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Rev Rhum [Éd Fr] 2000 ; 67 : 900-7

Altered bone metabolism in patients with osteoarthritis – Joint Bone Spine 2000 ; 67 (in press)
© 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés
ARTICLE ORIGINAL S1169833000000351/FLA

Anomalies de la densité minérale osseuse chez des


patients suivis pour arthrose

Yasser M. El Miedany1*, Annie N. Mehanna2, Mohammed A. El Baddini3


1
Service de rhumatologie et de rééducation, faculté de médecine, université Ain Shams, Égypte ; 2service de
radiologie, faculté de médecine, université Ain Shams, Égypte ; 3service d’anatomopathologie, institut sur le cancer,
université du Caire, Le Caire, Égypte

(Reçu le 12 juillet 1999 ; accepté le 28 juin 2000)

Résumé – Objectifs. Étudier la relation entre arthrose et densité minérale osseuse et déterminer l’existence
d’anomalies du métabolisme minéral osseux par dosage des marqueurs biochimiques de formation et de
résorption osseuse. Méthodes. Quarante femmes et 20 hommes ont été inclus dans l’étude. L’arthrose
rachidienne et la gonarthrose étaient définies radiologiquement et un score leur était attribué (scores de Lane
et de Spector). La densité minérale osseuse (DMO) du rachis lombaire était mesurée par scanner. Le taux
de remodelage osseux était estimé par dosage des marqueurs de résorption osseuse (déoxypyridinoline
urinaire) et de formation osseuse (phosphatase alcaline osseuse). Quarante femmes et 20 hommes de
même âge ont été inclus dans le groupe contrôle. Résultats. La DMO était supérieure chez les femmes avec
arthrose rachidienne lorsque celles-ci étaient comparée au groupe contrôle (p < 0,05). La DMO des
hommes arthrosiques était supérieure à celle du groupe contrôle mais la différence n’était pas significative.
Les marqueurs de résorption osseuse étaient au-dessus des valeurs normales. Cependant ils étaient
inférieurs à ceux du groupe contrôle. De même les marqueurs de formation osseuse étaient inférieurs à ceux
du groupe contrôle. Conclusion. L’arthrose rachidienne est associée à une augmentation de la DMO. L’effet
protecteur de l’arthrose rachidienne sur l’ostéoporose pourrait être médiée par une diminution du remode-
lage osseux. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
arthrose / densité minérale osseuse

Summary – Altered bone metabolism in patients with osteoarthritis. Objective. Investigation of the
relationship between osteoarthritis (OA) and mineral density, and determination of any alteration in bone
mineral, metabolism as assessed by biochemical markers of bone resorption and formation. Methods.
Forty females and 20 males were included in the study. Spinal OA as well as knee OA were defined from
radiographs and graded according to Lane and Spector scoring systems. Bone mineral density (BMD) of the
lumbar spine was measured by osteo CT. Bone turnover rates were estimated by measuring biochemical
markers of bone resorption (urinary deoxypyridinoline) and bone formation (bone-specific alkaline phos-
phatase). Forty females and 20 males of the same age were studied as a control group. Results. BMD was
greater in women with spinal OA as compared to controls (P < 0.05). Also, males with OA had a

* Correspondance et tirés à part : 2, Italian Hospital St Abbassia, Le Caire, 11381, Égypte.


Adresse e-mail : miedanycrd@usa.net (Y.M. El Miedany).
Anomalies de la densité minérale osseuse dans l’arthrose 901

non-significantly higher BMD than controls. The bone resorption markers were higher than normal values.
However, they were lower than the control group. Similarly, the bone formation markers were lower as
compared to the control group. Conclusion. Spinal OA is associated with higher BMD. This protective effect
of spinal OA against osteoporosis may be mediated through decreased rate of bone turnover. © 2000
Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
bone mineral density / osteoarthritis

