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Tromelin

Mémoire d'une île

Max Guérout

Éditeur : CNRS Éditions


Année d'édition : 2015
Date de mise en ligne : 28 novembre 2019
Collection : Histoire
ISBN électronique : 9782271130426

http://books.openedition.org

Édition imprimée
ISBN : 9782271086662
Nombre de pages : 278
 

Référence électronique
GUÉROUT, Max. Tromelin : Mémoire d'une île. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2015
(généré le 29 novembre 2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionscnrs/
27814>. ISBN : 9782271130426.

© CNRS Éditions, 2015


Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540
Tromelin
A Zineb

Cet ouvrage a bénéficié du soutien de Météo-France (Océan Indien),


du conseil régional de La Réunion,
des Terres australes et antarctiques françaises
et du Musée de Nantes.
© CNRS ÉDITIONS, PARIS, 2015
ISBN : 978-2-271-08666-2
Tromelin
Mémoire d’une île

Max Guérout

Groupe de recherche
en archéologie navale
Laboratoire d’histoire et d’archéologie
maritime
(FED 4124 – Paris IV Sorbonne -
Musée de la Marine)

CNRS ÉDITIONS
Auteurs associés

Thomas Romon – INRAP – Unité mixte de recherche 5199 – De


la préhistoire à l’actuel : Culture, Environnement, Anthropologie
(PACEA) – Université de Bordeaux.

Nick Marriner – CNRS - Unité mixte de recherche 6635 – CEREGE,


Laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, Université de
Bourgogne-Franche-Comté, Besançon.

Joe Guesnon – GRAN.

Christine Lefèvre – MNHN, CNRS - Unité mixte de recherche 5199 –


Archéozoologie et archéobotanique.

Véronique Laroulandie – CNRS - Unité mixte de recherche 5199 –


De la préhistoire à l’actuel : Culture, Environnement, Anthropologie
(PACEA) – Université de Bordeaux.

Philippe Bearez – CNRS.


Sommaire

Préambule .................................................................................................................................................................7

Première partie
Chapitre I. Découverte de l’île par la Diane (1722) ........................................................................................11
Chapitre II. L’île de Sable reste introuvable ......................................................................................................17
Chapitre III. Le naufrage de l’Utile (1761) ........................................................................................................21
Chapitre IV. Le récit du naufrage de l’Utile ......................................................................................................27
Chapitre V. Retour de l’équipage de l’Utile à Madagascar puis à l’île de France ......................................31
Chapitre VI. Echos littéraires du naufrage de l’Utile ......................................................................................35
Chapitre VII. Trois plans de l’île ........................................................................................................................47
Chapitre VIII. L’île de Sable introuvable ? ........................................................................................................51
Chapitre IX. Sauvetage des survivants de l’Utile.....................................................................................55
Chapitre X. L’île enfin vue et hydrographiée ....................................................................................................63
Chapitre XI. L’île à nouveau visitée ....................................................................................................................69
Chapitre XII. Le naufrage de l’Atieth Rahamon (1867) .................................................................................77
Chapitre XIII. Qui a donné le nom de Tromelin à l’île de Sable ? ..............................................................91
Chapitre XIV. L’épave du Sud (fin xixe – début xxe siècle) ......................................................................... 97

5
Tromelin. Mémoire d’une île

Deuxième partie
Chapitre XV. Reconnaissance en vue de l’installation d’une station météo (1953) .............................. 109
Chapitre XVI. Installation de la station météo (avril-mai 1954) ...............................................................117
Chapitre XVII. Poursuite de l’installation de la station et cartographie de l’île (1954-1955) ............ 129
Chapitre XVIII. Tromelin habitée, la station météo reconstruite.
Chronique des événements survenus entre 1956 et 1972 ............................................................................ 137
Chapitre XIX. Tromelin habitée et active.
Chronique 1973-2005 .........................................................................................................................................157
Chapitre XX. Mission Esclaves oubliés 2006 .................................................................................................173
Chapitre XXI. Mission Esclaves oubliés 2008 .............................................................................................. 187
Chapitre XXII. Chronique 2009-2011 .......................................................................................................... 205
Chapitre XXIII. Mission Esclaves oubliés 2010 ............................................................................................211
Chapitre XXIV. Mission Esclaves oubliés 2013 ............................................................................................ 223

Annexes
Annexe 1. Le journal de bord de la Diane, une illustration des difficultés de la navigation au début du
xviiie siècle ........................................................................................................................................................... 239
Annexe 2. Biographie de Jacques Marie Boudin de Tromelin, seigneur de Lanuguy ........................... 245

Bibliographie ...................................................................................................................................................... 263

Sources .................................................................................................................................................................. 267

Index des noms ................................................................................................................................................... 273

Glossaire nautique ............................................................................................................................................. 275

Abréviations ........................................................................................................................................................ 276

Remerciements ................................................................................................................................................... 277

Crédits ................................................................................................................................................................... 278

6
Préambule

Comment rendre compte de ce qui s’est passé sur cette île ignorée du
monde pendant des siècles ? Comment saisir l’inaperçu ? 

Tromelin apparaît, anonyme, sur quelques cartes marines avant même


sa découverte officielle par la Diane en 1722, mais la terrible imprécision
de la navigation et la circonspection avec laquelle on recueille alors le
témoignage des marins n’apportent aucune certitude.

Baptisée « île de Sable », elle figure sur les routiers de l’océan Indien,
sans pour autant qu’on y ait posé le pied. La première occasion de le
faire fut une double tragédie, celle du naufrage de l’Utile dans la nuit du
31 juillet 1761, puis deux mois plus tard celle de l’abandon des esclaves
malgaches qu’il transportait. Oubliés sur cet îlot presque désertique
devenu prison maritime, ces derniers y inscrivirent quinze ans durant le
récit muet de l’ignominie.

Comment écouter leur silence, comment redonner la parole à leur


humanité bafouée ?

Presque deux siècles et demi plus tard, c’est la pelle à la main que nous
avons creusé le sable comme on creuse les mémoires et avons tenté de
faire entendre leur voix.

Jusqu’à l’installation d’une station météorologique en 1954, l’île ne fut


qu’effleurée du regard par des marins de passage, gardant pour elle seule
le tumulte effrayant des cyclones qui chaque année labourent l’océan et
la submerge à moitié. Par deux fois pourtant des marins y abordèrent,
non sans difficultés, pour un séjour de quelques heures. Ils nous en ont
livré, pour la première fois, une vision ne portant pas l’empreinte de
l’angoisse et de la désespérance.

7
Tromelin. Mémoire d’une île

Désormais nommée Tromelin, du nom du commandant de la Dauphine,


qui sauva les survivants de l’Utile, l’île connaît un nouveau drame, un autre
naufrage qui en 1867 va la ramener à son destin sinistre de piège tendu aux
navigateurs. Un navire battant pavillon anglais, l’Atieth Rahamon, vint à
son tour se fracasser sur le récif. Il n’y eut pas de victime, mais les rescapés
durent attendre deux mois l’arrivée des secours, endurant au passage la
fureur d’une dépression tropicale. La description qu’en fit Samuel Hodges,
son capitaine, anticipait la création d’une station météorologique dont la
principale mission fut précisément la traque des cyclones.

Mais avant que celle-ci ne soit érigée, un troisième sinistre allait couvrir
le rivage de la côte sud des débris d’un grand trois-mâts inconnu. Une
recherche obstinée de plusieurs années n’est pas parvenue à percer le
mystère. Aucun nom, aucun témoignage ne s’y attache. Pourtant la mise
au jour lors des fouilles archéologiques d’un petit bâtiment construit
après le départ des naufragés de l’Utile et avant l’installation de la station
météorologique, laisse pressentir un autre drame et le séjour probable de
quelques naufragés dont le sort final reste une énigme.

La station installée, l’île désormais habitée changea de statut ; un phare


et une piste d’aviation aménagée écartèrent durablement le spectre des
naufrages. Toutefois aucun des résidents qui vont s’y succéder ne sera
permanent, chacun d’eux ne sera par conséquent dépositaire que d’une
bribe de la mémoire du lieu.

Comment reconstituer cette histoire éclatée ?

A l’instar du phare dont les éclats trouent la nuit toutes les quatre
secondes, l’histoire de l’île est ainsi faite d’une multitude d’éclairages
successifs : ceux du séjour des techniciens et des aides météo, des ouvriers
venus construire les bâtiments ou entretenir les équipements, ceux du
passage des navires, des aéronefs, des visiteurs, ceux aussi des missions
scientifiques qui s’y succèdent pour observer les oiseaux, les tortues, les
insectes et la maigre végétation. Il va donc falloir renouer les fils de ces
témoignages, de ces fragments de vie, pour leur redonner cohérence et
tisser l’écheveau de la mémoire.

L’histoire ainsi reconstruite est celle d’un îlot minuscule d’à peine un
kilomètre carré, une poussière de corail perdue au milieu des flots. Et, à
bien y réfléchir, l’idée s’impose qu’il s’agit là, en définitive, d’un minus-
cule grain de mémoire, comme une particule élémentaire de matière
historique.

8
Première partie
D’abord ignorée du monde puis enfin aperçue au
début du xviiie siècle, l’île va vivre en marge jusqu’au
xxe siècle. Grain de sable échappant aux regards, elle
sera à la fois difficile à trouver et se révélera à plusieurs
reprises un piège redoutable pour des navigateurs.
Chapitre I

Découverte de l’île
par la Diane (1722)

En 1739, l’île de Sable apparaît pour la première fois sur une carte
marine. Il s’agit de la « Carte réduite de l’Océan Oriental ou Mer des
Indes dressée au Dépôt des cartes, plans et journaux de la Marine1  ».
L’île y figure avec la mention : « Islot de Sable vu par la Diane 1723. »
Figure 1-1 – Détail de la carte de 1739 –
Contrairement à ce qu’indique la carte, c’est en 1722 que l’île fut décou-
« Islot de Sable vu par la Diane 1723. »
verte par la Diane, un vaisseau de la Compagnie française des Indes
Les Mascareignes orientales commandé par le capitaine Jean Marie Briand de la Feuillée.
Dans l'histoire des îles Mascareignes (La
Réunion, anc. île Bourbon ; Maurice,
anc. île de France ; Rodrigue et quelques
petites îles), la Diane et l’Atalante ont
joué un rôle important. Les deux navires
ont en effet transporté les premiers
colons destinés au peuplement de
l’île de France : une compagnie de
Suisses sous la direction de Beugnot,
comportant 210 hommes, 20 femmes et
30 enfants. Le voyage des deux navires
fut un très long calvaire de près de neuf
mois, au cours duquel, à bord de la
Diane seule, 52 personnes, équipage
ou passagers, trouvèrent la mort. Pour
essayer de conjurer les effets du scorbut,

   

dix-huit jours à l’île de Santiago du
Cap Vert puis une escale de près de La Diane avait appareillé de Lorient le 29 juin 1721 en compagnie de
deux mois à l’île Grande devant Rio
de Janeiro. Le 12 févr. 1722 naissait
l’Atalante commandée par Jacques La Salle. Le 9 avril 1722 elle jeta
à bord un bébé, baptisé Jean-Jacques, l’ancre dans le port sud-est de l’île de France. Après un aller et retour à

Gast d’Hauterive et de l’île Bourbon, la Diane fit de nouveau voile vers Saint-Paul (île Bourbon),
Renée Guillot sa femme, il ne devait d’où elle appareilla le 8 août 1722 à destination de Calicut (Côte de
vivre que six jours. A bord, se trouvait
Denis de Nyon, ayant reçu de Louis XV
Malabar).
une commission de « gouverneur et
d’ingénieur à l’Isle de France ». 1. BN, GE SH18E PF213 DIV3 P24.

| 11
Tromelin. Mémoire d’une île

Le journal de bord de la Diane La Diane


Navire de 330 tonneaux, elle est lancée
L’île fut découverte le 11 août 1722. Guillaume Le Housel, le pilote de en Angleterre en 1721 et a réalisé
plusieurs voyages de traite d'esclaves.
la Diane, mentionne l’évènement dans son journal de bord 2 avec une
Premier voyage : départ de Lorient
orthographe très approximative : le 30 mai 1721 en compagnie
de l’Atalante – Retour le 19 avril
« Du Dimanche 9e aoust 1722. Les vents variable d’ESE au SE bon petit frais 1724 après un voyage à Calicut.
Deuxième voyage : commandée par
bautan [beau temps] nous avons singlé [cinglé : fait voile] au NNE jusque
Terrien, elle appareille le 28 octobre
sur les 6 heures du matin, la pointe la plus ouest au Sud, la pointe la plus à 1724 pour un voyage de traite
l’est au SSE 14 L35, la Grande Coupée au S1/4 SE jusqu’à midi que ayant pris en Angola, puis Saint-Domingue,
hauteur, retour à Lorient le 26 juin 1726.
Troisième voyage de traite : départ de
je observe 19 °49’
Lorient le 27 octobre 1727, commandée
je arette [arrête] mond [si in se réfère à la copie ci-dessous il s’agit du point de par Jacques Le Neuf de Tournevillet,
départ] pour Ouidah, puis la Louisiane,
52° 36’ par la longitude de 75° 05’ retour à Lorient le 30 avril 1729.
Quatrième voyage de traite :
Du Lundi 10e aoust 1722. Les vents variable du SE à ESE bon frais, bautant
appareillage de Lorient le 15 octobre
nous avons singlé au NNE jusque a midi que ayant pris hauteur je trouve que 1729, commandé par Jacques Tortel,
la route m’a vallu le Nord 4 deg Ouest 36 L traite 304 esclaves à Gorée au
Latt observée 18° 02’ Sénégal puis gagne l’île de France
et revient à Lorient le 25 mai 1731.
52° 31’ Longitude 75° 00
Cinquième voyage : appareillage
Du mardi 11e aoust 1722. Les vents variables du Sud au SSE et SE bon petit de Lorient le 6 mars 1731 sous
frais. Nous avons singlé au NNE jusque à midi que ayant pris hauteur je le commandement de Hyacinthe
trouve que la routte ma vallu le Nord 4 dg Ouest 34 L Lhermitte pour l’océan Indien. Elle
y restera jusqu’à sa condamnation
Latt observée 16° 19’
(mise hors de service), réalisant un
52° 22’ Longitude 74° 51’ voyage de traite au Mozambique.
Sur les 5 heure ¼ après midi nous avons eu connaissance de un illote base qui Elle effectue aussi un voyage
este par Latt de 16 dg elle me reste le milieu au NNE distance de 2 L ½, la à Antongil en 1732, marqué
par une révolte d’esclaves.
pointe de l’est au NE1/4 N elle peut avoir environ 2 lieues de lon. Fesant valloir
Elle sera condamnée à l’île de
la routte Le Nord de Bourbon vous alle droitte la charcher [chercher] de boute France en décembre 1736.
au corré( ?)

Du mercredi 12e aoust 1722. Les vents variables du Sud à ESE bon frais, bautan Figure 1-2 – Journal de la Diane.
nous avons singlé jusque sur les 1 heur après minuit que nous avons mis a panne
2. AN – Marine, 4 JJ 90.
3. 14 L : 14 lieues marines.

12 |
Découverte de l’île par la Diane

jusque sur les 5 heur du matin que nous avons fait servir et singlé sur plusie( ?)
au NNO jusque midi que ayant pris hauteur je trouve que la routte ma vallu le
NO 2dg O 20 L 2/3
Lat observ 15° 37’
51° 33’ Longitude 74° 02’ »

Une copie non datée de ce journal se trouve également aux Archives


nationales4 :

« Routes du Vau la Diane en aoust 1722 depuis le relèvement de l’isle Bourbon


jusqu’à la vue de Madagascar.
Le 8 aoust à midi relevé le Cap Bernard à l’ENE 8 lieues.
Lat observée 21 d 7 min, St Gilles à l’E1/4NE 5d N, 4 à 5 lieues ; la pointe la
plus Sud SE1/4S 5d
52 35 Est à 9 L. Latitude observée 21d 7
d

Le 9 aoust observé à midi 19 d 49 à 6 heurs du matin on avait relevé la pointe


plus ouest au Sud, la plus à l’Est au SSE, 14 L. La grande coupée au S ¼ SE et 52
d
35 pris le point de départ à 75 5’

Le 10 vents variables du SE à l’ESE, B. f. B. T., singlé au NNE. Route réduite le


Nord 4 d Ouest, 36 Lieues
52 27 Latitude observée 18 d 1
d
Longitude 75 d 0
Le 11 vents du Sud au SSE et SE, B. δ. F. Singlé 1 d Route le Nord 4 d Ouest 34
L.
52 d 20 Latitude observée 16 d 19 Long. 74 d 51
Le 11 à 5 heures ¼ après midi vu un islot de sable dont le milieu restoit au NNE
2 L. à 2 L. ½.
Le 12, vents variables, singlé sur plusieurs routes à différents moments. Route le
NO 2 d O. 20 L. 2/3
Latitude observée 15 d 33 Long. 74 d 2… »

Le journal de bord original n’est pas toujours d’une lecture facile, le


texte du second, document simplifié, est plus clair. Sur les pages corres-
pondant aux dates comprises entre le 8 et le 13 août 1722 du journal
original, des chiffres sont écrits au crayon, à gauche dans la marge. Un
examen rapide permet de comprendre qu’ils indiquent la valeur de la
longitude par rapport au méridien de Paris. Il s’agit donc à l’évidence
de notes destinées au calcul des coordonnées géographiques de l’île de
Sable. L’auteur du second document a systématiquement modifié ou fait
des erreurs en recopiant ces valeurs.

L’examen de ces deux documents pose une série de questions dont la


réponse, au demeurant assez complexe, éclaire les difficultés rencontrées
par les navigateurs de l’époque. Le développement de cette question
qui ne manquera pas d’intéresser les amateurs de navigation maritime
figure en annexe 1.

4. AN – Marine 3 JJ 330, pièce 22.

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Tromelin. Mémoire d’une île

La Diane fut-elle la première ?


On peut cependant se poser la question de savoir si la Diane fut vrai-
ment le premier bâtiment à avoir vu l’île de Sable. A notre connaissance,
trois cartes antérieures indiquent une île non nommée à une position
voisine. La plus ancienne est publiée en 1680 à Amsterdam par le célèbre
cartographe hollandais Joannes Van Keulen.
Figure 1-3 – Détail de la carte de Joannes
Van Keulen (1680), Nieuwe Pascaert van
Oost Indien Verthoonende hen van C. de
Bona Esperanca tot aan het Landt van
Eso (Nouvelle carte des Indes orientales
depuis le Cap de Bonne-Espérance
jusqu’au Japon et l’Australie).

La seconde carte, publiée à Paris par le Père Coronelli, indique dans son
cartouche : « Route maritime de Brest à Siam et de Siam à Brest faites
en 1685 et 1686 selon les remarques de six Pères Jésuites, envoïez par le
ROY DE France en qualité de ses Mathématiciens dans les Indes, et la
Chine. Dressé par le Père Coronelli, Cosmographe de la République de
Venise. A Paris chez J.B. Nolin avec privilège du Roy. 1687. » Figure 1-4 – Carte de Coronelli (1687).

14 |
Découverte de l’île par la Diane

Figure 1-5 – Détail de la carte de Pierre La troisième publiée en 1700 à Amsterdam est due à Pierre Mortier, elle
Mortier (1700). est intitulée : « Carte des Costes d’Afrique depuis le cap Lopo jusques
à l’isle Mazira. Levée par ordre expres des Roys de Portugal sous qui, on
en a fait la découverte. »

La latitude est proche de 15° 15’ Sud alors que curieusement la carte
ne comporte pas d’échelle de longitude. Il faut cependant replacer ces
indications dans le contexte de la navigation et de la cartographie du
début du xviiie siècle. Les erreurs très importantes commises par les
navigateurs dans le calcul de la longitude, au point par exemple que
les Cargados et l’île de Sable pourtant distantes de près de 240 milles
nautiques5 sont parfois confondues, posent un problème épineux aux
cartographes de l’époque.

Que décider, si deux observations distinctes aboutissent à localiser deux


îles à proximité l’une de l’autre  ; doit-on garder sur la carte une seule
ou deux îles ? Une carte générale de l’Afrique dressée en 1806, illustre
cette difficulté, son auteur Herisson a choisi de garder un étrange couple
d’îles de Sables  : une grande et une petite (figure 1-6). Les cartes du
xviiie siècle conserveront, souvent pendant longtemps de nombreux
doublets, dont l’énigme ne sera résolue qu’avec l’apparition des chro-
nomètres et l’usage du sextant. Dans cette zone de l’océan Indien, c’est
aussi le cas d’îles fantômes telles que Santa Apolonia et Juan de Lisboa 6
qui subsistèrent longtemps, notamment sur les trois cartes ci-dessus.

Figure 1-6 – Carte de Herisson (1806), détail.

5. Environ 450 km.
6. Le 11 avr. 1799, le both Les deux Frères, commandé par L. Gautier, et armé par Lousteau
fils appareille de Port-Louis (île de France) pour aller à la recherche des îles St. Jean de Lisboa.
Les deux Frères croisa jusqu’au 13 mai sans rien trouver, il revint bredouille à l'île de France
le 16 août.

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Chapitre II

L’île de Sable reste


introuvable

L’île apparaît sur les cartes (1739)


La carte du Dépôt des cartes de 17391 donne la position suivante :
Latitude 16° 20’ S
Longitude 53° 10’ E

Il semble bien que la latitude indiquée soit celle du journal de navigation


de Briand de la Feuillée pour le point effectué le 11 août 1722 à midi et
non celle de la position calculée de l’île qui figure dans sa lettre de 1724
(voir annexe 1).

La carte du Dépôt des cartes de 1740 dessinée par ordre de Maurepas2


donne la position suivante.
Latitude 15° 30’ S
Figure 2-1 – Cartouche de la carte du
Longitude 53° 10’ E
Dépôt de 1739.

La différence de 50’ de latitude entre les deux cartes du dépôt reste inex-
plicable. Une version de dimension réduite de cette carte (28,5 x 24 cm)
est insérée dans le tome III de l’Histoire générale des voyages, publié par
l’abbé Antoine François Prévost à Paris en 1746. Elle s’intitule « Carte
de toutes les îles connues à la coste de Zanguebar et de Madagascar que
l’on trouve dans la route de l’Inde tirée de la carte de l’océan oriental
publiée par ordre de Mgr. Le Comte de Maurepas en 1740  » et se
trouve, hors-texte, entre les pages 276 et 277.

1. BN, GE SH18 E PF 213 Div 3, p. 24 - Carte réduite de l’Océan – Oriental ou Mers des
Indes – Dressée au Dépôt des cartes, plans et journaux de la Marine - 1739. Elle indique :
« Islot de Sable vu par la Diane en 1723. »
2. AN – Cartes et Plans, 6 JJ 40 A – Pièce 18 – Carte réduite de l’Océan Oriental ou Mer des
Indes dressée au Dépôt des cartes, plans et journaux de le Marine par ordre de Mr le Comte
de Maurepas – 1740.

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Tromelin. Mémoire d’une île

La carte de l’hydrographe Jean Baptiste Nicolas Denis d’Après de Figure 2-4 – Carte de l’Histoire générale
Mannevillette, datée de 17533 , donne quant à elle la position suivante. des voyages, tome III.
Latitude 15° 55’ S
Longitude 52° 32’ E

Figure 2-2 – Carte de Maurepas


(cartouche).
Figure 2-3 – Carte de Maurepas (île de
sable).

3. AN - Cartes et Plans, 6 JJ 40 A – Pièce 19 – Carte réduite de l’Océan Oriental depuis le


Cap de Bonne Espérance jusqu’au Japon, dédiée à l’Académie de Marine, par Mr. d’Après de
Mannevillette, 1753. (Comporte l’île de Sable)

18 |
L’île de Sable reste introuvable

Tentatives infructueuses (1754-1756)


En 1754, d’Après tente sans succès de retrouver l’île : «  M. Daprès4
atteignit la latitude que la Diane assigne à l’île de Sable sur 52 degrés 16
minutes de longitude, selon son estime : il ne vit point l’Isle5 . »

En 1756, Corneille Nicolas Morphey, qui commande le Cerf, une


corvette de la Compagnie des Indes, reçoit de Magon de la Villebague,
le gouverneur de l’île de France, mission d’aller prendre possession
Figure 2-5 – Cartouche de la carte de
des îles Seychelles. Il est accompagné du Saint-Benoît une goélette
d’Après (1753).
commandée par Préjean. Les deux navires appareillent le 16 juillet de
l’île de France, gagnent l’île Bourbon puis font route vers l’archipel des
Seychelles. Au passage, Morphey tente de reconnaître l’île de Sable, il
décrit ses recherches dans son journal de bord6 :

« 2 août 1756


L’Isle de sable découverte par la Diane me reste au N1/4NE 2° E, seize lieues ¾
sur la carte de Mr d’Après et sur les premières cartes françaises ¼ NE 4° N, vingt-
quatre lieues 1/3.
3 août 1756,
Les vents ont été comme à la table assez bon frais, mais inégaux en force, la mer
un peu creuse, moins belle qu’hier et le ciel observé clair alternativement. A
sept heures hier au soir nous prîmes le plus près à la route ci-contre crainte de
rencontrer l’Isle de Sable pendant la nuit et à minuit nous avons reviré et tenu le
plus près dans l’autre bord comme cy-contre jusqu’à six heures nous avons alors
fait signal pour parler au Saint-Benoist et à sept heures je lui ai ordonné de faire
route au nord pour l’écarter environ deux lieues à l’Est de nous afin de découvrir
entre nous le plus grand espace à l’Est et à l’Ouest et voir s’il est possible l’Isle de
Sable lorsque nous serons parvenus à sa latitude. Mais à midy ayant observé être
par la latitude que lui donne les premières cartes françaises et vingt-deux minutes
plus Nord que celle de Monsieur d’Après sans rien voir que beaucoup d’oiseaux,
nous avons fait le signal de ralliement au Saint-Benoist et continué notre route. »

Publiée en 1755, l’Atlas de la mer du hollandais Jean Van Keulen


représente à la page 33 l’océan Indien. L’île de Sable y est portée à la
position suivante :
Latitude  15° 30’ S
Longitude 70° 10’ E
Van Keulen utilise le méridien origine de Ténériffe situé 18° 58’ à l’ouest
du méridien origine de Paris par rapport auquel la longitude est donc
de 51° 12’ E. La carte de Bellin de 17577 indique le nom de l’île de Sable
mais ne la représente pas. Aucun navire n’aurait donc observé l’île,
suivant nos sources, avant le naufrage de l’Utile en 1761.
4. D’Après commande le Montaran.
5. Le Gentil de la Galaisière, Voyage dans les mers de l’Inde, fait par ordre du roi à l’occasion
du passage de Vénus sur le disque solaire, le 6 juin 1761 et le 3 du même mois de 1769, t. I, Paris,
Imprimerie royale, 1779, p. 663.
6. AN – Marine, 4JJ 87.
7. AN - Cartes et Plans, 6 JJ 40 B – Pièce 20 - Carte réduite de l’Océan Oriental ou Mer des
Indes, seconde édition, pour servir aux vaisseaux du Roy, dressée au Dépôt des cartes, plans
et journaux de le Marine par ordre de Mr le Comte de Maurepas par Mr Bellin, ingénieur de
la Marine – M DCC LVII.

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Chapitre III

Le naufrage de l’Utile (1761)

L’Utile est un bâtiment de charge, une flûte, de la Compagnie des Indes


armé à Bayonne au printemps 1760.

Commandé par le capitaine de brûlot1 Jean Lafargue, le navire appa-


reille avec l’Adour le 17 novembre 1760. Arrivé à l’île de France en
avril 1761, il en part le 27 juin pour le port de Foulepointe sur l’île de
Madagascar, avec pour mission d’y acheter des vivres.

Figure 3-1 – Plan de la flûte Normande, 1. Capitaine de brûlot : Brevet délivré « pour la campagne » donné aux officiers de la
une flûte de 800 tonneaux. Compagnie des Indes (Haudrère, 2005, p. 899).

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Tromelin. Mémoire d’une île

Lorsqu’il appareille de Foulepointe, le 22 juillet, l’Utile ne suit pas la


route directe vers l’île de France, mais se dirige vers l’île Rodrigue, plus
à l’est. Le capitaine Lafargue compte sans doute y débarquer des esclaves
achetés à Madagascar. Le gouverneur général de l’île de France et de
Bourbon, Antoine Marie Desforges-Boucher - il l’écrira plus tard – était
« parfaitement informé qu’il [l’Utile] a embarqué à Madagascar près de
300 noirs de pacotille qu’il devait jeter à Rodrigue2 . » En suivant cette
route la flûte navigue plus au nord que les routes habituelles et passe
donc à proximité de l’île de Sable.

La cause principale du naufrage est due aux données divergentes des


cartes à la disposition de La Fargue.

Plusieurs textes nous permettent de reconstituer les conditions du


naufrage. En premier lieu le récit de Dubuisson de Keraudic, écrivain du
bord 3 , mais aussi les textes de Le Gentil de la Galaisière qui disposait du
journal de navigation de l’Utile4 , de d’Après5 , et du chef d’escadre Froger
de l’Eguille qui recueille le compte rendu de Lafargue6 .

L’Utile appareille de Foulepointe le 22 juillet 1761 à 16 h 00, voici les


différentes données dont nous disposons :

Les vents Les positions Le courant permanent dans la zone


– Au Sud à SSE [déclaration de Positions observées [Keraudic Il est évalué en 1841 par le
Lafargue à Mr. d’Eguille]. et Le Gentil, qui dispose du C.C. Jehenne commandant la
– De la partie du Sud à SE, très journal de l’Utile] : gabarre Prévoyante, à environ
beau temps [Keraudic]. – Le 30 juillet à midi (méridienne), 1 nœud vers l’ouest, mais plus
– Au SSE petit frais [Le Gentil]. Latitude 16° 20’ probablement de 0,5 nœud.
– Le 31 juillet à midi,
Le cap suivi et l’allure Latitude entre 16° 8’ et 16° 18’
– Pendant la présence sur l’île,
– Est-1/4SE et Est au plus Latitude 15° 52.
près [Lafargue].
– Cap à l’Est au plus près du vent, La variation (déclinaison + déviation)
toutes voiles dehors [Keraudic]
– « Il courait sa bordée de l’Est au Entre 18° et 19°.
plus près du vent » [Le Gentil].
La dérive au plus-près de la flûte
La vitesse
Probablement entre 8° et 10°. Le
– Filant environ 4 nœuds [Keraudic]. Gentil estime quant à lui la dérive de
– Au plus quatre nœuds [Le Gentil]. l’Utile entre la dernière observation
de la latitude et le moment du
naufrage et en déduit une position
estimée de l’île comprise entre
15° 54’ 30’’, et 16° 4’30’’.

2. AD 56, E 2227 – Correspondances de Desforges-Boucher, f°57v.


3. SHD – Lorient, 1 P 297 - liasse 14, pièce 85 - Récit du naufrage et du séjour dans l’île des
naufragés (sept pages non datées et non signées, mais écrites avec certitude par l’écrivain du
bord, Hilarion Dubuisson de K’audic).
4. Le Gentil de la Galaisière, Voyage dans les mers de l’Inde, fait par ordre du roi à l’occasion
du passage de Vénus sur le disque solaire, le 6 juin 1761 et le 3 du même mois de 1769, Paris,
Imprimerie royale, 1779/1781, tome I , p. 663-665.
5. D’Après de Mannevillette, Instructions sur la navigation des Indes Orientales, Paris,
Imprimerie Royale, 1819, p. 52.
6. AN, 3 JJ 358 f° 32 - Rapport pour rectifier sur la carte du dépôt de la Marine la situation
de l’île de Sable

22 |
Le naufrage de l’Utile

Mais l'essentiel tient dans les cartes utilisées. De toute évidence l’Utile
dispose de deux cartes dont les indications sont divergentes :

– Keraudic fait état d’une controverse entre le capitaine et le pilote :

« Le 30 a Midy sur l’observation de 16deg 20m faite, un officier a le soir dit à
un autre que nous courrions un risque de nous perdre dans la nuit courant
cette bordée et qu’il ne dormiroit pas tranquille si on ne viroit de bord, on a
réellement mis dans l’autre bord à 6 heure du soir et le lendemain à la pointe
du jour nous avons reviré. On a observé à Midy depuis 16deg 8m à 16deg 18m et
on a continué à courir le cap jusqu’à l’Est au plus près du vent (très beau temps,
toutes voiles dehors filant environ 4 nœuds). La hauteur observée chaqu’un
l’a dit au Capitaine, et le premier pilote luy a dit qu’il venait de pointer la
carte qu’il ne se faisait qu’à 20 lieues des barres de Nazaret7 à quoi le Capne
a répondu que ce ne pouvoit être que sur la carte de Bayonne, qu’il étoit un
ignorant ; et nous avons continué à courir mais malheureusement le point du
pilote ne s’est trouvé que trop juste. »

– D’Après donne quant à lui des précisions sur les cartes se trouvant à
bord :

« L’île de Sable, située au nord de l’île Bourbon par 15° 52’ de latitude fut
découverte par le vaisseau la Diane en 1722. La flûte l’Utile y fit naufrage le 31
juillet 1761, pour avoir négligé de s’en rapporter à la situation que je lui ai
donnée sur ma carte de 17538, et avoir préféré celle d’une autre carte qui la
place de 25 minutes plus Sud9. Cette île est un plateau de sable d’environ 700
toises de longueur nord-nord-ouest et sud-sud-est, et de 350 de largeur, avec
un banc de sable qui le prolonge de 600 toises vers le sud-sud-est. L’équipage se
sauva sur une espèce de prame ou bateau plat, construit des débris du vaisseau,
et aborda à Foulpointe le 27 septembre. »

– Le Gentil lui aussi donne son avis sur la question :

« M. Daprès en 1754 & M. de la Carrière en 1768, partirent donc tous les
deux de l’île Bourbon en s’élevant au Nord, dans l’intention de reconnaître
l’île de Sable. Cette Isle fut vue par la Diane en 172310 ; l’Utile s’y perdit en
1761, en revenant de Madagascar, sept ans après la tentative de M. Daprès, qui
n’ayant point vu cette Isle, a pu être la cause innocente de la perte du Vaisseau,
le capitaine s’étant figuré que cette Isle, qui d’ailleurs n’étoit pas marquée sur sa

7. A propos des « barres de Nazaret » ou « bancs de Nazareth », d’Après écrit (D’Après,


Paris, 1775) : « Quoique marqués sur toutes les cartes anciennes, que je les ai placés sur les miennes
au Nord de l’Île de France & qu’il en soit fait mention dans le Routier Portugais, on n’a pu encore
s’assurer de leur existence, quelques recherches qu’on ait fait ». On sait maintenant que ces bancs
n’existent pas.
8. Peut-être d’Après a-t-il remis lui-même à de Lafargue sa nouvelle carte, car les deux hommes
se connaissaient bien ? En 1750, Lafargue a été premier lieutenant du Chevalier Marin sous les
ordres de d’Après. C’est à l’occasion d’un voyage à Gorée avec ce bâtiment que d’Après effectua
ses premières observations à l’aide de l’octant de Hadley. On pourrait même interpréter la phrase
de d’Après comme une marque de dépit de voir son ancien lieutenant négliger son conseil.
9. Cette indication permet de définir avec exactitude la carte dont dispose Lafargue, il s’agit
de la carte du Dépôt des cartes de 1739, qui place l’île de Sable à une latitude de 16° 20’ S, alors
que la carte de d’Après de 1753 place l’île à 15° 55’ S.
10. Le Gentil fait ici une erreur, c’est le 11 août 1722, que la Diane aperçut l’île.

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Tromelin. Mémoire d’une île

carte, n’existoit pas, puisque M. Daprès ne l’avoit pas vue11. M. de la Carrière


étoit informé comme toute la colonie de l’Isle de France, du désastre de ce
malheureux Vaisseau ; mais il ne vit point l’Isle, non plus que M. Daprès. L’île
de Sable est très difficile à trouver ; non seulement sa latitude ne me paroit pas
bien déterminée ; de plus, l’Isle de Sable est très petite & et très rase : elle n’a
qu’environ trois quarts de lieue de tour, & elle n’est élevée que de dix-huit à
vingt pieds au-dessus du niveau de la mer. »

Il semble bien que la « carte de Bayonne » mentionnée par Keraudic


soit celle de d’Après datant de 175312 , qui donne à l’île à une latitude
de 15° 55’ S. Quant à Lafargue, il se fie à la carte du Dépôt des cartes,
plans et journaux de la Marine, datant de 1739 et qui indique la posi-
tion de l’île à une latitude de 16° 20’ S. La différence correspond bien au
commentaire de d’Après cité ci-dessus, qui indique que l’autre carte à la
disposition de Lafargue place l’île 25’ plus au sud.

Le Gentil13 souligne pour sa part :


Figure 3-2 – Les débris de l’Utile.

« Selon la Diane elle a 16 degrés de latitude ; mais dans le journal que j’ai de la
perte de l’Utile, je trouve que ce vaisseau, le jour qu’il se perdit, avoit observé à
midi la latitude depuis 16 degrés 8 minutes jusqu’à 16 degrés 18 minutes, ce qui
fait 10 minutes d’incertitude ; or, depuis midi on continua de courir la bordée
de l’Est au plus près du vent qui étoit au Sud-sud-est, petit frais à faire au plus
quatre nœuds ; & qu’à 10 heures 21 minutes du soir, le Vaisseau donna les
11. Le Gentil commet là une autre erreur, puisque comme nous l’avons vu, deux cartes fran-
çaises éditées avant 1760 indiquent l’île.
12. Carte réduite de l’Océan Indien Orientale (sic) qui contient la côte d’Afrique depuis le 9e
degré de latitude méridionale jusqu’au 30e, avec l’isle de Madagascar et les isles adjacentes dressée
par D’Après de Mannevillette, capitaine des vaisseaux de la Compagnie des indes, 1753.
13. Le Gentil de la Galaisière, Voyage dans les mers de l’Inde, fait par ordre du roi à l’occasion
du passage de Vénus sur le disque solaire, le 6 juin 1761 et le 3 du même mois de 1769, Paris,
Imprimerie royale, 1779/1781, tome I, p. 663-665.

24 |
Le naufrage de l’Utile

premiers coups de talon qui précédèrent immédiatement son naufrage : donc,


par un calcul très simple de trigonométrie rectiligne, en supposant la variation
de 19 degrés, on trouvera que le vaisseau ayant parcouru quarante-un nœuds,
il a dû diminuer en latitude de 13 minutes & demie ; il en résulte donc
pour la latitude de l’île de sable, 15 degrés 54 minutes & demie & 16 degrés 4
minutes & demie, le milieu donnerait 15 degrés 59 minutes et demie, ce qui
ne differeroit que d’une demi-minute de la latitude assignée à cette isle par la
Diane ; mais encore selon la même relation & le même journal de l’Utile, ils
ont observé l’Isle 15 degrés 53 minutes & il paroit qu’ils s’en tiennent en effet
à cette dernière détermination. Voilà donc encore une incertitude de 6 minutes
et demie : elle seroit, à la vérité, peu importante pour tout autre objet plus
considérable, qu’on pourroit voir facilement de dix à douze lieues, mais pour
un si petit point que l’Isle de Sable, & placé au milieu des courants, cette même
différence mérite beaucoup d’attention. » 

Cependant il est clair que Le Gentil n’a pas pris la peine de retracer les
routes de l’Utile dans les heures qui ont précédé le naufrage. Si on se livre
à cet exercice en utilisant les données disponibles on se rend compte que
la latitude observée le 30 juillet à midi est entachée d’une grossière
erreur. Pour reconstituer les routes suivies, il faut partir du seul point
dont la position est sûre : la position actuelle de l’île (Latitude : 15° 53’
Sud), puis remonter de proche en proche l’itinéraire suivi. On arrive au
constat que l’erreur commise le 30 juillet est de 33 milles.
Figure 3-3 – Schéma des routes suivies.

A – Latitude observée le 30 juillet à 12 h 00 (mesure entachée d’une grosse erreur, la latitude réelle est celle du point B, soit 33
milles plus au nord).
B – Point où se trouvait réellement l’Utile le 30 juillet à midi (Latitude 15° 47’ Sud).
BCDEF – Route fond de l’Utile (qui tient compte de la variation et de la dérive due au vent et au courant).
E – Latitude observée le 31 juillet à midi (entre 16° 08 Sud et 16° 18’ Sud) la restitution donne une latitude à midi de 16° 14’ Sud.
T1 – Position de Tromelin sur la Carte du Dépôt des cartes de 1739.
T2 – Position de Tromelin sur la carte de d’Après de Mannevilette datée de 1753.
T3 – Position réelle de Tromelin.
Les branches BC’, CD’, DF’, représentent les routes surface au plus-près.
Les segments C’C, D’D, F’F représente la dérive due au courant sur chacun des tronçons (courant adopté : 1 nœud vers l’ouest).

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Tromelin. Mémoire d’une île

Le naufrage trouva donc des causes multiples. Il est dû, d’une part, à
l’utilisation d’une carte de l’océan Indien sur laquelle la position de l’île
de Sable était erronée et, d’autre part, à une grossière erreur d’observa-
tion qui a rendu inutiles les manœuvres des trente-six dernières heures.
On doit aussi ajouter à ces deux causes premières, le manque de prudence
du commandant qui, disposant de deux cartes donnant des indications
contradictoires, n’a pas pris de précautions particulières alors qu’il arri-
vait à proximité de l’île. En général, dans de telles circonstances, les
navires mettent en panne pendant la nuit, ou s’éloignent, ne remettant en
route qu’avec le jour lorsqu’ils ont la possibilité d’apercevoir l’île en effec-
tuant une veille attentive. Cette manœuvre qu’avait exécutée Morphey en
août 1756 lorsque, à la nuit tombante, il ne pouvait plus voir l’île de Sable.

26 |
Chapitre IV

Le récit du naufrage
de l’Utile

Le texte manuscrit rédigé, selon nous, par Hilarion j’ai sauté en haut. Le Vau a talonné à nouveau très fort, Mr
Dubuisson de Keraudic, écrivain du bord, décrit de Castellan a paru sur le gaillard, les officiers de quart
le naufrage et narre le séjour des naufragés sur demandaient dans le moment, qu’est ce que c’est que cela,
l’île1.« Relation du naufrage de l’Utile sur l’Isle de Sable ou et tout le monde est resté comme interdit. On a cependant
pour mieux dire de Corail par 15deg 32m observé sur l’Isle. brassé à culer, croyant pouvoir peut-être parer. La mer nous
a pris alors en travers. Les horreurs d’un trépas violent et
Nous sommes partis de Foulpointe, côte de l’Isle de prochain occasionné par les lames les plus terribles, les
Madagascar, le 23 juillet 1761 environ les 4 heures après- secousses les plus affreuses et les plus réitérées, les roulis les
midi et avons été contrariés par les vents de la partie du S au plus grands et les plus vifs ont jeté la terreur dans presque
SE jusqu’à notre perte. tout le monde. On a délibéré sans rien résoudre à mettre les
Le 30 à midi sur l’observation de 16deg 20m faite, un officier bateaux à la mer que nos gens avoient chargés à couler bas,
a le soir dit à un autre que nous courrions un risque de nous définitivement ils ont restés à bord. Enfin on s’est déterminé
perdre dans la nuit courant cette bordée et qu’il ne dormirait à jeter la mâture à la mer et on l’a exécuté. Le grand mât a
pas tranquille si on ne virait de bord. On a réellement mis été jeté à tribord également que le mât d’artimon et celui
dans l’autre bord à 6 heures du soir et le lendemain à la de misaine à bâbord, cela a soulagé le Vau mais les coups de
pointe du jour nous avons reviré. On a observé à midi depuis roulis et les coups de talons ont continués, le Vau tombait
16deg 8m à 16deg 18m et on a continué à courir le cap jusqu’à surtout sur tribord (côté du large) à faire frémir. Il a eu
l’Est au plus près du vent (très beau temps, toutes voiles de si violents coups de talons que la barre du gouvernail a
dehors filant environ 4 nœuds). La hauteur observée chacun fait sauter le tillac de la chambre, malgré ses barreaux en
l’a dit au Capitaine, et le premier pilote lui a dit qu’il venait plusieurs endroits ; ce qui fit déterminer M. de Castellan à
de pointer la carte, qu’il ne se faisait qu’à 20 lieues des barres l’aller couper lui-même. Sans mâts et gouvernail en proie aux
de Nazaret à quoi le Capne a répondu que ce ne pouvait être brisants et à la mer la plus terrible faisant coffre [déferlant]
que sur la carte de Bayonne, qu’il était un ignorant ; et nous à plus de 5 pieds au-dessus du plus haut du vaisseau, il a été
avons continué à courir, mais malheureusement le point du une heure de plus sans faire eau et sans se partager, jusqu’à
pilote ne s’est trouvé que trop juste environ 2 heures après minuit. M. Castellan l’ayant bien
(en marge) 31 juillet 1761. Toute la journée quantité rôté (?) de tribord à bâbord et jeté et fait jeter les canons
d’oiseaux (dans la crainte de se perdre) Car descendant de tribord à la mer ; pendant tout ce temps les barreaux se
me coucher à 10h 20 et quelques minutes j’ay regardé où cassaient sous nos pieds et enfin le pont est tombé. L’avant
nous avions le cap. Il était droit à l’Est : descendant sur le s’est séparé de l’arrière, les côtés se sont détachés et le fond
champ, comme j’étais sur la dernière marche de la Ste Barbe, a quitté les hauts. Les bateaux se sont écrasés dans la cale.
le Vau a donné deux coups de talon sans être bien violent, Nous ignorions qu’il y eut rien de découvert proche de nous,
croyant être sur un haut fond seulement, chacun s’accrocha
1. SHD Lorient, 1 P 297 – liasse 14, pièce 85. Manuscrit anonyme. comme il pût aux débris, surtout à l’arrière étant le plus

27
Tromelin. Mémoire d’une île

considérable toujours couverts de la mer qui faisait coffre à terre au lieu du travers et comme il y avait de distances
sur nous ; nous attendions et comptions être à notre dernier à autres des débris, ont établit des cordes tenantes d’un
moment. Chaque seconde nous faisait souffrir mille morts à débris à l’autre et environ les 8 à 9 heures du matin, tous
peine pouvions nous respirer, tant ces furieuses lames étaient nos Messieurs et notre équipage se sauvèrent, même Mr.
vivement répétées. C’est ainsi que nous avons étés jusqu’au de La Fargue qui était incommodé, notre perte n’a été que
jour, temps long et affreux ! Le jour a enfin parût et faisant de 20 hommes blancs. Monsieur le Chevalier de Castellan
un peu clair nous avons aperçu la terre, cela a été annoncé volontaire et Mr. Olivier Offier de Coste, passager, beaucoup
par un cri de joie, sortant du sein de la tristesse, de plus nous de noirs par avoir fermé ou cloué les écoutilles. &a
avons vu du monde s’y promenant. Nous avons pour bien 1er août 1761. Dès ce jour on a commencé à travailler avec
dire été ressuscités la croyant habitée, mais hélas ! c’étaient force à sauver des vivres et nos débris, plus à chercher à
de nos gens que les débris y avaient portés ayant étés jetés trouver de l’eau par le moyen d’un puit.
dehors la nuit et conduit à terre par ces furieuses lames. Le 2, même chose et récapitulation faite des vivres il s’est
Le jour et la vue de la terre qui avaient un peu diminués trouvé sauvé :
nos frayeurs, n’avaient en rien ôté à la mer de ses fureurs. 22 barils de farine
Plusieurs personnes se jetèrent à la mer avec une ligne 8 barriques de vin rouge
pour tâcher de gagner la terre et établir un va-et-vient, 2 pièces d’eau de vie
inutilement. Quelques-uns gagnèrent sans pouvoir rien 12 tierçons d’idem au moins
porter. Il fallait haler les autres sur les débris, où ils se seraient 1 idem de cidre assez mauvais
noyés ; enfin effrayé de ce que l’arrière sur le côté duquel 1 petit baril de beurre
nous étions s’ouvrait et fermait à chaque instant, qui a coupé Beaucoup de suif et graisse de Loupes (?)
en deux plusieurs. Joint à l’envie que j’avais de secourir les 200 L en plusieurs morceaux de lard et bœufs
autres, nageant bien, je me jetai le premier de l’Etat-major à 1 baril d’huile à peu de chose près.
la mer, et fut suivi d’un des seconds lieutenants. La lame qui Plusieurs bouteilles d’idem
venait de briser et qui s’en retournait au large m’y entraîna Idem de liqueurs.
derrière la poupe, à environ une encablure au large malgré Nous avons fait une grande tente avec la grande bonnette et
tous mes efforts. des pavois et nous y sommes mis avec toutes les provisions
Celui qui me suivit fut plus heureux, car il trouva la lame et mis l’équipage dans de petites tentes, nous commencions
roulant à terre et s’y rendit non sans beaucoup de peine et très fort à sentir le besoin d’eau, plusieurs noirs mourraient
blessures. Tous nos messieurs qui étaient sur la carcasse de ne leur donnant rien.
derrière me crurent noyé allant et venant dans ces furieuses L’équipage (à 15 ou 17 hommes près qui travaillent avec
lames (j’écris pour ma famille voilà pourquoi je mets au zèle) nous avoient volés 5 jambons aussi sauvés mais cela
long ce qui m’est arrivé) J’avais attrapé une grande planche n’a pas paru extraordinaire volant dans le naufrage même,
de sapin sur laquelle j’étais accroché. Il y avait quelque et ayant toujours continué jusqu’au dernier moment, le
temps, un noir esclave se noyant, voulut aussi s’en saisir mais maître leur servant d’exemple de fainéantise, d’impatience et
deux coups de pieds que je lui donnais finirent de lui ôter d’arrogance &a
ses forces. J’entendis en ce même instant une voix qui me Le 3. On continuait à ramasser tout ce qu’on trouvait a
demandait du secours, je me renversais et vit un matelot bord que ce que la lame portait à terre. A midi ayant été
tout sanglant qui nageait avec des forces bien abattues fait une ordonnance par laquelle tout voleur, soit de vivres
droit à moi. Je le devançais, il prit place sur un bout de ou boissons serait puni de mort et ce d’un consentement
ma planche et nous faisions nos efforts pour gagner terre. général, on prit sur le fait au même instant, deux hommes
Mais n’avançant pas, les lames m’écrasant et chargé de qui tirèrent aux dés pour être fusilier ayant sauvé quelques
nager presque pour deux, je lui abandonnais la planche en fusils. On allait en exécuter un, lorsqu’il décampa et se jeta à
plongeant à deux reprises à la vue d’une barrique de vin qui la mer dans les lames. Sur les 5h du soir comme on préparait
était dans la lame qui faisait coffre sur ma tête. Je me rendis le fusil, le Mtre Canonnier qui travaillait au puit arriva à la
enfin sur de longs récifs de corail où la lame me roula et me tente avec une bouteille d’eau douce passable et demanda
mît dans un état pitoyable, tombant dans un moment à deux qu’on fit grâce au condamné en faveur de la grâce que Dieu
brasses d’eau, dans d’autres à 6 pouces et moins. J’arrivais venait de nous faire d’avoir trouvé de l’eau potable sans
enfin sur la prétendue terre tout sanglant et prêt à rendre laquelle nous serions tous morts, ce qui fut accordé et nous
l’âme de fatigue et de blessures. Quelques minutes après partîmes en procession en chantant le Te Deum, pour voir
arriva aussi le matelot de la planche, il était dans un très triste ce miracle. L’eau n’y a jamais manqué n’y diminué et on
état. Pendant ce temps l’arrière du Vau s’étant allégé d’un peu l’avait à discrétion, quelques noirs très affaiblis par la soif
de bois de fer côtes et fonds, était venu a présenter le bout sont morts en chemin, les uns de débilité pour s’y rendre,

28
Le récit du naufrage de l’Utile

d’autres par en avoir trop bu. Ils ne sont pas exprimables Le 9. Idem au travail tant à terre qu’à la mer.
les secours que nous avonstirés depuis le premier moment Le 10. Sauvé une gueuse, 1 pince, du plomb et du fer
jusqu’au dernier de ces malheureux esclaves que nous avons beaucoup.
été obligés d’y abandonner à la honte de tous. Excepté une Le 11. Sauvé 6 gueuses.
vingtaine tant de l’état-major que de l’équipage qui ont Le 12. Commencé à calfater le bateau.
surpassé la force et le courage humain par leur travaux et Le 13 et 14. La mer grosse.
peines continuelles. Le 15. Belle mer, sauvé 17 gueuses.
Les 4 et 5 on continue à travailler aux débris et M. Castellan Le 18 et 19. Mauvaise mer.
à faire une embarcation en chaland de 32 pieds ½ sur 12 de Le 20. Belle mer.
large a son grand baud, plat dessous et a rien par les deux Le 21. Fait un très grand catamaran, présenté et mis les deux
bouts, ponté et de 5 pieds de haut. mâts au bateau.
Le 6. On a sauvé l’ancre à jet. Le 22. Mis de l’eau dans le bateau pour voir si le calfatage
Le 7. Travaillé aux débris et bateau. était bon.
Le 8. La mer grosse, on n’a pu aller à la carcasse. Le 23. Mer très grosse
Le 9. Idem. L’après-midi à deux heures, nous avons vu une Le 26. La mer belle Le bateau a été fini et on a mouillé un
embarcation à deux mâts sous le vent à nous. On a hissé grappin d’abordage marié avec une gueuse pour hâler au
plusieurs pavillons et brûlé deux barils de poudre que je large le grand catamaran. Bénit le bateau et nommé La
pense qu’ils n’ont pas aperçu mais bien l’Ile, ayant viré de Providence, mouillé après-midi l’ancre à jet par 18 brasses
bord et pris la route de l’Inde. fond de corail et coquillage brisé, a environ deux fortes
Le 10. Nous avons commencé à faire jouer une forge que encablures et demie de l’Ile sous le vent.
nous avons faite et un soufflet très bon, grosse mer. Le 27. Lancé le bateau avec beaucoup de travail et étant tous
Le 11. Toujours au travail sans que je le répète, grosse mer, on embarqués à 5 hre du soir au nombre de 122. Rangés comme
a pris une tortue de mer de 500L au moins au point du jour. des sardines, nous avons appareillé.
Le 12. Travaillé à bord, le bateau où sa construction allant (dans la marge) Il nous est mort a bord ce jour un Mot du
toujours. flux de sang. Le 1er 8 bre 1761 le matin
Le 13. Idem Le 1er 8bre à 9 hre du soir a Foulpointe après avoir de chemin
Le 14. Idem on a « décourbé » les porte-haubans ayant estimé 74 lieues. Nous avons trouvé à notre arrivée Mr. de
besoin pour le bateau. l’Eguille, Chef d’escadre avec 3 Vaux du Roy qui nous ont
Le 15. Idem et ayant fait un four, on y cuit du pain. donné de quoi nous changer et qui ont appareillé à la pointe
Le 16. On a tiré beaucoup de cordage et courbes. du jour le lendemain 2 8bre.
Le 17. Le tronçon du grand mât de hune pour faire des Comme nous avions sauvé la Chapelle nous avons eu la
bordages, sauvé un canon de 8 et monté sur l’île sur son messe tous les dimanches et fêtes et la prière régulièrement
affût, sauvé un perrier. soir et matin. Il aurait été trop long de détailler tout ce que
Le 24. Idem et on commence à cuire du biscuit pour le nous avons sauvé avec des peines inconcevables, nous avons
départ et choisir le place pour le chaland. eu surtout Mrs. de Castellan et Herga qui ont travaillés
Le 25. Les levées de bout, toujours travail du point du jour non comme deux hommes mais comme trente et sans me
jusqu’à la nuit. flatter je les ay bien secondé, nous avons une obligation
Le 26 et le 27. Idem. La mer très grosse. infinie au pauvre Castellan. Il a été le constructeur et le Mtre
Le 28. Idem La mer belle. Charpentier car celui que nous avions ne savait seulement
Le 29. Sauvé des morceaux de voiles qui étaient en étui. pas aligner une pièce de bois des autres. Je n’en dis mot
Le 30. Idem et le 31. Sauvé un rouleau de plomb, du cordage cependant Monnier de Nantes a aidé a Castellan, mais nos
et mit un petit catamaran a la mer (pièces de bois amarrées noirs abandonnés je voudrais n’en jamais finir, car ils ont fait
ensemble sur lesquelles on va à la mer) portant 3 hommes et tout ce qu’on aurait dû attendre d’un équipage qui aurait eu
nous avons pris 2 grandes sardes (poisson) de la bonne volonté et qui chercherait à sauver sa vie.
Le 1er 7bre. Belle mer, sauvé une hache, la moitié de la pierre à
meule. Le catamaran a été dehors et pris du poisson. Noms de l’Etat-Major
Le 2. Sauvé le grand cric &ca De La Fargue Capne
Le 3 et le 4. La mer mauvaise, la cuisson du biscuit finie. De Castellan 1er Lieunt
Le 5. Grosse mer, le 6 et 7 travaillé à sauver. De Benazé l’aisné 2d Lieunt
Le 8. On a défait la grande tente pour avoir le mât de De la Mure 2d Lieunt
pavillon pour faire notre mât de misaine et la bonnette nos Monier de Nantes 2d Lieunt
voiles. L’Epinay Enseig. »

29
Tromelin. Mémoire d’une île

D’un très grand intérêt, ce texte éclaire de nombreux aspects concernant Figure 4-1 – Récit de l’écrivain du bord.
l’île de Tromelin, le séjour des naufragés, et les rapports entre esclaves et
équipage.

Ce qui frappe d’emblée le lecteur d’aujourd’hui, c’est l’image saisis-


sante, libre et spontanée du racisme  : luttant pour la vie, agrippé à
une poutre au milieu des déferlantes, le narrateur dissuade à coups de
pied un «  noir  » de partager sa planche de salut. Lutte pour la vie  ?
Mouvement d’instinct  ? Nullement. L’instant suivant, un matelot
« blanc » survient, à qui il offre son secours. Hilarion Pierre Dubuisson de
K’Audic (ou Keraudic)

L’ingénuité avec laquelle Keraudic narre cet évènement souligne l’en- Embarqué à Port-Louis (île de France) le
24 juin 1761 comme écrivain sur l’Utile,
racinement de ce préjugé dans les mœurs du temps. C’est pourtant le il remplace Pierre-François Triponet qui
même homme qui, quelques semaines plus tard, empruntant le langage avait fait la traversée de Bayonne à l’île
convenu de la charité, s’apitoiera sur le sort des esclaves que l’on s’ap- de France. Né en 1725, à Saint-Brieuc
prête à abandonner. Peut-être faut-il aussi interpréter cette apparente et résidant à Lorient, il a successivement
été embarqué en 1753 comme écrivain
incohérence comme le signe que les choses sont en train de changer  : à bord du Dauphin qui effectuera un
directement concerné, on réagit viscéralement, les vieux réflexes jouent ; voyage en Chine, puis du Vengeur pour
lorsqu’on prend du recul, les idées nouvelles affleurent2?  u o dc e ye
un voyage à Pondichery 758.
en 1758.

2. Passage repris de Guérout M., L’archéologie rend la parole aux esclaves oubliés de Tromelin,
dans Les Naufragés, Omnibus, 2014, p. 76.

30
Chapitre V

Retour de l’équipage
de l’Utile à Madagascar
puis à l’île de France

Séjour à Madagascar
A leur arrivée à Foulepointe (Madagascar), les naufragés trouvent la
division navale du capitaine de vaisseau Froger de l’Eguille, qui a les
fonctions de chef d’escadre.

Les marins du Roi réconfortent les naufragés et Froger de l’Eguille


Michel Joseph Froger de l’Eguille recueille le témoignage de Lafargue, le commandant de l’Utile. Il rédige
Originaire de Marennes (1702 ou
un rapport concernant la position de l’île de Sable1 :
1705), il fut garde-marine à Rochefort
(1722), enseigne de vaisseau (1732), « Rapport fait par Mr. de l’Eguille sur la fausse situation de l’Isle de Sable
lieutenant de vaisseau (1741), chevalier placée sur la carte du dépôt de la Marine de 1740 par 15° 30’ Lat. Sud et 53° 12’
de Saint-Louis (1740), capitaine de
longitude orientale de Paris.
vaisseau (1751), chef d’escadre
(1761), lieutenant Général des Mr. de la Fargue Capne de la flutte de la Compagnie des Indes l’Utile m’a
Armées navales (1766). Il mourut à déclaré qu’il était parti de Foulpointe le 22 juillet dernier pour l’Isle de France,
Angoulême le 5 septembre 1772. que la nuit du 31 juillet au premier août à 10 heures du soir d’un beau temps,
Il est venu renforcer l’escadre du
le vent du Sud à SSE faisait route à l’E ¼ SE, il avait échoué son vaisseau sur les
comte d’Aché en octobre 1758
avec le Minotaure (74 canons), récifs de l’isle de Sable située sur la carte du dépôt de la Marine de 1740 par 15°
commandé par lui-même, l’Illustre (64 30’ de latitude Sud et par la longitude orientale du méridien de Paris de 53°12’,
canons), commandé par le capitaine sans voir la terre. Que dans fort peu de temps le second pont et la chaloupe qui
de vaisseau de Ruis, et l’Actif (64
était dessus s’étoit enfoncés sans avoir le temps de la mettre à la mer et le Vau
canons), commandé par le capitaine
de vaisseau Beauchère. Il participe brisé. Que l’équipage s’était tenu sur le côté du Vau jusqu’au jour. Qu’ils se sont
alors aux combats de Pondichéry sauvés sur cette isle sur les débris qui leur servaient de pont, au nombre de 122
contre l’escadre de l’amiral Pocock hommes blancs et environ 60 noirs. Que Mr Ollivier officier de côte, passager
sur les côtes de Coromandel.
s’étoit noyé avec 17 hommes de l’équipage et un noir tanneur de la Compagnie.
En 1761, le Zodiaque (74 canons)
a remplacé l’Illustre, qui était le Le Cap. et son second m’ont rapporté que cette isle était toute de sable et faux
troisième bâtiment de la division corail, qu’elle a 700 toises de longueur et 30 de largeur2et qu’elle est élevée
lors de son arrivée dans l’océan au-dessus du niveau de la mer de 15 à 18 pieds sans arbres ni herbe ni eau douce.
Indien en 1758 et s’était échoué à
Elle est toute environnée de récifs du côté de l’Orient ou du vent, ils s’étendent
l’île de France en 1760 avant d’être
condamné, c’est-à-dire d’être déclaré 1. AN – Marine, 3 JJ 358 - Pièce 32.
hors de service. Il décède en 1772. 2. Ce chiff re est erroné, peut-être s’agit-il d’une faute du copiste qui écrit 30 pour 300.

31
Tromelin. Mémoire d’une île

à plus d’une portée de canon au large d’elle et sous le vent d’environ 30 toises en
quelques endroits sans qu’on puisse y aborder nulle part avec aucun bâtiment.
Ils ont remarqué que la pointe du N.O. de cette isle est d’un sable mouvant qui
s’allonge et se raccourcit fréquemment. Tous les récifs sont sur un fond de roche
et un peu au large de ceux de dessous le vent ils ont trouvé un bon fond de sable
fin où il y a 15 à 18 pieds d’eau dans un seul endroit, ils n’ont pu sonder ailleurs.
Dans le mauvais temps ou du moins dans les ouragans, ils pensent qu’elle est
couverte entièrement.
Le premier soin de ces infortunés a été de sauver le plus de vivres qu’ils ont pu et
de se procurer de l’eau douce à quoi ils ont réussi en creusant 15 à 16 pieds dans le
sable, ils en ont trouvé de passable mais je pense qu’elle étoit saumâtre car ils ont
été trop satisfaits de celle qu’ils ont bu à bord de mon vaisseau comme par délice.
Cette découverte sans laquelle ils étoient tous perdus leur a donné le courage de
sauver des quarts de farine, des salaisons, du vin, de l’eau de vie, de la poudre à canon,
des agrès et beaucoup de bois des débris du Vau que la mer a apporté à la plage.
Le Sr. Castellan du Vernet d’Aunat du diocèse d’Alais, jeune homme de bonne
santé et courageux, second du vaisseau, ne se laissant point abattre par l’infortune
de l’aveu du capitaine, les a tous sauvés du péril où ils étoient en encourageant
ses compagnons et leur servant d’exemple en prenant la hache lui-même pour
bastir des débris du Vau avec leur aide un espèce de bateau plat de 33 pieds de
long, qu’ils ont lancé à l’eau où ils sont embarqués 122 personnes avec le plus
d’eau et de provisions qu’ils ont pu. Ils sont partis le 27 septembre ont fait route
pour ce port où ils sont arrivés aujourd’hui au nombre de 121 ayant perdu un
homme dans la traversée. Ils ont laissé environ 60 noirs sur l’isle avec leurs tentes
et pour trois mois de vivres et provisions qu’ils pourront prolonger en vivant
d’oiseaux de mer et de leurs œufs dont il y a une grande abondance sur l’isle et
qu’on tue à coup de bâton. Ils en ont presque toujours vécu pendant qu’ils y ont
été pour économiser leurs provisions. Il y a aussi beaucoup de traces de tortues
dont cependant ils n’ont pris qu’une parce que ce n’était pas la saison où elles vont
pondre à terre. Pour consoler ces malheureux noirs, ils leur ont donné l’espérance
de les venir prendre le plus tôt qu’ils pourroient.
Ces messieurs m’ont dit avoir observé 15° 52’ de latitude Sud sur cette isle
qui serait 22 minutes plus Sud que 15° 30’ où la carte du dépôt de la Marine
de 1740 la place et qu’ayant estimé le chemin qu’ils ont fait revenant d’icy,
ils comptent qu’elle est à l’ENE 4 dgr Nord 92 lieues de Foulpointe, ce quy
differeroit de 46 lieues qui la feroit plus près de ce port sur la mesme carte.
Mais je ne sais si l’on peut bien compter sur l’estime qu’ils on faite dans un
pareil bâtiment d’autant que tous les vaisseaux qui vont de l’isle de France dans
l’Inde par la petite route vont tous prendre connaissance de la pointe Nord de
Madagascar sur laquelle ils se dirigent leur route en partant et si cette isle de
Sable estoit aussi ouest ils en auraient souvent connaissance, ce qui n’arrive pas.
Voici l’Etat-major du vaisseau :
– Mr. de La Fargue Capitaine avec brevet de Capitaine de brûlot pour la campagne.
– Castelan du Vernet d’Aunat dans le diocèse d’Alais
– Benazet du Temple de Dinan
– Namur de la Martinique
– Morin de Nantes
– Lespinay du Languedoc
– Le Moine de Rouen
– L’Aumonier
– Cadu l’écrivain
– Le chirurgien

32
Retour de l’équipage de l’Utile à Madagascar puis à l’île de France

Par ce quy est rapporté cy-devant, on voit que ces infortunés ont resté 58 jours
sur cette misérable Isle flottant entre les horreurs d’une mort prochaine et le
peu d’espérance qu’ils avoient de s’en tirer. Ils sont arrivés icy dépourvus de
tout n’ayant de hardes que ce qu’ils avoient sur le corps. Nous avons taché
de les consoler dans leur malheur en donnant un peu de linge aux officiers et
recommandant les équipages à Mr. Vally3, j’ay écrit à Mr. Delavalle de les venir
prendre en revenant de la Baye d’Antongil avec le Silhouette pour les ramener à
l’isle de France. »

Castellan du Vernet emprunte une embarcation locale et va rejoindre


le Silhouette en baie d’Antongil. Ce vaisseau de côte de la Compagnie
gagne Foulepointe où les rescapés sont embarqués. Le Silhouette appa-
reille le 26 octobre, mais les fièvres qui sévissent sur la côte malgache
ont déjà fait leur œuvre. Pendant la traversée onze marins meurent
de «  fièvres malgaches  » et parmi eux Jean Lafargue, ex-capitaine de
l’Utile, « le 12 novembre à 1 heure et demi après midi alors qu’on est à la
vue de l’île Bourbon ».

Dans notre livre (Guérout, Romon, 2010), nous estimions que le


nombre d’esclaves abandonnés devait être compris entre soixante et
quatre-vingt, et nous penchions pour le premier, en nous appuyant
sur le rapport de Froger de l’Eguille transcrit ci-dessus et qui recueil-
lait ses informations de la bouche même de Lafargue à son arrivée à
Foulepointe. Nous évoquions aussi la possibilité que ce dernier, en avan-
çant le nombre de soixante, n’ait cherché «  à minimiser l’ampleur de
sa traite frauduleuse  ». Il se trouve que fin 2012, ont été trouvés aux
Archives nationales de nouveaux documents. En septembre 1772, onze
ans après les faits, Castellan du Vernet écrit à Mr. De Boynes, secrétaire
d’Etat à la Marine pour lui demander d’envoyer un navire pour vérifier
s’il ne se trouve pas des survivants sur l’île. Le nombre de Malgaches
abandonné indiqué par Castellan dans ces lettres est de quatre-vingts. Il
nous semble que ce chiffre doit être retenu. Les réserves que nous avions
émises concernant le chiffre indiqué par Lafargue paraissent justifiées.

Les naufragés à l’île de France et le refus de


Deforges-Boucher de secourir les Malgaches

Le 25 novembre 1761, les rescapés accostent à Port-Louis, six mois après


leur départ. Le gouverneur de l’île de France, Antoine Marie Desforges-
Boucher (1715-1790), leur réserve un accueil glacial. Dans sa correspon-
dance avec les directeurs de la Compagnie, il déplore la perte de l’Utile
et pointe les responsabilités : 

« M. Castellan premier lieutenant sur ce vaisseau, officier d’une capacité peu
commune, a entrepris la construction d’une espèce de barque ou chaland

3. Il s’agit très probablement du chef de traite Valgny qui succéda à Gaillard nommé en 1756.
Il ira ensuite relever Glemet comme chef de traite à Fort-Dauphin. Un document manuscrit
rédigé par lui se trouve au British Museum (B. Museum, Add. Mss. 18130, f°79, Fragments
d’écrits de Valgny, vers 1755).

33
Tromelin. Mémoire d’une île

qu’il a bâtie sur l’Isle des sables avec les débris du vaisseau et ramené tout
l’équipage ainsi que le capitaine à Foulpointe où Mr. Delaval les a embarqués
sur le Silhouette pour les transporter ici. Mais le Sieur Lafargue est mort dans
cette traversée et a bien fait car ce n’est uniquement qu’à son entêtement et à sa
mauvaise conduite que l’on doit attribuer la perte de ce vaisseau…4. »

Castellan du Vernet rapporte alors au Gouverneur la promesse qu’il a faite


aux Malgaches laissés sur l’île, mais il se heurte à un refus catégorique.
Desforges-Boucher n’évoque pas dans sa lettre le sort des Malgaches
laissés sur l’île. On peut penser que sa décision de ne pas les secourir étant
prise, il préfère passer ce « détail » sous silence pour ne pas avoir à justi-
fier leur abandon. Sa fureur a sans doute motivé son refus d’envoyer un
navire de secours vers l’île de Sable au mépris de la vie des naufragés.

Par crainte d’une disette, on a interdit à Lafargue de ramener des


esclaves, pour ne pas augmenter le nombre de bouches à nourrir.
Pourtant, moins de dix jours après le départ de l’Utile pour Foulepointe,
un négrier portugais, le Jesus Marie Joseph5 arrive au Port-Louis venant
du Mozambique et y débarque 210 noirs. L’extrait d’une lettre du
Conseil supérieur de l’île de France datée du 4 septembre 17616 nous
permet d’apprendre l’affaire : 

« 6 juillet 1761 - Arrivée à l’Ile de France du portugais Jesus Marie Joseph avec
210 noirs venant du Mozambique. Quoique cette nation n’eut aucun droit
d’apporter une pareille cargaison on avait cru néanmoins devoir prendre ces
noirs et on les avoit payés 55 piastres chacun. L’état de cette vente n’a point
été envoyé, ces noirs avoient été payés partie en matière d’argent et partie en
fournitures des magasins. »

Cet achat d’esclaves à un armateur étranger, bien que formellement


interdit par la Compagnie, semble organisé par les représentants de la
Compagnie à l’île de France eux-mêmes. On conçoit aisément qu’un
navire portugais ne va pas entreprendre une navigation de près de deux
mois sans être assuré d’écouler à l’arrivée les esclaves qu’il transporte.
Sans doute dans le réseau serré des rivalités et des inimitiés, l’affaire
n’a–t-elle pas reçu l’assentiment de tout le monde, et dans l’embarras,
on répond par avance aux critiques des directeurs auxquels on a omis de
rendre compte de l’opération, bien qu’ayant payé les esclaves au moins
en partie avec des fournitures provenant des magasins de la Compagnie.

Mais là n’est pas le nœud de l’affaire, comment en effet expliquer qu’après


avoir interdit au commandant de l’Utile de ramener des esclaves, le
gouverneur Desforges accepte d’en introduire 210 en provenance du
Mozambique ? On peine à trouver une explication à l’attitude du gouver-
neur dans cette affaire, sinon que, compte tenu du prix d’achat des esclaves,
l’opération portugaise était plus profitable que l’aurait été celle de l’Utile.

4. AN – Colonies, C 4 13 – 1760 - Journal de Desforges Boucher, Gouverneur de l’Ile de


France, du 12 août 1761 au 31 août 1762.
5. Le négrier Jesus Maria Jose y San Francisco, une corvette portugaise armée à Bahia (Brésil),
appartenant à David O. Lopes, capitaine Dom Pedro, arrive le 6 juillet au Port-Louis et en
repart le 6 août pour le Mozambique.
6. AN – Colonies, C 4 13.

34
Chapitre VI

Echos littéraires du
naufrage de l’Utile

Parmi les auteurs qui font écho à l’histoire de l’Utile dans les années
1760-1770 – l’abbé Pingré, Bernardin de Saint-Pierre et l’auteur
anonyme du document de colportage –, aucun ne semble avoir été en
possession de l’ensemble des données concernant cet événement. Ils
n’imaginent pas non plus son épilogue en 1776, avec le sauvetage de huit
rescapés. Il faudra attendre l’année suivante et la publication d’un même
article dans plusieurs gazettes, puis plus tard la parution des œuvres de
Condorcet et de l’abbé Rochon pour que la fin de l’histoire soit connue
du public.

Le transit de Vénus Abbé Pingré (1761)


L’observation du transit de la planète
Vénus devant le Soleil a pour but L’abbé Pingré, astronome venu observer depuis l’île Rodrigue le transit
de calculer la distance Terre-Soleil de Vénus devant le Soleil, est présent à l’île de France en 1761. Il décrit
par la méthode de la parallaxe. A dans le manuscrit de son Voyage à Rodrigue1, le contexte local dans
cet effet, en 1761, des astronomes lequel se déroule le voyage de l’Utile. Il fait une allusion indirecte au
français, anglais et autrichiens furent
envoyés simultanément en plusieurs naufrage et à la fraude du commandant Lafargue, mais il passe sous
points du globe. L’abbé Pingré devait silence la décision de Desforges et ignore bien entendu le triste sort qui
ainsi observer le phénomène à sera celui des rescapés malgaches.
Rodrigue et Le Gentil à Pondichery.
« Le Conseil souverain de l’Île de France est composé de cinq ou six conseillers,
outre un procureur du Roi, le gouverneur y préside. Les lois sur lesquelles
ce tribunal dirige ses jugements sont très sages, on se plaint qu’elles ne sont
pas toujours exécutées, on accuse même quelques-uns de ceux qui devraient
montrer l’exemple d’être les premiers à les enfreindre. On était alors occupé
principalement des préparatifs nécessaires à la défense de l’île ; on craignait
1. Hoarau S., Janiçon M. P., Racault J.M., Voyage à Rodrigue, le transit de Vénus de 1761 : la
mission astronomique de l’abbé Pingré dans l’océan Indien / Alexandre-Gui Pingré, édition
critique, Paris, 2004. - 373 p. 

| 35
Tromelin. Mémoire d’une île

en quelque sorte moins les forces de l’ennemi, que la famine qui pouvait être
occasionnée par l’investissement de l’île. Le départ de la marine du Roi laissait
une charge de moins, mais on doutait cependant s’il y avait assez de provisions
pour en entretenir les habitants durant deux mois. On avait fait partir
quelques vaisseaux pour faire des provisions de riz à Madagascar et, pour ne
pas multiplier les bouches inutiles, on défendit en même temps tout commerce
extérieur des esclaves. L’appât du gain faisait négliger la défense. On achetait
des Noirs à Madagascar ; on prenait pour revenir des routes détournées et
inconnues, soit pour cacher sa marche, soit pour déposer les Noirs en lieu sûr en
attendant qu’on pût les faire entrer commodément. C’est peut-être à ce manège
qu’on a dû la perte de quelques-uns de ces vaisseaux et de toute leur cargaison. »

L’allusion à l’Utile est transparente, et Pingré est le seul à parler de la


fraude du commandant de l’Utile.

Le récit imprimé du naufrage de l’Utile est


colporté

L’histoire étonnante du naufrage passionne l’opinion au point qu’un


texte imprimé est distribué par les colporteurs, sans doute au milieu de
l’année 1763. Imprimé à Bordeaux, chez Jean Chappuis, le document
est ici transcrit intégralement.

Figure 6-1 – Frontispice de l'imprimé de la


Relation du naufrage.

