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César Vallejo est mort à Paris le 15 avril 1938. Sa tombe, située au cime
tière du Montparnasse, voit le jour revêtue d’un drapeau rouge et blanc
et de petites pierres superposées qui rappellent le poème dans lequel il
préfigure sa mort (« Je mourrai à Paris, un jour d’averse,/un jour dont j’ai
déjà le souvenir »). Malgré leur dévotion, le pèlerinage volontaire des Péru
viens qui visitent la capitale française reste plus poétique que religieux :
croyants et sceptiques présentent leurs respects au poète de Santiago de
Chuco qui a écrit sur la souffrance humaine et la colère de Dieu et qui, de
puisnotre tendre enfance, vit et persiste dans l’imaginaire collectif d’une
nation entière.
Les éloges à son œuvre poétique ne manquent pas. Jorge Semprún
signale qu’il est « le meilleur poète latino-américain du XXe siècle ».
Même Pablo Picasso, sans l’avoir connu, et après avoir entendu ses poèmes
de la bouche du poète espagnol Juan Larrea, lui consacre trois célèbres
portraits. Cependant, la reconnaissance de ses pairs ne dépassera pas les
frontières étroites du Paris intellectuel. Dans cette ville royale que le poète
a tant aimée et où repose sa grande dépouille, les Français ignorent bien
souvent qui est César Vallejo.
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P’tit Pierre
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Lima, décembre 1983
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P’tit Pierre
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Les rideaux de la petite fenêtre grillagée sont à demi tirés. Par ce mince
intervalle, la lumière pénètre violemment et éclaire une partie de la pièce
laissant le reste dans la pénombre. Il est deux heures de l’après-midi.
À côté, on entend des pas rapides dans les escaliers, des seaux qui
s’entrechoquent, des voix : ce sont les voisins qui montent et descendent
chercher de l’eau.
Le flot de lumière tombe directement sur une pile de tracts entassés sur
une vieille table de bois clair, collée contre le mur près de la fenêtre. Sur le
premier tract, on peut voir une photo, ou peut-être un tableau (l’impression
n’est pas très nette) représentant un homme, le poing dressé et le visage
enflammé lançant un slogan, enveloppé dans un drapeau péruvien et bran
dissant un autre, entièrement rouge avec les symboles dorés d’une faucille
et d’un marteau. Au pied, en lettres noires imprimées, on lit clairement :
« Vive la lutte armée ».2
Au-dessus de la table, contre le mur, des livres sont rangés sur une petite
étagère. On peut lire parmi d’autres titres : « Sept essais d’interprétation
de la réalité péruvienne », « Vaste est le monde », « El zorro de arriba y el
zorro de abajo » 3, « Que faire ? », « Le Petit Livre Rouge », etc.
Dans un angle de la table est posée une petite statue de pierre aux traits
anthropomorphes et zoomorphes, la bouche ouverte sur de longues dents
pointues comme celles d’un animal carnivore.4
1. Le bidonville Cerro del Pino s’est formé en 1972 à Lima et compte maintenant plus de
20000 habitants (note de la traductrice, sauf indication contraire, les autres notes sont de
l’auteur).
2. La revue Caretas, dans son numéro du 12 juin 1986, dirait que les tracts appartenaient à
l’organisation subversive Sendero Luminoso.
3. Ultime roman de l’auteur péruvien José María Arguedas, publié en 1971 et non traduit
en français. (NDT).
4. Nancy l’avait trouvée quelques mois auparavant, presque à ras de terre dans la petite
cour de la maison adossée à la montagne, en creusant un trou pour planter le poteau de la
corde à linge.
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5. Hugo : nom de guerre de celui qui allait mourir un an après que cette photo a été prise
lors du massacre des prisons en 1985.
6. Nancy.
7. Les « camarades » l’avaient apporté un mois auparavant, après l’attaque d’une mine du
centre du pays.
8. Hugo, Nancy et Pedro avec leurs parents. Pedro est mort dans un accident de la route
alors qu’il n’était qu’adolescent. (NDT)
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9. Depuis cette date, les autres camarades de son frère n’ont cessé de soutenir Nancy dans
son travail de vendeuse ambulante sur le marché de gros, tout en la pressant de se joindre
à la cause. (NDT)
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1. La revista Caretas, en su edición del 12 de junio de 1986, diría que los volantes perte
necían a la organización subversiva Sendero Luminoso.
