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GUETTEURS POUR
L'ISRAËL DE DIEU
MÉDITATIONS
SPIRITUELLES ET
BIBLIQUES
MENAHEM MACINA
Tsofim
Limoges
Guetteurs pour l'Israël de Dieu Droit d'auteur © 2017 par Menahem Macina.
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À Emmanuelle, Ginette, Jean, Maggy, Marie-Thérèse, Olivier, et
quelques autres, dont le Seigneur « a éveillé l’oreille pour qu’ils
écoutent comme des disciples… » cf. (Is 50, 4).
Table des matières
Du même auteur ix
Introduction: On demande des guetteurs 1
1. 3
2. 1. Avant la mise en route 5
3. 2. Pourquoi le Carmel ? 15
4. 3. L’attente du Royaume de Dieu 19
5. 4. Éprouver les esprits : prophétie et avertissement 27
6. 5. L’Apocatastase, ou réalisation de tout ce que Dieu a 35
énoncé par la bouche de Ses saints prophètes de tout
temps (cf. Ac 3,21)
7. 6. Rôle eschatologique d’Élie 41
8. 7. Résister à l’apostasie de l’Antéchrist qui « agit déjà » et 47
préparer au Seigneur un peuple bien disposé (2 Th 2, 7 ;
Lc 1, 17)
9. 8. Le phénomène de l’« intrication prophétique » 55
10. 9. Il y aura une reddition de comptes 65
11. 10. Croire dès maintenant « pour que le Jour du 73
Seigneur ne nous surprenne pas comme un voleur » (Cf.
1 Th 5, 4)
12. 11. « En un seul esprit » Approfondir et mettre en œuvre 83
l’unité voulue par Dieu entre les deux familles de «
l’Israël de Dieu » : les juifs et les chrétiens
13. 12. Un exemple de discernement de l’apostasie : H. de 97
Lubac *, s.j., Lettre à mes supérieurs (25 avril 1941)
14. 13. Les chrétiens sont-ils en état de « pré-apostasie » ? 115
vii
15. 14. Du risque de se prendre pour un prophète et 121
comment le pallier
16. 15. Nous n’ambitionnons pas d’être un mouvement 127
d’Église, mais seulement des « guetteurs », prêts à
l’avertir si Dieu nous le demande
17. 16. Les juifs, pierre de touche de l’apostasie des chrétiens 135
qui refusent l’incarnation du dessein de Dieu
viii
Du même auteur
ix
Introduction: On demande des guetteurs
(Ez 3, 17 – Ga 6, 16)
1
1
3
2
5
6 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
que lorsque les circonstances seraient mûres et que les personnes
que Dieu susciterait pour accomplir la tâche, croiseraient ma
route, ou moi la leur. C’est la raison pour laquelle j’ai, durant
quelques années, fréquenté sporadiquement plusieurs
mouvements et groupes spirituels, – tels, entre autres, les très
fervents « Focolari », mais aussi, par la suite, les communautés
de la mouvance du Renouveau charismatique, de loin les plus
nombreuses et les plus visibles.
Jusqu’à récemment, il ne m’était jamais venu à l’esprit de
prendre moi-même l’initiative d’un mouvement de vie adapté
à mes aspirations, et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce
que mon tempérament m’incline plutôt à m’agréger à des entités
existantes qu’à en improviser de nouvelles. Ensuite, parce que
j’estimais qu’il y a suffisamment de formes de vie consacrée – tels
les ordres et communautés monastiques et/ou religieux existants,
sans parler des tiers-ordres, Instituts séculiers et autres
mouvements spirituels de toutes sortes [3], pour qu’il ne soit pas
nécessaire d’y ajouter. Enfin, parce que, en incorrigible optimiste
idéaliste que je suis, j’étais persuadé que devait bien exister
quelque part un groupe de chrétiens, si modeste fût-il, ayant plus
ou moins les mêmes aspirations que les miennes. J’avais même cru
l’avoir trouvé, dans les années 1980, en l’espèce de la communauté
charismatique du « Lion de Juda » (devenue par la suite « Les
Béatitudes »). Leur ferveur judéo-chrétienne m’avait
impressionné. Qui sait – me demandais-je alors – si ces gens ne
m’ont pas devancé après avoir reçu un appel identique (voire
supérieur) au mien ? Si c’était le cas, j’étais prêt à m’agréger
humblement à leur initiative, et Emmanuelle, mon épouse, était
dans les mêmes dispositions d’esprit. C’était un mirage, et je
n’insisterai pas sur les errements subséquents – dont j’avais alors
discerné les signes avant-coureurs – de certains de leurs dirigeants,
qui furent cause de tant de souffrances et ont gravement
compromis ce qu’il y a de bon dans ce mouvement et dans d’autres
groupes de la mouvance du Renouveau charismatique.
1. Avant la mise en route 7
Des décennies ont passé sans que je trouve le milieu spirituel
dans lequel j’aspirais à vivre, ce qui, somme toute, n’est pas
étonnant quand on a des exigences aussi insolites que les miennes,
dont, entre autres, la détermination à ne faire route qu’avec des
chrétiens ouverts au mystère de l’unité dans le Christ des peuples
juif et chrétien, et le refus catégorique d’accabler, sous quelque
prétexte que ce soit, les millions de Juifs qui ont choisi de vivre
dans leur antique patrie, ainsi que l’État qu’ils se sont donné.
C’est parce que je n’ai pas trouvé de chrétiens qui partagent
ma vision du dessein de Dieu et l’appel à la pénitence et à la
vigilance qu’Il ne cesse d’adresser à ceux qui croient en Lui mais
ne font pas Sa volonté (cf. Mt 7, 21), que je suis resté en retrait
durant si longtemps. Je faisais miennes symboliquement cette
parole d’Isaïe (8, 11): « Le Seigneur m’a saisi la main et m’a appris à ne
pas suivr
suivree la voie de ce peuple », et celle de Jérémie (15, 17): « Sous
l’emprise de ta main, je me suis tenu seul, car tu m’av
m’avais
ais empli de ccolèr
olèree ».
Mais comme le savent celles et ceux qui connaissent mon
itinéraire, j’ai pu, avec l’aide de Dieu, tirer bénéfice de cette
solitude de plusieurs décennies, dont j’ai profité pour étudier
intensivement l’Écriture, l’histoire de l’Église et la théologie, et lire
de larges parties des œuvres de Pères et d’écrivains ecclésiastiques
orientaux et latins. Je ne m’attarderai pas ici sur l’immense
enrichissement spirituel que m’ont valu mes années d’études et de
lectures assidues des monuments de la littérature rabbinique ; il
me suffit de dire qu’elles ont renforcé et nourri ma foi chrétienne,
non sans lui conférer des dimensions inattendues, dont je
m’efforce de faire passer l’essentiel dans mes écrits. C’est ainsi
qu’avec l’aide de Dieu – et même si ce fut majoritairement de
manière non conventionnelle –, j’ai acquis un certain savoir qui
m’a permis de mieux comprendre l’action multiforme de l’Esprit
de Dieu, et m’a profondément enraciné dans la voie sûre de la
Révélation et de la Tradition.
Je dois à la vérité des faits de reconnaître que je n’aurais
pu garder le cap que Dieu a voulu pour moi, sans l’amour et
8 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
la confiance de mon épouse Emmanuelle, qui a cru d’emblée à
l’empreinte du Seigneur sur ma vie, et m’a considérablement aidé
à obéir à Son appel. Elle a su me réconforter aux heures les plus
sombres, quand personne ne croyait à ce que le Seigneur m’avait
donné à comprendre, ni ne s’intéressait à ma perception de Son
dessein sur les peuples juif et chrétien, et que les moqueries, les
médisances, voire les calomnies m’accablaient de toutes parts. Sans
sa foi, humble mais tenace, j’aurais perdu confiance en ce que
Dieu Lui-même m’avait donné à contempler, outre que rien de ce
que j’avais écrit depuis des années n’aurait paru de mon vivant.
C’est elle, en effet, qui m’a aidé à surmonter mes résistances et
mes craintes d’être cause d’erreurs pour le peuple de Dieu. Et c’est
elle encore qui m’a persuadé d’écrire pour le grand public et de
témoigner, par mes écrits, de ce que le Tout-Puissant, semble-
t-il, veut communiquer à Son peuple par le truchement de
l’instrument indigne que je suis.
Je vais maintenant évoquer brièvement les personnes que
Dieu a mises sur ma route au moment opportun, et dont l’amitié,
le soutien et la collaboration m’ont été d’un précieux secours dans
ma longue marche vers la compréhension du dessein de Dieu.
C’est d’abord Sœur Maggy, qui – hormis mon épouse – fut
la première à adhérer à ce que j’écris. Depuis des années, elle
consacre une partie de sa pension de retraite à soutenir
financièrement mes activités, et collabore à mes recherches en
corrigeant mes traductions et commentaires de mots et de textes
grecs de l’Écriture et des Pères, grâce à sa maîtrise de cette langue.
Elle ne dédaigne pas pour autant les besognes humbles, telles la
saisie au clavier et la relecture de textes que je mets en ligne et
publie. Je lui dois beaucoup.
Puis, ce furent Ginette, veuve chrétienne admirable, et sa
sœur Marie-Thérèse, religieuse, mes aînées par l’âge mais sœurs
par l’amitié et la communion d’idéal. Toutes deux souffraient
intérieurement depuis des décennies du peu de place que tenaient
les Juifs et Israël dans la foi, la méditation et la prière chrétiennes,
1. Avant la mise en route 9
ainsi que de leur solitude spirituelle eu égard à l’idéal judéo-
chrétien qui est le leur. D’emblée, elles ont été en communion
avec mes écrits, qu’elles avaient découverts sur mon site Rivtsion.
Je les tiens en haute estime.
Même état d’esprit chez Olivier, membre de l’Église
évangélique, que j’avais eu comme élève dans un Institut d’études
bibliques protestant vers le début des années 1990, et qui a
retrouvé ma trace par Rivtsion, il y a deux ans. Il me dit alors
qu’il n’avait jamais oublié mon enseignement sur la réunion finale
des peuples chrétien et juif, après leur schisme primordial, que
préfigurait celui qui avait opposé les royaumes d’Israël et de Juda.
Devenu professeur d’enseignement religieux dans le Secondaire,
et toujours aussi fervent de la Parole de Dieu, il a immédiatement
adhéré à mon idéal et s’efforce, depuis, d’en diffuser le message
en milieu protestant. C’est un compagnon fidèle, doté d’un
discernement très au-dessus de son âge.
Je veux aussi mentionner trois amis qui, sans y être impliqués
de manière active, partagent notre idéal à des degrés divers, lisent
régulièrement nos échanges ainsi que mes livres et les textes qui
figurent sur le site Rivtsion, et s’intéressent au cheminement et au
mûrissement de notre initiative.
C’est d’abord Damien, si cher à mon cœur (il sait pourquoi !),
qui fut le premier à m’inciter à rendre publiques les grâces du
Seigneur, et qui a œuvré sans relâche à la publication de mon
premier livre.
C’est aussi Sœur Claire, âme apostolique, consacrée à Dieu au
sein du Renouveau charismatique et toute donnée à la prédication
de la Parole sur les ondes.
C’est ensuite Nicole, qui a adhéré spontanément aux
fondamentaux de notre initiative, après avoir entendu mon
témoignage dans son assemblée évangélique ; malheureusement,
son état de santé ne lui permet pas de s’impliquer plus intensément
dans notre action, mais elle m’est chère et je la porte sans cesse
dans ma prière.
10 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
Enfin, il y a quelques mois, ont adhéré à l’esprit de notre idéal
ou l’ont encouragé, Jean, pieux laïc catholique à la foi ardente,
ainsi qu’une carmélite, touchée dès son plus jeune âge par le
mystère d’Israël. L’une et l’autre sont des âmes si ferventes, que je
suis confus de l’être si peu, en comparaison ; je dirai d’ailleurs, à
l’occasion, tout ce qu’ils apportent à notre initiative.
En m’entretenant avec tous les membres de notre petit
groupe, par courrier et parfois de vive voix, j’ai découvert, avec
émotion et action de grâces, que Dieu avait déjà initié certains
d’entre eux au mystère qui est au centre de ma contemplation
et de mon action. Comme je l’ai écrit quelque part, ce fut pour
moi un grand réconfort et une confirmation indirecte de ce que
ma longue attente n’avait pas été vaine. Un jour en effet, alors
que j’étais en prière et me désolais de ne connaître personne qui
ait foi en ce mystère, l’exemple d’Élie me revint en mémoire. Il
croyait être le seul de son peuple à ne pas avoir apostasié
apostasié, mais
Dieu le détrompa en lui disant : « Je me suis réservé sept mille
hommes qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal (cf. 1 R 19,
18) ; ce que commente St Paul en ces termes : « De même, au
temps présent, il y a un reste, élu par grâce » (Rm 11, 5). Depuis,
j’ai découvert que des serviteurs et des servantes de Dieu, que
Lui seul connaît, cheminent dans l’ombre, depuis très longtemps
pour certains, avec, au cœur, le même appel, et dans une solitude
identique à celle qui fut longtemps la mienne, faute d’avoir trouvé
le milieu fraternel propice à l’approfondissement de cet idéal et à
sa diffusion, auxquels ils veulent se consacrer.
Il est temps que je relate l’événement – minime en apparence
(cf. Za 4, 10) – qui a été le déclencheur de ma « mise en route » [4].
C’est Jean, l’ami évoqué plus haut, qui en a été l’instrument.
Dans plusieurs de nos nombreux échanges de mails, il recourait
à la métaphore de la cordée quand il faisait allusion au groupe
minuscule que nous constituons, pour me dire combien il aimerait
en faire partie. Ayant compris que c’était moi qu’il voyait comme
« premier de cordée », je lui avais écrit pour lui signifier sans
1. Avant la mise en route 11
ménagement à quel point j’étais rétif à l’idée d’être à la tête d’un
groupe, quel qu’il soit, même sous l’appellation métaphorique de
« cordée ». « Pour que je m’y résolve », avais-je écrit, « il faudra
un concours indiscutable de circonstances et la motion de l’Esprit
Saint ». Et Jean, qui est humble mais souvent inspiré, m’avait
rétorqué : « une cordée spirituelle, c’est la cordée d’un petit
nombre de frères et de sœurs qui marchent auprès d’un ancien
plus expérimenté
expérimenté, un ancien qui s’efface devant le Seigneur ». J’étais
confondu. Il ne m’a pas fallu longtemps pour admettre que je
n’avais aucune raison valable de refuser, au nom d’une humilité
inopportune, de faire bénéficier de mon expérience ce fervent
disciple du Christ, ainsi d’ailleurs que quiconque voudrait se
joindre à nous. Je priai pour que le Seigneur m’éclaire ; ce qu’Il
a fait en me faisant comprendre que moi qui insistais tellement,
dans mes écrits et mes entretiens, sur le fait que les circonstances
sont l’expression habituelle de la volonté de Dieu, j’étais plutôt
mal venu de refuser cette circ
circonstance-là
onstance-là.
J’ai écrit à Jean pour lui demander pardon de l’avoir rudoyé
en me défendant – sincèrement au demeurant – de vouloir guider
qui que ce soit. À ma décharge, je lui ai confié qu’ayant été,
en son temps, témoin des ravages causés à maintes âmes par
des gourous de pacotille, ou des prédicateurs autoproclamés et
présomptueux, j’étais, par contrecoup, devenu allergique à tout
ce qui ressemble, même de loin, à des groupes exaltés, où la
manipulation mentale est souvent en embuscade. Je reconnaissais
que ma crainte maladive d’être considéré indûment comme un
guide spirituel m’avait amené à éconduire des gens sincères, isolés
comme lui, et sans nourriture spirituelle et intellectuelle qui
correspondît à l’appel de Dieu sur eux, et je l’assurai que je ne
les repousserais plus désormais, s’ils s’adressaient à moi, ni ne les
laisserais cheminer seuls dans cette voie, que je sais difficile et
même périlleuse pour qui s’y aventure sans guide. Je l’ai toutefois
prévenu que, s’il voulait faire partie de « notre cordée » – selon
l’expression imagée par laquelle il désigne celles et ceux qui se
12 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
nourrissent des quelques lumières que j’ai reçues sur le mystère de
l’unité des deux peuples et du dessein de Dieu sur l’un et l’autre –,
il devrait accepter mon interprétation de sa métaphore, que je
précise maintenant.
La cordée dont j’assisterai éventuellement l’ascension, faute de
mieux, ne recherchera pas la singularité, ni ne sera en concurrence
avec celles qui, depuis longtemps pour certaines, gravissent déjà la
montagne de Dieu à leur manière et selon leur charisme propre,
et qu’il n’est pas question de sous-estimer et encore moins de
mépriser, car les voies d’accès à son sommet sont multiples. En ce
qui nous concerne, nous nous efforcerons humblement de frayer
une piste, qui n’existe peut-être pas encore, vers ce sommet. Et
j’ajoute que quiconque choisira de se joindre à nous pour cette
ascension devra admettre que le véritable « premier de cordée »,
c’est le Christ. Pour ma part, je mettrai mes pas humains dans
Ses empreintes divines, mais c’est Lui, et Lui seul qui décidera de
l’itinéraire, des pauses et des bivouacs, des risques à prendre et de
ceux dont il faut se garder. Bref, je ne ferai cette ascension – pour
laquelle j’ai été entraîné, à mon insu, durant plus d’un demi-
siècle –, qu’avec celles et ceux qui seront prêts à obéir en toute
chose à ce que le Seigneur demandera et montrera.
[2] Conf
onfession
ession d’un fol en Dieu
Dieu, éditions Docteur angélique, Avignon,
2012, p. 68.
2. Pourquoi le Carmel ?
15
16 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
sa fourberie et son orgueil, et ramènera à Dieu, lors de la
consommation des siècles, tous les hommes égarés par sa
séduction. Voici celui qui est jugé digne d’être le précurseur de la
deuxième glorieuse venue du Seigneur Christ […] [3].
Durant mes études universitaires et postuniversitaires, j’ai
consacré des mois de recherches personnelles, à passer en revue
les écrits rabbiniques et la littérature ascétique et liturgique
chrétienne orientale des premiers siècles, pour tenter de cerner
le rôle confié par Dieu à ce prophète. Deux aspects ont
particulièrement retenu mon attention : l’analogie entre la
vocation et le comportement d’Élie et ceux de Jean le Baptiste [4],
et l’unanimité de plusieurs Pères de l’Église à propos de
l’affrontement entre Élie et l’Antichrist à la fin des temps [5].
Je dois à l’honnêteté d’avouer que, hormis ma grande dette
envers Thérèse de Jésus, la seule raison de mon intérêt pour
l’Ordre du Carmel était la personne d’Élie, qui, dorénavant, n’était
plus pour moi un sujet d’étude, mais un prophète eschatologique
dont j’attendais la venue à la manière juive, comme je l’exposerai
en son lieu. Mais au fil des années subséquentes, quelques
événements – apparemment fortuits et sans grande portée – ont
peu à peu modifié mon point de vue. Ci-dessous, quelques faits
qui, rétrospectivement, me semblent ne rien devoir au hasard.
19
20 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
marquer sur le front ou sur la main ; ils reprirent vie et régnèrent
avec le Christ mille annéesannées. Les autres morts ne purent reprendre
vie avant l’achèvement des mille années. C’est la première
résurrection. Heureux et saint celui qui participe à la première
résurrection ! La seconde mort n’a pas pouvoir sur eux, mais ils
seront prêtres de Dieu et du Christ avec qui ils régneront mille
années.
Les écrits de certains Pères témoignent de l’embarras de
l’Église des premiers siècles à propos de cette question. L’un des
premiers à avoir pris au sérieux cette doctrine est l’apologiste
chrétien d’origine païenne, Justin (IIe s.), qui mourut martyr.
Dans son dialogue avec Tryphon, il affirme qu’il y croit
fermement, tout en reconnaissant qu’elle ne fait pas l’unanimité
des fidèles [2]:
Pour moi et les chrétiens d’orthodoxie intégrale, tant qu’ils
sont, nous savons qu’une résurrection de la chair adviendra,
pendant mille ans
ans, dans Jérusalem rebâtie et agr agrandie
andie. […] Beaucoup,
par contre, même chrétiens de doctrine pure et pieuse, ne le
reconnaissent pas.
Quant à Irénée de Lyon, dont la réputation doctrinale est sans
tache, il croyait tellement à la réalité de ce royaume sur la terre,
qu’il a consacré la totalité du cinquième et dernier livre de son
œuvre majeure, Contr ontree les hér
hérésies
ésies [3],, à rapporter en détail les récits
et enseignements des Apôtres et des presbytres à ce sujet ; et il
réputait hér
hérétiques
étiques ceux qui n’y accordaient pas créance :
Adv. Haer. V, 32, 1. Ainsi donc, certains se laissent induire
en erreur par les disc discours
ours hérhérétiques
étiques au point de méconnaître les
« économies » de Dieu et le mystèr mystèree de la résurr
ésurrection
ection des justes et
du royaume qui ser seraa le prprélude
élude de l’inc
l’incorruptibilité
orruptibilité […] Aussi est-il
nécessaire de déclarer à ce sujet que les justes doivent d’abord, dans
ce monde rénové
énové, apr
après
ès êtr
êtree ressuscités à la suite de l’A
l’Apparition
pparition du Seigneur
Seigneur,
recevoir l’héritage promis par Dieu aux pères et y régner ; ensuite
seulement aur
auraa lieu le jug
jugement
ement de tous les hommes
hommes. Il est juste, en effet,
que, dans ce monde même où ils ont peiné et où ils ont été éprouvés
3. L’attente du Royaume de Dieu 21
de toutes les manières par la patience, ils recueillent le fruit de
cette patience ; que, dans le monde où ils ont été mis à mort à cause
de leur amour pour Dieu, ils retrouvent la vie ; que, dans le monde
où ils ont enduré la servitude, ils règnent.