Bien que l’arthrose et l’ostéoporose soient des affections PATIENTS ET MÉTHODES


fréquentes chez les personnes âgées, elles ne sont pas
uniquement dues à l’âge ou à des différences morpho- Patients
logiques. La coexistence de ces deux maladies chez un
même patient a, jusqu’à présent été considérée comme Quarante femmes égyptiennes ménopausées et 20 hom-
rare, d’où la suggestion d’une relation inverse entre mes égyptiens ayant un diagnostic d’arthrose sous la
arthrose et ostéoporose [1]. Des preuves de l’existence forme d’arthrose rachidienne et/ou de gonarthrose ont
d’une relation pourraient apporter des informations été recrutés au hasard dans la consultation externe de
étiologiques importantes. Cependant, les études actuel- médecine physique à l’université Ain Shams. L’histoire
les ne donnent pas de conclusions définitives [2]. Des médicale complète et un examen clinique détaillé ont
études en faveur d’une relation contraire aussi bien que été pratiqués pour chaque patient en prenant particu-
des études ne montrant pas de relation ont été publiées lièrement en compte les symptômes et les signes d’arth-
[3-8]. rose lombaire, de gonarthrose et de coxarthrose. Lors de
l’examen initial le poids et la taille étaient mesurés et
Une augmentation de la densité minérale osseuse l’indice de masse corporelle (IMC = poids/m2) était
(DMO) dans une région arthrosique pourrait être un calculé pour estimer l’obésité. Aucun de nos patients
artéfact du à la présence d’ostéophytes, d’un pincement n’avait d’antécédent de fracture. Les patients aux anté-
de l’interligne articulaire ou d’une sclérose sous- cédents d’atteinte rénale étaient exclus de l’étude.
chondrale de la zone intéressée. Elle pourrait également Étaient également exclus : les patients ayant des antécé-
être le reflet d’une action diffuse de l’arthrose sur le dents pathologiques (par exemple : diabète, hyperthy-
squelette ou une combinaison des deux. Si l’arthrose a roïdie, hypercorticisme endogène ou iatrogène), de
un effet diffus sur le squelette, l’étude du métabolisme cancer, de traitement médicamenteux (stéroïdes, hor-
osseux pourrait être importante pour comprendre la mones thyroïdiennes, diurétiques thiazidiques, antimi-
physiopathologie de l’ostéoporose. Peu d’études concer- totiques, héparine et anticonvulsivants) pouvant
nant le mécanisme de l’interaction entre masse osseuse modifier le métabolisme minéral osseux. Aucune de nos
et arthrose ont été publiées. Le développement de patientes ménopausées n’était traitée par hormonothé-
méthodes biochimiques non-invasives de mesure des rapie substitutive ou par aucun autre traitement de
marqueurs de résorption et de formation osseuse per- l’ostéoporose. Aucun de nos patients n’était tabagique,
met une estimation du taux de remodelage osseux dans alcoolique ou alité.
de larges cohortes de sujets. Il existe peu de publications
sur les marqueurs biochimiques au cours de l’arthrose Analyse radiologique
rachidienne [9]. Par ailleurs, les études sur les hommes
suivis pour arthrose sont rares [6, 10]. Dans ce travail, Des radiographies antéropostérieure et latérale du rachis
nous avons mené une étude contrôlée pour déterminer cervical, thoracique et lombaire, des genoux et des
si la présence d’arthrose rachidienne était associée à une hanches ont été effectuées chez tous les patients. L’arth-
augmentation globale de la DMO et si oui, s’il existait rose lombaire était définie à partir des radiographies, et
une différence entre les sexes. Ce travail visait également un score était attribué selon les critères de Lane et al.
à étudier le mécanisme tissulaire sous-jacent par évalua- [11]. Les scores attribués étaient séparés en peu sévère
tion des marqueurs biochimiques du métabolisme (≤ 2), modéré (3–5) ou sévère (≥ 6). La gonarthrose
osseux. était définie radiologiquement, le score utilisé était celui
902 Y.M. El Miedany et al.