2. Lo encontró Nancy hace solo unos meses, casi a flor de tierra, en el patiecito de la casa
que está pegado al cerro, cuando hacía un hoyo para el parante de un cordel de colgar ropa.
3. Hugo, nombre de guerra de quien moriría al año de la toma de esta foto en la masacre
de los penales en 1985.
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4. Nancy.
5. Un mes atrás la trajeron los « compañeros », luego del asalto a una mina del centro del
país.
6. Hugo, Nancy y Pedro con sus padres. Pedro murió en un accidente de tránsito cuando
era solo un adolescente.
7. Desde aquella fecha, los demás compañeros de su hermano no dejaron de frecuentar
a Nancy en su trabajo de vendedora ambulante en el mercado mayorista, instándole a
sumarse también a su causa.
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Deux poèmes
Berlin
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Mon fils
L’Amour est une chose que je méconnais
Ou qui me méconnait
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Mon fils
L’amour n’appartient plus à cette ère
Une bombe arrive et le détruit
Les étincelles qui l’attisaient avant
Le brûlent à présent et le rendent plus laid, plus roussi que jamais
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Le cycliste
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De Berlin (2011)
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Dos poemas
Berlin
Y ya no sé cómo amarte
Tu pureza hiere mis oídos
No llores hijo
Esta noche no se anuncia para la tristeza
Las mañanas pueden ser
Y son – aun hoy para mí – más apáticas y frías
Que las noches llenas de muertos
No te preocupes algunos primeros mundos son así
Lo limpian todo hasta dejarlo brillante de aburrimiento
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Hijo
El Amor es algo que desconozco
O que me desconoce
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Hijo mío
El amor ya no es una cosa de esta era
Viene una bomba y lo destruye
Y los chispazos que antes sirvieron para encenderlo
Ahora lo calcinan y queda más feo y chamuscado que nunca
Entonces
todo estará mejor
todo estará mucho mejor
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De Berlin (2011)
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Chevaux de minuit
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Caballos de medianoche
–No me gusta el agua – dijo ella, y dibujó un mohín con los labios –. No
me gusta nada.
–¿Cómo que no te gusta ? – repuso él, mientras la sostenía al borde de
la tina –. A las niñas buenas les gusta el agua y se bañan todos los días.
–Yo no soy una niña buena.
–¿Conque no eres una niña buena ? Entonces, ¿se puede saber qué clase
de niña eres ? Porque si no eres una niña buena tienes que ser una niña
mala…
–Ah, no – elevó la voz –, eso sí que no. Yo no soy una niña mala. Yo
no…
–Bueno – la interrumpió él –, si no eres una niña mala te vas a meter al
agua ahora mismo. Y sin protestar.
–Está fría. No quiero.
–Caramba, no está fría. Ven, dame la mano.
Ella dudó un instante antes de tendérsela. Él tomó aquella mano peque
ña y blanda que se agitaba como un pez y la sumergió en el agua. Ella dio
un ligero respingo e intentó sacarla, pero él no se lo permitió.
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Jacinto et Manfreda
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Chaque après-midi, Jacinto Tezón faisait une balade au milieu des arbres
et arbustes de son jardin. Il enserrait la longue encolure, jetant de temps
en temps des coups d’œil sur la croupe charnue. Parfois il s’arrêtait et la
regardait longuement dans les yeux. Puis il aspirait profondément l’arôme
des pommiers, pruniers, manguiers et des nombreuses herbes qui envahis
saient le verger. À un certain moment, elle et lui semblaient se fondre en
un seul corps, puis ils rentraient dans la maison.
Mais la vie heureuse de Jacinto Tezón était surveillée en secret, sans
relâche par un voyeur. Tapi derrière un muret, grimpé dans un arbre ou
caché dans les broussailles du verger, le voyeur, énorme, obstiné, épiait
le couple. C’était lui aussi un dépravé. Il souffrait de la même perver
sion sexuelle que Jacinto Tezón et se sentait frénétiquement excité par
la manfreda. Désespéré, désirant follement mater de beaucoup plus près
l’intimité du couple, le voyeur avait à plusieurs reprises pris le risque de
ramper, couvert de branches pour éviter d’être repéré, comme un arbuste
ambulant, jusqu’à se poster à un mètre du couple, et rester là, immobile, en
nage, retenant son souffle agité, les yeux écarquillés.