Et d’exposer en ces termes sa pensée sur le règne millénaire du
Christ avec ses saints :
Adv. Haer. V, 36, 3. Ainsi donc, de façon précise, Jean a vu
par avance la première résurrection, qui est celle des justes, et
l’héritage de la terre qui doit se réaliser dans le royaume ; de
leur côté, en plein accord avec Jean, les prophètes avaient déjà
prophétisé sur cette résurrection. C’est exactement cela que le
Seigneur a enseigné lui aussi, quand il a promis de boire le
mélange nouveau de la coupe avec ses disciples dans le
royaume [4], et encore lorsqu’il a dit: « Des jours viennent où les
morts qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de
l’homme, et ils ressusciteront, ceux qui auront fait le bien pour
une résurrection de vie, et ceux qui auront fait le mal pour une
résurrection de jugement » : il dit par là que ceux qui auront
fait le bien ressusciteront les premiers pour aller vers le repos,
et qu’ensuite ressusciteront ceux qui doivent être jugés. C’est ce
qu’on trouve déjà dans le livre de la Genèse, d’après lequel la
consommation de ce siècle aura lieu le sixième jour, c’est-à-dire
la six millième année ; puis ce sera le septième jour, jour du
repos, au sujet duquel David dit : « C’est là mon repos, les justes y
entreront » : ce septième jour est le septième millénaire, celui du
royaume des justes, dans lequel ils s’exerceront à l’incorruptibilité
après qu’aura été renouvelée la création pour ceux qui auront été
gardés dans ce but. C’est ce que confesse l’apôtre Paul, lorsqu’il
dit que la création sera libérée de l’esclavage de la corruption pour
avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu.
Malheureusement, le Magistère ordinaire catholique est plus
que réticent à l’égard de ces perspectives [5] et va même jusqu’à
prendre ses distances avec la croyance en un règne millénaire du
Christ [6], qui, on vient de le voir, était pourtant partagée par
22 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
d’éminents Pères de l’Église. Cela rend ma tâche d’autant plus
difficile que – comme le savent bien ceux qui en ont été l’objet –
le soupçon d’hétérodoxie suffit à discréditer un témoignage ou
un enseignement, même si celui qui le diffuse se fonde sur des
textes scripturaires clairs et une Tradition dont l’orthodoxie est
indiscutable.
Malgré cet inconvénient non négligeable, je ne me sens pas
le droit de taire plus longtemps la « bonne nouvelle » que Dieu
m’a mise au cœur voici plus de quatre décennies, et dont je ne
témoigne clairement que depuis peu. « Malheur à moi, en effet, si
je ne proclame pas cette « bonne nouvelle », à savoir : Dieu a rétabli
son peuple [7].
Et si l’on demande des signes et des preuves de la véracité
d’une telle affirmation, en voici quelques-uns :
[2] Dialog
Dialogue
ue avec Tryphon
ryphon, 80, 5 et 80, 2. Cité d’après Philippe
Bobichon, Justin Martyr. Dialog
Dialogue
ue avec Tryphon
ryphon, Vol. 1, Academic
Press, Fribourg, 2003, p. 405. Pour sa part, Augustin, après avoir
partagé cette croyance, finit par l’abandonner ; toutefois,
conscient de son origine néotestamentaire et de la foi des fidèles, il
allégorisa le règne de mille ans en y voyant la Cité de Dieu, c’est-
à-dire, pour lui, l’Église.
27
28 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
époque, y ont remédié de diverses façons, avec leur génie propre,
au bénéfice de la chrétienté tout entière. Après de rudes épreuves
et de nombreuses tribulations – le plus souvent infligées par des
membres de la hiérarchie religieuse –, leurs initiatives ou leurs
réformes ont été intégrées dans l’organisme de la chrétienté et
ont porté des fruits bénéfiques, qui ont donné lieu à la création
de multiples congrégations et instituts religieux et, plus
spécifiquement depuis plus d’un siècle, à l’émergence de
nombreux mouvements laïcs en prise avec une société en pleine
mutation qu’ils tentent, avec succès parfois, de christianiser et de
sanctifier.
2. Nul, s’il veut s’inscrire dans cette dynamique d’Église, ne
peut faire abstraction de l’existence de ces entités (même si
certaines ont déchu de leur ferveur originelle, ou pire, comme
ce fut le cas de plusieurs d’entre elles au cours des décennies
écoulées, ont été causes de scandale public du fait de défaillances
graves de certains de leurs responsables et de leurs membres).
Il existe, en effet, des formes multiples de sanctification, tant
religieuses et monastiques que laïques [2]. Toutefois, c’est parce
qu’ils n’ont pas trouvé leur place parmi elles, que celles et ceux
qui me fréquentent et me lisent, depuis des années pour une partie
d’entre eux, ont adhéré à mes conceptions. Mais certains ont voulu
aller plus avant. Sur leurs instances, et après maintes hésitations,
j’ai fini par accepter de les accompagner dans leur aspiration à une
voie spirituelle, dont ils perçoivent confusément et intuitivement
les contours, sans en avoir encore défini la forme et les modalités
concrètes.
3. Il doit être clair que quiconque s’engage sur une voie qui
n’a pas encore de statut ecclésial défini prend un risque et le fait
courir à celles et ceux qui seront enclins à lui emboîter le pas.
Les spécialistes de sociologie religieuse disent fort justement que
quiconque veut réformer ou créer une forme de vie dans l’Église
conteste
onteste, au moins implicitement, celles qui existent déjà. Mais la
situation se complique encore plus quand un individu – moi, en
4. Éprouver les esprits : prophétie et avertissement 29
l’occurrence – affirme qu’il ne veut ni réf éformer
ormer un mouvement existant,
ni en crcréer
éer un nouveau
nouveau, mais qu’il croit devoir obéir à un appel
intérieur, extrêmement fort et persistant, à avertir, de la part de
Dieu, le peuple chrétien, que le dessein de Dieu est entré dans une
phase capitale et irréversible, que ni lui ni ses pasteurs, dans leur
majorité, n’ont discernée jusqu’ici (j’en traiterai dans la cinquième
méditation, qui s’intitulera « L’A L’Apocatastase,
pocatastase, ou la réalisation de tout ce
que Dieu a énoncé par la bouche de Ses saints pr prophètes
ophètes de tout temps »)..
4. Outre le scandale, la dérision, voire l’accusation de
démesure, d’hérésie ou de schisme, que risque d’engendrer un tel
propos, il sera demandé des comptes à celles et ceux qui le font
ou le feront leur. Nous devrons donc être, comme le recommande
saint Pierre (1 P 3, 15), « toujours pr prêts
êts à l’apolog
l’apologie
ie face à quic
quiconque
onque
vous demande raison de l’espér
l’espérance
ance qui est en vous ». Cette « apologie »
devra être dénuée d’agressivité et formulée avec humilité, ce qui
n’exclut pas la fermeté. Mais pour être convaincante, elle devra
reposer sur une connaissance solide de notre foi, à la lumière de
l’Écriture et de la Tradition. C’est pourquoi la première phase
de notre activité ad intr intraa consistera surtout à nourrir notre
connaissance religieuse et – j’ose le mot – théologique. Toutefois,
nous n’emprunterons pas la voie universitaire (non qu’elle soit
mauvaise en soi, mais parce qu’elle n’entre pas dans le cadre de
notre appel tel que je le conçois), mais plutôt celle de la Lectio
divina
divina. J’entends par là une « lectur lecturee sainte » des Écritures [3], dans
laquelle la centralité christique dessine, de manière étonnante, les
contours, encore indistincts mais déjà discernables, de « l’Isr l’Israël
aël de
Dieu » (cf. Ga 6, 16) ; à quoi doit s’ajouter la lecture expliquée
des Pères de l’Église, dits « millénaristes » parce qu’ils ont enseigné
l’instauration du Royaume de Dieu sur la terre, tel Irénée de Lyon,
dans le 5ème livre de son Adversus H Haer
aereses
eses.
5. On se demandera sans doute dans quelle ligne s’inscrit
notre initiative. Je réponds en toute simplicité, sans craindre les
moqueries (ou le mépris) prévisibles : celle de la tr tradition
adition pr
prophétique
ophétique
d’Isr
d’Israël
aël. Certes, il n’y a plus de prophètes au sens biblique du terme
30 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
– Jean le Baptiste ayant été le dernier d’entre eux –, mais « l’esprit de
pr
prophétie
ophétie », dont parle l’Apocalypse (19, 10), fait toujours partie des
charismes dont son fondateur a doté l’Église, il est même le plus
éminent, comme en témoigne saint Paul :
1 Corinthiens 14,1-5 : […] Aspirez aux phénomènes
spirituels, surtout la prprophétie
ophétie. Car celui qui parle en langue ne parle
pas aux hommes, mais à Dieu. Personne ne le comprend: sous
l’inspiration, il énonce des choses mystérieuses. Mais celui qui
prophétise parle aux hommes: il édifie, exhorte, enc encour
ourag
agee. Celui qui
parle en langue s’édifie lui-même, mais celui qui pr prophétise
ophétise édifie
l’assemblée
l’assemblée. Je voudrais, certes, que vous parliez tous en langues,
mais plus encencor
oree que vous prprophétisiez
ophétisiez ; car celui qui prprophétise
ophétise l’emporte
sur celui qui parle en lang
langue
ue, ou bien que [le glossolale] interprète,
afin que l’assemblée en tire édification. […]
C’est une erreur commune et répandue de croire que
prophétiser consiste uniquement à annoncer l’avenir. L’activité
des prophètes d’Israël ne s’est pas limitée à cela. Ils ont tout autant
repris et corrigé le peuple, tel, entre autres, Isaïe (29,13 = Mt 15,
8-9), qui disait:
« ce peuple s’approche de moi en paroles et me glorifie des
lèvres, alors que son cœur est loin de moi et que sa crainte n’est
qu’un commandement humain, une leçon apprise… »
Aussi ne devrons-nous pas craindre de faire de même à
l’égard des chrétiens, si l’Esprit nous y pousse, en tenant compte
des consignes de saint Paul (1 Co 14, 29-33) :
Quant aux pr prophéties,
ophéties, que deux ou tr trois
ois pr
prennent
ennent la par
parole
ole et que les
autr
autres
es jug
jugent
ent. Si un assistant reçoit une révélation, celui qui parle
doit se taire. Vous pouvez tous pr prophétiser,
ophétiser, mais chacun à son tour, pour
que tout le monde soit instruit et enc
encour
ourag
agéé. Le pr
prophète
ophète est maîtr
maîtree de l’esprit
pr
prophétique
ophétique qui l’anime
l’anime. Car Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais
un Dieu de paix. Comme cela se fait dans toutes les Églises des
saints…
6. Nous devrons aussi être conscients que nombreux sont, de
nos jours, celles et ceux qui se disent ou que l’on répute gratifiés
4. Éprouver les esprits : prophétie et avertissement 31
de ce charisme de prophétie. Saint Jean, dans sa 1ère Epître (4, 1),
nous met en garde en ces termes :
Bien-aimés, ne vous fiez pas à tout esprit, mais épr éprouvez
ouvez les
esprits pour voir s’ils viennent de Dieu
Dieu, car beaucoup de pseudo-
prophètes sont venus dans le monde. (1 Jn 4, 1).
Nous ne devons pas pour autant jeter à priori le discrédit sur
celles ou ceux qui prophétisent. Imitons plutôt l’attitude de Moïse
à cet égard (Nb 11, 26-29) :
Deux hommes étaient restés au camp ; l’un s’appelait Eldad
et l’autre Médad. L’Esprit reposa sur eux ; bien que n’étant pas
venus à la Tente, ils comptaient parmi les inscrits. Ils se mirent
à prophétiser dans le camp. Un jeune homme courut l’annoncer
à Moïse : « Voici qu’Eldad et Médad prophétisent dans le camp »,
dit-il. Josué, fils de Nûn, qui depuis sa jeunesse servait Moïse, prit
la parole et dit : « Moïse, Monseigneur, empêche-les ! ». Moïse lui
répondit: « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! puisse tout le peuple
de L’Eternel êtr
êtree pr
prophète,
ophète, L’Eternel leur donnant son Esprit ! » (Nb
11,26-29).
Jésus réagit de façon similaire quand ses apôtres ne
conçoivent pas que d’autres qu’eux puissent opérer des prodiges au
nom du Christ (Lc 9, 49-50 = Mc 9, 38-39) :
Jean prit la parole et dit : « Maître, nous avons vu quelqu’un
expulser des démons en ton nom, et nous voulions l’empêcher,
parce qu’il n’est pas des nôtres ». Mais Jésus lui dit : «Ne l’en
empêchez pas; car qui n’est pas ccontr
ontree vous est pour vous
vous».
Et Paul est dans le même esprit lorsqu’il affirme :
« C’est pourquoi, je vous le déclare: personne, parlant avec
l’Esprit de Dieu, ne dit : « Anathème à Jésus », et nul ne peut dire :
« Jésus est Seigneur », s’il n’est avec l’Esprit Saint. » (1 Co 12, 3).
Ceci étant dit, l’Écriture nous invite, par le ministère de
Michée le prophète, à dénoncer les vaticinations des prophètes
démagogues qui, au lieu d’avertir et d’appeler le peuple de Dieu
à la reconnaissance de ses péchés et à la pénitence, le bercent
d’illusions :
32 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
Ainsi parle L’Éternel contre les prophètes qui égarent mon
peuple: S’ils ont quelque chose entre les dents, ils proclament:
« Paix ! » Mais à qui ne leur met rien dans la bouche ils déclarent
la guerre. C’est pourquoi la nuit pour vous sera sans vision, les
ténèbres pour vous sans divination. Le soleil va se coucher pour les
prophètes et le jour s’obscurcir pour eux. Alors les voyants seront
couverts de honte et les devins de confusion; tous, ils se couvriront
les lèvres, car il n’y aura pas de réponse de Dieu. Moi, au contr ontrair
aire,
e,
je suis plein de force et du souffle de L’Éternel, de justice et de cour
ourag
age,
e, pour
pr
proclamer
oclamer à Jac
Jacob
ob son crime, à Isr
Israël
aël son péché
péché. (Mi, 3, 5-8).
La transposition à ce qui se passe de nos jours est facile à
effectuer. Pour être authentique, le charisme de prophétie que
nous nous efforcerons d’exercer devra se conformer aux paroles
adressées par Dieu à Ézéchiel en ces termes :
Fils d’homme, je t’ai fait guetteur pour la maison d’Israël.
Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertir avertiras
as de
ma part. Si je dis au méchant : Tu vas mourir, et que tu ne l’avertis
pas, si tu ne parles pas pour avertir le méchant d’abandonner sa
conduite mauvaise afin qu’il vive, le méchant, lui, mourra de sa
faute, mais c’est à toi que je demanderai compte de son sang. Si
au contraire tu as averti le méchant et qu’il ne s’est pas converti de
sa méchanceté et de sa mauvaise conduite, il mourra, lui, de sa
faute, mais toi, tu auras sauvé ta vie. Lorsque le juste se détournera
de sa justice pour commettre le mal et que je mettrai un piège
devant lui, c’est lui qui mourra; parce que tu ne l’auras pas averti averti,
il mourra de son péché et on ne se souviendra plus de la justice
qu’il a pratiquée, mais je te demanderai compte de son sang. Si
au contraire tu as averti le juste de ne pas pécher et qu’il n’a pas
péché, il vivra parce qu’il aura été averti averti, et toi, tu auras sauvé ta
vie. (Éz 3, 17, 21).
7. Enfin, on se souviendra que Dieu précise à Ézéchiel qu’il
doit exercer son ministère d’avertissement
d’avertissement, que ses auditeurs « éc écoutent
outent
ou qu’ils n’éc
n’écoutent
outent pas » (Éz 2, 5.7 ; 3, 11). Nous ferons de même, à
4. Éprouver les esprits : prophétie et avertissement 33
notre mesure, et en prenant soin de ne pas oublier l’essentiel, qui
est l’amour, comme l’écrit magnifiquement l’apôtre Paul :
Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des
anges, s’il me manque l’amour, je suis un métal qui résonne,
une cymbale retentissante. Quand j’aurais le don de prophétie, la
science de tous les mystères et de toute la connaissance, quand
j’aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes,
s’il me manque l’amour, je ne suis rien. Quand je distribuerais
tous mes biens aux affamés, quand je livrerais mon corps aux
flammes, s’il me manque l’amour, je n’y gagne rien. L’amour
prend patience, l’amour rend service, il ne jalouse pas, il ne
plastronne pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de laid, il
ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de
rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il trouve sa joie
dans la vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure
tout. L’amour ne disparaît jamais. Les prophéties? Elles seront
abolies. Les langues? Elles prendront fin. La connaissance? Elle
sera abolie. Car notre connaissance est limitée, et limitée notre
prophétie. Mais quand viendra la perfection, ce qui est limité
sera aboli. Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant,
je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant.
Devenu homme, j’ai mis fin à ce qui était propre à l’enfant. À
présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais
alors, ce sera face à face. À présent, ma connaissance est limitée,
alors, je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant donc ces
trois-là demeurent, la foi, l’espérance et l’amour, mais l’amour est
le plus grand. (1 Corinthiens 13, 1-13).
35
36 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
cette phrase référait à un passage du début du Livre des Actes des
Apôtr
pôtres
es (Ac 3, 21), que je trouvai presque immédiatemen. L’apôtre
Pierre y dit de Jésus, récemment ressuscité et monté aux cieux,
« que le ciel doit [le] garder jusqu’aux temps de la restitution [grec :
apokatastasis = apocatastase
apocatastase] de tout ce que Dieu a énoncé par la bouche
de ses saints prophètes de tout temps. »
On peut, il est vrai, parler, comme le fait la Bible de Jérusalem
Jérusalem,
de « restaur
estauration
ation de toutes choses, dont Dieu a parlé par la bouche
de ses saints prophètes d’autrefois ». La différence entre les deux
interprétations n’est pas seulement sémantique mais théolog théologique
ique.
Dans la première, la restitution-apocatastase connote la réalisation
finale d’un événement inéluctable, parce que voulu, voire
« programmé » par Dieu dans Son dessein éternel. Dans la
seconde, la restaur
estauration-apocatastase
ation-apocatastase dont il est question concerne un
rétablissement de – ou un retour à – un état de choses originel [3].
La difficulté – on l’aura compris – tient au sens à donner au
terme grec apokatastasis
apokatastasis. Le grand Origène, dont l’influence – qui
a traversé les siècles et marque encore de nombreux spécialistes
d’aujourd’hui – en a définitivement orienté l’interprétation en
écrivant :
Nul n’est rétabli dans un lieu où il n’a jamais été, mais le
rétablissement de quelqu’un ou de quelque chose se fait dans son lieu
propre. Par exemple, quand un des membres est démis, le médecin
essaie de réaliser le rétablissement du membre démis ; quand
quelqu’un se trouve hors de sa patrie pour une raison juste ou
injuste et qu’il reçoit la faculté d’être de nouveau légalement dans
sa patrie, il est rétabli dans sa patrie ; tu auras le même sens pour un
soldat cassé de son grade, puis rétabli établi. Dieu dit donc ici, à nous qui
nous sommes détournés de lui, que si nous nous convertissons, il
nous rétablir
établiraa. Et tel est, en effet, le terme de la promesse – comme
il est écrit dans les Actes des Apôtres, au [verset] : « Jusqu’au temps
du rétablissement de tous dont Dieu a parlé par la bouche de ses
saints prophètes depuis toujours » […] [4]
Toutefois, si érudit qu’il fût, les cas évoqués par le grand
5. L’Apocatastase, ou réalisation de tout ce que Dieu a énoncé
par la bouche de Ses saints prophètes de tout temps (cf. Ac
exégète alexandrin (IIe – IIIe s.) ne rendent pas suffisamment
compte de la palette variée des acceptions, aussi fréquentes
qu’usuelles, de ce terme, dans les domaines financier, juridique,
militaire et administratif, tels que rétablir (une situation, un
compte déficitaire), payer (un prix convenu, un
dédommagement), acquitter, honorer (une dette, un
engagement), compenser, résoudre, restituer, donner ce qui est
dû, etc. Pour autant, je n’ai pas été convaincu par l’affirmation
d’un savant bibliste [5], qui estimait qu’il fallait voir dans le terme
apokatastasis « l’idée d’une libération, d’un règlement définitif ou d’une
réalisation des pr
prophéties
ophéties ». Une telle interprétation avait, à mes yeux,
l’inconvénient de faire disparaître la connotation sémantique
majeure, présente dans de multiples textes, et bien soulignée par
Origène : le retour à une situation ou un état antérieurs, exprimé,
selon les contextes, par des termes tels que « restaur estauration
ation »,
« réhabilitation ».
Faute d’une terminologie qui satisfasse à ces exigences sans
nécessiter des périphrases ou des notes à chacune de ses
occurrences, j’ai opté pour la transcription littérale du grec sous-
jacent, apokatastasis
apokatastasis, en « apocatastase », pour parler du processus
en lui-même, et « apocatastatique » pour désigner les textes et
situations scripturaires qui y ont trait. Je propose de considérer
la phrase de Pierre en Ac 3, 21 comme l’annonce inspirée selon
laquelle, au temps fixé, Dieu amèner amèneraa à sa plénitude l’ordr
l’ordree primordial
conçu dans Son dessein éternel, tel que l’ont exprimé les pr prophètes
ophètes et les
auteurs inspir
inspirés
és. En attendant que « l’Esprit de vérité nous introduise
dans la vérité tout entière » (cf. Jn 16, 13), celles et ceux qui
« cherchent avant tout le Royaume de Dieu et sa justice » (cf. Mt
6, 33), avec sincérité et humilité, verront clairement, à Sa lumière
et à celle des Écritures, s’il y a, dans ce dont je témoigne, « une
parole de l’Éternel » (cf. Za 11, 11), ou si je parle par arrogance
(cf. Dt 18, 22). Le même Esprit leur fera discerner les signes avant-
coureurs de la remise en vig vigueur
ueur de situations prophétisées par les
Écritures, et ceux de l’imminence du surgissement d’événements
38 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
ayant déjà eu lieu dans le passé sans qu’en aient été épuisées toutes
les potentialités prophétiques, lesquelles révéleront leur portée
plénière à la fin des temps, comme il ressort, semble-t-il, de la
lecture que faisait Irénée de Lyon de Gn 2, 1-2, comme étant « à la
fois un rrécit
écit du passé, tel qu’il s’est dér
déroulé,
oulé, et une pr prophétie
ophétie de l’avenir » [6].