de Spector et al. [12]. Les scores s’étalaient de peu sévère ont été réalisés. Des échantillons d’urine du matin ont
(≤ 3), modéré (4–7) à sévère (≥ 8). Le score maximum été congelés à – 70 °C afin de grouper les dosages. Des
(côté droit ou gauche) était pris en compte dans l’ana- échantillons sanguins veineux ont été prélevés, centri-
lyse. Les radiographies étaient toutes revues par le même fugés et gardés de la même façon. La deoxypyridinoline
observateur, non informé du résultat de la densité miné- a été mesurée dans les urines par estimation des
rale osseuse. Pyrilinks-D en utilisant une méthode Elisa. Les kits de
Métrobiosystemst ont été utilisés. Les phosphatases
Densitométrie osseuse alcalines osseuses étaient mesurées grâce à un Elisa
(Métrobiosystemst).
La densité minérale osseuse a été mesurée par scanner
quantitatif (Siemens) des vertèbres L1–L3. La procé- Groupe contrôle
dure était effectuée suivant la méthode de Cann et
Gennant [13]. En résumé, un fantôme standard (QCT Quarante femmes égyptiennes ménopausées et 20 hom-
Bone Mineral Analysis System, San Francisco, Califor- mes égyptiens, appariés pour l’âge, tirés au sort ont été
nie, États-Unis) contenant du phosphate de potassium inclus dans le groupe contrôle. Ils n’avaient aucun
était placé sous le patient. Les curseurs étaient placés sur antécédent pathologique ou traitement connu pour
l’image de la vertèbre pour définir des sections transver- affecter le métabolisme osseux. Ils ont subi les mêmes
ses de 100 mm d’épaisseur passant par le centre de L1, explorations biologiques et radiologiques. L’étude et
L2 et L3. Des clichés transverses de chaque vertèbre l’objectif de ce travail ont été expliqués à tous les
étaient obtenus et utilisés pour positionner les curseurs participants. Tous les patients et les contrôles ont signé
en forme d’ellipse dans la zone trabéculaire de chaque un consentement écrit.
corps vertébral. Des mesures scannographiques étaient
alors obtenues pour la vertèbre sélectionnée. Les réfé- Analyse statistique
rences des mesures rachidiennes étaient des courbes
obtenues à partir de standards (caucasien, européen). Les données ont été analysées par SPSS (Statistical
Les résultats étaient exprimés en Z-score (nombre de Package for Social Sciences) sur IBM-PC. Les différentes
d’écart-type au-dessus ou en dessous de la normale variables étaient décrites par leur moyenne ± écart-type
après comparaison avec les valeurs des contrôles appa- (ET). Le test t de Student a été utilisé pour comparer les
riés pour l’âge et le sexe fournies par le fournisseur). Le patients et les contrôles, le test de Mann-Whitney pour
T-score des femmes était calculé suivant l’équation comparer les variables qui n’étaient pas normalement
fournie par le fournisseur : distribuées. Le coefficient de corrélation de Spearmann
a été utilisé pour évaluer la corrélation entre le contenu
DMO 共 trabéculaire 兲 − 159,1 minéral osseux trabéculaire et cortical, les scores d’arth-
rose lombaire et de gonarthrose. Les effets de l’obésité
共 DMO de femmes de 35 ans 兲 ont été évalués par un coefficient de corrélation de
27,6 共 ET 兲 Spearmann et par régression linéaire multiple par Stata
6 pour Windows 98.
Le T-score pour les hommes était calculé suivant l’équa-
tion fournie par le fournisseur : RÉSULTATS

Le tableau I compare les différentes variables de l’étude


DMO 共 trabéculaire 兲 − 174,5 entre les patients arthrosiques (hommes et femmes) et le
共 DMO d ' hommes de 20 ans 兲 groupe contrôle. Les patients arthrosiques avaient un
26,5 共 ET 兲 contenu minéral osseux (CMO) plus élevé que le groupe
contrôle. Cette différence était significative (p < 0,01)
Marqueurs biochimiques du remodelage osseux chez les femmes mais n’était pas significative chez les
hommes. Les marqueurs de résorption et de formation
Des dosages du calcium sérique, du phosphore, des osseuse étaient plus bas chez les patients arthrosiques
phosphatases alcalines, de la deoxypyridinoline urinaire que chez les contrôles. Cette différence était également
(marqueur de la résorption osseuse) et des phosphatases significative (p < 0,01) chez les femmes alors qu’elle ne
alcalines osseuses (marqueur de la formation osseuse) l’était pas chez les hommes. Les patients arthrosiques
Anomalies de la densité minérale osseuse dans l’arthrose 903