Le voyeur s’appelait Tomás Pacherres. Un homme courtaud, d’une qua
rantaine d’années, au regard fuyant. Plus précisément, ex-fusilier marin.
Tomás Pacherres vivait dans une maison voisine de celle de Jacinto Tezón.
Et elle avait aussi, à l’arrière, un verger et plus loin un champ.
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Jacinto y Manfreda
Jacinto Tezón era un hombre tímido, solitario y nadie podía afirmar ha
berlo visto alguna vez con una mujer. Hijo único, a la muerte de sus padres
quedó solo donde siempre había vivido con ellos, una casa situada campi
ña adentro, que tenía detrás una huerta y más allá un campo de labranza.
Ahí vivía recluido voluntariamente, alternando sus numerosos días vacíos
con el cultivo de ese campo. Una que otra salida, por lo general para ajus
tar algún negocio vinculado a los cultivos, alteraba la reclusión.
Un día, en algún lugar de la campiña conoció a una burra. Se la llevó a
casa y la burra pasó a ser su mujer, la mujer de Jacinto Tezón. Porque a ese
mozo de gruesa contextura y veinte años encima que era Jacinto Tezón, la
timidez y la soledad le habían encajado el desviadísimo deseo de hacer el
amor con una burra.
La cuidaba mucho. Tanto que evitaba ocuparla en las tareas que suelen
realizar en el campo estos cuadrúpedos. Para esas tareas disponía de un
burro viejo que le habían dejado sus padres.
La burra de los desvelos de Jacinto Tezón era una manfreda, que así
llaman en esa campiña a toda burra cuya cavidad genital adolece de una
estrechez imprudente, poco menos que de clausura, que impide al burro
cubrirlas cuando están en celo, por lo que siempre viven dispuestas y son
fáciles de someterse al ardentísimo malogrado que ande desbordándose
por hacer el amor con una burra.
Los campesinos de las inmediaciones estaban muy enterados de lo que
ocurría en casa de Jacinto Tezón. Pero cuando muy de tarde en tarde se
daban de cara con él, no hacían el menor gesto que revelara que estaban
en conocimiento del asunto. Para qué asombrarse con cosas de marido y
mujer, comentaban, jijí, sujetando la risa. Lo que ocurre entre ellos, jijí,
es natural como son las cosas de matrimonio, jijí. Porque aunque ella sea
cuadrúpeda, jijí, se trata de un matrimonio, jojó.
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Todas las tardes Jacinto Tezón daba un paseo con la manfreda por en
tre los árboles y arbustos de su huerta. Avanzaba ciñéndole con el brazo
el largo pescuezo, observándole de vez en cuando las carnudas ancas. A
veces se detenía y la miraba largamente a los ojos. Luego aspiraba con
hondura el aroma de los manzanos, de los durazneros, de los mangos y de
las variadísimas hierbas que poblaban la huerta. En un momento ella y él
parecían fundirse en un solo cuerpo, después de lo cual volvían al interior
de la casa.
Pero la vida feliz de Jacinto Tezón era vigilada en secreto, sin respiro
por un mirón. Oculto tras una tapia, trepado en un árbol o metido entre
la maleza de la huerta, el mirón espiaba a la pareja, desmesurado, tenaz.
Se trataba de otro malogrado. Adolecía de la misma desviación sexual de
Jacinto Tezón y se sentía atraído con turbulencia por la manfreda. Deses
perado, casi loco por el deseo de ver mucho más de cerca las intimidades
de la pareja, algunas veces el mirón había tenido la audacia de ir, con unas
ramas por delante para evitar ser descubierto, arrastrándose como arbusto
que caminara hasta plantarse a un metro de la pareja y permanecer ahí,
quieto, empapado, controlando la respiración agitada, observando con ojos
de linterna.
El mirón se llamaba Tomás Pacherres. Un hombre bajito, cuarentón, de
mirada oblicua. Para más señas, exinfante de marina. Tomás Pacherres
vivía en una casa contigua a la de Jacinto Tezón. Y la suya tenía también,
por la parte de atrás, una huerta y más allá un campo de labranza.
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Expulsés du paradis
À son départ de Paris, à la grande surprise de ses amis qui tous l’avions
supporté pendant toutes ces années, son absence se fit sentir. En dépit de
ses tics insupportables et de son ignorance pétulante et omnivore, il nous
manquait. Il avait fait le choix de rentrer et cela nous paraissait incroyable.
