon suivante:

MRABTI Nabil 62 Ingénieur ENIT


Fig. IX.4: pyramide écologique.

Avec un rapport de 10 entre chaque niveau de la pyramide alimentaire. Les fossiles appartiennent la plupart du
temps au groupe des consommateurs primaires (2) ou secondaires (3). La découverte d'un fossile du groupe (3)
implique donc que le peuplement original comptait une dizaine de (2) et une centaine de (3)!

Autres pièges à éviter dans l'interprétation d'un assemblage:

• les mélanges de populations: exemple du Zuiderzee: après la construction du barrage, la faune


benthique a évolué d'un peuplement de milieu salé à un peuplement d'eau douce; les récoltes actuelles
de coquilles font cependant penser à un peuplement mixte. Ceci est tout simplement la conséquence
d'un taux de sédimentation plus faible que le taux d'accumulation des coquilles. Le même résultat peut
être provoqué par une intense bioturbation qui mélange les fossiles issus de deux couches distinctes à
l'origine (Fig. IX.5) ou encore par le dépôt en un même milieu d'organismes provenant de communautés
différentes;
• le problème plus général de l'inégale connaissance du milieu actuel: on connaît particulièrement bien les
littoraux... et les grands fonds; en ce qui concerne les bioconstructions, ce sont les récifs algocoralliens
tropicaux qui ont été surtout étudiés...;
• le problème encore plus général de la représentativité du milieu actuel (on touche là aux limites de
l'actualisme): l'Holocène est une période de crise, liée à la montée eustatique post-glaciaire. Beaucoup
des peuplements que nous examinons sont des peuplements jeunes, qui n'ont pas forcément atteint leur
maturité, au contraire d'exemples anciens correspondant à des périodes de stabilité eustatique et/ou
climatique.

MRABTI Nabil 63 Ingénieur ENIT


Figure IX.5: mélanges de peuplements et interprétation des paléoenvironnements. Une fausse interprétation de
peuplement mixte peut être le résultat de la succession de deux populations dans une zone à sédimentation
ralentie, de la bioturbation ou encore d'un transport.

En conclusion, il faut être persuadé que l'interprétation d'un faciès en terme de paléoenvironnement ne peut être
basée que sur un faisceau d'évidences, issues de l'analyse morpho-fonctionnelle, d'analogies avec des
peuplements actuels, de l'interprétation des structures sédimentaires, etc. Toutes ces évidences doivent faire
l'objet d'un examen approfondi. Un argument négatif ne peut être écarté qu'après discussion. L'utilisation de
modèles doit toujours être réfléchie: quels sont dans le modèle choisi, les éléments transposables tels quels, les
analogies possibles, les dissemblances et pourquoi... Enfin, toute interprétation d'un faciès en terme de
paléoenvironnement devra finalement tenir compte de l'interprétation que l'on aura donnée aux faciès qui lui sont
géométriquement liés au sein de l'édifice sédimentaire et stratigraphiquement contemporains au sein du bassin de
sédimentation...

Dans la suite du cours, nous allons examiner différents types de bioconstructions, échelonnées du littoral aux
bassins océaniques. Nous verrons que leur localisation, leur composition, leur morphologie dépendent d'un
paramètre fondamental: leur source d'énergie.

X. Tapis algaires, stromatolithes & Co


TAPIS ALGAIRES ET STROMATOLITHES ACTUELS

INTRODUCTION

Avec les études de Logan, Playford, Purser et autres, c'est un peu les bases de la sédimentologie des carbonates
actuels qui ont été jetées. Ces études étaient surtout consacrées à ce qui était accessible -relativement-

MRABTI Nabil 64 Ingénieur ENIT


facilement: les zones inter- et supratidales des plates-formes carbonatées. Un vif intérêt s'est rapidement fait
sentir pour les sédiments algaires et cyanobactériens qui représentent sans aucun doute un marqueur
bathymétrique (proximité de la ligne de rivage) et comme on le verra plus loin, climatique. L'application de cet
outil dans l'Ancien n'en est plus à ses débuts.

Le caractère commun et fondamental des communautés algaires et cyanobactériennes est leur autotrophie: leur
source d'énergie est le soleil.

CLASSIFICATION ET DESCRIPTION DES CALCAIRES ALGAIRES

D'une manière générale, on peut classer l'ensemble des dépôts formés par des algues en trois grandes catégories:
les accumulations d'algues squelettiques, les tufs algaires et les carbonates cryptalgaires, c'est-à-dire les
sédiments carbonatés où la minéralisation est essentiellement d'origine allochimique (piégeage de grains
carbonatés, dégradation de la matière organique,...) et où les algues et les cyanobactéries jouent un rôle de
piégeage de matériau.

Au sein des carbonates cryptalgaires (aussi dits "microbiens"), on distingue aisément des sédiments laminaires et
des sédiments non laminaires.

- On range dans les sédiments cryptalgaires non laminaires essentiellement les thrombolites, définis par Aitken
(1967, p 1164) comme des "...cryptalgal structures lacking lamination and characterized by a macroscopic
clotted fabric". Les thrombolites sont essentiellement restreints aux milieux subtidaux et intertidaux inférieurs;
ils sont caractérisés par une croissance algaire rapide par rapport à la sédimentation bioclastique, et par l'absence
de phénomènes périodiques du type exposition-immersion (d'où l'absence de lamination).

A: Edifices thrombolitiques bordant un chenal (Formation de Romaine, Ordovicien, Mingan); B: détail (coupe).

- les sédiments cryptalgaires laminaires (aussi appelés spongiostromates) comprennent les stromatolithes s.l. et
les oncolithes.

Les stromatolithes s.l.

On classe dans les stromatolithes s.l. les formes possédant un relief (stromatolithes au sens de Logan et al, 1964
p 69): "stromatolites are laminated structures composed of particulate sand, silt, and clay-size sediment, which
have been formed by the trapping and binding of detrital sediment particles by an algal film (...) stromatolites
may be columnar, clubshaped, undulose or spheroïdal in form") et les formes planes appelées par divers auteurs
"laminites cryptalgaires" ou "laminites".

La classification et l'étude des stromatolithes a longtemps souffert du dualisme existant entre la tendance
"paléontologique" de l'école russe, et la tendance "écologique" de l'école anglo-saxonne. Nous utilisons ici, bien
évidemment, une classification de type morphoécologique, qui est particulièrement bien adaptée à l'étude des
paléoenvironnements. Cette classification est celle de Logan et al. (1964), complétée par Aitken (1967) et

MRABTI Nabil 65 Ingénieur ENIT


Kendall & Skipwith (1968) de façon à y intégrer les laminites cryptalgaires et les tapis algaires à polygones de
dessiccation. Cette classification comprend donc brièvement les types illustrés à la Fig. X.1.

Toutes ces formes peuvent évoluer de l'une à l'autre suivant l'évolution des conditions du milieu. Ces
morphologies existent à différentes échelles (aspect fractal) et s'imbriquent pour donner des stromatolithes
complexes.

Les oncolithes

Les oncolithes sont des formes libres, détachées du substrat, généralement de forme subsphérique, limitées à la
zone subtidale.

Oncolithes dans la Formation de La Vieille, Silurien, Québec.

Figure X.1: types de stromatolithes (d'après Logan et al., 1964, modifié).

MRABTI Nabil 66 Ingénieur ENIT


Stromatolithes LLH-S, Barrémien, Bale, Croatie.

QUELQUES CARACTERISTIQUES DES STROMATOLITHES

Biologie

Les tapis algaires à l'origine des stromatolithes peuvent être considérés comme des communautés complexes
composées de bactéries autotrophes, d'algues eucaryotes, de bactéries hétérotrophes et d'algues bleu-vert ou
cyanobactéries, ces dernières étant les organismes de loin les plus abondants.

Les cyanobactéries sont des procaryotes; sans entrer dans les détails, précisons qu'elles sont classées en deux
grands groupes: les unicellulaires ou coccoïdes, qui se reproduisent par spores, et les pluricellulaires ou
filamenteuses, qui se reproduisent par fragmentation des filaments ou trichomes.

Une des caractéristiques importantes des cyanobactéries est leur faculté de secréter du mucilage, ce qui
augmente leur résistance à la dessiccation, et leur mobilité en cas d'ensablement par le sédiment.

La capacité des cyanobactéries à résister à certaines contraintes du milieu leur a permis d'occuper des niches
écologiques inaccessibles à d'autres formes de vie (tableau X.1). La compétition avec les métaphytes et les
métazoaires les ayant par ailleurs éliminées d'environnements plus favorables au cours du Phanérozoique.

Facteur du algues
cyanobactéries bactéries hétérotrophes
milieu eucaryotes
température
70-73°C >99°C 56°C
max.
température
gel gel gel
min
pH
>10,5 (?) >10,5 (?) >10,5 (?)
maximum
pH minimum 4-5 <1 <1
salinité
>250%o >250%o >250%o
maximale
intensité 2000 lux

MRABTI Nabil 67 Ingénieur ENIT


lumineuse
minimale
croissance
oui oui non (?)
anaérobie
Tableau X.1: tolérance de quelques types de microorganismes aux facteurs de l'environnement. D'après Brock,
1976, modifié.

Le fort échauffement provoqué par l'ensoleillement paraît être le principal facteur responsable de l'élimination
des algues eucaryotes des plaines maritimes tropicales, bien plus que la salinité. Des différences du même ordre
dans les tolérances aux facteurs du milieu (ensoleillement, mais aussi pH, Eh, teneur en CO2 O2...) expliquent la
stratification biologique constatée dans la plupart des tapis algaires actuels, les cyanobactéries occupant en
général la zone la plus superficielle et les bactéries hétérotrophes, la zone la plus éloignée de la surface.

Origine de la lamination

La lamination, qui peut être répétitive, alternante ou cyclique, enregistre un phénomène périodique qui affecte la
population algaire et/ou les facteurs de l'environnement (Fig. X.2).

Parmi les divers phénomènes pouvant être à l'origine de la lamination; les principaux sont:

• une différence de croissance algaire au cours d'un cycle jour-nuit;


• un changement périodique de 1'algue dominant la population lié à une variation périodique des facteurs
du milieu (humidité, salinité...);
• une calcification périodique de la partie superficielle du tapis;
• un afflux périodique de matériel détritique;
• une diagenèse différentielle (dolomitisation des niveaux algaires liée à la concentration du Mg dans le
mucilage par exemple);
• un alignement de corpuscules;
• un alignement de "birdseyes";
• une stratification biologique au sein du tapis liée à des tolérances différentes aux facteurs du milieu
(particulièrement l'insolation).

Figure X.2: types de laminations et exemple de stratification biologique au sein d'un tapis algaire actuel

Ecologie

Les tapis algaires actuels colonisent la zone intertidale des plateformes carbonatées, avec une extension possible
vers les zones supratidale et subtidale (Purser, 1980). Leur répartition et leur étendue dépendent de facteurs
climatiques, biologiques et mécaniques:

MRABTI Nabil 68 Ingénieur ENIT


• l'action des broûteurs et des fouisseurs qui, présents en zone intertidale ou/et subtidale, y détruisent les
tapis algaires;
• la possibilité de cimentation précoce qui, en consolidant le stromatolithe, limite l'action des organismes
fouisseurs et broûteurs et permet donc l'extension en zone subtidale;
• l'hypersalinité, qui élimine ou restreint la faune marine, permettant ainsi aux tapis de s'étendre vers la
zone subtidale. L'hypersalinité a également pour effet d'éliminer les tapis algaires de la zone supratidale
(cristallisation d'évaporites au sein des tapis avec destruction des tissus);
• l'action destructrice des vagues et des courants qui limite l'extension des tapis vers la mer et de même,
la déflation éolienne s'exerçant sur les tapis séchés et craquelés qui limite leur extension vers le
continent;
• l'humidité du climat (les précipitations) qui favorise l'extension des tapis algaires en zone supratidale.