Tableau I. Comparaison des variables de l’étude entre les patients arthrosiques hommes et femmes et le groupe contrôle.
Variable Femmes Hommes
Groupe arthrose Groupe contrôle p Groupe arthrose Groupe contrôle p
Âge (années) 53,75 ± 5,11 52,9 ± 5,96 NS 52,35 ± 6,4 51,55 ± 6,4 NS
Années depuis la ménopause 6,21 ± 4,2 7,84 ± 5,6 NS
Parité 5,47 ± 3,4 5,35 ± 3,8 NS
Indice de masse corporelle 33,05 ± 5,41 29,34 ± 3,49 p < 0,001 31,65 ± 3,56 29,79 ± 2,74 NS
(poids/taille2)
Calcium (mmol/L) 2,23 ± 0,14 2,19 ± 0,12 NS 2,16 ± 0,11 2,19 ± 0,09 NS
Phosphore (mmol/L) 3,74 ± 0,62 3,71 ± 0,48 NS 3,69 ± 0,519 3,61 ± 0,386 NS
Phosphatase alcalines (mmol/L) 161,93 ± 59,9
DMO corticale (mg/cm3) 241,04 ± 37,1 234,67 ± 42,1 NS 318,3 ± 45,05 299,95 ± 58,10 NS
DMO trabéculaire (mg/cm3) 99,22 ± 29,6 81,06 ± 38,7 p < 0,01 153,5 ± 27,9 146,3 ± 31,3 NS
Z-score – 0,66 ± 0,892 – 1,29 ± 0,875 p < 0,01 0,87 ± 0,68 0,82 ± 0,66 NS
T-score – 2,17 ± 1,153 – 2,83 ± 1,035 p < 0,01 – 0,93 ± 1,113 – 1,10 ± 1,074 NS
Score radiologique rachis lombaire 4,8 ± 1,62 0,25 ± 0,44 p < 0,01 4,7 ± 1,63 0,3 ± 0,47 p < 0,01
Score radiologique genou 5,8 ± 1,62 0,3 ± 0,47 p < 0,01 5,6 ± 1,63 0,25 ± 0,44 p < 0,01
Deoxypyridinoline (nmoL/mmoL) 6,745 ± 1,45 7,955 ± 1,97 p < 0,01 4,41 ± 1,74 5,09 ± 1,89 NS
Phosphatases alcalines osseuses (U/L) 17,17 ± 5,92 22,19 ± 5,71 p < 0,01 16,25 ± 4,06 17,45 ± 3,66 NS
NS : non significatif.

avaient un indice de masse corporelle (IMC) plus élevé ment : p < 0,03 et p < 0,02). Le tableau IV montre que
par rapport au groupe témoin (p < 0,01 dans le groupe le poids corporel exprimé en indice de masse corporelle
des femmes). Les tableaux IIAet B sont les analyses de n’est pas corrélé significativement avec le score radiolo-
variance montrant la valeur moyenne du contenu miné- gique d’arthrose ni avec la DMO (respectivement :
ral osseux trabéculaire et cortical pour différents stades r = 0,116 et 0,096). Par contre la densité minérale
d’arthrose lombaire et de gonarthrose. Cela confirme osseuse était corrélée significativement avec le score
l’existence d’une corrélation significative entre la DMO radiologique d’arthrose (r = 0,729, p < 0,01). En
et le degré d’arthrose. contrôlant l’indice de masse corporelle (tableau V), la
Le tableau III montre la comparaison du Z-score DMO était encore corrélée significativement avec l’arth-
entre des femmes obèses arthrosiques (28/40) rose. L’analyse de régression multiple a été faite deux
(IMC > 30) et non arthrosiques (18/40), et une com- fois : dans le premier modèle le T-score était la variable
paraison entre des femmes non obèses arthrosiques dépendante, dans le second la DMO était la variable
(12/40) (IMC < 30) et non arthrosiques (22/40). Dans dépendante. Dans les deux l’indice de masse corporelle
les deux cas la différence est significative (respective- avait été exclu du modèle. Les coefficients de régression

Tableau IIA. Analyse de variance montrant les valeurs moyennes et la corrélation entre le contenu minéral osseux et les différents stades
d’arthrose lombaire (femmes).
Stades Léger (grade I) Modéré (grade II) Sévère (grade III) p
Variables
Contenu minéral osseux cortical 236,5 ± 40,4* 286,7 ± 55,1* 279,26 ± 53,82 p < 0,001
Contenu minéral osseux trabéculaire 92,7 ± 26,75* 121,01 ± 37,9* 139,6 ± 36,43 p < 0,001

Tableau IIB. Analyse de variance montrant la corrélation entre le contenu minéral osseux et les différents stades d’arthrose lombaire (femmes).
Stades Léger (grade I) Modéré (grade II) Sévère (grade III) p
Variables
Contenu minéral osseux trabéculaire 91,24 ± 27,23 112,95 ± 32,5 144,5 ± 37,3 p < 0,001
Contenu minéral osseux cortical 236,5 ± 41,67 273,7 ± 51,9 284,48 ± 57,07 p < 0,001
904 Y.M. El Miedany et al.