36 |
Échos littéraires du naufrage de l’Utile

« Relation, des principales circonstances qui ont derrière : on fait partir le gouvernail ; le fond du Bâtiment
accompagné et suivi le naufrage de la frégate l’Utile, s’ouvre dans le même instant On se sauve des soutes ; les
Capitaine M. de Lafargue, sur le ressif de l’Isle de Sable ou malades sont noyés dans leurs cadres : on n’a plus devant les
du Corail, situé au 15e degré 52 minutes de latitude Sud, et yeux que la terreur ou la mort. On veut jetter le canot à la
au 52e degré de longitude à l’Orient de Paris2. » mer ; mais les chutes et rechutes du Vaisseau rendent tous
les efforts inutiles : tous les travailleurs sont précipités au
« Depuis que la Navigation est connue, il n’y a peut-être milieu des débris, tout est au comble du désespoir.
jamais eu de naufrage plus attendrissant que celui de la Vers les trois heures du matin, le mouvement du vaisseau
Frégate l’Utile. C’est par le coup le plus extraordinaire de paraît se ralentir ; nouvelles tentatives pour mettre le canot
la Providence, que ceux qui montaient ce Vaisseau ont eu à la mer, aussi infructueuses que les premières. Il survient
le bonheur de trouver le salut au sein même du désespoir tout-à-coup une lame qui par sa chute enfonce le pont ou le
et de la mort. L’Histoire, ni le Roman n’offrent point coffre, & entraîne tout dans la cale avec les hommes. Alors
d’événement plus capable d’intéresser des concitoyens le vaisseau se divise en six principales parties, sur chacune
& des hommes. Le récit en est dû à une Nation qui scait desquelles l’Equipage se trouve dispersé au hasard. Il n’est
penser et sentir, & surtout à un Gouvernement attentif à pas possible d’exprimer l’horreur de ces séparations, il faut
procurer, par l’émulation, des sujets capables & fidèles aux la sentir.
Souverains & à l’Etat, pour le service de la Marine. Voici ce On ne décrira point les cris lugubres & lamentables des
que portent de plus intéressant les pièces justificatives des Noirs ; les gémissements de tous ces infortunés qui voyant
faits qu’on a sous les yeux, & qui sont en état d’être mis sous fondre à chaque instant la mort sur eux avec les vagues, &
ceux du Ministre. qui se sont suspendus sur les abîmes que par les débris où
La Frégate l’Utile partit de Foul-Pointe le 22 juillet 1761, ils se tiennent avec peine enfin toutes ces saillies mortelles
pour aller à l’île de France. La nuit du dernier de ce mois au qui font frémir la Nature en de pareil cas, & qui doivent
premier Août suivant, au moment que la plus grande partie toucher l’humanité, plutôt que frapper l’imagination.
de l’Equipage étoit ensevelie dans le sommeil, le Vaisseau Au moment où chacun croyoit être englouti dans les flots,
fut tout-à-coup poussé & comme soulevé au milieu des une voix se fait entendre, qui crie terre à plusieurs reprises.
flots, par une secousse impétueuse. Il alla se précipiter sur Tous prennent d’abord ces cris pour des effets de leur
une chaîne de rochers couverts d’eau, & entrecoupés par étourdissement. La voix continue de percer les ténèbres où
des torrens. Dans le premier effroi du réveil, l’Equipage se l’on étoit encore enveloppé ; on s’enhardit à l’écouter ; on
croit perdu : le cri du désespoir est la seule voix qui se fait reconnoit celle du commis de la Frégate. Aussitôt ceux qui
d’abord entendre. scavent nager s’élancent dans les flots, vers l’asyle qui leur
La chute subite de la mâture soulage le Vaisseau, en le est annoncé : les Sieurs Audique & Monier sont les premiers
jettant au même instant dans un péril extrême, par une à donner aux autres un exemple qui devient funeste à la
secousse qui le porte tout-à-coup sur le côté droit. plupart.
Dans cette horrible extrémité l’Equipage ne voit plus que L’aurore commence à paroître ; le crépuscule offre une
la mort, & ce n’est que dans le désespoir que les Officiers espèce d’Isle le long du réssif ; l’espérance renaît sur les
trouvent l’intrépidité & l’activité qui leur sont nécessaires. différents débris : à mesure que le jour croît, l’Isle désirée se
Les prières & les menaces sont employées tour-à-tour : on découvre plus distinctement, mais elle ne fait voir encore
sauve ce qu’on peut dans la chambre la plus élevée ; on jette qu’un roc de corail ; elle laisse craindre à des malheureux
à la mer les canons de stribord, côté sur lequel le vaisseau épuisés de fatigues, de n’y trouver qu’un refuge où il faudra
était penché ; on essaye inutilement d’y jetter aussi ceux de peut-être expirer plus cruellement que dans les flots ; tout
bas-bord ; on attache des cordages, pour empêcher les baux ce qu’ils voyent n’est qu’un sinistre présage, & l’extrême
de s’écarter, & pour s’assurer des bateaux. Ce n’est qu’avec aridité de la côte, & l’air abattu de ceux qui s’y étoient
effort & qu’a l’aide de tout ce qu’on peut saisir, qu’on se sauvés à la nage, tout étouffe l’espoir dans les cœurs.
soutient parmi les secousses du Vaisseau, qui se redresse & Cependant on demande des nouvelles du Capitaine ; on
retombe à chaque moment, & qui est presque submergé par le croyoit péri : il se présente à la bouteille de bas-bord,
l’impétuosité des vagues & des lames : on demande au Ciel, qu’il fait briser pour l’en tirer. Il apperçoit avec joie la terre
par des cris lamentables, l’arrivée du jour. en sortant de ce réduit ; il cherche à rallier l’équipage ; on
Au milieu de ce tumulte & la nuit, le Vaisseau, qui délibère sur les moyens de gagner la terre ; on parvient à
souffroit la plus violente fatigue, menace de s’entrouvrir ; établir un cordage sur un débris peu distant de l’Isle : cet
le gouvernail casse la barre d’arcasse, & la barre les baux de expédient coûte bientôt la vie au jeune frère que le Sieur
2. Un autre document identique a été imprimé à Amsterdam et diffusé Castelan du Vernet, premier lieutenant de la Frégate, avoit
à Paris chez Knapen. eu la consolation de voir sauvé des périls de la nuit. Une

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Tromelin. Mémoire d’une île

lame furieuse renverse tout-à-coup le débris sur lequel découverte se jettent avidement sur tout ce qui peut calmer
il étoit, il s’y attache avec effort par dessous ; mais il est leur soif : ils sont bientôt suivis par d’autres : on ramasse
bientôt forcé de quitter prise par la violence des secousses. avec soin ces précieux restes, & l’on se hâte de les dérober à
En vain lutte-t-il contre les flots pour rejoindre le débris qui la mer.
lui est échappé ; en vain se porte-t-il vers son frère, qui lui Il y avoit dans l’Isle, pour tout habitant, une multitude
tend les bras ; le choc impétueux du torrent le repousse et d’oiseaux, qui d’abord étoient venus fondre précipitamment
le replonge dans le gouffre. Le Sieur Castellan du Vernet, sur les hommes de l’Equipage ; comme ils voltigeaient
tout hors de lui-même, oublie qu’il ne scait pas nager, & presque à terre, on les prend & on les abat sans peine ; on les
veut s’arracher des bras des matelots qui le retiennent, pour fait rôtir sur la cendre, en les arrosant d’un peu d’eau de vie ;
s’élancer vers son frère, & le sauver ou périr. Il a la douleur ce fut la nourriture principale de l’Equipage pendant son
de le voir emporter par la furie des vagues, sans pouvoir lui séjour dans l’île.
donner aucun secours. A l’approche de la nuit, qui amenoit avec elle un froid vif &
Le renversement du débris fait craindre que le cordage ne âpre, il fut question de se construire un abri avec quelques
vienne à se détacher ; on le saisit de nouveau & on l’étend débris & quelques lambeaux de voiles, on parvient à former
sur une partie des premières allonges de stribord, qui avoit une espèce de tente. Ce refuge se trouvant trop étroit pour
passé sous celle de bas-bord. On se tient au cordage ainsi contenir tout le monde ; la plupart se retirent dans les
tendu, & l’on parvient, avec beaucoup de périls & en cavités du corail, avec les pensées les plus sombres, & des
recevant les secousses les plus terribles, au débris voisins de réflexions d’autant plus accablantes, qu’ils venoient de voir
la terre, mais ce voisinage étoit bien dangereux ; il falloit, expirer plusieurs Officiers Mariniers.
pour passer du débris dans l’île, franchir un courant d’eau Le jour succède à une nuit affreuse. Depuis l’instant où
qui couvroit le corail, le roc & des précipices. Néanmoins, l’on étoit entré dans l’Isle, on avoit presqu’entièrement
dans l’impatience où l’on étoit d’arriver à terre, on attend perdu l’usage de marcher ; on se traînoit ou l’on n’allait
avec peine que la lame se soit retirée. Quelques-uns que d’une manière chancelante, comme dans une grande
s’élancent sur un plateau du Ressif, & ont le bonheur de yvresse. Le bloc de corail paroissoit aussi agité que les
prendre terre avant le retour de la lame ; mais d’autres débris mêmes qu’on avoit quittés ; la plupart s’imaginoient
secoués avec violence par le retour de la lame, sont en être sur une Isle flottante, & pensoient être entraînés
danger de périr, & ne se sauvent qu’en saisissant le corail qui à chaque instant au gré des vagues. Les mugissements
les blesse & les mutile. continuels de la mer causoient des étourdissements
Le Sieur Castellan du Vernet essuya le plus grand péril effroyables ; tous les objets ne s’offroient que sous
dans ce passage ; il y aurait été submergé, si le Sieur Herga, des aspects extraordinaires, comme dans un songe où
Chirurgien-Major du Vaisseau, qui étoit à terre, ne fut l’imagination s’épouvante d’elle-même.
promptement venu à son secours. Le Sieur Benagé dut Cependant chacun revoit avec une sorte de joie les
son salut à deux Noirs qui l’arracheront aux flots qui compagnons de son infortune ; on songe en même temps
l’emportaient ; le Sieur Monier fut sauvé par le moyen d’un à sauver ceux qui étoient demeurés sur les débris : quelques
cordage : enfin, c’est à travers de tant de danger que la plus coups d’eau de vie inspirent assez de courage à plusieurs
grande partie de l’Equipage arrive sur l’Isle désirée. Presque pour affronter de nouveau les abîmes d’où ils étoient sortis ;
tous sont meurtris, mutilés & couverts de contusions ; ce ils vont chercher un Officier Marinier dangereusement
sont plutôt des spectres que des hommes. blessé, ils le rapportent comme ils peuvent, & le mettent
Ces malheureux Insulaires ont encore la désolation de se entre les mains du Chirurgien, qui lui fait un appareil
voir sur un roc desséché par les ardeurs du Soleil, & qui douloureux avec des lambeaux de voile.
ne leur offre aucune pâture : ils se regardent les uns & D’autres cherchent des instruments pour percer le corail.
les autres d’un œil morne et abattu ; ils se disent par un On établit en même temps une police exacte & ferme pour
silence mortel, que c’est en vain qu’ils ont espéré se trouver économiser la farine & la boisson : on recommande à tous
un asyle ; leur sang se glace dans les veines, tandis que la l’activité du travail ; on reproche à quelques-uns leurs excès ;
chaleur excessive brûle au dehors ; ils tremblent, ils sont on propose à tous leur salut, pour prix de leurs efforts : tout
agités et enflés, comme dans les crises d’une fièvre violente ce que la prudence humaine, jointe à la confiance, peut
accompagnée d’hydropysie. fournir de ressources, est employé.
Cependant les plus intrépides sortent, par l’effet du La découverte qu’on fit d’une source d’eau, ou plutôt
désespoir, de leur abattement, se traînent vers les débris de d’une liqueur épaisse & blanche comme du lait, fut une
la Frégate, pour y chercher des vivres. espèce de miracle qui excita une joie universelle. On part
Ils ont le bonheur d’y trouver quelques barriques d’eau de en procession pour aller vers cette heureuse source ; le Ciel
vie & quelques barrils de farine. Les premiers qui font cette y est mille fois béni, mille actions de grâces font retentir

38 |
Échos littéraires du naufrage de l’Utile

les airs. Cependant cette eau étoit salée & se corrompoit Le Sieur castellan du Vernet va jusqu’à perfectionner ses
bientôt, plusieurs périrent en la buvant. inventions ; il fabrique un soufflet pour la forge avec de la
Ensuite l’idée de construire un Bâtiment pour sortir de basane, le dessus d’un coffre & deux panneaux de la grande
l’Isle, vint à quelques-uns, elle est bientôt saisie par tout le chambre lui servent à en faire la boiture. Il se transporte
monde ; mais la difficulté étoit de la réaliser. Il falloit un sur les débris pour y chercher tout ce qui peut servir à
plan & des matériaux, il falloit une exécution prompte & l’exécution de son plan ; il arrache des mains des Matelots
heureuse, le Charpentier ne pouvoit rien effectuer, ce qui des pièces d’argent que ces infortunés s’amusoient à
jetta tout le monde dans la consternation. ramasser au lieu de cloux, il les jette à la mer à leur yeux, &
Le sieur Castellan du Vernet, qui pour soulager le capitaine, les fait travailler à leur propre vie.
se portoit de tous côtés, & veilloit, en sa qualité de premier Cependant on n’étoit pas un moment sans alarmes.
Lieutenant, au maintien du bon ordre, déclara qu’il se Il survenait de temps en temps des agitations et des
chargeoit de travailler au plan du Bâtiment en question ; bouillonnements autour de l’Isle, qui faisoient frémir, & qui
& sans délibérer, il commença à le dessiner sur une plate- replongeoient les travailleurs, c’est à dire tout l’équipage ;
forme dressée avec des débris. A la vue des premiers traits de dans des consternations entrecoupées. On avoit découvert
l’épure d’un Bateau en forme de Prâme, l’espérance se relève presque au milieu de l’Isle des débris de vaisseaux, qui
dans tous les coeurs, & y ranime le courage. La suivante annonçaient qu’elle étoit souvent submergée par la mer. On
procure quelque repos. redoutoit sans cesse les ouragans et les tempêtes. L’heureux
Chaque jour inspire une nouvelle fermeté, une nouvelle Esquif étoit prêt à s’achever, lorsque les flots courroucés
vigueur, malgré la disette où l’on est, pour fournir des emportent pendant une nuit obscure un espace de l’Isle
travaux. Les officiers tantôt dirigent les opérations qui leur d’environ 125 toises. Cet évènement causa une terreur
sont distribuées, tantôt conduisent chacun leur peloton aux d’autant plus affreuse, qu’on touchoit au moment de
débris ; on démolit tout ce qui présente, & l’on travaille à pouvoir se sauver.
construire un four et une forge. Enfin, le Sieur Castelan du Vernet a la consolation de
Le point qui alarmoit le plus, c’est qu’on craignoit de mettre la dernière main à son ouvrage le 27 septembre, 56
manquer du bois nécessaire pour la construction du Bateau, jours après le naufrage. Tout l’Equipage alors éclate en cris
auquel il fallait donner au moins quarante-cinq pieds de d’allégresse ; on verse des larmes de joye sur ces planches
quille sur quinze de face, pour pouvoir transporter tout qui avoient été arrosées de pleurs si amers. Chacun appelle
l’Equipage. le Sieur Castelan son bienfaiteur & son père, chacun
Le Sieur Castellan du Vernet épuisé de fatigues & accablé le remercie de la vie qu’il tient de son activité & de son
d’incommodités, se traîne comme il peut sur la plate- industrie ; tous demandent pour lui les bénédictions du Ciel
forme, en tombant dans des évanouissements continuels. & les récompenses qu’il a méritées. Ce devoit être pour cet
Sa situation jettoit tout le monde dans l’accablement ; Officier une satisfaction bien touchante & bien digne d’un
on craignoit à chaque moment de le perdre, & chacun cœur sensible, de voir que des débris, ou plutôt des restes,
lui témoignoit ses terreurs, comme si l’on eut été sur le pour ainsi dire du tombeau de l’Equipage, il étoit parvenu à
point de faire une seconde fois naufrage. Parmi les cris faire un bâtiment capable de sauver la vie de cent vingt-deux
lamentables qu’on poussoit autour de lui, il recevoit Européens, tous Officiers ou Matelots expérimentés.
soudain & comme par saillie la connoissance ; il se hâtoit On bénit solennellement le Bâtiment, & pour lui donner un
de mettre à profit les momens où il étoit à lui, pour achever nom qui lui convienne, on l’appelle la Providence.
son travail, en montrant la plus grande confiance, afin On se prépare donc au départ sans délais pendant la nuit
d’en inspirer aux autres. Il étoit obligé d’être tout à la fois du 26 au 27 Septembre. Tous les bras s’employèrent avec le
Commandant, Ingénieur, Charpentier, Scieur-de-long, en plus grand empressement pour ratîner3 le Bateau, on vient à
un mot, de se multiplier suivant les divers besoins & les bout de le faire marcher sur des rouleaux, malgré plusieurs
différentes opérations. Déjà on a la satisfaction de voir des accidents & des terreurs continuelles ; enfin on le lance à
planches étendues sur une espèce de chantier, de voir le l’eau, en le retenant avec une ancre à jet qu’on avoit retirée
fourneau de la forge achevé, & le Bateau prendre une forme des débris.
régulière. Aussitôt le grand mât à bascule est dressé, les voiles sont
A ce spectacle que chaque jour rendoit plus intéressant, appareillées, la mer en courroux menace de les prendre de
ce n’étoit plus la consolation qui se montroit sur les flanc ; mais on a le bonheur de faire présenter la proue à
visages, c’étoit presque de la joye ; ces courageux Insulaires
3. Sans doute une déformation par consonance de « pour attiner »,
croyoient déjà voir leur Patrie combattre encore pour elle &
verbe correspondant au mot attinage, terme utilisé pour désigner
pour le Roi, & s’il falloit périr, périr du moins en vendant la mise en place des tins, ici destinés à faire glisser la quille de la
leur vie bien cher aux Ennemis. Providence lors de sa mise à l’eau.

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Tromelin. Mémoire d’une île

la lame. Les cent vingt-deux Français s’embarquent ainsi débris de la Frégate l’Utile, qui avoit fait naufrage à l’Isle de
avec l’espérance, ils sont obligés de s’entrelasser les uns sable. Tout ce qu’on lui raconta touchant ce naufrage & ce
dans les autres pour pouvoir y être tous contenus avec qui l’avoit suivi, ainsi que sur le nombre d’hommes qu’on
quelques vivres. Les Noirs, qu’on était forcés de laisser sur lui dit qu’il y avoit dans le Bateau, lui parut incroyable.
l’Isle demeurèrent dans un silence accablant au moment Ce Général partit le lendemain pour l’Europe. Avant son
du départ. Le Sieur Castelan étoit désolé plus que jamais départ il donna au Sieur Lafargue, Capitaine, une lettre
de n’avoir pu donner que 33 pieds de quille au bateau, pour M. de Laval, commandant le Silhouette, qui étoit à
parce que le bois n’avoit pas suffi. Mais quel parti prendre l’Isle de Marotte dans la Baye d’Antongil, afin qu’il vint
dans une pareille extrémité ? Ce fut de laisser des vivres prendre l’équipage du Bateau à Foul-Pointe, & qu’il le
aux malheureux Noirs, en leur promettant de les envoyer transportât à l’Isle de France. Ce fut le Sieur de Castelan
chercher, & en leur laissant même un écrit par lequel leurs qui fut chargé de remettre cette lettre, & qui s’embarqua en
services étoient attestés, afin que si quelqu’un venoit à conséquence dans une petite pirogue ou nacelle.
passer, on les y recut sans difficulté. Le Silhouette mouilla à Foul-Pointe le 23 Octobre, & partit
le 26 pour l’Isle de France, où il arriva le 25 novembre.
A cet endroit
d du texte, un renvoi imprimé
d Pendant la route le Sieur de Lafargue mourut, le 12 de ce
dans la marge indique : « On a envoyé
dernier mois, à la vue de l’île Bourbon. On conçoit bien
un bâtiment de l’Isle de France, pour
prendre ces infortunés. », mais une que le récit du naufrage qu’on vient de décrire, & de toutes
note manuscrite ajoutée ultérieurement les circonstances qui l’on accompagné, & encore plus
précise : « On avait promis d’envoyer l’espèce de prodige avec lequel l’Equipage de la Frégate
et
e oon ne
e l’a
a pas fait jusqu’à
a jusqu àpprésent.
ése . »
l’Utile fut sauvé, causa le plus grand étonnement à ceux qui
furent comme les témoins de la vérité du fait, en voyant cet
Equipage & le Bateau construit par le Sieur Castelan du
Vernet4.
Pour témoigner leur reconnaissance à cet Officier, tous
ceux qui composoient l’Equipage le forcèrent d’agréer un
Certificat signé d’eux, & qui atteste les faits avancés sur son
compte dans cette relation. Le Sieur Castellan du Vernet
auroit constamment refusé une attestation d’ailleurs si
glorieuse pour lui, s’il lui avoit été permis de rejetter un
monument qui lui paroissoit nécessaire pour faire croire
des faits aussi extraordinaires & aussi peu vraisemblables, &
si sa sensibilité avoit pu répondre autrement à celle que lui
marquoient par-là les compagnons de son naufrage & de ses
travaux. Il se trouvoit trop heureux d’avoir soulagé la vie à
cent vingt hommes, tous estimables en leur genre, pour ne
pas accepter ce qui devoit lui rappeller à jamais à lui-même
le service qu’il leur avoit rendu, & le mettre en état de
certifier ce qui sera toujours sa consolation & sa gloire.

4. Le Sieur Castellan, natif d’Aunat, Diocèse d’Alet en Languedoc, au


centre des Pyrénées, sert sur les vaisseaux de la Compagnie des Indes
Figure 6-2 – Renvois imprimés et manuscrits depuis 1741, il s’est trouvé au siège de Madras en 1746 et 1747, sur le
dans la marge. vaisseau le Duc d’Orléans ; il commanda pendant le siège un détache-
ment de matelots ; il était en 1759 Lieutenant de Frégate [à bord du]
Saint-Priest, lorsque le vaisseau fut attaqué au nord du Cap Finistere
par une frégate anglaise qui, quoique supérieure en force, fut fort mal-
Au bout de quatre jours de traversée, après avoir rencontré
traitée ; il fit un grand nombre de voyage dans les Indes. Il a eu trois
de grosses mers & des vents variables, le fortuné Bâtiment frères morts au service du Roi ; l’un au siège de Bergopsoon, l’autre
arrive le premier Octobre, à neuf heures du soir, au Port sur le vaisseau le Beaumont, & le troisième fut submergé en sa présence
de Foul-Pointe. M. d’Aiguille, Chef d’Escadre étoit sur le à l’Isle de Sable. Son père et son grand-père ont servi dans le Royal-
Roussillon, Infanterie. Ce fut son grand père qui, quoique retiré du
point de sortir de ce Port, où il étoit mouillé ; il demanda
service avec une pension du Roi, fut chargé de porter secours au Mont-
en passant d’où venoit ce Bateau, le Sieur Castelan du Louis & à la Sardaigne française, contre les incursions de Dom Miguel,
Vernet, qui reconnut sa voix lui repondit que c’étoient les ce fameux partisan espagnol, qu’il vint à bout de chasser.

40 |
Échos littéraires du naufrage de l’Utile

L’An mil sept cent soixante-un, le vingt-neuvième jour de « Nous Sindics et Directeurs de la Compagnie des Indes
novembre, au Port de France : Nous Maître d’Equipage, certifions à tous qu’il appartiendra que le Sr. Castellan du
Officiers-Mariniers & Matelots de la Frégate l’Utile, Vernet premier lieutenant de la Marine de la Compagnie,
Capitaine de Lafargue : Certifions authentiquement s’est embarqué le dix-sept novembre mil sept cent soixante
qu’ayant naufragé à dix heures de nuit du dernier juillet au au Port du passage en qualité de second sur la frégatte
premier août de la susdite année, sur l’Isle de Sable, ou pour l’Utile commandée par le Sr.Lafargue pour le voyage de
mieux dire de Corail, sur laquelle nous avons resté jusqu’au l’Isle de France et de Bourbon ; que ce bâtiment a eu le
27 Septembre au soir, & que nous fîmes route pour Foul- malheur de faire naufrage le 31 juillet 1761 par un gros
Pointe sur un Bateau plat à trois quilles, dans le plan des temps pendant la nuit sur une chaîne de rescifs de l’Isle de
Prâmes, quoique en petit, puisque ledit Bateau n’avoit que Sable, coste de Madagascar ; que les violentes secousses de
trente-trois pieds de quille ; nous arrivâmes à Foul-Pointe la mer contre les roches ayant dégradé ce navire en très peu
cent-vingt-un hommes tout compris, le premier Octobre. de tems et mis l’Etat-major et l’équipage composé de cent
Il ne nous falloit rien moins qu’un Officier comme M. vingt hommes dans un danger imminent de périr tous sans
Castellan du Vernet notre premier Lieutenant, qui lui seul, ressources, le Sr.Castellan du Vernet et ceux de ses officiers
après notre triste naufrage, a ranimé le courage d’un chacun qui dans une si triste extrémité étaient en état d’agit ;
par la construction du susdit Bateau ; non seulement il en ramenèrent par leur fermeté le courage des équipages, à
leva les plans, mais même il l’exécuta en partie, & cela des l’effet d’employer tous les moyens possibles pour se sauver
débris qu’il falloit aller lever sur différentes parties des plus sur l’isle de Sable, qu’en effet après des travaux et des risques
grands débris, dont il fut le premier à donner l’exemple. infinis suivant les détail que cet officier en a rapporté à la
Nous pouvons publier qu’il trouvoit du remède à tous les Compagnie, et qui lui sont venus d’ailleurs par différentes
obstacles, qui n’étoient pas moindre, tout incommodé lettres, non seulement tous le monde a eu le bonheur de
qu’il fut, & affligé de la perte d’un frère qui promettoit se sauver sur cette isle, mais encore que cet équipage sous
beaucoup. Il ne décessoit jamais le travail depuis la pointe la conduite du Sr. Castellan du Vernet, qui s’en trouvait
du jour à la nuit close ; son industrie nous donna une le commandant, s’est rendu en quatre jours de traversée
Forge, car il fit un soufflet d’une basane qu’on sauva. Si à Madagascar sur un bateau qu’il a construit lui-même
nous tracions ce qu’il a fait jour par jour, le détail seroit sur cette isle déserte en cinquante-six jours de tems avec
trop long. Nous dirons avec vérité qu’après Dieu, nous les débris de la frégatte et sur les plans du Sr. Castellan du
devons notre sortie de cette Isle à lui seul, puisque c’est à Vernet qui n’a cessé de les encourager par ses conseils et par
la connaissance du plus simple de l’Equipage, que nous son exemple, ainsi que les gens de l’équipage l’on reconnu
n’agissions que par son conseil. & ses ordres au travail qui par le certificat qu’ils en ont donné à ce Commandant,
étoit indispensable pour parvenir au but où Dieu nous signé d’eux ; et qu’il nous a produit et sur le compte que
a fait la grace d’arriver. A peine fûmes-nous sortis de la la Compagnie a rendu à Mr. le Controlleur Général, le
susdite Isle, qu’il forma le projet de venir prendre les Noirs Ministre a obtenu du Roy une gratification de 900 livres
que nous y laissions, pourvu qu’à Foul-Pointe il eût pu pour le dit Sr. Castellan du Vernet, et pour donner à cet
trouver un rechange de voiles ; ce qu’il n’a pu exécuter par officier une marque de la satisfaction que nous avons du zèle
ce défaut. Nous supplions instamment le susdit Lieutenant et de la capacité qu’il a fait paroitre en cette occasion, nous
d’accepter notre reconnoissance par le présent exposé, luy avons délivré le présent certificat signé de nous pour
n’étant que la vérité. En foi de quoi avons signé le jour & an lui servir et valoir ce que de raison, et je lui fait apposer le
que dessus. Lange Stepons, Pierre Desdebes, Mandement, cachet des armes de la Compagnie et contre signer par le
Joseph Elissade, Bertrand Vergès, Jean-Louis Catalot, Vital secrétaire d’Icelle, fait à Paris en l’Hôtel de la Compagnie
Sarran, Taillefer, De Pierre Florimer, Martin Darlas, Jean des Indes, le dix-huit juin mil sept cent soixante-trois.
Deffaa, Jean Cazenave, Caubinot, Joseph Duval, Jean-Louis Paumier de St-Bal6, David7, Godheu8
Rossy, Pierre Balere, François Jourcin, François Le Quennet, Pour la compagnie
Ribert, David Lassale, François Lafitte, Jean Lafourcade, Boize9. »
Pierre Laems, Vincent S. André, Jean Bertrand, Pierre
Cruchet, Pierre Dembrun, Jean Fourquet. »
6. Annibal Pannier de Saint-Bal, Syndic de la Compagnie des Indes
Outre le certificat peu banal, délivré par l’équipage, et banquier.
Castellan du Vernet, deux ans plus tard, en obtiendra un 7. Antoine David, Directeur de la Compagnie des Indes de 1743 à
1764.
autre des Directeurs de la Compagnie des Indes5 :
8. Charles Robert Godeheu d’Igoville, Directeur de la Compagnie
5. AN – Colonies E 65 – (Aix en Provence) – Dossier Castellan du des Indes.
Vernet 9. Jean-Baptiste Boize, Premier secrétaire de la Compagnie des Indes.

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Tromelin. Mémoire d’une île

Bernardin de Saint-Pierre (1773)


Bernardin de Saint-Pierre, séjourne à l’île de France entre 1768 et 1770,
il publie son Voyage à l’île de France en 1773. S’il ne connaît pas l’épi-
logue de l’histoire, il révèle toutefois le refus de l’administration de la
Compagnie d’aller rechercher les naufragés. Cependant, il n’osera pas
publier ses critiques, ni certaines révélations sur les excès des colons. On
les retrouve cependant dans son manuscrit conservé à la bibliothèque du
Havre dont voici la transcription10 .

« Le vaisseau l’Utile partant de Madagascar s’échoua sur une isle appelée
l’isle aux sables, presque à fleur d’eau, et sans eau ni herbe d’aucune espèce.
Ce vaisseau avait environ 160 nègres esclaves, le Cap. les fit descendre avec
son équipage et ce qu’on put sauver des provisions du vaisseau qui avait coulé,
ensuite on résolut de le démembrer pour en construire une barque qui put les
ramener à l’isle de France. Les noirs esclaves le servirent avec un grand zèle dans
ce travail. Quand la barque achevée et faites aussi grande qu’on l’avoit pu, le
capitaine s’aperçut avec chagrin qu’elle ne pouvait contenir que les gens de son
équipage, il les fit donc embarquer secrettement et ayant laissé tant soit peu
de provisions avec les noirs il leur promit de leur envoyer un vaisseau dès qu’il
serait arrivé à l’Isle de France, les malheureux, femmes et enfants, levèrent les
mains au ciel et leur souhaitèrent un bon voyage, cependant le Cap. étant arrivé
au bout de trois semaines à l’Isle de France rendit conte [sic] à l’administration
de son malheur et de la promptitude du secours qu’il fallait porter aux noirs
abandonnés au milieu de la mer11. D’autant qu’il ne fallait que quelques
jours de voyage pour aller à eux, les vents étant presque toujours favorables.
Mais les chefs de l’administration décidèrent qu’ils devoient être péris et on
les abandonna sur cette isle. Depuis on n’a pas même aperçu d’ossements, la
mer couvrant ce haut fond dans les équinoxes. Ils pouvaient avoir péri mais
l’administration était très coupable car enfin c’étaient des hommes qu’ils
livraient à la mort et la démarche qu’elle devoit faire, quoique inutile eut prouvé
qu’elle faisait quelques cas des hommes et qu’elle devoit, même de [manière]
inutile, à leur mémoire12. »

Gazettes et journaux (1777)


En 1777, la nouvelle du sauvetage des rescapés parvient en Europe et
plusieurs journaux publient un texte identique. En mai, le Journal de
politique et de littérature13 , publié à Bruxelles ; en juillet, la Gazette des
gazettes14 , publié dans le duché de Bouillon ; en août, le Journal historique
et politique de Genève15 et le Journal encyclopédique16 , publié à Liège :
10. Bibliothèque du Havre, Manuscrit no 82 f° B4 - Brouillons du texte du Voyage à l’Ile de
France de Bernardin de Saint-Pierre.
11. Bernardin de Saint-Pierre commet ici une erreur car Lafargue décéda en mer le 12
novembre 1761.
12. Bibliothèque Municipale du Havre - Manuscrit no 82, f° B4.
13. Journal de politique et de littérature, no 13, 5 mai, tome second, Bruxelles, 1777, p. 253.
14. Gazette des gazettes, Année 1777, juillet, première quinzaine, Bouillon, p. 50.
15. Journal historique et politique de Genève, no 24, 30 août 1777.
16. Journal encyclopédique, volume 44, Pierre Rousseau, 1777, p. 560. Ce journal fut publié
à Liège par Pierre Rousseau à partir du 1er janv. 1756.

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Échos littéraires du naufrage de l’Utile

« Extrait d’une lettre du Port-Louis dans l’Isle de France


La corvette du Roi la Dauphine, commandée par le Chevalier Lanuguy-
Tromelin, Enseigne de vaisseau, partit de ce port le 25 de Novembre dernier,
pour aller reconnaître l’Isle aux Sables, & y prendre des noirs, que plusieurs
bâtiments y avoient apperçus précédemment ; le 28, au coucher du soleil, on
découvrit l’Isle, & le 29, M. Lepage, Officier de la corvette, fut envoyé avec une
chaloupe & une pirogue à l’ouest de l’Isle, d’où il ramena à bord de la corvette
sept négresses & un négrillon ; âgé de huit mois, qui étoient les seules personnes
existantes dans cette Isle ; on interrogea ces femmes infortunées, qui répondirent
qu’elles étoient dans cette Isle depuis la perte du vaisseau de la Compagnie des
Indes l’Utile, qui fit naufrage le 31 juillet 1761 ; qu’après le départ de l’équipage,
qui se sauva dans une espèce de chalan, fait des débris du vaisseau, il étoit resté
environ 80 noirs ou négresses dont 18, peu de temps après, s’embarquèrent sur
un rat, & ne reparurent plus ; que, depuis environ douze ans, il n’en étoit plus
resté que treize, les autres étant morts de misère. Ces mêmes femmes rapportent
n’avoir vu, pendant les quinze années qu’elles ont passées dans l’isle, que cinq
navires, dont plusieurs ont essayé de mettre à terre ; que le troisième, la Sauterelle,
y avoit réussi, que, le mauvais temps où la peur ayant obligé un Matelot de rester
avec eux, cet homme s’étoit embarqué sur un rat, il y a environ trois mois, avec
trois Noirs et trois Négresses, dans l’espérance de se rendre à l’Isle de Madagascar.
Quant au genre de vie que ces malheureux ont mené dans cette Isle déserte,
depuis l’époque de leur naufrage, voici ce qu’on en a pu recueillir. Ils étoient
parvenus à se bâtir, avec les débris du vaisseau, une espèce de case, qu’ils avoient
construite sur la partie la plus élevée de l’Isle ; ils l’avoient couverte de l’écaille
des tortues, qui leur servaient de nourriture. Les poissons, les oiseaux & leurs
oeufs étoient leur unique ressource. Un puits, pratiqué dans le sable, leur
donnoit pour boisson une eau saumache (sic), & les plumes d’oiseau, tissues fort
artistement, leur servoient de pagnes et de couvertures.
Cette Isle n’est qu’un banc de corail, qui peut avoir un quart de lieue de longueur,
sur 300 toises de largeur, & dont la hauteur peut avoir environ 15 pieds. La mer
a rassemblé autour de sa circonférence du corail brisé & du sable, de manière que
le milieu de l’Isle est plus bas que ses bords ; il n’y croît que de la soldanelle, qui
rampe sur le sable. Tout le contour de l’Isle est cerné de récifs, qui s’étendant 150
toises dans la partie Sud, & se rapprochent de la côte. En allant vers le nord, dans
les mauvais temps, qui sont assez fréquens, à ce que disent les naufragés, le vent
ensabloit leur case, & ils étoient souvent dans la crainte d’être engloutis par la mer.
M. l’Intendant a donné asyle chez lui à l’enfant, à sa mère, nommée Eve, & à
une autre négresse mère de celle-ci, nommée Dauphine ; l’enfant a été baptisé,
& a reçu le nom de Jacques Moyse. »

Condorcet (1781)
Condorcet fait une première allusion à l’histoire en 1781 lorsqu’il
publie ses Réflexions sur l’esclavage des nègres. Il prend comme exemple
le naufrage de l’Utile et l’abandon des esclaves pour montrer « combien
les Européens sont éloignés en général de regarder les noirs comme
leurs semblables »17 ; on aurait pu imaginer contestation plus virulente.
Lorsqu’il fut admis le 8 avril 1788 à la Société des amis des Noirs, il

17. Condorcet 2003, p. 52.

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Tromelin. Mémoire d’une île

venait de publier une seconde édition des Réflexions. Si Condorcet avait


connu le récit du naufrage rédigé par de Keraudic, sans doute y aurait-il
trouvé l’illustration parfaite de son propos.

En relatant l’histoire des esclaves de l’Utile, Condorcet commet


plusieurs erreurs qui posent la question de ses sources. Il attribue par
exemple le sauvetage des rescapés à la Sylphide et non à la Dauphine.
Ayant sans doute eu vent du drame vécu par les esclaves de l’Utile et
souhaitant s’en servir pour illustrer son propos, il prit contact avec le
capitaine de vaisseau Louis-Dominique de Joannis, ancien capitaine
de la Compagnie des Indes passé dans la marine royale. Ce dernier
s’en ouvrit à Madame de Brain, sœur de Desforges-Boucher, qui vivait
à Paris. Elle écrivit à son frère, au château de Gol à l’île Bourbon,
la résidence familiale où il s’était établi après avoir quitté en 1767 ses
fonctions de gouverneur. Après l’émoi initial, l’affaire avait peu à peu
été oubliée. Le sauvetage des rescapés la ramena brutalement sur le
devant de la scène, l’affaire devenant particulièrement gênante pour
Desforges-Boucher. Très méfiant et cherchant à connaître les inten-
tions de Condorcet, il fit parvenir à sa sœur un paquet secret contenant
des « notes instructives » et lui fit ses recommandations :

« Je suis fort content de savoir que le paquet secret que je vous ai adressé vous
soit parvenu ; je suis bien assuré que vous n’userez qu’avec circonspection
de son contenu et qu’autant qu’il vous sera nécessaire pour parvenir à la
connaissance de ce que l’on désire de savoir. J’ai écrit à notre ami Joannis de
vous faire part de tout ce qu’il a pu entrevoir dans les questions de M. le Mquis de
Condorcet18. »

Condorcet fut-il informé ou désinformé par Desforges-Boucher  ? Il


écrit simplement, sans commenter la décision du gouverneur : « M. des
Forges, alors gouverneur de l’île de France, refusa d’envoyer un vaisseau
sous prétexte qu’il courait risque d’être pris. »

Abbé Rochon (1791)


L’abbé Rochon, astronome de la Marine Royale, présent à l’île de France
en même temps que Bernardin de Saint-Pierre consacre plusieurs pages
au naufrage et au sauvetage des rescapés dans son Voyage à Madagascar
et aux Indes Orientales. Sans doute parce qu’il le publie tardivement
à Paris en 179119, sa critique est plus vive, et plus directe. Il s’insurge
contre la décision de ne pas porter secours aux naufragés, d’autant plus
facilement que l’air du temps a changé : « Tout homme qui a quelque
sentiment d’humanité frémit quand il sait qu’on a laissé périr miséra-
blement ces pauvres noirs, sans daigner faire aucune tentative pour les
sauver. »

18. AD 56, E 2226 – Correspondances A. Desforges-Boucher, Lettres adressées à Mme de


Brain datées du 20 novembre 1781, f° 171.
19. Rochon Alexis Marie, abbé, Voyage à Madagascar et aux Indes Orientales, Paris, 1791,
p. LIX-LXIIJ (Introduction).

44 |
Échos littéraires du naufrage de l’Utile

La vertueuse indignation de Rochon, un personnage haut en couleur,


une forte personnalité, doit être tempérée. En effet à une époque de
prise de conscience, les idées et les comportements changent rapidement
et il est parfois aisé de pointer des attitudes et des déclarations contra-
dictoires à quelques années de distance.

Dans le même ouvrage Rochon s’indigne :

« Hommes justes et compatissants, voyez ce qu’il en a coûté de sang et de


crimes, pour amener vos colonies à cette espèce de prospérité dont vous
entendez tous les jours exagérer la plupart des avantages, comme si cette
prospérité toujours précaire n’étoit pas plus apparente que réelle, puisque
l’opulence du petit nombre n’est fondée que sur la servitude et la misère de la
multitude. »

Mais lors du violent différend qui oppose le Gouverneur Jean-Daniel


Dumas à l’intendant Pierre Poivre en 1767/1768, la saisie des papiers
du Sr.Glémet régisseur des traites du Roi à Madagascar, nous montre un
autre visage de Rochon. Voici un extrait de l’une de ces lettres :

« Une lettre du S. Glémet au nommé Filet dit La Bigorne interprète envoyé


dans la baie d’Antongil par laquelle lettre, sur la recommandation de M. Dumas,
le S. Glémet ordonne à son cher Filet de procurer à M. l’abbé Rochon toutes
les facilités pour la recherche de beaux morceaux de cristal… Lui demande de
procurer à M. l’abbé Rochon l’achat de deux esclaves, … Lettre du 17 septembre
1768. »20

On peut remarquer que toutes ces critiques se concentrent sur la déci-


sion de Desroches de ne pas secourir les Malgaches restés sur l’île.
Personne en revanche ne souligne la désobéissance de Lafargue, pas plus
que la fraude organisée par le gouverneur lui-même.

20. AN – Colonies, C5a 3, pièce 25 – Extrait des lettres et autres papiers du Sr. Glemet trouvés
après sa mort à Foulpointe, Isle de Madagascar.

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Chapitre VII

Trois plans de l’île

Naufragé sur l’île de Sable, l’équipage en a observé soigneusement la


position et la physionomie. Ainsi, comme nous l’avons vu, le capitaine
Lafargue en fait part au chef d’escadre Froger de l’Eguille dès qu’il
touche Madagascar. Trois plans manuscrits de l’île indiquent les diffé-
rents endroits occupés par les naufragés pendant leur séjour. Ces trois
plans n’ont probablement pas la même origine.

Plan des Archives nationales


Le premier d’entre eux, conservé aux Archives nationales1 est sans doute
dessiné par les pilotes de la flûte à leur retour. Première représentation
connue de l’île, il s’intitule « Plan de L’isle de Sable Par la lattitude de
15 deg 52 mte Sud et la longitude de 52 degrés 45 minutes à L’orient de
Paris »2 . Le tour de l’île est aquarellé en vert.

Au nord-ouest de l’île, on aperçoit les débris de l’Utile dessinés avec


suffisamment de précision pour reconnaître le profil d’un navire à trois-
mâts. Sur la rose des vents qui indique le Nord géographique figure la
déclinaison soit 12°O. La légende comporte les indications suivantes :

L lieu où la flutte, l’utille s’est perdue le 31 juillet 1761


T les tentes
P Pointe des sables qui change du NE au NO (# c’est à dire que la
pointe P à Z2 est presque toutes les grandes marées portée par la mer à Z et
forme alors la ligne ponctuée Z)
B lieu ou on a batty le batteau

1. AN – Marine, C7/157 - Dossier Lafargue. Plan Manuscrit colorié de l’isle de Sable.


2. Ce qui concerne la longitude est écrit d’une autre main et ultérieurement.

47
Tromelin. Mémoire d’une île

F la fontaine où pour mieux dire le puits, où (+ nous trouvâmes Figure 7-1 – Plan manuscrit des Archives
l’eau si tôt que nous fumes parvenus au niveau de la mer, à la profondeur nationales.
de 15 pieds)
C1 chemin où on a mis le batteau à la mer
C2 chemin pour aller du bateau à la tente
C3 chemin pour aller à la carcasse
R Réssif quy se découvre dans les grandes marées le fond est de
coraille et roche.

En bas figure une échelle de 1/8 de lieue. Une ancre est figurée dans le
nord-ouest de l’île avec une sonde de 48 pieds (15,58 m)3 .

Plans de la Bibliothèque nationale


Les deux plans de la bibliothèque nationale ont été annexés à une même
pièce de correspondance et portent respectivement la cote f no 81 et f no 82
sans doute pour folio no 81 er folio no 82 . Cette cotation laisse supposer
que le document comportait sept autres pages qui constituaient proba-
blement le rapport (non retrouvé) rédigé par Barthelemy Castellan du
Vernet à la demande de Mr. de Boynes, secrétaire d’état à la Marine, en

3. Il faut noter que Keraudic indique que l’ancre à jet a été mouillée par 18 brasses, soit 90
pieds, il commet donc là une erreur, car l’ancre retrouvée en 2006 se trouve bien à une pro-
fondeur de 15,40 m

48
Trois plans de l’île

Figure 7-2 – Plan de la Bibliothèque 1772 4 . Les initiales qui suivent sont Go. et Gu., il est aussi possible que
nationale fo no 81. ces plans ne soient ni de la même main, ni n’aient été dessinés à la même
époque, avant d’être annexés au rapport de Castellan.

Le premier plan de la Bibliothèque nationale5 indique quant à lui « Plan


de l’Isle de Sable située par la latitude Sud de 15 deg 52 m ainsi qu’il a
été observé. » 

Ce plan porte les indications suivantes :


A.ou La flutte Lhutille Sest perdu Le 31 Juillet 1761, a 10h du soir et on
Sorty Le 27 septembre de la même année.
B.leurs tentes pour les blancs 122
L.tentes des noirs 88
C.Premier puids sans eau
D.Second Puids fournissant de L’Eau Saumade
E.Le Four
F.La Forge
G.ou l’on a fait un batteau En forme de prame à 3 quilles
H.ou lon la mis a L’Eau
I.ou l’on avait alongé une ancre a jet sur un ras
K.Pointe de sable mouvante et Changeante

4. AN – Marine, B4 118 f°241. Dans sa lettre adressée le 29 septembre 1772 au secrétaire


d’Etat, Castelan dit : «  j’ay l’honneur de vous adresser le Plan que vous me demandez » puis
plus loin : « La relation cy-incluse en abrégé, dépeint la triste situation où nous nous sommes
Figure 7-3 – L’Utile. trouvés ».
Figure 7-4 – La Providence. 5. BN – Cartes et Plans, SH18° / pf 222 / D7 / pièce 1. Plan manuscrit de l’Isle de Sable.

49
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 7-5 – Plan de la Bibliothèque


nationale fo no 82.

A gauche de la pointe Nord on lit : Le vaisseau faisant Lest / Coté f no 81et


signé Go puis Gu.

En bas à gauche une échelle de 800 toises. L’épave de la flûte est repré-
sentée d’une manière moins réaliste que sur le plan précédent mais le
dessin donne une meilleure idée encore du profil du bâtiment, la prame
Providence est également dessinée.

Le deuxième plan de la Bibliothèque nationale6 comporte le texte


suivant  :  «  Plan de l’Isle de Sable sur laquelle la Flute l’Utile a fait
naufrage Le 31e juillet 1761. Cette isle est située 85 lieues à l’Est de la
pointe la plus orientale de Madagascar par 15ds 52 minutes de Latitude
Sud  suivant l’observation qu’on y a fait, l’équipage s’est sauvé dans
une espèce de prame ou bateau plat qu’on fit des débris du Vau et sur
lequel ils s’embarquèrent le 27 7bre 1761 à 10h ½ du soir, ils abordèrent à
Foulpointe. »

Les indications complémentaires sont simplement inscrites à côté des


détails du dessin. A côté de l’ancre qui se trouve au large : « endroit ou
lon porta un ancre a jet sur un ras pour mettre le bateau plat a la mer »
La profondeur indiquée est de 8 brasses ou 14,58 m. En bas une échelle
de 1000 toises. Coté f no 82 et signé Go puis Gu. On remarque que la posi-
tion du campement «  des noirs  » est différente sur les deux derniers
plans, entre le four et le lieu de construction de la prame pour le premier
et entre le four et le campement des blancs pour le second.

6. BN – Cartes et Plans, SH18° / pf 222 / D7 / pièce 1/1.

50
Chapitre VIII

L’île de Sable introuvable ?

L’énigme Le Gentil
Le Gentil de la Galaisière, astronome qui parcourt la région dans les
années 1760, est-il passé à la vue de l’île pendant le séjour des naufragés,
sans les voir  ? Cette question troublante est posée indirectement par
Lislet Geoffroy qui sera en 1816, chef du Dépôt des cartes et journaux de
l’île Maurice (voir ci-après chapitre 13). Dans un mémoire daté de 1817
qui se trouve aux Archives nationales1, récapitulant la position des îles
de l’archipel des Mascareignes, ce dernier écrit :

« L’isle de Sable et le banc de Nazareth


La longitude de l’isle de sable a été déterminée par Mr. Le Gentil dans l’un de
ses voyages à Madagascar par 52° 23’ Est et la latitude 15° 53’. Il y a deux ans
Mr. Arnoux Cdt. Le brick la Petite Fille parcourut un banc qui tient à l’isle de
Sable d’après une note insérée dans la gazette de Bourbon du 2 août 1817 par
Mr. Wetzell hydrographe2. Il faisait route au NNE passant à vue de cette île il
eut la sonde depuis 15° de latitude jusque vers 13° 40’ trouvant depuis 8 brasses
jusqu’à 35. Ce doit être l’un des bancs de Nazareth que l’on ne retrouvait plus
depuis longtemps ».

Plus loin un tableau indique les positions des différents points de l’ar-
chipel, dont :

Nom Longitude Latitude Obs


Isle de Sable 52.23.0 15.53.0 Le Gentil

1. AN – Marine, 3 JJ 352 f° 26 – Mémoire sur la nouvelle carte de l’archipel du NE de


Madagascar signé de Lislet Geoffroy en 1817 : position de l’île de Sables.
2. Joseph Martial Wetzell est né à Arras 27 octobre 1793. Wetzell à l’âge de 19 ans est reçu
à Polytechnique en 1812. Le 3 avril 1815, il arrive à Bourbon (La Réunion), il y séjourne, en
qualité de professeur d’hydrographie et de mathématiques jusqu’à la fin de 1819.

51
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 8-1 – Manuscrit de Lislet-Geoffroy


(détail).

Ce manuscrit sera imprimé en 18173 .

Nous savons que Le Gentil est arrivé dans l’océan Indien en 1760 avec
pour mission d’aller, comme l’abbé Pingré, observer à Pondichery le
transit de Vénus devant le soleil. N’ayant pas pu observer le phénomène,
il décide de rester dans l’océan Indien pour attendre le passage suivant
qui doit avoir lieu en 1769. Il y restera en définitive jusqu’en 1771. Il est
donc possible qu’il ait observé la position de l’île de Sable alors que les
naufragés y étaient présents.

Nous avons cherché dans le livre de Le Gentil4 mention de cette obser-


vation et nous ne l’avons pas trouvée y compris dans les pages qu’il
consacre au naufrage de l’Utile. Deux options s’offrent donc à nous  :
ou Lislet Geoffroy se trompe, ou l’observation de Le Gentil a bien eu
lieu. Dans ce cas on peut imaginer que n’ayant pas noté de présence
humaine sur l’île et ayant appris plus tard la présence et le sauvetage des
naufragés, il ait pu, craignant critiques ou reproches, gommer toute allu-
sion à cette affaire dans son livre publié en 1779 et 1781, après le sauve-
tage des derniers rescapés. 

Pendant son séjour dans l’océan Indien de 1760 à 1771, Le Gentil de la


Galaisière a quatre occasions de naviguer entre les îles Mascareignes et
Madagascar.

Arrivé à l’île de France à bord du Berryer, le 10 juillet 1760, il appareille


le 11 mars 1761 à bord de la Sylphide qui suit la route habituelle pour se
rendre aux Indes, passant par le cap d’Ambre au nord de Madagascar.
Cette route fait normalement passer au sud de l’île de Sable. Les navires
naviguant aux allures portantes, puisque souffle en général l’alizé du
sud-est, suivent une route directe et s’écartent peu de leur route théo-
rique, ce qui explique le petit nombre d’observations de l’île, d’autant
que le retour s’effectue par une autre route. La ville de Pondichéry ayant
été prise par les Anglais, la Sylphide fera demi-tour et reviendra à Port-
Louis en juillet 1761. Une observation de l’île de Sable eût été possible au
cours de la première branche de l’itinéraire suivi et serait alors survenue
avant le naufrage de l’Utile. Mais comme l’indique Lislet Geoffroy cette
observation a eu lieu à l’occasion d’un des voyages à Madagascar. Trois
voyages sont donc concernés :

1 - Le Gentil appareille le 23 août 1761 à bord du Rubis à destination de


Fort-Dauphin qui est atteint le 29 septembre. Il quitte Fort-Dauphin le

3. Mémoire sur la nouvelle carte de l’archipel du Nord Est de Madagascar, par Lislet
Geoffroy, Au Port Louis Isle Maurice le 5 novembre 1817. 
4. Le Gentil 1779.

52
L’île de Sable introuvable ?

12 novembre pour l’île de France où il arrive le 1er décembre 1761. Les


routes suivies pour ce voyage ne passent pas à proximité de l’île de Sable,
Fort-Dauphin se trouvant au sud-est de Madagascar.

2 - C’est à bord du Lys qu’embarque ensuite notre astronome, parti de


Port-Louis le 29 septembre 1762, il rallie Foulepointe le 19 octobre après
quelques jours d’escale à l’île Bourbon. Il embarque alors à bord du
Silhouette5 et se rend en baie d’Antongil, d’où il repartira le 7 novembre
pour arriver à l’île de France le 27 novembre. Le Gentil pourrait avoir
observé l’île de sable au cours du retour puisqu’il navigue alors à une
période durant laquelle les alizés faiblissant obligent les navires à tirer
des bords. Si l’île de Sable a été observée par Le Gentil, c’est au cours de
ce voyage retour que cette éventualité semble la plus probable.

3 - L’année suivante Le Gentil appareille de nouveau avec le Lys, quitte


Port-Louis le 10 juin 1763, gagne l’île Bourbon puis Foulepointe
où il arrive le 24 juin. Il restera jusqu’au 3 décembre à Foulepointe et
reviendra à l’île de France le 24 décembre. Comme pour la traversée
précédente, qui a pris à peu près le même temps, l’île de Sable a pu être
Figure 8-2 – Frontispice du Neptune
observée.
Oriental.

Echec d’une la tentative de Carrière de


relocaliser l’île (1768)

En 1768, quelques années après les navigations de Le Gentil entre l’île


de France et Madagascar, un autre bâtiment de la Compagnie des Indes,
le vaisseau le Duc de Choiseul commandé par de la Carrière 6 essaye de
retrouver l’Île de Sable.

L’échec de cette tentative, dont Le Gentil et d’Après se font l’écho, est


d’autant plus dommageable que les naufragés sont encore présents sur
l’île et que la durée de leurs tourments aurait pu être ainsi abrégée 7.

Avant même le sauvetage des rescapés, d’Après avait publié en 1775 une
nouvelle carte et la seconde édition de son Neptune Oriental.

Pour la première fois un plan de l’île tiré des plans manuscrits établis
par les rescapés apparaît sur une carte marine8 .

5. C’est ce navire qui l’année précédente a ramenés les naufragés de l’Utile de Foulepointe à
l’île de France.
6. Le Floch de la Carrière commandant du Duc de Choiseul, cherche à apercevoir l’île au début
du mois d’août au cours d’un voyage de l’île Bourbon à Pondichéry.
7. Duc de Choiseul ou Petit Choiseul, frégate de 300 tonneaux, armée à Saint-Nazaire le 12
janv. 1763, arrivée à Lorient le 9 mars 1763 ; partie pour Juda et l’océan Indien le 25 oct. 1765
; désarmée à l’île de France le 31 mars 1767; réarmée pour le compte du roi ; partait pour l’Inde
en juillet 1768.
Figure 8-3 – Détail d’un cartouche de la 8. AN - Cartes et Plans, 6 JJ 40 B – Pièce 21 - Carte réduite de l’Océan Oriental depuis le Cap
carte de d’Après datée de 1775. de Bonne Espérance jusqu’au Japon, dédiée au Roi, par Mr d’Après de Mannevillette, 1775.

53
Chapitre IX

Sauvetage des survivants


de l’Utile

Tentatives de sauvetage des survivants


A peine revenu à l’île de France, Castellan embarque le 1er janvier 1762
comme premier lieutenant à bord du Comte de Provence, dont le capi-
taine est de Trehoüart de Beaulieu. M. de Saint-Georges, chef d’escadre,
a mis sa marque à bord1. Ce dernier, tenu au courant de la promesse de
Castellan de secourir les Malgaches abandonnés, propose d’envoyer
une goélette de secours2 . Mais l’apparition de navires de la Royal Navy
à Rodrigue fait surseoir à l’opération, car on craint la capture du bâti-
ment par les anglais. Castellan débarque du Comte de Provence et le 4
septembre 1762 embarque comme passager à bord de la flûte le Chameau
qui regagne la France. Après son départ, la promesse qui lui avait été
faite d’aller rechercher les Malgaches ne fut pas tenue.

Il est certain que Castellan resta tourmenté par la promesse formulée


aux Malgaches restés sur l’île, puisqu’en septembre 1772, onze ans
après les faits, il écrit au comte de Boynes, secrétaire d’Etat à la Marine
(1771-1774), pour lui demander d’envoyer un navire pour vérifier s’il
ne se trouve pas de survivants sur l’île. Il commence sa lettre en ces
termes : « L’humanité m’engage de vous faire part  ». On a cependant
peine à comprendre pourquoi il a attendu aussi longtemps pour entre-
prendre cette démarche. Le contexte géopolitique de l’océan Indien
et les déboires de la Compagnie des Indes expliquent probablement ce
délai. Sans doute Castellan a-t-il tenté de faire réagir la Compagnie des
Indes, mais celle-ci est au bord de la faillite lors de la signature du traité
de Paris, le 10 février 1763, qui met un terme à la guerre de Sept Ans. La

1. SHD – Marine – Lorient, 1 P 201 – 732 (Rôle du Comte de Provence). Débarqué le 4


septembre 1762. Castellan reçoit 3 parts de prises soit 309 livres 4 sols 3 deniers sur la prise le
31 mars 1762 de la palle le William.
2. AN – Marine, B4 118, f°242 v° - Lettre de Castellan du Vernet à Mr. De Boynes datée du
14 sept.1772.

55
Tromelin. Mémoire d’une île

Compagnie va devoir transmettre l’année suivante l’administration des La Sauterelle


îles au pouvoir royal. La transition est difficile et on comprend qu’il ne Cotre construit à Lorient de décembre
soit pas entendu. L’administration royale en place, il se résout à adresser 1770 à juin 1771 par Antoine
Groignard. Rayé des listes en 1777 à
sa supplique au secrétaire d’Etat à la Marine. Sa réponse est favorable ; il
l’île de France. Caractéristiques : 40 tx
demande des précisions sur les circonstances du naufrage de l’Utile et un (ce tonnage diffère de celui indiqué par
plan de l’île, que Castellan s’empresse de lui faire parvenir3 . De Boynes Demerliac 1995, p. 104) – L (Q) 40
donne probablement des ordres au gouverneur de l’île de France pour pieds – largeur 21 pieds – creux 9 pieds
– tirants d’eau lège 5 pieds 6 pouces et
qu’on aille s’assurer de la présence d’éventuels rescapés. A. d’Epinay4
en charge 9 pieds 6 pouces. Equipage :
assure que ces ordres ont été donnés. Cependant la première tentative 3 off. 18/24 hommes d’équipage.
dont nous ayons retrouvé la trace ne date que de 1775. Armement : 6 canons de 3 ou 4 livres.
Sous le commandement de Mengaud
de la Hage, elle arrive en océan Indien
en 1772 en provenance de Lorient.

Vaine tentative du cotre la Sauterelle


En août ou septembre 1775, le cotre la Sauterelle5 reçoit du gouverneur
de Ternay la mission d’essayer de récupérer les naufragés.

Dans un « état des flûtes, frégates, corvettes, présents au Port-Louis »,


daté du 2 août 1775, on indique justement que « la Sauterelle - 4 canons
– 70 tonneaux – En bon état (dans le cas d’être vendue) » est « prête à
partir pour l’Isle de Sable6». Cette tentative malheureuse de l’équipage
de la Sauterelle et de de Ternay est narrée par Guiran de la Brillane le
gouverneur de l’île de France qui lui succédera :

« un des bâtiments qu’il avait envoyé à cet effet, ayant eu son câble coupé,
dans le moment que deux hommes avaient été à terre sur un radeau ; fut obligé
d’appareiller. Le radeau ayant été brisé ; un des deux regagna le bâtiment à la
nage avec beaucoup de peine ; et l’autre qui n’en eut pas le courage ; resta parmi
les noirs7… »
De Ternay envoie alors successivement deux autres bâtiments pour
tenter le sauvetage, mais par deux fois l’état de la mer empêche tout
débarquement.

Sauvetage par la Dauphine (1776)


Ce n’est que seize mois plus tard qu’une corvette de la marine royale, la
Dauphine, est dépêchée à son tour vers l’île de Sable. La corvette est
commandée par l’enseigne de vaisseau Jacques Marie Boudin de
Lanuguy de Tromelin. Ce dernier, averti des difficultés du débarque-
ment sur l’île a pris soin d’embarquer une pirogue utilisée par l’hôpital

3. AN –Marine, B4 118, f°241 - Lettre de Castellan du Vernet à Mr. De Boynes datée du 29


sept.1772.
4. d’Epinay 1890, p. 193.
5. AN – Colonies, C 4 39, f°446.
6. AN – Colonies, C4 39, f°446.
7. AN– Colonies, C 4 40. Correspondances générales. Ile de France – 1776, f° 228.
Lettre du Chevalier de Guiran La Brillanne au Ministre, Au Port Louis – Isle de France, le
22 Xbre 1776.

56
Sauvetage des survivants de l’Utile

La Dauphine de Port-Louis pour pêcher  ; elle est mentionnée dans l’inventaire des
Corvette de 4 canons construite à l’île embarcations présentes dans le port en 17758 .
Bourbon mise en chantier en 1772 et
terminée en août 1773. Armement :
La Dauphine appareille de Port-Louis le 25 novembre 1776 et est en
de 4 à 8 canons. Achetée par la
marine royale pendant sa construction vue de l’île le 28 dans la soirée. Le 29 novembre, servi par des condi-
vers juin 1773, elle participe sous tions de vent et de mer favorables, de Tromelin met à l’eau la pirogue et
le commandement de Ferron avec une chaloupe sous la direction de Le Page, l’un de ses officiers, dont on
comme second Jacques Marie Boudin
retrouve le nom dans un rôle de la Dauphine9. Les derniers rescapés sont
de Lanuguy de Tromelin au troisième
voyage d’exploration d’Yves de récupérés et débarquent à l’île de France le 14 décembre.
Kerguelen-Tremarec pour les terres
australes. Ce dernier embarqué sur le Trois ans plus tard, Tromelin rend compte brièvement du sauvetage,
Roland est accompagné de le frégate
dans un document où il retrace les principaux évènements qui ont
l’Oiseau (capitaine de Saulx de
Rosnevet). Ils partent de l’île de France marqué son séjour dans l’océan Indien10 :
le 17 octobre 1773. Elle sera capturée
par trois corsaires anglais en juin 1780. « En 1776, M. le chevalier de Ternay voulut faire un nouvel effort pour sauver
les nauffragés qui s’étaient perdus en 1761 dans le vaisseau l’Utile sur un écueil
de la mer des Indes connu sur les cartes sous le nom de l’Isle de Sable.
Mrs. les administrateurs du Roi me chargèrent de cette mission honorable, dans
le tems où l’arrière-saison ne permettait pas que je pusse naviguer et servir à
l’approvisionnement de la colonie.
Tous ceux qui avoient tenté avant moi de sauver ces nauffragés y avaient
échoué : j’eus le bonheur de réussir complettement dans mon expédition, mais
il est de mon devoir d’annoncer publiquement que je dois une partie de mes
succès au S. Lepage officier sur ma corvette. Je le chargeai du commandement
de la chaloupe destinée à approcher de cet écueil. Cet officier prit si bien ses
mesures, que, sans perdre un seul homme il fit passer à la pirogue la Barre dans
l’endroit le moins dangereux, et sauva sept négresses et un enfant. Seul reste des
300 naufragés, qui depuis 15 ans vivaient sur ce danger ; de tortues, de poissons
et d’eau saumâtre, car on ne trouve sur cette Isle, que la mer couvre presqu’en
entier dans les gros tems, ni arbrisseaux, ni même d’herbe. »

Ce récit nous apporte la confirmation du rôle joué par Le Page, dans


le sauvetage. Dans ce compte rendu non daté qu’il envoie à Antoine de
Sartine, secrétaire d’Etat à la Marine, Tromelin insiste sur le rôle de
Le Page11, d’autant que ce document vise, de toute évidence, à obtenir
une récompense pour le Page qui avec les autres officiers de la corvette la
Dauphine l’a suivi à bord de la flûte la Pintade, dont il reçut le comman-
dement le 28 décembre 1778 avec mission de porter en France les lettres
et les paquets de la colonie à destination de la Cour. Pendant ce voyage,
au large des Açores, Tromelin livre en avril 1779 un combat contre un
8. AN – Colonies, C 4 39, f°446 du 2 août 1775.
9. AN – Marine, C6 992, Rôle d’équipage de la corvette la Dauphine (1778 – 1779) : Etat-
major (5) :
Jacques-Marie Boudin de Tromelin – Commandant
Morphy – Officier de la Compagnie des Indes.
Le Page – Officier bleu
Le Chevalier Stuart – Officier bleu
Gueho – Chirurgien non entretenu.
Officiers mariniers (8), matelots (21), soit 29 hommes de mer, 3 surnuméraires, 4 mousses,
1 personne en augmentation.
10. SHD – Marine – Brest, Ms 161 90, Compte rendu par le Sr. de Lanuguy-Tromelin,
Lieutenant de Vaisseau du Roi, à Monseigneur de Sartine, de sa mission aux Indes.
11. Seul Condorcet cite son nom dans : Condorcet Antoine de, Réflexions sur l’esclavage des
nègres et autres textes abolitionnistes, Paris, 2003, p. 52.

57
Tromelin. Mémoire d’une île

corsaire anglais. S’il se tire avec honneur de l’engagement contre un


cotre mieux armé que lui, Le Page est grièvement blessé.

Ce document livre une information capitale  : le nombre des esclaves


embarqués, Tromelin cite en effet le nombre de 300 naufragés.
L’équipage et les passagers sont au total 142  (122 rescapés et 20
noyés). Il reste donc 158 esclaves. Ce chiffre est recoupé par celui  de
160 mentionné par Bernardin de Saint-Pierre dans son manuscrit : un
passage qui ne sera pas publié dans le texte définitif du Voyage à l’Isle de
France. Condorcet s’il cite le chiffre de 300 fait quant à lui une confu-
sion en indiquant qu’il s’agit du nombre d’esclaves, mais ce chiffre et la
mention du nom de Le Page semble indiquer qu’il puise l’information
à sa source : le compte rendu de Tromelin. Bien que non daté, le docu-
ment écrit par Tromelin est probablement rédigé peu de temps après le
retour de la Pintade à Lorient, fin mai 1779. La première édition du livre
de Condorcet a lieu quant à elle en 1781.

On peut donc désormais savoir ce qu’il est advenu de ces 158 esclaves : 70
sont morts noyés au moment du naufrage, sans doute, pour nombre d’entre
eux, pris au piège dans des soutes. On en avait cloué les panneaux, nous
précise Keraudic. En effet, sur les plans de l’île dessinés au retour, à côté
des tentes les plus au nord il est indiqué : « campement des noirs : 88 » ce
qui indique le nombre esclaves rescapés. 80 esclaves malgaches étant aban-
donnés sur l’île deux mois après, 8 sont donc morts pendant cette courte
période, très probablement dans les premiers jours, de soif et de faim
comme l’indique sans trop insister Keraudic, car il semble bien que, devant
la pénurie de vivres et d’eau, on en ait privé d’abord les esclaves.

Les naufragées racontent (1776)


“It is a very human story, a story of the ingenuity and instinct for survival of
people who were abandoned because they were regarded by some of their fellow
human beings as less than human12.”

Les naufragés sauvés on apprend enfin comment ils se sont organisés


et sont parvenus à survivre, plusieurs pièces de correspondances en
témoignent :

1 - « Lettre du Chevalier de Guiran La Brillanne au Ministre13

Au Port Louis – Isle de France, le 22 Xbre 1776


Il y a quinze ans que le vaisseau de la compagnie l’Utile se perdit sur l’Isle
de Sable. L’équipage se sauva dans une chaloupe et aborda heureusement à
Madagascar. On avait promis à un certain nombre de noirs qui les avaient aidés
à mettre ce bâtiment en état, de les envoyer chercher le plus tôt possible : on
l’avait cependant négligé. M. le Chevalier de Ternay, instruit qu’on avait vu ces
malheureux sur cette île, a donné à plusieurs fois des ordres pour aller à leur
12. Lichfield John, The Independent, 05 February 2007.
13. AN – Colonies, C 4 40 – Correspondances de M. de Ternay et Maillard Dumesle au
Ministre de la Marine – 1776, f° 228.

58
Sauvetage des survivants de l’Utile

secours, mais la difficulté d’aborder avait fait toujours échouer ce projet ; un


des bâtiments qu’il avait envoyé à cet effet, ayant eu son câble coupé, dans le
moment que deux hommes avaient été à terre sur un radeau ; fut obligé (f° 228
v°) d’appareiller. Le radeau ayant été brisé ; un des deux regagna le bâtiment
à la nage avec beaucoup de peine ; et l’autre qui n’en eut pas le courage ; resta
parmi les noirs. M. de Ternay a fait depuis cette époque, d’autres tentatives
infructueuses. Il y a environ un mois que le général y a envoyé M. de Tromelin,
enseigne de vaisseau, commandant la corvette la Dauphine qui a été plus
heureux : une pirogue qu’on luy avait donné dans le port luy a été d’une grande
ressource ; le temps l’a d’ailleurs bien servi. Il y a envoyé à terre : où l’on a
trouvé sept négresses et un petit enfant de huit mois : c’est tout ce qu’il restait.
Il a appris que, depuis trois mois, le blanc, trois noirs et autant de négresses
avaient fait un radeau et qu’ils s’étaient aventurés dessus, pour tenter d’aller à
Madagascar. Il y a apparence que ce projet, dicté par le désespoir leur aura été
funeste et qu’ils auront péri. J’ay appris par ces négresses que pendant le long
séjour qu’elles avaient fait à l’Isle de sable, elles avaient vécu ainsi que tous ceux
qui étaient avec elles de quelques racines et de tortues de mer qui abondent à ce
rivage en grande quantité ; un puit qu’ils avaient creusé leur donnait de l’eau et
comme l’isle manque de bois, ils avaient ménagé la carcasse de l’Utile qui leur
en a toujours fourni. M. le Chevalier de Ternay à qui ces négresses doivent le
bonheur d’être rendues icy, a demandé leur liberté, c’est un acte de justice de sa
part, qui caractérise la bonté de son cœur et qu’il est en droit d’exiger.
Je suis avec respect Monseigneur,
Votre très humble et très obéissant serviteur »

2 - « Lettre de M. Maillart, Intendant des Isles de France et de Bourbon


à Monsieur de Sartines, Ministre de la Marine, datée du 16 décembre
177614 .

On savait que le 31 juillet 1761, le vaisseau l’Utile15 avait naufragé sur l’Isle
de Sable. Quelques blancs de l’équipage échappés dans la chaloupe gagnèrent
Madagascar. On sut par eux dès lors tous les détails du naufrage et qu’ils
avaient laissé sur l’Ile un grand nombre de noirs Javas. La Compagnie des
Indes n’a pas envoyé chercher ces malheureux. Je n’ai pas ouï dire depuis la
prise de possession16 de ces îles qu’on y eut pensé. M. de Ternay et moi depuis
notre arrivée y avons envoyé quatre fois et les trois premières n’ont opéré
que la certitude qu’il y avait encore quelques personnes. On n’a pu mettre
à terre parce que le temps ne le permettait pas et même dans ces voyages un
matelot d’un bâtiment du roi resta à terre, la mer étant trop grosse et n’ayant
pu joindre la pirogue. Enfin nous avons envoyé la corvette du roi la Dauphine
commandée par M. Tomelin [pour Tromelin] le cadet, enseigne de vaisseau, qui
a eu le bonheur d’arriver par beau temps. Il y a ajouté l’intelligence et la bonne
manœuvre et en moins de 3 heures, 7 négresses et un négrillon de 8 mois, créole
de cette île aride, se sont embarqués dans la pirogue, ont gagné le bord de la
corvette et sont arrivés ici hier.

14. AN – Marine, G 222 – f°34 B – Lettre publiée par la Revue d’Histoire des Colonies
françaises, 1929, p. 296-297.
15. La corvette du Roi la Dauphine a sauvé 7 négresses et un négrillon. Les sept négresses
restes infortunés de noirs naufragés sur le vaisseau l’Utile à l’Isle de Sable le 31 juillet 1776 (sic).
16. C’est à dire depuis la remise de l’Ile de France et de Bourbon à l’autorité royale, le
changement d’administration explique un peu cette extraordinaire négligence.

59
Tromelin. Mémoire d’une île

Nous avons appris que le matelot blanc avec six noirs ou négresses avaient, il
y a environ quatre mois hasardé de se mettre à la mer sur un seul radeau fait
de débris espérant gagner Madagascar. Ils ont laissé sur l’île sept femmes et le
négrillon qui viennent d’arriver, mais nous n’espérons pas que le blanc et ses
compagnons d’infortune aient eu le bonheur d’atteindre Madagascar.
Nous avons considéré ces malheureuses femmes et l’enfant comme libres. Je les
ai sur le champ fait vêtir et placer à l’hôpital. Une d’entre elles est très vieille et
très infirme. Les autres sont encore jeunes et se portent bien. Dans le nombre
se sont trouvés une mère et sa fille. C’est à cette dernière qu’appartient le petit
enfant de 8 mois très bien portant, mais sa mère est très fatiguée.
Leur sort m’a si fort intéressé que j’ai offert à cette mère, sa fille et son enfant
l’asile de ma propre maison. Ils l’ont accepté avec joie et j’en ai une grande de
les faire soigner et de les rendre heureux. Je fais baptiser l’enfant, je lui donne
le surnom de Moyse et le nom de baptême sera Jacques qui est le mien et je le
ferai élever. M. le Chevalier de Ternay, Monseigneur, vous fera le détail de la
manière dont ces malheureux sur cette île de sable aride ont vécu, se sont logés
et se sont nourris. Il est à remarquer qu’ayant proposé à ces femmes de retourner
libres dans leur patrie (Madagascar) et croyant leur faire une proposition très
agréable, elles ont paru l’entendre avec froideur, elles y seraient esclaves des
autres noirs. »

3 - Lettre datée de 1776, non signée17

« Après le départ des officiers majors et de l’équipage du vaisseau de la


Compagnie l’Utile naufragé sur l’île au Sable le 31 juillet 1761, il resta sur
ladite île les noirs esclaves de la traite de ce bâtiment qui ont vécu depuis le
départ de ces officiers, de tortues, d’oiseaux et d’huîtres. Leur maison était bâtie
avec de petites roches et mal couverte de sorte que quand il faisait de la pluie
ils étaient obligés d’en sortir pour abriter le feu. Les femmes ramassaient les
plumes d’oiseaux pour en faire de petits pagnes pour se couvrir. Il en partit il y a
environ douze ans un radeau fait de débris du vaisseau, amarrés avec des cordes
de plumes d’oiseaux, cloués avec quelques clous jetés à terre dans les mauvais
temps ; leur voile était d’un pagne de plumes aussi excepté qu’elle était un peu
plus grande que leurs pagnes qu’ils faisaient pour eux. Il y avait sur ce radeau 18
nègres. Il y a plusieurs femmes qui ont accouché ; mais le défaut de vivres et de
logement à l’abri ont été la cause de la perte de ces femmes et de leurs enfants.
Il est parti encore un autre Radeau construit par le matelot resté sur cette isle,
d’un vaisseau passant pour prendre les dits naufragés dans la même forme que
celuy porté cy dessus avec trois noirs et trois négresses. Ils disent avoir toujours
conservé le feu depuis la perte dudit vaisseau. »

Nous avons retranscrit au chapitre 6 l’extrait d’une lettre reçue de l’île


de France qui fut publiée par plusieurs journaux en 1777.

Baptême de l’enfant et secours porté à sa mère


Dès le lendemain de son arrivée à Port-Louis à bord de la Dauphine, on
a fait baptiser l’enfant :
17. AN – Marine, G 222, f°34 A publiée par la Revue d’Histoire des Colonies françaises, 1929,
p. 298.

60
Sauvetage des survivants de l’Utile

Figure 9-1 – Certificat de baptême de « Baptême de Jacques Moyse, libre 


Jacques Moïse. Le quinze décembre mil sept cent soixante seize, je soussigné ay baptisé Jacques
Moyse âgé d’environ huit mois fils naturel de Semiavou négresse malgache
déclarée libre par M rs lesadministrateurs pour le Roy, parrein a été Jean Pierre
Paschal et marreinne Apaulinne libres. Le Parrein a déclaré ne savoir signer. 
apolline Contenot
Préfet apostolique »18

Ainsi la mère de l’enfant ne fut pas affranchie, mais déclarée libre, car
ayant été « traitée » en fraude, elle n’était pas considérée officiellement
comme esclave. Son nom malgache était Semiavou, «  celle qui n’est
pas orgueilleuse », mais elle fut nommée d’office Ève et déclarée libre.
Bien curieuse manière de donner la liberté à un être humain que d’obli-
térer de la sorte son nom et de nier ses origines. Ainsi l’enfant est-il
baptisé et la mère « débaptisée » par le gouverneur avec la même bonne
conscience. Plus encore que les violences physiques subies par ailleurs
par les esclaves, la violence de cet « acte de charité » en dit long sur le
chemin qui restait à faire vers l’égalité.

Un texte relatant le relevé hydrographique de l’île de Tromelin effectué


en 1875 par le HMS Shearwater (voir ci-après), mentionne la présence
en 1911 à l’île Maurice de l’arrière-petite-fille de l’une des rescapées19.
Cette information est reprise par le Northern Avocate (Nouvelle-
Zélande) du 16 novembre 1911, p. 6, sous le titre : « An island tragedy ».

18. AN – Ile Maurice – Série KA-Civil Status and population records, Registre KA 63 –
Extrait de Baptêmes, Mariages & Sépultures. Blancs, libres & Esclaves. 2 janvier-31 décembre
1776, f° 51 à 82 recto, f° 89 verso.
19. Lowson Geoffrey, Lieutenant, Royal Indian Navy, A little-known island of the Indian
Ocean, in Chambers’s Journal of Popular Literature, Science and Art, Seventh Series, 1911,
p. 604.

61
Chapitre X

L’île enfin vue


et hydrographiée

La Villecolet aperçoit l’île de Sables (1778)


L’île est à nouveau aperçue et décrite par Jean-Baptiste Julien Nicolas
Servais de la Villecollet (né vers 1750), un capitaine de la marine
marchand de Saint-Malo, au cours d’un voyage de l’île Bourbon vers
l’île Juan de Nova située dans le canal du Mozambique.

