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LA PRODUCTION DU
TEXTE
ÉDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Paris VIe
Sommaire
Couverture
Présentation
Page de titre
5. Paragramme et signifiance
1. FILIATION ET AFFILIATION
3. RECONSTRUCTION
SÉMIOSIS
imaginaire
L’HUMOUR DE LA DIGRESSION
L’HUMOUR NARRATIF
2. LA DÉRIVATION
3. FORMES ARBITRAIRES
À propos de l’auteur
Notes
Copyright d’origine
Achevé de numériser
1
1. L’explication des faits littéraires
Tous les détails qui décrivent la ruine dans les cinquante vers qui
précèdent l’énoncé comparatif paraissent dès lors, a posteriori, d’une
justesse différente. A mesure que le lecteur les déchiffrait, ils lui avaient
semblé réalistes parce qu’ils étaient conformes à un système descriptif idéal
de la ruine. Un caractère déictique, l’absence d’exotisme dans cette ruine
hindoue, avait alerté le lecteur. Mis en éveil, il n’avait pas pu ne pas
remarquer une constante : non seulement la ruine n’est pas hindoue, mais le
texte dévie vers une description de ruine « gothique » et la pagode
ressemble de plus en plus à un souterrain d’Ann Radcliffe ou de Matthew
Gregory Lewis. La métamorphose de la pagode en décor de roman noir a
pour homologue, dans la peinture de l’Antre du Destin (laquelle donne le
sens de la métaphore), le seul mot qui ne cadre pas avec la mimésis d’une
caverne : l’adjectif désespéré. Sans doute les images de la pagode et de
l’antre représentent-elles la Destinée comme mystère : c’est là leur sens
explicite comme faits de style. Mais les déviations constituent un caractère
herméneutique qui force le lecteur à les déchiffrer aussi comme faits de
structure : décor architectural par excellence de la claustration sadique ou
labyrinthe obscur du désespoir, elles actualisent le même invariant dont les
composantes, traduites maintenant en termes de destin, représentent celui-ci
comme ce qui est inévitable — l’inéluctable Anankê.
Cependant ce n’est là que le premier complexe sémantique du poème.
Une autre série de déviations de la mimésis de la ruine révèle tout aussi
visiblement qu’elle cache une autre structure : l’emploi de noms propres
qui, dans la mythologie romantique, ont des connotations métaphysiques
(par ex., Effrayantes Babels que rêvait Piranèse), des adjectifs de sens
similaire (grottes visionnaires), des images qui ne cadrent pas avec le décor
(la profondeur comparée à une fournaise, ce qui transforme son
contemplateur en alchimiste), des attributs allégoriques déviants (la ruine
est la cellule d’un vieillard surhumain méditant sur un livre — on pense au
rabbin de Melmoth étudiant les secrets de la nature dans le sous-sol de
Tolède, au mage du Centenaire de Balzac, espèce de Frankenstein d’un
laboratoire souterrain. — Il y a aussi une corde qui pend et s’offre,
mystérieuse, à la main du passant, invite évidente à une grimpade vers
l’Inconnu ou l’Idéal). Tous éléments qui sont étrangers à la ruine en soi, et
qui tous ont en commun un symbolisme ésotérique. De plus la profondeur
de la ruine n’est pas simplement vertigineuse : elle est ouverte aux deux
bouts et de manière à défier la vraisemblance descriptive (Toits de granit,
troués comme une frêle toile/Par où l’on voit briller quelque profonde
étoile) ou à transgresser la mimésis claustrale (les planchers fléchissants
révèlent des spirales qui descendent dans un souterrain sans fond, d’autres
spirales crèvent le plafond — soulignons ces déchirures ouvrant sur
l’inconnu : Où vont-ils ? Dieu le sait..., et dans le lointain des corridors
rayonnent des lampes qui annulent la barrière des ténèbres).
Tout cela infirme l’interprétation à laquelle s’arrêtent les
commentateurs 13 : selon eux, le poème serait efficace parce qu’il
exprimerait une grande obsession psychologique de Hugo, la rêverie de la
claustration. Cette interprétation n’est vraie que si l’on ne relève les faits de
style qu’en tant que faits de style (comme emprunts aux motifs du roman
noir). Mais si nous les décodons en fonction des déviations relevées, c’est-
à-dire comme variantes, alors ces cavernes où l’esprit n’ose aller trop avant
sont des itinéraires initiatiques ; ces monuments constellés sont une variante
d’une structure éminemment hugolienne, la verticale menant d’un infini à
l’autre (dont les variantes abondent : les escaliers oniriques qui remontent
de la Mort à la Vie, le puits métaphysique dont le poète est le regardeur, le
chemin perpendiculaire que se fraye le Titan enseveli, image de l’esprit
cherchant le Vrai, jusqu’au ciel des Antipodes, etc. 14). Et par conséquent, le
poème ne symbolise pas la claustration, mais l’invite à l’évasion.
L’angoisse qu’il exprime n’est qu’un outil stylistique, servant à mettre en
relief les anxiétés de la quête ésotérique, et le poème est efficace parce que,
sous couleur de nous parler de la Destinée, il nous la dépeint en termes qui
en font, comme toujours chez Hugo, la grande aventure de l’anima
perambulans in tenebris.
Il me reste à considérer le problème de la littérature comme
représentation. Dans ma description des caractères propres à la
communication littéraire, je notais que la réalité y est un succédané du
texte. Cette propriété demande un changement radical du point de vue
traditionnel dans l’explication. Il s’ensuit en effet que le référent n’est pas
pertinent à l’analyse, et qu’il n’y a aucun avantage pour le critique à
comparer l’expression littéraire à la réalité et à évaluer l’œuvre en fonction
de cette comparaison.
On s’est trouvé dans une impasse chaque fois qu’on a eu recours à une
norme extérieure pour définir la littérature. Il ne nous reste donc que les
signifiants et les signifiés. Mais partir des signifiés serait se placer à un
point de vue génétique. Du nôtre, qui est phénoménologique, le signifié est
déduit du texte. S’il est vrai que chaque mot est rattaché à une mythologie,
à un système de lieux communs, chaque combinaison de mots, donc chaque
unité de style, mêle ces systèmes, annule certains aspects de la mythologie.
Qu’il y ait limitation d’un système ou substitution à l’intérieur de celui-ci,
elle n’est définie que par les combinaisons des signifiants. Pour que le
lecteur perçoive ces éliminations ou substitutions, il faut d’abord qu’il
puisse identifier le système, reconnaître quelle mythologie est mise en
œuvre. Or cette identification même n’est possible que par l’existence, dans
le texte, de stéréotypes dont la lecture, même sous forme de fragments, est
une espèce d’amorce : elle déclenche dans notre esprit le déroulement du
système de lieux communs ou du moins nous prédispose à déchiffrer la
suite en pleine conscience de la présence de ce système comme contexte
verbal.
J’insiste sur ce point : le mécanisme même de déchiffrement de la
partition qu’est le texte subordonne entièrement le signifié au signifiant.
Tout se passe à son niveau, tout est perçu de ce que nous appelons signifié
en fonction de clichés, c’est-à-dire de combinaisons verbales, c’est-à-dire
de signifiants. Il n’y a pas des mots qu’on lit, et ensuite les images mentales
ou concepts qui en constituent le sens. Il y a des mots qu’on lit, et ensuite
des groupes de mots, enregistrés par la mémoire, dans lesquels les mots lus
figurent en diverses positions et donc en diverses fonctions, ce qui explique
que les représentations littéraires soient insensibles aux modifications des
référents et à l’évolution des mythes : white Christmas garde tout son
pouvoir pour un Australien dont la Noël antipodique est étrangère à la
neige. Il déchiffre sans peine les Christmas Carols, ou les Seasons de
Thomson, parce que white Christmas est un stéréotype et fonctionne
comme hyperbole de Christmas. C’est une représentation plus complète de
la Noël, donc plus parfaite, donc plus efficace. Si la mythologie de notre
Australien est un système agnostique, white Christmas est l’hyperbole de
winter, une composante particulièrement expressive d’un modèle verbal
idéal descriptif de l’hiver, par opposition aux saisons sans neige. Et ceci
indépendamment de la séquence saisonnière réelle du continent australien.
En revanche, l’effondrement du code linguistique, donc des associations
de signifiants, fait d’une littérature une littérature morte.
Prenons l’exemple des larmes de fiel dont parle Baudelaire dans
« Réversibilité ». Il n’est pas nécessaire, pour expliquer cette hyperbole de
haine dans le texte baudelairien, de l’opposer à ses référents
physiologiques, lacrymal et cholique respectivement, qui sont
incompatibles 15. Le lecteur ne sent pas cela, il n’imagine pas des yeux
pleurant de la bile, une espèce de comble comme sueur de sang. Il n’a
même pas besoin de recourir à une mythologie héritée de la vieille
médecine humorale. Simplement larmes est une image d’amertume dans le
cadre d’un système descriptif du chagrin qui comprend le cliché larmes
amères. De même pour fiel — témoin le cliché coupe de fiel, lequel est
apparenté à lie amère (stéréotype plus ancien que notre ère, sans quoi
l’éponge de fiel n’aurait pas figuré dans la description standard de la
Crucifixion). Dans le cas de fiel, la verbalisation a été facilitée par une
opposition allitérante fel/mel, fiel/miel qui réalise phonétiquement
l’archétypique simultanéité des contraires, image de toutes les ironies du
sort, dont témoignent des composés partout répandus comme doux-amer,
bittersweet, bittersüss, agrodolce, etc. (ces composés étant les variants
d’une structure définie par la résolution d’une opposition polaire). Il ne
reste donc rien des référents : nous avons affaire à deux signifiants
stéréotypés, à deux très efficaces synonymes d’amertume.
Baudelaire a simplement accouplé ces deux synonymes qui se complètent
l’un l’autre. Leur complémentarité même est un stéréotype ; par exemple,
dans ce vers de Phèdre :
Le texte ne saurait nous dire plus clairement qu’il ne faut pas le lire en
cherchant un sens, en cherchant à voir Quaresmeprenant, mais qu’il faut lire
au hasard des mots. Quaresmeprenant symbolise Antiphysie parce que la
seule manière de le décrire est de dire de lui n’importe quoi (la « Physie »
étant au contraire un vocabulaire que le Créateur a énoncé classe par classe,
comme il est dit dans la Genèse). Ne disons-nous pas familièrement d’un
spectacle qui dérange nos habitudes : ça ne ressemble à rien ?
Quaresmeprenant est monstre non parce qu’il est informe, mais parce qu’il
est indicible, littéralement innommable 19.
Il serait facile de montrer que la gymnastique de comparaison que nous
fait faire le texte Quaresmeprenant se retrouve dans les beau comme de
Lautréamont, ou dans des poèmes comme « l’Union libre » de Breton : Ma
femme à la chevelure de feu de bois (...) Ma femme à la langue d’hostie
poignardée (...) Ma femme aux tempes d’ardoises de toit de serre... La seule
différence est qu’un indice verbal, ajouté à la comparaison, nous impose de
la déchiffrer comme élogieuse : l’adjectif beau chez Lautréamont ; chez
Breton, une comparaison de type homérique (Achille aux pieds rapides)
qui, ayant été utilisée de mémoire d’écrivain à la glorification des héros, en
est restée une marque encomiastique du style. Dans les deux cas, ce ne sont
pas les référents qui définissent la beauté, mais le syntagme comparatif
orienté ou marqué. Quaresmeprenant était un monstre parce qu’il ne
ressemblait à rien ; on pourrait dire de même que la femme de « l’Union
libre », elle, est belle comme tout. Cette comparaison est, en somme, une
hyperbole courante, le compliment absolu en français familier.
Il est vrai que dans les exemples qui précèdent, quand la structure
grammaticale renvoie au référent, cette référence est frustrée par les mots
qu’articule le syntagme comparatif. Mais s’il n’y a pas frustration ? Si les
descriptions sont claires, compréhensibles, vraisemblables, comme c’est le
cas dans les styles du réalisme ? Eh bien, là aussi, la notion de gymnastique
verbale suffit à rendre compte des faits.
Quand, par exemple, Balzac écrit : il retourna par un geste inimitable à
son client, il nous interdit l’accès au référent. Pourtant nous croyons voir la
réalité, car le stéréotype employé (l’adjectif inimitable ; une variante
pourrait être : les mots me manquent pour décrire ce geste) fait partie de la
classe notations subtiles et suffit à créer l’illusion du regard auquel aucune
nuance n’échappe : selon les indications de la partition, nous faisons
semblant de voir de ce regard 20. Voici Nerval décrivant un Orient onirique :
Les cent mille hommes et les cinq cents canons de l’armée française
étaient là, entassés et traqués dans ce triangle ; et, lorsque le roi de
Prusse se tournait vers l’ouest, il apercevait une autre plaine, celle de
Geaume, des champs vides s’élargissant vers Hagetmau, Montfort et
Ondres-aux-Bois, tout un infini de terres grises, poudroyant sous le ciel
bleu ; et, lorsqu’il se tournait vers l’est, c’était aussi, en face des lignes
françaises si resserrées, une immensité libre, un pullulement de
villages, Momuy et Cambran d’abord, ensuite, en remontant,
Coudures, Pontens-les-Forges, Mugron, Œyreluy, jusqu’à La
Chapelle, près de la frontière. Tout autour, la terre lui appartenait, il
poussait à son gré les deux cent cinquante mille hommes et les huit
cents canons de ses armées, il embrassait d’un seul regard leur marche
envahissante. Déjà, d’un côté, le XIe corps s’avançait sur Saint-Cricq,
(...) et, de l’autre côté, si les arbres et les coteaux le gênaient, il
devinait les mouvements, (...) il savait que la garde devait avoir atteint
Œyreluy.
L’erreur de Cohen a été de lire bleus angélus dans le sens qu’auraient ces
mots dans la langue en dehors du contexte, alors que, dans le poème, le
complexe contextuel suffit à substituer à la sulpicerie douceâtre de bleus
angélus l’antiphrase du sens ordinaire 40. La relation sémantique est
entièrement contenue dans le texte.
Ainsi, le sens du texte peut fort bien être caractérisé par des « audaces »
ou des « absurdités », sans que nous puissions pour autant nous contenter
d’y voir des déformations du réel. Une telles explication ne rend pas compte
du sémantisme du poème comme tout, et elle reste en deçà de la littérarité.
Nous sommes dans l’impasse même si nous avons affaire à une
« déformation » classée et autorisée par la rhétorique, comme c’est le cas
des métaphores à transpositions sensorielles ou qui semblent telles 41. Soit
cette métaphore qu’emploie Hugo pour stigmatiser sceptiques et athées :
Au vif
A cors et à cris.
A toutes brides.
A ras bord.
A tire d’ailes.
Paille
Paille mêlée au grain
Fumée mêlée au feu
Pitié mêlée au mal 49.
a dit Éluard 58. Mots et clichés sont donc valorisés par leur fonction dans
le système 59. Aussi le système sert-il de code, de variante, aux structures
thématiques.
Les signifiants d’un système ne sont pas synonymes comme ceux de
l’accumulation. Subordonnés les uns aux autres, ils sont métonymes. D’où
deux conséquences d’ordre sémantique.
Premièrement, chaque composante du système peut être substituée à
celui-ci et le représenter tout entier, dans la complexité de ses associations
et, en particulier, de son symbolisme. Un titre comme « Le carreau » de
René Char, suffit à contaminer le sens des notations intimistes du poème
(« bonheur ») avec un sens qui ne relève que du système de fenêtre
(« attente, vaine ou non, du bonheur ») 60.
Deuxièmement, les signifiants du système jouent les uns par rapport aux
autres le rôle que référents et signifiés jouent par rapport aux signifiants
dans la communication ordinaire. Car le texte poétique, à cause de
l’horizontalité de son axe sémantique, ne peut être soumis au test de la
ressemblance avec le réel ; il n’évite la gratuité que parce que le système
descriptif maintient autour d’un signifiant donné un contexte de lieux
communs, conforme au consensus omnium, et par conséquent
vraisemblable. Le mot engendre la phrase qui le suit en déroulant une partie
du système descriptif auquel il appartient : épithète de nature, par exemple,
ou proposition relative qui exprime noir sur blanc un des sèmes implicites
du mot de départ. Ainsi tout à l’heure, paille engendrait grain puis feu,
métonymes de deux des systèmes descriptifs auxquels il se rattache (ceci se
combinant avec les rapports sémantiques du type paratactique). Hugo, par
exemple, rêvant une nature où « tout vit, tout est plein d’âmes » a écrit : Les
fleurs au cou de cygne ont les lacs pour miroirs 61. L’image, en dépit du
sème « flexibilité » commun à tige et à col de cygne, serait un peu cherchée,
n’était que cou ôte à cygne le conventionnel que col lui laisse, que lac
« confirme » cygne, et que miroir « confirme » lac. Or le miroir présuppose
un regard, une coquetterie, et l’animisme des fleurs s’en trouve
« démontré » : si les fleurs ont une âme, celle-ci, dans le cadre des lieux
communs floraux, ne peut être que féminine.
L’énoncé vérifie, pour ainsi dire, les probabilités associatives du
système : cela équivaut à la ressemblance au réel ou, à la limite, constitue
une extrapolation convaincante. Quand Rimbaud parle du sang rose des
arbres verts dans les veines de Pan 62, cette image emporte notre adhésion,
mais ce n’est pas parce que nous sommes panthéistes, et c’est en dépit
d’une réalité où la sève n’est pas rose. C’est parce que rose est
complémentaire de vert, et ceci non dans la réalité (ce serait le rouge), mais
dans un cliché bien attesté qui est comme la variante mièvre du cliché rouge
et vert. Or il se trouve que cette mièvrerie convient à la représentation
méliorative des arbres en contexte d’idylle cosmique. D’où une
surdétermination sémantique qui supplante le sens « naturel » sans
absurdité aucune.
Mais si la haute probabilité d’occurrence des composantes surdétermine
les mots du système et les rend convaincants parce qu’attendus, et vrais
parce qu’habituels, la moindre déviation devient également significative, et
c’est elle qui signale la présence d’un autre sens, métaphorique celui-là,
lorsque le système sert de code à une structure thématique. L’interférence
des structures est alors l’agent du changement sémantique 63.
Ce qui précède montre, me semble-t-il, que la sémantique du poème est
caractérisée par le bricolage dont parle Lévi-Strauss : elle repose
entièrement sur des mots arrangés à l’avance, sur des groupes préfabriqués,
dont le sens ne tient pas aux choses, mais à leur rôle dans un système de
signifiants. Leur ambiguïté ou leur pouvoir suggestif, loin d’être, comme le
veut l’interprétation habituelle, une polysémie suractivée, est un filtrage par
des interférences structurales. Les combinaisons verbales changent
d’aspect, leur sens se modifie constamment avec la progression de la
lecture. Toute interprétation qui tend à immobiliser ce mécanisme en
ramenant le texte au réel et à l’atomisme statique du dictionnaire ne peut
que méconnaître la fonction de la poésie comme expérience d’aliénation.
3. Modèles de la phrase littéraire
Le pavot, il est vrai, n’a pas de parfum, mais ceci relève du réfèrent. Sur
le plan des signifiants, inodore est une variante de pâles couleurs : toute
beauté ici est image de mort. Par sa forme exceptionnelle, et parce que
l’inversion sémique qu’il représente contamine l’entière symbolique de
fleur (ce qui n’est possible que parce que chaque composante d’un système
descriptif est substituable métonymiquement à l’ensemble du système),
inodore négativise d’un coup tout un autre système de représentation : le
stéréotype des scènes symboliques de triomphe, ou d’agapes sybaritiques
ou spirituelles, de félicité ou de sanctification, dans lesquelles une pluie de
roses ou de pétales tombe sur le protagoniste.
Le néologisme est susceptible de résumer tout un système descriptif, de
le condenser en un signe unique. C’est ainsi que le système descriptif de
morale comprend des métaphores de la route, escarpée et épineuse pour la
vertu, facile pour le vice, et de la croisée des chemins, Y pythagoricien,
carrefour du choix, où Hercule prouve sa vertu en en prenant le chemin. Le
néologisme choisisseur, sous la plume de Hugo, fonctionne comme une
sorte de sténographie poétique, référant le lecteur au système des
métaphores de morale :
la donnée sémantique est visible, sous la forme d’une image bien connue,
celle de l’auberge de la mort, motif du thème de la vie comme voyage, et,
dans cette version, de la route de la vie, où la Mort hospitalière offre au
voyageur fatigué le repos espéré. L’intertexte du lecteur lui fournit des
rapprochements faciles avec des poèmes comme « La mort des pauvres »
dans les Fleurs du Mal. Le groupe auberge de la mort doit donc sa fonction
de donnée au fait qu’il présuppose un autre texte. Mais un lecteur qui ne
connaîtrait ni le thème ni ses motifs subsidiaires n’en serait pas moins
sensible à la donnée, en raison de la logique même de la configuration
sémantique du groupe. Car le rapport qui unit auberge et mort est double,
métonymique et métaphorique à la fois. Auberge est métonymique de mort,
parce que complémentaire de la métaphore qui fait de la Mort un
aubergiste. Mais il y a aussi un rapport métaphorique direct entre mort et
auberge, le thème de la route de la vie sélectionnant dans auberge les sèmes
« lassitude », « désir de repos » etc., et auberge étant par conséquent à route
ce que mort est à vie. Le groupe exprime donc la même signification deux
fois. Doublement juste, il est surchargé sémantiquement par comparaison
avec son contexte ; pour le lecteur exclu de la tradition et qui ne saurait que
sa langue, ses composantes remplacent la référence intertextuelle par une
référence réciproque, chacune d’elles étant en somme synonyme de l’autre.
L’anomalie qui rend auberge de la mort capable d’engendrer un texte est
double : paradoxe de rapports très étroits entre des composantes très
différentes ; équivalence de deux formes en dépit du fait que l’une est
subordonnée à l’autre.
La dérivation à partir de cette donnée sémantique transfère sur le plan
narratif le système descriptif du mot auberge, ou du moins une de ses
composantes, le sous-système d’enseigne. Ces deux mots sont liés par une
quadruple surdétermination, dont les quatre séquences fonctionnent comme
autant d’hypogrammes de la phrase de surface (v. 43-45). Celle-ci énonce
un vœu du narrateur : il voudrait savoir où se trouve l’auberge. Sous la
pression de la métaphore route de la vie, le texte traduit en lexique spatial
(v. 46-48 : « je connaîtrais... L’endroit où... Et s’il me faut marcher
beaucoup ») une angoisse éprouvée dans le temps : la phrase de Cocteau est
issue de la matrice je voudrais savoir quand je mourrai.
Le premier hypogramme est la dérivation métonymique d’enseigne à
partir d’auberge. La propriété d’enseigne sur le plan de la mimésis est
double, puisqu’une enseigne réelle non seulement porte une image
d’animal, mais aussi une légende redondante : Au chien qui fume, par
exemple. Cette contiguïté du dessin et de l’écriture fait de l’enseigne (et de
sa contrepartie aristocratique, le blason) un sous-genre de l’emblème. Le
mot cygne gouverne deux relatives, dont la seconde engendre une
rationalisation descriptive (v. 45 : « chante, cependant que lui tordez le
cou »). Ni l’une ni l’autre toutefois n’est compatible avec les règles du
sous-genre, puisque l’enseigne réelle normale n’admet qu’un adjectif ou
qu’une seule relative : ce serait le Cygne qui chante. Cette agrammaticalité
change le sens de la phrase : au lieu d’être littérale (descriptive), elle est
métaphorique (cette enseigne désigne tout autre chose qu’un établissement
commercial). L’existence de l’emblème est niée (v. 43 : « votre auberge...
ne porte aucune enseigne », ce qui ne l’empêche pas d’être décrit
hypothétiquement (v. 44) : l’auberge est donc l’auberge innommée,
inconnue. Inconnu aussi, par conséquent, l’avenir qu’elle symbolise. Une
des variantes d’auberge fameuse dans le sonnet de Baudelaire est le
portique ouvert sur les Cieux inconnus 141. Inconnue ou innommée, auberge
est la matrice lexicale du vers 46, en même temps que la métaphore du
truisme que propose la strophe — que l’homme ignore l’heure de sa mort.
Le facteur littérarisant n’est pas le truisme, mais qu’il soit formulé par le
biais d’un détour verbal.
Le second hypogramme est la dérivation de cygne à partir de mort : le
chant du cygne est à la fois le dernier et le plus beau, et le cygne est l’oiseau
qui chante en mourant. Le texte actualise donc le sème commun à cygne et
à la teneur métaphorique de la donnée. Une lecture linéaire ferait des mots
enseigne et cygne des variantes de l’invariant mort, le premier en code
route, le second en code oiseau. Mais cette lecture linéaire serait inexacte,
puisque la donnée subordonne mort à auberge : cygne, étant issu à la fois
d’auberge et de mort, représente mort doublement, directement en tant que
symbole mythique, indirectement en tant que métonyme mimétique.
L’acceptabilité de la mimésis en dépit de la non-existence manifeste de
l’auberge crée une impression d’artifice et d’ingéniosité, et ceci encore est
un facteur littérarisant.
Le troisième hypogramme est la déviation infligée au sens d’auberge :
elle est moins une halte sur la grand-route qu’un symbole. Métonymisée en
enseigne, elle est dépeinte comme signe. Ce signe étant à la fois décrit et
son existence niée, sa représentation constitue l’équivalent « figuratif » du
conditionnel (v. 44 : « j’y voudrais voir » ; v. 46 : « je connaîtrais »). Le
texte est donc une représentation métaphorique, mais cette représentation
est construite de manière à servir d’icône à la géométrie grammaticale de la
phrase : « géométrie » est le mot propre, puisqu’un mode verbal est
indépendant du sens du verbe qu’il affecte. Or c’est là le centre même du
poème : l’incertitude et cependant l’imminence du dernier moment, bref
l’attente aveugle (voir v. 53-54 : « à la longue, il faut, mort, que je
m’habitue/A vous recevoir dans mon lit »). La vie est définie en termes de
mort à venir, et la mort en termes de désir refoulé (le locuteur dira à la Mort
un peu plus bas, v. 57 : « votre amour attire les amants »).
Enfin, le quatrième hypogramme actualise les sèmes de cygne comme
« oiseau mourant ». D’où les relatives qui saigne et chante, lesquelles
explicitent deux fois le rapport entre cygne et mort (une fois en code cygne :
chanter ; une fois en code volaille : saigner). Cette réduplication entraîne
les incohérences déictiques de la signifiance : la contradiction entre saigner
et étrangler, et la difficulté de chanter et de se faire tordre le cou en même
temps. En fait, il n’y a pas de visualisation possible. Le texte ne décrit pas
par étapes, mais répartit alternativement, le long de la ligne à laquelle il ne
peut échapper, des éléments qui relèvent tantôt du texte, tantôt de
l’hypotexte. Si nous disposions ces deux textes sur deux lignes parallèles,
chante serait au niveau de cygne comme symbole de la mort, et tordez le
cou au niveau de la mort d’un volatile de basse-cour (retour à la mimésis de
l’auberge, puisque celle-ci au fond a pour centre la broche où l’on met la
victime). Toutefois, le rapport entre saigne et cygne est bien plus
intéressant, car il ne s’explique pas par les circonstances du trépas de
l’oiseau mais par une paronomase. Il ne suffit pas de dire que saigne ou
saigne et cygne est le paragramme d’enseigne. La paronomase fonctionne
comme signification, car c’est en saignant que le cygne devient un signe
enseignant. Non seulement parce qu’il existe un thème littéraire de la
blessure comme bouche, et du sang comme voix ou écriture demandant
vengeance (voir le Cid) ; et non seulement à cause du fréquent jeu de mots
cygne et signe ; mais parce que la mort du cygne ne fait que réaliser dans le
récit une affinité qui n’était que potentielle dans le symbolisme du mythe.
Et surtout parce que cygne et saigne survenant après enseigne semblent
fermer le cercle d’une espèce de déclinaison, où cygne infléchit la voyelle
finale d’enseigne et où saigne la rétablit. Circularité qui sollicite l’attention,
aucune autre forme en français ne permettant d’alterner [ιη] et [εη] à la
finale 142. Le cygne de l’enseigne est signe quand il saigne : on ne peut pas
ne pas percevoir cygne comme l’envers de saigne et vice versa. Le jeu de
l’inversion et de la réversion, en modifiant les rapports sémantiques
existants, remplace une règle du langage par une règle idiolectique. Chaque
fois qu’elle se manifeste dans un texte, la primauté de l’idiolecte sur le
langage est, certes, un des aspects de la signifiance.
Mais ce qu’il importe de voir ici, c’est que la pratique, par la lecture, de
la mécanique alternante que je viens de décrire constitue à elle seule la
signifiance de l’ensemble du texte, parce qu’elle établit la règle unique sur
laquelle se fonde dans ce poème l’adéquation de la forme et du contenu.
