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ZERAÏM
Mikhaël Benadmon
In Press | « Pardès »
2013/2 N° 54 | pages 57 à 80
ISSN 0295-5652
ISBN 9782848352800
DOI 10.3917/parde.054.0057
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-pardes-2013-2-page-57.htm
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du trésor toutes les dîmes, afin qu’il y ait de la nourriture dans ma maison ;
mettez-moi de la sorte à l’épreuve”, dit l’Éternel des Armées. Et vous verrez si
je n’ouvre pas pour vous les écluses des cieux, si je ne répands pas sur vous la
bénédiction en abondance » (Ad bli dai) (Malachie 3, 10). Que signifie « Ad bli
dai »? Jusqu’à ce que vos lèvres soient fatiguées de dire « Assez », a dit Rami
Bar Hama, qui citait Rav. « Si j’en étais arrivé à ce verset, je n’aurais pas eu
besoin de toi, ni de ton maître » Rabbi Ochaiya, lui fit remarquer l’enfant.
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Avant de se mettre à l’œuvre, le propriétaire d’un champ est astreint à
mener une réflexion stratégique liée aux cultures qu’il projette de cultiver
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Terouma
Considérons à présent le système des dîmes versées aux fonctionnaires
du Temple. On différencie la catégorie de terouma (celle pour le Cohen et
celle que le Lévite reverse au Cohen) porteuse d’une sainteté particulière de
celle du maaser. Il est d’usage de considérer que la dîme est une redevance
qui servait à l’entretien des personnes dont la vie a été mise au service du
bon fonctionnement du Temple ou des institutions religieuses. Conscient
que les lévites ou les Cohen ne travaillaient pas la terre et qu’il fallait leur
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soin de mes offrandes (teroumati) : prélevées sur toutes les choses saintes
des enfants d’Israël, je les assigne, par prérogative, à toi et à tes fils, comme
revenu perpétuel” » (Nombres 18, 8). La conscience d’intermédiaire est
bien celle qui prévaut dans ce verset ; il n’y aurait donc pas d’échanges
directs entre l’agriculteur et le Cohen, et ce qui nous paraissait être une
forme de gratitude pour les services rendus au temple s’avère être un « droit
perpétuel » octroyé aux Cohen par Dieu en la personne des cultivateurs.
Il ne saurait donc y avoir de hiérarchie du genre « employeur-employé »
entre eux. Nous verrons plus tard lorsque nous analyserons le concept de
propriété fragmentée, que cet échange qui parait être économique est en
fait uniquement un échange symbolique car il n’y a aucune passation de
bien d’une propriété à une autre. Le texte continue et précise la raison pour
laquelle le Cohen reçoit cette allocation : « Dieu dit encore à Aaron : “tu ne
posséderas point sur leur territoire, et aucun lot ne sera le tien parmi eux :
c’est moi qui suis ton lot et ta possession au milieu des enfants d’Israël” »
(18, 20). L’enracinement dans le territoire semble être un obstacle à la
fonction sacerdotale qui doit substituer la conscience d’appartenance au
lieu à la conscience d’appartenance à Dieu. Le Cohen est donc appelé à
vivre dans une conscience non-territoriale et se situe en cela aux antipodes
de la conscience de base de l’agriculteur qui, lui, est défini dans les textes
bibliques et de la Michna comme un propriétaire foncier.
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bien distincts : laisser une partie du champ non moissonnée (et nous ne
rentrerons pas dans les mesures minimales d’un champ 16) et y permettre
l’accès aux pauvres afin d’y faucher le reste du blé. Ce dernier n’est en
effet pas à négliger car il comporte un risque de dégât dans le champ qui
porterait préjudice au propriétaire. La concurrence pour chaque champ
pouvant se transformer en rivalité, il n’était pas improbable que les arbres
soient endommagés ou que des disputes et des violences éclatent entre les
pauvres (Pea 4, 3-4 ; Tossefta Pea 2, 2). Dans un tel cas, il est envisageable
que le propriétaire lui-même distribue la pea (Pea, 4, 1-2). Les Sages
émettent des réserves quant à une distribution organisée par ce dernier
par crainte d’un favoritisme pour certains proches ou amis ; la réalité était
pourtant plus forte que l’idéologie et des traces d’un tel comportement
sont relatées (Tossefta Pea 2, 2 ; 2, 21). La situation souhaitée est pourtant
que les nécessiteux eux-mêmes moissonnent cette partie du champ et en
prennent la pea (Pea chapitre 4). Les textes de la Michna ne fournissent
pas d’interprétation si ce n’est le verset du Lévitique 23, 22 qui stipule
à travers l’expression « de ta récolte » que la pea doit être prélevée de la
récolte encore liée au sol (Pea, 4, 1) 17. Mais il est possible d’y voir un
acte de respect envers le pauvre et une façon de revaloriser son statut par
l’effort du travail investi. La pea, ainsi que les autres dons de l’économie
sociale (à part le maaser ani) sont donc prélevés avant la fin de la moisson
et ne sont pas soumis aux règles de l’économie sacrée concernant les
prélèvements des teroumot et maaserot puisque la récolte n’est pas
encore engrangée ou prête à la commercialisation (Traité Maaserot).