Le personnage et son baratin faisaient partie de ce précaire microcosme
exilé de rêveurs qui nous rassemblait, cela faisait partie de nous. Et lui
n’était plus là.
Voilà sans doute pourquoi, l’année suivante, le jour même du beaujolais
nouveau, tout le groupe presque au complet se souvenait de lui, entre deux
éclats de rire, dans le chahut et la fumée de Chez Georges, lors d’une nuit
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Marcio était très connu à Paris, disons, dans notre groupe, car il était
le seul d’entre nous que les femmes « draguaient ». Et c’était la vraie cause
de notre jalouse rancœur. Cela lui était arrivé au moins une fois, mais cela
avait suffi pour couronner la très noire chevelure du poète de Callao d’une
aura légendaire et de notre perfidie. Ni avant ni après, jamais aucun de
nous n’avait eu droit à ce qui lui était arrivé une nuit d’été, quelque temps
après notre arrivée à Paris, dans le vieux Café Morvan, qui porte mainte
nant un autre nom et qui était à deux pas du café Danton, au coin de la rue
Monsieur Le Prince et du carrefour de l’Odéon.
Autour d’une table, nous étions embarqués dans une grande discussion
et nous n’avions pas remarqué qu’à l’autre bout du comptoir une jeune fille
blonde nous observait. Je ne sais si Marcio l’avait vue, s’il y avait eu des
regards échangés, mais c’est probable.
À un certain moment, Marcio est allé aux toilettes. La blonde s’est ap
prochée de Joseph.
— Quand ton ami reviendra, dis-lui que je serai de retour dans dix mi
nutes, que je viendrai le chercher…
Cela n’a pas attiré notre attention. Nous avons cru que c’était une de ces
petites Françaises que connaissait Marcio, quelqu’un à qui il avait donné
rendez-vous, mais non. Quand il est revenu et que Joseph lui a transmis le
message, il a paru surpris. Il a dit que non, qu’il n’avait aucun rendez-vous.
Il semblait convaincant. Nous nous sommes alors dit que la blonde était
une fofolle, une farceuse, qui ne réapparaîtrait pas, mais nous nous trom
pions. Au bout de dix minutes, la fille est revenue, elle a, un instant,
observé nos bouches bées et, après un regard sur Marcio, elle l’a appelé
d’un doigt impérieux. Lui s’est levé et, stupéfait, s’est dirigé vers elle. Nous
les avons regardé sortir. Ils se sont dirigés vers le boulevard Saint-Germain
et ont disparu dans la nuit chaude de Paris.
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Pero el reino de Marcio, sin duda, era Chez Georges, un bar animado y
cochambroso, digno de un puerto y de una leyenda, anclado en la rue des
Canettes, en el Barrio Latino.
Oscuro y mal iluminado, con su frontis color burdeos, como no podía
ser de otro modo, sus viejas mesas siempre estaban llenas. Allí, apiñada
junto a la barra, o en racimos en torno a las toscas mesas, la gente bebía
vino grueso, cerveza fría o ardientes dosis de bourbon. Todo muy barato,
aunque esto siempre es relativo en París. Giorgos, el dueño, un sexagena
rio robusto y de abundante melena blanca, podía ser cordial, pero esto era
raro, las más de las veces se mostraba hosco y hasta despectivo con los
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Beauté immobile
Nous sommes des images. Nous sommes faits d’images qui se superpo
sent tout au long de notre existence. C’est une sorte de défilé en accéléré
qui, par moments, se déguise en carnaval ou en pèlerinage. Chacune défi
nit un temps et un espace. Un déplacement. J’ai des images serbes de mon
enfance. Des photographies mentales de l’air âpre de Belgrade qui aussitôt
se confond avec le goût de l’iode qui assoupit ma langue sur le front de mer
de Buenos Aires. Et plus loin, plus tard, dans l’odeur de bière et d’urine,
surgissent les planches monochromes de mes interminables virées noc
turnes sur l’Alameda de los Descalzos du centre de Lima.
Je suis tout cela, me dis-je. Ce mélange classé par date et territoire et
immortalisé par la douce et tyrannique synesthésie. Sans doute est-ce pour
cela que ces mêmes images finissent par se coller comme les feuilles moi
sies d’un album poussiéreux. Peut-être se fondent-elles tout simplement
en une boule compacte qui les engloutit. C’est ainsi que nous nous imagi
nons les trous noirs. C’est cela le passé : une boule compacte qui n’est rien
d’autre qu’un trou noir.