Unique, parce qu’elle ne se retrouve nulle part ailleurs et réalise par
conséquent l’originalité qu’exige l’esthétique présupposée par les
conventions d’une époque et d’un genre. Unique, parce qu’elle suffit à
structurer toutes les représentations du contenu (c’est-à-dire de la mort) en
fonction d’une donnée subordonnant le système sémantique du texte à une
référence à cette donnée. Le lecteur, en effet, en s’exerçant, pour ainsi dire,
à ce jeu de l’alternance, réalise dans la forme le sens littéral du titre, dont le
sens métaphorique est réalisé dans le contenu.
Ce titre, c’est l’Endroit et l’Envers 143, cliché repris textuellement par
diverses images de la mort : par exemple, mort, à l’envers de nous vivante,
tu composes la trame de notre tissu (v. 5-6), et encore l’ange de la mort,
Thanatos changé en Éros, possédant la mort à l’envers couché (v. 70). Les
alternances formelles sont comme la confirmation sémiotique — mimique
grammaticale que la lecture transfère sur le plan gestuel, presque — de la
justesse du cliché appliqué à une méditation sur la mort : à un lieu commun
sur la mort comme au-delà, image passe-partout, il substitue une
représentation qui n’appartient qu’au texte, et qui est comme la signature de
Cocteau, de la mort comme l’autre face de la vie.
La dérivation du texte à partir d’une donnée sémantique élimine la
référence des mots aux choses et la remplace par la référence des mots à un
système de mots ou à un système sémique situé en dehors du texte. Ce
déplacement s’observe sur deux plans : même les représentations
incompatibles avec le code dérivé de la donnée sont subordonnées à ce
code ; et, d’autre part, les anomalies sémantiques issues de la dérivation
présupposent un intertexte implicite. Voir, par exemple, le sonnet LXXXI
des Fleurs du Mal :
1. FILIATION ET AFFILIATION
large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.
Aucun de ces détails n’a de sens, aucun ne s’impose à l’attention du
lecteur, qu’en tant que partie d’un tout cohérent. C’est l’existence d’un
modèle bien établi, aisément reconnu, qui permet une conversion
simultanée de l’ensemble (le passage du signe plus au signe moins) sans
que le lecteur puisse un instant oublier l’original. Comme toujours quand
une structure est affectée, la modification d’une seule composante entraîne
la modification du système entier.
Les rapports réciproques qui lient les parties du poème excluent toute
possibilité de l’interpréter en les expliquant séparément. Même s’il était vrai
que Rimbaud a eu besoin du bras tatoué de la prostituée de Glatigny pour
avoir l’idée de tatouer les fesses de sa baigneuse, il ne s’ensuivrait pas que
la croupe est au biceps ce que le naturalisme est au réalisme.
Cet ultime détail doit se lire, comme les autres, antiphrastiquement ; il ne
s’agit pas d’un de ces tatouages commémorant des serments amoureux
comme le veut l’usage de certains milieux 159, mais bien de l’envers d’un
cliché littéraire ; moins postérieur inscrit qu’inscription postérieure, qui
inverse l’inscription, le stigmate que l’élu porte au front : formule de
consécration, lumière, ou comme dans le « Desdichado » : « Mon front est
rouge encore du baiser de la reine ». Inversion d’autant plus facile qu’elle
se calque sur un modèle plus général, qui fait du cul l’homologue de la face,
le visage d’en bas : des diables à deux visages des macarons sculptés
médiévaux à Rabelais, les exemples ne manquent pas, et le thème est attesté
dans de grosses plaisanteries toujours en vogue. Quant au langage de
l’inscription, il fait la preuve de ma démonstration. Si la malsaine baigneuse
était un portrait naturaliste, si chaque détail n’avait d’autre raison d’être que
de nous faire croire à la réalité de cette femme, ce latin au bas du dos serait
une anomalie parfaitement gratuite. Dès qu’un détail jure avec l’ensemble
dans un portrait qui se veut calqué sur le réel, c’est toute la vraisemblance
qui s’effondre, car le système du vraisemblable repose sur la cohérence.
Dans ma lecture, au contraire, Clara Venus s’explique naturellement :
l’inscription est dans la logique de l’allégorie ou de l’emblème, même si le
sens de l’image est inversé.
Adoptant ce point de vue structural, nous sommes à même de saisir le
poème comme un tout organique dont toutes les composantes sont
synonymes : elles répètent toutes la signifiance que résument au dernier
vers les mots belle hideusement. Revenons à l’histoire littéraire : nous
pouvons maintenant rendre au poème sa vraie place dans l’évolution de la
poésie française. Il ne s’agit pas ici de réalisme, mais d’un genre
fréquemment exploité par les poètes de la Renaissance, et qui avait déjà des
caractéristiques du Baroque : la monographie versifiée d’une difformité,
d’une maladie, ou de tout le corps mais vieilli ou enlaidi, appliquant en
somme les règles de l’encomium à un objet trivial ou désagréable — par
exemple, l’Hymne à la Surdité de Du Bellay. Bref, il s’agit du
contreblason 160. Car Rimbaud ne fait pas la satire de son époque : certains
critiques ont cru que le sonnet faisait pendant à un autre poème que
Rimbaud écrivit à la gloire de la beauté grecque, qu’il moquait notre âge de
fer, miroir déformant du Beau classique 161. Or le contreblason ne parodie
pas les genres encomiastiques, comme on le dit un peu vite ; il n’est ni
polémique morale ni outil de controverse esthétique. Le sonnet de Rimbaud
n’est pas écrit contre, mais « à l’envers 162 ». Il n’est ni satire ni parodie et il
n’oppose pas la modernité au classicisme. C’est un exercice de
transformation, c’est un cas exemplaire de conversion.
A la réflexion, peut-être vaudrait-il mieux ne pas ramener notre sonnet à
un genre d’un passé lointain ; peut-être serait-ce, après d’autres historiens
littéraires, céder à la tentation du cycle. Elle ne nous conduirait pas loin,
réduisant Vénus anadyomène à une résurrection de genre, à un petit tour de
force du poète adolescent, tout frais émoulu de son éducation classique. Il
serait peut-être plus juste de lire dans ce contreblason l’annonce d’un
changement imminent, de le mettre dans la même catégorie que les
innovations de Lautréamont, que l’écriture de Jarry, et plus tard des
Surréalistes. Il appartient déjà à une littérature fondée tout entière sur le
potentiel des associations lexicales, sur une création toute formelle, où les
mots sont arrangés visiblement par référence à un modèle verbal, et non par
référence au réel. Écriture au miroir, qui reflète un autre texte. Le physicien
déduit l’antimatière des propriétés connues de la matière. Rimbaud déduit
une antireprésentation.
Il appert de ce qui précède que toute comparaison historique fondée sur
des rapprochements mot à mot ou phrase à phrase, ou même entre systèmes
descriptifs, est une comparaison élémentaire et trompeuse. On ne peut
prouver une influence littéraire, on ne peut proposer de classification
historique, que si l’on peut montrer un parallélisme des structures. Il ne faut
pas comparer les composantes d’un texte, mais leurs fonctions.
2. L’HISTOIRE DES LECTURES SUCCESSIVES
Les éditeurs ne manquent jamais d’expliquer que Baudelaire n’a fait que
copier deux vers de Victor Hugo 165, ce qui sous-entend que la comparaison
n’est qu’un ornement n’ajoutant guère au sens. Explication qui ne fait que
repousser le problème, car dans le poème hugolien la caverne est citée
comme thème, comme exemple d’un certain type d’inspiration.
Or il y a beaucoup d’autres allusions littéraires à cette grotte, impliquant
toutes un symbolisme positif — c’est une image de beauté. L’histoire
littéraire ne nous renseigne que sur les origines du stéréotype : c’est la
vogue d’Ossian qui a fait connaître la grotte de Fingal à toute l’Europe.
Devra-t-on conclure que l’image perd sa magie dès que le lecteur n’est plus
capable de la rattacher à Ossian ? Telle est bien l’attitude de l’historien, car
il ne manque jamais de souligner qu’Ossian n’est plus qu’un arsenal
d’images ensevelies sous la poussière. Et pourtant l’image de Baudelaire ne
laisse pas le lecteur indifférent. Cet effet continué est dû à des traits
linguistiques et sémantiques encodés dans le texte, et qui par conséquent
survivent, alors que la grotte de Staffa est bien oubliée. Tout d’abord, si elle
est devenue ingrédient poétique et l’est restée plus longtemps que le bric-à-
brac ossianesque, c’est parce que depuis le dix-huitième siècle la géologie
était un sujet littéraire à la mode, et que cette mode a enrichi de mots
techniques le lexique de la poésie, en particulier le corpus métaphorique.
Deux de ces mots, granit et basalte, ont eu le plus grand succès et basalte
est encore maintenant un mot littéraire, parce que c’est un mot
exceptionnel, même maintenant que son caractère technique n’est plus
sensible : il ne rime qu’avec sept autres mots, tous empruntés à des langues
étrangères 166. De plus, grotte basaltique survit indépendamment du décor
calédonien parce que son système descriptif est bâti sur une structure
sémantique fort remarquable, associant contradictoirement la nature et
l’artifice. C’est la même structure qui sous-tend le cliché architecture
naturelle 167 : elle tire son pouvoir de la coincidentia oppositorum. La
disparition du thème l’a laissée intacte. Même pour un lecteur ignorant de la
mythologie qui avait fourni le vocabulaire actualisant cette structure, elle
continue de fonctionner.
Même le sens parfois disparaît, et pourtant la structure survit, parce que
les mots qui l’actualisent, vidés de leur contenu, gardent cependant leur
fonction. C’est ainsi que le roman du dix-neuvième siècle et du début du
vingtième siècle présente des détails qui semblent n’être là que pour planter
un décor et renforcer l’effet de réel : tel est le cas du mot embrasure. Sa
fréquence est beaucoup trop élevée pour que sa valeur descriptive suffise à
l’expliquer. Mais l’embrasure d’une fenêtre est en littérature la scène où se
déroulent les échanges de confidences passionnées, c’est un lieu de rendez-
vous, c’est le signe conventionnel d’une paradoxale solitude à la périphérie
d’un groupe de témoins (la foule des invités, par exemple, à une réception) ;
c’est encore l’endroit d’où un observateur contemplatif, voire satirique,
observe les petits drames qui se déroulent à côté de lui dans le salon 168. A
l’heure actuelle, ces fonctions n’ont plus aucun rapport avec la réalité, mais
le rôle du mot dans le texte survit à la disparition de la chose en
architecture. Les murs d’aujourd’hui sont trop minces, les pièces trop
exiguës pour que l’embrasure permette des conversations clandestines.
D’autre part, le mot même tend à tomber en désuétude dans la langue de
tous les jours : fenêtre suffit à tous les besoins de la pratique quotidienne
des choses, et on n’imagine guère embrasure que dans des discussions
d’architectes ou d’entrepreneurs. Et pourtant le mot reste une convention
dans le roman : c’est dans l’embrasure qu’un personnage de roman continue
de pousser son interlocuteur pour un aparté, c’est dans l’embrasure qu’il se
réfugie à l’écart. Le sens propre du mot est réduit à rien, sa référence au réel
est une chose du passé. Mais son association constante avec des verbes qui
isolent les personnages suffit à faire d’embrasure une espèce de marque
linguistique. Dans la séquence narrative, le mot, ou son équivalent
périphrastique, symbolise une transition (de plusieurs personnages à un ou
deux, ces deux agissant alors comme une seule personne, d’un commun
accord), ou un changement fonctionnel (le personnage passant du rôle
d’acteur à celui d’observateur, le point de vue changeant de celui d’un
participant à celui d’un observateur du dehors, etc.). Ce symbolisme
conventionnel ne requiert qu’un contexte écrit et n’est pas affecté par les
changements du code ou de la réalité à laquelle le mot prétend renvoyer.
Finalement, il y a des mots qui ont perdu le sens ou la fonction qu’ils
avaient à l’époque où ils ont été encodés dans le texte. L’analyse textuelle
n’en sera pas moins en mesure de détecter des formes secondaires générées
en contexte par la signification disparue. Figées dans la lettre du texte, ces
formes n’ont pas été touchées par l’évolution linguistique. C’est le cas de
l’image d’une architecture insolite au bout du monde, dont Sainte-Beuve
s’est servi pour exécuter Baudelaire 169. Il veut symboliser ce que les Fleurs
du Mal ont d’outré, leur hystérie romantique :
3. RECONSTRUCTION
tandis que l’airain se balance avec fracas sur votre tête, les souterrains
voûtés de la mort se taisent profondément sous vos pieds 176.
ou bien on a l’opposition musique vs. écho, comme dans ces vers des
Harmonies :
C’est cette seconde forme qui est la plus répandue, probablement parce
qu’elle était renforcée par les clichés lugubres du roman noir, où les
roulements du tonnerre ne manquent pas d’éveiller l’écho des souterrains.
Dans les deux formes du cliché, c’est la Mort qui entonne le répons au
plain-chant et, dans le cadre de cette description, l’image du cœur comme
chambre de deuil est donc parfaitement justifiée. La logique de l’image de
la cathédrale motive l’interprétation que demande le contexte : celui qui
écoute est un tombeau vivant 178.
Le système descriptif surimposé au lexique potentiel du thème élimine
certains éléments, mettant en relief les mots du système qui ont un
homologue dans le thème. Cette surimposition fonctionne comme une grille
qui concentre les valeurs du thème, ses connotations — la dimension
historique du poème — sur des mots déjà contextuellement valorisés — sa
dimension stylistique. Dans la pratique du texte, cette grille est une lecture
double, menée simultanément sur le plan du texte et sur celui du thème. La
poéticité du poème résulte des soulignements : elle se manifeste aux points
où intersectent l’axe historique (mythologie) et l’axe syntaxique (phrase).
Les exemples que j’ai donnés montrent assez, je crois, que le matériau
sur lequel travaille l’histoire littéraire est de nature linguistique — qu’il
s’agisse de thèmes ou de motifs, de récits ou de descriptions. L’histoire
littéraire n’a donc de validité que si elle se fait histoire des mots.
2
7. Sémiosis intertextuelle
Le fait littéraire étant la dialectique qui joue entre texte et lecteur, son
explication se fait en deux étapes. Dans la première, on décrit les faits de
style, c’est-à-dire les mécanismes qui à la surface du texte en imposent la
perception uniforme, quelle que soit la fantaisie du lecteur, et en contrôlent
le décodage, ôtant peu à peu toute latitude à l’interprétation. Dans la
seconde, on analyse le processus par lequel les représentations, les faits de
mimésis en viennent à être perçus comme signifiant autre chose que ce
qu’ils semblent vouloir dire : cette sémiotisation définit la littérarité du
texte 182.
MIMÉSIS
SÉMIOSIS
[Il est des animaux au monde dont la vue est si altière qu’elle soutient
l’éclat même du soleil. D’autres, parce que la grande lumière les
blesse, n’osent sortir sinon vers le soir. Et d’autres encore, avec un
désir fou qui espère peut-être de trouver la joie dans le feu parce qu’il
brille, font l’expérience de son autre puissance, celle qui brûle.]
Montrer ce qui caractérise l’œuvre littéraire, tel est, ou devrait être le but
de toute critique. Mais ce caractéristique, on le cherche trop dans l’auteur,
dans sa psychologie plus ou moins bien restituée, pas assez dans l’œuvre,
pas assez dans la forme, qui est tout. Je me propose de définir un aspect
caractéristique de l’œuvre de Chateaubriand, mais je ne veux le chercher
que dans les mots.
Une des obsessions verbales les plus évidentes de Chateaubriand est la
fréquence avec laquelle le mot monument et ses synonymes reviennent sous
sa plume. Les descriptions architecturales abondent dans ses livres. Sans
doute, on retrouve cette préoccupation dans sa vie : il s’est ruiné à bâtir le
mausolée de Pauline de Beaumont, il a voulu en élever un au Tasse, il a fait
le plan du sien, d’une simplicité ostentatoire. Mais ce qui est pertinent à la
littérature, c’est qu’il ait transposé cette obsession dans l’écriture. Ses
Mémoires, voilà son véritable monument : Mémoires, édifice que je bâtis
avec des ossements et des ruines 208, ou encore : Mémoires, temple de la
mort 209. Les écrivant, il s’est comparé à un architecte ; leur lente
croissance, il l’a comparée à celle d’une cathédrale 210. Ce qui le touche, il
le voit facilement en termes d’architecture — souvenirs des plaisirs de la
jeunesse, ruines vues au flambeau 211 ; illusions de la vie, bâtisses fragiles
étayées dans le ciel par des arcs-boutants 212. Tout le monde connaît son
côté poète des ruines, et il se croyait plus grand poète des tombeaux que
Young qui lança le genre.
L’obsession ne fait pas de doute. Mais elle n’explique rien. C’est ce que
l’écrivain en fait qui compte dans l’écriture. L’obsession lui fournit un
vocabulaire. Que dit-il avec ? A quoi Chateaubriand a-t-il employé son
vocabulaire « monumental » ? Puisqu’un tel vocabulaire peut avoir une
orientation positive (édifier, élever ; palais, etc.) ou négative (ruines,
tombes), serait-il la solution, au niveau des formes, de la contradiction
fondamentale de Chateaubriand — d’une part, une pensée constamment
tournée vers la mort, la vanité de tout, le temps destructeur, et d’autre part
une création continue, laquelle présuppose la foi en une victoire de l’art sur
le temps et sur la mort ? Telles étaient les questions que je devais me poser,
et surtout celle-ci : quelles structures ce vocabulaire recouvre-t-il ? Car un
mot obsédant n’a pas toujours le même sens ou la même valeur : son sens,
son effet dépendent des structures sous-jacentes.
Avant d’en arriver aux structures, géométrie abstraite, il faut considérer
dans la réalité concrète du style la fonction des représentations
d’architecture. Or la présence d’une rêverie chateaubrianesque sur le
monument est très sensible dans les figures de style. Encore qu’on ne puisse
dire si le thème monumental est venu en premier, ou si son développement
a été favorisé parce que Chateaubriand a une imagination spatiale. Quelle
que soit la pensée, ou l’artifice de style, qui la soutient, la phrase recourt
souvent à des formes qui, sans aller jusqu’à l’image, suggèrent un instant le
vide d’un espace enclos de murs :
chercher l’ombre, leur égale, pour s’envoler au ciel avec elle, et lui
faire cortège pendant la nuit 221.
hélas ! ces mondes isolés, chacun de nous les porte en soi ; car où sont
les personnes faites pour s’aimer qui ont vécu assez longtemps les unes
près des autres pour n’avoir pas des souvenirs séparés ? 235
Ne sent-on pas dans ces mots désabusés, écrits pourtant auprès de Mme
Récamier, comme la jalousie de se voir refuser entrée dans le plus secret du
cœur de l’être aimé ? Quelle cruauté plus grande, que celle d’un exil ou
d’une solitude au cœur même de l’union la plus étroite ? Contre cette peine,
une défense : la mémoire méditative dont le monument est le véhicule. Car
si la mémoire affective renforce ce monde à part que chaque homme
renferme en soi, ce monde qui est à part parce qu’il est étranger aux lois et
aux destinées générales des siècles 236, la mémoire qu’éveille le monument
est celle que partagent tous les hommes, leur communion dans une émotion
retrouvée d’âge en âge. La mémoire affective ajoutait à la solitude du moi
d’aujourd’hui l’isolement du moi d’autrefois. Le monument, au contraire,
rappelle à l’homme ce qu’il a en commun avec autrui, ce qu’il a de
généralement humain et qui survit à l’individu. Le monument demeure
unique (et par là même foyer d’attentions et d’intentions convergentes), et
permet à celui qui le contemple de trouver son semblable, contemplant le
même monument, et dans son semblable, ce qui lui ressemble, qui fonde la
sympathie et met fin à la solitude. Au moment même où Chateaubriand
regrette que son monde intérieur demeure isolé de celui de Juliette, un
double monument s’offre où convergent leurs méditations respectives : le
château vide de Mme de Staël et son tombeau. Ils peuvent donc communier
dans la similitude de leur situation face à l’abandon et à la mort. Dès lors,
leurs mondes isolés sont liés par une secrète sympathie 237.
Mais ce n’est pas tout que d’expliquer comment une structure a dû se
développer dans un univers imaginaire ; ce n’est pas tout que d’en montrer
le rôle dans le système mémoriel de l’écrivain. Il faut encore comprendre
comment la structure fonctionne, de quelle manière elle est actualisée dans
le texte, quelle que soit la valeur sémantique que le poète lui attribue dans
un passage donné.
Pour l’actualiser — lui donner sa forme visible dans le texte —, la
description pure et simple d’un monument réel ne suffit jamais. Dans le cas
le plus simple, le monument est arrangé, ajusté de manière à dégager sa
signification potentielle. Or le monument concrétise la dimension
temporelle : on peut donc le réduire à une opposition AVANT/APRÈS.
C’est cette opposition que Chateaubriand fait ressortir par son
commentaire :
On voit marcher à la fois Dieu et l’homme. Bonaparte après sa victoire
ordonne de bâtir le pont d’Austerlitz à Paris, et le ciel ordonne à
Alexandre d’y passer 238.
Tout ceci est cousu de fil blanc : en général, Chateaubriand préfère laisser
parler le monument. Mais c’est un monument truqué. Il y a décalage entre
sa représentation et ce que verrait le lecteur s’il lui était donné de
contempler l’édifice réel. C’est ce décalage qui est la voix de l’auteur.
Reprenons, par exemple, l’opposition AVANT/APRÈS. Exprimée dans
ces deux termes, et commentée, elle représentait il y a un instant les
revanches de la destinée. Supprimons le premier terme, et disposons notre
énoncé de manière que APRÈS présuppose un AVANT détruit. Répétons
ensuite les variantes d’APRÈS : nous obtenons un mélancolique symbole de
la fin inéluctable de toute entreprise humaine. Ce sera le motif du lieu vide.
Du lieu vide construit : théâtre, par conséquent, d’activités humaines qu’on
ne connaît que par le fait qu’elles ont cessé. De ce motif, il y a mille
exemples : Venise quasi abandonnée, le vide de l’Escurial dans l’Itinéraire,
puis dans la Vie de Rancé, le retour à Combourg désert, récit transposé dans
René, etc. Spectacle si traumatique qu’il engendre un néologisme, lequel
secoue le lecteur à son tour. L’adjectif inhabité ne dénoterait que le
spectacle du vide : le néologisme déshabité transforme ce spectacle en
« monument » d’un départ, le vide devient viduité. Le lieu vide tend à être
le monument d’un monument, car les abandons se succèdent, chaque départ
représentant une ruine et chaque arrivée le monument consacrant le départ
précédent : sous les yeux de Chateaubriand, le site de Carthage déroule
comme un diorama Didon puis les légions d’Hannibal, qui font place à
celles de Scipion, et celles-ci aux Vandales, et ceux-ci aux Maures, et ceux-
ci à Saint Louis qui ne laisse après lui que le vide du tombeau 240. C’est
peut-être, dira-t-on, parce que l’histoire de Carthage impose de par sa nature
ce genre d’accumulation. Mais la réaction sera identique devant un paysage
très quelconque : telle banlieue de Sarrebruck superpose des camps
abandonnés dont le vide étage les alluvions de cinq invasions barbares, et
les ruines d’un monastère, où le contraste de la paix et de la guerre est lui-
même présenté sous forme de commentaire — inscription commémorative :
là furent des passions qui appelèrent le silence et le repos avant le dernier
repos et le dernier silence 241. Ailleurs, l’abandon physique symbolise une
forme de destruction spirituelle. Écoutons Chateaubriand de retour d’une
visite à la maison vide de Mme d’Houdetot :
Un âtre abandonné intéresse toujours ; mais que disent des foyers (...)
dont les cendres, si elles n’étaient dispersées, reporteraient seulement
le souvenir vers des jours qui n’ont su que détruire 242 ?
Le soleil qui se couchait versait, des fleuves d’or par toutes ces
galeries où roulait jadis le torrent des peuples 243.
Au lieu des cris de joie que des spectateurs féroces poussaient jadis
dans cet amphithéâtre, en voyant déchirer des chrétiens par des lions,
on n’entendait que les aboiements 244.
Il est évident que les mêmes mots, les mêmes images peuvent servir à
représenter aussi bien la vie que le monument : la même structure les
organise. Ce dont Chateaubriand était parfaitement conscient, lui qui disait
dès le Génie du christianisme qu’il y a une conformité secrète entre les
monuments détruits et la rapidité de notre existence 257. En fait, ce n’est pas
de conformité, mais de fusion qu’il faut parler, car la représentation du
monument sert aussi à représenter l’auteur lui-même.
Fusion d’autant plus facile que Chateaubriand répugne à représenter un
monument sans faire intervenir un témoin. La perception, l’existence même
du monument dépend de l’œil qui le contemple. Vulnérabilité de
l’architecture qui n’existe plus dès qu’elle n’a plus de visiteurs, qui ne porte
plus témoignage, comme si elle s’évanouissait avec les hommes et les
actions dont elle devait rappeler la mémoire : elles ne sont déjà plus pour
moi, ces ruines, puisqu’il est probable que rien ne m’y ramènera 258.
L’interdépendance du monument et de son spectateur s’explique sans
doute par les attitudes de l’espèce de tourisme littéraire dont j’ai parlé. Elle
s’explique aussi du fait que les monuments les plus fréquents chez
Chateaubriand sont des monuments funèbres. Or il y a une tradition
littéraire dont l’Anthologie grecque témoigne déjà, tradition qui a son
origine dans les clichés des épitaphes et qui se continue par l’imitation
conventionnelle du langage des épitaphes dans l’élégie. Cette tradition a
instauré en poésie une dialectique du tombeau et du voyageur : Sta viator !
Le voyageur s’arrête et lit à haute voix. Sans lui le message de la tombe
resterait vain. Sans le voyageur, sans le spectateur, le monument ne peut
créer la communication par-delà l’absence. C’est pourquoi Chateaubriand
peut dire qu’une nouvelle mort ensevelira Louis XVI du jour où l’obélisque
de la Concorde sera le centre d’un nouveau désert : plus de témoins, plus de
monument.
Convention poétique utile, qui fournit le schéma des scènes de
méditation. Mais elle offre beaucoup plus qu’une commodité technique :
elle permet de représenter dans le lecteur de l’épitaphe, de répéter ou de
refléter dans le contemplateur du monument la successivité caractéristique
de notre structure :
Je lis sur une pierre les regrets qu’un vivant donnait à un mort ; ce
vivant est mort à son tour, et après deux mille ans je viens, moi barbare
des Gaules, parmi les ruines de Rome, étudier ces épitaphes dans une
retraite abandonnée (...) moi qui demain m’éloignerai pour jamais de
ces lieux, et qui disparaîtrai bientôt de la terre 259.
Les études actuelles sur le narratif tendent vers une sémiotique autonome,
séparée de la sémiotique des diverses formes qui actualisent les structures
narratives à la surface du texte 268 et plus distante encore de la sémantique
propre à un récit particulier — qu’il s’agisse d’un simple conte ou d’un
roman. Les inconvénients de cette tendance devraient sauter aux yeux : au
mieux, elle ne peut aboutir qu’à une grammaire des possibles narratifs et à
une typologie abstraite. Or cette sorte de grammaire ou de typologie peut
décrire les fonctions actantielles, et des rapports comme ceux qui unissent
le narrateur et son destinataire, qu’il faut distinguer des rapports entre récit
et lecteur 269. Mais elle ne saurait montrer comment ces fonctions sont
actualisées dans les mots, et encore moins comment le lecteur les perçoit (si
une certaine latitude lui est laissée, quel est le seuil de perception ? etc.).
L’analyse narrative reste donc en deçà du phénomène littéraire, puisque
celui-ci est une interaction du texte et du lecteur.
Il pourrait paraître légitime d’étudier séparément le texte comme narratif
et le texte comme lieu de la littérarité (comme objet de la perception du
lecteur, ne serait-ce que pour mieux cerner les problèmes et diviser les
difficultés, et à condition de ne pas oublier que les résultats ainsi obtenus
resteraient incomplets et ne pourraient être interprétés sans tenir compte des
facteurs éliminés). Malheureusement, le vrai problème n’est pas résolu, car,
quelles que soient les précautions prises, cette méthode considère le récit
sous un angle qui ne permet pas d’en discerner la littérarité. La
« narratologie » en effet donne la priorité aux structures, en vertu de ce
postulat de Greimas 270 qu’il existe une organisation immanente du narratif
antérieure à la réalisation textuelle. De celui-ci, Greimas conclut que la
signifiance n’est pas générée directement par le texte, mais qu’elle prend sa
source dans les structures narratives. Certes, il est vrai, et logique, que la
structure précède son actualisation. Mais c’est la pertinence de l’approche
qui est sujette à caution ; une analyse fondée sur ce postulat ne considérera
le texte que comme l’aboutissement, le produit final d’un processus
génératif. Or le phénomène littéraire se situe dans l’échange dialectique
entre texte et lecteur ; en conséquence, le texte n’a d’existence ou de
fonction littéraire que comme point de départ du processus génératif, lequel
se déroule dans l’esprit du lecteur. C’est du texte que part le lecteur ; c’est
au texte qu’il essaie d’ajuster ou d’adapter son propre apport, l’input de sa
mythologie, de son sociolecte ; c’est sur le texte qu’il construit son
échafaudage herméneutique.