Ces facteurs, sauf l'action érosive des vagues, des courants et du vent, sont interliés et dépendent in fine du
climat, et particulièrement de son aridité.

Notre connaissance des tapis algaires actuels s'appuie sur des études menées dans un certain nombre de régions à
sédimentation carbonatée dominante. Parmi ces régions, citons entre autre:

• l'île d'Andros (Fig. X.3);


• la Floride;
• diverses régions du Golfe Persique, (Fig. X.4);
• le golfe de Spencer (sud de l'Australie);
• la Baie des Requins (ouest de l'Australie);
• la lagune de Boca Jewfish, sur l'île de Bonaire (Antilles néerlandaises);
• la lagune Mormona, en péninsule de Californie.

MRABTI Nabil 69 Ingénieur ENIT


Figure X.3: A: l'île d'Andros et le banc des Bahamas, avec la localisation de la Fig. B. B: détail de la zone de
"Three Creeks" montrant la répartition des environnements. C: coupe schématique E-W dans la zone de "Three
Creeks".

MRABTI Nabil 70 Ingénieur ENIT


Figure X.4A: carte schématique de la répartition des principaux types de sédiments dans le Golfe Persique.
D'après Purser (1983), modifié. B: détail montrant la distribution des sédiments sur la côte d'Abu Dhabi.
D'après Purser (1984), modifié.

De ces travaux, on peut retenir très brièvement les points essentiels suivants:

MRABTI Nabil 71 Ingénieur ENIT


• l'aridité du climat et le confinement (isolement par rapport à la mer ouverte) conditionnent la salinité du
milieu; la salinité du milieu, par le contrôle qu'elle exerce sur la faune, conditionne l'extension des tapis
algaires (notons que même sous un climat semi-aride, une bonne circulation de l'eau marine peut avoir
comme effet le maintien d'une salinité normale: 35 o/oo dans la lagune de Boca Jewfish). Prenons deux
cas extrêmes:
• dans un environnement hypersalin, les tapis s'étendront de la partie supérieure de la zone intertidale à
la zone subtidale (cas de la Baie des Requins);
• dans un environnement à salinité à peu près normale, les tapis s'étendront de la zone supratidale à la
partie supérieure de la zone intertidale (cas du NW de l'île d'Andros, Fig. X.3);
• l'action des vagues et des courants conditionne d'une part l'extension des tapis vers la zone subtidale
(action érosive) et, d'autre part, la morphologie externe des stromatolithes; on constate en effet que:
o dans un environnement calme, les tapis algaires ont une morphologie d'ensemble
généralement plane (type "P"); c'est le cas de Gladstone Bay, zone protégée de la Baie des
Requins;
o dans un environnement agité, se développent des rides et des dômes stromatolithiques à fort
relief (types "SH"); c'est le cas de certaines zones exposées de Hamelin Pool, Baie des
Requins.

L'explication la plus plausible de cette différence morphologique est que l'action des vagues et des courants ainsi
que l'accumulation de sédiments détruit localement le tapis, limitant la croissance algaire à des zones légèrement
surélevées, à l'abri relatif des apports sédimentaires. Au fil du temps, le relief tend à s'exagérer, et a former une
ride ou une colonne stromatolithique. Il est intéressant de remarquer que la genèse de stromatolithes à relief n'est
possible qu'en environnement hypersalin: pour que les tapis algaires puissent enregistrer par leur morphologie
l'action des vagues et des courants, qui n'est sensible que dans les zones intertidale et subtidale, il faut
évidemment que ces zones leur soient accessibles, et pour cela, que la salinité élevée inhibe le développement
d'une faune de broûteurs. Il faut également qu'une cimentation précoce consolide ces structures érigées;

- la composition taxonomique des tapis algaires a une influence sur leur morphologie et leur distribution sur le
littoral; on constate (heureusement!) que cette composition est très constante dans les exemples étudiés (on
rencontre essentiellement des tapis à Schizothrix, Lyngbya, Microcoleus et Scytonema);

- la lamination résulte le plus souvent de l'alternance tissus algaire/sable ou silt bioclastique;

- le matériel sableux déposé, généralement en lentilles, sur les tapis algaires provient de la zone subtidale:
"...subtidal zone is vital to the tidal flat system, because it is the source of sediment needed for accretionary
growth..." (Shinn, 1983 p. 190). Le transport de ce matériel ne s'effectue en général qu'à l'occasion de tempêtes
ou de grandes marées;

- la nature et la composition du matériel silteux dépendent de la faune et de la flore présentes en zone subtidale,
qui approvisionnent le "stock" de bioclastes. Cette faune et flore est directement liée à la salinité des eaux, elle-
même dépendante du climat et du confinement. On constate en effet que:

• le matériel silteux composant les lamines "détritiques" des tapis algaires d'Andros comprend des débris
d'algues vertes (dasycladacées surtout), des débris de mollusques, des foraminifères;
• le matériel silteux composant les lamines détritiques des tapis algaires du Golfe Persique et de la Baie
des Requins ne comprend que des foraminifères et des débris de coquilles.

Le tableau X.2 reprend, pour les cas particuliers de la Baie des Requins, de l'Ile d'Andros et du Golfe Persique
certaines des caractéristiques énumérées ci-dessus.

morphologie répartition climat microflore fines


pell., débris
Golfe surtout aride,
surtout P réduite,cyanobactéries moll.,
Persique intertid. évaporites
foram.
Baie des P, LLH, SH intertid.- aride, réduite,
idem
Requins selon subtid. évaporites cyanobactéries

MRABTI Nabil 72 Ingénieur ENIT


agitation
intertid.
semi-aride, diversifiée, surtout
sup.
Andros surtout P pluviosité cyanobactéries,algues pell.+débris
surtout
saisonnière vertes (dasycladales) algaires
supratid.
Tableau X.2: caractérisation sommaire des stromatolithes de l'île d'Andros, de la Baie des Requins et du Golfe
Persique.

Reste un problème essentiel: des conclusions et des lois basées sur des observations de l'Actuel sont-elles
transposables au passé? Dans le cas particulier des stromatolithes, les modèles actuels sont-ils transposables
jusqu'au Paléozoïque ?

En fait, on peut dire que les facteurs restreignant l'extension des tapis algaires au littoral des plates-formes
carbonatées existaient dès le début du Paléozoïque (ce sont essentiellement les animaux broûteurs et fouisseurs:
ils sont à l'origine de "l'exil des stromatolithes"). De même, le degré de saturation des océans en CaCO3 n'a plus
varié dans de grandes proportions depuis la fin du Protérozoïque, n'autorisant plus la précipitation extracellulaire
qu'en environnement hypersalin. On peut donc considérer que les stromatolithes érigés du type SH, qui
nécessitent pour leur édification une lithification précoce, n'ont pu prospérer qu'en milieu hypersalin depuis
l'aube du Phanérozoïque (ce qui n'a pas été nécessairement le cas durant le Précambrien). Il faut également
souligner l'extrême lenteur évolutive des cyanobactéries au cours du Phanérozoïque.

XI. Les récifs


GENERALITES - TERMINOLOGIE

Les récifs ont toujours suscité un intérêt remarquable et une confusion terminologique tout
aussi exceptionnelle. La littérature est encombrée de définitions variées des termes "récifs",
"complexe récifal", "mud mound", etc.

Fig. XI.1: "récifs": concepts élémentaires. D'après James & Macintyre (1985), modifié.

MRABTI Nabil 73 Ingénieur ENIT


Dans un souci d'efficacité, je propose d'utiliser en première approche la classification suivante:

Choisissons d'abord le terme "bioconstruction" comme terme général regroupant toutes les structures
construites d'origine organique. Elles se distinguent des "bioaccumulations" où des facteurs physiques sont
responsables du dépôt (lumachelles, etc.). On peut ensuite, au sein des bioconstructions, faire la part des:

Récifs : toute bioconstruction, normalement d'eau peu profonde, dont les constituants édifient une charpente
rigide (susceptible de résister à l'action des vagues ou des courants). Exemple: les récifs tropicaux actuels.

Monticules récifaux: toute bioconstruction, de forme grossièrement lenticulaire, sans charpente rigide. Ces
monticules récifaux peuvent être subdivisés en monticules cryptalgaires ou microbiens ("microbial mounds"),
monticules micritiques ("mud mounds") et monticules squelettiques ("skeletal mounds"). On ne range pas
dans les monticules les accumulations hydrodynamiques de boue, même si cette boue est piégée/stabilisée par
des algues ou autres organismes. Réservons donc le terme de monticule aux accumulations de boue
(accompagnée éventuellement d'autres constituants) produite en grande partie in-situ. Passons en revue ces
différents types de monticules (Fig. XI.2A).

• Les monticules cryptalgaires ou microbiens comprennent deux termes: les monticules à stromatolithes
(tapis de cyanobactéries laminaires) et les monticules à thrombolithes (cyanobactéries à structure
péloïdique ou grumeleuse, ou encore riche en fenestrae). Toutes les formes de transition sont
évidemment possibles. Exemple: le "cœur" gris des monticules du Membre du Petit-Mont.
• Les monticules micritiques sont constitués principalement de micrite (à l'origine, boue, gel?) (exemple:
certains faciès des monticules waulsortiens). Parfois, ces monticules sont constitués de boue et
d'éponges (exemple: partie inférieure à stromatactis des monticules du Membre du Petit-Mont). Comme
les éponges sont des organismes à corps mou, elles ne sont en général mises en évidence que par les
cavités qu'elles laissent après leur disparition (et les réseaux spiculaires).
• Les monticules squelettiques comprennent une fraction non négligeable d'organismes à tests calcaires
(coraux, crinoïdes, bryozoaires, algues,…) qui ne forment cependant pas de charpente rigide. Exemple:
la plus grande part des monticules du Membre du Lion.

Il faut noter qu'à ces types simples de monticules s'ajoutent toute une variété de formes intermédiaires: la plupart
des monticules micritiques comprennent aussi des éléments squelettiques. De plus, des transitions évolutives
sont fréquentes: beaucoup de monticules micritiques évoluent au cours de leur développement vers des
monticules squelettiques et même vers des monticules microbiens (cas des monticules du Membre du Petit-
Mont), voire des récifs.

Exemples de faciès issus des édifices du Membre de Petit-Mont dans la région de Philippeville. A: calcaire
rouge à stromatactis (monticule micritique); B: calcaire rouge à coraux, crinoïdes, brachiopodes (monticule
squelettique); C: calcaire gris à coraux, stromatopores et cyanobactéries (monticule cryptalgaire).

Devant la relative difficulté d'utilisation de cette classification sur le terrain, on emploie souvent en première
approximation des termes comme "bioherme" et "biostrome". Ce mots sont descriptifs et ne possèdent aucune
connotation génétique.

Le mot "bioherme" désigne un corps lenticulaire, bioconstruit, souvent encaissé de sédiments de nature
différente. Ce terme s'oppose à "biostrome" qui désigne un corps bioconstruit stratifié, non lenticulaire. Les

MRABTI Nabil 74 Ingénieur ENIT


biostromes se différencient des bioaccumulations ou lumachelles par le caractère constructeur des organismes
présents et leur faible transport. Un remaniement périodique par des tempêtes peut faire alterner des épisodes où
beaucoup d'organismes sont en position de vie et des épisodes de démantèlement.