Telle est l’apocatastase à laquelle le Seigneur veut « ouvrir l’or l’oreille
eille » du
cœur de ceux qui ne « l’aiment ni de mots ni de lang langue,
ue, mais en actes et en
vérité » (1 Jn 3, 18) ; et telle serseraa leur pr
prof
ofession
ession de ffoi
oi :
Le Seigneur L’Éternel m’a donné une lang langue
ue de disciple pour que je
sache apporter à l’épuisé une par parole
ole de réc
éconf
onfort.
ort. Il éveille chaque matin, il
éveille mon or oreille
eille pour que j’éc
j’écoute
oute comme un disciple. Le Seigneur L’Éternel
m’a ouvert l’or
l’oreille,
eille, et moi je ne me suis pas rebellé, je ne me suis pas dér dérobé.
obé.
(Is 50, 4-5).
J’ai souligné, tant sur mon site rivtsion.org que dans la deuxième
des méditations ci-dessus, la place capitale que tient Élie dans
ma spiritualité. Pour mémoire, je lui ai consacré quelques études
approfondies, rédigées à l’époque où je m’appuyais presque
exclusivement sur la recherche universitaire pour examiner les
doctrines eschatologiques du judaïsme et du christianisme [2].
Quiconque les consulte pourra découvrir le rôle eschatologique
central que l’Écriture et la tradition assignent au prophète de feu,
dans la ligne du prophète Malachie (3, 23-24) :
Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que
n’arrive le Jour de L’Éternel, grand et redoutable. Il ramènera le
cœur des pères vers leurs fils et le coeur des fils vers leurs pères, de
peur que je ne vienne frapper le pays d’anathème.
Dans son éloge des Pères (Si 48, 10), Ben Sira, un Sage juif du
IIe siècle avant notre ère remodèle ce célèbre oracle en y ajoutant
une note nouvelle : celle d’un Élie restaur
estaurateur
ateur des tribus d’Isr
d’Israël
aël [3] :
Toi qui es appointé pour le temps [fixé], pour faire cesser la
41
42 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
colère face à la fureur [divine ?], ramener le cœur des pères vers les
fils et restaur
estaurerer les tribus de Jac
Jacob
ob [4].
Un bon connaisseur de la problématique eschatologique
d’Élie fait cette remarque pertinente [5]:
[…] le fait que Ben Sira attribue cette tâche à Élie lors de son
retour prouve qu’il a vu en lui une figure messianique, dans la
mesure où a) il rétablit les tribus d’Israël, les ramenant de l’Exil et
les libérant de leurs oppresseurs, et b) obtient la paix pour le peuple
de Dieu en apaisant la colère divine […]. En fait, Élie est celui qui
prépare la venue de Dieu comme Juge ; il est celui par lequel Dieu
exauce la prière formulée en Si 36, 17 : « Rassemble toutes les tribus de
Jac
Jacob
ob et rrends-leur
ends-leur leur héritag
héritage,
e, ccomme
omme au ccommencement
ommencement » (36, 10).
Jésus lui-même entérine cette prophétie de rétablissement des
tribus d’Isr
d’Israël
aël, en annonçant à Ses apôtres que c’est par eux qu’elles
seront dirigées dans le Royaume de Son Père, qu’Il établira sur la
terre lors de la Parousie (Mt 19, 28) :
En vérité je vous le dis, à vous qui m’avez suivi : dans la
régénération, quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de
gloire, vous siégerez, vous aussi, sur douze trônes, pour juger les
douze tribus d’Isr
d’Israël
aël. »
L’attente du retour d’Élie avant les temps messianiques était
vivace au temps du Christ, qui s’inscrit dans cette ligne, comme
en témoigne l’évangile de Matthieu (17, 10-13) :
Et les disciples lui posèrent cette question: « Pourquoi les
scribes disent-ils qu’Élie Élie doit venir d’abord ? » Il répondit: « Oui, Élie
doit venir et tout restaurer, or, je vous le dis, Élie est déjà venu venu, et
ils ne l’ont pas reconnu, mais l’ont traité à leur guise. De même le
Fils de l’homme aura lui aussi à souffrir d’eux ». Alors les disciples
comprirent que ses paroles visaient Jean le Baptiste.
Ayant traité en détail ailleurs [6] de la présentation,
apparemment surprenante, que Jésus fait du Baptiste comme
anticipant en sa personne la manifestation d’Élie, je n’y reviendrai
pas ici. Par contre, j’attire l’attention sur le propos suivant attribué
6. Rôle eschatologique d’Élie 43
à Jésus (Mt 11, 13-14), et aux nuances desquels il convient d’être
attentif :
Tous les prophètes en effet, ainsi que la Loi, ont prophétisé
jusqu’à Jean. Et lui, si vous voulez m’en cr croir
oiree [litt. : le recevoir] il est
cet Élie qui doit venir
venir. Que celui qui a des oreilles entende !
Il ne faudrait pas déduire de ce texte que Jean était Élie
redivivus et qu’il est inutile d’attendre la réalisation de la prophétie
de Malachie. Sans résoudre pour autant le mystère [7], la
dénégation de Jean lui-même (1, 19-23) coupe court à cette
opinion :
Et voici quel fut le témoignage de Jean, quand les Juifs lui
envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui
demander : « Qui es-tu ? » Il confessa, il ne nia pas, il confessa :
« Je ne suis pas le Christ. » – « Qu’es-tu donc ? », lui demandèrent-
ils. « Es-tu Élie ? ». Il dit : « Je ne le suis pas. » – « Es-tu le prophète
? » Il répondit : « Non. » Ils lui dirent alors : « Qui es-tu, que nous
donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés ? Que dis-tu de toi-
même ? » – Il déclara : « Moi [je suis] la voix de celui qui crie dans
le désert : Rendez droit le chemin du Seigneur, comme a dit Isaïe,
le prophète ».
Le ministère du Baptiste est encore décrit, dans trois passages
de l’évangile de Luc, comme anticipant, pour le peuple juif du
temps de Jésus, celui d’Élie à la fin des temps, prophétisé en Ml
3, 23-24. Leur point commun est l’annonce de la proximité du
Royaume de Dieu en gloire, et l’appel urgent au changement de
conduite :
Lc 3, 2-7 : …la parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de
Zacharie, dans le désert. Et il vint dans toute la région du
Jourdain, proclamant un baptême de repentir pour la rémission des
péchés
péchés, comme il est écrit au livre des paroles d’Isaïe le prophète :
Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du
Seigneur, rendez droits ses sentiers ; tout ravin sera comblé, et
toute montagne ou colline sera abaissée; les passages tortueux
44 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
deviendront droits et les chemins raboteux seront nivelés. Et toute
chair verr
verraa le salut de Dieu
Dieu.
Lc 1, 17 : Il marchera devant [le Seigneur] avec l’esprit et la
puissance d’Élie Élie, pour ramener le cœur des pèr
pères
es vers les enf
enfants
ants et les
rebelles à la prudence des justes
justes, préparant au Seigneur un peuple bien
disposé
disposé.
Lc 1, 76-79 : Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du
Très-Haut ; car tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer
les voies, pour donner à son peuple la connaissance du salut par la rémission
de ses péchés
péchés, grâce aux sentiments de miséricorde de notre Dieu,
dans lesquels il nous a visités d’en haut, pour illuminer ceux qui
demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, afin de guider
nos pas dans le chemin de la paix.
Enfin, il est un aspect du rôle, en quelque sorte conjoint,
de Jean le Baptiste et d’Élie, que je considère comme
« apocatastatique » [8]. Il ressort de l’affirmation de Jésus (en Mt
17, 11, cité ci-dessus) : « Oui, Élie doit venir et tout restaur estaurer
er ».
Le verbe grec sous-jacent est apokathistanai
apokathistanai, dont j’ai parlé en
détail dans mes écrits [9]. Ce qui, me semble-t-il, corrobore ma
perception du rôle eschatologique d’Élie comme central pour
l’approfondissement du mystère de l’apocatastase, dont quiconque
me lit sait le rôle qu’il tient dans ma foi et ma vie spirituelle de juif
et de chrétien. La conception de la nécessité d’une « réparation-
restauration » du monde est très prégnante dans la spiritualité
juive. Elle s’exprime par la notion de « tikkoun », qui est centrale
dans la Kabbale. On la trouve, à la forme verbale, dans la prière
‘Aleinu
‘Aleinu, de l’office de Shaharit (prière du matin), sous la forme :
« letaqen ‘olam bemalkhut shaddai » (réparer le monde par la royauté
du Très-Haut). Chaque fidèle juif est invité à collaborer à cette
remise en état du monde abîmé par le péché, pour que le
Royaume de Dieu puisse s’y instaurer en gloire.
Dans la septième méditation de ce cycle, intitulée « Résister à
l’apostasie de l’Antéchrist… », j’exposerai, avec la grâce de Dieu,
comment nous préparer à la phase eschatologique de ce processus,
6. Rôle eschatologique d’Élie 45
sous la forme de la résistance des justes, soutenus par Elie, à
l’apostasie
apostasie des nations séduites par l’Antéchrist.
47
48 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
beaucoup d’antichrists sont survenus : à quoi nous reconnaissons
que la dernière heure est là.
Mais Paul parle, lui, d’une autre Apostasie ‑ eschatologique
celle-là et d’une ampleur incommensurable – qui aura lieu avant
la Venue du Christ en gloire, et au cours de laquelle « se révélera
l’Homme impie, l’Être perdu… » (cf. 2 Th 2, 3). S’agit-il d’une
contradiction, ou d’une de ces obscurités qui ne sont pas rares
dans l’Écriture ? En fait, la difficulté vient de notre ignorance
de la tradition apostolique. Nous croyons que l’apostasieapostasie est un
événement ponctuel encore à venir. Or, telle n’est pas la
perception qu’en avaient les Pères de l’Église des trois premiers
siècles, dont surtout Irénée de Lyon. Dans son ouvrage intitulé
Adversus Haer
aereses
eses (Contre les hérésies), et sous-titré « Dénonciation
et réfutation de la prétendue gnose au nom menteur », Irénée
considère l’apostasie
apostasie comme une atteinte originelle au plan divin
de salut, dont les conséquences traversent le temps jusqu’à la fin de
l’histoire humaine, ainsi qu’en témoigne ce long passage :
C’est pourquoi aussi, dans la bête qui doit venir, aura lieu la
récapitulation de toute iniquité et de toute tromperie, afin que
toute la puissance de l’apostasie ayant conflué vers elle et s’étant
ramassée en elle, soit jetée dans la fournaise de feu. C’est donc à
juste titre que le chiffre de la bête aura le chiffre six cent soixante-
six, récapitulant en lui tout le mélange de mal qui se déchaîna
avant le déluge par suite de l’apostasie
apostasie des anges […] récapitulant
aussi toute l’erreur idolatrique postérieure au déluge et le meurtre
des prophètes et le supplice du feu infligé aux justes, car la statue
dressée par Nabuchodonosor avait soixante coudées de hauteur
et six coudées de largeur, et c’est pour avoir refusé de l’adorer
qu’Ananias Azarias et Misaël furent jetés dans la fournaise de feu,
prophétisant par cela même qui leur arrivait l’épreuve du feu que
subiront les justes à la fin des temps : toute cette statue a été, en
effet, une préfiguration de l’avènement de celui qui prétendra se
faire adorer lui seul par tous les hommes sans exception. Ainsi
donc, les six cents ans de Noé, au temps de qui le déluge eut lieu à
7. Résister à l’apostasie de l’Antéchrist qui « agit déjà » et préparer
au Seigneur un peuple bien disposé (2 Th 2, 7 ; Lc 1, 17) 49
cause de l’l’apostasieie, et le nombre des coudées de la statue, à cause
de laquelle les justes furent jetés dans la fournaise de feu, signifient
le chiffre du nom de cet homme en lequel sera récapitulée toute
l’apostasie
l’apostasie, l’injustice, l’iniquité, la fausse prophétie et la tromperie
de six mille ans, à cause de quoi surviendra le déluge de feu. [1]
De ces considérations et de plusieurs autres qui figurent dans
cette œuvre, il ressort que l’apostasie
apostasie qui culminera lors de la
manifestation de l’Antéchrist, s’origine à une rébellion angélique
primordiale contre Dieu. La Révélation nous enseigne que l’être
céleste qui en est l’instigateur, est parvenu, par ruse, à y impliquer
l’espèce humaine en la personne des créatures naïves et
inexpérimentées qu’étaient Adam et Êve. A ce propos, Irénée fait
remarquer que si Adam et Êve ont bien été punis, cependant,
Dieu ne les a pas maudits. Il n’empêche, ce drame cosmique se
perpétuera et deviendra le paradigme et le type de la rébellion
contre Dieu, dont la sanction est la peine du feu, tant pour les êtres
célestes que pour les hommes eux-mêmes s’ils imitent cet exemple
de déchéance angélique :
… toute la malédiction retomba sur le serpent qui les avait
séduits : « Et Dieu dit au serpent : Parce que tu as fait cela, tu es
maudit entre tous les animaux domestiques et tous les animaux
sauvages de la terre. » C’est la même malédiction que le Seigneur
adresse dans l’Évangile à ceux qui se trouveront à sa gauche :
« Allez, maudits, au feu éternel que mon Père a préparé pour le
diable et ses anges. [Mt 25, 41] ». Il indique par là que le feu
éternel n’a pas été préparé principalement pour l’homme, mais
pour celui qui a séduit et fait pécher l’homme et qui est l’initiateur
de l’apostasie
l’apostasie, ainsi que pour les anges qui sont devenus apostats avec
lui ; c’est ce même feu que subiront aussi en toute justice ceux qui,
à l’instar des anges, dans l’impénitence et l’obstination, auront
persévéré dans les œuvres mauvaises. [2]
Dans le même ouvrage, Irénée expose le « mécanisme »
théologique de cette apostasie primordiale de Satan, et le moyen
qu’a prévu Dieu pour prémunir l’espèce humaine des
50 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
conséquences catastrophiques de cette volonté diabolique de faire
échec à Son dessein de salut universel :
Tel est le diable. Il était l’un des anges préposés aux vents de
l’atmosphère, ainsi que Paul l’a fait connaître dans son épître aux
Éphésiens [cf. Ep 2, 2]. Il se prit alors à envier l’homme et devint,
par là même, apostat à l’égard de la loi de Dieu: car l’envie est
étrangère à Dieu. Et comme son apostasie avait été mise au jour par
le moyen de l’homme et que l’homme avait été la pierre de touche
de ses dispositions intimes, il se dressa de plus en plus violemment
contre l’homme, envieux qu’il était de la vie de celui-ci et résolu à
l’enfermer sous sa puissance apostateapostate. […] [3]
Et c’est à bon droit que Justin a dit qu’avant la venue du
Seigneur, Satan n’avait jamais osé blasphémer Dieu, parce qu’il
ignorait encore sa condamnation: car c’est en paraboles et en
allégories que les prophètes avaient parlé de lui. Mais depuis la
venue du Seigneur, par les paroles du Christ et de ses apôtres, il
sait de façon claire qu’un feu éternel a été préparé pour lui, qui s’est
sépar
séparéé de Dieu de son pr propr
opree mouvement, et pour tous ceux qui, ref
efusant
usant de
fair
airee pénitence, aur
auront
ont persévér
persévéréé dans l’A
l’Apostasie
postasie. [4]
Même thématique, mais, cette fois, avec une portée
eschatologique, dans un autre ouvrage d’Irénée, consacré à la
« prédication apostolique » :
Que, ressuscité et enlevé à la droite du Père, il [le Christ]
attende le moment fixé par le Père pour le jugement, tous ses
ennemis devant d’abord lui être soumis – ces ennemis sont tous
ceux d’entre les anges, archanges, puissances et trônes qui auront
été trouvés dans l’apostasie
l’apostasie, [ainsi que] tous ceux qui auront rejeté
la vérité – le prophète David le dit encore en ces termes [Ps 109,
1 ; 8, 7) : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite,
jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis sous tes pieds. » [5]
Ces textes sont précieux en ce que, à la manière de la aggadah
dans la Tradition juive, ils nous transmettent, par le canal des
presbytres – sur les dires desquels Irénée se fonde massivement
dans ses exposés concernant la foi, en général, et les événements
7. Résister à l’apostasie de l’Antéchrist qui « agit déjà » et préparer
au Seigneur un peuple bien disposé (2 Th 2, 7 ; Lc 1, 17) 51
eschatologiques, en particulier –, des enseignements qui n’ont pas
été rapportés par les auteurs du Nouveau Testament. Il serait
erroné d’en inférer qu’il s’agit de traditions hétérodoxes ou
légendaires. En effet, la finale de l’évangile de Jean (21, 25)
– malgré son caractère hyperbolique – atteste du contraire :
Il y a encore bien d’autres choses qu’a faites Jésus. Si on les
mettait par écrit une à une, je pense que le monde lui-même ne
suffirait pas à contenir les livres qu’on en écrirait.
Et Irénée d’exposer comment Dieu triomphe, par son dessein
de vie, du dessein de mort du Diable. C’est par cette humanité
même, qu’il voulait associer à sa rébellion contre le Créateur et
entraîner dans sa perte éternelle, que le corrupteur est mis en
échec :
Mais l’Artisan de toutes choses, le Verbe de Dieu, après avoir
vaincu [le Diable] par le moyen de l’homme et avoir démasqué
son apostasie
apostasie, le soumit à son tour à l’homme, en disant: « Voici
que je vous donne le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les
scorpions, ainsi que toute la puissance de l’ennemi. » De la sorte,
comme il [le diable] avait dominé sur les hommes par le moyen de
l’apostasie
l’apostasie, son apostasie était à son tour réduite à néant par le moyen
de l’homme rrevenant
evenant à Dieu
Dieu. [6]
Il convient d’être attentif à ce qui ressort de la fin du passage
cité ci-dessus : le repentir et la conversion à Dieu sont LE moyen
donné par Dieu pour vaincre l’apostasie
apostasie, tant celle qui est déjà à
l’œuvre dans le monde de notre époque, que celle de la fin des
temps. Voici d’ailleurs ce que disait le Christ à son propos (Mt 24,
24-25) :
Il surgira, en effet, des faux Christs et des faux prophètes, qui
produiront de grands signes et des prodiges, au point d’abuser, s’il
était possible, même les élus. Voyez, je vous aurai prévenus.
Paul est dans la même veine, en plus détaillé :
Sa venue à lui, l’Impie, aura été marquée, par l’influence de
Satan, de toute espèce d’œuvres de puissance, de signes et de
prodiges mensongers, comme de toutes les tromperies du mal, à
52 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition pour n’avoir pas
accueilli l’amour de la vérité qui leur aurait valu d’être sauvés. (2
Th 9, 10)
Dans la 4ème méditation (« Éprouver les esprits : prophétie et
avertissement »), j’invitais à remettre en vigueur et à exercer, à
notre modeste mesure, le « charisme de prophétie », à la manière
d’Ézéchiel chargé par Dieu d’avertir les gens de son peuple, « qu’ils
éc
écoutent
outent ou qu’ils n’éc
n’écoutent
outent pas » (Éz 2, 5.7 ; 3, 11). J’appelle ici celles
et ceux qui reçoivent notre témoignage et pensent « qu’il y a là
une parole de L’Éternel » (cf. Za 11, 11), à s’adresser – humblement
mais sans crainte – à nos contemporains chrétiens, dans les termes
mêmes de Jean le Baptiste, repris par Jésus (Mt 3, 2 ; 4, 17 = Mc 1,
15) :
« Repentez-vous
Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche »
Bien que conscients de l’imperfection de notre vie, nous les
avertirons de « la Colère qui vient » (cf. Mt 3, 7), en transposant
ainsi les exhortations du Précurseur (Mt 3, 8-12) :
Produisez donc un fruit digne du repentir et ne vous avisez
pas de dire en vous-mêmes : « Nous avons pour Maîtr Maîtree le Christ ».
Car […] Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des disciples
au Christ
Christ. Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres ; tout arbre
donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.
Pour nous
nous, nous vous appelons au repentir ; mais celui qui vient […]
vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Il tient en sa main la
pelle à vanner et va nettoyer son aire ; il recueillera son blé dans
le grenier ; quant aux bales, il les consumera au feu qui ne s’éteint
pas.
C’est le lieu de rappeler qu’en parlant ainsi, le Baptiste se
comportait comme Élie, dont il avait reçu l’esprit, ainsi qu’en
témoigne l’évangile de Luc :
il ramènera de nombreux fils d’Israël au Seigneur, leur Dieu.
Il marchera devant lui avec l’esprit et la puissance d’Élie, pour
ramener le coeur des pères vers les enfants et les rebelles à
7. Résister à l’apostasie de l’Antéchrist qui « agit déjà » et préparer
au Seigneur un peuple bien disposé (2 Th 2, 7 ; Lc 1, 17) 53
l’intelligence des justes, préparant au Seigneur un peuple bien
disposé
disposé. (Lc 1, 16-17).