Aucune typologie narrative ne peut rendre compte de ces réactions, car
elles se produisent justement à partir de formes concrètes, de formes
linguistiques. Et si l’analyse ne porte pas sur ce système concret et sur son
décodage, elle passe à côté des caractères intrinsèques de l’œuvre d’art, de
ce qu’elle a d’unique. Je ne veux pas dire qu’il faille renoncer à formuler
des règles générales, puisqu’il n’est de science que du général, mais je
propose de les chercher ailleurs. Au lieu de chercher les règles qui
gouvernent les structures narratives, il me semble qu’on devrait chercher les
règles qui gouvernent leur actualisation textuelle, les règles, par conséquent,
qui gouvernent le fonctionnement du discours littéraire comme
communication. Aux conditions minima de la communication, la narrativité
ajoute les contraintes qu’impose la séquence événementielle (suspens,
téléologie, se conformant ou non à ce qui était prévisible). Mais ces
contraintes n’ont pas de sens indépendamment de la signification, littérale
ou métaphorique, des événements et des personnages représentés. Ces
événements ne sont pas des situations, ces personnages ne sont pas des êtres
vivants. Personnages et événements sont des mots, et ces mots avaient déjà
un sens avant d’entrer dans le texte. La communication dépend à la fois de
ce sens et des transferts sémantiques, des catachrèses, résultant
d’équivalences qu’établit le récit entre des représentations ou des concepts
qui dans la langue n’avaient pas de rapport les uns avec les autres. Il y a une
autre raison de chercher des règles d’actualisation : elles seules peuvent
rendre compte du fait que le texte attire l’attention du lecteur sur les traits
qui indiquent sa signifiance, laquelle doit être distinguée du sens du contenu
de l’« histoire » qui nous est racontée. Elles seules peuvent expliquer
comment le texte guide le lecteur vers une interprétation correcte. Aussi
doivent-elles expliquer comment il peut se rappeler, et réinterpréter
rétroactivement, des détails qui semblaient négligeables, des incidents sans
portée, quand il les avait rencontrés au cours de sa lecture, et y reconnaître
les clés du ou des symbolismes du texte 271.
J’ai choisi comme exemple la Paix du ménage de Balzac. Sa brièveté me
convient 272, car les étroites limites dans lesquelles l’intrigue doit se
dérouler donnent à ce petit roman quelque chose de schématique, qui fait
ressortir le caractère de mécanique bien huilée de ses épisodes. L’imbroglio
est à la fois compliqué et facile à débrouiller. Il a une « clarté
didactique » 273 qui a séduit les connaisseurs et où les critiques ont voulu
voir un emprunt du roman aux techniques de la scène 274.
Pourtant, si nous en croyons l’intention exprimée par le romancier, le
véritable intérêt de l’œuvre serait d’ordre moral : c’est un roman de mœurs,
selon Balzac, une étude de la société française à l’apogée de l’Empire,
d’une époque de mœurs dissolues, de fiévreuse poursuite du plaisir. Les
femmes d’alors, nous dit-il, se jetaient à la tête des jeunes héros de l’armée
impériale. L’intrigue et le dénouement, conçus sur le principe du
boomerang, ont le ton de la comédie légère : un roué entreprend de séduire
la femme de l’homme dont il a déjà volé la maîtresse ; mais la cour qu’il lui
fait permet à l’épouse de ramener à elle son mari en éveillant sa jalousie, et
la maîtresse abandonne le roué pour un tiers. La femme légitime fait
semblant d’encourager notre débauché en acceptant le diamant qu’il lui
offre pour la séduire, diamant qui, en fait, était à elle et que son mari lui
avait dit avoir perdu, alors qu’il l’avait donné à sa maîtresse, qui à son tour
en avait fait cadeau à son autre amant, notre roué. Ayant recouvré le
diamant, l’épouse force son mari à confesser ses torts : il revient à elle. En
dehors de ce happy ending, qui se déroule comme il convient dans l’alcôve,
toutes les péripéties se succèdent pendant le bal donné par un riche sénateur
pour célébrer une victoire de Napoléon. Le mari n’avait aucune intention
d’y amener sa femme : elle y paraît à l’improviste, sans personne pour
l’accompagner, dans l’espoir de surprendre ses intrigues. Elle s’assied,
solitaire, dans un endroit d’où elle peut tout voir, et être vue de tout le
monde. Elle est belle, inconnue, sans cavalier : bien entendu, les hommes
lui tournent autour, les femmes sont jalouses et son mari, convaincu qu’elle
veut se venger de son infidélité en lui rendant la monnaie de la pièce, se
dévore d’une rage impuissante.
Elle est, littéralement, le centre de l’attention. Sur le plan narratif, elle est
le point focal du roman entier, l’objet de tous les désirs — désir de la
reconquérir, ou de la posséder, au moins désir de la connaître. Sur le plan de
la description, ce point focal coïncide avec le centre du décor, qui est aussi
le point où se concentre la lumière, le lieu du maximum de visibilité, le
point de mire de tous les regards, au pied d’un énorme candélabre
ornemental. Dans chaque épisode le regard joue le rôle le plus important : le
séducteur fixe sa victime des yeux ; elle est guettée par la maîtresse, par le
mari, et par le troisième larron, qui épie les deux autres observateurs et va
exploiter à son avantage la jalousie de la maîtresse. Cependant l’épouse
surveille le mari, bouclant la boucle des regards et des désirs. Tel est le
mécanisme du suspens et le moteur de l’intérêt du lecteur. Tous ces rapports
sont faciles à décrire en termes de structures narratives : on pourrait se
servir du modèle d’alternance entre amélioration et dégradation où
Bremond propose de voir la structure fondamentale de la narrativité 275.
Nous avons ici un exemple parfait d’équilibre (la circularité des désirs)
engendrant un déséquilibre. Le roué actualise cette transformation en
agissant (pour satisfaire un nouveau besoin, son désir de conquérir
l’épouse) selon les règles de sa fonction actantielle : le blocage automatique
du processus d’amélioration déclenche chaque fois un processus de
dégradation (il compromet sa conquête en essayant d’en faire une autre). La
dynamique narrative du roman est tout entière dans l’équilibre des deux
processus : les actions autodestructrices du roué correspondent point par
point aux actions par lesquelles l’épouse améliore sa propre situation. La
preuve que les deux processus sont complémentaires, c’est qu’elle ne fait
pas grand-chose : simplement, tout ce que sa contrepartie fait de négatif
dans son code à lui est positif une fois réécrit dans son code à elle.
Mais ce modèle est si simple qu’il s’applique à beaucoup de textes, et ne
peut rendre compte de ce que notre roman a en propre. Au mieux, il permet
de motiver un jugement de valeur, un peu bien vague, de louer en
connaissance de cause le parfait équilibre entre des forces contraires, et la
tension qu’il crée — plaisir de la lecture.
Il existe toutefois un fait textuel pertinent aux caractéristiques propres de
ce récit. Il relie entre elles les deux grandes caractéristiques du texte, à
première vue étrangères l’une à l’autre — l’interaction presque mécanique
des actions et des acteurs, et l’intention morale de l’histoire (ou la parodie
de cette intention). Il s’agit d’une constante formelle de la surface du texte
sans laquelle les structures énumérées n’auraient pas d’effet sur le lecteur et
ne pourraient contrôler son décodage. Cette constante est le détail visuel du
candélabre — le seul que souligne mécaniquement une répétition 276. Dans
chacun des épisodes que j’ai passés en revue, il est fait allusion au
candélabre qui est décrit en fonction de l’épouse : il lui est associé par un
double rapport de contiguïté physique avec elle et de contiguïté verbale
avec les mots la désignant. Cette constante contiguïté engendre un trope ; le
candélabre est un métonyme de l’épouse, et cette métonymie correspond
exactement au point focal du récit et de la description : elle le symbolise.
Jakobson a montré l’importance de la métonymie dans la mimésis, tout
particulièrement dans le réalisme. Le lecteur le plus ignorant de la
rhétorique est conscient de l’importance des descriptions de décors dans le
roman, espèces de périphrases désignant les personnages, leurs émotions,
leur état d’esprit, et surtout leur évolution psychologique et morale.
Or c’est le texte même qui indique au lecteur comment interpréter les
métonymies. Dès le début du roman, dès la deuxième page, un exemple est
donné de la manière dont la métonymie signifie, et il servira de modèle
pour le déchiffrement des métonymies à venir. A première vue, cette
métonymie semble n’être rien de plus qu’une comparaison :
les passions (avaient) des dénouements aussi rapides que les décisions
du chef suprême de ces kolbacs, de ces dolmans et de ces aiguillettes
qui plurent tant au beau sexe (p. 993).
Le héros comme objet de désir est remplacé par son uniforme ou ses
insignes, et cette réification a en contexte un effet comique, voire satirique,
dans la mesure où elle en dit long sur les ressorts de la passion 277 ou sur le
vide intérieur de son objet.
Mais en soi la substitution indique au lecteur le postulat du récit — que
chaque objet décrit est le signe de quelque chose d’autre. L’objet décrit a
une triple signification : comme description il implique la réalité de
l’histoire racontée ; il réfère à la paranoïa qui saisit tous les personnages ;
et, comme représentation symbolique, il révèle indirectement ce qui se
passe, ce qui arrive aux personnages dont il est l’attribut. Dans chaque cas,
le lien métonymique n’est pas simplement la contiguïté physique qui existe
entre les référents (du soldat à l’uniforme, par exemple), mais les
collocations lexicales qui sont déjà des lieux communs. Le complexe
sémantique d’un récit donné n’est en effet pas seulement soumis aux
contraintes lexicales et grammaticales du langage et aux exigences de la
mimésis : il dépend aussi d’un réseau sémiotique dont la validité est
généralement limitée à l’idiolecte.
Cette règle générale s’applique au candélabre, et de manière pertinente au
narratif, car, à chaque tournant de la séquence événementielle, la relation
métonymique entre épouse et candélabre est mise en relief de manière à
s’imposer à l’attention du lecteur. L’isolement du candélabre dans le grand
salon souligne que le personnage assis auprès est le centre de l’action. La
lumière qui en tombe à flots sert de code pour exprimer hyperboliquement
la curiosité ou les désirs des autres personnages. Et le candélabre finit par
symboliser la protagoniste — incident significatif à cet égard : à la première
question qu’on pose sur elle, le maître de maison comprend de travers et
croit qu’on lui demande le prix du candélabre (p. 998).
Non seulement le candélabre motive l’action en expliquant pourquoi
l’épouse obsède tout le monde, mais sa description propose un modèle
herméneutique. L’épouse, par exemple, dans son rôle de cible des désirs est
présentée comme une énigme à résoudre : le lecteur ne peut s’y tromper, car
bien qu’elle soit assise sous le candélabre, en pleine lumière, le texte nous
la montre « enterrée dans l’obscurité malgré les bougies qui brillent au-
dessus de sa tête... repoussée de chaise en chaise par chaque nouvelle
arrivée jusque dans les ténèbres de ce petit coin 278 » (p. 996) ; et le désir de
résoudre l’énigme, lui-même métonymique du désir de la conquérir, est
exprimé en termes de lumière (« l’homme le plus déterminé à mettre en
lumière notre plaintive inconnue [qui] a un peu l’air d’une élégie », p. 996).
J’ai dit que la jalousie est le mécanisme qui fait marcher les personnages
à l’unisson, chacun s’efforçant d’empêcher les autres de découvrir ce qu’il a
en tête : le mari tuerait plutôt que d’avouer qu’elle est sa femme ; sa
maîtresse ne peut pas supporter d’entendre parler d’elle, etc. Ce « bloc »
aussi est représenté par une métonymie qui fonctionne comme un
refoulement subconscient :
Vous craignez de voir Martial aux pieds... De qui ? demande la
comtesse en affectant la surprise... De ce candélabre, répondit le
colonel en montrant la belle inconnue (p. 1009).
L’HUMOUR DE LA DIGRESSION
Tel était cet ancien Paris, livré aux querelles, aux indécisions et aux
tâtonnements. Il fut longtemps assez bête. Plus tard, 89 montra
comment l’esprit vient aux villes 293.
L’HUMOUR NARRATIF
Il allait à la messe plutôt par douceur que par dévotion, et puis parce
qu’aimant le visage des hommes, mais haïssant leur bruit, il ne les
trouvait qu’à l’église réunis et silencieux. Sentant qu’il fallait être
quelque chose dans l’État, il avait choisi la carrière de marguillier. Du
reste, il n’avait jamais réussi à aimer aucune femme autant qu’un
oignon de tulipe ou aucun homme autant qu’un elzévir 305.
La pauvre bonne vieille femme était vierge. Sultan, son matou, (...)
avait rempli son cœur et suffisait à la quantité de passion qui était en
elle. Aucun de ses rêves n’était allé jusqu’à l’homme. Elle n’avait
jamais pu franchir son chat. Elle avait, comme lui, des moustaches 306.
Que faut-il entendre par représentation, dans quel sens peut-on parler de
description, de peinture dans un texte littéraire ? Quels sont les rapports de
la mimésis et de la littérarité ? Depuis Auerbach, c’est surtout par l’étude du
réalisme, et du réalisme dans le roman, qu’on cherche à répondre à ces
questions. Ce qui est naturel puisque l’authenticité est l’un des critères de
l’esthétique romanesque, l’aptitude à créer l’illusion du vrai (et, dans le cas
du réalisme, d’un vrai à la portée de tous, vérifiable dans l’expérience
quotidienne). La poésie a été négligée, sans doute parce que son esthétique
demande une transmutation — sublimation ou simple décalage de
l’expression. D’ailleurs, l’altération de la fonction référentielle, qui
caractérise toute expression littéraire, y est plus aisément démontrable
qu’en prose 310.
Cependant, les lecteurs, et la critique traditionnelle, appliquent d’instinct
à l’énoncé poétique le même critère qu’à l’acte de communication normal,
qu’à l’emploi utilitaire de la langue : on compare le poème avec la réalité.
On parle de vérité, comme dans le cas de la mimésis romanesque, de
ressemblance, de justesse frappante. Ou, au contraire, d’impropriété de
l’expression, de vague dans la description, d’audace ou d’obscurité dans
l’image, de fantaisie. La réaction au poème oscille entre un constat de
fidélité au réel et un constat d’infidélité. Des jugements de valeur se fondent
sur ces constats, et c’est l’esthétique en cours qui les oriente. Tantôt on
admire la fidélité du trait, tantôt on n’y veut voir qu’une copie servile. Il en
va de même à l’égard de la représentation infidèle : mais qu’elle soit libre
fantaisie ou, selon une autre école, imagination déréglée, c’est dans les deux
cas parce que le texte dérange le réel 311, ou dépasse le possible, cet
analogue du réel. Donc, quelle que soit l’interprétation, elle présuppose que
les choses sont la pierre de touche des mots : tout l’effort de la philologie a
été de reconstituer des réalités disparues, de crainte que le poème ne meure
avec sa référence.
A première vue, le recours à la réalité semble d’une validité indiscutable,
si le texte est « figuratif », s’il se présente expressément comme une
description. De même dans le cas de l’image : s’il s’agit d’une
représentation partielle, comme la métonymie ou la synecdoque, le lecteur
doit être en mesure de la compléter à partir d’un détail, et il ne peut la
compléter que s’il y a consensus sur la forme des choses auxquelles il est
fait allusion ; s’il s’agit d’une représentation double, comme la comparaison
ou la métaphore, une ressemblance doit être perceptible entre le véhicule et
la teneur de l’image.
Pourtant, en dépit de toutes ces bonnes raisons, la comparaison du poème
avec la réalité est une approche critique d’efficacité douteuse : elle aboutit à
des conclusions sans pertinence, car elle reste en deçà ou en dehors du
texte. Toutefois, même si le recours à la réalité n’est qu’une rationalisation
inexcusable chez le critique, cette même rationalisation est une des
modalités de la relation entre texte et lecteur, laquelle constitue le
phénomène littéraire. Il faut donc essayer d’en rendre compte.
Je prendrai pour exemple un poème complet et plusieurs extraits de
Victor Hugo : ils sont comparables, étant des variantes d’une même
structure thématique 312 (en l’occurrence, l’une des structures qui organisent
le thème du temps). Le poème est « Écrit sur la vitre d’une fenêtre
flamande 313 » :
Le parallélisme de ces vers avec ceux d’« Écrit sur la vitre... » s’impose
et éclaire ces derniers : ici comme là le Temps abuse de sa supériorité et
l’aiguille commet une farce comparable à celle que se permet l’Espagnole.
La plaisanterie est plus grossière, mais l’analogie évidente : le seau est au
puits ce que le tablier est à la danseuse.
Cheval est engendré par aiguille avec la même rigueur que danseuse par
carillon ; l’imagination n’est pas plus libre, l’invention nullement plus
gratuite. L’aiguille est captive du cadran où elle tourne et ce mouvement
mécanique et circulaire a un potentiel péjoratif (potentiel sensible jusque
dans le cliché familier tourner en rond). Il est activé par la coloration
négative 356 que le contexte donne au Temps : il n’est qu’un néant au regard
de l’Éternité. D’où la transposition, toujours facile, du sème « mécanique »
en hébété ; le mouvement circulaire abrutissant devient le manège où une
bête de somme fait tourner une machine symbolique de sa servitude 357.
L’énoncé pouvait, à ce point, bifurquer vers la meule ou vers la noria. Trois
facteurs ont déterminé le choix de la seconde possibilité. Premièrement,
l’idiolecte hugolien présente une équivalence sémantique entre les
synonymes d’infini et puits ; puits peut être un substitut d’abîme, sans plus,
mais, si les systèmes de la teneur et du véhicule concordent, le mot
engendre une représentation très « réaliste » de puits d’où l’on tire l’eau
(par exemple : « Qu’est-ce que ton anneau, Saturne ?/Est-ce que.../Quelque
vaste archange puni.../Fait tourner sur cette poulie/La chaîne du puits
infini 358 ? ») Deuxièmement, Hugo résout le problème de la mimésis des
sons en décrivant la musique comme un liquide qui se déverse sur
l’auditoire : la cloche est un vase plein de rumeur qui se vide dans l’air 359.
Et troisièmement, la structure définie plus haut organise ces éléments déjà
convergents en code « farce de chambrée 360 ».
Je citerai encore une variante, parce que l’incompatibilité entre les
structures descriptive et thématique y est particulièrement frappante. Le
style y relève du lyrisme métaphysique, et la métaphore est filée plus
longuement que dans les extraits précédents. Mais on reconnaît sans peine
le système descriptif de l’horloge et notre structure thématique :
Et l’avenir est une fleur fanée : Les lys jaunis des lendemains 391, phrase
particulièrement efficace, puisque jauni ne nous renvoie pas à n’importe
quel détail réel ; jauni annule un sème essentiel du mot lys, candeur
exemplaire. Se faner est moins le sort de toute fleur qu’une marque négative
annulant le caractère positif du nom de fleur (le lys étant un métonyme de
beauté en code floral) : c’est un procédé typique du Décadentisme que de
représenter la beauté comme non-beauté.
La mimésis du passé se fait en code de regret ou de manque. Par
exemple, une série de représentations d’objets sous la cloche de verre, où
chacune est affectée d’un adjectif abolissant la présence de l’objet :
et sinon Virgile, du moins l’imitation qu’en avait faite Victor Hugo 395.
Troisièmement, pureté et pourriture sont l’une et l’autre représentées par
des clichés (des roses et des lys, fièvres des marais), mais au lieu qu’ils
restent séparés, face à face, ils zigzaguent d’un pôle à l’autre, chaque signe
négatif faisant partie du même syntagme qu’un signe positif — répartition
qui ne peut que souligner qu’il s’agit avant tout d’un jeu verbal. Ce que
confirment d’autres variations tout aussi systématiques. Ce mélange du
négatif et du positif qu’on vient de voir en code floral, on le retrouve dans
un code ornithologique : « Et je crois que les cygnes ont couvé des
corbeaux 396. » L’agrammaticalité de l’histoire naturelle est la trace que
laisse la structure à la surface du texte. Autres variantes :
Telle est la pression du motif réprimé que des variantes d’où la serre est
absente en sont à leur tour affectées. Dans le poème intitulé
« Attouchements », un petit quatrain accumule des énoncés synonymes :
d’abord, des sources empoisonnées, archétype de pureté souillée commun à
toutes les mythologies ; puis de jeunes cygnes — deux fois purs, par leur
jeunesse et par leur candeur — sont perchés dans un nid de ciguë ; enfin, un
impossible fleuve vénéneux, où le paradigme culmine en non-sens. Mais ce
n’est que par référence aux choses. Sur le plan des mots, poison est d’abord
passé de l’air malsain qui fait partie du système de serre aux fleurs elles-
mêmes, et par conséquent a engendré vénéneux, adjectif qui ajoute à
empoisonné le sème « végétal » (comme venimeux y ajouterait un sème
« animal ») ; cet adjectif est alors devenu la marque automatique de tous les
mots qui servent de variantes à notre structure. Ailleurs, vénéneux se
combine avec des représentations d’espaces fermés ou couverts, dessinant
dans le texte comme un fantôme de la serre négative : par exemple, mes
sœurs sont condamnées au fond d’une grotte vénéneuse, ou ceci encore dont
la bizarrerie même est la preuve de ce que j’avance : les cygnes souffraient
sous un pont vénéneux 400. Contamination verbale, négativisation de tous les
symboles, qui est elle-même l’icône d’une dégradation universelle, d’un
mal envahisseur, thème décadent.
La plupart des variantes de contre-nature sont actualisées en code floral,
mais si un autre code est utilisé, son choix dépend de celui des sèmes de
contre-nature ou d’artifice qui aura été mis en relief. S’il s’agit du sème
« malsain », la variante de la serre est le mot hôpital ou hospice, qui a en
commun avec la serre une atmosphère irrespirable ou putride, du moins en
littérature : ce n’est pas par hasard que Huysmans compare la serre de Des
Esseintes à un hôpital 401. L’hôpital de Maeterlinck est si complet, si détaillé
qu’à première vue on croirait un tableau réaliste : il a ses religieuses, ses
infirmiers, ses ambulances, et même des calorifères. Mais, si réaliste qu’il
soit, sa fonction demeure celle d’un substitut de la serre : par endroits, le
texte établit la corrélation — des malades, par exemple, ont l’air de blessés
soignés dans une serre chaude 402. Ailleurs, la description de l’hôpital, de
détail en détail, rejoint insensiblement celle d’une serre : les fenêtres sont
closes (avec cette précision révélatrice : à l’abri du dehors) ; l’intérieur est
chauffé, bien qu’on soit en juillet ; la salle des malades contient un jet d’eau
et son bassin ; et il y a des fleurs, et même une végétation orientale dans
une grotte de glace 403, périphrase déguisant la serre sous une contradiction
dans les termes. L’adynaton, en effet, n’existe que si on lit le texte comme
la description d’une réalité ; il disparaît si on y reconnaît une périphrase ou
un jeu d’approximations où végétation orientale présuppose serre, où grotte
représente sa clôture protectrice, et où glace n’est autre que sa surface
vitrée.
Passons aux variantes actualisant le pôle contraire, celui du monde
extérieur, de l’air libre. La vie dans la serre étant décrite en termes de mort
ou de stagnation, la vie du dehors lui est opposée par une constante
observable dans toutes les variantes sans exception : une représentation de
mobilité. Ce sera un mouvement, un élan ou, mieux encore, le départ — de
tous les mouvements, le plus naturellement chargé d’émotion, et le plus
propre à servir d’antithèse à la prison, fût-elle de verre. De l’hôpital de tout
à l’heure, malades et religieuses regardent ou écoutent passer des bateaux
sur le canal proche. Comme toujours lorsqu’un texte actualise une
opposition binaire, celle-ci tend à se polariser : c’est pourquoi les bateaux
vus de l’hôpital sont des paquebots transatlantiques. Ils sont peut-être
inattendus sur un canal, mais le vaisseau de haute mer, dont le paquebot est
l’hyperbole, s’oppose mieux à une vie restée « en rade 404 ». Les détails les
plus tirés par les cheveux — certains sont presque grotesques — ont leur
place dans le système et sont pleinement motivés par la polarisation : le
poème nous dit que l’infirmier de service était naguère chasseur d’élans,
pour bien contraster la vie sédentaire de l’hôpital-serre et la vie d’errance
ou de voyage ; sans doute y avait-il des exemples plus vraisemblables ;
mais, si la dérivation sélectionne un improbable trappeur, c’est qu’élans, par
la grâce de l’homophonie, représente aussi une mobilité hyperbolique, un
mouvement à marque positive 405.
La composante « frustrante » ou « tantalisante », dans l’opposition du
dedans et du dehors, engendre ses propres variantes en passant d’une
catégorie sensorielle à l’autre. Dans le code de la serre, la fonction du mur
de verre était de laisser voir tout en empêchant de toucher. Remplaçons les
vitres par un mur de pierre, la vie du dehors sera perçue, désirable, par les
bruits qui seuls traversent l’obstacle : un prisonnier écoute faucher l’herbe,
il entend élaguer les arbres ; le malade de l’hôpital (la polarisation en fait un
invalide et un incurable) entend défiler un cortège et sa musique 406.
Si l’inaccessibilité du dehors est exprimée littéralement par un verbe de
désir ou un optatif, le vœu ou l’espoir implique la destruction de l’obstacle,
l’échange entre les pôles, le dehors envahissant la serre : Mon Dieu ! quand
aurons-nous la pluie,/Et la neige et le vent dans la serre ; ou encore : ces
troupeaux de mes désirs dans une serre/Attendant une tempête 407.
Si l’inaccessibilité du dehors est exprimée figurativement, le désir est
représenté par la faim ou la soif, sa frustration par la mort qui en résulte :
J’entends s’élever dans mes moelles des désirs.../Et sous des cieux toujours
couverts (variante de la muraille de verre)/Je souffre une soif sans étoile ;
ou bien : au seuil clos de mes rêves/... la lune éclaire.../Mes désirs malades
de faim, où l’éclairage lunaire, inversion du soleil que présuppose la serre,
est une marque négative de plus ; ou bien : Toutes les châtelaines sont
mortes de faim, cet été, dans les tours de mon âme 408, où les
châtelaines — ailleurs, ce seront des princesses du sang — complètent le
tableau de la faim à l’aide d’un personnage d’affamé fourni par la
mythologie. Dans la tradition, il n’est qu’une image très pathétique de
l’emprisonnement : dans ce contexte, il incarne la frustration.
Des transformations si constantes et si radicales, menaçant si
évidemment la mimésis, détruisant si ouvertement la référentialité du
langage, suggèrent que le trait décadent qui caractérise Serres chaudes,
c’est la visibilité de l’artifice. Il ne s’agit pas d’une représentation de
l’artifice, comme dans A Rebours, ni d’un artifice proposé comme idéal,
comme l’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam. C’est un artifice formel :
l’évidente synonymie que le texte propose entre des images fort différentes,
la déformation de ces images selon un modèle invariable contraignent le
lecteur à les déchiffrer non pas en fonction d’une réalité dont elles sont
désormais divorcées, mais en fonction de ce modèle, c’est-à-dire de la
structure. Elles le forcent à lire le texte comme une gamme, comme une
séquence de variations.
Cette lecture formelle, cet exercice (au sens où l’on parle d’exercices
pour piano) n’exclut pas entièrement un fonctionnement littéraire plus
traditionnel : le lecteur reste libre de trouver dans le texte un message, une
idée de la vie qui relève d’un romantisme attardé ; un idiolecte se
développe, qui crée ce rapport unique du fond et de la forme à partir duquel
le lecteur rationalise une originalité, le faire d’un artiste, un style, etc. :
chaude, par exemple, dans le titre « Ame chaude », ne peut plus suggérer
ferveur ou enthousiasme, comme dans l’usage, mais seulement mélancolie
et impuissance, en fonction de la matrice du titre Serres chaudes.