Son navire, le Diligent, appareille de Saint-Denis le mercredi 18 mars


1778 et il aperçoit l’île le 24 au matin : 

« … A minuit et demie la brise augmentant j’ai fait carguer la misaine pour ne
pas approcher la latitude de l’Isle de Sable de plus de 3 lieues avant le jour. A
2 heures du matin, cargué aussi la grand-voile et serré le grand foc. A 5 heures
nous avons fait servir sous toutes voiles et à 6 heures et demie nous avons la
connaissance de l’Isle de Sable du haut des mâts, que j’ay relevé aussitôt au
N 1/4 NO 5° Ouest du compas, j’ai laissé arriver afin d’en avoir une parfaite
connaissance d’en bas et l’ai doublée dans l’Est à la distance d’une demie lieue
tout au plus. C’est un platier de sable qui parait garni de gros corail et qui est
fort peu élevé sur l’eau. La mer est fort houleuse à terre et les courants serrent
avec force dessus. Ce qui fait que je n’essayerai jamais à la doubler au vent de
si près. J’ai remarqué aussi qu’il y a fort peu d’oiseaux sur cette isle et à son
approche puisqu’à peine en avons-nous vu deux ou trois.
A 8 heures du matin relevé le milieu de l’isle à l’Ouest du monde1 distance 2/3
de lieue et à 10 heures perdu la ditte isle de vue dans le SO du compas à 2 fortes
Le Diligent lieues de distance.
Brick de 100 tx, armé à Saint-Malo. A midy la route m’a vallu par ma hauteur le N NE 1° 50 Nord chemin 21 lieues.
Mentionné par Auguste Toussaint Latitude observée 15° 42’ S
(1967, p. 245 et 279), il arrive Latitude estimée 15° 38’ S
à l’Île de France en provenance
Longitude estimée 52° 38’ E
de Saint-Malo le 11 fév. 1777,
et également en provenance de 1. « Du monde » : manière d’indiquer que le relèvement est effectué par rapport au nord
Galle (Ceylan) le 15 nov. 1779. géographique et non par rapport au nord magnétique.

63
Tromelin. Mémoire d’une île

Variation observée 12° 30’ Ouest2. »

On peut noter la prudence dont fait preuve La Villecollet. La position


de l’île recalée à partir du point à midi est :

Latitude 15° 53’ S


Longitude 52° 34’ E

La remarque de la Villecollet concernant le petit nombre d’oiseaux


rencontrés est peut-être à mettre en rapport avec les périodes de migra-
tion de ces derniers, à moins qu’elle ne confirme l’impact négatif sur la
faune aviaire, du séjour des naufragés de l’Utile. En effet on se souvient
qu’en 1756, Morphey signale un grand nombre d’oiseaux alors qu’il se
trouve dans les parages de l’île.

Il faudra attendre longtemps encore avant qu’un pied humain ne foule à


nouveau l’île, même si de nombreuses cartes marines publiées en France
et en Angleterre indiquent désormais sa position.

Carte de Laurie et Whittle (1798)3


Sandy Island est décrite dans les instructions nautiques anglaises (1809)
puis françaises (1818). En 1809 Horsburgh publie son Horsburgh’s
Directory4 , il y décrit Sandy Island : 

«  DESCRIPTION of the ARCHIPELAGO of ISLANDS and


dangers NORTH and NORTH-EAST from MADAGASCAR…

Sandy Island
Sandy Island, or l’Isle de Sable, in latitude 15° 52’ S, longitude 54° 50’ E, is a flat
sandy spot about 15 feet above water, nearly ½ of a mile long from N.N.W. to
S.S.E and about ¼ of a mile broad, having a sand bank projecting ¾ of a mile
toward S.S.E.
It was discovered by the ship La Diane in 1722; and in 1761 the Flute l’Utile
was cast away there. Ships passing to the eastward of Madagascar, if not
certain of their longitude, should be careful in crossing the parallel of the low
and dangerous island. In Grenier’s chart, it is placed on the same meridian
as the east part of Bourbon, but on other charts, generally about 1° more
westward. »

En 1812, il semble, selon le rapport du capitaine de corvette Jehenne


cité ci-dessous, que le Bridgewater, un navire marchand ait observé l’île.
En 1817, le brick La petite fille, passe à la vue de l’île5 .

2. AN – Marine, 4 JJ 87, journal de bord du Diligent.


3. AN – Cartes et Plans, 6 JJ 40 B – Pièce 22 bis – A new and correct chart of the Indian
Ocean from the Cape of Goodhope to Canton with the West part of the Pacific Ocean which
include the Eastern Passage to China, London, published Sept. 1st 1798 by Laurie & Whittle.
4. Horsburgh’s Directory - Volume 1, p. 122 : “Description of the Archipelago of Islands and
Dangers, North and North-East from Madagascar”. Figure 10-1 – Carte de Laurie et Whittle.
5. Gazette de Bourbon du 2 août 1817. Figure 10-2 – Carte de Laurie et Whittle.

64
L’île enfin vue et hydrographiée

En 1818 paraît la troisième édition du Neptune Oriental publié par


d’Après. La même année, l’histoire de l’Utile est évoquée dans un
ouvrage consacré au naufrage de la Méduse qui s’est produit deux ans
auparavant. Ce drame, bien plus que celui de l’Utile, frappera l’opinion
publique 6 , d’autant qu’en 1819, Géricault présente au Salon de peinture
et de sculpture son célèbre Radeau de la Méduse, une œuvre majeure du
xixe siècle.

L’année suivante Lislet Geoffroy publie l’ouvrage dont nous avons parlé
plus haut.

Premier levé hydrographique de l’île (1825)


En août 1821 le capitaine de vaisseau W.F.W Owen reçoit de l’Amirauté
britannique le commandement du HMS Barracouta, du HMS Leven
et du Cockburn, un navire auxiliaire, avec ordre de procéder à l’hydro-
graphie des côtes est et ouest de l’Afrique et de l’île de Madagascar.
En 1822, W.F.W. Owen prend le commandement du HMS Leven et
A.T.E. Vidal celui du HMS Barracouta. En 1823, Owen basé au Cap,
commence l’hydrographie de la côte est de l’Afrique, le Cockburn
naufragé est remplacé par l’Albatross. C’est au cours de cette campagne
que sera effectué, le 22 juillet 1825, le premier relevé hydrographique de
l’île de Sable par le brick HMS Barracouta7.

Le levé de l’île sur lequel figure la


route suivie par le HMS Barracouta
montre que le navire hydrographe
n’a fait que passer sans s’arrêter.

Le relevé est accompagné d’une


vue de la côte depuis le nord-ouest
de l’île à une distance de 1 mile,
dessinée par Hillock, il s’agit de la
première représentation de l’îlot.
On remarque, sur le point haut
de l’île, un pavillon (ou un signal)
qui semble avoir été vu par Laplace
cinq ans plus tard.

Figure 10-3 – Le brick HMS Barracouta 6. Correard A., Savigny J.B.H., Naufrage de la frégate La Méduse, Paris, 1818.
effectuant le relevé hydrographique du 7. “Another run to Mauritius was made by the two vessels in company between the dates
port et de la baie de Mahé des Seychelles of June 3rd and 15th, and here the Albatross was found, having completed the survey of the
en 1825 par William John Huggins Cargados Garagos islands. Sailing again July 19th, after examining Tromelin islet, the Leven
(1781 – 1845) (London, Government Art touched at St. Mary,”
Collection). Dawson L.S, Commander R.N., Brief Biographies of the Principal Officers who have served in
E.M. Naval Surveying Service between the years 1750 and 1885, Part I – Years 1750 to 1830,
Eastbourne, 1830, p. 62.
Voir également : Owen W.F.W, Captain RN, Narrative of voyages to explore the shores of Africa,
Arabia and Madagascar performed by HMS Leven and Barracouta, Volume 2, London,1833,
p. 197. Owen y précise qu’il arrive le 26 juillet à Sainte-Marie.

65
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 10-4 – Levé hydrographique du Figure 10-5 – Levé hydrographique du HMS


HMS Barracouta. Barracouta (détail de la vue de côte).

66
L’île enfin vue et hydrographiée

Le C.F. Laplace inspecte l’île (1830)


En 1830, trois cyclones traversent l’océan Indien, les 15 janvier, 27 mars et
3 avril. Dès la saison des cyclones passée, la corvette la Favorite,
commandée par le capitaine de frégate Cyrille Laplace est envoyée pour
inspecter l’île de Sable afin de vérifier qu’aucun naufrage ne s’y est produit.

La Favorite
Corvette à batterie barbette, armée
de 4 canons de 30 et 16 caronades,
100 hommes d’équipage. Construite à
Lorient, construite entre 1827 et mars
1829, elle appareille le 31 décembre
1829 de Toulon, sous le commandement
du capitaine de frégate Laplace pour
effectuer un voyage autour du monde.

Figure 10-6 – Corvette La Favorite.

« Le 6 mai, au lever du soleil, le temps était beau et clair, le vent du sud-est mais
faible ; nous laissâmes arriver, et à 9 heures nous aperçûmes la terre du haut des
mâts, à 11 heures la corvette n’en était plus éloignée que d’un mille, côtoyant la
partie est, et manœuvrant pour doubler la pointe nord… Les lames se
déroulaient d’une manière effrayante sur les récifs dont le rivage est entouré
comme d’un rempart contre les assauts de l’océan. La vue de ce dangereux écueil
nous faisait éprouver le sentiment d’une pénible et inquiète curiosité ; nos yeux
cherchaient, sur cette surface uniforme de sable, dont la blancheur brillait sous
les rayons d’un soleil brûlant, des vestiges qui annonçassent l’existence de
quelques malheureux naufragés. Sur le monticule qui forme le point le plus
élevé de l’île, était une perche à moitié renversée par le vent, et surmontée d’une
croix ; autour nous apercevions les restes de cabanes et de puits, faits sans doute
par l’équipage de l’Utile qui en 1767 découvrit l’île de Sable et s’y perdit
pendant la nuit. […] J’aurais désiré mettre à terre quelques hommes pour
l’explorer ; mais quoique la brise fut très modérée, la mer brisait avec une telle
violence sur les récifs, que toute communication était impossible. Je me bornais
Cyrille Pierre Théodore Laplace donc à en faire le tour d’assez près, pour que rien ne pût échapper à nos regards.
Né en mer le 7 novembre 1793 et Les coups de canon, que je fis tirer à des intervalles rapprochés, n’eurent d’autres
mort à Brest en 1875, Laplace est résultats que de faire lever une multitude d’oiseaux de mer, dont les cris
un explorateur maritime français. En
causaient un bruit assourdissant. A 4 heures du soir, après des observations
1830, devenu capitaine de frégate, il
entreprend une circumnavigation sur d’angles horaires nous leur laissâmes la tranquille possession de l’île, dont la
la corvette la Favorite. Parti de Toulon, position, qui venait d’être parfaitement déterminée, est bien différente que celle
son voyage le mène successivement en qui lui est assignée sur toutes les anciennes cartes : Latitude S 15° 53’ 8,
Inde, en Asie du Sud-Est, en Australie
Longitude E 52° 11’ 9. Avant le coucher du soleil, nous étions hors de vue du
et en Nouvelle-Zélande, au Chili et
  
Brésil. Promu capitaine de danger, d’autant plus redouté des marins, qu’à peine visible à deux lieues par un
vaisseau à son retour en 1834, il temps clair et beau, il est impossible de l’apercevoir assez à temps pendant la
renouvelle son périple entre 1837 et nuit, ou sous un ciel sombre et couvert8. »
1840 sur la frégate l’Artémise. Il est
nommé préfet de Rochefort en 1848 8. Laplace, Cyrille, Pierre, Théodore, Voyage autour du monde par les Mers de l’Inde et de la
et de Brest en 1855. Il termine sa Chine, exécuté par la corvette de l’Etat La Favorite pendant les années 1830, 1831 et 1832 sous le
carrière au grade de vice amiral.
vice-amiral. commandement de M. Laplace, Paris, Imprimerie royale, 1833, tome 1, p. 129-131.

67
Tromelin. Mémoire d’une île

Le tome IV du même ouvrage publié en 1835, donne quelques indica-


tions supplémentaires : d’une part le détail des observations effectuées
par Mrs  de Boissieu et de Sholten pour calculer la position de l’île
qu’ils corrigent pour donner : « Latitude 15° 53’ 52’’ S ; Longitude
52° 11’ 9’’,50 E.  » Il signale aussi la présence des vestiges de l’épave de
l’Utile. Il ajoute cette considération : « C’est sans doute pour consacrer
le souvenir de cette action généreuse que le capitaine Howen [Owen],
a donné à l’île de Sable, sur la carte de l’Océan Indien, le nom d’île
Tromelin. »

Le C.C. Jehenne observe l’île (1841)


En septembre 1841, le capitaine de corvette Aimable Constant Jehenne
(1799-1863), commandant la gabarre la Prévoyante effectue une
campagne hydrographique dans les îles Mascareignes. Dans son rapport,
il note à propos de l’Isle de Sable9 :

« … J’avais déjà la conviction que l’Isle de Sables qu’on dit avoir été vue en Le Bridgewater
1812 par le Bridgewater était le seul danger que j’avais quelque chance de Un navire anglais de 1276 tonnes de
rencontrer. Je prie de remarquer que l’expression on dit est employée par l’East India Company (EIC) porte ce
Horsburgh qui est le seul auteur qui ait parlé de cette rencontre du Bridgewater nom, lancé dans les chantiers Randall,
et son correctif annonce qu’il n’y croit pas beaucoup ». Brent & Gray de Londres le 5 octobre
1812. Commandé par Philip Hughes, il
appareille de Portsmouth le 29 janvier
Il nous livre aussi dans son rapport quelques considérations sur l’hydro- 1813 pour les Indes en compagnie
graphie de la zone : de l’Essex, de l’Atlas et de la Pricess
Amalia, du Baring, de la Rose, du
Marquis de Wellington. Il arrive au
« Quand on jette alternativement un coup d’œil sur la carte de d’Après de 

 
  
1774 et celle de Daussy en 1838, donnant l’une et l’autre les positions des !"#$%*

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îles situées à l’Est et au Nord-Est de Madagascar, on peut juger des progrès Il n’est donc pas impossible qu’il ait
de l’hydrographie dans cet espace de temps. Les progrès ont été dus au pu observer l’île Tromelin, mais pas
avant le milieu de l’année 1813. Il
perfectionnement des instruments à réflexion et surtout à l’usage des montres se pourrait alors que Jehenne citant
marines pour la détermination de la longitude, découverte que je considère Horsburgh se trompe d une année.
d’une
comme la plus utile pour la Marine, parmi celles de la fin du siècle dernier.
Avant que ce moyen ne fût connu ; on opérait sur des distances lunaires, comme
rien n’empêche de le faire aujourd’hui avec l’immense avantage de posséder
de bons instruments, et de bonnes tables, choses dont étaient privés nos aïeux ;
mais comme les circonstances favorables pour ces sortes d’observations sont
assez rares à la mer, les navigateurs du siècle dernier, ou du moins jusqu’en
1775, concluaient ordinairement leur longitude de la déclinaison de l’aiguille,
ainsi que nous voyons le respectable d’Après leur en faire la recommandation
expresse. On conçoit facilement à quelles erreurs a dû entraîner une pareille
méthode ; et, si l’on ajoute à cela dans les parages dont nous nous occupons les
courants portant toute l’année à l’Ouest, avec une vitesse moyenne de 20 à 25
minutes par jour, sera-t-on surpris des erreurs des cartes de d’Après qui ont été
pendant longtemps ce que nous possédions de mieux ? »

9. AN – Marine, 3 JJ 358, pièce 27. Rapport à Mr Le contre-amiral de Hell Gouverneur de


Bourbon & dépendances sur les îles Galega & Coetivi, ainsi que les dangers portés sur les
cartes à l’ESE des Seychelles entre les méridiens 57 à 60 degrés de longitude orientale. Par Mr
Jehenne, Capne de Corvette, commandant la gabarre la Prévoyante, septembre 1841.

68
Chapitre XI

L’île à nouveau visitée

Le Commander Hyde Parker met le pied à


terre (1851)

Le 5 octobre 1851, le HMS Pantaloon, un brick basé à la station navale


du Cap de Bonne Espérance, s’arrête près de l’île.

Son capitaine le Commander Hyde Parker parvient à mettre le pied sur


l’île. Il en fait la description1 :
Figure 11-1 – « HMS Pantaloon entering 1. Tromelin Island and Acorn Shoal – Extract of a letter from Commander H. Parker of
harbour » peinture anonyme ca.1832. HMS Pantaloon, dated 5th October, 1851. The Nautical magazine Vol. 21, 1852, p. 283.

69
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 11-2 – Raz à la pointe nord en 2008.

« Il semblerait que le banc tracé sur le vieux plan2 à et quelques herbes grossières. Sur le point le plus élevé de
l’extrémité sud de l’île de Tromelin, s’est élevé et a crû l’extrémité nord de l’île se trouvent les restes d’une très
au-dessus du niveau de la mer, car à présent l’île est presque ancienne construction faite de blocs de corail, elle comporte
accore, à l’exception d’une interruption dans le coin cinq compartiments, et à proximité il y a deux autres ruines
sud-ouest, et un banc s’étendant à presque un mile et demi de carrées.
l’extrémité nord de l’île. Sur ce dernier à trois quarts de mille Dans le voisinage il y a plusieurs rangées de pierres
au large, des sondes de 7 à 12 brasses furent trouvées, sable et d’environ six pieds de long apparemment des tombes.
grandes roches de corail ; mais avec la mousson du sud-est, il J’essayais de creuser dans l’une d’elles avec un morceau de
est sous le vent de l’île. Lorsqu’on se tient au-dessus du banc bois, et trouvais quelques clous, mais ne disposant pas de
le fond est clairement visible. pelle, je ne pus creuser plus profond. Je ne trouvais aucun
Un puissant raz est formé par la rencontre de la marée reste humain, marques ou inscriptions dans les ruines ; je
descendante et du courant d’ouest au large de la pointe suppose que celles-ci sont si vieilles que de tels vestiges ont
nord de l’île, et déferle souvent d’une manière dangereuse été depuis longtemps effacés.
pour les embarcations à une distance d’un mile du rivage. Du côté ouest ou nord-ouest de l’île, se trouvent deux
L’île est entourée d’un récif ou au moins d’une plateforme de grandes ancres dans les déferlantes, et huit canons très
corail, s’étendant à 150 yards ou plus de la plage, sur lequel corrodés, toutes les marques effacées, certaines parties presque
la mer déferle puissamment. Le fond est partout rocheux et ovales et les tourillons comme des ailes de requin. Les ancres
très accidenté, aucune embarcation ne peut aborder sans être sont d’un modèle ancien, longue verge, et grand organeau,
presque certainement défoncée excepté au point marqué (a) et apparemment très lourdes, mais je fus incapable de m’en
près du côté est de la pointe nord. A cet endroit se trouve approcher compte tenu des déferlantes. Les canons (dont
une plage de sable escarpée, claire de toute roche sur une l’un avait été apparemment hissé depuis le récif au-dessus du
courte distance, et bien qu’étant au vent de l’île, si on attend niveau de la mer) sont des canons de 12 livres d’un modèle
une occasion favorable une chance d’aborder d’une manière ancien, de huit pieds six pouces de long et très lourds,
relativement douce peut être trouvée aux environs de la dépassant trente hundredweight [environ 1,5 tonne].
marée haute. Le long de la plage le courant qui porte au nord Quelques vestiges de ferrures, telle qu’une chaîne, était
est très fort, avec la marée descendante il transportera toute éparpillés et je ne pus découvrir aucun indice permettant
embarcation chavirée dans les déferlantes vers le raz, où ils d’identifier l’épave, qui je pense ne pouvait pas dater de plus
seront en grand danger. d’une cinquantaine d’années, et peut-être plus ancienne.
La moitié nord de l’île est la plus haute, et est couverte de L’île grouillait d’oiseaux venus se rassembler là pour la
buissons peu élevés pas plus haut que quatre à cinq pieds, saison de reproduction. »

2. Peut-être s’agit-il du levé effectué par le Barracouta ?

70
L’île à nouveau visitée

la frégate, qui labourait majestueusement son chemin, ses


L’ornithologue Edgar Leopold voiles blanches miroitant dans l’éclat du soleil. Une par une
Layard débarque sur l’île les voiles établies furent amenées et le noble navire fit route
avec précaution vers l’île qui se rapprochait rapidement, et
et en décrit les oiseaux (1856)3 pendant que l’ordre était donné de préparer les embarcations,
nous descendîmes pour jeter un dernier coup d’œil sur le
Cinq ans plus tard c’est au tour d’un autre navire Horsburgh’s Directory, afin de prendre connaissance des
de sa gracieuse Majesté, le HMS Castor, une frégate instructions pour l’atterrissage, des dangers cachés, des
commandée par le capitaine de vaisseau Henry courants, etc.
Dundas Trotter, qui est également commandant en Pour le bénéfice de ceux de mes lecteurs (et je suppose
chef (Commodore) de la station navale du Cap, de qu’ils sont nombreux) qui ne savent pas où se trouve
parvenir à envoyer une embarcation à terre. “Sandy Island”, je transcris les informations données par le
grand hydrographe concernant sa position et son aspect :
Le HMS Castor avait appareillé de Simonstown le 10 « Sandy Island ou l’Ile de Sable, en latitude 15° 52’ S,
octobre 1856 pour l’île Rodrigue, mais une brume longitude 54° 40’ E, est une île plate sableuse, environ
épaisse décida le commodore Trotter à se diriger quinze pieds au-dessus de l’eau, un demi-mile de long, du
vers l’île Maurice où le Castor passa cinq semaines, NNW au SSE. Elle fut découverte par la Diane en 1722 et
mises à profit pour effectuer quelques sorties autour en 1761 la flûte l’Utile y fit naufrage. »
de Round Island une île inhabitée qui se trouve 13 Après que l’équipage ait pris son repas, on rendit compte
milles nautiques au nord de l’île Maurice. Le passage que les embarcations étaient prêtes, et le premier canot et
à Tromelin doit se situer vers la mi-décembre. le dinghy destinés à assurer l’atterrissage furent bientôt mis
à l’eau le long du bord, biens équipés en paniers, fusils et
A bord du Castor, se trouve l’ornithologue Edgar munitions, harpons, lignes de pêche, etc.
Léopold Layard, conservateur du South African Le vaisseau se tint aussi près de l’île que la légère brise qui
Museum du Cap (Afrique du Sud), qui nous a laissé soufflait le lui permettait et, quand nous l’eûmes quitté, il
un récit très vivant de sa visite : vira de bord et s’éloigna, le Commodore essayant de sonder
(bien qu’on n’ait pas trouvé le fond avec une ligne de 100
« Terre ! » cria l’homme de veille depuis la vergue de brasses) et exerçant l’équipage à prendre des ris dans les
misaine du HMS Castor, alors que par une belle matinée huniers et à effectuer d’autres manœuvres.
le Commodore et moi-même arpentions le pont de la Les embarcations avancèrent allègrement, les hommes
bonne vieille frégate. « Dans qu’elle direction ? » lui étaient impatients d’aller à terre et de faire un repas de
répondit le midship de quart sur le pont, qui montant sur steak de tortue, et moi-même je jubilais à l’idée de visiter
le gaillard vers l’officier de quart et touchant sa casquette le lieu de nidification d’un nombre incommensurable de
galonnée d’or, lui rendit compte de la réponse. A son tour frégates, fous, sternes, et autres oiseaux qui maintenant
l’officier en rendit compte au Commodore ; après quelques remplissaient l’air de leurs cris perçants et assombrissaient
questions, l’ordre fut donné de faire route vers la terre, puis le ciel de l’île.
nous reprîmes notre marche. Lorsque nous atteignîmes le rivage convoité, l’eau passa
Le rivage bas de l’île devint bientôt visible, le ciel bleu soudain du bleu au vert, et la ligne des déferlantes apparut,
clair était piqueté d’oiseaux, volant çà et là, quelques-uns se brisant dans un bruit de tonnerre sur la plage de sable.
plongeant tête en avant dans le clapot dont l’azur rivalisait Le dinghy avait été désigné pour éclairer la route, les deux
en intensité avec celui du ciel, cherchant leur proie, Kroomen qui tenaient les avirons, des êtres amphibies
quelques-uns retournaient vers leurs nids lourdement aussi à l’aise dans l’eau qu’à terre, se dépêchèrent de porter
chargés pour leurs petits, pendant que d’autres flottaient en avant leur frêle esquif, sous le vent de l’île l’eau était
avec contentement sur le sein de la mer que la houle soulevait relativement calme, et nous décidâmes d’aborder à cet
doucement, ou s’élevaient paresseusement dans le sillage de endroit.
Le dinghy se trouva bientôt hissé au sec ; mais notre
3. Brooke, R. K., Layard’s Bird Hunting visit to Tromelin or Sandy attention à bord du canot fut attirée par un objet séduisant
Island in December 1856, in Atoll Research Bulletin, no 25573-82, qui flottait dans l’eau calme, à moins d’une douzaine de
1981, p. 55-64. Layard, E.L., Sport on Sandy Island, in Cape Monthly
yards en avant, aussitôt reconnu avec mon instinct de
Magazine, ser. 1, vol. 3, 1858, p. 289-296.

71
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 11-3 – Le H.M.S.


Castor abordant le
cotre Caméléon. devant
Douvres en 1834.
(Petrus Nefors).
Figure 11-4 – E.L. Layard,
conservateur du South
African Museum de 1854
à 1875.

citadin, comme étant une soupe de tortue dans sa boîte fusils et étendu nos vêtements superflus sur le sable pour
d’origine. Un vieux baleinier rampa jusqu’à la proue du les sécher, nous montâmes vers ce que nous identifiâmes au
canot et en tira un harpon étincelant, l’équipage du canot premier coup d’œil comme une habitation humaine.
rama sans bruit, l’officier responsable donna ses ordres Nous trouvâmes les ruines d’une hutte, qui avait compris
en murmurant, et nous nous glissâmes vers notre proie. trois pièces ; dans la plus grande se trouvait un espace carré
Dans nombre de têtes trottait la phrase “Ah! Vieille amie, entouré de pierres noircies, qui avait dans le passé servi
combien de bols de soupe vas-tu nous fournir? », et dans de foyer ; mais qui à présent contenait le nid de trois ou
au moins l’une d’entre elles « Quelle belle carapace pour le quatre noddis (Anous stolidus), qui insouciants de notre
Musée ». Regardez le harponneur, il se tient droit, un pied approche, becquetèrent nos mains quand nous essayâmes
sur le plat-bord, le harpon en équilibre, une demi-douzaine de prendre possession de leurs jolis œufs tachetés.
de coups d’avirons et il est – Non, pas du tout – Maîtresse Nous trouvâmes les nids de ces oiseaux dans chaque trou
tortue est complètement éveillée, et sans une vague, et recoin des ruines, ils avaient pris possession de chaque
l’énorme bol de soupe plonge et disparaît à notre vue. pierre et pendant que le mâle était perché au-dessus, la
Déçus par l’échec de notre première tentative pour attraper femelle couvrait son unique œuf sur le côté dans une
une tortue, nous prîmes la direction du rivage, ramant et dépression du sol recouverte d’algues. Les œufs étaient
évitant grâce à l’habilité des marins les énormes rouleaux magnifiquement tachetés de diverses nuances de violet
qui brisaient sur la plage dans une masse d’écume blanche. pâle sur un fond de couleur crème. Les œufs mesuraient
Nous courrons au-dessus d’une vague, scions et la laissons en moyenne deux pouces sur un pouce et demi ; mais on
déferler, puis nous ramons de nouveau. L’homme qui est trouvait rarement deux d’entre eux de la même taille ou
désigné pour hisser le canot sur la plage saute par-dessus colorés de la même façon ; cependant un œil exercé pouvait
bord, et à notre consternation, bien que se trouvant à les distinguer de ceux de Onychoprion fuliginosus4, que
seulement quelques mètres du dinghy notre compagnon nous trouvâmes nichant dans une autre partie de la même
ne trouve pas le fond. Avant qu’ils puissent sortir de la île, qui nous apparut couverte de buisson ayant environ la
confusion dans laquelle cet accident nous avait jeté, et hauteur d’un homme.
que les hommes aient repris leurs avirons, une énorme Jusqu’alors, les frégates étaient restées bien hors de portée,
déferlante se brisa au-dessus de nous, projetant deux mais à présent un bruissement se fit entendre au-dessus de
hommes par-dessus bord et prenant le canot par le travers. nous, comme la chute d’un corps lourd dans l’air, et jetant
Je me cramponnais aux fusils et au banc, prêt à sauter au un œil en l’air, je vis une frégate piquant comme pour nous
moment favorable, heureusement la vague suivante couru attaquer. Comme elle dégageait, je pointais mon fusil sur
jusqu’à la côte, et bien qu’elle nous ait emporté comme une elle, et tirais, elle culbuta, alors les fusils eurent beaucoup
coque de noix, elle nous porta sur des petits fonds. de travail, car les oiseaux dégringolèrent, et le sol fut
Les hommes encore agrippés au plat-bord prirent pieds –, bientôt jonché de morts et de mourants.
le reste de l’équipage sauta par-dessus bord et en un
moment nous nous trouvâmes en sécurité, quoique au prix
4. L’un des anciens noms binomial de la Sterne fuligineuse, encore
d’un bon plongeon et pour ma part au moins, ne sachant récemment nommée Sterna fuscata. Aujourd’hui le nom accepté par
pas nager, d’une bonne frayeur. Après avoir essuyé nos la plupart des autorités ornithologiques est Onychoprion fuscatus.

72
L’île à nouveau visitée

Combien d’oiseaux convoités avons-nous massacrés je ne


sais pas ? Quand un des hommes ordonna, « Tenez bon,
Monsieur, – N’en tirez plus, il y en a ici par vingtaine sur
leurs nids. »
Et alors la vérité m’apparut tout à coup, - nous étions
entrés dans leur « rookery » et les pauvres oiseaux avaient
perdu la vie dans une vaine tentative pour intimider les
monstres à deux jambes qui étaient venus soudain troubler
leur domaine privé.
Impatient de posséder leurs œufs, je les délogeais de leur
nid, oiseau après oiseau, à l’aide d’une longue baguette.
Approcher ses mains était le plus sûr moyen de se faire
sévèrement pincer. Presque chaque nid contenait un oisillon
chauve niché sous l’aile maternelle ; je n’obtins qu’un petit
nombre d’œufs prêts à éclore.
Les matelots qui rôdaient alentour, trouvèrent un
endroit où l’incubation ne semblait pas aussi avancée,
probablement la nurserie de nouveaux mariés ou de
couples inexpérimentés. Jack s’en saisit et bien que les œufs
aient été couvés, dans la pluspart des cas, ils furent tous
dévorés : autant pour le goût !
J’entendis un garçon dire à son camarade en en avalant un :
« Jette-le, Ned, il y avait un os dans celui-ci. »
Les frégates (Attagen A.5), et les fous, dont il y avait trois
espèces, – Sula fasciata6, S. personata7, S. fusca8, nichaient
côte à côte, dans certaines zones.
Leurs nids étaient de grandes structures faites d’algues, de
fiente et d’arêtes de poisson, leur aspect stratifié témoignait
que leur taille augmentait d’année en année.
A cet endroit l’odeur était terrible, le sol étant jonché de
débris de poisson et de jeunes oiseaux. Je ne pus m’appuyer
sur le comptage de ces derniers, car je vis un gros Bernard
l’Hermite poilu (Pagurus), habitant dans la coquille
vide d’un gros Turbo, qui gisaient sur le sol en grande
abondance, descendre du tronc d’un des arbustes, avec un
oisillon se tortillant dans ses pinces.
Je vis alors que les branches étaient pleines de ces
cannibales, le plus souvent chargés de poissons volés dans
les nids.
Je présume que les voleurs ne se saisissaient
qu’occasionnellement des morceaux les plus délicats
des tendres oisillons, lorsque la mère est absente du nid,
sans aucun doute suffisamment souvent pour assurer la
croissance rapide de ses oiseaux - voleurs à leur tour, car de
la bouche de l’un d’entre eux que je tirais, il ne dégorgea
Figure 11-5 – Sterne fuligineuse,
pas moins de dix-sept poissons de 3 à 9 pouces de long.
Onychoprion fuscatus (G. Berger, 2008).
Figure 11-6 – Frégate, Fregata ariel (G. Berger, 2008).
Figure 11-7 – Fous à pieds rouges et plumage blanc, Sula
5. Patronyme de Fregata ariel.
sula (M. Guérout, 2006).
6. Patronyme de Sula sula, le fou à pieds rouge.
7. Patronyme de Sula dactylatra, le fou masqué.
8. Patronyme de Sula sula dans sa phase brune, due à un dimorphisme
sexuel.

73
Tromelin. Mémoire d’une île

Après avoir forcé notre passage à travers les buissons, nous


émergeâmes sur le bord de l’île opposé à celui où nous
avions abordé, et découvrîmes un récif, une plateforme de
corail et de roc, s’étendant le long du rivage, où à la limite
extérieure, les déferlantes se brisaient avec une splendeur
effrayante. Un appel d’un des hommes qui me précédaient,
et le regroupement des autres gaillards lorsqu’ils
atteignirent l’endroit, nous incita, nous qui marchions
paresseusement avec des regards curieux, à hâter nos pas.
Nous trouvâmes en arrivant sur les lieux que les hommes
étaient activement engagés dans l’examen de deux ou trois
lourds canons de fer, ils gisaient à moitié enfouis et mêlés
entre les rochers, et vers le large se trouvait la charpente
d’un vaisseau, une ancre énorme dont une patte émergeait
dans les brisants. Il s’agissait là des vestiges de l’infortuné
Utile, le navire de guerre français auquel Horsburgh fait
allusion : la maison maintenant occupée par des fous
vagabonds avait été le logis des survivants pendant leur
long emprisonnement sur ce grain de sable au milieu de
l’océan, le foyer dans la grande pièce avait connu les rires
joyeux des insouciants, les plaintes amères des désespérés, et
les pensées élevées et viriles des braves et des indomptables,
chacun d’eux peut-être, méditant à sa façon sur le moyens
de s’échapper, ou sur la nourriture du lendemain.
Le commandant dans sa petite pièce, contemplant les restes
de son vaisseau perdu, les officiers rassemblés dans l’autre
pièce, pensaient aux êtres aimés qu’ils pourraient ne jamais
revoir, et maintenant combien parmi ce groupe d’hommes
ont survécus ? Aucun ? L’endroit de leur long séjour
n’entendra plus jamais le son de leurs voix
Nous poussâmes vers la partie nord de l’île, et traversâmes
une plaine ouverte qui s’étendait entre les buissons et un
haut talus de pierres roulées, jetées sur cette extrémité de
l’île par des multitudes de tempêtes.

Au centre de cette plaine, nous arrivâmes à un cercle de


pierres, disposées autour d’un point, dont le vert vivant
attestait la présence d’eau dans le sous-sol, c’était l’endroit
d’où les naufragés tiraient leurs besoins.
Près de cet endroit nous pouvions à peine marcher sans
écraser de jeunes Noddi (Anous stolidus) et leurs œufs,
et en retournant une pierre, deux souris jaillirent, une
autre puis une autre suivirent de chaque pierre déplacée,
elles pullulaient littéralement à cet endroit. Elles étaient
probablement venues avec le navire français, et avaient
peuplé l’île.
Figure 11-8 – Fou à pieds rouges et
plumage brun, Sula sula (M. Guérout, Expliquer la présence d’une grande quantité de grosses
2006). fourmis noires, qui creusaient leurs galeries dans toutes
Figure 11-9 – Fou masqué,Sula dactylatra.
les directions sous le gazon, était plus difficile, de même la
Figure 11-10 – Fou masqué, Sula dactylatra
présence d’un lézard (Gecko) que je capturais, mais qui plus
sur son œuf (M. Guérout, 2008).
tard se sauva.

74
L’île à nouveau visitée

Avançant à quelques mètres de cet endroit, nous A l’éclair brillant et à la détonation, la créature neigeuse
entrâmes dans le domaine d’une autre espèce de sternes répondit par une gracieuse inclination, comme une
(Onychoprion fuliginosus9), dont la présence nous fut demoiselle en mousseline blanche à une invitation à la
d’abord révélée par des oiseaux intrépides qui nous danse, et elle plana au-dessus de nos têtes, nous regardant
frappaient au visage avec leur bec acéré. bien en face avec ses grands yeux noirs.
De même que dans les autres endroits nous n’avions vu
aucun nid de ces espèces, nous ne trouvâmes pas non plus là J’étais frénétique, je bourrais rapidement une charge de
un seul nid de A. stolidus. poudre, mais hélas je n’avais plus de balles. Moi et mon
Le bruit de ce nombreux rassemblement était si grand fidus Achates11, « Ed » et « Jack le curieux » comme les
qu’à peine nous entendions les cris de nos voisins les plus marins nous avaient surnommés lui et moi, était retourné au
proches, et je fus heureux de m’échapper du haut talus de canot avec mon sac.
pierre et de gagner le calme du fracas des déferlantes. Mais de l’aide arrivait, le lieutenant - tireur d’élite du bord
C’était évidemment le côté tempétueux de l’île, et la - se hâtait vers la scène, attiré par mes cris et mes vaines
direction d’où soufflent les vents dominants. tentatives pour atteindre l’oiseau avec des pierres. Voyant un
Tout le rivage consistait en grosses pierres roulées ; aucune autre monstre étrange accourir, mon blanc ami se détourna,
n’avait un angle ; toutes étaient aussi lisses que des pierres et s’éloigna à tire-d’aile vers le large.
de cordonnier, elles faisaient irrésistiblement penser à des Oh ! angoisse ! Que connaît seul le naturaliste, qui voit une
centaines de joyeux cordonniers tapant activement semelles nouvelle espèce lui glisser entre les mains.
et trépointes. Dans mon for intérieur je résolus de ne jamais plus laisser
Nous trouvâmes là une autre épave – un arbre énorme ; filer mon arme hors de mes mains sur ces côtes inconnues.
depuis quel endroit avait-il dérivé ? Madagascar La blanche vision fait un autre tour, cette fois vers la terre
probablement, et c’était l’Arche avec lequel les fourmis « viens, viens oiseau inconnu ».
étaient venues ; ainsi ces points sur l’océan sont-ils peuplés. Viser de loin ! « Ah, ma beauté, l’aumônier ne tient plus
Nous écartant de la scène de nos spéculations, nous ce solide canon : un œil mortel mesure la distance que
portâmes nos pas vers nos embarcations le long d’un large vous allez parcourir, avant que le messager plombé ne vous
chemin, nettoyé de toute pierre et minutieusement aplani. atteigne. »
Pourquoi les pauvres naufragés avaient-ils construit ce Et maintenant, le tir précis ! Bruit sourd, l’oiseau infortuné
chemin? est tombé.
Peut-être leur commandant, un homme avisé, pensant que Le retentissement de la détonation atteint mes oreilles, je
dans une telle situation l’oisiveté favorisait les sombres me précipite et la prise est à moi ; quel beau plumage d’un
pensées, avait mis ses hommes au travail pour nettoyer blanc immaculé, sans une tâche, sauf quelques points roses
ce chemin, pour y transporter quoi ? Du bois à brûler sur la poitrine, d’où la vie s’écoule avec le sang, le bec bleu
provenant des charpentes de l’épave, des pierres jetées par brillant et les grands yeux sombres maintenant clos par la
les vagues pour construire leur maison, c’était comme un mort.
chemin carrossable qu’ils l’avaient certainement utilisé, car Et maintenant, quam mutatus ab illo12, sa peau séchée,
nous trouvâmes la roue brisée d’un affût de canon sur un tas ratatinée et son bec noirci, honorent les étagères du
de pierres. Museum, une caricature de la vie, une parodie du plus bel
Pendant que nous marchions, j’avais donné mon fusil oiseau que j’ai jamais vu, je le pense.
au chapelain, qui voulait s’essayer la main au tir. Il avait Lecteur, vous devez le voir répertorié Gygis Candida13.
tiré une fois sans succès sur un huîtrier (Haematopus) ; Les oeufs de Onychoprion fuliginosus sont relativement
et maintenant à mon grand dépit, je vis un nouvel oiseau plus grands que ceux de A. stolidus, ils ont environ 2 pouces
magnifique d’une blancheur de neige, ressemblant et 2 lignes de long, pour 1 pouce et 7 lignes de large, ils
beaucoup à une sterne, passant lentement près de lui. « Un sont plus densément tachetés de tâches plus petites sur
oiseau nouveau ! », criais-je ; « tirez, mon père, tirez ! » l’extrémité obtuse.
hélas, mon ami avait la main plus habile avec le livre des
11. Achates était le plus fidèle et le plus assidu des compagnons d’Enée.
Hébreux qu’avec une Westley Richards10, et ces éminents Aussi dit-on, le plus souvent en plaisantant, en latin : « fidus Achates »
tubes semeurs de mort individuelle furent pointés en vain ( fidèle Achates) pour désigner un ami très intime.
sur le bel étranger. 12. Ou Quantum mutatus ab illo : phrase prononcée par Enée dans
l’Enéide (II, 274) de Virgile, lorsqu’Hector lui apparait en rêve non
plus sous la forme d’un héros, mais couvert de plaies saignantes. Elle est
9. Pour Onychoprion fuscatus. généralement prononcée lorsqu’on se trouve en face de personnes ou de
10. Westley Richards est une célèbre armurerie anglaise fondée en choses qui ont changé d’aspect depuis la dernière fois qu’on les a vus.
1812 par William Westley Richards. 13. Patronyme de Gygis alba.

75
Tromelin. Mémoire d’une île

ceux de ces dernières. Ils sont d’un blanc pur lorsqu’ils sont
fraîchement pondus ; mais deviennent tristement souillés
par la fiente dans laquelle ils reposent. Ils mesurent environ
2 pouces 7 lignes de long pour 1 pouce 9 lignes de large.
Comme nous commencions juste nos préparatifs pour la
nuit, la vieille frégate qui s’était rapprochée de l’île amena
soudainement ses huniers, hissa son pavillon de rappel et
tira un coup de fusil. Sautant dans le dinghy, je me rendis à
bord pour m’informer des raisons du changement de plan,
pendant que le canot était mis à l’eau et préparé pour le
retour, au cas où le rappel se révélerait être général.
« Quelle chasse ? » cria le Commodore, lorsque nous
fûmes à portée de voix.
Figure 44 – Gygis blanche, Gygis alba (M. Guérout,
« Splendide ! » fut ma réponse.
2013).
Le Gygis Alba qui avait disparu de l’île fut à nouveau « Avez-vous aperçu des tortues ? » fut la question suivante.
observé par l’équipe des archéologues du GRAN et « Très peu ! Pas de traces de ponte à terre. »
de l’INRAP, en septembre 2013. Une douzaine de ces Le petit dinghy cognait sous les hautes murailles du navire
oiseaux gracieux et attachants avait élu domicile sur
quand retentit un nouveau coup de fusil, et que la lanterne
des veloutiers situés dans le sud-ouest de l’île.
de rappel du canot fut hissée en tête de mât ; juste au
moment où l’obscurité complète tombait sur nous, le canot
accosta le long du bord et en un instant se balança sur ses
Ils sont généralement plus noirs, et peuvent être facilement bossoirs ; le vieux navire gonfla ses voiles, vira dans la brise
distingués par quiconque a déjà pris les deux. Je pense du soir et nous nous éloignâmes de l’île.
qu’une description écrite devrait suffire pour chaque espèce. « Je ne connais pas les courants par ici », dit le
Les œufs des frégates Attagen Ariel sont très semblables Commodore, comme je terminais la narration de nos
en taille et en forme à ceux des fous ; mais ont une texture aventures de l’après-midi.
plus lisse et plus fine, et ne comportent pas d’épaisses « Nous ne devons pas laisser les os du Castor près de ceux
incrustations calcaires qui distinguent immédiatement de l’Utile. »

76
Chapitre XII

Le naufrage de l’Atieth
Rahamon (1867)

Enquête et recherches en archives


C’est en 1867, onze ans plus tard, qu’un autre navire fit naufrage sur
l’île, désormais couramment nommée Tromelin. Il ne laissa pas ses os
près de ceux de l’Utile mais du côté opposé de l’île. L’identification de ce
naufrage est une longue histoire.

En 2004, Philippe Zinzius, le fils d’un pilote de Réunion Air Service


qui avait séjourné à plusieurs reprises sur l’île de Tromelin, me montra
quelques objets trouvés sur l’île par son père. Parmi ceux-ci se trouvaient
les restes de deux assiettes qui ne pouvaient pas provenir de l’Utile car
datées, au premier coup d’œil, de la seconde moitié du xixe siècle. Par
chance, les assiettes portaient au dos une même marque de fabrique : H
& C. Ayant photographié ces deux marques, une recherche rapide nous
permit d’accéder à un site Internet consacré aux céramiques anglaises
qui nous donna rapidement la solution. Il s’agissait d’une firme anglaise
nommée Hope & Carter localisée à Burslem dans le Staffordshire. Cette
poterie active au xixe siècle avait utilisé la marque de fabrique en ques-
tion entre 18621 et 1880.

Aucune source historique ne faisant état, en ce début des années 2000,


d’un autre naufrage sur Tromelin, nous tentâmes alors de rechercher quel
navire pouvait bien avoir été perdu dans l’océan Indien dans la seconde
moitié du xixe siècle. Les vaisselles fabriquées dans le Staffordshire étaient
utilisées par de nombreuses compagnies de navigation, aussi la natio-
nalité du navire n’était pas assurée, mais nous penchions bien entendu
pour un navire ayant des liens avec la Grande-Bretagne. Dans ce cas, les
Figure 12-1 – Marques H & C pour Hope
et Carter. 1. La marque de fabrique est déposée le 17 septembre 1862, le no d’enregistrement est : 154812.

77
Tromelin. Mémoire d’une île

recherches doivent s’orienter en priorité vers les archives de la Lloyd, la


célèbre compagnie anglaise de certification et d’assurance. Toutefois,
même avec 1862 comme date de départ, une telle recherche demande un
temps si considérable que nous remîmes à plus tard ce travail fastidieux.
Deux ans plus tard, un autre indice fut découvert. En avril 2006, un
contact avec les archives du Service hydrographique du Royaume-Uni
nous permit de prendre connaissance d’un relevé hydrographique de
l’île effectué en 1875 par le HMS Shearwater (voir ci-après, chapitre
13). Ce relevé indique la présence d’une épave dans le sud-est de l’île.
Toutefois les archives du service hydrographique ne possédaient pas le
compte rendu écrit correspondant à ce relevé. La date du naufrage devait
donc être comprise entre 1862 et 1875, en gardant cependant à l’esprit
que si un autre naufrage s’était produit à une date voisine, notre hypo-
thèse pouvait être fausse.

En juillet 2006, les recherches entreprises à notre demande par Anne


Joyard dans les archives de la Lloyd à Londres lui permirent d’iden-
tifier ce naufrage comme étant celui de l’Atieth Rahamon survenu
le 27 novembre 1867. Parti de l’île Maurice pour Bombay avec une
cargaison de sucre, il se perd sur «  Tromelin or Sandy Island  ». Sept
rescapés regagnent l’île Maurice pour y chercher des secours. Toutefois
le navire n’étant pas assuré, il ne figurait pas dans les registres de
la Lloyd. Seul son naufrage est mentionné dans «  The shipping
movements and casualties section  ». L’information pour précieuse
qu’elle fût ne donnait cependant que peu de détails sur l’évènement.
Lors de la mission archéologique sur Tromelin en octobre 2006, la
découverte d’une autre assiette portant une marque de fabrique un peu Figure 12-2 – Assiette portant la marque
John PRATT & Co. (Ltd).
déformée fut identifiée comme ayant été utilisée par un autre potier
du Staffordshire  : John PRATT & Co. (Ltd). Cette entreprise était
domiciliée à  Park Street, Lane Delph, Fenton, près de Stoke-on-Trent
– Staffordshire. La marque a été utilisée entre 1851 et 1878. Cette four-
chette de datation plus large recouvrait la précédente.

Une penture de gouvernail trouvée en apnée par Jacques Quillet, un


technicien de Météo-France, à une douzaine de mètres de profondeur
dans la zone présumée du naufrage est pour l’instant le seul élément de
l’épave qui ait été retrouvé. Il a bien voulu nous en communiquer une
photographie, puis plus tard la remettre au service de l’archéologie de La
Réunion.

Persuadés que nous pourrions trouver dans la presse de l’île Maurice


mention de ce naufrage, nous avons profité du voyage à Maurice de
deux membres du GRAN habitant La Réunion2 au début du mois de
décembre 2006 pour leur demander de faire des recherches aux Archives
nationales et à la Bibliothèque nationale. Aidés par Yann Von Arnim, ils
eurent le bonheur de trouver de nombreux détails sur ce naufrage.

2. Jean-François Rebeyrotte et Arnaud Lafumas. Figure 12-3 – Penture de gouvernail.

78
Le naufrage de l’Atieth Rahamon

Comme nous l’avions espéré, les journaux de l’île Maurice rendent


bien compte de l’évènement, qui est aussi relaté dans les Annales du
sauvetage3 .

Echo du naufrage dans la presse mauricienne

Le progrès colonial4

Samedi 26 octobre 1867 – no 1181

« Arrivals. 
24 octobre – Ship Atiet Rahamon of 784 tons
S. C. Hodges master from Calcutta 26th augt.& Sandheads 1st septr. With rice
dholl gram etc.
Hadgee Suliman agent »

The Overland – Commercial Gazette5

Saturday Jan. 18 1868 – no 610

« On the 11th instant, the Pionnier arrived with the passengers and crew of
the late Atieth Rahoman that was wrecked in November last on Tromelin
Island. The Government sent two vessels for these people. The first one the
Str. Mauritius, which was obliged to return after being disabled in a cyclone.
The brig Vigilant was then chartered, but on her arrival at Tromelin island
found no one there. The Pionnier from this port on her way to Madagascar
having called there and relieved the people, 57 in number from their pain…
(?) position. The Pionnier proceeded to Tamatave, but not being able to land
the passengers there returned to Mauritius. We have no doubt the owners and
captain will be properly recompensed for their generous exertion and … in the
… of humanity. »

18th March 1868.

Captain Delaselle of the Pionnier, reports that he left Mauritius on the 17th
Dec. with fine weather, till he arrived at Tromelin Island on the 21st at 9 a.m.,
on which day the sea being very heavy, the Captain could take on board only
32 of the wrecked crew and passengers of the Atieth Rahoman, and all the
others (25 in number) the next day, amidst the greatest difficulties. The Captain
endeavoured to save their luggage too, but the boat having capsized 4 or 5 times
in the attempt, he gave up.
There being no proper anchorage, the Captain was obliged to keep under sail
during the whole time and left for Tamatave. He arrived at Tamatave on the 25th
at 3 p. m., and sailed for Mauritius on the 27th at 5 a.m.

3. Annales du sauvetage de 1868, p. 216-218.


4. BN de l’île Maurice - Le progrès colonial – Journal de l’île Maurice.
5. BN de l’île Maurice - The Overland – Commercial Gazette (Mauritius Island).

79
Tromelin. Mémoire d’une île

Ce trois-mâts de 784 tonnes fut construit à Bombay6 . Propriété de


Hajee Abdool Succoor Cadoo de Bombay 7, il portait le nomAtieth
Rahamon8 . Commandé par Samuel Charles Hodges, il était parti de l’île
Maurice le 23 novembre avec un chargement de 10 400 sacs de sucre. Il
fit naufrage le 27 novembre dans le sud-est de l’île par très beau temps. Il
n’y eut pas de victimes, équipage et passagers purent embarquer dans les
embarcations du bord et aborder, quoiqu’avec difficultés, au nord-ouest
de l’île. Dès le lendemain, l’officier en second William James Bryand, et
sept lascars (marins indiens) firent voile sur une chaloupe non pontée
pour chercher du secours et parvinrent à atteindre l’île Maurice où ils
arrivèrent le 13 décembre, pour donner l’alerte.

Une copie du journal personnel du capitaine S.C. Hodges concernant


la perte de l’Atieth Rahamon fut publiée dans  The Overland. Ce récit
constitue à n’en pas douter une sorte de plaidoirie déguisée à l’usage
du Tribunal maritime qui devait examiner quelques jours plus tard les
circonstances du naufrage et les responsabilités de l’état-major du trois-
mâts. Le récit des évènements qui y est fait sera mis sérieusement en
doute par l’officier de quart au moment de l’échouage.

Dans ce texte, le capitaine Hodges conte également le passage d’un


cyclone sur l’île Tromelin. D’un grand intérêt, la description très docu-
mentée et vivante permet de mieux comprendre le déroulement et les
conséquences du passage d’un cyclone sur l’île et donc d’illustrer les
conditions de survie des naufragés de l’Utile.

« Mercredi 27 novembre 1867.


Hier à midi, à la suite de mes observations je trouvais que l’île de Tromelin se
trouvait dans le NNO. ½ O magnétique, ou NO 1/4 N vrai – distante de 29
miles.
Pendant l’après-midi nous avions des vents légers et du beau temps, bien que
nuageux.
Au coucher du soleil, j’envoyais un bon marin sur la grande vergue de misaine,
et également le second dans la hune de misaine pour veiller la terre. Ils restèrent
dans la mature jusqu’à la nuit, et rendirent compte qu’ils ne voyaient rien. A
8 heures du soir, je vins à l’arrière et donnais l’ordre au Syrang de mettre les
deux hommes auxquels il pouvait le plus faire confiance sur le gaillard d’avant
afin d’assurer la veille. J’informais aussi le second lieutenant qui était de quart
à cet instant de prendre une longue-vue et d’aller également sur le gaillard
d’avant, pendant que j’allais moi-même veiller à l’arrière. J’allais ensuite dans
l’embarcation se trouvant sur la hanche sous le vent avec une longue-vue, et
n’en partit pas avant 10 h 30, et à ce moment-là je ne vis rien. J’appelai alors

6. Code commercial de signalisation : QLKW.


7. Mayo John J., Mercantile navy list and Maritime Directory for 1867, London, 1867.
8. Un navire portant probablement le même nom, orthographié Atiet Rohoman, est cité dans
le Dictionnary of disasters at sea during the age of steam, (Hocking, 1969, p. 57). Construit vers
1840, ce bâtiment d’un tonnage d’environ 500 t, avec un équipage de 75 lascars était parti de
Jeddah, il transportait 400 pèlerins, avec une cargaison de café et de sel. Il fit naufrage le 10
juin 1851 sur l’île de Kenery près de Bombay. Des rescapés furent sauvés par le steamer Medusa,
mais 175 pèlerins furent noyés. Le propriétaire en était la Bibi de Cannanore, une femme
nommée Ali Raja Bibi Hayashabe (1838/1852). Son successeur fut le Raja de Cannanore Ali
Raja Abdul Rahman I (1852/1870). Il y a sans doute un lien entre les deux navires dont le nom
est sans doute dérivé de Rahman et probablement d’une filiation entre les deux propriétaires.

80
Le naufrage de l’Atieth Rahamon

le second maître à l’arrière et lui dit que je pensais que nous devions avoir
dépassé l’île à quelques distances au vent, parce que nous avions non seulement
parcouru plus que la distance depuis midi mais que nous avions aussi très bien
remonté au vent pendant la même période. Mais je dis au second maître de ne
faire aucune supposition, et de continuer à veiller attentivement à l’extérieur : et
comme la terre était très basse (selon Horsburgh) Je lui ordonnais expressément
que s’il voyait quelque chose, de ne pas attendre avant de m’appeler pour faire
évoluer le navire, puis de m’appeler ensuite. Je quittais ensuite le pont vers
10 h 35, et je n’étais pas en bas depuis 8 minutes lorsque je le vis se précipiter
en bas pour me dire que la terre était en vue. Je montais immédiatement sur le
pont et aperçut la terre assez distinctement droit devant, et un peu au vent de
la proue. Le navire étant en route au nord, vent ENE, je mis aussitôt la barre au
vent – fit brasser carré la grand vergue et la vergue sèche, ordonnais de passer
le foc au vent et fis amener la corne d’artimon. Il évolua rapidement jusqu’à
l’ouest en passant par le nord, puis s’échoua. Je me rendis compte aussitôt
qu’il s’agissait d’un récif de corail. Le maître d’équipage arrivant sur le pont
au même moment, j’ordonnais de masquer les vergues des voiles de l’avant,
celle de l’arrière étant déjà en ralingue, mais sans effet, le navire talonnant très
lourdement remonta à nouveau jusqu’au nord par Ouest ¼ Ouest. Je fis ensuite
mettre à l’eau les deux canots de l’arrière et demandais au Maître d’équipage
d’aller mouiller un ancre à l’extérieur dès que possible, mais le charpentier
vint rendre compte que nous avions 9 pieds d’eau dans la cale, et que le niveau
augmentait rapidement, et le Syrang rendit compte également que le sucre
se diluait très rapidement dans l’eau. J’annulais mon ordre d’aller mouiller
une ancre à l’extérieur et donnait l’ordre de mettre les trois embarcations à
l’eau pour être prêt à les envoyer aussi rapidement que possible afin de sauver
les vies, car j’avais peur que lorsque le sucre qui se trouvait dans la cale serait
complètement fondu, le navire ne chavire. Les embarcations furent affalées et
toutes les cinq amarrées le long du bord, prêtes à être utilisées en cas de besoin.
Un peu après minuit le navire talonnant très lourdement et roulant d’une
manière effrayante, le gouvernail fut perdu arrachant tout ce qui l’entourait.
Le bâtiment commença alors à faire eau plus rapidement. A deux heures du
matin notant que le navire travaillait beaucoup et pensant que nous allions
inévitablement bientôt chavirer, j’ordonnais que les femmes et les enfants
embarquent d’abord dans le premier canot, et que celui-ci se mette en sécurité
en s’écartant du bâtiment puis que l’équipage et les officiers embarquent
dans les autres embarcations. Puis je fis écarter les embarcations assez loin
du bâtiment pour éviter qu’il ne les écrase au cas où il chavirerait, et nous les
mouillâmes jusqu’au lever du jour.
A 5 heures le 27 nous vîmes que le bâtiment se trouvait à l’extérieur des
déferlantes et à seulement environ 500 yards de la côte, qui du côté où le navire
s’était échoué était très basse, et ne pouvait pas être vue même de jour à plus de
3 ou 4 miles de distance. Je fis le tour de l’île pour essayer d’y aborder, mais je
trouvais l’opération très dangereuse en raison des longues déferlantes et du récif
de corail qui entourait l’île, qui risquaient de faire chavirer les embarcations
à l’approche de la plage. Nous mîmes les femmes9 et les enfants à terre avec
l’embarcation des passagers, puis nous envoyâmes tout l’équipage à bord pour
sauver tout ce qui pouvait l’être, comme provisions, eau, &c, l’île ne pouvant
rien nous fournir. Nous réussîmes à sauver une petite quantité de provisions,

9. Parmi elles, la femme du capitaine Samuel Hodges (Annales du sauvetage 1868, p. 216).

81
Tromelin. Mémoire d’une île

trois ou quatre barriques d’eau et quelques petites voiles pour confectionner des
tentes.
28 novembre, j’envoyais tout l’équipage au navire, en ayant beaucoup de
difficultés pour mettre la chaloupe à la mer. Nous avons dévergué quelques
petites voiles, et les avons embarquées avec quelques sacs de riz et trois petits
barils d’eau, et le soir nous les avons ramenés à terre.

29 novembre – Nous voulions retourner au navire et essayer de sauver à


nouveau quelques effets personnels, mais en arrivant sur la plage au lever du
jour, nous avons découvert que trois de nos embarcations avaient été très
endommagées pendant la nuit par les fortes déferlantes, bien qu’elles aient
été hissées loin en haut de la plage le soir précédent et il ne me parut pas
prudent d’en mettre aucune autre à la mer ce jour-là. Nous fîmes gréer une
des embarcations de sauvetage et embarquer des vivres, car j’étais déterminé à
envoyer l’Officier en second à l’île Maurice pour y chercher des secours.

30 novembre – Au lever du jour en allant sur la plage pour voir notre navire,
nous nous aperçûmes qu’il avait chaviré et se trouvait à présent dans les
déferlantes. En trois heures il devint une véritable épave et fut totalement réduit
en morceaux. A 11 heures je fis partir l’Officier en second pour Maurice.
Il est évident qu’il y a dû avoir un très fort courant d’ouest au voisinage de
l’île, car au moment où le bâtiment s’est échoué, compte tenu de la distance
parcourue et de la route suivie depuis midi il aurait dû se trouver à au moins 4
ou 5 miles dans l’Est et aussi bien dans le Nord de l’île, et si mes ordres donnés
au deuxième lieutenant avant de laisser le pont à 10 h 35 du soir avaient été
strictement exécutés, c’est ma ferme conviction que le navire ne serait pas allé
à la côte, bien que j’aie été certain en moi même que nous l’avions largement
dépassée, et nous trouvions à l’abri de tout danger.
Mes raisons pour avoir mis la barre au vent plutôt que sous le vent, en arrivant
sur le pont sont les suivantes. Le premier coup d’œil que j’eus de la terre fut
qu’elle se trouvait légèrement au vent de l’étrave. Voyant cela je supposais que
le récif se prolongeait à partir du point observé, et me fit douter de l’utilité de
virer de bord sous le vent, car nous étions très près. Une autre raison qui me
détermina fut ma connaissance du navire : par vent faible, il ne virait en général
pas rapidement vent devant, et était enclin à être lent à virer et en même temps
par petit temps il virait généralement rapidement lof pour lof s’il était bien
manœuvré.
J’ai observé avec beaucoup d’attention et je ne pense pas, de ce que je vis lors
de l’apparition de la terre où le navire s’est échoué, qu’elle puisse être aperçue la
nuit à une distance de plus d’un quart de mile.

13 décembre – Depuis hier à midi, il y a une atmosphère très particulière


autour de nous, et de temps en temps il y a des de très violentes bourrasques et
de pluie, le vent est de SE. Le baromètre est stable à 29 98, mais il y a toutes les
apparences de l’approche d’un ouragan encore. A minuit fort coup de vent de
SE, terribles rafales en même temps, mais le baromètre reste encore haut, si on
considère le temps : 29 92.

14 décembre, point du jour, même temps.


9 heures du matin – Un ouragan parfait, rugissement continu et pluies
torrentielles. Nous voyons la chaloupe qui depuis douze jours avait été mouillée
pour plus de sûreté au-delà des déferlantes, aller par le fond, bien qu’elle soit

82
Le naufrage de l’Atieth Rahamon

sous le vent de l’île. Les tentes sous lesquelles nous vivions sont mises en pièces
par le vent et les petits arbustes dont l’île était partiellement couverte, sont
complètement arrachés au niveau des racines. Baromètre 29 90. Vent toujours
de SE.
11 h 30 du matin – Le baromètre commence à baisser rapidement 29 8010 et
le vent tourne au SSE. Partout un rugissement terrifiant et il est absolument
impossible à qui que ce soit de résister à la force du vent sans se tenir à quelque
chose, au risque d’être emporté et jeté à la mer.
3 P.M. Bar. 29 54 Vent S.S.E.
4 ,, 29 50 ,, ,,
4.30 ,, 29 46 ,, ,,
5.30 ,, 29 40 ,, ,,11
Puis le ciel s’obscurcit rapidement, nous n’avons plus le moindre abri, l’ouragan
est à son maximum, je n’ai plus la possibilité d’observer le baromètre, car nous
essayons autant que nous le pouvons de nous agripper à ce que nous pouvons
saisir, pour éviter d’être emportés par le vent.

15 décembre – Au lever du jour, vent de SO. La pluie a cessé, mais un fort coup
de vent souffle toujours. Bar. 29 45 remontant lentement. Le temps s’éclaircit.
Nous constatons que toutes nos embarcations, qui avaient été hissées bien
au-dessus du rivage et mises en sécurité au paravent, ont été emportées par le
vent vers le centre de l’île, mises en pièces et à moitié enfouies dans le sable.
De gros morceaux de l’épave qui avaient été hissés à terre hors de danger et de
grosses dalles de pierre, quelques-unes de 4 à 5 tonnes, qui étaient sur la plage
ont été emportées par le vent à 2 ou 300 mètres de là ; au plus fort du cyclone
la mer avait envahi la moitié de l’île, mettant gravement en danger nos vies à
tous. »
L’île de Tromelin a environ ¾ de mile de longueur, ¼ de mile de largeur et 20
pieds de haut, orientée NNO / SSE.

A 8 h 30 du matin, le 21 décembre. Je vis un brick se trouvant au vent de la


partie ouest de l’île et venant du SE. Je mis immédiatement le petit canot à
la mer (le seul laissé intact par le cyclone), et j’envoyais le second lieutenant
aborder le navire pour lui rendre compte des circonstances du naufrage de
notre navire. Il atteignit le brick à 10 h 30, qui se tenait toujours à côté de
l’île. Nous le vîmes virer de bord et envoyer une embarcation vers le rivage. A
midi, l’embarcation du brick atteignit l’île, avec le Maître d’équipage et avec
beaucoup de difficultés ils parvinrent à toucher terre, les déferlantes étant
très fortes. Il nous rendit compte qu’il s’agissait du brick français Pionnier de
Maurice, venu nous chercher. Je me rendis immédiatement à bord du brick
avec le Maître d’équipage, et rendit compte au capitaine de notre situation à
terre. Le capitaine se rapprocha du rivage, moi-même guidant le bâtiment et
le second maître sondant aussi tranquillement que possible. Pas de fond à 100
brasses bien que nous soyons près. Nous nous stabilisons à environ 100 yards
des déferlantes, tout en ne trouvant toujours pas de fond à 100 brasses. En
conséquence aucun mouillage possible, le brick vira immédiatement et se tint
à nouveau à distance. Le Premier maître et moi-même retournâmes à terre avec
l’embarcation du brick (un petit canot) et le nôtre. Le vent ayant forci depuis
que nous avions quitté la côte, nous trouvâmes à nouveau à notre retour que
les déferlantes avaient beaucoup grossi, nous réussîmes cependant à toucher
10. 1003,14 Hpa.
11. Respectivement : 1000,34 ; 998,34 ; 997,63 ; 995,60 Hpa.

83
Tromelin. Mémoire d’une île

terre sain et sauf avec de grandes difficultés. Nous nous efforçâmes d’embarquer
autant d’effets personnels que possible, mais nous ne pûmes en prendre plus,
car chaque fois que nous mettions à la mer le canot il chavirait à nouveau, et se
retournait à plusieurs reprises avant d’être hors des déferlantes. Nous réussîmes
cependant à faire plusieurs voyages vers le brick (qui allait et venait, tantôt près
de la côte tantôt plus loin), bien qu’en mettant en danger la vie de l’équipage et
des passagers, et en défonçant les embarcations sur le corail dont la plage était
bordée.
A 6 h 30 de l’après-midi, lorsque l’obscurité s’établit, il fut impossible de
prendre plus de monde sur la plage, le reste de l’équipage ainsi que les femmes et
les enfants ayant été déjà embarqués.
Le capitaine se tint à une distance prudente de l’île pendant la nuit, et au
lever du jour le matin suivant il se rapprocha. Le Premier Maître et moi-même
retournâmes à terre avec les deux canots, mais décidâmes que la houle était trop
forte pour permettre d’aborder. Cependant nous fîmes le tour de la pointe vers
la partie NE de l’île, pour voir si nous pouvions y aborder, car du côté ouest
c’était totalement impossible. Après avoir chaviré plusieurs fois, nous réussîmes
en deux voyages, avec beaucoup de difficultés, à mettre en sécurité les hommes
restés sur l’île, au total 57 personnes étaient restées 23 jours sur l’île. A midi le
navire hissa les embarcations et fit route vers Tamatave.
Je n’ai pas de mots assez forts pour souligner l’énergie et la persévérance
dont le Capitaine Delaselle a fait preuve, et aussi le sens marin avec lequel il
a manœuvré son navire. A plusieurs reprises pendant qu’il attendait le retour
des embarcations, il se maintint presque à la limite des déferlantes, afin que les
embarcations n’aient pas à ramer trop longtemps. Je dois aussi parler dans les
termes les plus élogieux de Mr. Fornari (Premier maître) pour ses efforts pour
ramener les gens en sécurité. Bien que son canot eut chaviré souvent, et que
lui-même et son armement aient été sévèrement coupés par le corail, et saignant
en plusieurs endroits, il fut infatigable dans ses efforts
Nous arrivâmes le mercredi 25 décembre à Tamatave. Nous nous rendîmes
à terre le Capitaine Delaselle et moi-même pour faire notre compte rendu
au Consul d’Angleterre, mais il n’était pas là, étant parti pour Bourbon.
Nous allâmes voir le Consul de France et le Capitaine lui rendit compte
des circonstances qui nous avaient amenées à son bord, et comme il allait à
Manooro, il lui demanda conseil sur ce qu’il devait faire de nous ; mais c’est
tout juste si le Consul fit attention à lui, et eut au demeurant un comportement
très discourtois.
Finalement, il déclara qu’il y avait dans le port deux transports de bétail, qui
devaient partir pour l’île Maurice dans peu de jours et que nous pouvions y
embarquer. Le Capitaine Delaselle fut très contrarié des manières impolies et
du manque de courtoisie que le Consul de France avait montré à notre égard,
et décida de nous conduire lui-même à Maurice (bien qu’il eut un chargement
destiné à Manooro) car les deux autres navires ne seraient pas prêts avant
plusieurs jours. Il prit cependant de l’eau et des provisions pour nous à ses frais,
car le Consul ne lui fournit aucune aide. Il appareilla le lendemain pour Maurice
où nous arrivâmes le 11 janvier, après une traversée très longue et sinueuse
d’une durée de quinze jours durant laquelle nous nous trouvâmes dans le
quadrant nord-ouest d’un cyclone. C’est seulement l’habileté et la connaissance
approfondie des cyclones du Capitaine qui nous évitèrent d’entrer dans le
secteur dangereux de ce dernier ; ce qui aurait été très dangereux, si on considère
le nombre de personnes qui se trouvaient à bord d’un aussi petit navire.

84
Le naufrage de l’Atieth Rahamon

Le capitaine Delasselle Je ne peux pas terminer ce récit sans mentionner que pendant notre long
D’autres actes de courage du capitaine séjour à bord du Pionnier, moi-même, mon équipage et mes passagers avons
Delasselle sont révélés par le texte la été traités avec la plus constante gentillesse par le capitaine Delaselle et ses
loge bordelaise. Matelot sur la frégate la
officiers. Il semblait toujours soucieux de nous apporter tout le confort possible,
Belle-Poule, Delasselle se porte volontaire
pour réparer une avarie du gouvernail et j’espère ardemment que le Gouvernement Britannique ne manquera pas de
survenue pendant un coup de vent et montrer son appréciation de la bravoure et de l’humanité dont il a fait preuve
parvient à accomplir la réparation, pour sauver l’équipage naufragé par quelque marque d’estime.
tirant son navire d’un très mauvais pas ;
Je saisi aussi l’occasion de remercier publiquement Mr. Laroque, l’un des
en 1863, capitaine au long cours et
commandant du Bordelais, il sauve au propriétaires du Pionnier pour sa bonne volonté en acceptant la proposition du
large de Melbourne les 17 hommes capitaine d’aller à notre recherche.
de l’équipage d’un brick anglais, le
Triumph qui a chaviré sous voiles. La
Mauritius, 13 Janvier 1868
reine Victoria pour le récompenser
lui offrira un sextant d
d’honneur.
honneur. S.C. Hodges
Ex commandant du Atieth Rahamon »

Un ouvrage publié par la Loge maçonnique bordelaise La Candeur,


dont Delasselle était membre12 , donne un autre récit du sauvetage. Ce
texte précise :

« Le capitaine Delasselle… prit l’agrément de ses armateurs, et fit voile vers
l’île de Tromelin. La mer trop mauvaise et les nombreux récifs qui défendent
ces îlots l’empêchèrent de trop s’approcher ; mais il fit mettre son embarcation
à la mer, et, aidé par le dévouement de ses marins, que son exemple électrisait,
il tenta la chance d’un débarquement. Cinq fois chaviré, cinq fois il revint à la
charge, et fut assez heureux pour aborder dans l’île et ramener, avant la fin du
jour, quelques naufragés à son bord et faire passer des subsistances aux autres. Le
lendemain tout le monde était sauvé.  »

Les deux capitaines découvrent alors qu’ils sont : « tous deux maçons, tous
deux frères doublement ! » Si bien que, spectacle peu banal, quand le Pionnier
rentre en rade de Maurice : « Au grand mât flottait le pavillon maçonnique ; à
l’arrière le drapeau national. »

Réunion de la commission maritime de l’île Maurice

Le compte rendu de la Commission maritime de l’île Maurice concer-


nant la perte de l’Atieth Rahamon réunie devant Son Excellence le
Gouverneur et approuvé par lui, est publié pour information13 .

Bureau du Secrétaire Colonial


3 Février 1868
Felix Bedingfeld
Secrétaire Colonial

Compte rendu de la Commission maritime de l’île Maurice concernant


le navire Atieth Rahamon commandé par S.C. Hodges, perdu sur l’île de
Tromelin ou Île de Sable : Latitude 15° 52’ S et Longitude 54° 40’ E, dans la
nuit du 26 novembre 1867
12. Notice sur O. Delasselle, capitaine au long cours, Membre de la loge de La Candeur, lue
par E.Moriac, orateur de la Loge dans la Tenue du 26 mars 1868, Bordeaux, 1868, 8 p.
13. Collection particulière - Collection of proclamations and Government’s notices
Published at Mauritius during the year 1868 (L. Chanell, printer), p. 24, no 25 of 1868.

85
Tromelin. Mémoire d’une île

Présents :
J. Morgan, Maître de Port & Président.
Geo. Davidson, Agent de la Llyod.
Hon’ble R. Stein, Président de la chambre de commerce
J.P. Ellis, Expert maritime
A.W. Barclay, Expert maritime

Samuel C. Hodges, ayant juré, déclare :


J’ai perdu mon certificat avec le navire. C’était un certificat de capacité de
Singapour, no 93. Je commandais l’Atieth Rahamon au moment de sa perte. Je le
commandais depuis avril 1867. Au moment de son naufrage, il allait de Port-
Louis (île Maurice) à Bombay, complètement chargé ; sa cargaison consistait en
10 400 sacs de sucre14. L’équipage était composé de 50 personnes en tout15. Son
tonnage (Register tonnage) était de 784 t. Il appareilla de ce port le 23 novembre.
Le voyage fut favorable jusqu’au moment du naufrage. J’ai navigué pendant vingt
années, dont sept en tant que commandant de navire. Mes chronomètres étaient
corrects en quittant Port-Louis. J’avais effectué de bonnes observations le matin
et à midi le jour de la perte du navire, l’après-midi ayant été nuageuse, aucune
observation ne put être faite. Il y avait un léger courant de NO de 10 miles en
24 heures. J’étais en bas au moment où la terre fut aperçue pour la première fois.
Je n’avais pas quitté le pont depuis plus de 5 minutes, je n’étais pas encore au lit,
mais j’étais assis en train de fumer, quand le second Maître m’appela, et il ne me
fallut pas plus d’une demi-minute pour être sur le pont.
Lorsque j’eu moi-même connaissance de la terre, elle se trouvait sur l’avant
tribord, à une distance d’environ 500 yards, le navire faisait route au nord,
le vent était ENE. Je mis immédiatement la barre au vent, fis brasser carré la
grande vergue et la vergue sèche, ordonnais d’amurer le foc au vent et fis amener
la corne d’artimon. Le navire vira immédiatement rapidement jusqu’à l’Ouest
en passant par le Nord et puis s’échoua sur la partie SE de l’île. Je considère
que 4 minutes ont dû s’écouler entre le moment où la terre fut aperçue et celui
où le bâtiment s’échoua. Je considère que le second lieutenant a désobéi à mes
ordres, qui lui furent donnés avant que je descende. Le second lieutenant est un
homme âgé inexpérimenté. La raison pour laquelle j’ai viré vent devant plutôt
que lof pour lof est que j’avais peur de manquer à virer, le vent étant trop léger.
Si j’avais été sur le pont quand la terre fut aperçue pour la première fois, je pense
que le navire eut été sauvé. Le navire n’était pas assuré, ni la part de la cargaison
qui appartenait au propriétaire. J’ai perdu tout ce que je possédais et je reste
complètement sans ressource.
S. C. Hodges

William James Bryan – Second, ayant un certificat de capacité de Maître délivré


à Liverpool, no 18145, déclare sous serment:
J’ai navigué pendant cinquante années, neuf d’entre elles comme capitaine
ou second de navire. J’étais de repos en bas, j’étais au lit endormi quand
le navire s’est échoué. J’ai été réveillé par le bruit du navire talonnant. J’ai
entendu le capitaine demander à un homme d’aller me réveiller. Je suis monté
immédiatement sur le pont, le navire était alors parallèle au récif. Je me rendis
compte qu’il serait impossible de porter une ancre à l’extérieur, le navire se
14. Exactement 10 474 sacs, comme l’indique le connaissement : AN de Maurice, 27 F 75.
15. Il faut y ajouter deux passagers : Mme Masoora, sans profession (25 ans) et Mr. Kelangee,
employé de bureau (40 ans). AN de Maurice - 27 F 75.

