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Pascal-Moïse TOUG

L’AFRICAIN, L’HISTOIRE
ESSAI
ET LA PENSÉE
AVANT-PROPOS

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Toute société humaine, consciente de son identité à travers ses traditions,
ses croyances et son rapport à la terre, fait partie de l’histoire. C’est un fait, plus
qu’une certitude. L’histoire, d’ailleurs, ne se résume-t-elle pas en cet agrégat de
faits des hommes depuis les débuts de la civilisation jusqu’à nos jours ? Car, il
faut bien se le dire, de peur de s’y méprendre, les actions humaines, qu’elles
soient individuelles ou collectives, rythment, depuis des temps immémoriaux, la
marche du monde. Et la conscience même du cours du temps se fonde sur ces
mêmes faits, entendus comme actes posés, de manière ponctuelle ou
permanente, par les Hommes.
Cela dit, en fonction des aspirations ou contingences qui ont motivé, dans
le cours du temps, les faits des Hommes, leur vie s’en est trouvée marquée, voire
influencée, d’une certaine manière, d’où la notion de « cycle » qu’il est convenu,
ici, d’adjoindre à celle d’« histoire ». L’histoire, pour en venir au fait, a presque
toujours revêtu un caractère cyclique ; tant de faits s’étant répétés après d’autres,
indifféremment des volontés individuelles, dans la longue durée qui marque
l’évolution des civilisations humaines sur notre planète.

Cependant, le caractère holistique de l’histoire n’induit pas dans l’analyse


des faits, la similitude des destinées dans les sociétés humaines.
En effet, si l’on tient compte du postulat selon lequel l’histoire est
essentiellement inspirée par les faits humains, nous comprenons alors que ceux-
ci renvoient à des habitudes ou pratiques qui, elles-mêmes, s’enracinent dans le
temps et, partant, le vécu des hommes qui les posent.
Les sociétés africaines, prises séparément, ont bel et bien leur part à
revendiquer dans la marche de l’histoire, puisqu’elles en sont, conjointement à
d’autres (asiatiques, européennes, américaines, etc.), les principaux acteurs. Par-
delà les siècles, leurs pratiques et croyances ont rythmé la marche du monde et
déterminé aujourd’hui, comme toujours, la place qu’elles y occupent.
La question des destinées humaines, prises dans sa globalité, laisse aussi
entrevoir, en filigrane, de profondes disparités dont l’étude approfondie, selon

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une méthode d’analyse basée sur la comparaison, est digne d’intérêt. D’ailleurs,
ce champ de recherche a largement été exploré – et continue de l’être – pour les
besoins scientifiques de la cause. Toujours est-il que, pour ce qui est des sociétés
africaines, le tableau qui se dresse, n’est guère reluisant, si l’on tient compte de
leur niveau de développement social, culturel, économique et politique.

L’Afrique est au plus mal dans presque tous les domaines de la vie
moderne. Ses populations sont sujettes à un désarroi qui n’a de cesse de
s’accentuer au point d’affecter les esprits, voire même la conscience collective.
Partout, sur le continent, le pessimisme trouve un terreau fertile, car même après
plus de cinquante années d’indépendance, les économies africaines ne cessent de
péricliter. Leurs systèmes productifs, déjà très atrophiés, sont tout aussi sclérosés
par le manque de financement et l’absence de volonté politique. Sa culture, très
reconnue pour son originalité, est, cependant, très peu valorisée par les Africains
eux-mêmes qui, à défaut de faire prévaloir leurs traditions et savoir-faire,
subissent de plein fouet, l’offensive culturelle de l’Occident et, de plus en plus, de
la Chine. Au plan politique, les régimes en place, à la tête des États africains,
semblent perpétuer des tares longtemps décriées durant la période coloniale, ce
d’autant plus que le modèle de gouvernement, appliqué dans la majorité de ces
pays, est inspiré de la culture politique européenne. D’aucuns parlent d’« État
importé » et le terme « démocratie », qui semble y attenir, ne s’y matérialise que
dans la forme.
Toutes ces pesanteurs d’ordre civilisationnel se répercutent,
naturellement, sur le vécu quotidien des populations africaines dont le niveau de
vie est le plus bas de la planète ; situation paradoxale dans un continent que l’on
considère, pourtant, comme l’un des plus riches de la Terre, de par l’immensité
de ses richesses minières et son riche potentiel agricole qui auraient pu
constituer, en principe, le socle décisif d’une puissance industrielle jusque-là
hypothétique, hélas. En conséquence, le chômage et la pauvreté rythment la vie

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quotidienne d’une grande frange de la population paupérisée par des
gouvernements en manque de solutions durables.
Des regards croisés structurent les débats, quant à cette situation
alarmante qui prévaut en Afrique. Alors que les uns s’interrogent sur la
conscience des dirigeants africains qui semblent agir dans un but autre que celui
de l’amélioration des conditions de vie et du développement économique et
social de leurs administrés, d’autres, par contre, orientent l’analyse dans le sens
d’une remise en cause de la conscience historique des Africains eux-mêmes, c’est-
à-dire, leur volonté à assumer une part, sinon plus de responsabilité dans
l’histoire.