Certes je n’ai jamais été amoureux du passé. Je préférais le tenir à dis
tance. Éviter le piège de la fausse nostalgie et rester dans un présent conti
nu et immaculé. Je m’étais vite rendu compte que le présent fatigue tout
autant. Et alors je m’étais proposé de sauvegarder une seule image qui
parlerait de moi à différentes époques, comme s’il était possible de captu
rer l’aura d’un corps qui vieillit. Une seule photographie de mon existence.
Curieusement, je ne l’avais pas trouvée sur les pentes enneigées de Dju
sina, à la porte de ma maison de Belgrade, que nous dévalions des dizaines
de fois par jour sur notre luge en bois. Pas davantage dans la rue Lavalle
de Buenos Aires où le samedi soir, j’allais voir trois films à la suite pour
oublier le reste de mes nuits solitaires sur les bancs de la Plaza Francia.
Je n’avais pas non plus pu me contenter du souvenir du soleil de Lima
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Belleza inmóvil
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Salí tarde de la casa, iba a llegar por lo menos con una hora de retraso.
El lunes lluvioso y gris auguraba una noche calma en el hotel. El correo
lo tomé al vuelo : un sobre voluminoso cubierto de estampillas peruanas y
varias facturas. Parecía un libro y me lo enviaba José Morales Saravia. El
inefable Pepe Morales, pensé, mi camarada de Letras de la Universidad de
San Marcos. Habíamos pasado cuatro años en los mismos bancos del Patio
de Letras hasta que volví a mi país. Fui a hacer el servicio militar en una
isla perdida de Yugoslavia. No había tenido noticias suyas en más de una
década. Algunos amigos me habían dicho que escribía poesía y estaba por
publicar su segundo libro. Decían, las malas lenguas (o sea la promoción
entera), que con Pepe el neobarroco se aprestaba a barrer con la mesura
prolija de la poesía vigente y, luego, con una risotada, agregaban : « Como
un perro mordiéndose la cola ».
El metro me dejó a pocas cuadras del hotel y, entonces, pensé en Pepe.
En mi relación con Pepe, en las clases de semiótica con Enrique Bayón, en
las juergas y los ágapes memorables con la bohemia limeña de comienzos
de los setenta (nosotros éramos la bohemia de los setenta). Nunca lo consi
deré un amigo cercano y aun ahora no me explico por qué. La química no
funcionaba, no tengo otra explicación. Su rigidez creaba una distancia que
me costaba salvar. Pero luego me dije que la misma rigidez de Pepe no era
más que un espejo de la mía y eso me reconcilió un poco con él.
En el Esmeralda me esperaban con cara de pocos amigos. Me disculpé
como pude y me instalé en mi escritorio. El hotel estaba medio lleno. Solo
faltaba una pareja que acababa de hacer su reserva. Abrí el sobre de Pepe
y encontré un poemario titulado Zancudas. Salvo una dedicatoria algo in
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Son service s’achevait à cinq heures. Il prit une demi-heure de plus pour
se laver le mieux qu’il put dans les toilettes du personnel, au cas où l’eau
aurait été coupée chez lui. Ces toilettes avaient des murs tachés et empes
taient l’urine, mais au moins il y avait de l’eau.
En sortant il croisa à nouveau la jeune fille. Il la vit marcher à la des
cente de l’autobus et alors seulement il admit qu’il ne l’avait jamais vue
auparavant dans le quartier. « Elle vient sans doute d’emménager » pensa
Rogelio et il l’observa pendant les deux longues minutes qui les séparaient
alors qu’elle venait vers lui. Elle n’était ni grande ni trop petite. Agréable
sans plus. Elle avait le teint mat, avec ces reflets olivâtres que donne l’hiver
de Lima aux métis. Son corps mince inspirait une certaine tendresse tant
elle semblait frêle et vulnérable. Mais en la croisant Rogelio remarqua,
outre la propreté de ses ongles et de sa robe bleue, l’intense regard noir qui
atténuait la fragilité de sa silhouette.