86
Le naufrage de l’Atieth Rahamon

trouvant dans les déferlantes. Aucune embarcation n’aurait pu survivre dans


une telle mer avec une ancre fixée sur elle. Je pensais qu’il aurait mieux valu virer
vent arrière que vent devant. Nous avions fait de bonnes observations durant
le jour. Je fis le point à 8 heures et nous trouvait à 23 miles de l’île. Je considère
qu’il aurait été plus prudent de virer de bord avant la nuit. Le capitaine ne m’a
pas consulté à ce sujet. Nous n’avons pas fait de point d’étoile cette nuit-là.
Wm. Jms. Bryan

Henry Melitus – deuxième lieutenant, déclare sous serment:


Je n’ai pas de certificat
J’ai navigué pendant 26 ans comme premier lieutenant. J’étais officier de
quart lorsque le navire s’est échoué. Lorsque le capitaine a quitté le pont et est
descendu, les ordres qu’il m’a donnés ont été : « Si vous voyez la terre, laissez là à
l’Ouest et appeler moi, de toute façon, je serais moi-même sur le pont ». Ce sont
les derniers ordres qu’il m’a donnés. Je n’avais pas d’ordre du capitaine de virer
de bord. Quand j’ai vu la terre la première fois, je faisais la veille dans le canot
sur la hanche arrière. Je courus immédiatement en bas prévenir le capitaine.
Quand le capitaine monta sur le pont il alla à la poupe du côté sous le vent et me
demanda la longue vue, je la lui donnais et il regarda vers la terre, me demandant
si je pensai que nous pouvions la doubler au vent, je dis non. Le capitaine dit
alors que je devais à nouveau observer la terre et donna l’ordre de mettre la barre
dessous, changeant immédiatement d’idée il fit mettre la barre au vent.
Je vins sur le pont principal pour voir si les ordres du capitaine étaient exécutés :
la grande vergue et la vergue sèche brassées carrées. Je gagnais le gaillard d’avant
et vis que le bâtiment se rapprochait de la terre avec toutes ses voiles d’arrière
pleines, la misaine était établie.
Deux des hommes crièrent que le bâtiment se rapprochait de la terre,
le capitaine répondit « Oui, Oui, Je le sais ». Le navire s’échoua alors
immédiatement. La barre était alors mise dessous, les voiles étaient hissées et
masquées, les huniers faseyaient. Quand le navire toucha il n’y avait pas de
déferlantes, il les franchit quelques dizaines de yards après. Il devait s’être écoulé
20 minutes entre le moment où je vis la terre jusqu’au moment de l’échouage.
La terre pouvait être à 1 mile lorsqu’elle fut aperçue pour la première fois.
Lorsque je vis la terre pour la première fois elle se trouvait à bâbord de l’étrave.
Le journal de bord que j’ai signé indique que le bâtiment s’est échoué 5 minutes
après que la terre fut aperçue. J’ai fait une objection au moment de signer
cette déclaration, mais le capitaine et le second m’ont dit de signer, que cela
n’avait pas d’importance, car toutes les erreurs qu’il pouvait contenir seraient
découvertes à Maurice. Le capitaine était au lit et je pense qu’il somnolait, car
j’ai été obligé de l’appeler 3 ou 4 fois avant qu’il ne réponde. Je suis sûr que 20
minutes se sont écoulées entre le moment où la terre a été vue et le moment où
le navire s’est échoué, car j’ai regardé l’heure sur l’horloge quand j’ai vu la terre
pour la première fois et également quand le bâtiment s’est échoué.
Deux hommes capables et de confiance étaient de veille
Hy. Melitus

L’Atieth Rahamon a appareillé de Port-Louis le 23 novembre 1867, dans de


bonnes conditions de navigabilité. Il avait pour destination Bombay avec une
pleine cargaison de sucre, dont 1200 sacs étaient la propriété du propriétaire
du bâtiment. Cette partie du chargement et le navire lui-même n’étaient pas
assurés, le reste de la cargaison était assuré auprès des assureurs locaux.

87
Tromelin. Mémoire d’une île

De la date de son départ jusqu’au 26 novembre, rien de notable n’est arrivé.


A midi ce jour-là la position du navire était parfaitement connue, comme cela
est indiqué dans le journal de bord, il n’y avait pas apparence de courant et
l’estime coïncidait avec la position observée. Le bâtiment naviguait au plus près,
cap presque direct sur l’île de Tromelin, à une vitesse d’environ 3 nœuds. A 9
heures du soir le vent était d’est, le navire était en route au NNE avec une brise
croissante. A 10 h 30 du soir la terre fut aperçue sous le vent de l’étrave et entre
dix et quinze minutes plus tard le navire s’échoua, et peu de temps après devint
une épave.
Le capitaine Hodges déclare que s’il avait été sur le pont au moment où la terre
fut aperçue pour la première fois, le navire ne se serait pas échoué, mais que
le second lieutenant qui était de quart sur le pont perdit plusieurs précieuses
minutes à l’appeler (contrairement à ces instructions particulières qui étaient
d’agir avant de le prévenir), et que quand il arriva sur le pont il était trop tard
pour éviter la perte du bâtiment.
Le premier lieutenant d’un autre côté déclare qu’il avait seulement reçu
l’instruction du capitaine de l’appeler si la terre était aperçue. Cette
contradiction entre les témoignages des deux principaux témoins est regrettable,
cependant l’opinion de la Commission est qu’elle ne disculpe pas le capitaine
d’avoir passé un parallèle dangereux au cours d’une nuit sombre et nuageuse.
La commission considère qu’en procédant de la sorte, le capitaine Hodges
a commis une sérieuse erreur de jugement et n’a pas fait preuve de l’habilité
et du jugement d’un maître de navire, d’autant plus qu’il a déclaré dans son
témoignage avoir été entraîné à bord d’un bâtiment hydrographe de sa Majesté.
La bonne décision qu’aurait dû prendre le capitaine Hodges, quand il devint
évident qu’en continuant sa route au nord il couperait le parallèle de l’île de
Tromelin pendant la nuit (Un danger à propos duquel Horsburgh dans ses
instructions observe : « Les navigateurs devront être très prudents »), aurait
dû être de virer de bord et de se tenir dans le NE au crépuscule et de ne faire de
nouveau route au Nord que lorsqu’il aurait été parfaitement sûr qu’il couperait
le parallèle du danger avec la lumière du jour.
La commission estime qu’en examinant la route et la distance parcourue selon le
journal de bord qui a été rédigé le lendemain du naufrage, qu’a 10 h 30 du soir
quand le capitaine a quitté le pont, l’île de Tromelin se trouvait à 4 miles dans le
S.W., et elle considère qu’il doit être grandement blâmé d’avoir quitté le pont à
un tel moment.
La commission considère en conséquence que la perte du navire doit être
attribuée à un manque de jugement caractérisé de la part du Capitaine.
La commission ayant soigneusement examiné les dépositions, et prenant en
même temps en considération le fait que le Capitaine Hodges a perdu avec
le naufrage ses biens personnels, montant à une valeur considérable et qu’il
se retrouve sans un penny, est d’opinion que son certificat de capacité sera
suspendu pour une durée de six mois à compter de la publication de cette
décision, et le suspend en conséquence, sous réserve de l’approbation de son
Excellence le Gouverneur.
La Commission doit reconnaître les services précieux rendus à leurs camarades
de l’équipage par Mr. Bryan, le second, et les six Lascars qui l’accompagnaient,
en risquant leurs vies dans une embarcation ouverte pendant la saison des
cyclones, en allant aussi loin que ce port pour demander du secours, car s’ils ne
l’avaient pas fait, l’ensemble de l’équipage et des passagers auraient péri sur l’île
de Tromelin.

88
Le naufrage de l’Atieth Rahamon

La Commission considère que le second lieutenant, Mr. Melitus, a commis une


grave erreur en ne faisant pas virer de bord le navire avant d’appeler le capitaine,
comme il en avait parfaitement le droit dans ces circonstances, mais, car il n’est
pas officier certifié, ils peuvent seulement le réprimander et le blâmer pour son
manque de jugement.
Cette Commission considère comme un agréable devoir de porter à la
connaissance de la Commission du Commerce la conduite humaine de Mr.
Laroque, le propriétaire du brick français Pionnier, qui, au retour du vapeur
Mauritius , après sa tentative infructueuse pour atteindre l’île de Tromelin, sous
la contrainte du mauvais temps, a ordonné à son navire qui allait appareiller
pour Manooro, de s’arrêter à l’île de Tromelin, et de sauver si possible
0 2 cm
l’équipage et les passagers de l’Atieth Rahamon, et la manière avec laquelle ces
Figure 12-4 – Réa de poulie trouvé sur le ordres furent brillamment exécutés par le capitaine Delaselle, le commandant
rivage ouest de l’île, pouvant provenir de
du Pionnier, qui après avoir sauvé l’équipage, fut obligé d’aller à Tamatave
l’épave de l’Atieth Rahamon.
(Madagascar), pour faire des vivres avant de revenir à Port-Louis.
La Commission regrette seulement que le propriétaire du Pionnier ne soit
pas entré en contact avec les autorités avant que son navire n’appareille d’ici,
car ce faisant il se serait assuré une compensation pour lui-même et eut évité
l’armement de la goélette Vigilant.

Signatures
J. Morgan,
Maître de Port & President.
Geo. Davidson,
Agent de la Llyod.
Hon’ble R. Stein,
Président de la chambre de commerce.
J.P. Ellis,
Expert maritime
A.W. Barclay,
Expert maritime

On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement entre le naufrage de


l’Atieth Rahamon et celui de l’Utile. Dans les deux cas, c’est en négli-
geant de prendre des précautions élémentaires que les deux capitaines
conduisent leur navire à sa perte. En 1758, on a vu Morphey, le capi-
taine du Cerf, virer de bord à la nuit tombante pour ne pas trop s’appro-
cher de l’île réputée très dangereuse. Le capitaine de frégate Laplace,
avec La Favorite, avait fait de même en 1830 : « Nous fîmes très peu de
chemin jusqu’à la nuit ; alors n’ayant aucune connaissance de l’écueil, je
fis serrer le vent et courir de petites bordées pour attendre le jour. » La
commission d’enquête reprochera à Samuel Hodges de ne pas avoir pris
cette précaution.

Les Annales du sauvetage datées de 1868, relatent le sauvetage. On y


mentionne le vote de remerciement décerné par le Comité central de
sauvetage au capitaine Delasselle.

89
Chapitre XIII

Qui a donné le nom de


Tromelin à l’île de Sable ?

Depuis 1825 et avant qu’un second levé hydrographique soit effectué


en 1875, l’île est désignée indifféremment sous le nom d’île de Sable ou
sous celui de Tromelin. Nous allons essayer de comprendre comment le
passage d’un nom à l’autre s’est produit.

Second levé hydrographique de l’île (1875)


Le HMS Shearwater
Lancé le 17 octobre 1861, au chantier
de Pembroke le Shearwater est un
sloop, une corvette mixte (voile et
vapeur) à hélice, coque de bois, d’un
tonnage de 811 tonnes, armé de 11
canons et ayant un équipage de 140
hommes. W.J.L. Wharton en prend le
commandement en mai 1872. Après
un séjour en Méditerranée, il assure
l’année suivante (1873) les croisières
de répression de la traite illégale
sur la côte est de l’Afrique à partir
de la station navale de Zanzibar,
placée sous les ordres du contre-
amiral Cumming. Il assure ensuite le
transport depuis Maurice vers Rodrigue
de l’équipe destinée à observer le
transit de Vénus devant le soleil. Figure 13-1 – Le HMS Petrel (classe Rosario)
Wharton et son état-major participent du même type que le HMS Shearwater.
aux observations le 8 et 9 décembre
1874. Puis ils effectuent au début Le levé hydrographique de l’île1 fut effectué par le HMS Shearwater sous
de l’année 1875 le levé de Coetivy, les ordres de W.J.L. Wharton, il fut repris dans un cartouche en bas et à
de l’île Plate, du banc de la Perle et droite de la carte no 1881 du Royal Navy Hydrographic Service (RNHS).
probablement de Tromelin à la même
époque. Le tampon de l’Hydrographic
=  >  >?   1. UKHO (United Kingdom Hydrographic Office), Carte A 4116 Africa 3 (La position
porte la date du 9 mars 1875. indiquée est celle de la pointe Nord)

91
Tromelin. Mémoire d’une île

Les Instructions nautiques françaises (édition de 1885)2 font allusion à ce Figure 13-2 – Relevé hydrographique
levé hydrographique :  de Tromelin par le HMS Shearwater.

« Lors de sa reconnaissance par le Shearwater en 1875, son extrémité nord


paraissait prolongée par un épi de sable sur lequel la mer déferlait ; mais on était
alors en mousson de SE, et le commandant Wharton dit que probablement cet
épi se transporte à l’extrémité sud avec les vents de nord. »

L’hypothèse de Wharton reprise ici ne repose que sur une observation


ponctuelle et ne correspond pas à la réalité.
2. No 682 - Océan Indien – Instructions nautiques sur Madagascar et les îles de l’Océan
Indien méridional... collationnées à la direction générale des services hydrographiques par le
service des instructions nautiques – Paris, 1885.

92
Qui a donné le nom de Tromelin à l’île de Sable ?

Figure 13-3 – Cartouche de la


carte no 1881 du RNHS.

Figure 13-4 – Reprise de la carte


anglaise de 1875, par la carte française
SH 4769, on distingue une épave
au Sud-est de l’île. Epave identifiée
comme étant celle de l’Atieth Rahamon
naufragé en 1867 (voir chapitre 12).

93
Tromelin. Mémoire d’une île

Qui a donné le nom de Tromelin à l’île de


Sable ?

Le sauvetage des naufragés de l’Utile par l’enseigne de vaisseau de


Tromelin commandant la Dauphine en novembre 1776, paraît être
à l’origine du changement de nom de l’île, de prime abord personne
n’en disconvient. Toutefois lorsque l’on cherche à savoir quand et par
qui le nom de Tromelin fut donné à l’île de Sable, les choses sont moins
évidentes.

Nous n’avons retrouvé aucun document mentionnant explicitement


ce changement de nom. Nous avons donc effectué un recensement des
relevés hydrographiques, des cartes, des journaux de bord et des récits.
Ce recensement ne peut pas être, bien entendu, considéré comme
exhaustif, mais le voici en l’état.

Dans tous les documents nautiques et les correspondances que nous


avons trouvés entre la découverte de l’île en 1722 et 1809, l’île est
appelée « île de Sables » ou « îlot de Sables ». Quelquefois, elle prend le
nom d’île « de corail ». En anglais, elle est nommée « Sandy Island ».

En 1809, le Horsburgh’s Directory mentionne « Sandy Island ».

En 1817, Lislet Geoffroy3 , alors chef du Dépôt des cartes de l’île Maurice,
dans un mémoire manuscrit4 , imprimé en 18185 , mentionne la position
de l’« île de Sables », indiquant qu’elle a été observée par Le Gentil.

En 1818, d’Après de Mannevillette6 mentionne lui aussi l’«  île de


Sables ».

La première mention du nom de Tromelin que nous ayons trouvée appa-


raît sur le relevé hydrographique anglais7 effectué par le sloop HMS
Barracuta, le 22 juillet 1825 placé sous les ordres de W.F.W. Owen
commandant une mission hydrographique anglaise chargée de l’hydro-
graphie la côte orientale de l’Afrique. Dans le cartouche de la carte se
trouve l’inscription : « Sandy island of Tromelin ». Ce nom sera repris
dans la carte de l’océan Indien publiée par Owen. C’est pour cette
raison qu’en 1841 le capitaine de corvette Jehenne, nous l’avons vu,
attribue à ce dernier la paternité de ce nouveau nom.

Si l’on examine le nom donné à l’île à l’occasion des passages successifs


de bâtiments français et anglais on obtient la liste suivante :

3. Nommé par le Gouvernement anglais, ingénieur hydrographe du Roi et sera chargé en 1816
du Dépôt des cartes et journaux de l’Ile Maurice.
4. AN– Marine, 3 JJ 358 f°26.
5. Memoir and notice explanatory of a chart of Madagascar and the North-East Archipelago
of Mauritius.
6. Instructions de d’Après, édition 1818.
7. UKHO, E 421 Africa 3.

94
Qui a donné le nom de Tromelin à l’île de Sable ?

1830 – La Favorite, commandée par le capitaine de frégate Laplace  :


« île de Sables ».
1830 – Dumont d’Urville, à bord de la frégate anglaise Sirius, capitaine
Lewis : « île de Sable ».
1840 – Carte anglaise de Archer : « Tromelin Island ».
1841 – La gabare la Prévoyante, commandée par le capitaine de corvette
Jehenne 8 : « île de Sables ».
1851 – HMS Pantaloon, commandé par Commander H.  Parker  :
« Tromelin Island9 ».
1856 – HMS Castor, commandé par le Commodore H.D. Trotter10  :
« Tromelin or Sandy Island ».
1867 – Naufrage de l’Athiet Rahamon : « Tromelin or Sandy island ».
1875 – Relevé hydrographique du HMS Shearwater  : «  Tromelin
Island ».
1885 – Instructions nautiques françaises : « île de Sable ou Tromelin ».

On voit donc que les navires français continuent à employer la dénomi-


nation «  île de Sables  » tandis que, dès 1825, les Anglais ont adopté
celle de « Tromelin Island ».

Le statut juridique de l’île semble flou à cette époque. En 1810, l’île de


France a été rétrocédée à l’Angleterre et rebaptisée île Maurice, mais
l’île de Sable ne figure pas explicitement dans le traité, si bien que
Français et Anglais, les premiers depuis l’île de La Réunion et les
seconds depuis Maurice ou depuis la station du Cap viennent alternati-
vement observer l’île ou y débarquer. La liste ci-dessus est cependant
Figure 13-5 – Lislet Geoffroy. très explicite et montre que le nom de Tromelin a été donné à l’île par les
Anglais, sans doute en 1825.

Nous y voyons indirectement la main de Lislet Geoff roy qui publie en


1818 une carte de l’océan Indien et répertorie la position de toutes les
Jean-Baptiste Lislet Geoffroy (1755-1836) îles et dangers de la zone11.
Fils d’un ingénieur de la Compagnie
des Indes et d’une esclave africaine,
Lislet Goeffroy reçoit de son père une Sans doute Lislet Geoffroy a-t-il tenu au courant de ces détails W.F.W.
>
      
 Owen à l’occasion de l’escale qu’il fit à Maurice avant d’aller effectuer le
   >    < 
d’acquérir une formation de géomètre
relevé hydrographique de 1825. Et ce dernier, en donnant à l’île le nom
\
^_ 
 >
  de Tromelin, a sans doute saisi l’occasion d’honorer à la fois le sauveteur
père au capitaine de vaisseau Bernard des naufragés de l’Utile et le mentor du chef du Dépôt des cartes de l’île
Marie Boudin de Tromelin – frère du Maurice.
sauveteur des esclaves abandonnés sur
l’île de Sable (voir Annexe 1), chargé
depuis 1771 de l’exécution des travaux En 1885, pour la première fois et soixante ans après les Anglais, les
de curage et d’amélioration du Port-Louis Instructions nautiques françaises donnent à l’île le nom de Tromelin.
(île de France). En 1779, Lislet Geoffroy
embarque comme aide-pilote sous
les ordres de de Bernard de Tromelin.
C’est à cette collaboration qu’il devra
d’acquérir le titre de dessinateur du
Génie puis le grade de capitaine du 8. AN– Marine, 3 JJ 358, pièce 27.
Génie en 1803. En 1810, il sera promu 9. Nautical Magazine, XXI (1852), 283.
ingénieur hydrographe par les Anglais, 10. Brooke, R.K., Layard’s bird hunting visit to Tromelin or Sandy Island in December 1856.
puis en 1816 sera nommé chef du 11. Biographie de Lislet Geoffroy dans Compte rendu hebdomadaire des séances de
Dépôt des cartes de l’île
l île Maurice. l’Académie des Sciences – tome 3 – juillet–déc. 1836, p. 206.

95
Chapitre XIV

L’épave du Sud
(fin XIXe – début XXe siècle)

Lors de l’installation de la station météorologique sur l’île en 1954,


on a découvert sur la côte sud les débris d’un « gros voilier » du xixe
siècle. Un plan en est dressé (ci-dessous) et le médecin commandant
A. Legeais1 note ses observations.

Figure 14-1 – Carte établie par le


capitaine Lombaert en 1954.

1. Legeais 1955, p. 106.

97
Tromelin. Mémoire d’une île

« En novembre 1953 et en avril/mai 1954, on avait remarqué sur la côte ouest, Figure 14-2.1 – Vestiges
à la pointe sud et la falaise de l’est, une grande quantité d’épaves, toutes en bois, de l’épave du Sud.
la plupart brisées et déchiquetées, paraissant fort anciennes. Un mât d’une
vingtaine de mètres de longueur et d’un diamètre de 80 cm à sa base, était
particulièrement reconnaissable. On avait également identifié ce qui semble être
les restes d’une superstructure de la poupe d’un gros voilier. C’est parmi des
épaves que je trouvai quelques clous paraissant bien dater de 150 ans. »
Figure 14-2.2 – Mât dans le sud de l’île.

La mise en évidence en 2010, lors de fouilles archéologiques, d’un


bâtiment construit après le départ des naufragés de l’Utile et avant la
construction de la station météorologique, a relancé l’intérêt de l’iden-
tification de l’épave du Sud. Il ne semble pas en effet que les naufragés de
l’Atieth Rahamon aient bâti un abri. Le récit du capitaine Samuel Hodges
ne fait aucune allusion à une telle construction2 qui paraît au demeurant
peu probable compte tenu de la brièveté de leur séjour (23 jours).
2. BN de l’île Maurice - The Overland – Commercial Gazette (Mauritius Island) - Saturday
Jan. 18 1868, no 610

98
L’épave du Sud

Figure 14-3 – Chouque. Figure 14-4 – Ancre. Figure 14-5 – Fragments de doublage. Figure 14-6 – Courbe de bau.

Profitant des grandes marées quelques observations ont été effectuées


dans la zone où se trouvent les vestiges. Outre la présence du treuil, une
ancre, deux chouques ont été observés et photographiés par Joël Mouret
en juin 2007.

Les positions sont les suivantes :


Treuil : Latitude : 15° 53’, 848 S - Longitude : 54° 31’ 586 E
Ancre : Latitude : 15° 53’, 867 S - Longitude : 54° 31’ 615 E
Chouquets : Latitude : 15° 53’, 818 S - Longitude : 54° 31’ 651 E
L’ancre posée à plat n’a plus son organeau, elle n’a pu être mesurée.
Des plaques et des clous de doublage en cuivre ont été trouvés à terre,
ainsi qu’un renfort de courbe de bau en fer :
Doublage : Latitude : 15° 53’, 610 S - Longitude : 54° 31’ 300 E
Courbe de bau : Latitude : 15° 53’, 769 S - Longitude : 54° 31’ 649 E

Treuil
Cette épave est maintenant matérialisée par la présence des vestiges
d’un treuil métallique se trouvant à une vingtaine de mètres du rivage.
La largeur hors tout est de 4,43 m, le diamètre des deux roues dentées
Figure 14-7 – Treuil. latérales est de 0,94 m et celui de la roue centrale de 0,68 cm.

99
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 14-8 – Dessin du treuil.

Figure 14-9 – L'un des premiers


treuils américains du type
Purchase, ca. 1840-1860.

Les trois roues dentées sont caractéristiques d’un treuil à bringuebale.


Les deux roues dentées latérales permettent l’action des cliquets poussés
alternativement par les deux tiges de la bringuebale. La roue dentée
centrale permet au linguet de retenue d’empêcher le treuil de dévirer.

Ce type de treuil est manœuvré à la main, des cordages fixés aux extré-
mités du levier de la bringuebale permettent à plusieurs personnes de
travailler ensemble, en général deux de chaque bord, il permet seule-
ment de virer le câble de l’ancre et non de le dévirer.

Avec la construction des clippers dans les années 1850, les équipements
des navires connaissent une évolution rapide, et de nouveaux treuils sont
conçus par divers constructeurs : Purchase, Allyn, Emerson, Perley aux
Etats-Unis et Brown en Angleterre3 . Un guindeau de ce type fabriqué
par Salette (Marseille) est décrit dans la Revue Maritime et coloniale de
18684 , l’auteur de la note précise : « Ce guindeau … paraît … approprié
aux besoins des navires marchands ou des bâtiments de servitude de la
marine impériale. »
3. Crothers W.L., American-Built Packets and Freighters of the 1850’s, 2012.
4. Revue Maritime et colonial, XXIV, 1868, p. 62. Et plus loin planches hors-texte.

100
L’épave du Sud

Renfort de courbe de bau en fer


Cette pièce de fer a été trouvée sur le rivage du sud. Elle apporte une
information complémentaire concernant le type de construction du
navire naufragé. Le renfort des pièces de charpente en bois par des
courbes en fer correspond à la nécessité de renforcer les structures des
navires à une époque où l’approvisionnement en bois courbes devient
difficile. Il est employé dès la seconde moitié du xviiie siècle pour les
navires de guerre5 . L’usage s’est répandu aux navires de commerce au
cours de la première moitié du xixe siècle. Avant que la fabrication en fer
ne se systématise, un principe de construction appelé charpente compo-
site fut utilisé pendant une assez courte période pour les clippers.

Il s’agissait à la fois de renforcer les coques, tout en gardant l’avantage


que constituait une coque en bois qui permettait de doubler les coques
Figure 14-10 – Renfort de courbe en cuivre ou en métal jaune afin de conserver les coques propres. Les
de bau en fer : L = 108 cm. structures internes du navire étaient alors fabriquées en fer et la coque
était construite en bois. Cette technique fut adoptée après de multiples
solutions intermédiaires qui furent progressivement essayées : courbes
de bau en fer, baux en fer6 . On ne se trouve pas ici en présence d’une
structure composite, car malgré les conditions d’environnement très
sévères, le « squelette métallique interne » aurait été au moins en partie
conservé comme le montre le cas de l’épave du tea-clipper Ambassador
construit en 1869 et échoué aux îles Falkland.

Quille
Selon les dires des météorologues qui ont pu nager dans ce secteur par
temps calme, il s’y trouve à une distance de 300 mètres environ du
Figure 14-11 – Epave de l’Ambassador
rivage une quille doublée de cuivre.
(Estancia San Gregorio).

Chouque de beaupré
Un chouque (ou chouquet) est la pièce d’assemblage entre un bas mât et
un mât de hune, ou entre le beaupré et le bout-dehors. Il est caractérisé
par la présence d’un orifice de section carrée qui s’adapte à l’extrémité
du bas mât et d’un orifice circulaire dans lequel s’adapte le mât supé-
rieur ou le bout-dehors.

Les deux chouquets mesurent 91 cm de long pour 48 cm de large et une


épaisseur de 11 cm. L’un des deux chouques observés dans l’eau par Joël
Mouret a été remonté sur le bord du chemin dans le sud de l’île, sans que
nous connaissions sa position d’origine exacte.

5. Stammers Michael K., Iron knees in wooden vessels-an attempt at a typology, in The
International Journal of Nautical Archaeology (2001) 30.1: 11 5-121
6. http://mcjazz.f2s.com/ClipperShipPlans.htm

101
Tromelin. Mémoire d’une île

L’intérêt de cette découverte est qu’elle peut nous permettre d’évaluer le


tonnage du bâtiment correspondant.

En effet au xviiie siècle, d’une manière générale les dimensions des mâts
(diamètre et longueur) étaient reliées par un coefficient multiplicateur à
la largeur au maître bau du bâtiment correspondant ; la largeur permet-
tant d’évaluer à son tour une valeur approchée du tonnage du bâtiment.
Par la suite ces règles ont dans l’ensemble perduré.

Sur le dessin de la figure 14-13, la partie gauche du chouquet était


adaptée à l’extrémité du beaupré, et la partie droite au bout-dehors7. Ce
dernier pouvait coulisser dans cet orifice circulaire, nous permettant
ainsi de disposer de la valeur de son diamètre.

Cette valeur permet d’extrapoler différentes données en s’appuyant sur


les indications et rapports de dimension précisés par Jean Boudriot8 . En
effet, habituellement, la longueur du bâton de foc est égale à la largeur
au maître bau du navire. Et que le diamètre du bâton de foc mesurait
1/45 de sa longueur.

Ici le diamètre de l’orifice correspond par principe au diamètre maximal


du bâton de foc puisque celui-ci devait pouvoir y coulisser, il mesure
32 cm ce qui donne en suivant le coefficient donné par Boudriot, une
largeur du bâtiment de 0,32 x 45 = 14,40 m.

Nous disposons d’une autre source concernant le rapport entre longueur


et diamètre du bout-dehors. David Mac Gregor, dans un ouvrage lui
aussi consacré aux navires de commerce à voiles9, donne les mesures de la
mâture d’un navire dont le tonnage est compris entre 300 et 330 tonnes
mesurant 103 ft. 3 ¼ in. de longueur ; 27 ft. 6 in. de largeur maximale
et dont le diamètre du jibboom (bâton de foc) est de 9 in. Le rapport
diamètre du bâton de foc/largeur du bâtiment vaut donc ici 1/36,6.

Plus loin10 , un navire de 1300 tonnes dont les plans ont été établis vers
1820 dans le chantier de Deptford en Angleterre, mesure 171  ft. de
longueur entre perpendiculaires et 42 ft. 9 in. de largeur au maître bau,
le diamètre du bâton de foc est de 12 ½ in. Le rapport diamètre du bâton
de foc / largeur au maître bau est ici de 1/41.

Si nous prenons cette valeur, qui est une moyenne entre les deux autres,
nous obtenons pour notre épave inconnue une largeur de 0,32 x 41
= 13,12  m de largeur, ce qui est très proche du second exemple cité,
puisque cette valeur correspond à 43 pieds anglais.

7. Bout-dehors de beaupré : Mât qui est en quelques sorte, le « mât de hune » du beaupré, et
qu’on établit en dehors de celui-ci, dont il est comme le prolongement ; il sert à l’installation
des voiles triangulaires ; on l’appelle quelquefois : «  bâton de foc ». Bonnefoux et Paris,
Dictionnaire de la Marine à voile. Paris, 1994.
8. Boudriot Jean, Le navire marchand, Paris, 1991, p. 47.
9. Mac Gregor David, Merchant sailing ships – Sovereignty of sail 1775 -1815, London, 1995,
p. 113.
10. Ibid., p. 199.

102
L’épave du Sud

Figures 14-12, 14-13, 14-14


Le Farquharson dont le tonnage est de 1300 tonnes a cependant été
– Chouquet de beaupré.
construit en 1820, avant que ne commencent à s’élaborer les voiliers
rapides, dont le gréement va évoluer rapidement et dont les formes
vont s’affiner. La datation de l’épave du Sud est plus tardive, et comme
l’indique le paragraphe ci-dessous se situe à la fin du xixe siècle. A cette
période le rapport longueur/largeur, qui dans le cas du Faquharson est
de 4, va passer à un chiffre compris entre 5 et 6. Les clippers qui seront
l’aboutissement de cette évolution auront un rapport longueur/largeur
voisin de 6 (par exemple le célèbre clipper Ariel a un rapport L/l égal
à 6). La largeur de ces bâtiments est alors comprise dans une fourchette
qui va de 10 à 11 m.

L’étude effectuée ci-dessus à partir du chouque de beaupré n’est qu’in-


dicative, mais nous permet d’obtenir une évaluation approximative du
tonnage du bâtiment, supérieure à 1000 tonnes.

Objets trouvés au cours des fouilles


archéologiques

Briques imprimées

Plusieurs fragments de briques portant une marque imprimée ont


été retrouvés à une vingtaine de mètres des vestiges de l’habitat des
Malgaches. La présence de ces briques avait déjà été signalée lors de la
construction de la station météo en 1954. Le module de ces briques est :
longueur : 225 mm, largeur 108 mm, épaisseur 60 mm.

La marque imprimée dans le sens de la longueur est : GARTCRAIG.

Ces briques ont été produites par la firme Gartcraig Brickworks à


Glasgow entre 1876 et 1914. Cette fourchette de datation ne permet
pas de les rattacher au naufrage de l’Atieth Rahamon survenu le 26
novembre 1867.
0 2 cm

Figure 14-15 – Briques imprimées :


marque GARTCRAIG.

103
Tromelin. Mémoire d’une île

Assiette (plusieurs fragments)

Des fragments d’assiette ont été trouvés hors des secteurs de fouille, au
milieu de l’île (latitude – 15° 53’,460 N ; longitude – 54° 31’,336 E).

Ils comportent un décor floral imprimé et au dos une marque de potier


Assiette Italian Flower
et l’indication « Italian Flower ».
Dim. : Ø ext : 310 mm ; Ø du
Il s’agit d’une assiette fabriquée par un potier nommé John PRATT pied : 140 mm ; larg. de l’aile :
37 mm ; ht : environ 22 m, ép. :
& Co. (Ltd), Lane Delph, à Fenton, près de Stoke-on-Trent, 5 mm. Pâte blanche du type grès
Staffordshire. Cette marque de fabrique a été utilisée entre 1851 et porcelaineux (voir chapitre 12).
1878, pour la fabrication de porcelaines, de faïences et de poteries11.
Compte tenu de la position de sa découverte, cette assiette est plutôt
attribuée au naufrage de l’Atieth Rahamon (1867), mais pourrait aussi
Premier fragment de bouteille
provenir de l’épave située plus au sud.
Dim : ht.cons. : 146 mm ; ép. à la
Bouteilles hauteur du cul : 6 mm ; ép. à mi-
hauteur : 3 mm ; Ø du cul : 78 mm.
Nombreuses bulles incluses, fond de
Un premier fragment de bouteille en verre soufflé de couleur vert foncé forme irrégulière très épais : 14 mm.
dite « verre noir » a été mis au jour au cours des prospections effectuées
en 2006. Le corps est cylindrique. Trace circulaire d’emboutissoir sur le
cul et marque imprimée en relief (écriture cursive : AV C°). Origine et
datation encore indéterminées.

Une autre bouteille a été trouvée dans le remblai recouvrant les vestiges
de l’habitat des esclaves. La bouteille PH5.348 est intacte. Elle est
moulée (moule en 3 parties), de couleur vert foncé. Il s’agit avec une
bonne probabilité d’une bouteille de bière anglaise d’une capacité d’une
pinte. Plusieurs spécialistes consultés optent pour une bouteille d’ori-
gine anglaise datée de la fin du xixe ou du début de xxe siècle. Cette
bouteille ne provient pas de l’épave de l’Utile, probablement pas, non
plus, de l’épave de l’Atieth Rohomon (1867), mais plus probablement de
l’épave du Sud.

Brique Atlas

Parmi les objets trouvés sur l’île, détenus chez un particulier, il y a une
brique portant la marque imprimée Atlas.

Les briques de Bathville et Armadale sont fabriquées par des firmes


portant le nom d’Atlas, Muir of Armadale, Barbauchlaw, Boghead et
Etna. Armadale a été un centre actif de production de briques, de pipes
et de tuiles ayant acquis une réputation internationale en raison de l’ex-
cellente résistance au feu de ses terres réfractaires. Vers 1970 l’industrie Figure 14-16 – Bouteille PH5.348.
de la brique réfractaire ayant décliné l’usine a dû fermer. Toutefois la
firme Etna a survécu jusqu’en 1983. Les différentes marques utilisées Bouteille PH5.348
sont les suivantes : Dim. : Ø du cul : 95 mm ; ht. totale :
302 mm ; ht. trace du moule :
149 mm ; ht. du goulot : 98 mm ;
ht. lèvre et bourrelet : 25 mm ; Ø du
11. (L).GODDEN, Geoffrey A., Encyclopedia of British Poprcelain Manufacturers, goulot intérieur : 23 mm ; extérieur :
Barry & Jenkins, London, 1988, page 610. 30 mm.. Contenance
Co e a ce e v o 1080
environ 080 ccl..

104
L’épave du Sud

Marque Fabricant Période de production


ATLAS Atlas Firebrick Works 1882-1973
ATLAS GB Atlas Firebrick Works 1882-1973
ATLAS STIRLING Atlas Firebrick Works 1882-1973

Synthèse des données rassemblées


Figure 14-17 – Brique Atlas.
Le navire est un voilier (présence de deux chouquets dont celui de
beaupré), construit en bois et doublé (présence de doublage de métal
jaune (Cuivre/Zinc à 50/50)). Son tonnage est supérieur à 1000 tonnes.
Le treuil actionné à la main est encore en usage à la fin du xixe siècle,
lorsqu’il commence à être remplacé par des treuils à vapeur. Le naufrage
se situe entre 1882 et 1914.

Présence de rescapés

Les briques trouvées à terre près du site occupé par les naufragés de
l’Utile lors de l’installation de la station météo, pourraient indiquer la
présence de rescapés du naufrage, à moins que celles-ci aient été trouvées
sur le rivage par d’hypothétiques occupants de l’île dont nous n’aurions
pas connaissance (titulaires des concessions mauriciennes pour l’exploi-
tation du guano). Ces rescapés ont pu survivre et tenter sans y parvenir
de rejoindre Madagascar, ou son mort sur l’île.

Si nous avons réussi à retrouver la trace du naufrage de l’Athiet


Rahamon dans les archives de la Lloyd à Londres, nous n’avons pas
identifié, à ce jour, cet autre naufrage. Il se pourrait alors qu’il n’y ait eu
aucun rescapé et que le navire naufragé soit administrativement consi-
déré comme perdu «  corps et biens  » (missing selon la terminologie
anglaise).

Dans la période qui nous intéresse, même si le canal de Suez est ouvert
depuis 1869, les grandes routes maritimes empruntées sont encore celles
qui vont d’Europe en Australie (commerce de la laine et peuplement
de l’Australie) et d’Europe vers la Chine ou l’Indonésie (thé, opium,
épices). A ces grandes routes, il faut bien entendu ajouter celui des
échanges commerciaux avec les Mascareignes et Madagascar.

105
Deuxième partie
Avec l’installation d’une station météorologique
en 1954, l’île entre dans une ère nouvelle, celle des
enjeux géopolitiques de cette zone de l’océan Indien.
Elle le doit à l’importance que lui confère sa zone
économique exclusive, et en tant que réserve naturelle,
aux défis de la protection des espèces.

Au centre de diverses revendications de souveraineté,


le grain de sable fera aussi parfois grincer les rouages
de la diplomatie.
Chapitre XV

Reconnaissance en vue de
l’installation d’une station
météo (1953)

Concessions délivrées par le gouvernement de l’île Maurice


(1901-1956)

Avant que l’installation d’une station météorologique sur l’île ne


soit décidée, le gouvernement mauricien délivré à plusieurs reprises
des concessions pour l’exploitation du guano. Ces concessions dont
le gouvernement français, qui est propriétaire de l’île, n’avait pas eu
connaissance, ont été révélées en octobre 1977, par le premier ministre
de l’ile Maurice, S. Rangoolam. Quatre concessions pour l’exploitation
du guano avaient été délivrées à des particuliers :

– Louis Lebreton Jr., du 1er mai 1901 au 30 avril 19111 ;


– G. T. Britter, du 27 mars 1931 au 30 juin 1941 ;
– Able de Lapelin Dumont, du 17 janvier 1946 au 6 février 1948 ;
– François Lavoipierre, du 7 février 1948 au 3 juin 19562.

« Le bénéficiaire devait verser un loyer annuel de 100 roupies à la colonie


anglaise de l’ancienne île de France. Tout le guano exploité à Tromelin
devait être acheminé à l’île Maurice et une redevance de 5 roupies payée
à la Trésorerie mauricienne pour chaque tonne importée dans l’île. Si le
guano n’était pas débarqué sur le territoire mauricien, le locataire devait
payer une pénalité de 1 000 roupies aux autorités de Port-Louis…3 . »

L’objet de ces concessions est curieux, car outre la superficie très réduite
de l’île, le guano produit par les oiseaux qui y nidifient est régulière-
ment lessivé par les fortes pluies et les vents violents qui accompagnent

1. Il doit s’agir de Louis Gustave Le Breton de la Vieuville, né en 1864 à Maurice et mort en


1919. Il épousa en 1885, Alice Poupinel de Valencé et eut 5 enfants.
2. Hoarau Alain, Les îles éparses, Sainte-Marie, 2002, p. 186.
3. Oraison André, Revue de droit international, de sciences diplomatiques et politiques – The
International Law. Volume 65 – 1987, p. 105.

109
Tromelin. Mémoire d’une île

les cyclones. Il se peut cependant que les concessionnaires en deman-


dant officiellement de récolter du guano aient eu une autre idée derrière
la tête, celle par exemple  de la recherche du fameux trésor d’Olivier
Levasseur dit La Buse (voir chapitre 16).

Au demeurant, il semble que ces baux n’aient pas été mis à exécution, mais
la présence d’un bâtiment construit en bloc de corail édifié après le départ
des naufragés de l’Utile en 1776 et avant la construction de la station
météo en 1955 (voir chapitre 23), laisse encore planer un doute à ce sujet.

L’organisation météorologique mondiale


décide d’implanter une station météo à
Tromelin (1953)
C’est au cours d’une conférence réunie par l’association régionale de
l’OMM à Tananarive en janvier 1953, que fut souligné l’intérêt d’ins-
taller une station météorologique sur l’île de Tromelin.

« L’île de Sable sera un poste avancé dans le réseau malgache de protection


contre les cyclones. Ce sera en outre un élément non négligeable dans le réseau
de sécurité aérienne4. »

Afin de vérifier la faisabilité de ce projet, la direction des services météo-


rologiques de Madagascar prit en novembre 1953, la décision d’envoyer
une mission de reconnaissance sur l’île. Jacques Ravet, l’inspecteur
général, signe alors un ordre de mission qui charge l’ingénieur en chef,
hors classe, de la météorologie Serge Frolow5 , d’effectuer une « recon-
naissance de l’île de Tromelin en vue d’installer éventuellement une
station météorologique permanente6 ».

L’équipe se compose des membres suivants : Renaud Paulian (directeur-


adjoint de l’institut de recherches scientifiques de Madagascar), Jean
Lecarrieu (représentant le service général de l’information), comman-
dant Lhuillier (capitaine de port, adjoint au chef du service maritime de
Madagascar), Luçay Alidor (chef du réseau radioélectrique du service
météorologique) et Andria Robinson (spécialiste de l’institut de
recherches scientifiques de Madagascar). Le capitaine Raphaël Lombaert
du Groupe aérien mixte no 50 fut adjoint à cette équipe, avec mission
« d’étudier les conditions d’atterrissage sur l’île Tromelin, la possibilité
d’y établir un aérodrome de secours et les aménagements qu’il convient
éventuellement de faire7 ».

4. Lecarrieu, Jean, Réhabilitation de Tromelin, dans Revue de Madagascar, no 18, 1er trim.,
1954, p. 45.
5. Serge Frolow est né le 16 janvier 1903 à Saratow (Russie), sorti premier de l’école
d’agronomie coloniale de Nancy, il fera carrière dans la météorologie.
6. Service Historique de la Défense (Air), E 339 – Rapports de mission Océan Indien - Ordre
de Mission no 6439 du 18 novembre 1953.
7. SHD – Air, E 339 – Rapports de mission Océan Indien - Note 5597/AORF/3/OPS du
17 nov. 1953.

110
Reconnaissance en vue de l’installation d’une station météo

Raphaël Lombaert
Né le 27 mai 1920 à Maretz (Nord),
Raphaël Lombaert s’engage comme
volontaire en 1939. Elève pilote à
Angers puis affecté en Afrique du
Nord en 1941, il sort premier de sa
promotion. Il passe en Angleterre début
1944 où il prend les commandes d’un
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il rentre en France avec l’escadrille
des Cigognes et, après diverses
affectations, est envoyé à Madagascar
de 1952 à 1955. Entré à l’école de
guerre en 1958, il est promu colonel
en 1967, et quitte le service en 1971.
Le SHD (Air) a recueilli en septembre
1985 ses souvenirs, en particulier son
témoignage sur l’installation de la station
météorologique de Tromelin (SHD,
RI 8 Z 437). Il meurt le 8 mai 2003.

Figure 15-1 – Premier débarquement.


A l’arrière-plan : le Marius Moutet.

Un « Toucan » (AAC-1, Junker 52) de la base de Tananarive conduisit


toute l’équipe à Tamatave où elle embarqua à bord du baliseur Marius
Moutet, capitaine Robain8 . Le Marius Moutet appareilla le 22 novembre
1953, en matinée et arriva en vue de l’île le 24 et mouilla dans le nord-
ouest de l’île à un demi-nautique, par fond de 10  m. Ayant mesuré le
risque que représentaient les brisants, cinq personnes furent seules
autorisées à descendre à terre. Les deux premiers furent le capitaine
Lombaert et Jean Lecarrieu qui entreprirent de concert une topographie
des lieux. Luçay Alidor suivit et installa un baromètre enregistreur et un
pluviomètre.

On chercha en vain le puits creusé par les naufragés de l’Utile et on émit


des doutes sur la possibilité de parvenir à creuser le sol de l’île. A ce sujet
le médecin commandant Legeais qui participa l’année suivante à l’ins-
tallation de la station, exprime les mêmes réserves : 

8. L’état-major se compose de Le Gallic (officier en second), de Coudeneuve (Premier


lieutenant), Labouly (Chef mécanicien).

111
Tromelin. Mémoire d’une île

« Un conseil primaire peut être donné aux naufragés qui se trouveraient
en détresse sur un rocher corallien semblable à l’île des sables : il est vain de
chercher à creuser le sable dans l’espoir de trouver de l’eau douce (sous le sable
on trouve une dalle de corail très dure et très épaisse)9. »

Serge Frolow conclut10 à la possibilité d’installer un bâtiment préfa-


briqué sur le point culminant de l’île, d’aménager une piste d’atter-
rissage de 1000  m de long en environ six semaines avec huit à dix
manœuvres. Il considère que l’époque favorable pour le débarque-
ment se situe aux moments du changement de régime des alizés soit en
novembre ou fin avril et que le point de débarquement le plus adapté se
trouve au nord-ouest de l’île.

A leur retour Lecarrieu et Paulian publient le récit de leur séjour


et de leurs observations dans la Revue de Madagascar, sous le titre
commun  «  Voyage à l’île des cyclones11  ». Renaud Paulian, publie
également un compte rendu de sa visite intitulé  «  Observations de la
faune terrestre de l’île de Tromelin12 ».

« … L’île de Tromelin, longue de 1750 m, se termine au Nord-Ouest par un


banc de sable mobile ; elle comprend, sur un socle corallien, une partie Nord
un peu relevée, bordée, vers l’est de sable, et, vers l’ouest, d’une banquette
corallienne, à laquelle fait suite, au sud, une zone légèrement déprimée,
ceinturée d’une muraille où blocs de corail et épaves se mêlent.
L’ensemble atteint au maximum 6 m au-dessus du niveau des hautes mers. Ce
niveau paraît en exhaussement continu, car les météorologistes installés sur l’île
ont eu la surprise de découvrir que les abris en pierre construits par les naufragés
de l’Utile étaient actuellement complètement ensevelis sous le sable. 
La végétation comprend une broussaille assez dense de Tournefortia argentea L.,
surtout répandue sur le Nord et sur le pourtour du Sud ; quelques pieds,
poussant dans des entonnoirs de sable de la côte Nord-Est, atteignent 2,5 m de
haut et ont des troncs noueux et épais.
A ces arbustes s’associent, principalement vers le Nord, Ipomea pescaprae
Roth, la Patate à Durand13 ; dans le Sud, Portulaca oleracea L., un peu partout
Boerhaviza diffusa L., et Sida cf. grewioides Guill. et Perr., plus rarement
Achynranthes aspera L. »

Concernant les oiseaux, Paulian note :

« Les seuls oiseaux observés ont été des fous, des frégates et une bande de petits
chevaliers. Fous et frégates sont abondants et il semble que les premiers nichent
à peu près toute l’année. Les nids à terre comprenaient de un à trois œufs, le
plus souvent deux. »

9. Legeais Alain, Forces aériennes françaises, revue mensuelle de l’armée de l’Air, no 106, juil.
1955, p. 100.
10. Rapport de mission no 0400/A du 22 janvier 1954.
11. Lecarrieu Jean, Réhabilitation de Tromelin, dans Revue de Madagascar, no 18, 1er trim.,
1954, p. 44-49.
Paulian Renaud, Faune et flore d’un désert, dans Revue de Madagascar, no 18, 1er trim., 1954,
p. 50-54.
12. Paulian Renaud, Observations de la faune terrestre de l’île de Tromelin , dans Le Naturaliste
Malgache, tome VII, 1955, Fasc.1, p. 1-7.
13. La patate à Durand a disparu de l’île.

112
Reconnaissance en vue de l’installation d’une station météo

Figure 15-2 – Pulvinaria tromelini Mamet.

Joseph Raymond Mamet (1912–1996) On capture une tortue verte qui sera embarquée puis transportée par
Entomologiste français et mauricien, avion de Tamatave au zoo de Tananarive. On imagine mal le destin de
né à Rose Hill, il a dirigé le laboratoire cette voyageuse au long cours dans les limites confinées d’un zoo ! A son
d’entomologie du ministère de la Santé retour, Paulian confie pour étude les insectes qu’il a collectés à plusieurs
jusqu’à son départ à la retraite en 1967.
Auteur de nombreuses publications,
entomologistes. Il soumet à Joseph Raymond Mamet l’étude d’une
il a décrit 177 nouvelles espèces et espèce de cochenille (Coccoidea) observée pour la première fois à
45 nouveaux genres de cochenilles, Tromelin. Décrite dans la revue Le naturaliste malgache14, cette espèce
toutes
ou es eendémiques Mascareignes.
dé ques des Masca e g es. est baptisée Pulvinaria tromelini Mamet.

Les diptères sont confiés à Eugène Seguy15 , et les hémiptères à W.E.


China. Ils publient tous deux le résultat de leurs travaux l’année
suivante16 . China dédie à Paulian un hémiptère de la famille des
Meziridae, qu’il baptise : Pictinus Pauliani.
14. Mamet J.R., A new species of Coccoidea fr om Tromelin Island, Le naturaliste Malgache,
tome VIII, Fascicule1, p. 138-140.
15. Eugène Séguy (1890–1985) est un spécialiste des diptères. Il a travaillé presque 50 ans au
MNHN dont il a été directeur du laboratoire d’entomologie de 1955 à 1960. Il a rédigé plus
de 20 ouvrages, illustrés de magnifiques planches.
16. Seguy E., Diptères de l’île Tromelin, Le Naturaliste Malgache, tome VII, Fascicule 1, 1955,
p. 9-12.
China W.E. Hemiptera of the Island of Tromelin, Le Naturaliste Malgache, tome VII, Fascicule
1, 1955, p. 13-18.

113
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 15-3 – Vestiges de l’habitat


des naufragés malgaches de
l’Utile. A gauche le commandant
Lhuillier, à droite Luçay Alidor.

Figure 15-4 – Plan de l’emplacement


choisi pour la construction
de la station météo.
Il semble bien que l’emplacement
indiqué sur ce plan n’ait pas été
respecté, le bâtiment préfabriqué
sera en effet construit au sud des
vestiges de l’habitat des naufragés si
l’on en croit les photographies prises
par Chedhomme en 1954 et la vue
aérienne de l’île (voir ci-après), à moins
qu’il ne s’agisse du second ensemble
décrit par le Commander Parker.

114
Reconnaissance en vue de l’installation d’une station météo

Figure 15-5 – De gauche à droite,


le commandant Lhuillier, Serge
Frolow et le capitaine Lombaert.

Figure 15-6 – Plan et profil de Tromelin


illustrant l’article de Lecarrieu dans le
no 18 de la Revue de Madagascar.

115
Tromelin. Mémoire d’une île

Dans les commentaires de Paulian, deux informations retiennent


l’attention  : l’enfouissement des structures de l’habitat des naufragés
de l’Utile et la présence dans la partie sud de l’île de débris d’épaves.
Un autre naufrage postérieur à celui de l’Athiet Rahamon s’est en effet
produit dans le sud de l’île (voir chapitre 14)

Un plan de l’emplacement choisi pour la construction de la station


météo, sur lequel figurent les vestiges de l’habitat des esclaves, ainsi que
l’emplacement où deux dépôts de vivres (des rations de l’Armée) furent
laissés dans les archives.

L’une des photos illustrant l’article de Paulian montre au premier plan


les vestiges d’un abri fait de pièces de charpente plantées dans le sol, en
arrière-plan on aperçoit les vestiges de l’habitat des esclaves. Paulian
ajoute à sa publication le plan de l’île levé par le capitaine Lombaert qui
figurait aussi dans la Revue de Madagascar.

Lombaert a dessiné une carte peu précise. Il a surtout été intéressé par la
longueur de la piste d’aviation et l’on constate qu’il a un peu négligé la
mesure de la largeur de l’île. Dans ses mémoires orales, il indique qu’avec
l’aide de Lecarrieu, il avait mesuré la longueur de l’île avec un double
décamètre. Il note avec amusement que les rats intrigués par leur travail,
sortis de leur trou, avaient sans être effrayés suivi en groupe l’extrémité
du décamètre pendant toute la mesure.

116
Chapitre XVI

Installation de la station
météo (avril-mai 1954)

L’année suivante, une seconde mission, à nouveau placée sous l’autorité


de Serge Frolow, fut organisée pour installer la station météo. Deux
adjoints techniques, Marc Jouanny et Chedhomme, avaient été chargés
de préparer le matériel et les vivres nécessaires à l’opération. En prévi-
sion du débarquement, les vivres furent conditionnés en emballage
étanche. Un bâtiment préfabriqué avec charpente métallique fut aussi
préparé.
Les rapports de mission de Serge Frolow
Il existe trois rapports de mission
Le Marius Moutet appareilla de Tamatave le 26 avril 1954 à 23  h  30.
établis par Serge Frolow : le premier Il avait chargé les 32 tonnes du matériel destiné à la construction de la
intitulé : Mission de reconnaissance à station, arrivées les jours précédents sur deux wagons de chemin de fer.
l’île Tromelin provenant des archives du
service météorologique de Madagascar
(Année 1953), fait partie d’un document
L’heure d’appareillage avait été choisie pour optimiser l’arrivée sur l’île
qui ne comporte ni date, ni référence, ni de Tromelin le 28 avril, mais le ciel couvert et la mauvaise visibilité ne
mention du rédacteur. Les trois premières permirent pas d’observer le soleil et en soirée faute de point précis, il
pages (folios 198 à 200) traitent de la fallut s’éloigner dans le sud-ouest. Le lendemain, les conditions d’obser-
mission de reconnaissance et constituent
sans doute le rapport no 0400/A du 22
vation ne s’étant pas améliorées, un point d’étoile fut tenté à travers les
janvier 1954 que S. Frolow cite dans un nuages, le résultat étant imprécis, le Marius Moutet entreprit de faire un
rapport ultérieur. Les autres pages traitent cercle autour de la position de l’île de Tromelin, sans parvenir à la décou-
des deux missions de 1954 (mai et vrir. Le 30 avril enfin, le ciel étant dégagé, il fut possible d’observer le
novembre), effectuées pour l’installation
de la station. Leur rédaction date du
soleil et à 9 h 00 l’île était en vue. A 10 h 00 du matin, le Marius Moutet
début 1955 dans la mesure où le texte mouilla à 1500 m au large de la pointe nord-ouest.
fait mention du passage du croiseur
Jeanne d’Arc à Tromelin qui a eu lieu L’installation de la station fut réalisée par l’équipe suivante : l’ingénieur
le 17 janvier 1955.Le troisième rapport
de 11 pages est intitulé : Rapport sur
en chef de la Météo Serge Frolow, l’ingénieur de la météo Langlois, le
l’installation de la station météorologique médecin commandant A. Legeais, le géologue R. Pavlovsky, l’adjoint
de l’île Tromelin, il est signé et daté du technique Jouanny, l’adjoint technique Chedhomme, le commis prin-
15 mai 1954, sans autre référence. cipal Rapiera, deux ouvriers spécialisés, dix manœuvres malgaches, six
  
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aux ^ 
 
~  
manœuvres destinés à aider au débarquement de matériel et à assister
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 le géologue. Quatorze personnes restèrent sur l’île après le débarque-
baliseur 
‚„"†‚„‡"%<

‚„"† ‚„‡"%< ment et l’installation des matériels  : les deux agents techniques, les

117
Tromelin. Mémoire d’une île

dix manœuvres malgaches et les deux ouvriers spécialisés. Les ouvriers Figure 16-1 – L’équipe des ouvriers
malgaches resteront eux aussi des «  oubliés de Tromelin  », dans la malgaches et l’adjoint technique
mesure où nous n’avons pu retrouver le nom d’aucun d’entre eux. Chedhomme (à gauche).

Comme il fallait s’y attendre, le débarquement du matériel allait poser


de nombreux problèmes. Le commandant Robain, avait fait construire
un radeau capable de contenir 7 à 800 kg, soutenu par des fûts de 200
litres, outre le radeau on disposait d’un youyou à aviron de 7 m, et d’une
vedette à moteur qui était destinée à remorquer radeau et youyou à
proximité de la plage. Il était par ailleurs prévu de mettre à l’eau tout
le matériel qui pouvait flotter comme les panneaux de contreplaqué
marine destinés à équiper les parois du bâtiment et les fûts.

Vers 11h30, la reconnaissance effectuée par Robain et son second avec


la vedette conclut à l’impossibilité de débarquer. Les prévisions météo
étant pessimistes, il fut décidé de tenter de débarquer à l’aide d’une
pirogue à balancier vezo qui avait été embarquée à bord du Marius
Moutet, outre un marin vezo, Frolow, Legeais et Jouanny y prennent
place au début de l’après-midi. Cependant remorquée jusqu’à une
centaine de mètres de la plage, la pirogue est immédiatement retournée.
Ses occupants peuvent regagner la vedette à la nage et la pirogue récu-
pérée est ramenée à bord.

Une troisième tentative est alors effectuée à l’aide du youyou réputé


plus maniable. Vers 15 h 00, la vedette remorque le youyou jusqu’à une

118
Installation de la station météo

distance de 2 à 300 mètres de la plage. Ce dernier barré par Le Gallic, le


second du Marius Moutet, parvient à franchir les déferlantes et à aborder
sur la plage, bien que rempli d’eau. Plusieurs voyages sont alors effec-
tués afin de débarquer le minimum de matériel nécessaire : tente, vivres,
eau, distillateur, matériel de couchage. Serge Frolow constate alors que
le profil de la côte a été profondément modifié par les cyclones passés à
proximité de l’île. Le point de débarquement utilisé en 1953 a complè-
tement disparu remplacé par une plage ayant une pente de près de 30
degrés. Pavlovsky, le géologue, débarque avec une équipe pour essayer de
creuser un puits.

Le lendemain 1er mai, le transfert de matériel reprend dans les mêmes


conditions mais les difficultés du franchissement des déferlantes et de
l’arrivée sur la plage, jointes au manque d’entraînement de l’équipe
d’ouvriers malgaches débarqués entraînent plusieurs accidents dont
celui d’un ouvrier qui est heurté par le youyou alors qu’il est soulevé
par une vague1. La présence du médecin commandant Legeais permet
de s’assurer que le cas du blessé peut être géré sur place. Dix voyages
permettent de mettre tous les vivres à terre, mais la caisse de l’émetteur
radio2 s’est ouverte et il faudra en faire la révision avant qu’il ne fonc-
tionne. Le riz mouillé au cours du débarquement est mis à sécher.
Figure 16-2 – Retour de la vedette
1. Le médecin commandant Legeais diagnostiquera une côte fracturée.
remorquant la pirogue chavirée.
2. Il s’agit d’un émetteur de 50 W fourni par la société SFR avec le matériel de contrôle et des
Figure 16-3 – Préparation de pièces de rechange. L’énergie est fournie par deux groupes électrogènes à essence portatifs de
la pirogue à balancier. 1,5 et 3 Kw.

119
Tromelin. Mémoire d’une île

Le 2 mai au premier voyage, c’est au tour de la vedette de s’échouer et il Figure 16-4 – Les ouvriers malgaches
ne faudra pas moins de vingt-trois hommes pour la soustraire aux défer- mettent au sec la vedette échouée.
lantes, au prix de nouveaux blessés légers. Mais il s’avère alors impossible
de remettre la vedette à l’eau. Dans l’après-midi le Marius Moutet profi-
tant d’une accalmie vient mouiller à environ 300 mètres du rivage et
fabriquant une bouée avec quelques fûts vides parvient à mettre à terre
un filin de 400 m de long et à tirer la vedette de son mauvais pas. Il faudra
cependant entièrement démonter le moteur pour le remettre en état. Le
débarquement du matériel est suspendu. L’eau venant à manquer sur
l’île, on décide de monter le distillateur3 et de le mettre en marche. Fort
heureusement avant que l’opération ne soit terminée, la pluie se met à
tomber.

Le 4 mai, l’alizé a fraîchi et ce n’est que vers 17  h  00 qu’une période


de calme permet de poursuivre le débarquement du matériel. Le reste
du matériel, en particulier une seule tonne de ciment est débarquée le
lendemain avant le départ le 5 mai vers 18 h 30. La nuit est en train de
tomber, le Marius Moutet qui s’éloigne salue les hommes qui restent de
trois coups de sirène, c’est alors qu’au-dessus de l’île, en guise d’adieu,
trois fusées s’élèvent l’une après l’autre dans les ténèbres puis un instant
après une fusée verte. Le Marius Moutet atteindra Tamatave le 7 mai à
1 heure du matin.

Le 6 mai, la liaison radio est établie et les premières observations météo-


rologiques sont transmises. Dès le 7 mai, au cours d’une liaison radio,
3. Ce distillateur fabriqué par l’atelier mécanique du service météorologique, produit 14 à
15 litres d’eau à l’heure.

120
Installation de la station météo

Figure 16-5 – Déséchouage


le médecin commandant Legeais diagnostique une crise d’asthme
de la vedette.
chez un manœuvre malgache et lui prescrit des soins. Dès le 10 mai, on
commence à travailler à la construction du bâtiment préfabriqué et à
l’aménagement de la piste d’aviation. La dalle sur laquelle le bâtiment
préfabriqué est installé fut réalisée avec du ciment de chaux fabriqué sur
place par la calcination de blocs de corail.

Les météorologues intrigués par les vestiges de construction entreprirent


de creuser au pied de l’un des murs construits en blocs de corail. Comme
le montre la photo ci-contre, le fouilleur fut l’adjoint technique Marc
Jouanny. L’ardeur mise par Jouanny à creuser a sans doute plus à voir avec
la légende du pirate Olivier Levasseur dit La Buse qu’avec le naufrage
de l’Utile. Ce dernier avait capturé en 1721, en rade de Saint-Denis, la
Vierge du Cap, un vaisseau portugais richement chargé. La légende veut
que le 7 juillet 1730 à Saint-Denis, le célèbre pirate ait lancé depuis le
gibet où il allait être pendu, un parchemin contenant un cryptogramme
en s’écriant : « Mon trésor à qui saura le prendre ! » Depuis cette date,
il n’est d’île de l’océan Indien où quelque chercheur, ayant pensé avoir
trouvé la clef du mystère, n’ait tenté de retrouver le fameux trésor.

Le médecin commandant Legeais rend compte de son séjour4 , à ce


propos il note :

« Nous avions également vu sur le monticule nord de l’île des vestiges de


ce que l’on considérait comme les anciens abris des naufragés, petites cases
grossièrement formées de pierres de corail empilées les unes sur les autres.
Figure 16-6 – L’adjoint technique 4. Legeais Alain, Naufragés volontaires à l’île de Tromelin, La grande île militaire, no 19,
Jouanny creusant au pied d’un mur. octobre 1954, p. 12-13.

121
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 16-7 – Vue d’une partie des


vestiges de l’habitat des esclaves.

Alain Legeais
Né le 6 mai 1915 à Tuléar, devenu
médecin militaire, il entre dans la
résistance après l’invasion de la France
par l’armée Allemande, sans doute
dans l’organisation de résistance armée
=% >  
< ˆ> 
1943, il est déporté à Buchenwald
par un convoi parti de Compiègne le
17 janvier 1944 (matricule 39854).
Il est ensuite dirigé vers Flossenbürg
où il sera libéré le 23 avril 1945. Il
est mort en 2002 à l’âge de 87 ans
Les météorologistes permanents ont fouillé le sol en ce point; ils ont pu se
\
> \> >
<
rendre compte d’un fait important : ce que nous avions pris pour la structure Avec deux autres médecins : Jacques
Michelin et Michel Bommerlaer, il eut
de niveau de ces abris n’est en réalité que la partie supérieure des murs qui une conduite exemplaire dans le camp
prennent assise à 2 m 50 de profondeur. En dégageant ainsi les parois d’une case de Flossenburg. Leur action permettra
les explorateurs ont trouvé successivement les débris métalliques d’une toiture, de sauver plus de 2000 détenus des
de petites fenêtres, les traces d’un foyer et, au milieu d’un humus formé de « marches de la mort » organisées
par les SS peu avant la libération du
détritus décomposés, ils ont découvert une gamelle en cuivre ancien (rapiécée camp. Un livre intitulé En ces années-
en de multiples points), des aiguilles de métal comme on en voit encore entre les là> 
‰ >!
 _
mains des couturière malgaches, de pauvres bijoux de pacotille et des amulettes de Michel retrace les heures de la
ou gri-gri. déportation des trois médecins.
A quelques mètres de cette fouille, sous une
plus faible couche de sable, il a été trouvé, en
bon ordre et intactes, des briques d’argile cuite
sur lesquelles on lit distinctement des
inscriptions en langue anglaise. »

Legeais publie plusieurs articles  : dans la


revue  La médecine aéronautique5 , dans la
revue Forces aériennes françaises6 , c’est sans
doute lui aussi qui écrit un article signé
«  A.L.  »et publié dans l’Almanach du
Pèlerinen 1956 7.

5. Médecin commandant LegeaisAlain, Chef du service de santé de l’Air en A.O.F., Mission Figure 89 – Almanach du
à Tromelin, dans Médecine aéronautique, Volumes 9 à 10, 1954, p. 106-108. Pèlerin 1956, p. 102.
6. Forces aériennes françaises, revue mensuelle de l’armée de l’Air, no 106, juil. 1955, p. 89
à 109.
7. L’île Tromelin, une belle aventure sous le signe de la météorologie française, Almanach du
Pèlerin, 1956, p. 102-103.

122
Installation de la station météo

Figure 16-9 et 16-10 – Arrivée Le premier avion se pose sur la piste


du Toucan no 372, le 23 juillet 1954.
(23 juillet 1954)

Le 23 juillet 1954, premier Un radiophare a été installé 8 et l’aménagement de la piste est terminé
vol vers Tromelin le 20 juin. Le premier vol prévu dès cette date est différé. Le 23 juillet,
Si cette date était mentionnée après deux essais infructueux officiellement en raison de la mauvaise visi-
précisément dans l’article rédigé par bilité9, mais probablement parce que l’île n’a pas été trouvée, le premier
le médecin commandant Legeais dès
avion AAC 1 Toucan10 n° 372 de la base aérienne 181 d’Ivato, immatri-
1955, on ne pouvait, compte tenu du
mauvais état de conservation du rapport culé F-SCLL, se pose sur l’île. Il est piloté par le capitaine André Poux,
de Frolow, lire que le chiffre 3. Ainsi son navigateur est l’adjudant-chef Espinet.
 { 
 _Š  
mêmes (Guérout, Romon 2010, p. 28),
mentionnent par erreur soit la date du 9
juillet (Malick, 1976 ; Oraison 1987…),
soit celle du 8 juillet (Pénette 2005).
Ce dernier ouvrage indique p. 35 : « 8
juillet [1954], première liaison aérienne
Madagascar – Tromelin, la poste appose
un cachet spécial sur le courrier », ce
qui semble indiquer que la date du vol
a très probablement été déduite de celle
 \  
^
<
Ce dernier est parfois apposé avant le
départ, comme le montre les quelques
    <~ˆ 
aussi ces enveloppes « Première liaison
aérienne Tromelin – Madagascar »
 >>
 >

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des deux tentatives avortées dont nous
ne connaissons pas les dates exactes.
Legeais signale à propos du vol du
31 juillet : « En même temps 17 kg
de lettres faisaient le voyage aérien
entre Tananarive, Antalaha, Tromelin
et retour pour le plus grand plaisir
des p philatélistes
a é s es du monde
o de entier
e e »..
8. Il s’agit d’un radiophare américain du type B.C. 191 prêté par l’armée de l’air.
9. Ces deux essais infructueux sont mentionnés dans le rapport de mission de Serge Frolow,
Figure 16--11 – Le Toucan du 23 juillet f°202, l’un d’eux a probablement eu lieu le 9 juillet.
1954 sur le parking (Musée de l’air 10. Il s’agit de la version française du Junker 52 construit après la guerre par les usines Amiot
et de l’espace – réf. MA 36563). à Colombes (France) et baptisée AAC1 Toucan.

123
Tromelin. Mémoire d’une île

Premières photographies aériennes


Lors de ce vol du 23 juillet, le capitaine Poux effectue la première
couverture photographique de l’île. Et, à la suite de cette mission, le
colonel Fleurquin, commandant de l’Air en Afrique orientale fran-
çaise, transmet au directeur du service de la Météorologie à Madagascar,
le compte rendu du médecin commandant Legeais, accompagné de
3 photos verticales (échelle approximative 1/2000) et de 15 photos
obliques et vues du sol11. Il y joint les observations suivantes :
Figure 16-12 – Timbre émis par les TAAF
le 20 septembre 2014 à l’occasion
« La deuxième mission à laquelle participait le Médecin Commandant Legeais du 60ème anniversaire du 1er vol.
permet d’apporter les précisions suivantes :
Les « bosses » signalées sur la piste par le capitaine Poux sont dues à des
apports de sable par le vent ;
La piste est bonne et seule une vérification devra être effectuée avant chaque
atterrissage ;
La position de l’île donnée par les documents anciens est certainement erronée.
Au lieu de 15° 54’S – 54° 29’E, elle semblerait après restitution des divers
éléments de navigation, être la suivante : 16°14’S – 54° 10’E. Toutefois ces
coordonnées ne pourront être confirmées qu’à l’occasion d’une mission d’étude
ayant en particulier la possibilité d’effectuer plusieurs séries de mesures de
hauteur sur les étoiles. »

Cet ensemble de photographies n’a été retrouvé ni dans les archives


de Météo-France La Réunion, ni dans les archives du SHD, et il nous
a fallu de longs mois pour en retrouver quelques-unes, souvent par le
plus grand des hasards. Par exemple deux d’entre elles sont apparues au
début de l’année 2012 sur le site Internet « Google images » sans que
nous ayons pu remonter à leur source12 .

Fort heureusement la définition de ces images était suffisante pour que


nous puissions en réaliser un agrandissement. Figure 16-13 – Lettre de félicitations
adressée au capitaine Poux en
date du 16 décembre 1954.
Sur le même site de vente en ligne est également apparue une troisième
photo en basse définition accompagnée d’une carte postale adressée le
31 juillet à Madame R. Lombaert, peut-être par le capitaine Lombaert
lui-même. L’acheteur Philippe Roulois, retrouvé et identifié, a accepté de
nous l’envoyer en haute définition, qu’il en soit ici remercié.

Ce n’est qu’en 2014 que nous avons retrouvé un article rédigé par le
médecin commandant Legeais13 , qui est illustré par les deux photo-
graphies ci-dessus. Elles sont accompagnées à la page 90 d’un montage
photo de vues verticales (voir chapitre 17) qui servira par la suite à l’éla-
boration de la carte du Père Cattala.

Figure 16-14 – Photographie dont le


négatif porte le no 10.
11. Bordereau no 3784 AORF/3/OPS du 2 septembre 1954 Figure 16-15 – Détail de la
12. Ces tirages de l’ensemble du négatif portaient les no 8 et no 10. station en 1954 (agrandissement
13. Legeais 1955. du tirage du négatif no 10).

124
Installation de la station météo

125
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 16-16 – Photographie


accompagnant la lettre du
capitaine Lombaert.

Figure 16-17 – Carte envoyée par le


capitaine R. Lombaert à sa femme à
l’occasion de la seconde mission.

Evacuation des ouvriers et des malades


(31 juillet 1954)

Un deuxième vol, assuré par un Toucan AAC1 de la base aérienne 181,


se pose le 31 juillet, il est piloté par le sous-lieutenant Dubreuil, son navi-
gateur est le sous-lieutenant Laffont. Il vient récupérer six manœuvres
dont l’un souffre d’asthme14 et l’adjoint technique Chedhomme qui
est tombé malade le 23 juillet15 et doit être hospitalisé à Tananarive.
14. Legeais, (A. Legeais, 1954, p. 108) précise à ce propos : « Les météorologistes de Tromelin
dirent, non sans humour, qu’ils perdaient leur meilleur prévisionniste. Cet asthmatique ne
faisait pas mentir les auteurs classiques : il “indiquait” les changements de temps avec une
régularité et une ponctualité que lui seul regrettait. »
15. Chedhomme souffre de nausées, de vomissements et se plaint de vives douleurs au creux
de l’estomac, les prescriptions du médecin commandant Legeais lui permettront d’attendre
jusqu’au 31 juillet dans de meilleures conditions.

126
Installation de la station météo

C’est ainsi que 178 ans après le sauvetage des sept femmes malgaches
et du bébé de l’une d’entre elles, sept ouvriers malgaches et un français
allaient à leur tour quitter l’île.

A l’aide des photos aériennes prises par l’armée de l’Air, de celles de


Figure 16-18 – Le campement.
Figure 16-19 – Timbre émis
l’adjoint technique Chedhomme (dit album de Chedhomme)16 et de la
par les TAAF en 2014. topographie que nous avons effectuée au cours des campagnes archéo-
logiques de 2006 à 2013 (voir ci-après), nous avons essayé de restituer le
plan de la station météorologique.
Figure 16-20 – L’une des tentes
prêtées par l’armée.

16. Série de 48 photographies prises entre le 1er mai et le 31 juillet 1954 se trouvant dans les
archives de Météo-France La Réunion.

127
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 16-21 – Plan de restitution de la station en 1954 (carroyage de 50 m de côté).

128
Chapitre XVII

Poursuite de l’installation de
la station et cartographie
de l’île (1954-1955)

Première liaison radioamateur (13 novembre 1954)

Le 13 novembre 1954 à17 h 30 GMT, Marc Jouanny, chef de la station,


mais aussi opérateur radio du service météorologique de Madagascar,
effectue la première émission radioamateur depuis Tromelin. Il émet
sous l’indicatif FB8BK/T (/T pour Tromelin). Son correspondant,
Ami Shami, indicatif 4x4DK, est israélien. Ainsi inaugurées, les acti-
vités des radios amateurs (qu'ils soient des personnels de la météo ou
venant de l’extérieur) seront nombreuses par la suite.

Figure 17-1 – Carte QSL


de Marc Jouanny.
Figure 17-2 – Ami Shami.

Deuxième mission d’installation de la station météorologique


(novembre 1954)

Le Marius Moutet effectue une seconde mission à la fin de l’année. Ayant


appareillé de Tamatave, le baliseur arrive à Tromelin le 21 novembre ; il
en repartira le 24.

L’opération est dirigée par l’ingénieur de la météorologie Raymond


Trendel. L’équipe se compose de l’adjoint technique Risoli, de deux

129
Tromelin. Mémoire d’une île

commis du service météo, d’un maçon et de quatre manœuvres. Risoli


vient prendre la relève de Jouanny qui vient de passer six mois sur l’île.

Participent aussi à cette mission le médecin commandant Legeais et le


docteur Edouard Brygoo, sous-directeur de l’institut Pasteur de
Madagascar. Ce dernier observe les oiseaux présents et bague une centaine
de fous à pieds rouges. Il publie ses observations l’année suivante1.

On note deux remarques intéressantes  dans son rapport. La première


Figure 17-3 – Timbre émis
concerne la présence très fréquente dans les nids de fous à pieds rouges
par les TAAF en 2012.
(Sula sula) d’extrémités de branche encore verte ou à moitié fanée de
patate à Durand. La seconde concerne la description de l’attaque des
Edouard Brygoo
fous par les frégates : 
Médecin et biologiste, né à Lille le
22 avril 1920, il fait ses études au
« Celles-ci attendent leur retour de la pêche et l’on observe au moment service de Santé navale de Bordeaux
de l’interception, des combats aériens tournoyants où plusieurs frégates (1939). Après un stage au service des
pourchassent un malheureux fou jusqu’à ce qu’il ait accepté de rejeter le ou les anaérobies de l’institut Pasteur de Paris
poissons qu’il rapportait à sa progéniture. L’adresse des frégates est telle qu’il (1949-1950), le début de sa carrière se
déroule outre-mer : chef de laboratoire
est bien rare que le poisson rejeté par le fou arrive au sol. Il est happé en cours de à l’Institut Pasteur de Saigon (1950-
chute par un des poursuivants, et l’on pourrait croire au passage bien réglé d’un 1952) ; sous-directeur (1954-1962),
relais ou à un ravitaillement en vol bien organisé si les cris des antagonistes ne puis directeur (1962-1974) de l’institut
prouvaient qu’il s’agit plutôt d’une agression armée. » Pasteur de Madagascar. De retour en
métropole, il devient adjoint au sous-
directeur de l’institut Pasteur de Paris,
Passage du croiseur école Jeanne d’Arc (Janvier 1955) chargé des instituts Pasteur Outre-mer
(1975-1977). Il sera aussi membre de
Après une escale à Port-Louis (île Maurice) du 12 au 16 janvier 1955, le l’Assemblée de l’institut Pasteur. Il est
admis dans le cadre de réserve avec
croiseur école Jeanne d’Arc2 accompagnéde l’aviso La Grandière, se le grade de médecin général en 1974.
dirige vers Diego Suarez où il arrivera le 19. C’est donc le 17 janvier que Professeur de zoologie, il enseigne
le croiseur s’arrête près de Tromelin. L’état de la mer empêche toutefois MNHN
au MN N de Paris
a s ((1978-1989).
978 989).
tout débarquement3 .

Figure 17-4 – Le croiseur


école Jeanne d’Arc.

1. Brygoo E., Observations sur les oiseaux de Tromelin. Le naturaliste Malgache, VII Fascicule
2, 1955, p. 209-214.
2. Construit à Saint-Nazaire ce croiseur entre en service le 6 octobre 1931, il naviguera
jusqu’en 1964 et effectuera pas moins de 26 campagnes destinées à la formation des officiers
de Marine.
3. Rapport sans date de S.Frolow

130
Poursuite de l’installation de la station et cartographie de l’île

Figure 17-5 – Carnet de vol Un Junker 52 assure une liaison le 14/15 avril 1955
de l’adjudant Lucas.

Ayant décollé le 13 avril de Antalaha, le junker no 152 piloté par l’adju-


La penture trouvée par Auguste Lucas
dant Clément avait déjà tenté, sans succès, de trouver l’île de Tromelin.
En se promenant sur l’île, Lucas avait
trouvé une penture de coffre en bronze. Arrivé le 14 avril, le Junker en repart le lendemain. A cette occasion
Il devait nous la remettre cinquante
ans plus tard à Paris, ayant appris l’adjudant radio Auguste Lucas effectue une prise de vue aérienne de
notre intention d’organiser une fouille l’île qui s’ajoute à celles réalisées l’année précédente. Cette photogra-
archéologique. Nous ne savons pas phie incluse dans le carnet de vol de Lucas se trouve également dans les
où cette penture de coffre ou de collections du musée de l’Air et de l’Espace.
panneau a été trouvée. Toutefois elle
nous fait penser au passage du texte
manuscrit cité plus haut et décrivant
la manière dont Castellan du Vernet
     Π
 \
« Le Sieur castellan du Vernet va
jusqu’à perfectionner ses inventions ;

{  Π
 \

de la basane, le dessus d’un coffre &
deux panneaux de la grande chambre
u servent
lui se ve à ene faire
a e laa bo u e. »
boiture.
0 5 cm

Figure 17-6 – Penture de coffre en


bronze trouvée par Auguste Lucas.

131
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 17-7 – Le Toucan (Junker)


no 152 survole Tromelin le 14 avril
1955 (Photo musée de l’Air et de
l’Espace, Réf MA 36 536).