Tableau III. Comparaison du Z-score entre les patients arthrosiques et obèses et non obèses et les contrôles.
Arthrose obèse Contrôle obèse p Arthrose non obèse Contrôle non obèse p
(28/40) (18/40) (12/40) (22/40)
Z-score – 0,33 ± 0,96 – 1,07 ± 1,23 p < 0,03 – 0,41 ± 1,23 – 1,12 ± 2,25 p < 0,02

du score d’arthrose étaient respectivement de 0,681 et Nevitt et al. qui avaient constaté qu’une augmentation
0,636 (tableau VI). de la DMO des sites axiaux et périphériques était asso-
ciée à la présence et à la taille des ostéophytes de la
DISCUSSION hanche [18]. En revanche, un pincement isolé de l’inter-
ligne articulaire n’était pas associé à une augmentation
Nous avons retrouvé que les femmes âgées égyptiennes de la DMO.
ayant des signes d’arthrose radiologiques modérés à
Les dosages des marqueurs biochimiques du remode-
sévères avaient une DMO du squelette axial significati-
lage osseux nous ont permis d’évaluer le mécanisme
vement plus élevée (p < 0,02) que les femmes sans ou
d’élévation de la DMO chez des patients arthrosiques.
avec de minimes signes radiologiques d’arthrose. La
DMO était augmentée non seulement chez les femmes Dans le groupe des femmes, les marqueurs de résorp-
souffrant d’arthrose lombaire, mais également chez cel- tion et de formation osseuse étaient significativement
les souffrant de gonarthrose. L’augmentation de la plus bas (p < 0,01) chez les patientes arthrosiques que
DMO chez les femmes arthrosiques n’était pas expli- chez les contrôles. Chez les hommes les marqueurs de
quée par les facteurs de confusion tels que l’âge, le résorption et de formation osseuse étaient plus bas chez
poids, l’activité physique ou l’utilisation de traitements les patients arthrosiques. Les patients arthrosiques pour-
augmentant la DMO. Chez les hommes, bien que la raient donc avoir un taux de remodelage osseux plus
différence ne soit pas significative, la DMO était égale- bas. Nos résultats sont en accord avec ceux de Peel et al.
ment supérieure dans le groupe des patients arthrosi- et de Gevers et al. qui retrouvaient une diminution des
ques. Nos résultats sont en accord avec ceux des études marqueurs de résorption et de formation osseuse chez
antérieures qui montraient que la DMO était non des femmes avec arthrose rachidienne [9, 14].
seulement augmentée au niveau du rachis mais égale- Une arthrose généralisée pourrait être un indicateur
ment au niveau de sites où il n’y avait pas d’ostéophytes des patients à faible risque d’ostéoporose. L’augmenta-
ou de sclérose sous-chondrale [6, 14-17]. De plus nos tion généralisée de la DMO dans l’arthrose indique que
résultats retrouvent une corrélation significative entre cette affection pourrait être initialement une affection
DMO et scores radiologiques de gonarthrose et de osseuse sous-chondrale plutôt qu’une pathologie du
lombarthrose. Ces résultats sont en accord avec ceux de cartilage [19]. Il existe plusieurs explications possibles

Tableau IV. Coefficients de corrélation de Spearmann entre les différentes variables de l’étude.
Variable IMC Score d’arthrose T-score DMO
IMC 1,00 r = 0,116 NS r = 0,151 NS r = 0,096 NS
Score d’arthrose r = 0,116 NS 1,000 r = 0,729 p < ,001* r = 0,720 p < 0,001*
T-score r = 0,151 NS r = 0,729 p < 0,001* 1,00 r = 0,951 p < 0,001*
DMO R = 0,96 NS r = 0,720 p < 0,001* r = 0,951 p < 0,001* 1,000
* Corrélation statistiquement significative avec p < 0,01. DMO : densité minérale osseuse.