Il était plus de onze heures quand il arriva chez lui. Il était fatigué et
il avait mal aux pieds. Il aurait voulu se coucher pour regarder la télévi
sion. Mais il ne put car il y avait une coupure d’électricité. Sa chambre
sentait mauvais mais cette puanteur lui était familière : c’était celle de
ses vêtements, de ses draps, de ses chaussures. Cette odeur rance était la
sienne, comme le désordre et la pauvreté. C’était en réalité tout ce qui lui
appartenait vraiment. Il ôta ses mocassins usés et s’appuya sur l’oreiller
où la crasse avait dessiné des îles grises, un archipel douteux de salive
et de sueur. Avant de fermer les yeux, vaincu par la fatigue, il imagina la
silhouette de la jeune fille se dessinant à ses côtés, la tête posée sur les
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Durante muchos años, desde que empezara a firmar mis primeros artí
culos, muchos lectores que recién me conocían solían manifestarme dos
impresiones que siempre me parecieron extrañas : 1. Mi nombre les sonaba
al de un hombre de muchísima edad. 2. Mi nombre les parecía un seudó
nimo. Había algo en él – me decían – que daba la impresión de una « crea
ción literaria », un gesto sin duda atractivo para nombrar a un personaje
de ficción, alguien original o remoto, pero de ningún modo al jovencito de
carne y hueso que tenían al frente. Yo les decía entonces que era el nombre
que recibió mi padre del suyo y que en cierto momento decidió ponérmelo
a mí. Luego terminaba aceptando aquellos comentarios con una mezcla de
distancia, complicidad y humor.
En el año 2003 fui convocado por el Proyecto Fotográfico de la Comi
sión de la Verdad y Reconciliación del Perú para trabajar como editor de
textos de lo que sería más adelante la muestra fotográfica y el libro visual
Yuyanapaq. Para recordar, que reunió el trabajo de los fotógrafos que
documentaron los años de violencia y terror en el país de 1980 al año 2000.
Fue a raíz de esa experiencia, cuando ya la CVR había dejado de existir,
que algunos funcionarios me llamaron para editar los textos de las 1500
imágenes que la Comisión legaría a la Defensoría del Pueblo a través de
un Banco Virtual al que podrían acceder todos los peruanos interesados.
Acepté sin saber que lo que viviría allí me modificaría para siempre. La
semana que pasó, mientras se colocaba la primera piedra de lo que será el
Lugar de la Memoria, el museo destinado a exhibir parte de esas imáge
nes, volví a recordar aquellos días. Entonces decidí escribir esta columna.
Mi memoria puede recobrar esos días con nitidez. Trabajé en condicio
nes muy particulares para aquel banco de Imágenes : lo hacía completa
mente solo y de madrugada en una oficina pequeñita y asfixiante dentro
de una casona oscura, en Magdalena, que La Universidad Católica había
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Julio Ramón Ribeyro aimait nager. Il disait souvent qu’il avait beaucoup
nagé pendant sa jeunesse, qu’il se jetait dans les vagues et glissait dans les
flots comme un dauphin. Il était nostalgique de ses étés d’autrefois, à Lima
ou Capri, et m’a confié un jour qu’il voulait s’y remettre. Plonger, alterner la
brasse et la nage indienne, battre des pieds rapidement sans éclaboussures.
« Style crawl », m’expliqua-t-il. J’admirais son enthousiasme bien sûr, mais
je supposais, non sans appréhension, qu’il n’était pas en état d’envisager de
tels ébats. À la fin des années quatre-vingt, un coup d’œil sur sa silhouette
suffisait pour constater son extrême maigreur. Cette minceur s’expliquait
par d’anciennes opérations pour soigner un cancer de l’estomac.
— Je sais bien ce que tu penses, Fernando, me dit-il, mais tu te trompes :
je suis maigre mais robuste et je suis sûr que je pourrais très bien nager. De
toute façon, là n’est pas le problème.
— Ah bon ?
— Non, mon problème est ailleurs.
— Quel est-il ?
— Je veux nager là où il n’y a personne. J’ai honte d’être aussi maigre.
Je ne supporterais pas que les gens me voient.