Mais l’important, c’est que même cette pratique traditionnelle du texte
n’élude ni n’oblitère jamais l’artifice. La littérature française qui précède
immédiatement le Symbolisme cache l’artifice sous la cape de
l’inspiration ; son esthétique en fait donne à l’artifice tout ce que l’artificiel
a de péjoratif, et le place au bas de son échelle de valeurs. Le texte
décadent, au contraire, proclame son artifice et l’admet à tous les échelons :
revenons un instant à une forme consacrée, conventionnellement pathétique
et « élevée », le motif des châtelaines mortes de faim dans les tours de mon
âme ; il est révélateur qu’elle soit le point de départ d’un exercice purement
formel. La version les pensées d’une princesse qui a faim, par exemple,
engendre la permutation suivante : toutes les filles du roi errent un jour de
diète, à travers les prairies 409 ; dans tout autre texte, ce serait une parodie,
mais, dans le contexte d’un exercice, l’image ne fait que récrire inversement
la serre dans le code de son contraire, le discours du dedans traduit en
discours du dehors. Le poème est un énoncé qui se réflète soi-même. Une
forme est à peine donnée qu’elle produit son synonyme ou son contraire. La
littérarité décadente, ici, c’est donc cet automatisme qui annule toute
hiérarchie esthétique, et qui choisit précisément un code sacralisé, le
discours de l’angoisse de vivre, pour faire jouer sa mécanique.
13. La métaphore filée dans la poésie
surréaliste
1.1. Ce qu’on appelle métaphore filée 411 est en fait une série de
métaphores reliées les unes aux autres par la syntaxe — elles font partie de
la même phrase ou d’une même structure narrative ou descriptive — et par
le sens : chacune exprime un aspect particulier d’un tout, chose ou concept,
que représente la première métaphore de la série. Exemples :
(I) (Sainte-Beuve)
Tel filet d’idée poétique qui chez André Chénier
découlerait en élégie, ou chez Lamartine s’épancherait en
méditation, et finirait par devenir fleuve ou lac, se congèle
aussitôt chez moi et se cristallise en sonnet 412.
(II) (Desportes)
Je veux bastir un temple à ma chaste Déesse :
Mon œil sera la lampe, et la flamme immortelle
Qui m’ard incessamment, servira de chandelle :
Mon corps sera l’autel, et mes soupirs les vœux 413.
(III) (Balzac)
La terre promise de la vallée de Provins attirait d’autant
plus ces Hébreux, qu’ils avaient (...) traversé, haletants, les
déserts sablonneux de la Mercerie 414.
(VII) (Reverdy)
le rire de cristal des roches (rire de cristal → cristal de
roche)
(VIII) (Éluard)
métal qui nuit, métal de jour
(IX) (Éluard)
Ancien acteur qui joue des pièces d’eau
(X) (A. Breton)
Dore avec l’étincelle la pilule sans cela noire de
l’enclume.
(XI) (A. Breton)
j’avais passé la nuit... tapi dans les hautes herbes d’une
place publique, du côté du Pont-Neuf 424.
2. LA DÉRIVATION
(XIII) (Éluard)
Un bel arbre
Ses branches sont des ruisseaux
Sous les feuilles
Ils boivent aux sources du soleil
Leurs poissons chantent comme des perles 431
(XIV) (Éluard)
Un coq à la porte de l’aube
Un coq battant de cloche
Brise le temps nocturne sur des galets de promptitude 437.
3. FORMES ARBITRAIRES
Le vers semble être une image illustrant l’idée de naissance à une vie
nouvelle, qui tirerait son effet de la superposition du véhicule phénix à une
teneur source (elle-même déjà peut-être métaphorique en contexte). Une
gêne ressentie à première lecture révèle que cette signification est bien
contenue dans renaître de, mais que la construction exigerait un
complément exprimant cette mort dont le verbe triomphe. Il faudrait
cendres en contexte phénix, rocher ou sol desséché en contexte source.
Source et phénix devraient être en fonction de sujet, puisque c’est la seule
fonction où ces mots auraient le symbolisme requis ; par exemple : *et
quand tu renais, phénix, des cendres de ta source. Dans ma phrase
hypothétique, il y aurait illustration de renaître par référence à source, de
source par référence à phénix. Chaque étape de l’énoncé s’appuierait
sémantiquement sur un élément de comparaison. Dans le texte de Breton,
au contraire, il n’y a que l’apparence d’une référence ; l’impossibilité
d’accorder le sens des mots, le sens que leur confère leur distribution et le
« sens syntaxique » (voir § 1.4.2) fait que nous n’avons qu’un paradigme de
synonymes de « renaissance » (renaître, source, phénix, et même et quand
tu re du,qui, en contexte, a évidemment le même sens, puisque tu s’appelle
Aube, et que et quand suit la phrase quand tu dors — or la fin de la nuit
pour l’aube, c’est le retour à la vie). Le paradigme ne construit pas de
représentation : il n’est qu’une accumulation aléatoire de mots attendant
leur réalité, de mots qui, faute d’être orientés vers quelque chose, ne font
que se refléter les uns les autres. La construction qui l’encadre « fait le
geste » de l’organiser, tout en bloquant toute lecture dans ce sens.
Dans l’exemple suivant, l’arbitraire a consisté à créer mécaniquement en
combinant des mots le pseudo-véhicule qui aura l’air de représenter
métaphoriquement sous la forme d’un oiseau le concept exprimé par ces
mots. Une métaphore dérivée, dont le véhicule est un oiseau aussi, aura l’air
de confirmer l’existence réelle de l’oiseau de mots (aura l’air, ici encore,
parce que tout ce qui est confirmé, c’est une structure verbale : ce ne sont
pas deux « oiseaux » qui sont comparés, mais deux mots composés) :
(XVIII) (Éluard)
Le doux fer rouge de l’aurore
Rend la vue aux aveugles 454
Le sens est clair : la lumière de l’aurore permet aux hommes, que la nuit
aveugle, de recouvrer la vue 455. La forme n’en est pas moins déconcertante.
Si l’on avait fer rouge seulement, le critique s’extasierait sur la justesse de
la notation 456. Mais fer rouge représente une réalité dangereuse : elle a
quelque chose de plus menaçant que la flamme vive. Le dernier manuscrit
d’Éluard contient une ébauche où sa rêverie a glissé du fer rouge des deux
crépuscules au supplice de la roue, image de la fatigue de vivre : Je suis
rompu par le fer rouge/De l’aurore et du crépuscule 457. Quelle que soit la
vérité de l’impression visuelle, donc, l’incompatibilité reste totale entre
doux et fer rouge. Elle s’aggrave avec le second vers : même si le lecteur
s’attache à doux plutôt qu’au métal incandescent, l’adjectif ne suffit pas à
effacer l’agressivité du fer ni l’image des supplices qu’il évoque ; on
accepte difficilement que ce fer puisse accomplir un miracle bénéfique. La
métaphore primaire donc choque le lecteur et le laisse insatisfait : or cette
tension, qui caractérise en général l’image surréaliste 458 et explique son
efficacité, a ici un rôle fonctionnel.
Arrêté par l’apparente impossibilité du véhicule primaire, le lecteur ne
peut qu’y voir une manipulation arbitraire de la réalité. Il ne peut l’accepter
que par rapport au groupe intact, comme antiphrase. Du même coup, la
simplicité toute mécanique du passage de l’antiphrase à la phrase lui permet
de l’interpréter comme signe — remplaçant un signe +, et il prend
conscience des deux vers comme transformation :
* le fer rouge ôte la vue aux voyants → le doux fer rouge rend la vue
aux aveugles.
Les poèmes en prose que Julien Gracq a réunis sous le titre de Liberté
grande 487 ont une structure narrative ou descriptive. Mais qu’il s’agisse
d’appréhension du monde sensible, ou de construction de l’imaginaire, ils
témoignent tous d’un bouleversement du système sémantique du français.
Et pourtant les impropriétés, les décalages dans les rapports communément
admis entre signifiants et signifiés, les images difficiles, les séquences qui
se dérobent à la logique reçue, tous ces défis à la fonction référentielle de la
langue ne donnent pas l’impression d’une fantaisie gratuite, ou d’un
arrangement aléatoire. Au contraire, les poèmes ont une cohésion, exercent
un empire sur l’imagination qui ne peuvent s’expliquer que par l’existence
d’un système d’expression rigoureux. Ce système qui donne à un emploi
aberrant du langage son caractère nécessaire, son évidence impérative, me
paraît reposer sur le pouvoir que les mots ont d’engendrer des séquences
associatives relativement indépendantes de la réalité. C’est ce dynamisme
explosif du mot — la formule est de Gracq 488 — dont je voudrais analyser
ici le mécanisme.
Je commencerai par le texte en apparence le plus arbitraire : « Salon
meublé 489 ». Poème parfaitement clair, mais où la description viole
systématiquement la loi du réel. Aucune émotion, aucune obsession de
l’observateur qui puisse expliquer la déformation de la réalité. Il n’y a de
représentation « normale » que dans la première phrase, où l’impression
inconfortable et même morbide que donne le salon confère à la pièce la
présence réelle, l’atmosphère des lieux familiers. Mais l’effet de cette
notation initiale est dissipé par les détails qui suivent — eau ruisselant sur
les murs, et meubles déconcertants :
... dans une grande cage de Faraday à l’épreuve des coups de foudre,
jetée négligemment sur le bras d’une chaise curule comme au retour
d’une promenade matinale, la toge ensanglantée de César,
reconnaissable à son étiquette de musée...
Le lecteur pense à un rêve, ou à une incursion dans le genre fantastique.
Mais déjà se succèdent des allusions satiriques au mauvais goût d’un
mobilier petit-bourgeois et, pour terminer, un trait de fantaisie pure : on
aperçoit, tout au fond de la pièce, un wagon de marchandises assoupi sur sa
voie de garage. Toute cette fin est trop « consciente », trop calculée,
semble-t-il, pour ne pas exclure l’interprétation onirique, et elle achève à
plus forte raison d’anéantir l’impression de réalité du début.
Et cependant, en dépit de ces perches tendues et retirées, le texte ne
zigzague pas au hasard : l’apparente gratuité du pseudo-salon est en fait la
rigoureuse application d’une règle de « grammaire » propre au poème. Tout
se passe comme si chaque énoncé devait engendrer son contraire, chaque
définition s’anéantir dans une contradiction terme à terme, chaque
description produire une incompatibilité à elle-même. La série des énoncés
qui déclenchent leurs contraires n’est pas moins déterminée, mais elle
préexiste au poème : il s’agit du système descriptif du mot salon.
Chaque fois qu’un texte réalise partiellement un système descriptif, il met
nécessairement en relief un des sèmes du mot-noyau ; ici, la notation
affective que j’ai relevée au début du poème souligne l’« intériorité »
implicite dans le sens de salon :
Le salon n’est pas simplement fermé : cette fermeture est soulignée par
l’opposition à un monde du dehors, dont la lumière intense met l’extériorité
plus en relief encore ; et la clôture elle-même est renforcée par les
associations affectives les plus fortes qu’on puisse trouver dans le champ
lexical de maison 490. Dans ce cadre, bien entendu, le salon est déjà plus
représentatif de la maison comme intérieur qu’aucune autre pièce 491.
Or à peine le salon est-il ainsi posé comme symbole d’intérieur que cette
donnée engendre sa négation. L’intériorité est contredite par un
ruissellement :
sur les murs peints de cet enduit translucide (...) qui tapisse les
cavernes à stalactites, une légère écharpe d’eau sans bruit, comme sur
les ardoises des vespasiennes, frissonnante, moirée, douce comme de
la soie.
Voici le monde couvé sous la pluie, la chaleur moite, le toit des gouttes
et des brindilles, et les molles couvertures d’air aux mille piqûres
d’éclaboussements.
Voici la belle sur son lit d’eau, toute éveillée par la soudaine
transparence fraîche, toute coïncidante à une pure idée d’elle-même,
toute dessinée comme l’eau par le verre.
(...) sur les steppes de neige des nappes blanches, à perte de vue,
comme des feux se décollent des étangs gelés, se levait la lumière
mystique des bougies.
A peine lisons-nous que nous avons une impression de déjà vu. Nous ne
sommes pas tentés de demander compte au poète de son audace : le motif
est le mythe bien connu de la danse nocturne des objets familiers,
qu’interrompt un visiteur ou le retour de la lumière. C’est, plus
généralement, la représentation stéréotypée de la vie secrète des choses :
gigue des marionnettes pendant que le montreur sommeille, motif que le
ballet et le cinéma ont exploité ; bal de Lilliputiens dans « le Meuble » de
Charles Cros 512 ; statue qu’on verrait bouger si on se retournait assez vite
(on en amuse les enfants, mais, de Hugo à Cocteau, les poètes prennent cela
au pied de la lettre) ; ou encore, dans un autre poème de Gracq, ces beaux
pylônes électriques entre lesquels les anges font de la corde raide chaque
fois que le coup de canon du départ fait tourner la tête du spectateur. C’est
du joli 513. Le mythe est lui-même langage, et le lecteur s’abandonne à ces
clichés parce qu’ils sont tous des variantes d’une opposition aussi tentante
dans sa polarité que les antithèses de « Salon meublé » : tout énoncé
d’immobilité appelle irrésistiblement un énoncé de mobilité, et plus
l’immobilité est donnée comme naturelle et permanente, plus sa
transformation est dramatique ou suggestive de fantastique. Si l’immobilité
est avant, l’image est une hyperbole d’imminence (le motif permet à Gracq
de donner à ses paysages, à ses décors le suspens d’un drame) 514. Si
l’immobilité est après, c’est la preuve a contrario d’une vie invisible.
Efficace simplicité d’un style descriptif où une négation ajoutée à l’énoncé
de réalité suffit à créer l’irréel ou le surréel 515.
Quant à l’image des machinistes, c’est un mythe encore mieux attesté, et
la variante qui le représente dans notre poème est surdéterminée par une
combinaison de séquences.
Le mythe, c’est la représentation du monde comme théâtre, et les
moralistes en ont fait si grand usage que ce serait peine perdue de citer.
Mais le mythe n’est pas toujours subordonné à une éthique. Beaucoup plus
généralement, il exploite les potentiels de la description a contrario. La plus
puissante, peut-être, des oppositions sémantiques — réalité versus
apparence — le structure, ainsi que le corollaire de cette opposition : le
postulat que toute existence visible se double d’une existence cachée.
Postulat que formulent des clichés comme les coulisses de la politique, du
Vatican, de la ville ; postulat qui fait que le mot façade engendre si
facilement des questions sur ce qu’il y a derrière la façade. Les textes
abondent, qui décrivent la nature comme une scène où se joue la
vie — chez Hugo, par exemple, et chez Rimbaud 516. Mais, plus
fréquemment, c’est la ville qui est décor, et ici encore Rimbaud fournit à
Gracq le modèle d’une cité truquée comme la scène du Châtelet 517.
La structure sémantique fondamentale, réalisée sous forme de
description, suffirait à implanter le mythe, à l’imposer au lecteur. Mais les
détails de la description insèrent dans le poème leur contexte
naturel — c’est-à-dire qu’ils engendrent des clichés. Entourés de
représentants de leur famille lexicale, les mots semblent confirmés, vérifiés,
comme si on les avait comparés à la réalité. Les machinistes ne sont pas
condamnés à la dissimulation, mais à une dissimulation d’apaches dans les
coulisses les plus poussiéreuses. Ce qui ne signifie évidemment pas que les
machinistes se conduisent comme des Indiens, ou de mauvais garçons, ni
que les coulisses ne sont pas balayées, mais que leur dissimulation est
particulièrement ingénieuse (seul le narrateur a su deviner leur
existence — tout autre aurait cru à la réalité de ce décor), et que les
coulisses sont des coulisses par excellence, c’est-à-dire qu’on ne les voit
pas. Ce qui revient à dire deux fois que ces machinistes se cachent bien,
invisibles dans l’invisible. Ces groupes sont donc en fait des superlatifs, des
superlatifs plus efficaces que très ou le plus, parce qu’ils utilisent des mots
de sens plein qui « donnent à voir ».
Ce n’est pas tout. Le mythe du décor est renforcé par un autre mythe :
celui des ruines comme théâtre d’une activité mystérieuse. Ce mythe à la
fois répète le premier sur le plan sémantique et, sur le plan narratif, l’intègre
à un système du vraisemblable :
Une prose de Ponge n’est jamais autre chose que l’expansion textuelle
d’un mot noyau. Les caractères formels et sémantiques du texte sont dérivés
de ce mot directement ou indirectement. Ponge en est parfaitement
conscient, qui a donné de la dérivation directe l’exemple de son « Huître » :
Il est évident que si, dans mon texte, se trouvent des mots comme
« blanchâtre », « opiniâtre », « verdâtre », ou dieu sait quoi, c’est aussi
parce que je suis déterminé par le mot « huître », par le fait qu’il y a là
accent circonflexe, sur voyelle (ou diphtongue) t, r, e. (...) Le fait que,
par ailleurs, l’huître est difficile à ouvrir, il me paraît difficile de
l’exprimer autrement qu’en prononçant le mot « opiniâtre » 525.
C’est en tout, à mon sens, montrer la seule imagination qui vaille, que
d’inventer les séquences verbales (littérales, syllabiques), c’est-à-dire à
la fois significatives et sonores, qui permettent d’installer cette image
inoubliablement dans la mémoire :
Notons bien que Malherbe n’écrit pas : « que des gemmes sans
nombre » comme sans doute l’aurait fait un artisan plus grossier. Il se
borne, par le seul germer, à évoquer secrètement, discrètement
l’association. Voilà la poésie ! le langage remis en son état naissant 547.
1
C’est aux linguistes russes des années vingt que revient le mérite d’avoir
clairement défini le concept de littérarité. Voir V. Erlich, Russian
Formalism, La Haye, Mouton, 1955, p. 146 sq.
2
Cette terminologie dont se sert le linguiste pour décrire l’acte de
communication est nécessaire dès qu’on distingue comme ici l’énoncé
comme séquence verbale et l’énoncé comme texte.
3
Voir W.O. Hendricks, « Three Models for the Description of Poetry »,
Journal of Linguistics, 5, 1969, p. 1-22, judicieuse analyse d’échecs de
tentatives d’application de la grammaire au langage poétique (en particulier
l’étude de J.P. Thorne sur la poésie d’E.E. Cummings ; voir les travaux de
R. Ohmann sur G.B. Shaw).
4
Breton et Éluard, Notes sur la poésie, in Éluard, Œuvres complètes, Pléiade,
t.I, p. 474 ; voir p. 1469.
5
Les composantes de l’acte de communication, à part le « contact », étant :
encodeur (l’auteur dans le cas de la communication littéraire), message
(texte), décodeur (lecteur), code (langue), contexte (réalité).
6
Plus précisément une chaîne de Markov (les réserves de Chomsky,
Syntactic Structures, § 3.1, ne sont pas applicables à l’observation des
textes comme « monuments »).
7
A. Adam, éd. des Fleurs du Mal, Paris, Classiques Garnier, 1961, p. 298, n.
7. Voir J. Crépet et G. Blin, éd. critique des Fleurs du Mal, Paris, Corti,
p. 328.
8
Y. Le Hir, Analyses stylistiques, Paris, 1965, p. 201.
9
R. Barthes, Critique et Vérité, Paris, Éd. du Seuil, 1966, p. 40.
10
Restreint, tel que Saussure le concevait ; large, comme l’ont proposé
Starobinski et surtout Kristeva. Voir chapitre V, p. 75-88.
11
R. Barthes, Sur Racine, Paris, Éd. du Seuil, 1963, p. 21.
12
Sur Racine, p. 135-144 ; L. Spitzer, Romanische Stil- u. Literaturstudien,
Marburg, 1931, 1, p. 135-268.
13
Par exemple, P. Albouy, éd. de Hugo, Œuvres poétiques, Pléiade, t. I,
p. 1550 ; J. Gaudon, Le Temps de la contemplation, Paris, 1969, p. 86-88,
409-410.
14
Par exemple, les Contemplations, « Pleurs dans la nuit », v. 505 sq ; la
Légende des siècles, « Le titan » ; Dieu, l’Océan d’en haut, v. 257 ; etc.
15
Voir l’explication de J. Kristeva, Séméiotikè, Ed. du Seuil, 1969, p. 266-
267.
16
Phèdre, v. 1245. L’équivalent vulgaire serait avalant des couleuvres (voir le
sens familier d’imbuvable en parlant d’une personne).
17
Rabelais, Quart Livre, chapitre XXXI.
18
R. Marichal, éd. du Quart Livre, p. 332 et XXXII, n. 3.
19
Remarquons entre parenthèses que cette approche confirme sur le plan
formel la synonymie du portrait de Quaresmeprenant et de l’épisode de l’île
d’Ennasin, que M. Beaujour a si justement démontrée dans son beau livre
sur le Jeu de Rabelais, Paris, 1969, p. 137-9 ; voir p. 126 sq. : dans Ennasin
les mots font l’amour, ici ils font les fous. Dans les deux cas, le verbalisme
attaque le réel.
20
Balzac, Les Comédiens sans le savoir, Pléiade, t. VII, p. 41.
21
Aurélia, I, VII, Pléiade, t. I, p. 379.
22
Commentaires d’E. Barineau, éd. des Orientales, Paris, 1952, t. I, p. 84, 98
et note 3.
23
Explication de J.H. Bornecque, Lumières sur les Fêtes galantes, Paris, 1959,
p. 150-151.
24
Zola, éd. Mitterand, Pléiade, t. V, p. 623.
25
Les toponymes authentiques étant, dans l’ordre de la lecture : Donchery,
Briancourt, Marancourt, Vrignes-aux-Bois, Douzy, Sarignan, Rubécourt,
Pouruaux-Bois, Francheval, Villers-Cernay, Saint-Monges, Villers-Cernay.
26
La verticalité de l’axe est une convention, mais ce n’est pas une convention
gratuite. Elle représente de façon parlante le fait que le signe « recouvre » la
chose, qu’il y a une relation de simultanéité entre signifiant et signifié,
tandis que, les signifiants étant liés entre eux par le rapport de contiguïté
que matérialise le syntagme, il est naturel que celui-ci soit représenté par un
axe horizontal.
27
Lesquelles, de toute façon, sont sans pertinence aucune dans une analyse de
l’efficacité de la communication, des effets du poème.
28
Les Fleurs du Mal, « Spleen », IV, v. 5-8.
29
M. Galliot, Commentaires de textes français modernes, 1965, p. 248.
30
Radar parfaitement connu dès avant l’époque de Baudelaire : Sainte-Beuve,
par exemple, écrit en 1830 que « les hommes doués d’une seconde vue sont
assez semblables à ces chauves-souris en qui le savant anatomiste
Spallanzani a découvert un sixième sens plus accompli à lui seul que tous
les autres » (Premiers Lundis, « Hoffmann », Pléiade, t. I, p. 382).
31
R. Jakobson, Questions de poétique, Paris, Éd. du Seuil, 1973, p. 426.
Notons le révélateur souci d’exactitude dans la terminologie savante.
32
J. Prévost, Baudelaire, 1953, p. 296.
33
Odes, V, v, Pléiade, t. I, p. 456-457, 1269. Lefèvre-Deumier, Vespres de
l’Abbaye du Val, éd. G. Brunet, p. 94-95, appelle les siennes faux oiseaux.
34
Les Châtiments, VII, IV, Pléiade, t. II, p. 190. Voir la Fin de Satan, Pléiade,
p. 900 : « les hiboux se changent en colombes » (= les méchants sont
pardonnés).
35
Voir dans le Grand Dictionnaire du dix-neuvième siècle de Pierre Larousse,
t. XIV, 1875, l’article spleen, où sont cités Musset, Nerval et Baudelaire :
« Nous avons en France une variété du spleen, la désespérance. Le spleen
anglais est plus inconscient, moins douloureux que la désespérance
française », etc.
36
Par exemple chez Hugo : « frappant... du front l’infini,/Ainsi qu’un
moucheron heurte une vitre sombre », la Fin de Satan, p. 912 ; « Nous
sentons, dans la nuit mortelle,/La cage en même temps que l’aile », les
Contemplations, VI, XXIII, v. 335-336 ; mélange en revanche, dans la Fin
de Satan, p. 828 : « La mouche humaine allant heurter aux cieux son aile. »
37
Tous les détails de ce décor sont affectés d’un indice négatif. Cette
inversion des signes explique pourquoi le vol, normalement rapide et léger,
devient ce que Heredia appellera le vol mou des vampires (les Trophées,
« Les Conquérants de l’Or » II). Le heurt aux plafonds est un cliché du
désir d’évasion frustré : chez Hugo, Satan tombé, Cette chauve-souris du
cachot éternel (la Fin de Satan, p. 771) — le vers démontre
l’interdépendance de chauve-souris et de cachot —, heurte la voûte de ses
ailes (ibid., p. 807, 829-830 ; voir p. 916, etc.).
38
J. Cohen, Structure du langage poétique, Paris, Flammarion, 1966, p. 210-
216.
39
J. Cohen, op. cit., p. 212.
40
Sur les sens d’azur chez Mallarmé, selon les contextes, voir P. Guiraud,
Essais de stylistique, Paris, Klincksieck, 1969, p. 109-120.
41
C’est-à-dire les métaphores visuelles, auditives, olfactives, tactiles,
lorsqu’elles représentent en termes (code) de vision des objets invisibles, de
sons des objets insonores ou inaudibles, etc.
42
Les Contemplations, VI, VI, v. 130-132.
43
L. Cellier, éd. critique des Contemplations, Paris, Classiques Garnier, 1969,
p. 708, n. 17.
44
Dieu, l’Océan d’en Haut, éd. Journet-Robert, v. 133-136.
45
Vivantes cendres, innommées (1957-1958), in Haut Mal, Paris, Gallimard,
coll. « Poésie » p. 219.
46
Effet analogue dans le titre d’un recueil de poèmes du surréaliste belge
Achille Chavée : A pierre fendre (Mons, 1952). Au lieu d’être isolée (au
sens des chimistes) par l’anaphore, la formule est isolée par le
microcontexte zéro en position privilégiée.
47
L’acte de lire est orienté du début à la fin du texte, mais cette lecture
s’accompagne d’un retour en arrière : le sens et la valeur d’éléments du
texte déjà déchiffrés sont modifiés rétrospectivement par ce que le lecteur
découvre à mesure qu’il progresse dans sa lecture. Voir mes Essais de
stylistique structurale, Paris, Flammarion, 1971, p. 58-59.
48
Une analyse complète ajouterait le parallélisme secondaire du dernier vers
de str. 1 et du dernier de str. 2 : à tire d’ailes et à pleines voiles
subordonnent ces sèmes de l’élan vital à un symbole de départ ou de voyage
baudelairien. Mon interprétation est confirmée par le titre (Très) et par les
variantes d’une autre version de ce poème : A tire d’ailes/A cœur battant/A
bride abattue/A bouche que veux-tu/A corps et à cris/A en veux-tu en
voilà/A boire et à manger.
49
Le Livre ouvert I, Pléiade, t. I, p. 1025.
50
La répétition est un cas particulier de l’accumulation ; elle accumule des
composantes identiques. Par rapport à l’accumulation simple elle constitue
donc une forme hyperbolique de la figure. Ce formalisme paraîtra peut-être
oiseux ; il est pourtant nécessaire si l’on veut délimiter clairement les
catégories et garder aux règles qui les définissent la simplicité et la
généralité requises.
51
En face de paille par opposition à grain et de paille « défaut du métal », on
a dans l’usage paille comme symbole de légèreté, de vulnérabilité (voir
fétu, jouet des vents, etc.), celle-ci n’étant péjorative que passivement.
52
J’emploie transformation et engendrement au sens linguistique.
53
L’erreur qui reste au niveau des mots n’égare pas aussi complètement que
lorsqu’on croit expliquer les mots par l’auteur : S. Bernard, par exemple
(éd. de Rimbaud, Œuvres, Paris, Garnier, 1960, p. 532), a cru qu’il
s’agissait des méandres de l’Escaut, descendu vers Londres par Verlaine et
Rimbaud.
54
La Légende des siècles, éd. Truchet, Pléiade, p. 243-246.
55
De là à créer l’illusion d’une réalité inexistante, il n’y a qu’un pas : voir
dans la poésie d’Henri Michaux les chapitres d’histoire naturelle imaginaire
(où, d’ailleurs, sitôt l’illusion créée, des marques stylistiques de parodie
indiquent qu’il s’agit d’une représentation imaginaire).
56
Sur l’actualisation du système descriptif, voir chapitre III, p. 53 sq.
57
Et certains mots caractéristiques de la fenêtre appartiennent littérairement à
d’autres systèmes. En prose, espagnolette figure dans le système de suicide
(par pendaison), variante thématique (thème du désespoir) d’une structure
dramatique (narrative) apparentée au cliché faire flèche de tout bois. Aussi,
sur le thème de la vie humble, dans le système toilette matinale — détail
créateur de vraisemblance (miroir à raser accroché à...), etc.
58
L’Amour la poésie, I, XXII, Pléiade, t. 1, p. 238. Ces fonctions sont
orientées sur le plan du signifié : à travers la vitre, on regarde au dehors, ou
du dehors à l’intérieur. Transposée sur le plan du signifiant, l’orientation
devient signe, elle aussi, et éventuellement symbole : la fenêtre où l’on
regarde du dehors est le lieu littéraire de l’envie ou de la solitude, de
l’exclusion. Sur embrasure, voir chapitre VI, p. 104-105.
