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Lima

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Présentation

Diego Trelles Paz

César Vallejo est mort à Paris le 15 avril 1938. Sa tombe, située au cime­
tière du Montparnasse, voit le jour revêtue d’un drapeau rouge et blanc
et de petites pierres superposées qui rappellent le poème dans lequel il
préfigure sa mort (« Je mourrai à Paris, un jour d’averse,/un jour dont j’ai
déjà le souvenir »). Malgré leur dévotion, le pèlerinage volontaire des Péru­
viens qui visitent la capitale française reste plus poétique que religieux :
croyants et sceptiques présentent leurs respects au poète de Santiago de
Chuco qui a écrit sur la souffrance humaine et la colère de Dieu et qui, de­
puis­notre tendre enfance, vit et persiste dans l’imaginaire collectif d’une
nation entière.
Les éloges à son œuvre poétique ne manquent pas. Jorge Semprún
signale­ qu’il est « le meilleur poète latino-américain du XXe  siècle ».
Même Pablo Picasso, sans l’avoir connu, et après avoir entendu ses poèmes
de la bouche du poète espagnol Juan Larrea, lui consacre trois célèbres
portraits. Cependant, la reconnaissance de ses pairs ne dépassera pas les
frontières étroites du Paris intellectuel. Dans cette ville royale que le poète
a tant aimée et où repose sa grande dépouille, les Français ignorent bien
souvent qui est César Vallejo.

II

J’invoque le poète le plus important du Pérou pour célébrer ce qui, grâce


à cette anthologie, pourrait bien s’apparenter à des retrouvailles entre les
lettres péruviennes et le lectorat français. La revendication de Vallejo, de
la complexité et de la profondeur de l’une des poésies les plus abruptes
et revitalisantes de la littérature mondiale, est aussi une invitation à se
rapprocher de l’une des traditions littéraires les plus vastes, riches et hété­
rogènes d’Amérique Latine. Si toute rencontre suppose une distanciation
au préalable, il conviendrait alors de se demander pourquoi la prestigieuse

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littérature péruvienne peine à générer un réel intérêt sur le marché de l’édi­
tion francophone.
Pour approcher le phénomène complexe de la littérature au Pérou, il fau­
drait non seulement considérer son contexte multinational et multilingue,
mais aussi l’énorme pouvoir du composant socio-politique. Depuis la
littérature également, il est possible d’entrevoir un pays en conflit, profon­
dément scindé par les différences culturelles et économiques de ses habi­
tants, celles qui ont été historiquement affrontées dans la violence la plus
cruelle. Cette âpre distance sociale et politique a, bien entendu, un corrélat
linguistique. Avec quarante-sept langues originelles, il s’avère probléma­
tique de parler d’une littérature nationale unique sans considérer les diffé­
rents écrits des traditions andine, amazonienne et côtière – nombre d’entre
eux à caractère oral –, et leurs divers mécanismes de transmission, circu­
lation et production littéraire.
Cette diversité, aussi fertile que dispersée, unie à une politique institu­
tionnelle misérabiliste face à la création artistique, n’a pas affecté la forma­
tion de l’une des traditions littéraires les plus solides et les plus reconnues
de la langue espagnole. Sinon, comment expliquer cette pléiade d’auteurs
qui se démarque depuis les premiers grands chroniqueurs de l’époque de la
vice-royauté, comme Inca Garcilaso de la Vega et Felipe Guamán Poma ?
Est-il possible de concevoir la prose hispano-américaine sans l’apport fon­
damental de José María Arguedas, Julio Ramón Ribeyro, Eleodoro Vargas
Vicuña, Alfredo Bryce Echenique, Oswaldo Reynoso ou Mario Vargas
Llosa ? Qu’en serait-il de la poésie en langue espagnole sans les vers de
César­Vallejo, José María Eguren, Martín Adán, Carlos Oquendo de Amat,
César Moro, Antonio Cisneros, Jorge Eduardo Eielson ou Blanca Varela ?

III

Cette anthologie aspire avant tout à rappeler à la mémoire du lecteur


ce qui, dans ce prologue, ne semble être qu’une accumulation de noms. Il
s’agit d’établir des ponts qui serviront de ciment à la redécouverte d’une
littérature qui, malgré sa qualité et son prestige, a été peu traduite et peu
lue en France.
Un fait révélateur : les auteurs péruviens publiés plus de deux fois dans
l’Hexagone sont à peine au nombre de six (Arguedas, Bryce Echenique,
Ribeyro, Scorza, Vallejo et Vargas Llosa). Cet accès limité explique peut-
être le fait que cette invitation de la Meet nous parvienne vingt ans après
la sortie du premier numéro de sa revue bilingue, ou que, vingt-neuf ans

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après sa création, à la différence du Mexique, de l’Argentine et du Brésil
(invité à deux reprises), le Salon du Livre de Paris n’ait pas encore consa­
cré comme invité d’honneur le pays de César Vallejo et de Mario Vargas
Llosa (Prix Nobel de Littérature 2010 et unique auteur étranger publié de
son vivant dans La Pléiade).
C’est, précisément, avec un texte de Vargas Llosa que nous ouvrons
cette sélection. Dans sa vaste bibliographie, P’tit Pierre apparaît publié
pour la première fois en 1983 dans sa rubrique « Pierre de touche ». Bien
qu’elle soit cataloguée comme telle et figure parmi ses articles de presse,
au-delà de son caractère autobiographique qui reconstruit à la première
personne la liberté, la frénésie, le désenchantement et la folie du Paris
des années soixante, P’tit Pierre est, sous tous ses aspects, l’une des plus
belles nouvelles du Prix Nobel. Un texte admirablement écrit, à la hauteur
des récits magistraux de sa plume, comme Un dimanche et Leonidas.

Le vécu de l’exil volontaire à Paris est aussi l’axe thématique d’autres


récits. Dans Une jeune fille sous son parapluie, à travers un langage poé­
tique, Carmen Ollé raconte l’expérience parisienne d’une jeune liménienne
en recherche vitale et littéraire urgente. Entre Paris et Lima, des géogra­
phies qui fusionnent au point de se confondre, la jeune femme vit sa sexua­
lité et expérimente les carences de la migration. Ce parallèle entre deux
villes, séparées géographiquement mais unies par un lien émotionnel, se
retrouve aussi dans les deux poèmes de Victoria Guerrero. À travers la
métaphore d’un Mur qui divise et déchire, Berlin et Lima apparaissent
comme la représentation d’un monde déshumanisé par le capitalisme.
Expulsés du paradis d’Alfredo Pita élève à la fiction les péripéties des
poètes péruviens qui réquisitionnèrent les mansardes du quartier de
Georges-Mandel. Raconté avec précision et humour, la nouvelle est une
radiographie nocturne du Quartier Latin à une époque éblouissante de
bohème. Beauté immobile de Goran Tocilovac est une réflexion sur l’iden­
tité et le déracinement qui, aux frontières de l’autofiction, raconte la crise
existentielle d’un auteur serbe qui écrit « en péruvien » tandis qu’il travaille
dans un petit hôtel français. L’attache parisienne termine avec Longueurs
de bassin avec Julio Ramón de Fernando Ampuero, un texte émouvant,
à cheval entre la chronique intime et le récit de fiction, sur les dernières
années à Lima de l’écrivain Julio Ramón Ribeyro, après presque trente ans
de vie à Paris.

Parmi les nouvelles situées au Pérou : La maison du Cerro El Pino de


Óscar Colchado aborde l’époque de la violence politique. Dans cette nou­

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velle de contrastes où le mythe et la réalité s’opposent et se complètent,
Colchado emploie les techniques descriptives du Nouveau Roman pour
nous raconter l’histoire d’une exécution terroriste à Lima. Les terribles
conséquences de la guerre interne sont aussi présentes chez Richard
Parra et Jeremías Gamboa. Dans Necrofucker, un adolescent métalleux
désœuvré, plongé dans la violence quotidienne d’une Lima dégradée
et sauvage, doit combattre l’angoisse que génère l’autorité de son père
policier. Une nouvelle acerbe et virulente qui sonne comme un morceau
de Death Metal. La terre dont nous sommes faits est formée de deux
rubriques rédigées dans une prose élégante et mélodieuse, où Gamboa
réfléchit, à partir de l’expérience de ses parents originaires d’Ayacucho, à la
terrible violence qu’ils ont fuie. Un style elliptique, un langage concis qui
semble transparent, tel est celui qu’emploie Guillermo Niño de Guzmán
dans Chevaux de minuit pour nous raconter le drame familial d’un père
alcoolique et de sa petite fille. Finalement, deux histoires d’amour où l’élé­
ment parodique et l’absurde sont exploités. Jacinto et Manfreda d’Antonio
Gálvez Ronceros – un écrivain de haut vol qui travaille l’univers populaire
afro-péruvien – est l’histoire d’un triangle amoureux entre deux hommes
et une ânesse, tandis que Sans raison apparente de Leyla Bartet est une
histoire intelligente de suspens et d’intrigue amoureuse où, comme dans
les plus grands récits policiers, les apparences sont trompeuses.

Traduit de l’espagnol par Mélanie Gros-Balthazard.

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Mario Vargas Llosa

P’tit Pierre

Il était né dans un petit bourg de Bretagne et avait dû avoir père et mère,


naturellement, mais, j’en suis sûr, sans jamais les connaître ni s’en souve­
nir. Il se croyait né par génération spontanée, fils du hasard, comme cer­
tains organismes sauvages qui semblent de roc et résistent à toute adver­
sité, mais ont le cœur fragile. P’tit Pierre aurait dû s’appeler, en fait, « petite
pierre », car lorsque je l’ai connu à Paris il n’était qu’un caillou, une pierre
qui roule, bobèche sans nom, sans histoire, sans ambition.
Il avait toujours traîné dans les ruelles du Quartier latin, sans domicile
fixe, vivant de l’air du temps et se faisant quelques sous comme bricoleur.
Le mot lui allait comme un gant : homme-orchestre, capable de tout faire,
déboucher des cabinets, ramoner des cheminées, carreler une entrée, rem­
placer des tuiles, rafistoler des vieilleries, transformer des greniers déla­
brés en ravissantes garçonnières. Sauf que c’était un ouvrier capricieux et
libertaire, qui mesurait ses services à l’aune de la sympathie ou de l’antipa­
thie que lui inspiraient ses clients et n’avait aucun scrupule, s’il s’ennuyait
à la tâche, à disparaître sans crier gare en laissant tout en plan. Il mécon­
naissait la valeur de l’argent et était toujours sans le sou parce que tout ce
qu’il gagnait se dissipait instantanément pour régler les notes de ses amis,
dans une espèce de potlatch. Se défaire au plus vite de ce qu’il avait était
chez lui rien de moins qu’une religion.
Je l’ai connu par mon amie Nicole, une voisine du quartier. La douche
encastrée de ma mansarde tombait en morceaux, et pour me laver je devais
chaque matin jouer les équilibristes et les acrobates. Nicole m’a dit : « La
solution c’est P’tit Pierre ». Elle le connaissait depuis peu et était enchan­
tée car p’tit Pierre, avec une adresse et une ingéniosité prodigieuses, avait
transformé magiquement sa salle de bains en un somptueux temple d’ablu­
tions et de plaisirs. P’tit Pierre est donc venu dans ma mansarde examiner
la douche qu’il a humanisée d’une phrase qui le peignait tout entier : « Je
vais la guérir ».
On est devenus amis. Il était maigre et négligé, avec une tignasse crépue
qui n’avait jamais connu de peigne et un regard bleu erratique. Nicole vi­

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vait­avec un garçon espagnol qui, comme elle, était dans le cinéma, et P’tit
Pierre les réveillait tous les mains avec des croissants croustillants tout
chauds sortis de la boulangerie du coin. Il travaillait jusqu’à midi à la salle
de bains messalinienne puis venait me réveiller. On descendait grignoter
un sandwich au Tournon où il me parlait de son existence insouciante,
dormant là où le surprenait la nuit, sur un palier, dans un salon, fauteuil
ou tapis, de ses innombrables amis chez qui il éparpillait aussi ses rares
frusques et ses outils qui constituaient tout son capital.
Tandis que je travaillais, il ressuscitait ma douche, fouillait dans mes af­
faires­sans la moindre gêne, ou se mettait à dessiner des petits bonhommes
tout aussitôt déchirés. Il disparaissait parfois des jours ou des semaines
entières, et en réapparaissant, semblable à lui-même, souriant et cordial, il
me faisait part des aventures originales qu’il avait vécues sans leur accor­
der la moindre importance, comme de simples avatars de la normalité. J’ai
su ainsi qu’il avait vécu dans un campement de gitans, et qu’une autre fois
il avait été arrêté pour s’être baigné nu dans la Seine avec une bande de
garçons et filles qui vivaient en communauté. Mais il était trop individua­
liste pour accepter pareille promiscuité, aussi n’était-il pas resté longtemps
dans ce groupe.
Il connaissait parfois des amours charitables à repeindre les murs au
domi­cile de certaines propriétaires, des dames chez qui, apparemment,
son air perdu avivait l’instinct maternel. Il couchait avec elles par sympa­
thie ou commisération, jamais par intérêt : j’ai déjà dit que P’tit Pierre était
un curieux personnage, en rien calculateur ou cupide. Il surgit un jour avec
une fille qui semblait sortie d’un jardin d’enfants. C’était un vieil amour,
de sorte que lorsque P’tit Pierre l’avait séduite, elle devait encore marcher
à quatre pattes (j’exagère un peu). Ils vécurent ensemble et, peu de temps
après, la fille s’enfuit avec un Vietnamien. Maintenant elle était retournée
chez ses parents et achevait sa scolarité. P’tit Pierre la sortait quelquefois
lui faire prendre l’air.
Quand, au bout de quelques mois, ma douche fut réparée, P’tit Pierre
refusa de se faire payer. On continuait à se voir, de loin en loin, dans les
bistrots du Quartier latin. La rencontrant un soir dans la rue, mon amie
Nicole m’avoua en rougissant un peu : « Sais-tu que je vis maintenant avec
P’tit Pierre ? »
Je n’en fus pas aussi surpris que d’autres, car je m’étais toujours douté
que P’tit Pierre était amoureux de la magnifique Nicole. Comment s’était
opéré le passage du témoin ? Comment P’tit Pierre avait-il été promu, de
porteur de croissants pour Nicole et son amant espagnol, à substitut de
ce dernier ? Le facteur décisif, selon moi, n’avait pas été ces croissants

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chauds, mais la salle de bains, merveille des merveilles, réduit de cinq
mètres carrés, à peine, où l’imagination (et l’amour) de P’tit Pierre avait
concentré miroirs, faïences, porcelaines, gobelets, festons et falbalas dans
un raffinement babylonien et un équilibre cartésien. Tous les amis du quar­
tier assuraient que la relation de cette fille cultivée, bourgeoise et fortunée
avec cet artisan semi-analphabète et déliquescent ne durerait guère. Mais
moi, avec mon incorrigible vocation romantique, je pariais que oui.
Je ne me suis trompé qu’en partie, car j’ai deviné que ces amours ne
seraient­ pas conventionnelles mais inattendues et dramatiques. J’ai eu
tardivement de leurs nouvelles, fragmentaires et par ouï-dire car, peu de
temps après que Nicole et P’tit Pierre s’étaient mis ensemble, moi j’avais
déjà quitté Paris. Pour y revenir quelques années après et, passant en revue
mes connaissances et mes rencontres occasionnelles, j’appris que le couple
se perdait dans les labyrinthes de l’amour-passion : se défaisant et se refai­
sant seulement pour se défaire encore. Quelqu’un, un jour, quelque part,
m’a demandé : « Tu te rappelles P’tit Pierre ? Tu savais qu’il était devenu
fou ? Il est enfermé depuis pas mal de temps dans une clinique psychia­
trique de Bretagne ».
C’est cette histoire de réclusion – et de violence supposée – qui me
laissa sceptique. Parce que si la folie est la rupture de la normalité, P’tit
Pierre n’avait jamais été un homme sain d’esprit. Bien avant l’âge de rai­
son il avait vécu – comme son prédécesseur Gavroche, le gosse des rues
des Misérables – au mépris des usages, de la morale en place, des valeurs
sociales et, probablement, de la loi. Mais tout symptôme d’agressivité phy­
sique contre son prochain me paraissait chez lui inconcevable. Je n’avais
pas connu d’être plus doux, désintéressé, accommodant et bienveillant que
P’tit Pierre. Et donc comment croire que ce garçon à qui convenait si bien
le joli néologisme de « néphélibate » − un être perdu dans les nuages – pou­
vait devenir un fou furieux ?
Bien des années ont ensuite passé sans que j’aie rien su de lui quand,
lors d’une escale entre deux avions, à l’aéroport de Madrid, une silhouette
me barra le passage en écartant les bras. « Tu ne me reconnais pas ?
Voyons, mon vieux, je suis ton voisin du Quartier latin. » C’était le cinéaste
espagnol qui avait vécu avec Nicole. Avec ses cheveux blancs et son gros
ventre, j’ai eu du mal à reconnaître en lui le Castillan maigrichon qui,
quinze ans plus tôt, en bon macho espagnol, s’emportait chaque fois que
sa copine française faisait mine de régler l’addition. Nous nous sommes
embrassés avant d’aller prendre un café.
Il venait à Paris de temps en temps, bien que pour rien au monde il ne
retournerait vivre dans cette ville où il ne restait plus rien de ce qu’elle

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avait été. Et voyait-il Nicole ? Oui, parfois, ils étaient restés bons amis. Et
comment allait-elle ? Elle allait bien mieux, définitivement rétablie. Parce
qu’elle avait été malade ? Comment, je ne savais pas ce qui s’était passé ?
Non, je ne savais rien, cela faisait une paye que personne ne me donnait
des nouvelles de Nicole.
Il m’en donna, ainsi que de P’tit Pierre, à qui, me jura-t-il, il n’avait
gardé aucune rancune pour lui avoir soufflé sa copine. L’histoire de la cli­
nique psychiatrique était vraie, tout comme ses crises de fureur. Mais pas
contre les autres, bien sûr, P’tit Pierre était incapable de faire du mal à une
mouche. À lui-même, en revanche, oui. Il était interné depuis un certain
temps en Bretagne quand on avisa Nicole que P’tit Pierre s’était procuré
une scie électrique et qu’il s’était horriblement mutilé. Les visites de Nicole
le perturbaient et, par conséquent, jusqu’à ce qu’il y ait une amélioration de
son moral, les médecins lui interdirent d’aller le voir.
Des semaines, des mois ou des années après, la clinique informa Nicole
que P’tit Pierre avait disparu. Les recherches ne donnèrent pas de résultat.
À cette époque, je suppose, Nicole avait − comme on dit − refait sa vie,
amélioré sa situation, trouvé un nouvel amant. J’imagine que le jour où elle
décida de vendre son appartement du Quartier latin le souvenir de P’tit
Pierre devait être plutôt lointain. Le fait est que l’un des éventuels ache­
teurs voulut absolument mettre son nez dans le vaste grenier au-dessus
de la chambre à coucher, de la cuisine et salle de bains de l’appartement.
Est-ce elle qui le vit en premier ? Est-ce le candidat à l’achat ? Le corps de
P’tit Pierre se balançait, au milieu des toiles d’araignée et de la poussière,
pendu à une poutre. Comment s’était-il arrangé pour se glisser jusque-là
sans être vu ? Depuis combien de temps était-il mort ? Eh quoi, pas même
la pestilence qui aurait dénoncé la présence du cadavre ?
L’avion allait partir et je ne pus poser au cinéaste espagnol aucune des
questions qui se bousculaient dans ma tête. Et que, si je le rencontrais une
autre fois dans un aéroport, je ne lui poserais pas non plus. Je ne veux pas
savoir un mot de plus de P’tit Pierre, cette petite pierre du Quartier latin
qui avait réparé ma douche. J’écris cette histoire pour, en quelque sorte,
me libérer de l’ombre maudite du pendu qui, parfois la nuit, me réveille
en sueur.

Lima, décembre 1983

Traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan.

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Mario Vargas Llosa

P’tit Pierre

Había nacido en un pueblecito de Bretaña y (naturalmente) debió de


tener padre y madre, pero estoy seguro que no los conoció, o que no se
acordó jamás de ellos y que llegó en algún momento a creerse autogenera­
do, hijo del azar, como ciertos organismos silvestres, de apariencia graní­
tica, resistente a cualquier adversidad, y de entraña muy frágil. Aunque la
traducción de su nombre – P’tit Pierre – es Pedrito, debería en su caso ser
« piedrecita » (así en minúsculas). Porque eso había sido toda su vida P’tit
Pierre cuando lo conocí, allá en París : un guijarro, un canto rodado, una
piedrecilla vagabunda sin apellido, historia ni ambición.
Había vivido siempre merodeando por las callejuelas del Barrio Lati­
no, sin domicilio conocido, poco menos que a la intemperie, ganándose
la vida como bricoleur. La palabra le calzaba como un zapato : hombre
para todo quehacer, trabajador orquesta, capaz de desatorar cañerías y
chimeneas, embaldosar zaguanes, mudar techos, remendar antiguallas y
convertir destartalados desvanes en primorosas garçonnières. Pero, eso sí,
obrero caprichoso y libérrimo, que fijaba el precio de sus servicios por la
simpatía o antipatía que le inspiraban los clientes y que no tenía el menor
escrúpulo en desaparecer sin dar aviso, en medio trabajo, si se aburría de
lo que estaba haciendo. Desconocía el valor del dinero y andaba siempre
sin un centavo porque todo lo que ganaba lo desvanecía instantáneamente
pagando las cuentas de los amigos, en una especie de potlach. Deshacerse
cuanto antes de lo que tenía era en él poco menos que una religión.
Lo conocí por mi amiga Nicole, una vecina del barrio. La ducha em­
potrada de mi buhardilla se caía a pedazos y, para bañarme, yo tenía que
hacer cada mañana equilibrismo y contorsiones. Nicole dijo : « La solución
es P’tit Pierre ». Lo había conocido hacía poco y estaba encantada por­
que P’tit Pierre, con destreza e ingenio sobresalientes, había empezado a
transformar mágicamente su cuartito de baño en un suntuoso templo, para
abluciones y placeres varios. P’tit Pierre vino a mi buhardilla, examinó mi
ducha y la humanizó con una frase que lo pintaba entero : « Yo la curo ».

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Nos hicimos amigos. Era flaco, desastrado, con una crespa melena por la
que no había pasado jamás un peine y unos ojos azules errabundos. Nicole
vivía con un muchacho español, metido como ella en el mundo del cine, y
P’tit Pierre los despertaba en las mañanas con medialunas crujientes recién
salidas de la panadería de la esquina. Trabajaba hasta el mediodía en el
baño mesalínico y venía luego a despertarme a mí. Bajábamos a comer un
bocadillo a Le Tournon y allí me iba enterando de la despreocupada exis­
tencia que tenía, durmiendo donde lo sorprendiera la noche, en rellanos,
salas, sillones y alfombras de sus innumerables amigos, en cuyas casas
andaban también desperdigados las pocas ropas y los útiles de trabajo que
constituían su capital.
Mientras yo escribía, él resucitaba mi ducha, o hurgaba mis cosas sin
el menor embarazo, o se ponía a dibujar monigotes que luego rompía. Se
esfumaba a veces muchos días o semanas, y, al reaparecer, idéntico, risue­
ño, cordial, yo me enteraba de originales aventuras que él vivía sin darles
importancia, como simples rituales de la normalidad. Así, supe que habitó
en un campamento de gitanos, y que en otra ocasión anduvo preso por
bañarse desnudo en el Sena, un amanecer, con una pandilla de chicos y
chicas que habían formado una comuna. Pero él era demasiado individua­
lista para experimentos promiscuos y no duró mucho tiempo en el grupo.
Tenía, a veces, amores caritativos con las dueñas de la casas que pinta­
ba, señoras a las que, por lo visto, su aire ido les atizaba el instinto mater­
nal. Se acostaba con ellas por simpatía o conmiseración, no por interés : ya
he dicho que P’tit Pierre era un curioso mortal desprovisto de codicia y de
cálculo. Un día se me apareció con una niña que parecía salida de un jardín
de la infancia. Era un antiguo amor, de manera que cuando P’tit Pierrre la
sedujo, ella debía andar todavía gateando (exagero un poco). Vivieron jun­
tos y, un tiempo después, la niña se fugó con un vietnamita. Ahora había
vuelto a casa de sus padres y estaba terminando el colegio. P’tit Pierre la
sacaba de cuando en cuando a ventilarse un poco.
Cuando, después de algunos meses, mi ducha quedó por fin repuesta,
P’tit Pierre se negó a cobrarme por su trabajo. Seguimos viéndonos, en los
bistrots del Barrio Latino, a veces con intervalos largos. Una tarde que nos
encontramos en la calle, mi amiga Nicole, ruborizándose un poco, me dio
la noticia : «¿Sabes que estoy viviendo con P’tit Pierre ? »
A mi no me sorprendió tanto como a otros, pues siempre sospeché que
P’tit Pierre andaba enamorado de la magnífica Nicole. ¿Cómo había ocu­
rrido la sustitución de papeles ? ¿Cómo había sido promovido P’tit Pierre,
de portador de croissants para Nicole y su amante español, a reemplazante
de éste ? Mi teoría era que el factor decisivo no habían sido las quebradizas

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medialunas sino el baño, maravilla de las maravillas, recinto de apenas
cinco metros cuadrados en los que la imaginación (y el amor) de P’tit
Pierre había concentrado espejos, losetas, adornos, porcelanas, recipien­
tes, vestuarios, con refinamiento babilónico y equilibrio cartesiano. Todos
los amigos del quartier aseguraban que la relación de esa chica culta, bur­
guesa y próspera, con el semianalfabeto y delicuescente artesano, no du­
raría mucho. Con mi incorregible vocación romántica yo apostaba que sí.
Me equivoqué sólo en parte, pues acerté en que esos amores no serían
convencionales sino inesperados y dramáticos. Supe de ellos a pedazos y a
destiempo, de oídas, porque, a poco de ponerse a vivir juntos Nicole y P’tit
Pierre, dejé Paris. Volví al cabo de los años y, pasando revista al destino
de los conocidos con un tercero casual, me enteraba que la pareja anda­
ba enfrascada en los laberintos del amor – pasión : se deshacía y rehacía
sólo para volverse a deshacer. Alguien, alguna vez, en alguna parte, me
preguntó : «¿Te acuerdas de P’tit Pierre ? ¿Sabías que se volvió loco ? Lo
tienen encerrado hace ya tiempo en un manicomio de Bretaña ».
Fue lo del encierro – y su supuesta violencia – lo que me dejó escéptico.
Porque si la locura es la ruptura de la normalidad, P’tit Pierre no había
sido jamás un hombre cuerdo. Desde antes de tener razón había vivido –
como su antecesor, Gavroche, el pilluelo de Los Miserables – desacatando
las costumbres aprobadas, la moral entronizada, los valores ímprobos y,
probablemente, la ley. Pero cualquier síntoma de agresividad física contra
el prójimo me parecía en él inconcebible. No había conocido un ser más
benigno, desinteresado, condescendiente y bondadoso que P’tit Pierrre.
¿Quién me iba a hacer creer que ese muchacho para quien parecía inven­
tada la bonita palabra « nefelibata » – ser extraviado en las nubes – podía
volverse un loco furioso ?
Se escurrieron otros cuantos años sin oír nada de él, cuando, en una es­
cala entre dos aviones, en el aeropuerto de Madrid, una silueta me cerró el
paso abriendo los brazos. «¿No me reconoces ? » Hombre, si soy tu vecino
del Quartier Latin ». Era el cineasta español que había vivido con Nicole.
Tan grueso y canoso que costaba trabajo identificarlo con el esmirriado
leonés que, quince años atrás, se descomponía de prejuicios carpetovetó­
nicos cada vez que su chica francesa hacia el ademán de pagar la cuenta.
Nos abrazamos, fuimos a tomar un café.
Él iba a París de cuando en cuando, aunque por nada del mundo volvería
a vivir allá, esa ciudad no era ya ni rastro de lo que fue. ¿Y veía a Nicole ?
Sí, a veces, seguían siendo buenos amigos. ¿Y cómo estaba ella ? Mucho
mejor, ya muy repuesta. ¿Había estado enferma Nicole ? ¿Cómo, no sabía

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yo lo ocurrido ? No, ni una palabra, siglos que nadie me daba noticias de
Nicole.
Él me las dio, y también de P’tit Pierre, a quien, me juró, no había guar­
dado nunca rencor por quitarle a su chica. Lo del manicomio era verdad y
también lo de la furia. Pero no contra los demás, claro que P’tit Pierre era
incapaz de hacerle daño a una mosca. A él mismo, en cambio, sí. Llevaba
algún tiempo internado, en Bretaña, cuando a Nicole le avisaron que P’tit
Pierre se había procurado una sierra eléctrica y que con ella se había mu­
tilado horriblemente. Las visitas de Nicole lo perturbaban y, por lo tanto,
hasta que hubiera una mejoría en su ánimo, los médicos le prohibieron ir
a verlo.
Semanas, meses o años después, el sanatorio avisó a Nicole que P’tit
Pierre había desaparecido. Las búsquedas no dieron resultado. Para enton­
ces, supongo, Nicole había – como se dice – rehecho su vida, mejorado de
posición, contraído un nuevo amante. Imagino que para el día en que de­
cidió vender su piso del Quartier Latin, el recuerdo de P’tit Pierre debía de
ser algo remoto. El hecho es que uno de los posibles compradores se em­
peñó en curiosear el vasto entretecho que sobrevolaba el dormitorio, baño
y cocina del departamento. ¿Fue ella quien lo vio primero ? ¿Fue el posible
comprador ? El cuerpo de P’tit Pierre se balanceaba, entre las telarañas y
el polvo, ahorcado de una viga. ¿Cómo se las arregló para deslizarse hasta
allí sin ser visto ? ¿Cuánto tiempo llevaba muerto ? ¿No había habido, aca­
so, una pestilencia que delatara su cadáver ?
El avión iba a partir y no pude hacerle al cineasta español ninguna de
las preguntas que me golpeaban la cabeza. Si me lo encuentro otra vez, en
algún aeropuerto, tampoco se las haré. No quiero saber una palabra más de
P’tit Pierre, esa piedrecita del Barrio Latino que compuso mi ducha. Escri­
bo esta historia para ver si así me libro de su maldita sombra de ahorcado
que me despierta a veces en las noches.

Lima, diciembre de 1983

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Óscar Colchado Lucio

La maison du Cerro « El Pino » 1

Les rideaux de la petite fenêtre grillagée sont à demi tirés. Par ce mince
intervalle, la lumière pénètre violemment et éclaire une partie de la pièce
laissant le reste dans la pénombre. Il est deux heures de l’après-midi.
À côté, on entend des pas rapides dans les escaliers, des seaux qui
s’entre­choquent, des voix : ce sont les voisins qui montent et descendent
chercher de l’eau.
Le flot de lumière tombe directement sur une pile de tracts entassés sur
une vieille table de bois clair, collée contre le mur près de la fenêtre. Sur le
premier tract, on peut voir une photo, ou peut-être un tableau (l’impression
n’est pas très nette) représentant un homme, le poing dressé et le visage
enflammé lançant un slogan, enveloppé dans un drapeau péruvien et bran­
dissant un autre, entièrement rouge avec les symboles dorés d’une faucille
et d’un marteau. Au pied, en lettres noires imprimées, on lit clairement :
« Vive la lutte armée ».2
Au-dessus de la table, contre le mur, des livres sont rangés sur une petite
étagère. On peut lire parmi d’autres titres : « Sept essais d’interprétation
de la réalité péruvienne », « Vaste est le monde », « El zorro de arriba y el
zorro de abajo » 3, « Que faire ? », « Le Petit Livre Rouge », etc.
Dans un angle de la table est posée une petite statue de pierre aux traits
anthropomorphes et zoomorphes, la bouche ouverte sur de longues dents
pointues comme celles d’un animal carnivore.4

1. Le bidonville Cerro del Pino s’est formé en 1972 à Lima et compte maintenant plus de
20000 habitants (note de la traductrice, sauf indication contraire, les autres notes sont de
l’auteur).
2. La revue Caretas, dans son numéro du 12 juin 1986, dirait que les tracts appartenaient à
l’organisation subversive Sendero Luminoso.
3. Ultime roman de l’auteur péruvien José María Arguedas, publié en 1971 et non traduit
en français. (NDT).
4. Nancy l’avait trouvée quelques mois auparavant, presque à ras de terre dans la petite
cour de la maison adossée à la montagne, en creusant un trou pour planter le poteau de la
corde à linge.

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Plusieurs cadres avec des petites photos sont accrochés au mur. Sur
l’une d’elles figure un jeune homme pâle, souriant : son sourire a la tris­
tesse d’une prémonition tragique.5
Les autres photos représentent une jeune fille petite, potelée, qui est
toujours souriante, d’une gaieté franche, parfois seule ou accompagnée
d’amies, des jeunes filles modestes, à l’allure provinciale.6
Une brise fraîche monte à flanc de montagne et entre dans la pièce. On
sent alors se répandre dans tout l’espace une forte odeur de poudre qui
semble sortir de cette ouverture cachée dans le plafond et qui, maintenant,
imprègne les murs et s’échappe dans la rue par la fenêtre.7
Au pied d’une affiche géante de Mao Tse Toung il y a une vieille
photo­, jaunie par les années, mais soigneusement encadrée. On y voit deux
époux, et devant eux trois enfants : deux garçons et une fille. Leurs âges
oscillent entre six et neuf ans environ.8
Au centre de la petite pièce, il y a trois meubles en osier, très vieux et
défon­cés. Sur la table du milieu, un croquis tracé à main levée à l’encre
noire sur une simple feuille, blanche, format carte de visite, désigne d’une
flèche les avenues Aramburú et Bolognesi de San Isidro. Une flèche,
gros­siè­rement tracée à l’encre rouge, signale un point : « Ici ». À côté se
trouvent des photos découpées dans des journaux et des magazines avec
la silhouette d’un officier supérieur de la Marine de Guerre du Pérou. Une
des légendes dit : « Le contre-amiral Germán Capelleti de l’état-major de
l’Infanterie de Marine a commandé le massacre des prisons. » Le regard
de l’homme est serein, tranquille, mais une légère ride entre les sourcils
dénote un naturel austère. Ses cheveux blonds sont coiffés d’un képi et
ses yeux doivent être gris ou vaguement verts – ce qui est difficile à vé­
rifier car seule une photo, celle du supplément du quotidien El Comercio
est en couleurs et semble floue –. Il doit avoir entre quarante-cinq et qua­
rante-huit ans.
Par la fenêtre se faufile maintenant la musique des Shape, interprètes
de cette musique dite Chicha – aux mélodies andines et tropicales – que le
transistor d’une maison voisine diffuse à plein volume.

5. Hugo : nom de guerre de celui qui allait mourir un an après que cette photo a été prise
lors du massacre des prisons en 1985.
6. Nancy.
7. Les « camarades » l’avaient apporté un mois auparavant, après l’attaque d’une mine du
centre du pays.
8. Hugo, Nancy et Pedro avec leurs parents. Pedro est mort dans un accident de la route
alors qu’il n’était qu’adolescent. (NDT)

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Une des coupures de presse montre aussi une photo de plusieurs jeunes
encagoulés, tête basse, arborant une plaque sur la poitrine qui dit :
« Cellule de la Zone Ouest de S. L, commandée par le camarade Hugo,
qui est tombée alors qu’ils incendiaient la Nizan Sani ».9
Derrière une grande armoire, à moitié vermoulue, qui fait office de
paravent­, il y a, dans un angle, un lit fait de planches avec un matelas de
paille et des couvertures typiques d’Huancayo. Et sur l’oreiller un cahier
ouvert révèle les notes brèves d’un journal :
« 20 Mai. Huallallo Carhuincho me réclame du sang humain. Il dit qu’il
en a besoin en grande quantité pour retrouver des forces, qu’il expulsera
les blancs et leurs dieux, qu’il régnera à nouveau sur ses terres : tous les
villages côtiers Walla des vallées de Carabayllo traversées par le fleuve
Chillón : Maranga, Magdalena, Surquillo, Miraflores et Chorrillos. Sans
compter, là-bas les territoires de montagne où vivent les Huancas, le long
de la vallée de Mantaro (d’où étaient originaires mes parents). »
« 27 Mai. Pour l’instant je lui donne du sang de chien (ce qui, dans
une certaine mesure, le satisfait) ; mais aussi du mullu, la chair de ces
coquillages qu’on vend sur les marchés pour cicatriser les blessures. Mais,
comme il ne cesse de réclamer, tout comme les camarades ne cessent de
me demander de venger mon frère, je suis maintenant vraiment convain­
cue­que ce sang, celui de ma vengeance, servira enfin à nourrir le dieu. »
« 31 Mai. Hier j’ai déposé des corbeilles avec des offrandes près de la
huaca Pando, là où en rêve Huallallo m’avait demandé de les déposer.
J’y ai enterré une corbeille avec les meilleurs produits des rares champs
qui restent aux alentours. J’ai mis les plus grosses pommes de terre, des
tomates­rouges bien rondes, de belles carottes, des épis bien fournis, etc.
C’est très bien, m’a-t-il dit, lorsqu’il m’est apparu à nouveau tôt ce matin,
mais c’est de sang, de sang de chrétien dont il a besoin de toute urgence. »
La pièce voisine est moins vaste que la première. Il y a une cuisinière à
kérosène, un petit vaisselier, quelques seaux, une table avec une toile cirée
déchirée, deux chaises et un banc. Plus loin, des marmites et des restes de
nourriture dans un grand sac en plastique.
Puis vient un petit patio avec, au milieu, un saule rachitique et flétri
planté dans un sol irrégulier et caillouteux. Et, pour finir, collées à la mon­
tagne, les toilettes : un trou aveugle autour duquel tournoient des mouches
et d’où émane une odeur fétide qui pollue l’air.