Louis Cattala dresse une carte terrestre de l’île (septembre


1955)

A l’occasion d’une liaison aérienne assurée par l’armée de l’Air le 12 et Louis Cattala (1904-1963)
13 septembre 1955, le révérend père Louis Cattala effectue le calcul de Né à Bédarieux en 1904, il rentre
la position de l’île. dans la Compagnie de Jésus en
1922. Il sera assistant à l’observatoire
de Tananarive de 1925 à 1928.
Toutes les positions antérieures ayant été déterminées à la mer, il deve-
Chercheur au CNRS de 1946 à 1957,
nait nécessaire de faire des mesures à terre pour calculer une position puis à l’ORSTOM de 1958 à 1963,
précise afin de faciliter les atterrissages, qu’ils soient maritimes ou a ée où il meurt
année eu accidentellement.
acc de e e e .
aériens.

Aidé par Chedhomme, du service des transmissions de la météorologie


et l’adjudant-chef radio de l’avion pour la réception des signaux horaires
et la vérification du chronomètre, Cattala observe le soleil, puis dans la
soirée les étoiles. Ses observations lui permettent d’obtenir deux couples
de droites de hauteur perpendiculaires deux à deux. Les calculs sont
effectués au retour à Tananarive.

La position ainsi déterminée est :


Latitude (à l’Est de Greenwich) : 54°30’54’’±7’’
Longitude  : 15°53’01’’±7’’

Cette position place l’île 11 kilomètres plus à l’Est et 2,5 kilomètres plus
au Sud que la position portée sur les cartes. Il effectue aussi, la mesure de
la déclinaison magnétique et de l’intensité de la pesanteur. Il remet son
rapport à la Météo, le 3 octobre 19554 , soulignant que, contrairement
aux doutes émis l’année précédente, la position donnée par les docu-
ments anciens était, à peu de chose près, correcte. Il publie ses résultats

4. Rapport du R.P. Cattala, chargé de recherches au CNRS  : Position géographique et


déclinaison magnétique de l’îlot Tromelin, 3 oct. 1955.

132
Poursuite de l’installation de la station et cartographie de l’île

Figure 17-8 – Carte publiée en 1956


par le S.G.M. à partir des photos
verticales de l’Armée de l’Air et des
travaux du Révérend Père Cattala,
chargé de recherches au CNRS.

Figure 17-9 – Détail de la


carte du R.P. Cattala.

la même année5 . Un montage photo de vues aériennes verticales illustre


un article rédigé par le médecin commandant Legeais6 .

5. Cattala L., Position géographique, valeur de la déclinaison magnétique et intensité de la


pesanteur à l’ilôt Tromelin, Bulletin de l’Académie Malgache, t. XXXIII, 1955, p. 1-2.
Cattala Louis, R.P., Position géographique de l’ îlot Tromelin et déclinaison magnétique,
Annales hydrographiques, t. 7, 1956.
6. Legeais 1955, p. 91.

133
Tromelin. Mémoire d’une île

Deux nouvelles missions du Marius Moutet Figure 17-10 – Montage photo illustrant
l’article du médecin commandant
La première mission a lieu en novembre, le Marius Moutet appareille de Legeais. Lle nombre de photos montées
Tamatave le 17 au soir 7. Il doit assurer la relève du personnel. Le chef (environ 24) est plus grand que le
nombre indiqué sur le bordereau du 2
de station qui a passé six mois sur l’île est relevé par Luçay Alidor. Il
septembre 1954. Une mission photo
débarque également du matériel, en particulier les éléments du pylône ultérieure a sans doute été effectuée.
destiné à installer un phare dont la mise en place a été décidée. Le 31 mai
1955, le directeur général des Travaux publics s’était en effet ému d’un
accident évité par un heureux concours de circonstances : 

« Le Directeur du Service Météorologique m’a informé que, au cours du mois


de janvier dernier, un navire, inconnu, faisait route sur les récifs de l’île et n’a
changé de route qu’au dernier moment lorsque les lumières électriques de la
station se sont allumées pour son émission de 3 heures du matin.8»

La commission des phares réunie le 20 octobre9 donne son accord pour


l’installation d’un phare de couleur blanche à occultation d’une période
de 6 secondes (4,5 de lumière, 1,5 d’obscurité) dont la portée, compte
tenu de la hauteur de son foyer (12  m), sera de 11 milles nautiques.
Une dizaine d’ouvriers est débarquée pour ériger le pylône, alors même

7. AN (Pierrefitte-sur-Seine) - Carton F/14/20994 - Baliseur Marius Moutet (1946-1954)


8. AN (Pierrefitte-sur-Seine) – Carton 198 00213/105 - Phares et balises – Lettre no 1649
TP/SM du 31 mai 1955 adressée par le Directeur Général des Tavaux publics au Directeur
des phares et balises.
9. AN (Pierrefitte-sur-Seine) – Carton 198 00213/105 - Commission des phares, compte
rendu de la séance du 20 octobre 1955.

134
Poursuite de l’installation de la station et cartographie de l’île

que l’arrêté du ministre de l’Outre-Mer, n’a pas encore été signé  ; il


le sera le 20 décembre. Le feu installé est l’ancien fanal de Manakara
(Madagascar), alimenté par une lampe à pétrole, dont les caractéris-
tiques diffèrent légèrement de celles qui avaient été prévues : 5 secondes
de lumière pour 1 seconde d’obscurité. La rotation du feu est assurée
par un mécanisme à ressort. Le Marius Moutet quitte Tromelin le 25
novembre au soir et rallie Tamatave le 28 à midi.

Figure 17-11 - Embarquement du matériel


à Tamatave.

Figure 17-12 - Pylône météo, pylône


éolienne et bâtiment préfabriqué
(décembre 1955)

Figure 17-13 - Phare et abri météo


(décembre 1955)

135
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 17-14 – Plan de restitution de la station en 1955.

136
Chapitre XVIII

Tromelin habitée,
la station météo reconstruite
Chronique des événements survenus entre 1956
et 1972

Le cyclone du 25 janvier 1956

Lorsque parvient la nouvelle des destructions occasionnées par le


cyclone du 25 janvier 1956 sur la Grande Île, la Revue de Madagascar
s’apprête à publier le récit par Pierre Platon de la mission du Marius
Moutet en décembre 1955. Dans l’urgence, on ajoute un post-scriptum
rédigé par Gilbert Saron :

« La perturbation glissant au nord de l’île Saint-Brandan, atteignit Tromelin le


25 janvier 1956 vers 2 h 30 du matin, à une vitesse de 16 km/heure. Les derniers
renseignements, transmis à Tamatave par les trois courageux météos, accusaient
une pression de 961,5 millibars soit 720 mm de mercure. Les vents soufflaient à
la vitesse prodigieuse de 200 km/heure.
Le phénomène avait été détecté par les trois techniciens résidant à Tromelin,
dès le 17 janvier. Ils ont suivi, ensuite, très régulièrement, la marche donnant à
Tananarive les renseignements les plus précis, d’heure en heure, renseignements
qui étaient immédiatement retransmis par Radio-Tananarive afin d’alerter les
points de la côte malgache (Sainte-Marie, Tamatave), où le cyclone devait, d’après
les calculs, aborder la Grande Île, et poursuivre sa route au-dessus du Territoire
par l’Alaotra, jusqu’à la côte du canal de Mozambique. Toutes dispositions
possibles de protection purent ainsi être prises dans les régions menacées.
Mais les météos de Tromelin furent huit jours après les victimes du dangereux
phénomène qu’ils avaient ainsi repéré.
Aujourd’hui hélas Tromelin est rasée. Toutes les installations météorologiques
ont été emportées par le vent, sauf le phare qui, construit en poutrelles
métalliques et assis sur des fondations profondes et solides, a résisté aux éléments.
Les anémomètres de l’île ont fonctionné jusqu’à ce que le vent atteigne 180 km/
heure, puis ont été brisés. M. Alidor, le chef de station, a estimé à 200 km/h la
vitesse du vent au moment où le cyclone passait au-dessus de Tromelin.
Les constructions solidement haubanées ont été arrachées du sol comme fétus de
paille. Les 9/10 des appareils sont perdus. Les antennes radio ont été emportées.

137
Histoire de l’île Tromelin

M. Alidor a pu sauver un émetteur radio, mais faute d’antennes, il n’a pu


communiquer avec Tananarive du 24 janvier à 23 h 30 jusqu’au 25 janvier 16
heures. La direction de la Météorologie du Territoire était alors dans l’angoisse
se demandant si l’océan n’avait pas submergé l’îlot.
Cependant le 25 janvier à 16 h 00, grâce à une antenne de fortune, les météos de
Tromelin appelaient Tananarive. Et les messages commençaient par ces mots :
« Je suis assis dans la nature sur une caisse en train d’essayer de communiquer
avec vous. » C’était la confirmation du désastre.
Le chef de mission rassura immédiatement Tananarive sur le sort de son équipe.
Le passage du cyclone, grâce aux précautions prises à la suite de l’avertissement
donné par la direction du service météorologique n’avait causé aucun accident
de personnes. Seul le matériel avait été anéanti. En plus du poste radio, M.
Alidor avait cependant réussi à sauver un baromètre enregistreur.
L’Alambic qui fournissait l’eau potable aux membres de la mission avait
disparu. Quelques vivres seulement purent être sauvés. Un avion militaire,
envoyé de Tananarive, a pu heureusement porter secours assez rapidement aux
trois « naufragés » de Tromelin.
Signalons également en terminant la conduite digne d’éloges des deux
commis malgaches, Ranaivombola et Norbert Ravelomanantsoa, qui ont
remarquablement secondé le chef de mission M. Alidor1. »

Reconstruction de la station

Dès le mois d’avril le Marius Moutet effectue une mission vers Tromelin.
Parti de Tamatave le 17, il aperçoit l’île le 19 avril à 9 h 00. Le baliseur
mouille en face de la plage nord et établi un va-et-vient entre le bord et la
terre et commence à débarquer les 30 tonnes de ciment et de marchan-
dise diverses embarquées. En fin d’après midi un mouillage plus éloigné
est pris pour la nuit. Le va-et-vient est rétabli le lendemain matin. Le
matériel mis à terre, le Marius Moutet appareille pour Madagascar vers
20 h 30 2 .

Figure 18-1 – Vue générale de la station


en janvier 1963.

1. Post-scriptum de Gilbert Saron, à l’article de Pierre Platon, Revue de Madagascar,


no 26 1956.
2. AN (Pierrefitte-sur-Seine) - Carton 19800213/106 – Baliseur Marius Moutet (1955-1967)
– Rapport de mission daté du 22 avril 1956.

138
Tromelin habitée, la station météo reconstruite

Figure 18-2 – Vue de l’abri enterré et de


la cuisine en 1963 (Photo prise depuis la
plateforme du phare).

La station est rebâtie dans le courant de l’année 1956. A l’emplacement


du bâtiment préfabriqué qui avait été détruit, un bâtiment technique
en dur est construit, puis à proximité un second bâtiment identique,
destiné à l’administration. Pour permettre aux personnels de se mettre à
l’abri en cas de cyclone, un abri et une cuisine semi-enterrés sont égale-
ment bâtis. Un local destiné à abriter le groupe électrogène et une citerne
Figure 18-3 - Plan de restitution de la ont été installés à côté du bâtiment technique. Seul le pylône du phare a
station en 1962 résisté à la fureur du cyclone, l’éolienne pliée par le vent est réinstallée

139
Histoire de l’île Tromelin

au même endroit, le pylône météo qui soutenait l’anémomètre est mis en


place plus au nord et une antenne radio est implantée à l’est du phare. La
citerne est alimentée par de l’eau de pluie provenant du toit du bâtiment
technique ; elle recueille aussi celle provenant du toit de l’abri enterré au
moyen d’une conduite enfouie dans le sol. Un petit bâtiment destiné à la
fabrication de l’hydrogène utilisé pour le gonflage des ballons sonde est
érigé au nord du bâtiment administratif. Une allée conduisant de l’aire
de parking de la piste d’aviation au bâtiment technique est aménagée.
Le visiteur passe sous un premier portique sur lequel est inscrit un texte
lui souhaitant la bienvenue : « BIENVENUE A NOS HÔTES », un
second portique porte le nom de la station : « SERGE FROLOW ».

Les missions du Marius Moutet

Le baliseur Marius Moutet va dès lors accomplir chaque année une


liaison avec l’île.

En 1957, parti de Tamatave le 24 mars, le baliseur arrive le 28 à


Tromelin, d’où il repart le 30. Il revient à son port de départ le 1er avril.

En 1958, le Marius Moutet appareille de Tamatave le 31 mars en fin


d’après midi, avec huit passagers dont Serge Frolow, directeur des
services météorologiques, Cozanet, inspecteur des affaires adminis-
tratives, le médecin colonel Berthon et neuf manœuvres. Tromelin est
aperçue le matin du 2 avril. Le baliseur est équipé d’un nouveau canot
de 6 mètres plus maniable, mais au second voyage l’équipage ne maîtrise
pas le canot qui est emporté au large par le ressac. Ce dernier récu-
péré par la vedette sera halé sur la plage grâce à une ligne lance-amarre
envoyée à terre à l’aide d’un ballon-sonde lesté, permettant de mettre
en lieu sûr le poste radio émetteur. Le même type de va-et-vient permet
de décharger une cinquantaine de fûts, dont neuf d’essence. Le Marius
Moutet repart le 3 avril vers Tamatave où il arrive le 5 avril3 .

En 1959, le baliseur quitte son mouillage de Angontsy le 23 avril ; l’île


est aperçue le lendemain vers 12 h 30. Une mission des travaux publics
est mise à terre à l’aide de la baleinière. Le lendemain, la relève des
météos est débarquée, mais la mise à terre du matériel est contrariée
par la violence du ressac. Le va-et-vient mis en place permet toutefois
le débarquement du matériel le 26 avril entre 05  h  00 et 09  h  00. Le
vent fraîchit pour atteindre force 5 et ne va permettre le rembarque-
ment du personnel qu’à l’occasion d’une brève accalmie inespérée. Le
baliseur quitte Tromelin le 28 en matinée et arrive à Nosy-Behentona le
lendemain4 .

En 1960 le Marius Moutet semble avoir assuré une autre mission au


début du mois d’avril.

3. AN (Pierrefitte-sur-Seine) – Carton 20060419/106 – Baliseur Marius Moutet (1955-1967)


– Compte rendu de mission no 2 du 3 mai 1958.
4. AN (Pierrefitte-sur-Seine) –Carton 198 00213/106 – Baliseur Marius Moutet (1955
–1967) – Compte rendu de mission no 3 du 1er juin 1959.

140
Tromelin habitée, la station météo reconstruite

La Grotte

C’est sans doute à cette période que les ouvriers malgaches qui partici-
paient à la construction de la station érigèrent à l’aide de blocs de corail,
un petit édifice à caractère religieux qui fut nommé la Grotte. Elle était
située entre le bâtiment administratif et le local hydrogène, en gros sur le
chemin qui mène actuellement de la case malgache à la station princi-
pale. Guy Petit de la Rhodière précise :

« Lorsque nous [l’équipe de relève] sommes arrivés sur l’île le 2 octobre 1962,
il y avait dans la grotte une petite Vierge et une rose artificielle. Lors de la venue
d’un DC3 début 1963, mon épouse m’a fait parvenir une statue du Sacré-Cœur
que j’ai placée dans la grotte. Elle a été détruite par des « inconscients » vers
1995. »
Figure 18-4 – La grotte.

Mars 1959 : Cyclones

A peine relevée du cyclone de 1956, l’île va devoir faire face à un nouvel


ouragan. Ce sont en réalité quatre dépressions tropicales qui frapperont
Madagascar entre février et mars.

Début mars un cyclone frappe Madagascar entre le 15 et le 24, mais dès


le 21 mars une nouvelle dépression prend naissance. Le 23 au matin, elle
continue à se creuser, elle passe au nord de Saint-Brandon , une petite île
située à environ 200 km au nord de l’île Maurice et évolue en cyclone
tropical au cours de la nuit : 

« Le 24, l’ouragan s’intensifie, se déplaçant à la vitesse de 10 nœuds en


direction du SSO, il se rapproche de l’île Tromelin où la pression baisse
rapidement à partir de 07 00 TU. Les vents augmentent progressivement
d’intensité atteignent 80 nœuds à 15 00 TU avec rafales dépassant 100 nœuds
(soit 185 km/h), lorsque le moulinet de l’anémomètre est arraché. Le centre
du cyclone passe très près au nord de l’île, 3 heures plus tard, les vents ayant

141
Histoire de l’île Tromelin

continué à s’intensifier, ont certainement dépassé les 200 km/h. Le minimum


de pression 949,6 mb, est enregistré à 18 05 TU5. »

Une figure représentant les trajectoires des cyclones, indique que les
précipitations ont atteint 273 mm le 3 mars à Tromelin. Dans la Revue
des deux mondes, Paul Mousset écrit : « Le 15 mars, un second cyclone
bouscule les braves météos de Tromelin6 . »

Le pylône métallique supportant le phare a résisté, mais ses haubans


ont été cassés et le garde-corps arraché. Les glaces ont été dépolies par
le sable et la clé servant à bander le ressort assurant la rotation du feu a
été emportée par le vent et n’a été retrouvée que quelques jours plus tard.
Pendant cette période, le feu est resté temporairement fi xe7.

Novembre 1959 : Premier levé hydrographique français

En 1960, le SHOM publie une nouvelle carte de l’île. Elle est réalisée à L'aviso hydrographe Lapérouse
partir d’un levé effectué en novembre 1959 par l’ingénieur hydrographe Cet aviso de 1re classe est construit
principal Puycouyoul, embarqué à bord du Lapérouse, l’aviso de la aux ateliers et chantiers de Penhoët à
mission hydrographique de Madagascar. Une carte au 1/10000 est Saint-Nazaire. Ses caractéristiques :
également réalisée à partir des photographies aériennes prise en juillet 1370 t, longueur 95 m, largeur,
11,46 m, armé de deux pièces de
1954 et de l’étude du père Cattala. 105 mm, deux de 40 mm et quatre
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saisi sur cale par les Allemands,
baptisé SG4 Merkur. Récupéré à la
Libération, baptisé Lapérouse, il est
transformé en bâtiment hydrographe,
mis en service le 23 avril 1947 et affecté
comme stationnaire à Diégo Suarez.

Figure 18-5 – Aviso hydrographe


Lapérouse (F 750).

Figure 18-6 – Carte SHOM no 1234,


dessinée à partir d’un levé de 1959
effectué par l’ingénieur hydrographe
principal Puycouyoul.

5. Aldegheri M., Les cyclones de mars 1959 à Madagascar, ORSTOM, 1959.


6. Mousset P., Choses vues à Madagascar, dans Revue des deux mondes, juin 1959 (2).
7. AN (Pierrefitte-sur-Seine) – Carton 198 00213/105 – Madagascar - Feux et phares, Lettre
no 375ETP/D3/PB, 25 avril 1956 adressée par le dir. des Tavaux publics au dir. des Phares et balises.

142
Tromelin habitée, la station météo reconstruite

1960 : Tromelin détachée du territoire de Madagascar

Peu avant la déclaration d’indépendance de Madagascar (26 juin 1960),


le 1er avril, le gouvernement français détache l’île de Tromelin du terri-
toire de Madagascar, comme les Glorieuses, Juan de Nova, Bassas da
India et Europa.

Le 19 septembre de la même année, un arrêté préfectoral place l’admi-


nistration de l’île sous la responsabilité du préfet du département de La
Réunion, en tant que délégué du gouvernement de la République. A ce
titre, le préfet relève directement du Premier ministre.

Le préfet de La Réunion se rend sur l’île, les 9 et 10 septembre 1960,


à l’occasion de la relève semestrielle du personnel. A son retour il note
que : « le phare de Tromelin ne fonctionne pas avec la régularité indis-
pensable aux navigateurs. »

Pour la météo la première conséquence de cette décision est que dès


novembre 1961, les personnels destinés à séjourner à Tromelin sont des
réunionnais formés sur leur île natale. La construction du Centre du
Chaudron est aussitôt entreprise et les ingénieurs passent de Madagascar
à La Réunion dès sa mise en service en 1962/1963.

Le transport est toujours effectué par des DC3 (Dakota) de l’armée de


l’Air basés à Ivato (Madagascar). La relève s’étend alors sur une période
d’une semaine. Une première liaison transporte les vivres ainsi qu’un
médecin, un mécanicien et un technicien radio. Une seconde apporte
l’essence, le pétrole et les produits pour la fabrication de l’hydrogène. Le
séjour des météos sur l’île est alors d’environ six mois. Il passera à quatre
mois en 1964, puis à deux mois en 1969, chacun effectuant deux séjours
dans l’année8 .

Figure 18-7 – Le DC3 (H 49821) de


l’Armée de l’air sur le parking de la piste
de Tromelin en 1963.

8. Rendue possible en raison de l’amélioration de la desserte aérienne, cette solution était une
demande des syndicats (Zitte 2010, p. 94).

143
Histoire de l’île Tromelin

Février 1962 : Le HMS Owen débarque une équipe


   

Sans doute à la suite d’un accord Le H. M. S. Owen (A 311)


de coopération scientifique Frégate anti-sous-marine construite
dont nous n’avons pas retrouvé à Aberdeen, mise en chantier le 30
la trace, le 23 février 1962, une septembre 1944 sous le nom de Loch
équipe anglaise chargée de Muick. Finalement transformée en
navire hydrographe. Rebaptisé Owen
mettre en place une station de elle est admise au service le 22 août
mesure de gravitation est débar- 1949. Elle restera en service jusqu'en
quée par HMS Owen9. Le navire 1965 et sera démolie en 1970.
britannique porte le nom du Figure 18-8 – Le HMS Owen. Ž 
\‚‚  ‚"
<
capitaine de vaisseau W.F.W
Owen qui, en 1825, dirigeait la mission hydrographique du HMS
Barracouta. Au sein de l’équipe du HMS Owen se trouvait Le natura-
liste R. O. Morris. Il publiera deux ans plus tard ses observations10 .

Janvier 1963 : Delia

Le cyclone Delia passe le 14 janvier vers 18 h 00 TU au plus près de l’île,


bien que le vent ne semble pas dépasser 120 km/h, l’éolienne n’y résiste
pas et les auvents de la case malgache sont arrachés.

1964 : Construction d’une nouvelle station météo11

En mars 1964, le Gallieni, bâtiment ravitailleur des TAAF, fait un


passage à Tromelin pour y débarquer le matériel nécessaire à la construc-
tion des nouveaux bâtiments de la station. Le bâtiment commandé par Figure 18-9 – L’éolienne après le
Jean-Paul Chaunu12 appareille de Diégo Suarez le 13 mars en soirée à passage du cyclone Delia.
destination de Tromelin. Le 15 à l’aube, l’île est aperçue et à 08 h 00, on
mouille l’ancre bâbord dans le 300 et à 0,58 milles du phare. 210 tonnes
de matériel et de marchandises ont été embarquées : bois de charpente,
ciment, fers à béton, fûts de gasoil, une jeep, un bulldozer, une citerne
métallique. On achemine par la même occasion la relève du personnel
dont les météos Turpin et Rochefeuille.

Pour effectuer le débarquement deux vedettes ont été embarquées et


deux «  portières  » soutenues par des boudins de caoutchouc ont été
assemblées pendant la traversée. Après une reconnaissance des lieux
effectuée par l’officier en second, le lieu d’atterrissage est choisi, mais la
difficulté consistant à faire franchir les déferlantes aux portières sans
9. Mason G.B. , Royal Navy Warships in World War II. http://www.naval-history.net/xGM-
Chrono-17Survey-Owen.htm.
10. Morris, R. 0. 1964. Sea Swallow 16, p. 76-77.
11. Petrelluzzi C., Le Gallieni en mission à l’île Tromelin –1964, site Internet : http://www.
messageries-maritimes.org/gallieni2.html.
12. L’état-major est composé de Claude Petrelluzzi (Second Capitaine), Jean Milhau (Lt.
Commissaire), Henri Pierno (Lt. Navigation), André Barbeyron (Chef Mécanicien), Francis
Sarlin (Sd. Mécanicien), Marchetti  (Lt. Mécanicien), Abdilahy (Lt. Mécanicien), Génisson
(Officier Radio), l’équipage est composé de marins malgaches et comoriens.

144
Tromelin habitée, la station météo reconstruite

Figure 18-10 – La vedette Licorne. engager la sécurité des vedettes apparaît avec acuité. A la première tenta-
tive, la vedette Licorne remorquant une portière chargée de la Jeep se
Figure 18-11 – Une portière assemblée à présente avec assez de vitesse pour que la portière larguée avant d’arriver
bord du Gallieni. sur les déferlantes puisse les franchir sur son erre. En même temps une
amarre est lancée au personnel à terre pour qu’il puisse la haler sur la
plage. La portière est soutenue par des boudins en caoutchouc qui
souffrent beaucoup des frottements sur le sable. Le retour est plus délicat
encore, au point que, pour lancer la remorque de la portière à la vedette,
il faut utiliser une fusée porte-amarre Schermully. Pour permettre à la
Jeep de circuler, un chemin de roulement en planche a été mis en place.
Mais les portières sont endommagées et seulement 25 tonnes de maté-
riel sont débarquées les deux premiers jours. Le 17, un va-et-vient est
installé entre une bouée solidement ancrée au-delà des déferlantes et un
point fi xe sur la plage. Mais 8 fûts d’essence à peine débarqués, il faut
interrompre l’opération car les déferlantes sont devenues dangereuses.

Le Gallieni Alors qu’il aide sur la plage, à la manutention du matériel, le directeur-


Construit à Port-de-Bouc en 1954, il adjoint du service météorologique de La Réunion, Marcel Malick se
mesure 115,20 m de long sur 16,10 m. blesse à la jambe. Pour réaliser son évacuation sanitaire, le préfet de La
A
Avec un port en lourd de 4120 t, il Réunion fait alors appel dans l’urgence à l’aéroclub Marcel Goulette
est conçu pour la desserte de la côte dont Gérard Ethève est chef pilote. Celui-ci accepte la mission et
occidentale de Madagascar avec une
capacité de 12 passagers en cabines effectue le 17 mars, le rapatriement aux commandes du Cessna 310 G de
et 350 en entrepont. Equipé en 1957 l’aéroclub13 . Marc Gérard, ingénieur des travaux de la Météo, passé sur
d’une plate-forme d’appontage et d’un l’île avec Malick, prend la suite de ce dernier pour la direction des opéra-
d’hélicoptère, il est utilisé à partir de tions. On fabrique alors des radeaux soutenus par des fûts vides avec
1967, par les TAAF pour des campagnes
océanographiques dans l’océan Indien. des éléments récupérés sur les portières endommagées. Ils vont servir à
V
Vendu en 1973, il sera démoli en 1983. ramener à bord du matériel destiné à fabriquer de nouvelles portières qui
Il a été remplacé par le Ma o u es e.
Marion-Dufresne. a été apporté le 18 au matin, par un DC3.

Le 19 mars, 55 tonnes de matériel sont débarquées, et le lendemain


environ 60 tonnes. Mais en fin de journée la ligne d’amarrage de la
portière se prend dans l’hélice de la Licorne. Désemparée, cette dernière
est jetée sur la plage par les déferlantes. Récupérée non sans peine et
ramenée à bord, charpentiers et mécanicien parviennent à la réparer tant
bien que mal au prix d’efforts qui vont prendre toute la nuit. Les nouvelles
portières inutilisables (l’une échouée, l’autre irréparable), le matériel est
débarqué à l’aide des radeaux. Le 21 au soir, c’est au tour de la vedette
Gallieni, arbre d’hélice brisé, d’être drossée sur la plage par les déferlantes
et de s’échouer. Ramenée malgré tout à bord, elle se révèlera hors d’usage.

13. Numéro d’immatriculation F OBYF.

145
Histoire de l’île Tromelin

Figure 18-12 – Le Gallieni devant


Tromelin.

Le 22 mars, le temps devenant très mauvais, le Gallieni appareille pour


La Réunion. Sept fûts de gazole, deux charges de fers à béton, huit
tonnes de ciment, le bulldozer et la citerne n’ont pas été débarqués. Un
chef de travaux et quinze ouvriers restent sur l’île pour construire la
nouvelle station.

Figure 18-13 – Le Gallieni au mouillage.


Figure 18-14 – Timbre émis par les TAAF
en 1972.

L’évacuation de Malick donne au préfet l’idée de demander à G. Ethève


d’assurer à l’avenir les relèves du personnel météo avec le même appareil.
Celui-ci objecte qu’il n’a pas d’agrément pour le transport de passagers.
Pour résoudre cette difficulté le préfet décide alors qu’il sera réquisi-
tionné chaque fois que nécessaire. Il assurera ainsi ce type de mission
jusqu’en 1974 :

« Entre 196314 et 1974, je crois que j’ai passé mes plus belles années de pilote
pionnier. Je me rendais, tous les quinze jours, sur des îles où il n’y avait que trois
ou quatre habitants. Je ne disposais d’aucun moyen de radionavigation. Je n’avais
que le cap et la montre. Je faisais 600 km pour trouver un trait de 1800 m de long.
Une erreur d’un degré et je serais passé 10 km à côté sans voir ce bout de terre qui
culminait à 7 mètres au milieu de l’océan. On trouve ou on ne trouve pas… Trois
fois seulement, je n’ai pas trouvé15. »
14. Il faut en réalité lire 1964.
15. « Gérard Ethève, pionnier moderne de l’aviation réunionnaise », article publié par Gil
Roy sur le site aerobuzz.fr.

146
Tromelin habitée, la station météo reconstruite

Figure 18-15 – Le Cessna 310 G sur le


P
parking de Tromelin (1963).

Pendant la construction du bâtiment, le Cessna de l’aéroclub Marcel


Goulette assure le ravitaillement des ouvriers et procède à des évacua-
tions. Deux malades seront ainsi pris en charge le 8 avril. En même
temps les DC3 de l’armée de l’Air effectuent de nombreuses rotations
pour transporter des matériaux et les architectes. Le 26 juin le Dakota
achemine les météos de relève : Emile Hoareau et Guy Zitte. Ce dernier
commence à cette occasion le premier de ses vingt-deux séjours sur
Tromelin16 !

Figure 18-16 – Le nouveau bâtiment


principal de la station.

Le bâtiment principal comporte un étage et une terrasse sur laquelle


sera installé le phare. Au rez-de-chaussée, il s’ouvre sur l’extérieur par un
grand auvent ; à l’intérieur, il compte une salle à manger, un atelier, où
sont installés un groupe électrogène et des batteries, un magasin, utilisé
pour le stockage du matériel et des vivres, et des toilettes.

On monte à l’étage par un escalier extérieur. L’espace est occupé par


une grande salle d’opération où sont rassemblées les liaisons radios et le
scope du radar de suivi des ballons sonde. On y trouve également le long

16. Zitte 2010, p. 55.

147
Histoire de l’île Tromelin

d’une coursive centrale, quatre chambres et une salle d’eau. Une salle Figure 18-17 – Plan de restitution de la
de lecture avec une petite bibliothèque est également aménagée ainsi station en mai 1965.
qu’une cuisine de secours.

Travaux terminés, le bâtiment principal de la station entre en fonc-


tion le 26 avril 1965 et est inauguré en présence des météos Henri
Namtamécou et Jean-Pierre Hoareau.

10 novembre 1964 : Les femmes du Vityaz

Le passage du navire soviétique Vityaz sera raconté deux ans plus tard
par Christian Zuber17, qui met le récit dans la bouche de Petit de la
Rhodière, l’un des chefs de station de Météo France.

« Le 10 novembre 1964, le Vitiaz est venu nous voir. C’est un bateau russe. Ils
ont mis une chaloupe à la mer. Et ils ont débarqué une douzaine de femmes ! Christian Zuber
Nous on était un peu surpris ! Elles aussi devant nos têtes de Robinson ! Il y
Né à Mulhouse en1930 et mort
en avait une qui voulait absolument embrasser le cuisinier. Comme c’était un
en 2005, Christian Zuber était un
timide on a bien ri ce jour-là. Ils nous ont apporté à boire et à manger. Comme journaliste, écrivain, producteur de
personne chez eux ne parlait ni l’anglais ni le français, on palabrait avec les 

   >    <
mains. Le soir ils sont partis. Nous n’avions rien d’autre à leur donner que des connu pour son émission télévisée
Caméra au poing, réalisée dans les
renseignements météos. » 
années 1970-1980. Défenseur des
animaux, il était administrateur de WWF
17. Zuber C., Le Grand Safari, Paris, 1966, p. 75. France et de la Fondation Bardot.

148
Tromelin habitée, la station météo reconstruite

Le témoignage de Zuber est assez approximatif et enjolive les choses.


Au moment de la visite, ce n’est pas Guy Petit de la Rhodière qui était
chef de station mais l’un de ses collègues et l’équipe du Vityaz n’était
pas seulement composée de femme  ! La première action des scienti-
fiques ne fut pas d’embrasser le cuisinier, mais tombant en arrêt devant
une carcasse de tortue morte depuis quelques temps déjà, de la dépecer
séance tenante malgré l’odeur nauséabonde.

Figure 18-18 – Le Vityaz à quai dans le


World Ocean Museum (Kaliningrad).

Connaissant les habitudes des navires soviétiques à l’époque, on peut


se demander si, alors même que les nouveaux bâtiments de la station
n’étaient pas encore terminés, cette visite était entièrement fortuite.
Bien qu’officiellement navire de recherche océanographique, le Vityaz
avait fort probablement aussi des activités d’écoute et d’interception
des communications radio18 . Les services de renseignement soviétiques,
informés de la construction de nouveaux bâtiments avaient sans doute
donné l’ordre d’aller voir ce dont il s’agissait. Les météos avaient d’ail-
leurs noté que le bâtiment était « bourré d’antennes et d’électronique ».

1965 : Séjour de Christian Zuber

A la mi-1965, profitant d’une desserte aérienne qui apporte le courrier


de la station, le cinéaste C. Zuber, arrive sur l’île à bord du Cessna piloté
par Gérard Ethève, il restera 10 jours avec les météos19. Zuber publiera
l’année suivante le récit de son séjour dans son livre intitulé : Le grand
SAFARI. Il y signale entre autres, la présence de lapins sur l’île, mais
aussi celle d’un porc baptisé Cadile, qu’on avait renoncé à manger et qui
était devenu la mascotte de la station.

18. Ces navires, parfois de simples navires de pêche, étaient désigné par l’OTAN sous le sigle
ELINT (pour electronic intelligence) ou COMINT (pour communication intelligence).
Figure 18-19 – Christian Zuber à 19. Le chef de station est alors Guy Petit de la Rhodière, son adjoint Jean-Claude Fontaine et
Tromelin. les aides Axo et Alexis Legros.

149
Histoire de l’île Tromelin

Figure 18-20 – Les Météos présents : en


haut son passage à droite J.-C. Fontaine
en bas à gauche Axo Legros à droite
Alexis Legros.

1967 : Poursuite de la construction de la station météo

Une réunion tenue à Saint-Denis de La Réunion, le 6 septembre 1966,


arrête les actions à entreprendre pour poursuivre la rénovation de la
station météo. Les travaux principaux envisagés sont les suivants20  :
remise en état des anciens bâtiments ; ajout à l’ex-bâtiment administratif
Le Mascareignes II
d’un garage pour un tracteur ; aménagement d’un abri pour le gonfle-
ment des ballons ; construction d’une salle à manger et une cuisine. Navire construit au chantier « De
Vooruitgang » à Alphen aan den Rijn
(Pays-Bas). Caractéristiques - Tonnage :
Ces travaux nécessitent le passage sur l’île de 70 tonnes de matériaux 551 t ; long. : 48,6 m. ; larg. : 8,23 m ;
qui seront débarqués par le Mascareignes II, un ex-bateau de pêche trans- creux : 2,74 m. Propulsion : moteur de
formé pour l’occasion en cargo. 450 cv ; vitesse 9 nœuds. Mis à l’eau le
5 juillet 1962 et baptisé Hoyledesingel
pour l’armement Invotra à Rotterdam.
Cédé le 31 août 1962 à l’armement P.A.
van Es & Co. A Rotterdam. En 1966,
vendu à la Société Franco-Mauricienne
de pêche et d’Industrie de Saint-Denis à
La Réunion. Il passe alors sous pavillon
français et est rebaptisé Mascareignes II.
En 1986, il sera cédé à la Société
Gel Pêche des Sables d’Olonne,
et naviguera dans les eaux de
Madagascar, sous pavillon français.
Il sera condamné en 1999.

Figure 18-21 – Le Mascareignes II, on


distingue encore son no immatriculation à
Rotterdam : R 592.

20. Archives Météo-France, Note de service no 925/66.

150
Tromelin habitée, la station météo reconstruite

Figure 18-22 – Plan de restitution de la


station en 1967.
Figure 18-23 – La nouvelle cuisine à côté
du bâtiment principal.

Par ailleurs deux rotations de DC3 transporteront le 21 septembre, le


tracteur, le matériel nécessaire à l’installation de la balise radio, le
personnel  de relève et trois autres passagers, le 28 octobre les cinq
agents et deux ouvriers spécialisés placés sous les ordres de M. Gérard
chargés du chantier.

Seront ainsi construits en 1967, la nouvelle cuisine près du bâtiment


principal, le garage attenant à l’ancien bâtiment administratif, un abri
pour le gonflement des ballons accoté à l’est du bâtiment principal.
Un garage pour le tracteur et un radôme au nord de la cuisine.

151
Histoire de l’île Tromelin

Février 1967 : Liason radioamateur21

Guy Petit de la Rhodière, chef de station, émet en février sous l’indicatif


FR7ZL/T, il aura par la suite une activité soutenue en 1969, 1974, 1977
et 1979.

Figure 18-24 et 18-25 – Cartes QSL de


G. Petit de la Rhodière.

Juin 1967 : Relève par DC3 impossible !

Le 26 juin, les météos qui sont là depuis une vingtaine de jours attendent
le DC3 qui doit venir assurer leur relève. Mais la nouvelle tombe  à la
radio  : «  relève retardée de huit jours  !  ». Une semaine plus tard, il
pleut des cordes et la piste est impraticable, la relève est encore une fois
reportée, cette fois de dix jours. Ce délais écoulé, le ciel toujours couvert,
le DC3, tente le passage mais ne parvient pas à trouver l’île ; il doit faire
demi-tour. Finalement c’est encore une fois le Cessna de l’aéro-club
Marcel Goulette, équipé d’une radiosonde et piloté par G. Ethève qui
guidé depuis le sol parvient à récupérer les météos qui sont restés 43
jours sur l’île22 .

16 avril 1968 : Passage du porte-avions Clémenceau et de


son escorte

Le groupe aéronaval du Pacifique en route vers les sites d’expérimenta-


tions nucléaires de Polynésie française passe à proximité de Tromelin,
le contre-amiral Levesque qui commande le groupe aéronaval se fait
débarquer sur l’île par un hélicoptère Alouette de l’escadrille 22 S. Le
Groupe aéronaval du Pacifique dit Groupe Alfa est composé du porte-
avions Clémenceau, et des escorteurs d’escadre Forbin, La Bourdonnais
et Jaureguiberry et du pétrolier ravitailleur La Seine.

17 avril 1968 : Apparition du premier Noratlas sur la piste

En 1968, la base d’Ivato à Madagascar reçoit ses premiers Nord 2501


Noratlas23 qui vont remplacer les DC324 . Le 17 avril, l’un d’eux effectue
21. Site Internet : http://lesnouvellesdx.fr/galerie/galerie2.php?page=eparsesqsl&pfx=FRT
22. Guy Petit de la Rhodière qui nous a raconté cette anecdote, se souvient bien des dates, car
il avait prévu de rentrer le 26 juin, date de l’anniversaire de sa femme.
23. Le Nord 2501, appelé Noratlas, est un appareil de transport construit par la société Nord
Aviation. C’est un appareil bipoutre équipé de deux moteurs Bristol Hercules de 2040 cv. Le
premier avion de série est livré en juin 1953 à l’armée de l’Air.
24. Ils appartiennent au Groupe Aérien Mixte d’Outre-mer (GAMOM 50) basé à
Madagascar.

152
Tromelin habitée, la station météo reconstruite

un premier vol vers Tromelin pour tester la possibilité d’un ravitaille-


ment direct depuis Madagascar.

Août 1968 : Passage de l’ornithologue France Staub

Le 29 août 1968, l’ornithologue Mauricien France Staub25 , passe sur


l’île avec l’avion assurant la relève du personnel. Il y reste une tren-
taine d’heures dont quinze seront consacrées au travail de terrain. Il
étudie les oiseaux et procède à des prélèvements de spécimen de plantes
pour l’Herbarium de Maurice. Il tourne un film de 8 mm et prend de
nombreuses photographies. Il publiera ses observations deux ans plus
tard 26 . Il note l’absence de deux plantes signalées par Paulian en 1954 :
Achyranthes aspera L. et Ipomea Pescaprae L. (La patate à Durand) qui
selon lui sont abondantes aux Cargados. Il attribue leur disparition à
l’introduction de lapins dans l’île.

1970 : Une bouteille à la mer

Le 10 juin, au cours de la tournée des plages, on trouve sur la côte est


une bouteille contenant un message  ! Elle a été mise à l’eau au large
des îles Cocos, situées à environ 1000 km dans le sud-ouest du détroit
de la Sonde (entre Java et Sumatra), pour déterminer la direction des
courants. Un questionnaire accompagne le message qui doit être renvoyé
à l’Australian Museum27.

Octobre 1970 : Emission radioamateur

Yoland Hoarau émet à son tour depuis Tromelin sous l’indicatif


FR7AI/T. Il poursuivra cette activité jusqu’en 1984.

1971 : Classement de l’île en réserve naturelle

Le 28 juillet 1971, une première décision28 est prise de classer l’île


en réserve naturelle. Abrogé le 18 novembre 1975, ce classement est
remplacé par un arrêté interdisant en particulier « toute déprédation de
la nature tant terrestre que marine, aussi bien en ce qui concerne la flore
que la faune29 ».

25. France Staub, ornithologue, herpétologue et botaniste Mauricien, (1920 - 2005), sa


demande d’autorisation de se rendre à Tromelin date du 12 août (Archives météo).
Figure 18-26 et 18-27 – Cartes QSL des
26. Staub F., Geography and ecology of Tromelin Island, in Atoll research Bulletin, no 136 :
émissions de 1970 et de 1974. p. 197-209, 1970.
27. Archives de Météo-France La Réunion - Compte rendu de mission à Tromelin, daté de
Saint-Denis, le 4 juillet 1970.
28. Décision no 101/DGRF et no 1/DG/IOI du 28 luillet 1971.
29. Arrêté no 13/DG/IOI du 18 novembre 1975, place la réserve sous l’autorité du délégué du
gouvernement et du Directeur de Météo France.

153
Histoire de l’île Tromelin

1971 : Emission radioamateur

Le 21 mars 1971 Jacques Quillet30 , chef de station, commence à émettre


des messages radioamateurs sous l’indicatif FR7ZU/T. Il nous a donné
quelques précisions sur la manière dont se déroulait cette activité : 

« Dans les années 63 à 70, Météo-France a recruté des radios de l’armée sachant
transmettre en morse pour les envoyer dans les stations météos des Îles : Tromelin,
Glorieuses et Europa. Les données météorologiques étaient transmises en morse à
Figure 18-28 – Carte QSL de Jacques
Tananarive dans un premier temps puis directement à La Réunion.
Quillet, émission du 21 mars 1971.
Paul Ferrand, qui était déjà radioamateur à l’époque, a initié certains d’entre
nous pour nous permettre de passer un examen auprès de France Télécom
(anciennement P & T). Ce moyen de transmission était pour nous un passe-
temps, mais aussi une sécurité sur ces petites îles qui étaient peu accueillantes
dans le temps. Nous étions peu nombreux, environ une dizaine.
Après cet examen, s’il était réussi, France-Télécom nous délivrait un indicatif,
le mien pour La Réunion était FR5ZU et quand nous étions sur Tromelin on y
ajoutait une barre de fraction puis la lettre T pour Tromelin.
En 1965, le morse fut abandonné pour la phonie, lorsque les îles furent
dotées de nouveaux émetteurs/récepteurs Thomson utilisant la BLU (Bande
latérale unique). 
Nous utilisions et utilisons toujours du matériel japonais ou américain… dont
l’achat était à notre charge.
Le radioamateur à des règles strictes à respecter (on ne parle que de technique).
Nous avons des bandes bien définies sur toutes les fréquences HF (de 1,5 à 29
MHZ) puis VHF et UHF. 
Comment se passe un contact en phonie ? En fonction de la propagation du
lieu qui est souvent déterminé par l’heure donc par la position du soleil, on
choisit une fréquence et on lance un appel : « CQ CQ CQ de FR5ZU
FR5ZU ». On peut alors recevoir des réponses du monde entier. On prend un
correspondant, souvent celui qu’on reçoit le plus fort, on lui donne alors un
Figure 18-29 – Carte QSL de l’émission
rapport d’écoute et on peut alors discuter de notre matériel, de notre antenne,
d’avril 1996.
de notre lieu de transmission. Pour officialiser cette liaison, on échange par
courrier postal nos QSL qui sont des cartes portant notre indicatif. De
nombreux OM (Old Man), nom donné aux radioamateurs, font collection de
timbres, de cartes QSL… et surtout d’amis partout dans le monde, ce qui se
traduit par des voyages dans les deux sens (je suis allé plusieurs fois au Japon et
mes amis japonais sont aussi venus à la maison ). »

1972 : Livraison de gazole par le Provençal (1972) Le Provençal


Escorteur rapide, il fait partie du
Le Provençal, commandé par le C.F. Bergot. Max Guérout est son offi- type E 52 b, des bâtiments légers
cier en second31. Le bâtiment venu de Toulon est basé à Diégo-Suarez où de 1 500 tonnes, longs de 99 m,
il sera présent du 15 mai au 30 juillet. Au cours d’un transit vers La à vocation anti-sous-marine. Il est
Réunion où il doit faire escale, le Provençal reçoit pour mission de passer armé de deux tourelles doubles de
57 mm, d’un mortier quadruple de
par Tromelin pour y livrer des fûts de gazole. Dans ce but, une douzaine 305 mm et de tubes lance torpilles.
de bidons sont arrimés sur le pont. Mis sur cale à Lorient le 1er février
1957, lancé le 5 octobre de la même
30. Voir le site Internet consacré à Tromelin par J. Quillet - http://jacques.quillet.pagesperso- année, il est admis au service actif
orange.fr/page_2.html#ANCHOR_Img1. le 6 novembre 1959. Hormis deux
31. Il ignorait alors que, 34 ans et 4 mois plus tard, il mettrait à nouveau le pied sur l’île missions dans l’océan Indien, il sera
avec une équipe d’archéologues du groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) et de toujours basé à Toulon. Il sera rayé
l’INRAP. du service actif le 11 mars 1981.

154
Tromelin habitée, la station météo reconstruite

Figure 18-30 – L’escorteur rapide Le


Provençal.

Le 12 juin 1972, devant Tromelin, Le Provençal, après bien d’autres,


découvre les problèmes de débarquement. Une embarcation pneuma-
tique est mise à l’eau et deux bidons de gazole jetés par-dessus bord.
Les deux bidons s’ils flottent, ne sont pas particulièrement hydrodyna-
miques. Ils vont cependant être remorqués non sans difficultés près de
la pointe nord, où sagement les météos attendent au bord de la plage.
Max Guérout, ayant pris palmes et masque de plongée, décide de livrer
le premier bidon à la nage, le tenant devant lui de manière à ce qu’il serve
de parechoc à l’arrivée, jusqu’à ce que les météos s’en saisissent. Pendant
la livraison du premier bidon, le second porté par le courant a dérivé et
est maintenant hors de portée.

L’entreprise, bien trop compliquée et scabreuse, est vouée à l’échec.


Décision est prise de suspendre la livraison et de reprendre sagement la
route vers La Réunion après avoir salué les occupants de l’île de trois
coups de sirène.

Novembre 1972 : André Turcat et le bréchet supersonique


(1972)

Sans doute dans un mouvement de fraternité aéronautique, G. Ethève


ayant trouvé sur l’île un os dont la forme rappelait étrangement celle
d’un avion Concorde, l’envoya par courrier postal à André Turcat qui
avait été pilote d’essai du supersonique.

Cet envoi eut une suite inattendue. En novembre 1972, à l’occasion


d’une mission d’étude destinée à évaluer les infrastructures aéropor-
tuaires de La Réunion, en vue de l’atterrissage des Boeing 747 et éven-
tuellement du Concorde, plusieurs chefs de bord dont Turcat séjournent
dans l’île. Ethève proposa alors à Turcat de l’emmener à Tromelin à l’oc-
casion d’une relève des météos. Ce dernier ayant accepté la proposition,
le vol eut lieu le 18 novembre à bord du Piper Navajo PA 3132 qu’utilisait
Ethève depuis le 10 mars 1970. Guy Zitte qui était en fin de séjour et
allait rentrer à La Réunion par ce vol, se souvient du repas partagé avec

32. Numéro d’immatriculation F OCPC.

155
Histoire de l’île Tromelin

Figure 18-33 – Entoplastron de


tortue verte (Chelonia Mydas) par D.
Witherington.
Figure 18-31 – André Turcat à Tromelin.

Figure 18-32 – Turcat et son brechet


supersonique.

le célèbre pilote d’essai : « Déjeuner à la même table que cet hôte si pres-


tigieux, vous pensez si nous étions dans nos petits souliers33 . »

On avait alors décidé que l’os en question provenait du squelette d’un


fou et qu’il s’agissait d’un bréchet. Sans doute fallait-il un oiseau pour
symboliser l’envol du grand supersonique et un fou pour souligner le
défi qu’avait constitués sa construction et sa mise en service.

Fort de ces certitudes, André Turcat écrivit un premier texte qui me fut
transmis par son cousin, l’amiral Jean-Noël Turcat, alors président du
Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN). Il évoqua ensuite
son voyage à Tromelin dans un livre publié en 200934 , puis dans une
lettre qu’il adressa au président de l’INRAP en juillet 2012. Le chapitre
qu’il consacre dans son livre à cette anecdote est intitulé  : «  Fortune
du fou ». S’il est vrai qu’à cette occasion il a corrigé les erreurs histo-
riques qui se trouvaient dans le premier texte, il continue comme beau-
coup d’autres à faire du chevalier de Tromelin, un personnage hybride,
mélange de la vie des trois frères qui naviguaient à l’époque dans l’océan
Indien (voir en annexe la biographie de Jacques-Marie). Il conclut son
chapitre par ces mots : « Le bréchet du fou de Tromelin, fidèle entre mes
livres, fait partie de ma fortune de rêves. »

Las ! Il s’agit en réalité d’un os de tortue : un entoplastron35 . Fini donc


l’envol du rêve supersonique et retour au sol, rampant dans les sables ou
pagayant au long cours dans les eaux de l’océan Indien.

33. Zitte 2010, p. 118.


34. Turcat A., Pilote d’essais. Mémoires II, 2009, p. 185-191.
35. Wyneken J., Witherington D. (illustr.), The anatomy of sea turtle, Miami, 2001, p. 51.

156
Chapitre XIX

Tromelin habitée et active


Chronique 1973-2005

1973 : Etudes et prélèvements de tortues vertes

L’intérêt scientifique pour les tortues vertes s’est concrétisé en 1973 par
les travaux de Batori1 sur Tromelin et de Servan sur Europa. L’intérêt de
l’ISTPM, devenu depuis IFREMER, pour ces recherches s’est renforcé
avec la création d’un élevage de tortues vertes à La Réunion. 880 jeunes
tortues prélevées à Tromelin et Europa furent mises en élevage à La
Réunion de novembre 1972 à fin décembre 19732 .

Ces études se sont ensuite étendues grâce aux travaux de Jean Yves Le
Gall3 qui fut le premier chercheur à évaluer la population de Tromelin.
Il estime que, chaque saison, 850 à 1100 tortues vertes pondent sur l’île,
«  produisant  » entre 0,15 et 0,3 million de nouveau-nés par an4 . Le
Gall a, entre autres, mis en place un suivi sur le long terme d’un indi-
cateur d’abondance du nombre de tortues, au moyen d’un comptage
journalier du nombre de traces5 . D’abord assuré par les aides météos,
un suivi est continué aujourd’hui encore par les agents des TAAF. Les
études récentes6 , concernant la saison 2009/2010, montrent que pour
les trois mois de ponte maximale, 999 tortues sont venues pondre, avec
un nombre estimé de jeunes tortues écloses de 180  069. Ces chiffres,
comparés à ceux de Le Gall, indiquent une relative stabilité.

1. Batori G. 1974 – Rapport d’activité. Ile Tromelin. Note ronéotypée. Service


Météorologique de La Réunion, 15 p.
2. Lebrun G., Elevage à La Réunion de juvéniles de la tortue verte (Chelonia Mydas) (Linnaeus)
1758, dans Science et Pêche, Bull. Inst, Pêches marit., no 248, juin 1975.
3. Le Gall et al. 1986.
4. Le Gall 1988.
5. Lauret-Stepler et al. 2007.
6. Derville S. et al., accepté en 2014.

157
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 19-1 – Tortue verte regagnant


l’océan après avoir pondu à la pointe
nord de Tromelin (Max Guérout, 2006).

Figure 19-2 – Ponte d’une tortue verte


(Jacques Morin 14 octobre 2006).

En 1977, les premières petites tortues prélevées sur l’île d’Europa sont
arrivées dans les bassins de la ferme Corail à Saint-Leu (La Réunion). La
ferme Corail pratique alors l’élevage des tortues marines selon le principe
du « ranching » (collecte de juvéniles en milieu naturel et élevage jusqu’à
l’âge adulte en captivité), et fait commerce des produits de cet élevage.

Cependant, en 1981, les tortues marines sont classées à l’annexe I de


la convention de Washington (CITES - Commerce International des
espèces de faune et flore sauvage menacées), qui interdit le commerce
de ces espèces. La ratification par la France de la Convention de
Washington met en cause la poursuite des activités de la ferme et ouvre
la réflexion sur sa reconversion. Deux ans plus tard, un arrêté préfec-
toral est pris pour protéger les tortues à La Réunion. En 1989, la Région
Réunion devient alors propriétaire des terrains et bâtiments de la ferme
Corail pour soutenir la filière tortue et maîtriser un foncier convoité.

L’élevage commercial cesse en 1994, un moratoire est mis en place pour


permettre la reconversion de la ferme Corail. La Région décide alors
de transformer le ranch en un «  centre d’étude et de découverte des
tortues marines ». Baptisé Kélonia, l’observatoire des tortues marines
est inauguré le 18 août 2006.

158
Tromelin habitée et active

Figure 19-3 – Caractéristiques L’étude des tortues se poursuit en particulier en équipant ces dernières
des tortues vertes. de balises Argos, permettant de suivre en temps réel leur déplacement.
La carte ci-dessous indique le déplacement des Chelonia Mydas équipées
à Tromelin en 2011-2012. Elle met en lumière une étonnante migration
qui mène la plupart des tortues vertes vers Madagascar où elles se nour-
rissent, mais aussi des pérégrinations plus aventureuses vers les côtes
africaines.

Figure 19-4 – Suivi des tortues vertes


équipées de balises Argos à Tromelin.

159
Tromelin. Mémoire d’une île

8-9 mars 1973 : Le cyclone Lydie

Dans la matinée du jeudi 8 mars 1973, le cyclone Lydie passe à une


distance d’environ 20 km de l’île. La pression atmosphérique descend
jusqu’à 932 hpa7, et bien que l’anémomètre ait été emporté par les
rafales, on estime que les vents ont dépassé 250  km/h. Les météos
présents, Jean-Claude Fontaine et Philippe Lombard, restent calfeutrés
dans la station jusqu’au 9 mars à l’aube.

Le bâtiment principal tient bien, mais la trappe d’accès à la terrasse, une Figure 19-5 – Trajectoire
fenêtre et des volets sont arrachés ; l’eau entre dans la salle d’observation du cyclone Lydie.
et détériore le tiroir haute fréquence de la radio BLU8 . La radio cesse de
fonctionner vers 10 h 20. Elle ne pourra reprendre à nouveau ses émis-
sions que le lendemain matin. Jean-Claude Fontaine, le chef de station
envoie alors un télégramme soulignant l’importance des dégâts.

La piste d’aviation est impraticable :

« Les 250 premiers mètres à l’entrée Ouest sont inutilisables. Le sable a été
soufflé par endroits sur une épaisseur de 15 cm, laissant apparaître les blocs de
corail. A partir de l’autre extrémité et sur une longueur d’environ 600 m, la
piste a été inondée… En conclusion, la piste n’est praticable correctement que
sur 1000 m9. »

Ce n’est qu’après une remise en état partielle de la piste que le Piper


chieftain (FOCZY) de l’aéroclub Marcel Goulette, piloté par Ethève,
peut se rendre à Tromelin. Malick, le directeur du service météorolo- Figure 19-6 – Cyclone Lydie :
gique de La Réunion et Darricarrère (service de la Navigation aérienne) enregistrement de la pression
viennent évaluer les dégâts  : l’abri en plastique contenant la radioba- atmosphérique à Tromelin.
lise a été soufflé et les tiroirs dispersés alentour ; la structure du phare
à résisté, mais son alimentation électrique a souffert et doit être entiè-
rement revue ; le toit, les portes et les fenêtres de la cuisine ont été arra-
chés, l’eau et le sable rendant inutilisables les vivres frais et la cuisinière
à mazout  ; les tôles de l’abri servant au gonflement des ballons sonde
ont été arrachées, mais la structure métallique a tenu ; le toit et l’auvent
de l’ancien bâtiment administratif de la station sont détruits. Comme
pour les autres bâtiments les enduits ont été sablés mettant à nu le béton
et les fers à béton. Le toit de la « case »de passage a résisté mais portes et
fenêtres ont été arrachées.

Le pylône anémométrique dont deux haubans ont cédé, a été abattu,


entraînant dans sa chute son socle de béton. Le carter du pluviographe
a disparu10 .

Les dégâts sont estimés à 12 millions de francs CFA.

7. hpa : hectopascal.
8. Bande latérale unique.
9. Rapport sur les dégâts causés aux installations de l’île Tromelin par le passage du cyclone
Lydie daté du 12 mars 1973 (Archives de Météo-France La Réunion).
10. Un élément de pluviomètre a été retrouvé lors des fouilles archéologiques en 2010.

160
Tromelin habitée et active

31 juillet 1973 : Les forces armées françaises quittent


Madagascar

Suite aux manifestations qui secouent Madagascar en mai 1972, le


président Philibert Tsiranana, favorable à la France, est renversé et
remplacé par le général Gabriel Ramanantsoa. Les autorités malgaches
demandent alors la révision des accords franco-malgaches puis l’évacua-
tion des troupes françaises basées à Madagascar. Ce sera chose faite le
31 juillet 1973 : l’armée de l’Air évacue la base d’Ivato pour s’installer
à La Réunion. Le général Bigeard, qui avait pris le commandement des
forces françaises présentes dans l’océan Indien, fait alors le tour des
îles Eparses et met plusieurs d’entre elles en état de défense, craignant
une incursion malgache. Selon les souvenirs de son chef d’état-major,
François Jourdier, il ne semble pas qu’il soit passé à Tromelin.

En octobre 1973, au cours d’une mission de présence dans l’océan


Indien, l’aviso-escorteur Protet commandé par le capitaine de frégate
Japy passe à proximité de Tromelin après une escale à La Réunion.

1975 : Rotations aériennes commerciales vers Tromelin

Gérard Ethève reçoit le 7 mars 1975 l’agrément des autorités pour créer
sa compagnie aérienne « Réunion Air Service », afin de développer le
transport à la demande vers les îles. La compagnie voit son activité se
développer grâce à la desserte de Mayotte qui a voté son rattachement à
la France après l’indépendance des Comores. Les liaisons sont assurées
par un Piper PA 31 Navajo qui peut transporter 6 passagers, puis par un
Piper PA 31 Chieftain embarquant 9 passagers.

La piste de Tromelin qui, depuis le 23 novembre 1963, avait le statut


d’aérodrome à usage privé, changera de ce fait de statut et sera agréé
comme aérodrome à usage restreint, servant à la desserte de la station
météo, mais aussi comme aérodrome de secours ou escale technique
pour la liaison Réunion/Mayotte11.
Figure 19-7 – Piper PA 31 Chieftain
(F-OCZY) au premier plan et Piper
Navajo (F-OCPC) de Réunion Air
Service sur le parking de Tromelin, à
l’occasion d’une relève et du passage
d’une équipe de tournage de RFO en
1975. Quatre films sont diffusés sur
RFO et TF1 le 9 novembre 1975.

11. AN (Pierrefitte-sur-Seine) – Carton 19840538/23 – Aérodrome de Tromelin – P.-V. de la


séance de la commission centrale des servitudes aéronautiques du 4 février 1977.

161
Tromelin. Mémoire d’une île

Février 1975 : Passage du Champlain Le Champlain


Construit à Brest par la Direction des
Le bâtiment de transport léger (BATRAL) Champlain de la Marine constructions navales, le Champlain
est mis en chantier en 1973. Lancé le
nationale, participe à une campagne dans l’océan Indien en 1974 et 17 novembre 1973, il est admis au
1975. Il passe à Tromelin le 18 février 1975. service actif le 5 octobre 1974. D’abord
affecté à Toulon, il va effectuer une
1976 : Revendication de souveraineté par le gouvernement de campagne jusqu’en 1975 dans l’océan
Indien. Il sera désarmé en 2004.
l’île Maurice12

Le 2 avril 1976, le gouvernement de l’île Maurice, indépendant depuis


1968, revendique officiellement la souveraineté sur Tromelin. La France
pour sa part considère qu’elle a toujours possédé l’île et que le traité de
Paris de 1814, dont la version française fait foi, précise que les territoires
remis à l’Angleterre sont « l’isle de France et ses dépendances nommé-
ment Rodrigues et les Séchelles ». Tromelin n’étant pas nommé, Paris
considère que l’île est restée sous la souveraineté de la France. Cette
possession française n’a été contestée, ni par la Grande-Bretagne, ni par
le gouvernement indépendant de Maurice de 1968 à 1976.

Le gouvernement de l’île Maurice oppose à la France la version anglaise


du traité de Paris. Cette dernière indique « especially Rodrigues and The
Seychelles ». L’adverbe especially signifie « en particulier », et l’expres-
sion n’écarte donc pas les autres îles. A la suite du traité restituant l’île
de La Réunion à la France, les autorités britanniques ont pris possession
quant à elles d’îles qui n’étaient pas mentionnées dans le traité : Diego
Garcia, Agalega, Saint-Brandon. Les Seychelles quant à elles, seront plus
tard détachées de l’île Maurice et deviendront un Etat indépendant.
Pour appuyer sa revendication, Maurice s’appuie également sur les baux
accordés à quatre Mauriciens entre 1901 et 1956 pour l’exploitation du
guano (voir Chapitre 15), mais ceux-ci ne semblent pas avoir été portés à
la connaissance de la France.

1976 : Jacques Quillet en contact avec un radio amateur


inattendu !

« Le 14 novembre 1976, j’obtiens un contact depuis Tromelin avec une station
jordanienne. Tout se passe bien et le QSO13 est chaleureux avec une bonne
propagation. Nous parlons de notre matériel, de la météo… puis il me dit qu’il
est le Roi de Jordanie. Surpris (je pensais à une blague), je lui rétorque sur le ton
de la plaisanterie que je suis la reine !
A mon retour à La Réunion, j’ai trouvé la carte QSL de JY1 Hussein, Roi de
Jordanie et sur la carte la mention : « On the occasion of the 41st birthday of
his Majesty King Hussein of Jordan. »
Nous avons fait d’autres QSO sur les autres iles et depuis La Réunion. Il m’a
même invité à venir le voir en Jordanie. Je ne suis pas allé et je le regrette; c’était
devenu un bon copain ! »
Figure 19-8 – le roi Hussein de
Jordanie en radio-amateur.
12. Oraison A., Radioscopie critique de la querelle franco mauricienne sur le récif de Tromelin,
(La succession d’Etats sur l’ancienne Isle de Sable)–Saint-Denis, 28 septembre 2011. Bien que
comportant sur le plan historique quelques lacunes, cette étude fait le tour de la question
juridique.
13. Contact.

162
Tromelin habitée et active

8 août 1977 : Passage du Foch

Le porte-avions Foch commandé par le capitaine de vaisseau Bernard


Klotz passe près de l’île le 8 août 1977. Un hélicoptère super frelon de la
flottille 32 F dépose une vingtaine de personnes. Les météos qui n’avaient
pas été prévenus peinent à trouver de quoi assurer leur nourriture. La
présence du navire dans l’océan Indien à cette date est liée à l’accession
de Djibouti à l’indépendance (suite au referendum du 8 mai 1977). La
mission a reçu le nom de Saphir II et dure du 6 juin au 10 décembre.

1978-1979 : Vols touristiques de Réunion Air Service

La compagnie aérienne Réunion Air Service organise des séjours touris-


tiques à Tromelin et publie une brochure d’information destinée aux
visiteurs. Ces vols sont mis en place avec l’accord de Météo-France et du
préfet de La Réunion qui est aussi administrateur des îles Eparses.

Les passagers passent 24  h  00 sur l’île. Ils décollent de l’aéroport de


Gillot à 7 h 30 et arrivent deux heures plus tard à Tromelin. Ils s’ins-
tallent dans l’ancien bâtiment technique qui a été alloué à Réunion Air
Service par la Météo et qu’on appelle alors « case Ethève ». Après s’être
installés, les « touristes » vont visiter la pointe nord avant de déjeuner.
Dans l’après-midi ils visitent la station météo, assistent à un lâcher de
ballon sonde, puis rendent visite à la colonie de fous et vont marcher
le long de la côte est. Après le diner, ils vont observer les tortues « à la
lueur des lampes torches ». Le lendemain après un petit déjeuner tout le
monde embarque et l’avion décolle vers 9 h 00. Le coût de l’escapade est
de 1000 FF.
Figure 19-9 – Document publicitaire.
A titre d’exemple, en 1982, Réunion Air Service organise 29 vols sur
Tromelin (12 sont des relèves de personnel, 13 des missions scientifiques
ou techniques, 4 des liaisons touristiques). Gaston Zinsius assure comme
pilote la majorité de ces vols, aux commandes du Piper PA 31 Chieftain.

Figure 19-10 – Le Hawker


Siddeley HS 748 de Réunion Air
Service, immatriculé F BSRA.

Gaston Zinzius
Né en 1935, il obtient son brevet de
pilote à l’age de 16 ans et trois mois.
A
Après cinq années passées dans
l’armée de l’air, il commence une
carrière de pilote dans l’aviation civile
et assurera pour Réunion Air Service,
les vols à destination de Tromelin entre
le 23 juillet 1979 et le 3 mai 1990.

163
Tromelin. Mémoire d’une île

Un Hawker Siddeley14 , d’une capacité de transport de 40 à 58 personnes,


acheté en 1977 par la compagnie Réunion Air Service pour desservir
l’île de Mayotte (Comores), assure en 1981 et 1982 des vols touristiques
à destination de Tromelin. Les vols sont souvent organisés au profit de
comités d’entreprise comme l’ORTF ou la Sécurité sociale. Les passa-
gers devaient signer un certificat par lequel il s’engageait à respecter
l’environnement, la faune et la flore. Le séjour sur l’île durait environ 8
heures et le repas consistait en un sandwich apporté depuis La Réunion.

Le dimanche 15 février 1981, Guy Petit de la Rhodière organise le


voyage d’une cinquantaine de personnes de la commune de Grand-
Îlet, hommes, femmes, enfants et des journalistes ; ces derniers rendent
compte de l’évènement15 .

1981 : Arrêté de protection

Un arrêté datant du 06 août 1981 détaille les mesures à respecter, en Guy Clergue
matière de protection de la faune et de la flore, mais également ce qui Né le 28 juillet 1927 à Saint-Denis
concerne la gestion des déchets. Sous la pression des écologistes et en (La Réunion), diplômé de l’école de la
particulier de Guy Clergue, un ingénieur météorologue, militant météorologie de Saint-Cyr (Yvelines),
écologiste, les vols par HS 748 seront interrompus avant avril 1983. il connaît diverses affectations : en
 *‘ <=  >> \ 
avec le grade de capitaine, en Alsace
1983-1984 : Installation d’éoliennes (1965-1969), il sera ensuite nommé
à Saint-Denis (La Réunion), section
Pour essayer de diminuer le transport par avion du carburant destiné Informatique (1969-1983), avant de
prendre sa retraite. Il fut membre,
aux groupes électrogènes alimentant l’île en électricité, des éoliennes comme conseiller technique, du Conseil
furent installées. Une première éolienne est installée et est opération- de la Culture, de l’Education et de
nelle en mai 1983. Une seconde éolienne est installée l’année suivante. l’Environnement (1985-1998). Militant
L’alizé soufflant en permanence, cette solution paraissait intéressante. écologiste, candidat à plusieurs élections
régionales et cantonales, il fonda la
Mais la violence des vents liés au passage des dépressions tropicales eut Société Réunionnaise pour l’Etude et la
raison avec le temps de cette solution, en effet à plusieurs reprises les Protection de l’Environnement (SREPEN)
pylônes support furent abattus. en 1971, après avoir créé en 1970 la
SPA, Société Protectrice des Animaux,
ainsi que Nature et Progrès Réunion
1986 : Erenista et Honorinina - Deux cyclones passent à (1980-1992). Il sera membre fondateur
proximité de l’île en 1981 puis président (1982-1995)
d’Ecologie Réunion. Il est décédé à
Le 4 février 1986, le cyclone Erenista passe à son tour à une quarantaine Saint-Denis le 17 octobre 2012.
de kilomètres dans le nord-ouest de Tromelin. Classé cyclone tropical
intense, la pression descend jusqu’à 937 hpa et les vents atteignent près
de 234 km/heure dévastant les paysages de l’île.

L’impact de cette catastrophe est décrit dans le journal de bord de la


station météo16 . Il permet de comprendre les effets d’un cyclone tropical
intense sur la morphologie de Tromelin :

14. Hawker Siddeley HS 748 immatriculé F BSRA.


15. Le Quotidien de La Réunion, du 17 février 1981 –Charter pour Tromelin pour le CASE
de Grand-Ilet par Roger Serre.
Le Journal de l’ île de La Réunion de 19 février 1981 –Des habitants de Grand-Ilet à la
découverte de Tromelin.
16. Archives de la station météorologique de La Réunion

164
Tromelin habitée et active

« Bien qu’elle n’ait jamais été très abondante, la


végétation est méconnaissable. Les vents violents et
chargés de sable n’ont laissé en place que quelques
vacoas et veloutiers sur lesquels il ne reste plus de
feuillage. […] De nombreux coquillages venant
des grands fonds gisent sur le sable. […] La piste
d’aviation est dévastée. Les 250 premiers mètres ont
été déssablés (sic) laissant apparaître des blocs de
corail dangereux lors d’un atterrissage. Pour espérer
d’éventuels secours, il va nous falloir ré-ensabler la
piste. De plus, les 600 derniers mètres sont inondés
probablement à cause de la marée de tempête. »

Figure 19-11 – Trajectoire du On note à cette description que les effets d’Erenista sur la piste sont iden-
cyclone tropical Erenista. tiques à ceux qui avaient été observés lors du passage de Lydie en 1973.

Figure 19-12 – La cuisine, dont le


toit a une fois encore été arraché.

Figure 19-13 – La cuisine et à


l’arrière-plan le radôme.

165
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 19-14 – Le local de gonflage


des ballons est en partie détruit.

Fréderic Mansel, un technicien de la météo, qui a enduré le passage du


cyclone raconte : 

« C’était fou. Je suis breton, et j’en ai vu des mers en furies. Mais ce n’était
rien comparé à cela. Il y avait des creux allant de 12 à 20 mètres, et les flots ont
totalement balayé l’île… Tous les petits des fous et des frégates sont morts, et la
population adulte a diminué de moitié. Même chose pour les tortues : tous les
nids ont été détruits…17. »

Jean-Michel Dalleau qui était présent fait la même description, il faudra


huit jours avant que la piste ne s’assèche et que le premier avion ne
parvienne à se poser : un Piper Aztèque piloté par Gaston Zinzius, qui
s’embourbe en bout de piste. Selon lui, les oiseaux pressentent le cyclone
et quittent l’île, un ou deux jours avant. Les juvéniles sont bien entendu
tués et les œufs détruits. Les oiseaux mettent longtemps à revenir.
Figure 19-15 – L’eau a envahi le local
météo.

17. Journal de l’île de La Réunion du 10 février 1986 cité par Alain Hoarau (Hoarau 2002,
p. 180).

166
Tromelin habitée et active

Les lapins semble-t-il ont aussi payé leur tribut et il ne reste guère qu’une
femelle avec sa portée de lapereaux. Le dépeuplement de la colonie de
lapins, déjà présente en 1962, semble avoir été amorcé par les campagnes
de dératisation entreprises dès 1984. Ces derniers et leur mère ne résiste-
ront pas au passage d’un second cyclone  : Honorinina un mois plus
tard18 .

Le cyclone Honorinina apparait le 7 mars, il est baptisé dès le lende-


main. Lorsqu’il passe à 25 km au sud de Tromelin, le 13 mars 1986, il va
Figure 19-16 - Trajectoire du cyclone atteindre le stade de cyclone tropical très intense. Les vents atteignent
Honorinina. 232 km/h et 287 km/h dans les rafales. L’île est à nouveau dévastée par
la mer et le vent.

1987 - Ballons-sondes :
  \ Œ
\
’ 

Les ballons destinés aux sondages aérologique étaient gonflés à l’hy-


drogène. Ce gaz était fabriqué en mélangeant, du ferro-silicium, de la
soude caustique et de l’eau, mélange produisant de l’hydrogène selon la
formule suivante : Si + NaOH + 2 H2O = SiO3NaH + 2 H2 .

Cette méthode que l’on utilise aussi sur les navires de la Marine natio-
nale pour gonfler les ballons météos est très exothermique. L’hydrogène
Figure 19-17 – Le cyclone
lui-même est inflammable, on se souvient de l’incendie du Zeppelin
Honorinina le 13 mars à 11 h 11
UTM (NOAA/MODIS (NASA).
Hindenburg près de New-York, le 6 mai 1937. C’est en utilisant cette
méthode que se produisit aux Glorieuses, en novembre 1987, l’explosion
d’un ballon, gonflé par le technicien météo Joël Fontaine. Ce dernier,
gravement brulé et évacué par Transall à La Réunion puis à l’Hopital
Cochin à Paris, devait mourir de ses blessures.

A la suite de cet accident, qui laissait une veuve et deux enfants, cette
méthode de fabrication sera abandonnée. Les ballons sonde furent alors
gonflés avec de l’hélium dont le transport en « rack » constitua désor-
mais une part importante du fret des avions de l’armée de l’air.

1988-1990 - Passages de batiments de la Marine nationale

Le 14 novembre 1988, le bâtiment de commandement Marne basé à


Djibouti passe à Tromelin. Le contre-amiral Guy de Labouerie comman-
dant les forces maritimes françaises en océan Indien (ALINDIEN) se
trouve à bord.
Figure 19-18 – Le bâtiment
de commandement Marne.
Le 22 mai 1990, l’aviso-
escorteur Protet est de
nouveau de passage.

18. Zitte 2010, p. 82.

167
Tromelin. Mémoire d’une île

1993 : Etude des oiseaux de mer

Une série d’études des oiseaux marins présents sur l’île débute en 1993
et continue jusqu’à maintenant sous l’égide du MNHN, du Centre
d’études biologiques de Chizé (CEBC), du CNRS, de l’université de
La Réunion (Laboratoire d’écologie marine : ECOMAR). Il s’agit de
recenser les oiseaux marins et d’étudier leur écologie  : reproduction,
nidification, génétique, régime alimentaire et déplacements.

La première mission a lieu du 21 février au 2 mars 1993, elle est réalisée


par Matthieu Le Corre, pour le compte du Museum d’histoire natu- Figure 19-19 – A l'occasion du passage
à Tromelin, le bureau naval no 64
relle de La Réunion. Il participe aussi à la seconde qui se déroule du 8
est ouvert à bord de la Marne.
juin au 3 juillet 1994 dans le cadre de son DEA. La mission suivante,
du 15 novembre au 15 décembre 1997 est réalisée par Hervé Lormée
(doctotant du CEBC –CNRS). Elle est consacrée à l’étude des compor-
tements reproducteurs.

La quatrième mission a lieu du 5 décembre 2005 au 2 janvier 2006. Elle est


réalisée par une personne des TAAF et David Pinaud (CEBC – CNRS).
Le séjour est l’occasion d’un inventaire et d’un suivi des oiseaux équipés
de balises Argos lorsqu’ils vont pêcher au large. Cette mission est égale-
ment mise à profit pour éradiquer les rats et les souris qui se sont multipliés
et causent des dommages dans la population des oiseaux juvéniles.

Du 22 aout au 21 septembre 2012, une cinquième mission est effectuée


par Matthieu Bastien, sous contrat avec le laboratoire ECOMAR, afin
de réactualiser le recensement des oiseaux et vérifier les conséquences
de la dératisation. Le résultat des observations donne lieu à plusieurs
publications19.
Figure 19-20 – Courlis
Les fouilles archéologiques réalisées sur Tromelin par le GRAN et
(Ph. Tournois, 2010).
l’INRAP à partir de 2006 (voir chapitres suivants) ont mis en évidence la
présence d’une colonie de sternes fuligineuses (Sterna fuscata) lors du séjour
des naufragés de l’Utile (de 1761 à 1776). Cette colonie qui a constitué une
part importante de leur alimentation est aujourd’hui disparue.

1994 : Interdiction de pêche

Un arrêté préfectoral du 15 février 1994 interdit toute pêche à l’inté-


rieur des eaux territoriales (12 milles marins) des îles Tromelin,
Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India. Ceci se traduit
par une protection intégrale de la faune et de la flore marines dans la
mer territoriale, avec cependant des possibilités de dérogation pour les
recherches scientifiques.

1995 : Passage d'un bâtiment de la Marine nationale

En mai 1995, le bâtiment océanographique d’Entrecasteaux effectue un


nouveau relevé des sondes autour de l’île. Figure 19-21 – Le bâtiment
19. Le Corre M. 1996 ; Le Corre M. 1999 ; Le Corre M., Jouventin P. 1999, Lormée et al., Océanographique d’Entrecasteaux
2000 ; Kappes et al., 2011. passe à Tromelin le 3 mai 1995.

168
Tromelin habitée et active

1996 : Nouvelle carte du SHOM

Le service hydrographique n’avait pas publié de carte de Tromelin


depuis 1959 (voir chapitre 18). Une nouvelle carte en couleur de l’île est
dessinée à l’aide des observations effectuées en 1959 par le Lapérouse et
l’année précédente par le d’Entrecasteaux.