Tableau V. Corrélation des variables testées après contrôle du poids corporel.


Variable DMO Score d’arthrose T-score
DMO 1,000 r = 0,6315 p < 0,001 r = 0,9228 p < 0,001
Score d’arthrose r = 0,6315 p < 0,001 1,000 r = 0,6756 p < 0,001
T-score r = 0,9228 p < 0,001 r = 0,6756 p < 0,001 1,000
DMO : densité minérale osseuse.
Anomalies de la densité minérale osseuse dans l’arthrose 905

Tableau VI. Analyse de régression multiple entre l’arthrose et la et al. [26], les auteurs rapportent que les femmes ont
densité minérale osseuse. une incidence de gonarthrose 1,5 à 2 fois supérieure à
Variable Constant Coefficient de p celle des hommes. Quam et al. ont rapporté que la
dépendante régression score fréquence des prothèses totales de genoux et de hanches
d’arthrose ajustée sur l’âge était respectivement de 40 et 30 % plus
T-scoreC – 4,344 0,681 p < 0,001 élevée chez les femmes [27].
DMO 37,681 0,636 p < 0,001 L’association entre l’obésité et l’arthrose a été explo-
DMO : densité minérale osseuse. rée par des études transversales et de cohorte [26, 28-30].
La plupart des études utilisaient l’indice de masse cor-
porelle comme mesure de l’obésité. Dans l’étude de
quant à la relation inverse entre arthrose et ostéoporose. Hochberg et al. [10], le poids corporel était associé à
Dans notre étude aussi bien que dans d’autres [3, 4, 6] une gonarthrose bilatérale et certaine dans les deux
l’association dépasse une articulation seule et est corré- sexes. Ce travail supporte l’hypothèse de facteurs méca-
lée au degré de l’arthrose. Ces résultats suggèrent que niques et non systémiques pour expliquer cette associa-
des facteurs généralisés puissent jouer un rôle. tion entre obésité et arthrose. Les résultats de notre
Des taux élevés d’insulin-like growth factor (IGF) I et étude montrent que l’IMC n’est pas significativement
II et de transforming growth factor beta (TGF-β), les plus corrélé avec le contenu minéral osseux trabéculaire, le
abondants facteurs de croissance de l’os humain ont été T-score ni avec le score radiologique. Cependant, le
retrouvés dans la matrice de la crête iliaque de patients groupe des patients arthrosiques étudié avait un indice
arthrosiques. Cet élément est compatible avec l’hypo- de masse corporelle plus élevé (p < 0,001) que le groupe
thèse d’une activité ostéoblastique augmentée de façon contrôle. Après avoir éliminé le rôle du poids corporel,
diffuse chez ces patients [20]. Les propriétés anaboli- l’arthrose était significativement corrélée avec la DMO.
ques de ces facteurs de croissance pourraient contribuer Nos résultats semblent confirmer l’observation que le
à une plus grande rigidité de l’os sous-chondral, respon- poids corporel est associé à l’arthrose. Bien que l’asso-
sable d’altérations du cartilage. L’IGF et le TGF-β sont ciation entre obésité et ostéoporose chez des patients
connus pour augmenter la réplication des ostéoblastes souffrant d’arthrose rachidienne ne soit pas fréquem-
et pour promouvoir la synthèse de différents compo- ment rapportée par rapport à la gonarthrose, nos résul-
sants protéiques, dont le procollagène I [21]. De plus, tats supportent l’hypothèse suivant laquelle l’obésité
l’IGF-I et II induisent une apposition de la matrice aurait un effet systémique protecteur contre l’ostéopo-
collagène et diminuent la dégradation du collagène rose. Mais ce n’est pas le seul facteur impliqué. La
ainsi que l’expression de la collagénase interstitielle conversion de l’androstènedione en estrone dans le
suggérant qu’ils aient un rôle dans la conservation de la tissus graisseux représente la source principale d’estro-
matrice osseuse. En dehors de l’obésité qui leur est un gènes chez les femmes après la ménopause [31] et la
facteur commun [22], l’activité physique précoce au sécrétion des IGF et TGF-β par les cellules osteoblastes-
cours de la vie pourrait favoriser l’association entre like induite par les estrogènes est bien documentée. Le
ostéoporose et arthrose. En effet il a été montré qu’une dépôt osseux de facteurs de croissance dans l’os, médié
activité physique intense au cours de la jeunesse était un par les estrogènes pourrait donc être impliqué dans
élément important pour atteindre le pic de masse osseuse l’élévation de la densité et de la rigidité de l’os trabécu-
[23] mais pourrait en revanche conduire à une augmen- laire dans l’arthrose, contribuant à la pathogenèse de
tation du risque d’arthrose plus tard dans la vie [24, 25]. l’arthrose mais protégeant aussi des fractures ostéopo-
La différence entre les sexes en terme de significativité rotiques [32]. Cependant dans une étude de cohorte
de la relation inverse entre l’arthrose et la DMO peut récente portant sur 5 552 femmes âgées [33], les patien-
être expliquée par les modifications physiologiques sur- tes arthrosiques n’avaient pas de réduction significative
venant chez les femmes lors de la ménopause, respon- du risque de fracture ostéoporotique. Plus intéressants
sables d’une augmentation de la résorption osseuse et encore sont les résultats rapportés par Foss et Byers
donc de l’ostéoporose. L’augmentation du remodelage [34], et Roh et al. [35], qui trouvaient que la relation
osseux pourrait amplifier l’effet systémique de l’arthrose inverse entre arthrose et ostéoporose ne pouvait que
chez les femmes par rapport aux hommes qui ont une partiellement être expliquée par un excès absolu ou
masse osseuse plus élevée et n’ont pas de modifications relatif en estrogènes. Une augmentation des taux d’hor-
hormonales à cet âge. De plus, dans le travail de Felson mones de croissance circulantes, que ce soit du taux de
906 Y.M. El Miedany et al.