9. Depuis cette date, les autres camarades de son frère n’ont cessé de soutenir Nancy dans
son travail de vendeuse ambulante sur le marché de gros, tout en la pressant de se joindre
à la cause. (NDT)

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Il est quatre heures de l’après-midi et dehors le soleil ne tape plus. Une
rafale arrive passant au-dessus des toits des hauts buildings de la ville,
agite bruyamment les rideaux de la fenêtre, entre et aère la pièce.
Dehors la joyeuse, tonitruante musique des chicheros s’est tue laissant
place au flash d’information de cette heure où vibre nerveusement la voix
anxieuse et lasse du présentateur : « Mesdames et Messieurs, un atten­
tat terroriste vient juste de se produire à San Isidro, selon notre reporter,
un commando d’extermination du Sentier Lumineux vient d’abattre de
plusieurs coups de feu le contre-amiral Germán Cappelletti alors qu’il se
déplaçait en automobile avec ses gardes du corps, qui auraient également
été blessés par balles et seraient dans un état critique. Nous reviendrons
avec de plus amples détails dans quelques minutes. » La musique de fond
du bulletin d’information s’élève au moment même où la pénombre s’épais­
sit dans tous les recoins de la maison. Un frêle rayon de soleil parvient à
entrer difficilement par la fenêtre et éclairer de sa lumière pourpre la statue
de pierre, où l’on peut remarquer que de ses dents de félin goutte du sang,
tandis que des filets rouges s’écoulent de la commissure de ses lèvres,
et tachent légèrement le petit corps dur et gris. À cet instant précis, la
radio annonce : « À la suite de l’attaque terroriste, lors d’un échange
violent de coups de feu, ont été arrêtés une jeune femme, petite, potelée,
ainsi qu’un autre individu, jeune également, métis ; mais trois terroristes
se sont échappés alors que la police les avait pratiquement encerclés… »
En haut sur les murs, tous les yeux des portraits semblent en vie, à l’éclat
étrange qu’ils dégagent lorsqu’ils regardent l’idole, qui, avec ses petits yeux
vifs, grands ouverts, sa bouche fermée, les lèvres du bas recouvrant celles
du haut, semble se dresser, souriante, triomphale, le ventre empourpré,
alors que du ciel de Lima commence à tomber brutalement une insolite
pluie fine.

Traduit de l’espagnol par Françoise Garnier.

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Óscar Colchado Lucio

La casa del cerro « El Pino »

Las cortinas de la pequeña ventana con rejillas están semicerradas. A


través de ese breve espacio, la luz entra con fuerza iluminando una parte
de la habitación y dejando el resto en penumbra. Son las dos de la tarde.
Por las escalinatas del lado se oyen agitados pasos, entrechocar de bal­
des, algunas voces : son los vecinos que suben y bajan por agua.
El chorro de luz cae directamente sobre una pila de volantes arrumados
en una vieja mesa de madera pálida, que se halla pegada a la pared cerca
de la ventana. En el volante de encima puede verse la foto, o pintura qui­
zás (no es muy nítida la impresión), de un hombre con el puño en alto y el
rostro congestionado lanzando una proclama, envuelto en una bandera pe­
ruana y agarrada otra, de color enteramente rojo con los símbolos dorados
de una hoz y un martillo. Las letras impresas al pie, en negro, dejan leer
claramente : «¡Viva la lucha armada ! ».1
Sobre la mesa, en la pared, hay una pequeña repisa con libros puestos
en fila. Entre algunos títulos puede leerse : « Siete ensayos de la realidad
peruana », « El mundo es ancho y ajeno », « El zorro de arriba y el zorro de
abajo », «¿Qué hacer ? », « Las cinco tesis filosóficas », etc.
En una esquina de la mesa hay un idolillo de piedra con rasgos antropo­
morfos y zoomorfos, con la boca abierta llena de dientes largos y puntia­
gudos como los de un animal carnicero.2
Colgados en la pared hay varios cuadritos con fotos pequeñas. En una
de ellas aparece un joven pálido, sonriente : su sonrisa es triste como una
premonición de tragedia.3

1. La revista Caretas, en su edición del 12 de junio de 1986, diría que los volantes perte­
necían a la organización subversiva Sendero Luminoso.
2. Lo encontró Nancy hace solo unos meses, casi a flor de tierra, en el patiecito de la casa
que está pegado al cerro, cuando hacía un hoyo para el parante de un cordel de colgar ropa.
3. Hugo, nombre de guerra de quien moriría al año de la toma de esta foto en la masacre
de los penales en 1985.

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Las otras fotos son de una muchacha baja, gordita, que siempre aparece
sonriendo, con alegría franca ; a veces sola o acompañada de amigas, mu­
chachas humildes, de apariencia provinciana.4
Un vientecito fresco sube por el cerro y entra en la habitación. Entonces
se siente expandirse por todo el ámbito un olor penetrante a pólvora que
posiblemente sale de esa abertura disimulada en el cielo raso y que ahora
se impregna en las paredes y que la ventana exhala hacia la calle.5
Al pie de un afiche grande de Mao Tse Tung hay una foto antigua, ama­
rillenta por los años, pero bien enmarcada. Allí aparecen dos esposos, con
tres niños delante de ellos : dos varoncitos y una niña. Sus edades deben
fluctuar entre los seis y nueve años aproximadamente.6
En la parte céntrica de la salita hay tres muebles de junco, ya gastados
y destejiéndose. Sobre la mesita de centro, un croquis trazado a pulso con
tinta negra sobre una hoja delgada, blanca, del tamaño de una cartulina,
muestra con una flecha las avenidas Aramburú y Bolognesi en San Isidro.
Otra flecha, con trazos gruesos y tinta roja, señala un punto : « Aquí ». Al
lado se encuentran fotografías recortadas de periódicos y revistas con la fi­
gura de un alto oficial de la Marina de Guerra del Perú. Una de las leyendas
dice : « Contralmirante Germán Capelletti de los altos mandos de la infan­
tería de marina, dirigió la masacre de los penales. » La mirada del hombre
es serena, tranquila, pero una ligera arruga en el entrecejo lo revela como
consuetudinariamente adusto. Lleva quepis sobre la rubia cabeza y los ojos
deben ser grises o ligeramente verdes – no se puede establecer bien esto
porque solo una de las fotos, la del suplemento del diario El Comercio, es
a colores y aparece movida –. Debe tener entre cuarenta y cinco a cuarenta
y ocho años.
Por la ventana se filtra ahora música de Los Shapis, intérpretes de la lla­
mada música chicha – de aires andinos y tropicales – que el radio transistor
de una casa cercana deja oír a todo volumen.
Uno de los recortes periodísticos muestra también una foto de varios
jóvenes con la encapuchada cabeza inclinada, exhibiendo una placa en el
pecho, donde se lee : « Célula de la Zona Oeste de S. L., comandada por el
camarada Hugo, que cayó cuando incendiaba la Nizan Sani ».7

4. Nancy.
5. Un mes atrás la trajeron los « compañeros », luego del asalto a una mina del centro del
país.
6. Hugo, Nancy y Pedro con sus padres. Pedro murió en un accidente de tránsito cuando
era solo un adolescente.
7. Desde aquella fecha, los demás compañeros de su hermano no dejaron de frecuentar
a Nancy en su trabajo de vendedora ambulante en el mercado mayorista, instándole a
sumarse también a su causa.

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Detrás de un ropero grande, viejo y medio apolillado – que hace de
biombo –, hay una tarima arrimada a un ángulo de la pared, con colchón
de paja y frazadas huancaínas. Ahí, sobre la almohada, un cuaderno abierto
deja leer las breves anotaciones de un diario :
« Mayo, 20. Huallallo Carhuincho me pide sangre humana. Dice que
lo necesita en buena cantidad para recuperar fuerzas, que expulsará a los
blancos y sus dioses, y volverá a reinar sobre sus dominios : toda la pobla­
ción costeña walla de los valles de Carabayllo regados por el río Chillón :
Maranga, Magdalena, Surquillo, Miraflores y Chorrillos. Además, los
territorios serranos donde habitan los huancas, por el valle del Mantaro,
por ahí (de donde eran originarios mis padres). »
« Mayo, 27. Por mientras, sangre de perro le estoy dando (que en algo
le contenta) ; también mullo, de esas conchas que venden en los mercados
para cicatrizar heridas. Pero como sus exigencias siguen, así como las de
los compañeros pidiéndome vengar a mi hermano, ahora sí decididamente
pienso que esa sangre, la de mi venganza, servirá finalmente para alimentar
al dios. »
« Mayo, 31. Ayer fui a dejar canastillas con ofrendas cerca de la huaca
Pando, en donde Huallallo me reveló en sueños que lo dejara. Allí enterré
una canastilla con los mejores productos de las pocas chacras que quedan
ya en los alrededores. Le puse las papas más grandes, redondos tomates
colorados, buenas zanahorias, mazorcas de buen grano, etc. Todo eso está
muy bien, me ha dicho apareciéndose nuevamente esta madrugada, pero
la sangre, la sangre de un cristiano es la que necesita de manera urgente. »
La habitación contigua es menos amplia que la primera. Hay una cocina
a kerosene, un mueblecito portaplatos, algunos baldes, una mesa con un
hule raído, dos sillas y una banca. Más allá : ollas y restos de comida en
una bolsa plástica grande.
Sigue un patiecito con un raquítico y pálido sauce plantado al centro en
el suelo desigual y cascajoso. Y, finalmente, pegado al cerro, el baño : un
pozo ciego alrededor del cual revolotean moscas y emana un fétido olor
que contamina el aire.
Son las cuatro de la tarde y el sol ha dejado de quemar afuera. Una ráfa­
ga llega alzándose sobre los techos de los altos edificios de la ciudad, agita
las cortinas de la ventana haciendo ruido y entra y airea la salita. Afuera,
se ha diluido la alegre, rumorosa, música de los chicheros para dar paso al
noticiero flash de esa hora donde vibra la agitada, ansiosa y cascada voz
del locutor : « Señoras y señores, en estos momentos se ha producido un
atentado terrorista en San Isidro, según nos comunica nuestro reportero :
un comando de aniquilamiento de Sendero Luminoso acaba de victimar

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a tiros al contralmirante Germán Cappelletti cuando se desplazaba en su
automóvil con miembros de su seguridad, quienes habrían sufrido también
heridas de bala y se encontrarían muy graves. Volveremos con más detalles
dentro de algunos instantes. » La música de fondo del noticiero se eleva
en el momento en que la penumbra se acentúa en todos los rincones de la
casa. Un agónico rayo de sol logra ingresar penosamente por la ventana e
iluminar con su luz escarlata la estatuilla de piedra, donde puede distin­
guirse que de sus dientes de felino discurre sangre, mientras unos hilillos
rojos bajan por la comisura de sus labios, expandiéndose apenas sobre el
cuerpecito duro, gris. En esos precisos instantes, la radio dice : « Después
del ataque terrorista, fueron apresados en violento tiroteo una mujer joven,
baja, ligeramente gorda, junto a otro sujeto, también joven, acholado ; pero
tres subversivos escaparon cuando ya la policía los tenía prácticamente
cercados… »
En lo alto de las paredes, todos los ojos de los retratos parecen tener
vida, por el raro brillo que despiden observando al ídolo, quien, con sus
ojillos vivos, muy abiertos, la boca cerrada, cubriendo los labios de abajo
a los de arriba, parece erguirse, sonriente, triunfal, la barriga encarnada, en
tanto del cielo de Lima empieza a desprenderse de pronto una lluviecita
inusitada.

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Victoria Guerrero

Deux poèmes

Berlin

Personne ne pourra me dire si c’est la musique qui nous attend


Ô mon enfant
La nuit avance comme une vague menaçante depuis l’autre rive

Je ne sais plus comment t’aimer


Ta pureté blesse mes sens

Aujourd’hui j’aimerais t’emmener marcher


Sous les feux brillants des chasseurs-bombardiers

Te montrer la carte d’une ville endormie


L’arôme du pain populaire
Et le juste éclat du misérable

Ne pleure pas mon fils


Cette nuit ne présage pas la tristesse
Les matins peuvent être
Les matins sont – même aujourd’hui pour moi – plus apathiques et plus
[froids]
Que les nuits pleines de morts
Ne t’en fais pas certains premiers mondes sont ainsi
Ils lavent la terre jusqu’à la faire briller d’ennui

Nous ne sommes pas meilleurs


Nous baissons la tête pour le moindre reste
Puis nous rions
Fou de honte et de résignation

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Le premier coup de canon retentit
Le premier être ailé descend des cieux noirs/gris du matin
Il tourne vire se contorsionne mais connaît sa cible
Regarde-le
Regarde ce spectacle
L’habileté acrobatique des Assassins
brille de toute sa splendeur

Et toi et moi sommes ici debout sous ces lumières artificielles


Invoquant un amour unilatéral
Alarmés par l’hier
Nous courons en sens contraire et nous cognons contre les portes
À chaque instant

Cessons de jouer à cache-cache


Mon enfant
Siffle ta musique haut et fort
Déploie tes ailes sur ces navires de mauvaise augure
Chante avec le wamani sur tes épaules larges et vigoureuses
Arbore le ruban rouge au poignet droit
Pour qu’aucun malheureux ne te jette le mauvais œil

Observe encore la ville


Les téléviseurs allumés heures après heures
Étincelant sur les visages de ceux qui sont sur le point de mourir

Mon fils
L’Amour est une chose que je méconnais
Ou qui me méconnait

Pourquoi ai-je donc les pupilles submergées


Lorsque j’entends ta voix aigre et mélodieuse
au téléphone
Ce doit être le passage infâme du jour à la nuit/le décalage-horaire –
[comme on dit]

Tout ce
Boom
Boom
Boom

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Qui vient d’en-haut
Toute cette musique qui nous empêche de nous entendre
Et tout ce ciel qui se brise lentement et quitte les étoiles
Comme ton père nous a quittés
Il y a déjà bien longtemps

Sur ces anneaux d’une blancheur invisible


Nous avons écrit un poème
Célébré un mariage
Fondé une ville
Mais avons dû avant cela pleurer sa chute sa pénible défaite contre
les temps nouveaux

Mon fils
L’amour n’appartient plus à cette ère
Une bombe arrive et le détruit
Les étincelles qui l’attisaient avant
Le brûlent à présent et le rendent plus laid, plus roussi que jamais

Je n’ai pas voulu te distraire avec ce fausset de femme blessée


Mais maintenant plus que jamais tu dois te tenir aux aguets
De tout ce qui vient d’en-haut

Si un second coup de canon résonne


Tu devras courir vers un endroit sûr
Mais crois-moi, nul n’est à l’abri
De ces gens infâmes qui chantent sous la douche
Et jettent des bombes sur le monde

Tu te dois de chanter plus fort


Même au péril de ta vie
Tu ne dois pas baisser la tête
Tu dois être plus Vallejo que Vallejo au congrès antifasciste
Tu apaiseras le vent de la Mort contre les fenêtres
Tu devras bâtir une nouvelle époque
Où l’Amour des amours l’emportera sur tout autre nuit tristement
Oubliée
Où la blessure disparaîtra

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Alors
Tout ira mieux
Tout ira beaucoup mieux

Le cycliste

Pour celui qui rêve


Pour les cyclistes de cœur

Pour celui qui ferme les yeux à travers l’aube


Juste un rêve une magnifique lumière
A été disposée pour lui le rêveur l’assembleur d’âmes
Celui qui plonge dans la folie bienfaisante et s’élève en pédalant
Sur son beau vélo
rouge

Je suis une piètre cycliste


–je dois le reconnaître –
L’angoisse m’envahit quand je pense à la solitude des passants
À l’éclat oblique du matin
Et aux milliers d’automobiles qui foulent tout juste le pavé

Ah mon vieux vélo rouge


Acheté un dimanche aux puces du Mauer Park
Il y a plus de quinze ans j’aurais pu pédaler
D’un côté du Mur ou de l’autre
Et mon rêve se rêverait autrement

Pour mon guide berlinois je suis un poids permanent


Il va toujours devant moi comme un Prince indifférent
Sur son énorme vélo bleu
–bleu comme les yeux de ma grand-mère –
Il ne peut comprendre ni mes tourments ni mon étrange torpeur
Il a pris confiance à force de pédaler constamment

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Aujourd’hui je vais à bicyclette
Et je me souviens de la couleur de ses yeux
De son plongeon dans la folie De son exil permanent

Je ferme les yeux comme lorsque j’étais enfant


Je lâche le guidon Je le laisse à la dérive
Tomber à terre est toujours une possibilité du ridicule ou la Mort
Peut-être qu’une certaine folie maternelle
M’humanise parmi tous les cadavres qui ont jonché mon
[adolescence]

Mon centre : La petite Lu se moque de moi


Elle sait que j’ai peur
Se réjouit et jubile lorsqu’elle voit la photographie
« C’est un vélo pour enfants » – dit-elle

Et nous rions ensemble


Et berlin n’est plus Berlin ni ses parfaites pistes cyclables
Ni ses centaines de musées en honneur à la Mort
Aujourd’hui elle est Lima et à Lima on ne monte pas sur un vélo aussi
[souvent]
Parce qu’on vous le vole ou qu’on vous renverse au coin de la rue
Et il n’existe pas de musées pour honorer les cadavres
De mes dix, de mes quinze, de mes vingts ans

Mais j’ai écrit ce poème pour celui qui rêve encore


Pour celui qui traverse les frontières heureux et sans-papiers
Pour celui qui se rebelle contre les assassins du monde

Pour le cycliste qui écrit un poème à chaque coup de pédale

De Berlin (2011)

Traduit de l’espagnol par Mélanie Gros-Balthazard.

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Victoria Guerrero

Dos poemas

Berlin

Nadie me podrá decir si esta es la música que nos espera


Oh hijo mío
La noche avanza como una ola amenazante desde la otra costa

Y ya no sé cómo amarte
Tu pureza hiere mis oídos

Hoy quisiera llevarte a caminar


Bajo el fuego brillante de los caza-bombarderos

Y enseñarte el mapa de una ciudad dormida


El aroma del pan popular
Y la justa limpieza del miserable

No llores hijo
Esta noche no se anuncia para la tristeza
Las mañanas pueden ser
Y son – aun hoy para mí – más apáticas y frías
Que las noches llenas de muertos
No te preocupes algunos primeros mundos son así
Lo limpian todo hasta dejarlo brillante de aburrimiento

Nosotros no somos mejores


Agachamos la cabeza por cualquier sobra
Y luego nos reímos
Locos de vergüenza y resignación

Llega el primer cañonazo


El primer ser alado viene desde los cielos negros/grises por las mañanas

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Da vueltas gira se contorsiona pero conoce su blanco
Míralo
Mira ese espectáculo
La destreza acrobática de los Asesinos
se luce en todo su esplendor

Y tú y yo estamos aquí parados bajo esas luces artificiales


Invocando un amor no correspondido
Alarmados por el ayer
Corremos en dirección contraria y nos damos contra las puertas
a cada instante

Basta de jugar a las escondidillas


Hijo mío
Silba tu música alta y fuerte
Aletea sobre estas naves de malagüero
Canta con el wamani batiendo sobre tus espaldas amplias y vigorosas
Usa la cinta roja en tu muñeca derecha
para que ningún infeliz te ojee

Y observa la ciudad otra vez


Los televisores encendidos horas tras horas
Relampagueando sobre los rostros de los que están por morir

Hijo
El Amor es algo que desconozco
O que me desconoce

Por eso no entiendo mis pupilas sumergidas


cada vez que escucho tu voz melodiosa y chillona
en el teléfono
Debe ser este paso infame del día a la noche/la diferencia horaria – que le
[dicen]

Todo este
Boom
Boom
Boom
Que viene de arriba
Toda esta música que no nos deja oírnos
Y todo ese cielo que se quiebra lentamente y deja a las estrellas solas

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Como tu padre nos dejó a nosotros
Ya hace buen tiempo

Sobre esos aros de una blancura invisible


Se escribió un poema
Se celebró un matrimonio
Se fundó una ciudad
Pero antes hemos debido llorar por su caída por su derrota tristísima
contra los nuevos tiempos

Hijo mío
El amor ya no es una cosa de esta era
Viene una bomba y lo destruye
Y los chispazos que antes sirvieron para encenderlo
Ahora lo calcinan y queda más feo y chamuscado que nunca

Pero no he querido distraerte con este falsete de mujer herida


Ahora más que nunca debes estar atento
A todo lo que viene de arriba

Si se atraviesa un segundo cañonazo


Lo más probable es que tengas que correr hacia un lugar seguro
Mas yo te digo que nadie está libre
De esa gente infame que canta mientras toma un baño de ducha
Y envía bombardas contra el mundo

Tú has de cantar más alto


Aunque en ello se te vaya la vida
Tú no has de agachar la cabeza
Tú más Vallejo que Vallejo en el congreso antifacista
aplacarás el viento de la Muerte contra las ventanas
Habrás de fundar un tiempo nuevo
En el que el Amor de los amores prevalezca sobre cualquier noche
[oscuramente]
Olvidada
Y el daño desaparezca

Entonces
todo estará mejor
todo estará mucho mejor

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El ciclista

para el que sueña


para los ciclistas de corazón

Para el que cierra los ojos a través de la mañana


Solo un sueño una magnífica luz
ha sido dispuesta para él el soñador el juntaalmas
Aquel que se sumerge en la locura bienhechora y se eleva pedaleando
en su hermosa bicicleta
roja

Yo soy una ciclista mediocre


–he de reconocerlo –
Me angustia pensar en la soledad de los transeúntes
En el oblicuo resplandor de la mañana
Y en los miles de automóviles que apenas rozan el pavimento

Ah mi vieja bicicleta roja


comprada un domingo en la Feria del Mauer Park
Hace más de quince años podría haber pedaleado
por uno u otro lado del Muro
y mi sueño se soñaría distinto

Para mi guía berlinés soy un permanente fastidio


Él va siempre delante mío como un Príncipe indiferente
manejando su enorme bicicleta azul
–azul como los ojos de mi abuela –
No puede entender mi extraña ensoñación ni mi angustia
Ha adquirido la confianza del que lleva kilómetros de pedaleo constante

Hoy que voy montada en bicicleta


Recuerdo el color de sus ojos
Su ingreso en la locura Su permanente exilio

Cierro los ojos como cuando era niña


Suelto el timón Lo dejo a la deriva
Caer a tierra es siempre una posibilidad del ridículo o la Muerte

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Quizá cierta locura materna
me humaniza entre tanto cadáver que junté en mi adolescencia

Mi centro : La pequeña Lu se ríe de mí


Sabe que tengo miedo
Y goza y hace fiesta cuando ve la fotografía
« Es una bicicleta para niños » – dice

Y nos reímos juntas


Y berlín ya no es más Berlin ni sus perfectas ciclovías
Ni sus cientos de museos en honor a la Muerte
Hoy es Lima y en Lima no se montan bicicletas tan seguido
porque te las roban o te atropellan en cualquier esquina
Y no existen museos para honrar a los cadáveres
de mis diez, de mis quince, de mis veinte años

Mas este poema lo escribí para el que todavía sueña


Para el que atraviesa las fronteras feliz e indocumentado
Para todo aquel que se rebela contra los asesinos del mundo

Para el ciclista que escribe un poema en cada vuelta de pedal

De Berlin (2011)

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Guillermo Niño de Guzmán

Chevaux de minuit

J’avais vécu et peiné et lutté seul avec


la Solitude, mon amie, et parmi les
ténèbres, la nuit et tout le somnolent
silence de la terre, mille fois j’avais scruté
les visages du Sommeil, entendu
s’approcher le bruit de ses noirs chevaux.
J’avais vu mourir aux heures ténébreuses
de la nuit mon père et mon frère, et
j’avais connu et aimé, lorsqu’elle était
apparue, la figure de l’orgueilleuse Mort.

Thomas Wolfe, From Death to Morning

J’aime pas l’eau – dit-elle en faisant la moue. J’aime pas ça du tout.


—  Comment ça ? – répondit-il tout en la tenant au bord de la baignoire.
Les gentilles petites filles aiment l’eau et se lavent tous les jours.
—  Je suis pas une gentille petite fille, moi.
—  Ah bon ? Peut-on savoir alors quel genre de petite fille tu  es ? Parce
que si tu n’es pas gentille, tu dois être vilaine…
—  Ah, non – elle éleva la voix, ça non. Je suis pas vilaine. Moi, je ne…
—  Bon – l’interrompit-il, si tu n’es pas une vilaine petite fille, alors tu
vas te mettre à l’eau tout de suite. Et sans protester.
—  Elle est froide. Je veux pas.
—  Bon sang, elle n’est pas froide. Viens, donne-moi la main.
Elle hésita un instant avant de la lui tendre. Il prit cette petite main molle
qui frétillait comme un poisson et la plongea dans l’eau. La gamine eut un
léger sursaut et tenta de retirer sa main, mais il ne la laissa pas faire.
—  Tu vois ? Elle n’est pas froide.
Elle s’amusa à faire clapoter l’eau et y glissa bientôt l’autre main.

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—  Mademoiselle – dit-il, nous ne sommes pas venus ici pour nous laver
les mains. Vous allez donc vous mettre à l’eau une bonne fois pour toutes,
que cela vous plaise ou non.
Elle le regarda et fronça les lèvres.
—  Ne m’appelle pas comme ça.
—  Comment ?
—  Ne m’appelle pas Mademoiselle. J’aime pas.
—  Vous n’aimez rien. Je n’ai jamais vu une petite fille aussi difficile.
—  Mais j’aime pas quand tu m’appelles Mademoiselle. Je suis pas si
vieille que ça.
Amusé, l’homme la regarda et se mit à rigoler. Cependant, son rire
s’éteignit d’un coup, interrompu par un grognement sourd. Il pencha la
tête et se couvrit le visage avec les deux mains.
—  Qu’est-ce qu’il t’arrive, Papa ?
—  Rien, rien. Où ai-je laissé mon verre ?
—  Là-bas – dit-elle en pointant son doigt sous l’évier. L’homme récupé­
ra le verre et le vida d’un trait.
—  Bon – annonça-t-il, ou tu te mets à l’eau toute seule ou je t’y mets.
Que préfères-tu ?
Elle l’observa quelques secondes, jaugeant la fermeté de sa résolution.
—  D’accord – dit-elle en baissant les yeux.
Il profita du fait qu’elle était distraite pour lui faire des chatouilles et,
tandis qu’elle riait aux éclats, il la souleva, chancelant, et la mit dans la
baignoire.
—  Ah ! Elle est froide !
—  Allons, arrête ton cinéma. L’eau est tiède. Maintenant reste tran­
quille, je vais remplir mon verre.
Lorsqu’il revint, elle s’était habituée à la température de l’eau. Il attrapa
le savon et lui frotta le corps doucement, en faisant mousser abondamment.
—  Quel petit cochon… Tu as de la boue dans les oreilles. Où es-tu donc
allée traîner ?
—  Au parc, on a joué à cache-cache avec Tito, expliqua-t-elle.
—  Tito ? Qui c’est, celui-là ? Vous êtes encore bien morveuse pour avoir
un amoureux.
—  C’est pas mon amoureux. C’est mon ami. Le garçon de l’étage du
dessous.
—  Très ami ?
Elle acquiesça.
—  Hum… C’est un peu suspect, ça. Ferme les yeux, je vais rincer le
shampoing.

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—  C’est bon – dit-il en l’enveloppant avec la serviette. Voilà, tu as l’air
d’une petite fille convenable à présent.
—  Eh, ne frotte pas si fort. Tu me fais mal.
—  N’exagère pas. Allez, lève les bras. Tourne-toi. Il faut bien sécher
ces petites fesses. Tourne-toi encore. Cette petite chose maintenant, tou­
jours aussi pisseuse. Attention, tu vas glisser.
Lorsqu’il eut terminé, il lui fit un bisou bruyant sur le nombril et elle
poussa un petit cri nerveux. Il l’emmena ensuite dans la chambre où il la
mit en pyjama et la coucha.
—  On a dit au dodo, jeune fille.
Il se pencha et l’embrassa sur la joue.
—  Tu piques – se plaignit-elle. Pourquoi tu t’es pas coupé ?
—  Rasé, tu veux dire – la corrigea-t-il en tâtant sa barbe de plusieurs
jours, désordonnée et fournie.
—  Tu ressembles à un ours tout moche.
—  Ah bon ? À ce point ? – dit-il d’une voix distraite. Puis il se redressa
et fit quelques pas hésitants à travers la chambre.
—  Tu vas sortir, Papa ?
—  Sortir ? Non, non. Où diable ai-je mis mon verre ?
—  Tu l’as laissé vers la baignoire.
—  Oui, bien sûr. Quelle mémoire affreuse. Je ne me souviens de rien.
L’homme se dirigea vers la salle de bains.
—  Tu devrais dormir – dit-il en revenant vers la chambre.
—  J’ai pas sommeil.
Il agita le verre, les glaçons tintèrent.
—  J’aime pas ce truc que tu bois – dit-elle.
—  Comment peux-tu le savoir ? Tu as déjà goûté ?
Elle plissa le nez.
—  C’est amer, horrible, pire que mon sirop. Ça m’a presque fait vomir.
—  Bien fait. Tout ça parce que tu mets ton nez là où tu ne devrais pas.
Maintenant, Mademoiselle, je vais éteindre la lumière.
—  Arrête de m’appeler Mademoiselle.
—  Finie la discussion. Il est l’heure de dormir.
—  Tu as mal à la tête, Papa ?
L’homme avait fermé les yeux très fort.
—  Ce n’est rien – dit-il avec un geste de détachement. J’ai un petit peu
mal à la tête. Ça va passer. À demain.
— Papa.
—  Quoi ?
—  T’en va pas.

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Il s’approcha et s’assit au bord du lit.
—  Il est tard, jeune fille – lui dit-il tout en agitant l’épaisseur de sa
douce chevelure brune. Tu dois dormir.
—  Et toi ?
—  Moi aussi. Je vais me coucher d’ailleurs.
—  C’est pas vrai.
—  Tu traites ton père de menteur ?
—  Hier soir tu t’es pas couché.
—  Hier soir ?
—  Oui. J’avais soif, alors je me suis levée pour boire de l’eau et je t’ai
vu debout dans le salon. Tu étais près de la fenêtre, avec ton verre, les yeux
dans le noir. Et ce matin, quand je me suis levée pour aller à l’école, tu étais
toujours là.
—  Je m’étais sûrement levé tôt.
—  Non parce que t’étais tout décoiffé et tu sentais mauvais quand je
suis allée te faire un bisou. Tu t’étais pas lavé les dents…
—  Punaise, rien ne t’échappe à ce que je vois.
Il l’embrassa sur la joue, elle se pendit à son cou et l’attira vers elle.
—  Tu m’embrasses comme dans les films ? – lui susurra-t-elle à l’oreille.
L’homme éclata de rire.
—  Comme dans les films, ah… Et c’est comment ? Je n’en sais rien,
moi.
— Arrête…
—  Quoi arrête…
—  Allez, tu sais bien.
—  À une condition.
—  Laquelle ?
—  Que tu t’endormes une bonne fois pour toutes.
—  À une condition – dit-elle.
—  Quoi ! Tu veux poser des conditions, toi aussi ? Ça ne marche pas
comme ça. – Il essaya de se défaire de ses bras mais elle le retint, approcha
ses lèvres et les pressa contre les siennes.
—  Tu as triché – dit-il, en retirant vite sa bouche. Elle se contenta de le
regarder en silence.
—  Papa – dit-elle au bout d’un moment.
—  Quoi donc.
—  Papa – hésita-t-elle. Papa, je veux dormir avec toi.
—  Je ne crois pas que ce soit une bonne idée – dit-il en se détachant
de son étreinte. Il attrapa le verre qu’il avait laissé sur la table de nuit et

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en but une gorgée. – Cela fait bien longtemps que nous n’avons pas dormi
ensemble.
—  Oui mais cette nuit je veux dormir avec toi.
—  Non, pas cette nuit.
Elle murmura quelque chose d’incompréhensible et détourna le regard.
—  Ne bougonne pas. Tu vas t’enlaidir.
Elle garda le silence.
—  Je peux au moins savoir pourquoi tu veux dormir avec moi cette
nuit ? – dit-il en la cherchant du regard.
—  Il est grand, ton lit – bafouilla-t-elle.
—  C’est vrai – dit-il. Mon lit est grand, trop grand peut-être. Mais ce
n’est pas une raison suffisante, ça.
Elle enfonça son visage dans le coussin. Il lui effleura la nuque du bout
des doigts.
—  Alors ?
Elle regarda le mur et dit :
—  C’est que j’ai peur.
—  Peur ? – répéta-t-il. De quoi ?
—  Je sais pas – gémit-elle, mais j’ai peur.
—  Je peux laisser la lumière de ta chambre allumée.
—  Non, c’est pas ça.
—  Allons, il n’y a pas à avoir peur.
Elle se tourna vers lui. Ses yeux brillaient comme deux sphères ardentes.
—  Ne t’inquiète pas, jeune fille – dit l’homme à voix basse. Tu es avec
moi. On est ensemble. On sera toujours ensemble, tous les deux. Tu sais, tu
es une très jolie petite fille et je t’aime fort. Viens, fais-moi un câlin.
—  Moi aussi je t’aime fort.
—  Fort, c’est tout ?
— Fort-fort-fort.
—  C’est comment, fort-fort-fort ?
—  C’est énormément, quelque chose de très grand.
—  Comment ça, très grand ?
Elle réfléchit.
—  Comme d’ici à la lune – dit-elle finalement.
—  Ça me plaît, ça – dit-il. D’accord, tu as gagné.
L’homme la souleva et elle s’accrocha à son buste avec les deux jambes.
Ils traversèrent le couloir et entrèrent dans sa chambre à lui.
—  Tu vas pouvoir t’endormir maintenant ? – lui demanda-t-il tout en la
bordant.
—  Si tu restes…

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—  Fais-moi une place – dit-il, et il s’étendit près d’elle.
—  Tu vas aller à ton travail, demain ?
—  Bien sûr.
—  Aujourd’hui t’es pas allé.
—  Qui t’as dit que je n’y étais pas allé ?
—  Et hier ? Hier non plus, t’es pas allé. Je le sais parce que t’as oublié
de venir me chercher à l’école et Miss Rita a appelé à ton bureau. Ils lui ont
dit que ça faisait plusieurs jours que tu venais pas.
— Ça alors, on dirait une épouse grincheuse. Laquelle est-ce, Miss
Rita ? Cette grande asperge qui a l’air d’un sac d’os ?
Elle rit.
—  Oui, c’est celle-là.
—  Et bien, il faudra lui dire qu’elle se mêle de ce qui la regarde. Où est
mon satané verre ?
—  Il est resté dans ma chambre.
— Bah…
—  Tu as toujours mal à la tête ?
—  Veux-tu dormir maintenant ? – dit l’homme, en se levant brusque­
ment. Je commence à en avoir marre.
—  Papa – dit-elle gentiment, et elle lui attrapa la main.

Elle dormait la bouche légèrement entrouverte. Il pouvait sentir son


corps tiède, le rythme tranquille de sa respiration. Il aimait veiller son
sommeil mais ne voulait pas prendre le risque de la réveiller. Au bout d’un
moment, il s’écarta doucement et sortit de la chambre.
Il se servit un autre verre, but une longue gorgée et s’approcha de la
fenêtre. La ville était tapie dans la vaste pénombre, sous une traînée de
points lumineux.
Ces douleurs lancinantes dans les tempes, c’était le pire. Tout commen­
çait par une rumeur lointaine qui allait crescendo et finissait en un tumulte
tel que les parois de son crâne se mettaient à trembler. La douleur oscillait
comme la marée du soir, agitée et rugissante.
Une forte brise monta depuis la falaise, accompagnée d’une odeur
rance et lourde qui imprégna ses fosses nasales et se suspendit dans l’air.
L’homme regarda la rue qui s’étirait sur vingt étages, semblable à une
langue humide et brillante. Il avait plu et l’asphalte mouillé reflétait la
lueur des réverbères. Des lambeaux de brouillard se faufilaient comme des
fantômes égarés.