Figure 19-22 – Carte SHOM


no 7349 (International 7730). De
La Réunion à Maurice (Mauritius)
– Ile Tromelin Publiée en
1996 – échelle du cartouche
Tromelin : 1/30000.

169
Tromelin. Mémoire d’une île

Mars 2000 : Passage du porte avions Foch au cours de


l’opération Myrrhe

Le 8 mars 2000, une Alouette III et l’hélicoptère Puma du Foch ont


déposé une délégation de quelques officiers de l’Etat major du bâtiment
sur l’île Tromelin20 .

Septembre 2000 : Relevé topographique de l’île

Le gendarme Swingedruw réalise un relevé topographique de l’île


Tromelin où figure en particulier le couvert végétal de l’île.

Figure 19-23 – Relevé


topographique de Tromelin.

20. Après une escale au mouillage à Bombay, suivie de manœuvre avec la marine indienne
en mer d’Oman, du 24 au 28 février, le Foch a poursuivi son tour du monde dans le cadre de
l’opération Myrrhe. Le Tourville et l’ Emeraude ont quitté le groupe de la Task Force 473 pour
rentrer à leur base.

170
Tromelin habitée et active

15 septembre 2004 : Pêche illégale dans la ZEE

Le 15 septembre 2004, deux unités de la marine nationale française : la


frégate Nivose et le patrouilleur type P. 400 Rieuse arraisonnent deux
navires de pêche japonais dans la zone exclusive de l’île Tromelin. Ces
deux palangriers  : le Koryo Maru 3821 et le Shokyu Maru 38, étaient
chargés respectivement de 50 et 90 tonnes de thon. Ils étaient déten-
teurs de licences de pêche accordées par Maurice. L’affaire fut suivie de
tensions entre la France et Maurice.

3 janvier 2005 : Tromelin administrée par les TAAF

Depuis 1960, Tromelin comme l’ensemble des îles éparses, désignées


comme étant des « territoires résiduels de la République », était admi-
nistrée par le préfet du département de La Réunion agissant en tant que
délégué du Gouvernement. Un arrêté daté du 3 janvier 2005 22 transfère
ces responsabilités au préfet administrateur supérieur des Terres
Australes et Antarctiques Françaises (TAAF). On passera de la gestion
à l’intégration à l’occasion de la loi du 21 février 2007, les îles éparses
constituant le 5e district des TAAF.

Le 20 février 2005, Mme Brigitte Girardin, ministre de l’Outre-mer


fait un passage à Tromelin. Un journaliste du Figaro, Cyril Hofstein,
l’accompagne. Une plaque commémorative concernant cette visite sera
plus tard apposée sur l’avant de l’affût du canon de l’Utile qui se trouve
devant la station. Cet affût a été réalisé par l’équipe des archéologues du
programme « Esclaves oubliés » à l’occasion de la campagne de fouille
2006. Le canon gisait à terre devant la station, aussi en fin de mission les
plongeurs, utilisant les madriers qui avaient été apportés sur l’île pour
réaliser une plateforme de plongée, construisirent cet affût.
Figure 19-24 – Plaque commémorative.

Figure 19-25 – Mise en place


du canon sur son nouvel affût
par l’équipe du GRAN et les
météos (5 novembre 2006).

21. Le Koryo Maru 38, (indicatif JIBC), armé à Takaoka (Japon) propriétaire Ogino Gyogyo,
mesure 60 m de longueur, 9 m de large et 4 m de tirant d’eau pour un tonnage de 499 tonnes.
22. Journal officiel de la République française du 18 janvier 2005, p. 798.

171
Chapitre XX

Mission Esclaves oubliés


2006

Le médecin commandant Legeais avait remarqué en 1954 les épaves


dont les débris étaient visibles sur les rivages de l’île. Avec beaucoup de
perspicacité, il avait souligné dans l’un de ses articles1 que « l’expertise
des épaves mériterait d’être faite par des techniciens de la Marine, et
des explorations sous-marines effectuées en ce lieu permettraient peut-
être la découverte d’autres restes dont l’intérêt historique ne serait pas
négligeable ».

C’est en 2003 que l’idée d’une fouille archéologique sous-marine et


terrestre sur l’île de Tromelin a commencé à prendre forme. Le Groupe
de recherche en archéologie navale (GRAN) fut contacté par Joël
Mouret, un technicien de Météo-France effectuant des séjours réguliers
sur l’île de Tromelin. Il révéla la présence de l’épave de l’Utile et l’his-
toire des esclaves abandonnés. Cette information venait répondre au
souhait de l’UNESCO de mettre sur pied un projet dans l’océan Indien
destiné à faire partie des manifestations de l’année 2004, déclarée année
de la commémoration de la lutte contre l’esclavage.

C’est ainsi que la fouille archéologique sous-marine et terrestre


s’est inscrite dans un programme que nous avons baptisé «  Esclaves
oubliés », parrainé par l’UNESCO, puis plus tard par le Comité pour
la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Cette démarche visait à éclairer, à
travers l’étude du naufrage de l’Utile, les conditions générales de la traite
des esclaves dans l’océan Indien et particulièrement celle concernant
Madagascar.

La mission archéologique avait deux objectifs : la fouille de l’épave de


l’Utile, en employant l’équipe du GRAN avec la coopération des plon-
geurs de l’Association réunionnaise « Confrérie des gens de la mer »,

1. Legeais 1955, p. 107.

173
Tromelin. Mémoire d’une île

et la fouille terrestre, pour laquelle le soutien de l’Institut national Figure 20-1 – L’équipe de fouille
de recherches archéologiques préventives (INRAP) fut demandé et et les météos présents sur l’île :
accordé. C’est donc une équipe composée à la fois d’archéologues sous- de gauche à droite : Cyril d’Andrea,
Eugène Baran, Jacques Morin, Sébastien
marins et d’archéologues terrestres qui a été mise en place.
Berthaut-Clarac, Arnaud Lafumas, Pascal
Cohu, Thomas Romon, Jean-François
Une convention-cadre concernant ce projet de fouille entre le GRAN et Rebeyrotte, Sudel Fuma, Max Guérout,
l’Etat, représenté par le préfet des TAAF, a été signée 16 août 2006. Le Joël Mouret, Patrick Ethève, Joe Guesnon.
financement de l’opération a été assuré par la fondation d’entreprise du
groupe Banque Populaire, le conseil régional de La Réunion, le conseil
général de La Réunion, la DRAC La Réunion. Les recherches histo-
riques initiales ont été financées par l’UNESCO entre 2003 et 2005.

La fouille sous-marine posait un difficile problème de sécurité en


raison de l’éloignement des secours en cas d’accident de plongée, et Les membres de la mission
des difficultés de mise à l’eau d’une embarcation compte tenu des
Max Guérout (GRAN) - Chef de
conditions de mer sévères et des conséquences que pouvait entraîner mission ;Thomas Romon (INRAP) –
une panne de moteur. En effet toute embarcation en panne de moteur Responsable du chantier terrestre ; Joe
qui ne mouille pas aussitôt, se retrouve rapidement en dérive et dans Guesnon (GRAN) – Responsable du
l’impossibilité de mouiller une ancre, car la profondeur augmente chantier sous-marin ; Sébastien Berthaut-
Clarac (GRAN) ; Arnaud Lafumas
très rapidement. L’embarcation pneumatique utilisée fut, pour cette (Confrérie des gens de la mer) ; Jacques
raison, équipée de deux moteurs hors-bord (un moteur de 25 cv en Morin (GRAN) ; Jean-François Rebeyrotte
place et un moteur de 15 cv en secours). (Confrérie des gens de la mer) ; Sudel
Fuma (Université de La Réunion) – mort
noyé en mer, au cours d’une partie de
Le gros du matériel concernait la plongée : compresseurs d’air, moto- pêche au large de l’île de La Réunion,
pompes, bouteilles de plongée, embarcation pneumatique et moteurs le 12 juillet 2014 – ; Jean-Marie de
hors-bord, carburant. Les vols de Transall ayant acheminé le matériel Bernardy de Sigoyer (Confrérie des
et l’équipe de fouille ont eu lieu les 7 juillet, 3 août, 22 août (matières gens de la mer) - Photographe ; Dr. Cyril
d’Andrea - Médecin de la mission.
dangereuses et carburant), 1erseptembre, 10 octobre (transport de L’équipe météo était composée de
matériel restant et du personnel). Le vol du 9 novembre a assuré le Joël Mouret, Pascal Cohu, Jean-Michel
retour du personnel et du matériel. Dalleau, Eugène Baran, Patrick Ethève.

174
Mission Esclaves oubliés 2006

Objectifs de la recherche2
La fouille de l’épave de l’Utile et de l’île de Tromelin offre une oppor-
tunité rare de mettre en relation un site sous-marin et un site terrestre.

Cette fouille en miroir paraît d’autant plus pertinente que la majeure


partie des objets qui ont contribué à la survie des naufragés provenait
de l’épave du navire. De plus, elle s’insère alors dans un ensemble plus
large de recherches historiques. Les travaux de recherche se multiplient
visant à élucider le destin des esclaves et particulièrement des rescapés,
depuis leur lieu de capture sur les hautes terres malgaches jusqu’à leur
descendance éventuelle.

L’objectif de cette mission est alors de retrouver les traces du séjour à


terre des naufragés et surtout d’élucider les conditions de leur survie.
Survie assurée dans la période initiale par les restes du navire et les vivres
récupérés, puis ultérieurement en utilisant les très faibles ressources de
l’île elle-même.

Le séjour des naufragés se scinde en deux périodes. Une première allant


du 31 juillet au 27 septembre 1761, lorsque les Français et les esclaves
s’installent pour survivre, creusent un puits et construisent une embar-
cation de fortune. Une seconde période de quinze ans suit pendant
laquelle les esclaves laissés sur l’île s’organisent pour survivre et/ou
tenter de quitter l’île à bord de radeaux (deux tentatives sont rapportées
par les femmes rescapées).

Si la première période est bien documentée, à travers les récits du


naufrage et du séjour des Français sur l’île par Keraudic et deux plans
permettent de retrouver les lieux principaux de l’installation, la seconde
période compte tenu de sa durée pose bien entendu plus de questions :
comment les problèmes matériels ont-ils été résolus, et comment les
naufragés ont-ils assuré leur subsistance après l’épuisement des trois
mois de vivres que leur avaient laissés les Français ?

La mission qui va durer quatre semaines a donc ces questions à l’esprit,


cherchant les traces de l’occupation et de l’organisation de l’espace, les
moyens de protection utilisés contre les éléments naturels (soleil, pluie,
vent, cyclones), la nature des abris éventuels (protection des individus
et du feu qui semble avoir été conservé pendant quinze ans), le renou-
vellement des vêtements, etc. Les archéologues cherchent aussi à évaluer
les ressources alimentaires de l’île et leur capacité à assurer la survie des
naufragés. De ce point de vue, on espère la découverte de restes humains
pouvant permettre de vérifier d’éventuelles carences alimentaires3 .

2. Il faut souligner que certains des documents cités dans les chapitres précédents n’avaient
pas encore été trouvés en 2006, en particulier ceux qui nous ont permis de connaître le nombre
d’esclaves embarqués à Foulepointe.
3. Cette section « Objectifs de la recherche » reprend le texte du « Compte rendu des
recherches archéologiques sous-marines et terrestres effectuées sur l’île Tromelin (10 octobre–
9 novembre 2006) », rapport non publié.

175
Tromelin. Mémoire d’une île

Fouilles sous-marines (Joe Guesnon)


L’épave de l’Utile est située au nord-ouest de l’île à la position indiquée
sur les cartes manuscrites de l’époque qui sont parvenues jusqu’à nous.
Le site est marqué par la présence d’une patte d’ancres qui émerge à une
trentaine de mètres du rivage.

Bien que située sous le vent dominant, l’alizé du sud-est, l’épave est diffi-
cilement accessible lorsque l’alizé souffle à une vitesse supérieure à 15
nœuds. Dans ce cas, la houle qui fait le tour de l’île devient trop forte
pour permettre les plongées sur le site.

La morphologie des fonds est conforme au schéma général établi par


Bouchon et Faure 4 . Des couloirs perpendiculaires à la côte creusés par
les eaux du ressac aboutissent, à environ 150 m du rivage, à des cuvettes
dont les rebords relativement abrupts mesurent environ 2 m de hauteur.
Au-delà de ces cuvettes et après un ressaut, le fond descend rapidement.
Les couloirs permettent aux plongeurs de gagner le site sans être trop
gênés par les vagues déferlantes.

Topographie du site

Malgré les difficultés, une topographie générale du site et un relevé


précis de l’ensemble des éléments présents ont été effectués (voir planche
hors-texte supra). Les éléments les plus remarquables sont les ancres,
les pièces d’artillerie, le lest de fer et le lest de pierre du navire. Seuls
quelques petits objets en plomb ou en bronze ont été mis au jour.

Figure 20-2 – Canons en bord de plage. Figure 20-3 – Plongeur dans un cañon.

4. Bouchon, Faure, 1979.

176
Mission Esclaves oubliés 2006

Figure 20-4 – Profil du récif (Bouchon


& Faure 1979 ; Gabrié 1998).

Trois grandes ancres ont été localisées sur le site de naufrage de l’Utile
et une quatrième (une ancre à jet plus légère) qui ne se trouve pas sur le
site de naufrage de l’Utile, mais a été retrouvée reposant sur un fond de
15 mètres, à environ 400 m au large de la plage située au nord-ouest de
l’île. Il s’agit d’une ancre à jet utilisée par les naufragés pour maintenir
la Providence, leur embarcation de fortune, au moment de son appareil-
lage, afin de faciliter le gréement et l’établissement de sa voilure. Elle
figure sur les plans manuscrits.

Outre trois pièces d’artillerie tirées à terre par le passé, l’ensemble de l’ar-
tillerie présente sur l’Utile a été localisé et identifié par type. L’armement
embarqué était composé de vingt pièces de 85 , et huit pièces de 4 6 .

Les naufragés après avoir tenté en vain d’alerter un navire passant à


proximité de l’île en allumant plusieurs barils de poudre, un canon
de 8 et son affût furent tirés à terre  pour permettre de signaler leur
présence en cas de nouveau passage  ; l’écrivain du bord en décrit les
circonstances :

« Le 9. L’après midy a deux heures nous avons vu une embarquation à deux
mâts sous le vent à nous, on a hissé plusieurs pavillons et bruslé deux barils de
poudre que je pense qu’ils n’ont pas apperçu mais bien l’Isle, ayant viré de bord
et pris la route de l’Inde […]
Le 17. Le tronçon du grand mât de hune pour faire des bordages, sauvé un
canon de 8 et monté sur l’isle sur son affût, sauvé un perrier. »

Ce canon qui n’a pas séjourné longtemps dans l’eau de mer est resté
dans un état de conservation relativement bon. Trouvé dans le sable de
la plage, il est à présent en place devant la station météo. Deux autres
canons de 8 ont été tirés de l’eau en 1966, pour être mis en place devant
la station météorologique. Faute de mesures de conservation adéquates,
ils sont rapidement tombés en ruine et ont été jetés sur une décharge.
5. Artillerie dont le boulet pèse 8 livres soit 3,912 kg.
6. Artillerie dont le boulet pèse 4 livres soit 1,956 kg.

177
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 20-5 – Ancre sur Figure 20-6 – Ancre à jet,


le site de naufrage. au nord-ouest de l’île.

On note sur le plan du site, le regroupement des canons de 4 dans une


zone relativement réduite, qui est très probablement l’endroit où l’ar-
rière du navire se trouvait au moment où l’officier en second donne
l’ordre de jeter les canons à la mer pour alléger le navire. L’artillerie de 4
se trouvait sur le gaillard d’arrière, elle pouvait donc être plus facilement
jetée par-dessus bord.

Un canon pierrier comme l’indique le texte ci-dessus a été sauveté par


les naufragés et emporté sur leur embarcation de fortune, l’autre canon
semble avoir été récupéré par un visiteur de l’île.

Le lest de fer est composé de gueuses de deux tailles différentes. Les


dimensions suivantes sont prises avec la concrétion qui recouvre ces
saumons.
1 - Section : 20 x 20 cm, longueur : 83 cm
2 –Section : 17 x 17 cm, longueur : 76 cm

Le poids de ces gueuses de fer est respectivement de 190 et 120 kg soit


400 et 250 livres environ, un poids qui les rend difficilement déplaçables
à la main. Elles constituent probablement le lest fixe mis en place dans la
cale. Le nombre total de gueuses de lest observé est de 55, soit pour un
nombre égal de gueuse des deux types, un lest d’environ 8 tonnes.

Le lest de pierre est composé de gros galets de rivière ou de blocs de


pierre volcanique, du basalte, dont certains ont été rejeté sur la plage.

178
Mission Esclaves oubliés 2006

Figure 20-7 – Canon dégradé


sur une décharge.

Figure 20-8 – Canon de 8


devant la station.

Figure 20-9 – Canons sur le site.

Figure 20-10 – Canon sur le site.

179
Tromelin. Mémoire d’une île

Mécanique du naufrage
Le naufrage nous est décrit par le document rédigé par l’écrivain du bord7.
Ces données sont confirmées par les deux plans manuscrits qui sont
parvenus jusqu’à nous. L’épave de l’Utile est représentée en position paral-
lèle au rivage, l’avant tourné vers le Sud, et son côté tribord vers le large.

Le tirant d’eau en charge de l’Utile est de 15 pieds, soit 4,87 m, il était


probablement un peu inférieur au moment du naufrage. Les vestiges
marquant le lieu de destruction de la coque sont concentrés à une
profondeur moyenne de 4 mètres.

Pour expliquer l’orientation prise par la coque après le choc initial, il faut
tenir compte de plusieurs paramètres, en premier lieu le cap du bâtiment
au moment du naufrage : un cap à l’est à moins d’un changement de cap de
dernière minute. Le navire naviguait au plus près (à environ 45 à50 degrés
du lit du vent de S.E.) tribord amure (le vent venant du côté tribord). Pour
se retrouver par la suite avec son côté tribord vers le large (comme le décrit
l’écrivain du bord), il faut alors que l’arrière du navire exécute une rota-
tion d’environ 45 degrés vers le nord. Cette rotation est très probablement
due aux effets du courant permanent qui longe la côte du sud vers le nord.
Ce courant correspond à l’écoulement des eaux de surface poussées par
l’alizé de sud-est qui induit dans cette zone de l’océan Indien un courant
permanent un peu inférieur à un nœud (20 milles en 24 heures). Dans
cette situation initiale, la coque de l’Utile semble avoir résisté environ
quatre heures trente avant de s’ouvrir vers trois heures du matin.

L’examen de la répartition des vestiges sur le fond permet d’identifier


quatre zones remarquables :
1 –Les 8 pièces d’artillerie de 4, soit la totalité de la dotation
du bord, sont concentrées à l’intérieur d’un cercle de 10 mètres de rayon.
Cette artillerie était située sur le gaillard d’arrière de la flûte.
2 –Une concentration de boulets qui correspond à la position
finale du puits à boulet où sont stockés ces derniers. Le puits à boulet est
toujours situé à proximité immédiate du grand mât et cette concentration
nous permet donc de situer celui-ci à la fin du processus de destruction de
la coque.
3 - Proche du point précédent, sont également concentrés les lests
de fer qui compte tenu de leur poids n’ont pu être déplacés par les mers les
plus grosses. Ce type de lest est mis en place au-dessus du lest de pierre
et sert à maintenir le navire dans ses lignes d’eau idéales. Leur présence
marque la zone de dislocation des fonds du navire, on peut remarquer que
leur étalement est plutôt perpendiculaire au trait de côte.
4 –Deux grandes ancres et huit canons de 8 se trouvent tout près
de la plage à environ une centaine de mètres des vestiges précédents. Les
trois canons déjà hissés à terre ont probablement été également récupérés
à cet endroit, ce qui porte le total à onze pièces de 8. Les deux grandes
ancres : très probablement les deux ancres de bossoir, qui compte tenu de
leur orientation n’ont pas été mouillées, indiquent la position finale de
l’avant du navire.

7. SHD –Lorient, 1 P 297, liasse 15 –pièce 85, Relation anonyme du naufrage (Voir chapitre 4).

180
Mission Esclaves oubliés 2006

Figure 20-11 – Mécanique du naufrage.

La lecture du texte de Keraudic et ces constatations permettent de recons-


tituer les mouvements du navire après le premier choc et d’expliquer la
répartition des vestiges sur le fond (Figure 20-11). On peut considérer,
comme l’indiquent les documents cités ci-dessus, que peu après le choc
initial (position no 1), le navire après avoir pivoté autour de son avant se
retrouve grossièrement parallèle à la côte, l’avant tourné vers le sud et en
conséquence son côté tribord vers le large (position no 2).

La concentration des canons de 4 correspond au jet à la mer effectué sur


ordre de l’officier en second pour alléger le navire. Ces pièces d’artillerie
placées sur le pont du gaillard d’arrière sont en effet les plus faciles à jeter
par-dessus bord, malgré leur poids avoisinant une tonne, car elles sont
directement accessibles. Il semble bien que non seulement les pièces de
tribord, mais également celles de bâbord, aient été jetées à l’eau. Les mâts
ayant été au préalable coupés, le navire se trouve allégé, et sous l’impul-
sion du vent et du courant se déplace vers le nord. La position relative de
la concentration des canons de 4 et du puits à boulet, soit environ 15 m,
implique un déplacement de la coque d’une distance de trente à quarante
mètres vers le nord.

En effet le centre du gaillard d’arrière se trouve à environ 15 m en arrière du


grand mât, donc au nord de celui-ci dans la position initiale du navire, or
la concentration des canons de 4 se trouve finalement à une quinzaine de
mètres au sud de la concentration des boulets qui marquent à peu près la posi-
tion finale du grand mât (position no 3/1). Pendant ce mouvement la partie
avant du navire se détache (position no 3/2) et allégée dérive pratiquement
jusqu’à la plage (position no 4), l’avant tourné vers le large comme l’indique
la position des deux ancres de bossoir et la présence d’un peu plus de la moitié
de l’artillerie de 8. Cette dernière observation indique que la cassure s’est
produite à deux ou trois mètres sur l’avant du grand mât.

Par la suite la partie arrière s’oriente perpendiculairement à la côte comme


l’indique Keraudic à la fin de son texte, la présence de quelques canons
entre l’endroit où se trouvent réparties les gueuses de lest et la plage illus-
trant très probablement ce dernier mouvement.

181
Tromelin. Mémoire d’une île

Fouilles terrestres (Thomas Romon)


Les recherches entreprises sur les sites indiqués sur les plans manuscrits
de la Bibliothèque nationale ont permis de dégager les vestiges du four
construit par les marins français pour y cuire du biscuit, mais elles ont
été négatives dans la zone des campements. De même les recherches
effectuées en haut de plage n’ont pas permis de retrouver des tombes de
marins et d’esclaves noyés au cours du naufrage.

Sur le point haut, situé au nord de l’île, à l’endroit où les naufragés


malgaches se sont installés après le départ des Français, avec un peu de
chance et de flair, un pan de mur construit par eux, a été mis au jour.
Autour de ce mur, une couche de sédiment correspondant à l’occupa-
tion des naufragés a été dégagée.

Figure 20-12 – Lieux fouillés en 2006.

Figure 20-13 – Embase du four


(mortier de chaux) retrouvée
à 40 cm de profondeur.

La localisation, sur le point haut de l’île, du lieu de vie final est encore
peu précise. Les éléments de mur découverts ne sont pas suffisamment
importants pour que nous puissions en déduire l’emprise de la construc-
tion à laquelle ils appartenaient. De même nous ne pouvons pas les ratta-
cher aux observations faites par le Commander Parker qui décrivait, en
particulier, une construction avec cinq pièces dont l’une contenait un
foyer et deux autres constructions carrées à proximité.

La partie supérieure de ces constructions a été en partie détruite lors


de l’installation de la station météorologique. Les blocs de corail qui la
composait ont été réutilisés pour réaliser les dalles de support des bâti-
ments de la station. Les couches de déblais provenant de ces construc-
tions comportent des éléments se trouvant à l’origine dans des couches
sédimentaires plus anciennes.

L’analyse de la stratigraphie fait apparaître un épisode climatique qui


précède la mise en place de la construction observée. La première occu-
pation pourrait correspondre à l’utilisation d’un habitat léger du type
tente confectionné avec les voiles du navire. La destruction de ces abris
par les vents violents qui accompagnent un évènement climatique du
type cyclone paraît alors probable. La seconde occupation correspond à
la construction d’un habitat en dur.

182
Mission Esclaves oubliés 2006

Figure 20-14 1 et 20-14 2 –


Structure en élévation (mur).

Le mur est construit en utilisant des plaques de grès de sable dispo-


sées verticalement à la base du mur, surmontées par des blocs de corail
disposés horizontalement (Figure 20-14 1). Des similitudes avec les
constructions malgaches sont recherchées. La couche archéologique
contient de la cendre, des restes de faune consommée, des objets prove-
nant de l’épave de l’Utile. Les restes de faune ont été recueillis, il s’agit
essentiellement de tortues et d’oiseaux qui ont constitué la base de la
nourriture.

Le puits creusé par les marins de l’Utile n’a pas été retrouvé, mais à l’évi-
dence il a assuré la survie des naufragés.

Cinq récipients en cuivre ont été retrouvés dans une couche de déblais
provenant très probablement du creusement des fondations des bâti-
ments de la station météorologique qui sont proches, ils sont semblables
à deux petits récipients retrouvés à la surface de la couche archéologique.

Mobilier archéologique
Figure 20-15 1 et 20-15 2 – Coq
de pâtissier ; à droite, croquis d’un Objets provenant de l’épave de l’Utile
coq avec sa roulette (T06.U.008).

0 1 cm

183
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 20-17 – Dessin 0 2 cm


d’un boulet fléau.
Figure 20-18 – Poids de 5 livres
en plomb (T06.U.002).

0 2 cm

Figure 20-16 – Têtes de boulet fléau (T06.U.003-007).

Objets provenant du site du four


Figure 20-19 – Briques réfractaires
prélevées sur l’épave de l’Utile
(T06.F.022).
Figure 20-20 1 et 20-20 2 – Etrier
de chaîne de hauban (T06.F.229).
Figure 20-21 - Chaîne de hauban (dessin).

0 5 cm

0 5 cm

0 5 cm

Objets provenant du point haut

Un certain nombre d’objets a été retrouvé dans les déblais provenant du


creusement des fondations des bâtiments de la station météo.

184
Mission Esclaves oubliés 2006

0 1 cm 0 1 cm

0 1 cm 0 2 cm

Figure 20-22 – Fourneau de


pipe (T06.PH5.001). Cinq récipients en cuivre ont été trouvés dans cette couche de déblais.
Figure 20-23 – Garde
Le plus remarquable, compte tenu des nombreuses réparations dont il a
d’épée (T06.PH5.002).
Figure 20-24 – Boucle de
été l’objet, est PH5.015
chaussure (T06.PH5.036).
Figure 20-25 – Bol chinois (T06.PH5.012).

0 5 cm

0 5 cm

Figures 20-27 et 28 – Récipient


PH5.015, vu de profil. Figure 20-26 – Récipient en cuivre PH5.015.

185
Tromelin. Mémoire d’une île

0 5 cm

Figure 20-29 – Galet de lest utilisé


comme affûtoir (T06.PH5.057).
Figure 20-30 – Galet en place.

Dans la couche de sédiment composée d’un mélange de sable et de


cendre correspondant à l’occupation des naufragés malgaches, des clous
de charpente ont été trouvés dans le sol, ce qui indique l’utilisation
du bois de charpente pour entretenir le feu. Ces derniers ont aussi été
utilisés comme outils ou ustensiles de cuisine, comme semble l’indiquer
la présence d’un clou à proximité immédiate du galet de lest lui-même
utilisé comme aff ûtoir. Deux récipients en cuivre semblables à ceux qui
se trouvaient dans la couche de déblais ont été également mis au jour
dans cette couche de sédiment.

Etude des ossements d’oiseaux


Les premiers lots d’ossement d’oiseaux prélevés sur le site, quelques
centaines, ont été envoyés à Véronique Laroulandie (Laboratoire
PACEA, l’Université de Bordeaux) pour étude. Les premières observa-
tions sont surprenantes, car il s’avère qu’ils appartiennent à une espèce :
la sterne fuligineuse, qui ne fréquente plus l’île aujourd’hui. Il s’agit de
la « Golette noire » dont parle Keraudic dans son récit (voir chapitre 4).
Une autre espèce est présente, qui pourrait être le noddi, que mentionne
l’ornithologue Layard dans le récit de sa visite en 1856 (voir chapitre 11).
Figure 20-31 – Prélèvement
La présence d’os médullaire (réserve minérale temporaire qui se trouve
d’ossements d’oiseaux.
à l’intérieur des ossements des femelles et sert à la constitution des
coquilles d’œuf) indique que les sternes venaient se reproduire sur l’île.

On attend la collecte d’un matériel plus abondant au cours des


prochaines missions pour valider ces premières impressions.

La contribution de l’archéologie à l’histoire de la migration des oiseaux


est une retombée inattendue de cette campagne de fouille.

186
Chapitre XXI

Mission Esclaves oubliés


2008

Février 2008 : Passage du cyclone Ivan

Le centre d’Ivan passe à 25 km au NNE de l’île le vendredi 15 février


2008 vers 19  h. En une heure, la pression a brutalement chuté de 7
hectopascals. La station météorologique enregistre une pression mini-
male de 969 hectopascals. L’île va rester un peu moins de trois heures
dans la zone de calmes avec des pluies faibles. Les
vents maximaux ont été enregistrés au moment du
premier passage du mur de l’œil à 17  h, à savoir
96  km/h en vent moyen sur dix minutes et près de
150 km/h en rafales (direction sud-est). A 15 h 30, au
moment du deuxième passage du mur de l’œil, le vent
a tourné au nord-est. Le diamètre au sol de l’œil
d’Ivan a été estimé à 65 kilomètres.

Ivan poursuit sa route et frappe la côte de Madagascar


près de Fénerive avec des vents de 125 nœuds, puis
traverse l’île. Le bilan est terrible. On déplore 83 morts,
177 disparus, 580 blessés, 187  000 sans-abri, 322  000
sinistrés

Figure 21-1 – Trajectoire du cyclone Ivan.

Deuxième mission « Esclaves oubliés »


(27 octobre-1er décembre)

Encouragée par les résultats obtenus au cours de la mission 2006, une


seconde mission est mise sur pied. A cet effet, une convention-cadre
entre le GRAN et l’Etat représenté par l’administrateur supérieur des
TAAF est signée.

187
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 21-2 – Arrivée de Yann


Von Arnim à bord de l’avion
des coast guards mauricien.

Le financement de l’opération a été assuré par la fondation d’entreprise Les membres de la mission 2008
du groupe Banque Populaire  ; le conseil régional de La Réunion  ; la Max Guérout (GRAN) - Chef de
Fondation du patrimoine ; la DRAC La Réunion. mission ;Thomas Romon (INRAP)
– Responsable du chantier terrestre ;
Nick Marriner - Géomorphologue
Les vols de transport du matériel prévus dans le cadre de la convention (CEREGE-Aix en Provence) ; Sudel Fuma
signée entre le GRAN et les FAZSOI ont eu lieu les 1er septembre, 27 (Université de La Réunion) ; Joe Guesnon
octobre transport de matériel restant et du personnel, 1er décembre (GRAN) ; Laurent Hoarau (CHAM) ;
retour du personnel et du matériel. Jean-François Rebeyrotte (GRAN) ;
Jean Boggio Pola – cameraman ;
Sylvain Savoia – dessinateur.
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rejointe par Yann Von Arnim, dans
Objectifs de recherche1 
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 >
  
avec le gouvernement Mauricien.
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L’apport principal de la mission 2006 avait été la localisation de l’ha- de : Joël Mouret, Jean-Michel
bitat des esclaves. Le sondage du point haut de l’île avait mis en évidence Dalleau, Eugène Baran.
deux phases d’occupation séparées par un épisode de tempête, des
vestiges de constructions et du mobilier liés à la présence des naufragés
de l’Utile après le départ des Français. Il était maintenant nécessaire
d’élargir le secteur de fouille.

Plusieurs aspects concentrent l’attention. Le feu intrigue  : a-t-il été


entretenu, conservé par les Malgaches ou a-t-il été allumé par des moyens
propres  ? La construction d’un habitat, mis au jour lors de la mission
2006 et attesté par des photographies en 1954, paraît une pratique inha-
bituelle pour des Malgaches.

L’utilisation des objets provenant de l’épave et leur adaptation aux


besoins des naufragés est également un des champs d’observation
privilégiés.

1. Compte rendu des recherches archéologiques sous-marines et terrestres effectuées sur l’île
Tromelin (27 octobre–1er décembre 2008), rapport non publié.

188
Mission Esclaves oubliés 2008

Afin d’élucider les pratiques alimentaires, il est nécessaire de consti-


tuer des échantillons statistiquement étudiables des restes de faune
consommée. Le recours à la micro-stratigraphie doit accroître la
connaissance de l’histoire cyclonique de la région.

Autre objectif : la localisation et la fouille des sépultures dont la présence


est attestée par la description qu’en a fait le Commander Parker lors
de sa visite en 1851. Ce dernier point revêt un intérêt majeur pour la
compréhension du groupe et de son adaptation au milieu.

Il faut souligner enfin l’intérêt théorique et méthodologique de la


mission. Il s’agit en effet d’étudier l’occupation d’un territoire très
restreint par un groupe d’individus dont le nombre et la durée de
présence sont connus, paramètres dont il est rare de disposer lorsque
l’on aborde l’étude d’un site archéologique. Cette particularité donne à
l’étude du site de Tromelin une importance particulière.

Géomorphologie de Tromelin et impacts des


paléotempêtes (Nick Marriner)2

Tromelin n’avait jamais fait l’objet d’études géographiques ou géolo-


giques approfondies. Pour comprendre les relations entre les naufragés
et leur milieu, la mission a dressé une carte précise de l’île et a décrit
les différentes unités géomorphologiques. Il s’agit d’appréhender les
processus de transferts sédimentaires autour de l’île  et d’étudier les
couches sédimentaires dans le contexte archéologique afin d’élucider
l’impact des tempêtes sur la vie des esclaves ainsi que sur leurs habitats.

Les paysages de Tromelin3

Tromelin est un récif de corail couvert de sable situé sur la cime d’un
point chaud volcanique qui jaillit des profondeurs de l’océan Indien.
Vue du ciel, les contours de l’île décrivent une forme ovoïde, une confi-
guration entièrement façonnée par la houle océanique créée par l’alizé
du sud-est. D’une superficie d’à peine 1 km2, soit 1750 m de long par
700 m de large, l’île est entourée d’un platier corallien qui émerge lors
des marées basses et qui fournit l’essentiel du sédiment présent sur
2. Marriner N., Guérout M., Romon T., The forgotten slaves of Tromelin (Indian Ocean): new
geoarchaeological data, in Journal of Archaeological Science, 37.
Marriner N., Guérout M., Romon T., Dussouillez, Ph., Géomorphologie de Tromelin (ocean
Indien), dans Comptes rendus géosciences, vol. 341, no 10, p. 766-777 (octobre 2010).
Marriner N., Pirazzoli P.A., Fontugne M., Guérout M., Guillaume M., Reyss J.L., A
geomorphological reconnaissance of Tromelin Island, Indian Ocean, in Journal of Coastal
Research: Volume 28, Issue 6, 2012, p. 1606 –1616.
3. Marriner N., Les paysages de Tromelin, dans Guérout Max, Romon Thomas, Tromelin l’île
aux esclaves oubliés, Paris, 2010, p. 28 –30.

189
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 21-3 – Carte topographique


de l’île de Tromelin.
Figure 21-4 – Typologie des
plages de Tromelin.

l’île. L’énorme masse océanique qui entoure l’îlot limite toute varia-
tion brutale de température et d’humidité. Il n’y a donc pas de saisons
prononcées.

En raison de la petite taille de l’île, la diversité des paysages est très


réduite. Pour l’essentiel, les distinctions les plus prononcées existent
entre la façade sud, recevant de plein fouet le vent et la houle de l’océan,
et le flanc nord, situé à l’abri du vent. De ce fait, le littoral sud est
constitué d’un talus façonné par les tempêtes, formé de blocs de corail
qui s’étagent jusqu’à une crête délimitant la couronne de l’îlot.

Cette unité paysagère se juxtapose aux plages nord, larges et plates, qui
sont formées d’un sable blanc d’origine corallienne remanié par l’action
des vagues. A l’extrémité nord, les accumulations de sable ont engendré
une pointe sableuse en forme de « queue de comète » dont la forme est
variable selon l’orientation des vents, et qui marque le terme des trans-
ferts sédimentaires du sud vers le nord.

190
Mission Esclaves oubliés 2008

Figure 21-5 – Vue du récif sud et


du talus de blocs de corail.
Figure 21-6 – Vue aérienne
de la pointe nord.

Sur la couronne de l’île, les paysages témoignent de ces processus éoliens


continus qui s’expriment sous forme de dunes. Ces zones coïncident
également avec les formations végétales les plus importantes, principale-
ment les arbustes de veloutiers, qui fixent les sables mobilisés par le vent.
De ce fait, la partie nord de l’île est aussi la plus haute. Elle culmine à
environ 8 m d’altitude. C’est l’endroit où les naufragés ont fini par se
réfugier dans l’attente de leur sauvetage.

191
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 21-7 – Veloutier en bord


de plage sur la côte Est.

Cette configuration contraste avec celle du sud de l’île, où le paysage


témoigne de processus météorologiques et marins beaucoup plus dyna-
miques. En deçà des plages de tempêtes, la présence de blocs de corail,
transportés jusqu’à 250 m à l’intérieur des terres, atteste que cette partie
de l’île est ponctuellement inondée. Ce paysage, quasiment dépourvu
de végétation, forme une dépression d’environ 40 000 m2. Située à seule-
ment 1,2 m au-dessus du niveau de la mer, il s’agit de la zone la plus basse
de l’île. De façon générale, la topographie de Tromelin rend cette l’île
particulièrement vulnérable aux effets des cyclones.

Figure 21-8 – Dépression centrale


située au sud de l’île.

192
Mission Esclaves oubliés 2008

‰   
ˆ*?  4
Tromelin se situe dans le bassin cyclonique du sud-ouest de l’océan
Indien, qui s’étend depuis les côtes africaines jusqu’au méridien 90°Est.
En moyenne, neuf perturbations tropicales naissent dans la région
chaque année, dont quatre atteindront le stade de cyclone tropical. Le
terme cyclone définit une perturbation météorologique caractérisée par
une zone centrale de basse pression. Naissant entre les 5e et 20e parallèles,
ces cyclones se forment généralement au cours de la saison estivale,
au-dessus des mers et océans tropicaux où la température s’élève à plus
de 27°C. Le gradient de pression entre le centre et l’extérieur engendre
une rotation de l’air autour du centre de basse pression, souvent appelé
œil cyclonique. Ces vents tournent dans le sens des aiguilles d’une
montre dans l’hémisphère sud. Ces perturbations sont accompagnées
de pluies torrentielles ainsi que d’une remontée du niveau relatif de la
mer et d’une houle cyclonique, dont la crête peut dépasser de plusieurs
mètres le niveau des plus hautes mers. La masse nuageuse cyclonique est
généralement d’un diamètre de 500  km mais peut parfois dépasser
1 000 km.
Figure 21-9 – Cyclone tropical
Huddah (2000).

Figure 21-10 – Stratigraphie de la


zone d’habitat des naufragés.

4. Marriner N., Impact des tempêtes sur l’île de Tromelin, dans Guérout Max, Romon Thomas,
Tromelin l’île aux esclaves oubliés, Paris, 2010, p. 122-124.

193
Tromelin. Mémoire d’une île

La topographie de Tromelin rend l’île particulièrement vulnérable aux


effets des cyclones et a probablement fait courir aux survivants de l’Utile
des risques importants. Quels sont les témoignages de ces tempêtes
passées  ? En dépit de données instrumentales directes, l’étude des
vestiges laissés dans les couches sédimentaires par le passage des tempêtes
anciennes permet de reconstituer l’histoire des tempêtes à partir de
couches sédimentaires préservées. En effet, ces couches s’accumulent
comme un mille-feuilles au fil du temps pour permettre une lecture fine
de l’évolution des paysages et de l’impact de ce type d’événement.

Nos observations ont permis de mettre au jour plusieurs couches sédi-


mentaires remontant au xviiie siècle, témoignant de tels impacts cyclo-
niques. Deux niveaux de tempêtes particulièrement intenses situés de
part et d’autre de la couche d’occupation attribuée aux naufragés de
l’Utile ont été observés sur le principal site de fouille. Ce niveau archéo-
logique d’occupation est très riche en micro-charbons et en matière
organique, ce qui donne aux sédiments un aspect brunâtre et indique
une relative stabilité de l’environnement. Par endroits, des lentilles de
sables blancs éoliens sont intercalées dans cette couche, et constituent
vraisemblablement le témoignage sédimentaire de tempêtes ayant frappé
l’île pendant l’occupation du site par les naufragés. Cette unité archéo-
logique contraste avec les deux niveaux de tempêtes intenses, pré- et
post- occupation, caractérisés par un sable blanc pur remanié par l’action
du vent et de la mer. Ces dépôts traduisent les fortes rafales cycloniques
ainsi qu’une montée graduelle des eaux, aboutissant à l’inondation
complète du site, suivie d’un retour vers une sédimentation de « beau
temps » à la fin de l’événement. Quelques blocs de corail, éparpillés en
vrac dans ces strates, attestent de la puissance hydrodynamique des deux
catastrophes enregistrées.

À l'exception du témoignage du capitaine de l’Atieth Rahamon en 1867


(voir ci-dessus chapitre 12), nous disposons uniquement de témoignages
rédigés depuis l’installation de la station météo. Et, comme en atteste le
récit du passage du cyclone Erenista, les phénomènes les plus puissants
sont capables d’effacer les traces d’évènements antérieurs, notamment
dans les zones les plus exposées. Cette érosion explique pourquoi nous
n’en retrouvons pas les traces comme c’est souvent le cas dans d’autres
régions tropicales du monde où les milieux lagunaires fonctionnent
comme des centres de dépôts sédimentaires.

194
Mission Esclaves oubliés 2008

 
^>\ ?^
Romon)5
Au cours de la mission précédente un mur de pierres sèches interrompu
par un bâtiment de la station météo a été dégagé, ainsi qu’une partie du
sol occupé par les naufragés. Cependant, le faible développement de ces
structures et le fait qu’elles étaient fortement perturbées par l’implanta-
tion de la station météorologique, n’avaient pas permis de comprendre
leur fonction.
Figure 21-11 - Emplacement de la fouille
autour du bâtiment météo détruit (rectangle
rouge).

Trois bâtiments complets ont été mis au jour. La base des murs repose
au-dessus d’un premier niveau d’occupation. Les murs ont donc été
construits après un temps d’occupation initial. Ils sont conservés sur un

Figure 21-12 – Plan général (relevé et


dessin T. Romon, M. Guérout, S. Savoia).

5. Romon T., Guérout M., L’Utile, 1761.... « Esclaves oubliés », Archéopages – numéro
hors-série – Constructions de l’archéologie – Hommage à Jean-Paul Demoule, Paris, 2008,
p. 59-63.
Guérout M., Romon T., Tromelin (Océan Indien), Une archéologie de la détresse, dans Les
nouvelles de l’Archéologie, no 108-109, juillet 2007, p. 113-118.
Guérout M., Romon T., Tromelin l’île aux esclaves oubliés, Paris, 2010.

195
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 21-13 – Bâtiment no 1.


peu plus d’un mètre de hauteur, car leur sommet a été arasé. Ils ont très
probablement servi de carrière pour la construction du soubassement

des bâtiments de la station météorologique, et marquent la hauteur du


sol au milieu du xxe siècle. Les murs sont constitués de blocs de corail et
de plaques de grès de sable (ou beach rock). Ces dernières sont disposées
verticalement à la base des murs, les blocs de corail étant posés à plat
au-dessus. Les murs ont une épaisseur qui dépasse souvent 1,5 m, seule la
face intérieure des murs comporte un parement.

Le bâtiment 1

Il est situé au sud de la zone fouillée. Il est constitué d’une seule pièce
rectangulaire orientée est-ouest, son entrée est à l’ouest (sous le vent).
Ses dimensions intérieures sont de 2,3 par 1,5  m, soit 3,45  m2. Dans
l’angle sud-est 3 blocs posés de champs délimitent l’espace d’un foyer.
Au-dessus, dans le mur est fichée une barre de fer recourbée qui était
sans doute destinée à supporter un récipient pendant la cuisson. Des
ustensiles très nombreux et principalement liés à une fonction culinaire
étaient rangés dans cet espace. Ils permettent d’identifier ce bâtiment
comme étant une cuisine.

Le bâtiment 2

Ce bâtiment est situé à l’est de la zone fouillée. Il est constitué d’une


seule pièce presque carrée. Son entrée est pratiquée dans un coin au
nord. Ses dimensions intérieures sont de 2,7 par 2,4 m, soit 6,5 m2. Le
mur est construit sur le même modèle que celui du bâtiment 1.
Cependant, les plaques de grès de sable sont utilisées de manière plus
systématique dans la réalisation du parement intérieur. De ce fait, les
assises sont beaucoup plus régulières. L’absence de mobilier archéolo-
gique permet d’avancer l’hypothèse qu’il s’agit plutôt d’un local d’habi-
tation : peut-être une chambre.

196
Mission Esclaves oubliés 2008

Figure 21-14 – Bâtiment no 2.

Le bâtiment 3

Situé au nord de la zone fouillée, il est constitué d’une


seule pièce trapézoïdale orientée nord-sud, prolongée,
après un coude de 90°, par un couloir. L’entrée
masquée par la « case météo » se trouvait sans doute
à l’ouest. Les dimensions intérieures du bâtiment
proprement dit sont de 2,3 par 1,3  m, soit 3  m2. Le
mur est construit sur le même modèle que ceux des
bâtiments précédents. Cependant, ce bâtiment a la
particularité d’avoir été modifié. Sans doute à la suite
d’un accident climatique, un mur de protection (le
mur 3) a été construit. Le mur oriental du bâtiment a
alors été déplacé et la longueur du mur 1 réduite.

Par ailleurs, les côtés sud et ouest du mur 1 de ce bâti-


ment ont été fortement perturbés par la construction
de la « case météo » et par la présence d’un ancrage
formé d’un fût de 200 litres rempli de ciment, rendant
la description et l’interprétation de celui-ci assez déli-
cate. Le mobilier abandonné par les naufragés dans ce
bâtiment (haches, massette) permet d’avancer l’hypo-
thèse qu’il pourrait s’agir d’un atelier.

Figure 21-15 – Bâtiment no 3.

197
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 21-16 – Vue du foyer extérieur


(trépied au premier plan), des
casseroles en cuivre et du grand
récipient en plomb (au second plan).

Le foyer extérieur

Les naufragés ont construit un foyer dans l’angle extérieur nord-est


du bâtiment 1. Il est délimité par une rangée de blocs de corail ayant
chauffé (très blancs et pulvérulents). Un trépied en fer, pouvant servir
de support, y a été retrouvé en position d’utilisation. Le sédiment situé
en dessous est calciné. Des objets abandonnés par les naufragés ont été
retrouvés autour de ce foyer. Il s’agit de petits bols en cuivre. Une grande
bassine en plomb est appuyée contre le mur à droite de l’entrée du bâti-
ment 1, reposant sur une plaque de grès de plage.

Les restes humains

Des ossements humains ont été trouvés épars dans le niveau du sédi-
ment correspondant aux déblais liés à l’édification de la case météo,
construction qui a perturbé les niveaux et les constructions du xviiie
siècle. Il s’agit des ossements de deux individus rassemblés chacun en
un endroit : au-dessus de l’extrémité occidentale du bâtiment 1 pour le
premier et au-dessus du bâtiment 3 pour le second.

198
Mission Esclaves oubliés 2008

Figure 21-17 1 et 21-17 2 – Le squelette 1 est bien conservé, mais les os sont fragmentés. Il s’agit
Squelettes 1 et 2. des éléments d’un seul individu, un jeune adulte de 20-24 ans, dont le
crâne est fragmenté, la face détruite. Le squelette 2 est également bien
conservé  ; les ossements sont épars sur une surface de 1,5  m2. Il s’agit
des éléments d’un seul individu, un jeune adulte (15-19 ans) robuste. Le
crâne est complet. Aucune trace de découpe ou cassure antemortem n’a
été observée sur ces deux squelettes.

Ils ont été trouvés dans les mêmes couches sédimentaires que les objets
provenant de l’Utile, dont certains portent des indices de transfor-
mation par les naufragés. Il est probable qu’il s’agit des restes de ces
naufragés. Ils ont été déplacés lors de la construction de la case météo et
rejetés parmi les déblais comme le reste du mobilier du xviiie siècle, sans
aucun traitement particulier.

199
Tromelin. Mémoire d’une île

La localisation d’origine de ces ossements est énigmatique. Ils se trou-


vaient au cœur de l’habitat, pratique funéraire qui semble en contra-
diction avec les coutumes malgaches. Quelle structure a été détruite ?
S’agit-il d’une structure funéraire (sépulture, tombeau), ou bien d’une
structure d’habitat dans laquelle ont été abandonnées les dépouilles des
naufragés décédés ?

Objets mis au jour

Objets en fer

Quatre haches ont été trouvées dans le bâtiment 3. L’une d’entre elles Figure 21-18 – Penture
est une véritable hache, les trois autres sont des pentures de porte trans- transformée en hache.
formées en haches. Figure 21-19 – Hache (PH5.403).

0 5 cm 0 5 cm

0 5 cm 0 5 cm
Figure 21-20 – Trépied.

Objets en cuivre

Récipients
Seize récipients de formes diverses ont été mis au jour, douze d’entre
eux dans la « cuisine » et les autres à l’extérieur entre le foyer extérieur 0 5 cm
et l’entrée de la cuisine. Avec les six récipients trouvés en 2006, ce sont
donc 22 récipients en cuivre au total qui ont été mis au jour. Figure 21-21 1, 2, 3 – Hameçons.

Cuillères
Seize cuillères en cuivre ont été retrouvées entières, ainsi que plusieurs
fragments ou ébauches. L’ensemble de ces éléments apporte la preuve
que les cuillères ont bien été fabriquées sur place. Leur principe est ingé-
nieux, une amorce de manche solidaire de la partie creuse (le cuilleron)
comporte deux ailes qui repliées servent à enserrer un manche en bois.

200
Mission Esclaves oubliés 2008

0 5 cm

0 5 cm
0 5 cm

Figure 21-22 1, 2, 3 – Récipient


de forme carénée.
Figure 21-24 1
Figure 21-23 1, 2, 3 – Récipient
et 2 – Cuillères. 0 5 cm
en forme de calotte sphérique.

201
Tromelin. Mémoire d’une île

0 2 cm

Pics ou pointes démêloirs


Cinq aiguilles ont été trouvées à l’intérieur du Figure 21-25 – Pointes démêloirs (PH5.270).
bâtiment 1 (cuisine) avec les cuillères. Si leur
fonction n’est pas exactement définie, leur lieu
de découverte permet de penser que leur usage
est lié à la préparation ou à la consommation
des aliments. Peut-être s’agit-il d’une four-
chette simplifiée, un pic. Il peut s’agir aussi de
pointes démêloirs.

Les travaux de conservation effectués par


le Laboratoire de Draguignan6 ont mis en
évidence, après nettoyage, des motifs décoratifs
gravés qui sont très semblables aux décorations 0 1 cm

des pointes démêloirs utilisées comme peigne


par les hommes et les femmes malgaches. Figure 21-26 – Décor gravé
sur une aiguille (PH5.232) .
Bracelets
Deux bracelets en cuivre ont été retrouvés dans la couche correspond
aux déblais de construction de la station météo, à proximité du
squelette 2. Ces bracelets, courants à Madagascar, où ils sont
appelés vangovango et manille
par les Européens, ont égale-
ment une fonction de
talisman.

0 2 cm

Figure 21-27 – Bracelets


6. Laboratoire de Conservation-Restauration et Recherche (LC2R), Draguignan. (PH5.335, PH5.340).

202
Mission Esclaves oubliés 2008

Objets en plomb

Figure 21-28 1 et 2 – Bassine en Trois grandes bassines en plomb et leurs couvercles du même métal ont
plomb et son couvercle (PH5.355). été mis au jour dans le bâtiment 1 et à l’entrée de celui-ci. Deux réci-
pients plus petits ont aussi été trouvés dans les bâtiments 1 et 3.

Ces récipients ont été fabriqués sur place à l’aide de feuilles de


plomb récupérées sur l’épave de l’Utile, comme l’attestent des
coulures de plomb et des fragments de plomb découpés
retrouvés dans le sol. Ils ont probablement servi à
conserver l’eau de boisson.

0 5 cm 0 5 cm

Objets en matières organiques

Figure 21-29 – Coquille de


triton aménagée en louche
(ci-contre, PH5.244).
Figure 21-30 – Coquille de
porcelaine aménagée en cuillère
(ci-dessous, PH5.236).

0 3 cm 0 5 cm

Objet en silex

Cette pierre à fusil n’a apparemment


pas été utilisée et laisse en suspend nos
interrogations concernant l’entretien
du feu.
0 1 cm
Figure 21-31 – Pierre à fusil (PH5.231).

203
Chapitre XXII

Chronique 2009-2011

2009 : Passages de la Jeanne d’Arc

Après avoir effectué une patrouille de surveillance contre les pirates


somaliens et être passé une première fois près de Tromelin le 17 mars, le
porte-hélicoptères Jeanne-d’Arc passe à nouveau, le 22 avril 2009, à
proximité de l’île et envoie un hélicoptère à terre.

11 mai 2009 : Première rotation du Marion Dufresne


Figure 22-1 – La Jeanne d’Arc à
Tromelin le 17 mars 2009.
Depuis que les îles éparses sont entrées dans le giron des TAAF, le
Marion Dufresne effectue des visites à l’occasion de rotations dans les
îles Eparses ou de liaisons ponctuelles. Des passages ont été effectués
aux dates suivantes : 11 mai 2009 (1re tournée), 20 mars 2010, 22 avril
2011 (2e tournée), 24 août 2012.

Le Marion Dufresne entreprend sa première tournée des îles Eparses et


passe par Tromelin le 11 mai 2009.

L’un des objectifs de cette mission était l’enlèvement d’une partie des
déchets accumulés depuis cinquante-cinq ans sur l’île. Après un test
Figure 22-2 – Première rotation du effectué sur l’île d’Europa en 2007, la solution adoptée fut l’enlèvement
Marion Dufresne le 11 mai 2009. par hélicoptère. Les déchets doivent alors être conditionnés en lots n’ex-
cédant pas la capacité d’emport de l’hélicoptère, soit moins de 700 kg.
Stockés en soute à bord du Marion Dufresne, ils ont ensuite été débar-
qués à La Réunion pour être pris en charge par des sociétés de traite-
ment ou de recyclage.

A l’occasion de cette rotation, une équipe du DRASSM est embarquée.


Elle effectue une prospection magnétique autour de Tromelin sous la

205
Tromelin. Mémoire d’une île

direction d’Hervé Blanchet1 et quelques plongées sur le site de naufrage


de l’Utile. En dehors de l’épave de l’Utile, ces prospections n’ont détecté
ni les épaves connues trop proches du rivage, ni de nouvelles épaves2 .

7 juin 2010 : Signature à Port-Louis de l’accord franco-


mauricien de cogestion de Tromelin

Ne remettant pas en cause la position des deux états en matière de


souveraineté, l’accord signé le 7 juin vise à dépasser le contentieux au
profit d’une approche coopérative.

L’article 1.2 précise : « 1.2 Objectifs de l’accord.


L’objectif poursuivi est prioritairement politique et vise à dépasser le
contentieux de souveraineté franco mauricien par l’adoption d’une approche
partenariale dans trois domaines spécifiques : environnement, archéologie et
pêche. » 

Cet accord et ses trois conventions d’application présentent en outre


l’avantage de prévoir des démarches franco-mauriciennes conjointes
auprès d’organisations régionales et internationales dans ces trois
domaines. Cependant au moment de la mise sous presse de cet ouvrage,
la ratification du traité par l’Assemblée nationale française n’a pas
encore eu lieu.

2010 : Programme Litto 3D du SHOM

Le SHOM a mis en œuvre un programme de relevés bathymétriques


des littoraux baptisé Litto3D. L’île de Tromelin est parmi les premières
à faire l’objet d’un levé topographique et bathymétrique. Le levé a été
effectué le 15 août 2010 à l’aide d’un avion, équipé d’un laser topo-
bathymétrique3 . Le résultat est une vue à la fois magnifique et saisissante
des fonds qui entourent l’île.

Figure 22-3 – L’avion Rockwell Aéro


Commander 690 porteur du laser.

Figure 22-4 – Litto 3D – Vue d’ensemble.

1. Hervé Blanchet, Président de DRSM (Détection et recherche sous-marine) est un


spécialiste de la détection sous-marine avec qui le GRAN a travaillé à maintes reprises.
2. L’Hour M., Leroy F., Carte archéologique 2009 des îles Eparses, dans Bilan scientifique 2010
du DRASSM, Paris, 2014, p. 85-86.
3. Rockwell Aéro Commander 690.

206
Chronique 2009-2011

Figure 22-5 – Litto 3D : vue


de l’île et du récif. 22 avril 2011 : Deuxième rotation du Marion Dufresne

Figure 22-6 – Deuxième rotation du


Marion Dufresne dans les îles éparses.

Figure 22-7 – L’ancre de l’Utile et le


Marion Dufresne (Photo L. Simion).

14 juin 2011

La station météorologique est automatisée et le lâcher du dernier ballon-


sonde effectué4 . Les météos assurent leur dernière mission sur l’île,
mettant fin à 57 ans d’activités continues. Les aides météos Jean-Michel
Dalleau, Patrick Ethève, et Eugène Paran qui furent nos compagnons
lors des fouilles archéologiques, continueront cependant à y effectuer
des missions, les TAAF les ayant embauchés jusqu’à leur retraite.
4. Dupuis A., Dernier lâcher de ballon par des météorologues à Tromelin dans Le Journal de
l’île de La Réunion, mardi 14 juin 2011, p. 12.

207
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 22-8 – P. Ethève.


Figure 22-9 – J.-M. Dalleau.
Figure 22-10 – E. Paran.

Nouvelles études botaniques

La première observation de la végétation de Tromelin a été réalisée en


1953 par Renaud Paulian5 , lors de la première mission de reconnaissance
effectuée sur l’île (voir chapitre 15) : 

« La végétation comprend une broussaille assez dense de Tournefortia


argentea L., surtout répandue sur le Nord et sur le pourtour du Sud ; quelques
pieds, poussant dans des entonnoirs de sable de la côte Nord-Est, atteignent
2,5 m de haut et ont des troncs noueux et épais. A ces arbustes s’associent,
principalement vers le Nord, Ipomea pescaprae Roth, la Patate à Durand; dans
le Sud, Portulaca oleracea L., un peu partout Boerhaviza diffusa L., et Sida cf.
grewioides Guill. et Perr., plus rarement Achynranthes aspera L. »

La patate à Durand nous intéresse particulièrement, car cette plante


est consommée à Madagascar sous le nom de Lalandy ou Lalanda. Le
médecin commandant Legeais précise : « La patate à Durand dont la
feuille ressemble à celle du lierre, laisse dans la bouche un goût amer et
sa consistance ligneuse n’en fait pas un végetal de choix pour calmer la
soif6 . »

Raymond Decary 7 écrit à son sujet  :  «  Lalandy, Lalanda – Ipomea


reptans Poir. Cosmopolite tropicale  : plante des marais de l’Ouest,
dont les feuilles comestibles sont utilisées comme « brèdes » porte à La
Réunion le nom de Patate à Durand. » Peut-être a-t-elle été consommée
par les naufragés de l’Utile ?

Mais après sa première observation, confirmée par Brygoo (Brygoo,


1955), Ipomea Pescaprae a disparu. Staub (Staub, 1970) attribue sa dispa-
rition à la présence de lapins sur l’île, mais Brygoo de son côté avait
noté, la présence très fréquente dans les nids de fous à pieds rouges (Sula
sula) d’extrémités de branche encore verte ou à moitié fanée de Patate à
Durand. Le développement de la colonie de fous est-il à l’origine de la
disparition de cette Ipomée ?

5. Paulian R., Faune et flore d’un désert, Revue de Madagascar, no 18, 1er trim., 1954, p. 50-54.
6. Legeais 1955, p. 100.
7. Decary R., Plantes introduites à Madagascar et toponymie locale, Journal d’agriculture
tropicale et botanique appliquée, vol. 10, no 10-5-7, 1963, p. 217.

208
Chronique 2009-2011

Figure 22-11 – Bohervia diffusa.

Figure 22-12 – Portulaca oleracea.

209
Tromelin. Mémoire d’une île

Plus largement, une étude visant à mettre en évidence les végétaux


consommés par les naufragés ou présents dans leur environnement
immédiat a été confiée à Marie-Pierre Ruas (CNRS). Cette étude d’ar-
chéobotanique s’appuie sur l’analyse des graines et des spores présents
dans les couches sédimentaires. Les prélèvements ont eu lieu au cours de
la mission 2013 et ont été acheminés vers le MNHN.

Cette analyse devra prendre en compte nombre de plantes qui ont été
introduites par les personnels de Météo-France. Ce sont en premier lieu
les cocotiers (cocos nucifera) apportés des Glorieuses, qui ont été plantés
autour de la station à la fois pour en agrémenter l’environnement et pour
créer un peu d’ombrage. Leur nombre atteint maintenant près d’une
centaine. Autre plantation réussie, celle de vacoas (Pandanus utilis).

Dans les abords immédiats de la station, plantés dans le sable ou en


pot, se trouvent des végétaux destinés à l’ornement (Aloes (Aloe vera),
Cactus (Consolea falcata)) ou pour améliorer les menus (piment oiseau,
poivre noir, gingembre, papayes).

Le CBM de Mascarin implanté à Saint-Leu (La Réunion) est chargé de


l’étude et du suivi botanique de Tromelin. Son site Internet donne une
description complète des végétaux observés8 . Deux des chercheurs du
CBM, Luc Gigord qui en est le directeur et Christian Fontaine, ont été
présents pendant une dizaine de jours au cours de la mission « Esclaves
oubliés 2013 ».

8. http://ileseparses.cbnm.org/index.php/liste-taxons-tromelin.

210
Chapitre XXIII

Mission Esclaves oubliés


2010

Avec le soutien des mêmes partenaires, une troisième campagne de fouille


est organisée en 2010. Le financement de l’opération a été assuré par la
DRAC La Réunion, le conseil régional de La Réunion, la Commission
de l’océan Indien (COI, coopération régionale dans la zone de l’océan
Indien.) Le transport a été assuré à l’aller par les vols de Transall des 1er
septembre et 8 novembre et au retour par le vol du 10 décembre.

Objectifs de fouille1
La mission continue son étude des bâtiments : phases de construction,
orientation dans l’espace, disposition relative, manière dont les murs
ont été construits et renforcés. De même, la connaissance des dimen-
sions de l’espace occupé à l’extérieur des bâtiments mis au jour n’étant
que partielle, un sondage au moins doit permettre d’avoir une meilleure
évaluation des zones occupées.

Toutefois, l’objectif principal reste de localiser et fouiller des sépultures


dont la présence est attestée par la description qu’en a fait le Commander
Parker de la Royal Navy lors de sa visite en octobre 1851 avec le HMS
Pantaloon. Cet officier décrit ce qu’il estime être des sépultures, mais
Les participants de la mission 2010
en donne une localisation peu précise. Ce point revêt un grand intérêt
Parmi les participants aux missions pour la compréhension du groupe des naufragés et de son adaptation au
 >> \  
Guérout (chef milieu. La participation d’une archéologue malgache doit permettre,
de mission), Thomas Romon (INRAP),
J Guesnon et Jean-François Rebeyrotte.
Joe d’une part, de confronter les observations avec celles des fouilles des
Bako 


_ 
^>\ habitats à Madagascar (type de construction, orientation, aménage-

\
^“    
   ment) et, d’autre part, de documenter les objets d’usage courant mis au
>“
“
^>\  jour.
“”   >?



nous a rejoints, ainsi que Zineb 1. Compte rendu des recherches archéologiques sous-marines et terrestres eff ectuées sur l’île
Guérout et Philippe Tournois. Tromelin (8 novembre –10 décembre 2010), rapport non publié.

211
Tromelin. Mémoire d’une île

Fouille archéologique (Thomas Romon) Figure 23-1 – Pause de 9 h 30


(16 novembre) : Joe, Max, Zineb,
La mission se déroule du 8 novembre au 10 décembre, explorant, à la Bako, Philippe, Olivier, Thomas.
fois l’intérieur d’un bâtiment détruit appelé «  case météo  », mais Figure 23-2 – J.F. Rebeyrotte
Figure 23-3 – Thomas Romon
aussi la partie ouest et nord de ce même bâtiment, poursuivant ainsi les
Figure 23-4 – Joe Guesnon
travaux des deux missions précédentes. Onze secteurs (les secteurs 9 à Figure 23-5 – Zineb Guérout,
20) totalisant 115 m2, ont été ouverts (Figure 23-6). Une série de plus Bako Rasoarifetra.
petits sondages de surface d’environ 1 m2, distribués en périphérie de la
zone de fouille, nous a permis d’appréhender l’extension des zones occu-
pées par les naufragés. Le levé topographique a été réalisé à l’aide d’un
tachéomètre2 .

Secteur 9

Un sondage a été effectué dans la pièce sud de la case météo, un bâti-


ment semi-enterré construit après le cyclone de 1956 (Figure 23-6).
Il a dû être limité au quart sud-ouest de la pièce, car le bâtiment était
construit sur une dalle de béton de 8 cm d’épaisseur. Un carré de 50 cm
par 50 cm a été percé dans cette dalle. Ce sondage a permis de vérifier
que le niveau d’occupation daté du xviiie siècle n’avait pas été conservé
2. Instrument de topographie, le tachéomètre est un théodolite, c’est-à-dire un appareil
servant à la mesure d’angles horizontaux et verticaux, mais mesurant également les distances.

212
Mission Esclaves oubliés 2010

Figure 23-6 – Les sondages sur le point


haut (mission 2006, 2008 et 2010).

Figure 23-7 – Stratigraphie.

sous la chape de béton. Par ailleurs à l’intérieur du


bâtiment, sous l’enduit de ciment, on constate que,
dans le coin sud-ouest, les murs de la case météo ont
été construits en s’appuyant sur les murs datés du
xviiie siècle.

Secteur 10 et 11

Les sondages de 3 m par 4 m effectués à l’ouest de la


case météo ont permis de confirmer la stratigraphie
détaillée (Figure ci-contre ) observée en 2006.

Secteur 12

Ce sondage de 3 m par 5 m se trouve au nord de la


case météo (Figure 23-6). La stratigraphie rencon-
trée est identique à celle observée dans les secteurs
précédents. Outre les restes de faune, peu d’objets
ont été trouvés hormis un élément d’accastillage
réutilisé comme marteau. Situé à l’extérieur de l’ha-
bitat ce secteur peut être interprété comme une zone
de dépotoir.

213
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 23-8 – Détail du « marteau »


(PH5.720) in situ, avec un os de tortue.

Secteur 13

Ce sondage de 5 m par 6 m englobe le bâtiment 4 (Figure 23-9). La stra-


tigraphie y est identique à celle observée dans les sondages précédents.

La fouille de ce secteur a été complexe, car le bâtiment 4 finalement


dégagé était partiellement recouvert par un mur érigé par les naufragés
à une époque plus tardive. De surcroît au moment de la construction de
la station météo, l’un des ancrages d’un hauban du mât supportant une
éolienne y avait été implanté (un fût de 200 litres identique à celui qui se
trouvait dans le bâtiment 3).

Le bâtiment 4 présente plusieurs particularités : les coins nord-ouest et


sud-est sont détruits, le mur présente un décrochement, la partie sud-
ouest était entièrement recouverte par le mur 3 (Figure 23-12).

Le mur 3, dont le dégagement a été commencé en 2008, a été étudié


entièrement. Sa longueur totale est de 9  m pour une largeur pouvant
atteindre 3 m. Seule sa face externe est présente dans le secteur 13. Il est
conservé sur 1 m d’élévation, sa partie supérieure ayant été arasée lors de
la construction de la station météo. Sa face interne est elle aussi détruite
par la construction de la « case météo ». La construction de ce mur est
très tardive.

Après avoir enlevé le fût de 200 litres, la présence du parement intérieur


de ce qui s’est révélé être le mur ouest du bâtiment 4 a été décelée sous le
mur 3. Le démontage de ce dernier a permis de dégager l’entrée du bâti-
ment 4 d’origine (Figures 23-10 et 23-11).

L’ensemble de ces observations a permis de restituer la séquence de


construction/destruction ci-après (Figure 23-12).

214
Mission Esclaves oubliés 2010

Figure 23-9 - Vue générale du secteur 13 et du bâtiment 4 4) mur nord du bâtiment 4 ;


depuis le sud. 5) décrochement dans l’angle nord-est du bâtiment 4 ;
1) fût de 200 litres ; 6) mur est du bâtiment 4 ;
2) secteur 14, bâtiment 5 ; 7) mur 3 recouvrant le coin sud-ouest et l’entrée du bâtiment 4 ;
3) secteur 15, bâtiment 6 ; 8) mur ouest du bâtiment 4.

Figure 23-10 – Entrée du bâtiment 4 Figure 23-11 – Entrée du bâtiment 4 (vue de dessus).
depuis le nord (l’intérieur du bâtiment)
1) mur sud du bâtiment 4 ;
2) mur 3 (en partie démonté) ;
3) mur ouest du bâtiment 4.
4) probable pierre de seuil.

215
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 23-12 – Essai de


restitution chronologique des
constructions du secteur 13.

Le bâtiment 4 d’origine mesure 2,6 m (nord-sud) x 2,8 m (est-ouest), il a


son entrée vers le sud dans l’angle sud-ouest.

Dans une seconde phase, un décrochement de 80 x 45 cm a été rajouté


dans son angle nord-est. Au cours de cette même phase, alors que le
mur 3 recouvre son entrée, ses angles sud-est et nord-ouest sont détruits,
transformant en passage ce bâtiment clos à l’origine. Un autre bâtiment,
le bâtiment 7, se trouvait à l’ouest du bâtiment 4 ; il a été détruit par la
construction de la case météo.

La séquence de construction/destruction mise au jour dans le secteur 13


est particulièrement parlante et émouvante dans la mesure où elle
illustre la capacité des naufragés à gérer leur environnement et à s’orga-
niser pour surmonter des aléas climatiques qui sont sans doute à l’ori-
gine de la construction du mur 3.

216
Mission Esclaves oubliés 2010

Figure 23-13 – Vue du bâtiment 5


depuis le nord.

Secteur 14

Ce secteur englobe le bâtiment 5. La stratigraphie inscrite sur les dalles


de grès de sable constituant la base des murs du bâtiment 5 est très diffé-
rente de celle qui a été observée jusqu’ici, elle est aussi très différente de
celle du sédiment remplissant le bâtiment.

Il résulte de ces observations que le bâtiment a connu une occupation


postérieure au départ des naufragés et antérieure à l’installation de la
station météo ; puis qu’il a été vidé, et rebouché dans les années 1950
lors de la présence des personnels de Météo-France. En conséquence le
sédiment de remplissage contient, en désordre, de nombreux éléments
métalliques du xviiie siècle (clous, tiges, barres de fer, plaques de fer et de
cuivre…) ainsi que des éléments du xxe siècle (couvercle en aluminium).

Malgré ces aléas, plusieurs éléments encore en place datant du xviiie


siècle ont été observés. Il s’agit, à l’extrémité nord du bâtiment, de deux
gros clous en fer à tête ronde plantés dans le sol (Figure 23-16), dans un

217
Tromelin. Mémoire d’une île

espace délimité par des dalles de corail verticales placées sur champ. Ces Figure 23-14 – Vue générale
clous ont pu servir d’enclume. Sous une dalle de grès de sable du pare- depuis le nord : 1) secteur 15
ment du mur est qui a basculé, quelques objets ont été mis au jour : un (bâtiment 6) ; 2) secteur 12 ;
3) secteur 13 (bâtiment 4 avant
briquet en fer, une pierre à fusil et une balle d’espingole en plomb.
dégagement de son entrée) ;
4) secteur 14 (bâtiment 5).
Le bâtiment 5 est l’un des premiers bâtiments mis en place dans ce
secteur, tout au début de l’occupation de la zone. Il se présente sous la
forme d’une pièce unique, rectangulaire, de 2,3 x 2  m orientée dans
l’axe nord-sud. Son entrée est située au sud, dans l’ange sud-ouest du
bâtiment. Comme le bâtiment 4, il présente un décrochement dans son
angle nord-est qui a été ajouté par la suite.

Secteur 15

Ce sondage de 2,5 m par 3 m, situé au nord du secteur 13, comporte le


bâtiment 6 (Figure 23-14). La stratigraphie rencontrée est pratiquement
identique à celle rencontrée dans le secteur 14.

Le bâtiment 6 se présente sous la forme d’une pièce unique, presque


carrée, de 2  m de côté. L’entrée est située à l’ouest, dans l’angle sud-
ouest. Il diffère des bâtiments précédents à la fois techniquement, dans
la mesure où les murs, bien qu’ayant adopté une technique de construc-
tion semblable à celle des autres bâtiments, sont beaucoup moins épais :

218
Mission Esclaves oubliés 2010

environ 45 cm contre 100 à 150 cm  ; mais aussi chronologiquement,


car la base des mûrs se trouve au-dessus de la couche de sable blanc qui
scelle le site archéologique correspondant à l’occupation des naufragés
malgaches. Il a donc été érigé entre 1776 et 1953, soit après le sauvetage
des naufragés de l’Utile et avant l’installation de la station météorolo-
gique. Sa construction et son occupation constituent une énigme dont
nous n’avons pas encore trouvé la clé.

Secteur 16, 17, 18, 19 et 20


Figure 23-15 – Dessin de Sylvain Savoia.

Ces sondages dont la localisation est indiquée sur la figure (23-7) ont
permis d’identifier l’amorce de plusieurs bâtiments  : le bâtiment 9,
accoté au bâtiment 5, et dont l’accès est difficile en raison de la présence
d’une citerne semi-enterrée ; le bâtiment 10 dont les parements internes
de deux murs ont été dégagés. La fouille de ce nouveau bâtiment devra
faire l’objet d’une autre campagne de fouille.

 
\> ^> 

Une série de neuf sondages d’un mètre carré ont été implantés de façon
à définir l’extension de l’occupation au xviiie siècle.

Mobilier archéologique

Objets en fer

Au cours de la mission 2010, les objets en fer mis au jour représentent


106 objets sur 454 soit 23 %.

On notera en particulier un trépied trouvé à l’intérieur du bâtiment 6.


Identique à celui qui a été mis au jour en 2008, il était disposé à l’envers,
avec un ensemble d’autres objets en fer, dont un croc, comportant un
œil situé dans un plan perpendiculaire à celui du crochet, semblable à
ceux trouvés au cours des missions précédentes.

Clous, broches, chevilles.

Un très grand nombre de clous (176), de chevilles ou broches (50) a


été mis au jour. Les clous utilisés pour la construction des navires de la
Marine royale sont des clous de section carrée dont la tête est également
carrée et dont l’extrémité se termine en coin. La longueur des clous était
standardisée.

Parmi ces nombreux éléments déjà décrits à la suite de la mission 2008,


quelques-uns méritent une attention particulière. En effet, si certains
clous introduits horizontalement entre les blocs de corail formant le
parement interne des mûrs peuvent être considérés comme des points de
suspension, la fonction de nombre d’entre eux retrouvés plantés dans le
sol est moins claire.

219
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 23-16 – Chevilles PH5.834 et


PH5.835 en place dans le bâtiment n o 5.
Figure 23-17 – Tête de la
cheville PH5.835.

Des clous plantés à l’entrée du bâtiment 5 à la hauteur du seuil peuvent


avoir servi à bloquer une planche ou une plaque de grès de sable destinée
à empêcher le sable d’envahir le bâtiment, ou même comme cela se
pratique encore maintenant dans l’île pour empêcher les bernard-
l’hermite d’y pénétrer.

La présence des nombreux clous plantés dans le sol du bâtiment 4, soit


le long des murs soit en son milieu, est plus difficile à expliquer ; ont-ils
une fonction pratique ou une fonction symbolique ? Les clous récupérés
en brûlant le bois de l’épave sont très abondants, ils ont probablement
perdu de leur valeur intrinsèque au fi l du temps et peuvent aussi avoir eu
une fonction ludique. Deux chevilles ont été trouvées plantées dans le
sol du bâtiment 5 à l’intérieur d’un espace délimité par des plaques de
grès de sable disposées verticalement, identifié comme un foyer.

Une interprétation possible de ces chevilles à grosse tête serait qu’elles


ont pu être utilisées comme enclume pour façonner les objets en cuivre
ou en plomb.

Gond de sabord utilisé comme marteau

Cet objet (Figure ci-contre) illustre la


capacité des naufragés à détourner des
équipements provenant du navire pour
en faire des outils ou des ustensiles.
0 5 cm
Il s’agit d’une ferrure formée d’une
tige de fer comportant à son extrémité Figure 23-18 – « Marteau » PH5.720.
une ouverture circulaire à l’intérieur
de laquelle est encastrée une cheville de fer à tête plate  : long.  :
43,7 cm ; larg. de la tête : 10,7 cm ; poids : 2250 g. L’extrémité de la
cheville a été matée à la suite de son emploi comme marteau. Il s’agit
probablement d’un gond utilisé en liaison avec une penture sur un
sabord d’artillerie.

220
Mission Esclaves oubliés 2010

Figure 23-19 – Equipement d’un sabord.


Figure 23-20 – Vue du gond
rivé dans la muraille..

Briquets

Deux objets en fer se présentant comme un anneau ouvert de diamètre


intérieur de 32 mm et extérieur de 52 mm ont été trouvés dans les bâti-
ments 4 et 5.

Ces deux anneaux ont été interprétés comme étant des briquets, consti-
tués d’un anneau de fer qui se passe autour d’un doigt et sert à frapper
Figure 23-21 – Utilisation d’un briquet. un silex afin de produire une étincelle.