J’ai rapidement compris la situation et je me suis mis à chercher des
solutions. Les plages ensoleillées aux heures où la mer est chaude étaient
bondées. Il en allait de même pour les plages des clubs privés entre Chor
rillos et Miraflores : Regatas, Waikiki, Las Terrazas. Les gens s’entas
saient de plus en plus à Lima et il n’y avait ni mer hospitalière ni piscine
sans baigneurs. Il semblait difficile de trouver la solution souhaitée mais ce
fut Julio lui-même qui, sans le vouloir, finit par la trouver. Une après-midi
de cet été-là, alors que nous étions, l’un et l’autre, épuisés par la chaleur
et les nouvelles d’attentats terroristes, il a lancé un commentaire sur « Los
cóndores », un quartier huppé du district de Chaclacayo, qui bénéficiait
du soleil toute l’année et où une bonne partie de la bourgeoisie de Lima
passait ses week-ends pendant l’hiver. Son ami Herman Braun, un peintre
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1. Plat traditionnel de Lima à base de pommes de terre, piment, citron et poulet. (NDT)
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Necrofucker (extrait)
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Pour les deux premiers concerts auxquels on était censés participer, les
organisateurs ne nous ont prêté ni la batterie ni les amplificateurs.
— Vous savez pas jouer – nous ont-ils dit. Vous allez bousiller le ma
tériel.
Donc on n’a pas joué à cette occasion.
Le premier vrai récital s’est fait dans une grande cour qui sentait la
pisse, sur une colline à Comas. Ce jour-là, on a interprété quatre chansons.
Les gens ont répondu présents et se sont lancés dans un pogo digne de ce
nom.
Je me souviens qu’à partir de ce jour-là, l’Anté a été bon sur scène. Il
parlait sans filtre : son baratin contre les punks, les poseurs et les petits
métalleux prétentieux.
Necrofucker jouait à la Colmena, en banlieue, à Carabayllo, à Comas,
à Villa el Salvador et à Canto Grande. Les concerts avaient lieu dans les
garages et les patios. On est allés jusqu’à jouer en province. On a joué à
Huánuco, à Cerro de Pasco et à Huamanga, la ville où on a donné notre
meilleur concert quand je faisais encore partie du groupe.
Je me souviens que la salle était seulement éclairée par deux lampes, et
qu’environ cinquante personnes étaient là. Le récital a été un pogo total du
début à la fin. On a joué tout notre répertoire et trois covers : « Beyond the
Unholy Grave » de Mantas, « Black Metal » de Venom et « Nigthmare » de
Sarcófago.
On nous a rien payé d’autre que les billets, le logement et les boissons,
mais l’organisateur, le percussionniste d’un groupe chicha, nous a enre
gistré le concert gratos. Cette cassette, c’est la seule preuve qu’il reste de
l’existence du groupe quand j’en faisais partie, parce qu’on a jamais en
registré de démo en studio ; on a intitulé l’enregistrement Necrofucker :
Buried Alive et encore aujourd’hui, je crois qu’on peut la trouver chez les
vendeurs pirates de la Colmena.
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Necrofucker (extracto)
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En los dos primeros shows en los que supuestamente iríamos a tocar, los
organizadores no nos prestaron ni la batería ni los amplificadores.
–No saben tocar – nos dijeron –. Joderán los equipos.
Por eso no tocamos en esas ocasiones.
El primer recital en sí fue en un corralón en un cerro en Comas que olía
a orines. Aquel día, interpretamos cuatro canciones. La gente respondió y
se armó un pogo respetable.
Recuerdo que, desde ese día, el Anti ya tuvo un buen desempeño en el
escenario. Hablaba con confianza : su rollo contra los punks, los poseros y
los metaleros pitucos.
Necrofucker tocaba en la Colmena, en los conos, en Carabayllo, en Co
mas, en Villa el Salvador y en Canto Grande. Los conciertos se realizaban
en garajes y corralones. Llegamos a ir a provincias también. Tocamos en
Huánuco, en Cerro de Pasco y en Huamanga, ciudad en la que dimos nues
tra mejor presentación hasta que yo estuve en la banda.
Recuerdo que solo dos focos iluminaban el recinto y que asistieron unas
cincuenta personas. El recital fue un pogo total de principio a fin. Tocamos
todo nuestro repertorio y tres covers : « Beyond the Unholy Grave » de
Mantas, « Black Metal » de Venom y « Nigthmare » de Sarcófago.
No nos pagaron más que los pasajes, el hospedaje y los tragos, pero el
organizador, el percusionista de un grupo chicha, nos grabó el concierto
sin costo. Ese casete es el único testimonio que queda de la banda mientras
yo fui integrante, porque nunca grabamos un demo en un estudio ; la cinta
se tituló Necrofucker : Buried Alive y todavía, creo, se consigue en los
piratas de la Colmena.
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