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Il alla à la salle de bains et s’aspergea le visage à l’eau froide. Le miroir
lui renvoya la grimace d’un individu au teint pâle. Il avait la barbe hir­
sute et les yeux rougis d’insomnie. Ses veines tapaient sous ses tempes et
un spasme secoua sa colonne vertébrale. Il s’appuya sur l’évier et essaya
en vain de contrôler ses tremblements. Finalement, il serra les dents avec
rage, se jeta sur ce visage qui se contorsionnait devant lui et le fit voler en
éclats.
Le temps lui était compté. Un filet de sang coulait sur son front. Il ouvrit
les armoires et vida les tiroirs du bureau brutalement, puis finit par distin­
guer le paquet sur l’une des étagères de la bibliothèque. Il déchira l’embal­
lage, sortit les rouleaux de scotch et se dirigea vers le vestibule.
Pendant les minutes qui suivirent, il s’employa à boucher les interstices
entre la porte et l’encadrement avec le ruban adhésif, de manière à ce
qu’elles restent fermées hermétiquement. Il renouvela l’opération sur les
fenêtres du salon, de la salle-à-manger et des autres chambres. Le rouleau
touchant à sa fin, il prit des chiffons pour sceller la porte de service. Puis
il ouvrit le gaz.
Exténué, il s’allongea aux côtés de la petite, tandis que la rumeur cré­
pitait au loin. Bien qu’indomptable, celle-ci avançait lentement, sans pré­
cipitation. Elle se mit à devenir de plus en plus forte et traversa les parois
de son crâne, comme si elles étaient faites de papier. C’était le vacarme
de milliards de sabots qui retentissaient contre la terre dans une course
effrénée.
Il se tourna vers elle, l’entoura de son bras et attendit. Ils étaient tout
près maintenant. D’un coup, il sentit que tout lui échappait – la petite, la
chambre, son propre corps – comme une poignée de sable qu’on s’obstine
à contenir, en vain. C’est alors qu’il les vit. Ils étaient là, les gueules fu­
rieuses, les oreilles dressées et les babines haletantes, se jetant sur lui les
yeux chargés d’un éclat sauvage, lançant des éclairs avec la splendeur gla­
cée d’une horde de chevaux blancs galopants dans les ténèbres de la nuit.

Traduit de l’espagnol par Mélanie Gros-Balthazard.

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Guillermo Niño de Guzmán

Caballos de medianoche

Había vivido y trabajado solo con


la Soledad, mi amiga, y en las tinieblas,
en las noches y en el silencio durmiente
de la tierra había contemplado un millar
de veces el sonido de sus oscuros caballos
arribando. Y había velado la muerte de
mi hermano y de mi padre en las oscuras
vigilias de la noche y, cuando, a su hora,
llegó la figura de la Muerte orgullosa,
yo la había reconocido y amado.

Thomas Wolfe, From Death to Morning

–No me gusta el agua – dijo ella, y dibujó un mohín con los labios –. No
me gusta nada.
–¿Cómo que no te gusta ? – repuso él, mientras la sostenía al borde de
la tina –. A las niñas buenas les gusta el agua y se bañan todos los días.
–Yo no soy una niña buena.
–¿Conque no eres una niña buena ? Entonces, ¿se puede saber qué clase
de niña eres ? Porque si no eres una niña buena tienes que ser una niña
mala…
–Ah, no – elevó la voz –, eso sí que no. Yo no soy una niña mala. Yo
no…
–Bueno – la interrumpió él –, si no eres una niña mala te vas a meter al
agua ahora mismo. Y sin protestar.
–Está fría. No quiero.
–Caramba, no está fría. Ven, dame la mano.
Ella dudó un instante antes de tendérsela. Él tomó aquella mano peque­
ña y blanda que se agitaba como un pez y la sumergió en el agua. Ella dio
un ligero respingo e intentó sacarla, pero él no se lo permitió.

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–¿Ves ? No está fría.
Ella se entretuvo batiendo el agua y pronto deslizó la otra mano.
–Señorita – dijo él –, no hemos venido aquí para un baño de manos. Así
que usted va a entrar al agua de una vez, le guste o no le guste.
Ella lo miró y frunció los labios.
–No me digas así.
–¿Cómo ?
–Que no me digas señorita. No me gusta.
–A usted no le gusta nada. Nunca he conocido una niña tan difícil.
–Es que no me gusta que me digas señorita. No soy tan vieja.
El hombre la miró divertido y empezó a reírse. Sin embargo, su risa se
apagó de repente, interrumpiéndose con un bufido sordo. Inclinó la cabeza
y se cubrió el rostro con ambas manos.
–¿Qué te pasa, papi ?
–Nada, nada. ¿Dónde dejé mi vaso ?
–Ahí está – apuntó ella bajo el lavatorio. El hombre recuperó el vaso y
bebió lo que quedaba de un solo sorbo.
–Bueno – anunció –, o entras por las buenas o entras por las malas.
¿Qué prefieres ?
Ella lo observó durante varios segundos, midiendo la firmeza de su re­
solución.
–Está bien – dijo, bajando la vista.
Él aprovechó su distracción para hacerle cosquillas y, mientras ella esta­
llaba en carcajadas, la levantó en vilo y la metió dentro de la tina.
–¡Ay ! ¡Está fría !
–Vamos, no seas teatrera. El agua está tibia. Ahora quédate quieta que
voy a llenar mi vaso.
Cuando regresó ella ya se había acostumbrado a la temperatura del
agua. Él cogió el jabón y le restregó el cuerpo sin prisa, haciendo abun­
dante espuma.
–Qué chiquita más cochina… Tienes barro en las orejas. ¿Dónde has
estado ?
–En el parque, jugando a las escondidas con Tito – explicó ella.
–¿Tito ? ¿Quién es ese sujeto ? Usted todavía está muy mocosa para an­
dar con novios.
–Tito no es mi novio. Es mi amigo. El chico del piso de abajo.
–¿Muy amigo ?
Ella asintió.
–Hum… Eso suena algo sospechoso. Cierra los ojos que te voy a enjua­
gar el champú.

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–Listo – dijo él, envolviéndola con la toalla –. Ahora sí pareces una niña
decente.
–Oye, no me frotes tan fuerte. Me haces daño.
–No seas exagerada. A ver, alza los brazos. Date la vuelta. Hay que
secar bien el potito. Otra vuelta. Ahora la cosita, siempre tan meoncita.
Cuidado que te resbalas.
Cuando terminó le dio un beso ruidoso en el ombligo y ella soltó un
gritito nervioso. Luego la llevó al dormitorio, donde le puso el pijama y la
acostó.
–A dormir se ha dicho, jovencita.
Se agachó y la besó en la mejilla.
–Pica tu cara – se quejó ella –. ¿Por qué no te has cortado ?
–Afeitado, querrás decir – le corrigió él, palpándose la barba desordena­
da y copiosa de varios días.
–Pareces un oso feo.
–¿Sí ? ¿Tan feo ? – dijo él con voz distraída. Luego se incorporó y dio
unos pasos vacilantes por la habitación.
–¿Vas a salir, papi ?
–¿Salir ? No, no. ¿Dónde diablos he puesto mi vaso ?
–Lo dejaste junto a la tina.
–Sí, claro. Qué memoria. No me acuerdo de nada.
El hombre se dirigió al baño.
–Será mejor que duermas – dijo, volviendo al cuarto.
–No tengo sueño.
Él agitó el vaso, haciendo tintinear los cubos de hielo.
–No me gusta eso que tomas – dijo ella.
–¿Cómo lo sabes ? ¿Acaso lo has probado ?
Ella encogió la nariz.
–Es amargo, horrible, peor que mi jarabe. Casi vomito.
–Bien hecho. Eso te pasa por curiosear donde no debes. Ahora, señorita,
voy a apagar la luz.
–Ya pues, no me digas señorita.
–Se acabó la charla. Es hora de dormir.
–¿Te duele la cabeza, papi ?
El hombre había cerrado con fuerza los ojos.
–No es nada – dijo, haciendo un gesto de poca importancia –. Me duele
un poquito la cabeza. Ya pasará. Hasta mañana.
–Papi.
–¿Qué ?
–No te vayas.

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Él se acercó y se sentó en el borde de la cama.
–Es tarde, jovencita – le dijo mientras le revolvía la suave madeja de su
cabellera negra –. Tienes que dormir.
–¿Y tú ?
–Yo también. Ya me voy a acostar.
–Mentira.
–¿Le llamas mentiroso a tu padre ?
–Anoche no te acostaste.
–¿Anoche ?
–Sí. Tenía sed y me levanté para tomar agua y entonces te vi despierto
en la sala. Estabas junto a la ventana, con tu vaso, mirando la oscuridad.
Y esta mañana cuando me levanté para ir al colegio todavía seguías ahí.
–Seguramente me había levantado temprano.
–No, porque estabas despeinado y olías feo cuando fui a darte un beso.
No te habías lavado los dientes…
–Caray, por lo visto no se te pasa una.
Le dio un beso en la mejilla y ella se colgó de su cuello y lo atrajo hacia
sí.
–¿Me das un beso como en las películas ? – le susurró en el oído.
El hombre lanzó una carcajada
–Como en las películas, ja… ¿Y cómo es eso ? Yo no sé.
–No te hagas…
–Si no me hago…
–Ya pues.
–Con una condición.
–¿Cuál ?
–Te duermes de una vez.
–Con una condición – dijo ella.
–¡Qué ! ¿Tú también quieres poner condiciones ? Así no vale. – Intentó
deshacerse de su abrazo, pero ella lo retuvo y acercó sus labios y los opri­
mió contra los de él.
–Hiciste trampa – dijo él, retirando la boca poco después. Ella se limitó
a mirarlo en silencio.
–Papi – dijo al cabo de un momento.
–Dime.
–Papi – vaciló ella –. Papi, quiero dormir contigo.
–No creo que sea una buena idea – dijo él, desprendiéndose de su abra­
zo. Recogió el vaso que había dejado sobre la mesa de noche y bebió un
trago. – Hace mucho tiempo que no dormimos juntos.
–Sí, pero esta noche quiero dormir contigo.

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–No, esta noche no.
Ella murmuró algo ininteligible y desvió la mirada.
–No seas renegona. Te vas a volver fea.
Ella permaneció en silencio.
–¿Al menos puedo saber por qué quieres dormir conmigo esta noche ? –
dijo él, buscando sus ojos.
–Tu cama es grande – balbuceó ella.
–Es verdad – dijo él –. Mi cama es grande, quizá demasiado grande.
Pero esa razón no basta.
Ella hundió la cara en la almohada y él le rozó la nuca con la yema de
los dedos.
–¿Y bien ?
Ella miró la pared y dijo :
–Es que tengo miedo.
–¿Miedo ? – repitió él –. ¿De qué ?
–No sé – gimió ella –, pero tengo miedo.
–Puedo dejarte la luz encendida.
–No, no es eso.
–Vamos, no hay por qué tener miedo.
Ella se volvió hacia él. Sus ojos brillaban como dos esferas ardientes.
–No te preocupes, jovencita – dijo el hombre en voz baja –. Estás con­
migo. Estamos juntos. Siempre vamos a estar juntos los dos. Sabes, eres
una chiquilla muy linda y te quiero mucho. Ven, abrázame.
–Yo también te quiero mucho.
–¿Solo mucho ?
–Mucho-mucho-mucho.
–¿Cuánto es mucho-mucho-mucho ?
–Es un montón, algo muy grande.
–¿Qué tan grande ?
Ella lo pensó.
–Como ir de aquí hasta la luna – dijo finalmente.
–Eso me gusta – dijo él –. Está bien, tú ganas.
El hombre la alzó y ella apresó su torso con ambas piernas. Salieron al
pasillo y entraron en la habitación de él.
–¿Ahora podrás dormir ? – le preguntó mientras la acomodaba entre las
sábanas.
–Si tú te quedas…
–Hazme sitio – dijo él y se echó junto a ella.
–¿Vas a ir a tu trabajo mañana ?
–Claro.

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–Hoy no fuiste.
–¿Quién te ha dicho que no fui ?
–¿Y ayer ? Ayer tampoco fuiste. Lo sé porque te olvidaste de ir por mí al
colegio y la Miss Rita llamó a tu oficina y le dijeron que hacía varios días
que no ibas.
–Caramba, pareces una esposa gruñona. ¿Cuál es la Miss Rita ? ¿Esa
flaca alta con cara de hueso chupado ?
Ella se rió.
–Sí, esa es.
–Pues habrá que decirle que no meta las narices donde no le importa.
¿Dónde está mi maldito vaso ?
–Se quedó en mi cuarto.
–Bah…
–¿Te sigue doliendo la cabeza ?
–¿Quieres dormirte ya ? – dijo el hombre, levantándose bruscamente-.
Estoy comenzando a hartarme.
–Papi – dijo ella con suavidad y le aferró la mano.

Ella dormía con la boca levemente entreabierta. Podía sentir su cuerpo


tibio, el ritmo sosegado de su respiración. Le gustaba velar su sueño, pero
no quería correr el riesgo de que se despertara. Un rato después se apartó
con cuidado y salió del cuarto.
Se sirvió un nuevo trago, bebió un largo sorbo y se aproximó a la ven­
tana. La ciudad se emboscaba en la vasta penumbra, debajo de un reguero
de puntos luminosos.
Lo peor eran las punzadas en las sienes. Todo empezaba con un rumor
lejano que iba en aumento hasta convertirse en un tumulto que estremecía
las paredes de su cráneo. El dolor oscilaba como la marea que se encrespa­
ba y rugía por la noche.
Una fuerte brisa subió desde el acantilado, trayendo un olor rancio y
pesado que impregnó sus fosas nasales y se estancó en el aire. El hombre
miró la calle que se estiraba veinte pisos abajo, igual que una lengua hú­
meda y brillante. Había llovido y el asfalto mojado reflejaba las luces del
alumbrado. Jirones de niebla se deslizaban como fantasmas extraviados.
Fue al baño y se roció la cara con agua fría. Un individuo de tez pálida le
devolvió una mueca en el espejo. Tenía la barba hirsuta y los ojos enrojeci­
dos de insomnio. Las venas latían bajo sus sienes y un espasmo le sacudió
la columna vertebral. Se apoyó en el lavatorio y trató en vano de dominar

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los temblores. Por último, apretó los dientes con rabia y se lanzó contra ese
rostro que se contorsionaba delante de él y lo hizo pedazos.
Se le acababa el tiempo. Un hilo de sangre descendía por su frente.
Abrió los armarios y vació los cajones del escritorio con brusquedad, hasta
que distinguió el paquete sobre una de las repisas de la biblioteca. Rasgó
la envoltura, sacó los rollos de cinta de embalar y se dirigió al vestíbulo.
Durante los siguientes minutos se dedicó a cubrir las rendijas que había
entre la puerta y el marco con la tira adhesiva, de modo que quedaran her­
méticamente cerradas. Repitió la operación en las ventanas de la sala, el
comedor y las demás habitaciones. Al terminarse la cinta, usó unos trapos
para sellar la puerta de servicio. Luego abrió la llave del gas.
Exhausto, se tendió al lado de la niña, mientras el rumor crepitaba a
la distancia. Este avanzó despacio, sin prisas, aunque de manera incon­
tenible. Fue haciéndose cada vez más fuerte y atravesó las paredes de su
cráneo como si fueran de papel. Era el estrépito de millares de cascos que
retumbaban contra la tierra en una carrera desenfrenada.
Se volvió hacia ella, la rodeó con su brazo y esperó. Ya se encontraban
muy cerca. De pronto sintió que todo se le escapaba – la niña, el cuarto, su
propio cuerpo – como un puñado de arena que uno se empeña inútilmente
en retener. Fue entonces cuando los vio. Allí estaban las fauces furiosas,
las orejas erectas y los belfos resoplantes, arremetiendo con un brillo sal­
vaje en el centro de los ojos, relampagueando con el esplendor helado de
una manada de caballos blancos desbocados en las tinieblas de la noche.

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Antonio Gálvez Ronceros

Jacinto et Manfreda

Jacinto Tezón était un homme timide, solitaire et personne ne pouvait


affirmer l’avoir une seule fois vu avec une femme. Fils unique, il était, à
la mort de ses parents, resté seul là où il avait toujours vécu avec eux, une
maison située au fond de la campagne, avec à l’arrière un verger et plus
loin un champ. C’est là qu’il vivait volontairement reclus, alternant ses
nombreuses journées vides et la culture de ce champ. De temps en temps
une sortie, en général pour régler quelque affaire relative aux cultures,
venait interrompre cette réclusion.
Un jour, quelque part en campagne, il fit connaissance d’une ânesse. Il
l’amena chez lui et l’ânesse devint sa femme, la femme de Jacinto Tezón.
Car ce garçon de constitution robuste et d’une vingtaine d’années qu’était
Jacinto Tezón souffrait, du fait de sa timidité et de sa solitude, du désir très
pervers de faire l’amour avec une ânesse.
Il était aux petits soins envers elle. À tel point qu’il évitait de s’en servir
dans les tâches qui, à la campagne, sont réservées à ces quadrupèdes. Il
avait, à cet effet, un vieil âne que lui avaient laissé ses parents.
L’ânesse de toutes les attentions de Jacinto Tezón était une manfreda,
nom que l’on donne dans cette contrée à toute ânesse dont la cavité géni­
tale est d’une telle étroitesse, à la limite de la fermeture, qu’elle empêche
les ânes de les monter quand elles sont en chaleur. Elles sont alors toujours
bien disposées et se soumettent facilement au dépravé fougueux qui brûle
de faire l’amour avec une ânesse.
Les paysans des environs étaient très au courant de ce qui se passait chez
Jacinto Tezón. Mais quand, dans de très rares occasions, ils se trouvaient
face à lui, ils ne montraient absolument pas qu’ils connaissaient l’affaire.
À quoi bon s’étonner des histoires entre mari et femme, expliquaient-ils en
se retenant de rire, hé hé. Ce qui se passe entre eux, hé hé, est aussi naturel
que les histoires de couple, hé hé. Même si elle est quadrupède, hé hé, il
s’agit bien d’un couple, oh oh oh.

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Jacinto Tezón avait-il fait connaissance de cette manfreda lors d’une
réunion, d’une promenade ou dans un bal ? Non, non, Monsieur, Jacinto
Tezón l’avait achetée. Il l’avait achetée à un certain Nino, qui vit du côté de
la Toma del Lúcumo.
C’est ce qu’affirmait un vieux aux yeux nerveux à quiconque était prêt à
l’écouter. Et il en racontait les circonstances : Jacinto Tezón se présenta un
jour chez Don Nino. Il venait lui acheter les bambous dont il avait besoin
pour couvrir une charpente. Don Nino le fit passer au fond de la maison, là
où commençait un jardin. Il fit aussi entrer le vieil âne avec lequel Jacinto
Tezón était venu. Il invita Jacinto Tezón à s’asseoir et lui servit un pichet
de chicha.
Et la manfreda en était là. Tout à côté du jardin. À quelques mètres.
Dormant immobile.
Don Nino se mit à parler d’inondations, mauvaises herbes, vers nuisibles
et autres choses qui perturbent les cultures, tout en choisissant sur un tas
les bambous que Jacinto Tezón allait emporter. Mais Jacinto Tezón cessa
vite de lui prêter attention : depuis qu’il s’était assis, il avait les yeux fixés
sur la manfreda. Don Nino n’arrêtait pas de parler et Jacinto Tezón ne pou­
vait pas davantage détacher ses yeux de l’animal.
Jusqu’à ce que Jacinto Tezón sans doute sous l’effet de voluptueuses
pensées déclenchées par la présence de la manfreda (ce qui est propre
à tous les détraqués sexuels), demande à don Nino avec une maladresse
angois­sée  :
—  Dîtes donc, elle est à vendre ?
—  Qui ça ? dit don Nino, qui ne semblait pas comprendre.
—  Celle-là, là-bas.
Don Nino ne faisait pas grand cas de cette ânesse. Il savait bien que
c’était une manfreda. Et que, de ce fait, elle ne pouvait avoir de petit parce
qu’aucun âne ne pouvait la monter. Cette ânesse était en outre devenue
vicieuse, comme on appelle dans ces campagnes les plantes qui, erreur
de la nature, consacrent leur énergie à produire un abondant feuillage à la
place de fruits. Et l’ânesse était épanouie, toute en chairs tendres. Comme
toute manfreda.
De sorte que don Nino fut affirmatif, oui elle était bien en vente.
—  Et si tu connais quelqu’un qui aimerait avoir une ânesse, dis-lui que
je peux la vendre.
—  Moi, dit Jacinto Tezón.
Mais aussitôt Jacinto Tezón se décomposa car il lui semblait maladroit
d’avoir si vite ouvert la bouche. En plus il venait de se dire qu’il y avait
sans doute un sous-entendu dans cette remarque de don Nino « quelqu’un

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qui aimerait avoir une ânesse ». Et le doute s’emballa et il eut un vrai soup­
çon : il ne savait plus si don Nino avait dit « quelqu’un qui aimerait avoir
une ânesse » ou « quelqu’un qui aimerait une ânesse ». Il en devint rouge
écarlate. Puis il essaya de détourner l’attention :
—  Cette ânesse est ben bonne pour être chargée. Elle en a un ben beau
corps.
Mais il crut avoir empiré les choses, qu’est-ce que don Nino avait bien
pu penser du verbe « être chargée » Et alors qu’il imaginait que don Nino
pensait « bien sûr, je sais bien de quelle charge tu veux parler, fils de bour­
rique », il l’entendit dire :
—  Elle vaut cinq cents sols.
Jacinto Tezón sortit de chez don Nino avec deux quadrupèdes. Il envoya
le vieil âne devant, croulant sous le poids des bambous. Et lui rentra mon­
té­sur la manfreda. Bien posé sur sa croupe. Là où commence la queue.
Presque au bord.
Don Nino qui avait fait l’imbécile car il savait très bien pour quelle rai­
son il la voulait, dit en voyant Jacinto Tezón s’éloigner :
—  En voilà un vrai fils de bourrique. Il veut la monter tout de suite.

Chaque après-midi, Jacinto Tezón faisait une balade au milieu des arbres
et arbustes de son jardin. Il enserrait la longue encolure, jetant de temps
en temps des coups d’œil sur la croupe charnue. Parfois il s’arrêtait et la
regardait longuement dans les yeux. Puis il aspirait profondément l’arôme
des pommiers, pruniers, manguiers et des nombreuses herbes qui envahis­
saient le verger. À un certain moment, elle et lui semblaient se fondre en
un seul corps, puis ils rentraient dans la maison.
Mais la vie heureuse de Jacinto Tezón était surveillée en secret, sans
relâche par un voyeur. Tapi derrière un muret, grimpé dans un arbre ou
caché dans les broussailles du verger, le voyeur, énorme, obstiné, épiait
le couple. C’était lui aussi un dépravé. Il souffrait de la même perver­
sion sexuelle que Jacinto Tezón et se sentait frénétiquement excité par
la manfreda. Désespéré, désirant follement mater de beaucoup plus près
l’inti­mité du couple, le voyeur avait à plusieurs reprises pris le risque de
ramper, couvert de branches pour éviter d’être repéré, comme un arbuste
ambulant, jusqu’à se poster à un mètre du couple, et rester là, immobile, en
nage, retenant son souffle agité, les yeux écarquillés.
Le voyeur s’appelait Tomás Pacherres. Un homme courtaud, d’une qua­
rantaine d’années, au regard fuyant. Plus précisément, ex-fusilier marin.
Tomás Pacherres vivait dans une maison voisine de celle de Jacinto Tezón.
Et elle avait aussi, à l’arrière, un verger et plus loin un champ.

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S’ensuivirent dès lors des soirées lourdes d’angoisse pour Jacinto Tezón.
Tandis qu’il était dans le jardin en compagnie de la manfreda, il sen­
tait par moments un poids étonnement irréel peser sur ces épaules. Au
début, il s’efforça de ne pas lui donner d’importance. Cependant, bien vite,
il se mit à suffoquer, son humeur en fut chamboulée car il lui fallait lutter
pour éviter que le poids l’écrase au sol. Il y eut des jours où il crut que le
poids s’approchait discrètement comme s’il s’agissait de la prolongation
de quelque chose qui se tenait quelque part dans le verger. Il se retournait
alors de façon intempestive, regardait partout, mais ne voyait rien de pré­
cis. Un jour, en se retournant, il crut apercevoir pendant un instant furtif,
la silhouette d’un homme disparaître derrière des arbustes. Il se précipita
dans cette direction : il n’y avait personne. Dès lors il se retourna de plus
en plus prestement et chaque fois il lui semblait voir l’homme, toujours très
brièvement. Et, avec cette image de l’homme gravée dans son cerveau, il
se mettait à le chercher aussi vite que possible mais il devait admettre que
l’endroit était vide. Jacinto Tezón crut devenir fou.
Jusqu’à ce qu’un soir, il pût voir l’homme assez longtemps pour com­
prendre que ce n’était pas une hallucination : grimpé sur le mur mitoyen
du verger, Tomás Pacherres fixait Jacinto Tezón. Sans craindre d’être vu.
Se montrant en entier et pendant un long moment, sa présence semblait
un défi, comme si Tomás Pacherres avait ainsi l’objectif de se venger de
quelque chose que Jacinto Tezón ne pouvait comprendre. Jacinto Tezón lui
lança rageusement une pierre. Tomás Pacherres la reçut en pleine poitrine
et tomba en arrière, de l’autre côté du mur, dans son propre verger. En
ressassant l’affaire cette nuit-là, Jacinto Tezón en vint à soupçonner Tomás
Pacherres de désirer ardemment la manfreda.
Un jour Jacinto Tezón dut s’absenter quelques heures et, à son retour, il
ne trouva pas la manfreda. Le cœur lui bourdonnant dans les oreilles, il la
chercha dans le verger et puis à nouveau dans la maison sans la trouver. Il
courut chez Tomás Pacherres, frappa à sa porte avec insistance, l’appela
à grands cris, mais Tomás Pacherres, le seul habitant de cette maison, ne
se montra pas. Furieux, Jacinto Tezón défonça la porte et entra. Il chercha
dans toutes les pièces, sortit dans le verger, le fouilla entièrement et ne
trouva personne. Assis par terre, le dos contre la façade de la maison de
Tomas Pacherres, il attendit que celui-ci revienne. Mais la nuit arriva, puis
le froid du petit matin et Tomas Pacherres ne revenait pas. Jacinto Tezón
dut admettre, tristement, qu’il lui avait enlevé la manfreda.
Après avoir vécu pendant des mois comme un fuyard dans différents
villages de la vallée en compagnie de la manfreda, Tomás Pacherres s’ins­
talla comme journalier dans une ferme isolée, proche de la frontière avec

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l’Équateur. Il vivait avec la manfreda dans une des cabanes que le pro­
priétaire de la ferme réservait aux journaliers. Les cabanes jouxtaient et
s’ouvraient sur l’arrière sur un vaste enclos pour les ânes qui donnait sur
la campagne.
On trouva Tomas Pacherres dans cet enclos. Il était raide, lardé de coups
de couteau. On le trouva à l’aube, les yeux ouverts et congelés comme s’ils
étaient en verre. On l’avait assassiné vers minuit et dans ce même enclos,
à en juger par la raideur du cadavre et l’immense mare de sang noir déjà
coagulé qui lui servait de couche inattendue. Deux ans s’étaient écoulés
depuis le jour de l’enlèvement.
Profitant de son avance avant le lever du jour, l’assassin put atteindre la
frontière et l’on perdit sa trace en Équateur. On sait, toutefois, qu’il vécut
pendant cinq ans, sur le qui-vive entre l’Équateur, la Colombie, le Vene­
zuela et le Panama et qu’ensuite il s’enfuit vers l’Europe où il coule main­
tenant des jours paisibles.

Chaque soir, un homme retrouve dans un café parisien quelques intel­


lec­t uels et artistes avec lesquels il discute longuement. Ce café c’est l’Old
Navy sur le boulevard Saint-Germain. L’homme est accompagné d’une
femme, qui est toujours la même. Une femme d’une stature impression­
nante qui ne parle jamais. Elle porte une robe ample et exagérément
longue, qui traîne par terre, ce qui conduit certains habitués à imaginer
que sa haute taille lui vient de talons très hauts qu’elle s’efforce de cacher.
Son cou est étonnamment long et épais et il est entièrement couvert par
les nombreux rangs de son collier. Et sous un bonnet qui empêche de voir
son crâne et ses oreilles, on découvre un visage aux grands yeux de côté
qui donne la déconcertante impression d’être le long visage d’une ânesse.

Traduit de l’espagnol par Françoise Garnier.

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Antonio Gálvez Ronceros

Jacinto y Manfreda

Jacinto Tezón era un hombre tímido, solitario y nadie podía afirmar ha­
berlo visto alguna vez con una mujer. Hijo único, a la muerte de sus padres
quedó solo donde siempre había vivido con ellos, una casa situada campi­
ña adentro, que tenía detrás una huerta y más allá un campo de labranza.
Ahí vivía recluido voluntariamente, alternando sus numerosos días vacíos
con el cultivo de ese campo. Una que otra salida, por lo general para ajus­
tar algún negocio vinculado a los cultivos, alteraba la reclusión.
Un día, en algún lugar de la campiña conoció a una burra. Se la llevó a
casa y la burra pasó a ser su mujer, la mujer de Jacinto Tezón. Porque a ese
mozo de gruesa contextura y veinte años encima que era Jacinto Tezón, la
timidez y la soledad le habían encajado el desviadísimo deseo de hacer el
amor con una burra.
La cuidaba mucho. Tanto que evitaba ocuparla en las tareas que suelen
realizar en el campo estos cuadrúpedos. Para esas tareas disponía de un
burro viejo que le habían dejado sus padres.
La burra de los desvelos de Jacinto Tezón era una manfreda, que así
llaman en esa campiña a toda burra cuya cavidad genital adolece de una
estrechez imprudente, poco menos que de clausura, que impide al burro
cubrirlas cuando están en celo, por lo que siempre viven dispuestas y son
fáciles de someterse al ardentísimo malogrado que ande desbordándose
por hacer el amor con una burra.
Los campesinos de las inmediaciones estaban muy enterados de lo que
ocurría en casa de Jacinto Tezón. Pero cuando muy de tarde en tarde se
daban de cara con él, no hacían el menor gesto que revelara que estaban
en conocimiento del asunto. Para qué asombrarse con cosas de marido y
mujer, comentaban, jijí, sujetando la risa. Lo que ocurre entre ellos, jijí,
es natural como son las cosas de matrimonio, jijí. Porque aunque ella sea
cuadrúpeda, jijí, se trata de un matrimonio, jojó.

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¿Que Jacinto Tezón conoció a la manfreda en una reunión, en un paseo
o en un baile ? No, señor. Jacinto Tezón la compró. Se la compró a un tal
Nino, uno que vive allá por la Toma del Lúcumo.
Eso sostenía un viejo de ojuelos movedizos a todo el que estaba dis­
puesto a escucharlo. Y contaba las circunstancias : Jacinto Tezón apareció
un día en casa de don Nino. Fue a comprarle unas cañas de guayaquil que
necesitaba para techar una enramada. Don Nino lo hizo pasar al fondo de
la casa, ahí donde empezaba una huerta. Hizo pasar también al burro viejo
con el que Jacinto Tezón había ido. Le invitó asiento a Jacinto Tezón y le
sirvió una jarra de chicha.
Y Ahí estaba la manfreda. A un ladito de la huerta. A pocos metros de
ellos. Durmiendo parada.
Don Nino se puso a hablar de aniegos, malas yerbas, gusanos dañeros y
otros asuntos que turban el cultivo de las plantas, mientras iba escogiendo
de una ruma las cañas que Jacinto Tezón se iba a llevar. Pero Jacinto Tezón
pronto dejó de prestarle atención : desde que había tomado asiento tenía
los ojos clavados en la manfreda. Don Nino no paraba de hablar y Jacinto
Tezón tampoco desclavaba los ojazos de encima del animal.
Hasta que Jacinto Tezón, tal vez porque se le habían desatado pensa­
mientos placenteros acerca de la manfreda (como corresponde a todo ma­
logrado del sexo), le preguntó a don Nino, con torpe ansiedad :
–¿La vende usté, diga ?
–A quién – dijo don Nino, que parecía no estar en el asunto.
–A esa que está ahí.
Don Nino no tenía en buena apreciación a la burra del caso. Sabía que
le había resultado manfreda. Y que por ser manfreda no podía tener cría
porque ningún burro podía ayuntarla. Esa burra, además, se había ido en
vicio, como en la campiña se dice de la planta que por error de la naturale­
za orienta su vitalidad a producir hermosa frondosidad en lugar de frutos.
Y la burra era corpulenta, llena de blandas carnes. Como toda manfreda.
De modo que don Nino dijo que sí, que sí estaba en venta.
–Y si conoces a alguien que quiera una burra, dile que se la puedo ven­
der.
–Yo – dijo Jacinto Tizón.
Pero en seguida Jacinto Tizón se descompuso porque le pareció mal
haber abierto la boca tan de prisa. Además, acababa de sospechar que eso
de « alguien que quiera una burra » lo había dicho don Nino quizás con
segunda intención. Y en su turbación se le desbocó la sospecha hasta pro­
vocarle una duda : ya no supo si don Nino había dicho « alguien que quiera

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una burra » o « alguien que quiera a una burra ». Y acabó por enrojecer
intensamente. Entonces trató de desviar el asunto :
–Esa burra ta güena pa la carga : tiene güen cuerpo.
Pero creyó que había empeorado las cosas, pues ¿qué rumbo le habría
dado don Nino a la palabra carga ? Y cuando imaginaba que don Nino
estaba pensando « sí, ya sé a qué carga te refieres, hijo de burro », oyó que
estaba diciendo :
–Cuesta quinientos soles.
Jacinto Tezón salió de la casa de don Nino con dos cuadrúpedos. Al bu­
rro viejo lo mandó a casa por delante, casi aplastado por la carga de cañas.
Y él se fue montado en la manfreda. Sobre las ancas. Y aun así, arrimado
un poco más atrás. Ahí donde nace la cola. Casi al borde mismo.
Don Nino, que se había hecho el del limbo porque bien sabía para qué la
quería, dijo mientras Jacinto Tezón se alejaba :
–Hijo de burro mismo es. Desde ahora quiere ayuntarla.

Todas las tardes Jacinto Tezón daba un paseo con la manfreda por en­
tre los árboles y arbustos de su huerta. Avanzaba ciñéndole con el brazo
el largo pescuezo, observándole de vez en cuando las carnudas ancas. A
veces se detenía y la miraba largamente a los ojos. Luego aspiraba con
hondura el aroma de los manzanos, de los durazneros, de los mangos y de
las variadísimas hierbas que poblaban la huerta. En un momento ella y él
parecían fundirse en un solo cuerpo, después de lo cual volvían al interior
de la casa.
Pero la vida feliz de Jacinto Tezón era vigilada en secreto, sin respiro
por un mirón. Oculto tras una tapia, trepado en un árbol o metido entre
la maleza de la huerta, el mirón espiaba a la pareja, desmesurado, tenaz.
Se trataba de otro malogrado. Adolecía de la misma desviación sexual de
Jacinto Tezón y se sentía atraído con turbulencia por la manfreda. Deses­
perado, casi loco por el deseo de ver mucho más de cerca las intimidades
de la pareja, algunas veces el mirón había tenido la audacia de ir, con unas
ramas por delante para evitar ser descubierto, arrastrándose como arbusto
que caminara hasta plantarse a un metro de la pareja y permanecer ahí,
quieto, empapado, controlando la respiración agitada, observando con ojos
de linterna.
El mirón se llamaba Tomás Pacherres. Un hombre bajito, cuarentón, de
mirada oblicua. Para más señas, exinfante de marina. Tomás Pacherres
vivía en una casa contigua a la de Jacinto Tezón. Y la suya tenía también,
por la parte de atrás, una huerta y más allá un campo de labranza.