base ou de la réponse des hormones de croissance aux de ne pas développer de remaniements dégénératifs dus
stimuli indirects a été documentée dans l’arthrose par à l’âge.
rapport à l’ostéoporose et pourrait avoir une significa-
tion pathogénique, l’hormone de croissance ayant un RÉFÉRENCES
effet positif sur l’os et le cartilage. 1 Foss MVL, Byers PD. Bone density, osteoarthrosis of the hip
La densité minérale osseuse vertébrale est habituelle- and fracture of the upper end of the femur. Ann Rheum Dis
ment mesurée dans le plan antéropostérieur bien que 1972 ; 31 : 259-64.
2 Hodon LD, Wright V, Smith NI. A. Bone mass in osteoarthri-
cette méthode puisse être responsable de fausses valeurs tis. Ann Rheum Dis 1992 ; 51 : 823-8.
élevées. Une élévation de la DMO mesurée dans une 3 Gevers G, Dequeker J, Geusens P. Physical and histomorpho-
région affectée par l’arthrose pourrait être due aux logical characteristics of iliac crest bone differ according to the
artéfacts dus à la présence d’ostéophytes, d’un pince- grade of osteoarthritis at the hand. Bone 1989 ; 10 : 173-7.
4 Reid IR, Evans MC, Ames R, Wattie DJ. The influence of
ment articulaire ou d’une sclérose de la région intéres- osteophytes and aortic calcification on spinal mineral density in
sée. Les calcifications aortiques sont une autre source postmenopausal women. J Clin Endocrinol Metab 1991 ; 72 :
d’erreur. De plus, lors de la mesure de la DMO par 1372-6.
5 Äström J, Beertema J. Reduced risk of hip fractures in the
densitométrie osseuse l’élément rachidien postérieur mothers of patients with osteoarthritis of the hip. J Bone Joint
riche en os cortical est inclus alors que l’intérêt principal Surg 1992 ; 74B : 270-5.
est l’os trabéculaire présent dans le corps vertébral. La 6 Hannan MT, Anderson JJ, Zhang Y. Bone mineral density and
knee osteoarthritis in elderly men and women. The Framin-
plus faible reproductibilité et les difficultés techniques gham study. Arthritis Rheum 1993 ; 36 : 1671-6.
associées à la densitométrie osseuse latérale limitent 7 Price T, Hesp R, Mitchell R. Bone density in generalized
l’application de cette méthode [36]. Ces raisons nous osteoarthritis. J Rheumatol 1987 ; 14 : 560-5.
8 Orwall ES, Oviatt SK, Mann T. The impact of osteophytic and
ont fait préférer une mesure de la DMO par scanner vascular calcifications on vertebral mineral density measure-
plutôt que par densitométrie osseuse dans le plan anté- ments in men. J Clin Endocrinol Metab 1989 ; 70 : 1202-6.
ropostérieure. La mesure de la DMO par scanner a 9 Peel NF, Barrington NA, Blumsohn A. Bone mineral density
and bone turnover in spinal osteoarthritis. Ann Rheum Dis
l’avantage de mesurer sélectivement les compartiments 1995 ; 54 : 867-71.
trabéculaire et cortical des vertèbres et a été reconnue 10 Hochberg MC, Lethbridge-Cejku M, Scott WW. Upper extre-
comme étant une méthode sensitive pour évaluer la mity bone mass and osteoarthritis of the knees. Data from the
Baltimore Longitudinal Study of Aging. J Bone Miner Res
densité minérale osseuse chez les patients ayant une 1995 ; 10 : 432-6.