STABILISATION-MINERALISATION

L'établissement et la croissance d'une bioconstruction nécessitent une production de carbonate in-situ et une
certaine stabilisation du substrat, sans même parler de la construction d'une charpente résistante à l'action des
vagues. Trois grands processus de production de boue et/ou de ciment carbonaté ont été recensés dans la nature:
la cimentation, la biominéralisation et l'organominéralisation (Fig. XI.2B). La cimentation est le processus
"classique" de précipitation physico-chimique de carbonate, sans qu'interviennent des processus organiques
(hormis certains effets indirects comme l'extraction de CO2 par photosynthèse, par exemple); la
biominéralisation correspond à une précipitation sous le contrôle de processus vitaux, à l'intérieur ou à l'extérieur
de cellules vivantes (exemple: la formation d'un test carbonaté); enfin, l'organominéralisation est la précipitation
de carbonate à l'intervention de molécules issues de la dégradation de la matière organique. Dans ce dernier cas,
la vie n'intervient que comme productrice de matière organique. Ici encore, les différents processus peuvent agir
dans une même bioconstruction, souvent avec une certain décalage dans le temps. La biominéralisation est active
dans la pellicule vivante, superficielle du monticule, alors que l'organominéralisation se produit au sein du
sédiment. Au cours de l'évolution d'une bioconstruction, l'importance relative des différents processus de
production carbonatée peut varier (Fig. XI.2B). On constate par exemple que les processus
d'organominéralisation dominent dans les monticules micritiques alors que la biominéralisation et la cimentation
sont la règle dans les récifs.

Fig. XI.2: A: types de bioconstructions; B: les différents processus de production/cimentation carbonatée. La


flèche rouge correspond à un changement dans l'importance relative des processus de production carbonatée au
cours de l'évolution d'un monticule micritique vers un récif.

EVOLUTION AUTOGENIQUE-EVOLUTION ALLOGENIQUE

La plupart des récifs, biohermes, monticules ne sont pas homogènes au point de vue faciès: ils présentent une
évolution, souvent à prédominance verticale: on y observe une succession ou un renouvellement des
communautés dominantes. Deux modèles coexistent dans la littérature pour expliquer l'évolution des
communautés écologiques: il s'agit du modèle "autogénique" de Walker & Alberstadt (1975) auquel on oppose
en général un modèle "allogénique" inspiré des travaux de Lecompte (1959 notamment).

Très brièvement, on peut dire que Lecompte considère la succession observée dans les biohermes (et en
particulier dans les biohermes du Frasnien belge, voir ci-dessous) comme une adaptation des communautés à une

MRABTI Nabil 75 Ingénieur ENIT


diminution de la profondeur, marquée principalement par une diminution de la turbidité et une augmentation de
la turbulence.

A ce modèle de succession écologique déterminé entièrement par des variations du milieu, extrinsèques à la
communauté biohermale, répond le modèle autogénique où intervient une notion de structuration écologique,
basée sur le développement de modes de plus en plus complexes de circulation de l'énergie et d'utilisation de
l'espace. Walker & Alberstadt (1975) distinguent trois types d'espèces sur base de leur "stratégie vitale": il s'agit
des espèces caractéristiques qui sont typiques d'une certaine communauté bien déterminée (il s'agit souvent de
"stratèges K", suivant Hottinger, 1984); des espèces intergraduelles qui peuvent apparaître dans une communauté
de manière accessoire mais sont typiques d'une communauté adjacente et des espèces ubiquistes qui se
retrouvent dans plusieurs communautés mais ne sont caractéristiques d'aucune d'elles en particulier (il s'agit de
"stratèges r").

Sur base de cette classification et après avoir étudié un certain nombre de biohermes (Ordovicien au Crétacé),
Walker & Alberstadt distinguent les phases suivantes dans l'édification d'une bioconstruction:

- la stabilisation: cette phase correspond à la fixation du substrat par un certain nombre d'espèces ubiquistes
(crinoïdes, bryozoaires branchus, éponges...);

- la colonisation: c'est une phase de courte durée, marquée par l'apparition d'espèces constructrices, certaines déjà
caractéristiques;

- la diversification: on observe une nette augmentation du nombre d'espèces et l'apparition de communautés


différenciées et spécialisées; cette phase forme la majeure partie des édifices;

- la domination: cette phase surmonte abruptement la phase de diversification et est caractérisée par une nette
diminution du nombre d'espèces. Quelques organismes, généralement encroûtants dominent.

On observe parallèlement à l'évolution des communautés, une variation de certains paramètres comme la
spécialisation, la diversité spécifique, la production organique etc... (Fig. XI.3).

Il faut remarquer que Walker & Alberstadt ne rejettent pas une action du milieu sur l'évolution des
bioconstructions, mais estiment que pour expliquer cette évolution, de la phase de colonisation à la phase de
diversification, il n'est nullement nécessaire de faire intervenir un processus allogénique. La phase de domination
par contre semble toujours liée à l'entrée de l'édifice dans une zone bathymétrique où il subit nettement l'action
des vagues.

Figure XI.3: variation des principaux paramètres écologiques des communautés récifales en
fonction de leur degré de maturité, suivant le modèle de Walker & Alberstadt.

MRABTI Nabil 76 Ingénieur ENIT


LES RECIFS DANS L'HISTOIRE GEOLOGIQUE

L'histoire des récifs a ceci de commun avec une pièce de théâtre, qu'au cours des temps, les acteurs changent
mais le récit/f demeure. De fait, au long des temps géologiques, on distingue plusieurs périodes au cours
desquelles des groupes de métazoaires constructeurs différents ont édifié des récifs vrais, dotés d'une charpente
résistante aux vagues: les bryozoaires, stromatoporoïdes et tabulés au cours de l'Ordovicien, les
stromatoporoïdes, rugueux et tabulés au cours du Silurien et du Dévonien, les stromatoporoïdes et les coraux à la
fin du Trias et au cours du Jurassique, les rudistes au Crétacé supérieur et enfin les coraux scléractiniaires depuis
l'Oligocène. En dehors de ces périodes, les seules bioconstructions étaient les monticules récifaux. Notons que
même au cours des époques à récifs, des monticules se développaient, mais exilés dans des milieux moins
favorables (plus profonds, moins oxygénés, etc.). Très brièvement, passons en revue les différentes étapes de
cette histoire (Fig. XI.4).

- Les bioconstructions à stromatolithes du Précambrien: leur développement est lié à l'absence de métazoaires
broûteurs. Généralement localisés en bordure de plate-forme, ces édifices pouvaient atteindre une taille
importante et montrent une zonation écologique et des séquences comme les bioconstructions à organismes
squelettiques.

- Les monticules du Cambrien inférieur: il s'agit d'édifices assez complexes, biohermes et biostromes, composés
d'une superposition de petites lentilles micritiques à archaeocyathes, éponges, Renalcis, Epiphyton, entourés de
sables bioclastiques riches en crinoïdes et brachiopodes. Ces lentilles possèdent des cavités de croissance
emplies par des ciments précoces et des sédiments internes. La bioérosion est relativement importante.

- A partir du Cambrien moyen, avec l'extinction des archaeocyathes, les monticules sont principalement
constitués de cyanobactéries (monticules stromatolithiques et thrombolitiques). Au cours du Cambrien supérieur
et jusqu'à l'Ordovicien inférieur, ces monticules cyanobactériens vont progressivement s'enrichir en éponges et
en formes primitives de stromatoporoïdes et coraux (Pulchrilamina, Lichenaria).

- De l'Ordovicien moyen au Dévonien supérieur, s'ouvre une période très favorable au développement de
complexes récifaux: température élevée, formation de vastes plates-formes carbonatées (Canning Basin,
Australie; Golden Spike reef, Canada; monticules et récifs belges). D'une manière générale, la séquence
d'édification de ces complexes commence par un monticule récifal à stromatactis avec quelques éléments
squelettiques (bryozoaires au Siluro-Ordovicien, coraux et algues au Dévonien) et se poursuit par des récifs à
coraux et stromatoporoïdes. Les flancs des édifices sont généralement colonisés par des pelmatozoaires. La
présence de talus bioclastiques et de fractures synsédimentaires témoignent de la rigidité de ces récifs (Canning
Basin).

Contrairement à l'extinction de la fin de l'Ordovicien, l'extinction tardi-frasnienne a particulièrement touché les


communautés récifales: des stromatoporoïdes ne subsisteront que quelques genres, les tabulés et les rugueux
disparaîtront pratiquement totalement.

- Durant le Dinantien, période caractérisée par des températures plus fraiches et des fluctuations glacio-
eustatiques, on observe peu ou pas d'organismes constructeurs. La niche écologique des coraux et des
stromatoporoïdes est occupée par les bryozoaires et les pelmatozoaires. Les seules bioconstructions importantes
sont les "récifs waulsortiens", des monticules micritiques à péloïdes (témoins de tapis microbiens) et
stromatactis, avec quelques crinoïdes et bryozoaires (édifices atteignant une centaine de mètres de relief avec un
pendage des flancs de l'ordre de 50°).

- Au cours du Namurien et au Westphalien-Stéphanien, de nouveaux organismes constructeurs apparaissent qui


évolueront jusqu'à la fin du Trias: algues phylloïdes (Archaeolithophyllum, Eugoniophyllum, Ivanovia) et surtout
Tubiphytes, un constructeur énigmatique très important depuis le Carbonifère jusqu'au sommet du Jurassique
(maximum au Permien, Trias et Jurassique). Les édifices à phylloïdes sont relativement modestes, avec un relief
d'une trentaine de mètres et des flancs atteignant environ 25° de pente. D'autres constructeurs sont également
fréquents: foraminifères tubulaires, petits stromatoporoïdes branchus (Komia), calcisponges et
Archaeolithoporella (algues corallines?).

- Les édifices permiens sont toujours essentiellement des biohermes à phylloïdes, avec une participation de plus
en plus importante de Tubiphytes et d'Archaeolithoporella, associés à des bryozoaires et d'autres algues calcaires

MRABTI Nabil 77 Ingénieur ENIT


(Solenopora, Parachaetetes). Ciments précoces et talus bioclastiques sont bien développés et on observe de
véritables barrières récifales (Capitan reef, Texas), caractérisées par une grande variété de niches écologiques
dont de nombreux habitats cryptiques.

De manière un peu surprenante, tous ces constructeurs semblent avoir été peu affectés par la grande extinction
tardi-permienne, au contraire des organismes associés: on passe en effet d'un assemblage à brachiopodes-
bryozoaires-pelmatozoaires à un assemblage plus "moderne" à mollusques-crustacés-osteichythes.

- Après un arrêt du développement des bioconstructions au cours du Trias inférieur, dès le Trias moyen
réapparaissent des petits monticules relativement profonds avec de rares bryozoaires et coraux. Ensuite, se
réinstallent de grands complexes récifaux à Tubiphytes, calcisponges, quelques stromatoporoïdes et d'assez
nombreux coraux. Il s'agit cette fois de scléractiniaires, nos coraux actuels, caractérisés par leur association
symbiotique avec des algues photosynthétiques.

- Au cours de la fin du Trias se développent des récifs à coraux, calcisponges, algues calcaires et
stromatoporoïdes. Les coraux se localisent plutôt dans les zones à forte énergie, les éponges et les
stromatoporoïdes en environnement plus protégé (zone interne du récif). Pour la première fois, la bioérosion par
des algues et des bivalves devient un agent important de la dégradation des communautés récifales.