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Entonces comenzaron unas tardes cargadas de desasosiego para Jacinto
Tezón. Mientras permanecía en la huerta acompañado de la manfreda,
sentía por momentos el peso de algo extrañamente inmaterial sobre sus
espaldas. Al principio trató de no darle importancia. Pronto, sin embargo,
empezó a sofocarse y el ánimo a revolvérsele, porque tenía que oponer
resistencia para impedir que el peso lo aplastara contra el suelo. Hubo días
en que creyó que el peso se venía con sigilo como si fuera la prolongación
de algo que se mantenía en algún lugar de la huerta. Entonces se volvía de
manera repentina, miraba a todos lados, pero no veía nada distinto. Un día,
al volverse, creyó distinguir durante un fugacísimo instante la figura de
un hombre que desaparecía tras unos arbustos. Fue corriendo hacia allá :
no había nadie. Desde entonces empezó a volverse con mayor rapidez y
en cada caso creía ver al hombre, siempre por momento brevísimo. Y con
la imagen del hombre fija en su cerebro iba a buscarlo tan pronto como
podía, pero se daba con que el lugar estaba vacío. Jacinto Tezón creyó que
se estaba volviendo loco.
Hasta que una tarde pudo contemplar al hombre como para saber que no
era una alucinación, pues supo de quién se trataba : parado sobre la tapia
medianera de la huerta, Tomás Pacherres tenía la mirada fija en Jacinto
Tezón, sin importarle ser visto. Exhibiéndose de cuerpo entero y por tiem­
po prolongado, su presencia parecía un desafío, como si con ello Tomás
Pacherres tuviera el propósito de vengarse por algo que Jacinto Tezón no
lograba entender. Jacinto Tezón le arrojó con rabia una piedra. Tomás Pa­
cherres la recibió en el pecho y cayó hacia atrás, hacia el otro lado de la
tapia, hacia su propia huerta. Meditando en el percance, esa noche Jacinto
Tezón quedó con la dolorosa sospecha de que Tomás Pacherres deseaba
con ardor a la manfreda.
Un día Jacinto Tezón tuvo que ausentarse de casa unas horas y al volver
no encontró a la manfreda. Con el corazón golpeándole los oídos, la buscó
en la huerta y luego otra vez en los interiores de la casa y tampoco la en­
contró. Corrió a casa de Tomás Pacherres, golpeó con insistencia la puerta,
lo llamó a gritos, pero Tomás Pacherres, el único que habitaba esa casa,
no salió. Jacinto Tezón, enfurecido, derribó la puerta y entró. Buscó en las
habitaciones, salió a la huerta, la revisó de punta a cabo y no encontró a
nadie. Sentado en el suelo y apoyada la espalda en el frontis de la casa de
Tomás Pacherres, ese día Jacinto Tezón esperó que volviera. Pero llegó la
noche, luego el frío de la madrugada y por fin el amanecer y Tomás Pa­
cherres no volvió. Jacinto Tezón tuvo que admitir, con pesadumbre, que le
había raptado a la manfreda.

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Meses después de vivir huyendo por diferentes poblados del valle en
compañía de la manfreda, Tomás Pacherres se instaló de peón en un apar­
tado fundo, muy cerca de la frontera con la república de Ecuador. Vivía
con la manfreda en una de las casuchas que el propietario del fundo tenía
destinadas a los peones. Las casuchas colindaban y estaban abiertas por
atrás hacia un extenso corral de burros que daba al campo.
A Tomás Pacherres lo encontraron en ese corral. Estaba tieso, cosido a
puñaladas. Lo encontraron en el amanecer, con los ojos abiertos y congela­
dos como si fueran de vidrio. Lo habían asesinado cerca de la medianoche
y en ese mismo corral, a juzgar por lo tieso del cadáver y el inmenso y
oscuro charco de sangre ya coagulada que le servía de inesperado lecho.
Habían transcurrido dos años desde el día del rapto.
Con la ventaja de las horas previas al amanecer, el asesino alcanzó la
frontera y sus rastros se perdieron en Ecuador. Se sabe, sin embargo, que
durante cinco años vivió a salto de mata entre Ecuador, Colombia, Vene­
zuela y Panamá y que al cabo de ese tiempo fugó a Europa, en donde ahora
lleva una vida libre de sobresaltos.

Todas las noches un hombre se reúne en un café de París con algunos


intelectuales y artistas e inicia una larga tertulia. El café es el Old Navy
del bulevar Saint-Germain. El hombre llega acompañado de una mujer,
que siempre es la misma. Una mujer de estatura agigantada, quien nunca
habla. Ella luce holgado faldón que se excede de largo y cuyos bordes
arrastra por el piso, lo que mueve a los contertulios a conjeturar que la
desmesura de talla le venga de unos tacones altísimos que se esmera en
ocultar. Un cerrado mantón que cae hasta poco más abajo de la cintura
le oculta las manos y los brazos, que al parecer mantiene cruzados sobre
el pecho. El cuello es asombrosamente largo y grueso y está cubierto en
su totalidad por un collar de muchas vueltas. Y bajo un gorro que impide
verle el cráneo y las orejas, se advierte un rostro de grandes ojos laterales
que a veces, bien mirado, produce la desconcertante impresión de ser el
alargado rostro de una burra.

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Carmen Ollé

Une jeune fille sous son parapluie (extrait)

Que diable devrions-nous appeler chance ? Tant d’heures de solitude,


des jours entiers sans croiser personne. Nos mines tendues, blessées. Rien
que la pluie. La pluie qui déplie les parapluies, dissimule les visages des
passants et les abrite dans ses caniveaux bourgeois de Sèvres-Babylone, et
moi, dans cet appartement luxueux du Quartier Latin, seule au milieu du
désordre de sa propriétaire. Je déambule entre les fourrures qui jonchent
le tapis. L’aspirateur dévore un bout de cordon électrique et l’apparte­
ment sent le caoutchouc brûlé. Sous le guéridon, je cache le fil de fer pelé.
J’ouvre volets et fenêtres malgré le froid et la pluie.
Rien dans le réfrigérateur, des restes du petit-déjeuner sur le marbre de
la cuisine, les morceaux d’un verre cassé et des tâches de vin sur le carre­
lage. Dans la chambre : des vêtements, encore des vêtements à ranger. Au
beau milieu de cet ennui, une petite lueur s’éclaire. Un volume ancien de
Verlaine dans la bibliothèque, jauni et poussiéreux, que je sors de l’étagère
et cache vite dans mon sac à main, entre deux foulards de soie indienne.
Enrique et moi solitaires cet après-midi. Mes mots roulent sur le tapis.
Au lit, nos corps nus expieront leurs formes, redoubleront de plaisir, effa­
ceront les esprits.
J’habille la petite et monte chez María. L’odeur du ragoût m’envahit
jusqu’au palier du quatrième étage. J’entends les pleurs des enfants et ne
peux réprimer une grimace.
Un ailleurs, un bar ou une tendresse inconnue qui échappe à ce ventre
nocturne. Où trouver refuge cette nuit avec une petite-fille, à l’abri du froid
et du sommeil qui la couchera dans quelques heures. Affairée, María est
silencieuse, aux fourneaux pour le dîner. La télévision allumée. Je tourne
les choses dans ma tête encore et encore, tentant de trouver le moindre sub­
terfuge qui m’empêcherait de m’asseoir mécaniquement face au téléviseur,
les pensées obturées comme un vieux lavabo. La chaise au même endroit.
Moi, incapable de m’aventurer dans les rues ou les cafés pour saluer ces

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inconnus qui boivent et posent leur menton sur le bord de leur verre. Mon
Dieu, quel besoin de mettre le bazar dans cette partie de l’hémisphère.
—  Tu as mangé ?
— Merci.
María m’informe de la marche du monde. Comme moi, elle est seule ce
soir, le dîner est prêt. Si nous pouvions faire trempette à neuf heures du
soir dans la piscine chauffée et laver notre fatigue !
Sans le vouloir, je pense au pubis de cette fille cet après-midi dans
le métro. Serrés les uns contre les autres par la foule, ses cuisses proé­
minentes collées derrière moi, son pubis emboîté sur mes fesses. Quelle
sensation sans lendemain, quelle jubilation passée sous silence et pleine
d’érubescence. Moi rougissante face à ce désir, incapable de me mouvoir
d’un millimètre.
Je n’ai vu son visage qu’au moment de nous séparer, son sourire cynique
et délicat sur ses lèvres grenat et ses joues rosies par la température du
wagon.
María n’imagine pas le cours de mes pensées, continue de parler des
explosions atomiques et savoure le locro en m’invitant à goûter la purée de
poivrons chinoise.
Les enfants jouent sous la table, tirent mon sac, se pendent au comptoir.
María, les yeux brillants sous l’effet du piment, poursuit sa dégustation du
locro fumant.
De nouveau ce pubis chaud comme aucun autre. Je dois y aller, il faut
que j’y aille ! Mais comment briser le silence.
La rue opaque, dénuée des feux agressifs des automobilistes.
Si nous atteignions les bois comme deux vieux amants, Enrique et moi
ferions l’amour sous les marroniers, entre les prostituées et les fainéants.
Je laisse María, les enfants, les essais atomiques et les lancements de
fusées derrière moi. Ce monde ressemble à un flacon de formol où nos
dépressions restent intactes. Quel voleur prendrait ce trésor ? Certaines
chambres ont été saccagées par des mains douées dans l’art de fracturer
les serrures mais pas dans le choix des objets. Ils ont emporté l’argent de
Sarah, une petite bague fantaisie et un paquet de Rothmans entamé. La
disparition de ce décor enfantin est peut-être l’unique trait de sincérité de
ce cambrioleur fumeur.
À mon retour, dans le couloir, j’entends le bruit du clavier de la machine
à écrire. Il semble provenir de ma chambre et j’ai envie de crier, de taper à
toutes les portes de l’immeuble et de dire bonsoir, bonsoir, bonsoir, Carol.
Ma voisine, la femme aux porte-clés et au sourire aimable mais déplaisant
rentre elle aussi, rousse et sombre.

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Juste un bonjour furtif à la petite.
Carol et moi prenons l’ascenseur et gardons les yeux rivés sur les grilles
de la porte. Puis Carol disparaît dans les toilettes du palier sans tourner la
tête.
En rentrant, j’aperçois sur le marbre de la cheminée une boîte de sar­
dines ouverte et une pile de livres sur le lit. Il n’y a personne, la tendresse
m’étouffe.
Je dépose la petite sur le matelas et prends un Valium, ces calmants qui
protègent le silence de notre explosion.
10 heures du soir environ. À cette heure-ci, France-Inter ne fonctionne
plus.
Le règlement de l’immeuble interdit le moindre vacarme. Je sens la
langue frite. Carol ? En train de préparer le dîner. L’odeur acide de la sauce
en boîte filtre jusqu’à ma chambre.
Trois coups à sa porte, trois coups et de nouveau le silence. Ma voisine
est chanceuse ce soir. Elle a de la langue frite et une amie qui ne s’échap­
pera pas si vite.
Enrique débarque radieux. La rue est un parfum de marronniers sur sa
veste. Il est allé voir Rimpoche, le maître bouddhiste. Une femme blonde,
la gardienne de l’immeuble, l’a conduit jusqu’à la porte mystérieuse. En­
rique s’est arrêté pour regarder la blonde derrière la vitre. Trois femmes lui
ont souri cette fois-ci. Dans ses yeux, un beau bouquet d’étincelles mali­
cieux. Qu’en sera-t-il de mes plans de ce soir, me demandé-je.
Sa joie m’emporte grâce aux détails de cette virée nocturne : la rue, la
femme dans le métro, la gardienne penchée sur la table à repasser derrière
la porte vitrée, ces femmes qui se pendent à ses lèvres, qui sont Yocas­
ta-Helena-Ofelia, autres sibylles des nuits européennes.
Et bien sûr, la rue était là, les amis, entendre de leur bouche que j’existe,
que tout n’est pas fondu dans la brume, dans la routine inerte de signaux
sans destinataires et de messages qui se fracassent contre les murs comme
des encriers fous. Pouvoir se cramponner aux amis, un verre qui trinque
avec un autre, des lèvres qui donnent en retour avec la même intensité.
Pour eux je serais capable d’abandonner mon bastion y de me mêler à la
foule ou aux habitués d’un bar quelconque : les amis !
Ayant pris des chemins désormais différents, les alliances de jadis se
sont effondrées. Je trinquerai à ta santé, ma vieille Iris, dans une cantine
de Lince, ou au Danton, qu’importe ! La solitude m’encercle de son lierre
métallique, mon univers sort de son orbite et roule à travers ce monde de
visages inconnus.

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Une heure de balade suffit à nous montrer que la ville est énorme et
que nous voguons sur elle sans Charon. Une heure dans un bar ou sur une
petite place, à l’abri des brouilles familiales, des inquiétudes mesquines :
se battre pour travailler et survivre. Nous aurions aimé vivre livrés à la
contemplation et dans l’attente, comme dirait Pound, de l’apparition de ces
visages au milieu de la foule, désormais fanés sur un fil métallique.
Ah, l’état d’âme est un radar arbitraire. Sur une petite place de Rodier,
j’ai vu un vieux barbu grisonnant, un petit vieux qui épluchait une banane.
Était-ce ou non le vieil Héraclite de notre époque ? En lui, nous voyons
seulement la misère et le dépouillement.
De cette marée humaine, que je ne traverserai plus deux fois, je garde
un vague souvenir servant à annoter en lettres majuscules la même sen­
sation d’infortune. Vieil Héraclite abandonné, je ne te reverrai plus ail­
leurs qu’au fil de ces pages, planches de mes pas perdus sur des che­
mins déjà tant empruntés par nombre de piliers de la littérature : Miller,
Hemingway, Gertrude Stein, Vallejo, Neruda, Ehrenburg, et maintenant
par mes tendres poètes : Enrique, Óscar, José, Patrick, Elqui, et leurs
belles femmes enragées.
Je trinquerai à toi mon vieil écureuil, mein Fischlein. Ton regard enve­
loppait et réchauffait ma silhouette dans les rues de Lima. Tes mots étaient
tintés de fureur et de joie. La Maga n’est plus là aujourd’hui, m’entends-tu
toujours ? Tu te volatilises devant cette question. L’avenue Henri-Martin
est si longue ! Elle semble avoir été ainsi construite pour laisser à nos pas
le temps de la réflexion jusqu’au restaurant universitaire de Dauphine.
En arrivant, je ne trouve pas tes tresses, ni ton peigne, ni ta voix cassée
qui révélait cette tendresse adolescente. Je la buvais comme un cocktail
de roses. C’est Nanette que je trouve et retrouverai dans ce journal, re­
cherchée et désirée à Paris. Nanette, que j’ai perdue par négligence, parce
que je n’ai pas pu l’appeler à temps pour lui dire au revoir. Oui, au revoir
Nanette, je m’en vais.
Paris éloigne de moi ce doux pichet de vin. Je n’entends pas ta voix dans
l’appareil. Je n’entendrai plus jamais ta voix et j’ignore ton nom de famille.
Le bon fleuve d’Héraclite s’est de nouveau moqué de moi. Le sphynx qui
accompagnait ces lignes pour éviter le repli sur soi, le pire mal du siècle,
pas la mélancolie.
À l’autre bout du fil, Nanette m’aurait dit au revoir naturellement. Toi, tu
ne croyais pas à la distance. Ce mythe. Ce suspens des lignes aériennes et
des compagnies privées. Tu as exploré les fonds de la ville à la recherche
de Mohammed, de cet Umar Abi Rabi aimé à son insu. De la même ma­

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nière que je l’aimais elle, dans la rage et le dépit. Partout où tu iras, où tu
arriveras, je dépose ces vers volés à la légende
« Pourvu que le jour décrété de ma mort j’embrasse ta bouche et ce que
tu as entre les yeux ! »
Nous poursuivons toutes deux nos chemins respectifs, guidées par les
mugissements de cette ville que j’aime sans excuses.
« Pourvu que ta salive me purifie ! Pourvu que ta moelle et ton sang
m’embaument ! »
Mais Mohammed n’est pas Umar Abi Rami. C’est simplement Moham­
med Benboaida avec des obligations à Marrakech, une autre fiancée peut-
être, ou une affaire importante à régler. Des dettes d’aventurier. Nanette,
tu peindras la planche que tu ne m’as pas montrée, dessinatrice inconnue,
avec ce même esprit enviable que ni Sarah ni moi n’avons atteint.
« Pourvu que Umm al Fadl soit ma compagne ! Ici ou ailleurs, au Paradis
ou en Enfer. »
Adieu, donc, mon Safo. Mon cornouiller emplumé. Adieu les amours
d’antan. Je me sens si seule durant ces mois achevant l’été. Mon squelette
réclame sa minceur et ma chair sa splendeur.
Que Paris est beau ! Que Lima est belle ! Si c’était facile je les remodè­
lerais à ma façon. À Lima je ne suis personne. À Paris non plus. Pas même
un numéro répertorié dans un calepin. Je suis comme un jouet aux mains
de ceux qui tirent les fils des marionnettes.
Un parent lointain demandait toujours à ma mère si nous fréquentions
le Maxim’s. Le Paris des « Vanités » se dissout à mes oreilles. Il n’est pas
entre mes mains. Sur le chemin du travail me précèdent les hommes en
bleu. Ils sont arabes, immigrés avec leurs grands balais. Mon Paris est
petit. Ce sont eux. Pas d’hystérie qui tienne.
Vers quoi marchons-nous ? Des illusions ou des torrents de produits qui
moussent et que rien ne désintègre.
Ce roman avance ? Combien d’heures passées chaque mois au dévoue­
ment, à la concentration, à la nausée et au plaisir ? Plonger dans les images,
les modeler, les polir, les vernir. À chacun son rythme, un rythme entre
l’ivresse et les amants.
Mon Dieu, me demandé-je, qu’est-ce qui est entre mes mains ou qu’est-
ce qui y était ?
Une partie de la journée m’est insupportable. Cette lassitude, cette mol­
lesse qui ne me sied pas. Le fantôme de l’ordre apparu dans mon enfance
continue de me montrer du doigt : se lever et tout mettre à sa place.
L’odeur des toilettes a le pouvoir de me faire vibrer de dégoût. Bienve­
nue à toute sensation qui nous éloigne du mutisme mental.

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La ville ne m’offre même pas une bonne tasse de majolique, propre et
pratique. Ma vie privée est en crise, menacée par ce couloir de seize portes
et un W. C à la turque, je dois m’accroupir là sur deux traces géantes et
déverser mon urine avec sérénité.
La nouvelle gardienne ne monte jamais dans ce coin-là et la dernière
bouteille de Creso est vide. Quelqu’un a fini par répandre le Harpic sur le
ciment et ça empeste comme jamais, maintenant. Maudit sois-tu, toi voisin
inconnu, je te hais car tu es un gaspilleur, javel, Ajax, désinfectant, à quoi
bon !

Traduit de l’espagnol par Mélanie Gros-Balthazard.

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Carmen Ollé

Una muchacha bajo su paraguas (extracto)

¿A qué diablos deberíamos llamar suerte ? Cuántas horas de soledad,


días enteros sin encontrar a nadie. Nuestros rostros tensos, heridos. Solo la
lluvia. La lluvia desplegando paraguas, ocultando los rostros de los tran­
seúntes, resguardándolos en sus cunetas burguesas de Sèvres-Babylone, y
yo, en este apartamento lujoso del Barrio Latino, sola entre el desorden de
su propietaria. Camino entre las pieles caídas sobre la alfombra. La aspira­
dora devora un trozo de cordón eléctrico y el apartamento huele a caucho
quemado. Escondo el alambre pelado debajo del velador. Abro ventanas y
persianas a pesar del frío y de la lluvia.
Nada en la nevera, restos del desayuno sobre el mármol, vidrios rotos
de una copa y manchas de vino en la loseta. En el dormitorio : ropa y más
ropa que ordenar. Una lucecita se prende en medio del hastío. Un volumen
antiguo de Verlaine en la biblioteca, amarillento y empolvado, que extrai­
go de la repisa y, junto con dos pañuelos de seda hindú, escondo apresura­
damente en mi cartera.
Enrique y yo solitarios esta tarde. Mis palabras ruedan por la alfombra.
En el lecho nuestros desnudos expiarán sus formas, redoblarán el placer,
anularán su mente.
Arreglo a la niña y subo las escaleras de María. El aroma del cocido me
alcanza hasta el rellano del cuarto piso. Oigo el llanto de los niños y no
puedo evitar una mueca.
Otro lugar, un bar o una desconocida ternura que escape de este vien­
tre nocturno. Dónde refugiarse esta noche con una niña a salvo del frío
y del sueño que la tumbará en unas horas. María está muda, hacendosa,
preparando la cena. El televisor prendido. Una y otra vez doy vueltas en
mi cerebro tratando de encontrar el más simple subterfugio que me resca­
te de esta mecánica de sentarme frente al televisor con los pensamientos
obturados como un destartalado lavabo. La silla en el mismo lugar. Yo sin
poder lanzarme a la carretera o a los cafés, para saludar a los desconocidos

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que beben y recuestan la barbilla en los filos de sus copas. Oh Dios, qué
necesidad de meter bulla en este lado del hemisferio.
–¿Comiste ?
–Gracias.
María me informa de la marcha del mundo. Está sola como yo esta no­
che, con la cena lista. ¡Si pudiéramos remojarnos en la piscina térmica a
las nueve de la noche y lavar nuestra fatiga !
Pienso sin querer en el pubis de esa chica esta tarde en el metro. Apre­
tujados por la multitud, sus prominentes muslos pegados a mi espalda,
su pubis encajando con mis nalgas. Qué sensaciones sin porvenir, júbilo
callado y lleno de rubor. Yo ruborizándome ante este deseo, incapaz de
moverme un milímetro. No vi su rostro sino al separarnos, su delicada y
cínica sonrisa en los labios granate y las mejillas sonrosadas por la tempe­
ratura del vagón. María no imagina el rumbo de mi pensamiento y conti­
núa hablando de las explosiones atómicas, saborea el locro ofreciéndome
el puré de pimientos chino.
Los niños juegan debajo de la mesa, jalándome el bolso, se cuelgan de
la barra. María con los ojos encendidos por el picante sigue saboreando el
locro humeante.
De nuevo ese pubis cálido como ninguno. ¡Debo irme, tengo que irme !
Pero cómo quebrar el silencio.
La calle opaca, sin el brillo agresivo de los automovilistas.
Si llegáramos hasta el bosque como dos viejos amantes, Enrique y yo
haríamos el amor bajo los castaños, entre las prostitutas y los vagos.
Dejo atrás a María y a los niños, las pruebas atómicas y los lanzamien­
tos de cohetes. Este mundo se parece a un frasco de formol donde se con­
servan intactas nuestras depresiones. ¿Qué ladrón robaría este tesoro ?
Algunas habitaciones han sido saqueadas por manos hábiles en el arte de
romper cerraduras pero torpes para seleccionar objetos. Se llevaron el di­
nero de Sarah, una sortijita de fantasía y una cajetilla usada de Rothmans.
La desaparición de ese adorno infantil tal vez sea el único rasgo sincero de
un ladrón fumador.
Al regreso, por el pasillo, oigo el tecleo de la máquina. Parece provenir
de mi habitación y tengo ganas de gritar, de golpear todas las puertas del
edificio y decir buenas noches, buenas noches, buenas noches, Carol. Mi
vecina, la mujer del llavero con su amable pero displicente sonrisa vuelve
también de la calle, pelirroja y sombría. Solo un leve saludo a la niña. Ca­
rol y yo subimos por el ascensor y mantenemos los ojos fijos en las rejas.
Después, Carol desaparece en el retrete sin volver la cabeza.

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Al entrar veo una lata de sardinas abierta sobre el mármol de la chi­
menea y libros amontonados sobre la cama. No hay nadie, la ternura me
ahoga.
Dejo a la niña sobre el colchón y tomo un Valium, calmantes que prote­
gen al silencio de nuestro estallido.
Las 10 pm. aproximadamente. A esta hora France Inter deja de funcio­
nar.
Los reglamentos del inmueble impiden hacer la más mínima bulla. Hue­
lo a lengua frita. ¿Carol ? Preparando la cena. Hasta mi cuarto se filtra el
olor ácido de la salsa en conserva.
Tres toques a su puerta, tres toques y otra vez el silencio. Mi vecina
está de suerte esta noche. Tiene lengua frita y una amiga que no escapará
fácilmente.
Enrique llega radiante. La calle es un perfume de castaños en su casaca.
Fue a ver a Rimpoche, el maestro budista. Una mujer rubia, la portera
del edificio, lo condujo hasta la puerta misteriosa. Enrique se detuvo para
mirar a la rubia detrás del vidrio. Tres mujeres le sonrieron esta vez. En
sus ojos, un hermoso chisporroteo malicioso. Qué hay de mis planes para
esta noche, me pregunto.
Su alegría me envuelve con los detalles de esa salida nocturna : la calle,
la mujer en el metro, la portera reclinándose sobre la planchadora tras la
puerta de vidrio, mujeres que asoman por sus labios, que son Yocasta-He­
lena-Ofelia, otras sibilas de la noche europea.
Y claro, ahí estaba la calle, los amigos, escuchar de sus labios que
existo, que no todo está confundido en la bruma, en la rutina inerte de
signos sin destinatario y mensajes que se estrellan como locos tinteros
contra las paredes. Poder afianzarse en los amigos, una copa que entre­
choca otra copa, unos labios que devuelven con la misma intensidad una
dádiva. Por ellos sería capaz de abandonar mi reducto y confundirme entre
la multitud o entre los parroquianos de un bar : ¡amigos !
Ahora con distintos rumbos, las viejas alianzas se han derrumbado.
Brindaré por ti, mi vieja Iris, en una cantina de Lince, o desde Le Danton
¡qué más da ! La soledad me cerca con su enredadera metálica, mi mundo
se desorbita y rueda por este universo de rostros desconocidos.
Una hora de caminata es suficiente para aclararnos que la ciudad es
enorme y que en ella bogamos sin carontes. Una hora en un bar o en una
plazuelita, ocultos de las riñas familiares, de las mezquinas inquietudes :
bregar por un trabajo para sobrevivir. Hubiéramos querido vivir entrega­
dos a la contemplación y aguardando, como diría Pound, la aparición de
estos rostros en la multitud, ahora sobre una red metálica y marchitos.

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Ah, el estado de ánimo es un radar arbitrario. En una plazuelita de Ro­
dier vi a un anciano barbón canoso, un viejecito que pelaba un banano.
¿Era o no el viejo Heráclito de nuestra época ? Solo vemos en él, el despojo
y la miseria.
De este río humano, en el que no volveré a transitar dos veces, tengo
un vago recuerdo que sirve para anotar en letras mayúsculas la misma
sensación de infortunio. Viejo y abandonado Heráclito, no volveré a ver­
te sino en estas páginas, láminas de mis pasos perdidos por caminos tan
transitados ya por muchos hitos de la literatura : Miller, Hemingway, Ger­
trude Stein, Vallejo, Neruda, Ehrenburg, y ahora por mis queridos poetas :
Enrique, Óscar, José, Patrick, Elqui, y sus hermosas y rabiosas mujeres.
Brindaré por ti mi vieja ardillita, mein Fischlein. Tu mirada era cálida
y abrigaba mi figura en las calles de Lima. Furor y júbilo había en tus
palabras. La Maga hoy está ausente ¿me oyes aún ? Te esfumas ante esta
pregunta. ¡La avenida Henry Martin es tan larga ! Tal parece que la cons­
truyeron para reflexionar camino al comedor de Dauphine.
Al arribar no encuentro tus trenzas ni tu peineta, ni tu voz cascada que
confesaba aquel cariño adolescente. Yo lo bebía como un coctel de rosas.
Es a Nanette a quien encuentro y hallaré en este diario, buscada y anhelada
en París. Nanette, a quien perdí por displicente, porque no pude llamarla
a tiempo para decirle adiós. Sí, adiós Nanette, me voy. París aparta de mí
esta dulce jarra de vino. No escucho tu voz en el aparato. Jamás volveré a
escuchar tu voz y no sé tu apellido. El buen río de Heráclito se ha vuelto a
burlar de mí. La esfinge que acompañaba estas líneas para evitar el ensi­
mismamiento, el peor mal del siglo, no la melancolía.
Del otro lado del aparato Nanette me hubiera dicho adiós con naturali­
dad. Tú no creías en la distancia. Ese mito. Esa intriga de las líneas aéreas
y las compañías privadas. Buceaste en la ciudad buscando a Mohammed, a
ese Umar Abi Rabi amado sin saberlo. Así como yo la amaba en la furia y
en el despecho. Por donde vayas y adonde llegues yo deposito estos versos
robados a la leyenda
«¡Ojalá que el día en que se decrete mi muerte bese lo que está entre tus
ojos y tu boca ! »
Ambas seguimos nuestros caminos guiadas por los berridos de esta ciu­
dad, a la que amo sin excusas.
«¡Ojalá se me purifique con tu saliva ! ¡Ojalá se me embalsame con tu
tuétano y tu sangre ! »
Pero Mohammed no es Umar Abi Rami. Es simplemente Mohammed
Benboaida con obligaciones en Marrakesh, quizá otra novia o un asunto
importante que saldar. Deudas de aventurero. Nanette, pintarás la lámina

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que no me enseñaste, dibujante desconocida, con el mismo ánimo envidia­
ble que ni Sarah ni yo hemos alcanzado.
«¡Ojalá que Umm al Fadl sea mi compañera ! Aquí o allá, en el paraíso
o en el Infierno ».
Adiós pues mi Safo. Mi corno emplumado. Adiós los amores de antaño.
Qué sola me siento entre los meses que apuran este verano. Mi calavera
reclama su delgadez y mi carne su esplendor.
¡Qué bello París ! ¡Y qué bella Lima ! Si fuera fácil recomponerlas a mi
gusto. En Lima no soy nadie. En París tampoco. Ni un número registrado
en una libreta. Soy como un juguete en manos de los que manejan los hilos
de las marionetas.
Un pariente lejano siempre le preguntaba a mi madre si frecuentábamos
el Maxim’s. El París de « Vanidades » se disuelve en mis oídos. No está
entre mis manos. Camino al trabajo me preceden los hombres de overoles
azules. Son árabes, inmigrantes con sus rudas escobas. Mi París es peque­
ño. Son ellos. Nada de histerismo.
¿Hacia dónde marchamos ? Ilusiones o ríos de detergentes que hacen
espuma y nada la desintegra.
¿Esa novela avanza ? ¿Cuántas horas al mes de dedicación, concentra­
ción, náusea y placer ? Abalanzarse a las imágenes, moldearlas, pulirlas,
barnizarlas. Es solo el ritmo de cada quien, su ritmo entre borracheras y
amantes.
Por Dios, me pregunto, ¿qué está entre mis manos o qué lo estaba ?
Una parte del día me resulta insoportable. Esa lasitud, esa blandura que
no va conmigo. El fantasma del orden aparecido en mi infancia me sigue
señalando con el dedo : levantarse y poner todo en su sitio.
El olor de los baños tiene el poder de hacerme vibrar de asco. Bienveni­
da sea toda sensación que nos aparta del mutismo mental.
Ni siquiera la ciudad me ofrece una buena taza de mayólica limpia y có­
moda. Mi privacidad está en crisis, amenazada por este corredor de dieci­
séis puertas y un retrete turco, ahí debo pararme sobre dos huellas gigantes
y derramar mi orina con tranquilidad.
La nueva portera no sube jamás por ese rincón y la última botella de
creso está vacía. Alguien terminó de rociar el Harpic sobre el cemento
y ahora apesta a mil demonios. Maldito vecino desconocido, te odio por
despilfarrador, lejía, sapolio, desinfectante ¡para qué !

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Alfredo Pita

Expulsés du paradis

Jusqu’à la fin, Marcio Méndez avait tenté de m’enseigner certains as­


pects de la vie, sur lesquels, à son avis, mon ignorance était pathétique. Un
soir, un peu avant qu’il quitte Paris, dans un de nos bars du métro Odéon,
devant une bière, il m’assommait autant qu’il m’amusait avec ses conseils.
—  Nous voilà bientôt en Novembre, Ricardo, le mois du beaujolais
nouveau…
—  Eh oui…
—  Prends garde. C’est un vin très méchant. Ses défauts tiennent à sa
nature acide et très alcoolisée et sa seule qualité à son prix, bien entendu.
En boire, c’est une vraie insanité. Un vin parfait pour les candidats au sui­
cide, comme Joseph… !
Marcio était comme ça, toujours disert, convaincu, infaillible. À l’uni­
versité, on l’appelait l’Humaniste : il savait tout, sauf tout ce qu’il ne savait
pas.
Ce soir-là, je m’efforçais de l’écouter en prenant un air intelligent.
—  Tu veux un conseil, mon petit Ricardo ? Pendant ces jours, les jours
du beaujolais nouveau, ne va pas Chez Georges.
—  Ah bon… ?
—  Je sais ce que je dis, mon ami, crois-moi !

À son départ de Paris, à la grande surprise de ses amis qui tous l’avions
supporté pendant toutes ces années, son absence se fit sentir. En dépit de
ses tics insupportables et de son ignorance pétulante et omnivore, il nous
manquait. Il avait fait le choix de rentrer et cela nous paraissait incroyable.
Le personnage et son baratin faisaient partie de ce précaire microcosme
exilé de rêveurs qui nous rassemblait, cela faisait partie de nous. Et lui
n’était plus là.
Voilà sans doute pourquoi, l’année suivante, le jour même du beaujolais
nouveau, tout le groupe presque au complet se souvenait de lui, entre deux
éclats de rire, dans le chahut et la fumée de Chez Georges, lors d’une nuit

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fébrile, propice à la chasse et à l’aventure, comme aurait dit l’absent. S’il
avait su, là-bas, dans la lointaine Lima, où il avait obtenu un poste de
professeur à l’université San Marcos, les blagues et les potins qu’il nous
inspirait, Marcio aurait souri avec un naturel provocant.
—  Il n’y a pas d’âge pour apprendre, mes petits !

Marcio était très connu à Paris, disons, dans notre groupe, car il était
le seul d’entre nous que les femmes « draguaient ». Et c’était la vraie cause
de notre jalouse rancœur. Cela lui était arrivé au moins une fois, mais cela
avait suffi pour couronner la très noire chevelure du poète de Callao d’une
aura légendaire et de notre perfidie. Ni avant ni après, jamais aucun de
nous n’avait eu droit à ce qui lui était arrivé une nuit d’été, quelque temps
après notre arrivée à Paris, dans le vieux Café Morvan, qui porte mainte­
nant un autre nom et qui était à deux pas du café Danton, au coin de la rue
Monsieur Le Prince et du carrefour de l’Odéon.
Autour d’une table, nous étions embarqués dans une grande discussion
et nous n’avions pas remarqué qu’à l’autre bout du comptoir une jeune fille
blonde nous observait. Je ne sais si Marcio l’avait vue, s’il y avait eu des
regards échangés, mais c’est probable.
À un certain moment, Marcio est allé aux toilettes. La blonde s’est ap­
prochée de Joseph.
—  Quand ton ami reviendra, dis-lui que je serai de retour dans dix mi­
nutes, que je viendrai le chercher…
Cela n’a pas attiré notre attention. Nous avons cru que c’était une de ces
petites Françaises que connaissait Marcio, quelqu’un à qui il avait donné
rendez-vous, mais non. Quand il est revenu et que Joseph lui a transmis le
message, il a paru surpris. Il a dit que non, qu’il n’avait aucun rendez-vous.
Il semblait convaincant. Nous nous sommes alors dit que la blonde était
une fofolle, une farceuse, qui ne réapparaîtrait pas, mais nous nous trom­
pions. Au bout de dix minutes, la fille est revenue, elle a, un instant,
observé nos bouches bées et, après un regard sur Marcio, elle l’a appelé
d’un doigt impérieux. Lui s’est levé et, stupéfait, s’est dirigé vers elle. Nous
les avons regardé sortir. Ils se sont dirigés vers le boulevard Saint-Germain
et ont disparu dans la nuit chaude de Paris.

Mais le royaume de Marcio, c’était, sans aucun doute, Chez Georges, un


bar animé et crade, digne d’un port ou d’une légende, arrimé dans la rue
des Canettes, dans le Quartier Latin.
Il était sombre et mal éclairé, avec une façade bordeaux, comme de bien
entendu, et ses vieilles tables étaient toujours occupées. Là, serrés le long

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du comptoir, ou en grappe autour des tables rustiques, les gens buvaient
du vin ordinaire, de la bière fraîche ou de brûlantes doses de bourbon. Le
tout très bon marché ce qui toutefois, à Paris, reste relatif. Giorgos, le pro­
priétaire, un robuste sexagénaire à l’abondante chevelure blanche, pouvait
se montrer cordial, ce qui était rare, il était le plus souvent bourru, voire
méprisant envers les clients. En revanche, son associé, Daniel, originaire
du Rio de la Plata, souriait immanquablement.
Depuis toujours, dans cet endroit certaines choses nous étaient interdites.
Par exemple, embrasser une fille trop longuement. Ou, les jours difficiles,
solliciter un menu crédit, une de ces facilités souvent accordées au groupe
dans d’autres lieux. Dans un cas comme dans l’autre, le patron était impla­
cable. Chez Georges, on pouvait séduire, donner des rendez-vous, prendre
le numéro de téléphone ou l’adresse des Françaises, des Allemandes, ou
des Scandinaves que nous venions de rencontrer, on pouvait aussi discu­
ter à grands cris, manger des sandwiches au jambon, au fromage ou aux
deux ; nous pouvions même nous bagarrer ou nous flanquer des coups de
poing au milieu de l’établissement, mais jamais, au grand jamais, on ne
pouvait s’autoriser un baiser prolongé ou glisser une main entre les cuisses
de nos conquêtes, et encore moins, demander le moindre crédit. Sur ce
point, Giorgos était radical et personne, absolument personne ne pouvait
l’attendrir ; personne, sauf Marcio Méndez, bien entendu.
—  Comme tu veux Marcio, demande à Daniel… ! lui souriait-il.
Nous n’en croyions pas nos yeux. Comme les femmes, sur lesquelles
agissait le pouvoir de Marcio sans qu’il ait à bouger le petit doigt, sans un
geste, un clin d’œil, Giorgos avait succombé à son charme. Une fois hors
de son emprise, Giorgos redevenait le vieux flibustier braillard de toujours.