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des normes différentes en fonction des lieux et situations. Ce débat fait sans
doute suite aux questions d’attribution légitime et de définition du seuil
de pauvreté ; en cas de ressources limitées, le choix doit s’effectuer sur la
base de critères objectifs. La Michna (Pea 8, 8-9) opte pour une définition
quantitative de la pauvreté en la situant en deçà d’une somme bien précise ;
les commentateurs chercheront à traduire cette évaluation en besoins
(nourriture et vêtements pour une année) et seront à l’origine d’une vaste
littérature rabbinique à ce sujet. Les lois concernant le leket, ces gerbes,
fruits ou branches qui tombent au moment de la moisson (Pea 4, 10) ou de
la cueillette (Tossefta Pea 2, 14), sont peu nombreuses. L’élément qui attire
notre attention concerne la relation qui lie ces pauvres glaneuses – car c’était
à l’époque une besogne féminine – aux travailleurs. En effet, cette activité
obligeait ces femmes à se faufiler entre ces ouvriers et outre les problèmes
de mœurs, une coopération active était nécessaire 19. Les lois de Chikheh’a
sont proches du leket si ce n’est que ce dernier s’effectue en fin de récolte
(Tossefta 3, 16). L’essentiel des débats porte sur la définition d’un oubli
raisonnable : il est impensable que le propriétaire ait oublié une quantité
importante de sa moisson et qu’il ait voulu l’octroyer aux nécessiteux. Il
semblerait que cette catégorie n’est applicable que face à des pertes de petite
valeur et que nul n’était intéressé à ériger l’oubli en catégorie morale sans
évaluer les litiges potentiels (Pea 5, 7 ; 6, 2 ; 7, 2). Le don le plus significatif
de l’économie sociale est un prélèvement, le maaser ani, le prélèvement
pour les nécessiteux. Il représente la plus grande contribution (10 % de la
récolte) puisqu’il est prélevé la troisième et la sixième année du cycle des
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qui ne laisse pas les pauvres cueillir ou alors qui en favorise un plutôt
qu’un autre, celui-ci vole les pauvres » (Pea 5, 6) ou encore : « Celui qui
dépose un panier sous sa vigne au moment des vendanges, celui-ci vole
les pauvres » (Pea 7, 3). Les prélèvements ne sont donc pas à comprendre
comme un acte de bienfaisance, voire de pitié envers les nécessiteux mais
comme l’attribution d’un dû. À partir d’une certaine étape de la moisson,
ils sont comme propriétaires du sol (Tossefta Pea 3, 4). C’est la raison
pour laquelle le propriétaire du champ ne peut s’immiscer dans les modes
de distribution des gerbes de leket et pea ni même empêcher leur libre
activité dans son champ. Une des expressions de cette injonction se retrouve
dans la demande faite à l’agriculteur de prendre en considération la visite
des défavorisés dans la programmation des tâches agricoles à accomplir
(comme l’irrigation) afin de ne pas entraver ou gêner leur venue (Tossefta
Pea 2, 20 ; ibid. 2, 9). Cette parenthèse quasi juridique de la propriété de
l’agriculteur sur son sol et ses récoltes à un moment donné est révélatrice
d’une volonté de revisiter le concept de base de l’économie, la propriété
privée. Cette tendance trouve sa justification dans ce qui nous paraît être
le point culminant de tout le système : la montée à Jérusalem.