- Les récifs jurassiques connaissent un maximum de développement au cours de la fin de l'étage. Leur
morphologie varie de patch-reefs en environnemment de plate-forme interne à des récifs barrières étendus. La
communauté dominante est à coraux et stromatopores, avec des algues vertes (dasycladacées) et des algues
rouges (Solenopora). Les codiacées modernes et les corallinacées articulées apparaissent pour la première fois
dans ces édifices. Les éponges y occupent un habitat cryptique. L'intensité de la bioérosion atteint
progressivement le niveau actuel. On observe également des monticules récifaux profonds, à relief assez
important (centaine de mètres), constitués d'éponges siliceuses, de foraminifères tubulaires et associés à des
bryozoaires et des brachiopodes.

- La communauté récifale tardi-jurassique persiste au cours du Crétacé inférieur. A la même époque, un groupe
de mollusques, les rudistes, évolue rapidement et devient un constructeur important dès le Crétacé moyen. Ces
bivalves envahissent tous les types de récifs, depuis les patchs de lagons jusqu'aux édifices croissant sur les
marges continentales. Au cours du Crétacé supérieur, les rudistes dominent complètement les coraux et les
algues encroûtantes. Ils édifient des biostromes sur les plates-formes et des biohermes sur leurs marges.

L'extinction bien connue de la fin du Crétacé frappe durement les communutés récifales: les rudistes
disparaissent totalement, les coraux sont sévèrement touchés, avec perte de 60 genres sur 90, les calcisponges et
les stromatoporoïdes sont également très affectés.

- Au cours du Cénozoïque se mettront en place les communautés récifales actuelles, dominées par les coraux
scléractiniaires et les algues corallines. Solenopora (algue coralline) disparaît à la fin du Paléocène. Halimeda
(codiacée) ne devient importante comme constituant des sables coralliens qu'à partir du Miocène moyen.

MRABTI Nabil 78 Ingénieur ENIT


Figure XI.4: récifs et monticules récifaux au cours de l'histoire géologique. La largeur de la colonne
lithologique schématise l'importance du développement récifal. d'après James, 1984, modifié.

RECIFS ALGO-CORALLIENS DES EAUX SUPERFICIELLES TROPICALES

INTRODUCTION

Entrent dans cette catégorie les bioconstructions holocènes résistantes aux vagues, érigées principalement par
des coraux scléractiniaires et des algues corallines. Ce sont les édifices popularisés par les études
océanographiques, nombreuses depuis le célèbre voyage du "Beagle". Aux données véhiculées par la littérature
géologique en général s'ajoute un grand nombre d'études biologiques, certaines très détaillées (recensements
exhaustifs de la faune et de la flore m² par m², études minutieuses de la structure des populations, etc.). La
compréhension que nous avons donc de ces récifs est sans commune mesure avec ce que nous savons de
l'Ancien.

Les coraux scléractiniaires peuvent être subdivisés en deux groupes: les coraux hermatypiques et les coraux
ahermatypiques.

- Les coraux hermatypiques sont caractérisés par la présence, au sein de leurs tissus, de symbiotes
photosynthétiques: les zooxanthelles. La densité de ces algues unicellulaires peut atteindre plusieurs millions par
cm² de polype. Leur rôle est double: d'une part, elles fabriquent des glucides (au départ d'énergie lumineuse et de
sels nutritifs) dont une fraction importante est fournie au corail par transfert interne et d'autre part, elles
contribuent à la calcification du squelette corallien. Grâce à ces symbiotes, on peut dire que, bien qu'une colonie
corallienne puisse compléter ses besoins nutritifs par capture de proies planctoniques, son fonctionnement est
essentiellement autotrophe. Ceci explique peut-être le paradoxe de la formidable productivité de l'écosystème
corallien (au sommet du classement planétaire: fixation > 1 kg de carbone/m²/an) alors que les courants qui
baignent les récifs sont clairs et contiennent peu de plancton et de sels nutritifs (fixation dans les plaines péri-
récifales < 50 g de carbone/m²/an). Par ailleurs, dans une colonie corallienne en bonne santé, la densité de
zooxanthelles peut doubler tous les dix jours, ce qui excède largement le taux de croissance des polypes. Ceux-ci
expulsent alors la fraction excédentaire au rythme de plusieurs milliers d'algues/heure/m². Cette expulsion de
zooxanthelles constitue la base de la chaîne alimentaire récifale. Il faut donc garder à l'esprit qu'un récif corallien

MRABTI Nabil 79 Ingénieur ENIT


actuel est avant tout une association symbiotique performante entre un animal et des micro-algues
monocellulaires.

Cette association limite cependant l'aire de répartition des coraux hermatypiques (du fait des exigences photiques
des algues symbiotiques) aux eaux peu profondes. Les larves des coraux (organismes libres et nageurs) ne
supportant pas des températures moyennes inférieures à 18°C, cela restreint les récifs coralliens aux eaux peu
profondes tropicales (Fig. XI.5).

Fig. XI.5: températures océaniques de surface en hiver. D'après Sverdrup et al., 1942, modifié.

Paramètres écologiques des coraux hermatypiques:

• profondeur: moins de 100 m; optimum, moins de 20 m;


• température: plus de 16-18°; moins de 36°; optimum: 25-29°;
• salinité: 27 à 40 o/oo ; optimum: 36 o/oo ;

La Fig. XI.6 montre qu'il existe une zone, centrée sur l'équateur, où le nombre de genres de coraux
hermatypiques est supérieure à 50. Cette "zone sanctuaire" comprend les îles et archipels suivants: Bornéo, les
Célèbes, la Papouasie, les Salomon, le nord de la Grande Barrière de Corail d'Australie, le Vanuatu. Dès que l'on
s'éloigne de ces régions, le nombre de genres diminue. L'explication principale de ce phénomène paraît être les
glaciations: la zone sanctuaire de Bornéo-Vanuatu, proche de l'équateur, aurait été épargnée par le
refroidissement des eaux et aurait réapprovisionné en larves coralliennes ses abords proches. Seules les régions
les plus lointaines de ce foyer de repeuplement sont restées relativement pauvres en genre du fait de leur
éloignement.

Fig. XI.6: répartition du nombre de genres de coraux hermatypiques. D'après Stoddart, 1969, modifié.

MRABTI Nabil 80 Ingénieur ENIT


- Les coraux ahermatypiques ne possèdent pas de symbiotes algaires: leurs exigences écologiques sont donc
moindres et leur aire de répartition plus vaste. Leur taux de croissance est cependant nettement inférieur à celui
des coraux hermatypiques et ils ne sont pas compétitifs. Ils se développent soit en habitat cryptique (cavités,
zones obscures) dans les récifs algo-coralliens, soit sous forme de récifs en eaux profondes et/ou froides (fjords
norvégiens, par exemple). Des exemplaires ont été observés jusqu'à 6000 m de profondeur, dans des eaux de -
1,1°C. Dans ces habitats, ils peuvent atteindre une taille métrique (Lophelia).

GENERALITES: MORPHOLOGIE DES RECIFS SUPERFICIELS ACTUELS

On distingue sur base de la géométrie des corps récifaux, de leur taille et de leur relation avec le continent les
grands types suivants (Fig. XI.7):

- les récifs frangeants: ces édifices se développent directement le long de la ligne de rivage;

- les bancs récifaux: ces récifs linéaires, généralement parallèles au rivage, ressemblent aux récifs barrière, mais
sont localisés dans le lagon, en arrière d'un vrai récif barrière. Ces récifs peuvent être coalescents avec des récifs
frangeants;

- les patch reefs: il s'agit de petits édifices croissant en milieu lagonaire;

- les récifs-barrières: ce sont des récifs sensiblement linéaires, localisés à la bordure de la plate-forme. Ces
édifices, souvent de taille importante, délimitent un lagon de plate-forme en direction du continent. La Grande
Barrière d'Australie est le plus grand récif barrière actuel: il possède une largeur de 300 à 1000 m et s'étend sur
près de 1950 km de longueur;

- les atolls: ces récifs océaniques de forme annulaire délimitent un lagon. Leur dimension est très variable: de
moins de 2 km à plus de 32 km de diamètre (détail ci-dessous);

- récifs tabulaires: récifs océaniques sans lagon intérieur.

Fig. XI.7: types de constructions récifales. D'après James & Macintyre, 1985, modifié.

UN EXEMPLE: LES ATOLLS

MRABTI Nabil 81 Ingénieur ENIT


Quelques définitions: atolls, îles hautes carbonatées

Les atolls sont donc des anneaux de terre ferme de quelques centaines de m de large, ceinturant une étendue
d'eau marine d'une quarantaine de m de profondeur au plus appelée lagon (et non lagune). La couronne
atollienne comprend les zones suivantes, de l'océan vers le lagon (Fig. XI.8, Tuamotu du NW):

• récif externe avec coraux vivants;


• ride à lithothamniées;
• platier externe;
• beach rock exhumé (voir ci-dessous);
• plage;
• motu avec cocoteraies alternant avec hoa; parfois, passes;
• levée sédimentaire avec éventuellement stromatolithes;
• talus sédimentaire se raccordant au plancher du lagon; dans la zone supérieure, nombreux coraux
vivants, souvent de grande dimension.

Motu: terme issu du vocabulaire polynésien désignant une île sableuse: aussi "caille", "key"; hoa: terme
polynésien désignant une zone de largeur très variable de la couronne d'un atoll, de quelques m à plusieurs km,
permettant le passage de l'eau à marée haute de l'océan vers le lagon, mais ne permettant pas le passage des
bateaux; passe: interruption de la couronne atollienne permettant le passage d'un bateau et de l'eau du lagon vers
l'océan.

Les îles hautes carbonatées sont constituées de carbonates de plate-forme qui présentent des formes d'érosion
concentrique avec un anneau périphérique. Ces îles hautes ne sont pas des atolls soulevés comme on l'a cru
quelquefois et leur forme d'érosion annulaire est due uniquement à la karstification.

Fig. XI.8: coupe dans une couronne atollienne. D'après Bourrouilh, 1996, modifié.

Fonctionnement

Au point de vue du budget nutritif: malgré le fonctionnement partiellement autotrophe de l'écosystème corallien,
il semble difficile de comprendre l'existence de récifs très productifs au sein d'eaux océaniques tropicales qui le
sont très peu. L'hypothèse de l'endo-upwelling géothermique permet de résoudre ce paradoxe (Rougerie &
Wauthy, 1990). Ce phénomène correspond à la remontée d'eaux océaniques profondes riches en nutriments, au
sein de la structure récifale poreuse, à la faveur du flux géothermique subsistant à l'interface volcan-récif. Les

MRABTI Nabil 82 Ingénieur ENIT


eaux profondes réchauffées remontent par convection et diffusent dans le haut de l'atoll. L'arrivée de ces eaux
riches en surface s'accompagne d'un double processus de précipitation: une précipitation organique résultant du
métabolisme des coraux et des algues (dont la prospérité est assurée par l'apport de nitrates, phosphore et silice
contenus dans les eaux profondes) et une précipitation inorganique due aux propriétés intrinsèques de ces eaux.
L'eau profonde est en effet riche en gaz carbonique dissous, sous-saturée en CaCO3 (forme aragonite), avec un
pH de l'ordre de 7,8 ce qui facilite la pénétration à la base de l'atoll par dissolution des flancs calcaires. Pendant
son réchauffement et sa montée par convection, le produit de solubilité du carbonate de calcium diminue. Des
précipitations carbonatées se produisent alors à l'intérieur de la matrice calcaire, cimentant et consolidant
l'édifice. Ces précipitations sont favorisées par la diminution de la pression partielle de CO2 due au dégazage en
surface et à la photosynthèse qui utilise le CO2; l'ensoleillement et la forte évaporation, habituelle par petit fond
en zone tropicale, sont également des facteurs favorables. Ce modèle rend ainsi compte de la présence de
grandes quantités de ciment dans la structure récifale et de son éventuelle dolomitisation. En effet, le passage de
grandes quantités d'eau sous-saturée en CaCO3 mais toujours saturée en carbonate de magnésium ne peut que
favoriser les échanges Ca/Mg qui transforment la matrice calcaire en calcite magnésienne puis en dolomite. Il
faut remarquer que sur le plancher du lagon, la sédimentation de particules fines diminue la perméabilité du
substrat et ne permet pas la sortie d'eaux "endo-upwellées" (d'où la rareté des coraux). Suivant la belle
expression de Rougerie & Wauthy (1990, p. 838), "les nutrients pénétrant la structure poreuse diffusent
lentement vers le haut de l'atoll: affleurant à la surface océanique, la vasque récifale fonctionne ainsi de façon
analogue à une lampe à pétrole; la photosynthèse brûle les nutrients qui apparaissent à la base du lagon après
avoir migré dans le socle corallien (la mèche) à partir du riche réservoir océanique profond".