Cette nuit du beaujolais nouveau au cours de laquelle nous nous souve­


nions de Marcio avait bien commencé. Nous étions arrivés Chez Georges
vers onze heures du soir et, comme toujours, étions entrés comme chez
nous. Nous n’avions pas de maison à proprement parler dans ce Paris de
nos vingt et quelques années et ce bar était, malgré tout, un de nos ports
d’attache. Une fumée épaisse flottait au-dessus des têtes de la clientèle
assoiffée. Nous avons vite occupé une table, ce qui n’empêcha pas Joseph
de faire le tour du bar d’un regard distrait, en quête de quelque touriste
esseulée.
Lors d’une de ses allées et venues entre les tables et le comptoir, il tom­
ba sur une de ses professeurs, une spécialiste en littératures slaves.
Elle n’était pas très jolie mais très voyante, cette dame. Elle avait de
petits yeux qu’elle compensait largement par une grande bouche, rieuse,

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aux lèvres charnues, remuantes, disproportionnées. Ses cheveux cuivrés,
savamment désordonnés, lui donnaient une allure sauvage. Joseph nous en
avait déjà parlé. À l’université, on l’appelait Docteur Phéromones, son lais­
ser aller vestimentaire et son odeur de fumée étaient célèbres. Son corps, il
fallait bien le reconnaître dégageait non un parfum mais un défi animal, de
femelle qui ne connaissait ni la soumission ni le déodorant.
Elle fut bientôt, pour son plus grand plaisir et le nôtre, parmi nous. Son
rire était strident et il suffisait que quelque chose la réjouisse pour qu’elle
se morde les lèvres et émette des murmures et des râles de plaisir plus que
suggestifs.
Après avoir bu quelques verres et nous avoir excités, la femme au par­
fum de bûcher sacrificiel, comme l’avait si bien dit Eduardo, disparut
comme une de ces promesses, non tenues, des nuits parisiennes. Personne
ne savait, à cette heure, qui entrait ou sortait du bar, cela ne nous a donc pas
inquiétés. Nous avons continué à boire, flottant inconscients sur cette mer
qui nous paraissait de plus en plus brumeuse. Vers deux heures et demie
du matin, au moment de la fermeture, ne restait plus à mes côtés qu’Elqui,
lequel, à moitié endormi, parlait toujours d’une peintre japonaise.
Avant de sortir j’ai voulu aller aux toilettes et je suis descendu au sous-
sol. J’ai soudain entendu une voix comme étouffée. Là, dans l’obscurité, la
professeur était allongée sur un banc.
—  Mon chéri, que faites-vous ici… ? dit-elle en se levant, me tendant
les bras.
Cela faisait longtemps qu’elle était descendue et elle était restée là à
rêver éveillée, m’expliqua-t-elle en s’étirant. Je me suis approché et j’ai
accepté ses lèvres offertes. C’était une chatte languide et ronronnante. Elle
était comme égarée et laissait traîner ses phrases.
—  Venez là, mon chéri !
Un instant plus tard, voyant que la situation ne pouvait évoluer, que nous
étions Chez Georges et de surcroît à l’heure de la fermeture, je lui dis que
j’allais passer aux toilettes et qu’ensuite nous partirions. Toute heureuse,
elle acquiesça. J’étais ravi, cette nuit je n’allais pas dormir seul et cela sans
l’avoir vraiment cherché. Quand j’allais fermer la porte des toilettes, je vis
qu’elle m’avait suivi.
—  Laissez-moi vous aider, mon chéri… !
Je n’étais pas en mesure de résister. Elle entra dans l’espace réduit et
elle s’accroupit, près du lavabo. Elle ne me laissa pas finir d’ouvrir mon
pantalon, s’en chargea et se livra aussitôt à un exercice de succion des plus
habiles.
—  Que c’est bon… !

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Elle répétait cette phrase chaque fois qu’elle s’interrompait pour respi­
rer. Je l’écoutais en regardant le plafond tout en caressant ses cheveux em­
mêlés, métalliques, électriques. Et au son des claquements de sa langue, de
sa voix, de la musique qui m’habitait, j’essayais de tout oublier et de grim­
per tranquillement au septième ciel, au nirvana, où que ce soit. J’y étais
presque parvenu, dans le ciel commençaient à se déchirer les nuages qui
révèlent le rayon voluptueux et j’allais lancer un cri triomphant et néan­
moins contenu, quand j’entendis ce que je voulais pas entendre : la voix
de Giorgos.
—  Qu’est-ce qui se passe ici, bordel de merde… !
Giorgos s’accrochait à la porte avec un regard dément, la bouche défor­
mée par une horrible grimace. Je le fixais, atterré. La femme aussi le regar­
dait, la bouche ouverte et les lèvres plus qu’humides. Giorgos, en hurlant,
prit une barre de fer et la brandit au-dessus de nos têtes.
—  Fichez-moi le camp ! Tous les deux !
J’arrangeai comme je pus mes vêtements et nous avons monté l’escalier.
Moi devant ne pouvant croire ce qui m’arrivait, la professeur quelques pas
derrière, et fermant la marche, tonitruant, halluciné, comme un dieu ivre
de colère, Giorgos qui brandissait toujours sa barre de fer. Quand nous
sommes passés près du comptoir, Daniel nous regarda ébahi et nous dit en
espagnol.
—  Qu’est-ce qui se passe, mon vieux… ?
Je ne dis rien.
—  Cette salope… ! Elle lui faisait une… ! lui faisait une… !
Giorgos s’étouffa et se mit à tousser. Daniel sourit comme s’il avait tout
vu et continua à essuyer ses verres avec philosophie. C’est la dernière
chose que j’ai vue et entendue avant de franchir la porte. Je me suis dit que
c’est sans doute ce qu’ont ressenti Adam et Ève, le jour funeste où l’ange
à l’épée flamboyante les a chassés du paradis. J’ai aussi pensé à Marcio
Méndez. Giorgos, Marcio aurait-il été traité ainsi ? Je n’en étais pas très
sûr.
En un éclair je me suis souvenu de notre conversation autour du
beaujolais nouveau et de sa mise en garde.
—  Comme tu avais raison, mon ami… !
Dans la rue balayée par un vent froid, la professeur sanglotait, confuse,
dépitée, humiliée. Elle ne voulut plus m’accompagner. Elle voulait rentrer
seule, dit-elle. Je la mis dans un taxi et la quittai avec un baiser furtif,
hypocritement affligé. Je n’étais pas très peiné qu’elle me laisse ainsi. Moi
aussi je voulais être seul. Je voulais marcher, respirer cet air léger, comme
lessivé. Le petit jour dans les rues de Paris aide à réfléchir, parfois.

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Des mois plus tard, je rencontrai Giorgos au Quartier Latin. Je rougis
en le voyant à quelques mètres et j’allais changer de trottoir, sans le saluer,
quand il m’arrêta d’un geste. Cordial, olympien, presque paternel, il me
tendit la main.
—  Pourquoi ne viens-tu plus au bar, Ricardo ? demanda-t-il placide,
amnésique, cela fait longtemps qu’on ne t’a pas vu. Les amis sont toujours
les bienvenus, tu sais.
Je bredouillai une phrase de remerciement. Il ne releva pas. Il me racon­
ta qu’il avait reçu, il y a quelques semaines, une carte postale du Pérou.
D’un très bon ami, ajouta-t-il, heureux.
—  Devine qui… !

Traduit de l’espagnol par Françoise Garnier.

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Alfredo Pita

Expulsados del paraíso

Hasta el final, Marcio Méndez intentó enseñarme aspectos de la vida


sobre los que, según él, mi ignorancia era patética. Una tarde, poco antes
de que se fuera de París, en uno de nuestros bares del Metro Odeon, frente
a una pinta de cerveza, me aburría, y también divertía, con algunos de sus
consejos.
–Se acerca noviembre, Ricardo, el mes del Beaujolais nouveau…
–Así es…
–Cuídate. Es un vino muy malo. Sus defectos son su ácida y altamente
alcohólica sustancia, y su única virtud, su precio, por supuesto. Tomarlo es
pura huachafería. ¡Típico vino para suicidas, como Joseph… !
Marcio era así, siempre diserto, seguro, infalible. El Humanista le de­
cíamos en la universidad : lo sabía todo, menos todo lo que no sabía.
Esa tarde, yo procuraba escucharlo con aire inteligente.
–¿Quieres un consejo, Ricardito ? Por esos días, los días del Beaujolais
nouveau, no vayas por Chez Georges.
–¿Y eso… !
–¡Yo sé lo que te digo, compadre, hazme caso !

Cuando se fue de París, para sorpresa de sus amigos que lo habíamos


soportado en esos años, su ausencia se dejó sentir. Pese a sus manías insu­
fribles y a su ignorancia petulante y omnívora, lo extrañábamos. Él había
optado por el retorno y esto nos parecía increíble. El personaje y su chá­
chara eran parte de ese microcosmos exilado y precario de soñadores que
componíamos, eran parte de nosotros. Y él ya no estaba.
Tal vez por eso, al año siguiente, precisamente el día del Beaujolais
nouveau, el grupo casi al completo lo recordaba, en medio de risotadas, en
medio de la bulla y el humo de Chez Georges, en una noche febril, propicia
para la caza y la aventura, como hubiera dicho el ausente. De haber sabido,
allá, en la lejana Lima, donde había conseguido un puesto de profesor en
San Marcos, el tiempo, los chistes y los chismes que le dedicábamos, Mar­
cio hubiera sonreído con inmodesta naturalidad.

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–¡No hay edad para aprender, muchachos !

Marcio era famoso en París, digo, en el grupo, porque era el único de


nosotros al que las mujeres « levantaban ». Y esta era la verdadera raíz de
nuestra envidiosa inquina. Ocurrió al menos una vez, pero había bastado
para coronar la melena negrísima del poeta chalaco con una aura legenda­
ria y con nuestra maledicencia. A ninguno de nosotros nos ocurrió nunca,
ni antes ni después, lo que le pasó a él una noche de verano, al comienzo de
nuestra estadía en París, en el antiguo Café Morvan, que ahora tiene otro
nombre y que estaba a un paso del Café Danton, en la convergencia de la
rue Monsieur Le Prince y el Carrefour de l’Odeon.
Estábamos en una mesa en medio de una gran discusión y no habíamos
reparado en que, desde un extremo de la barra, una muchacha rubia nos
observaba. No sé si Marcio la había visto, si entre ambos había habido
miradas, pero esto era probable.
En cierto momento, Marcio se fue al baño. La rubia se acercó a Joseph.
–Cuando vuelva tu amigo dile que en diez minutos regresaré, que ven­
dré por él…
No nos llamó la atención. Pensamos que era una de esas francesitas que
Marcio conocía, alguien a quien él había dado cita, pero no era así. Cuando
volvió y Joseph le dio el encargo, se mostró sorprendido. Dijo que no, que
él no tenía cita ni compromiso alguno. Parecía convincente. Nos dijimos
entonces que la rubia era una loquita, una bromista, que no volvería, pero
nos equivocábamos. A los diez minutos la muchacha retornó, contempló
un instante nuestras bocas abiertas y, tras mirar a Marcio, lo llamó con un
dedo imperativo. Él se levantó, obediente, y avanzó hacia ella, azorado.
Los vimos salir. Ambos se dirigieron hacia el boulevard Saint Germain y
desaparecieron en la noche tibia de París.

Pero el reino de Marcio, sin duda, era Chez Georges, un bar animado y
cochambroso, digno de un puerto y de una leyenda, anclado en la rue des
Canettes, en el Barrio Latino.
Oscuro y mal iluminado, con su frontis color burdeos, como no podía
ser de otro modo, sus viejas mesas siempre estaban llenas. Allí, apiñada
junto a la barra, o en racimos en torno a las toscas mesas, la gente bebía
vino grueso, cerveza fría o ardientes dosis de bourbon. Todo muy barato,
aunque esto siempre es relativo en París. Giorgos, el dueño, un sexagena­
rio robusto y de abundante melena blanca, podía ser cordial, pero esto era
raro, las más de las veces se mostraba hosco y hasta despectivo con los

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clientes. Su socio, en cambio, Daniel, un rioplatense, sonreía indefectible­
mente.
Allí, en ese recinto, desde siempre, ciertas cosas nos eran imposibles.
Besar demasiado a una muchacha, por ejemplo. O pretender un pequeño
crédito en los días malos, una de esas facilidades a las que el grupo estaba
acostumbrado en otros lugares. En ambos casos el patrón era implaca­
ble. En Chez Georges se podía enamorar, hacer citas, tomar el teléfono, la
dirección de las francesas, alemanas o nórdicas que acabábamos de cono­
cer ; también se podía discutir a gritos, comer sánduches de jamón, queso,
o de ambas cosas ; incluso podíamos pelearnos y agarrarnos a trompadas
en medio del establecimiento ; pero nunca, jamás, nos podíamos permitir
un beso prolongado o aventurar una mano entre los muslos de nuestras
conquistas y, menos, mucho menos, pedir algo al fiado. Giorgos era radical
sobre este punto y nadie, absolutamente nadie, podía conmoverlo. Nadie,
salvo Marcio Méndez, por supuesto.
–¡Cómo quieras Marcio, pídeselo a Daniel… ! – le sonreía.
Nosotros no podíamos creerlo. Como en el caso de las mujeres, en las
que el poder de Méndez actuaba sin que él moviese un dedo, sin que hi­
ciera un gesto, un guiño, Giorgos había caído bajo su fascinación. Una vez
fuera de su influjo, Giorgos volvía a ser el filibustero jubilado y gritón de
siempre.

La noche aquella del Beaujolais nouveau en que recordábamos a Marcio


había empezado bien. Llegamos a Chez Georges a eso de las once de la
noche y entramos como siempre, como en nuestra propia casa. Nosotros no
teníamos una casa propiamente dicha en ese París de nuestros veintitantos
años y ése era, pese a todo, uno de nuestros puertos seguros. Un humo
denso flotaba sobre las cabezas de la sedienta clientela. Pronto nos hicimos
de una mesa, lo que no impidió que Joseph siguiera dando vueltas, con la
mirada distraída, a la pesca de alguna turista descuidada.
En una de sus idas y venidas entre las mesas y la barra se encontró con
una profesora suya, una asistente académica, una especialista en literatu­
ras eslavas.
No era bonita pero si llamativa, la señora. Sus ojos pequeños los com­
pensaba muy bien con una boca grande, reidora, de labios carnosos, ges­
ticulantes, exagerados. Su cabellera color cobre, cuidadosamente desor­
denada, le daba una estampa salvaje. Joseph nos había hablado ya de ella.
En la universidad le decían la Doctora Feromonas y era famosa por su
descuido vestimentario y por su olor a humo. De su cuerpo, debíamos re­

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conocerlo, se desprendía no un perfume sino un reto animal, de hembra
que no conocía ni la sumisión ni el desodorante.
Pronto la tuvimos en medio, a gusto ella y a gusto nosotros. Su risa era
estridente y bastaba que algo la pusiera contenta para que se mordiera los
labios y emitiera unos quejidos y ronquidos de placer más que sugerentes.
Tras beber un par de vinos y de habernos agitado las ganas, la mujer que
olía a hoguera de sacrificio, como bien dijo Eduardo, desapareció como
una promesa más, no cumplida, de las noches de París. Ninguno sabía,
a esas alturas, quién iba o quién venía por el bar, por lo que no nos im­
portó. Nosotros seguimos bebiendo, navegando sin conciencia en ese mar
que nos parecía cada vez más neblinoso. A eso de las dos y media de la
mañana, cuando ya iban a cerrar, a mi lado sólo quedaba Elqui, hablando
todavía, ya medio dormido, de una pintora japonesa.
Antes de salir quise ir al baño y bajé al subsuelo. De pronto escuché una
voz como agazapada. Allí, en la oscuridad, tendida en una banca, estaba
la profesora.
–Querido, ¿qué hace por aquí… ? – dijo levantándose, estirándome los
brazos.
Había bajado hacía mucho y se había quedado allí a soñar despierta, me
explicó, desperezándose. Me acerqué y acepté los labios que me ofrecía.
Era una gata lánguida y ronroneante. Estaba como extraviada y alargaba
sus frases.
–¡Venga acá, querido… !
Un instante después, viendo que la situación no podía cambiar, puesto
que estábamos en Chez Georges y, además, en la hora del cierre, le dije que
iba a entrar un instante al baño y que luego nos íbamos. Asintió, feliz. Yo
estaba contento, esa noche no iba a dormir solo, y había sido sin buscarlo
realmente. Cuando iba a cerrar la puerta del baño vi que ella me había
seguido.
–¡Déjeme ayudarlo, querido… !
Yo no estaba para resistir. Entró en el reducido espacio y, junto al
lavamanos, se puso en cuclillas. No me dejó terminar de abrir mi pantalón,
ella se encargó de hacerlo y de inmediato se entregó a un más que hábil
ejercicio de succión.
–¡Que rico… !
Repetía y repetía la frase cuando se interrumpía para respirar. Yo la
escuchaba mirando el techo, mientras acariciaba su pelo enmarañado,
metálico, eléctrico. Y mientras escuchaba los chasquidos de su lengua,
su voz, la música que me habitaba, yo procuraba olvidarlo todo y trepar
tranquilo al séptimo cielo, al nirvana, o a lo que fuese. Y estaba a punto de

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lograrlo, en el cielo comenzaban a rasgarse las nubes que dan paso al rayo
placentero, e iba a ya lanzar un grito triunfal y a la vez contenido, cuando
escuché lo último que esperaba oír : la voz de Giorgos.
–¡Qué está pasando aquí, burdel de mierda… !
Giorgos estaba aferrado a la puerta con una mirada demente y con la
boca deformada por una mueca horrible. Yo me quedé mirándolo, aterra­
do. La mujer lo miraba también con la boca abierta y con los labios más
que húmedos. Giorgos, bramando, cogió una vara de hierro y la levantó
sobre nuestras cabezas.
–¡Fuera de aquí… ! ¡Los dos… !
Me arreglé como pude la ropa y subimos las escaleras. Yo adelante, sin
poder creer que me ocurriera lo que me estaba ocurriendo, la profesora
unos pasos atrás, y, cerrando la marcha, tonante, enceguecido, como un
dios ebrio de ira, Giorgos, que seguía blandiendo su hierro. Cuando pasa­
mos junto al mostrador, Daniel nos miró alelado y nos habló en español.
–¿Qué ocurre, che… ?
Yo no dije nada.
–¡Esta perra… ! ¡Estaba haciéndole una… ! ¡Haciéndole una… !
Giorgos se atragantó y se puso a toser. Daniel sonrió como si lo hubiera
visto todo y siguió secando sus vasos con filosofía. Fue lo último que vi
y oí antes de cruzar la puerta. Pensé que algo así sintieron seguramente
Adán y Eva, el infausto día aquel en que el ángel de la espada flamígera los
expulsó del paraíso. También pensé en Marcio Méndez. ¿Marcio hubiese
sido tratado así, Giorgos ? No estaba muy seguro.
Como un relámpago me vino aquella nuestra conversación sobre el
Beaujolais nouveau y sus consejos de que me cuidara.
–¡Cuanta razón habías tenido, compadre… !
En la calle barrida por el viento frío, la profesora sollozó confusa, ren­
corosa, humillada. Ya no quiso acompañarme. Quería ir a su casa, sola,
dijo. La puse en un taxi y me despedí con un beso apurado, falsamente
apesadumbrado. No estaba muy apenado de que me dejara así. Yo también
quería estar solo. Quería caminar, respirar ese aire tenue y como lavado.
Amanecer en las calles de París ayuda a reflexionar, a veces.

Meses más tarde, me crucé con Giorgos en el Barrio Latino. Enrojecí


al verlo a unos metros e iba a pasar a la otra vereda, sin saludarlo, pero él
me detuvo con un gesto. Cordial, olímpico, casi paternal, me extendió la
mano.

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–¿Por qué ya no vienes por el bar, Ricardo ? – preguntó, plácido, amné­
sico –, hace mucho que no se te ve. Los amigos son siempre bienvenidos,
lo sabes.
Yo tartamudeé una frase de agradecimiento. No me hizo caso. Me contó
que hacía unas semanas había recibido una tarjeta postal del Perú. De un
gran amigo, agregó, feliz.
–¡Adivina de quién… !

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Goran Tocilovac

Beauté immobile

Nous sommes des images. Nous sommes faits d’images qui se superpo­
sent tout au long de notre existence. C’est une sorte de défilé en accéléré
qui, par moments, se déguise en carnaval ou en pèlerinage. Chacune défi­
nit un temps et un espace. Un déplacement. J’ai des images serbes de mon
enfance. Des photographies mentales de l’air âpre de Belgrade qui aussitôt
se confond avec le goût de l’iode qui assoupit ma langue sur le front de mer
de Buenos Aires. Et plus loin, plus tard, dans l’odeur de bière et d’urine,
surgissent les planches monochromes de mes interminables virées noc­
turnes sur l’Alameda de los Descalzos du centre de Lima.
Je suis tout cela, me dis-je. Ce mélange classé par date et territoire et
immortalisé par la douce et tyrannique synesthésie. Sans doute est-ce pour
cela que ces mêmes images finissent par se coller comme les feuilles moi­
sies d’un album poussiéreux. Peut-être se fondent-elles tout simplement
en une boule compacte qui les engloutit. C’est ainsi que nous nous imagi­
nons les trous noirs. C’est cela le passé : une boule compacte qui n’est rien
d’autre qu’un trou noir.
Certes je n’ai jamais été amoureux du passé. Je préférais le tenir à dis­
tance. Éviter le piège de la fausse nostalgie et rester dans un présent conti­
nu et immaculé. Je m’étais vite rendu compte que le présent fatigue tout
autant. Et alors je m’étais proposé de sauvegarder une seule image qui
parlerait de moi à différentes époques, comme s’il était possible de captu­
rer l’aura d’un corps qui vieillit. Une seule photographie de mon existence.
Curieusement, je ne l’avais pas trouvée sur les pentes enneigées de Dju­
sina, à la porte de ma maison de Belgrade, que nous dévalions des dizaines
de fois par jour sur notre luge en bois. Pas davantage dans la rue Lavalle
de Buenos Aires où le samedi soir, j’allais voir trois films à la suite pour
oublier le reste de mes nuits solitaires sur les bancs de la Plaza Francia.
Je n’avais pas non plus pu me contenter du souvenir du soleil de Lima

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qui entre par les baies sales du café Cordano. Il me manquait un élément
essentiel : la perplexité.
Peut-être serait-ce Paris, m’étais-je dit, avec une idée confuse d’apparte­
nance. Loin de mon enfance serbe, de mon adolescence argentine, de ma
jeunesse péruvienne. Loin de tout. Paris et la perplexité. Un écrivain serbe
qui écrit en péruvien tout en travaillant dans un petit hôtel tranquille à côté
de Notre-Dame. Un veilleur de nuit qui écrit des romans dans une langue
étrangère sans savoir pour quelle raison, alors que son corps jeune vieillit
en même temps que l’hôtel qui l’emprisonne et le protège. Cela fait plus de
trente ans que je vis à Paris. Vingt-cinq ans que je travaille à l’hôtel Esme­
ralda. À grand peine, je relève la tête pour garder un semblant de dignité.
Là voilà l’image arrêtée et étrange.

Je sortis en retard de chez moi, j’allais avoir au moins une heure de


retard. Ce lundi pluvieux et gris présageait une nuit tranquille à l’hôtel. Je
pris mon courrier au passage : une enveloppe épaisse couverte de timbres
péruviens et quelques factures. Cela semblait être un livre et c’était José
Morales Saravia qui me l’envoyait. L’ineffable Pepe Morales, pensai-je,
mon camarade de la faculté de Lettres de l’Université de San Marcos.
Nous avions passé quatre ans sur les mêmes bancs du département de
Lettres avant mon retour dans mon pays. J’étais allé faire mon service mi­
litaire sur une île perdue de Yougoslavie. En plus de dix ans, je n’avais pas
eu de ses nouvelles. Quelques amis m’avaient dit qu’il écrivait de la poésie
et qu’il allait publier son deuxième livre. On disait, les mauvaises langues
(c’est-à-dire toute la promotion), qu’avec Pepe, le néo baroque était sur le
point de balayer la prolixe retenue de la poésie actuelle et l’on s’empressait
d’ajouter, dans un éclat de rire, : « Comme un chien qui se mord la queue ».
Le métro me laissa à quelques pas de l’hôtel et j’ai alors pensé à Pepe. À
ma relation avec Pepe, lors de cours de sémiotique d’Enrique Bayón, des
fêtes et agapes mémorables avec la bohème de Lima du début des années
soixante-dix (nous étions la bohème des années soixante-dix). Je ne l’ai
jamais considéré comme un ami proche et même maintenant je ne me l’ex­
plique pas. La chimie ne fonctionnait pas, je n’ai pas d’autre explication. Sa
raideur établissait une distance que j’avais du mal à franchir. Mais ensuite
je me suis dit que sa raideur à lui n’était que le reflet de la mienne et cela
m’avait un peu réconcilié avec lui.

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À l’hôtel Esmeralda, on m’attendait avec un air peu aimable. Je m’excu­
sai comme je pus et je m’installai au bureau. L’hôtel était à moitié complet.
Il ne me manquait qu’un couple qui venait de faire une réservation. J’ouvris
l’enveloppe de Pepe et j’y trouvai un recueil de poèmes intitulé Échassiers.
À l’exception d’une dédicace plutôt insignifiante en lettres géantes (« en
souvenir de nos années à San Marcos »), il n’y avait rien d’autre. J’ouvris
le livre au hasard tout en laissant le téléphone sonner. Suite sur le ton
de l’époque, crasse et croise/sans vrilles sur les murs déjà inhumés/C’est
ainsi que les échassiers habitent les soirées, pivotent leur cou ;/ derrière
les lacs déjà amnésiques, les chênes qui susurrent/Aujourd’hui il n’y a que
vol et hâte aux flancs sanglants/la démoire délattée dont seules battent les
plumes. Je le lus plusieurs fois. J’en ressentis de l’effroi. Je me suis toujours
considéré comme un lecteur insatiable et exigeant mais j’avoue que je n’y
comprenais rien. Pepe et moi-même nous nous étions formés dans la pen­
sée que la poésie était une façon de respirer, entre doute et illumination.
Me retrouver dans la peau d’un défenseur de la géométrie euclidienne me
dérangeait, mais à vrai dire j’en avais besoin. Je me sentis piégé. J’étais sur
le point de reconnaître ma défaite face au chaos et à l’excès quand le couple
d’Anglais qui avait réservé tardivement une chambre au dernier étage se
présenta.
Elle avait à peine vingt ans et lui plus de trente. J’avais rarement vu
un couple aussi mal assorti. Le regard lumineux et angélique de la jeune
femme, ses taches de rousseur, ses cheveux lisses et brillants contrastaient
avec le visage lugubre aux yeux inexpressifs de l’homme. Les tatouages
multicolores qui lui couvraient les bras et sa voix rauque me firent penser
que c’était un drogué. Tout comme l’enveloppe de six mille dollars qu’il
me demanda de mettre dans le coffre-fort. Je dus les compter pour lui
donner un reçu. Puis, tout en admirant les jambes nues de la jeune fille, je
les laissai monter.

Je n’eus pas le courage de reprendre le livre de Pepe, je regardai le jour­


nal télévisé, m’occupai des derniers clients qui rentraient tout mouillés,
pestant contre le vent. Je m’attaquai à mes tâches administratives. Avant
de fermer à clé la porte principale, j’ouvris une canette de bière et me mis
à fumer tranquillement. La cathédrale était majestueuse sous le voile de
pluie. Il n’y avait pas un chat dans la rue, le silence semblait irréel : une
ville sereine, paisible. La sonnerie du téléphone me fit sursauter. C’étaient
les Anglais. Je ne compris pas un mot. Elle criait avec un accent impos­
sible. Elle était hors d’elle, pleurant et gémissant en même temps. Je lui
dis de se calmer, je ne comprenais rien. Quand elle cessa de sangloter, je

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compris : elle me demandait une ambulance, son ami était paralysé, de­
bout, comme en pleine crise catatonique. J’en conclus qu’il avait forcé la
dose et l’informai que si j’appelais une ambulance, la police arriverait sur
le champ. Elle resta muette, se remit à sangloter et renifler. « J’arrive » lui
dis-je sur le ton nonchalant de qui monte régler l’eau froide de la douche.
Je montai l’escalier quatre à quatre en haletant. Je savais que je pouvais
être responsable si la situation empirait mais je ne fis rien pour l’éviter. La
porte était entrouverte et l’Anglais complètement nu au milieu de la pièce,
les bras et les jambes écartés, comme s’il faisait sa gymnastique. Elle était
à ses côtés, elle portait une chemise légère qui à chaque mouvement lais­
sait voir ses beaux seins menus. Il est vrai que l’homme était pâle et mal
en point, et bien que mon devoir fût de venir à son secours, je n’avais
d’yeux que pour elle. Elle était splendide avec son visage déformé et son
corps éclatant de jeunesse. Sa chemise blanche ne couvrait pas son sexe
et je ne pus éviter cette rafale de désir et de perversion qui me fit trembler
d’émotion. Un moment total. Et parfait. La beauté de son corps à demi-nu
que je regardais comme ensorcelé oubliant la panique que m’inspirait l’im­
mobilité de l’homme.

Elle s’en rendit compte. Désespérée, elle me gifla mollement, comme


pour implorer mon aide. Et je réagis. Je lui demandai de m’aider à le trans­
porter sous la douche, ce qu’à nous deux nous avons réussi à grand peine.
Le type était pétrifié, comme un mort raide depuis plusieurs heures. Je
décidai d’ouvrir le robinet d’eau glacée et la laissai couler puissamment
sur son visage. Sa réaction fut de bouger maladroitement la tête à gauche
et à droite, bredouillant des incohérences. Nous étions tous trempés quand
je compris que le danger était passé. Je lui dis de le maintenir dans cette
position aussi longtemps que possible et de m’appeler en cas de problème.
Je descendis les nerfs à vif. Je pris une autre canette de bière. Je restai à
la réception la lumière éteinte à essayer de comprendre ce qui était arrivé
là-haut. Je compris, qu’une fois de plus je m’étais réfugié dans l’ordre et la
raison et que cela ne me menait nulle part.
Je ne pus dormir. J’étais tendu, à l’écoute du téléphone. Je cherchai le
livre de Pepe et allumai la lampe. Je pris une profonde respiration avant
d’ouvrir le recueil. Tes cuisses de grive refusent les peaux flanquantes,/
les cordes impéchées meuvent tes actions marionnettes/et quête est de
concours pour des routes insaisissables/entre couronnes et marguerites
irracinés au but/l’orchidée acquiert du doigté pour immobile beauté. Blot­
ti dans le fauteuil du salon, je lis et relis les mêmes vers. Comme une prière,
une supplique, un psaume récité à voix haute, en variant les rythmes, les

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pauses, l’intonation. En changeant même de voix. Aux premières lueurs du
jour, je commençai à me sentir mieux : la poésie fonctionnait, me dis-je.
Le couple d’Anglais descendit de bonne heure. L’homme avait l’air d’un
cadavre. La jeune femme évitait de me regarder. J’en déduis qu’eux non
plus n’avaient pu dormir. J’attendis en vain quelques mots d’excuses ou de
remerciement. Ils me demandèrent l’enveloppe avec l’argent, comptèrent
les billets sur le bureau et prirent congé d’un geste de la main. J’ouvris une
troisième canette de bière pour le petit-déjeuner : j’étais épuisé. Les cordes
impéchées meuvent tes actions marionnettes, me dis-je. Ainsi va le monde.
Et pas autrement. Pas autrement.

Traduit de l’espagnol par Françoise Garnier.

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Goran Tocilovac

Belleza inmóvil

Somos imágenes. Estamos hechos de imágenes que se superponen a


lo largo de nuestra existencia. Es como una procesión acelerada que, por
momentos, se disfraza de carnaval y de peregrinación. Cada una de ellas
define un tiempo y un espacio. Un desplazamiento. Tengo imágenes ser­
bias de mi infancia. Fotogramas mentales del aire áspero de Belgrado que
pronto se confunde con el sabor del yodo adormeciéndome la lengua en la
Costanera porteña. Y más adelante, entre el olor a cerveza y orín, surgen
las láminas monocromas de mis interminables vueltas nocturnas por la
Alameda de los Descalzos en el centro de Lima.
Todo esto soy yo, pienso. Esa miscelánea ordenada por fechas y terri­
torios y eternizada por la dulce y tirana sinestesia. Es quizás por eso que
estas mismas imágenes terminan pegándose como las hojas mohosas de
un álbum polvoriento. O tal vez solo se funden en una bola compacta que
los va engullendo. Es así como nos imaginamos los agujeros negros. El pa­
sado es eso : una bola compacta que no es otra cosa que un agujero negro.
Nunca he sido amante del ayer, por cierto. Prefería mantenerlo a dis­
tancia. Evitar la trampa de la falsa nostalgia y mantenerme en un presente
continuo e impoluto. Pronto me di cuenta de que el presente también can­
sa. Me propuse, entonces, rescatar una sola imagen que hablara de mí en
tiempos distintos, como si fuera posible capturar el aura de un cuerpo que
está envejeciendo. Una sola fotografía de mi existencia.
Curiosamente, no la encontré en la nevada pendiente de Djusina, a la
vuelta de mi casa en Belgrado, sobre la cual nos deslizábamos decenas de
veces por día en nuestro trineo de madera. Tampoco en la calle Lavalle de
Buenos Aires donde veía tres películas seguidas los sábados por la tarde
para olvidar el resto de mis noches solitarias en las bancas de la Plaza
Francia. Ni siquiera pude conformarme con el recuerdo del sol de Lima en­

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trando por los ventanales sucios del café Cordano. Me faltaba un elemento
esencial : la perplejidad.
Tal vez sea París, pensé, con una idea difusa de pertenencia. Lejos de
mi infancia serbia, de mi adolescencia argentina, de mi juventud perua­
na. Lejos de todo. París y la perplejidad. Un escritor serbio que escribe
en peruano mientras trabaja en un hotel pequeño y tranquilo al lado de
Notre-Dame. Un conserje nocturno que escribe novelas en un idioma ex­
tranjero sin saber por qué, mientras su joven cuerpo envejece con el hotel
que lo aprisiona y lo cobija. Hace más de treinta años que vivo en París.
Hace veinticinco que laboro en el Hotel Esmeralda. Con un gran esfuerzo
levanto la cabeza para mantener un semblante de dignidad. La imagen
detenida y extraña es esa.

Salí tarde de la casa, iba a llegar por lo menos con una hora de retraso.
El lunes lluvioso y gris auguraba una noche calma en el hotel. El correo
lo tomé al vuelo : un sobre voluminoso cubierto de estampillas peruanas y
varias facturas. Parecía un libro y me lo enviaba José Morales Saravia. El
inefable Pepe Morales, pensé, mi camarada de Letras de la Universidad de
San Marcos. Habíamos pasado cuatro años en los mismos bancos del Patio
de Letras hasta que volví a mi país. Fui a hacer el servicio militar en una
isla perdida de Yugoslavia. No había tenido noticias suyas en más de una
década. Algunos amigos me habían dicho que escribía poesía y estaba por
publicar su segundo libro. Decían, las malas lenguas (o sea la promoción
entera), que con Pepe el neobarroco se aprestaba a barrer con la mesura
prolija de la poesía vigente y, luego, con una risotada, agregaban : « Como
un perro mordiéndose la cola ».
El metro me dejó a pocas cuadras del hotel y, entonces, pensé en Pepe.
En mi relación con Pepe, en las clases de semiótica con Enrique Bayón, en
las juergas y los ágapes memorables con la bohemia limeña de comienzos
de los setenta (nosotros éramos la bohemia de los setenta). Nunca lo consi­
deré un amigo cercano y aun ahora no me explico por qué. La química no
funcionaba, no tengo otra explicación. Su rigidez creaba una distancia que
me costaba salvar. Pero luego me dije que la misma rigidez de Pepe no era
más que un espejo de la mía y eso me reconcilió un poco con él.
En el Esmeralda me esperaban con cara de pocos amigos. Me disculpé
como pude y me instalé en mi escritorio. El hotel estaba medio lleno. Solo
faltaba una pareja que acababa de hacer su reserva. Abrí el sobre de Pepe
y encontré un poemario titulado Zancudas. Salvo una dedicatoria algo in­

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sulsa en letras gigantes (« en recuerdo de nuestros años sanmarquinos »),
no había otra cosa. Abrí el libro al azar mientras dejaba sonar el teléfono.
Seguimiento en ton de entonces, craso y cruza/sin zarcillos por los muros
ya inhumanos./Así zancudas habitan las tardes, giran sus cuellos ;/atrás
los lagos ya desmemoriados, las encinas susurrantes./Hoy es solo vuelo
y prisa con ijares sangros,/la mensión desentramada bate cuyas plumas
solamente. Lo leí muchas veces. Me sentí azorado. Siempre me he con­
siderado un lector voraz y exigente pero confieso que no entendía nada.
Me contuve de buscar un diccionario por respeto al autor : Pepe y yo nos
habíamos formado con la idea de que la poesía era una manera de respirar,
entre la duda y la iluminación. Me molestó encontrarme como defensor de
la geometría euclidiana pero la verdad es que la echaba de menos. Me sentí
acorralado. A punto de reconocer mi derrota ante el caos y el exceso, llegó
la pareja de ingleses que había pedido el cuarto tarde y en el último piso.
Ella rondaba los veinte, él pasaba los treinta años. Pocas veces había
visto una pareja tan disímil. La mirada luminosa y angelical de la chica,
su tez pecosa, el pelo lacio y brilloso contrastaba con el rostro lúgubre de
ojos inexpresivos del hombre. Por los tatuajes coloridos en los brazos y la
aspereza de su voz supuse que andaba en drogas. Era eso y el sobre con
seis mil dólares que me pidió guardar en la caja fuerte. Tuve que contarlos
para darle un recibo. Luego, admirando las piernas descubiertas de la niña,
los dejé subir.

