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LA CARRIÈRE DISPARUE
Mais, avec les années, les gens qui habitaient près de la montagne ou qui roulaient
sur les routes se mirent à se plaindre de cette affreuse plaie de leur montagne
adorée. Son grand manteau vert était mis en pièces par un trou béant, son silence
déchiré par les détonations de dynamite, la forêt étouffée par des nuages de
poussière. La Carrière Lefort était une honte, un monument à la cupidité, un
massacre de la nature au nom de l’argent. On réclamait qu’on cache cette horreur,
qu’on le transforme en jardin. On regardait désormais Jacques Lefort de travers.
- Comment veux-tu, mon Alain, que je cache toute cette machinerie, comment
faire des explosions silencieuses ?
- Wow, Alain, des corridors de mine au lieu d’une carrière, quelle idée géniale
!
Ainsi quelques mois plus tard, Jacques Lefort, organisa une conférence de presse,
où il annonçait fièrement la fin du bruit des détonations, finis les nuages de
poussière, finies les caravanes de camions chargés de roches, finie la grosse
machinerie bruyante. La paix, enfin. Il allait même transformer sa carrière en
jardin de fleurs et de cascades. Les gens étaient incrédules. Pourquoi mettait-il
fin à sa carrière. Alors Jacques a expliqué son plan de passer sous terre, de
creuser des galeries pour aller chercher les roches si précieuses pour les routes
et les maisons. Les camions seraient remplacés par un train électrique, silencieux,
comme les fantômes.
- C’est génial !! cria bien fort le boucher Alain, caché dans la foule.
Loin sous la terre, Jacques et son équipe travaillaient infatigables pour extraire
les trésors de roc quasi inépuisables. Pendant de longues années, les trains
entraient vides et sortaient débordants des couloirs profonds et la construction de
la région florissait. Jacques ne comptait plus les kilomètres de galeries sous la
montagne, ses hommes creusaient et dynamitaient partout, tantôt plus bas quand ils
se trouvaient sous une des vallées de la montagne, tantôt bien haut quand ils
travaillaient sous un des sommets. Patiemment, ils évidaient la montagne, comme on
vide un pot de confiture.
Une nuit d’été, au moment où le sommeil est à son plus profond, un grondement
terrible a secoué les gens de la région. Depuis la montagne, un roulement de
tonnerre comme d’un train qui file en folie a fracassé le silence de la nuit. La
terre tremblait, les vitres éclataient. On n’entendait que sirènes et pleurs
d’enfants effrayés. Un immense nuage de fumée cachait la lune et une poussière fine
remplissait l’air. Puis, subitement le silence est revenu. Les nouvelles à la radio
étaient pleines de contradictions. Il y avait eu une drôle d’explosion, mais pas de
vrai tremblement de terre.
Quand le soleil s’est levé, les gens ont constaté à leur grande stupéfaction, que
la montagne avait disparu. Elle s’était repliée sur elle-même comme un ballon
crevé. Il ne restait qu’une étrange et inquiétante ruine verte striée de couloirs
gris et d’escaliers effondrés. La forêt était pêle-mêle, comme une couverture faite
d’arbres et de plantes brisés. Des oiseaux s’échappaient dans le ciel empoussiéré.
La chère montagne avait disparu, un joyau était perdu à jamais. Heureusement que
les flancs de montagne avec les résidences cossues étaient relativement intacts,
sauf bien des murs fendus et des terrains saccagés. On ne comptait pas de victimes.
Les gens criaient leur colère et exigeaient un procès contre Lefort. Alors un vieil
homme demanda la parole. Il s’est approché du micro :
La conférence de presse s’est terminée dans la cacophonie, sous une pluie d’excuses
et d’accusations que personne ne voulait écouter.
L’étrange ruine verte de la belle montagne d’autrefois est devenue un haut lieu du
tourisme. Les gens venaient partout admirer et pleurer ce drame étonnant. Les gens
se demandent comment tout ça avait pu se produire. Une carrière avait cédé la place
à une mine qui avait ensuite dévoré la montagne. Jadis, il y avait ici une plaie
grise qui faisait rebondir, maintenant il y avait un trou étrange qui offrait plus
de questions que de réponses.
Autor:
Kees Vanderheyden