Cet article se structure autour d’une question principale qui est celle de la
responsabilité de l’ « Africain » dans l’histoire. Une telle question sonnerait dans
des oreilles profanes comme une interrogation sur une lapalissade. Que non. Il
s’agit là, d’une préoccupation d’autant plus pertinente qu’elle ouvre de multiples
volets d’interrogation. Cela dit, la réflexion sur cette problématique nous pousse à
comprendre, dans un premier temps, l’action et l’apport des peuples africains
dans le cycle ambulatoire de l’histoire humaine, puis, dans un deuxième temps, à
questionner, dans sa dimension holistique, la conscience africaine, aux fins d’en
saisir une volonté d’agir ou d’influer sur la postérité. Enfin, nous terminerons
cette réflexion par une esquisse d’analyse prospectiviste pour un rapport plus
productif de l’Africain à son histoire.

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Comprendre le thème de cette réflexion suppose d’abord une clarification
des concepts qui le structurent.

Le substantif « Africain », employé dans son sens général, pourrait, sans


doute, prêter à équivoque, tant qu’il est perçu comme un lien d’appartenance,
une identité propre à un continent en référence duquel on désigne les
ressortissants. Ainsi, le lecteur aurait tendance à considérer comme sujet de cette
réflexion tout individu issu du « berceau de l’humanité ». Sans nier cette
évidence, notre acception du terme « Africain », dans le cadre strict de cette
réflexion, fait référence à l’élite du continent, entendons celle dont la pensée et
les actes sont supposés être la lumière de sa communauté fraternelle, de par son
intellect ou le pouvoir de décision qu’elle exerce de fait ou de droit sur les masses
populaires.
L’élite est une notion plurielle, en effet. Dans le contexte africain, elle
renvoie à une multitude de catégories sociales. L’on y voit les autorités
traditionnelles, politiques et religieuses, les intellectuels et leaders d’opinion, les
hommes d’affaires, bref, toute personnalité ayant – ou supposée avoir – une
influence, au sens positif du terme, sur les masses constituées.
Quant à la notion d’histoire, elle est tout aussi importante dans la saisie
réelle de l’objet de notre réflexion. En tant que construit universel, l’histoire est
l’ensemble des faits et pratiques dont l’accomplissement, de même que les effets,
s’inscrivent ou non dans l’immuable éternité. Considérée ainsi, l’histoire est, tout
simplement, le passé des hommes. Mémoire transgénérationnelle et matrice
dynamique, comme nous affectionnons de la considérer, l’histoire assumée et

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comprise tel quel, concentre trois vertus cardinales. Primo, elle sert de base à tout
examen de l’antériorité dans une aire géographique bien déterminée. Secundo,
elle permet de considérer le présent sur la base de repères plus ou moins précis.
Tertio, elle ouvre la voie à toute prospective sur le futur, selon une logique
causale qui trouve son sens dans la succession – ou l’imbrication – même des
évènements étudiés. Le rapport à l’histoire est un sujet au combien
incontournable dans la compréhension des sociétés humaines. À travers lui, on
touche du doigt la vision du monde et, partant, la spécificité ontologique de
chaque peuple. C’est l’exercice auquel nous nous attèlerons, dans le cadre cette
réflexion.
Enfin, l’introduction du terme « responsabilité » est loin d’être anodine ici,
puisqu’il participe de la constitution de l’objet de cette réflexion. A l’instar
d’autres termes comme « obligation », « devoir », « impératif », « implication »,
« imputabilité », termes auxquels on peut lui trouver une valeur synonymique, le
terme « responsabilité » renvoie à un principe d’une importance capitale dans
toute société humaine. À l’examen de ce principe, on se fait une idée plus ou
moins exacte ou fiable de la société que l’on observe. La notion de responsabilité
revêt un double sens : d’abord, un sens moral, qui a trait à la conscience de
l’individu ou du groupe en question, à sa disposition à agir selon le bon sens, dans
un souci d’équilibre moral ou de promotion de l’intérêt commun. On peut parler,
ensuite, d’une responsabilité civile, qui est considérée du point de vue des lois.
Toutefois, compte tenu du caractère épistémologique – et à tout le moins
universel – que nous entendons donner à cette réflexion, nous privilégierons le
versant moral du concept de responsabilité, tout au long de notre
développement.