No tuve el coraje de volver al libro de Pepe. Miré el noticiero, atendí a


los últimos clientes que regresaban mojados, despotricando contra el vien­
to. Cumplí con mis tareas administrativas. Antes de cerrar con llave la
puerta principal, abrí una lata de cerveza y me puse a fumar tranquilo. La
Catedral se veía majestuosa bajo el velo de lluvia. No había ni un alma en
la calle, el silencio parecía irreal : una ciudad serena, mansa. El sonido del
teléfono me despabiló. Eran los ingleses. No entendí nada. Ella gritaba con
un acento imposible. Estaba fuera de control, llorando y gimiendo al mis­
mo tiempo. Le pedí que se calmara, no podía comprenderla. Cuando dejó
de sollozar, entendí : me pedía una ambulancia, su pareja se había quedado
inmóvil, de pie, como si estuviera en plena crisis catatónica. Supuse que
se había pasado de vueltas y le advertí que si llamaba a una ambulancia
enseguida vendría la policía. Se quedó muda, volvieron los sollozos y los
mocos. « Ya voy » le dije con el tono displicente del que sube a arreglar el
agua fría de la ducha.
La escalera la subí jadeando, de dos en dos. Aunque sabía que podía
ser el responsable si la situación empeoraba, no hice nada por evitarlo. La

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puerta estaba entreabierta y el inglés desnudo en el medio de la habitación,
con las piernas y los brazos abiertos, como si estuviera haciendo ejercicios.
A su lado estaba ella, con una camisa leve que me permitía ver sus breves
y hermosos senos en cada movimiento. Es cierto que el hombre estaba
pálido y maltrecho, y aunque mi tarea era auxiliarlo, yo solo tenía ojos
para ella. Estaba magnífica con el rostro desencajado y el cuerpo soberbio
de su juventud. La camisa blanca no llegaba a taparle el sexo y no pude
evitar esa ráfaga de deseo y de maldad que me hizo temblar de emoción.
Un momento total. Y perfecto. La belleza de su cuerpo semidesnudo que
yo miraba como embrujado mientras olvidaba el pavor que me producía la
inmovilidad del hombre.

Se dio cuenta. En su desesperación, me abofeteó sin fuerza, como im­


plorando ayuda. Y reaccioné. Le pedí que me ayudara a llevarlo a la ducha
y entre los dos lo logramos con gran dificultad. El tipo estaba petrificado,
como un muerto que lleva muchas horas tieso. Resolví abrir el caño del
agua helada y dejarla caer con fuerza sobre su rostro. Su tosca reacción fue
mover la cabeza de un lado a otro, musitando incoherencias. Estábamos
todos mojados cuando supe que ya había pasado el peligro. Le dije que lo
mantuviera en esa posición todo el tiempo que pudiera y que me llamara
si había algún problema. Bajé hecho un manojo de nervios. Saqué otra
lata de cerveza. Me quedé en la sala de la recepción con la luz apagada
tratando de comprender lo que había ocurrido arriba. Supe que, una vez
más, volvía a buscar refugio en la razón y el orden, y que por ese lado no
iba a ninguna parte.
No pude dormir. Estaba tenso, solo atento al teléfono. Busqué el li­
bro de Pepe y encendí una lámpara. Respiré con fuerza antes de abrir el
poemario. Tus ancas de tordillo niegan los ijarantes cueros,/los cordeles
impescos mueven tus acciones marionetas/y búsqueda es de concurso
para rutas inasibles/entre cintillos y margaritas irraizantes con fin :/la
orquídea toma destreza para inmóvil belleza. Hundido en el sillón del
salón de huéspedes, leí los mismos versos una y otra vez. Como un rezo,
una plegaria, un salmo recitado en voz alta, variando los ritmos, las pau­
sas, la entonación. Incluso cambiando de voz. Con las primeras luces del
día comencé a sentirme mejor : la poesía funcionaba, me dije. La pareja
de ingleses bajó temprano. El hombre tenía el semblante de un cadáver.
La muchacha evitaba mirarme. Supuse que tampoco habían podido dor­
mir. Esperé en vano algunas palabras de disculpa o agradecimiento. Me
pidieron el sobre con el dinero, contaron los billetes sobre el escritorio y se
despidieron con un gesto de mano. Abrí una tercera lata de cerveza para

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el desayuno : estaba agotado. Los cordeles impescos mueven tus acciones
marionetas, me dije. Así va el mundo. Y no de otra manera. No.

París, marzo de 2017

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Leyla Bartet

Sans motif apparent

Vivre, c’est vivre l’absurde


A. Camus

Leurs regards se croisèrent longuement. Rogelio descendait du bus à


l’angle des avenues Prescott et Cádiz. Elle attendait là le minibus. De cette
première rencontre, il ne se souviendrait que de ses yeux sombres, inter­
rogatifs.
Il se dirigea vers son travail. C’était un restaurant-grill situé en face de
l’arrêt, de l’autre côté de la rue. Ce jour-là il suivit la routine : prendre les
commandes des clients, qui n’étaient pas très nombreux car on était lundi,
et veiller à ce que le service se déroule de façon satisfaisante. Il est certain
qu’il eut du mal à sourire, même si les rares clients de ce premier jour de
la semaine n’étaient ni plus ni moins désagréables que ceux de tout autre
jour. Toutefois avec sa méticulosité habituelle il resta attentif aux détails.
Il remarqua que l’usure des nappes était de plus en plus visible. Des petites
effilochures agrémentaient certains coins et la toile blanche prenait une
teinte grisâtre. Il faudrait en aviser le patron.
Cela faisait près de dix ans qu’il travaillait là et tous – le propriétaire, le
directeur et les clients – semblaient satisfaits de son travail. Il était sérieux,
ponctuel, presque perfectionniste dans le service. Depuis son ouverture,
Le Barbacoa avait conservé une clientèle fidèle en raison sans doute de son
emplacement privilégié dans une zone de moins en moins résidentielle, à
la limite des quartiers Lince et San Isidro. L’avenue Prescott s’était rem­
plie de centres commerciaux, boutiques, cafeterias et quelques mètres plus
loin, sur l’autrefois tranquille et ombragée avenue Dos de Mayo, les bâti­
ments se multipliaient comme des champignons de ciment. C’était ainsi
que Rogelio les voyait, des champignons gonflés de bureaux, de cabinets
médicaux, de banques, de bureaux de change et entreprises en tout genre.
La prospérité du restaurant tenait à cette nouvelle vocation du quartier. Et

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les employés d’un certain niveau, les fonctionnaires, les cadres moyens
venaient régulièrement le midi déguster les bonnes viandes grillées que
préparait Le Barbacoa. Le soir il y avait moins de monde, même si ceux
qui restaient travailler tard ainsi que certains habitants de San Felipe ve­
nus fêter avec des amis ou parents une occasion spéciale étaient encore
nombreux.
Rogelio connaissait le quartier. Il savait ce qu’il n’était plus. Sa mère
avait travaillé de longues années comme cuisinière de la famille Bou­
roncle, dans la toute proche rue Burgos. Même si les domestiques avec en­
fants­n’étaient jamais les bienvenues, Madame Bouroncle avait accepté de
garder sa mère quand elle était tombée enceinte parce qu’elle la connais­
sait depuis longtemps et savait qu’elle était honnête et efficace. En outre
elle cuisinait bien. Rogelio avait donc grandi dans les espaces réservés
au personnel d’une grande maison avec un inutile toit à double pente, un
jardin extérieur et intérieur, de grandes pièces lumineuses. Il avait grandi
à l’écoute des silences de sa mère qui ne lui avait jamais rien révélé sur son
père, originaire comme elle de Celendin.
—  C’était un salaud, fut l’unique information qu’il put soutirer après
des années de vaine insistance.
Il avait grandi en apprenant à connaître les différences entre les enfants,
entre les hommes. Très tôt on lui enseigna à servir. Il acquit les gestes
qui permettent de présenter correctement un plateau, dresser une table,
préparer les verres et les offrir dès que les invités avaient vidé celui qu’ils
avaient en main.
Il mémorisa les noms des amis qui fréquentaient la maison, leurs préfé­
rences et leurs caprices. Il apprit la distance parfaite entre le geste déférent
et l’attitude désinvolte.
Il se souvenait de lui-même, solitaire, déjà silencieux, retranché derrière
l’inexpressivité anodine de son visage.
Parfois il aimait passer par la rue Burgos revoir le lieu où s’était écoulée
son enfance et évoquer les rares plaisirs de ces années-là. Face à la grille
du jardin, admirant le gazon anglais, parfait comme un tapis précieux,
Rogelio recréait la balsamique odeur tiède et humide de son matelas dans
la chambre de bonne qu’il partageait avec sa mère. Enveloppé dans ce par­
fum, il attendait qu’elle monte se coucher tard dans la nuit. Il se blottissait
alors contre sa poitrine et elle lui caressait les cheveux et lui embrassait
le front. Sa mère sentait le vinaigre, la friture, les condiments et sauces
riches, les feuilletés à l’ancienne.
Il se souvenait aussi du vieux pigeonnier du jardin intérieur, que mainte­
nant il ne pouvait voir. C’était là qu’il se réfugiait quand une des fréquentes

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crises d’angoisse dont il avait souffert jusqu’à ses quatorze-quinze ans le
submergeait. « Ce n’était pas un endroit approprié » – penserait Rogelio
trente ans plus tard et lui viendrait en mémoire la chaleur étouffante de
l’été quand l’odeur pestilentielle, les plumes et les duvets des pigeons ren­
daient l’air irrespirable.
Mais, là, étouffé par le spasme d’une toux qui ne parvenait pas à éva­
cuer les miasmes de ses poumons, il contemplait le monde du haut de son
inaccessible royaume, du haut de la puissance imaginaire de sa cachette.
C’est en observant les chèvrefeuilles touffus, les fleurs éclatantes des bou­
gainvillées, le vert profond du néflier, couvert en hiver de fruits sépia, qu’il
s’était caressé pour la première fois. Il avait appris à se masturber en fin de
journée, quand plus personne n’allait s’aventurer dans le jardin. Sa main
courait de haut en bas le long de son membre avec une fièvre qu’accélérait
le roucoulement des tourterelles, tandis qu’il attendait, accroupi sur le sol
couvert de déjections, la délivrance de l’orgasme.

Son service s’achevait à cinq heures. Il prit une demi-heure de plus pour
se laver le mieux qu’il put dans les toilettes du personnel, au cas où l’eau
aurait été coupée chez lui. Ces toilettes avaient des murs tachés et empes­
taient l’urine, mais au moins il y avait de l’eau.
En sortant il croisa à nouveau la jeune fille. Il la vit marcher à la des­
cente de l’autobus et alors seulement il admit qu’il ne l’avait jamais vue
auparavant dans le quartier. « Elle vient sans doute d’emménager » pensa
Rogelio et il l’observa pendant les deux longues minutes qui les séparaient
alors qu’elle venait vers lui. Elle n’était ni grande ni trop petite. Agréable
sans plus. Elle avait le teint mat, avec ces reflets olivâtres que donne l’hiver
de Lima aux métis. Son corps mince inspirait une certaine tendresse tant
elle semblait frêle et vulnérable. Mais en la croisant Rogelio remarqua,
outre la propreté de ses ongles et de sa robe bleue, l’intense regard noir qui
atténuait la fragilité de sa silhouette.
Il était plus de onze heures quand il arriva chez lui. Il était fatigué et
il avait mal aux pieds. Il aurait voulu se coucher pour regarder la télévi­
sion. Mais il ne put car il y avait une coupure d’électricité. Sa chambre
sentait mauvais mais cette puanteur lui était familière : c’était celle de
ses vêtements, de ses draps, de ses chaussures. Cette odeur rance était la
sienne, comme le désordre et la pauvreté. C’était en réalité tout ce qui lui
appar­te­nait vraiment. Il ôta ses mocassins usés et s’appuya sur l’oreiller
où la crasse avait dessiné des îles grises, un archipel douteux de salive
et de sueur. Avant de fermer les yeux, vaincu par la fatigue, il imagina la
silhouette de la jeune fille se dessinant à ses côtés, la tête posée sur les

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couvertures usées. Il tendit la main pour toucher son rêve et vit ses doigts
sombres emprisonner l’air. Il s’endormit tout habillé.
Il la revit le mardi. À sa descente de l’autobus, elle était là comme la
première fois, serrant contre sa poitrine un classeur vert et quelques livres.
Serait-elle étudiante ? se demanda Rogelio et il lui sourit. Elle répondit à
son sourire. Cette seconde rencontre fut à l’origine de son fantasme.
Pendant toute la journée, le souvenir de la jeune fille le surprit à maintes
reprises tandis qu’il s’occupait des clients. Il se souvenait, surtout, de ces
yeux noirs ambigus, de l’interrogation secrète qui semblait se cacher dans
leurs reflets. Jamais auparavant il n’avait éprouvé quelque chose de sem­
blable. Même s’il s’intéressait à certaines femmes dont le souvenir lui ser­
vait à alimenter son onanisme (ces jolies secrétaires qui en été venaient
déjeuner et faire admirer leurs jambes, bras et épaules nus et dorés), jamais
il n’avait pensé à elles avec l’obsession que lui inspirait cette jeune femme.
Il s’imagina que cela pouvait s’expliquer par la longueur de son abstinence,
mais il écarta cette hypothèse : il avait eu une relation avec une prostituée
il y a une quinzaine de jours et il n’était pas victime d’urgences incontrô­
lables. De fait, il lui était arrivé de ne pas avoir de contact avec une femme
pendant plusieurs mois sans que ce manque ne le perturbe plus que cela.
En outre, cette fille ne lui semblait même pas attirante. Il la trouvait trop
rachitique, presque maladive. Ce qu’il ressentait pour elle c’était une sorte
de fascination qu’il ne parvenait pas à comprendre. Comme s’il s’agissait
d’une envoyée du destin chargée de donner du sens au vide de son exis­
tence.
Il finissait de transmettre en cuisine la dernière commande de viande
lorsque soudain s’imposa cet intense, viscéral désir de la tuer. Il tenta de
réfléchir : « Il n’y a aucune raison, la pauvre ne m’a rien fait ». En vain.
Plus il insistait sur la logique de son raisonnement, moins il voulait s’en
convaincre. Il savait – car il se connaissait bien – que sa pulsion était une
sentence. C’était comme un ordre venu de Dieu seul sait quelle circonvolu­
tion de son cerveau ou de son cœur. Il décida alors de devenir son ami. Il
y avait deux possibilités : ou cette relation avec la jeune fille l’attendrissait
au point d’atténuer sa volonté de la détruire ou elle facilitait le chemin qui
le conduirait à exécuter cet ordre.
Il apprit qu’elle s’appelait Isabel et qu’elle état institutrice, qu’elle vivait
seule car sa famille demeurait à Chiclayo et qu’elle louait une chambre –
plutôt un garage avec salle d’eau – dans une petite maison de la rue Julio
C. Tello pas loin de l’arrêt de bus. Sa vie était aussi solitaire et ennuyeuse
que celle de Rogelio : aucun souvenir qui en vaille la peine. Aucun projet à
l’horizon. Isabel endossait cette résignation, c’était là sa stratégie pour sur­

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vivre, même si parfois elle se mordait les lèvres craignant peut-être qu’un
mot d’espoir ou de rage ne s’échappât de sa bouche.
Ils bavardèrent plusieurs fois à l’arrêt d’autobus. Quand finalement
Isabel lui proposa de venir boire un verre chez elle, Rogelio fut certain
qu’il n’y avait pas lieu d’être complaisant : il devait la tuer.
Il accepta l’invitation pour le samedi soir car le dimanche le restaurant
était fermé et il pourrait se reposer.
Le vendredi, il observa avec attention la découpe des viandes en cui­
sine : la facilité, la douceur avec lesquelles les couteaux s’enfonçaient dans
la chair sanguinolente. Penser au geste d’enfoncer à fond la lame effilée
dans ce fourreau rouge et informe lui provoqua une érection.
Il arriva chez Isabel à sept heures précises. Elle lui ouvrit avec un sou­
rire que Rogelio imagina confiant et serein. Dans le garage, il n’y avait
que deux fauteuils, une petite table, une gazinière à deux feux, un vieux
réfrigérateur et un paravent qui séparait le tout du lit. Sur le côté, une porte
donnait sans doute à la salle d’eau. Bien que l’endroit fût visiblement mieux
rangé et plus propre que sa propre chambre, Rogelio devina à l’extrême
austérité de ce confort élémentaire que leur dénuement était symétrique.
Isabel proposa un pisco bon marché. Ils ouvrirent la bouteille et burent
quelques verres en bavardant. Rogelio s’approcha d’elle et lui caressa le
cou. Elle accepta son geste en penchant la tête et entrouvrant les lèvres.
Quand il glissa sa main vers son sein menu, elle inclina la tête en arrière et
ferma les paupières. « Encore mieux, pensa Rogelio, qu’elle ne me regarde
pas ». Il l’embrassa intensément, debout, frottant son pelvis contre le sien.
Il la poussa vers le lit.
Ils firent l’amour deux fois. Ils adoptèrent la position classique du mis­
sionnaire et il s’introduisit, avec une lenteur eucharistique, dans la grotte
soyeuse de son vagin. Elle gémit à peine, mais Rogelio apprécia l’authenti­
cité de ses soupirs. Ce fut agréable. Ensuite ils retrouvèrent leur souffle et
regardèrent les taches au plafond. Elle ébaucha une caresse sur son avant-
bras qui lui donna la chair de poule.
Rogelio décida que le moment était venu d’accomplir sa mission. Il lui
demanda si elle voulait une cigarette.
—  Je ne fume pas, répondit-elle.
—  Eh bien, moi, j’en ai envie, dit-il
Il se tourna vers le côté du lit où ses vêtements étaient entassés et où
était caché dans la grande poche intérieure de son blouson le couteau qu’il
avait volé dans les cuisines du restaurant.
Quand il sentit la brûlure du poignard qui s’enfonçait dans son dos,
Roge­lio parvint à peine à tourner la tête d’étonnement : il se trouva face au

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regard brillant d’Isabel qui semblait prolonger la jouissance de l’orgasme
en brandissant l’arme imprévue.

Traduit de l’espagnol par Françoise Garnier.

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Leyla Bartet

Sin razón aparente

Vivre, c’est vivre l’absurde


A. Camus

Sus miradas se cruzaron un largo momento. Rogelio bajaba del Covi­


da, en la esquina de las avenidas Prescott y Cádiz. Ella esperaba allí el
microbús. De ese primer encuentro sólo recordaría sus ojos oscuros, inte­
rrogantes.
Se dirigió a su trabajo. Era un restaurant de carnes situado frente al pa­
radero, del otro lado de la calle. Ese día repitió la rutina : tomar los pedidos
de los consumidores, que no eran muchos por tratarse de un lunes y vigilar
que el servicio se realizara satisfactoriamente. Es cierto que le costó son­
reír, a pesar de que los escasos clientes del primer día de la semana no eran
ni más ni menos desagradables que los de cualquier otro día. Eso sí, per­
maneció atento a los detalles con su meticulosidad habitual. Notó que los
manteles estaban empezando a verse gastados. Pequeñas hilachas ornaban
algunas de las esquinas y la tela blanca adquiría ya un matiz plomizo. Ha­
bría que advertirlo al patrón.
Hacía cerca de diez años que trabajaba en ese lugar y todos – el dueño, el
administrador, los clientes – parecían satisfechos con su trabajo. Era serio,
puntual, casi perfeccionista en el servicio. Desde su apertura, La Barbacoa
había mantenido una asistencia constante debido, sin duda, a su ventajosa
ubicación en una zona cada vez menos residencial, en el límite de Lince y
San Isidro. La avenida Prescott se había llenado de centros comerciales,
tiendas, cafeterías y unas cuadras más allá, en la otrora tranquila y umbro­
sa Dos de Mayo, los edificios se multiplicaban como hongos de cemento.
Así los veía Rogelio, hongos henchidos de oficinas, consultorios médicos,
bancos, casas de cambio y empresas de todo tipo. A esta nueva vocación
de la urbanización se debía la prosperidad del local. Y los empleados de
cierto nivel, los funcionarios, los profesionales medios venían a almorzar

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regularmente las buenas carnes a la parrilla que preparaba La Barbacoa.
En la noche había menos gente, aunque no faltaban los que se quedaban a
trabajar hasta tarde y alguno que otro vecino del residencial San Felipe que
festejaba con amigos o parientes una fecha especial.
Rogelio conocía el barrio. Sabía lo que había dejado de ser. Su madre
trabajó muchos años de cocinera en la casa de la familia Bouroncle, en la
vecina calle Burgos. Aunque las domésticas con hijos no eran nunca bien­
venidas, la señora Bouroncle había aceptado conservar a su madre cuando
salió encinta porque la conocía desde hacía mucho y sabía que era una
mujer honesta y eficiente. Tenía además buena sazón. Rogelio creció, pues,
en las áreas reservadas al servicio de una hermosa casa de inútil techo a
dos aguas, jardín afuera y adentro, cuartos grandes y luminosos. Creció
escuchando los silencios de su madre que jamás le reveló detalles sobre su
padre, un cajamarquino de Celendín, como ella misma.
–Era un sinvergüenza – fue la única información que consiguió tras
años de vana insistencia.
Creció aprendiendo a conocer las diferencias entre los niños, entre los
hombres. Temprano le ensenaron a servir. Adquirió los gestos que permi­
ten presentar correctamente un azafate, atender una mesa, preparar los
tragos y ofrecerlos de nuevo, toda vez que los invitados hubieran vaciado
el que tenían en la mano.
Memorizó los apellidos de los amigos que frecuentaban la casa, sus
preferencias y sus caprichos. Aprendió la distancia perfecta entre el gesto
solícito y la actitud confianzuda. Era imperdonable parecer confianzudo.
Se recordaba solitario, ya entonces silencioso, atrincherado en la inex­
presividad anodina de su rostro.
A veces se daba el gusto de pasar por la calle Burgos para volver a ver
el lugar donde había transcurrido su infancia y evocar los raros placeres
de aquellos años. Frente a la reja del jardín, admirando la hierba inglesa,
perfecta como una alfombra de lana fina, Rogelio reconstruía el balsámico
olor tibio y húmedo de su colchón en el cuarto de servicio que compartía
con su madre. Envuelto en ese aroma solía esperarla hasta que subiera a
acostarse, bien entrada la noche. Entonces se acurrucaba contra su pecho
y ella le revolvía el cabello y le besaba la frente. Su madre olía a vinagre, a
fritura, a aderezos y salsas densas, a encimada de panadero antiguo.
Recordaba también el viejo palomar del jardín interior, aunque ahora no
pudiera verlo. En ese lugar se refugiaba cuando lo atacaban las crisis re­
currentes de angustia que había padecido hasta los catorce o quince años.
« No era un lugar adecuado » – pensaría Rogelio treinta años después – y
volvería a su memoria el ambiente caldeado del verano cuando el aire se

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hacía irrespirable por la pestilencia y las plumas y pelusas que dejaban las
palomas.
Pero en ese lugar, atorado por el espasmo de una tos que evacuaba ape­
nas las miasmas de sus pulmones, contemplaba el mundo desde la altura
inalcanzable de su reino, desde el imaginario poder de su escondite. Ob­
servando las frondosas madreselvas, las flores rutilantes de las buganvi­
lias, el verde profundo del níspero, cubierto en invierno de frutos sepia,
se había acariciado por primera vez. Aprendió a masturbarse al final de
la tarde, cuando nadie había ya de asomarse por el jardín. Su mano corría
de arriba abajo sobre el miembro en una fiebre acelerada por el arrullo de
las cuculíes, mientras él esperaba, en cuclillas sobre el suelo cubierto de
deyecciones, la redención final del orgasmo.

Su turno terminaba a las cinco. Se tomó media hora más lavándose lo


mejor que pudo en el baño de servicio, por si acaso no hubiese agua en su
casa. El baño para el personal tenía las paredes manchadas y apestaba a
orines, pero al menos no faltaba el agua.
Al salir volvió a cruzarse con la muchacha. La vio venir caminando tras
descender del autobús y sólo entonces admitió que no la había visto nuca
antes en el barrio. « Tal vez acaba de mudarse por aquí » pensó Rogelio y
aprovechó observándola los dos largos minutos que los separaban mien­
tras ella caminaba hacia él. No era alta ni demasiado baja. Agradable no­
más. Tenía la piel trigueña, con esos matices oliváceos que da el invierno
limeño a los morenos. Su cuerpo delgado inspiraba cierta ternura por lo
frágil y desvalido que parecía. Pero al cruzar a su lado, Rogelio percibió,
además de la pulcritud de sus uñas y de su vestido azul, la intensa mirada
negra que rebatía la vulnerabilidad de su figura.
Llegó a su casa pasadas las once. Estaba cansado y le dolían los pies.
Hubiera querido acostarse a ver televisión. No pudo porque se había ido
la luz. Su cuarto olía mal pero era un hedor familiar : el de su ropa, sus
sábanas, sus zapatos. Era suyo ese aroma rancio, suyo ese desorden y esa
pobreza. Y eso era en realidad lo único que verdaderamente poseía. Se
quitó los gastados mocasines y se recostó sobre la almohada donde la mu­
gre había dibujado islas grises, un archipiélago incierto de saliva y sudo­
res. Antes de cerrar los ojos, vencido por la fatiga, imaginó la silueta de
la muchacha perfilándose a su lado, su cabeza sobre las gastadas cobijas.
Estiró la mano para tocar su sueño y vio sus dedos oscuros aprisionando el
aire. Se durmió vestido.
La volvió a ver el martes. Al bajar del Covida ella estaba allí, como la
primera vez, apretando contra su pecho un folder verde y un par de libros.

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Será estudiante ? se preguntó Rogelio y le sonrió. Ella respondió a su son­
risa. Fue ese segundo encuentro el que dio inicio a su fantasía.
Durante ese día el recuerdo de la muchacha lo sorprendió muchas veces
mientras atendía a los clientes. Recordaba, sobre todo, aquellos ambiguos
ojos negros, la ignota pregunta que parecía esconderse en sus reflejos.
Nunca antes le había pasado algo semejante. Si bien solía fijarse en algu­
nas mujeres y esa memoria le había servido para alimentar su onanismo
(esas guapas oficinistas que en verano venían a almorzar luciendo piernas,
brazos, hombros desnudos y dorados) jamás había pensado en ellas con la
obsesión que esta muchacha le inspiraba. Se le ocurrió que la explicación
podría hallarse en el tiempo de abstinencia que llevaba, pero descartó esa
posibilidad : había tenido relaciones con una prostituta hacía un par de se­
manas y él no era de los que experimentaban urgencias incontrolables. De
hecho, le había ocurrido de no tener contacto con mujer alguna por varios
meses sin que esa carencia lo perturbara mayormente. Además, esta chica
ni siquiera le resultaba atractiva. La encontraba demasiado raquítica, casi
enfermiza. Lo que sentía por ella era una suerte de fascinación que no lo­
graba entender. Como si fuera una enviada del destino encargada de darle
sentido a su existencia vacía.
Terminaba de ordenar en la cocina el último pedido de carne cuando
surgió, de pronto, ese intenso, visceral deseo de matarla. Intentó razonar :
« No hay motivo, la pobre no me ha hecho nada ». Fue en vano. Cuanto
más insistía en la lógica de su argumento, menor era su deseo de admitirlo.
Sabía – porque se conocía lo suficiente – que su pulsión era una sentencia.
Era como una orden venida de sabe Dios qué circunvolución de su cere­
bro o de su corazón. Decidió entonces hacerse amigo de ella. Cabían dos
posibilidades : o la relación con la chica lo enternecía tanto como para
ablandar su voluntad de destruirla o se hacía más fácil el camino que lo
llevaría a ejecutar el mandato.
Supo que se llamaba Isabel y que era maestra, que vivía sola porque su
familia residía en Chiclayo y que alquilaba un cuarto – más bien un garaje
con baño – en una casita de la calle Julio C. Tello no lejos del paradero del
micro. Su vida era tan aburrida y solitaria como la de Rogelio : nada en el
pasado que valiera la pena recordar. Nada en el horizonte. Isabel llevaba su
resignación a cuestas porque esa era su estrategia para sobrevivir, aunque
a veces se mordía los labios como temiendo que una palabra de esperanza
o de furor se escapara de su boca.
Conversaron varias veces en la parada del autobús. Cuando al fin Isabel
le propuso tomar un traguito en su casa, Rogelio tuvo la certeza de que no
habría de ser complaciente : tenía que matarla.

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Aceptó la invitación para el sábado en la noche porque los domingos el
restaurant no abría y podía quedarse descansando.
El viernes estuvo observando con interés el corte de las carnes en la
cocina : la facilidad, la suavidad con que los cuchillos se hundían en las fi­
bras sangrientas. Pensar en el gesto de penetrar a fondo con la hoja afilada
esa vaina roja e informe le produjo una erección.
Llegó a la casa de Isabel a las siete en punto. Ella le abrió con una sonri­
sa que Rogelio imaginó confiada, tranquila. En el garaje sólo había un par
de sillones, una mesita, una cocina de dos hornillas, una vieja refrigerado­
ra y un biombo que separaba todo esto de la cama. Una puerta lateral debía
comunicar con el baño. Aunque el lugar lucía más ordenado y limpio que
su propia habitación, Rogelio adivinó que sus carencias eran simétricas en
la extrema austeridad de ese confort elemental.
Isabel propuso un pisco barato. Abrieron la botella y bebieron unas
cuantas copas, conversando. Rogelio se acercó a ella y le acarició el cuello.
Ella aceptó su gesto ladeando la cabeza y entreabriendo los labios. Cuando
deslizó su mano hacia su seno diminuto ella echó la cabeza hacia atrás y
cerró los parpados. « Mejor, pensó Rogelio, que no me mire ». La besó in­
tensamente, de pie, frotando su pelvis contra la de ella. La fue empujando
hacia la cama.
Hicieron el amor dos veces. Adoptaron la clásica posición del misionero
y él se introdujo, con una lentitud eucarística, en la gruta sedosa de su va­
gina. Ella apenas gimió pero Rogelio apreció la autenticidad de esos suspi­
ros. Fue agradable. Después recuperaron el aliento y se quedaron mirando
la manchas del cielo raso. Ella esbozó una caricia sobre su antebrazo que
le escarapeló la piel.
Rogelio decidió entonces que había llegado el momento de cumplir su
mandato. Le preguntó si quería un cigarrillo.
–No fumo – respondió ella.
–A mí sí me provoca uno – dijo.
Se volvió hacia el lado de la cama donde yacía su ropa amontonada y,
escondido en el largo bolsillo interior de su casaca, el cuchillo que había
robado de la cocina del restaurant.
Cuando sintió el ardor del puñal que le atravesaba la espalda, Rogelio
apenas alcanzó a voltear la cara para asombrarse : se encontró con la mi­
rada brillante de Isabel que parecía prolongar el goce del orgasmo con el
arma inesperada entre las manos.

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Jeremías Gamboa

La terre dont nous sommes faits

Pendant plusieurs années, depuis que j’avais commencé à signer mes


premiers articles, de nombreux lecteurs qui me découvraient me faisaient
souvent part de deux impressions qui m’ont toujours parues étranges : 1.
Mon prénom leur évoquait celui d’un homme très âgé. 2. Mon prénom leur
semblait un pseudonyme. Il y avait en lui, me disaient-ils, quelque chose
qui faisait penser à une « création littéraire », une démarche sans doute
séduisante pour nommer un personnage de fiction, quelqu’un d’original ou
distant, mais en aucun cas le petit jeune en chair et en os qui était en face
d’eux. Je leur disais alors que c’était le prénom que mon père avait reçu
du sien et celui qu’à un moment donné il avait décidé de me donner. Puis
je finis par accepter ces commentaires avec un mélange de distance, de
complicité et d’humour.
En 2003, je fus sollicité par le Projet Photographique de la Commission
de la Vérité et Réconciliation du Pérou pour travailler à la rédaction de
textes pour ce qui devait être plus tard l’exposition de photos et le livre
Yuyanapaq, Pour se souvenir, qui rassembla le travail des photographes
qui témoignèrent des années de violence et de terreur au Pérou de 1980
à 2000. C’est au vu de cette expérience, alors que la CVR avait cessé
d’exister, que des fonctionnaires firent appel à moi pour rédiger les textes
accompagnant les 1500 images que la Commission léguerait à la Defensoría
del Pueblo sous forme d’une Banque Virtuelle à laquelle pourrait accéder
toute personne intéressée. J’acceptai sans savoir que ce que je vivrais alors
me changerait pour toujours. La semaine passée, alors qu’on posait la pre­
mière pierre de ce qui serait El Lugar de la Memoria, le musée destiné à
exposer une partie de ces images, je me suis souvenu de ces jours-là. Je
décidai alors d’écrire cette chronique.
Ma mémoire peut faire revivre ces jours avec précision. Je travaillais
dans des conditions très particulières pour cette Banque d’Images : je tra­
vaillais complètement seul et tôt le matin dans un bureau minuscule et

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étouffant d’une demeure sombre de Magdalena, que l’Université Catho­
lique avait cédée à cet usage. Si je le fis ainsi c’est que, pendant la journée,
je n’en avais pas le temps et que je m’étais senti obligé d’accepter étant
donné qu’à cette époque, j’étais celui qui connaissait mieux que personne
la façon­de légender ce type d’images : je savais avec quelle distance, selon
les critères de la Commission, il fallait transmettre l’information. Cepen­
dant, face aux photographies très explicites qui montraient les corps des
paysans morts et que Mayu Mohanna et Nancy Chapell, les éditrices de
Yuyapanaq, avaient décidé de ne pas inclure dans l’exposition ni dans le
livre, mais qui formaient une part importante de cette Banque, je commis
une erreur énorme : je supprimai presque sans m’en rendre compte les
noms des victimes. On m’expliqua alors que je ne pouvais le faire. C’était
précisément l’attitude qu’avait observée une partie de la population péru­
vienne tout au long du conflit. Si on disposait des noms des victimes, on
devait les inclure et précisément parce qu’à l’époque aucun organisme offi­
ciel ne l’avait fait. Je ressentis une honte intense d’avoir agi ainsi.
Les nuits suivantes, sans doute pour essayer de me libérer d’un sen­
timent de culpabilité, j’observai et légendai très attentivement les clichés
d’attentats, de manifestations, de voitures détruites et d’enfants orphelins
que contenaient les dossiers des différents journaux. Une nuit, je découvris
brutalement les photographies d’un massacre dans le village de Puccas,
dans la province de Vilcashuaman, Ayacucho, où mon père avait passé une
partie de son enfance et toute son adolescence. Une autre nuit, tandis que je
vérifiais soigneusement l’identité des victimes, je pris conscience de la fré­
quence qui unissait beaucoup de ces prénoms que j’avais moi-même décidé
d’ignorer : Isaías Uacamayta, Jeremías Condori, Zacarías Gamboa. C’est
pendant ces petits matins où je regardais ces corps écorchés et couverts de
sang que je découvris que le prénom de mon père, et donc le mien, faisait
bel et bien partie d’un monde précis et concret, et que, dans ce monde, il
était tout à fait courant. C’était bien le monde de ces gens que, nous tous,
nous avions pris pour un pseudonyme pendant de longues années.
Je me souviens d’avoir beaucoup pleuré dans ce bureau de Magdalena
en comprenant cela. Et je me souviens aussi que dès lors je travaillais en
état d’alerte face à la possibilité de trouver parmi ces photos l’image d’un
paysan mort appelé Jeremías Gamboa. Aurait-il le visage de mon père ?
me demandais-je. Me ressemblerait-il ? Cependant, au bout d’un certain
temps, à force de voir des photos de morts aux noms proches du mien, je
découvris avec un mélange de soulagement et de chagrin que cela n’arri­
verait jamais. Mon père avait émigré à Lima en 1957 et avait de cette façon
échappé au monde que révélaient ces photographies ; il avait rencontré à

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Lima une fille du même village que lui, il l’avait épousée et avait eu trois
enfants, dont moi, le benjamin : ce garçon de 28 ans au prénom bizarre qui
soudain regardait ces images depuis l’autre côté et les légendait lentement,
la gorge serrée.