Sans faire appel à la convection, des études récentes ont montré (par exploration endoscopique des cavités des
récifs) que l'eau des cavités se renouvelait en quelques minutes par effet de pompe induit par les vagues. Ces
cavités (1 m2 de récif correspondant à 5 m2 de surface "interne"!) sont habitées principalement par des éponges
qui filtrent 60% du phytoplancton contenu dans l'eau; les sels minéraux et substances nutritives libérés par la
digestion du phytoplancton représenteraient près de 20% des besoins nutritifs de l'ensemble de la communauté
récifale.

Au point de vue sédimentaire: l'essentiel de la production carbonatée est localisée au récif qui apparaît comme
une véritable "usine à carbonates" grâce aux nombreux organismes qui le composent et qui fabriquent soit de
l'aragonite, soit de la calcite magnésienne. Ces carbonates sont ensuite triturés par les poissons broûteurs de
corail ou perforés par les lithophages. Les particules calcaires ainsi créées vont sédimenter dans des zones plus
ou moins proches du récif: turbidites carbonatées dans les plaines abyssales environnant les récifs, cordons de
sable et de gravier sur les îles, accumulation de boue et de débris coralliens dans le lagon. Ces transports
sédimentaires se font en général sous l'action d'événements hydrodynamiques de très haute énergie, cyclones ou
tsunamis. Les conséquences écologiques et sédimentologiques de ces événements sont très grandes pour les
récifs: les vagues engendrées peuvent dépasser 10 m d'amplitude et déplacer des blocs cyclopéens résultant du
démantèlement de la dalle du platier. Il semble également que la succession des motu et hoa soit le résultat de
l'action des tsunamis et ouragans.

Gravier calcaire formé principalement de fragments de coraux, platier corallien, Seychelles.

MRABTI Nabil 83 Ingénieur ENIT


L'origine de la morphologie typique des atolls a été d'abord interprétée par Darwin comme la conséquence de la
subsidence d'un édifice volcanique supportant un récif frangeant. Cette subsidence aurait induit la croissance
verticale de ce récif afin de demeurer dans sa zone de prospérité. Actuellement, les auteurs semblent s'orienter
vers un héritage à la fois eustatique et diagénétique: les baisses du niveau marin seraient à l'origine du
développement d'une morphologie karstique par installation d'une lentille d'eau douce; la dissolution des
carbonates étant maximale au centre des îles. Ensuite, après ennoiement, la présence d'une aire déprimée (lagon)
au centre de l'édifice persisterait suite à l'absence de lithification en milieu lagonaire et à l'exportation de
sédiments lors des événements de forte énergie (tempêtes, tsunamis).

Evolution morphologique récente (Fig. XI.9): exemple des Tuamotu du NW (Bourrouilh-Le Jan, 1996). A: vers
14.000 ans BP les atolls sont tous émergés et dominent de 120 à 140 m le paléoniveau marin. B: la transgression
holocène est très rapide et dépasse vers 4000 ans BP le niveau actuel: tous les atolls sont submergés. La
biocénose récifale se réinstalle et édifie les platiers actuels ("catch-up"). C: entre 4000 ans BP et maintenant, le
niveau de la mer baisse jusqu'au niveau actuel. D1 et D2 illustrent les deux morphologies possibles de la
couronne atollienne des Tuamotu; D1: le motu entouré d'un beach-rock exhumé d'âge mi-holocène formé durant
la phase C et D2: une petite lagune (eaux saumâtres à stromatolithes) formée à la suite de l'excavation de
matériel sédimentaire sous l'effet des événements de forte énergie.

Fig. XI.9: évolution morphologique récente d'une couronne atollienne (lagon vers la gauche du
schéma). Tuamotu du NW. D'après Bourrouilh, 1996, modifié.

UN AUTRE EXEMPLE: LE RECIF BARRIERE

Par comparaison, la Fig. XI.10 montre la zonation écologique et la morphologie d'un récif barrière. Il s'agit de
Carrie Bow Cay, récif de Belize (Caraïbes) (James & Macintyre, 1985).

MRABTI Nabil 84 Ingénieur ENIT


- Lagon: ce lagon de plate-forme comporte deux zones distinctes: une prairie à Thalassia testudinum ("herbe à
tortues") sur un substrat silto-sableux; en direction du large, les herbes à tortues disparaissent et le substrat
devient sablo-graveleux avec quelques buissons d'Acropora cervicornis.

- Arrière-récif: la profondeur s'y échelonne de 1 m à l'émersion (partie interne de la crête récifale). On y observe
également deux zones: la première est la zone des "patch-reef" avec des coraux comme Montastrea annularis,
Diploria labyrinthiformis, Acropora cervicornis et Porites astreoides. Une bonne moitié de la surface de ces
patch-reef est encroûtée par des algues dont des algues corallines. Les oursins y sont abondants. La seconde zone
est la zone des graviers et pavement, avec apparition progressive au milieu des sables et cailloux d'un substrat
induré (le pavement). Ce substrat rocheux est un conglomérat de fragments de coraux, mollusques et algues
corallines dans une matrice sableuse cimentée par de la calcite magnésienne. Les coraux qui se développent sur
ce fond durci sont principalement Porites astreoides, avec quelques Siderastrea siderea, Agaricia agaricites,
Diploria clivosa, Acropora cervicornis et A. palmata.

A: platier récifal à marée basse avec Acropora (remarquer la coloration verte due aux algues symbiotiques), île
de Laing; B: Halimeda, une algue verte calcaire dont la contribution à la production des sables carbonatés est
très importante. Photos A. Herbosch.

- Récif: la bordure interne de la crête récifale consiste en un réseau ("framework") de coraux morts (environ
60%) encroûtés par des algues. Les coraux sont représentés principalement par Acropora palmata, Agaricia
agaricites et Porites astreoides. En direction de l'océan, ce réseau passe progressivement à une barrière dense de
Millepora complanata, suivie en eau un peu plus profonde par des buissons d'Acropora palmata. Latéralement
ces bioconstructions peuvent passer à des accumulations de cailloux et blocs.

- Avant-récif interne: à partir d'une profondeur d'environ 2 m, s'observent des "pinnacles" de Millepora
complanata, A. palmata et Agaricia tenuifolia. Ces constructions coalescent en direction de l'océan pour former
les spectaculaires éperons de la zone des "éperons et sillons" ("spur and grooves") qui s'élèvent d'environ 7 m au-
dessus des sillons emplis de sable et gravier. Du sommet des éperons aux sillons, on observe la succession
Acropora palmata et A. cervicornis, ensuite Agaricia tenuifolia, Millepora complanata et Porites porites et enfin
Agaricia agaricites, Diploria strigosa et Montastrea annularis avec quelques octocoralliaires.

La zone des éperons et sillons passe vers 10 m de profondeur à une zone où les éperons sont moins élevés (relief
de 1 m au plus) avec Montastrea annularis, M. cavernosa, Diploria strigosa et des octocoralliaires. Le
remplissage sableux des sillons diminue et un substrat induré colonisé par des octocoralliaires et des coraux
massifs apparaît.

- Avant-récif externe: sa bordure interne est marquée par une nette augmentation de la pente du récif jusqu'à
environ 25°: c'est le talus récifal interne qui s'échelonne de 15 à 22 m et qui est couvert de buissons d'Acropora
cervicornis et Montastrea annularis. Vers la base, les colonies columnaires de M. annularis prennent une
morphologie lamellaire et sont accompagnées de Agaricia tenuifolia, Porites astreoides et Siderastrea siderea.
Le talus récifal interne s'achève dans un fossé à remplissage sablo-graveleux où s'observent quelques pinnacles
avec Montastrea annularis et Acropora cervicornis.

MRABTI Nabil 85 Ingénieur ENIT


Une ride à relief prononcé (environ 10 m de haut) délimite la partie externe du fossé sableux. Sur le flanc interne
de cette ride croissent Acropora cervicornis et une variété de coraux massifs dont Montastrea annularis,
Diploria labyrinthiformis et Porites astreoides. Le flanc externe de la ride descend ensuite assez abruptement. La
partie supérieure de cette pente, le talus d'avant-récif, à pente variant entre 50 et 70°, est caractérisée par une
communauté à coraux lamellaires, dominée notamment par Montastrea annularis, M. cavernosa, Agaricia
fragilis et Leptoseris cucullata. Sous cette communauté récifale, qui semble pouvoir s'étendre jusqu'à 70 à 80 m,
s'observe un escarpement (falaise sous-marine) plongeant jusqu'à -120 m. Cette falaise est constituée de calcaire
récifal et a été érodée durant les périodes de bas niveau marin du Pléistocène. Elle est colonisée par des éponges,
des crinoïdes et des coraux ahermatypiques.

Figure XI.10: zonation écologique et morphologie d'un transect dans le récif barrière de Carrie Bow Cay
(Caraïbes). D'après James & Macintyre (1985), modifié.

Rôle des paramètres physiques sur la répartition et la morphologie des coraux

Par ordre décroissant d'importance, on peut citer la nature du substrat, l'intensité d'éclairement, les effets
hydrodynamiques (Geister, 1980).

- La nature du substrat: pour se développer, la plupart des coraux ont besoin d'un substrat dur. La période la plus
critique est leur première phase de vie après la fixation des larves: dans des sédiments trop meubles, le petit
polype risque d'être recouvert. C'est ce qui explique la rareté des coraux dans les lagons ou sur les côtes très
calmes. Certaines espèces spécialisées ont cependant développé des caractères originaux leur permettant de se
développer en l'absence de substrat induré: c'est le cas des colonies non fixées de Siderastrea radians roulant à la
surface des sédiments. Certains coraux d'espèces ramifiées (Acropora cervicornis), qui vivent normalement fixés
sur substrat dur, peuvent former des colonies mobiles sur le sable. Ces colonies naissent par régénération de
branches brisées durant les tempêtes. Ces branches, déposées sur des sédiments meubles, ne peuvent se fixer. En
conséquence, elles sont basculées et roulées périodiquement au gré des courants. Leur croissance phototropique
pendant les phases de calme engendre progressivement des colonies grossièrement sphériques.

- L'intensité d'éclairement: conséquence évidente de la symbiose avec les zooxanthelles. On observe une
diminution progressive du nombre d'espèces avec la profondeur (Fig. XI.11). Ce modèle correspond à des eaux
océaniques limpides. Dans des eaux plus turbides, l'extension bathymétrique des coraux est réduite.

MRABTI Nabil 86 Ingénieur ENIT


Figure X.11: zonation bathymétrique de coraux fréquents. D'après Geister (1980).