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A. CE QUE L’HUMANITE TOUTE ENTIERE DOIT A L’AFRIQUE

Toutes les sociétés humaines, races et cultures confondues, s’inscrivent


légitimement, de par leur existence même, dans le vaste ensemble qu’est la
civilisation universelle. De même, les peuples d’Afrique, par-delà les cycles du
temps et les nombreux cloisonnements de l’espace, ont marqué d’une empreinte
qui leur est propre, l’histoire universelle.

L’apport de l’Afrique dans l’édification du monde actuel est donc


indéniable. Il s’étale sur divers domaines………

B. DE LA VOLONTE DE L’AFRICAIN D’AGIR/ŒUVRER POUR LE BIEN


DE LA POSTERITE

Il est un principe qui s’affranchit de toute réserve : toute société, toute


civilisation, n’entrevoit sa propre existence que sous le prisme de l’idée qu’elle se
fait de son passé, du temps présent et, surtout, de son avenir. La volonté d’agir
pour la postérité est, en quelque sorte, consubstantielle à l’Homme. Il serait, en
effet, bien difficile d’imaginer un individu qui ne soit désireux de jouer un rôle
dans l’évolution de la société au sein de laquelle il évolue. Cette volonté peut,
évidemment, se manifester à des degrés divers, selon des contingences qui sont
liées au milieu environnant.

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Compte tenu des legs importants de l’Afrique dans l’édification du
monde actuel, on peut bel et bien présumer de la volonté réelle de l’Africain
d’agir sur son temps, dans la pleine conscience, ou non, de la portée de ses actes.
D’ailleurs, nul ne saurait nier, aujourd’hui, le rôle majeur qu’auront joué, durant
le siècle dernier, les leaders nationalistes dans la lutte contre l’establishment
colonial en Afrique. La symbolique des actions posées par ces derniers, de même
que leur portée sur le devenir des peuples, témoignent de la volonté, qui fut la
leur, d’agir pour la postérité. Il demeure, pourtant, que le « choc civilisationnel »
qu’aura engendré, dès le 15ème siècle, la rencontre entre l’Afrique et l’Occident
aura fortement influencé le cours de l’histoire des peuples africains. En effet,
l’antagonisme entre deux visions du monde, l’une africaine, et l’autre occidentale,
a donné suite à une série de calamités humaines dont les effets se sont répercutés
aussi bien dans le temps que dans l’espace. D’abord, la traite transatlantique, plus
connue sous l’expression de « traite négrière », a vu la déportation en Amérique
et en Europe, de plusieurs millions d’Africains arrachés à leurs familles, à la suite
des plus grandes razzias que le monde aura connues. Il s’en est suivi, non
seulement, un dépeuplement massif et systématique du continent africain, mais
aussi et, surtout, la désorganisation des structures traditionnelles de nombreux
royaumes et empires africains, dont la plupart ont, tout simplement, disparu.
Tout au long de cet épisode qui dura quatre siècles, nous voyons que, du fait de
l’action conjuguée des rabatteurs africains et des marchands négriers venus
d’Europe, le cours de l’histoire s’en est trouvé irrémédiablement influencé. La
liaison des destins, qui s’est opérée entre l’Europe et l’Afrique, du 15 ème siècle
jusqu’à l’aube des indépendances, a porté un coup supplémentaire – et même
fatal – à l’évolution du continent africain. Cette réalité s’explique par le
comportement de nos élites dont la plupart tiennent leur statut du mécanisme
néocolonial de promotion des cadres nationaux, avant, durant et après les
indépendances en Afrique noire. Ainsi, la nécessité de substituer un Européen à
un Africain diplômé – et pas nécessairement formé – à un poste d’administration,

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a fait naître, ici et ailleurs, dans les États africains, une classe de jeunes dirigeants
aux colorations locales certes, mais aussi et surtout investie de pouvoirs
exceptionnels dont l’usage est mesurable à l’aune de leurs ambitions
personnelles. L’africanisation, sur fond de renouvellement, de la classe dirigeante
à la tête des administrations des jeunes États africains s’est suivie d’une série
d’effets positifs, tant que les nouveaux récipiendaires manifestaient une
conscience relativement bonne de la tâche qui leur était confiée. En dehors de
quelques énarques tout frais sortis des écoles d’administration des métropoles
européennes, la plupart des cadres d’administration en Afrique ne pouvaient se
prévaloir que de diplômes universitaires non qualifiants ou encore d’une certaine
expérience forgée au fil de combats politiques. Il n’est donc pas étonnant qu’entre
ces deux profils d’administrateurs – les uns formés et les autres dilettantes –, il se
jouât une compétition plus ou moins rude, dont les administrés devaient, seuls,
payer le prix fort. Des tares régulièrement ataviques dans les instances
gouvernementales africaines, telles que le clientélisme politique, le sectarisme et,
surtout, la grande corruption d’État, pour ne citer que ceux-là, continuent de
gangrener les administrations des États africains.

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