II

Il y a quelques semaines, lors d’un voyage en famille, maman et moi,


nous n’avons cessé de nous bagarrer. Mon père et ma sœur aînée ne prirent
parti pour personne et nous rappelèrent au calme, mais cela ne servit à
rien. Personne ne put arrêter les phrases acerbes, les gestes dramatiques ni
le silence agressif que nous nous balancions pendant ces terribles journées
qui nous laissèrent, l’un comme l’autre, blessés et épuisés. Je m’en voulus
très vite de les avoir invités à faire ensemble ce voyage pour la première
fois et aussi d’avoir choisi la province de Vilcashuamán, dans le district
d’Ayacucho, comme but. Ces villages dans lesquels mes parents étaient nés
et avaient passés leur enfance renforçaient des dissensions et réveillaient
des fantômes, composaient un décor trop exigeant pour leur mémoire et
leur âge. Papa réagit plus ou moins bien à tout ce qu’on vit. Pas maman.
Quelque chose en elle s’échauffa et embrasa son esprit et sa poitrine, la
poussant à agir comme elle le fit, à dire ce qu’elle dit et de la façon dont
elle le dit. Moi je répliquai à tout cela du haut de mon aveuglement et le
tout s’enflamma. « Tu es tout pareil à maman », me dit à table ma sœur le
jour le plus violent et papa lui donna raison. Maman et moi, nous sommes
restés silencieux.
Il y eut une époque où nous vivions ensemble et où, traqués par la même
angoisse, maman et moi nous discutions de bon matin et maintes fois elle
me racontait des fragments de son histoire. À la différence de papa, que
j’ai dû asseoir devant un magnétophone pour qu’il retrouve son passé, ma­
man m’a raconté des moments de sa vie tout au long de la mienne. Elle
falsifia toujours la réalité. Quand j’étais enfant, le tableau était idyllique,
et j’imaginais qu’elle était venue d’un endroit splendide très semblable à la
Suisse du dessin animé Heidi que je regardais à l’époque. Avec le temps, le
récit s’assombrit jusqu’à ce qu’adulte, il me fût révélé dans toute sa rage et
douleur. Son enfance avait été dure dans ces parages que nous parcourions
alors. Elle avait été bergère et n’avait reçu aucune éducation. En 1959 elle
avait pris un autocar pour Lima accompagnée d’une sœur qui connaissait
déjà la ville et qui lui demandait de ne pas parler en quechua et d’un cousin
qui la consolait tandis qu’elle essayait de réprimer son envie de vomir, car
elle n’était jamais montée dans une voiture. Elle avait 17 ans. C’est seule­

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ment à son arrivée à Lima et quand elle allait seule regarder la mer à côté
des maisons de Miraflores dans lesquelles elle travaillait qu’elle comprit
que tout était contre elle. Elle venait des Andes, parlait quechua, était mé­
tisse­et analphabète. En plus elle était femme et aussi orpheline. Sa mère
était morte alors qu’elle n’avait pas cinq ans.
Un jour, avant de se marier avec papa, maman avait décidé de brûler
tout ce qui avait à voir avec son passé pour devenir la femme occidentale
que j’ai connue comme mère : brûlèrent ses photos lors de son arrivée, ses
robes et jupons, ses cahiers d’école. Pour nous, ma mère fut longtemps une
femme sans passé, cette femme aux yeux clairs qui se maquillait les lèvres
en se regardant dans le miroir sous le regard amoureux de son seul fils, et
que, parfois, le soir, il voyait pleurer avec ses sœurs quand un huayno était
chanté dans cette langue qui semblait si lointaine et qu’elle n’avait jamais
voulu m’enseigner. Telle était cette femme déchirée dont petit j’étais éper­
dument amoureux et que je m’étais promis, un jour ou un autre, de guérir
de toutes ses blessures. Celle qui avait pris des cours du soir et avait appris
à lire et écrire quand ses camarades se moquaient de son mauvais espa­
gnol et qui, dès le jour où ses trois enfants prirent connaissance du monde,
n’avait cessé de leur répéter le mot « université ».
Nous sommes l’écriture de ma mère. Comme dans le poème de Blanca
Varela, elle nous avait nourris de cette « réalité mal cuite » qu’elle avait dû
vivre, cette terre qui avait commencé à se modeler dans cette région d’Aya­
cucho sous le poids de la perte et la douleur et qui sans doute avait suscité
ma vocation et inspire tout ce que j’écris, y compris ce texte où j’essaie de
lui dire ce que vraisemblablement je lui tairai ce dimanche quand j’irai lui
rendre visite. Que je l’admire plus que personne d’autre au monde. Que
j’aime la terre dont elle m’a fait. Que j’ai le bonheur d’être le fils qui lui
ressemble le plus.

Traduit de l’espagnol par Françoise Garnier.

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Jeremías Gamboa

El barro que nos hizo

Durante muchos años, desde que empezara a firmar mis primeros artí­
culos, muchos lectores que recién me conocían solían manifestarme dos
impresiones que siempre me parecieron extrañas : 1. Mi nombre les sonaba
al de un hombre de muchísima edad. 2. Mi nombre les parecía un seudó­
nimo. Había algo en él – me decían – que daba la impresión de una « crea­
ción literaria », un gesto sin duda atractivo para nombrar a un personaje
de ficción, alguien original o remoto, pero de ningún modo al jovencito de
carne y hueso que tenían al frente. Yo les decía entonces que era el nombre
que recibió mi padre del suyo y que en cierto momento decidió ponérmelo
a mí. Luego terminaba aceptando aquellos comentarios con una mezcla de
distancia, complicidad y humor.
En el año 2003 fui convocado por el Proyecto Fotográfico de la Comi­
sión de la Verdad y Reconciliación del Perú para trabajar como editor de
textos de lo que sería más adelante la muestra fotográfica y el libro visual
Yuyanapaq. Para recordar, que reunió el trabajo de los fotógrafos que
documentaron los años de violencia y terror en el país de 1980 al año 2000.
Fue a raíz de esa experiencia, cuando ya la CVR había dejado de existir,
que algunos funcionarios me llamaron para editar los textos de las 1500
imágenes que la Comisión legaría a la Defensoría del Pueblo a través de
un Banco Virtual al que podrían acceder todos los peruanos interesados.
Acepté sin saber que lo que viviría allí me modificaría para siempre. La
semana que pasó, mientras se colocaba la primera piedra de lo que será el
Lugar de la Memoria, el museo destinado a exhibir parte de esas imáge­
nes, volví a recordar aquellos días. Entonces decidí escribir esta columna.
Mi memoria puede recobrar esos días con nitidez. Trabajé en condicio­
nes muy particulares para aquel banco de Imágenes : lo hacía completa­
mente solo y de madrugada en una oficina pequeñita y asfixiante dentro
de una casona oscura, en Magdalena, que La Universidad Católica había

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cedido para ese fin. Lo hice así porque no tenía tiempo de día y me había
visto forzado a aceptar debido a que a esas alturas se suponía que era yo
quien conocía mejor que nadie la manera de reseñar ese tipo de imágenes :
sabía la distancia desde la cual se debía reseñar la información bajo las
consideraciones de la Comisión. Sin embargo, frente a las fotografías muy
explícitas que revelaban los cuerpos de los campesinos muertos, y que
Mayu Mohanna y Nancy Chappell – las editoras de Yuyanapq – habían
decidido no colocar en la muestra ni en el libro pero que formaban parte
importante del Banco cometí un error garrafal : suprimí casi sin darme
cuenta los nombres de las víctimas. Me explicaron entonces que no podía
hacer eso. Esa era justamente la actitud que había guardado un sector de la
sociedad peruana durante los años del conflicto. Si teníamos a la mano los
nombres de las víctimas teníamos que consignarlos precisamente porque
en su momento ningún medio oficial lo había hecho. Me avergoncé profun­
damente de lo que hice.
Las noches sucesivas, quizás tratando de aliviar un creciente sentimien­
to de culpa, observé y reseñé con mucha atención las tomas de atentados,
marchas proselitistas, coches destruidos y niños huérfanos que contenían
las carpetas de los diferentes medios periodísticos. Una noche, con sobre­
salto, descubrí las fotografías de una masacre en el pueblo de Puccas, en
la provincia de Vilcashuamán, en Ayacucho, donde mi padre pasó parte de
su niñez y toda su adolescencia. Otra, mientras registraba cuidadosamente
la identidad de las víctimas, fui consciente de la recurrencia de vinculaba
muchos de los nombres que yo mismo había decidido pasar por alto : Isaías
Uscamayta, Jeremías Condori, Zacarías Gamboa. Fue entonces, en esas
madrugadas y mirando esos cuerpos desollados y llenos de sangre, que
descubrí que el nombre de mi padre, y el mío, en verdad sí pertenecían a
un mundo definido y concreto, y que en él resultaba perfectamente normal.
Era el mundo de aquellas personas el que nos había parecido a todos un
seudónimo durante muchos años.
Recuerdo que lloré mucho y muchas veces en esa oficina de Magdalena
cuando entendí aquello. Y recuerdo también que desde entonces trabajé en
estado de alerta ante la posibilidad de encontrar entre las fotos la imagen
de un campesino muerto llamado Jeremías Gamboa. ¿Tendría el rostro
de mi padre ?, me preguntaba. ¿Se parecería a mí ? En cierto momento,
sin embargo, de tanto ver fotos de muertos con nombres próximos al mío,
descubrí con una mezcla de alivio y dolor que aquello jamás ocurriría. Mi
papá había migrado a Lima en el año de 1957 y de ese modo había escapado
del mundo que esas fotografías revelaban ; había conocido a una paisana
suya en Lima, se había casado con ella y había engendrado tres hijos, el

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último de ellos yo : el chico de 28 años con un nombre raro que de pronto
miraba esas imágenes desde el otro lado y las reseñaba lentamente, con un
nudo atravesado en la garganta.

II

Hace unas pocas semanas, en un viaje familiar, mamá y yo no paramos


de pelear. Mi padre y mi hermana mayor no tomaron partido por nadie y
nos llamaron a la calma, pero no sirvió de nada. Nadie pudo detener las
frases tajantes, los gestos dramáticos ni el silencio agresivo que nos propi­
namos esos días tremendos de los que salimos igual de heridos y agotados.
Muy rápido me arrepentí de haberlos invitado a viajar juntos por primera
vez y también de haber escogido Vilcashuamán, en Ayacucho, como desti­
no. Aquellos pueblos en los que mis padres nacieron o libraron su infancia
acentuaban grietas y despertaban fantasmas, eran un escenario demasiado
exigente para su memoria y su edad. Papá reaccionó más o menos bien a
todo lo que vimos. Mamá no. Algo prendió en ella e incendió su mente y
su pecho y la llevó a actuar como actuó, a decir las cosas que dijo y de la
forma en que las dijo. Yo reaccioné a todo eso desde la ceguera y enton­
ces todo ardió. « Eres igualito a mamá », me dijo mi hermana en la mesa
familiar el peor día de todos, y mi papá le dio la razón. Mamá y yo nos
quedamos en silencio.
Hubo una época en que vivimos juntos y en la que, acosados por la
misma angustia, mamá y yo hablábamos de madrugada y ella me contaba
una y otra vez fragmentos de su historia personal. A diferencia de papá,
a quien he tenido que sentar ante una grabadora para que recobre su pa­
sado, mi madre me ha ido contando pasajes de su vida a lo largo de toda
la mía. Siempre alteró la realidad. Cuando era niño, el relato era idílico,
y yo pensaba que ella había llegado de un lugar espléndido muy parecido
a la Suiza del dibujo animado Heidi que veía por esos años. Con el tiem­
po la narración se fue oscureciendo hasta que en la adultez se me reveló
con toda su rabia y dolor. Su infancia había sido dura en esos sitios que
ahora recorríamos. Había sido pastora y no había recibido educación. En
1959 tomó un bus a Lima acompañada de una hermana que ya conocía la
ciudad y le pedía que no hablara en quechua y un primo que la consolaba
mientras ella trataba de evitar las ganas de vomitar porque nunca antes se
había subido a un auto. Tenía 17 años. Solo cuando llegó a Lima y se iba
sola a mirar el mar al lado de las casas miraflorinas en las que trabajaba
entendió que tenía todo en contra. Era de los Andes, era quechua hablante,

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era mestiza y analfabeta. Además era mujer, y también huérfana. Su madre
murió cuando ella no había cumplido cinco años.
Un día antes de casarse con mi papá, mi mamá decidió quemar todo
aquello que remitía a su pasado para convertirse en la mujer occidental
que conocí como mi madre : ardieron sus fotos de recién llegada, sus ves­
tidos y polleras, sus cuadernos de colegio. Para nosotros, mi madre fue
durante mucho tiempo una mujer sin pasado, esa señora de ojos claros que
se pintaba los labios mirándose al espejo ante la mirada enamorada de su
único hijo varón y a la que a veces, en las noches, veía llorar junto a sus
hermanas mientras sonaba el huayno en esa lengua que parecía remota y
que nunca quiso enseñarme. Esa fue la mujer escindida de la que me ena­
moré perdidamente de pequeño y a la que, en algún momento impreciso,
me prometí resarcir de todo lo que la hería. Es la misma que se alfabetizó
en un colegio nocturno ante las burlas de sus compañeras por su mal es­
pañol y que les repitió a sus tres hijos la palabra « universidad » desde que
cobraron consciencia del mundo.
Somos la escritura de mi madre. Como en el poema de Blanca Varela,
ella nos alimentó con aquella « realidad mal cocida » que le tocó vivir, ese
barro que se empezó a fraguar en esos parajes de Ayacucho bajo la pérdida
y el dolor y que posiblemente despertó mi vocación y anima todo lo que
escribo, incluido este texto en que intento decirle lo que probablemente
calle hoy domingo cuando vaya a saludarla. Que la admiro como a ningu­
na persona en el mundo. Que amo el barro con el que me hizo. Que tengo
la fortuna de ser el hijo que más se parece a ella.

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Fernando Ampuero

Longueurs de bassin avec Julio Ramón

Julio Ramón Ribeyro aimait nager. Il disait souvent qu’il avait beaucoup
nagé pendant sa jeunesse, qu’il se jetait dans les vagues et glissait dans les
flots comme un dauphin. Il était nostalgique de ses étés d’autrefois, à Lima
ou Capri, et m’a confié un jour qu’il voulait s’y remettre. Plonger, alterner la
brasse et la nage indienne, battre des pieds rapidement sans éclaboussures.
« Style crawl », m’expliqua-t-il. J’admirais son enthousiasme bien sûr, mais
je supposais, non sans appréhension, qu’il n’était pas en état d’envisager de
tels ébats. À la fin des années quatre-vingt, un coup d’œil sur sa silhouette
suffisait pour constater son extrême maigreur. Cette minceur s’expliquait
par d’anciennes opérations pour soigner un cancer de l’estomac.
—  Je sais bien ce que tu penses, Fernando, me dit-il, mais tu te trompes :
je suis maigre mais robuste et je suis sûr que je pourrais très bien nager. De
toute façon, là n’est pas le problème.
—  Ah bon ?
—  Non, mon problème est ailleurs.
—  Quel est-il ?
—  Je veux nager là où il n’y a personne. J’ai honte d’être aussi maigre.
Je ne supporterais pas que les gens me voient.
J’ai rapidement compris la situation et je me suis mis à chercher des
solutions. Les plages ensoleillées aux heures où la mer est chaude étaient
bondées. Il en allait de même pour les plages des clubs privés entre Chor­
rillos et Miraflores : Regatas, Waikiki, Las Terrazas. Les gens s’entas­
saient de plus en plus à Lima et il n’y avait ni mer hospitalière ni piscine
sans baigneurs. Il semblait difficile de trouver la solution souhaitée mais ce
fut Julio lui-même qui, sans le vouloir, finit par la trouver. Une après-midi
de cet été-là, alors que nous étions, l’un et l’autre, épuisés par la chaleur
et les nouvelles d’attentats terroristes, il a lancé un commentaire sur « Los
cóndores », un quartier huppé du district de Chaclacayo, qui bénéficiait
du soleil toute l’année et où une bonne partie de la bourgeoisie de Lima
passait ses week-ends pendant l’hiver. Son ami Herman Braun, un peintre

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qui vivait alors à Paris, avait une jolie maison de campagne dans la partie
haute de « Los cóndores » et en avait prêté les clés à Julio au cas où il aurait
envie de se reposer dans un endroit tranquille.
Tranquille, certes il l’était. « Los cóndores » était, à l’époque, aussi
tranquille qu’un village fantôme, et non seulement parce qu’on était en
été, mais parce que les propriétaires de ces maisons de luxe entourées de
magnifiques paysages avaient fui devant le risque d’incursions de bandes
terroristes qui rodaient dans les montagnes. De nombreux habitants avaient
déjà reçu des menaces et, dans certains cas, leurs provisions avaient été
pillées. Personne n’allait plus par là, mais j’avais appris que le splendide
Country Club de « Los cóndores » était resté ouvert, même si les membres
qui profitaient de ses installations se faisaient rares.
—  Allons-y – suggérai-je. On m’assure que l’endroit est sûr pendant
la journée. Nous irons à midi, nous nous baignerons dans la piscine du
club qui donne sur une immense pelouse. Puis nous visiterons la maison
d’Herman et nous rentrerons avant la tombée de la nuit. Qu’en penses-tu ?
—  Génial, s’écria Julio, faisons ça dès demain !
—  C’est d’accord.
—  Tu crois vraiment qu’il n’y aura personne ?
—  C’est ce qu’on m’a dit.
Il n’y avait pas un chat. Nous sommes arrivés au club à midi et demi,
habillés comme des gentlemen en tenue d’été soignée, veston sport et mo­
cassins cirés, chacun portant un sac avec maillot de bain et serviette, et
alors que nous nous approchions, Julio m’a arrêté, me tirant par le bras. Il
voulait partager avec moi un détail auquel nous n’avions pas pensé.
—  Tu es bien membre ? demanda-t-il.
—  Non, avouai-je, la tête haute et débordant de présence d’esprit. Non
que je sois un pique assiette professionnel ni rien de ce genre, je suis plutôt
tout le contraire, jamais je ne vais quelque part sans avoir reçu une invita­
tion en bonne et due forme. Mais mon désir de voir Julio nager à son aise,
ainsi que mon bon sens de Liménien qui fréquente certains cercles, m’indi­
quait qu’une attitude décidée nous serait d’un grand secours. Ne t’inquiète
pas, lui conseillai-je, contente-toi de marcher d’un pas ferme et de sourire.
Nous avons fait notre entrée, très détendus, dans le hall désert du club
et, au moment où des employés se sont approchés, j’ai pris l’initiative.
—  Bonjour, les saluai-je d’une voix ferme, pleine de sympathie. Ser­
vez-nous deux whisky et de l’eau minérale, en terrasse et, s’il vous plait,
apportez-nous la carte du restaurant, nous déjeunerons ensuite.
Ces mots eurent un double effet, suscitant euphorie soudaine et empres­
sement chez les employés étonnés, des garçons morts d’ennui à rester les

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bras croisés. Ils ne nous demandèrent même pas si nous étions membres.
Un tel aplomb et assurance de notre part garantissaient que nous l’étions,
à moins qu’ils ne fussent tout simplement ravis de servir des clients et jus­
tifier ainsi leur emploi.
Les petites bouteilles d’eau minérale et les verres de whisky nous furent
servis en un clin d’œil et, un instant plus tard, nous commandions le
déjeuner, en précisant toutefois qu’on nous le serve une demi-heure plus
tard car nous allions nous baigner. Les garçons acquiesçaient, tout heu­
reux, de sorte que, au bout de quelques minutes, après nous être changés,
Julio et moi, nous sommes sortis en maillot de bain. Je remarquai que
Julio, dans son malheur, était mince comme un fil, ou au mieux comme un
clou. Mais ce n’était pas une maigreur de camp de concentration. C’était, à
mes yeux, une maigreur élégante.
Alors vint le meilleur moment de la journée. Tandis que sa silhouette
se détachait sur la grande prairie verte et la chaîne de montagnes bleutées,
Julio s’est arrêté à deux mètres du bord de la piscine, avec le sérieux d’un
nageur olympique. Sous un ciel sans nuages, l’eau lisse d’un bleu turquoise
scintillait sous les reflets du soleil. Un garçon a déposé le seau de glaçons
argenté sur notre table ce qui a détourné un instant mon attention et c’est
alors que j’ai entendu derrière moi l’explosion nette du plongeon de Julio.
J’ai imaginé que mesurant la distance qui le séparait du bord, il avait couru
pour prendre son élan mais je ne m’y attardai pas car il nageait déjà, avec
souplesse et fermeté, s’étirant pour être à l’horizontale. Sa tête, trempée par
le plongeon, était luisante et peignée en arrière comme celle des chanteurs
de tango. Assurément Julio Ramón nageait très bien. Je l’observais pen­
dant plusieurs longueurs de bassin, ébloui par son style et sa vitesse, puis,
j’ai, à mon tour, plongé pour lui tenir compagnie. Nous avons nagé pendant
dix minutes, et après une pause, nous avons nagé encore dix autres. Puis,
le visage reposé et radieux, Julio a souri, mais ce n’était pas cette fois le
sourire hypocrite de notre arrivée au club, maintenant il souriait vraiment,
jusqu’aux oreilles, de toutes ses dents, avec cette joie spontanée que nous
arrachent les plaisirs simples de la vie.
—  Ce bain valait bien le voyage, remarquai-je, tu ne crois pas ? et Julio
dut se dire en son for intérieur qu’il n’était pas nécessaire de répondre. Son
sourire était suffisant.
Nous avons mangé des soles meunières et une causa limeña1, que nous
avons accompagné d’un sauvignon blanc, et, ragaillardis par la douceur

1. Plat traditionnel de Lima à base de pommes de terre, piment, citron et poulet. (NDT)

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des hauteurs de Chaclacayo, nous avons paisiblement discuté de livres
récents. Et deux heures plus tard, vers trois heures, nous avons réglé l’ad­
dition en laissant un généreux pourboire et, comme nous l’avions prévu,
nous sommes remontés en voiture vers le haut de « Los cóndores ».
La maison d’Herman était littéralement au sommet. Le trajet, en épingles
à cheveux, révélait de vastes maisons avec piscines, mais totalement vides.
Cependant, en arrivant sur une place devant la maison d’Herman, nous
avons trouvé une douzaine de jeunes qui jouaient bruyamment au foot.
C’étaient les gardiens des maisons de cette partie du quartier, d’une tren­
taine de villas.
Julio s’est approché du groupe et a demandé si l’un d’entre eux était le
gardien de la maison de Monsieur Braun, et un jeune, les cheveux attachés
et le tee-shirt troué, s’est avancé.
—  C’est moi, Monsieur.
—  Ah, super, dit aimablement Julio. Nous sommes amis de Monsieur
Braun, qui nous a donné la clé de sa maison et nous sommes venus y jeter
un coup d’œil.
—  Bien entendu, Messieurs, dit le gardien, venez. Et il nous a indiqué
l’entrée tout en s’assurant que nous ouvrions bien la maison avec nos clés.
À peine avions-nous fait le tour de la maison, que nous avons vu que
c’était un endroit idéal pour y déjeuner entre amis, et nous nous sommes dit
que nous pourrions éventuellement à l’avenir y organiser quelque chose.
Il y avait une belle terrasse et des pièces avec de grandes baies vitrées.
Mais ensuite, alors que nous fermions la porte principale et nous nous diri­
gions vers la voiture pour rentrer à Lima, j’ai demandé au gardien combien
d’heures par jour ils jouaient au foot.
—  Trois, Monsieur, répondit-il, car dernièrement il n’y a rien à faire
dans le coin, et il ajouta ensuite, avec plus d’entrain. Chacun nettoie un peu
la maison dont il s’occupe, on huile les charnières, des trucs comme ça, et
après, pour rester en forme, on joue au foot,… pour de vrai. On est deux
équipes de neuf ou dix joueurs, tout dépend de qui est là…
Le chahut des joueurs qui se disputaient énergiquement le ballon s’im­
posait comme une sorte de musique de fond.
—  À quel poste joues-tu ? interrogea Julio, distraitement.
—  Je suis avant gauche.
—  Et vous avez donné des noms à vos équipes ?
—  Évidemment, Monsieur !, rit le gardien, la mienne s’appelle Coman­
dante Che Guevara et l’équipe adverse Augusto César Sandino.

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—  Intéressant, commenta Julio avec un filet de voix, bon… continuez
votre partie de football, c’est un grand sport et merci de votre accueil. Nous
devons y aller.
Quand nous sommes montés dans l’auto et avons allumé le moteur, tous
les gardiens ont stoppé la partie et nous ont regardé fixement. Julio a levé la
main pour les saluer et moi, avec le même élan, je l’ai imité. Trois ou quatre
jeunes nous ont répondu et les autres, derrière le nuage de poussière que
soulevait la voiture, sont restés à nous regarder. Fixement.

Traduit de l’espagnol par Françoise Garnier.

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Fernando Ampuero

Largos de piscina con Julio Ramón

A Julio Ramón Ribeyro le gustaba nadar. Acostumbraba decir que ha­


bía nadado mucho durante sus años juveniles y que corría olas a pecho y
que se deslizaba en las aguas marinas como un delfín. Sentía nostalgia de
sus veranos de antaño, en Lima y Capri, y un día me dijo que quería inten­
tarlo otra vez. Zambullirse, alternar el braceo y la respiración lateral, pata­
lear velozmente sin levantar espuma. « Estilo crawl », me ilustró. Celebré
su entusiasmo, desde luego, pero suponía, no sin temor, que él estaba en
malas condiciones para tales trajines. A fines de los años ochenta, bastaba
echar una mirada a su fisonomía y constatar su flacura extrema. Aquella
delgadez era consecuencia de antiguas operaciones debidas a un cáncer de
estómago.
–Sé lo que piensas, Fernando – me dijo –, aunque te equivocas : soy
flaco, pero fuerte ; y estoy seguro que podré nadar muy bien. En todo caso,
mi problema no es ese.
–¿No ?
– No. Mi problema es otro.
– ¿Cuál es ?
–Quiero nadar donde no haya gente. Me avergüenza estar tan flaco. No
soportaría que la gente me vea.
Entendí rápidamente la situación y empecé a buscar soluciones. Las pla­
yas soleadas en las horas de mar tibio se hallaban repletas. Sucedía lo mis­
mo con las playas de los clubes marítimos entre Chorrillos y Miraflores :
Regatas, Waikiki, Las terrazas. Lima estaba cada vez más hacinada de
gente y no había un mar amigable o una piscina grande libre de bañistas.
No parecía fácil dar con la anhelada solución, pero ésta, sin querer, aca­
baría procurándola el propio Julio. En una tarde de aquel verano, hartos
los dos del calor y de las noticias sobre atentados terroristas, me soltó un
comentario sobre « Los cóndores », barrio lujoso en el distrito de Chacla­
cayo, que gozaba de sol todo el año, y donde buena parte de la burguesía
limeña pasaba los fines de semana de invierno. Su amigo Herman Braun,
pintor que entonces residía en París, tenía una bonita casa de campo en la

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parte alta de « Los cóndores » y le había prestado a Julio las llaves por si se
le antojaba descansar en un lugar tranquilo.
Tranquilo era, sin duda. « Los cóndores » lucía tan tranquilo como un
pueblo fantasma por aquellos días, y no solo porque estábamos en tempo­
rada de verano, sino porque los dueños de esas casas exclusivas y rodea­
das de bellos paisajes habían huido por el peligro de las visitas de huestes
terroristas que merodeaban los cerros. A muchos vecinos ya les habían
hecho amenazas y, en algunos casos, habían saqueado sus víveres. No iba
nadie por allí, pero yo estaba enterado que el espléndido Country Club de
« Los cóndores » seguía abierto, aunque eran raros los socios que disfruta­
ban de sus instalaciones.
–Vayamos para allá – propuse –. Me aseguran que durante el día no es
peligroso. Iremos al mediodía y nos bañaremos en la piscina del club, con
vista a un inmenso prado. Luego visitaremos la casa de Herman y regresa­
remos antes de que oscurezca, ¿qué te parece ?
–¡Bestial ! – exclamó Julio –. ¡Hagámoslo mañana mismo !
–Así será.
–¿Pero crees realmente que no habrá gente ?
–Eso me dicen.
No había un alma. Llegamos al club a las doce y treinta del día, vestidos
como dos caballeros en pulcra tenida estival, sacos sport y mocasines lus­
trosos, cada uno portando un maletín con ropa de baño y toallas, y cuando
nos acercábamos, Julio me detuvo, jalándome de un brazo. Quería secre­
tearme un detalle en el que no habíamos pensado.
–¿Tú eres socio, no ? – inquirió.
–No – confesé, alta la cabeza y desbordando presencia de ánimo. No
era que fuese un zampón profesional ni nada por el estilo ; más bien yo soy
todo lo contrario : jamás acudo a ninguna parte si no me han enviado una
expresa invitación. Pero mi deseo de que Julio pudiera nadar a sus anchas,
así como mi sentido común de limeño que socializa en determinados cír­
culos, me indicaba que una actitud decidida nos ayudaría mucho –. Tú no
te preocupes – lo aleccioné –. Camina nomás sin titubeos y sonríe todo el
tiempo.
Entramos muy campantes al vestíbulo desierto del club y, en el momen­
to en que unos empleados se aproximaban, yo tomé la iniciativa.
–Buenas tardes – saludé con voz tonante, plena de simpatía –. Quere­
mos whisky con agua mineral, servido en la terraza, y por favor lleven la
carta del restaurante, pues vamos a almorzar.
Mis palabras causaron un doble efecto de súbita felicidad y diligencia en
los sorprendidos empleados, muchachos aburridísimos de estar cruzados

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de brazos. Ni siquiera preguntaron si es que éramos socios. Tanto aplomo
y seguridad de nuestra parte garantizaba que debíamos serlo, o quizá tan
solo se alegraban de atender a alguien y justificar su razón de ser laboral.
Las botellitas de agua mineral y los vasos de whisky los sirvieron en un
tris y un momento después ordenamos el almuerzo, pero indicándoles que
lo llevaran dentro de media hora, porque íbamos a meternos a la piscina.
Los mozos asentían, felices, de modo que pasados unos minutos, tras cam­
biarnos en los camerinos, salimos Julio y yo en ropas de baño. Advertí que
Julio, en ese trance, parecía un fideo, o a lo sumo un filamento. Pero no
era la suya una flacura de campo de concentración. Era, creo yo, un flaco
elegante.
Entonces aconteció lo mejor del día. Enmarcada su silueta por el gran
prado verde y por una cadena de cerros azulinos, Julio se detuvo a dos me­
tros del borde de la piscina, con la seriedad de un nadador olímpico. Bajo
un cielo sin nubes, el agua, tersa y de un celeste turquesa, centelleaba de
reflejos solares. Un mozo depositó la plateada cubeta de hielos en nuestra
mesa de la terraza y me distrajo un instante, y fue entonces cuando oí a mis
espaldas la limpia explosión de la zambullida de Julio. Imaginé que había
tomado impulso con una carrerita previa, considerando su separación del
borde, pero no seguí en eso porque él ya nadaba, con suavidad y firmeza,
estirándose hasta quedar horizontal sobre la superficie. Su cabeza, em­
papada por la sumersión, aparecía reluciente y peinada hacia atrás como
las de los cantantes de tangos. Julio Ramón, por cierto, nadaba muy bien.
Lo estuve contemplando de ida y vuelta, en varios largos, admirado de su
estilo y velocidad, y luego me zambullí yo para acompañarlo. Nadamos
diez minutos, descansamos un rato, y volvimos a nadar otros diez. Luego,
con la cara fresca y radiante, Julio sonrió, pero esta vez prescindiendo de
la falsa sonrisa de nuestro ingreso al club ; ahora sonreía de veras, de lado
a lado, mostrando todos los dientes, con la innata alegría que nos arrancan
los sencillos placeres de la vida.
–Esta nadada amerita con creces haber venido – comenté –, ¿no crees ? –
y Julio debió considerar en su fuero interno que no necesitaba contestar. Su
sonrisa lo decía todo.
Almorzamos lenguado a la meuniére y causa limeña, y lo acompaña­
mos con un Sauvignon blanc, reconfortados con el cálido clima serrano de
Chaclacayo, en tanto que conversábamos sosegadamente sobre libros re­
cientes. Y dos horas después, a eso de las tres, pagamos la cuenta y dimos
una generosa propina, y, tal como lo habíamos planeado, trepamos al auto
rumbo a la parte alta de « Los cóndores ».

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La casa de Herman quedaba literalmente en la punta del cerro. El tra­
yecto, que serpenteaba a cada tramo, mostraba grandes casas con piscinas,
pero totalmente vacías. Sin embargo, al llegar a una planicie enfrente de
la casa de Herman, encontramos a una docena de muchachos jugando bu­
lliciosamente fulbito. Eran los guardianes de las casas de aquella parte del
barrio, que tendría unas treinta casonas.
Julio Ramón abordó al grupo y preguntó si alguno de ellos era el guar­
dián de la casa del señor Braum, y un muchacho, con vincha y camiseta
llena de huecos, dio un paso adelante.
–Soy yo, señor.
–Ah, qué bien – dijo amablemente Julio –. Somos amigos del señor
Braum, que nos ha dado la llave de su casa, y hemos venido a dar una
mirada.
– Cómo no, señores – dijo el guardián –. Pasen – y nos señaló la entra­
da, aunque se cercioró de que abriéramos la casa con nuestras llaves.
Tan pronto hicimos el paseo de inspección, vimos que era un espacio
perfecto para hacer un almuerzo entre amigos, y nos dijimos que tal vez
más adelante podríamos organizar algo. Tenía una buena terraza y unos
salones con amplios ventanales. Pero luego, al momento en que cerrába­
mos la puerta principal y nos encaminábamos al auto para regresar a Lima,
yo le pregunté al guardián cuántas eran las horas del día que destinaban
al fulbito.
–Tres, señor – contestó –, porque últimamente por aquí no hay nada qué
hacer – y luego, más animado, añadió con locuacidad –. Cada uno limpia
un rato la casa que tiene a su cargo, pone aceite a las bisagras y cosas así,
y después, para mantener la forma, juega fulbito… puro fulbito. Somos
dos equipos de nueve o diez jugadores, dependiendo de quiénes caigan…
La algarabía de los jugadores que se disputaban enérgicamente la pelota
se imponía como una suerte de música de fondo.
–¿En qué posición juegas ? – indagó Julio, distraído.
–Soy delantero, del ala izquierda.
–¿Y han puesto nombres a sus equipos ?
–¡Claro, señor ! – rió el guardián –. El mío se llama Comandante Che
Guevara, y el equipo contrario se llama Augusto César Sandino.
–Interesante – comentó Julio con un hilo de voz –. Bueno… sigan ju­
gando al fútbol, que es un gran deporte, y gracias por atendernos. Nosotros
ya tenemos que partir.
Cuando subimos al auto y encendimos el motor, todos los guardianes
detuvieron el partido y nos miraron fijamente. Julio levantó una mano para
despedirse, y yo, con idéntico talante, lo remedé. Tres o cuatro muchachos

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respondieron nuestros saludos, y los demás, detrás de una nube de polvo
que levantaba el auto al rodar, continuaron mirándonos. Fijamente.

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Richard Parra

Necrofucker (extrait)

L’Antéchrist faisait des envieux parce qu’il était calé en metal : il se


tenait au courant des nouveaux groupes et dégotait les cassettes under­
ground les plus prisées. Il a été le premier à se montrer avec les démos
Necrolust de Vader et Fuck Me Jesus de Marduk.
Le sport et la fête ça l’intéressait pas, encore moins les études ; il ne
rêvait que de s’acheter un jour une BC Rich Ironbird et d’enregistrer un
disque aussi brutal que le Hell Awaits de Slayer ; dans sa tête, j’en suis sûr,
le metal le plus hargneux et le plus satanique résonnait vingt-quatre heures
sur vingt-quatre.
Je suis jamais allé chez l’Antéchrist. Il m’avait juste dit qu’il habitait une
vieille baraque de la colonie Bocanegra dans le Callao et qu’il détestait
crécher là-bas. Il m’avait dit aussi que son père était mort dans un accident
de la route ; qu’il n’avait pas de frères et sœurs et qu’il avait été élevé par sa
grand-mère, déjà morte à cette époque.
Apparemment, sa mère était schizophrène et restait enfermée et atta­
chée parce qu’elle pétait les plombs. C’est peut-être pour ça qu’on le voyait
tout le temps à Colmena.
Le matin, c’était pain perdu et soupe de fèves. Pour déjeuner, il achetait
à manger sur les charriots du marché central et le soir, c’était patate à l’œuf,
ou brochettes chez l’Oncle Viscères. Parfois, il dormait dans les garages
avec les vendeurs de rue ou dans les cinés porno qu’on fréquentait pour
que les pédés nous sucent contre de la dope ou quelques pièces.
L’Antéchrist avait du respect pour les groupes classiques, pour Judas,
Sabbath, Maiden, mais il pouvait pas saquer Zeppelin ni Purple ; c’était pas
des métalleux pour lui. Ça va sans dire : il détestait les groupes de poseurs
de Los Angeles genre Motley Crue et Ratt.
—  Pur commercialisme – disait-il. Un groupe de metal qui joue des
ballades ? C’est pas du metal, ça, c’est du rock, de la pop, de la merde en
boîte.