59
L’ensemble du système est susceptible de valorisation globale : le système
de maison, par exemple, a une valorisation positive (méliorative).
60
Voir G. Mounin, La Communication poétique, 1969, p. 246-254.
61
Voix intérieures, « A Albert Dürer », Pléiade, t. I, p. 964.
62
Poésies, « Soleil et chair », v. 15-16.
63
Sur l’interférence des structures, voir le chapitre XI tout entier, p. 177 sq.
64
Les travaux consacrés à la phrase littéraire négligent tous la littérarité : s’ils
portent sur le style d’un auteur, ils tombent dans la statistique ou dans la
grammaire, ou ne cherchent que des caractéristiques (rythme, ordre des
mots, etc.) de ce style, non de la phrase. S’ils portent sur la phrase en soi, ils
cherchent vainement à épuiser la liste des combinaisons verbales possibles
ou bien établissent des faits d’ordre des mots qui restent les mêmes en deçà
et au-delà de la phrase.
65
Sur ces rapports multiples (en particulier l’interférence des structures
linguistique, thématique et du système descriptif) qui me semblent
constituer la surdétermination, voir aussi le chapitre XI, p. 177 sq.
66
Voir, par exemple, les associations énumérées dans J. Dubois, F. Edeline,
J.M. Klinkenberg, etc., Rhétorique générale, Paris, Larousse, 1970, p. 118-
119.
67
Lautréamont, Les Chants de Maldoror, chant VI, II, éd. Walzer, Pléiade,
p. 227.
68
Indication scénique corroborée plus loin par les mots commodore, désignant
le père, et la sensible Londonienne, désignant la mère. Il faut peut-être lire
le garçon comme anglicisme (the boy) pour cet « enfant ».
69
Sur le rôle du cliché dans le phénomène littéraire, voir mes Essais de
stylistique structurale, p. 161-181.
70
Sur le fonctionnement de la maxime en général, voir S. Meleuc, « Structure
de la maxime », Langages, 13, mars 1969, p. 69-99.
71
Il suffit que le lecteur reconnaisse une citation : il n’est pas nécessaire qu’il
en identifie l’auteur (voir le prélèvement selon J. Kristeva, Sémeiotikè.
Recherches pour une sémanalyse, Paris, Éd. du Seuil, 1969, p. 332-334).
72
L’imagination, chant III, in Œuvres complètes, Paris, F. Didot, 6e éd., 1840,
p. 132, col. 2.
73
Cette variante obscène du rapport bourreau-victime se trouve dans la
métaphore argotique qui fait de la guillotine la veuve, dans les versions
littéraires du mythe de la dévoreuse qui tue ses amants, comme la reine
Margot dans la Tour de Nesle, etc.
74
Reconnaissance facilitée pour le lecteur post-baudelairien par le Sed non
satiata des Fleurs du Mal. Elle ne fait guère de doute pour les
contemporains de Delille ; Baudelaire, plus tardif, a éprouvé le besoin de
remplacer le necdum de Juvénal par un sed non plus à la portée de tous.
75
Les Fleurs du Mal, VI, « Les phares », v. 29-30.
76
Baudelaire, Exposition universelle de 1855, III, éd. Le Dantec-Pichois,
Pléiade, p. 973. Voir : « si l’ombre est verte et une lumière rouge, trouver du
premier coup une harmonie de vert et de rouge, l’un obscur, l’autre
lumineux » (Salon de 1845, ibid., p. 817 ; voir p. 816 : « pondération du
vert et du rouge » ; et Salon de 1846, III, ibid., p. 883 : « un cabaret mi-parti
de vert et de rouge crus, qui étaient pour mes yeux une douleur
délicieuse »).
77
On me dira qu’il y a, au niveau des signifiés, une contiguïté naturelle des
sapins et des lacs de montagne. Mais les sapins réels n’ensanglantent pas les
lacs qu’ils bordent. Quand Baudelaire parle de ces lacs sans mentionner de
sapins, leur eau est noire ou sombre (Petits poèmes en prose, XV, « Le
gâteau », et, dans les poèmes de jeunesse, « Incompatibilité »). Plus de
polarisation à partir de vert, plus de transformation de l’eau en sang.
78
Le sang a contaminé les anges qui deviennent de mauvais anges. Dans
« Incompatibilité », où il n’y a pas de sang, l’ange du lac reste bénéfique.
79
Voir un cas où le cliché structure la phrase sur le plan syntaxique et, sur le
plan graphémique (italiques), lui confère une valorisation humoristique (il
s’agit de l’éreintement d’un peintre par la critique) : « Ah ! les chevaux
roses, ah ! les paysans lilas, ah ! les fumées rouges (quelle audace, une
fumée rouge !), ont été traités d’une verte façon » (Baudelaire, Salon de
1859, Pléiade, p. 1049).
80
Baudelaire, Salon de 1846, IV, Pléiade, p. 894.
81
Altération analogue dans « La muse malade » de Baudelaire : Le succube
verdâtre et le rose lutin. Le mot lutin, parce qu’il a un indice affectif positif,
transforme le rouge au symbolisme ambigu en un rose mélioratif.
Inversement, le vert de succube (indice négatif) acquiert un suffixe
péjoratif. Voir Gautier, « Comédie de la Mort », v. 97-98 : « Le flot a...
couvert de son linceul verdâtre... les rougeurs de rose » (de jeunes noyés).
Cette interprétation me paraît plus sûre que l’exégèse que Michel Butor a
faite du rose et du vert baudelairiens (Histoire extraordinaire, p. 244-248).
82
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « A Théodore de Banville ».
83
Le sang changé en eau est aussi le calque d’un cliché familier. L’opposition
rougetvert éventuellement se crée une réalité ad hoc : tel vert « naturel »
engendre un rouge « verbal », par exemple Gautier, Poésies diverses 1838-
1845, « A trois paysagistes » : artistes souverains/Amants des chênes verts
et des rouges terrains.
84
« Les yeux gelés », Dans les Années sordides, in l’Age de craie, Gallimard,
coll. « Poésie », p. 94.
85
J’ai étudié diverses applications (et implications) du concept de système
descriptif au chapitre II, p. 44-45. Dans un travail datant de 1966, repris
dans mes Essais de stylistique structurale, p. 213-221, je parlais de code ; il
me semble maintenant qu’il faut réserver ce terme au système descriptif
déjà encodé (actualisé) dans un texte comme véhicule d’une métaphore.
86
De la littérature, I, XI (éd. Van Tieghem, t. I, p. 185) : « Le frémissement
que produisent dans tout notre être de certaines beautés de la nature, (...)
l’émotion que nous causent les vers qui nous retracent cette sensation, (ont)
beaucoup d’analogie avec l’effet de l’harmonica. L’âme, doucement
ébranlée, se plaît dans la prolongation de cet état, aussi longtemps qu’il lui
est possible de le supporter. » Voir George Sand, La Comtesse de
Rudolstadt, IV, x (éd. De Potter, t. IV, p. 263 n. 1) : « Les imaginations
poétiques voulurent y voir l’audition des voix surnaturelles (...). Les
néophytes des sociétés secrètes (...) en étaient si fortement impressionnés
que plusieurs tombaient en extase. »
87
Chateaubriand a parlé ailleurs des « plaintes d’une harmonica divine, ces
vibrations qui n’ont rien de terrestre » (les Natchez, IV, éd. Chinard, p. 174).
88
Vie de Rancé, éd. Letessier, p. 338.
89
Voir Baudelaire, Choix de maximes consolantes sur l’amour, 1846, éd. Le
Dantec-Pichois, Pléiade, p. 471 : « poètes hoffmaniques que l’harmonica
fait danser dans les régions du cristal, et que le violon déchire comme une
lame qui cherche le cœur ».
90
Faute de reconnaître cette ambivalence de plaisir et de douleur qui s’attache
à l’harmonica de verre, J.-P. Richard, qui croit avoir affaire à l’orgue à
bouche d’aujourd’hui, ne saisit pas l’unité fondamentale de ces sèmes en
apparence contradictoires et a recours à des hypothèses inutiles sur la
sensibilité de Chateaubriand (Paysage de Chateaubriand, 1967, p. 79-80).
Tout est dans le système descriptif, et il est tout dans la phrase.
91
Lamartine, Recueillements poétiques, XXVIII, « A Mlle Delphine Gay », éd.
Guyard, Pléiade, p. 523.
92
Sème attesté déjà dans le latin nenia, à la fois « berceuse » et « chant
funèbre ». Si Apollinaire a pu utiliser nénie en français dans son double
sens, ce n’est pas seulement parce que nénie a ce double sens dans le
dictionnaire, mais aussi parce que berceuse, dont nénie est le substitut,
préserve quelque chose de cette ambivalence : « La mer et ses nénies
dorlotent tes noyés » (Le guetteur mélancolique, « Au prolétaire »). Le
rapprochement m’est suggéré par la subtile exégèse du « Larron » dans J.-
CI. Chevalier, « Alcools » d’Apollinaire. Essai d’analyse des formes
poétiques, Paris, 1970, p. 53, n. 19.
93
Double caractère est la formule qui introduit la double phrase, avant et
après conversion (préface à la Légende des siècles, éd. Truchet, Pléiade,
p. 3).
94
L’équivalent français serait tu avais bien besoin de ça ou il ne te manquait
plus que ça (lettre ouverte au rédacteur en chef du journal du soir New York
Post, 29 mai 1969) : c’est là un « genre » para-littéraire tout au plus, sans
doute, mais la parodie centre l’acte de communication sur la forme du
message, ce qui relève bien de la fonction poétique.
95
Les Chants de Maldoror, chant V, VI, éd. Walzer, Pléiade, p. 206.
96
Petits Poèmes en prose, XXI, « Les tentations », éd. Kopp, p. 60.
97
C’est que les systèmes descriptifs sont bâtis sur les signifiants et non sur les
référents. Plusieurs systèmes peuvent s’exclure réciproquement qui
recouvrent pourtant une même catégorie du réel, comme « maternité ». Le
système mère dont l’hyperbole est jeune mère s’oppose au système vieille
mère. Dans ce dernier, par exemple, le rapport « mère-enfant » est inverti,
puisque c’est l’enfant qui protège et nourrit, ou ne le fait pas. Situation
compliquée dans la négative : s’il y a ingratitude, fils prodigue est lié à père
plutôt qu’à mère, et s’il y a mort, la relation relève du système mater
dolorosa. Etc.
98
Voir Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « J’aime le souvenir de ces époques
nues » : « Cybèle... louve au cœur gonflé de tendresses
communes/Suspendait l’univers à ses tétines brunes » (corrigé sur épreuves
en « abreuvait »).
99
L’Ève future, I, VII, Paris, Pauvert, 1960, p. 27.
100
Les Fleurs du Mal, « Les bijoux ».
101
Tout se passe comme si l’expansion réalisait, en le dramatisant, le sème
étymologique « appât » des appas énumérés au v. 17.
102
Voir v. 2-4 : « Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,/Dont le riche
attirail lui donnait l’air vainqueur/Qu’ont dans leurs jours heureux les
esclaves des Mores ».
103
L’allégorie est un cas typique d’expansion, et de tous les tropes, qui pour la
plupart ne portent que sur des groupes de mots, celui qui intéresse les
syntagmes les plus complexes. Dumarsais notait déjà sa parenté avec la
métaphore filée (Des tropes, II, XII).
104
Voir sur la motivation, et la motivation zéro comme motivation, dans le
récit, Gérard Genette, Figures II, Paris, Éd. du Seuil, 1969, p. 96-99.
105
Sur les différentes possibilités de formation néologique, voir H. Marchand,
The Categories and Types of Present-Day English Word-Formation, A
Synchronic-Diachronic Approach, Munich, C.H. Beck, 2e éd., 1969. La
chasse aux néologismes littéraires n’est pas facile. Les concordances
existantes ne donnent pas pour les néologismes de listes à part, à quelques
exceptions près comme les relevés hugoliens de Journet et Robert. Les
listes de l’Histoire de la langue française de Brunot et Bruneau ne sont que
des sondages : encore englobent-elles des mots qui n’ont paru néologiques
qu’en raison d’exclusives esthétiques et normatives. Pour l’époque
moderne, on a le Dictionnaire des mots sauvages (Paris, Larousse, 1969) de
Maurice Rheims : collection des trouvailles d’un lecteur cultivé, donnant
surtout les formes les plus aberrantes et les néologismes humoristiques ou
parodiques. Sur la théorie du néologisme, voir en particulier É. Souriau,
« Sur l’esthétique des mots et des langages forgés », Revue d’esthétique, 18,
1965, p. 19-48. P. Guiraud (« Néologismes littéraires », la Banque des mots,
I, 1971, p. 23-28), tente d’opposer les néologismes cognitifs et les
expressifs, seuls littéraires selon lui ; mais les deux catégories se
rencontrent en littérature ; la distinction est ailleurs : entre ces catégories
dans le discours littéraire, et ces catégories dans le discours non littéraire.
106
Mes conclusions s’appliquent aussi bien à des néologismes qui en viennent
à être mal compris par des lecteurs trop éloignés de l’époque du texte, et qui
sont perçus comme des archaïsmes ; voir chapitre VI, p. 99 sq.
107
Il se passe à l’intérieur du mot ce qu’on observe à l’intérieur d’un groupe de
mots constituant une unité de style, dans le cas du renouvellement de cliché.
108
Le changement peut être d’ordre morphologique comme la modification,
ici, d’un suffixe. Il y aurait, toutefois, soulignement même dans le cas d’une
modification orthographique suggérant un changement de prononciation :
hénaurme chez Flaubert, dont l’orthographe a sa signification propre
(parodie), mais n’en accroît pas moins l’énormité d’énorme.
109
Voir Vendryes, « Sur le suffixe -is du français », Études romanes dédiées à
Mario Roques, Paris, Droz, 1946, p. 103-110, qui montre comment ce sens
est né de l’ emploi de -is comme suffixe des langues techniques (foresterie,
vénerie construction) où il tendait à désigner un ensemble fait de matériaux
divers. Vendryes note que le suffixe a engendré des néologismes littéraires
(chuchotis, friselis, etc.), mais il entend par là des néologismes « esthètes »,
caractéristiques de certaines écoles, ce qui relève d’un point de vue
historique. Mon point de vue est fonctionnel : il s’agit ici du rôle littéraire
de n’importe quel néologisme qu’on pourrait, contrairement à ceux de
Vendryes, trouver aussi bien dans le discours non littéraire.
110
Il faut presque, pour le dire, grimacer. La critique traditionnelle ne
manquerait pas, le ramenant à un certain portrait de l’auteur, d’en faire un
signe de l’humour assez brutal de Claudel.
111
Constitué par le groupe grouillis mécréant : par rapport au microcontexte
mécréant, le substantif crée un contraste physique vs. moral, renforcé par le
contraste néologique vs. non néologique (à distinguer de l’opposition
paradigmatique grouillis vs. grouillement).
112
Quatre = étapes : une structure (Nature vs. artifice) ; sa transformation
(Nature — artifice) qui engendre un topos (l’architecture née de la forêt) ;
la variante de ce topos (thème de la cathédrale comme forêt). Le thème est
actualisé ici sous la forme dynamique d’un récit (métamorphoses) à courbe
dramatique (séquences oxymoriques : croissance → décadence, végétation
→ parasites).
113
Claudel, Art poétique, « Développement de l’église », in Œuvre poétique,
Pléiade, p. 207.
114
Art poétique, p. 214. Les deux citations précédentes sont aux p. 211 et 214.
Moisissure et grouillis sont à deux pages de distance, mais leur similitude
fonctionnelle et le fait que la moisissure est faite de monstres imposent la
référence de l’un à l’autre en lecture rétroactive.
115
Nous n’avons pas affaire à une signification référentielle, fondée sur un
rapport des mots aux choses. Il n’y a pas description, mais insistance
synonymique sur un même indice négatif, d’où une réorientation
sémantique de l’ensemble de la phrase, une valorisation globale, résultant
de l’appréhension simultanée de constantes formelles (voir p. 57-59) :
vomissantes, qui forme cliché avec gargouilles, ne fait ici que rendre le
substantif plus péjoratif ; de même vaines, et herbe qui ôte à fleurs ce que le
mot a de naturellement positif, tandis que grande renforce le sème
« parasite » du mot herbe, tout en évitant le cliché hautes herbes, non
pertinent.
116
Le Mal comme impureté ou mélange : thème qui se manifeste, au dix-
neuvième siècle, dans le fréquent capharnaüm, variante « biblique » de
fouillis.
117
Il repose sur le même système de référence que l’archaïsme : le rapport
entre un élément marqué et un élément non marqué dans une opposition
forme préexistante au texte vs. forme non préexistante au texte (la marque
est déplacée, par rapport à l’archaïsme, du premier au second terme de
l’opposition). Cette formule reprend, mais, me semble-t-il, avec plus
d’exactitude, et en la généralisant, la définition donnée par le groupe µ,
Rhétorique générale, p. 60-61.
118
Alcools, « La Chanson du Mal-Aimé », strophe 39. Voir le commentaire
serré qu’en donne C. Morhange-Bégué, « La Chanson du Mal-Aimé » :
essai d’analyse structurale et stylistique, Paris, Minard, 1970, p. 151-154 ;
je m’en sépare sur quelques points. Elle démontre admirablement qu’il n’y
a pas ici de représentation de l’antiquité grecque, mais discours
métaphorique, hyperbolisé par l’adynaton mort d’immortels et les formes
grecques.
119
Vie de Rancé, éd. Letessier, p. 251. Chateaubriand s’est d’ailleurs inspiré
d’un texte de Rancé où il a remplacé grand silence par grande aphonie.
L’important, c’est que le texte nous suffise pour arriver à notre conclusion
et qu’il n’en permette pas d’autre. Il n’y a pas de métaphore, mais
synonymie pure et simple d’aphonie et de silence, ce dernier étant traduit en
grec, par le biais de l’emprunt à une langue technique. Letessier se donne
beaucoup de mal pour prouver qu’il y a bien néologie sur le plan de la
chronologie. Effort sans pertinence au phénomène littéraire comme tant
d’autres commentaires philologiques : même si aphonie était usité en
médecine à l’époque du Rancé, il y aurait néologisme de sens puisqu’il ne
s’agit pas d’un accident pathologique, mais d’une renonciation, volontaire
et toute spirituelle, à la parole.
120
Ou signification cumulative : voir p. 38-40 ; et M.-N. Gary-Prieur, « La
notion de connotation (s) », Littérature, 4, déc. 1971, p. 96-107.
121
Non seulement à cause de la polarisation par rapport à silence, mais parce
que dans tout paradigme synonymique, toute particularisation
morphologique (ici la forme grecque) d’un des signifiants du paradigme en
fait l’hyperbole du signifié. La coïncidence de cette forme et de la position
finale dans la série est un renforcement de plus.
122
Cité par E. Huguet, « Notes sur le néologisme chez V. Hugo », Revue de
philologie française, 12, 1898, p. 198.
123
Mémoires d’outre-tombe, IV, VII, XVIII, Édition du Centenaire, t. IV,
p. 402-403. Dans la version de ce texte qui figure dans l’Essai sur la
littérature anglaise, Chateaubriand se contente d’employer silence, au lieu
d’aphonie.
124
On peut également lire métonymiquement : le passage de la nuit au jour
étant décrit par le passage du silence (nocturne) aux bruits (diurnes).
125
Baudelaire, « Le guignon » : « Mainte fleur épanche à regret/Son parfum
doux comme un secret/Dans les solitudes profondes. »
126
Néologisme depuis devenu technique et utilisé à faire la réclame des
produits dont on a éliminé les mauvaises odeurs : cet accident diachronique
nous rend malaisé d’apprécier des textes, de Rousseau à Roucher et même à
Baour-Lormian, où il est question de la tulipe inodore. Le Dictionnaire
universel de Larousse classe encore inodore parmi les épithètes de nature de
fleur, en 1872.
127
Gautier, Poésies diverses, « Thébaïde », Paris, Lemerre, t. I, p. 215.
128
Dieu, l’Océan d’en haut, éd. Journet et Robert, v. 1519.
129
Sur ce suffixe, voir J. Dubois, Étude sur la dérivation suffixale en français
moderne et contemporain, Paris, Larousse, 1962, p. 40-41.
130
Mémoires d’outre-tombe, IV, VII, IV, Édition du Centenaire, t. IV, p. 346.
L’humour potentiel de toute néologie est ici quasi irrésistible : -pte frise la
parodie. A cette cocasserie s’ajoute la transgression du tabou mythologique,
puisque ce badinage menace deux sacrés, celui de la religion et celui de
l’idolâtrie titienne. Comme rien ne permet au lecteur de céder à la tentation,
la répression de l’humour est un facteur supplémentaire de contrôle du
décodage : la lecture est totale, et consciente du jeu des formes.
131
La Vierge assompte dans l’Assomption, comme le Christ « ascenderait »
dans une Ascension ; voir les figures étymologiques de Rabelais, du type les
moines... toussoient aux toussoirs, resvoient aux resvoirs ou Dieu vous le
rendra en son grand rendoir (voir L. Spitzer, Die Wortbildung als
sti/istisches Mittel, Halle, Niemeyer, 1910, p. 47 sq).
132
Essai sur les Révolutions (éd. de 1826), O.C., II, p. 423. L’édition de 1797
donnait céruléen.
133
A tel point que d’aucuns ont voulu voir dans céruséen une coquille ; mais
Chateaubriand a employé céruse ailleurs pour parler de la lune (voir J.
Mourot, Études sur les premières œuvres de Chateaubriand, 1962, p. 77-
82). La controverse témoigne de l’impact de la dissimilitudo in similitudine
(elle ne porte que sur une lettre) et du contraste avec velouté.
134
Et de la même manière : blanc de craie, lune dormant étendue comme des
toiles, c’est-à-dire comme des draps mis à blanchir sur l’herbe, technique
artisanale oubliée.
135
Série idéalisante : zones diaphanes et onduleuses, flocons (de) troupeaux
errants, mollesse et élasticité des nuées baignées de lune.
136
Note de Saussure citée par J. Starobinski, Les Mots sous les mots, Paris,
Gallimard, 1971, p. 132. Sur ce raisonnement, voir S. Lotringer, « Le
dernier mot de Saussure », l’Arc, 54, 1973, p. 80.
137
Ou encore le Saussure qui n’a pas encore renoncé aux cahiers en faveur du
Cours, « pyramide érigée sur un refoulement » (S. Lotringer, « The Game
of the Name », Diacritics, été 1973, p. 8).
138
Voir « Notes inédites de Saussure », Cahiers F. de Saussure, 8, 1948, p. 56 :
« On n’a jamais le droit de considérer un côté du langage comme antérieur
et supérieur aux autres et devant servir de point de départ. On en aurait le
droit s’il y avait un côté qui fût donné... hors de toute opération
d’abstraction et de généralisation de notre part. » Voir S. Lotringer, « Le
dernier mot de Saussure », art. cité, p. 75.
139
Saussure a failli adopter le concept de paragramme sémantique à propos de
collocations habituelles en latin telles que celle de Xerxes et exercitus : « Ce
seul nom faisait tout de suite penser... naturellement à une grande armée »
(les Mots..., op. cit., p. 118). Mais il ne s’y est attardé que dans le cas des
clichés, où la surdétermination résulte d’une dérivation sémantique
combinée avec une paronomase (sinon, pourquoi pas Xerxes et agmen ?).
Son intention, qui était de prouver autre chose, l’a aveuglé : voir, sur cette
erreur significative, J. Kristeva, Sémeiotikè, p. 292-293.
140
Le point de départ est le sème ou un complexe sémique. La résultante finale
est le texte dont la lecture indique quels sèmes sont mis en jeu. Cette
sélection, et le fait qu’elle soit perçue à la lecture, me semble résoudre le
problème que la sémantique structurale ne peut résoudre lorsqu’elle tente de
dériver le texte de la totalité des sèmes du mot noyau — problème reconnu
par Kristeva (Sémeiotikè, op. cit., p. 319). Le paragramme ainsi conçu
résout aussi la question que Kristeva se pose sur la nature sémantique de ce
qu’elle appelle les mots pivots (la Révolution du langage poétique, Paris,
Éd. du Seuil, 1974, p. 268) : j’y vois les variantes lexicales du mot noyau.
141
Ceci vérifie la justesse de l’image d’une névrose. Si inconnu est le sème
« mort » (comme mystère imprévisible) dans auberge, son refoulement ou
déplacement pour des raisons de contexte chez Baudelaire entraîne sa
réapparition ailleurs, dans l’apposition dérivée d’auberge : portique ouvert
sur des Cieux inconnus.
142
A part deux paires sans pertinence : beigne/bigne et daigne (verbe)/digne.
143
Cocteau, Vocabulaire, 1922, in Poésies, 1916-1923, p. 430-433.
144
Il n’est pas impossible qu’un jeu de mots à cheval sur les deux langages de
la culture officielle soit venu ajouter une détermination de plus : un cliché
poétique du latin appelle l’étendue du ciel caeli plaga, ou, chez Virgile,
aetheria plaga (par exemple, Énéide, I, 394). Le saut est facile, de plaga au
français plage. Ce genre de paronymie relève d’un code existant, attesté
dans les plaisanteries de collégiens, celui des pseudo-traductions comme
celle qui traduit rari nantes in gurgite vasto dans Virgile par de rares
Nantais ingurgitent.
145
Ces épisodes sont tous des citations fameuses, faisant partie des textes que
les élèves devaient apprendre par cœur : Énéide, VI, 105 sq, 149 sq, 365 sq.
146
Poisson soluble, texte 27.
147
L. Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », Poétique, 16, 1973,
p. 499-520, surtout p. 500-501, 515 sq (voir Kristeva, Sémeiotikè, p. 227
sq).
148
Sur la notion de système descriptif, voir chapitres II, III, IV et XI, p. 41-43,
51-55, 70-73, 175-198.
149
Voir A. Adam, éd. critique des Fleurs du Mal, op. cit., p. 301-302.
150
La femme, c’est Hérodias dans l’Atta Troll de Heine (chapitre XIX).
L’évocation de Byron est dans Lamartine, Méditations, II, II : « Esprit
mystérieux, mortel, ange ou démon,/Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal
génie,/J’aime de tes concerts la sauvage harmonie. » Voir Balzac, Modeste
Mignon, éd. Bouteron, Pléiade, t. I, p. 483 ; Gautier, Le Capitaine Fracasse,
Paris, Garnier, p. 194 ; Mademoiselle de Maupin, Paris, Charpentier, p. 59 ;
etc.
151
Qui certes n’est plus à démontrer. Il n’en reste pas moins nécessaire de
démontrer qu’il y a ici un cliché. Croyant qu’il s’agit d’une formule propre
à Baudelaire, M.A. Ruff en tire argument pour rapprocher la morale de
Baudelaire de l’éthique augustinienne (l’Esprit du mal et l’esthétique
baudelairienne, Paris, 1955, p. 335.
152
Voir M. Menemencioglu, « Le thème des Bohémiens en voyage dans la
peinture et la poésie de Cervantès à Baudelaire », Cahiers de l’Association
internationale des Études françaises, 18, 1966, p. 227-238 ; R.L. Füglister,
« Baudelaire et le thème des Bohémiens », Études baudelairiennes, 2, 1971,
p. 99-143.
153
Ce qui est vraisemblable, car les Tsiganes de Baudelaire, comme ceux de
Callot, portent des armes. Autant qu’on en puisse juger, les armes ne font
pas partie du système descriptif de bohémien.
154
On la doit à J. Pommier, Dans les chemins de Baudelaire, Paris, 1945,
p. 293.
155
Daté de juillet 1870 ; Rimbaud n’avait pas encore formulé l’esthétique qu’il
devait pratiquer dans Une saison en Enfer et dans les Illuminations.
156
Voir par exemple J. Plessen, Promenade et Poésie, La Haye, 1967, p. 37,
121, 158.
157
S. Bernard, éd. critique des Œuvres de Rimbaud, Paris, 1960, p. 373. Le
poème de Glatigny (les Vignes folles, 1860, « Les antres malsains », II-III) a
été déterré par J. Gengoux, la Pensée poétique de Rimbaud, Paris, 1950,
p. 18 : « Son bras, qui dans le vide au hasard se ballotte,/Merveille de
blancheur et de force, est orné/De ces mots au poinçon gravés : PIERRE ET
LOLOTTE,/Et d’un cœur d’un foyer éternel couronné. »
158
Albertus, 1832, strophe cv. Fortement pommadés figure dans le tableau
naturaliste de Glatigny (les Vignes folles, p. 78) et, bien entendu, pareille
coïncidence suggère que c’est en effet la source de Rimbaud. Mais c’est là
un point d’histoire, et non un fait d’histoire littéraire. Il est probable qu’il
s’agit en vérité d’un cliché que nos deux auteurs ont pu utiliser séparément :
voir Rimbaud, Un cœur sous une soutane (qui n’a rien à voir avec
Glatigny), 16 juin : « une mèche de cheveux raides et fort pommadés lui
cinglant la face comme une balafre ». Que Rimbaud ait reçu le cliché de
l’usage directement ou par l’intercession de Glatigny importe peu, car il
n’actualise pas chez lui la même structure que chez Glatigny, et sa fonction
est tout autre. Les emprunts de mots relèvent de l’histoire (de la petite
histoire), les emprunts de fonctions seuls concernent l’histoire littéraire.