Il n’y a nulle démesure à exercer – avec humilité, certes, mais
sans lâcheté – le charisme prophétique d’« avertissement » évoqué
plus haut, pour contribuer, avec tous ceux et celles « qui n’ont pas
plié le genou devant Baal » (cf. 1 R 19, 18), à préparer, avec l’esprit
d’Élie et dans l’attente de sa venue pour combattre l’Antéchrist,
le « peuple bien disposé » que « le maître en arrivant trouvera en
train de veiller » (cf. Lc 12, 37), et sur lequel l’apostasie
apostasie n’aura
aucune prise.
55
56 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
texte scripturaire à deux destinataires aussi différents, tant sur
le plan de leur identité que sur le plan chronologique, relève,
par voie d’analogie, du phénomène que j’ai appelé « intrication
prophétique » [4].
J’en vois une préfiguration, parmi d’autres, dans cet oracle
d’Isaïe (46, 10) :
J’annonce dès l’orig
l’origine
ine ce qui doit arriver
arriver, d’avance, ce qui n’est
pas encore accompli, je dis : « Mon dessein s’accomplira, et tout ce
qui me plaît, je le ferai ».
Plus frappant encore, et plus significatif, est le reproche de
Jésus à Pierre, qui vient de trancher l’oreille du serviteur du Grand
Prêtre (Mt 26, 54) :
Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père qui me
fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Mais alors
comment s’acc
s’accomplir
ompliraient
aient les Écritur
Écritures
es d’apr
d’après
ès lesquelles il doit en êtr
êtree ainsi ?
J’ai mis en italiques la phrase insolite. Elle implique que toute
action, même défensive, contraire au dessein de Dieu prophétisé
par les Écritures, pourrait, si c’était possible, en empêcher
l’accomplissement. Cette constatation est lourde de conséquences
en ce qui concerne le rôle de l’Écriture dans le dessein de Dieu.
Quand on examine attentivement le Nouveau Testament, tout
se passe comme si ce qu’ont annoncé les prophètes devait
s’accomplir inéluctablement
inéluctablement.
Ce caractère – en quelque sorte obligatoire – des événements
connus par la prescience de Dieu, et qui doivent advenir advenir, justement
parce qu’ils ont été vus d’avance par Dieu, est exprimé dans le
Nouveau Testament par le verbe grec dein dein, (falloir, ou devoir),
comme, entre autres, dans les occurrences suivantes :
Mt 16, 21 : A dater de ce jour, Jésus commença de montrer
à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, y souffrir
beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes,
être tué et, le troisième jour, ressusciter.
Mt 17, 10 (= Mc 9, 11): Et les disciples lui posèrent cette
8. Le phénomène de l’« intrication prophétique » 57
question: « Que disent donc les scribes, qu’Elie doit venir
d’abord ? »
Mt 24, 6 (= Mc 13, 7) : Vous aurez aussi à entendre parler de
guerres et de rumeurs de guerres; voyez, ne vous alarmez pas: car
il faut que cela arrive, mais ce n’est pas encore la fin.
Mt 26, 54 : Comment alors s’accompliraient les Écritures
d’après lesquelles il doit en être ainsi?
Mc 8, 31 : Et il commença de leur enseigner: « Le Fils de
l’homme doit beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les
grands prêtres et les scribes, être tué et, après trois jours,
ressusciter…
Mc 13, 10 : Il faut d’abord que l’Évangile soit proclamé à
toutes les nations.
Lc 9, 22 : Le Fils de l’homme, dit-il, doit souffrir beaucoup,
être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué
et, le troisième jour, ressusciter.
Lc 13, 33 : […] aujourd’hui, demain et le jour suivant, je dois
poursuivre ma route, car il ne convient pas qu’un prophète périsse
hors de Jérusalem.
Lc 17, 25 : il faut d’abord qu’il souffre beaucoup et qu’il soit
rejeté par cette génération.
Lc 21, 9 : Lorsque vous entendrez parler de guerres et de
désordres, ne vous effrayez pas; car il faut que cela arrive d’abord,
mais ce ne sera pas de sitôt la fin.
Lc 22, 37 : Car, je vous le dis, il faut que s’accomplisse en moi
ceci qui est écrit: Il a été compté parmi les scélérats. Aussi bien, ce
qui me concerne touche à sa fin.
Lc 24, 7 : Il faut
aut, disait-il, que le Fils de l’homme soit livré
aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le
troisième jour.
Lc 24, 26 : Alors il leur dit: « Ô coeurs sans intelligence, lents à
croire à tout ce qu’ont annoncé les Prophètes ! Ne fallaitallait-il pas que
le Christ endure cela pour entrer dans sa gloire ? »
Lc 24, 44 : Puis il leur dit: « Telles sont bien les paroles que
58 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
je vous ai dites quand j’étais encore avec vous: il faut que
s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les
Prophètes et les Psaumes. »
Jn 3, 14 : Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi
faut
aut-il que soit élevé le Fils de l’homme…
Jn 13, 18 : Ce n’est pas de vous tous que je parle ; je connais
ceux que j’ai choisis; mais il faut que l’Écriture s’accomplisse: Celui
qui mange mon pain a levé contre moi son talon.
Jn 20, 9 : En effet, ils ne savaient pas encore que, d’après
l’Écriture, il dev
devait
ait ressusciter d’entre les morts.
Ac 1, 16 : Frères, il fallait que s’accomplît l’Écriture où, par la
bouche de David, l’Esprit Saint avait parlé d’avance de Judas, qui
s’est fait le guide de ceux qui ont arrêté Jésus.
Ac 3, 21 : … celui que le ciel doit garder jusqu’aux temps de
la réalisation de tout ce que Dieu a dit par la bouche de ses saints
prophètes de toujours…
Ac 17, 3 : Il les leur expliquait, établissant que le Christ dev
devait
ait
souffrir et ressusciter des morts…
Ac 27, 24 : et il m’a dit: Sois sans crainte, Paul. Il faut que tu
comparaisses devant César…
1 Co 11, 19 : Il faut qu’il y ait aussi des scissions parmi vous,
pour permettre aux hommes éprouvés de se manifester parmi
vous.
1 Co 15, 25 : Car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait placé
tous ses ennemis sous ses pieds.
1 Co 15, 53 : Il faut
aut, en effet, que cet être corruptible revête
l’incorruptibilité, que cet être mortel revête l’immortalité.
2 Co 5, 10 : Car il faut que tous nous soyons mis à découvert
devant le tribunal du Christ, pour que chacun recouvre ce qu’il
aura fait pendant qu’il était dans son corps, soit en bien, soit en
mal.
1 Jn 2, 19 : Ils sont sortis de chez nous, mais ils n’étaient pas
des nôtres. S’ils avaient été des nôtres, ils seraient restés avec nous.
Mais il fallait que fût démontré que tous n’étaient pas des nôtres.
8. Le phénomène de l’« intrication prophétique » 59
Ap 20, 3 : Il le jeta dans l’Abîme, tira sur lui les verrous,
apposa des scellés, afin qu’il cessât de fourvoyer les nations jusqu’à
l’achèvement des mille années. Après quoi, il doit être relâché pour
un peu de temps.
Qu’on n’aille surtout pas croire qu’il s’agit là d’une espèce
de prédestination événementielle, et donc de fatalité, au sens que
celle-ci revêt dans la tragédie grecque, où des héros, tel Oreste,
ne peuvent échapper à leur destin. La théodicée antique a tenté
de régler la question difficile de la contradiction entre le
déterminisme naturel et le libre arbitre humain auquel Dieu
semble faire échec, comme dans le cas d’école de Pharaon dont
l’obstination est attribuée à Dieu sur la foi de l’affirmation mise
dans sa bouche par l’Écriture : « J’endurcirai le cœur de Pharaon »
(Ex 4, 21, etc.). Les anciens commentateurs, tant juifs que
chrétiens, ont tenté de résoudre cette aporie en dissuadant de
comprendre cette phrase au pied de la lettre. L’Écriture, affirment-
ils en substance, veut dire que plus Dieu le frappe, plus le Pharaon
résiste et s’endurcit, et c’est en ce sens qu’on peut attribuer à Dieu
son endurcissement.
Si, à l’évidence, les versets du Nouveau Testament cités ci-
dessus n’entrent pas dans cette perspective, il reste que le problème
qu’ils soulèvent donne une impression de parenté, en ce qu’ils
paraissent accréditer le soupçon que l’homme n’est pas libre, du
fait que tout ce qui arrive – y compris la trahison de Judas – est
présenté par l’Écriture comme étant inéluctable. Pourtant, comme
nous le verrons plus loin, la différence de situations est totale.
Dans les cas de figure évoqués par le Nouveau Testament, le fait
que Dieu ait su d’avance que des actes mauvais seraient commis
par un individu ne le prédestine pas à les commettre. La
prescience divine laisse entière la liberté humaine. La tradition
juive s’est évidemment mesurée à ce problème. Selon certains
spécialistes, la solution qu’elle a trouvée s’exprime dans la formule
suivante : « Tout est pr
prévu,
évu, mais la liberté est donnée » [5]. Quant à Paul,
60 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
il tranche la question par un argument d’autorité, selon lequel
Dieu n’a pas de comptes à rendre à l’homme :
Car l’Écriture dit au Pharaon: Je t’ai suscité à dessein pour
montrer en toi ma puissance et pour qu’on célèbre mon nom
par toute la terre. Ainsi donc il fait miséricorde à qui il veut, et
il endurcit qui il veut. Tu vas donc me dire : Qu’a-t-il encore à
blâmer ? Qui résiste en effet à sa volonté ? » Ô homme ! Qui es-
tu pour disputer avec Dieu ? L’œuvre va-t-elle dire à celui qui l’a
modelée: Pourquoi m’as-tu faite ainsi ? […] (Rm 9, 17-20).
Il ne faudrait pas déduire de cette déclaration péremptoire de
l’Apôtre qu’elle ferme la porte à tout effort de compréhension de
la portée prophétique de l’Écriture, et de discernement des signes
de son accomplissement. En effet, le même Paul affirme aussi (Rm
15, 4) :
[…] ce qui a été écrit par av avance
ance l’a été pour notr
notree enseignement
enseignement,
afin que par la persévér
persévérance
ance et par la consolation [que procurent] les
Écritures, nous ayons l’espér espérance
ance.
On ne peut mieux résumer l’encouragement que procure la
lecture des Écritures au croyant qu’elles instruisent des promesses
et des oracles prophétiques, et auxquels elles en garantissent
l’accomplissement, suscitant sa persévérance et illuminant sa foi
de consolation et d’espérance.
Par ailleurs poursuit l’Apôtre :
Je l’affirme en effet, le Christ s’est fait ministr
ministree [ou s’est mis au
service] des circ
circoncis
oncis à l’honneur de la véracité divine, pour acc accomplir
omplir
les pr
promesses
omesses faites aux patriarches
patriarches, et les nations glorifient Dieu pour sa
miséric
miséricorde
orde, selon le mot de l’Écriture : C’est pourquoi je te louerai
parmi les nations et je chanterai à la gloire de ton nom ; et cet autre
: Nations
ations, exultez avec son peuple ; ou encore : Toutes les nations nations,
louez le Seigneur, et que tous les peuples le célèbrent. Et Isaïe dit à
son tour : Il paraîtra, le rejeton de Jessé, celui qui se dresse pour
commander aux nations nations. En lui les nations mettront leur espér espérance
ance.
(Rm 15, 8-12).
Ce développement est précieux pour une perception « judéo-
8. Le phénomène de l’« intrication prophétique » 61
chrétienne » de la Révélation. En effet, non seulement il exprime
le but ultime du dessein de Dieu, révélé dans les Écritures, qui est
de fondre dans l’unité les juifs et les chrétiens, mais il en récapitule
les étapes et les modalités. Dans cet exposé saturé de références
bibliques, les deux peuples sont comme en miroir l’un par rapport
à l’autre, mais leur spécificité est nettement exprimée. S’agissant
des juifs (les « circoncis »), Paul déclare tout net que le Christ s’est
mis à leur service par fidélité à l’eng
l’engag
agement
ement que Dieu a pris envers leurs
ancêtres (les « patriarches »). Quant aux nations, elles bénéficient
de sa miséric
miséricorde
orde. La hiérarchie de cette geste divine, si subtile qu’en
soit l’expression, est perceptible. Elle concerne d’abord les juifs [6],
et si, chez Paul, les nations leur sont, à l’évidence, inextricablement
liées
liées, c’est en la personne du Messie (« le rejeton de Jessé »), qui les
régira [7] et sera leur seule espér
espérance
ance.
Ceci étant dit, je ne prétends pas avoir éclairci le mystère
– car c’en est un – que recèlent ces propos, comme d’ailleurs tous
ceux qui traitent des juifs et des nations, qui, selon l’Apôtre sont
objets du même jugement et de la même miséricorde de Dieu. J’ai
seulement voulu mettre en garde les chrétiens contre leur sous-
estimation routinière de la portée eschatologique des Écritures,
qui les maintient jusqu’à ce jour dans l’ignorance du dessein de
Dieu sur le peuple juif et, par contrecoup, sur la chrétienté.
Leur incompréhension de l’histoire tragique du peuple juif
est du même ordre que celle dont ont fait preuve les Apôtres eux-
mêmes des nombreux passages de l’Écriture qu’ils avaient maintes
fois lus sans comprendre qu’ils s’appliquaient à Jésus, comme en
témoigne l’évangile de Luc (24, 25-27) :
Alors il leur dit : « Ô cœurs sans intellig
intelligence
ence, lents à croire à
tout ce qu’ont annoncé les Prophètes ! Ne fallait allait-il pas que le
Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? » Et,
commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur
interpr
interpréta
éta dans toutes les Écritures ce qui le cconcernait
oncernait.
Au risque d’être considéré comme un blasphémateur, j’ose la
transposition suivante de ce texte : « Ô cœurs sans intelligence,
62 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
lents à croire à tout ce qu’ont annoncé les Prophètes ! Ne fallait-
il pas que le peuple juif endurât ces souffrances pour entrer dans sa
gloire ? » Et il n’aura pas échappé à celles et ceux qui ont lu tout ou
partie de ce que j’ai écrit sur ce thème depuis des décennies, que
je ne cesse d’« interpr
interpréter
éter dans toutes les Écritures ce qui concerne » ce
peuple.
Je terminerai ce chapitre sur une autre transposition, plus
audacieuse encore, de ce que dit Jésus dans ce même passage de
l’évangile (Lc 24, 44) :
« il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la
Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes » ;
et que je lis ainsi : « il faut que s’accomplisse tout ce qui est
écrit des juifs dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes ».
Irez-vous, me dira-t-on sans doute, jusqu’à transposer aux
juifs ce que dit de Jésus le v. 46 ?
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrir souffrirait
ait et ressusciter
essusciterait
ait d’entr
d’entree
les morts le trtroisième
oisième jour
jour… »
Ma réponse est que ce ne sera pas nécessaire, car cet oracle
d’Osée, aussi mystérieux que fulgurant, l’a fait, lui (Os 6, 1-2) :
Venez, retournons à L’Éternel. Il a déchiré, mais il nous
guérira ; il a frappé, mais il soignera nos plaies ; apr après
ès deux jours il
nous fer
eraa revivr
evivre,
e, le tr
troisième
oisième jour il nous relèver
elèveraa et nous vivrons devant
lui.
Au moins, pensera-t-on sans doute, le verset 47 du chapitre 24
de Luc, est irréductible à la transposition au peuple juif :
et qu’en son nom le repentir en vue de la rémission des péchés
serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
Sans aucun doute. Mais il faut avoir à l’esprit que
« l’intrication prophétique » des Écritures, dont je parle, ne postule
pas que tous les termes d’un même texte concernant à la fois le peuple
juif et le Christ, s’appliquent littéralement à l’un et à l’autre [8].
Autre remarque : l’évangile relate que les Sadducéens, qui ne
croyaient pas à la résurrection des morts, avaient forgé, pour en
8. Le phénomène de l’« intrication prophétique » 63
démontrer l’impossibilité, l’apologue de la femme aux sept maris
(Mt 22, 23-28). Jésus leur avait répliqué (v. 29) :
Vous faites erreur, faute de connaîtr
onnaîtree les Écritur
Écritures
es et la puissance
de Dieu.
Les chrétiens qui ne croient pas à l’intrication du dessein de
Dieu sur son peuple et sur le Christ sont, mutatis mutandis mutandis, enfermés
dans la même ignorance invincible. Plaise à Dieu que ce Christ
auquel ils croient, avec juste raison, fasse pour eux ce qu’il fit pour
ses Apôtres (Lc 24, 45) :
Alors il leur ouvrit l’esprit pour qu’ils ccomprissent
omprissent les Écritur
Écritures
es…
65
66 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
Car en ces jours-là, en ce temps-là, quand je rétablirai [3]
Juda et Jérusalem, je rassemblerai toutes les nations, je les ferai
descendre à la Vallée de Josaphat ; là j’entr j’entrer
erai
ai en jug
jugement
ement avec elles
au sujet d’Isr
d’Israël,
aël, mon peuple et mon héritag
héritage,
e, car ils l’ont dispersé parmi les
nations et ont divisé mon pays pays.
Il s’agit, à l’évidence, d’une prophétie à portée
eschatologique. On y reconnaît la thématique classique du
rétablissement de la royauté et des tribus, qui peuple les textes
prophétiques de l’AT (p. ex. : Si 48, 10 ; Is 1, 26 ; Mi 4, 8 ; Am 9, 11
sq.
sq.; etc.), mais qui, chose plus surprenante, est également présente
dans le Nouveau Testament, comme je l’ai déjà fait remarquer.
C’est le cas, dans la question des Apôtres en Ac 1, 6 :
Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu vas restituer [4] la royauté
à Isr
Israël
aël ?
C’est également le cas dans l’évangile (Mt 19, 27-28 = Lc
22, 30), où est relatée la réponse de Jésus à la question des
Apôtres concernant la récompense que leur vaudra leur adhésion
à la prédication du Maître :
En vérité je vous le dis, à vous qui m’avez suivi : dans la
régénération, quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de
gloire, vous siégsiéger
erez
ez vous aussi sur douze tr
trônes,
ônes, pour jugjuger
er les douze tribus
d’Isr
d’Israël
aël.
Ceux qui ne parviennent pas à prendre au sérieux la littéralité
de ces textes, et en renvoient la réalisation aux « calendes
célestes » [5], feront bien de lire attentivement ce passage de
l’œuvre majeure d’Irénée de Lyon [6] :
Ces événements ne saur sauraient
aient se situer dans les lieux supr supracélestes
acélestes
– « car Dieu, vient de dire le prophète, montrera ta splendeur
à toute la terr terree qui est sous le ciel » -, mais ils se produiront aux
temps du royaume
oyaume, lorsque la terre aura été renouvelée par le Christ
et que Jérusalem aura été rebâtie sur le modèle de la Jérusalem
d’en haut. […] Et rien de tout cela ne peut s’entendr s’entendree allég
allégoriquement
oriquement,
mais au contraire tout est ferme, vrai, possédant une existence
authentique, réalisé par Dieu pour la jouissance des hommes
9. Il y aura une reddition de comptes 67
justes. Car, de même qu’est réellement Dieu Celui qui ressuscitera
d’entre les morts, et non allég allégoriquement
oriquement, ainsi que nous l’avons
abondamment montré. Et de même qu’il [l’homme] ressuscitera
réellement,, c’est réellement aussi qu’il s’exercer
s’exerceraa à l’inc
l’incorruptibilité
orruptibilité qu’il
cr
croîtr
oîtraa et qu’il parviendr
parviendraa à la plénitude de sa vig
vigueur
ueur aux temps du royaume
oyaume,
jusqu’à devenir capable de saisir la gloire du Père.
Des décennies de lecture priante et de méditation
contemplative des Écritures m’ont convaincu de
« l’intrication prophétique » [7] de ces différents passages et
d’autres de même nature. À ce propos, je veux souligner que cette
mienne métaphore scientifique n’a rien de pédant ni d’ésotérique.
Elle ne ressortit pas non plus à l’arsenal pseudo-scientifique d’un
jargon ésotérique dont le but est de stupéfier l’auditoire pour
mieux dissimuler l’ignorance du sujet qu’on expose et lui donner
une apparence de savoir réservé à une élite. Simplement, elle me
paraît relativement adéquate pour donner forme langagière à une
saisie de l’Écriture que, sauf erreur, aucun auteur n’a documentée
jusqu’ici. Je veux parler des relations atemporelles et non locales
qu’ont des événements et situations sans lien démontrable entre
eux, mais qui ont en commun le fait d’être mis en relation
(« intriqués ») par des oracles prophétiques scripturaires.
À ce stade, je dois signaler les dangers de la conception
magique de la corrélation/intrication, tels qu’ils sont brièvement
exposés dans la page que consacre Wikipedia aux effets
indésirables du « paradoxe EPR » [8] :
Le chercheur Étienne Klein donne une métaphore
romantique de l’effet EPR : Deux cœurs qui ont inter interag
agii dans le passé
ne peuvent plus êtr êtree considér
onsidérés
és de la même manièr
manièree que s’ils ne s’étaient
jamais rencencontr
ontrés.
és. Marqués à jamais par leur renc encontr
ontre,
e, ils forment un tout
insépar
inséparable.
able. […] John Stewart Bell, pour sa part, était fasciné par
les jumeaux, dont il parlait fréquemment à ses collègues alors qu’il
préparait ses travaux sur l’intrication quantique. Le cas des Jim
Twins
wins, séparés à la naissance mais ayant vécu des vies étrangement
« intriquées », l’avait particulièrement étonné.
68 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
Le danger d’un retour à « des pensées irrationnelles qui se
tapissent sous la surface de la culture moderne », que craignait
un David Bohm, vaut également pour l’idée d’une « intrication
prophétique » [9].