On peut également remarquer une variation morphologique au sein d'une même espèce: des coraux massifs en
eau peu profonde adoptent une morphologie de plus en plus aplatie à partir de 20 m de profondeur. Les branches
de certaines espèces ramifiées (Acropora cervicornis) deviennent plus minces et moins fourchues au-delà de 15 à
20 m, de manière à augmenter la surface illuminée.

- L'action des vagues: l'intensité de cette action est très variable en fonction de la profondeur, de l'orientation par
rapport à la houle dominante, etc. Cette variation induit des adaptations morphologiques des coraux et des
modifications dans la composition des communautés.

Au point de vue morphologique, on observe que les colonies branchues d'Acropora cervicornis deviennent plus
touffues en milieu plus agité. Certaines espèces tendent également à développer une morphologie encroûtante (A.
palmata) et à croître parallèlement à la direction de propagation des vagues.

En comparant les associations des organismes colonisant les crêtes récifales, on peut noter une forte
différentiation selon le degré d'exposition aux vagues. La Fig. XI.12 représente les types récifaux principaux
observés en mer des Caraïbes.

MRABTI Nabil 87 Ingénieur ENIT


Figure XI.12: conséquences de l'agitation de l'eau et de la bathymétrie sur la distribution des communautés
récifales. D'après Geister (1980).

Ce modèle est différent pour les récifs exposés fréquemment aux tempêtes. Dans ce cas, les espèces ramifiées
sont généralement remplacées par des espèces hémisphériques ou encroûtantes. Partant de ces observations, on
peut classer les espèces suivant leur plus ou moins grande sensibilité aux dégâts provoqués par les tempêtes. Des
plus résistants aux plus fragiles, on a: colonies encroûtantes (Diploria clivosa, Porites astreoides), colonies
massives (Montastrea annularis, Diploria strigosa), colonies branchues avec base vivante (régénération plus
facile après bris: Millepora, Acropora palmata) et enfin colonies branchues avec base nécrosée (Acropora
cervicornis, Porites porites). On a constaté aussi que des tempêtes fortes et fréquentes inhibent la formation
d'une charpente récifale (framestone). Dans ce cas, les rudstones dominent (Braithwaite et al., 2000).

MONTICULES RECIFAUX A CORAUX AHERMATYPIQUES

LES LITHOHERMES

Découverts dans les années '70 le long de la marge orientale du "Little Bahama Bank", par des profondeurs de
600 à 700 m, ces édifices couvrent une superficie de plusieurs milliers de km2 (Fig. X.3A). Il s'agit de monticules
de morphologie grossièrement elliptique, allongés parallèlement aux courants de fond (2 à 7 cm/s), de taille
variable (quelques centaines de mètres de longueur pour une cinquantaine de mètres de hauteur). Les flancs des
grands édifices sont relativement abrupts, avec des pentes moyennes atteignant 20° à 30° (la pente d'équilibre de
sédiments fins non cimentés ne dépasse pas 6°). Récemment, Paull et al. (1998), ont observé une ride de 4,4 km
de long pour 150 m de haut, allongée parallèlement à la pente et établie au niveau d'une rupture de pente, formée
par coalescence d'édifices plus petits.

La surface supérieure de ces monticules apparaît très irrégulière: elle est constituée de croûtes de sédiments
indurés de 10 à 30 cm d'épaisseur. Des accidents (cassures, érosions,...) permettent d'observer par endroit la
structure interne de ces "lithohermes": les croûtes se superposent de manière régulière, séparées les unes des
autres par des niveaux de sédiment meuble, souvent excavé par des organismes fouisseurs. La structure générale
des lithohermes paraît donc être "en pelure d'oignon".

MRABTI Nabil 88 Ingénieur ENIT


La surface des lithohermes est intensément perforée par une endofaune très développée. D'assez fortes
différences apparaissent entre les divers édifices: certains sont partiellement couverts de sédiments meubles,
d'autres montrent une surface rocheuse, d'autres encore sont complètement recouverts de buissons coralliens.

La faune est généralement dominée par les coraux branchus ahermatypiques Lophelia et Enallopsammia, les
éponges et les crinoïdes non-érigés (Comatulidés), associés à des éponges endolithiques. Une zonation
écologique, par rapport aux courants, se manifeste: les coraux sont situés sur la face exposée, tandis que les
crinoïdes se développent "à l'arrière" des bioconstructions. L'essentiel du piégeage de sédiment semble réalisé
par les coraux et l'édifice prograde en direction du courant. Le caractère relativement fin des sédiments des
lithohermes s'oppose au caractère plus grossier des sédiments situés en dehors des édifices. Ceci suggère que la
fraction fine est emportée par les courants de fond au niveau des interbiohermes et piégée par les organismes sur
les lithohermes (bafflestone).

D'un point de vue pétrographique, le sédiment meuble est constitué pour la fraction sableuse de foraminifères
planctoniques et de tests de ptéropodes avec une contribution mineure de grains exportés de la plate-forme peu
profonde (oolithes, Halimeda). La fraction graveleuse comprend essentiellement des fragments de coraux. La
minéralogie globale des sédiments meubles est dominée par l'aragonite. Les sédiments lithifiés sont par contre
constitués principalement de calcite Mg (14 moles % MgCO3), avec de rares concentrations de micrite
aragonitique. La texture est variable, depuis des rudstones et floatstones à coraux jusqu'à des
wackestones/packstones à foraminifères, péloïdes et ptéropodes.

La nature exacte du mécanisme de lithification sous-marine est encore mal comprise: Neumann et al. (1977)
suspectent une interaction entre un régime océanographique particulier (courant de fond ascendant, entraînant
une diminution de pression et une augmentation de température) associé à un apport important de micrite
aragonitique peu stable issue du "Little Bahama Bank".

A gauche, fragment de lithoherme (Blake Plateau) montrant les nombreuses perforations affectant le sédiment.
Echantillon C. Neumann; à droite, colonie de Lophelia actuelle, Atlantique nord.

LES MONTICULES CORALLIENS PROFONDS

Exemple des Bahamas

Ces monticules ont été observés par 1000-1300 m de fond, sur le talus nord ("lower slope", avec une pente de
l'ordre de 1°) du "Little Bahama Bank" où ils couvrent une superficie de 2500 km2. Les courants de fond sont de
l'ordre de 50 cm/s, la température de l'eau se situe entre 4 et 6°C, avec une salinité normale de l'ordre de 34,5 à
35,5 o/oo.

Les édifices ont un relief de 5 à 40 m, une morphologie elliptique à circulaire (diamètre de 50 à 200 m), avec des
flancs relativement raides. Contrairement aux lithohermes, leur surface n'est pas lithifiée, mais est constituée de
sédiment fin, colonisé par une communauté relativement diversifiée de coraux ahermatypiques (généralement

MRABTI Nabil 89 Ingénieur ENIT


solitaires et de petite taille), de gorgones, hyalosponges et calcisponges, de bryozoaires, de vers serpulidés et de
crinoïdes. A cette communauté fixée se joignent quelques mollusques, échinodermes et arthropodes. Comme
dans le cas des lithohermes, le caractère fin des sédiments biohermaux (20% sable et gravier) contraste avec le
caractère plus grossier des sédiments interbiohermaux (entre 50% et 90% de sable et gravier). Ceci suggère
encore un mécanisme de piégeage par les organismes sur les monticules. L'analyse détaillée de la fraction
grossière montre que les éléments graveleux proviennent essentiellement du remaniement des organismes
colonisant les monticules, alors que la fraction sableuse consiste surtout en foraminifères pélagiques et
ptéropodes. La composition minéralogique du sédiment est la suivante: 50% aragonite, 15% calcite Mg et 35%
calcite. L'aragonite semble provenir des coraux et des ptéropodes et aussi de boue issue du "Little Bahama
Bank", la calcite provient des foraminifères planctoniques et de coccolithes et enfin, la calcite Mg dériverait de
fragments d'échinodermes et de foraminifères benthiques.

Le développement de ce type d'édifice semble correspondre à la séquence suivante:

• colonisation d'un substrat dur (fond durci, bloc allochtone,...) par des coraux pionniers;
• ces premières colonies piègent le sédiment en suspension; en même temps, la destruction des colonies
coralliennes par des organismes endolithiques fournit un substrat stable pour l'installation de nouvelles
larves;
• le monticule se développe par la combinaison d'un processus de piégeage de sédiment en suspension et
de production in-situ de matériel plus grossier.

Critères de reconnaissance des monticules récifaux profonds dans l'histoire géologique

- Absence d'algues;

- diversité spécifique moins élevée: 60 à 100 espèces de coraux en milieu récifal peu profond actuel pour 1 à 16
pour les biohermes profonds;

- microperforations souvent parallèles à la surface du substrat; en environnement peu profond, ces


microperforations sont généralement perpendiculaires au substrat;

- contexte général très différent: les récifs peu profonds sont associés à des environnements lagonaires,
intertidaux, tandis que les monticules profonds se développent dans un contexte de talus; de même, la nature de
la fraction sableuse est totalement différente, avec des grains de type "peu profond" (oolithes, agrégats, algues,...)
pour les récifs et "profond" pour les monticules à coraux ahermatypiques (organismes pélagiques et
planctoniques).

- teneur en éléments traces différente: les coraux ahermatypiques ont une teneur en Sr et U plus élevée que les
coraux hermatypiques.

Mud mound ("kesskess") emsiens, Hmar Lakdad (Maroc). Il s'agit de monticules profonds à éponges, coraux et
crinoïdes.

Exemple des monticules de l'Atlantique nord

MRABTI Nabil 90 Ingénieur ENIT


Très récemment, suite à l'exploration pétrolière détaillée de l'Atlantique nord, de très nombreux monticules
coralliens profonds ont été découverts. Ces édifices sont généralement localisés entre 500 et 1500 m de
profondeur (500 m semble être leur profondeur minimale, elle correspond à la séparation entre les eaux
atlantiques de surface chaudes et les eaux arctiques froides). Certains de ces monticules peuvent atteindre une
extension horizontale kilométrique et un relief de près de 200 m. Comme dans le cas des autres bioconstructions
profondes, la diversité spécifique des communautés organiques est faible et le corail ahermatypique Lophelia
semble dominer.

Une hypothèse intéressante est que ces écosystèmes profonds seraient liés à des arrivées en surface de méthane
("cold seepage"), alimentant une communauté de bactéries chémolithotrophiques (dégradation du méthane). Ces
bactéries formeraient ainsi la base d'une pyramide alimentaire non photosynthétique. A l'appui de cette
hypothèse, outre de nombreuses structures sédimentaires probablement liées au dégazage et outre des arrivées de
méthane mesurées en surface, on a découvert des récifs annulaires, véritables "atolls" profonds, centrés autour
d'un évent.

Critères de reconnaissance des monticules profonds liés au dégazage

Pour distinguer les monticules profonds liés au dégazage ("cold seep mounds" dont la pyramide écologique est
basée sur le méthane) des autres monticules profonds ("marine mounds" dont la pyramide écologique est basée
sur les nutriments en suspension dans l'eau marine), Peckmann, Reitner & Neuweiler (1998, in "Carbonate mud
mounds and cold water reefs") proposent les critères suivants:

- texture: les sédiments des "cold seep mud mounds" sont toujours fortement bréchifiés: ceci est dû à des
accumulations gazeuses ou à la croissance dans le sédiment d'hydrates de méthane;

- faune: les "cold seep mud mounds" semblent caractérisés par des accumulations de grands bivalves (dans la
nature actuelle: Bathymodiolus, Calyptogena,...) ou de tubes de vers (Lamellibrachia, Escarpia,...). Sont
également associés: décapodes et éponges. Dans le cas des "marine mounds", la faune est dominée par des
filtreurs: bryozoaires, éponges, coraux avec quelques brachiopodes, foraminifères encroûtants. Une zonation
bathymétrique est souvent perceptible;

- diagenèse précoce: l'aragonite semble souvent associée aux "cold seep mounds". D'un point de vue isotopique,
les valeurs de 13C sont très basses, atteignant -30 o/oo (PDB).