159
Voir le tatouage sodomite chez Prévert, La Pluie et le Beau Temps, dans le
poème intitulé « Sceaux d’hommes égaux morts », p. 36.
160
Il existe avant la Renaissance sous d’autres noms, par exemple, la sotte
chanson (voir P. Bec, la Lyrique française au Moyen Age. Contribution à
une typologie des genres poétiques médiévaux, Paris, 1977, t. I, p. 158-162).
Mais le mot contreblason me convient particulièrement, puisqu’il implique
la permutation des marques du blason.
161
C’est l’ingénieuse interprétation de W.M. Frohock, Rimbaud’s Poetic
Practice Cambridge, Mass., 1963, p. 52-53. Ce motif existe, bien entendu :
on le trouve chez Coppée (voir A. Adam, éd. de Rimbaud, in Œuvres
complètes, Pléiade, p. 657), et je le note chez Baudelaire dans « J’aime le
souvenir de ces époques nues ».
162
Comme le sont d’ailleurs les thèmes baroques du monde à l’envers (voir G.
Genette, Figures, Paris, Éd. du Seuil, 1966, p. 9 sq). Sur la conversion, voir
chapitre III, p. 55-57.
163
J’entends contexte au sens strict des séquences verbales précédant et suivant
la phrase dans le texte. Je n’emploie jamais le mot au sens de
l’environnement non verbal du fait de langue ou du fait textuel.
164
Les Orientales, « Navarin », v. 175 et 181. Les commentateurs (par
exemple, l’éd. critique d’E. Barineau, Paris, Didier, 1952, t. I, p. 97-98) ne
manquent pas de souligner que Hugo ne sait pas ce qu’il dit ou ne s’en
soucie pas, et que son tableau est un échec. L’évocation raterait parce
qu’elle est inexacte, et l’effet de réel présupposerait la fidélité au réel.
165
Hugo, Odes et Ballades, « La fée et la péri », 1824. La fée, énumérant les
thèmes de la poésie occidentale, dit : « J’ai la grotte enchantée aux piliers
basaltiques,/Où la mer de Staffa brise un flot inégal. » Les éditeurs croient
toujours devoir expliquer où se trouve Staffa et pourquoi la caverne est
appelée plus bas le palais de Fingal.
166
Non seulement ce sont des emprunts, mais à l’exception de halte ils sont
perçus comme tels.
167
Et ses variantes descriptives, les nombreuses descriptions de la nature
(rochers étranges, nuages, etc.) en code d’architecture humaine, rationalisée
comme « architecture fantastique ».
168
Il est révélateur que les seuls exemples que donnent les lexicographes pour
embrasure soient : Dictionnaire de l’Académie, 1835, « il m’a parlé dans
l’embrasure » ; Grand Dictionnaire du dix-neuvième siècle, 1870, « causer
à voix basse dans l’embrasure ». Balzac a fréquemment recours à cette
fonction du mot embrasure (R. Barthes, S/Z, Paris, Éd. du Seuil, 1970,
p. 28-35, en a commenté un exemple, mais sans voir que le procédé est
stéréotypé). On trouvera dans Zola un parfait exemple des intrigues
compliquées que favorise l’embrasure : Son Excellence Eugène Rougon
(Romans, éd. H. Mitterand, Pléiade, t. II, p. 33, 49-51).
169
Nouveaux Lundis, Paris, 1863, t. I, p. 398.
170
En fait, cette mode littéraire est précédée au dix-huitième siècle d’une mode
proprement architecturale : voir, par exemple, F. Baldensperger, « Le
kiosque de Stanislas à Lunéville. Décor et suggestion d’Orient », Revue de
littérature comparée, 14, 1934, p. 183-189. Très vite, le mot devient
métonymique du paysage oriental typique : par exemple, Delille, Les Trois
Règnes, II : [Les simouns] « Des déserts africains... enterrent en grondant
les kiosques,/... La riche caravane et ses nombreux chameaux. » Puis, par
extension, décor de rêve : du kiosque d’Aurélia, II, VI (Pléiade, t. I, p. 406)
à celui de Claudel : « En ce lieu fictif le spectateur devient roman lui-
même » (Jules ou l’homme-aux-deux-cravates, Œuvres en prose, Pléiade,
p. 857.)
171
Comme dit Flaubert, en son Dictionnaire des idées reçues : « Kiosque. Lieu
de délices dans un jardin. »
172
Par exemple, Balzac, Autre étude de femme, éd. Bouteron, Pléiade, t. III,
p. 228.
173
J’ai montré ailleurs par quels mécanismes l’effet d’un néologisme se
maintient dans le texte littéraire bien que ce néologisme ait été assimilé
dans l’usage (Romanic Review, 44, p. 282-289).
174
Partielle encore en ceci que la thématologie classe et paraphrase les thèmes
sans tenir compte de leur structure, ce qui pourrait être corrigé en
établissant des typologies sur le modèle de celle de Propp.
175
Entreprise moins formidable qu’il ne paraît : il suffirait presque de se servir
du dictionnaire. Les exemples des lexicographes (le Grand Dictionnaire du
dix-neuvième siècle de Pierre Larousse est une mine de mythes français),
les recueils humanistes d’exempla (ceux de Ravisius Textor, de Rhodigin,
etc.) seraient un excellent point de départ.
176
Le Génie du christianisme, III, I, VIII, « Des églises gothiques ».
177
« La prière de femme » (éd. Guyard, Pléiade, p. 1230). Dans un autre
poème, Lamartine décrit littéralement la cathédrale comme une chambre
d’écho, comme machine à amplifier les voix de la prière (Harmonies,
« Hymne du soir dans les temples », Pléiade, p. 317 sq). Voir Delille,
L’Imagination, 1806, chapitre VII, et les vestiges allusifs du thème dans
Laforgue, L’Imitation de Notre-Dame la Lune, « Climat, faune et flore de la
lune », v. 8-9 : « climat de silence, écho de l’hypogée d’un ciel atone ».
178
L’effet est d’autant plus irrésistible que Baudelaire fait ailleurs des bruits de
la forêt le symbole du souvenir, et emploie des images de mort pour
évoquer les souvenirs douloureux : « Le cygne », I, v. 50 ; « Spleen », II, v.
5-10, etc.
179
Le titre est celui de la traduction de Marot : il s’agit de la canzone XLII
(Rime sparse, p. 323).
180
Écoutons J. Jolliffe et M.A. Screech, éditeurs des Regrets et autres œuvres
poétiques, Genève, 1966, p. 35 : « Cacher des vérités sous la fable (...) est
poétiquement valable s’il ajoute vraiment quelque chose à l’idée nue, mais
il présente certains dangers (...) une recherche de l’obscurité pour elle-
même », etc.
181
Par code, j’entends l’emploi du système pour désigner autre chose que ce
que représente son mot noyau. La modification des systèmes dans le
« Songe » est soit contextuelle (le temple, l’obélisque sont décrits du point
de vue d’un spectateur qui se rêve au bord du Tibre), soit déterminée par le
fait que son mot noyau est déjà un symbole ou un métonyme de Rome (la
louve du sonnet VI, par exemple).
182
Mon analyse de la surface du texte repose sur un concept du fait de style
comme contraste par rapport à son contexte (et non par rapport à une norme
comme dans les théories de l’écart) que j’ai défini dans Essais de stylistique
structurale, p. 50-94. Quant à la théorie de la sémiosis, voir mon Semiotics
of Poetry, Bloomington, Indiana Univ. Press, 1978.
183
Le mot n’est pas exagéré : voir G. Gadoffre, « Structures des mythes de Du
Bellay », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 36, 1974, p. 285-286,
288.
184
L’oiseau lucifuge ne pouvait être compris des contemporains de Du Bellay
qu’au sens de hibou, mais la fonction de cette périphrase n’est pas altérée si
le lecteur moderne ne peut trouver d’autre mot à l’énigme que le composé
oiseau de nuit. La raison en est que, quelle que soit la réalité ornithologique
qu’ils recouvrent, tous les noms d’oiseaux de nuit sont péjoratifs : le noyau
de la périphrase ne peut donc être qu’un indice négatif.
185
Sur les deux modes possibles d’engendrement de la phrase descriptive dans
le discours poétique, du même au même, ou de contraire en contraire, voir
chapitre XI, p. 186.
186
Opposition sémantique renforcée par la coïncidence d’un contraste
phonétique entre la série/ãpl/et la série/i/, coïncidence qui semble actualiser
le symbolisme prêté traditionnellement à ces sons (par exemple vastitude vs
petitesse). Même sans coïncidence, l’opposition phonétique en soi ne
saurait être plus forte.
187
Non-dit ne doit pas être confondu avec sous-entendu. Le sous-entendu est
d’ordinaire une hypothèse d’analyste : on s’en sert pour compléter des
formes qui ne sont pourtant défectives que par rapport à une norme
arbitraire (par exemple, la phrase dite nominale par rapport à un modèle
idéal qui serait la phrase contenant un verbe). Le sous-entendu en général
est la preuve que l’analyse est erronée. Le non-dit, au contraire, est une
présupposition nécessaire du texte qu’on a sous les yeux, la composante
lexicale ou sémantique dont le refoulement engendre le texte.
188
D’autant plus que le singulier de nuë, par opposition à l’habituel pluriel
dans les représentations du ciel, semble en faire l’équivalent vaporeux de
voûte du ciel.
189
On pourrait pousser plus loin l’étude des masses syntaxiques : toute la
description de l’essor fait contraste avec la brièveté de la transition (je le vy
croistre contre 3 vers et demi) — coup de théâtre secondaire : on ne passe
pas de l’oisillon à n’importe quel volatile, mais au roi des oiseaux.
190
Voir la variation sur un actant semblable dans « Le Christ aux Oliviers » de
Nerval (V, v. 1-4) : « C’était bien lui ce fou, cet insensé sublime.../Cet Icare
oublié qui remontait les cieux,/Ce Phaéton perdu sous la foudre des
dieux,/Ce bel Atys meurtri que Cybèle ranime ! »
191
Déséquilibre semblable, mais en plus fort, à celui que provoque là se perdit,
brusque rupture de la série ascendante (croissance, essor) du huitain.
192
Heredia, Les Trophées, « La mort de l’aigle ». Voir Apollinaire, Alcools,
« Le brasier » : « Descendant des hauteurs où pense la lumière/Jardins
rouant plus haut que tous les ciels mobiles/L’avenir masqué flambe en
traversant les cieux » ; et Lautréamont, Maldora, I, xi (Pléiade, p. 69).
193
Essais de stylistique structurale, p. 42-50.
194
Antiquitez, xxx : « Comme le champ semé en verdure foisonne,/De verdure
se haulse en tuyau verdissant,/Du tuyau se herisse en épic florissant,/D’épic
jaunit en grain (...)/Ainsi de peu à peu crût l’empire Romain,/Tant qu’il fut
dépouillé par la Barbare main. »
195
Métamorphoses, II, v. 319-320 : « Cependant Phaéton, ses cheveux couleur
de feu en proie aux flammes, tournoie, et tombe à la verticale laissant un
long sillage à travers les airs » (in praeceps longoque per aera
tractu/Fertur). Le verbe que traduit rouant chez Ovide aussi est mis en
relief (par sa position).
196
Alciati Emblematum Flumen Abundans, Lyon, 1551, p. 65. L’emblème (sic
plerique rotis Fortunae ad sidera Reges Evecti ambitio quos juvenilis agit)
est au chapitre Stultitia, « In temerarios ». Voir aussi les interprétations
humanistes de Phaéton réunies par G. Demerson, La Mythologie dans
l’œuvre de la Pléiade, Genève, Droz, 1972, en particulier sa lecture
d’Antiquitez, XVII, p. 336, le commentaire d’Ovide de Barthélémy Aneau,
1555, p. 500, l’Hymne de la paix de Baïf (1572), p. 578 ; et aussi p. 277 sq,
sur le discours mythologique dans la méditation sur la morale des
vicissitudes politiques. C’est un thème constant de la Renaissance que de
représenter la croissance de l’Empire romain comme un assaut sacrilège du
ciel (bien que le code le plus fréquent soit le mythe des Géants, que Du
Bellay, d’ailleurs, exploite dans « Songe », xv).
197
V.L. Saulnier croit, par exemple, que le hibou a été choisi parce que les
Germains menaçaient la Rome de la décadence, et que leur totem était la
corneille. Or les anciens naturalistes croyaient la corneille ennemie du
hibou, donc le hibou est Rome (« Commentaires sur les Antiquitez de
Rome », Humanisme et Renaissance, 12, 1950, p. 114 sq. ; sur le hibou,
p. 125).
198
Le texte ne nomme pas le hibou, mais, encore une fois, aucun contemporain
de Du Bellay ne pouvait manquer de le reconnaître.
199
Devenu le modèle d’une situation de comédie : voir Voltaire et Fénelon
dans Littré, s.v. aigle.
200
D’ailleurs ancienne, imitée d’Abstemius (le hibou incarne simplement
l’aveuglement des gens qui ne se voient pas tels qu’ils sont ; rien ne justifie
que ce soit l’aigle qui lui dessille les yeux, si ce n’est que la tradition les
apparie).
201
Par exemple, l’aigle entouré d’oiseaux inférieurs qui lui cherchent noise
dans A. Henkel et A. Schoene, Emblemata. Handbuch zur Sinnbildkunst
des 16. und 17. Jahrhunderts, Stuttgart, 1967, col. 766 : la légende ne parle
que de corneilles, mais le graveur n’a pu se tenir d’ajouter un hibou.
202
Pas seulement chez Du Bellay. Tel emblème, après avoir dit que le hibou,
lucifuga, ne peut jouer l’aigle, ajoute : « Sors, Virtus, Natura ducum
contraria vulgo est » (A. Henkel et A. Schoene, op. cit., col. 764-765).
203
Soulignons qu’il est impossible de séparer les mots renaître de sa cendre du
mythe du phénix, et d’y voir la métaphore anodine qu’ils sont de nos jours.
Le vermet et le feu dont l’aigle est consumé nous en empêchent.
204
Probablement une rationalisation, sur le modèle du ver devenant papillon,
ayant en outre l’avantage d’actualiser la structure qui établit une opposition
entre ver de terre/étoile, serpent/oiseau, etc.
205
Il s’agit encore moins d’une confusion fautive, d’une « analogie grossière »
entre le mythe de l’aigle et celui du phénix, comme le croit Saulnier (art.
cité, p. 124-125). Il s’agit de l’adaptation d’une grammaire figurative de la
métamorphose au lexique que réclame le contexte : semblablement, pour les
besoins de la propagande impériale, le récit des funérailles d’Auguste fait
sortir un aigle des cendres de son bûcher ; voir J. Hubaux et M. Leroy, Les
Mythes du Phénix, Liège, 1939, p. 239, 246-247.
206
Négativisation d’autant plus exemplaire que toute animalité rampante est
l’antithèse spécifique de l’animalité volante dans le discours mythique. Si le
contexte s’y prête, même ver peut être valorisé ; c’est le cas dans les
« Stances sur les amours de Desportes » du cardinal du Perron, grâce à un
jeu de mots sur ver du Phénix et vers versifiant : de la cendre des amours de
Desportes sortent les vers qu’inspira cette passion. Extinction de la
mimésis.
207
Rime sparse, p. 19. On a reconnu les deux premiers animaux. Le troisième,
chez Pétrarque, est le papillon qui se jette dans la flamme ; une autre
version serait Hercule sur l’Œta ; une autre encore notre phénix (que tant
d’apologistes chrétiens de la Renaissance ont choisi pour représenter Christ
ressuscité).
208
Mémoires d’outre-tombe, Pléiade, I, p. 197.
209
Ibid., I, p. 7.
210
Ibid., I, p. 435.
211
Ibid., I, p. 424 (repris de l’Essai sur la littérature anglaise).
212
Ibid., I, p. 599.
213
Mémoires, I, p. 564-565.
214
Ibid., II, p. 8.
215
Vie de Rancé, éd. Letessier, p. 253.
216
Mémoires, II, p. 592.
217
Le Génie du christianisme, I, III, III, Flammarion, I, p. 71.
218
Ibid., III, I, VIII, Flammarion, I, p. 299-300.
219
Le Génie du christianisme, I, IV, IV, Flammarion, I, p. 86.
220
Cité dans A. Poirier, Les Idées artistiques de Chateaubriand, 1930, p. 48.
221
Mémoires, II, p. 606.
222
Mémoires, II, p. 980.
223
Voyage en Italie, Œuvres complètes, Garnier, VI, p. 270.
224
Voyage au Mont-Blanc, Œuvres complètes, Garnier, VI, p. 347.
225
Mémoires, 1, p. 626-627.
226
Voyage en Italie, VI, p. 292.
227
Lettre à M. de Fontanes sur la campagne romaine, éd. J.-M. Gautier, p. 25.
228
Voyage en Italie, VI, p. 279-280.
229
Mémoires, II, p. 860.
230
Mémoires, I, p. 6.
231
Ibid., II, p. 860.
232
Mémoires, I, p. 76.
233
Mémoires, II, p. 585.
234
Voyage en Italie, VI, p. 280.
235
Mémoires, II, p. 605-606.
236
Ibid., I, p. 519
237
Ibid., II, p. 605.
238
Mémoires, I, p. 751.
239
Ibid., 1, p. 571-572.
240
Itinéraire de Paris à Jérusalem, éd. E. Malakis, II, p. 292.
241
Mémoires, II, p. 742.
242
Ibid., 1, p. 476.
243
Lettre à M. de Fontanes..., p. 13.
244
Ibid.
245
Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1, p. 231.
246
Lettre à M. de Fontanes..., p. 13.
247
Mémoires, 1, p. 472.
248
Lettre à M. de Fontanes..., p. 14.
249
Mémoires, II, p. 755.
250
Lettre à M. de Fontanes..., p. 15-17.
251
Voir Jean-Bertrand Barrère, La Fantaisie de V. Hugo, III, p. 165-172.
252
Lettre à M. de Fontanes..., p. 16.
253
Mémoires, II, p. 331.
254
Ibid., II, p. 911.
255
Voyage en Italie, VI, p. 286.
256
Mémoires..., 1, p. 103.
257
Le Génie du christianisme, III, V, III (Flammarion, II, p. 45).
258
Voyage en Italie, VI, p. 286.
259
Voyage en Italie, VI, p. 279.
260
Ibid., VI, p. 313.
261
Ibid., VI, p. 278-279 ; Mémoires, 1, p. 514.
262
Mémoires, 1, p. 514.
263
Mémoires, II, p. 606.
264
Ibid., II, p. 607.
265
Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1, p. 155.
266
J.-P. Richard, Paysage de Chateaubriand, 1967, p. 125-126.
267
Voir cette première version d’une image — les tombeaux ont été effacés par
les pas de la joie — que le Rancé reprend, sans changement aucun du sens,
sous la forme : les tombeaux poussent sous les pas de la joie (éd. Letessier,
p. 54, n. 1, p. 55).
268
A la surface, c’est-à-dire les traits lexicaux, syntaxiques et stylistiques. Voir
CI. Bremond, Logique du récit, Paris, Éd. du Seuil, 1973, p. 46 ; la
première partie de l’ouvrage souligne les inconvénients d’une typologie du
narratif que Propp fut le premier à concevoir, et dont le principal
représentant est aujourd’hui Greimas. Sur les inconvénients de l’approche
de Bremond lui-même, voir W.O. Hendricks, « The Work and Play
Structures of Narrative », Semiotica, 13, 1975, p. 281-328.
269
Le destinataire tel que le présuppose le texte narratif : G. Genette, Figures
III, Paris, Éd. du Seuil, 1972, p. 265. Sur les rapports avec le lecteur même,
T. Todorov, « La lecture comme construction », les Genres du discours,
Paris, Éd. du Seuil, 1978, p. 86-98.
270
A.J. Greimas, Du sens. Essais sémiotiques, Paris, Ed. du Seuil, 1970,
p. 158-159. C’est encore sur ce postulat que se fonde son Maupassant : la
sémiotique du texte, Paris, Éd. du Seuil, 1976, où il tente de faire le pont
entre structures narratives et structures de surface.
271
Sur l’identification de ces points stratégiques du texte narratif, voir R.
Barthes, « Introduction à l’analyse structurale du récit », in R. Barthes et
al., Poétique du récit, Paris, Éd. du Seuil, 1977, p. 7-57 et Ph. Hamon,
« Clausules », Poétique, 21, 1975, p. 495-526.
272
Le roman, publié en 1830, avec cinq autres Scènes de la vie privée, fait
environ soixante pages, trente-cinq avec la typographie de la Pléiade (je cite
d’après l’éd. Bouteron, Pléiade, t. 1).
273
Formule tirée d’une introduction inspirée par Balzac lui-même (Pléiade, t.
XI, p. 164).
274
Le rapprochement avec les techniques de la scène est une constante de la
critique balzacienne : voir, par exemple, H.J. Hunt, Balzac’s Comédie
humaine, Londres, The Athlone Press, 1964, p. 25 ; M. Bardèche, Balzac
romancier, Paris, Plon, 1940, p. 176-203 sur les Scènes de la vie privée.
275
Logique du récit, p. 162-173, 282-308 ; sur les motifs, voir p. 187-188.
276
L’éclairage éblouissant et somptueux est un lieu commun des descriptions
de bals et de grandes réceptions au dix-neuvième siècle ; voir le cliché
éclairer a giorno (par exemple, Balzac, Sarrasine, Pléiade, t. VI, p. 79 ;
Flaubert, Madame Bovary, 1, VIII). La différence ici, c’est qu’à propos
d’éclairage il y a description détaillée et focalisation.
277
La satire se dessine plus précisément à un second niveau de
compréhension : si les aiguillettes sont un insigne régimentaire, elles sont
aussi, dans leur sens archaïque, synecdochiques des chausses masculines, et
même de la braguette. Celle-ci à son tour est métonymique. Le jeu de mots
est impossible dans le contexte de kolbacs et dolmans, mais qui plurent
tant... est senti rétroactivement comme transformation de le beau sexe
courait l’aiguillette.
278
Le coin, soulignons-le, est au pied de ce candélabre si en vue ; et les
ténèbres en pleine lumière sont métaphoriques : elles disent l’ignorance à
laquelle les danseurs sont condamnés, mis hors de portée de la belle
inconnue par des rangées de chaises qu’occupent les dames jalouses de sa
beauté.
279
« Toute manœuvre narrative consistant à raconter ou évoquer d’avance un
événement ultérieur » (G. Genette, Figures III, p. 82).
280
Le proverbe, ou le truisme qu’il exprime, est si bien établi que certains
dictionnaires, s.v. brillant, donnent l’antonyme figuré solide avant
l’antonyme littéral terne.
281
Sur l’implicitation ou refoulement de la phrase matricielle, voir chapitre VI.
282
Scènes de la vie privée, « Note de la première édition », Pléiade, t. XI,
p. 165.
283
Ce n’est pas ici le lieu de donner une bibliographie des travaux sur
l’humour dans le domaine français. Il faut noter, du moins, pour l’humour
romantique, Claude Pichois, L’Image de Jean Paul Richter dans les lettres
françaises, Paris, Corti, 1963, p. 198-229. Mais il exclut arbitrairement
Hugo (p. 212), et sans l’ombre d’une démonstration.
284
Ce qui ne devrait surprendre que des esprits prévenus. On a nié l’humour de
Hugo, du temps que la critique bien-pensante en France proclamait que le
poète le plus penseur du dix-neuvième siècle français n’était qu’une bête.
Un nommé Auguste Rochette consacrait alors un livre à l’Esprit dans les
œuvres poétiques de Hugo (1911) pour expliquer que l’écrivain se moquait
de ce qu’on doit respecter, qu’il le faisait lourdement, et que son esprit était
vulgaire. Le préjugé était si fort que même un érudit objectif comme W.
Gottschalk oubliait Hugo dans son examen de l’humour moderne (Die
humoristische Gestalt in der französischen Literatur, Heidelberg, 1928,
p. 197 sq.). Le public moderne est mieux préparé à accepter l’humour
hugolien, grâce d’abord à J.-B. Barrère dont la Fantaisie de V. Hugo, Paris,
Corti, 1949-1950, 3 vol., a dessillé les yeux de la critique. Barrère toutefois
s’intéresse surtout à la thématologie hugolienne, et ne différencie pas
l’humour du comique et d’autres formes de la « fantaisie » ; et il emploie
trop souvent le mot comme s’il ne signifiait que badinage enjoué et piquant.
L’opuscule d’Henri Guillemin sur l’Humour de V. Hugo, Neuchâtel, La
Baconnière, 1951, n’est qu’un recueil des meilleures trouvailles, surtout
polémiques, du poète, et Guillemin confond comique, esprit, ironie et
humour.
285
La variété du roman, sa position centrale dans l’œuvre expliquent mon
choix. Il réunit des caractéristiques qu’il faudrait chercher séparément dans
les romans d’avant 1851 et dans les autres romans de l’exil (Quatrevingt-
treize, plus tardif, restant à part). Mes références donnent le numéro de la
partie, du livre et du chapitre ; les chiffres entre parenthèses renvoient aux
pages de l’éd. M. Allem, Paris, Pléiade, 1956.
286
Les Misérables, III, II, I (p. 636), et III, VI, v (p. 747).
287
Ibid., V, IX, IV (p. 1482-1500).
288
Ibid., II, V, VI-VIII (p. 500-504).
289
Ibid., III, VIII, XXI (p. 854-857).
290
Les Misérables, III, VIII, XXII (p. 858 ; voir p. 416) ; III, VI (p. 164).
291
Tout le deuxième livre de la cinquième partie (p. 1305-1324).
292
Voir le titre du troisième livre : « La boue, mais l’âme » (p. 1325).
293
Les Misérables, V, II, III (p. 112).
294
Construction analogue à celles des plaisanteries ou « bonnes histoires » qui
se terminent sur un punch line, souvent constitué par un jeu de mots,
comme ici (les brouillons de Hugo en contiennent ; voir par exemple
Guillemin, l’Humour..., op. cit., p. 33-34) ; sur ce type, voir V. Morin,
« L’histoire drôle », Communications, 8, 1967, 102 sq., en particulier
p. 109-112.
295
Sur la conversion, voir chapitre III, p. 55 sq.
296
Les Misérables, V, II, III (p. 1312-1313).
297
Sur la fonction de ce symbolisme dans les Misérables, voir R.B. Grant, The
Perilous Quest, Durham, Duke Univ. Press, 1968, p. 170 sq.
298
Comme le définit M. Bardèche, Balzac romancier, p. 22. Cette hiérarchie
est celle, aussi bien, du roman d’intrigue sentimentale, mais elle n’y est pas
exploitée, puisqu’il se cantonne dans une seule classe sociale, sans contacts
extérieurs.
299
Titre de la quatrième partie (p. 861).
300
Fauchelevent rend à Jean Valjean le bien qu’il lui a fait (p. 506 sq.) ;
Gavroche paternel, c’est l’enfant abandonné se changeant en père de deux
enfants abandonnés (p. 989-1010). La thèse est exprimée par la répétition
d’une situation mais à des niveaux « sociaux » différents. C’est l’humour
qui établit la distance entre ces niveaux parallèles, et indique leur
parallélisme (l’homologie situation-nelle), en faisant du second épisode le
rappel formel (déformé) du précédent (Jean Valjean bienfaiteur) ou du
modèle (paternité normale).
301
Les Misérables, I, I, v (p. 43).
302
L’acceptabilité est définie par la conformité aux normes sociales du roman à
personnages aristocratiques et à intrigue sentimentale, qui compte parmi ses
prototypes l’Amélie Mansfield de Mme Cottin ou la Valérie de Mme de
Krüdener, sans parler de Corinne et même d’Armance.
303
Les Misérables, IV, I, III (p. 872-873).
304
Cela va de Marius faisant la cour à Cosette : « Je viens de rencontrer le
chapeau neuf et l’habit neuf de Marius, et Marius dedans » (p. 744 ; voir ses
rêveries sur les initiales d’un mouchoir : « aventures de la lettre U livrée
aux conjectures », p. 751), à la nuit de noces : « dans leur chambre un
bruissement d’ailes confuses (...) au-dessus de ce baiser ineffable (...) un
tressaillement dans l’immense mystère des étoiles » (p. 1429). Le modèle
de transformation est donné par des phrases comme « la maison
Gillenormand devint un temple » (p. 1428).