ostéoporose. Elle a aussi l’avantage d’exclure les élé- 11 Lane NE, Nevitt MC, Genant HK, Hochberg MC. Reliability
ments postérieurs compacts osseux de la vertèbre, les of new indices of radiographic osteoarthritis of the hand and hip
and lumbar disc degeneration. J Rheumatol 1993 ; 20 : 1911-6.
changements hypertrophiques ou dégénératifs et/ou les 12 Spector TD, Cooper C, Cushanghan DJ, Dieppe P. A radio-
calcifications vasculaires qui surviennent le plus sou- graphic atlas of knee OA. London : Springer-Verlag ; 1992.
vent chez des sujets âgés comme dans notre groupe de 13 Cann CG, Gennant HK. Precise measurement of vertebral
mineral content using computed tomography. J Comput Assist
patients. Dernièrement, l’étude de Guglielmi et al. Tomogr 1980 ; 4 : 493-7.
[37], a montré que bien que la densitométrie osseuse 14 Gevers G, Dequeker J, Geusens P, Verstraeten A, Vanderschue-
antéropostérieure soit une technique très précise avec ren D. Serum bone Gla protein and other markers of bone
une variation de 1 % à court terme dans les études de mineral metabolism in postmenopausal osteoporosis and
osteoarthritis. J Orthop Rheumatol 1988 ; 1 : 22-7.
reproductibilité, le scanner quantitatif permet de mieux 15 Hart DJ, Mootoosamy I, Doyle DV, Spector TD. The rela-
différencier la densitométrie osseuse des femmes saines tionship between osteoarthritis and osteoporosis in the general
que des femmes ostéoporotiques. population. The Chingford study. Ann Rheum Dis 1994 ; 53 :
158.
En conclusion, notre étude démontre que l’arthrose 16 Marcelli C, Favier F, Kotzki PO. The relationship between
radiologique est associée à une élévation généralisée de osteoarthritis of the hands, bone mineral density, and osteopo-
la DMO et à une diminution du taux de remodelage rotic fractures in elderly women. Osteoporos Int 1995 ; 5 :
382-6.
osseux. Ces résultats sont en accord avec l’hypothèse 17 Burger H, Van Daele PLA, Odding E. Association of radiogra-
selon laquelle l’arthrose a un effet protecteur contre la phically evident osteoarthritis with higher bone mineral den-
perte osseuse, par l’intermédiaire d’une diminution du sity: an increased bone loss with age. The Rotterdam study.
Arthritis Rheum 1996 ; 39 : 81-6.
remodelage osseux. Ces corrélations sont plus pronon- 18 Nevitt MC, Lane NE, Scott JC. Radiographic osteoarthritis of
cés chez les femmes que chez les hommes. Nos résultats the hip and bone mineral density. Arthritis Rheum 1995 ; 38 :
semblent suggérer l’existence d’un sous-groupe de fem- 907-1002.
19 Dequeker J, Mokassa L, Aerssens J. Bone density and OA. J
mes qui auraient une élévation du remodelage osseux et Rheumatol 1995 ; 22 Suppl : 98.
seraient susceptibles de développer une ostéoporose et 20 Dequeker J, Johnell O. The Medos Study Group. Osteoarthri-
Anomalies de la densité minérale osseuse dans l’arthrose 907

tis protects against femoral neck fractures. The MEDOS study from the Framingham osteoarthritis study. Semin Arthritis
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