Une fois ces critères établis, l'étude d'une bioconstruction conduira à l'identification des communautés, de
sa bathymétrie et surtout de son mode de fonctionnement (Fig. XI.13): s'agit-il de la photosynthèse seule
(tapis algaires et cyanobactériens, cf. ch. X), d'un mélange d'hétérotrophie et de photosynthèse (récifs à
coraux hermatypiques), d'hétérotrophie seule (lithohermes, monticules des bahamas) ou enfin de
chemolithotrophie ("seepage mounds")? Le mode de production/stabilisation de la boue carbonatée est
également un paramètre lié au type de bioconstruction, même si plusieurs modes sont généralement actifs
au sein d'un même édifice. La cimentation et la biominéralisation sont les processus principaux dans les
récifs algo-coralliens, tandis que l'organominéralisation semble prépondérante dans les édifices plus
profonds.

Nous allons envisager maintenant un certain nombre d'exemples anciens.

XII. Les sédiments organiques


INTRODUCTION

Même dans les milieux où la production primaire de matière organique est élevée, sa conservation dans les
sédiments et son insertion dans le cycle géologique est problématique. Si l'on prend l'exemple de l'océan, la
matière organique produite par le phytoplancton dans la zone photique est en grande partie recyclée dans la
chaîne alimentaire. Une partie réduite de cette matière organique tombe à travers la colonne d'eau vers le fond
marin en subissant encore des processus de décomposition et enfin, dans le sédiment, une part importante de la
matière organique sera détruite par oxydation dans la tranche bioturbée (Fig. XII.1). On considère qu'il y a en
général un rapport de 1 à 100 entre production primaire et matière organique arrivant sur le fond marin.

MRABTI Nabil 91 Ingénieur ENIT


Fig. XII.1: Flux de la matière organique depuis sa production dans la zone photique jusqu'à son enfouissement
dans le sédiment.

La dégradation aérobie de la matière organique correspond schématiquement à la réaction suivante:

C6H12O6 + 6 O2 → 6 CO2 + 6 H2O

C'est en fait la réaction inverse du processus mis en oeuvre dans la production primaire de sucre par la
photosynthèse. Dans les sédiments bioturbés donc, la matière organique est oxydée. Dans les milieux déficitaires
en O2, la décomposition de la matière organique est incomplète et certains composés relativement stables
peuvent être préservés. Les conditions menant à une diagenèse précoce anaérobie sont:

- une production de matière organique tellement importante que sa dégradation consomme tout l'oxygène
disponible; c'est le cas de certaines zones océaniques à haute productivité (upwellings,...);

- la présence d'eaux anoxiques au contact du sédiment: c'est le cas de bassins stratifiés comme la Mer Noire; c'est
aussi le cas lorsque le fond marin est baigné par la "zone d'oxygène minimum";

- un taux de sédimentation élevé, inhibant la présence d'endofaune;

MRABTI Nabil 92 Ingénieur ENIT


- une granulométrie fine, limitant les échanges entre le sédiment et les eaux oxygénées.

A titre d'exemple, les grès contiennent en moyenne 0,05% de matière organique, les calcaires 0,3% et les roches
pélitiques 2%.

Les principaux sédiments organiques sont les schistes bitumineux, le pétrole, le gaz, le charbon, la lignite et son
équivalent actuel, la tourbe. Passons les en revue.

LES SEDIMENTS ORGANIQUES ACTUELS

Les types principaux en sont l'humus, la tourbe et le sapropel. L'humus consiste en matière organique fraîche, en
voie de dégradation, localisée dans la partie superficielle des sols. Au cours du temps, la plus grande partie de
l'humus est oxydée et n'est pas conservée dans les formations géologiques. Sa présence est cependant importante
au travers de l'action exercée par les acides humiques sur les minéraux des sols. La tourbe est une accumulation
de débris végétaux dans des zones marécageuses où les conditions anaérobies inhibent la dégradation de la
matière organique. Enfin, le terme sapropel se réfère à des sédiments organiques, dérivés du phytoplancton et
déposés dans des bassins lacustres ou marins.

LES SEDIMENTS ORGANIQUES ANCIENS

On les classe en deux groupes principaux: les sédiments organiques formés in-situ comme la tourbe et l'humus
(groupe humique) et les sédiments constitués de matière organique transportée ou déposée en suspension comme
les sapropels (groupe sapropélique). La plupart des lignites et charbons appartiennent au groupe humique, avec
des contenus en matière inorganique inférieurs à 33% (argile, silt, sable) alors que les schistes bitumineux et
certains charbons ("cannel coals", "boghead", formés principalement de débris allochtone de plante et d'algues)
font partie du groupe sapropélique; leur contenu en matière inorganique peut dépasser 33%.

Les sédiments organiques anciens peuvent aussi être secondaires et résulter de la migration de composés
organiques à partir d'une roche-mère vers un sédiment poreux (pétrole, gaz).

LES CHARBONS

Les charbons sont issus de l'évolution diagénétique de débris végétaux. Ainsi, les charbons humiques forment
une série continue depuis la tourbe jusqu'à l'anthracite, en passant par le lignite et le charbon bitumineux. On
appelle "houillification" les processus physico-chimiques et organiques intervenant au cours de la transformation
de la tourbe en charbon et "rang" un stade déterminé de cette évolution. Un rang croissant indique une teneur
croissante en carbone et décroissante en H2O, CO2, CH4, N2 (Tab. XII.1).

De manière simplifiée, on peut dire que la diagenèse conduit des tourbes aux lignites (dans lesquelles les débris
de plantes sont toujours visibles) jusqu'à environ 1000 m d'enfouissement. Jusqu'à 5000 m de profondeur (soit
100-200°C) se forment ensuite des charbons de plus en plus bitumineux, dans lesquels un processus de
gélification fait disparaître les cellules végétales au profit de la vitrinite. Enfin, les anthracites apparaissent dans
l'anchizone du métamorphisme.

On reconnaît l'anthracite à son aspect brillant et sa cassure conchoïdale. Il faut noter que lors de la transformation
du charbon bitumineux en anthracite, du méthane est libéré; c'est le "grisou", si dangereux dans les mines de
charbon.

valeur calorifique
Rang C (%) volatiles (%)
(KJ/g)
tourbe <50 >50
lignite 60 50 15-25
charbon sub-
75 45 25-30
bitumineux
charbon 85 35 30-35

MRABTI Nabil 93 Ingénieur ENIT


bitumineux
semi-anthracite 87 25 30-35
anthracite 90 10 30-35
graphite >90 <5
Tab. XII.1: rang et caractéristiques des charbons de la série humique.

Depuis la fin du Dévonien (prolifération de la végétation sur les continents), du charbon se forme dans les zones
climatiques humides. On distingue deux types d'environnements de formation de charbon: les milieux
paraliques et les milieux limniques. La plupart des charbons westphaliens (exemple: Belgique) se sont
développés dans des environnements paraliques, probablement de type deltaïque côtier, alors que plus tard, au
Stéphanien, prédominent les charbons de milieux limniques, correspondant à des lacs, souvent localisés dans des
fossés d'effondrement de la chaîne varisque (exemple: Montagne Noire, France).

A: mine de charbon à ciel ouvert de Graissessac (Montagne Noire, France); les veines de charbon alternent
avec des grès fluviatiles; l'échelle est donnée par le personnage (flèche). B: détail montrant un tronc préservé
dans une des veines. Stéphanien.

Dans les charbons de type paralique, la séquence type est constituée d'une succession de sédiments pélitiques à
fossiles marins, suivie de pélites, siltites et éventuellement grès fluviatiles, puis de la veine de charbon. Le
charbon surmonte un sol caractérisé par des traces de racines. Dans le cas des sols développés sur sable, le grès
évolue souvent en quartzite très dur ("ganister"); dans le cas de sols sur sédiments plus fins, ce sédiment contient
des nodules de sidérite.

Dans beaucoup de séries houillères, on observe des niveaux de cendres volcaniques: tonsteins riches en kaolinite
et bentonites riches en smectites. Ces niveaux, de même que les niveaux marins à fossiles servent à dater ces
séries.

LES SCHISTES BITUMINEUX

Il s'agit de sédiments fins contenant de 4 à 50% de bitume ou de kérogène. On y observe une fine lamination,
faisant alterner lamines organiques et lamines détritiques. L'origine de la matière organique semble être algaire.
Ces deux observations permettent de supposer que ces schistes bitumineux se forment dans des corps d'eau

MRABTI Nabil 94 Ingénieur ENIT


stratifiés, où des blooms algaires en surface donnent lieu à des apports massifs et périodiques de matière
organique sur le fond anoxique. Ceci peut se produire en environnement lacustre aussi bien qu'en milieu marin.

LE PETROLE

Le pétrole est un mélange de solides (bitumes), de liquides (huiles) et de gaz. Sa formation résulte de l'évolution,
au cours de l'enfouissement, de la matière organique piégée dans des sédiments (roches-mères). Cette matière
organique à l'origine du pétrole est appelée "kérogène". A partir de ce kérogène, des réactions
thermocatalytiques produisent des alkanes et des naphtènes, les principaux constituants du pétrole. Au fur et à
mesure de l'enfouissement et de l'augmentation de température, la production de pétrole augmente, passe par un
maximum ("fenêtre à huile", entre 70 et 100°C) et diminue ensuite (Fig. XII.2). A plus grande profondeur, la
production de pétrole décroît au profit de la production de gaz (craquage naturel du pétrole en hydrocarbures
plus légers); il s'agit d'abord de "gaz humides" puis, au-dessus de 150°C, de "gaz secs". Le résidu de ce craquage
est appelé kérabitume.

Fig. XII.2: formation du pétrole. Les profondeurs sont indicatives et dépendent du gradient géothermique.

La formation d'un gisement de pétrole nécessite aussi un mécanisme de migration. La plupart des roches-mères
sont en effet des sédiments fins dont il n'est pas possible d'extraire le pétrole. Une première migration a lieu sous
l'effet de la compaction des sédiments (migration primaire); ensuite, le pétrole est amené au réservoir par des
drains (migration secondaire) sous l'effet de la gravité (le pétrole est moins dense que l'eau). La roche jouant le
rôle de réservoir peut posséder une micro-porosité (sable, grès, craie, dolomie) ou une porosité en grand
(calcaire). La géométrie des réservoirs peut résulter de la tectonique (anticlinaux, failles, diapirs) ou de la
sédimentation (discontinuité, onlap,...). Enfin, pour que le pétrole demeure dans le réservoir, il faut que celui-ci
soit surmonté d'une barrière imperméable. Les roches-barrières les plus fréquentes sont les argiles et les
évaporites.

XIII. Dépôts volcano-sédimentaires


INTRODUCTION

MRABTI Nabil 95 Ingénieur ENIT


Précisons d'abord le sens des termes utilisés. D'une manière générale, le terme "volcano-sédimentaire" pourrait
s'appliquer à n'importe quel sédiment renfermant du matériel volcanique en proportion importante. Mais on
réserve plutôt le terme aux dépôts élaborés par des processus où le volcanisme est dominant. C'est ce sens que
nous utiliserons dans la suite du chapitre; il implique donc la contemporanéité de la sédimentation et du
phénomène volcanique. Le terme "pyroclastique" s'applique aux roches résultant de l'accumulation de débris
volcaniques provenant de l'expulsion de matériaux volcaniques.