C’est faute d’un meilleur paradigme que j’ai recours au
phénomène de « l’intrication quantique » pour donner, par voie
d’analogie, une représentation expérimentale du « mécanisme
prophétique » à l’œuvre dans le processus narratif scripturaire. À
l’instar du scientifique qui ne « crée » pas les « lois » de la physique,
mais les « découvre » par l’expérimentation, il semble possible que
l’observation empirique de l’Écriture permette au bibliste et/ou
à l’exégète de découvrir qu’en effet, même si on ne peut pas
en donner une explication entièrement satisfaisante il existe une
corrélation entre des événements annoncés par des oracles
vétérotestamentaires, et les différentes « reprises » – à l’identique
ou non – qu’en font, par-delà le temps et l’histoire, des passages
scripturaires variés. Les longues citations bibliques que j’ai faites
dans les pages qui précèdent pour illustrer ce phénomène, n’ont
certes pas valeur de preuve, mais elles me paraissent être, en
quelque sorte, la « trace expérimentale » décelable de sa réalité.
Pour en revenir à l’objet de ce développement consacré à la
reddition de comptes à venir, on aura compris qu’elle concerne, en
premier lieu, l’attitude des chrétiens envers les juifs, en général, et
envers l’État d’Israël, en particulier.
Jusqu’ici – comme la quasi-totalité des auteurs qui ont étudié
l’antijudaïsme et l’antisémitisme chrétiens ainsi que l’histoire
ancienne et récente des relations entre juifs et non-juifs –, je me
suis focalisé uniquement sur le passé et le présent.
Dans les présents textes, c’est sur le futur que portent mes
investigations et ma réflexion. Qu’il soit clair qu’il ne s’agit
nullement de prospective, quoique – mes ouvrages précédents en
témoignent – je n’aie jamais cessé de faire de la prospective à
portée eschatologique [10]. La différence de mon approche
actuelle tient à la lecture scripturaire « intriquée » que j’y fais
9. Il y aura une reddition de comptes 69
– et ce pour la pr premièr
emièree fois – du comportement des nations, en
général, et des chrétiens, en particulier, à l’égard de la portion
du peuple juif qui vit aujourd’hui sur la terre de ses ancêtres,
après une immigration progressive – et encore en cours – qui dure
depuis plus d’un siècle.
Je crois avoir démontré le caractère perturbant de la présence
inexplicable, dans des textes messianiques, d’éléments textuels qui
ne cadrent pas du tout avec le caractère auguste et saint du Messie
à venir, tel qu’il est prophétisé dans les Écritures. Contrairement
à certains spécialistes, je ne considère pas ces dissonances comme
des aberrations, ou des phénomènes insignifiants.
Pour mémoire, en citant, dans un précédent ouvrage [11], les
versets 2 à 18 du Psaume 40, unanimement considérés comme
messianiques par la tradition chrétienne, j’ai fait remarquer que
les versets 7 à 9 corroborent cette perception :
Tu ne voulais ni sacrifice ni oblation, tu m’as ouvert l’oreille,
tu n’exigeais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit: Voici, je viens. Au
rouleau du livr
livree il est écrit de moi de ffair
airee tes volontés […]
Mais j’ai également souligné la dissonance étonnante que
constitue le v. 13 du même Psaume, qui, lui, ne peut, à l’évidence,
s’appliquer au Christ :
mes torts retombent sur moi moi, je n’y peux plus voir ; ils foisonnent
plus que les cheveux de ma tête […].
Les professeurs d’Ancien Testament et l’ensemble des
spécialistes n’expliquent pas ce phénomène de manière
satisfaisante. Les plus catégoriques considèrent qu’il s’agit d’un
de ces « accidents de parcours » qui sont monnaie courante dans
le processus de transmission des textes. C’est dire qu’ils seront
probablement révulsés par le fait que, pour ma part, j’en tire les
conclusions théologiques exposées dans un livre récent paru à
compte d’auteur (La La pierr
pierree rejetée par les bâtisseurs. Isr
Israël,
aël, révélateur de
l’apostasie des nations
nations.)
Comme je l’ai écrit ailleurs [12], à propos de l’oracle relatif
au massacre des enfants de Bethléem – repris de Jérémie par
70 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
l’évangile de Matthieu (2, 16-18 = Jr 31, 15) –, les spécialistes
arguent que l’évangéliste a pris, dans le texte de la prophétie, ce
qui correspondait à l’événement qu’il relatait, et a laissé le reste
de côté parce que sans adéquation avec son propos. J’ai parlé, à ce
propos, d’une « conception placentaire » de l’Écriture, consistant à
considérer la masse des textes de l’Ancien Testament comme une
espèce de placenta, dont la fonction était de nourrir l’embryon
néotestamentaire, et que l’on a mis au rebut quand il a terminé son
rôle. Je vais m’efforcer de démontrer, au contraire, à la lumière des
textes scripturaires qui seront cités ci-après, que les événements
pré-eschatologiques qu’ils décrivent ou annoncent, et dont les
prophéties font ressortir le caractère « intriqué », sont à prendre
au sens littéral et qu’il n’y a qu’aveuglement à en nier le sens
obvie en les interprétant de manière dite « spirituelle », voire en les
allégorisant.
73
74 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
l’inc
l’incorruptibilité
orruptibilité […] Aussi est-il nécessaire de déclarer à ce sujet que
les justes doivent d’abord, dans ce monde rénové énové, apr
après
ès êtr
êtree ressuscités
à la suite de l’A
l’Apparition
pparition du Seigneur
Seigneur, recevoir l’héritage promis par
Dieu aux pères et y régner ; ensuite seulement aur auraa lieu le jug
jugement
ement de
tous les hommes
hommes. Il est juste, en effet, que, dans ce monde même où ils
ont peiné et où ils ont été éprouvés de toutes les manières par la
patience, ils recueillent le fruit de cette patience ; que, dans le monde
où ils ont été mis à mort à cause de leur amour pour Dieu, ils
retrouvent la vie ; que, dans le monde où ils ont enduré la servitude,
ils règnent [3].
Malheureusement, le Magistère ordinaire catholique est plus
que réticent à l’égard de ces perspectives [4] et va même jusqu’à
prendre ses distances avec la croyance en un règne millénaire du
Christ [5] qui, on l’a vu, était pourtant partagée par d’éminents
Pères de l’Église. Cela rend ma tâche d’autant plus difficile que
– comme le savent bien ceux qui en ont été l’objet – le soupçon
d’hétérodoxie suffit à discréditer un témoignage ou un
enseignement, même si celui qui le diffuse se fonde sur des textes
scripturaires clairs et une Tradition dont l’orthodoxie est
indiscutable.
Malgré cet inconvénient non négligeable, je ne me sens pas le
droit de taire plus longtemps la « bonne nouvelle » que Dieu m’a
mise au cœur voici plus de quatre décennies et dont je me décide
enfin à témoigner clairement. « Malheur à moi, en effet, si je ne
proclame pas cette « bonne nouvelle [6]», à savoir : Dieu a rétabli
son peuple [7].
Et si l’on demande des signes et des preuves de la véracité
d’une telle affirmation, en voici quelques-uns :
[1] Dialog
Dialogue
ue avec Tryphon
ryphon, 80, 5 et 80, 2 ; édition Bobichon, op. cit.
cit., p.
405.
« Car c’est lui qui est notr notree paix, lui qui des deux a fait un,
détruisant la barrièr
barrièree qui les sépar
séparait,
ait, supprimant en sa chair la
haine, cette Loi des pr préceptes
éceptes avec ses ordonnances, pour cr créer
éer en
sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, fair airee la paix,
et les réc
éconcilier
oncilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la
Cr
Croix:
oix: en sa personne il a tué la Haine. […] par lui nous avons
en eff
effet,
et, tous deux en un seul Esprit, libr
libree accès aupr
auprès
ès du Pèrère.
e. »
(Ep 2, 14-18).
83
84 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
catholiques du monde entier ont promulgué, en 1965, une
Déclaration intitulée Nostr ostraa Aetate [2], consacrée aux rapports de
l’Église avec les religions non chrétiennes. Dans le chapitre 4 de
ce texte, elle se penchait sur le mystère de sa relation avec le
peuple juif. Cette partie de la Déclaration a fait l’objet d’intenses
controverses entre les Pères conciliaires ; en témoignent les
nombreux amendements apportés à la rédaction primitive (voir
Synopse des versions successives [3]) avant l’adoption du texte
définitif. Ces difficultés étaient la conséquence de l’aliénation
mutuelle des deux communautés de foi, laquelle s’était traduite,
au fil des siècles, par une ignorance et une hostilité réciproques
débouchant sur une absence quasi totale de dialogue et
d’empathie.
Nostr
ostraa Aetate
etate, § 4, a constitué une rupture radicale par rapport
à la situation antérieure (voir Relations entre judaïsme et
christianisme [4]). Les Commentateurs ont défini l’attitude qui
s’y exprimait comme un « Autre regard », puisque, en effet, elle
tranchait radicalement avec tout ce qu’avaient dit, écrit et fait
les Pères de l’Église et les responsables religieux chrétiens, au
fil des siècles, concernant les juifs. La relation entre les deux
communautés de foi y était même décrite comme intrinsèque à
l’Église [5].
Dans les décennies suivantes, divers documents élaborés par
des commissions vaticanes et épiscopales, ainsi que par des
déclarations papales (particulièrement celles de Jean-Paul II), ont
développé et précisé la pensée de l’Église sur cette nouvelle
relation, censée exclure toute conflictualité.
Toutefois, l’ampleur et la complexité du travail de
reconnaissance mutuelle apparurent bientôt. Il s’avéra que la
bonne volonté ne suffisait pas à compenser des siècles d’ignorance
et de méfiance réciproques. De plus, à mesure que se multipliaient
les travaux des commissions spécialisées et des théologiens,
apparaissaient les difficultés concrètes et les malentendus. Comme
c’est le cas dans les familles éclatées, il est souvent douloureux de
11. « En un seul esprit » Approfondir et mettre en œuvre l’unité
voulue par Dieu entre les deux familles de « l’Israël de Dieu » : les
renouer les fils d’une relation dévastée, et les frustrations et les
griefs longtemps enfouis surgissent souvent et ravivent les conflits
entre les partenaires du dialogue.
Quarante-sept années après Nostr ostraa Aetate
etate, § 4, le grain de
sénevé de cette Déclaration est devenu un arbre touffu, voire une
forêt dans laquelle le fidèle a souvent du mal à se repérer. C’est que
le contentieux entre chrétiens et juifs était lourd et complexe. A
force de vivre chacune de leur côté, les deux communautés de foi
ne se comprenaient plus. Même leur source commune – l’Écriture
– n’était pas d’un grand secours, juifs et chrétiens ayant développé,
au fil du temps, tout un corpus de traditions et d’interprétations,
parfois gauchies par une apologétique sous-jacente, plus ou moins
consciente.
En outre, pour des chrétiens, même pieux et animés des
meilleures intentions à l’égard du peuple juif, la non-
reconnaissance de la messianité et de la divinité de Jésus était,
et reste encore pour beaucoup, une pierre d’achoppement
insurmontable. Et c’est peu dire que, sauf exceptions, les fidèles,
leur clergé, voire certains membres de la haute hiérarchie
ecclésiastique, n’ont pas pris l’exacte mesure des implications
théologiques profondes, voire révolutionnaires du chapitre 4 de la
Déclaration Nostr
ostraa A
Aetate
etate.
Beaucoup d’entre eux la perçoivent uniquement comme un
nouveau chapitre de la relation entre chrétiens et juifs, dont on
renouerait le fil, après un long sommeil, et il va de soi que c’est
là un aspect important. Mais ce renouveau relationnel ne sera ni
possible ni fécond, s’il n’émane pas d’une conviction profonde
découlant de la foi de l’autre, et de la spécificité et de la
complémentarité de l’appel de Dieu sur lui. Ce qui implique une
approche théologique exigeante. C’est ce qu’exprimait, il y a trois
décennies, le cardinal Etchégaray, en ces termes :
« Tant que la théologie n’aura pas répondu, d’une manière
claire et ferme, au problème de la rec econnaissance
onnaissance par l’Église, de la
86 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
vocation permanente du peuple juif juif, le dialogue judéo-chrétien
demeurera superficiel et court, plein de restrictions mentales » [6].
Depuis ces propos, la recherche chrétienne concernant le
judaïsme s’est développée de manière considérable ; des lieux
d’étude, de formation et d’enseignement ont surgi en nombre ;
quantité d’ouvrages et d’articles ont paru, et il faut s’en réjouir.
Toutefois, le risque, ici comme ailleurs, est l’hypertrophie d’une
approche intellectuelle, systématique, et, pour tout dire, plus
spéculative et abstraite que vivante et relationnelle. C’est de ce
constat qu’est issue la présente action qui, tout en tirant le
bénéfice de la recherche évoquée, insiste davantage sur une
méditation plus spirituelle, voire plus contemplative de ce que
l’apôtre Paul a appelé un « mystère » (cf. Rm 11, 25) – et propose
d’« aller plus loin » [7]. Ses membres ont pris conscience de ce
que c’est le cœur même de leur foi qu’il leur faut scruter pour
approfondir des paroles scripturaires telles que « le Juif d’abord,
puis le Grec » (Rm 1, 16 ; 2, 10) ; ou « Lui qui, des deux, a fait un »
(Ép 2, 14) ; et encore, « ce n’est pas toi qui portes la racine, c’est la
racine qui te porte » (Rm 11, 18) ; etc.
Gr
Grandes
andes lignes
Il doit être clair pour quiconque s’interroge sur cette action
qu’elle n’a pas la prétention de se substituer à celles qui existent
déjà. Au contraire, elle entend apporter sa modeste contribution
aux activités des entités qui ont fait leurs preuves en ce domaine,
tout en marquant sa spécificité par rapport à elles.
Et tout d’abord, il importe d’être attentif à la terminologie à
laquelle nous recourons. En effet, notre action ne s’insère pas, à
proprement parler, dans le cadre de ce qu’on a coutume d’appeler
les « relations entre chrétiens et juifs », même si, bien entendu,
nous les considérons comme utiles et hautement souhaitables.
Pour ce qui nous concerne, nous privilégions la méditation et
l’approfondissement de la connaissance de l’unité mystérieuse des
deux communautés de foi, voulue de toute éternité par le Père et
réalisée dans l’histoire humaine par l’Incarnation, la Passion et la
11. « En un seul esprit » Approfondir et mettre en œuvre l’unité
voulue par Dieu entre les deux familles de « l’Israël de Dieu » : les
Résurrection du Seigneur Jésus, qui « des deux a fait un […] en un seul
Esprit », par la greffe des « branches » chrétiennes, sur la « racine »
juive qui les « porte ».
C’est pourquoi, plus qu’à l’étude, nous recourons à la Lectio
divina [8] du dessein divin sur les deux parties de «l’Israël de Dieu»
(Ga 6, 16). Nous entendons par là une lecture fervente et
contemplative des Écritures, par laquelle nous entrons en
communion avec Dieu qui s’y exprime, et méditons son dessein
universel de salut et d’unité, afin d’y participer, autant qu’il nous
est possible, et de le communiquer aux fidèles qui sont attentifs à
la volonté divine. En outre, nous pratiquons et recommandons la
lecture des écrits des anciens Pères et des auteurs spirituels, juifs et
chrétiens.
Ce qui précède est le cœur de notre projet, mais il va de soi
que, comme toute entreprise humaine, nous devons nous situer et
agir dans la communauté plus large, que le Nouveau Testament
et la Tradition chrétienne appellent « l’Église », au sens de
communauté des croyants dans le Christ, répandue à travers le
monde et dont l’infinie diversité des membres est maintenue dans
l’unité par l’Esprit Saint. C’est dans cette « société », spirituelle
mais bien réelle, – qui constitue la part pérégrinante, sur la terre,
de la « Communion des Saints » [9] –, que s’élabore, se développe
et s’exprime la perception du « mystère de la foi » (1 Tm 3, 9), en
général, et de celui de l’unité des deux parties de « l’Israël de Dieu
» (Ga 6, 16).
C’est à cet aspect précis du mystère que nous consacrons
l’essentiel de notre méditation, de notre prière et de notre action.
C’est pourquoi nous devons bien connaître ce qu’ont fait, dit et
écrit les « ouvriers » que le Maître a envoyés, et envoie encore,
de nos jours, dans cette partie de son champ ; assimiler comme il
convient cette semence et œuvrer à son développement qui est loin
d’avoir porté tous ses fruits.
Toutefois, comme nous l’a enseigné le Seigneur dans le
Nouveau Testament, par la parabole du bon grain et de l’ivraie
88 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
(Mt 13, 24-30), nous devons nous attendre à ce que l’Ennemi
suscite (comme il le fait déjà) de faux apôtres qui sèmeront la
zizanie et enseigneront des doctrines qui ne viennent pas de Dieu.
Pour contrecarrer leurs manœuvres, il sera nécessaire de recourir
aux « armes de l’Esprit », ce qui suppose la connaissance des
Écritures et de la Tradition des Anciens, mais aussi, en ce domaine
particulier, une bonne maîtrise des textes fondateurs du « nouveau
regard » chrétien sur le peuple juif, ainsi que de ceux qu’ont
élaborés les commissions spécialisées et les théologiens versés dans
l’étude de la pensée de l’Église sur ce point.
A ce propos, il sera bon de garder en mémoire les deux
aphorismes suivants, l’un juif, l’autre chrétien:
« Il ne t’incombe pas d’achever la tâche, mais tu n’es pas libre
de t’y dérober » (Mishna AAvot
vot, II, 16).
« La moisson est abondante mais les ouvriers sont peu
nombreux, priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des
ouvriers à sa moisson. » (Mt 9, 37-38).
Car
aractéristiques
actéristiques particulièr
particulières
es
Souci de mieux connaître la foi et les croyances juives
Étant donné la place centrale qu’occupe, dans cette action,
l’héritage spirituel, historique, théologique et culturel des juifs
et chrétiens, il va de soi que rien de ce qui contribue à sa
connaissance ne doit nous être étranger. Aussi nous efforçons-
nous, de diverses manières, de mieux le connaître et le faire
connaître. C’est peu dire que l’ignorance mutuelle en ce domaine
est grande : elle est souvent abyssale. Pour y remédier autant qu’il
est possible à mesure humaine, nous ne nous érigerons pas en
pôle d’étude et de connaissance, non par mépris pour le savoir
organisé, mais par souci de cohérence avec notre démarche
humaine et spirituelle.
Laissant aux institutions existantes – qui dispensent, avec les
dons et les compétences qui leur sont propres, un enseignement
plus ou moins systématique, voire académique -, le soin de former
11. « En un seul esprit » Approfondir et mettre en œuvre l’unité
voulue par Dieu entre les deux familles de « l’Israël de Dieu » : les
les esprits désireux de combler leurs lacunes en la matière, voire
d’entreprendre des études spécialisées en vue de la recherche et
de l’enseignement, nous nous en tenons, pour notre part, à
l’approfondissement spirituel, par la fréquentation assidue des
textes scripturaires et traditionnels des confessions de foi juive et
chrétienne, la méditation et la prière.
La préséance est donnée à l’étude et à la méditation des
Écritures (Ancien et Nouveau Testament), lues de manière simple
et traditionnelle avec l’éclairage des commentateurs anciens les
plus réputés.
Plusieurs passages bibliques seront à la base de notre action,
tels, entre autres, ceux-ci :
Is 66, 5 : Écoutez la parole de L’Éternel, vous qui tremblez à
sa parole. Ils ont dit, vos frères qui vous haïssent et vous rejettent
à cause de mon nom: « Que L’Éternel manifeste sa gloire, et que
nous soyons témoins de votre joie », mais c’est eux qui seront
confondus !
Jr 33, 24 : N’as-tu pas remarqué ce que disent ces gens: « Les
deux familles qu’a élues L’Éternel, il les a rejetées! » Et ils nient
avec mépris que mon peuple soit encore une nation face à eux.
Ez 37, 16-28 : Et toi, fils d’homme, prends un morceau de bois
et écris dessus: « Juda et les Israélites qui sont avec lui ». Prends
un morceau de bois et écris dessus: «Joseph, bois d’Éphraïm, et
toute la maison d’Israël qui est avec lui». Rapproche-les l’un de
l’autre pour faire un seul morceau de bois; qu’ils ne fassent qu’un
dans ta main. Et lorsque les fils de ton peuple te diront: « Ne nous
expliqueras-tu pas ce que tu veux dire ? », dis-leur : Ainsi parle
L’Éternel: Voici que je vais prendre le bois de Joseph, qui est dans
la main d’Éphraïm, et les tribus d’Israël qui sont avec lui ; je vais
les mettre contre le bois de Juda, j’en ferai un seul morceau de bois
et ils ne seront qu’un dans ma main. Quand les morceaux de bois
sur lesquels tu auras écrit seront dans ta main, à leurs yeux, dis-
leur: Ainsi parle le Seigneur L’Éternel. Voici que je vais prendre les
Israélites parmi les nations où ils sont allés. Je vais les rassembler
90 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
de tous côtés et les ramener sur leur sol. J’en ferai une seule nation
dans le pays, dans les montagnes d’Israël, et un seul roi sera leur
roi à eux tous; ils ne formeront plus deux nations, ils ne seront
plus divisés en deux royaumes. Ils ne se souilleront plus avec leurs
ordures, leurs horreurs et tous leurs crimes. Je les sauverai des
infidélités qu’ils ont commises et je les purifierai, ils seront mon
peuple et je serai leur Dieu. Mon serviteur David régnera sur eux;
il n’y aura qu’un seul pasteur pour eux tous; ils obéiront à mes
coutumes, ils observeront mes lois et les mettront en pratique. Ils
habiteront le pays que j’ai donné à mon serviteur Jacob, celui
qu’ont habité vos pères. Ils l’habiteront, eux, leurs enfants et les
enfants de leurs enfants, à jamais. David mon serviteur sera leur
prince à jamais. Je conclurai avec eux une alliance de paix, ce sera
avec eux une alliance éternelle. Je les établirai, je les multiplierai
et j’établirai mon sanctuaire au milieu d’eux à jamais. Je ferai
ma demeure au-dessus d’eux, je serai leur Dieu et ils seront mon
peuple. Et les nations sauront que je suis L’Éternel qui sanctifie
Israël, lorsque mon sanctuaire sera au milieu d’eux à jamais.