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(lorsque tout le peuple y vient pour les fêtes de pèlerinage, M.B.) car elles
ne sont pas la propriété de leurs habitants. Rabbi Eliezer Bar Zadok ajoute :
Pas même les lits » (T.B. Meguila 26a). La discussion consiste donc à
définir à quelle tribu appartient Jérusalem : selon le premier avis, les deux
tribus de Benjamin et Juda se partagent le sol et la frontière passe au sein
même du Temple ; pour le second rabbin, Jérusalem n’a pas été attribuée
aux tribus et elle forme une sorte de « corpus separatum » 23. Le caractère
sacré de Jérusalem ne permet pas d’utiliser le langage de la souveraineté
et de la propriété et le Talmud cherche à établir cette distance avec le sol.
Notre agriculteur va intégrer durant son séjour à Jérusalem cette idée de
distanciation face à la propriété du sol par le biais du sacré. La conséquence
immédiate de cette non-propriété est d’ordre juridique : impossibilité de
louer une maison ou même un lit. Dans son ouvrage sur le statut de
Jérusalem, le rabbin Y.M. Tokachinsky résume ainsi la position halakhique :
« Il ressort de notre étude talmudique et halakhique que la terre de
Jérusalem a été nationalisée et appartient au peuple juif dans son intégralité.
Il n’existe pas de propriété foncière sur Jérusalem, uniquement un droit
d’utilisation du sol et des bien. C’est pourquoi, lors des fêtes de pèlerinages,
toute personne arrivant à Jérusalem en était également propriétaire d’une
certaine façon et rentrait dans les maisons comme chez soi 24. » Cette idée
rejoint le deuxième principe concernant l’impératif de distribution puisque
les maisons et lits apparemment propriétés des habitants du lieu sont mis,
suivant la logique distributive, à la disposition des pèlerins. Cette expé-
rience retentissait sans doute également dans le for intérieur de l’agriculteur
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NOTES
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17. Si pour une quelconque raison les nécessiteux n’ont pas pu prélever la pea, ils peuvent
le faire ensuite (T.B. 6a ; tossefta pea 4, 1). Le non prélèvement des sons de l’économie
sociale n’interdit pas la consommation des récoltes ; ils ont le même statut que fruits
ou légumes desquels ont été prélevé les teroumot mais pas les masserot.
18. Voir la solution prônée par T.B. Houlin 137b établissant une différence entre la pea
sur la terre d’Israël par rapport aux autres pays. Voir Z. Safrai, introduction au Traité
Pea, p. 8.
19. Les textes de Ruth (2, 6-17) illustrent bien cette réalité et le midrash (Ruth rabba 4,
8) peint les qualités positives de Naomi, contrairement aux autres glaneuses dans le
champ.
20. Z. Safrai, Introduction au Traité Pea, p. 20-40.
21. « Tu ne pourras pas consommer dans tes villes la dîme de ton blé, de ton vin, de ton huile,
les premiers-nés de ton gros ni de ton menu bétail, les dons que tu auras voués, ceux
que tu offriras spontanément ou que prélèvera ta main ; mais tu devras les consommer
en présence de l’Éternel, ton Dieu, dans le lieu qu’il aura choisi, toi, ton fils et ta fille,
ton serviteur et ta servante, et le Lévite qui sera dans tes murs ; et tu jouiras, devant
l’Éternel, ton Dieu, de ce que tu possèdes. »
22. Armand Abécassis, L’univers hébraïque, Paris 2003 p. 229.
23. Les commentateurs discutent du lieu exact auquel cette discussion fait référence – la
ville de Jérusalem ou l’endroit le plus sacré du Temple uniquement – ce qui permet
de penser à des versions intermédiaires entre deux avis bien tranchés. Il sera ainsi
possible de soutenir par exemple que seul le lieu du Temple n’appartient à aucune tribu
en particulier, contrairement à Jérusalem qui, elle, est la propriété de telle ou telle tribu
(Ritba sur T.B. Yoma 12a). L’avis selon lequel Jérusalem n’a pas été attribuée aux tribus
est partagé par beaucoup de commentateurs et Maïmonide considère qu’il est à retenir
(Lois sur le meurtrier 9, 4).
24. Y.M. Tokachinsky, La ville de la sainteté et du temple (en hébreu), tome 3, Jérusalem
1969 p. 133.
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