L'importance des dépôts volcano-sédimentaires reflète plus que leur simple abondance crustale, déjà
remarquable (environ 25% des roches sédimentaires). Ces sédiments sont en effet essentiels pour comprendre la
dynamique des orogènes; de plus, beaucoup de dépôts volcano-sédimentaires sont associés à des minéralisations
d'importance économique et enfin, il n'est pas nécessaire d'insister sur l'importance des manifestations
volcaniques sur l'activité humaine. Malgré cela, ces sédiments ont été peu étudiés, probablement par suite de leur
identification malaisée et de leur sensibilité à l'altération, mais aussi du fait de leur caractère mixte, impliquant à
la fois des processus sédimentaires et magmatiques (les spécialistes des deux disciplines se renvoyant la balle et
hésitant à s'aventurer dans des matières qu'ils maîtrisent plus difficilement).

Les dépôts volcano-sédimentaires ont ceci de particulier qu'ils échappent à la distribution zonale ou
bathymétrique de beaucoup de sédiments : ils peuvent donc être associés à n'importe quel type de faciès :
glaciaire, éolien, bathyal, littoral, etc. En outre, leur vitesse d'accumulation est très rapide : entre 103 et 106 fois
plus que la sédimentation normale, d'où une oblitération des caractères du milieu ambiant.

Les différents matériaux impliqués dans une manifestation volcanique comprennent les fractions solides
(cendres, lapilli, bombes), les solutions hydrothermales (enrichies en Si02, Mn, Fe, Al, Cu, As, P, Pb, Zn,...) et
les émanations gazeuses (H2O, CO, CO2, NH3, H2S, HCl, SO3,...). Il faut aussi insister sur le fait que les
matériaux éjectés durant les processus volcaniques ont un caractère réducteur. Par conséquent, tous les éléments
susceptibles d'être réduits vont l'être (Fe++, Mn++,...). De plus, si H2S est présent, les éléments lourds vont migrer
sous forme de sulfures (ce qui est tout à fait différent des processus de l'altération superficielle).

Notons également qu'au cours d'une éruption volcanique subaérienne, seuls les produits solides sont incorporés
dans la sédimentation environnante, tandis que les solutions hydrothermales sont diluées par les eaux
météoriques et que les émanations gazeuses sont dispersées dans l'atmosphère, alors que dans le cas des
éruptions sous-marines ou sous-lacustres, c'est la totalité de l'apport magmatique qui sera impliqué dans la
sédimentation.

Dans ce chapitre, nous allons passer rapidement en revue les différents types de dépôts volcano-sédimentaires en
insistant sur leur genèse.

A: dépôts volcanosédimentaires déformés par la chute d'une bombe volcanique (Laacherzee); B: dépôts
volcanosédimentaires décalés par un jeu de failles et recoupés par un dyke (Causse du Larzac).

ROCHES PYROCLASTIQUES

MRABTI Nabil 96 Ingénieur ENIT


Ces roches sont le résultat de la lithification des tephra. Le terme "tephra" est synonyme de dépôt
volcanoclastique, c'est-à-dire d'accumulation de matériaux éjectés par une éruption. Comme pour les roches
détritiques, une classification granulométrique est utilisée (Tab. XIII.1). Cette classification ne tient pas compte
de la composition des tephra.

Taille des constituants Equivalent détritique Tephra Roche pyroclastique


>62 mm galets, blocs blocs (anguleux) brèche volcanique
bombes (arrondies1) agglomérat
2-62 mm graviers, granules lapilli tuf à lapilli
62 µm-2 mm sable cendre grossière tuf grossier
<62 µm silt et argile cendre fine tuf fin
1
Tableau XIII.1 : classification granulométrique des roches pyroclastiques. les blocs anguleux sont des
fragments de lave refroidie avant leur éjection; les bombes sont des paquets de lave qui se figent durant leur
projection.

D'autres classifications sont basées sur des critères pétrographiques, c'est le cas par exemple de la classification
de Friedman et al. (1992) qui utilise un diagramme triangulaire (Fig. XIII.1). Ce diagramme permet de
subdiviser les tufs en fonction de la proportion relative de trois constituants : les débris lithiques, les cristaux
(surtout des feldspaths et du quartz, euhédraux et zonés) et les fragments de verre volcanique. Les tufs à
fragments de verre volcanique sont issus de la désagrégation de laves, les tufs cristallins se forment quand une
partie du magma a commencé à cristalliser avant l'éruption et les tufs lithiques sont constitués de fragments de
roche volcanique ou de l'encaissant remaniés au cours de l'éruption. Les deux classifications citées ci-dessus sont
souvent combinées pour donner des noms du type "tuf lithique à lapilli", "tuf cristallin grossier", etc.

Fig. XIII.1: classification des roches pyroclastiques.

Envisageons maintenant la genèse des différents types de roches pyroclastiques.

Les retombées pyroclastiques (" pyroclastic air-fall deposits ") se forment à proximité des volcans avec un
granoclassement latéral (les éléments les plus grossiers se situant le plus près des centres d'émission) et une
épaisseur variable, fonction de la distance au volcan. L'extension des dépôts pyroclastiques est largement
dépendante du volume des ejecta et des caractéristiques des vents dominants. Chaque retombée peut être
grossièrement granoclassée, avec les dépôts les plus fins au sommet. Les tephra peuvent être plus ou moins
soudés entre eux, en fonction de leur température au moment de leur dépôt.

Les ignimbrites sont produites par des nuées ardentes. Celles-ci sont des nuages d'un mélange de tephra chauds
(fragments de verre, cristaux et débris lithiques) et de gaz, se propageant sous l'effet de la gravité à des vitesses
atteignant 200 km/h. Ce sont en fait des courants de densité dont les grains sont maintenus en suspension sous
l'effet des chocs interparticulaires et de l'échappement des gaz. D'un point de vue textural, les ignimbrites
montrent une grande variété de granulométrie, les éléments les plus grossiers étant généralement concentrés vers

MRABTI Nabil 97 Ingénieur ENIT


le haut (il s'agit donc d'un granuloclassement inverse). Une des caractéristiques importantes des ignimbrites est la
présence de grains soudés par la chaleur dans leur partie la plus interne et le caractère plan de la surface
supérieure des dépôts: contrairement aux retombées pyroclastiques, les ignimbrites ne nappent pas le relief
préexistant mais s'écoulent dans les dépressions, à la manière des fluides (Fig. XIII.2).

Les dépôts de "pyroclastic surge" sont également des écoulements de matériaux pyroclastiques, mais à la
différence des ignimbrites, ils sont plus fins et montrent des laminations planes, en auge, des antidunes, etc. Ils
possèdent un granoclassement modéré à faible, avec une décroissance granulométrique rapide lorsqu'on s'éloigne
de la source. On pense que les "pyroclastic surge" sont des écoulements gravitaires de faible densité, dont les
particules sont maintenues en suspension par la turbulence d'un fluide (gaz, eau). Ils se forment lors du collapse
d'un panache volcanique saturé en vapeur d'eau (en fait, ce phénomène a été mis en évidence lors des premières
explosions nucléaires) ou lorsqu'un magma entre en contact avec de l'eau. Les pyroclastic surges ont tendance à
napper les reliefs, mais montrent quand même une épaisseur plus importante dans les dépressions (Fig. XIII.2).

Les lahars sont des mudflows constitués d'une majorité de matériel volcanique. Ils se forment lorsque des dépôts
pyroclastiques non consolidés sont mis en mouvement sur le flanc d'un volcan suite à de fortes pluies ou lors
d'une éruption sous-glaciaire. Ces lahars possèdent les caractères des autres mudflows comme leur richesse en
matrice et leur très faible classement (sauf un grossier granoclassement inverse, voire un granoclassement
inverse à la base de l'unité, suivi d'un granoclassement normal à son sommet). Les lahars peuvent être distingués
facilement des pyroclastic surges par l'absence de stratifications et par la présence de matériaux divers comme
des troncs d'arbre, branches, etc.

Fig. XIII.2: géométrie de différents types de dépôts volcano-sédimentaires par rapport au relief préexistant.

AUTRES DEPOTS VOLCANO-SEDIMENTAIRES

D'autres types de roches sédimentaires sont liés à une activité magmatique autre qu'une éruption volcanique.
Citons essentiellement les brèches autoclastiques qui sont dues au refroidissement et à la bréchification de la
partie supérieure d'une coulée de lave en mouvement et surtout les hyaloclastites qui résultent de la
fragmentation d'un verre volcanique par contact avec l'eau. Beaucoup de pillow-lava sont associées à des
hyaloclastites.

MRABTI Nabil 98 Ingénieur ENIT


Revenons aussi sur les émanations gazeuses et les solutions hydrothermales qui se propagent dans la mer ou dans
les lacs lors des éruptions sous-aquatiques. La silice, différents composés de Fe, Mn, Al ou des éléments mineurs
comme As, Ba,... vont précipiter pour former une partie du sédiment. Le processus de précipitation de ces
composés est apparemment purement chimique et non biochimique comme dans la sédimentogenèse "normale".

Des changements dans le milieu physico-chimique de secteurs où se manifestent des éruptions sous-aquatiques
peuvent provoquer une précipitation chimique temporaire et des phénomènes locaux particulier. Relevons entre
autre:

• beaucoup de CO2 et parfois du HCl, HF et SO3 sont injectés dans le milieu de sédimentation dont ils
abaissent le pH. Ceci retarde inévitablement la précipitation carbonatée (avec une remontée éventuelle
de la lysocline);
• quand des solutions hydrothermales dépourvues d'oxygène sont injectées dans l'océan, de grandes
masses d'eau peuvent acquérir un caractère réducteur, provoquant la précipitation de carbonates et de
silicates de Fe et Mn ;
• lorsque de grandes quantités de H2S sont émises, des conditions favorables à la précipitation des
sulfures de Fe, Pb, Zn à partir des eaux marines sont réalisées.

Ainsi, les émanations volcaniques provoquent l'apparition locale de minéraux qui, dans les conditions normales
de la sédimentogenèse, ne se formeraient que durant la diagenèse ou dans des environnements très riches en
matière organique.

DIAGENESE DES MATERIAUX VOLCANO-SEDIMENTAIRES

Les verres volcaniques sont métastables: dans la plupart des cas, ils ne sont pas observés dans des roches plus
anciennes que le Tertiaire. De ce fait, les dépôts volcano-sédimentaires anciens sont souvent difficiles à mettre
en évidence. Les produits de l'altération des verres volcaniques sont les argiles, les zéolites et la palagonite
(altération sous-marine des basaltes).

Les argiles issus de la diagenèse des verres volcaniques sont la montmorillonite, la saponite et la kaolinite. Les
bentonites sont des lits riches en smectite issus de l'altération de cendres volcaniques. L'équivalent riche en
kaolinite est appelé tonstein. Outre la nature minéralogique des argiles, la présence de (pseudomorphes de)
fragments de verre et de cristaux euhédraux zonaires de quartz, feldspath ou de pyroxène peuvent aider à
identifier l'origine volcano-sédimentaire d'un niveau argileux.

En ce qui concerne la palagonite, c'est un matériau amorphe, translucide, orangé, souvent observé en bordure des
grains d'hyaloclastite. Il s'agit d'une altération du verre volcanique par hydratation, oxydation du fer,
augmentation du K et Fe et perte de Na et Mg. La palagonite n'est pas un minéral, mais un mélange de
montmorillonite et de phillipsite.

Enfin, beaucoup d'hyaloclastites sont cimentées par de la calcite.

MRABTI Nabil 99 Ingénieur ENIT

Vous aimerez peut-être aussi