Ép 2, 14-18: Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux
a fait un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa
chair la haine, cette Loi des préceptes avec ses ordonnances, pour
créer en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, faire la
paix, et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par
la Croix: en sa personne il a tué la Haine. […] par lui nous avons,
en effet, tous deux en un seul Esprit, libre accès auprès du Père.
Attention portée aux signes et aux réalités de notre temps
C’est le point le plus délicat. Nous estimons, en effet, que si
spirituel que se veuille notre action, elle ne peut, sous prétexte de
non-implication politique, ou par souci de ne pas donner prise
à l’accusation de parti-pris pro-israélien, passer sous silence les
difficultés dans lesquelles se débat l’État d’Israël, c’est-à-dire le
peuple des juifs qui ont choisi cette terre comme patrie.
Les conflits incessants que les nations, en général, et la quasi-
totalité des États arabes, en particulier, imposent à Israël, ainsi que
11. « En un seul esprit » Approfondir et mettre en œuvre l’unité
voulue par Dieu entre les deux familles de « l’Israël de Dieu » : les
les procès d’intention et les accusations les plus exorbitantes dont
il est l’objet, se dévoilent de plus en plus clairement pour ce qu’ils
sont réellement, à savoir: un déni de l’existence indépendante du
peuple juif dans cette infime portion du globe, qui fut pourtant sa
patrie durant des millénaires.
Notre conviction est que, sous l’apparence d’un conflit
géopolitique, nous avons affaire à un refus mondial catégorique
d’admettre que le processus qui a vu, en un peu plus d’un siècle,
la reconstitution de la nation juive sur sa terre ancestrale, est
l’incarnation d’un dessein, conçu de toute éternité par Dieu [10].
Nous pensons qu’approche le temps de la grande confrontation
entre ceux et celles qui attendent l’avènement, sur la terr terree, du
Royaume de Dieu, sous l’égide du Messie, et qu’il importe que les
chrétiens s’y préparent.
Cet aspect de notre initiative nous a amenés à inclure dans
le blog « en un seul esprit », consacré à cette partie spécifique de
notre action, des articles et analyses géopolitiques qui paraîtront
sans doute incompatibles avec la visée spirituelle, voire mystique
que nous affichons. Nous assumons ce choix en vertu de la
conviction qui est la nôtre, que l’incarnation du dessein de Dieu
n’a rien d’une geste désincarnée ou angélique, que son
déroulement passe par tout ce qui agite les tréfonds de l’humanité,
jusqu’à ce qu’elle parvienne, sous l’action de l’Esprit qui l’informe
et la transforme, à la connaissance et à l’acceptation de la Royauté
de Dieu, et à la foi en la restitution aux juifs des promesses à eux
destinées, lesquelles n’ont jamais été abolies, mais ont été étendues
aux nations qui croient au Christ.
Lieux d’étude et de rressourcement
essourcement
Auteurs, Instruments de tr
trav
avail,
ail, bibliogr
bibliographies,
aphies, etc.
Sites et Blogs
[11] www.akadem.org//sommaire/themes/histoire/relations-
judeo-chretiennes/dialogue-inter-religieux/dialogue-entre-juifs-
et-chretiens-27-06-2006-6687_122.php
97
98 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
assez sereine, que votre bonté l’attribue au double effort, moral et
physique, que j’ai dû faire sur moi-même, pour les exposer. Un
seul désir m’a soutenu dans cet effort : celui de servir, par mes
pauvres moyens, l’Église du Christ dans sa détresse présente. Et je
sais que lorsqu’il s’agit d’une telle cause, un jésuite peut toujours,
quels que soient ses défauts ou ses maladresses, s’adresser avec une
liberté confiante à ses Supérieurs.
Veuillez recevoir, mon Révérend Père, le témoignage de ma
soumission filiale in Christo et in Ecclesia Christi (1).
H. L.
I
La guerre de conquête menée aujourd’hui par l’Allemagne
hitlérienne n’est pour elle qu’une étape dans la marche en avant
d’une révolution qui, avant d’être une lutte anti-française, par
exemple, ou anti-anglaise, est une révolution anti-chrétienne.
Il s’agit là d’un phénomène aux proportions énormes, dont
l’expansion ne dépend d’ailleurs pas uniquement du succès des
armes allemandes. Il s’apparente au communisme, quoique celui-
ci soit plutôt le fruit d’un excès d’intellectualité, tandis que le
nazisme marque au contraire un retour brutal à l’instinct. Mais
pour lui trouver quelque analogie dans l’histoire, il conviendrait
en outre d’évoquer à la fois le premier siècle de l’Islam et la révolte
luthérienne.
Au philosophe, au théologien, à tout homme qui réfléchit
sur son action, un phénomène de cette ampleur pose une longue
série de problèmes. Un effort d’intelligence et de « critique » c’est-
à-dire de discernement s’impose, pour en libérer les éléments
valables et pour préparer, dans la mesure du possible, les
adaptations et les assimilations nécessaires. Mais un tel effort est
tout le contraire d’un abandon. Il ne saurait servir de prétexte à
paralyser le mouvement de réaction chrétienne sans lequel tout
est perdu. Pour avoir chance d’aboutir, il doit s’exercer dans des
conditions saines, ce qui demande avant tout clairvoyance et
fermeté. Sachons donc d’abord regarder le péril en face.
12. Un exemple de discernement de l’apostasie : H. de Lubac *,
s.j., Lettre à mes supérieurs (25 avril 1941) 99
Depuis huit ans, la persécution religieuse sévit en Allemagne,
et ses effets vont s’aggravant. En 1937, Pie XI pouvait dire dans
son allocution au Consistoire de Noël :
« Peu de fois il y eut une persécution aussi grave, aussi terrible,
aussi triste dans ses effets les plus profonds. C’est une persécution
à laquelle ne font défaut ni l’usage de la force, ni la pression de la
menace, ni les embûches de l’astuce et du mensonge. »
Depuis lors, l’étreinte s’est resserrée. La guerre même n’y a
point apporté de détente. Hier encore, l’archevêque de Fribourg-
en-Brisgau, Mgr Gröber, longtemps réputé comme l’un des
membres les plus « conciliants » de l’épiscopat, écrivait sa douleur
« de ne voir presque partout autour de (lui) que des ruines et des
spoliations ».
« Moi-même, avouait-il, j’avais espéré avec un
impardonnable optimisme qu’au moins le conflit actuel aurait
favorisé un apaisement, mais je me suis trompé. » (1).
D’autres évêques allemands, les évêques autrichiens viennent
aussi de faire entendre leurs plaintes, dans des lettres pastorales.
Les ruines en effet sont immenses. Partout les écoles
religieuses sont fermées ou transformées, les associations
catholiques sont dissoutes, les Facultés de théologie supprimées
les unes après les autres, les ordres religieux entravés de mille
manières dans leur apostolat, la presse catholique réduite à rien.
Des mesures sont prises contre toutes les personnalités chrétiennes
qui ne sont pas encore abattues ou exilées. Dans la plupart des
cas, de simples opérations de police suffisent à tout, l’état nazi
ne s’embarrassant pas de légalité. Périodiquement de grandes
campagnes sont déchaînées : procès des « devises », procès de
mœurs, procès du « catholicisme politique »… Le but est moins
de détruire complètement le catholicisme, que de l’avilir. On le
dénonce comme chose méprisable, en même temps qu’on cherche
à ruiner tous ses foyers d’influence, de culture, de forte spiritualité.
Partout un enseignement païen est imposé. L’enfance et la
100 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
jeunesse sont systématiquement déchristianisées, et les apostasies se
multiplient…
Or, pour comprendre la portée de cette persécution, et pour
en tirer les conséquences utiles à notre conduite, il est essentiel de
faire ici deux remarques.
En premier lieu, il ne s’agit pas seulement d’une persécution
exercée en quelque sorte du dehors sur l’Église par un État,
comme il y en eut tant d’autres en d’autres siècles ou en d’autres
pays. Rien de comparable ici au « gallicanisme » ou au
« joséphisme ». Même le laïcisme anticlérical du combisme ou le
Kulturkampf de Bismarck sont loin de compte. Car il s’agit en
même temps d’une formidable poussée païenne, qui dispose à la fois des
moyens les plus puissants de séduction et de contr
ontrainte
ainte qui se soient jamais
tr
trouvés
ouvés réunis
éunis. Nous sommes en présence d’un corps de doctrines
anti-catholiques et anti-chrétiennes, que l’Église a déjà
condamnées par deux fois (pour ne point parler de maint autre
document moins solennel) : dans l’encyclique Mit br brennender
ennender Sorg
Sorgee
(14 mars 1937) et dans la Lettre de la Sacrée Congrégation des
Séminaires et Universités (13 avril 1938). Or ces doctrines sont
systématiquement appliquées, par une volonté pleine d’esprit de
suite, avec une habileté sournoise et une absence totale de
scrupules. Elles inspirent les mœurs et les lois (par exemple :
stérilisations et meurtres médicaux), sans que la moindre liberté
soit laissée aux consciences de discuter ou de protester.
En second lieu, cette entreprise ne concerne pas seulement
l’Allemagne, même en y adjoignant l’Autriche, mais elle s’étend
à tous les peuples sur lesquels l’Allemagne exerce, à des degrés
divers, son pouvoir ou son influence. Témoin ce qui se passe en
Italie depuis plusieurs années. Témoin ce qui se passe d’atroce
en Pologne depuis un an et demi, ce qui se passe en Alsace, en
Lorraine, au Luxembourg depuis bientôt un an (2). Il y aurait déjà
bien des compléments douloureux à apporter aux deux articles que
le R. P. Lebreton publiait dans Les Etudes l’an dernier (3). Au reste,
les chefs nazis ne s’en sont pas cachés : c’est l’Europe entière qu’ils
12. Un exemple de discernement de l’apostasie : H. de Lubac *,
s.j., Lettre à mes supérieurs (25 avril 1941) 101
ont entrepris, très consciemment, d’arracher à ce qui lui reste de
foi chrétienne (4).
Ce serait donc une lourde erreur de croire que notre pays,
au moins dans ses éléments encore catholiques, est à l’abri du
péril hitlérien. Non seulement le péril existe, mais, dans l’une et
l’autre zone, les ravages ont commencé. Si le péril de persécution
proprement dite est encore pour demain, l’entreprise de
corruption (plus grave) est dès aujourd’hui à l’œuvre. Parce qu’il
est interdit de la dénoncer en public, beaucoup ne s’en doutent
pas, en sorte qu’ils ne peuvent se mettre en garde. La mainmise du
vainqueur sur tous les organes d’information et de pensée est ici
particulièrement lourde de conséquences. L’expérience le montre :
très vite, même lorsqu’on a commencé par voir nettement que
tout ce qui s’imprime ou se prononce à l’heure actuelle est faussé
par une telle mainmise, on vient à en subir l’effet : on se laisse
d’abord endormir par les silences imposés, puis modeler, plus ou
moins, par la propagande…
N’oublions pas, cependant, que celle-ci va s’intensifier encore.
Dans les conditions présentes, la « collaboration » économique
ou politique dans laquelle nous nous trouvons engagés avec
l’Allemagne (et sur laquelle je n’ai rien à dire ici) entraîne par
la force des choses une « collaboration culturelle » à laquelle les
nazis ne tiennent pas moins, c’est-à-dire, pour parler franc, une
ouverture sans défense de notre malheureux pays au virus
hitlérien.
II
Déjà ce virus est à l’œuvre. L’hitlérisme commence 1) de nous
imposer ses méthodes et ses idées (disons plutôt ses passions), et en
même temps 2) d’asservir l’Église.
1. Je n’apporterai que quelques exemples. Nous avons sur
notre sol l’affreux régime des camps de concentration, pour les
étrangers et aussi, depuis quelque temps, pour les Français. Certes,
il ne peut s’imposer qu’à la faveur d’une consigne rigoureuse de
silence : la conscience de trop de Français se révolterait contre un
102 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
régime si contraire à toute idée de justice (la seule police y règne)
et d’humanité (les conditions de vie y sont dans bien des cas,
physiquement et moralement, épouvantables). Mais il s’implante.
Autre exemple. Nous sommes conduits peu à peu vers un culte
de l’État contraire à la doctrine catholique et souvent condamné
depuis un siècle. Ce culte s’insinue grâce à certaines confusions :
on exploite à cette fin certains sentiments d’une tout autre nature,
tels que l’amour de la patrie blessée, le besoin si légitime d’une
autorité forte, l’attachement à l’homme qui a pris en main le
gouvernail en des heures si critiques… On parle aussi d’une
évolution fatale de nos sociétés d’une forme individualiste à une
forme « communautaire » : ce qui est incontestable. Mais ce à quoi
l’on veut en réalité nous mener, c’est à toute une conception de
la société, disons même de l’être, qui écrase la personne humaine
(et avec elle la famille), parce que, d’abord, elle nie le Dieu
transcendant. «
L’histoire des hommes, écrivait par exemple récemment M.
René Château, est une et indivisible, on ne peut lui fixer des
bornes arbitraires, et ce serait fermer les yeux à la réalité que de
refuser de voir qu’après le christianisme, il naît une civilisation
toute neuve ; par exemple, la notion de l’État est une conquête
de l’espèce, qui dépasse l’anarchisme abstrait des philosophies
chrétiennes et judaïques. »
Ainsi, la pente où l’on nous entraîne est celle de l’apostasie
apostasie
collective.
Autre exemple encore : la propagation de l’antisémitisme.
Celui-ci sévit sous sa forme la plus abjecte, par la campagne
destinée à lui rallier l’opinion : presse, image, cinéma (on vient
de passer à Lyon un film répugnant, importé d’Allemagne), et
il commence aussi de sévir sous une forme injuste dans des lois
arbitraires. Qu’on se rappelle le décret du Saint-Office du 21 mars
1928 :
« Le Siège Apostolique condamne de la façon la plus nette la
haine contre le peuple qui était autrefois le peuple élu de Dieu,
12. Un exemple de discernement de l’apostasie : H. de Lubac *,
s.j., Lettre à mes supérieurs (25 avril 1941) 103
cette haine qu’on désigne aujourd’hui en général sous le nom
d’antisémitisme. »
Y aurait-il besoin, d’ailleurs, d‘une condamnation expresse
pour qu’un catholique réprouve une campagne qui excite les
passions les plus basses et pour qu’il s’inquiète d’une législation
qui frappe indistinctement, avec effet rétroactif, toute une
catégorie de Français, sans aucun égard à leurs mérites ou à leurs
démérites, à cause de ce qu’on appelle leur « race » (5) ? En zone
« occupée », les mesures sont déjà beaucoup plus sévères, et l’on
ne nous cache pas qu’il faudra que l’autre zone suive, et qu’on en
arrivera à une législation unique pour toute l’« Europe »…
2. En même temps que monte ainsi, en France même, la
vague du néo-paganisme (et tout fait craindre que ce ne soient
là que de faibles commencements), l’Église est de plus en plus
entravée. Le processus est déjà commencé, chez nous, par lequel
en Allemagne elle fut dépossédée de ses libertés les plus
élémentaires. Sur les questions les plus graves et les plus actuelles,
ni les pasteurs ne peuvent instruire et mettre en garde
publiquement leurs fidèles, ni les théologiens ne peuvent donner
les études doctrinales qui seraient opportunes. En voici deux
exemples tout récents. A Paris, une étude du P. de Montcheuil
sur « Nietzsche et la critique de l’idéal chrétien », travail tout
objectif, ne contenant pas la moindre allusion politique, a été
intégralement supprimée (par le syndicat des éditeurs, responsable
devant les autorités occupantes). Une étude m’ayant été
demandée à moi-même sur les principales objections faites aux
missions catholiques, je fus ensuite averti qu’il fallait en rayer
tout ce qui avait trait au racisme, c’est-à-dire à la plus virulente
de ces objections ; je ne laissai donc plus dans mon texte que
l’enseignement officiel de l’Église dans sa généralité ; il fallut
malgré cela renoncer à toute publication parce que, m’écrivit Mgr
Chappoulie,
« les adversaires de l’Église y retrouveraient trop facilement
104 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
les idées qu’ils combattent, et nous risquerions de provoquer des
complications ou des représailles ».
Les émissions de Radio-Vatican, qui donnent quelques
nouvelles exactes sur la situation religieuse, sont brouillées, et si
quelqu’un réussit à les entendre, il ne peut les communiquer qu’en
secret. Les journaux n’ont pas le droit de reproduire les paroles du
pape lui-même, sinon ce que la censure en laisse passer, et ce n’est
quelquefois qu’un résumé mensonger, pire que le silence.
Chose plus grave, alors que le pape se trouve déjà dans une
situation peu compatible avec son entière indépendance, nous
ne sommes plus libres de communiquer avec lui. Aucun secret
n’est assuré, non seulement à la correspondance ordinaire avec
les congrégations romaines pour l’administration au jour le jour
des choses ecclésiastiques, mais à celle des évêques avec le chef de
l’Église pour les intérêts majeurs de la foi. L’unité catholique est ainsi
gr
gravement
avement atteinte
atteinte, d’autant plus que ces entraves coïncident avec
une invasion d’idées et de passions qui tendent à détruire le sens de
cette unité dans les consciences. Or, il importe de le remarquer, et
la connaissance de ce qui se fait en Allemagne depuis des années
doit ici aussi nous ouvrir les yeux : un tel manque de liberté n’est
point un simple fait résultant de l’état de guerr
uerree. Il résulte de la mise
en application d’un système, qu’une paix hitlérienne ne rendr
endrait
ait que plus
rig
rigour
oureux
eux (6).
III
En face d’une situation aussi tragique, comment ne pas
s’étonner de ne percevoir que si peu de signes d’inquiétude dans
les milieux catholiques et même ecclésiastiques ? Sans même
arrêter par ailleurs leurs menées, les nazis cherchent à endormir
notre vigilance, et presque tout se passe comme s’ils y
réussissaient. Il semble que nous soyons devenus, dans une large
mesure, les dupes de la nécessité où nous nous trouvons de
participer au mensonge officiel. Il semble que nous aussi nous
nous laissions tromper par l’optimisme de commande et que nous
soyons atteints par cette amollissante euphorie qui, au sein même
12. Un exemple de discernement de l’apostasie : H. de Lubac *,
s.j., Lettre à mes supérieurs (25 avril 1941) 105
du malheur, a envahi une partie de notre peuple. Beaucoup de
prêtres sont dans une ignorance extrême de la situation, ou se
montrent sceptiques sur les faits qui sont pourtant, hélas ! les
mieux établis ; l’horreur même de ces faits les enfonce parfois
dans leur scepticisme. Depuis fort longtemps une propagande fort
savante s’exerce sur eux, et, comme la plupart ne soupçonnent
pas jusqu’où va l’art du mensonge du mensonge hitlérien, elle
n’a eu souvent que trop de succès. Qui donc, par exemple, a
seulement songé à remarquer le rôle néfaste joué à cet égard,
dès 1938, par le puissant Ami du ClergClergéé, réputé jadis si sage (7) ?
Aujourd’hui, de surcroît, la vieille illusion toujours renaissante de
l’appui du pouvoir fait oublier tout le reste… Ne se trouve-t-il
pas des prêtres pour s’imaginer qu’un ordre hitlérien favoriserait la
religion ? Et ne va-t-on pas jusqu’à répandre dans les presbytères
que, en cas de victoire allemande, un concordat pourrait être
signé, qui assurerait aux curés un traitement (8) ?
Nos chefs spirituels partageraient-ils, si peu que ce soit, un
tel état d’esprit ? Telle est la question qu’il est impossible de ne
pas se poser aujourd’hui, au fond de son âme, et que je demande
humblement la permission de poser, en toute simplicité comme
en tout respect. On entend certains d’entre eux se féliciter
publiquement de la situation actuelle au point de vue religieux ;
les hyperboles fleurissent sur leurs lèvres ou dans leurs écrits, ils
parlent volontiers de « défaite providentielle », de « miracle », etc.
Mais d’aucun n’est encore parvenu jusqu’à nous le plus timide
rappel de la doctrine, la plus modeste mise en garde, au moins en
public. Il ne semble pas que la plupart se préoccupent d’éclairer
leur clergé sur la situation présente du catholicisme et sur le péril
de la foi. Prêtres et fidèles sont ainsi laissés sans avertissement, sans
direction, alors qu’au dehors tous les entraînements les sollicitent.
Beaucoup en souffrent, quelques-uns s’en découragent, l’ensemble
est laissé à son insouciance. Ne risquons-nous pas de glisser de la
sorte, sans nous en apercevoir, jusqu’au jour où, brusquement, sans
106 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
préparation, nous pourrons nous trouver en demeure de conf onfesser
esser
notr
notree ffoi
oi ?
Est-ce que, pour beaucoup, ce ne sera pas alors trop tard ?
Est-ce que les apostasies que l’on a constatées en Allemagne et en
Autriche (et déjà, bien que ces cas soient sans doute très rares,
en Lorraine) ne se renouvelleront pas alors chez nous ? Car, en
attendant, nos âmes sont minées par une propagande aux mille
formes, qui seule a le droit de s’exprimer, et qui se fera toujours
plus séduisante et plus intimidante, pour passer ensuite s’il le faut
au chantage et à la menace.