0 1 cm 0 1 cm

Figure 23-22 – Briquet PH5.629. ={+  


Figure 23-23 – Briquet PH5.836.
Figure 23-24 – Briquet PH5.836. De nombreux fragments de cuivre, près d’une quarantaine, ont été
trouvés dans la couche archéologique. Ce sont pour la plupart des
éléments de réparation (plaques percées, avec ou sans rivet) ou des chutes
de découpe. Ils attestent, autant que les réparations portées par les divers
récipients trouvés en 2006 et en 2008, du savoir-faire des naufragés en
matière de travail du cuivre.

PH5.727, un fragment de cuivre épais, est à cet égard représentatif de


l’industrie des naufragés. Il comporte sur les deux faces des traces de
martelage et des incisions profondes.

221
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 23-25 – PH5.727.

0 1 cm

Outre ces nombreux débris, des fragments de cuillère, une sorte de grat-
toir, et un bouton d’uniforme ont été trouvés.

>
 

Plusieurs tessons de céramique chinoise ont été trouvés. Le bol 0 5 cm


(PH5 795) est le mieux conservé et le plus caractéristique. Il s’agit d’une
production chinoise des fours de Dehua au Fujian, couvrant la période
allant du xviiie au premier quart du xixe siècle3 .

Silex

Deux fragments de silex ont été trouvés dans le bâtiment 5 et dans le


sondage P5.

Avec le silex trouvé collé au briquet PH5.(Figure 23-22) ce sont donc


trois nouveaux fragments de silex qui ont été trouvés. En 2008, une
pierre à fusil intacte avait été découverte. L’état des trois fragments
trouvés cette année indique une utilisation intensive et laisse penser que
la pierre à fusil de 2008 avait été perdue dans le sable.

Avec ces trois silex vient la réponse aux questions posées depuis le
commencement des fouilles : d’une part, savoir si le feu avait été maintenu
allumé ou bien si les naufragés avaient les moyens de le rallumer et, d’autre
part, quel moyen était employé pour rallumer éventuellement le feu.

Figure 23-26 – Bol PH5.795.


Figure 23-27 – Bol PH5.795.
Etude de la faune consommée
Alors que les milliers d’ossements prélevés lors de la mission 2008 sont
en cours d’étude, ceux collectés en 2010 ont été envoyés en métropole
pour enregistrement et étude.

Afin d’assurer ce travail, l’équipe scientifique s’est enrichie de deux


nouveaux archéozoologues, Christine Lefèvre, professeur au MNHN,
spécialiste des oiseaux, et son collègue Philippe Béarez, chercheur au
CNRS, spécialiste des poissons. Aurélien Royer, étudiant à l’Université 0 1 cm
de Bordeaux a également été mis à contribution pour examiner les restes
de tortues issues de la première campagne de fouille.
Figure 23-28 – Fragment
3. Identification effectuée par Mme Zhao Bing (CNRS UMR 7133) d’après photo et dessin. de silex PH5.802.

222
Chapitre XXIV

Mission Esclaves oubliés


2013

16 avril 2013 : Une stèle commémorative est apposée


sur le site archéologique

A l’occasion du passage de Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, à La


Réunion, un court séjour à Tromelin a été organisé. Le ministre y a
dévoilé une stèle commémorative sur le site archéologique, en présence
de Pascal Bolot, préfet administrateur supérieure des TAAF, de Marc
Nouschi, directeur des Affaires culturelles dans l’océan Indien et de
Yoland Velleyen, vice-président de la région Réunion, en charge du
Patrimoine. Le transit La Réunion/Tromelin a été effectué à bord du
Marion Dufresne.

Figure 24-1 - La stèle dévoilée le 16


avril 2013 par le ministre des Outre-mer.

Figure 24-2 – Max Guérout,


Victorin Lurel, Pascal Bolot lors de
la visite du site archéologique.

223
Tromelin. Mémoire d’une île

Campagne de fouille archéologique (29 août-


4 octobre 2013)

Une quatrième mission est organisée en 2013 avec le soutien financier


de la DAC/Océan Indien (DAC/OI), du conseil régional de La
Réunion, de la Fondation du patrimoine, de la Commission de l’océan
Indien (COI, coopération régionale dans la zone de l’océan Indien), de
l’INRAP, du gouvernement de l’île Maurice.
Figure 24-3 – Enveloppe tamponnée
à l’occasion du passage du ministre
La mise en place d’une petite pelle mécanique par les TAAF a constitué à bord du Marion Dufresne.
un apport très important à la fouille. Le transport du matériel prévu a été
effectué à l’occasion de plusieurs rotations de Transall de l’armée de l’Air,
la coordination étant assurée par les TAAF avec l’aide de Jean-François
Rebeyrotte. Comme pour les missions précédentes, un journal quoti-
dien a été tenu et mis en ligne sur le site www.archeonavale.org. Les membres de la mission 2013
Max Guérout, Chef de mission et co-
directeur du chantier, Thomas Romon
(INRAP) co-directeur et responsable du
chantier terrestre, de Bako Rasoarifetra
Objectifs de fouille1 (Institut de Civilisation/musée d’art
et d’archéologie de l’Université
Après avoir localisé et étudié une partie importante de l’habitat des de Tananarive), de Rezah Badal
naufragés, il s’agit de poursuivre les observations à la lumière des (chercheur mauricien), de Joe Guesnon
(GRAN), de Jean-François Rebeyrotte
analyses géomorphologiques qui ont mis en évidence la possibilité (GRAN), de Véronique Laroulandie
d’une submersion du site pendant le séjour des naufragés. Et d’amé- (université de Bordeaux-CNRS), de
liorer la compréhension des zones occupées, de mesurer leur ampleur Philippe Tournois, de Zineb Guérout.
par une série de sondages à l’extérieur des bâtiments mis au jour. Mais Le personnel des TAAF présent pendant
la mission était composé de Simon
l’objectif principal reste de localiser et fouiller des sépultures. Guttierez (Chef de station), Jean-
Michel Dalleau et Patrick Ehtève.
Le prélèvement d’échantillons de restes de faune consommée se pour- Lauren Ransan, réalisatrice vidéo
suit avec pour objectif l’identification de la stratégie alimentaire et du sous contrat avec les TAAF a
également participé à la mission.
comportement de survie des naufragés2 .

Fouille archéologique (Thomas Romon)

Prospection mécanique

La mise en œuvre d’une petite pelle mécanique équipée d’un godet de


curage de 1,2 m de largeur a permis de réaliser 21 sondages mécaniques
disposés autour du point haut (Figure 24-6). Ces sondages permettent
de mieux comprendre l’occupation de l’île autour de la zone d’habitat.
Les sondages réalisés dans la partie sud de l’île visaient à vérifier l’hy-
pothèse d’une seconde zone de construction dans ce secteur. Ils ont
été négatifs, les niveaux du xviiie siècle y étant détruits. Au nord de
la station confirme un apport de sable de plage, probablement lié à des
épisodes dynamiques relativement récents.
1. Rapport de mission (non publié).
2. Recherches archéologiques sur l’île de Tromelin (8 novembre –10 décembre 2013) Rapport Figure 24-4 – Localisation des
de mission (non publié). zones fouillées (épave, habitat).

224
Mission Esclaves oubliés 2013

Figure 24-5 – Localisation des sondages


mécaniques et emplacement des relevés.

Les sondages les plus proches du site (couleur vert foncé) ont livré les
niveaux d’occupations comportant des restes de faune consommée,
principalement des sternes, comparables à ce qui a été découvert dans
les fouilles du point haut. Ils permettent d’évaluer l’extension de l’aire
d’occupation à une quarantaine de mètres autour des habitats.

Les tranchées TR1306 et TR1315 comportent un niveau de dépotoir


qui peut être interprété comme une zone de rejet périphérique datant de
l’édification des divers bâtiments de la station météo. Dans ces tranchées
certains éléments (pierres, mobilier archéologique, cendres et restes de
faune consommée provenant de la zone occupée par les naufragés) ont été
extraits pour être rejetés à l’extérieur.Les indices les plus anciens de l’occu-
pation par les naufragés de l’Utile, se situent au nord-est et à l’est du « Point
haut ». Cette occupation semble s’être ensuite déplacée vers l’ouest.

Fouille manuelle du Point haut

La mission 2013 a permis d’explorer la partie située directement à l’est


des zones fouillées précédemment. Nous avons également exploré la
zone située au sud du bâtiment 1 (Secteur 19) ainsi que celle située entre
la « case de gonflage » et la « cuisine ». Enfin, suite aux découvertes

225
Tromelin. Mémoire d’une île

réalisées durant les prospections mécaniques, un nouveau secteur a été Figure 24-6 – Localisation des sondages
ouvert à l’est de la « case de gonflage »(Secteur 21). et fouilles manuelles de la mission 2013.

Les quatre secteurs 17, 19, 20 et 21 ouverts ont une surface de 145 m2.
Pour chacun d’eux des sondages à l’intérieur de la couche archéolo-
gique ont été réalisés. Le sédiment issu d’une partie de ces sondages a été
tamisé par unité stratigraphique. Ceci dans le but de poursuivre l’étude
de la faune consommée initialisée depuis 2006 et de réaliser un échan-
tillonnage du mobilier conservé dans ces niveaux. L’ensemble du mobi-
lier prélevé fait l’objet d’un inventaire détaillé. Les murs des bâtiments
ont fait l’objet d’un relevé photographique précis.

Deux observations singulières ont été faites dans le secteur 21.

Dans la moitié orientale du secteur, une couche cendreuse occupe une


zone à peu près circulaire de 90 cm de rayon, ayant une épaisseur de
50 cm en son centre et de 30 cm en périphérie (Figure 24-7). Elle contient
beaucoup de mobilier archéologique (clous en fer, plaques de cuivre et
de plomb, coquilles de bénitier), mais également deux monnaies, une
pierre taillée semi-précieuse, ainsi que des restes de faune consommée.
Ces éléments sont surtout localisés dans sa partie supérieure. Sa partie
inférieure est constituée de blocs de corail dont l’accumulation est plus
importante au centre. Ils sont marqués par la cendre, mais ne présentent
pas de marque de chauffe. Cet amas de cendre est interprété comme
une zone de rejet ou de vidange d’un foyer. Sa corrélation avec la forge
construite pour la construction de la Providence très probablement située

226
Mission Esclaves oubliés 2013

Figure 24-7 1 et 24-7 2 – Vue de


la couche cendreuse dans la partie
centrale du secteur 21, photographie
et relevé schématique depuis le sud.

à proximité ne peut, en l’état actuel des recherches, être ni infirmée, ni


affirmée. Sa morphologie implique une sédimentation rapide.

Les murs datés du xviiie siècle rencontrés dans le secteur 21 corres-


pondent à un petit bâtiment, le bâtiment 9 (Figure 24-8). Il est constitué
de trois murs, un nord, un ouest et un sud qui forment une petite pièce
de 140 cm de longueur orientée est-ouest par 70 cm de largeur. Ces
trois murs présentent un parement interne identique à ceux des autres
Figure 24-8 – Vue du bâtiment 9
depuis l’est au fond le mur du
bâtiment de gonflage.

227
Tromelin. Mémoire d’une île

bâtiments : une première assise de dalles de grès de plage rectangulaire


placées verticalement, puis d’assises horizontales de petits blocs, princi-
palement de grès de sable mais aussi de corail. Ces murs sont conservés
sur une hauteur d’un mètre, leur sommet ayant été épierré pour la
construction de la station météorologique. Leur base repose dans une
petite tranchée creusée dans le sol et est callée par de petits blocs, de
façon tout à fait identique à deux murs découverts dans le secteur 20 sud.

Le mur ouest est situé sous la case de gonflage, seul son parement inté-
rieur est visible. Son sommet correspond à la base de la dalle de béton
qui supporte la case de gonflage. Il correspond aussi au niveau du sol
dans les années 1950-1960. L’espace compris entre les extrémités orien-
tales des murs nord, est et sud se trouve constitué d’un empilement de
blocs de grès de plage et de corail. Il ne s’agit probablement pas d’un mur
qui ne présente aucun parement, mais plus probablement d’un amoncel-
lement dont l’origine est anthropique.

Le sédiment qui remplit ce bâtiment est également inhabituel. Il est


interprété comme correspondant à une occupation suivie d’un abandon.
Cette séquence nécessite la condamnation à un moment donné de l’es-
pace intérieur, peut-être par la mise en place de l’amoncellement des blocs
observés entre les murs nord et sud. La sédimentation, principalement
éolienne se poursuit alors par les interstices entre les blocs, entraînant
quelques éléments de faunes. La fonction de ce bâtiment et la raison de
son abandon restent inconnues. Il est probable que d’autres constructions
se développent à la suite de celle-ci, pour partie sous la case de gonflage.

Mobilier archéologique
Parmi les objets mis au jour au cours de cette mission, les fragments
métalliques ont été très nombreux  : 750 de fer, 300 de cuivre, 150 de
plomb.

Objets en fer
Figure 24-9 – Harpon PH5.1035.
Outre les habituels, clous, chevilles, pitons, lames de fer, on note la Figure 24-10 – Burin PH5.1444.
présence de gouges, burins, grattoirs, pointe de harpon, hameçon, Figure 24-11 – Gouge PH5.1296.
briquet qui témoignent des activités des naufragés. Figure 24-12 – Grattoir PH5.1077.

0 3 cm 0 3 cm

0 3 cm 0 3 cm

228
Mission Esclaves oubliés 2013

Objets en cuivre

Une plaque de cuisson fabriquée à l’aide d’un morceau de cuivre carré,


porte des traces de réparations et de martelage.

Plusieurs cuillères ou fragments de cuillères du même type que ceux qui


ont été trouvés les années précédentes ont été mis au jour.
2 cm
0

0 5 cm

Figure 24-13 – Plaque de cuisson Six pointes formées d’une feuille de cuivre roulée en forme de cône
PH5.1458. allongé ont été trouvées. Il pourrait s’agir du renfort de l’extrémité d’un
Figure 24-14 – PH5.1030 avec bâton ou d’une baguette d’un diamètre de l’ordre de
son manche en cuivre. 15 à 20 mm.

0 1 cm
L’usage d’un bâton, dont la pointe a été
renforcée, évoque une
lance ou une flèche
qui pourraient alors
avoir été utilisées,
Figures 24-15 1 et 24-15 2 – Pointes par exemple, pour la
coniques PH6 010 et PH5.024. 0 1 cm capture des oiseaux.

229
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure 24-16 – Anneau PH5.1544.


Figure 24-17 – Chaînette PH5.1407.

0 1 cm 0 1 cm

Un anneau (bague) et trois fragments de chaînettes fabriquées à l’aide


d’un fi l de cuivre sont avec les bracelets trouvés en 2008 les seuls objets
non utilitaires mis au jour au cours de la fouille.

Deux pièces de monnaie ont été trouvées, l’une est une pièce espagnole
de 4  maravedis frappée en Amérique, datée du règne de Philippe V
(1700 –1746) ; l’autre une pièce portugaise de dix reis frappée sous le
règne de Joao V, roi du Portugal (1706 à 1750) frappée en 1720 ou 1721.

Figures 24-18 1 et 24-18 2 – PH5.1512


– Pièce portugaise de 10 reis.
Vues de l'avers et du revers.

0 1 cm

La pièce portugaise a sans doute été portée en tour du cou comme une
médaille et plus probablement sur un bracelet ce qui expliquerait les
deux perforations.

Objets en plomb

Ce métal est abondant sur les navires de l’époque. Les écubiers au


nombre de quatre étaient garnis de plomb, ces garnitures étaient des
cylindres d’environ 50 cm de diamètre et d’un mètre de long. Les dalots
servant à l’écoulement des eaux du pont supérieur vers la mer étaient
également en plomb, d’un diamètre d’une douzaine de centimètres et
d’environ 50 cm de long, ils étaient nombreux (6 à 8 de chaque bord).

Par ailleurs du plomb en feuille était embarqué à titre de rechange, le


plomb étant souvent utilisé pour boucher provisoirement de
petites voies d’eau, mais aussi pour fondre
des balles de fusil ou de

Figure 24-19 – Chute


de découpe de plomb.
0 1 cm 0 1 cm
Figure 24-20 – Coulure
de plomb fondu.

230
Mission Esclaves oubliés 2013

pistolet. La présence de chutes de découpe et de coulures de plomb


illustre les techniques employées par les naufragés pour fabriquer les
récipients retrouvés.

Un disque de plomb de 315 mm de diamètre et de 3 mm d’épaisseur,


pesant 5,5 kg a été trouvé dans le sondage TR 13 dans la couche de
remblai. Nous interprétons cette plaque, soigneusement découpée
comme l’ébauche d’un récipient. Nous avons là, par la même occasion,
une approche de la technique de fabrication des récipients de petite
dimension, sans doute façonnés par martelage. Une écuelle à fond
plat de 14 cm de diamètre, quelques ébauches de cuillères ont égale-
ment été trouvées, ainsi que 39 balles de fusil ou de pistolet et 3 balles
d’espingoles.

Minéraux

Sept silex dont le poids est compris entre 1 et 6 g ont été trouvés en des
endroits différents, ainsi qu’un cristal taillé en demi-taille.

Bilan des recherches après quatre missions


archéologiques

Après quatre missions sur l’île de Tromelin, nous commençons à


comprendre ce qu’ont pu être les conditions de vie quotidienne des
Malgaches abandonnés et l’environnement dans lequel ils ont évolué.
On peut dès à présent dresser un premier bilan, en attendant le résultat
des études en cours qui sans doute permettront de l’affiner3 .

Lieu de vie

Le lieu de vie des naufragés et les constructions successives de la station


météo sont étroitement imbriqués. On peut à la fois regretter les destruc-
tions qui ont résulté des implantations modernes, mais aussi se réjouir
qu’une partie significative des habitats anciens ait été conservée. Les
destructions observées en 2013 nous privent cependant d’une complète
compréhension de l’espace central occupé par les Malgaches ainsi que de
l’évolution de cet espace.

Les personnels de la station météo ont aussi causé des dommages en


opérant des fouilles dans la plupart des bâtiments datés du xviiie siècle
qui étaient encore visibles en 1954 (voir chap. 16 – Figure 16-7). Seuls
deux d’entre eux semblent avoir échappé à ces visites.

3. Les études en cours concernent la faune consommée : Véronique Laroulandie (CNRS),


Christine Lefèvre (MNHN) et Philippe Bearez (CNRS), les plantes consommées  :
Marie-Pierre Ruas (CNRS), les coquillages  : Nathalie Serrand (INRAP), les pratiques
métallurgiques : Nicolas Thomas (INRAP) et Lise Saussus (Université catholique de Louvain)
et l’usage de l’encens : Lucile Bailly (Université de Strasbourg), Pierre Adam (CNRS), Jacques
Connan (Université de Strasbourg), Armelle Charrié-Duhaut (CNRS), Bako Rasoarifetra
(Université de Tananarive).

231
Tromelin. Mémoire d’une île

Outre les deux bâtiments qui ont très probablement été recouverts par
la construction de la case météo (un abri semi-enterré construit en 1956
et détruit il y a seulement quelques années), des bâtiments peuvent se
trouver également sous la case gonflage, local utilisé pour le stockage
de l’hélium et le gonflage des ballons sonde. De plus, l’amorce d’un
ou deux autres bâtiments se prolongeant sous une citerne en dur a été
décelée. L’ensemble de l’habitat semble donc avoir été constitué d’une
douzaine de bâtiments, dont les deux tiers ont pu être étudiés.

Il faut ajouter à ceux-ci le bâtiment construit après le sauvetage des


survivants en 1761 et avant l’érection de la station météo, mis au jour
en 2010.

Occupation de l’espace

Après le départ des Français, les Malgaches quittent le campement du


haut de plage, indiqué sur les plans de la Bibliothèque nationale (voir
chapitre 7), et gagnent le point haut de l’île situé au nord. Il est probable
qu’au début ils utilisaient toujours les mêmes abris légers, des tentes
confectionnées à l’aide de voiles récupérées sur l’épave. La violence des
dépressions tropicales a très probablement amené la destruction des
abris légers, peut-être même dès le premier été austral. La mission de
2013 a montré que très rapidement des bâtiments en dur sont construits
à l’aide de pierres sèches.

Description des bâtiments

Conservés sur une hauteur maximale de 1,5  m, les murs étaient plus
haut à l’origine. Les blocs de leur partie supérieure ont servi de matière
première pour la construction de la station météo. Les techniques de
construction des bâtiments, pour ce que nous avons pu en observer,
sont assez homogènes. Les murs sont caractérisés par la présence d’un
seul véritable parement, en général le parement interne. Il n’existe pas à
proprement parler de parement externe pour la plupart des bâtiments,
la face externe des murs des bâtiments n’est pas aménagée. Le parement
interne des murs est constitué, à la base, de plaques de grès de plage 4 de
taille assez importante, posées de chant. Sur ces dernières, des moel-
lons de corail plus petits sont agencés de manière à constituer une assise
horizontale, chaque bloc recouvrant au moins deux blocs du rang infé-
rieur, avec des joints secs croisés. Les parements internes de ces murs
rappellent les parements externes des tombeaux malgaches. Le reste
du mur est constitué d’un appareil mélangeant des moellons de toutes
dimensions, mais toujours imbriqués. Cette technique, parfaitement
maîtrisée par les naufragés, assure aux édifices une stabilité certaine,
tandis que l’épaisseur des murs, souvent supérieure à 1,5 m, leur confère
une grande robustesse, afin de résister aux vents et à la mer. Les maté-
riaux utilisés (blocs de corail et plaques de grès de plage) sont natu-
rellement présents sur l’île, mais à une distance comprise entre 150 et
1300 m de la zone de construction.

4. Beach-rock ou sandstone en anglais, une roche sédimentaire qui se forme dans une zone
littorale, par cimentation rapide du sable et de débris coralliens.

232
Mission Esclaves oubliés 2013

La campagne de fouille 2013 a mis en évidence une technique de


construction légèrement différente en deux endroits situé à l’est  : les
dalles verticales constituant la base des murs reposent dans de petites
tranchées creusées dans le sol primitif, où elles sont calées par de petits
blocs de corail.

Contrastant avec l’épaisseur des murs de ces constructions en pierres


sèches, on est frappé par l’exiguïté de l’espace intérieur des pièces.
L’étroitesse des bâtiments est sans doute liée à la difficulté rencontrée
pour réaliser un toit avec les matériaux qui étaient disponibles.

Une caractéristique générale de l’ensemble de ces constructions est


qu’accolées les unes aux autres, elles constituent une sorte de hameau.

Séquence chronologique de construction

Nous pouvons maintenant décrire les étapes de l’édification de ces


bâtiments,

Premier état de construction


Les bâtiments les plus anciens (bâtiments 5, 9, 10 et 12) semblent situés
au nord-est de la zone fouillée, sous le bâtiment de gonflage de la station
météorologique. Ils sont construits au tout début de l’occupation. Une
partie de ces bâtiments est détruite, très probablement par un épisode
dynamique naturel (cyclone ?). Les matériaux d’une partie de ces bâti-
ments (au moins ceux du bâtiment 12) sont réutilisés pour la seconde
phase de construction. Le bâtiment le plus à l’est (bâtiment 9) paraît
avoir était condamné à la fin de cette première phase.

Deuxième état de construction


Après plusieurs tempêtes, enregistrées dans la stratigraphie, les construc-
tions sont reprises avec l’édification de nouveaux bâtiments. Ils sont
centrés dans les secteurs fouillés au cours des quatre missions. La zone
bâtie se déplace vers le sud-ouest. Il semble que les naufragés aient alors
cherché à disposer leurs bâtiments autour d’un espace central, en les
appuyant les uns aux autres. Les bâtiments situés à l’est s’ouvraient sur
cet espace, alors que ceux situés à l’ouest s’ouvraient vers l’extérieur, de
sorte que toutes les ouvertures étaient grosso modo sous le vent des bâti-
ments. Cette observation confirme que les Malgaches ont en priorité
adapté leurs constructions aux conditions d’environnement, abandon-
nant leurs règles coutumières d’orientation des habitations par rapport
aux points cardinaux.

Troisième état de construction


Il correspond à la mise en place d’un mur de grande taille orienté nord-
sud. Un épisode climatique de grande ampleur a très certainement porté
atteinte aux bâtiments et est probablement à l’origine de cette construc-
tion. Ce nouveau mur divise l’espace en deux, avec peut-être une zone
plutôt vouée aux activités de manufacture à l’est (chevilles verticales
dans les bâtiments 5 et 2 dont la fonction est probablement utilitaire,
zone de stockage identifiée contre le bâtiment 2 et dans l’ancien bâti-
ment  4, plus grande quantité de déchet dans ce secteur), et une zone

233
Tromelin. Mémoire d’une île

plutôt vouée à la vie à l’ouest (bâtiment 2 et secteurs 1, 2, 10 et 11)


identifiée comme telle par la présence de mobilier « en état » (trépied,
gamelles…). Afin de rétablir la communication entre ces deux zones des
ouvertures sont réalisées dans les angles nord-ouest et sud-est du bâti-
ment 4, son angle sud-ouest et son entrée d’origine étant recouverts
par cette construction. Durant cette troisième phase, la zone de vie des
naufragés se décale vers l’ouest.

Une occupation postérieure au sauvetage des naufragés


Cette occupation a été identifiée dans la partie nord de la fouille, dans
les bâtiments 5 et 10, construits par les naufragés de l’Utile mais vidés
dans les années 1950-1960. Elle a aussi était identifiés dans le bâti-
ment 6, construit par des occupants dont nous ne connaissons toujours
pas l’identité. Les techniques de construction de ce bâtiment diffèrent
légèrement de ceux construits entre 1761 et 1776. Le mobilier qu’il
renferme est quasi identique  ; une bonne partie a été récupérée du
naufrage de l’Utile. Mais la stratigraphie indique que ce bâtiment se situe
avec certitude entre le sauvetage des survivants du naufrage de l’Utile en
1776 et la construction de la station météorologique qui commence en
1954.

L’espace extérieur

Les volumes intérieurs des bâtiments mis au jour sont réduits, ils
n’offrent qu’un abri restreint. Une partie importante de la vie courante
devait donc se dérouler à l’extérieur. Les premières campagnes avaient
permis d’aborder l’espace extérieur situé sous le vent des bâtiments
(secteurs S1, S2 et S11). Ces secteurs présentaient un espace propre,
rangé et ordonné, avec du mobilier surtout lié aux repas, disposé le long
des murs. L’espace situé au nord des bâtiments (Secteurs S10 et S12) est
moins ordonné et comporte énormément de gros reste de faune (cara-
paces de tortues) ainsi que de clous et tiges en fer. Cet espace fait plus
penser à une zone de dépotoir ou de débitage des carcasses de tortue.
Le seul objet manufacturé notable, retrouvé en surface, est un marteau
constitué de pièces d’accastillages emboîtées. Il s’agit indiscutablement
d’un outil dont la fonction pourrait être liée au débitage des tortues. Il
semble donc que le lieu de vie privilégié ait été celui qui se trouvait sous
le vent de la cuisine (bâtiment 1) découvert en 2008.

En 2013, nous avons exploré l’espace central du second état de construc-


tion. Malheureusement, celui-ci est en grande partie détruit par le creu-
sement d’une fosse réalisé dans les années 1950-1960. Le sol de quelques
mètres carrés préservé au nord du bâtiment 2 semble assez proche de
celui des secteurs 10 et 12 fouillé en 2010, zone dépotoir et/ou de stoc-
kage d’éléments métalliques, probablement destinés à la fabrication ou à
la transformation d’ustensiles.

Nous avons aussi exploré l’espace au sud des bâtiments 1 et 2. Il corres-


pond également à une zone de rejets (dépotoir) utilisée avant la construc-
tion de ces deux bâtiments qui appartiennent à la seconde phase de
construction. Cette fonction ne change pas après la construction de ces
deux bâtiments.

234
Mission Esclaves oubliés 2013

Mobilier archéologique

Le mobilier archéologique trouvé est important, puisque son inventaire


dépasse les 1600 items.

La majorité de ce mobilier est constitué de clous de charpentes, de


broches ou de chevilles provenant de la structure de l’Utile. Un nombre
considérable de chutes de découpe, de coulures de fonte, illustre le travail
des naufragés pour la fabrication de leurs objets usuels. Ils utilisaient à
cet effet le fer, le cuivre et le plomb récupérés sur l’épave.

Le reste du mobilier peut être classé en plusieurs catégories.


– Les ustensiles ou les outils trouvés sur l’épave de l’Utile et utilisés dans
leur fonction d’origine, puis réparés au cours du temps.
– Les éléments provenant de la structure ou de l’équipement du navire,
présents sur le site mais apparemment non utilisés.
– Les éléments provenant de la structure ou de l’équipement du navire,
détournés de leur fonction initiale pour fabriquer des outils ou des
ustensiles.
– Les objets fabriqués à partir de la matière première trouvée sur l’épave.
– Les objets fabriqués avec des coquillages ou des os trouvés sur l’île.

La presque totalité des objets mis au jour a une fonction utilitaire, à l’ex-
ception de quelques modestes bijoux.

Les objets les plus remarquables ont été confiés au laboratoire LC2R 5
qui est chargé de leur traitement de conservation.

Alimentation

Les différentes campagnes de fouille ont mis au jour une imposante


collection de vestiges osseux, riche de plusieurs dizaines de milliers de
fragments, témoins de l’alimentation des naufragés de l’Utile. Leur
analyse commencée en 2006 se poursuit. Elle permet cependant, dès
à présent, de préciser la nature des aliments consommés6 . Ces osse-
ments appartiennent pour l’essentiel à des oiseaux marins et, dans une
moindre mesure, à des tortues et à des poissons.

Les oiseaux consommés sont en grande majorité des sternes fuligi-


neuses (Onychoprion fuscatus)  : une espèce qui nichait alors sur l’île,
comme l’indique la présence d’os médullaire et de poussins. A présent
les sternes ne nichent plus sur l’île, où elles ont été remplacées par les
fous (voir chapitre 11). En période de reproduction, les sternes forment
des colonies pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’indi-
vidus, leur venue constituait donc une manne essentielle pour la survie
des naufragés. Ces oiseaux ont fourni des œufs, dont la consommation
probable n’a pas laissé de traces, et environ une centaine de grammes
de viande par individu. Les oiseaux étaient mangés grillés, les parties les
plus charnues débitées à l’aide d’un outil tranchant comme le montre la
présence de brûlures régulières et de stries de découpe. Sur le site haut,
5. LC2R - Laboratoire de conservation, restauration et recherche, à Draguignan.
6. Laroulandie, Lefèvre 2014 ; Guérout, Romon, Laroulandie, Lefèvre, Béarez, 2014.

235
Tromelin. Mémoire d’une île

les extrémités d’ailes sont souvent absentes et les fractures régulières


montrent qu’elles ont été brisées avant la cuisson. Il est possible que ce
geste ait eu pour objet la récupération des plumes, peut-être destinées à
la confection des pagnes qui constituaient l’habillement des rescapées
au moment de leur sauvetage7.

Les tortues vertes (Chelonia mydas) fréquentent régulièrement l’île de


Tromelin (voir chapitre 19). Plusieurs milliers d’ossements de tortues
ont été trouvés lors des fouilles. Les grandes plaques osseuses qui consti-
tuent la dossière montrent parfois sur la face externe, au niveau le plus
bombé de la carapace, de profondes stries. Elles pourraient avoir été
produites par le frottement sur le sable corallien de la tortue tirée sur
le dos, du rivage vers le campement. D’autres stries, fines, s’observent
sur la face interne de ces plaques et semblent indiquer la récupération
de la viande à l’aide d’un grattoir métallique. Outre la consommation
probable des œufs, une tortue adulte fournit plusieurs dizaines de kilo-
grammes de viande et de graisse et devait suffire à nourrir le groupe
pendant quelques jours.

Les restes de poissons sont peu nombreux, mais ils représentent une
forte diversité  ; au moins onze familles différentes sont documentées.
Les carangues dominent suivies par les balistes, les poissons-chirurgiens,
les vivaneaux, etc. Les poissons capturés sont de taille variable, et leurs
poids estimés sont compris entre 100 g et 10 kg. La plupart des espèces
identifiées peuvent avoir été capturées depuis le littoral, cependant les
plus grosses prises ont pu nécessiter une pêche à la ligne au-delà des
déferlantes.

L’eau

Le puits qui semble avoir été observé par les personnels de la station
météo dans les années 1960, n’a pas été retrouvé. L’eau devait être ache-
minée via un chemin aménagé observé par Layard8 et était sans doute
conservés dans les récipients en plomb munis de couvercles dont trois
exemplaires ont été mis au jour.

Le feu

L’usage du feu est attesté par la présence de cendre dans le sol jusqu’au
niveau du sol d’abandon, la découverte d’os d’oiseaux brûlés et de
coulures de plomb fondu. Les rescapées ont affirmé avoir gardé le feu
pendant quinze ans. Le bois de charpente disponible sur l’épave était
employé, son usage est attesté par la présence de nombreux clous de
charpente trouvés dans le sol, à tous les niveaux. Le bois mort de velou-
tier a sans doute aussi complété cette ressource. La découverte de frag-
ments de silex et de briquets en fer permet de préciser la manière dont le
feu était allumé et entretenu.

7. Journal historique et politique, imprimé à Genève, no 24 du 30 août 1777, p. 374 : « Des
plumes d’oiseau, tissées fort artistement, leur servoient de pagnes et de couvertures. »
8. Brooke, 1981.

236
Mission Esclaves oubliés 2013

Plusieurs foyers, installés à l’intérieur des bâtiments (bâtiments 1, 2, 5),


ont été observés. Toutefois il semble qu’au moment du sauvetage final, le
foyer utilisé pour cuisiner se trouvait à l’extérieur, sous le vent du bâti-
ment 1.

Organisation matérielle

Le bâtiment 1, dégagé en 2008, a été interprété comme étant une


cuisine. La présence d’un foyer aménagé indique qu’il a eu pour fonc-
tion la cuisson des repas. Cependant, ce foyer n’était pas utilisé au
moment de l’abandon du bâtiment en novembre 1776, mais servait
de lieux de stockage de contenants (gamelles), abandonnés lorsque les
naufragés quittèrent l’île. Les objets trouvés dans la cuisine lui confèrent
également une fonction de rangement et de protection de ces ustensiles.
En l’absence de mobilier, la fonction des autres bâtiments est moins bien
définie, les clous de fer introduits entre les blocs formant la paroi pour-
raient avoir été utilisés pour accrocher des objets. La présence d’outil
dans le bâtiment 3 ouvre la possibilité d’y voir un lieu de rangement,
voire un atelier. L’aménagement des bâtiments 2 et 5, en particulier la
présence de grosses chevilles plantées dans le sol dans l’espace au fond
de la pièce délimité par des blocs verticaux, reste une interrogation. Il est
possible que ces chevilles verticales aient été utilisées comme enclumes,
ou pour un autre usage lié au travail des métaux.

Chaque bâtiment semble avoir eu une fonction spécifique. Le fait que


les objets soient rangés par fonction indique une organisation certaine
de la petite société qui s’est constituée.

Les Malgaches, forts de leur savoir-faire reconnu en matière de métal-


lurgie du fer, ont peut-être utilisé la forge édifiée par les Français pour
construire La Providence.

Organisation sociale

Le type de construction des bâtiments, aussi bien que leur regroupe-


ment autour d’un point central, mais aussi les indices évidents d’évolu-
tion et donc d’adaptation de ces constructions, constituent la preuve la
plus évidente d’une organisation sociale du groupe, ces constructions et
leur modification n’ayant pu s’effectuer que collectivement.

Les recherches effectuées à Madagascar ont montré que le choix de


construire les habitats à l’aide de blocs de corail allait non seulement
contre la coutume malgache, mais contre des interdits royaux dont les
naufragés étaient certes dégagés, mais dont la prégnance devait peser
d’un poids important au moment de leur choix. Psychologiquement,
la transgression de cet interdit dut être particulièrement difficile  :
l’utilisation de la pierre était à Madagascar réservée aux tombeaux. Il en
va de même du non-respect des règles d’organisation topographique de
l’espace, en particulier de la stricte orientation et de l’individualisation
des habitations.

237
Tromelin. Mémoire d’une île

L’important remaniement – véritable transformation – de l’ensemble


de la zone habitée que représente la construction en son centre d’un mur
de protection important qui a amené à détruire l’un des bâtiments exis-
tants, montre aussi une maîtrise par les naufragés de la gestion de leur
espace de vie.

L’industrie déployée, pour fabriquer ou réparer des ustensiles de cuisine


ou des outils, vient aussi confirmer que les tâches et des savoir-faire indi-
viduels mis en place.

Quelques objets indiquent par ailleurs que le petit groupe de naufragés


avait dépassé le cadre strict de la survie, pour s’ouvrir à des comporte-
ments et des préoccupations proches d’une vie « normale ».

La découverte de bijoux ou d’ornements (bracelets, bague, chaînettes)


en est la première évidence, tout comme les décors gravés sur le manche
des pics (fourchette simplifiée et/ou pointe démêloir).

D’autres objets, tels la pièces de monnaie percée et les fragments d’en-


cens, illustrent sans doute les maigres « biens » emportés ou récupérés
par les esclaves. L’usage de l’encens, à la fois médicinal et magique, et
celui des bracelets en cuivre, qui ont aussi une fonction de talisman,
ouvrent une fenêtre sur des comportements magico-religieux et éclairent
le quotidien des Malgaches abandonnés.

Les sépultures

Les sépultures des naufragés, qui semblent être attestées par le récit de
Parker en 1851, n’ont pas été trouvées. Rappelons la découverte en 2008,
dans une zone de déblais liée à la construction de la station météo, des
restes de deux squelettes déplacés par les ouvriers à l’occasion de ces
travaux. Ce sont les seules données matérielles à notre disposition. Nous
avons la conviction qu’il s’agit d’ossements des naufragés déplacés en
même temps que les autres éléments appartenant à l’Utile découverts
dans le même niveau. Leur présence à cet endroit, au sein de l’habitat,
reste difficile à expliquer.

L’ensemble de ces observations montre à l’évidence que les rescapés de


l’Utile, laissés dans le dénuement le plus complet, n’ont pas été écrasés
par leur situation, qu’ils ont lutté et ont fait preuve d’imagination et de
volonté pour surmonter leurs difficultés et leur isolement. Ils ont utilisé
les rares ressources qui leur étaient offertes pour survivre puis rebâtir
une petite société, recouvrant par là même la dignité et l’humanité qui
leur avaient été déniées.

Le site archéologique de Tromelin, porteur d’une grande charge


émotionnelle, est ainsi devenu l’un des lieux de mémoire de la traite et
de l’esclavage.

238
Annexe 1

Le journal de bord de la
Diane, une illustration des
difficultés de la navigation
au début du XVIIIe siècle
Le journal de bord de la Diane
Ce journal est rédigé par Guillaume Le Housel, le pilote de la Diane.

« Du Dimanche 9e aoust 1722. Les vents variable d’ESE au SE bon petit frais
bautan [beau temps] nous avons singlé [cinglé : fait voile] au NNE jusque sur
les 6 heures du matin, la pointe la plus ouest au Sud, la pointe la plus à l’est au
SSE 14 L1, la Grande Coupée au S1/4 SE jusqu’à midi que ayant pris hauteur,
je observe 19 °49’
je arette [arrête] mond [si in se réfère à la copie ci-dessous il s’agit du
52°36’ point de départ] par la longitude de 75°05’

Du Lundi 10e aoust 1722. Les vents variable du SE àESE bon frais, bautant
nous avons singlé au NNE jusque a midi que ayant pris hauteur je trouve que la
route m’a vallu le Nord 4 deg Ouest 36 L
52°31’ Latt observée 18°02’
Longitude 75°00

Du mardi 11e aoust 1722. Les vents variables du Sud au SSE et SE bon petit
frais. Nous avons singlé au NNE jusque àmidi que ayant pris hauteur je trouve
que la routte ma vallu le Nord 4 dg Ouest 34 L
Latt observée 16°19’
52°22’ Longitude 74°51’
Sur les 5 heure ¼après midi nous avons eu connaissance de un illote base qui
este par Latt de 16 dg elle me reste le milieu au NNE distance de 2 L ½, la
pointe de l’est au NE1/4 N elle peut avoir environ 2 lieues de lon. Fesant valloir
la routte Le Nord de Bourbon vous alle droitte la charcher [chercher] de boute
au corré( ?)

1. 14 L : 14 lieues marines.

239
Tromelin. Mémoire d’une île

Du mercredi 12e aoust 1722. Les vents variables du Sud à ESE bon frais, bautan
nous avons singlé jusque sur les 1 heur après minuit que nous avons mis a panne
jusque sur les 5 heur du matin que nous avons fait servir et singlé sur plusie( ?)
au NNO jusque midi que ayant pris hauteur je trouve que la routte ma vallu le
NO 2dg O 20 L 2/3
Lat observ 15°37’
51°33’ Longitude 74°02’

Le calcul de la position à la mer


au milieu du XVIIIe siècle

Avant d’aller plus avant, il importe de revenir sur les conditions du


calcul des positions à la mer au début du xviiie siècle.

Le calcul de la latitude est relativement simple dans son principe, il


repose sur l’observation de la hauteur du soleil au-dessus de l’horizon
(angle pris dans un plan vertical entre l’horizon et le soleil) au moment
de sa culmination (hauteur maximale au-dessus de l’horizon), c’est à
dire à midi du lieu où se trouve l’observateur. Les moyens d’observation
au début du xviiie siècle sont encore relativement imprécis, on utilise
l’arbalestrille ou mieux le quartier anglais  : des instruments dont la L’octant
précision laisse à désirer. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, l’uti- Cet instrument, analogue au sextant, est
lisation de l’octant améliorera beaucoup la précision des observations. inventé par John Hadley qui le propose
en 1731 à la Société royale de Londres.
Avant l’apparition des montres d’habitacle et des chronomètres précis En 1736, d’Après de Mannevillette
embarque comme second lieutenant sur
et stables, dans le dernier quart du xviiie siècle, le calcul de la longitude le Prince de Conti, capitaine Danican,
n’est pas maîtrisé par la plupart des navigateurs. On se contente, à partir à destination de la Chine. C’est au
de la position de départ, d’évaluer la vitesse, le cap suivi et la dérive due cours de ce voyage qu’il fait l’essai
au vent et au courant pour établir une estime de la distance et de la route du nouveau quartier anglais ou octant
“‰
Š<    

parcourues pour calculer la longitude où l’on se trouve. Cette méthode le miroir qui permet d’observer
entraîne souvent des erreurs importantes, d’autant que la route est suivie par derrière. En 1749, d’Après de
à l’aide d’un compas magnétique dont la précision et la justesse ne sont Mannevillette prend le commandement
pas non plus exemptes de défauts. Pour connaître la direction du nord du Chevalier Marin pour le Sénégal,
son second est Jean Lafargue, futur
géographique, on doit donc, grâce à des tables établies au préalable par commandant de l’Utile. C’est à cette
les astronomes et publiées dans La connaissance des temps2 , effectuer des occasion qu’il pratique, avec l’octant, les
mesures de l’azimut du soleil au lever et au coucher afin de déterminer premières observations astronomiques
la valeur de l’angle entre le nord géographique et le nord magnétique. pour déterminer la longitude en mer
par la méthode des distances lunaires.
Difficulté supplémentaire pour l’historien : les journaux de navigation
n’indiquent que rarement, si les relèvements et les routes sont mesurés
à partir du nord magnétique ou à partir du nord géographique. Dans ce
dernier cas, le relèvement est dit « du monde ».

Les longitudes sont toujours mesurées à partir d’un méridien de


référence. Mais la multiplicité des méridiens de référence utilisés au
début du xviiie siècle complique aussi la lecture des journaux de navi-
gation. Selon une décision prise par le cardinal de Richelieu en juillet
1634, le méridien de l’île Hiero ou île de Fer (Canaries) devait être
2. La Connaissance des temps est une publication d’éphémérides astronomiques publiée depuis
1679.

240
Annexe 1. Le journal de bord de la Diane, une illustration des difficultés de la navigation au début du XVIIIe siècle

utilisé comme méridien de référence par les navigateurs, les géographes


et les hydrographes français. Les longitudes se comptaient alors de 0 à
360° d’ouest en est. En 1634 la longitude de l’île de Fer adoptée fut fixée
arbitrairement à 20° à l’ouest du méridien de Paris3 .

Quel méridien origine le pilote Guillaume


Le Housel utilise-t-il ?

Malgré la décision de Richelieu, au début du xviiie siècle, les instructions


nautiques et les cartes marines utilisées, en particulier par les marins
français, étaient le plus souvent d’origine portugaise ou hollandaise. Le
méridien de référence utilisé était situé soit aux Açores (île de Corvo ou
de Flores), soit aux Canaries (îles de Hiero ou de Ténériffe), soit aux îles
du Cap Vert (îles de San Iago ou de Boavista)4 . Voici quelques exemples :
en 1707, Dupin d’Ages, pilote du vaisseau Oriflamme commandé par
de Courbon, utilise un routier portugais lors d’un voyage à destination
du Chili en passant par le Cap Horn5 ; en 1720, le pilote de la Sirenne
mentionne dans son journal de bord : « Je prends mon point de départ
sur la carte hollandaise qui prend son méridien au Ténériffe, et qui est
bien juste et fort bonne. ». Deux ans plus tard, en 1722, l’Atalante, qui
fera le voyage vers les Mascareignes en compagnie de la Diane, utilise
la carte hollandaise de Pieter Goos et donne les longitudes à la fois en
longitude de Paris et en longitude de Ténériffe. 6

La carte de l’océan Indien de d’Après de Mannevillette publiée en 1753


(ci-dessous) utilise conjointement le méridien de Paris et celui de Ténériffe.

Figure A1-1 – Carte de


d’Après datant de 1753.

Si la longitude de Paris qui figure en marge du journal de bord de la


Diane, a été inscrite en même temps que celle qui figure dans le corps
du texte, elle doit nous permettre d’identifier le méridien de référence
utilisé, puisque les méridiens ont entre eux un angle constant. La longi-
tude de ce méridien de référence est donc 75°05’-52°36’=22°29’ à l’ouest

3. La longitude exacte de l’île de Fer ne sera mesurée avec précision que plus tard, elle se
trouvera être supérieure d’environ 23’ à cette valeur.
4. Jonkers A.R.T., Parallel meridians: Diffusion and change in early-modern oceanic reckoning,
in Noord-Zuid in Oostindish perspectief, The Hague : Walburg, 2005, p. 17-42.
5. AN –Marine, 4JJ 46, Journal de bord de l’Oriflamme.
6. AN – Marine, 4 JJ 74, Journal de bord de l’Atalante.

241
Tromelin. Mémoire d’une île

du méridien de Paris. Un tel méridien de référence n’est ni celui de l’île


Hiero (20°), ni celui de Ténériffe (18°58’), ni celui des îles du Cap vert
(Boavista : 24°10’ et San Iago : 25°10’). Il ne correspond pas non plus
à une terre émergée dans l’Atlantique. Il est cependant indispensable
qu’un méridien de référence passe par une terre, parce que sa position
doit être calculée au moyen d’observations astronomiques précises et
répétées, incompatibles avec une observation à la mer et parce que l’in-
térêt des navigateurs est de pouvoir recaler leur navigation lorsqu’ils
passent à la vue du lieu choisi. C’est la raison pour laquelle nombreux
sont les méridiens de référence qui passent par de petites îles placées sur
les routes habituelles de navigation. Ainsi en est-il des Açores pour les
voyages transatlantiques des Espagnols ou des Canaries ou des îles du
Cap vert pour les voyages vers l’océan Indien ou l’Atlantique Sud.

Nous nous trouvons donc devant une impossibilité.

Comment résoudre cette difficulté  ? Une première solution consiste


à considérer que le pilote se trompe de longitude lorsqu’il prend son
point de départ (point à partir duquel on va « entretenir » l’estime).
Cependant, en étudiant de plus près le journal de bord original de la
Diane, on constate que le bâtiment fait un aller-retour entre l’île de
France et l’île Bourbon avant son départ et qu’à son premier passage à
Bourbon le pilote utilise la même longitude que lors de son départ le
8 août : « 3 juin 1722, appareillage de Saint-Paul, à 12 h 00 longitude :
75°05’. » La probabilité pour que par deux fois le pilote fasse la même
erreur à deux mois d’intervalle devient alors très faible.

Il reste toutefois une autre solution  : il est possible que contrairement


à notre première hypothèse, l’inscription au crayon de la longitude par
rapport au méridien de Paris ait été portée à une date ultérieure. Peut-
être par le cartographe du Dépôt des cartes qui consulte le journal de
bord de la Diane pour y relever la position de l’île de Sable, nouvelle-
ment découverte, afin de la porter sur une carte. Il n’est pas possible de
savoir à quelle date les inscriptions marginales ont été portées, on peut
cependant supposer qu’au plus tard, elles ont été portées au moment de
l’élaboration de la carte publiée en 1739 où apparaît pour la première
fois l’île de Sable, soit vers 1738 ou 1739.

Il est alors probable qu’entre 1722 et la date à laquelle les inscriptions


au crayon ont été portées, de nouvelles observations astronomiques ont
permis de rectifier la longitude de l’île Bourbon. La longitude de l’île
Bourbon indiquée au crayon est donc très probablement une longitude
rectifiée, qui est ensuite utilisée pour corriger toutes les autres obser-
vations figurant sur le journal de navigation et en particulier celle qui
concerne la découverte de l’île de Sable.

La carte française du Dépôt des cartes datée de 1739 vient heureuse-


ment à notre secours. En effet, elle conforte cette hypothèse, contenant
un volet où sont comparées les positions données par la carte anglaise
de John Thornton, hydrographe de la East India Company (1669-
1701), en vert, par la carte hollandaise de Pieter Goos (1616-1675), en
jaune, et par la carte du Dépôt de 1739, en rouge. Cette comparaison

242
Annexe 1. Le journal de bord de la Diane, une illustration des difficultés de la navigation au début du XVIIIe siècle

Figure A1-2 – Détail de la carte française


du Dépôt des cartes datée de 1739.

est particulièrement éclairante. Elle illustre en particulier les énormes


différences de longitude qui coexistent entre les cartographes. On a
présenté ci-dessus un détail de cette carte, centré sur les Mascareignes et
Madagascar. On y constate par exemple que l’île de France des Anglais
se trouve au centre de l’île de Madagascar des Hollandais !

Dans son journal de bord, le pilote de l’Atalante qui naviguait de


conserve avec la Diane indique qu’il utilise la carte du Hollandais Pieter
Goos et le méridien de référence de Ténériffe. Il est donc très probable
que les pilotes des deux navires utilisaient les mêmes références pour
calculer leur position. On peut en se reportant aux graduations de la
carte qui sont hors du cadre de l’agrandissement ci-dessus, mesurer la
différence de longitude entre les positions de l’île Bourbon données
par la carte hollandaise de Pieter Goos et la carte du Dépôt : elle est de
3°28’, aux erreurs de lecture près.

Si on corrige la valeur de la longitude indiquée pour le point de départ


dans le journal de bord de la Diane de cette différence on obtient 75°05’–
3°28’= 71°37’. L’écart entre ce méridien et le méridien de Paris est donc
à présent de 71°37’–52°36’= 19°01’. Il apparaît dès lors à l’évidence que
le méridien de référence utilisé est bien celui de Ténériffe dont la longi-
tude par rapport au méridien de Paris est 18°58’ (Longitude du Pic de
Teide).

Calcul de la position de l’île de Sable


Un autre document, une lettre de Mr. de la Feuillée datée du 24 avril
1724 7, rend compte de sa découverte et donne la position calculée de
l’île : 

7. AN – Marine, 3 JJ 330 –Pièce 13.

243
Tromelin. Mémoire d’une île

« Passage de l’Isle de Bourbon à la côte de Malabar rangeant le coste de l’Est de


Madagascar.
En partant de l’Isle Bourbon, je fis route au Nord sans prendre beaucoup de
l’O, après 96 lieues de chemin nous trouvâmes pour la latitude de 16 d 4 min et
par 75 d de Longitude, un islet de sable que nos cartes marquent beaucoup plus
dans l’Est et c’est une erreur8. J’en passay à l’O et dirigeay ma route pour voir le
N et le bout de l’isle de Madagascar, laquelle je trouvais aussi plus à l’Ouest que
les cartes ne le marquent. …. »

Alors que le journal de navigation de la Diane donne d’une part, le


point estimé à midi le 11 août et d’autre part le relèvement et la distance
estimée de l’île au moment de sa découverte, la lettre de 1724 indique la
position calculée de l’île. Elle tient compte pour cela des cinq heures et
quart qui se sont écoulées entre l’adoption du point à midi du 11 août et
le moment de la découverte de l’île.

On peut considérer que la latitude a été observée chaque jour à midi


depuis le départ et donc recalée quotidiennement. Quant à la longitude
indiquée, elle correspond à l’estime entretenue depuis le dernier point
observé sur l’île Bourbon soit depuis le 9 août à 6 heures du matin. Il
s’est donc écoulé 83 h 15, entre le dernier point observé et la découverte
de l’île de Sable, période pendant lesquelles il a fallu évaluer la dérive
due au vent et celle due au courant.

La dérive due au vent peut être considérée comme faible, car la Diane
navigue au largue par vent de SSE à l’ESE, une allure où la dérive est peu
importante. L’évaluation du courant est par contre beaucoup plus diffi-
cile, le courant permanent est presque toujours sous-estimé, il porte en
général à l’ouest et peut atteindre 20 milles par jours comme le souligne
le capitaine de corvette Jehenne (voir chapitre 10). On considère en
général que le courant permanent est d’environ 0,5 nœud.

Il est intéressant de remarquer que si l’on calcule la longitude de l’île de


Tromelin à partir du point à midi du 11 août et de la route parcoure, on
trouve une longitude de 74°43’ E (ou 52°14’ E par rapport au méridien
de Paris), mais Briand de La Feuillée lui attribue ici 75 °ou 52°31’E par
rapport au méridien de Paris), il a donc très probablement corrigé après
coup la position, sans doute en réévaluant la dérive due au courant d’en-
viron 17 milles vers l’est.

Dans la mesure où l’île de Tromelin ne fut plus observée avant le


naufrage de l’Utile, on est en droit de se poser la question de savoir sur
quels critères la position portée sur les cartes fut différente de celle indi-
quée par le pilote de la Diane. Sans doute faut-il y voir une réévaluation
de la dérive. Sur les deux cartes du Dépôt de 1739 et 1740, la longitude
indiquée est de 53°10’E ce qui équivaut à réévaluer la dérive d’environ
58 milles. Sur la carte de d’Après, éditée en 1757, la longitude indiquée
est de 52°32’ E soit pratiquement la longitude estimée par Briand de la
Feuillée dans sa lettre de 1724.
La longitude indiquée sur les cartes actuelles est 52°11’ E.
8. Briand de la Feuillée pense avoir vu une île qui figure alors sur les cartes sous le nom
d’Angasay.

244
Annexe 2

Biographie de Jacques
Marie Boudin de Tromelin,
seigneur de Lanuguy

~ >
{
D’innombrables erreurs ont été commises concernant l’identité du
sauveteur des naufragés de l’Utile abandonnés sur l’île de Sable. La
source principale de ces erreurs se trouve dans le Dictionnaire de biogra-
phie mauricienne1. Une seule notice rédigée par Auguste Toussaint, qui
se trouve aux pages 409 et 410, concerne le nom de Tromelin, celle de
«  Maurice Jean Marie Boudin de Tromelin (1730-c.1800).  » Cette
notice est le mélange malheureux de la biographie de trois frères : Bernard
Marie, Maurice Jean Marie et Jacques Marie, tous trois officiers dans la
marine royale et présents à la même époque dans l’océan Indien. A la
décharge d’un biographe pressé, il n’est pas toujours facile de distinguer
l’un de l’autre dans des pièces de correspondance où ils sont désignés par
le même nom, rarement par leur grade et assez souvent par l’appellation
« chevalier de Tromelin », distinction à laquelle ils furent tous les trois
élevés2 . Pour mieux brouiller les pistes, les aînés embarquèrent souvent
leurs frères cadets à bord des bâtiments qu’ils commandaient.

Le patronyme de Jacques Marie


Pour lever toutes les incertitudes, il nous a fallu avoir recours à l’examen
de leurs dossiers individuels qui sont conservés aux archives du Service
 \


^  historique de la Défense ou aux Archives nationales3 .


{  
{
ˆ 
 

! _
 
|      1. Toussaint A. (éd.), Dictionnaire de biographie mauricienne, Sociétéde l’Histoire de l’île
! ?  
‘\Š<
 Maurice, Port-Louis, 1941.
  €
     2. Lacour-Gayet G., auteur d’un ouvrage de référence : La Marine militaire de France sous
^
  
‘\Š?  < le règne de Louis XVI, 1905 rédige en ces termes une note concernant Launay de Tromelin
~ 

>    

  qui montre bien ses hésitations : « Launay de Tromelin ou La Nugny de Tromelin. Les
 \   
  Tromelin étaient plusieurs frères dans la Marine. La Nugny de Tromelin : G : 12/1/1766, L :

\Š?  <{
* 13/3/1779 » (Appendice XIII, note 32, p. 660).
 ^
\ Norge  3. AN –Marine, C7 40 –- Dossier individuel de Bernard Marie Boudin de Tromelin.
^ 
?  € 
• > Service Historique de la Défense - Marine –Vincennes, CC7 40 - carton 280 - Dossier
{
 > 

 individuel de Maurice Jean Marie Boudin de Launay de Tromelin.
! 
‘\Š?  < AN –Marine, C7 40 – Dossier individuel de Jacques Marie Boudin de la Nuguy de Tromelin.

245
Tromelin. Mémoire d’une île


 
La famille Boudin est originaire de Normandie. En 1640, la branche
aînée s’installe à Morlaix. Bernard Boudin, sieur de Launay, écuyer,
épouse en 1699 Thérèse Coroller. Procureur syndic et juge-consul
de Morlaix4 , il est anobli par achat d’une charge de secrétaire du Roi
en 17015 . La famille acquiert de nombreuses propriétés autour de la
rivière de Morlaix et avec le mariage de Jacques Guillaume Boudin,
fi ls de Bernard, avec la fi lle de Nicolas le Diouguel de Penanru, elle
reçoit la terre de Tromelin en Plougasnou et ajoute ce nom à son patro-
nyme. Les membres de la famille Boudin deviennent ainsi seigneurs
de Launay, paroisse de Ploujean, de Longpré (en Normandie), de
Tromelin, de Kergreiz, paroisse de Plougasnou, de Lanuguy, paroisse de
Figure A2-1 – Sceau de
Saint-Martin-des-Champs. la Famille Tromelin.

| 
 
Ecu de sable avec épée d’argent en pal, la pointe en haut accostée en
chef de deux étoiles d’or. La devise « Ad sidera tentat », que l’on peut
traduire par « Il tente d’atteindre les étoiles6 . »

Jacques Guillaume Boudin, écuyer et seigneur de Tromelin (né en


1702, mort en 1777) et Dame Marie Françoise Jacquette Le Diouguel7
de Penanru (morte le 31 décembre 1766), mariés en 1726, auront neuf
enfants.

La fratrie comporte sept garçons et deux fi lles8 :

1 - Nicolas Thérèse Bernard Boudin, seigneur de Tromelin qui fut Figure A2-2 - Armoiries.
cornette dans le Dauphin-cavalerie et vénérable de la loge «  La noble

4. Chassin de Guerny R., Généalogie de la famille Chassin de Guerny en Bretagne, Rennes,


1938, p. 148.
5. Charge de secrétaire du Roi : « La plus importante sans contredit, et celle qui jouissait
des plus grands privilèges, était la charge de Secrétaire du roi maison couronne de France.
Ses prérogatives étaient telles, qu’en entrant en charge les secrétaires du roi, étaient réputés
nobles de quatre races et capables de recevoir tous les ordres de chevalerie. Il serait trop
long de rapporter ici les divers arrêts et règlements qui modifièrent à diverses époques les
privilèges attachés à cet office. Nous mentionnerons seulement les lettres patentes du roi du
18 juillet 1784, registrées au parlement le 3 septembre suivant, par lesquelles S. M. attribue à
ses conseillers en ses conseils, secrétaires des fi nances et greffiers du conseil privé, le droit et
privilège de noblesse héréditaire. Il faut dire au reste, à l’avantage de ce corps, qu’un grand
nombre de familles d’ancienne noblesse a fourni des secrétaires du roi. » (Armorial Général
de Bretagne).
6. Traduit par : « Il tente de monter aux astres », par O. de Bessas de la Mégie (1865).
7. AN – Marine, C7 40, pièce 15.
8. Bien que les dates de naissance de tous les enfants ne soient pas connues, ils sont classés ici
par âge décroissant, tels qu’ils sont cités dans un document manuscrit daté du 6 décembre 1767
concernant le partage des biens de la famille Boudin de Tromelin. Ce document a été présenté
à une vente aux enchères à Lorient le 10 novembre 2012 et acquis par François Legoarant de
Tromelin qui nous en a communiqué la teneur. Seul l’enfant décédé le 14 septembre 1765 à
Cadix après le débarquement de Larache n’y figure pas. Le prénom de ce dernier n’est toujours
pas connu.

246
Annexe 2. Biographie de Jacques Marie Boudin de Tromelin, seigneur de Lanuguy

amitié » de Morlaix de 1776 à 17859, né le 14 septembre 1727 à Kergreis,


marié en 1758 à Geneviève du Buisson de Vieux Chatel, mort 23 avril
1790 à Plougean.
2 - Laurent Marie Boudin, seigneur abbé de Tromelin10 .
3 - Bernard Marie Boudin, seigneur de Tromelin, né à Morlaix le 15
février 1735, mort en 181611.
4 - Maurice Jean Marie Boudin, seigneur de Launay, né à Morlaix le
21 février 174012 .
5 - Jean Marie François Boudin, seigneur de Kergreis. Il est mort
noyé à Achem (Sumatra) le 28 octobre 176713 . Il figure sur le docu-
ment manuscrit concernant le partage des biens de la famille signé le 6
décembre 1767. Il y est représenté par Maître Gabriel Regnault, Sieur
Dumesnil, procureur et notaire au siège royal de Morlaix auquel il a
signé une procuration. La nouvelle de sa mort survenue près de deux
mois auparavant n’était donc pas encore parvenue à sa famille.
6 - Un garçon désigné sous le nom de La Nuguy Tromelin, dont les
prénoms ne nous sont pas connus, embarqué comme volontaire sur
la frégate Terpsichore participe en juin 1765 à l’attaque de Larache
(Maroc). Blessé au cours du débarquement, il meurt de ses blessures

9. Il eut dix enfants dont un seul garçon, Jacques Jean Marie Boudin de Tromelin né le 22
août 1771, qui se maria en 1790 à Henriette Jollivet de Treuscoat, émigra, fut capturé avec
Sydney Smith devant Le Havre, emprisonné au Temple puis devint général d’empire. Il est
mort en mars 1842.
10. Laurent Marie fut prévôt du chapitre de l’église collégiale et royale de Notre-Dame-du-
Mur à Morlaix de 1760 à 1784. A ce titre il est le premier dignitaire ecclésiastique de la ville de
Morlaix. Il y reçoit un preciput de 150 livres par an. Il indique en 1771 à côté de sa signature
apposée en bas de l’acte de baptême de Jacques Jean Boudin de Tromelin : « Prévôt du Mur,
vicaire général ».
11. Bernard Marie s’oriente vers une carrière maritime après un court service dans l’armée où
il sert comme lieutenant dans le régiment du Limousin. Il participe au siège de Maastricht dans
l’armée commandée par le maréchal de Saxe en 1748. Il est particulièrement connu pour avoir
été chargé à l’île de France de l’exécution des travaux de curage du port Port-Louis de 1771
jusqu’en octobre 1783. Ayant conduit ces travaux en chef, il a conservé la direction du port
quoique ayant reçu plusieurs commandement à la mer dans l’océan Indien. Il commande en
particulier l’Annibal et une division de l’escadre de Suffren aux Indes. Il participe aux batailles
de Provédien (12 avril 1782), Negapatam (4 juillet 1782) et Trinquemalé (3 septembre 1782).
Son action au cours de la bataille de Trinquemalé est gravement mise en cause par Suffren :
« M. de Tromelin, soit par faiblesse, soit par jalousie, avait toujours compromis le succès de
nos armes, en restant spectateur bénévole du combat. » Il est désavoué et, à sa demande, quitte
son commandement. Il ne cessera, au moyen d’un mémoire apologétique, de demander à être
traduit devant un conseil de guerre afin que sa conduite soit jugée, ce qui lui sera refusé jusqu’à
la Révolution qui le nommera finalement vice-amiral en 1793. Il fut nommé chevalier de Saint-
Louis le 1er avril 1771.
12. Maurice Marie entre également dans la marine royale en 1756, il y effectuera une longue
carrière mouvementée de 44 ans. Chevalier de Saint-Louis en 1815, membre fondateur de la
société des Cincinnati pour sa participation comme premier lieutenant de l’Ardent à la bataille
du Cap Henry à l’entrée de la baie de la Chesapeake le 20 juin 1780. Membre de l’Académie de
Marine, il émigrera en Grande-Bretagne dans l’armée des Princes en 1792. Resté célibataire,
il terminera sa carrière comme contre-amiral.
13. AN – Marine, C7 40 - Dossier individuel de Boudin de Tromelin Chevalier de Kergreis
- Garde marine à Brest le 16 janvier 1758, noyé sur la barre d’Achem dans l’Indes, le canot du
vaisseau la Paix dans lequel il allait à terre ayant chaviré le 28 octobre 1767. Embarquements
successifs : Protée, 1758 ; Sauvage, 1759 ; Tonnant, 1759 ; Opale, 1760/1762 ; Union, 11 mai au
6 septembre 1764 ; Biche, 29 mars au 13 août 1766 ; Licorne, 12 mars au 31 août 1766 ; Paix,
de février au 28 octobre 1767. Haudrère (2005, p. 404), indique que Tromelin de Kergrize a
été embarqué en 1767 comme garde marine sur un navire de la Compagnie des Indes pour
recevoir une initiation à la navigation vers l’Asie (APL 2 P 41, II, 23). La Paix est effectivement
un navire de la Compagnie des Indes.

247
Tromelin. Mémoire d’une île

à Cadix le 14 septembre 176514 . Il est sans doute plus âgé que Jacques
Marie, ce dernier se voyant probablement transmettre la seigneurie de
Lanuguy à la mort de son frère.
7 - Jacques Marie Boudin, seigneur de Lanuguy, né à Ploujean le
31 mai 1751.
8 - Marie-Joseph Boudin de Tromelin, mariée au chevalier Jacques
Magdelein Gonery Artur, seigneur de Keralio (témoin du baptême de
Jacques Marie), mort en 1804 ; signataire de l’acte de partage des biens
de la famille datédu 6 décembre 1767, morte en 1808.
9 - Marie Thérèse de Tromelin, témoin du baptême de Jacques Marie.



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Jacques Marie est donc né à Ploujean le 31 mai 1751. L’extrait du registre


de baptême et mariage du canton de la commune de Ploujean pour
Figure A2-3 - Venelle au son.
l’année 1751, se trouve dans son dossier individuel15 :

« Jacques Marie Boudin, fils naturel et légitime de Jacques Guillaume Boudin


et de Dame Marie Françoise Jacquette Le Diouguel Dame de Tromelin, né
le trente et un may mil sept cent cinquante et un et baptisé solennellement
le second jour de juin de la même année par Messire Le Brigant recteur de
Plouezoch dans l’église paroissiale de Ploujean, a eu pour parrain et marraine
Jacquet Madelain Gonery Artur de Kerralio son beau-frère et demoiselle Marie
Thérèse Boudin de Tromelin sa sœur, qui avec le père présent signent signé
sur le registre , Marie Thérèse Boudin de Tromelin, Jacquet Artur de Kerralio,
Marie Anselme de Kerret, J.G. Boudin de Tromelin, Laurent Marie Boudin de
Tromelin, Maurice Marie de Tromelin Boudin,
Gabriel Berton clerc tonsuré, Gillet Siouris curé de Ploujean, G. Le Saviec,
prêtre, C. Le Brigant recteur de Plouezoch, J. Mahé Br. de Ploujean. »

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Le 6 décembre 1767, lors du partage des biens de la famille prove-


nant de la succession de Marie Françoise Jacquette Le Diouguel de
Penanru, après son décès survenu le 31 décembre 1766, Jacques Marie
reçoit : « Le manoir de Kerbastien et ses dépendances16 , le lieu du Mur
et dépendance, la maison sise à la venelle au Son, et la rente censive sur
les garennes du Cunmeur17 . »

14. Bidé de Maurville 1775, p. 33.


15. AN –Marine, C7 40, pièce 16.
16. On ne trouve plus trace de ce manoir.
17. Pour Cun’meur autrement dit le grand chef.

248
Annexe 2. Biographie de Jacques Marie Boudin de Tromelin, seigneur de Lanuguy

Figure A2-4 – Extrait du




\
registre de baptême et
mariage de la commune
de Ploujean (1751). Le 12 janvier 1784, Jacques Marie épouse à Saint-Denis (île Bourbon)
à Marie Charlotte Julie Martin, créole, née à Saint-Denis à l’île
Bourbon le 25 août 1758. Fille d’Honoré Martin, ancien Ingénieur de
la Compagnie des Indes, et de Marie Anne Denise Beaumont. Honoré
Martin serait l’un des descendants d’Etienne de Flacourt (fondateur de
Fort-Dauphin à Madagascar)18 . L’autorisation de mariage, signée par
le vicomte de Souillac19, est datée du 3 mars 1784 à l’île de France20 :
«  J’ai cru bon devoir lui permettre ce mariage étant avantageux pour
lui et cette jeune personne lui donnant une fortune fort honnête. » Le
contrat de mariage est passé devant notaire, il est repris dans un extrait
du registre du dépôt des chartes des colonies établi à Versailles par édit
du mois de juin 1776 « registré en la ci-devant chambre des comptes le
15 avril 177721 » :

« Jacques Marie Lanuguy Tromelin, fils majeur de feu Jacques Guillaume


Tromelin et feue Penanru, ses père et mère, natifs de Ploujean, évêché de
Tréguier…
Marie Charlotte Julie Martin, fille majeure d’Honoré Martin, ancien ingénieur
de la Compagnie des Indes et de feue Marie Anne Denise Beaumont… »

18. http://perso.wanadoo.fr/henri.maurel/ilemau.htm.
19. François de Souillac, (né en 1732 - mort en 1803) fut gouverneur de l’île Bourbon du 26
oct. 1776 jusqu’au 30 avril 1779, puis Gouverneur général des Mascareignes du 14 fév. 1782
au 3 juillet 1785. Il sera ensuite Gouverneur général de l’Inde française.
20. AN – Marine, C7 40, pièce 11.
21. AN – Marine, C7 40, pièce 12.

249
Tromelin. Mémoire d’une île

Les époux se marient sous le régime de la communauté et se font une


donation mutuelle. Les biens de Marie Charlotte sont évalués à 50 000
livres, dont une rente de 300 livres servie par son oncle Beaumont (habitant
Cateau-Cambrésis). »

Cette dot est importante, si on en croit la réflexion de Bernardin de


Saint-Pierre à propos des partis à l’île de France : « D’ailleurs, il y a peu
de partis avantageux, il est rare de trouver une fille qui apporte dix mille
francs comptant en mariage22 . »

Il eut cinq enfants dont trois garçons. L’aîné Jacques Marie Boudin de
la Nuguy de Tromelin23 , né à Saint-Denis (île Bourbon) le 29 mai 1785,
fera lui aussi carrière dans la marine où il entre en 1803. Enseigne de
vaisseau le 18 juillet 1811, il prendra sa retraite le 1er juin 1822 et décè-
dera en 1825. Deux autres enfants  (Alphonse Luc Marie et Marie
Thérèse Pierre Michelle née en 1787) sont mentionnés dans les « Etats
détaillés des liquidations » édités en 1828. Ce même état indique que
Marie-Charlotte-Julie s’est remariée avec Armand-Marie-Nicolas Le
Baillif de Mesnager dont elle a eu une fille.


–   


Grades successifs

Garde marine à Brest 12/1/1766


Brigade de Bayonne 01/5/1772
Brigade de Saint-Malo 28/9/1772
Brigade de Brest
Enseigne de vaisseau 01/10/1773
Lieutenant de vaisseau 13/3/1779
Major de vaisseau (5e esc. 5e Div.) 01/5/1786
Mort en mer à bord du Norge 04/12/1798

Embarquements successifs

Embarquement à bord de la Sensible24 . 1/11/1767 –27/1/1768


Embarquement à bord du cotre le Lézard25 /10/1772
Embarquement à bord de L’Africain /1773
Embarquement comme 1er Lieutenant
à bord de la Dauphine26 /1773
Commande la Dauphine (corvette) 14/6/1774 - 2/7/1779

22. Bernardin de Saint-Pierre, Voyage àl’Isle de France, Paris, 1773, p. 184.


23. SHD – Marine (Vincennes), CC7 carton 280 –Dossier individuel de Jacques Marie
Boudin de la Nuguy de Tromelin.
24. La Sensible, frégate de 34 canons type Indiscrète, Construite à Indret entre mai 1766 et le
15/3/1767 date de sa mise à flot. Caractéristiques : 600 t, Longueur : 42,2 m, largeur : 10,7 m,
tirant d’eau : 4,6 m, 26 canons de 12.
25. Cotre le Lézard construit à Bordeaux, commencé en décembre 1770, mis à flot en juin
1771. Le rôle d’équipage du cotre le Lézard, capitaine Tromelin, venant de Lorient, se trouve
aux AN de l’Ile Maurice, cote OC 16.
26. La Dauphine, corvette de 8 canons, construite à l’île Bourbon, commencée en 1772, mise
à flot en 6/1773, retiré du service en 6/1780 (prise par trois corsaires anglais ?).

250
Annexe 2. Biographie de Jacques Marie Boudin de Tromelin, seigneur de Lanuguy

Commande la Pintade27 /5/177928


Commande l’Argus /12/1779
Commande la Sylphide29 /12/1781
Commande la Subtile30 9/2/1782
Commande la Pourvoyeuse31 23/2/1782
St-Michel32 5/1783
Commande la Pourvoyeuse 7/1783
Commande l’Osterley /1784

Reçoit une gratification de 1 200 £ 14/10/1779


Sa veuve reçoit une pension de 450 £ /1815

La Sensible
La Sensible est commandée par du Chaffault. Resté malade à Saint-
Domingue Jacques Marie rentre à Brest à bord d’un navire marchand le
1/11/1768.

Le Lézard
Armé à Lorient le 29 septembre 1772 sous le commandement de
Maurice Jean Marie Boudin de Launay de Tromelin l’un de ses frères
aînés, il gagne l’océan Indien. Jacques Marie est premier lieutenant.
Le voyage est exceptionnel, il dure huit mois et demi dont sept mois
et quatorze jours sous voile, le Lézard est le «  seul de trois bâtiments
partis en même temps à arriver à destination33 . » L’appareillage a lieu
après le 17 octobre 1772. On découvre à bord le 19 octobre un passager
clandestin (?)  : Yves Tromelin, 16 ans de la paroisse de Glo évêché de
Quimperlé. On fait au moins une escale à Rodrigue à la mi-juin 1773 où
on embarque un malabar libre débarqué à l’île de France le 26 du même
mois. Cette campagne vaudra à Maurice Jean-Marie une gratification de
1 200 livres. Le bâtiment sera désarmé à l’île de France le 17 juin 1774
après avoir effectué avec la corvette Nécessaire le levé de la côté est de
Madagascar « depuis la Baye de Vohemare jusqu’au Cap d’Ambre ».
27. Pintade, flûte de 22 canons de 300 t. achetée en 8/1777 à Pondichery, vendue en 12/1779
à l’île de France.
28. Cet embarquement indiqué dans le répertoire abrégé manuscrit C7 40 ne figure pas dans
le dossier individuel et ne correspond pas aux dates d’embarquement sur la Dauphine et ensuite
sur l’Argus. Il faut remarquer que sur ce répertoire l’embarquement sur la Dauphine s’arrête
en novembre 1778, alors que les documents du dossier individuel indiquent que Tromelin
assure le commandement de la Dauphine du 28/12/1778 au 2/7/1779 pour un voyage de l’île
de France à Lorient. Le rapport de Jacques Marie de Tromelin sur son séjour dans l’océan
Indien (SHD – Marine - Brest, Ms 161 90) confirme l’embarquement sur la Pintade aux dates
indiquées dans le répertoire.
29. Sylphide, corvette, construite à Indret, mise sur cale 7/1762 ; mise à flot 7/1763. 190 t ; L. :
29,9 m ; l. : 8 m ; tirant d’eau : 3,7 m ; 12 canons de 4.
30. Subtile, corvette de 24 canons, construite à Rochefort, mise en chantier 5/1777, mise à
flot 7/9/1777. 320 tonnes ; L. : 35,7 m ; l. : 9,1 m ; tirant d’eau : 4,7 m.
31. Pourvoyeuse, frégate de 40 canons construite à Lorient, mise en chantier : 3/1772, mise à
flot : 10/11/1772. 840 tonnes ; L. : 50 m ; l. : 12,3 m ; tirant d’eau : 6,3 m ; 26 canons de 18 ;
12 canons de 8.
32. Saint-Michel, vaisseau de 64 canons, construit à Brest, commencé le 11/1738 et mis à flot
en 1/1741. Participe au combat de Gondelour le 20/6/1782.
33. Cette mention figure dans le dossier individuel de Maurice de Tromelin, mais les deux
autres bâtiments partis en même temps, la gabarre Sainte-Reine et le cotre la Sauterelle, destinés
à accompagner l’expédition de découverte de de Kerguelen, sont bien arrivés eux aussi. La
Sauterelle est désarmée à l’île de France à la même époque que le Lézard. La Sauterelle réarmée
effectuera en 1775 la première tentative de sauvetage des naufragés de l’Utile.

251
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure A2-5 - Rôle d’équipage du Lézard.

La Dauphine
Nommé enseigne de vaisseau (1er octobre 1773), Jacques Marie
embarque comme premier lieutenant à bord de la corvette la Dauphine,
qui vient d’être mise à flot (juin 1773) dans le chantier de construction
de l’île Bourbon. La Dauphine, commandée par Ferron du Quengo, fait
partie avec le vaisseau Roland (de Kerguelen), et la frégate l’Oiseau (de
Saulx de Rosnevet), de la troisième expédition d’Yves de Kerguelen-
Trémarec vers les terres australes. Les trois bâtiments appareillent le 19
octobre 1773. Le 14 décembre, la Dauphine reconnaît une terre au nord
des Kerguelen  ; le 16 décembre, on découvre les îles Nuageuses  ; le 6
janvier 1774, l’enseigne de vaisseau de Rochegude débarque au fond de
la baie de l’Oiseau et prend possession de l’île.