305
Les Misérables, III, V, IV (p. 727).
306
Ibid., III, V, IV (p. 728). Les seuls mots favorables à la mère
Plutarque — pauvre bonne vieille femme — ne suffisent pas à compenser la
polarisation négative, car ils l’infériorisent par rapport au témoin (narrateur,
et lecteur). Ce n’est pas suffisant pour faire dégénérer l’humour en satire,
d’autant moins que la condescendance est compensée par cette notation
d’humble mérite : Sa gloire était dans ses bonnets, toujours blancs (où le
mécanisme de l’humour est comparable au parapluie-auréole de Louis-
Philippe supra ; voir aussi le banc de Cosette aux yeux de Marius : ce banc
qu’une auréole entourait, p. 746). Voir au contraire un personnage
semblable à la mère Plutarque, mais traité satiriquement : « elle avait une
amie de chapelle, vieille vierge comme elle (...), absolument hébétée, et
près de laquelle Mlle Gillenormand avait le plaisir d’être une aigle »
(p. 646).
307
La servante d’Un cœur simple se rabat aussi sur un animal, mais Félicité, du
moins, a aimé plus haut dans l’échelle des êtres. D’ailleurs l’humour de
Flaubert polarise moins : son perroquet après tout ne s’appelle que Loulou,
le nom du chat de la mère Plutarque charge la caricature — il s’appelle
Sultan.
308
Ibid. L’efficacité de l’image est d’autant plus grande que le thème du
Miserere d’Allegri est du registre sublime dans la littérature du dix-
neuvième siècle (par exemple chez Goethe, Chateaubriand, Mme de Staël ;
voir R. Lebègue, « Le thème du Miserere de la Sixtine », Revue d’Histoire
littéraire, mars-avril 1972, p. 246-263) ; il fonctionne ici comme hyperbole
métonymique du thème (généralement comique) des castrats de la Sixtine.
309
Par André Breton, entre autres, plus que personne sensible au romantisme
propre de l’humour (« Introduction » à l’Anthologie de l’humour noir).
310
Sur les rapports entre fonction référentielle et fonction poétique (qu’il
vaudrait peut-être mieux appeler fonction formelle), voir l’exposé qu’en fit
Jakobson en 1958, dans ses Essais de linguistique générale, Paris, Éd. de
Minuit, 1963, p. 209 sq., en particulier p. 218 ; j’ai essayé de préciser ses
vues en 1962 : voir mes Essais de stylistique structurale, première partie.
311
La réalité étant conçue comme ayant une logique, mythe que reflète le
cliché fait probant opposé à tous les lieux communs sur les mots « dont on
fait ce qu’on veut », que reflète aussi l’opposition logique/alogique qui
rationalise, comme l’a montré Todorov (Littérature et Signification, Paris,
Larousse, 1967, p. 99-100), l’opposition langage naturel/langage figuré.
312
Par structure thématique, j’entends toute structure qui a un ou plusieurs
thèmes pour variantes. Un thème, en revanche, peut correspondre à diverses
structures selon les textes où il apparaît.
313
Les Rayons et les Ombres, XVIII, éd. P. Albouy, Pléiade, t. I, p. 1062-1063.
314
C’est du moins le raisonnement explicite. Mais le jugement de valeur
admiratif est aussi la superposition arbitraire de la constatation d’un fait de
style complexe et du fait que le poème est signé Victor Hugo. On a
cependant démontré depuis longtemps l’avantage qu’il y a, pour l’analyste,
à ne pas tenir compte du nom de l’auteur qui entraîne des réactions
d’admiration ou de défiance stéréotypées, selon l’esthétique du moment
(voir les exercices sur textes anonymes de I.A. Richards, Practical
Criticism : A Study of Literary Judgment, New York, 1929). La critique
traditionnelle prétend faire son évaluation à partir d’une description,
motiver la première par la seconde. Dans la plupart des cas, elle ne fait
qu’ajouter aux substantifs de la phrase descriptive des adjectifs élogieux, ou
plus simplement encore subordonner la phrase descriptive à un énoncé du
type : On admire (ra) dans ce passage la manière dont (...). Le lien entre la
description et l’évaluation n’est pas un rapport de causalité, mais la simple
liaison grammaticale d’un énoncé métalinguistique (relevé de faits textuels)
et de citations tirées d’un corpus « mythologique » ou « idéologique »
(stéréotypes d’une génération de lecteurs, ou du groupe avec lequel le
critique veut s’identifier, à propos d’un auteur donné).
315
M.E.I. Robertson, L’Épithète dans les œuvres lyriques de V. Hugo, Paris,
Jouve, 1926, p. 419.
316
La Fantaisie de V. Hugo, Paris, Corti, 1949, t. I, p. 248.
317
Les autres critiques sont plus ou moins d’accord avec Barrère. Voir les
commentaires de M. Levaillant (L’Œuvre de V. Hugo, Paris, Delagrave,
1938, p. 356), de P. Moreau et J. Boudout (Œuvres choisies, Paris, Hatier,
1950, t. I, p. 857). L’éditeur le plus récent, P. Albouy (Œuvres poétiques,
Pléiade, t. I, p. 1552-1553 ; voir p. 1574) ne fait que reprendre l’exégèse,
vieille de quarante-trois ans, de M.E.I. Robertson. Piétinement révélateur.
Certes, je ne crois pas qu’une exégèse de texte ne vaut que si elle
bouleverse les précédentes : mais, dans le cas qui nous occupe, les
commentaires ne font que répéter deux traits très généraux applicables
indifféremment à beaucoup de textes, et personne n’essaie de rendre compte
du rôle de ces facteurs dans le complexe textuel.
318
L’autre sens du mot, « ensemble, batterie de cloches », est exclu
immédiatement par le singulier qui, opposé au pluriel explicite tes cités
antiques et au pluriel implicite plus d’une église par cité, ne peut que se
référer au son. S’il restait la moindre ambiguïté, elle serait dissipée au vers
5.
319
Hugo, Dernière Gerbe, XXIII, Imprimerie nationale, p. 320. Gaie ou du
moins à valorisation positive (voir Baudelaire, « la Cloche fêlée » : « Au
bruit des carillons qui chantent dans la brume » la valorisation positive est
actualisée par chanter, le parallélisme avec cloche au gosier vigoureux et
l’opposition à la cloche fêlée). Voir encore le fameux « éveil des carillons »
dans Notre-Dame de Paris, III, II (éd. Guyard, p. 162-164) : rien « de plus
riche, de plus joyeux, de plus doré, de plus éblouissant » (p. 164), et enfin
« l’ardeur carillonneuse » de Quasimodo qui met la cathédrale « dans une
perpétuelle joie de cloches » (op. cit., VII, III, p. 300).
320
Nerval et Méry avaient pensé réaliser ce ballet dans la mise en scène de
l’Imagier de Harlem, sixième tableau, scène II, où les heures sont des
danseuses menées en rond par le dieu Pan autour du protagoniste (voir J.
Richer, Nerval, Expérience et Création, p. 590, 602-603) ; ballet semblable
dans Jules Janin, Contes fantastiques, 1832, « La vallée de Bièvre ».
321
Dernière Gerbe, xv, Imprimerie nationale, p. 310. J.-B. Barrère, La
Fantaisie... op. cit., t. I, p. 250, n. 2, croit voir un ballet des heures dans
Dernière Gerbe, XIII, p. 308, ce qui est inexact : il s’agit d’une ronde de
sabbat évoquée par les douze coups de minuit. Proust a exploité un autre
possible : midi couronné de douze fleurons (Pléiade, t. I, p. 70-71).
322
J.-B. Barrère, op. cit., p. 248, pense que l’espagnolisme de la danseuse est
né de l’intérêt que Hugo porte aux traces du baroque espagnol dans
l’architecture des Flandres. Il n’est même pas nécessaire d’invoquer une
curiosité personnelle du touriste poète : l’oxymoron flamand-espagnol est
un lieu commun de la mimésis littéraire de la Flandre au dix-neuvième
siècle. D’autre part, Barrère ne rend pas compte de la composante danseuse.
Il parle de la fantaisie du poète (ce qui est justement ce qui reste à
expliquer), et d’une correspondance, laquelle exprimerait « la légèreté
aérienne, la grâce, l’étrangeté de ces heures qui font des pointes sur le
silence uni de la nuit ». L’ingéniosité et la subjectivité de l’image de Barrère
sont typiques de la critique traditionnelle, qui croit expliquer en
« rivalisant » en prose avec le poème qu’elle commente. Évidemment, nous
avons là une rationalisation a posteriori de l’effet du texte, rationalisation
qui en fait le déforme (les pointes annulent l’espagnolisme de la danse) en
substituant la réalité « danseuse » à l’enchaînement verbal heure qui tourne
→ ronde → danseuse.
323
Notre-Dame de Paris, III, II, éd. Guyard, p. 163.
324
Ibid., VII, III, p. 301. Le roman n’est que de cinq ans antérieur au poème.
325
D’ailleurs, si répandue que soit la connaissance des carillons, elle ne s’étend
justement pas au cas particulier de carillon horaire, qui est flamand,
germanique et anglo-saxon, mais fort peu français.
326
Laquelle tient à ses contextes stéréotypés : adjectifs comme sinistre,
effrayant, ou même funèbre, énoncés dramatiques comme soudain un (e)
(cri, gémissement, plainte, râle) s’éleva (se fit entendre), etc., qui, entre
autres conséquences, portent le lecteur à interpréter la voyelle longue
comme une image de respiration lente et mourante (des contextes différents
épargnent cette interprétation au râle d’eau).
327
Voir chapitre XIII, p. 228.
328
Contextes qui se sont multipliés au XIXe siècle avec les récits de voyages (y
compris ceux de Hugo lui-même : il parle, dans le Rhin, IV, Imprimerie
nationale, p. 47, de « la Belgique, cette terre des étincelantes sonneries »),
les textes historiques (qu’on pense à la puissance de représentation
métonymique d’un mot comme beffroi dans les récits sur les luttes des
bourgeois et des corporations médiévales, chez Michelet, par exemple).
Pour les lecteurs de l’époque, carillon suffit à évoquer des lieux communs
comme la résistance des Pays-Bas à l’oppression espagnole (voir, par
exemple, le Carillonneur de Bruges, opéra-comique de Saint-Georges et
Grisar, 1852), l’esprit démocratique des Flamands, sans parler du thème de
l’appel aux armes du haut du beffroi, qui est déduit littéralement de la
représentation du beffroi.
329
Qu’on pense à la rêverie de l’« Invitation au voyage » : la Hollande est un
symbole de vie heureuse et de plénitude. Un texte de Hugo (Dernière
Gerbe, XXIII) réunit les principaux motifs de cette mythologie positive : en
contrepoint, une série de détails réalistes forment une mimésis prosaïque, et
ironique, des Pays-Bas.
330
L’idée de vibration est inséparable de l’acoustique, mais cette application
générale relève de la réalité seulement. Dans la représentation littéraire,
tous les instruments de musique ne vibrent pas également : bien entendu, la
vibration est mise en relief quand il est question de cloches. Vibration et
vibration sonore apparaissent dès le début de la description des carillons
dans Notre-Dame de Paris (III, III, p. 162-163). Une hyperbole poétique de
la mimésis des cloches les représente si sensibles, d’un bronze si pur,
qu’elles ne cessent jamais de vibrer : les cloches d’airain qui frissonnent
toujours, écrit Hugo (Dernière Gerbe, XIII, Imprimerie nationale, p. 308),
et encore « Sous cette voûte obscure où l’air vibrait encore/On sentait
remuer comme un lambeau sonore.../Car, même en sommeillant,...
/Toujours le volcan fume et la cloche soupire » (Chants du crépuscule,
XXXII, Pléiade, t. I, p. 890). La vibration prend une importance spéciale
quand la cloche sonne l’heure, peut-être parce que sentie, sous l’influence
du mesmérisme, comme harmonique des vibrations nerveuses (hypothèse
qui m’est suggérée par la fréquence du motif de l’harmonica de verre, et de
ses vibrations qui énervent, chez les Romantiques ; voir l’hallucination de
D.P. Schreber, Mémoires d’un névropathe, in Cahiers pour l’analyse, 7,
1967, p. 121, et la cloche « sadique » du Jardin des Supplices d’Octave
Mirbeau).
331
Voir aussi cloche d’argent, clochettes argentines (l’emploi du diminutif
confirmant la valorisation positive de l’adjectif). Sonore est dans les
dictionnaires de rimes une des épithètes de nature de cristal. Cristallin est
devenu l’hyperbole de la vibration probablement pour trois raisons : 1)
parce que le verre est associé à l’idée de vibration, et que cristal est
l’hyperbole de verre ; 2) parce que la vibration, étant représentée comme
une « émotion » (frémissement, par exemple) des fibres, des cordes et du
métal d’un instrument, cette émotion éprouvée par un minéral est une
hyperbole du type adynaton ; 3) parce que, dans la mythologie du cristal, la
vibration la plus intense le rompt (comme en témoignent les plaisanteries
sur le lustre brisé par la plus haute note de la cantatrice).
332
La valorisation est particulièrement nette dans le cas du cristal à cause de
l’opposition binaire cristal/verre (qui joue aussi pour la valorisation de la
transparence : le cristal ennoblit, par exemple, la liquidité comme dans le
Vieil océan aux vagues de cristal de Lautréamont). Hugo se conforme à
cette opposition en écrivant Tout souffle, tout rayon.../ Fait reluire et vibrer
mon âme de cristal (Feuilles d’automne, I, Pléiade, t. I, p. 718), et, par
contre, Une âme.../ De verre pour gémir (Chants du crépuscule, XXXII,
ibid., p. 896). La valorisation dépend, non des caractéristiques réelles des
matériaux, mais de paradigmes verbaux : Hugo, décrivant les carillons de
Paris, pour faire ressortir des sons argentins, les oppose à une cloche de bois
(Notre-Dame de Paris, III, II, p. 163), et pour renchérir sur la vibration
positive des sonneries, l’argent n’y suffisant plus, il en vient à parler d’un
tumulte doré de cloches (ibid., p. 164). Proust, dans un contexte où les
cloches font partie d’un décor de béatitude heureuse, évoque le son d’or des
cloches (Pastiches et Mélanges, p. 237).
333
Le Rhin, IV, p. 47 ; Notre-Dame de Paris, III, II, p. 163.
334
Par exemple, Hugo, L’Année terrible, « Mars », I, Imprimerie nationale,
p. 130 : « (Poètes) Vous tintez le glas pour le traître/Et pour le brave le
tocsin.../Vos chants.../Semblent des urnes renversées/D’où tombent des
rythmes d’airain. »
335
Hugo, Les Rayons et les Ombres, xxxv, v, Pléiade, t. I, p. 1102 ; voir
Dernière Gerbe, IV, Imprimerie nationale p. 298.
336
A la recherche..., Pléiade, t. I, p. 14.
337
Le style poétique de Hugo tend à l’explication : tout notre poème est
discursif et n’ose représenter la vision que par référence à une non-vision :
l’œil croit voir le trou.../Que ferait en s’ouvrant une porte de l’air. Mieux
encore, ce veilleur fait d’oreilles et d’yeux sépare nettement deux ordres de
sensations tout en les unissant en une simultanéité représentée par le
personnage du veilleur : la transposition de l’auditif au visuel n’est donc pas
représentée comme synesthésie, mais comme hallucination. L’hallucination
est efficace poétiquement, mais, du point de vue de la mimésis littéraire,
c’est encore une excuse, un aveu de la nécessité d’une référence à un
contexte rationnel.
338
Voir Saint-John Perse, Oiseaux, Paris, Gallimard, 1963, 9, p. 25 : « l’oiseau,
créateur de son vol, monte aux rampes invisibles et gagne sa hauteur », et
11, p. 29 : (les oiseaux) « tiennent aux strates invisibles du ciel... la longue
modulation d’un vol ». Invisible est évidemment un mot clef des mimésis
de l’anormal, du surnaturel, etc. Plus généralement, indice de
« convention », de « postulat », il permet de transformer n’importe quel
système descriptif, concret, visuel, etc., pour le rendre applicable à la
représentation de l’abstrait, de l’iminatérrel, etc.
339
Voir Hugo, Album de voyage 13 350 (in Dieu, Seuil du gouffre, éd. Journet-
Robert, p. 199 : « effet de soleil merveilleux, un rayon perce la voûte de
brume comme par une fenêtre aérienne » ; voir René Char, Seuls demeurent,
« Carte du 8 novembre » : « vous occupez moins de place... que le trait d’un
oiseau sur la corniche de l’air » ; Michel Leiris, Haut Mal, p. 47.
340
Tout se passe comme si la représentation des nuances était réservée à la
mimésis de prose, comme semble l’indiquer l’emploi du détail (en
particulier du détail non « motivé ») dans le style réaliste. Ce n’est pas à
dire que la poésie n’exprime pas de nuances, mais elle les représente sous
leur forme parfaite, ou complète, bref exemplaire et générale.
341
J’ai noté plus haut l’isomorphisme des mimésis d’oiseau et de danseuse
dans des textes comparables : leur synonymie est ici exploitée dans le
même poème, mais la représentation d’oiseau au lieu de se dérouler en
syntagme est résumée par comme, qui en rappelle l’équivalence avec celle
de danseuse.
342
Distinction qui ne nous ramène pas aux animaux ailés, mais dépend de
l’opposition petit/grand : en contexte d’animalité, grand, à l’échelle
humaine, a des connotations menaçantes, tandis que petit est mélioratif
(comme hypocoristique ; parce qu’il permet d’exprimer un rapport
protecteur-protégé, etc.). Il n’est pas nécessaire que le mot oiseau soit
modifié par petit : y suffisent des substitutions telles que (voler, sauter) →
(voleter, voltiger, sautiller), et, dans le poème, sautant à petits pas.
343
Voir Baudelaire, « Chant d’automne » : « Adieu ! vive clarté de nos étés
trop courts ». Il n’est pas impossible que l’effet du groupe vif et clair,
transformation de vive clarté, soit renforcé par l’ambiguïté phonique qui
permettrait de lire vif éclair, auquel cas on aurait une traduction de soudain
en termes de lumière, ce qui serait encore compatible avec l’ouverture de la
porte (voir André Breton, le Revolver à cheveux blancs, « Toutes les
écolières ensemble » : « après une dictée où le cœur m’en dit s’écrivait
peut-être le cœur mendie »).
344
Voir Baudelaire, « L’horloge », v. 3-4 : « Les vibrantes/Douleurs dans ton
cœur plein d’effroi/Se planteront bientôt comme dans une cible » ; Gautier,
España, « L’horloge » : « Et dans nos cœurs criblés, comme dans une
cible,/Tremblent les traits lancés par l’archer invisible. »
345
Soit comme → ainsi que, flèche → dard, et ∅→ qui tremble. Ce verbe est
senti par contraste au microcontexte vibrant : il est donc interprétable aussi
comme marque de style recherché (variatio).
346
C’est le détail révélateur chez Balzac, Recherche de l’absolu, Pléiade, t. IX,
p. 497 (à opposer à p. 476).
347
Proust, A la recherche..., Pléiade, t. III, p. 249.
348
Voir Marceline Desbordes-Valmore, « Les roses de Saadi » : « J’ai voulu, ce
matin, te rapporter des roses;/Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures
closes/Que les noeuds trop serrés n’ont pu les contenir. »
349
C’est aussi un lieu commun ironique que les sonneries d’horloges soient en
l’occurrence le principal coupable. Mark Twain a décrit une nuit d’insomnie
où les carillons d’une église allemande sonnant l’heure et la demie et le
quart empêchent un touriste de fermer l’œil (A Tramp Abroad, 1879,
chapitres XII et XIII). Voir Proust, Pastiches et Mélanges, p. 236 :
« L’église sonne pour toute la ville les heures d’insomnie des mourants et
des amoureux. »
350
France et Belgique, 18 août 1837 (En voyage, Imprimerie nationale, t. II,
p. 87-88). Chanson chinoise met en relief la fantaisie mélodique (et
développe en code « ethnique » la notation d’une musique de cloches ou de
clochettes — celle-ci est la définition de carillon, mais correspond aussi
aux lieux communs sur la musique chinoise, et à la mimésis de celle-ci dans
la musique occidentale) et par conséquent accentue l’opposition avec la
non-fantaisie, c’est-à-dire l’ennui qui se dégage de ces dormeurs (voir le
Rhin, IV, Imprimerie nationale, p. 47 : le « babillage moqueur, ironique et
spirituel d’un carillon... reprochait à mes deux lourds voisins leur stupide
bavardage »).
351
Chénier, Iambes, IX, Pléiade, p. 193 : « Peut-être avant que l’heure en
cercle promenée/Ait posé sur l’émail brillant,/Dans les soixante pas où sa
course est bornée,/Son pied sonore et vigilant,/Le sommeil du tombeau
pressera ma paupière » ; voir la Légende des siècles, Pléiade, p. 200.
352
Le rapport d’infériorité représenté par une polarité sur axe vertical existe
naturellement en dehors du thème de la cloche : il peut être actualisé par
une voix (par exemple, Chants du crépuscule, IX, Pléiade, I, p. 847 :
« Seule au pied de la tour d’où sort la voix du maître... »). En revanche, sa
puissance est telle qu’il « infériorise » moralement les auditeurs d’une
cloche pourtant « bienveillante » et amicale (elle représente le poète) : les
hommes, « prosternés sous la tour,/Écoutent, effrayés et ravis tour à
tour.../La grande âme d’airain qui là-haut se lamente » (Chants du
crépuscule, XXXII, IV, Pléiade, t. I, p. 894). Voir les Contemplations, « A
celle qui est restée en France », v. 16 : « (église)/Dont la tour sonne l’heure
à mon néant. »
353
Les Contemplations, V, VIII (A Jules J.), v. 13-16. Je souligne les mots qui
correspondent aux fonctions de l’invariant : menace d’en haut, implacable
régularité, valorisation négative. L’accablement de la victime est d’ailleurs
actualisé plus loin (v. 46 : « L’abandon à chaque heure et l’ombre à chaque
instant », où chaque est une variation sur le X à X de de moments en
moments).
354
Les Contemplations, VI, XIV, v. 2-3. Je note ici le rôle structural du
syntagme/X/à (par) /X/, qui exprime le grignotement ininterrompu de la vie
par chaque minute. Voir Baudelaire, « L’horloge » : « Chaque instant te
dévore un morceau du délice/A chaque homme accordé pour toute sa
saison » ; les Contemplations, VI, VI, v. 516 : « Et toute notre vie, en fuite
heure par heure/S’en va derrière nous » ; VI, IX, v. 11 (l’homme) « tombe
heure par heure » ; V, xx, v. 5-6 : « La vie auguste, goutte à goutte,/S’épand
sur ce qui passe et sur ce qui demeure » ; Quatre Vents de l’Esprit, III,
XXVII, v. 83-84 : « L’homme est fait pour mourir heure par heure,
hélas !/Les pleurs, pour tomber goutte à goutte ! » (où le parallélisme
dégage la valorisation négative du syntagme). C’est la géométrie verbale
(successivité interrompue à intervalles réguliers) qui signifie « Temps
dévorant » — et non la réalité des minutes ou des gouttes : voir la mimésis
du creusement millénaire du roc par l’érosion dans Dieu, Seuil du gouffre,
XII, éd. Journet-Robert, p. 84 sq., où, après des répétitions de synonymes
d’acharnement qui elles-mêmes le figurent, v. 51-53, on a zone à zone (v.
55), d’une lame percée allant à l’autre lame (v. 71), Du haut en bas, de bloc
en bloc, de banc en banc (v. 84-85) ; ou celle des ruines qui « laissent
tomber le passé pierre à pierre dans le Rhin, et date à date dans l’oubli » (le
Rhin, lettre xxv).
355
Toute la lyre, III, LVI, Imprimerie nationale, t. I, p. 258.
356
Elle contamine une autre composante du champ lexical d’horloge, le
balancier : « L’horloge de vos jours, ténébreuse sourdine,/Qui dans votre
néant, stupide, se dandine. »
357
Voir Hugo, Les Contemplations, III, II, v. 116-118. Quand le contexte
n’oriente pas le système descriptif négativement, l’esclave cède la place à
l’ouvrier : Dieu, Seuil du gouffre, éd. Journet-Robert, XII, v. 369-370 : « Le
temps, cet ouvrier mystérieux qui court,/Au cabestan du ciel va donc
s’arrêter court. »
358
Toute la lyre, III, XLV, « Umbra », Imprimerie nationale, t. I, p. 226. Voir
d’autres exemples dans Ch. Baudouin, Psychanalyse de V. Hugo, p. 63-64.
359
Chants du crépuscule, XXXII, Pléiade, t. 1, p. 890. Voir l’orchestre dans les
Rayons et les Ombres, xxxv, II (Pléiade, t. I, p. 1099) : « Les gammes,
chastes sœurs dans la vapeur cachées,/Vidant et remplissant leurs amphores
penchées », et « l’archet d’où les notes dégouttent » (ibid., p. 1100 ; voir
p. 836, épancher employé à propos de musique, et aussi le texte cité p. 187,
n. 3). L’image fait partie d’un sous-système allégorique : l’attribut de la
déité est une urne qu’elle verse, équivalent d’une phrase exprimant un
rapport de cause à effet. Gautier oppose à la Paix vidant une corne
d’abondance la Guerre versant « De son urne d’airain une grêle de
balles,/Une grêle de mort » (España, IV, v. 10-11 ; l’image « originale » de
la fin n’est qu’une transformation du cliché qui la précède).
360
Le rapport bourreau/victime est caricaturé ici : un contexte différent
l’orientera vers une description sadique, par exemple condamnés de
l’Inquisition arrosés de liquides enflammés (Torquemada, I, I,VI et II, II, v).
361
Les Contemplations, VI, VI, v. 76, 79-84.
362
Alors qu’il y a des écus, des boucliers longs, des cadrans octogones (sans
parler de leur quadrature originelle).
363
Gautier adopte le même code avec les équivalences cadran « champ clos »
et aiguilles « lances » (España, III, v. 27-28).
364
Il est hors de doute que, jusqu’à une époque récente, Tarpeia faisait partie
de la mythologie du public français. On expliquait le récit de Tite-Live, I,
XI, dans les classes (sans parler des allusions d’Ovide et de Properce),
c’était un exemplum utilisé à enseigner la morale (voir le De Viris), et il est
malaisé d’oublier la bizarrerie des détails du récit. Tout ceci nous assure que
l’étrange emploi du bouclier fait partie du code commun, et que l’allusion
est comprise (à condition toutefois de lire le texte). Cela semble
élémentaire, mais l’exégèse philologique l’oublie parfois. Lire un texte dans
sa littérarité, c’est le lire dans sa littéralité, c’est-à-dire se plier docilement
aux combinaisons des mots. L’unité minimale du style est en effet le groupe
de mots, et non le mot isolé comme le croient encore beaucoup de
commentateurs : aussi leur commentaire tend-il fatalement à confondre sens
en contexte et sens du dictionnaire. Vianey, par exemple (éd. des
Contemplations, Paris, Hachette, 1922, t. III, p. 211) : « L’heure est une
ennemie qui nous frappe et nous tue ; le cadran est son bouclier. » Il ne voit
pas que bouclier est le sujet du verbe, que son rôle symbolique tient à son
rôle grammatical. Au lieu de lire bouclier dans le syntagme, il le ramène à
une généralité dont la pertinence est annulée par ce syntagme, à son emploi
normal dans l’usage et dans la guerre.
365
Sur ce que le concept de latence des structures a de fallacieux, voir
Riffaterre, Essais de stylistique structurale, troisième partie. Les anomalies
sont d’abord senties comme faits de style, puisqu’elles contrastent avec le
contexte, et elles sont alors identifiées comme variantes d’un invariant à
cause de leurs rapports d’analogie avec d’autres anomalies dans d’autres
contextes.
366
On pourra éventuellement tenter une classification littéraire des mots selon
qu’ils sont capables ou non d’engendrer un système, et selon leur rôle en
système. Un mot comme plafond n’engendre littérairement qu’un système à
peu près limité à des notations comme plafond bas ou enfumé, et peut-être
lambris dorés doit-il être placé dans un autre système, en opposition à
chaumière par exemple. Le système descriptif n’a donc pas l’extension du
champ sémantique, tel qu’on le conçoit depuis Trier, ni même celle du
champ associatif de Bally qui englobe des niveaux de style différents et des
séquences qui ne se trouveront jamais dans le même contexte.
367
Ces syntagmes préfabriqués sont susceptibles, par définition, de servir au
« bricolage » : réarrangés sur une structure thématique ou superposés à un
autre système, ils deviennent codes.