Que ces perspectives ne soient point chimériques, l’histoire de
ce qui s’est passé ailleurs doit le faire craindre. Déjà les évêques
de Hollande ont dû interdire l’affiliation des catholiques au parti
nazi, sous peine de refus des sacrements. Même chez nous les
indices alarmants grossissent. En France occupée, si nos
renseignements sont exacts, plusieurs évêques ont été déjà soumis
à des chantages précis. A Paris, tandis que l’archevêque préside
dans sa cathédrale un concert inoffensif donné par les « moineaux
de Ratisbonne », on annonce des conférences de l’infâme
Rosenberg, directeur intellectuel de l’État nazi et ennemi acharné
du christianisme (9). L’attitude que l’on sait du cardinal
Baudrillart, celle de plusieurs autres ecclésiastiques, réguliers ou
séculiers (tels que le P. Gorce surtout, ou M. T., ou le P. B…), n’est-
elle pas de nature à lui faciliter la besogne ? Dans La Gerbe
Gerbe, journal
fondé pour rallier à l’Allemagne les conservateurs de vieille
tradition catholique, paraissent déjà des articles qui prêchent
ouvertement l’apostasie
apostasie : n’est-ce pas un signe que les âmes ne sont
pas en état de résistance (10) ? A Lyon et dans toute la France non
occupée, une série de feuilles pernicieuses se répand impunément,
certaines d’entre elles allant jusqu’à exploiter l’autorité de l’Église
pour se répandre plus aisément parmi les catholiques. Il est
significatif que la censure « nationale », qui se montre si sévère
en matière religieuse, laisse couler un tel flot d’ignominies. Mais
comment se fait-il que nos chefs religieux ne paraissent pas s’en
12. Un exemple de discernement de l’apostasie : H. de Lubac *,
s.j., Lettre à mes supérieurs (25 avril 1941) 107
soucier ? Sont-ils au courant, par exemple, de ce que publient soit
Gring
Gringoir
oiree, soit L’Émancipation fr française
ançaise, soit l’Union fr
française
ançaise, etc. ?
Si rares que soient jusqu’ici, grâce à Dieu, les fléchissements
à l’intérieur de l’Église de France, une grande publicité leur est
faite, qui les rend plus nocifs, tandis que silence total est fait sur
les condamnations et les cris d’alarme de l’autorité suprême, qui
ne datent pourtant que d’hier et qui seraient pour nous d’une
opportunité pressante. Pendant ce temps, des émissaires cherchent
à rassurer les évêques et les supérieurs religieux, à émousser au
moins leur esprit de résistance. On voudrait les entraîner dans
des négociations, qui, s’ils s’y prêtaient, pourraient aller jusqu’à la
trahison envers leurs frères dans l’épiscopat d’Allemagne. On fait
agir sur eux par un gouvernement qui ne peut faire autrement que
de se plier aux ordres qu’il reçoit. On spécule même parfois sur
leur « esprit surnaturel » pour les éloigner de ce qu’on appelle un
« catholicisme politique » et les détourner ainsi de leur premier
devoir. On est habile à faire dévier sur d’autres objets leur
inquiétude. Déjà, auprès de certains, il semble que ce soit faire
du mauv
mauvaisais esprit que de rappeler les enseignements de l’Évangile
et de la papauté. Ou bien, on dénonce calomnieusement comme
manquant de loyalisme civique ceux qui, pour des motifs
strictement religieux, résistent à des entraînements excessifs. On
traite comme agités par des passions politiques ceux qui ne
cachent pas leur angoisse chrétienne. Il se trouve toujours des
intermédiaires naïfs (jusque parmi de bons religieux) pour faire
ainsi parvenir aux oreilles des Supérieurs les thèmes inventés par la
ruse fertile de l’adversair
adversairee. L’expérience se renouvellera-t-elle, dans
l’Église de France, qui a déjà porté ailleurs des fruits si amers ?
« On nous a misérablement trompés », dut constater le
cardinal Innitzer quelques mois à peine après l’installation du
régime nazi en Autriche, « la haine du national-socialisme, égale
à celle du communisme, s’est déclenchée sans retenue contre
l’Église… LES ÉVÊQUES ONT ÉTÉ LOYAUX ET
108 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
CONFIANTS, ON LES A SYSTÉMATIQUEMENT ABUSÉS. IL
FAUT QU’ON LE SACHE. »
Pourquoi faut-il que nombre de prêtres et de religieux
français se refusent aujourd’hui à le savoir ? Quels terribles
lendemains ne risque pas de préparer cette anesthésie morbide ?
IV
En conséquence, n’y aurait-il pas, d’abord, un premier effort
à faire pour s’informer ? pour connaître, par exemple, l’histoire
religieuse de l’Allemagne en ces dix dernières années, celle de
l’Autriche depuis trois ans, etc. ? pour connaître les écrits des
principaux doctrinaires nazis, les premières applications des
doctrines racistes, les procédés et les thèmes actuels de la
propagande faite en France, les entreprises de séduction de la
jeunesse, l’identité et la valeur de certains groupes de journalistes
qui influent sur l’opinion catholique, etc. ?
N’y aurait-il pas lieu de veiller plus jalousement que jamais
à notre liberté spirituelle, dans toute la mesure où elle dépend
de notre vigilance ? Le service de notre patrie lui-même le
demande ; à plus forte raison le service de l’Église. « Dieu n’aime
rien tant ici-bas que la liberté de son Église. » Le souci de ne pas
causer d’ennuis au gouvernement, si légitime qu’il soit, ou de ne
pas lui « déplaire », ne doit jamais être le souci suprême, pas plus
que le souci de savoir quelle attitude sera la plus « utile ». Ces
vérités, que nul ne met en doute dans l’Église, ne pourraient-elles
cependant faire l’objet d’un sentiment plus vif ? Et, pour prendre
un exemple, ne serait-il pas bon de renoncer plus résolument à des
gestes tels que celui de Cité nouvelle
nouvelle, se laissant grever, au départ
même, de servitudes qui pourraient devenir lourdes ?
Ne faudrait-il pas aussi nous rappeler davantage que des actes
peuvent être contraires au christianisme, même quand ils ne s’en
prennent pas aux institutions ou aux hommes d’Église ? De même
que les honneurs officiels que ceux-ci peuvent recevoir ne
coïncident pas forcément avec un renouveau chrétien, ainsi n’est-
ce pas seulement lorsque nos personnes commencent à souffrir
12. Un exemple de discernement de l’apostasie : H. de Lubac *,
s.j., Lettre à mes supérieurs (25 avril 1941) 109
que la morale chrétienne et la foi même sont en péril. Toutes les
fois que la charité et la justice sont touchées, non pas seulement
en fait et en passant, mais en vertu d’un principe, l’Église est
touchée par le fait même. Ce qui se fait aujourd’hui, par exemple,
contre les Juifs, pourra se faire demain contre nous, le même
genre d’horreurs a été répandu en Allemagne sur eux et sur le
clergé : or, quel droit aurons-nous à nous plaindre demain, si
nous nous accommodons de tout aujourd’hui ? Au reste ne nous
y trompons pas : l’antisémitisme actuel n’est plus celui qu’ont pu
connaître nos pères ; outre ce qu’il a de dégradant pour ceux
qui s’y abandonnent, il est déjà de l’antichristianisme. C’est à la
Bible qu’on en veut, c’est à l’évangile aussi bien qu’à l’Ancien
Testament, c’est à l’universalisme de l’Église, à ce qu’on appelle
« l’Internationale romaine » ; c’est à tout ce que Pie XI
revendiquait comme nôtre à la suite de saint Paul, le jour où il
s’écriait : « Spirituellement, nous sommes des Sémites ! » (11). Il
importe d’autant plus d’y prendre garde, que cet antisémitisme fait
déjà des ravages jusque dans les élites catholiques, jusque dans nos
maisons religieuses. Voilà un danger qui n’est que trop réel.
La jeunesse surtout risque de s’y laisser prendre, de même qu’à
tout cet idéal néo-païen, qui par certains côtés sait se montrer
si séduisant. Certes une élite restreinte formée avant la guerre
surtout dans les mouvements spécialisés d’action catholique, est
solide. Elle est aujourd’hui notre meilleur espoir. Mais que cette
digue est petite, contre la marée qui commence à monter ! Ce
n’est pas ici le lieu d’examiner comment un christianisme plus
approfondi et plus intégralement vécu, offrant moins de prise aux
caricatures de l’adversaire, supposant peut-être plus d’une réforme
dans nos habitudes et nos méthodes, doit constituer la seule
sauvegarde totale. Mais au moins, en ce qui concerne les clercs et
les jeunes religieux, ne faudrait-il pas songer à leur inculquer plus
fortement les principes chrétiens qui risquent de s’obnubiler chez
eux dans l’atmosphère trouble que nous respirons tous malgré
nous ? N’y aurait-il pas en tout cas, alors que beaucoup sont portés
110 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
sans bien s’en rendre compte à « flotter à tout vent de doctrine »
[cf. Ep 4, 14], des vertus plus opportunes à leur prêcher que la
« vertu de souplesse » (12) ?
Si l’on me demandait maintenant pourquoi j’écris ces choses,
je répondrais que chacun porte toujours sa petite part des grandes
responsabilités collectives, et que dans les temps de crise
exceptionnelle comme celui que nous vivons – « heures
tragiquement historiques », disait déjà Pie XI -, c’est pour chacun
un devoir plus impérieux d’en prendre conscience et d’agir en
conséquence. En attirant ainsi l’attention sur la situation
religieuse présente et sur l’attitude qu’elle me semble devoir
susciter en nous, je n’ai d’ailleurs aucunement l’intention de
réclamer de qui que ce soit, je ne sais quel éclat, quelle
condamnation ou quelle intervention tapageuse. Je n’attends et
ne désire de nos chefs spirituels aucune activité d’ordre politique,
aucune « croisade » impossible. Ce que je voudrais simplement,
c’est qu’ils soient plus amplement informés, afin qu’ils puissent
mieux donner à ceux qui l’ignorent la connaissance du péril, qu’ils
soient mieux à même d’encourager notre foi et de nous aider à
sauver nos âmes ; c’est que ne pénètre point peu à peu dans les
consciences cette impression que, face au terrible bouleversement
du monde, le catholicisme démissionne. Impuissant à atteindre
ceux que j’aurais pourtant voulu contribuer à renseigner, c’est
naturellement vers les Supérieurs que Dieu m’a donnés que je
me tourne. Je m’y sens encouragé par la pensée que mes
préoccupations répondent à leurs propres préoccupations, et que
ce rapport va en quelque sorte au-devant de leur désir et leur sera
peut-être utile. Après tout, n’auraient-ils pas lieu de se plaindre,
absorbés qu’ils sont forcément par les soucis quotidiens de leur
charge, s’ils devaient constater plus tard qu’ils n’ont pas pu porter
remède au mal lorsqu’il en était encore temps, parce que ceux de
leurs inférieurs qui en avaient les moyens n’ont pas pris l’initiative
de les informer et de les alerter ?
H. L.
12. Un exemple de discernement de l’apostasie : H. de Lubac *,
s.j., Lettre à mes supérieurs (25 avril 1941) 111
———————
Notes
[N
[Note
ote initiale de Chélini]
(*) Au cours de l’une de nos rencontres, le Père de Lubac
me remit plusieurs documents, dont celui-ci, en septembre 1982.
Étant donné son grand intérêt historique – il est antérieur de
plusieurs mois au premier Cahier du Témoignagémoignagee chr
chrétien
étien paru en
novembre 1941 –, j’ai sollicité l’autorisation de le publier. Le Père
de Lubac me donna son accord sous réserve de la permission de
ses supérieurs. Il me la fit connaître quelques jours après par un
coup de téléphone cordial. Le lendemain j’apprenais son élévation
au cardinalat. [L’Église sous Pie XII, p. 310, note 1.]
[N
[Notes
otes de H. de Lubac]
1. En annexe de l’original, le résumé de la lettre pastorale de
Mgr Gröber, d’après Radio-Vatican.
2. Les faits concernant l’Alsace et la Lorraine (depuis la
désaffectation de la cathédrale de Strasbourg jusqu’aux expulsions
d’évêques, prêtres, religieux, religieuses, fermeture des grands et
petits séminaires, etc.) peuvent être connus par les Pères alsaciens
ou lorrains qui sont au milieu de nous. L’auteur joint à l’original
un document fournissant un exemple de propagande païenne qui
s’exerce en Alsace (fêtes pascales).
3. Etudes
Etudes, 5 mars 1940 : « La croix gammée contre la croix
du Christ » ; 5 juin : « L’occupation allemande en Pologne ». Il
serait très opportun de faire relire ces articles aujourd’hui. Pour la
Pologne, une nouvelle documentation est arrivée au Vatican qui a
cité quelques faits à la radio. [L’auteur joint quelques extraits des
articles du P. Lebreton.]
4. Exemple : extrait d’un article paru en 1938 dans la revue
de Rosenberg, sous ce titre : « L’Église romaine se détourne de
l’Europe ». [Il s’agit, semble-t-il du Völkischer Beobachter
Beobachter, organe du
parti nazi, dont il était rédacteur en chef.]
112 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
5. Condamner l’antisémitisme n’est pas nier l’existence d’une
question juive, pas plus que condamner le racisme n’est refuser
d’envisager les problèmes concernant la race, ou que repousser
le socialisme n’est se désintéresser des problèmes sociaux. Il ne
faut pas confondre la position d’un problème avec une certaine
solution du problème posé.
6. Ici encore, l’exemple de l’Allemagne est instructif. Cf.
[Jules] Lebreton, « La croix gammée… », pp. 264-265. Depuis
le début de 1937, toutes les encycliques pontificales ont été
interdites ; depuis 1935, presque toutes les lettres pastorales des
évêques ont été saisies, etc.
7. En octobre 1938, cette revue insérait (pp. 643-647) un long
article paru d’abord dans la Revue hebdomadair hebdomadairee, dans lequel on
prétendait qu’il n’y avait aucune persécution religieuse en
Allemagne, et que la condamnation du racisme par le pape n’était
qu’un épisode sans importance. « Je sais que les dirigeants
nationaux-socialistes n’en sont pas très contents, mais je pense
à part moi que le syllabus de Pie IX a condamné aussi bien
d’autres choses assez oubliées de nos évêques. » Malgré la pâle
esquisse d’une réserve en note, la revue faisait sien cet article, en
présentant cette insertion comme une « rectification » de sa part,
pour s’excuser d’avoir auparavant parlé trop peu favorablement du
nazisme…
8. De tous côtés arrivent des informations directes, montrant
qu’une partie importante du clergé est dans un état
d’aveuglement. Il serait facile de dresser une longue liste de propos
extraordinaires qui attestent ce fait douloureux.
9. L’auteur joint quelques citations de Rosenberg, tirées de
son ouvrage Le Mythe du XXe siècle et de son discours de
Nuremberg de 1938.
10. L’auteur cite l’article de Jacques de Lesdain paru dans
La Gerbe. [Sur ce journaliste, voir : Jacques de Lesdain… Rédacteur
politique à l’Illustr
l’Illustration.
ation. Itinér
Itinérair
airee d’un ccollabor
ollaborateur
ateur.]
12. Un exemple de discernement de l’apostasie : H. de Lubac *,
s.j., Lettre à mes supérieurs (25 avril 1941) 113
11. L’auteur cite un extrait du discours prononcé par Pie XI
au pèlerinage de la Radio catholique belge, en 1938.
12. De même pourquoi rappeler avec tant d’insistance que
« notre temps est essentiellement providentiel », comme si tout
temps n’était pas providentiel ? Il y a là une déformation du
dogme de la Providence, qui tend au fatalisme, à l’acceptation
passive de n’importe quoi. C’est aussi, je le crains, se méprendre
grandement que d’affirmer le « dynamisme » de certaines
jeunesses comme la jeunesse hitlérienne, qui au lieu de dire à la
façon de Descartes : « Je pense », disent : « Dieu se pense en moi »,
et dans cet élan admirable, rencontrent naturellement Dieu ! Nous
avons là au contraire un des signes de la paganisation de cette
jeunesse, et l’un des leitmotive qu’on lui inculque contre le Dieu
du christianisme et de l’Église.
(Ces traits sont empruntés à une conférence faite à Fourvière,
le mardi de Pâques 1941, par le Père X. Tout en conservant à son
égard nos sentiments de profonde estime et même de vénération,
et sans méconnaître les services présents qu’il rend encore à
l’Église, nous ne pouvons nous empêcher de penser que l’attitude
adoptée en ce moment par lui n’est pas sans danger.)
———————
Henri de Lubac, s.j.
© Fayard
14
115
116 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
peuple juif qui a choisi de vivre sur la terre de ses ancêtres devait
se trouver un jour dans une situation aussi désespérée :
À la dernière minute avant leur anéantissement total, les
derniers survivants du peuple juif en [Isr[Israël]
aël] ont lancé un appel
au secours au monde entier. Il n’a pas été entendu. Nous savons
que vous, Juifs de [la Golah]
Golah], vous souffrez cruellement de notre
martyre incroyable. Mais que ceux qui avaient les moyens de nous
aider et ne l’ont pas fait sachent ce que nous pensons d’eux. Le
sang de […] millions de Juifs hurle vengeance, et il sera vengé ! Et
ce châtiment ne frappera pas seulement les [nouveaux] cannibales
nazis, mais tous ceux qui ne firent rien pour sauver un peuple
condamné. Que cette dernière voix, sortant de l’abîme, parvienne
aux oreilles de l’humanité tout entière (1).
Tout ce que nous pouvons espérer, c’est que notre appel à
nous en faveur de ce peuple honni des nations – un cri qui,
pour l’instant, n’est guère plus audible que celui d’un oiseau au-
dessus d’un océan déchaîné -, répété sans cesse et transmis par
Internet et le courrier électronique, incite celles et ceux à qui
le Seigneur « aura fait des lèvres pures pour qu’ils puissent tous
invoquer Son nom » (cf. So 3, 9), à Le supplier de « venir en aide »
à Son peuple (Ps 121, 1 ; 124, 8).
Notre seule arme est celle des « persécutés pour la justice »
(cf. Mt 5, 10), c’est-à-dire le témoignag
témoignagee – si risqué qu’en soit le
prix aujourd’hui (2) –, qui consiste à exposer au grand jour, avec
courage, le mécanisme machiavélique des méthodes des
calomniateurs et des subvertisseurs de l’opinion (3), et à prévenir
que quiconque diffuse et accrédite ces propos de haine tombe sous
le coup de l’invective du Christ :
Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre
père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le
commencement et n’était pas établi dans la vérité, parce qu’il n’y
a pas de vérité en lui : quand il profère le mensong
mensongee, il parle de son
propre fonds, parce qu’il est menteur et pèr
pèree du mensong
mensongee. (Jn 8, 44).
Ce que corrobore un passage de l’œuvre maîtresse d’Irénée
13. Les chrétiens sont-ils en état de « pré-apostasie » ? 117
de Lyon (IIe s.), que j’ai cité dans la dixième méditation (« Croire
dès maintenant « pour que le Jour du Seigneur ne nous surprenne
pas comme un voleur » (Cf. 1 Th 5, 4) », où cet éminent Père
de l’Église affirme que « l’Al’Apostasie
postasie [du diable] a été mise au jour par
le moyen de l’homme ». Et de préciser que « l’homme avait été le
révélateur de ses dispositions intimes » (4).
L’idée sous-jacente à ce texte est que c’est l’événement qui
révèle (ou met au jour) les dispositions intérieures de celui ou celle
qui y est confronté. Je me limiterai ici à deux exemples – l’un
biblique, l’autre contemporain.
Avant que l’occasion ne lui soit donnée de trahir son Maître,
Judas n’avait pas mis en œuvre ce qui n’était encore, chez lui,
qu’une tentation (cf. Jn 13,2), avant qu’il y donne son assentiment
intérieur (cf. Jn 13, 27) et passe finalement à l’acte (cf. Mt 26,
14-16 ; 26, 45-50).
De même, durant l’Occupation allemande, c’est par lâcheté,
appât du gain, ambition, soif de puissance, et sous l’empire
d’autres vices qu’ils portaient en eux, que des citoyens ordinaires
sont devenus collaborateurs, traitres, voire tortionnaires et
assassins, quand l’occasion leur a été donnée d’assouvir ces
passions cachées.
Deux passages de l’Écriture, entre autres, nous mettent en
garde de résister à ces mauvais instincts :
Gn 4, 7 : L’Éternel dit à Caïn: « Pourquoi es-tu irrité et
pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, tu garderas la
tête haute. Mais si tu n’agis pas bien, le péché n’est-il pas tapi à la
porte, qui te convoite et qu’il te faut dominer ? »
Dt 30, 19 : Je prends aujourd’hui à témoin contre vous le
ciel et la terre: j’ai mis dev
devant
ant toi la vie et la mort, la bénédiction et la
malédiction
malédiction. Alors choisis la vie, pour que toi et ta postérité vous
viviez.
Quant à Jésus, Il a donné, dans une parabole – que nous
lisons, hélas, trop distraitement – l’illustration saisissante de ce
que l’on pourrait appeler un « flagrant délit » de malversation
118 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
spirituelle, quand les artisans d’iniquité révéleront, par leurs actes
mêmes, le mal dont leur cœur était rempli, et auquel il ne
manquait que l’occasion pour se révéler au grand jour :
Mt 7, 16-20 : C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.
Cueille-t-on des raisins sur des épines ? Ou des figues sur des
chardons ? Ainsi, tout arbr arbree bon produit de bons fruits fruits, tandis que
l’arbr
arbree corr
orrompu
ompu produit de mauv mauvaisais fruits
fruits. Un bon arbr
arbree ne peut porter
de mauv
mauvaisais fruits
fruits, ni un arbr
arbree corr
orrompu
ompu porter de bons fruitsfruits. Tout arbre
qui ne donne pas un bon fruit fruit, on le coupe et on le jette au feu.
Ainsi donc, c’est à leurs fruits que vous les rrec econnaîtr
onnaîtrez
ez.
Jésus exerçait déjà cette fonction de révélateur des mauvais
desseins du cœur de l’homme, comme le prophétise
mystérieusement le vieillard Syméon :
Lc 2, 35 : Celui-ci [Jésus] constitue un motif de chute et de
relèvement de beaucoup en Israël et un signe de contradiction
[…] en sorte que se rrévèlent
évèlent les pensées de bien des cœurs.