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Il avait le même avis sur les groupes péruviens. Il écoutait ceux de la
Colmena comme Génocide et Kthulu, et de Comas comme Hades, mais
il haïssait les métalleux fils-à-papa, surtout les Gorgar et les Masacra qui
passaient au Newton et dans les pubs de richards.
Je me rappelle être allé avec lui à un concert heavy au théâtre Marsano
de Miraflores ; mais on était pas rentrés ; on était restés dehors à picoler du
pisco et à fumer du crack ; ce jour-là, l’Anthé n’a pas arrêté de faire chier
les p’tits bourges fans de Gorgar.
—  Frimeurs, ta guitare c’est ta mère qui te l’a achetée, j’vais t’chouraver
ton p’tit tee-shirt importé, moi – qu’il leur disait.
À cette époque, l’Anthé parlait déjà de monter un groupe.
—  On va leur montrer à ces imbéciles ce que c’est que le vrai metal.
Quelque temps après, à Tacora, l’Anthé s’est payé une guitare d’où il
sortait deux ou trois power chords de Hellhammer. Il s’est ramené plus tard
avec une électrique accrochée dans le dos : une Sruyz peinte comme les
violes de Van Halen. Il a pas dit où il avait trouvé le fric, mais j’ai su par la
suite qu’il se l’était faite offrir par un vieux pédé à qui il poussait le caca.
Bon, les gars, faut monter un groupe – nous a-t-il dit.
— Grave – lui a répondu Sata. Je prends la basse.
—  Toi, à la batterie – m’a dit l’Anthé.
— Putain de merde – a dit Wanda. Quel groupe, bordel ? Vous êtes
bons qu’à jouer avec votre bite. Branleurs de merde !
—  Ça s’apprend – a dit l’Anthé. Si ces abrutis de punks d’Eutanasia qui
jouent faux remplissent les salles de concerts, nous aussi on peut.
Sata s’est dégoté une gratte d’occasion et des revues de tablatures Funky
Hits. Moi, j’ai trouvé des baguettes sur la place Dos de Mayo et un manuel
pour percussionnistes du groupe de musique de la police et je m’entraînais
dans mon canapé.
On répétait dans la chambre de Sata avec des baffles et un coussin et
après, on allait à la salle de répétition de Pancho Locutor en face du Stade
National.
Au début, on jouait les morceaux des autres. Mais au bout de quelques
semaines, on a joué un truc à nous. Notre première chanson, c’était une
variante de « Carnage » du groupe norvégien Mayhem. L’Anthé a composé
les paroles en espagnol et moi, avec un dictionnaire, je les ai traduites en
anglais.
Après une cuite à l’Enfer, on a baptisé notre groupe Necrofucker. Je
me souviens m’être proposé pour faire le logo et j’ai demandé à Wanda de
m’aider pour le dessin.

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—  On dirait le nom d’une bande de bouffons – m’a dit Wanda. Ça colle
pas.
—  Arrête tes conneries. Sérieux : tu trouves ça pourri, vraiment ?
—  Je te le dis sincèrement. Ça fait pas trop satanique, on dirait plutôt
des gogoles en rut qui baisent des mortes.
—  Sérieux ?
—  J’irais jamais au concert d’un groupe avec un nom aussi ridicule.
C’est trop à chier.
—  Putain, on peut rien te dire sans que tu dises le contraire. Je sais pas
comment je fais pour te supporter. Tu fais vraiment chier, merde.
—  Parle-moi bien, bordel. Tu me demandes d’être honnête, je suis sin­
cère avec toi et tu te vexes : t’es un aigri.
—  Tu sais dire que ça. Change de disque, Chola. Ferme-la plutôt et
m’emmerde pas.

Sata a déserté le lycée et suivait des cours du soir au centre de Lima,


mais il a laissé tomber. Après, il lavait des voitures sur l’avenue Mexico,
vendait des journaux sur la place Grau et se chargeait de trouver du crack
pour des lycéens, activités dont il tirait une bonne commission.
Quand il a eu assez d’argent, il a acheté des cassettes vierges au marché
de Mesa Redonda ; il s’est fabriqué une table de stand pliante en bois et a
payé Mortus, le batteur de Cráneo, et Inés la noire, pour qu’ils lui enre­
gistrent vingt cassettes de thrash metal ; c’est comme ça qu’il a commencé
à vendre à la Colmena.
L’Anté a quitté l’école lui aussi ; ils traînaient tous les deux toute la jour­
née, d’abord en mode glandeur, mais après ils se sont associés. L’Anthé
l’aidait à copier les cassettes, puisqu’il avait un double lecteur-cassette,
acheté aussi à Tacora.
Moi j’étais pas et je suis pas du genre à trop me bourrer la gueule, mais
eux si, ils abusaient. Ils tisaient, comme on dit, jusqu’à ne plus se relever.
Parfois aussi, ils devenaient dingues à cause de la drogue, ils déclenchaient
des bastons, et leur truc, c’était de s’en prendre au premier venu à coups de
ceinture cloutée au milieu des pogos.
L’Antéchrist avait du talent, c’est indéniable. Il apprenait à jouer en
regardant et jouissait d’une excellente mémoire pour les chansons. Dès le
début, il arrivait à sortir les riffs hallucinants de Mercyful Fate, les lignes
de basse de Slayer et plusieurs solos de Venom.
Au départ, la Sruyz que lui avait offerte le vieux pédé avait un son hor­
rible, mais l’Anté a changé les micros, les cordes et les circuits à l’atelier
de guitares de Pancho Locutor et, sans exagérer, cette camelote a fini par

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sonner comme la viole de Wagner Antichrist de Sarcófago : sale, lourde,
comme si on raclait le métal oxydé avec une boîte de conserve.
Comme c’était le plus doué pour la musique, l’Anté est devenu le leader
de Necrofucker. Il arrivait toujours avec des riffs, des mélodies et des mor­
ceaux nouveaux. Selon lui, il avait déjà un concert entier en tête. Restait
plus qu’à l’interpréter sur scène.
Il a appris à Sata à jouer de la basse et à moi, à prendre conscience du
tempo, le secret des percussions. On écrivait les paroles à trois. En fait, on
réfléchissait pas tant que ça parce que le metal, c’est avant tout du bruit.
On les rédigeait au bar l’Enfer avec un dictionnaire de poche, un œil sur les
photocopies du répertoire des groupes connus. On se compliquait pas trop
la tâche, parce que l’Anté chantait avec des grognements tellement forts
qu’on comprenait rien.
Pour jouer, on prenait des pseudonymes, dans l’idée que le groupe de­
vait avoir une aura clandestine. Donc José, c’était Satanás ; Mañuco, Anté­
christ ; et moi, Necro.
On n’avait pas de style défini, mais je crois qu’on penchait plutôt vers
le black, comme le Sarcófago dans sa période INRI ou comme le premier
Bathory. Ce qu’on voulait surtout, c’était jouer une musique sombre et pri­
mitive. Un pur vacarme.
On a aussi décidé de se maquiller genre corpse paint. D’abord, on a utili­
sé de la tempera et du cirage à chaussures ; mais le noir coulait et ça sentait
fort, comme de la colle, et ça nous irritait la gueule. Alors l’Anté a deman­
dé à une bande de clowns de la place San Martín où ils se procuraient leurs
peintures pour le visage et ils nous ont envoyés à un endroit sur l’avenue
Amazonas, en bordure du fleuve.
On portait tous les trois des tee-shirts noirs que Wanda peignait à la
main ; des jeans moulants qu’on modifiait nous-mêmes avec une aiguille et
du raphia ; et des bottes militaires et des vestes en jean et simili cuir qu’on
trouvait à Tacora.
Avec l’aide d’un ex taulard, l’Anté s’est tatoué une croix inversée avec
le Nazaréen et tout, et moi je me suis fait tatouer une tête de mort sur le
bras gauche sans la montrer à mon père : la pochette de l’album Melissa
de Mercy.
Même si au début elle détestait le nom du groupe, Wanda a dessiné le
premier logo de Necrofucker. Un diable en train de baiser la Vierge.
On a acheté des chutes de cuir dans une tannerie de l’avenue Perú et on
les a customisées avec des rivets, des clous et des fers oxydés ; c’est comme
ça qu’on a fabriqué nos ceintures et nos bracelets.

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Un après-midi, on est allés au cimetière El Sauce de San Juan de Luri­
gancho, Wanda et moi. On est restés là-bas jusqu’au soir en faisant sem­
blant de prier sur la tombe de ma grand-mère Fortunata. Ensuite, avant
qu’ils ferment le camposanto, on s’est cachés dans une crypte. Quand ils
ont éteint les lumières, on s’est approchés d’une vieille tombe et on a cassé
la pierre et le cercueil avec un marteau. On en a sorti un crâne et deux ou
trois fémurs avec lesquels on a fabriqué ensuite un pied de microphone en
forme de croix inversée. Ensuite, on a posé la tête de mort sur une pique et
on l’a mise près de la batterie.
On peut nous voir maquillés et avec tous ces trucs dans le deuxième
numéro du fanzine Holocausto où on nous a interviewés et photographiés.

Pour les deux premiers concerts auxquels on était censés participer, les
organisateurs ne nous ont prêté ni la batterie ni les amplificateurs.
—  Vous savez pas jouer – nous ont-ils dit. Vous allez bousiller le ma­
tériel.
Donc on n’a pas joué à cette occasion.
Le premier vrai récital s’est fait dans une grande cour qui sentait la
pisse, sur une colline à Comas. Ce jour-là, on a interprété quatre chansons.
Les gens ont répondu présents et se sont lancés dans un pogo digne de ce
nom.
Je me souviens qu’à partir de ce jour-là, l’Anté a été bon sur scène. Il
parlait sans filtre : son baratin contre les punks, les poseurs et les petits
métalleux prétentieux.
Necrofucker jouait à la Colmena, en banlieue, à Carabayllo, à Comas,
à Villa el Salvador et à Canto Grande. Les concerts avaient lieu dans les
garages et les patios. On est allés jusqu’à jouer en province. On a joué à
Huánuco, à Cerro de Pasco et à Huamanga, la ville où on a donné notre
meilleur concert quand je faisais encore partie du groupe.
Je me souviens que la salle était seulement éclairée par deux lampes, et
qu’environ cinquante personnes étaient là. Le récital a été un pogo total du
début à la fin. On a joué tout notre répertoire et trois covers : « Beyond the
Unholy Grave » de Mantas, « Black Metal » de Venom et « Nigthmare » de
Sarcófago.
On nous a rien payé d’autre que les billets, le logement et les boissons,
mais l’organisateur, le percussionniste d’un groupe chicha, nous a enre­
gistré le concert gratos. Cette cassette, c’est la seule preuve qu’il reste de
l’existence du groupe quand j’en faisais partie, parce qu’on a jamais en­
registré de démo en studio ; on a intitulé l’enregistrement Necrofucker :
Buried Alive et encore aujourd’hui, je crois qu’on peut la trouver chez les
vendeurs pirates de la Colmena.

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Ils m’ont viré de Necrofucker à l’époque où je me préparais à l’école de
police. J’avais plus le temps de répéter avec Sata et Anté ni de les suivre
dans les concerts et les bars du centre de Lima. En plus, j’avais perdu en
habileté et en rapidité. Je pouvais plus suivre l’Antéchrist et sa nouvelle
came, des morceaux de deux cent vingt beats par minute. Ce dont je me
souviens, c’est de les avoir plantés deux fois dans la salle de Pancho Lo­
cutor. J’ai appris après qu’ils avaient un autre batteur, un certain Mortus,
de Satánica.
Un jour, je les ai retrouvés au studio de Locutor et j’ai été surpris de
constater que Lepra jouait désormais avec Necrofucker. Soi-disant, ils
avaient besoin d’un deuxième guitariste pour interpréter les nouveaux
morceaux. Je me souviens l’avoir reproché à l’Anté et à Sata : moi, j’étais
un membre fondateur et je trouvais ça injuste qu’ils me virent comme ça ;
je comprenais encore moins pourquoi Lepra jouait avec nous, étant don­
né que je le détestais. Ils m’ont dit qu’ils s’étaient déjà mis à répéter avec
Mortus, qu’il était meilleur batteur que moi et qu’ils se préparaient pour un
concert à Malambito, l’Attaque Metal III ; ils m’ont dit aussi qu’il n’y avait
pas d’autre guitariste disponible avec son instrument, voilà pourquoi ils
avaient appelé ce fils de pute de Lepra.
Quelques jours après, je suis allé à Colmena et j’ai vu l’affiche du réci­
tal : Necrofucker présentait un nouveau line up ; encore mieux : ils avaient
enlevé ma photo du poster photocopié et mis celles de Mortus et Lepra à
la place.

Avant un concert à l’Université Inca Garcilaso de la Vega à San Isidro,


des étudiants radicaux ont fait irruption dans l’auditoire.
Ils criaient :
—  Dehors, tarés de merde !
—  Tirez-vous de la Garcilaso, musiciens de l’impérialisme !
C’était une bande de militants de l’APRA qui commençait à chasser
les musiciens à coups de pied dans l’cul. D’un coup, une bagarre a éclaté
dans la rue entre les métalleux qui faisaient la queue et d’autres étudiants
radicaux. Ils se sont attrapés à coups de ceinture ; ils se sont lardés avec des
goulots de bouteilles cassés et des pierres.
Quand la police est intervenue, elle a tabassé les métalleux à la ma­
traque au lieu d’arrêter les militants qui avaient commencé la castagne.
On a eu droit à une bastonnade et à une volée de coups de pieds. Ils
ont lancé des bombes lacrymogènes et nous ont poursuivis sur l’avenue
Arequipa.
Ce jour-là, il faut le dire, on a super mal agi, nous les métalleux : sur
la route, on a cassé ce qui nous tombait sous la main, des vitres de voi­

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tures, des fenêtres, des cabines téléphoniques publiques. On a peloté des
gonzesses et même mis à sac des épiceries, des restaurants et des chariots
ambulants.
Sur le pont Aramburú de la Voie Express, les autorités nous ont inter­
pellés. L’Anté, Sata, moi et une vingtaine d’autres, on a fini au poste. On
nous a conduits au commissariat de Petit Thouars où on a été reçus sous
une pluie battante de coups de pieds et de coups de battes. On nous a arro­
sés d’eau sale et enfermés.
—  Bon, bande de tarlouzes – nous a dit le commissaire. Alors comme
ça, vous vous croyez des hommes en cassant des trucs. En vous battant
avec des étudiants. En bousculant de vieilles dames. En passant des mains
aux nanas. Vous êtes des hommes, n’est-ce pas ? Ben maintenant vous êtes
dans la merde : on va vous tondre et, ceux qui sont en âge de servir, on va
les envoyer à la caserne. On verra si vous êtes vraiment des bonhommes
face aux terroristes.
—  Toi, celui qui a le visage peint – a dit le commissaire à l’Anté. Viens
par ici.
L’Anté s’est approché de lui.
—  Tenez-vous comme un homme, bordel – lui a dit l’officier.
L’Anté a sorti les mains de ses poches, s’est mis au garde-à-vous. Il a
bombé le torse.
—  Pourquoi vous vous êtes peint le visage ? Vous êtes pédé ? Vous pis­
sez assis ?
—  Non, chef.
—  Ne m’appelez pas chef, putain. Dites Monsieur.
—  Non, Monsieur.
—  Alors pourquoi vous vous êtes maquillé ?
—  C’est que je suis metalleux, Monsieur.
—  Metalleux ? C’est quoi, ça ? C’est comme ça qu’on appelle les pédés,
maintenant ?
—  Non, Monsieur. Ce n’est pas ce que vous croyez.
—  Et qu’est-ce que t’en sais, toi, de ce que je pense, bordel ?
—  Je suis désolé, Monsieur.
— Fermez-la, ordure. On va vous apprendre maintenant à être un
homme, un vrai.
—  Pardon, Monsieur.
—  Je vous ai dit de la fermer, ordure. Vous comprenez l’espagnol ?
L’officier a appelé un subalterne. Il lui a parlé à l’oreille. Et juste après,
un autre policier s’est ramené avec une bassine pleine d’urine.
—  Écoutez, vous, le pédé à la figure peinte. Lavez-vous le visage avec
ça ou on vous pète la gueule. Choisissez.

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Deux lieutenants tapaient la batte dans leurs mains et le regardaient
haineusement.
L’Anté a rien dit. Il s’est résigné et a fermé les yeux. Les autres détenus
étaient dégoûtés, ils ont fait « non, non ».
—  Vos gueules, tas de merde – nous a dit le commissaire.
L’Anté a mis les mains dans la bassine et s’est lavé le visage. Le maquil­
lage lui dégoulinait dans le cou.
Une fois terminé, l’officier lui a dit « agenouillez-vous » et il lui a coupé
les cheveux.
—  Ben alors ? – a demandé le commissaire à l’Anté. Vous pleurez ?
Et il lui a mis une si grosse baffe qu’elle l’a couché au sol.
—  Doucement, commissaire, n’exagérez-pas – lui ai-je dit.
L’officier s’est approché de moi. Il me parlait directement au visage. Il
empestait l’ail.
—  Toi, t’es sûrement le mari de cette tapette – qu’il m’a dit. Tu dois lui
pousser la merde.
—  Monsieur, je ne le connais pas – lui ai-je répondu.
—  Menteur, je suis sûr que tu lui tapes dans le fion, à cette cochonne.
—  Je ne le connais pas.
L’Anté a levé les yeux. L’officier lui a piétiné les côtes, et à moi le tibia.
Les autres flics frappaient les détenus. Ils leur donnaient des coups de
batte et leur coupaient les cheveux.
J’ai sorti mon livret de famille de la police et l’ai tendu au commissaire.
—  Pozo ? – m’a-t-il demandé. Vous êtes un parent de Gabriel Pozo ?
—  Oui, je suis son fils.
—  Vous ne savez pas que votre père est un homme droit ? Un exemple.
Un héros. Qu’est-ce que vous faites à traîner avec des pédés ?
—  Moi je voulais seulement entrer au concert, mon commissaire.
— Ouais, ouais, fermez-la, m’a-t-il dit. Sortez et attendez-moi dans
la salle d’attente. Je dirai moi-même à votre père qu’il vous corrige. In­
croyable, putain. Le fils d’un héros embringué dans des histoires de pédés !
Quand je suis sorti de la cellule, je me suis retourné. L’Anté et Sata me
regardaient comme s’ils me demandaient de l’aide, mais j’ai passé mon
chemin.

Traduit de l’espagnol par Mélanie Gros-Balthazard.

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Richard Parra

Necrofucker (extracto)

Al Anticristo lo envidiaban por todo lo que sabía de metal, ya que se


mantenía informado de los nuevos grupos y se conseguía los casetes
más caletas y codiciados. Fue el primero que se apareció con los demos
Necrolust de Vader y el Fuck Me Jesus de Marduk.
No le interesaban ni los deportes ni las fiestas, menos los estudios ; él
solo soñaba con algún día comprarse una BC Rich Ironbird y grabar un
disco tan brutal como el Hell Awaits de Slayer ; en su cabeza, estoy seguro,
sonaba el metal más bravo y satánico las veinticuatro horas del día.
Nunca conocí la casa del Anticristo. Solo dijo que vivía en una destar­
talada casucha en el asentamiento humano Bocanegra en el Callao y que
odiaba estar allí. Dijo también que su padre había muerto en un accidente
de carretera ; que no tenía hermanos y que lo había criado su abuela, en ese
entonces, ya muerta.
Según decían, su vieja era esquizofrénica y la tenían encerrada y ama­
rrada porque se ponía locaza. Quizá por eso se lo veía en Colmena todo
el día.
Desayunaba pan con torreja y ponche de habas, almorzaba en las carre­
tillas del mercado central y cenaba su papa con huevo o anticuchos en el
Tío Vísceras. A veces, dormía en los garajes con los ambulantes o en los
cines porno a los que íbamos para que los maricones nos la mamaran por
droga o por un sencillo.
El Anticristo respetaba a los grupos clásicos, a Judas, a Sabbath, a Mai­
den, pero para nada le entraba ni a Zeppelin ni a Purple ; no los conside­
raba metal. Ni qué decir : detestaba las bandas de poseros de Los Ángeles
tipo Motley Crue y Ratt.
–Puro comercialismo – decía –. ¿Cómo un grupo metal va a tocar bala­
das ? Eso no es metal, es rock, es pop, es caca.
De los grupos peruanos, expresaba ideas similares. Escuchaba los gru­
pos de colmeneros como Genocidio y Kthulu, y de Comas como Hades,

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pero odiaba a los metaleros hijitos de papá sobre todo a los Gorgar y a los
Masacra que se presentaban en el Newton y en pubs fichos.
Recuerdo que asistimos a un concierto heavy en el teatro Marsano de
Miraflores ; pero no entramos ; nos quedamos afuera chupando pisco y
fumando pasta ; ese día, el Anti se la pasó batiendo los fans pitucos de
Gorgar.
–Poseros, la guitarrita te la compró tu vieja, te voy a robar ese polito
importado – les decía.
Ya entonces el Anti hablaba de formar un grupo.
–Vamos a enseñarles a estos imbéciles qué es metal en serio.
Al tiempo, en Tacora, el Anti adquirió una guitarra de palo en la que
sacaba algunos power chords de Hellhammer. Luego se apareció con una
eléctrica colgada en la espalda : una Sruyz pintada a imitación de las vio­
las de Van Halen. No dijo de dónde sacó la plata, pero después me enteré
de que se la regaló un viejo marica al que se cacaneaba.
–Ya, huevas, hay que armar un grupo – nos dijo.
–Mostro – le dijo Sata –. Yo agarro el bajo.
–Tú, en los tambores – me dijo el Anti.
–Puta madre – dijo Wanda –. ¿Qué grupo ni nada ? Si ustedes solo sa­
ben agarrarse la pinga. ¡Pajeros de mierda !
–Se aprende – dijo el Anti –. Si esos brutos punks de Eutanasia tocan
con instrumentos desafinados y llenan conciertos, nosotros también po­
dremos.
Sata se agenció una guitarra de palo de segunda mano y unas revistas
de tablaturas Funky Hits. Yo conseguí unas baquetas en la plaza Dos de
Mayo y un manual para percusionistas de la banda de música de la policía
y practicaba en el sofá.
Ensayábamos en el cuarto de Sata con acústicas y un cojín y, luego,
nos dirigíamos a la sala de ensayo de Pancho Locutor frente al Estadio
Nacional.
Al principio interpretábamos temas de otros. Pero a las semanas hici­
mos algo propio. Nuestra primera canción fue una variante de « Carnage »
de la banda noruega Mayhem. El Anti compuso la letra en español y yo
con un diccionario la traduje al inglés.
Después de una borrachera en el Infierno, al grupo le pusimos Necro­
fucker. Recuerdo que yo me ofrecí para diseñar un logotipo y busqué a
Wanda para que me ayudara con el arte.
–Parece el nombre de una pandilla de babosos – me dijo Wanda –. No
pega.
–No jodas. En serio : ¿tan malo te parece ?

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–Te soy sincera. No sé si suena satánico, más parece de unos arrechos
monses que se tienen que tirar muertas.
–¿En serio ?
–Nunca iría al concierto de una banda que tenga ese nombre tan ridícu­
lo. Es recontra cagón.
–Puta madre, nada se te puede decir que a todo le das la contra. No sé
como te aguanto. Solo jodes, mierda.

–Contéstame bonito, carajo. Me pides que te sea honesta y te soy sincera
y te molestas : eres un resentido.
–Eso es lo único que sabes decir. Pareces un disco rayado, Chola. Mejor
cállate y no me jodas.

Sata desertó de la secundaria y asistió a una nocturna del centro de


Lima, pero la dejó. Luego estuvo lavando carros en la avenida México,
vendiendo periódicos en la plaza Grau y también consiguiéndoles pasta a
unos escolares, actividades de las cuales sacaba buena comisión.
Cuando obtuvo el dinero suficiente, compró cintas en blanco en el mer­
cadillo de Mesa Redonda ; se hizo una maleta de madera y le pagó a Mor­
tus, el baterista de Cráneo, y a la negra Inés para que le grabaran veinte
casetes de thrash metal ; así empezó a vender en la Colmena.
El Anti también dejó el colegio ; los dos paraban juntos de arriba abajo
todo el día, primero en plan de hueving, pero luego se asociaron. El Anti
le ayudaba a copiar las cintas, pues tenía una doble casetera que también
se compró en Tacora.
Yo no era ni soy de emborracharme tanto, pero ellos sí que se pasaban.
Chupaban, como se dice, hasta quedar en el suelo. A veces también se
volvían locos por la droga, armaban peleas, y lo típico era que se sacaran
la correa de clavos y empezaran a darle al que se les metiera en gana en
medio de los pogos.
El Anticristo poseía talento, eso es innegable. Aprendía a tocar mirando
y gozaba de una excelente memoria para las canciones. Desde el principio,
ya sacaba los alucinantes riffs de Mercyful Fate, las líneas de bajo de Sla­
yer y varios solos de Venom.
La Sruyz que le regaló el viejo marica, al comienzo, sonaba horrible,
pero el Anti le cambió las pastillas, las cuerdas y los circuitos en el taller
de guitarras de Pancho Locutor y, no es exagerado decirlo, pero aquella
chatarra llegó a sonar como la viola de Wagner Antichrist de Sarcófago :
sucia, pesada, como si se raspara el metal oxidado con una lata.
Por ser el más hábil para la música, el Anti asumió el liderazgo de Ne­
crofucker. Siempre llegaba con riffs, melodías y canciones nuevas. Según

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él, en la cabeza ya tenía un concierto entero. Solo faltaba interpretarlo en
el escenario.
A Sata le enseñó a tocar el bajo y a mí a tener conciencia del tiempo, la
clave de la percusión. Las letras las escribíamos entre los tres. La verdad,
no pensábamos tanto porque el metal es ante todo ruido. Las redactábamos
en el bar Infierno con un diccionario de bolsillo y mirando fotocopias de
cancioneros de las bandas famosas. No le poníamos mucha complicación,
porque el Anti cantaba con unos gruñidos tan radicales que no se entendía
nada.
Para tocar, usábamos seudónimos y es que pensamos que el grupo debía
tener un aura clandestina. Así José se puso Satanás ; Mañuco, Anticristo ;
y yo, Necro.
No teníamos un estilo definido, pero creo que sonábamos más black,
como el Sarcófago época INRI o como el primer Bathory. Lo que nos im­
portaba era tocar una música primitiva y oscura. Pura bulla.
También decidimos usar maquillaje corpse paint. Primero, empleamos
témpera y betún de zapatos ; pero el tinte se corría y olía fuerte, como a
pegamento, y dejaba la cara irritada. Entonces el Anti les preguntó a unos
payasos de la plaza San Martín en dónde compraban sus pinturas y ellos
nos enviaron a un sitio por el jirón Amazonas, junto a la orilla del río.
Los tres usábamos camisetas negras que Wanda pintaba a mano ; jeans
al cohete que nosotros mismos modificábamos con aguja y rafia ; y botas
militares y casacas de denim y cuerina que conseguíamos en Tacora.
Con un expresidiario, el Anti se tatuó una cruz invertida con Nazareno
y todo y yo me hice un tatuaje de calavera en el brazo izquierdo que no le
mostré a mi padre : la portada del Melissa de Mercy.
Wanda, a pesar de que en un principio odió el nombre del grupo, dise­
ñó el primer logotipo de Necrofucker. Aquel de un diablo tirándose a la
Virgen.
Compramos saldos de cuero en una curtiembre de la avenida Perú y lo
atravesamos con remaches, clavos y fierros oxidados ; así, nos fabricamos
nuestras correas y muñequeras.
Una tarde Wanda y yo nos dirigimos al cementerio El Sauce de San
Juan de Lurigancho. Permanecimos allí hasta la noche fingiendo que rezá­
bamos en la tumba de mi abuela Fortunata. Luego, antes de que cerrasen
el camposanto, nos encaletamos en una cripta. Cuando apagaron las luces,
nos acercamos a una tumba antigua y rompimos la lápida y el cajón con
un martillo. Sacamos un cráneo y un par de fémures con los que luego
hicimos un soporte para micrófono en forma de cruz invertida. Después,
colocamos la calavera sobre una pica y la ubicamos junto a la batería.

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Con estas cosas y maquillados, se nos puede ver en el segundo número
del fanzine Holocausto en el que nos entrevistaron y fotografiaron.

En los dos primeros shows en los que supuestamente iríamos a tocar, los
organizadores no nos prestaron ni la batería ni los amplificadores.
–No saben tocar – nos dijeron –. Joderán los equipos.
Por eso no tocamos en esas ocasiones.
El primer recital en sí fue en un corralón en un cerro en Comas que olía
a orines. Aquel día, interpretamos cuatro canciones. La gente respondió y
se armó un pogo respetable.
Recuerdo que, desde ese día, el Anti ya tuvo un buen desempeño en el
escenario. Hablaba con confianza : su rollo contra los punks, los poseros y
los metaleros pitucos.
Necrofucker tocaba en la Colmena, en los conos, en Carabayllo, en Co­
mas, en Villa el Salvador y en Canto Grande. Los conciertos se realizaban
en garajes y corralones. Llegamos a ir a provincias también. Tocamos en
Huánuco, en Cerro de Pasco y en Huamanga, ciudad en la que dimos nues­
tra mejor presentación hasta que yo estuve en la banda.
Recuerdo que solo dos focos iluminaban el recinto y que asistieron unas
cincuenta personas. El recital fue un pogo total de principio a fin. Tocamos
todo nuestro repertorio y tres covers : « Beyond the Unholy Grave » de
Mantas, « Black Metal » de Venom y « Nigthmare » de Sarcófago.
No nos pagaron más que los pasajes, el hospedaje y los tragos, pero el
organizador, el percusionista de un grupo chicha, nos grabó el concierto
sin costo. Ese casete es el único testimonio que queda de la banda mientras
yo fui integrante, porque nunca grabamos un demo en un estudio ; la cinta
se tituló Necrofucker : Buried Alive y todavía, creo, se consigue en los
piratas de la Colmena.

Me echaron de Necrofucker por la época en que me preparaba en la


academia pre-policial. Ya no tenía tiempo de ensayar con Sata y el Anti
ni tampoco podía andar con ellos en los conciertos y bares del centro de
Lima. Además, perdí habilidad y velocidad. Ya no podía con el nuevo ma­
terial del Anticristo, canciones de doscientos veinte beats por minuto.
Lo que recuerdo es que los dejé plantados dos veces en la sala de Pancho
Locutor. Después me enteré de que ya tenían otro baterista, un tal Mor­
tus, de Satánica. Una tarde, los busqué en el estudio de Locutor y me di
con la sorpresa de que Lepra ahora tocaba en Necrofucker. Supuestamente
necesitaban un segundo guitarrista para interpretar las nuevas canciones.
Recuerdo que les reclamé al Anti y a Sata : yo era miembro fundador y no

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me parecía justo que me echaran de esa manera ; menos me cuadraba que
Lepra tocara con nosotros sabiendo que yo lo detestaba tanto. Me dijeron
que ya venían ensayando con Mortus, que él era mejor baterista que yo y
que se preparaban para un concierto en Malambito, el Ataque Metal III ;
me dijeron también que no había otro segundo guitarrista disponible con
instrumento, que por eso habían llamado al hijo de puta de Lepra.
A los días, cuando fui a Colmena y vi el afiche del recital ; leí que Ne­
crofucker presentaba un nuevo line up ; es más, habían borrado mi foto del
póster fotocopiado del concierto y puesto la de Mortus y Lepra.

Antes de un concierto en la Universidad Inca Garcilaso de la Vega en


San Isidro, unos estudiantes radicales irrumpieron en el auditorio.
Gritaban :

–¡Fuera de aquí, alienados de mierda !
–¡Fuera de la Garcilaso, música del imperialismo !

Se trataba de unos apristas que a patadas y palos empezaron a echar a
los músicos.
En seguida, en la calle se armó una pelea entre los metaleros
que hacían cola y otros estudiantes radicales. Se agarraron a correazos ; se
mecharon con picos de botella y piedras.
Cuando los policías intervinieron, en lugar de detener a los apristas que
iniciaron la gresca, golpearon a los metaleros con cachiporras.

Nos dieron varazos y patadas. Lanzaron bombas lacrimógenas y nos
persiguieron por la avenida Arequipa.

Ese día, hay que decirlo, la gente metalera se portó recontra mal : en la
carrera, rompimos lo que encontramos, lunas de carros, ventanas, teléfo­
nos públicos. Paleteamos hembras y hasta saqueamos bodegas, restauran­
tes y carretillas.
En el puente Aramburú de la Vía Expresa, las autoridades nos inter­
ceptaron. El Anti, Sata, yo y como veinte más terminamos detenidos. Nos
llevaron a la comisaría de Petit Thouars, en donde para entrar tuvimos que
cruzar por un callejón oscuro de palazos y patadas. Nos mojaron con agua
sucia y nos encerraron.
–A ver, rosquetes – nos dijo el comisario –. Así que se creen muy ma­
chitos rompiendo cosas. Mechándose con estudiantes. Empujando señoras.
Metiendo mano a las hembras. Son bien hombres, ¿verdad ? Ahora pues
ya se jodieron : los trasquilaremos y, a los que estén en edad de servir, los
mandaremos al cuartel. Ya veremos si son bien machos peleando contra
los terrucos.
–A ver, tú, el que está con la cara pintada – le dijo el comisario al Anti –.
Ven para acá.

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El Anti se le acercó.
–Párese como hombre, mierda – le dijo el oficial.
El Anti se sacó las manos de los bolsillos, se cuadró. Sacó pecho.
–¿Usted por qué se ha pintado la cara ? ¿Es usted rosquete ? ¿Orina sen­
tado ?
–No, jefe.

–No me diga jefe, carajo. Dígame señor.
–No, señor.

–¿Y por qué se ha pintado ?

–Es que soy metalero, señor.

–¿Metalero ? ¿Qué es eso ? ¿Ahora así se les dice a los homosexuales ?

–No, señor. No es lo que piensa.

–¿Y qué carajo sabes tú de lo que yo pienso ?
–Lo siento, señor.

–Cállese la boca, basura. Ahora acá le enseñaremos a ser bien hombre.

–Perdone, señor.

–Le he dicho que se calle, basura. ¿Entiende español ?

El oficial llamó a un subordinado. Le habló al oído. Y al ratito se acercó
otro policía con un bacín con orines.
–Oiga, usted, marica carapintada. Lávese la cara con esto o le sacamos
la concha de su madre. Escoja.
Dos alférez se golpeaban la mano con la vara y lo miraban con odio.
El Anti se quedó callado. Se resignó y cerró los ojos. El resto de deteni­
dos hicieron ascos, dijeron « no, no ».
–Cállense, mierdas – nos dijo el comisario.
El Anti metió las manos en el bacín y se lavó la cara. El maquillaje le
chorreaba por el cuello.
Cuando terminó, el oficial le dijo « arrodíllese » y le cortó el pelo.
–¿Qué pasa ? – le preguntó el comisario al Anti –. ¿Está llorando ?
Y le metió tal cachetadón que lo dejó en el suelo.
–Tranquilo, comisario, no sea abusivo – le dije.
El oficial se me acercó. Me hablaba directo al rostro. Apestaba a dientes
picados.
–Seguro que tú eres el marido de este cabro – me dijo –. Seguro te lo
cacaneas.
–Señor, no lo conozco – le dije.
–Mentira, seguro tú le das por el chico a esta porquería.
–No lo conozco.
El Anti levantó la mirada. El oficial lo pateó en las costillas y, a mí, en
la canilla.

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Los otros guardias golpeaban a los detenidos. Les daban varazos y les
cortaban el pelo.
Saqué el carné de familiar de la policía y se lo mostré al comisario.
–¿Pozo ? – me preguntó –. ¿Es algo de Gabriel Pozo ?
–Sí, soy su hijo.
–¿No sabe usted que su padre es un hombre derecho ? Un ejemplo. Un
héroe. ¿Qué hace usted juntándose con rosquetes ?
–Yo solo quería entrar al concierto, mi comisario.
–Ya, ya, cállese la boca – me dijo –. Salga y espéreme en el recibo. Yo
mismo le diré a su padre que lo corrija. Habrase visto, carajo. ¡El hijo de
un héroe metido en mariconadas !
Cuando salí de la celda, volteé. El Anti y Sata me miraban como pidién­
dome que hiciera algo, pero seguí mi camino.

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