Le 9 mars 1774, la Dauphine qui a mouillé en baie d’Antongil avec les


deux autres bâtiments de l’expédition de découverte de Kerguelen, le
Gros Ventre et l’Oiseau, appareille, sur ordre de Kerguelen, pour aller à
Foulepointe traiter des esclaves. Elle en revient le 24 mars.

Jacques Marie prend le commandement de la Dauphine au retour de


l’expédition de Kerguelen le 14 juin 1774. Ce commandement, jusqu’en
novembre 1778, est passé à naviguer dans l’océan Indien et est marqué
en 1776 par le sauvetage des esclaves malgaches.

252
Annexe 2. Biographie de Jacques Marie Boudin de Tromelin, seigneur de Lanuguy

Figure A2-6 - Extrait du journal


de bord de l’Oiseau.

Figure A2-6 – Extrait du journal Voici quelques pièces de correspondance évoquant les activités de la
de bord de l'Oiseau. Dauphine.

« Je le dis et je le regrette encore si le cabotinage continue à être fait par les
officiers du Roy, j’y renonce. La Dauphine corvette de rien, commandée par un
enseigne34, me tourmente plus que toutes les escadres possibles, ces messieurs
sont d’un ton, d’une hauteur, d’une indiscrétion à faire mettre la clé sous la
porte35. »

Fin 1774 la Dauphine procède au ravitaillement de Benyowsky36 . En


décembre 1775, le gouverneur de l’île de France envoie pour 47  979
livres 5 sols 2 deniers de ravitaillement à Benyowsky malgré l’attitude
indépendante de ce dernier3738 .

Cet envoi est confirmé par de Ternay :

« Je ferai partir la corvette du roi la Dauphine, sous huit jours. M. Maillard
enverra des habillements avec des effets de traite et autres provisions de
bouche. J’y ferai passer un millier de poudre pour le service de la troupe et
34. Le chevalier de Tromelin.
35. AN – Colonies, C 4 39 - Correspondances de Maillard Dumesle, Intendant des Isles de
France et Bourbon au Ministre de la Marine. 1775, f°463 datée du 6 juin 1775.
36. Cultru P., 1906, p. 101.
37. SHD – Marine (Brest), Ms 97 - Lettre de Maillard à de Sartine du 19/12/1775.
38. AN – Colonies, C5A 5 no 89, correspondance du 6/12/1775 : Facture des effets, vivres et
munitions chargés par ordre de Maillard Dumesle sur la corvette la Dauphine pour être remis
à Madagascar au baron de Benyowsky.

253
Tromelin. Mémoire d’une île

M. le chevalier de Tromelin restera jusqu’à la fin janvier [1776], dans la baie


d’Antongil pour seconder M. le baron de Benyowsky dans la défense de son
poste principal, s’il est attaqué. »

La Dauphine était utilisée pour transporter du grain entre l’île Bourbon


et l’île de France. En janvier 1776, le baron de Benyowsky donne l’ordre
au chevalier de Tromelin, lors de son retour, de recevoir à son bord le
sieur Le Certain, officier volontaire de Benyowsky, se rendant à l’île de
France chargé des lettres destinées à la cour39. A son arrivée à l’île de
France la Dauphine est porteuse d’une demande de fusils formulée par
Benyowsky40 .

Fin 1776, Tromelin est envoyé à « l’île aux Sables » pour y récupérer les
naufragés de l’Utile

En septembre 1777 la Dauphine et la Créole passent à Foulepointe


à l’occasion de la perte de la corvette le Coureur41. Un mois plus tard
la Dauphine rapporte la nouvelle de la révolte des volontaires de
Benyowsky à Foulpointe 42 .

La Pintade
Tromelin reçoit le commandement de la Pintade, une flûte de 22 canons
achetée à Pondichery en août 1778. Le voyage de l’Isle de France vers
Lorient a lieu entre le 28 décembre 1778 et le 2 juillet 1779. Jacques-
Marie est chargé de paquets pour la cour. Cette traversée est marquée
par un combat contre un corsaire anglais 43 . Tromelin rend compte de ce
combat dans le rapport sur son séjour dans l’océan Indien :

« Compte rendu par le Sr. de Lanuguy-Tromelin, Lieutenant de Vaisseau du


Roi,
à Monseigneur de Sartine, de sa mission aux Indes44.

Je reçus ordre le 12 août 1772 de M. le Comte de Roquefeuille commandant


la marine à Brest de m’embarquer en qualité de second sur le cutter le
Lézard commandé par M. de Launay-Tromelin mon frère. Nous partîmes de
compagnie avec un senau et un autre cutter45 ; nous fûmes assaillis dans le golfe
de Gascogne d’une tempête qui força les deux bâtiments de relâcher à Brest,
nous fûmes heureusement en état de continuer notre route, et nous arrivâmes à
l’Isle de France le 22 juin 1773, après une navigation aussi longue que pénible.

39. AN- Col., C5A 6 no 27 – Correspondance du 7/1/1776.


40. AN –Col., C5A 6 no 31 –Correspondance du 16/2/1776.
41. AN- Col., C5A 8 no 82 –Correspondance du 8/9/1777.
42. AN- Col., C5A 8 no 86 –Correspondance du 1/10/1777.
43. Il y a une ambiguïté concernant le retour vers la France, certains documents disent que le
retour fut effectué avec la Dauphine (lettre de sa veuve et demande d’attribution de la croix de
Saint-Louis) d’autres avec la Pintade (Etat des services). Toutefois le compte rendu du séjour
dans l’Océan Indien (ci-dessous) permet de trancher en faveur de la Pintade. Kerguelen
(Kerguelen-Tremarec 1796, p. 69) mentionne le combat de la Pintade, commandée par Jacques
Marie de Lanuguy, C’est d’ailleurs lui qui permet de préciser la date du 24 avril, illisible sur
le manuscrit de Brest.
44. SHD – Marine (Brest), Ms 161 90.
45. Il s’agit du senau Sainte-Reine commandé par le L.V. Ferron du Quengo et du cotre la
Sauterelle commandée par l’E.V. Mengaud de la Hage.

254
Annexe 2. Biographie de Jacques Marie Boudin de Tromelin, seigneur de Lanuguy

En 1776, M. le chevalier de Ternay voulut faire un nouvel effort pour sauver les
nauffragés qui s’étaient perdus en 1761 dans le vaisseau l’Utile sur un écueil de
la mer des Indes connu sur les cartes sous le nom de l’Isle de Sable.
Mrs. les administrateurs du Roi me chargèrent de cette mission honorable, dans
le tems où l’arrière-saison ne permettait pas que je pusse naviguer et servir à
l’approvisionnement de la colonie.
Tous ceux qui avoient tenté avant moi de sauver ces nauffragés y avaient
échoué : j’eus le bonheur de réussir complettement dans mon expédition, mais
il est de mon devoir d’annoncer publiquement que je dois une partie de mes
succès au S. Lepage officier sur ma corvette. Je le chargeai du commandement
de la chaloupe destinée à approcher de cet écueil. Cet officier prit si bien ses
mesures, que, sans perdre un seul homme il fit passer à la pirogue la Barre dans
l’endroit le moins dangereux, et sauva sept négresses et un enfant. Seul reste des
300 naufragés, qui depuis 15 ans vivaient sur ce danger ; de tortues, de poissons
et d’eau saumâtre, car on ne trouve sur cette Isle, que la mer couvre presqu’en
entier dans les gros tems, ni arbrisseaux, ni même d’herbe.
C’est sans doute aux services rendus à la colonie, dont M. de Ternay a rendu
un compte si avantageux à Monseigneur et peut-être encore plus au succès
de mon expédition de l’Isle de Sable que je fus redevable du commandement
de la frégate du Roi la Pintade46, et d’une mission beaucoup plus flatteuse
encore, dont M. le Commandeur de La Brillane me chargea le 28 décembre. Ce
Gouverneur qui m’a honoré d’une confiance particulière, et a donné dans tous
les tems à mes services les éloges les plus distingués m’expédia pour apporter à
Monseigneur des nouvelles de l’Etat de cette colonie.
Je partis de l’Isle de France le 10 janvier 1779 et le 24 avril, je rencontrai à
la hauteur des Açores un cutter de 14 canons et de 4 pierriers d’une marche
supérieure, et ayant sur moi l’avantage du vent. Le combat s’engagea à 2 heures
après midi et fut très vif de part et d’autre jusqu’à 4 heures que l’Anglais tenta
l’abordage. Il eut lieu de se repentir de ce parti, car n’ayant que 12 pierriers,
dont l’effet ne pouvait lui être dommageable lorsqu’il combattait à la portée de
ses canons, il lui devint funeste, lorsqu’il s’approcha pour m’aborder.
L’anglais voyant que je lui présentais un abordage facile, évita subitement de
s’engager, ayant d’ailleurs une grande partie de son équipage blessé par le feu de
mes pierriers et de ma mousqueterie. La supériorité de la marche de ce cutter et
l’avantage du vent lui permirent de m’échapper et de continuer à me combattre
jusqu’à la nuit hors de portée de mes pierriers. 
Ainsi, malgré l’inégalité de force qui devoit naturellement me rendre en un
instant la proie de ce batiment, la valeur de mon équipage et l’intrépidité de
mes officiers m’ont fait, non seulement échapper à de danger, mais encore forcer
l’ennemi à la retraite
Je crois après cet exposé succint de ce combat, pouvoir solliciter les bontés de
Monseigneur pour les officiers et une gratification pour mon équipage
Les Srs Morphy, Lepage et Stuart se sont tellement distingués, que ce seroit, en
les récompensant selon leurs désirs, rendre un bon service à la Marine que de les
y attacher par le Brevet de Lieutenant de frégate.
Permettés-moi, Monseigneur, de solliciter vivement cette grace, et de vous faire
une mention particulière du Sr. Lepage qui a toujours été embarqué avec moi,
et qui m’a si bien secondé dans ma mission à l’Isle de Sable. Cet officier qui est
sans fortune a été bien dangereusement blessé dans le combat ; il est exposé à

46. Jacques-Marie enjolive un peu, il ne s’agit pas d’une frégate mais d’une flûte.

255
Tromelin. Mémoire d’une île

perdre la cuisse ; il est conséquemment dans le cas d’une pension, et en a plus


besoin que personne
Le Sr. Morphy a aussi servi avec distinction dans la dernière guerre sous les
ordres de M. le Comte d’Ache. »
Ce texte non daté et non signé est peut-être incomplet.

Cette action lui vaudra d’être proposé pour recevoir la croix de


Saint-Louis :

« Le sieur Chevalier de la Nuguy Tromelin, Lieutenant de vaisseau qui a


commandé la corvette la Dauphine, expédié de l’Isle de France pour apporter
les paquets du gouverneur a eu à soutenir dans la traversée deux combats très
vifs dont il s’est tiré avec avantage malgré la supériorité des forces de l’ennemi.
Quoique cet officier soit encore éloigné d’avoir la Croix de Saint-Louis à son
rang, la circonstance de ces deux combats, celle de la campagne longue qu’il
va faire commandant la corvette l’Argus pour porter les dépêches à l’Isle de
France paraissent devoir lui mériter cette grâce par anticipation. On propose
en conséquence à sa Majesté de la charger d’un paquet adressé au gouverneur
contenant une croix et les ordres nécessaires pour le recevoir Chevalier à son
arrivée…47. »

La Sylphide puis la Subtile


Lorsque l’escadre des Indes commandée par l’Amiral d’Orves appa-
reille de l’île de France le 7 décembre 1781, Jacques-Marie commande
la corvette la Sylphide. D’Orves décède en mer le 9 février 1782, alors
que Suffren avait déjà pris le commandement de l’escadre dès le 3. Les
commandements sont redistribués et Jacques Marie prend alors le
commandement de la corvette la Subtile.

La Pourvoyeuse
Le 23 février 1782, l’escadre commandée par Suffren est au mouillage
en rade de Pondichéry et Jacques Marie prend le commandement de la
frégate la Pourvoyeuse, qui fait partie de la division commandée par son
frère aîné Bernard qui a sa marque sur l’Annibal48 . Il participe le 12 avril
1782 à la bataille de Provédien.

Le 1er mars la frégate Bellone, capitaine de Beaulieu, rallie l’escadre de


Suffren après avoir attaqué un convoi de quatorze navires marchands qui
ont été brûlés ou pris. La Pourvoyeuse reçoit pour mission d’escorter les
prises jusqu’à Trinquebar et est ensuite envoyée à Malacca pour appro-
visionner des mâts de rechange dont l’escadre a un besoin urgent. Au
retour elle croise la route de cinq bâtiments armés de la Compagnie des
Indes orientales anglaise (EIC), partis le 4 mars 1782 de Bombay à desti-
nation de Canton (Chine) : le Locko49, 1004 t., capitaine Peter Lawson,

47. AN – Marine, C7 40, Pièce 9 – Lettre du 13/10/1779 le proposant pour la Croix de


Saint-Louis.
48. L’Annibal est un bâtiment anglais de 50 canons pris par Suffren au commandement du
Héros, le 22 janvier 1782, au cours du transit de l’escadre de l’île de France à Pondichéry.
49. Le Locko, ex Modeste, vaisseau français de 64 canons, construit à Toulon, mis à flot le 12
février 1759, pris à la bataille de Lagos par l’Amiral Boscawen en août 1759.

256
Annexe 2. Biographie de Jacques Marie Boudin de Tromelin, seigneur de Lanuguy

Figure A2-7 - Plan de la bataille de Provédien. l’Asia, 816 t., capitaine Robert Maw, l’Essex, 794 t., capitaine Arthur
Morris, l’Osterley, 775 t., capitaine Samuel Rogers50 , accompagnés d’un
bâtiment local le Shah Byramgore. Avant de passer le détroit de Malacca,
le capitaine Lawson interroge un navire malais qu’il trouve au mouillage
près de la côte et apprend la présence de navires français au mouillage
à l’est de l’île Pulau Pisang51. L’engagement a lieu le 10 septembre, il
commence à 3 heures de l’après-midi et va durer quatre heures. Le vent
étant de sud-est, la Pourvoyeuse engage le combat avec les quatre bâti-
ments formés en ligne de file dans l’ordre : Osterley, Locko, Asia, Essex,
route à l’ENE. Le Shah Byramgore se trouve tout près, sous le vent du
Locko. La Pourvoyeuse qui a remonté la ligne, venant du sud, engage
successivement l’Asia, le Locko et l’Osterley, puis vire de bord lorsqu’il a
atteint la tête de la ligne et fait route vent arrière vers le nord. Elle essuie
deux nouvelles bordées du Locko qui vire de bord à son tour et entame la
poursuite accompagné de l’Osterley. Le capitaine du Locko, fait preuve à
cette occasion de beaucoup de combativité. La Pourvoyeuse s’échappe à
la faveur de la nuit après avoir fait un feu intermittent avec ses pièces de
retraite. La saison étant déjà avancée, Peter Lawson renonce finalement
à la poursuite pour ne pas compromettre l’issue de son voyage vers la
Chine (Bassett 1961, p. 26-31)52 .
Au cours de l’engagement, le Locko a eu l’itague (palan de hissage)
de la vergue de son grand hunier emportée par un boulet. Son maître

50. Samuel Rogers, avait commandé un bâtiment déjà nommé Osterley qui fut pris le
21 février 1779 par la Pourvoyeuse alors commandée par de Saint-Orens. Ayant accédé au
commandement d’un autre navire portant le même nom, dont son oncle William Dent était
propriétaire, il retrouve à nouveau la Pourvoyeuse sur son chemin. On assiste donc au deuxième
combat entre la Pourvoyeuse et un bâtiment de la « East India Company » portant le nom
d’Osterley. Par un autre détour de l’histoire, Jacques Marie Lanuguy de Tromelin, sera ensuite
nommé au commandement du premier Osterley (voir ci-après).
51. Ile de Pulau Pisang –Latitude : 01°28’N ; Longitude : 103°15’E.
52. British Library, L/MAR/B/400 H-I Journal de bord de l’Osterley et L/MAR/B/24 E
Journal de bord de l’Asia.

257
Tromelin. Mémoire d’une île

Figure A2-8 - Plan de situation


(Bassett 1961).

d’équipage et quatre marins ont été blessés, alors qu’à bord de l’Osterley,
plusieurs boulets ont frappé la coque, perforé les voiles, tué deux marins
et blessé un officier. L’Asia quant à lui s’en tire sans dommage.
Au retour, Jacques Marie est accueilli fraîchement par Suffren : 
« Le 18 novembre (1782) la Pourvoyeuse arriva de Malac, apportant deux
bas mâts et des gaules de teck propres à faire des mâts de hune. Le général
reçut très mal M. de Lanuguy Tromelin, qui la commandait. Il était venu à sa
connaissance que le capitaine avait rencontré cinq bâtiments de commerce
armés de la Compagnie, qui avaient à bord plusieurs millions ; qu’au lieu de les
attaquer, il les avait laissés continuer leur route, après avoir échangé quelques
coups de canon à grande portée. Quelle ressource pour l’escadre, toujours dans
le besoin ! Quel coup eût reçu le commerce britannique ! Mais la Bailli de
Suffren, toujours mal secondé, devait encore avoir à déplorer la faute commise
par un de ses capitaines. M. de Lanuguy, dont la manoeuvre était l’objet de
plaisanteries des matelots, qui en ce genre n’ont pas la main légère, offrit son
journal à Mr. De Suffren ; et, quoiqu’on doive présumer qu’il eût cherché à
y atténuer sa faiblesse, le général discourant peu, louant en peu de mots et
blâmant de même, lui dit, en le lui remettant le lendemain : « Eh bien ! Mr. de
Lanuguy, eh bien ! Je persiste à dire que vous avez entaché le pavillon. » (Cunat
1852, p. 250)

Jacques Marie demande alors à être démis de son commandement, mais


il reçoit l’ordre d’escorter jusqu’à Trincomalee les vaisseaux Brillant et
Vengeur53 .
Le mémorialiste anglais William Hickey relate dans son journal l’ar-
rivée de la Pourvoyeuse à Trincomalee en décembre 1782, alors que le
reste de l’escadre de Suffren hiverne à Ache, au nord de Sumatra. Le
navire à bord duquel Hickey avait embarqué était entré par inadvertance
dans le port de Trincomalee, le croyant encore aux mains des Anglais.
Prisonnier, il rencontra Jacques Marie qu’il décrit comme un homme

53. « Le Brillant, le plus ancien des vaisseaux français dans l’Inde, et le Vengeur, ne tenaient
sur l’eau que par le jeu continuel des pompes, et les équipages étaient sur les dents. En donnant
une forte bande au premier de ces vaisseaux, ont parvint à étancher ses voies d’eau ; le Vengeur
après avoir été lardé avec des voiles, fut envoyé à Trinquemalay pour y caréner. » (Cunat, 1852,
p. 250).

258
Annexe 2. Biographie de Jacques Marie Boudin de Tromelin, seigneur de Lanuguy

familier « assez jeune ». Après sa libération, il fait une description de la


Pourvoyeuse à l’amiral Sir Edward Hughes, à Madras : « Un bâtiment
de 44 canons, tombant presque en ruine, à la recherche de toutes sortes
d’approvisionnements » (Spencer 1913, tome IV, p. 45-46).

Jacques-Marie passe le 18 mai 1783 sur le Saint Michel, mais il garde sa


table sur la Pourvoyeuse sur laquelle il réembarque le 25 juillet 178354 .

Figure A2-9 - Détail de la page


L’Osterley
2 du rôle de la Pourvoyeuse.
En 1784, Tromelin prend le commandement de l’Osterley. C’est
un navire de l’East India Company, capitaine Rogers, pris par la
Pourvoyeuse, capitaine Saint-Orens, et l’Elisabeth, capitaine Crozet
au large du Cap des aiguilles le 21 février 177955 . Plusieurs documents
concernant l’Osterley se trouvent aux Archives nationales de l’île
Maurice56 . L’Osterley est estimé à 5 millions de francs à Port-Louis,
Saint-Orens et certains de ses officiers furent cassés de leur grade et rayés
des listes de la Marine pour avoir détourné l’argent de la prise. Plus tard,
Saint-Orens fut tué en duel.

Pendant la révolution Jacques Marie Boudin de Lanuguy de Tromelin


demande un congé en 1790 puis sollicite sa retraite fin 1791 (document
ci-dessous). Celle-ci fut semble-t-il acceptée57, il émigre en 1792 et est
enrôlé dans l’armée des Princes. Il est inscrit sur la liste des émigrés et
ses biens sont confisqués.
Lettre datée du 18/10/1791 à Mantes, lettre signée Lanuguy Tromelin
et reçue le 19 Pluviose 1792 par le citoyen commis de la liquidation58 :

54. AN de Maurice, OC 13 –1781-1783 - Rôle d’équipage de la frégate La Pourvoyeuse, Cap


de Ruitter et Tromelin, en croisière dans la mer des Indes.
55. Durup J., A Short Seafaring Adventures and Conflicts in the Indian Ocean 1405-1811,
accessible par le site Internet http://perso.wanadoo.fr/henri.maurel/ilemau.htm : « In May
1779, Captain Saint-Orins in the Pourvoyeuse and Captain Crozet in the Elizabeth captured the
Osterly an East Indiaman arriving at Port Louis the value was estimated to be 5 million Francs.
Later Saint-Orins and other officers were dismissed for embezzled the proceeds of the prize money.
Saint-Orins was later killed in a duel. »
56. AN de Maurice, OC 67 B, OC 67C, OC 68, OC 69A, OC 69B –Pièces de procédure
concernant la prise anglaise l’Osterley faite par la frégate la Pourvoyeuse, correspondances,
ventes de la marchandise. OC 31 –Journal de bord de la prise l’Osterley, Cap. Rogers, pris par
la frégate la Pourvoyeuse.
57. Il figure toutefois avec le grade de Major de vaisseau, sur une liste publiée par le Moniteur
(Vol.10, p. 527) envoyée par Ballanger de la société des amis de la constitution et chef de
bataillon de la garde nationale : « Des officiers de marine du département de Brest, absents
sans congé ni permission quelconque, le 20 novembre 1791, époque d’une revue extraordinaire
demandée par pétition des citoyens actifs. » Figurent également sur cette liste son frère
Maurice Launay-Tromelin avec le grade de capitaine de vaisseau et avec le grade de major de
vaisseau, son beau-frère Artur-Keralio.
58. AN – Marine, C7 40 –pièce 11.

259
Tromelin. Mémoire d’une île

« ….J’ai cinq enfants dont trois garçons, l’aîné à six ans. Si je veux sauver
les débris de ma fortune et donner une existence à mes enfants, j’ose donc
Monsieur vous supplier de m’accorder ma retraite et la liberté de vaquer à mes
affaires domestiques. »

Figure A2-10 - Signature AN


(Marine C7 40 – Pièce 11).


> \
 
En 1792, il est arrêté sur dénonciation d’un prêtre constitutionnel de la
commune de Guerlesquin, procureur-syndic de cette localité en même
temps que curé. Il est incarcéré avec sa femme dans la prison des carmé-
lites de Morlaix. «  L’abbé  » Rochon, qu’il avait connu dans l’océan
Indien et qui avait acquis, par ses services, une certaine influence, usa
de tout son crédit auprès de Jean Bon-Saint-André, alors tout-puissant à
Morlaix, pour obtenir leur mise en liberté59.
La même année (1792), après avoir obtenu sa retraite, il demande à
passer à l’île de France pour régler ses affaires. Il émigre alors dans
l’armée des Princes60 .
Il rentre en France en 1797 pour quitter à nouveau son pays. Il embarque
à Copenhague sur un vaisseau danois de la Compagnie des Indes orien-
tales : le Norge.

|>–
Il meurt en mer à bord du Norge le 4 décembre 1798. L’acte de décès
daté du 25 avril 1800, est établi par Hans Olsen Gottsche, notaire à
Copenhague61. Un extrait du registre de baptême et mariage du canton
59. Baudry 1905, p. 276. Rochon fait aussi libérer par la même occasion la veuve de Dominique
Gatien de Saint-Maurice, qu’elle avait épousé en 1781. Née Marie Michèle de Tromelin en
1759, s’était la sœur de Jacques Jean Marie Boudin de Tromelin (né en 1771 et mort en 1842),
fils de Nicolas Thérèse le frère aîné de Jacques Marie. Il fut écuyer, puis comte de Tromelin et
plus tard général d’Empire. Rochon épousa la veuve qu’il avait fait libérer.
60. En 1792, parfois pour défendre la cause royaliste, libérer la famille royale et rétablir la
monarchie absolue parfois pour échapper aux persécutions des révolutionnaires, de nombreux
nobles émigrent et gagnent les armées des coalisés qui ont déclaré la guerre à la République.
Parmi de nombreux corps militaires, trois armées principales se constituent regroupant
environ 20 000 émigrés, celle du Prince de Condé, celle du Prince de Bourbon, et celle des
Princes. Cette dernière se constitue à Trèves en Allemagne et participera à l’offensive aux
côtés de l’armée prussienne.
61. AN – Marine, C7 40, pièce 16.

260
Annexe 2. Biographie de Jacques Marie Boudin de Tromelin, seigneur de Lanuguy

de la commune de Ploujean pour l’année 1751 comportant l’acte de


baptême de Jacques Marie Boudin, trouvé dans ses papiers, est annexé
à l’acte de décès.
« …mort le 4 décembre 1798 à bord du Norge, capitaine C. Schultz, entre
le Cap de Bonne Espérance et le Bengale. Mort à 4 heure du matin d’une
apoplexie qui l’avait atteint deux heures auparavant et dans l’intervalle des
quelles il n’a pas un seul instant repris l’usage de ses sens. A la suite de quoi ledit
Tromelin fut jeté à la mer avec les cérémonies d’usage. Il avait embarqué le 23
mai 1798 en qualité de peintre sous le nom de Christian Trommelin. »

Démarches de sa veuve : Marie Charlotte


Le dossier individuel de Jacques Marie, contient surtout des pièces
relatives à son mariage et aux démarches de sa veuve pour recouvrer sa
dot après la confiscation de ses biens par la Révolution. On y trouve
en particulier un extrait du registre des délibérations de l’adminis-
tration centrale du département de Seine et Oise 62  : «  Rapport sur la
liquidation des droits et reprises matrimoniales de la citoyenne Marie
Charlotte Julie Martin épouse commune en biens de Jacques Marie
Lanuguy Tromelin, inscrit sur la liste des émigrés. Séance publique du
5 Nivose an VIII. »

Le 29 juin 1814, Marie Charlotte veuve de Jacques Marie, écrit une


lettre datée de Mantes (Seine et Oise) où elle réside63 . Il s’agit d’une des
multiples lettres de réclamation et de supplication écrites pour obtenir
une pension en compensation des pertes subies du fait de la confiscation
de ses biens. Elle obtiendra finalement une rente de 450 livres l’année
suivante. L’intérêt de cette lettre est qu’elle donne dans son préambule
un résuméde la carrière de Jacques Marie dans la Marine royale :
« …en second sur la corvette la Dauphine pour les terres Australes en 1774,
commandant le même bâtiment, a eu la mission de délivrer les naufragés sur
l’île de Sable, ce qu’il a effectué, revenant en France en 1779 avec la Dauphine,
il soutint un combat de six heures contre un corsaire de 14 canons n’ayant que
12 pierriers. Sa Majesté Louis XVI lui accorda en récompense la Croix de Saint-
Louis et le brevet de Lieutenant de Vaisseau. En 1780, il retourna dans l’Inde
comme commandant de l’Argus, passa successivement au commandement
des corvettes la Sylphide et la Sensible, la frégate la Pourvoyeuse sur laquelle
revenant de Malacca il eut un engagement de quatre heures avec cinq bâtiments
anglais armés. En 1784, il prit le commandement de l’Osterley, revint en France
en 1788, fit son service à Brest de 1789 à 1790, a servi dans l’armée des Princes
en 1792 jusqu’au licenciement et est décédé en 1798 allant de l’Europe dans
l’Inde. »

62. AN – Marine, C7 40, pièce 25.


63. AN – Marine, C7 40, pièce 27.

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266
Sources
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B2/362, f°514 – Vente de l’Utile à la Compagnie des Indes, daté du 29/11/1759.

Archives Départementales des Pyrénées Atlantiques (ADPA) – Amirauté de Bayonne


B 8749, f°50 – Déclaration de l’Utile le 17/4/1760.
B 8749, f°53-54 – Congé de de Lafargue le 18/4/1760.

SHD (Marine) à Lorient


1 P 222, f°247 et suivants
– 1/ Compte d’armement et de mise hors de l’Adour et de l’Utile, supplément d’armement n°1 daté du 30/6/1760 (Compte établi au
départ de Bayonne le 1er/5/1760).
– 2/ Compte d’armement et de mise hors de l’Adour et de l’Utile, supplément d’armement n°2 daté du 23/12/1760 – (Compte établi au
départ du Passage le 19/11/1760).
1 P 236 (II) – Dossier de désarmement de l’Adour arrivé le 15/1/1762. Ce dossier contient 11 pièces :
1 – Magasin Général – Effets restant à bord – daté du 16/2/1762.
2 – Etat d’estimation de la mature de la frégate (sic) l’Adour – daté du 2/3/1762.
3 – Magasin Général – Meubles mouvants et articles des maîtres – daté du 16/2/1762.
4 – Magasin des cordages – Etat des câbles et cordages – daté du 2/6/1762.
5 – Voilerie – Aunage – Total des aunages – Prix en livres, sols et deniers – daté du 8/6/1762.
6 – Tonnellerie.
7 – Artillerie.
8 – Magasin des vivres – daté du 24/2/1762.
9 – Apothicairerie – Remèdes remis à la pharmacie de la Compagnie – daté du 3/1/1762.
10 – Proportions de la flûte l’Adour construite à Bayonne pour le service du Roy. 
11 – Récapitulatif de l’estimation en l’état du bâtiment au 15/1/1762 – daté du 6/8/1762.
1 P 223 – Dossier d’armement de l’Adour parti le 24/1/1763. Ce dossier contient 11 pièces :
1 – Dépense en argent.
2 – Magasin Général Etat des dépenses du Magasin Général, pour la construction ou radoub, gréement, remplacement et journalier
d’armement dudit navire à compter du 1er avril 1762 jusqu’au 24 janvier 1763.
3 – Atelier des bois.
4 – Magasin des désarmements. Estat des câbles et cordages délivrés du 22/1/1762 au 20/1/1763.
5 – Voilerie.
6 – Magasin général.
7 – Artillerie.
8 – Apothicairerie – daté du 15/2/1763.
9 – Tonnellerie – daté du 1/2/1763.
10 – Journalier de rade.
11 – Récapitulatif de l’estimation en l’état du bâtiment au 15/1/1762 – daté du 6/8/1762.
sans n° – Proportions de la flûte l’Adour.
1 P 297 (a) – Correspondances particulière des Directeurs avec Godeheu et Roth
Liasse 8 – 2e semestre 1759.
Liasse 9 – Premier trimestre 1760.
1 P 282 (b) – Liasse 79, pièces 1 à 34 – Lettres de MMrs. Laborde et Nogué, correspondants de la compagnie à Bayonne à Mr Godeheu
d’Igoville puis Rothe, Directeurs de la Compagnie à Lorient, datées du 19/1/1760 (lettre n°1) au 6/1/1761 (lettre n°34).
1 P 279 (b) – Liasse 14 – Lettre de Boucher Capitaine d’infanterie à Paris (1758-1762).

267
Tromelin. Mémoire d’une île

1 P 198 – Rôles d’équipage de l’Utile, au nombre de quatre :


– Rôle rédigé sur imprimé réglementaire au départ de Bayonne par Laborde et Nogué.
– Rôle manuscrit rédigé au départ du Passage par Laborde et Nogué.
– Rôle manuscrit rédigé après le naufrage le 24/10/1761 au départ de Foulpointe à bord du Silhouette par M. Dubuisson de K’audic,
écrivain du bord.
– Rôle général rédigé sur imprimé réglementaire, récapitule l’ensemble des mouvements entre le 1 er mai 1760 date du départ de Bayonne
et l’arrivée des à l’Île de France le 25/11/1761 à bord du Silhouette (déserteurs au Passage et leur remplacement, débarquements et
embarquements à l’île de France, passagers embarqués de Foulpointe vers l’Île de France, décès au moment du naufrage (20), décès à
bord du chaland (1) et décès à bord du Silhouette (13)).
1 P 159 (I).
Liasse 1 – pièce 1 – Compte de la table de Mr de La Fargue capitaine à compter du 10 avril 1760.
Liasse 1 – pièce 4 – Compte du Sr. Amand Mandemant – 3e chirurgien.
Liasse 1 – pièce 6 – Décompte de Mr. Castelan du Vernet – Premier Lieutenant.

Naufrage de l’Utile sur l’île de Sable en 1761


AN – Marine
C7/157 – dossier Lafargue.
– Imprimé à Bordeaux chez Jean Chappuis, non daté : « Relation des principales circonstances qui ont accompagné & suivis le Naufrage
de la Frégate l’Utile, Capitaine M. de Lafargue sur le ressif de l’Isle de sable ou du Corail, situé au 15e degré 52 minutes de latitude au
Sud, & au 52e degré 45 minutes de longitude à l’Orient de Paris. » Contient le texte d’un certificat signé le 29 novembre 1761 à M.
Castelan du Vernet, par une partie de l’équipage. (un autre document dont le texte est identique a été trouvé dans les archives de la
famille Vanduffel, porte la mention : « A Amsterdam, et se trouve à Paris, chez Knapen. « Dieu souat bainy à James »)
– Lettre manuscrite non datée non signée, mais écrite sans aucun doute le 31 septembre 1761 par M.d’Eguille, chef d’escadre, qui se
trouvait à Foulpointe au moment de l’arrivée des rescapés du naufrage et dont l’escadre a appareillé le lendemain.
– Marine C7/157 – Dossier Lafargue. Plan Manuscrit colorié de l’isle de Sable.

AN – Colonies
C4/13 – Correspondances des Directeurs.
– Lettre du 6 octobre 1760 : Attente de départ de l’Adour et l’Utile.
– Lettre du 20 octobre 1760 : Embarquement de numéraires.
– Lettre du 3 décembre 1760 : Appareillage de l’Adour et l’Utile.
- Extrait de la lettre du Conseil supérieur de l’Isle de France du 4 7bre 1761.
- arrivée de l’Utile et de l’Adour les 11 et 12 avril 1761.
- départ de l’Utile de l’île de France pour Foulpointe le 27 juin 1761.
- Journal de Desforges Boucher, Gouverneur de l’Ile de France, du 12 août 1761. au 31 août 1762.
- du 27 octobre 1761 : retard de l’Utile.
- du 25 novembre 1761 : arrivée des naufragés à bord du Silhouette.
C2 287 – Registre des délibérations et règlements concernant les armements de la Compagnie 1760. (Microfilm).

SHD (Marine) Lorient


1 P 297 – liasse 14, pièce 84 – Copie de la lettre attribuée ci-dessus à M. d’Eguille.
1 P 297 – liasse 14, pièce 85 – Récit du naufrage et du séjour dans l’île des naufragés (7 pages non datées et non signées, mais attribuée à
l’écrivain H. Dubuisson de K’audic).
1 P 297 – liasse 15, pièce 20 – extrait d’une lettre de M. Barry, écrivain faisant fonction de Commissaire à bord du Minotaure (escadre
Froger de l’Eguille) datée de Brest le 31 janvier 1762 rendant compte à la Compagnie des Indes de la perte de l’Utile.
1 P 297 – liasse 15, pièce 23 – Lettre des syndics de la Compagnie à M. Rocher à Lorient, datée de Paris le 6 février 1762 et faisant état de
la perte de l’Utile.
1 P 159 (I) – Liasse 1 – pièce 2 – Etat des effets sauvés du naufrage du vaisseau commandé par M. Lafargue, signée de Dubuisson de K’Audic
du 2/12/1761 à l’Île de France.
1 P 159 (I) – Liasse – pièce 3 – Etat des gens du département de Bayonne embarqués sur la flûte l’Utile, non datée.
1 P 159 (I) – Liasse – pièce 5 – Etat des morts de la flûte l’Utile, signé de Dubuisson de K’Audic du 20/1/1762 à l’Île de France.
1 P 270 – Liasse 1 – Etat du produit des ventes faites à l’encan au Greffe du Conseil Supérieur de l’île de France – 1750 – 1764 – Concerne
les biens de de Lafargue et de Ollivier.

268
Sources

Archives départementales du Morbihan (Vannes)


Série E – Sociétés commerciales, notaires, état-civil.
E 2227 – Correspondances d’Antoine-Marie Desforges-Boucher (1759-1783)
Lettre du 13 avril 1761 à Mr. Bertin – Arrivée de l’Utile et de l’Adour.
Lettre du 13 avril 1761 à M. Bouvet – Arrivée de l’Utile et de l’Adour.
Lettre du 5 juin 1761 à M. Bouvet – Réception du duplicata du chargement de l’Utile.
Lettre du 25 juin 1761 à M. Bouvet – Envoi de l’Utile à Bourbon puis Foulepointe.
Lettre du 22 août 1761 à M. Bouvet – Prévisions de mouvements de l’Utile et de l’Adour.
Lettre du 20 septembre 1761 à M. Bouvet – Sans nouvelles de l’Utile.
Lettre du 26 septembre 1761 à M. Bouvet – Hypothèses sur l’absence de l’Utile, la fraude est connue de Desforges-Boucher.
Lettre du 18 décembre 1761 à M. Bouvet – Arrivée des rescapés de l’Utile à bord du Silhouette.
Lettre du 31 janvier 1762 à M. Bouvet – A propos de la terre à moules que devait rapporter l’Utile de Foulepointe.
E 2226 – Correspondances d’Antoine-Marie Desforges-Boucher (1759-1783), à propos de la demande de renseignements du Marquis de
Condorcet.
Lettre du 2 novembre 1779, à Madame de Brain à Paris.
Lettre du 20 novembre 1781, à Madame de Brain à Paris.
Lettre du 20 novembre 1781, au CV de Joannis.

Bibliothèque nationale – Cartes et Plans


SH18° / pf 222 / D7 / pièce 1/1
Plan de l’Isle de Sable sur laquelle la Flute l’Utile a fait naufrage Le 31 juillet 1761 – Carte manuscrite cotée f N°82.
SH18° / pf 222 / D7 / pièce 1
Plan de l’Isle de Sable situé par la latitude Sud de 15 deg 52 m ainsi qu’il a été observé Carte manuscrite cotée f N°81.
SH18° / pf 222 / D7 / pièce 2.
Plan de Lisle de Sable Situé par 15°58’ de Late et par 52°32’ de longitude – Provenant de Terney. 

Bibliothèque Municipale du Havre


Manuscrit 82 f° B4 du Voyage à l’île de France de Bernardin de Saint-Pierre.

Recherche des rescapés et leur sauvetage par Tromelin en 1776


AN – Colonies
C4 39 – 1775
Correspondances de Maillard-Dumesle – Intendant de l’Isle de France – 1776.
f° 446 – Estat des fustes, frégates, corvettes …. se trouvant au Port-Louis de l’Isle de France du 2 août 1775.
f° 463 – Opinion de Maillard sur l’enseigne de vaisseau Tromelin.
C4 40 – 1776
Correspondances de Mr. De Ternay – Gouverneur général des Isles – 1776.
f°112 – Sommaire de la lettre 341 – 1er août 1776 envoi de 2 bâtiments à la recherche des naufragés.
f°114 – A Lorient le 2 mai 1777, envoi du journal de la route que Mr de Tromelin a faite pour aller retirer les hommes que l’on a vu sur
ce rescif (Isle de Sable).
Correspondance du Chevalier de La Brillanne – 1776.
f° 228-229 – La Dauphine a ramené de l’Isle de Sable six négresses qui y avaient esté laissées depuis 15 ans.
Lettre de Maillart Dumesle, Intendant de l’Isle de France au Ministre de la Marine datée du 16 décembre 1776 (publiée par la Revue
d’Histoire des Colonies françaises, 1929, p.296/297) : Récit du sauvetage et de l’accueil des rescapés.

AN-Marine
G 222 f° 34
F°34A -Lettre datée de 1776 non signée : Récit des conditions de vie des naufragés sur l’île. (Publiée par la Revue d’Histoire des Colonies
françaises, 1929, p.298).
F°34B – Lettre de Maillard-Dumesle – Récit du sauvetage et de l’accueil des rescapés.
Intendant de l’Isle de France au Ministre de la Marine datée du 16 décembre 1776, identique à C4 40 p. 296/697 cité plus haut (publiée par
la Revue d’Histoire des Colonies françaises, 1929, p.296/297).
F°34C – Citation du registre de la paroisse de Saint-Louis à l’île de France pour l’année 1776 : Acte de baptême de Jacques Moïse (Publié par
la Revue d’Histoire des Colonies françaises, 1929, p.297).

269
Tromelin. Mémoire d’une île

Sce Historique de la Défense (Marine) à Brest


Manuscrits de la bibliothèque du port de Brest – Recueil de pièces originales sur la Marine de guerre (1689 – 1789).
161 – pièce 90 – Compte rendu par le Sr. Lanuguy-Tromelin, lieutenant de vaisseau du Roi de sa mission aux Indes, du sauvetage notamment
des derniers survivants de 300 naufragés de l’Utile échoué en 1761 – (1773-1779).

L’île de Sable – Tromelin


AN – Colonies
C2 278 – Navigation et hydrographie au xviiie. (Microfilm)

AN – Marine
3 JJ, 358, f° 32 – Rapport pour rectifier sur la carte du dépôt de la Marine la situation de l’île de Sable (le document rédigé par Mr. d’Eguille,
chef d’escadre est presque identique à la lettre se trouvant dans le dossier Lafargue : Marine C7/157 cité plus haut.)
3 JJ, 358, f° 26 – Mémoire sur la nouvelle carte de l’archipel du NE de Madagascar signé de Lislet Geoffroy en 1817 : position de l’île de
Sables.
3 JJ, 358, f° 27 – Rapport de Mr Jehenne, capitaine de corvette, Commandant la Prévoyante, septembre 1841.
3 JJ, 330, f° 13 – Extrait de la lettre de Mr. de La Feuillée du 24 avril 1724, commandant le navire la Diane de la Compagnie des Indes.
3 JJ, 330, f° 22 – Routes du vaisseau la Diane en aoust 1722 depuis le relèvement de l’île Bourbon jusqu’à la vue de Madagascar.
3 JJ, 330, f° 22 – Routes proposée pour aller de l’Isle de France à Pondichery (non signée et datée de 1757).
4 JJ, 90 – Journal de bord de la Diane.
4 JJ, 87 – Journal de bord du Diligent (cap. La Villecolet).
3 JJ, 87 – Journal de bord du Cerf (cap. Morphey).

Archives UKHO (United Kingdom Hydrographic Office)


Survey.
E 421 Africa 3 – 1825 – HMS Barracuta.
A 4116 Africa 3 – 1875 – HMS Shearwater.

Archives du service météorologique d’Anatananarivo


Année 1953 (date douteuse, le rapport contenant la relation d’évènements survenus en 1954) – Rapport dactylographié, non signé (Serge
Frolow ?) – Mission de reconnaissance à Tromelin, p.198 – 212.

Naufrages de l’Atieth Rahamon


Bibliothèque Nationale de l’île Maurice
Le progrès colonial – Journal de l’île Maurice – Samedi 26 octobre 1867 – N° 1181.
The Overland – Commercial Gazette (Mauritius Island) – Saturday Jan. 18 1868 – N°610.
The Overland – Commercial Gazette (Mauritius Island) – 18th March 1868.
Z7F – 75 – Chargement de l’Atieth Rahamon.
Z6A – 110 – Extrait du journal de bord de l’Atieth Rahamon.

Annales du sauvetage – Année 1868 – Chroniques p. 216-218.

Archives privées – Collection of proclamations and Government’s notices – Published at Mauritius during the year 1968, no 25, p. 24.

Recherches concernant le personnel

Esclaves
AN de l’île Maurice
Série KA – Civil Status and population records.
Registre KA 63 – Extrait de baptêmes, mariages et Sépultures, Blancs, libres et esclaves du 2 janvier au 31 décembre 1776.
Baptême de Jacques Moïse, le petit garçon rescapé.

270
Sources

Equipage
Archives Départementales des Pyrénées Atlantiques
Archives notariales
3 E 4486 Pierre Dhiriart notaire à Bayonne.
Procuration de Pierre Desdebès du 17/4/1760.
Procuration de Vincans Lissague du 9/7/1760.
Procuration de François Filis du 23/7/1760.
3 E 3857 Jean Baptiste Lesseps notaire à Bayonne.
Procuration de Bernard Sanguinet du 3/11/1760.
3 E 4202 Menaud Lartigue notaire à Bayonne.
Cession de Jean Cazenave du 15/6/1760.
3 E 4662 Pierre Cassolet notaire à Saint Esprit.
Procuration de Pierre Darrieux du 15/4/1760.
Procuration de Jean Cazenave du 28/4/1760.
3 E 3415 Roger Labordette notaire à Bayonne.
Procuration de Louis Arnau du 26/4/1760.
Procuration de Louis Balour du 11/4/1760.
Procuration de Pierre Fauqueneau du 18/4/1760.
Procuration de Jean Laffont du 6/6/1760.
Procuration de Jean Fourquet du 15/4/1760.
Procuration de Mathurin Louis Geoffroy du 24/6/1760.
Acte de Médard Cunier contre le Sr Miressou du 21/10/1760.

Soldats
AN – Colonies
FM – D2a 28 – Engagement des soldats de la Compagnie du 24 juin 1758 au 11 avril 1759 (Aix-en-Provence).
Joseph Clément de Reims – Déserté le 26 avril 1760.
Jean Dantue de Paris.
Gilles Goyé de Bayeux.
Jean Noldin de Bruxelles.

Jacques Marie de Lanuguy de Tromelin


Archives familiales de la famille Tromelin
Arbre généalogique de la famille Boudin de Tromelin.
Armes de la famille Tromelin.
Sceau de la famille Tromelin.

Archives de François Le Goarant de Tromelin


Manuscrit concernant le partage des biens de la famille Tromelin provenant de la succession de Marie Françoise Jacquette Le
Diouguel de Penanrüe, après son décès survenu le 31 décembre 1766. Document signé le 6 décembre 1767.

AN Marine
C7 40 –Dossier individuel de Jacques Marie Boudin de la Nuguy de Tromelin.
Pièce 6 – Avance d’argent pour se rendre à la Cour.
Pièce 8 – Gratification de 1200 livres.
Pièce 9 – Attribution de la Croix de Saint-Louis.
Pièce 10 – Autorisation de mariage.
Pièce 11 – Demande d’admission à la retraite.
Pièce 12 – Contrat de mariage.
Pièce 15 – Extrait d’acte de naissance de Jacques Marie.
Pièce 16 – Acte de décès.
Pièce 20 – Liquidation des droits et reprises matrimoniales de sa veuve.
Pièce 27 – Lettre de réclamation de sa veuve.

271
Tromelin. Mémoire d’une île

C1 175, p.1874 – Etats de services de Jacques Marie Boudin de la Nuguy de Tromelin.


C1 181 p.384 v° – Etats de services de Jacques Marie Boudin de la Nuguy de Tromelin.
C1 182 p.534 v° – Etats de services de Jacques Marie Boudin de la Nuguy de Tromelin.
C1 184 p.811 v° – Etats de services de Jacques Marie Boudin de la Nuguy de Tromelin.
C6 992 – Rôle d’équipage de la corvette la Dauphine (1778-1779).
B4 109 – f° 176 – Affaire de Larache, 27 juin 1765 – Liste des tués, blessés et prisonniers.

AN – Colonies
C2 – Biographie sommaire de Jacques Marie Boudin de Tromelin.
C4 39 – Correspondances de Maillard Dumesle, Intendant des Isles de France et Bourbon au Ministre de la Marine. 1775, f° 463 du 6 juin
1775.
C5A 5 n°89, du 6/12/1775 – Facture des effets, vivres et munitions chargés par ordre de Maillard Dumesle sur la corvette La Dauphine pour
être remis à Madagascar au baron de Benyowszky.
C5A 6 n°27, du 7/1/1776 – Ordre du baron de Benyowszky au chevalier de Tromelin, de recevoir à son bord le Sr. Le Certain officier
volontaire de Benyowszky se rendant à l’île de France chargé des lettres destinées à la cours.
C5A 6 n°31, du 16/2/1776 – Arrivée à l’île de France de la Dauphine porteuse de la demande de fusils formulée par Benyowszky.
C5A 8 n°82, du 8/9/1777 – Passage de la Dauphine et de la Créole à Foulpointe.
C5A 8 n°86, du 1/10/1777 – Nouvelles de Madagascar apportées par la Dauphine (Révolte des volontaires à Foulpointe).

Service historique de la Défense (Marine) – Brest


Ms 97 – Lettre de Maillard à de Sartine du 19/12/1775.
Manuscrits de la bibliothèque du port de Brest – Recueil de pièces originales sur la Marine de guerre (1689 – 1789).
161 – pièce 95 – Lettre du chevalier Lanuguy-Tromelin du 28 juillet 1779, avec une apostille à son cousin de Quergolay.

AN de l’île Maurice
OC 16 – Rôle d’équipage du cotre le Lézard, capitaine Tromelin, venant de Lorient (1773).
OC 13 – Rôle d’équipage de la frégate La Pourvoyeuse, Cap de Ruitter et Tromelin, en croisière dans la mer des Indes (1781/1783).

British Library (Londres)


L/MAR/B/400 H-I, Journal de bord de l’Osterley.
L/MAR/B/24 E, Journal de bord de l’Asia.

Castellan du Vernet
AN – Colonies
FM – E 65 (à Aix-en-Provence). Supplique au Ministre de la Marine, Mr. de Sartines, pour obtenir un grade, non datée.
Nomination du père de Barthelemy Castellan du Vernet, au commandement des certains cantons du Languedoc, daté de 1711.
Copie du certificat signé par l’équipage de l’Utile daté du 29 novembre 1761.
Copie du Certificat signé par les Directeurs de la Compagnie des Indes du 18 juin 1763.

AN – Marine
B4 118
f° 242 et 243 – Lettre de Castelan du Vernet à Mr de Boynes datée du 14 septembre 1772.
f° 243 – Réponse de de Boynes datée du 23 septembre à Versailles.
f° 241 – Lettre de Castelan du Vernet à Mr de Boynes datée du 29 septembre 1772.

Service Historique de la Défense (Marine) à Lorient


1 P 255 liasse 20 – Le Comte de Provence, rôle d’équipage et parts dans les prises anglaises.
1 P 201-732 – Le Comte de Provence, rôle d’équipage (1762 – 1763).

Dubuisson de K’Audic
AN – Colonies
FM – E 142 (Aix-en-Provence)
Lettre de Dubuisson de Keraudic, datée du 16 octobre 1769, demandant un embarquement.

272
Index des noms

Index des noms de navires

Actif 31–34 Favorite 67, 89, 95 Pourvoyeuse 251, 256, 257, 258, 259,
Adour 21 Foch 163, 170 261
Africain 250 Forbin 152 Prévoyante 22, 68, 95
Annibal 41, 247, 256 Gallieni 144, 145, 146 Prince de Conti 240
Ardent 247 Gros Ventre 252 Protet 161, 167
Argus 251, 256, 261 Illustre 31 Provençal 154, 155
Asia 257, 258 Jaureguiberry 152 Providence 29, 50, 177, 226, 237
Atalante 11, 12, 241, 243 Jeanne d’Arc 117, 130, 205 Rieuse 171
Atieth Rahamon 8, 77, 78, 80, 85, 86, Koryo Maru 38 171 Roland 252
87, 89, 93, 98, 103, 104, 194 La Bourdonnais 152 Saint-Benoît 19
HMS Barracouta 65, 66, 144 Lapérouse 142, 169 Sainte-Reine 251, 254
Bellone 256 HMS Leven 65 Saint-Michel 251
Berryer 52 Lézard 250, 251, 252, 254 Sauterelle 43, 56, 251, 254
Bridgewater 64, 68 Locko 256, 257 Seine 152
Brillant 258 Lys 53 Sensible 250, 251, 261
HMS Castor 71, 95 Marion Dufresne 205, 207, 223, 224 Shah Byramgore 257
Cerf 19, 89 Marius Moutet 111, 117, 118, 119, 120, HMS Shearwater 61, 78, 91, 92, 95
Chameau 55 129, 134, 135, 137, 138, 140 Shokyu Maru 38 171
Champlain 162 Mascareignes II 150, 151 Silhouette 33, 34, 40, 53
Chevalier Marin 23, 240 Minotaure 31 Sirenne 241
Clémenceau 152 Nécessaire 251 Sirius 95
Comte de Provence 55 Nivose 171 Subtile 251, 256
Coureur 254 Norge 245, 250, 260, 261 Sylphide 44, 52, 251, 256, 261
Créole 254 Normande 21 Terpsichore 247
Dauphine 8, 43, 44, 56, 57, 59, 60, 94, Oiseau 252 Vengeur 30, 258
250, 251, 252, 253, 254, 256, 261 Oriflamme 241 Vierge du Cap 121
Diane 7, 11, 12, 13, 14, 17, 19, 23, 24, Osterley 251, 257, 258, 259, 261 Vityaz 148, 149
25, 64, 71, 239, 241, 242, 243, 244 HMS Owen 144 Zodiaque 31
Diligent 63, 64, 270, 273 HMS Pantaloon 69, 95, 211
Essex 68, 257 Pintade 57, 58, 251, 254, 255

Index des noms de personnes

Adam, Pierre 231 Bellin 19 Boudin de Lanuguy de Tromelin,


Alidor, Luçay 110, 111, 114, 134, 137, Bernardin de Saint-Pierre 35, 42, 44, Jacques Marie 56, 57, voir Annexe 2
138 58, 250 Boudin, Jacques Guillaume 246, 247,
d’Andrea, Cyril (Dr.) 174 de Bernardy de Sigoyer, Jean-Marie 248, 250
d’Après de Mannevillette, Jean Bap- 174 De Boynes 33, 55, 56
tiste Nicolas Denis 18, 53, 94, 240, Berthaut-Clarac, Sébastien 174 Briand de la Feuillée, Jean Marie 11,
241 Beugnot 11 17, 244
Badal, Rezah 224 Blanchet, Hervé 206 Britter, G. T. 109
Bailly, Lucile 231 Boggio Pola, Jean 188 Bryan, William James 86, 87, 88
Baran, Eugène 174, 188 Bolot, Pascal 223 Brygoo, Edouard 130, 208
Bastien, Matthieu 168 Bon-Saint-André, Jean 260 De Caritat, de Condorcet, Marie Jean
Béarez, Philippe 222, 235 Bouchon, Claude 176, 177 Antoine Nicolas 35, 43, 44, 57, 58

273
Tromelin. Mémoire d’une île

Charrié-Duhaut, Armelle 231 de Kerguelen-Trémarec, Yves 252 Paulian, Renaud 110, 112, 113, 116,
Chaunu, Jean-Paul 144 Lafumas, Arnaud 78, 174 153, 208
Chedhomme 114, 117, 118, 120, 121, de Lapelin Dumont, Able 109 père Cattala, Louis 142
123, 126, 127, 132 Laplace, Cyrille, Pierre, Théodore 65, Père Coronelli 14
Cohu, Pascal 174 67, 89, 95 Petit de la Rhodière, Guy 139, 144,
Connan, Jacques 231 Laroulandie, Véronique 4, 186, 224, 148, 149, 151, 152, 164
Dalleau, Jean-Michel 166, 174, 188, 231, 235 Pinaud, David 168
207, 208, 224 La Salle, Jacques 11 Abbé Pingré 35
Decary, Raymond 208 Lavoipierre, François 109 Poux, André 123, 124
Delasselle, O. 85, 89 Lawson, Peter 256, 257 Préjean 19
Desforges-Boucher, Antoine Marie Layard, Edgar Leopold 71, 72, 95, 186, Quillet, Jacques 78, 154, 162
22, 33, 34, 44 236 Ransan, Lauren 224
Dubuisson de Keraudic, Hilarion Lebreton, Louis 109 Rasoarifetra, Bako 211, 212, 224, 231
Pierre 22, 27 Lecarrieu, Jean 110, 111, 112, 115, 116 Ravet, Jacques 110
Dumont d’Urville 95 Le Corre, Matthieu 168 Rebeyrotte, Jean-François 78, 174, 188,
d’Epinay 56 Le Diouguel, Marie Françoise Jac- 211, 212, 224
Ethève, Gérard 145, 146, 149, 161 quette 246, 248 Robain, Philippe 111, 118
Ethève, Patrick 174, 207 Lefèvre, Christine 4, 222, 231, 235 Abbé Rochon 44
Faure, Gérard 176, 177 Le Floch de la Carrière 53 Rogers, Samuel 257, 259
Ferron du Quengo 252, 254 Le Gall, Jean Yves 157 Romon, Thomas 4, 33, 123, 174, 182,
Fontaine, Christian 210 Legeais, Alain 97, 111, 112, 117, 118, 188, 189, 193, 195, 211, 212, 213,
Fontaine, Jean-Claude 149, 160 119, 121, 122, 123, 124, 126, 130, 216, 224, 225, 226, 227, 235
Fontaine, Joël 167 133, 134, 173, 208 Royer, Aurélien 222
Froger de l’Eguille, Michel Joseph 22 Le Gentil de la Galaisière 19, 22, 24, Ruas, Marie-Pierre 210, 231
Frolow, Serge 110, 112, 115, 117, 118, 51, 52 de Saint-Georges 55
119, 123, 130, 140 Legoarant de Tromelin, François 246 De Saulx de Rosnevet 252
Fuma, Sudel 174, 188 Le Housel, Guillaume 12, 239, 241 Saussus, Lise 231
Gast d’Hauterive, Jacques 11 Le Page 57, 58 Savoia, Sylvain 188, 195, 219
Gérard, Marc 145, 146, 149, 151, 161 Levasseur, Olivier 110, 121 Seguy, Eugène 113
Géricault, Théodore 65 Lislet Geoffroy, Jean Baptiste 51, 52, Serrand, Nathalie 231
Gigord, Luc 210 65, 94, 95 Servais de la Villecollet, Jean-Baptiste
Girardin, Brigitte 171 Lombaert, Raphaël 110 Julien Nicolas 63, 64
Goos, Pieter 241, 242, 243 Lombard, Philippe 160 Staub, France 153, 208
Gottsche, Hans Olsen 260 Lormée, Hervé 168 Thomas, Nicolas 231
Guérout, Zineb 2, 211, 212, 223 Lucas, Auguste 131 Thornton, John 242
Guesnon, Joe 4, 174, 176, 188, 211, Magon de la Villebague 19 Tournois, Philippe 169, 211, 224
212, 224 Malick, Marcel 145 Toussaint, Auguste 63, 245
Guiran La Brillanne 56, 58 Mamet, Joseph Raymond 113 de Trehoüart de Beaulieu 55
Guttierez, Simon 224 Mansel, Fréderic 166 Trendel, Raymond 129
Herisson 15 Marriner, Nick 4, 188, 189, 190, 193 Trotter, Henry Dundas 71, 95
Hickey, William 258 de Maurepas 17, 18, 19 Turcat, André 155, 156
Hoarau, Laurent 188, 196 Mengaud de la Hage 56, 254 Turcat, Jean-Noël 156
Hoarau, Yoland 153 Morin, Jacques 158, 174 Van Keulen, Joannes 14, 19
Hoareau, Emile 147 Morphey, Corneille Nicolas 19, 26, Velleyen, Yoland 223
Hodges, Samuel 8, 79, 80, 81, 85, 86, 64, 89 Von Arnim, Yann 78, 188
88, 89, 98 Morris, Arthur 144, 257 Wharton, W.J.L. 91, 92
Horsburgh 64, 68, 71, 74, 81, 88, 94 Mortier, Pierre 15 Zinsius, Gaston 163
Hughes, Edward 68, 259 Mouret, Joël 99, 101, 173, 174, 188 Zitte, Guy 147, 155, 167
Jehenne, Aimable Constant 22, 64, 68, Nouschi, Marc 223 Zuber, Christian 148, 149, 150
94, 95, 244 Owen, W.F.W. 65, 94, 95, 144
Jouanny, Marc 117, 118, 121, 129, 130 Parker, Hyde 69

274
Index des noms de lieux
Angontsy 140
Calicut 11, 12
Fénerive 187
Foulpointe 23, 27, 29, 31, 32, 34, 45,
50, 254
Ivato 123, 143, 152, 161
Juan de Lisboa 15
Manakara 135
Rodrigue 11, 22, 35, 55, 71, 91, 251
Santa Apolonia 15
Seychelles 19, 65, 68, 162

Glossaire nautique

Accore – Escarpé, se dit d’une côte ou d’une roche qu’on peut approcher à petite distance.
Ancre à jet – Ancre de petite dimension, utilisée comme point fixe en mer pour faciliter une manœuvre de halage ou
d’évitage.
Azimut – En navigation, angle que fait dans le plan horizontal la direction d’un objet et le nord.
Barreau (pour barrot) – Pièce de charpente transversale soutenant les ponts.
Bonnette – Voile carrée s’adaptant à l’extérieur des voiles carrées principales pour en augmenter la surface.
Bout-dehors – Sorte de petite vergue qui s’adapte à l’extrémité d’une vergue pour en augmenter la longueur.
Brasser à culer – Brasser veut dire agir sur des cordages (bras) de manière à faire pivoter les vergues. Brasser à culer s’est
agir sur les vergues de manière que les voiles reçoivent le vent sur leur face arrière et fassent reculer (culer) le bâtiment.
Brick – Bâtiment gréé à deux mâts (grand-mât et mât de misaine).
Brûlot – Navire rempli de matière inflammable, destiné à incendier les navires ennemis en brûlant lui-même.
Calfatage – Action de calfater la coque d’un bâtiment. Il s’agit de boucher les joints entre les planches de la coque (les bor-
dages) du navire avec du chanvre et du goudron.
Carcasse – Epave.
Caronade – Pièce d’artillerie dont la chambre de culasse a un diamètre inférieur à celui du boulet qu’elle tire. Pièce légère,
moins encombrante qu’un canon, tirant à faible distance.
Chouque de beaupré – Forte pièce de bois, solidement fixée à l’extrémité du beaupré servant à adapter le bout-dehors.
Clipper – Bâtiment solide et très rapide construit en Angleterre au xixe siècle pour assurer le commerce du thé.
Corvette – Bâtiment de guerre à trois mâts, fin, léger et bien voilé, portant entre 20 et 30 bouches à feu.
Courbe de bau – Pièce de charpente courbe servant à relier les baux ou barrots à la muraille (coque).
Dalot – Trou garni de plomb pratiqué dans la muraille au niveau du pont pour permettre l’écoulement de l’eau (lavage,
pompes d’épuisement et paquets de mer) vers l’extérieur.
Droite de hauteur – Droite tracée sur la carte après observation de la hauteur au-dessus de l’horizon du soleil ou d’une
étoile. Cette droite est le lieu des points du globe terrestre où l’astre observé a la même hauteur.
Gabarre – Bâtiment de charge ou de transport pouvant comporter jusqu’à trois mâts.
Gaillard – Partie du navire se trouvant à une extrémité du pont supérieur : le gaillard d’arrière est en arrière du grand mât,
le gaillard d’avant est en avant du mât de misaine.
Goélette – Petit navire à deux mâts entre 50 et 100 tonneaux, gréé pour bien remonter au vent.
Flûte – Bâtiment de charge, destiné au transport de matériel, servant parfois dans la marine de guerre de navire hôpital.
Jack – Nom par lequel on désigne un matelot dans la marine anglaise.

275
Tromelin. Mémoire d’une île

Kroomen – Les Kroomen, ou Krumen, appartiennent à un groupe ethnique vivant principalement sur les côtes du Libéria
et de la Côte d’Ivoire. Ils commencent dès le xviiie siècle à travailler sur les navires européens. Au xixe siècle ils sont
couramment embarqués sur les bâtiments naviguant le long des côtes.
Lascars – Vient du persan Lashka, au xixe siècle désigne un marin indien.
Lieue marine – Ancienne mesure de longueur valant le vingtième d’un degré d’un grand cercle de la terre soit 5 555 m.
Muraille – Tout ce qui constitue l’épaisseur de la coque (bordage et membrure) depuis la flottaison jusqu’au plat bord.
Palle – Navire en usage sur la côte de Malabar, ayant un faible tirant d’eau, il peut comporter suivant les cas jusqu’à trois mâts.
Pavois – Bordage cloué sur des supports plus élevés que le plat-bord.
Penture de gouvernail – Ferrures fixées sur l’étambot et sur le gouvernail assurant la rotation du gouvernail au moyen
d’une charnière.
Perrier – Petit canon monté sur une fourche solidaire d’un pivot introduit dans le plat-bord.
Scier – Agir sur les avirons d’une embarcation de manière à la faire reculer.
Sloop – Petit navire à voile à un mât gréé pour bien remonter au vent.
Syrang – Chef d’un équipage de lascar (voir ce mot).
Tillac – Pont.
Virer – Faire tourner la poupée d’un treuil ou un cabestan sur lequel un cordage est enroulé, de manière à l’amener à bord.
Dévirer : exécuter la manœuvre inverse.

Abréviations

AD 56 : Archives départementales du Morbihan


AN : Archives nationales
BLU : Bande latérale unique
BN : Bibliothèque nationale
C.C. : Capitaine de corvette
C.F. : Capitaine de frégate
C.V. : Capitaine de vaisseau
CBM : Conservatoire botanique de Mascarin (La Réunion)
CEREGE : Centre Européen de Recherche et d’Enseignement des Géosciences de l’Environnement
DRAC : Direction régionale des Affaires culturelles
DRASSM : Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines
FAZSOI : Forces armées dans la zone sud de l'océan Indien
H.M.S. : His Majesty Ship
Hpa = hectopascal
IFREMER : Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer
INRAP : lnstitut national de recherches archéologiques préventives
ISTPM : Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes
MNHN : Muséum national d’histoire naturelle
OMM : Organisation métérologique mondiale
QSL : Code des opérateurs radio signifiant « Pouvez-vous me donner accusé de réception ? »
QSO : Code des opérateurs radio signifiant « Pouvez-vous communiquer avec… directement (ou par relais) ? »
SHD : Service historique de la Défense
SHOM : Service hydrographique et océanographique de la Marine
TAAF : Terres australes et antarctiques françaises
UKHO : United Kingdom Hydrographic Office
ZEE : Zone économique exclusive (200 milles nautiques au-delà du trait de côte)

276
Remerciements

C’est tout au long d’une dizaine d’années que les données contenues dans ce livre ont été glanées et rassemblées,
d’abord pour recueillir les informations concernant l’histoire de l’Utile, son naufrage et la survie des naufragés,
puis pour mieux connaître les évènements ayant pu laisser des traces sur le site des fouilles archéologiques  :
naufrages, installation et vie de la station météorologique en particulier.

Je remercie vivement ceux qui m’ont guidé dans mes recherches ou m’ont aidé amicalement à rassembler les
documents d’archives dispersés en de nombreux endroits : Gilles Bancarel, Norbert Benoît, Sébastien Berthaut-
Clarac, Claude Clergue, Joe Guesnon, René Estienne, Bernard Harnie-Cousseau, Philippe Haudrère, Cyril
Hofstein, Anne Joyard, Stéphane Launay, Arnaud Lafumas, François Le Goarant de Tromelin, Gérard Nicolle,
Bako Rasoarifetra, Jean-François Rebeyrotte, Yann Von Arnim en particulier.

J’exprime aussi toute ma gratitude aux techniciens et aux aides de Météo-France qui m’ont décrit la vie sur l’île
et confié leurs souvenirs et leurs photographies : Gilles Boue, Jean-Michel Dalleau, Joël Mouret, Guy Petit de la
Rhodière, Christophe Perrier, Jacques Quillet.

Je remercie les pilotes qui m’ont permis de mieux comprendre comment ont été assurées les liaisons aériennes
avec l’île, ce qui n’a pas été une mince affaire à reconstituer : Michel Ego, Gérard Ethève, Gaston Zinzius,

Je suis reconnaissant envers les scientifiques qui m’ont fourni les données concernant leurs spécialités  :
J. Bourgea, S. Ciccione, Luc Gigord, Bruno Le Corre ; ainsi que le service historique du service hydrographique
du Royaume-Uni (UKHO) qui nous a autorisé à utiliser gratuitement ses documents inédits.

Au-delà de la conception de ce livre, je tiens à nouveau à remercier l’UNESCO et le Comité national pour la
mémoire et l’histoire de l’esclavage qui nous ont accordé leur parrainage ; les institutions et les organismes qui
ont assuré le financement des recherches historiques et archéologiques du programme « Esclaves oubliés » :
l’UNESCO, la DRAC de l’océan Indien, le Conseil Régional de La Réunion, le Conseil Général de La
Réunion, la fondation d’entreprise Groupe Banque Populaire, la Fondation du Patrimoine, La Commission
de l’Océan Indien, l’INRAP  ; les services de l’état et les organismes qui depuis le commencement de cette
aventure nous ont accordé leur support administratif et logistique : Forces armées dans la zone Sud de l’océan
Indien, les Terres Australes et Antarctiques Françaises, Météo-France La Réunion.

277
Tromelin. Mémoire d’une île

Crédits
Chap. 1 : 1 : BNF, 2 : GRAN, 3 : GRAN, 4 : GRAN, 5 : Stanford University, 6 : GRAN. Chap. 2 : 1 : BNF/GRAN, 2 : GRAN, 3 :
GRAN, 4 : GRAN, 5 : AN/GRAN. Chap. 3 : 1 : Musée national de la Marine/GRAN, 2 : AN/GRAN, 3 : M. Guérout (MG)/GRAN.
Chap. 4 : 1 : SHD Lorient. Chap. 6 : 1 : AN/GRAN, 2 : AN/GRAN ; Chap. 7 : 1 : AN/GRAN, 2 : BNF, 3 : BNF, 4 : BNF, 5 : BNF.
Chap. 8 : 1 : AN/GRAN, 2 : GRAN, 3 : GRAN. Chap. 9 : 1 : AN Maurice/GRAN. Chap. 10 : 1 : GRAN, 2 : GRAN, 3 : Government
Art Collection London, 4: United Kingdom Hydrographic Office , 5: United Kingdom Hydrographic Office, 6 : Musée national de la
Marine. Chap. 11 : 1 : s. d., 2 : GRAN/MG, 3 : s. d., 4 : South African Museum, 5: G. Berger, 6 : G. Berger, 7: GRAN/MG, 8: GRAN/
MG, 9: GRAN/MG, 10: GRAN/MG, 11: GRAN/MG. Chap. 12  : 1  : GRAN/MG, 2  : GRAN/MG, 3  : J. Quillet, 4  : J.  Mouret.
Chap. 13 : 1 : s. d., 2 : United Kingdom Hydrographic Office, 3 : GRAN, 4 : United Kingdom Hydrographic Office, 5 : GRAN, 6 :
GRAN. Chap. 14 : 1 : GRAN, 2 : A. Legeais, 3 : GRAN/MG, 4 : GRAN/MG, 5 : GRAN/MG, 6 : GRAN/MG, 7 : GRAN/MG, 8 :
GRAN/MG, 9 : Crothers, 10: GRAN/MG, 11: s. d. , 12: GRAN/MG, 13: GRAN/MG, 14: GRAN/MG, 15: GRAN/MG, 16: GRAN/
MG, 17: GRAN/MG. Chap. 15 : 1 : Archives Météo-France, 2 : MAMET, 3 : AN ; 4 : Archives Météo-France, 5 : AN, 6 : Revue de
Madagascar. Chap. 16 : 1 à 7 : Album Chedhomme, 8 : Almanach du Pèlerin, 9 : Chedhomme, 10 : Chedhomme, 11 : Musée de l’Air,
12 : TAAF, 13 : Armée de l’air, 14 : s. d., 15 ; s. d., 16 : Ph. Roulois, 17 : Ph. Roulois, 17 : Ph. Roulois, 18 : Chedhomme, 19 : TAAF,
20 : Elgache Y., 21: GRAN/MG. Chap. 17 : 1 : s. d., 2 : s. d., 3 : TAAF, 4: GRAN, 5: GRAN/MG, 6: GRAN/MG, 7 : Musée de l’air,
8 : Cattala /Archives Météo-France, 9 : Cattala/Archives Météo-France, 10 : A. Legeais, 11 : P. Platon, 12 : P. Platon, 13 : P. Platon, 14 :
GRAN/MG. Chap. 18 : 1 : G. Petit de la Rhodière, 2 : G. Petit de la Rhodière, 3 : GRAN/MG, 4 : G. Petit de la Rhodière, 5 : Marine
nationale, 6 : SHOM, 7 : G. Petit de la Rhodière, 8 : s. d., 9 : G. Petit de la Rhodière, 10 : Cdt. Petrelluzzi, 11 : Cdt. Petrelluzzi, 12 : G. Petit
de la Rhodière, 13 : Archives Météo-France, 14 : TAAF, 15 : G. Petit de la Rhodière, 16 : Archives Météo-France, 17 : GRAN/MG, 18 :
World Ocean Museum, 19: C. Zuber, 20: C. Zuber, 21: s. d., 22: GRAN/MG, 23: G. Petit de la Rhodière, 24 : G. Petit de la Rhodière,
25 : G. Petit de la Rhodière, 26 : Y. Hoarau, 27 : Y. Hoarau, 28 : J. Quillet, 29 : J. Quillet, 30 : MG, 31 : A. Turcat, 32 : A. Turcat, 33 :
D. Witherington. Chap. 19 : 1 : GRAN/MG, 2 : GRAN/J. Morin, 3 : GRAN/MG, 4 : Kelonia/IFREMER, 5 : Météo-France, 6 : Météo-
France, 7 : G. Petit de la Rhodière, 8 : s. d., 9 : Archives Météo-France, 10 : G. Zinzius, 11 : Météo-France, 12 : Archives Météo-France,
13 : Archives Météo-France, 14 : Archives Météo-France, 15 : Archives Météo-France, 16 : Météo-France, 17 : NOOA/MODIS (NASA),
18 : Marine nationale, 19 : GRAN/MG, 20 : Ph. Tournois, 21 : s. d., 22 : SHOM, 23 : TAAF, 24: GRAN/MG, 25: GRAN/J.-M. de
Bernardy. Chap. 20 : 1 : GRAN/J.-M. de Bernardy, 2 : GRAN/MG, 3 : GRAN/J. Morin, 4 : Bouchon, Faure, 5 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte,
6 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 7 : GRAN/MG, 8 : GRAN/MG, 9 : GRAN/A. Lafumas, 10: GRAN/A. Lafumas, 11 : GRAN/MG, 12:
T. Romon, 13 : T. Romon, 14 : GRAN/MG, 15 : GRAN, 16 : GRAN/MG, 17 : H.L. Blackmore, 18 : GRAN/J.-M. de Bernardy, 19 :
GRAN/J.-M. de Bernardy, 20 : GRAN/J.-M. de Bernardy, 21 : J. Boudriot, 22 : GRAN/MG, 23 : GRAN/MG, 24 : GRAN/MG, 25 :
GRAN/MG, 26  : GRAN/J.-M. de Bernardy, 27  : GRAN/J.-M. de Bernardy, 28  : GRAN/MG, 29  : GRAN/J.-M. de Bernardy, 31  :
GRAN/MG. Chap. 21 : 1 : Météo-France, 2 : GRAN, 3 : N. Marriner, 4: N. Marriner, 5: N. Marriner, 6 : Marine nationale, 7 : GRAN/
MG, 8 : N. Marriner, 9 : Météo-France, 10 : N. Marriner, 11 : Marine nationale, 12 : T. Romon et alii, 13 : J.-F. Rebeyrotte, 14 : L. Hoarau,
15 : J.-F. Rebeyrotte, 16 : J.-F. Rebeyrotte, 17-01 : L. Hoarau, 17-02 : L. Hoarau, 18 : L. Hoarau, 19 : L. Hoarau, 20 : L. Hoarau, 21-
01 : L. Hoarau, 21-02 : GRAN/MG, 21-03 : L. Hoarau, 22-01 : L. Hoarau, 22-02 : L. Hoarau, 22-03 : L. Hoarau, 23-01 : L. Hoarau,
23-02 : L. Hoarau, 23-03 : L. Hoarau, 24-01 : L. Hoarau, 24-02 : L. Hoarau, 25 : GRAN/MG, 26 : LC2R, 27 : GRAN/MG, 28-01 :
L. Hoarau, 28-02 : L. Hoarau, 29 : L. Hoarau, 30 : L. Hoarau, 31 : L. Hoarau. Chap. 22 : 1 : s. d., 2 : s. d., 3 : SHOM, 4 : SHOM, 5 :
SHOM, 6 : s. d., 7 : Gisembergh, 8 : GRAN, 9 : GRAN, 10: J.-F. Rebeyrotte, 11: GRAN/MG, 12: C. Fontaine/CBM ; Chap. 23 : 1 :
GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 2 : GRAN/MG, 3 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 4 : GRAN/MG, 5 : GRAN/MG, 6 : T. Romon, 7 : N. Marriner, 8 :
GRAN/MG, 9 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 10 : GRAN/T. Romon, 11 : GRAN/T. Romon, 12: T. Romon, 13 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte,
14 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 15 : S. Savoia, 16 : GRAN/MG, 17 : GRAN/MG, 18 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 19 : J. Boudriot, 20 :
J. Boudriot, 21 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 22 : GRAN/MG, 23 : GRAN/J.F. Rebeyrotte, 24 : GRAN/MG, 25 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte,
26 : GRAN/J.F. Rebeyrotte, 27 : GRAN/MG, 28 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte. Chap. 24 : 1 : GRAN/MG, 2 : Nelly Gravier, 3 : s. d., 4 :
T. Romon, 5 : T. Romon, 6 : T. Romon, 07-01 : T. Romon, 07-02 : T. Romon, 8 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 9 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte,
10 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 11 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 12 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 13 : GRAN/MG, 14 : GRAN/MG, 15-janv :
GRAN/MG, 15-févr : GRAN/J.-M. de Bernardy, 16 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 17 : GRAN/J.-F. Rebeyrotte, 18-01 : GRAN/MG, 18-
02 : GRAN/MG, 19 : GRAN/MG, 20 : GRAN/MG ; Annexe 1 : 1 : GRAN, 2 : BNF ; Annexe 2 : 1 : GRAN, 2 : GRAN, 3 : AN, 4 :
GRAN, 5 : AN Maurice, 6 : AN, 7 : GRAN, 8 : D.K. Bassett, 9 : AN Maurice, 10 : AN.

Achevé d’imprimer en octobre 2015 par LEN S.A.S. – 92150 Suresnes


Dépôt légal : octobre 2015
Imprimé en France

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