Et Paul a une formule frappante pour décrire ce processus
dans sa phase eschatologique :
1 Co, 4, 5 : Ainsi donc, ne jugez de rien avant que ne vienne
le Seigneur; c’est Lui qui éclairera les secrets des ténèbres et
manif
manifester
esteraa les desseins des coeurs
oeurs. Et alors chacun recevra de Dieu sa
louange.
J’ai expliqué ailleurs (5) que c’est ce qui se passera, à l’échelle
de l’histoire, quand le « temps des nations » arrivera à sa fin ; et je
l’ai illustré par plusieurs passages de l’Écriture, dont celui-ci :
Mi 4, 11-13 : Maintenant, des nations nombreuses se sont
assemblées contre toi. Elles disent: « Qu’on la profane et que nos
yeux se repaissent de Sion ! ». C’est qu’elles ne connaissent pas les
pensées de l’Éternel et qu’elles elles n’ont pas compris son dessein
dessein: il les a
rassemblées comme les gerbes sur l’aire. Debout! foule-les, fille
de Sion ! car je rendrai tes cornes de fer, de bronze tes sabots,
et tu broieras des peuples nombreux. Tu voueras à l’Éternel leurs
rapines, et leurs richesses au Seigneur de toute la terre.
J’ose le dire ici : « l’heure vient, et c’est maintenant » (cf. Jn 4,
13. Les chrétiens sont-ils en état de « pré-apostasie » ? 119
23), où, soumis à la tentation d’aboyer avec les loups, de calomnier
ou de trahir un peuple qui ne leur a fait aucun tort, de le mettre,
ou de le laisser mettre à mort, les hommes devront « dominer le
péché qui les convoite » (cf. Gn 4, 7), choisir « la vie ou la mort,
la bénédiction ou la malédiction » (cf. Dt 30, 19), avant que ne les
surprenne le jug jugement
ement de Dieu, inattendu et sans appel, comme Il
les en a avertis par avance, par la bouche du prophète Joël :
Jl 4, 2 : Je rassemblerai toutes les nations, je les ferai descendre
à la Vallée de Josaphat ; là j’entrerai en jug jugement
ement avec elles au sujet
d’Isr
d’Israël,
aël, mon peuple et mon héritag
héritagee, car ils l’ont dispersé parmi les
nations et ont divisé mon pays… (6).
Tel est le jugement, dont parle abondamment l’Écriture,
Nouveau Testament compris. Il nous fixera dans l’état où nous
trouverons alors de par notre propre volonté manifestée par nos
actes, dont la bonté ou la corruption nous vaudront la rétribution
correspondante, ainsi que l’expose laconiquement l’apôtre Paul :
2 Co 5, 10 : Car il faut que tous nous soyons mis à découvert
devant le tribunal du Christ, pour que chacun rec ecouvr
ouvree ce qu’il aur
auraa
fait pendant qu’il était dans son ccorps,
orps, soit en bien, soit en mal
mal.
Quiconque aura reçu le charisme de « guetteur » dans l’esprit
d’Ezéchiel, devra trouver le courage de porter ce témoignage
devant ses contemporains – et tout particulièrement face à ceux
qui se réclament du « beau nom [chrétien] qui a été invoqué sur
eux » (cf. Jc 2, 7) – « qu’ils écécoutent
outent ou qu’ils n’éc
n’écoutent
outent pas » (cf. Ez 2,
5, etc.). Et si, malgré l’avertissement de Paul, évoqué plus haut, ils
refusent de « s’éprs’éprouver
ouver eux-mêmes », c’est encore dans les termes
de l’Apôtre qu’il faudra les mettre en garde :
1 Co 3, 13 : …L’œuvre de chacun deviendra manifeste ; le
Jour, en effet, la dévoilera, parce qu’il se manifestera dans le feu, et
il épr
éprouver
ouveraa l’œuvre de chacun.
————————-
Notes
(1) Appel du Comité national de la Résistance juive en
Pologne, daté du 15 novembre 1943, à Varsovie, et adressé aux Juifs
120 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
en Palestine. Cité par Léon Poliakov, Br Bréviair haine. Le IIIe
éviairee de la haine
Reich et les Juifs, éditions Complexe, Paris, 1951, p. 353, et note
478, p. 381.
(2) Pour mémoire, en grec, le mot témoin, se dit « martus »,
qui signifie à la fois « témoin » et « martyr », au sens de celui qui
est prêt à mourir plutôt que de renier sa foi ou de parler contre sa
conscience.
(3) Parmi des dizaines de cas, je signale ici celui du mythe
– dont on parle trop peu – d’un prétendu « âge d’or de Cordoue,
de l’hospitalité et de la tolérance du monde arabe qui, par ces
qualités, se serait foncièrement distingué des turpitudes de
l’Europe et qui fait dire encore aujourd’hui, en dépit de la réalité
passée et présente, que l’antisémitisme n’a concerné que l’Europe
chrétienne » (Elias Levy, « L’Exode et la spoliation des Juifs des
pays arabes ».
(4) Irénée de Lyon, Controntree les Hér
Hérésies
ésies, V, 24, 4. J’ai choisi le
terme « révélateur » pour rendre le terme examinatio de la version
latine, qui peut aussi se traduire par éprépreuve
euve.
(5) Voir, en particulier, la Conclusion de mon premier livre,
Chr
Chrétiens
étiens et juifs depuis Vatican II II, éditions Docteur angélique,
Avignon, 2009, p. 357 ss ; ainsi que la IIIe Partie de mon second
livre, Les Frèr
ères
es retr
etrouvés
ouvés, éditions de l’Œuvre, Paris, 2011, au
chapitre « Résistance à l’apostasie », surtout, p. 252 ss.
(6) Même idée en Za 2, 12 : « Qui vous touche, touche à la prunelle
de mon œil » (Cf. Dt 32, 10).
15
121
122 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
Dieu précise au prophète qu’il ne devra avertir le peuple
que lorsque Lui, Dieu, lui en donnera l’ordre.
127
128 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
Il est clair en effet, que, même s’ils acceptaient de confesser
leur culpabilité – au moins solidaire –, dans la discrimination et
les mauvais traitements dont les juifs ont été victimes de leur part
au fil des siècles, ni les autorités religieuses, ni le peuple chrétien
dans son ensemble, ne seraient prêts, au stade actuel, à faire leur
notre foi au rétablissement, déjà acc accompli
ompli, du peuple juif.
C’est parce que nous sommes conscients de la difficulté
théologique considérable que constitue, pour la théologie
chrétienne, une telle conception – et davantage encore sa
diffusion publique –, que nous choisissons d’agir de manière
indépendante et sans mandat ni approbation formels de l’Église
(mais
mais pas à son détriment
détriment). Ainsi, il n’y aura pas d’ambiguïté : nul
ne pensera que nous parlons au nom de l’Église, ni que nous
bénéficions de son approbation.
Pour ce qui est de l’aspect formel de notre initiative, nous
accueillons quiconque veut faire sienne notre démarche (sans sans
nécessair
nécessairement
ement adhér
adhérer
er à notr
notree foi dans le rétablissement déjà acc
accompli
ompli du
peuple juif
juif), et accepte de prononcer la formule pénitentielle
suivante (*) :
Nous avons besoin de pardon. Car nous avons contribué à
travers les siècles à la « séparation » des Juifs. Nous les avons
considérés comme étrangers, alors qu’ils sont nos pères selon
l’esprit. Nous avons été parfois les instigateurs, parfois les
complices, parfois les témoins, indifférents ou lâches, de toutes les
persécutions qui les ont décimés […] Nous nous sommes souvent
reposés, mensongèrement […] sur notre sécurité de « Nouvel
Israël », satisfaits d’avoir, nous du moins, le secret de ce mystère.
Et nous avons méprisé l’avertissement redoutable de l’Apôtre : « Tu
subsistes par la foi. Ne t’enorgueillis pas, mais crains… » (Rm 11,
20) […] Père, pardonne-nous, pardonne-nous…
———————-
On notera que cette démarche n’est pas nouvelle. Tel était
l’état d’esprit de nombreux dignitaires de l’Église, au lendemain
15. Nous n’ambitionnons pas d’être un mouvement d’Église,
mais seulement des « guetteurs », prêts à l’avertir si Dieu nous le
de la Seconde Guerre mondiale et par la suite. En voici quelques
extraits :
Déclar
Déclaration
ation des Synodes de l’Église év
évang
angélique
élique d’Allemagne (Berlin-
Weissensee, 27 avril 1950).
Déclar
Déclaration
ation du Synode des évêques catholiques de la République fédér
édérale
ale
allemande (Würzburg, 22 novembre 1975).
Texte à lir
liree dans toutes les par
paroisses
oisses catholiques d’Allemagne fédér
édérale,
ale, à
la demande de la Conf onfér
érence
ence épisc
épiscopale
opale allemande, à l’occasion du
40e anniversair
anniversairee de la «N
«Nuit
uit de Cristal» (9 novembre 1978).
• Dans de larglarges
es milieux de la population allemande existait une
tr
tradition
adition antisémite, et les catholiques n’y échappaient pas pas. Mais
la position de l’Église se fondait sur une divergence
doctrinale traditionnelle et non sur une idéologie raciste
[…] Il est d’autant plus difficile de compr omprendr
endree aujourd’hui que,
ni lors du boyc
boycottag
ottagee des commerces juifs
juifs, le 1er avril 1933, ni à
l’occasion des lois raciales de Nur uremberg
emberg, en septembre 1935, ni
à la suite des excès commis apr après
ès la « Nuit de Cristal », des 9-10
novembre 1938, l’Église n’ait pas pris une position suffisamment
clair
clairee et actuell
actuelle.
« Vers la rénov
énovation
ation des relations entr
entree chr
chrétiens
étiens et juifs ». Déclar
Déclaration
ation du
Synode de l’Église pr
protestante
otestante de la rrég
égion
ion rhénane (1980)
(1980).
« Considér
onsidérations
ations oecuméniques sur le dialog
dialogue
ue entr
entree juifs et chr
chrétiens
étiens ».
Conseil mondial des Églises (1982).
Déclar
Déclaration
ation de repentance de dix-huit évêques de France (30 septembre
1997).
135
136 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
vous témoignez contre vous-mêmes que vous êtes les fils de ceux
qui ont assassiné les prophètes ! Eh bien, vous, comblez la mesur
mesuree de
vos pèr
pères
es ! (Mt 23, 30-32).
À l’évidence, Jésus faisait allusion à ceux des juifs qui, en
projetant de le faire mettre à mort, allaient mettre le comble au
meurtre des prophètes commis par certains de leurs ancêtres. Mais,
en vertu de « l’intrication prophétique », dont le principe a été
exposé dans la huitième méditation («« Le phénomène de l’ »intrication
pr
prophétique
ophétique » »), la situation évoquée a une portée eschatologique.
Pour en comprendre la nature, nous remplacerons, dans
l’apostrophe de Jésus, le mot « prophètes » par celui de « juifs ».
N’est-ce pas, en effet, ce que font, avec quelques variantes,
celles et ceux qui haïssent l’État d’Israël et veulent sa perte, tout en
se défendant de vouloir tuer les juifs ? On peut dire d’eux ce que
Paul disait des païens (Ep 4, 18) :
Leurs pensées se sont enténébrées et ils sont devenus étrangers
à la vie de Dieu à cause de l’ignorance qu’a entraînée chez eux
l’endurcissement du cœur.
Et cet « endurcissement du cœur » les a poussés à croire et à
faire croire que leur haine du « sionisme » n’est pas une haine des
juifs. Ils affirment, au contraire, que leur hostilité exprime le cri de
leur conscience vertueuse pour que triomphe la justice au Proche-
Orient. Entendez : la justice pour les seuls Palestiniens, dont ils
prétendent qu’elle est bafouée par les Israéliens, qui revendiquent
comme leur la terre ancestrale des juifs et résistent à la prétention
des descendants actuels des tribus arabes – qui l’ont envahie et se
la sont attribuée il y a quatorze siècles –, de leur en dénier la
souveraineté.
Les chrétiens qui, de manière arbitraire et partisane, ont pris
fait et cause pour les « victimes » palestiniennes, reprennent à leur
compte la diabolisation calomnieuse du peuple d’Israël, accusé
de « coloniser » ceux-là même qui, précisément, veulent le tuer,
lui, l’héritier
l’héritier, de cette terre, comme le prophétise la parabole des
16. Les juifs, pierre de touche de l’apostasie des chrétiens qui
refusent l’incarnation du dessein de Dieu 137
vignerons homicides (Mt 21, 38), lue à la lumière de l’« intrication
prophétique » (1) :
…les vignerons, en voyant le fils, se dirent par-devers eux:
Celui-ci est l’héritier
l’héritier: venez ! tuons-le, que nous ayons son héritag
héritagee.
« Faux apôtres, ouvriers trompeurs, qui se déguisent en
apôtres du Christ » (2 Co 11, 13), ces chrétiens politisés et partisans
s’alignent plus ou moins explicitement sur les slogans des pires
ennemis d’Israël, qui l’accusent d’être un « État nazi » et de
pratiquer l’« apartheid » et le « nettoyage ethnique », projetant
ainsi sur une nation démocratique qui n’aspire qu’à la paix et à la
cohabitation harmonieuse avec ses voisins, les tares et les crimes
des colonisateurs européens des siècles passés. Pire, ils approuvent
tacitement, – quand ils ne les reprennent pas carrément à leur
compte – les calomnies meurtrières qui qualifient de « massacre »,
voire de « génocide », toute action militaire défensive d’Israël. Ils
savent – et c’est justement ce qu’ils veulent – que de tels propos,
répétés sans relâche à la manière de la propagande de Goebbels,
finiront par faire d’Israël le paria des nations
nations, objet de la réprobation
universelle, au point qu’inéluctablement, les instances
internationales le condamneront un jour, à l’unanimité et sans
appel, légitimant ainsi l’assaut final contre lui, prophétisé, entre
autres, par Zacharie en ces termes (Za 14, 2) :
Voici qu’il vient le jour de L’Éternel, quand on partagera tes
dépouilles au milieu de toi. J’assemblerai toutes les nations vers
Jérusalem pour le combat; la ville sera prise, les maisons pillées, les
femmes violées ; la moitié de la ville partira en exil, mais le reste
du peuple ne sera pas retranché de la ville…
Ce qui semblait impensable il y a quelques décennies, est
dorénavant considéré comme légitime : Israël est désigné à la
vindicte et à l’opprobre des nations, au nom d’une morale falsifiée
et politisée des droits humains, qui prétend obtenir de lui ce
que des guerres incessantes et des attentats sans nombre n’ont
pu lui faire accepter, à savoir, qu’il renonce à sa souveraineté
inconditionnelle sur la portion congrue de son territoire national
138 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
ancestral que lui ont concédée les nations. Pire, on exige de l’État
juif qu’il cède sa souveraineté exclusive sur Jérusalem, sa capitale
trois fois millénaire, au profit des Palestiniens, réputés avoir plus
de droits que les juifs sur cette ville, en vertu du fait que des Arabes
y ont vécu depuis 1400 ans, et qu’elle est leur troisième lieu saint,
après La Mecque et Médine (et ce malgré le fait patent que le
Coran ne mentionne jamais le nom de la Ville Sainte, alors que la
Bible le fait des centaines de fois).
À ces « menteurs hypocrites, marqués au fer rouge dans leur
conscience » (cf. 1 Tm 4, 2) – qui se rangent par avance dans le
camp des liquidateurs de l’entité juive et sont prêts à fermer les
yeux sur la mise en oeuvre de cette nouvelle « solution finale »,
voire à y collaborer activement – peut s’appliquer le mystérieux
oracle suivant (Pr 30, 11-14) :
Engeance mauvaise qui maudit son père et ne bénit pas sa
mère, eng
engeance
eance pur
puree à ses pr
propr
opres
es yeux
yeux, mais dont la souillure n’est
pas lavée, engeance aux regards altiers et aux paupières hautaines,
engeance dont les dents sont des épées, les mâchoires, des
couteaux, pour dévor
dévorer
er les pauvr
pauvres
es et les retr
etrancher
ancher du pays
pays, et les
malheureux, d’entre les hommes.
Et c’est peut-être à eux que pensait l’apôtre Paul quand il
écrivait (2 Tm 3, 1-5) :
Sache bien, par ailleurs, que dans les derniers jours
surviendront des moments difficiles. Les hommes en effet seront
égoïstes, cupides, vantards, orgueilleux, diffamateurs, rebelles à
leurs parents, ingrats, sacrilèges, sans coeur, intraitables,
calomniateurs, intempérants, sauvages, ennemis du bien,
délateurs, effrontés, aveuglés par l’orgueil, plus amis de la volupté
que de Dieu, ayant les appar
apparences
ences de la piété mais reniant ce qui en est la
force
orce…
À l’évidence, il ne s’agit pas d’athées, mais de croyants, sinon
pourquoi Paul préciserait-il : « ayant les appar apparences
ences de la piété mais
reniant ce qui en est la force » ? Et nul doute qu’au temps de la
fin, celles et ceux dont le cœur est déjà rempli d’une haine anti-
16. Les juifs, pierre de touche de l’apostasie des chrétiens qui
refusent l’incarnation du dessein de Dieu 139
israélienne mortifère, se rallieront à l’œuvre d’extermination de
« l’Impie », à propos duquel le même Paul prophétise en ces termes
(2 Th 2, 9-12) :
Sa venue à lui, l’Impiel’Impie, aura été marquée, par l’influence de
Satan, de toute espèce d’œuvres de puissance, de signes et de
prodiges mensongers, comme de toutes les tr tromperies
omperies du mal, à
l’adr
l’adresse
esse de ceux qui sont voués à la perdition pour n’avoir pas accueilli
l’amour de la vérité qui leur aur aurait
ait valu d’êtr
d’êtree sauvés
sauvés. Voilà pourquoi Dieu
leur envoie une influence qui les ég égar
are,
e, qui les pousse à cr
croir
oiree le mensong
mensongee,
en sorte que soient condamnés tous ceux qui aur auront
ont ref
efusé
usé de cr croir
oiree la
vérité et se sont ccomplus
omplus dans le mal mal.
L’une des preuves les plus impressionnantes que la volonté
de détruire Israël procède d’un dessein diabolique, c’est que la
stratégie déployée à cette fin par ses promoteurs et les invectives
dont ils l’accompagnent portent la marque fatale de l’Adversaire :
le mensong
mensongee et le désir de meurtr meurtree. En effet, il n’est pas nécessaire
d’être un expert en histoire ou en géopolitique du Moyen-Orient
pour discerner le caractère assassin du flot d’insultes et
d’accusations hystériques, proférées quotidiennement et sans
relâche, depuis des décennies, à l’encontre de l’État des juifs, et
diffusées sans vergogne par les médias arabes, dans le silence
indifférent ou complice des « nations insouciantes » (cf. Za 1, 15).
Pour celles et ceux d’entre nous qui sont entrés dans la voie
de la repentance, il ne fait aucun doute qu’à l’approche de la
confrontation finale entre les nations et Dieu, « à pr propos
opos d’Isr
d’Israël,
aël, son
peuple et son héritag
héritagee » (cf. Jl 4, 2), les nombreux chrétiens qui « aur auront
ont
ref
efusé
usé de crcroir
oiree à la vérité et se serseront
ont complus dans le mal », ne pourront
résister à l’«« influence » de Satan, dont Paul annonce qu’elle « les
ég
égar
arer
eraa et les pousser
pousseraa à cr
croir
oiree le mensong
mensongee ».
En ceci consistera leur apostasie apostasie. Quand, à l’instar des
collaborateurs de tous les temps, ils auront constaté la dramatique
et dangereuse solitude d’Israël, à l’heure de son ultime épreuve,
face à l’hostilité mondiale des nations « en tumulte […] contr ontree
l’Eternel et contr
ontree son Oint » (cf. Ps 2, 2), ils rejoindront le camp
140 Guetteurs pour l'Israël de Dieu
des vainqueurs et s’associeront à l’Impie venu avec la puissance de
Satan pour exterminer le peuple de Dieu.
Avant cette échéance ultime, dont « nul ne connaît ni le jour
ni l’heure » (Mt 24, 36 ; 25, 13), celles et ceux qui auront « reconnu
les faux prophètes à leurs fruits » (Mt 7, 15-16) – c’est-à-dire à leurs
discours de haine – ne devront pas hésiter à témoigner contre
eux, au risque de leur tranquillité, voire de leur sécurité, dans les
termes mêmes de Jésus à l’adresse de ceux qui avaient résolu de le
tuer (Jn 8, 44) (2):
Vous êtes du diable, votr
votree pèr
pèree, et ce sont les désirs de votre père
que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement
et n’était pas établi dans la vérité
vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en
lui: quand il profère le mensong
mensongee, il parle de son propre fonds, parce
qu’il est menteur et père du mensong
mensongee.
————————-
Notes
(1) Il va de soi que cette transposition hardie ne doit pas faire
perdre de vue le fait qu’à l’origine, cette parabole avait pour but
de démasquer et de stigmatiser par avance le dessein meutrier
des ennemis de Jésus. Ce n’est qu’à l’aune de l’« intrication
prophétique » (voir le peu qui en est dit, plus haut, au chapitre 8),
que ce passage scripturaire, comme bien d’autres, apparaît porteur
d’un sens et d’une portée inattendus. Pour se familiariser avec
cette théorie difficile, développée par Menahem Macina, il est
nécessaire de se reporter à son livre, inédit à ce jour : La pierrpierree rejetée
par les bâtisseurs. L’« intrication pr
prophétique
ophétique » des Écritur
Écritures
es.
(2) Même remarque – dans un contexte différent – que celle
de la note (1) ci-dessus.
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