368
Les séquences tautologiques et oxymoriques ne sont pas limitées au groupe
nom-adjectif : l’explicitation d’un sème du mot qui les déclenche peut se
faire par un verbe et représenter une action. Soit castor : parmi ses épithètes
de nature figure castor industrieux (laborieux). Le premier thème d’« Après
le déluge » de Rimbaud est la reprise de la vie comme si de rien n’était ;
rien d’étonnant à ce que la structure correspondante (retour à la normale) se
réalise en des énoncés comme les castors bâtirent. La transformation de
l’adjectif en verbe fait la différence entre le descriptif et le narratif.
369
Beaucoup de ces ingrédients sont condamnés comme autant de fautes
morales ou esthétiques par la critique : c’est ainsi que s’est dessiné un
portrait charge de l’école décadente dans l’histoire littéraire (voir G.
Michaud, Message poétique du Symbolisme, Paris, 1951, tome II, p. 264-
267 ; Ch. Dédéyan, Le Nouveau Mal du siècle de Baudelaire à nos jours,
Paris, 1968, t. I, p. 357-364). Le seul critique qui ait prétendu faire une
analyse objective de ces caractéristiques est retombé dans la psychologie de
l’auteur (J.L. Kugel, The Techniques of Strangeness in Symbolist Poetry,
New Haven, 1971, p. 51-52). Mais, quelles que soient les rationalisations
qu’ils suscitent, ces traits sont encodés dans le texte et restent donc
susceptibles d’une analyse formelle.
370
La remarque a été faite par J. Hanse, dans son édition critique des Œuvres
complètes de Maeterlinck, Bruxelles, La Renaissance du livre, 1965, p. 7
(mes références renvoient à cette édition). Hanse voit une seconde
différence entre Maeterlinck et les autres décadents — sa « spiritualité
chrétienne » (p. 9) qu’il attribue très arbitrairement à l’influence d’une
lecture de Ruysbroek. Je crois plutôt que les quelques textes suggestifs
d’une vague religiosité (Oraison, Oraison nocturne entre autres) sont des
exercices dans la manière de Verlaine, et que la foi de Maeterlinck est une
rêverie des critiques catholiques belges au début du siècle (voir les citations
de J. Hanse dans le Centenaire de Maeterlinck, Bruxelles, Palais des
Académies, 1964, p. 74 sq.).
371
Par exemple, J. Hanse, éd. des Poésies, p. 27, 34 ; G. Michaud, Message
poétique du Symbolisme, op. cit., t. II, p. 290 ; R. Vivier, Histoire d’une âme
(sic), p. 130, in J. Hanse et R. Vivier, Maurice Maeterlinck, Bruxelles, La
Renaissance du livre, 1962 ; M. Postic, Maeterlinck et le Symbolisme, Paris,
Nizet, 1970, p. 23.
372
Par exemple, R. Vivier, dans J. Hanse et R. Vivier, op. cit., p. 130-132, M.
Otten, ibid., p. 467.
373
Cité par J. Hanse, éd. des Poésies, p. 31 (voir p. 40).
374
Postic, p. 33 : « univers désaccordé que le poète nous restitue par le langage
G. Doneux, Maeterlinck : une poésie, une sagesse, un homme, Bruxelles,
1961, p. 28-29 : « images chaotiques, (...) absurdes », réaction du poète
désabusé d’un monde dont le désordre le déçoit ; voir aussi M. Otten, op.
cit., p. 465-467, dont le bref article reste la seule contribution sérieuse à une
analyse du texte même.
375
Bulles bleues, cité par J. Hanse, éd. des Poésies, p. 48.
376
Baudelaire, La Fanfarlo, éd. Le Dantec et Pichois, Pléiade, 1963, p. 508 ; J.
Hanse, éd. des Poésies, p. 49.
377
La Curée, chapitre IV (éd. A. Lanoux et H. Mitterand, Pléiade, 1960, t. I,
p. 488). Zola était parfaitement conscient de l’étiquette littéraire qui
convenait à un épisode de ce genre : « J’aime les œuvres de décadence où
une sorte de sensibilité maladive remplace la santé plantureuse des époques
classiques. »
378
Michelet, L’Oiseau, I, Paris, Hachette, 1856, p. 83. Voir Huysmans, A
Rebours, Paris, Charpentier, 1884, p. 126-127, décrivant l’exotisme des
orchidées : « invraisemblables », « fournée de monstres ».
379
Zola, La Faute de l’abbé Mouret, III, XIV, Pléiade, t. I, p. 1516. Le suicide
unit érotisme et mort ; le code métaphysique est musical — morbidité,
sensualité, artifice réunis. L’héroïne est précisément décrite comme une
fleur humaine : « Albine était une grande rose (...) et Serge la respirait, la
mettait à sa poitrine. » Les fleurs mortelles et mourantes : « les jacinthes et
les tubéreuses, exhalant l’asphyxie, se mourant dans leur parfum » (II, VII,
p. 1351).
380
« Cloches de verre » (p. 103). Notons au passage un exemple de dérivation
tautologique typique du discours littéraire en général : ce n’est pas par
hasard que la préposition à fleur de apparaît dans un contexte de serre, donc
de fleurs.
381
Le motif de la belle prisonnière captive d’un cristal se trouve dans le genre
fantastique, et passe dans la réalité sous la forme des presse-papier de verre
englobant une fleur. Voir des titres comme le Mur de verre de Jean
Schlumberger, 1904.
382
« Une martyre. » Les cercueils ici ne sont que des vases, mais, dans la
chaîne associative qui est engendrée par chambre tiède, ces vases sont des
métonymes de serre. Voir une tout autre interprétation dans J. Kristeva,
Sémeiotikè, op. cit., p. 252-253.
383
C’est moi qui souligne, p. 97-113 (« Ame »), 109 (« Feuillage du cœur »),
93 (poème préface, aussi intitulé « Serre chaude »).
384
Sur l’illusion de référentialité, voir mon Semiotics of Poetry, p. 1-19.
385
P. 143 ; voir J. Hanse, éd. des Poésies, p. 268, n. 29.
386
Le jeu de mots actualise la donnée sémantique, ce qui déclenche la
dérivation. Mais il peut aussi servir de clausule à une série de dérivés : dans
« Amen » (p. 142), la variante prison de verre de l’opposition du dedans et
du dehors engendre une dérivation dont l’aboutissement est voir mes
songes... mourir en un palais de glace (le palais est à la fois de glace, et de
miroirs déformants comme dans quelque Luna Park).
387
Sur l’expansion, voir chapitre III.
388
J’entends par code tout système descriptif ou ensemble de systèmes
employé à représenter un signifié autre que celui de son signifiant noyau
(voir chapitre XI) : le système serre chaude est le code de représentation de
l’« âme » du locuteur ; le système cloche à plongeur est le code de serre
chaude au sens figuré que je viens de dire, etc.
389
« Cloches de verre », p. 103.
390
A rebours, chapitre XII, p. 183. Tout le chapitre contient des passages que
l’on pourrait rapprocher de nos poèmes (voir aussi le chapitre v, p. 90). Si
l’on cherchait des influences, Huysmans serait une des sources de
Maeterlinck. Du point de vue du lecteur, le seul qui compte, Huysmans fait
partie de l’intertexte décadent.
391
Les deux strophes et ce vers sont tirés d’« Oraison » [I], p. 95.
392
« Cloches de verre », p. 104 ; « Verre ardent », p. 149.
393
« Serre d’ennui », p. 98.
394
« Oraison » [II], p. 124.
395
Énéide, VI, 883-884 ; Hugo, titre du dernier poème des Chants du
crépuscule. Voir « Lassitude », p. 117 : « roses de joie écloses sous leurs
pas ».
396
« Cloches de verre », p. 104 ; les cygnes sont des signes positifs,
évidemment. Voir « Intentions », p. 168.
397
« Visions », p. 154. Les paupières fermées, mais qui n’empêchent pas de
voir une vision, sont donc une variante des parois de la serre. Voir « Ame de
serre », p. 165 : « je vois des songes dans mes yeux, et mon âme enclose
sous verre, éclairant sa mobile serre ».
398
« Serre chaude », p. 94. Il est clair que des hiboux réels ne pourraient
percher sur des fleurs réelles : les lys sont engendrés par polarisation,
faisant antithèse par rapport à noirceur ou obscurité que présupposent les
oiseaux de nuit. De même, le glas est par ses connotations funéraires plus
proche de minuit que de midi : voir d’autres polarisations, p. 144 : « ils
entrent à midi dans des grottes obscures », et p. 141 : « en roses blanches
dans les caves ». Sur ces dérivations polarisantes, voir chapitres III et XI.
399
« Tentations », p. 99, 101.
400
« Attouchements », p. 172 ; « Cloches de verre », p. 105 ; « Ame », p. 115.
Voir sur des vénéneuses grèves/La joie errante de la chair, dans « Oraison
nocturne », p. 133. Le motif du jardin aux plantes mortelles est également
représenté.
401
A Rebours, chapitre VIII, p. 125.
402
« Regards », p. 159.
403
« Hôpital », p. 130.
404
« Hôpital », p. 129, 131. Polarisations de même signifiance : la flotte
enlisée dans un marais (p. 104), et le navire filant à pleines voiles (cliché de
la vitesse maximale en haute mer) sur un canal (p. 94).
405
Cet infirmier dont la carrière transfère l’opposition dans le temps est côte à
côte avec un personnage qui la répète en discours spatial : postillon (image
du voyage) dans la cour de l’hospice (stagnation, alors qu’auberge, le mot
attendu après postillon, reprendrait l’idée de voyage), « Serre chaude »,
p. 94.
406
« Ame », p. 115 (voir première version dans l’éd. J. Hanse, p. 39) ; « cloche
à plongeur », p. 146 ; « Serre chaude », p. 93.
407
P. 94 ; « Ame », p. 113.
408
« Oraison nocturne », p. 134 ; « Désirs d’hiver », p. 93, 114, 137-138.
409
« Cloches de verre », p. 104.
410
Ce qui est précisément la définition que Breton donne de cet arbitraire :
l’image « la plus forte est celle qui présente le degré d’arbitraire le plus
élevé (...), celle qu’on met le plus longtemps à traduire en langage
pratique » (« (Premier) Manifeste du Surréalisme », in Manifestes du
Surréalisme, Paris, Pauvert, 1962, p. 53). Arbitraire relativement à l’usage
seulement.
411
Les études sur la métaphore négligent la métaphore filée : on se borne à dire
qu’une métaphore filée est une métaphore continuée, et, quand on la
commente, c’est pour la condamner (par exemple Brunot, Histoire de la
langue française, t. III, I, p. 246-261). Il n’est donc pas superflu d’en faire
l’analyse formelle (voir maintenant Ph. Dubois, « La métaphore filée et le
fonctionnement du texte », le Français moderne, 43, 1975, p. 202-213).
412
Pensées de Joseph Delorme, XI (éd. G. Antoine, p. 145) ; les
contemporains l’ont trouvée précieuse (ibid., n. 620).
413
Diane (1573) ; cité par F. Brunot, op. cit., t. III, I, p. 247.
414
Pierrette, Pléiade, t. III, p. 670. Il s’agit de bonnetiers catholiques qui
veulent prendre leur retraite loin de Paris.
415
Teneur et véhicule sont empruntés à la théorie de la métaphore selon I.A.
Richards, The Philosophy of Rhetoric, 1936, chapitres V-VI, précisée par
M. Black, Models and Metaphors, 1962, p. 25-47.
416
Voir R. Jakobson, « Linguistique et poétique », Essais de linguistique
générale, op. cit.
417
Breton, Le Revolver à cheveux blancs, « Sans connaissance », in Poèmes,
Gallimard, p. 107.
418
Breton, Revolver, titre, in Poèmes, p. 89.
419
Case (angl. slot) : la position qu’un mot ou groupe de mots occupe dans un
contexte ou dans une structure.
420
Ces systèmes demeurent implicites dans la métaphore simple, ou bien seul
celui du véhicule est actualisé dans le texte.
421
C’est à Black que revient le mérite d’avoir défini le rôle fondamental de
cette sélection réciproque (angl. interaction) dans la métaphore simple (M.
Black, op. cit., p. 41-42).
422
J’entends bien que Breton l’a définie comme automatisme psychique pur,
mais les associations les plus subconscientes s’expriment encore par des
associations verbales. En tout état de cause, c’est à celles-ci, les seules
visibles dans le poème, que je limite mon analyse. Sur ces problèmes, voir
M. Foucault, Raymond Roussel, 1963 ; J.-Cl. Chevalier, « Apollinaire et le
calembour », Europe, 451-452, 1966, p. 56-76 ; A.H. Greet, Jacques
Prévert’s Word-Games, Berkeley, 1968, et mes Essais de stylistique
structurale, op. cit., p. 161-181. Les exemples ne veulent illustrer que
l’écriture automatique ; (VII) et (x) font partie de métaphores filées.
423
Le Marteau sans maître, cité par H. Jones, « L’écriture automatique »,
Dialogue (Montréal) 2, 1963, p. 187. Poisson soluble, 23, in Manifestes du
Surréalisme, p. 110).
424
Reverdy, Les Ardoises du toit, « Ciel étoilé », in Plupart du temps, p. 189 ;
Éluard, Capitale de la douleur, « A la flamme des fouets », éd. M. Dumas et
L. Scheler, Pléiade, t. I, p. 180 ; la Vie immédiate, « Le bâillon... », Pléiade,
t. I, p. 388 ; Breton, in Éluard-Breton, L’Immaculée Conception, Pléiade, t.
I, p. 354 ; Breton, Poisson soluble, 24, in Manifestes du Surréalisme, p. 111.
425
Ils transposent dans l’unilinéarité de la phrase, sous forme de prédication, le
parallélisme sémantique des deux systèmes.
426
Plus audacieux aussi, mais non différents : (IV) train rond, si choquant, est
de même nature que Baudelaire, « Femmes damnées », v. 22 : « Le cantique
muet que chante le plaisir. » Sur ces degrés d’audace, voir la tentative de H.
Weinrich, « Semantik der kühnen Metapher », Deutsche Vierteljahrsschrift
für Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte, 37, 1963, p. 325 sq., en
particulier 333-335.
427
Ceci s’applique aussi bien aux métaphores filées précieuses comme (II) (à
l’exception de parallélismes gratuits, c’est-à-dire où la métaphore primaire
est inacceptable), ridicules ou non ; dans le cadre de certaines esthétiques,
un rapprochement trop systématique ou le rapprochement de réalités de
niveau social ou esthétique trop différent est décrété abusif ou de mauvais
goût, mais cela n’altère en rien le sémantisme de l’image : par exemple la
métaphore filée d’Arlequin/amour grandissant/bébé grand garçon dans le
Jeu de l’amour et du hasard, II, III, ou même celle de Trissotin dans les
Femmes savantes, III, I.
428
La Rose publique, « Le crépuscule... », Pléiade, t. I, p. 431. Je ne cite que la
première métaphore dérivée.
429
Voir G. Mounin, les Problèmes théoriques de la traduction, p. 230-231 ; la
présentation de C.C. Fries, qu’il cite, a été améliorée par Ch. F. Hockett, A
Course in Modern Linguistics, p. 261-265.
430
La Clé des champs, p. 113.
431
La Rose publique, « La lumière éteinte... », Pléiade, t. I, p. 425.
432
Cf. Éluard, Facile, « L’entente », Pléiade, t. I, p. 460 : « tu bois au soleil »
(le personnage allégorique auquel ceci s’adresse est appelé plus loin
« tranquille sève nue ») ; Capitale de la douleur, « Première du monde »,
Pléiade, t. I, p. 179 : « Un soleil tournoyant ruisselle sous l’écorce. »
433
Leurs selon la règle du § 1.4 (d) ; sur le possessif comme conjonctif, voir
Chr. Brooke-Rose, A Grammar of Metaphor, 1958, p. 46-51, 186-191.
434
Tandis que branches = ruisseaux relève encore de la poétique traditionnelle
respectueuse de la langue : les termes de l’équation ne se définissent pas par
un rapport d’opposition. Il n’y a entre eux qu’un contraste, compensé
d’ailleurs par une fréquente contiguïté au niveau du réel, et une fréquente
association dans les descriptions de la nature. L’opposition eau/air explique
la tension que l’on sent encore dans des composés comme poisson volant
(et qu’on ne sent pas, par exemple, dans chien de mer) et, à plus forte
raison, dans un oxymoron comme scaphandrier de l’air (Éluard, les
Nécessités de la vie, « Le grand jour », Pléiade, t. I, p. 84). Voir le thème
baroque du monde à l’envers : G. Genette, Figures, op. cit., p. 19-20.
435
Il est révélateur que M. Meuraud, L’Image végétale dans la poésie
d’Éluard, p. 73, ait classé ce vers parmi les symboles, donc les images les
moins accessibles, et qu’elle l’ait expliqué par le rêve.
436
Voir d’autres transpositions du paradigme d’excellence : « Leurs lions en
barre et leurs aigles d’eau pure » (Éluard, La Rose publique, « Ce que dit
l’homme de peine... », Pléiade, t. I, p. 429).
437
La Rose publique, « Le baiser », Pléiade, t. I, p. 442 ; voir Hans Arp, Jours
effeuillés, p. 257.
438
Témoin La Fontaine qui l’appelle réveille-matin « (moine) sonneur de
matines » (« La vieille et les deux servantes »).
439
C’est probablement une association automatique qui est responsable de la
complication de l’image : porte → [battant de] porte → battant de cloche,
le chaînon intermédiaire restant subconscient et agissant en dépit d’un sens
tout autre de battant en contexte porte et en contexte cloche. On ne peut le
prouver, mais il y en a au moins un exemple chez Robert Desnos, Contrée,
« La peste », in Calixto, p. 51, v. 1-2 : La cloche n’a qu’un seul battant ; v.
12 (la porte) s’ouvre enfin, son battant claque.
440
« Les aruspices », publié dans la Révolution surréaliste, 8, 1926.
441
Voir Éluard, La Rose publique, « L’objectivité poétique... », Pléiade, t. I,
p. 422 : « Matin brisé dans des bras endormis/Matin qui ne reviendra pas. »
442
La Fontaine, ibid. ; voir la Vie immédiate, « Récitation », Pléiade, t. I,
p. 380 : « Le réveille-matin qui fait des copeaux du dormeur/Et ne lui laisse
que le temps de ne pas s’habiller. »
443
La cloche même, qui l’engendre ici, au lieu d’être balancée peut être
frappée. Littéralement : « Maniant les battants comme des heurtoirs, ding,
ding, ding, ding, ils frappent l’airain avec une rapidité frénétique » (Loti,
Figures et Choses, p. 109). Au figuré : « Qu’est-ce que ce marteau, la
cloche, forge sur cette enclume, la pensée ? » (Hugo, L’Homme qui rit,
Imprimerie nationale, p. 403.)
444
Rilke, Sonnets à Orphée, cité par Bachelard, La Terre et les Rêveries de la
volonté, p. 63 ; voir d’autres citations, p. 160, 190 (Knut Hamsun), 198
(Ruskin). Voir la phrase de Hugo, note précédente.
445
C’est précisément ce qui se passe chez Rimbaud dans « Fêtes de la faim » :
l’hyperbole de la dureté immangeable, nourriture symbolique, par
conséquent, de la faim, c’est la pierre ou le métal. Dureté mise en relief par
son rôle d’enclume (« Dinn ! dinn ! dinn ! dinn ! »), puis par la série :
« Mangez/Les cailloux qu’un pauvre brise,/Les vieilles pierres d’église,/Les
galets, fils des déluges » ; voir le jeu de mots de Proust, Sodome et
Gomorrhe, Gallimard, t. X, p.68 : « galette... dure comme un galet » ;
Antonin Artaud, « Héloïse et Abélard », in Œuvres complètes, t. I, p. 129,
« sexes... durs comme des galets » (voir p. 132, 135).
446
Ponge, Le Parti pris des choses, « Le galet ». Voir aussi le « Prologue » de
R. Murier, Courrier du Centre international d’études poétiques, 58, 1966,
p. 12-13 ; Queneau, Fendre les flots, p. 35. Il est significatif que la rêverie
étymologique au dix-septième siècle ait expliqué galet par une prétendue
racine celtique qui aurait signifié « dur » ; Ménage déjà rejetait l’hypothèse,
mais au dix-neuvième siècle encore le Grand Dictionnaire ne peut se
décider à l’abandonner tout à fait.
447
« (Premier) Manifeste », in Manifestes du Surréalisme, p. 45 ; voir M. Car-
rouges, A. Breton et les Données fondamentales du surréalisme, p. 173 sq.
448
Ghérasim Luca, Héros-limite, « L’écho du cœur », in J.-L. Bédouin, La
Poésie surréaliste, p. 206. En pareil cas, il est d’ailleurs impossible de
différencier la métaphore primaire et les dérivées autrement que par leur
position.
449
Oubliés, « Écoute au coquillage », in Poèmes, p. 262.
450
Le revolver à cheveux blancs, « La forêt dans la hache », in Poèmes, p. 89.
451
Voir Clair de terre, « Au regard des divinités », in Poèmes, p. 41, où une
image analogue représente le Vrai sub specie aeternitatis : « le clocher du
village des couleurs fondues/Te servira de point de repère ».
452
L’animation, mythification, personnification d’un substantif n’est pas rare
comme moyen de traduire un énoncé abstrait en récit imagé : Poisson
soluble, 23, in Manifestes du Surréalisme, p. 110 : « Je ne suis pas perdu
pour toi : je suis seulement à l’écart de ce qui te ressemble, là où l’oiseau
nommé Crève-Cœur pousse son cri. »
453
Tout se passe comme si le code spécial posait une règle de traduction A =
« A ». Voir le fameux Jerimadeth de Hugo, et, chez Breton lui-même, des
néologismes comme oumyoblisoettiste, « poète du souvenir » (oubli,
myosotis, -ettiste comme dans clarinettiste) (Mot à mante, II, in Poèmes,
p. 209), ou des énoncés explicatifs où une comparaison ne fait qu’aller du
même au même : « elle était en grand deuil... Cette femme ressemblait à s’y
méprendre à l’oiseau qu’on appelle veuve » (Poisson soluble, 22, in
Manifestes du Surréalisme, p. 107).
454
Éluard, La Vie immédiate, 1932, « Le bâillon sur la table », Pléiade, t. I,
p. 388.
455
Voir la Vie immédiate, « Confections », xxx ; tout le poème est fondé sur
l’équivalence nuit « cécité », par exemple le sommeil honte d’être aveugle
dans un si grand silence.
456
La notation de couleur, bien sûr, mais aussi de forme. L’horizon forme une
ligne rouge (voir Lamartine, Recueillements, « L’immatérialité de Dieu »,
IV : « D’une bande de feu l’horizon se colore »). Par une sorte de
trigonométrie, les associations verbales forment des coordonnées rouge et
(ligne →) barre qui se croisent à (barre de) fer, fer (rouge).
457
« Blason dédoré de mes rêves », Pléiade, t. II, p. 687. Le manuscrit porte
rompu par le fer rouge/De la lumière et de la nuit (Pléiade, t. II, p. 1205) :il
se peut donc que l’association se soit faite en sens contraire, du supplice à
l’image de lumière. L’extension de fer rouge à nuit souligne à quel point la
fonction référentielle est rapidement altérée. Voir encore, Pléiade, t. I,
p. 402 : une barre de fer rougie à blanc attise l’aubépine.
458
Aussi un critique d’esprit « classique » ne peut-il admirer l’image qu’en
supprimant l’incompatibilité : il est significatif que K.H. Schmitz ait traduit
das zarte Rot des Eisens, ignorant « fer chauffé au rouge » pour ne retenir
que la couleur qui en résulte (Die Sprache der Farben in der Lyrik Eluards,
p. 33).
459
Voir l’épisode du Michel Strogoff (II, v) de Jules Verne, lorsque le héros,
dont tout petit Français a lu les aventures, prisonnier des Tartares, est sur le
point d’être aveuglé par une « lame ardente » qu’on lui fait passer devant
les yeux. Supplice que l’Orient réserve à ses princes tombés, selon le
Larousse du dix-neuvième siècle (s. v. aveugler). L’importance de l’épisode
chez Jules Verne nous assure que peu de lecteurs manqueraient de
comprendre précisément le sens de ce fer rouge (voir l’allusion obscure
qu’y fait Breton, Arcane 17, p. 93 ; aussi les Pas perdus, p. 68). Mais on n’a
pas vraiment besoin de représentation définie ou de connaissances
historiques précises pour comprendre l’essentiel.
460
Poisson soluble, 24, in Manifestes du Surréalisme, p. 112-113.
461
Voir Breton, « (Premier) Manifeste », p. 55 : « L’esprit qui plonge dans le
surréalisme revit avec exaltation la meilleure part de son enfance ». Voir
462
Poissonsoluble, 7, in Manifestes du Surréalisme, p. 81.
463
La Clé des champs, p. 79. Sur la différence entre autonomie et non-sens,
voir V. Erlich, Russian Formalism, p. 158.
464
Voir, entre autres, A. Balakian, André Breton, New York, Oxford Univ.
Press, 1971, p. 65 sq. ; Cl. Vigée, « L’invention poétique et l’automatisme
mental », Modern Language Notes, 75, 1960, p. 143-154 ; J. Gracq,
« Spectre du Poisson soluble », in M. Eigeldinger, André Breton, Neuchâtel,
La Baconnière, 1970, p. 207-220. Et comme correctif : J.-L. Houdebine,
« Le concept d’écriture automatique », in Littérature et Idéologie, numéro
spécial, la Nouvelle Critique, 39 bis, 1970, p. 178-185.
465
Les essais d’analyse grammaticale donnent de maigres résultats, par
exemple G. Mead, « A Syntactic Model in Surrealist Style », Dada-
Surrealism, 1972, p. 33-37. Voir P.A. Brandt, « The White-Haired
Generator », Poetics, 6, 1972, p. 77-83, dont l’approche est beaucoup plus
radicale.
466
Mes citations de Poisson soluble, 1924, renvoient à l’édition Pauvert des
Manifestes du Surréalisme (op. cit.).
467
Je m’attache moins ici à la morphologie du conte (telle que l’établit Propp,
par exemple) qu’à la prise de conscience de ses règles et de ses constantes :
cette prise de conscience, le lecteur, plongé dans une langue et dans sa
littérature, l’acquiert empiriquement. Sur notre séquence, voir aussi J.
Frappier, « Remarques sur la structure du lai », in la Littérature narrative
d’imagination (Colloque de Strasbourg, 1959), Paris, Presses universitaires
de France, 1961, p. 22-39.
468
Sur l’expansion, voir chapitre III, p. 57-60.
469
Sans parler du fait que, dès l’enseignement primaire, le petit Français
apprend à y reconnaître une marque stylistique de l’épopée médiévale, ou
du moins de l’idéologie de cette épopée, dont l’exemple central est la
Chanson de Roland.
470
La lyre comme appareil d’éclairage fut si populaire que le Larousse du dix-
neuvième siècle classe ce sens parmi les significations littérales du mot
(1873). L’anglais appelle encore lyre la tige métallique soutenant l’abat-jour
d’une lampe de table.
471
C’est, au contraire, une incompatibilité au niveau des référents qui joue
dans le cœur à gaz de Tristan Tzara. Le mot (qui est de son invention)
suggère une impossible mécanisation du physiologique. Les signifiés sont
touchés dans la mesure où la distance est encore plus grande entre gaz et les
passions dont le cœur est le siège.
472
Les Sœurs Vatard, chapitre VIII, p. 100. Breton fait allusion au passage dans
Entretiens 1913-1952, p. 11 et 143.
473
Poisson Soluble, p. 98 et 133 (il y a aussi une lyre animée, p. 155).
474
Oiseau ne reparaît dans le texte que lorsque la périphrase est terminée : le
tour est joué.
475
Voir chapitre III, p. 46-49, 51-57.
476
Notons aussi l’intertexte rimbaldien : « L’étoile a pleuré rose. »
477
Germain Nouveau, « Les mains », v. 8. Un cliché archaïque faisait aussi du
sang sous l’ongle un signe de force et de générosité.
478
Voir Baudelaire, « A une Passante » : « ...je buvais (...)/dans son œil, ciel
livide où germe l’ouragan,/La douceur qui fascine et le plaisir qui tue./Un
éclair... puis la nuit ! — Fugitive beauté/Dont le regard m’a fait
soudainement renaître,/Ne te verrais-je plus que dans l’éternité ? » Le
sonnet contient aussi en grand deuil et fait évidemment partie de l’intertexte
de Breton.
479
Les Misérables, II, III, IX, Pléiade, p. 462 : « une petite fille tout en deuil
qui portait une grande poupée rose » ; II, III, XI, ibid., p. 468 : « son
premier soin avait été d’acheter des habits de deuil pour une petite fille » ;
II, IV, III, ibid., p. 478-479 : « en prenant les mots dans leur sens le plus
compréhensif et le plus absolu (...) Jean Valjean était le Veuf comme
Cosette était l’Orpheline (...) Cosette n’était plus en guenilles, elle était en
deuil ».
480
Ibid., II, III, XI, Pléiade, p. 469.
481
Ibid., II, V, IV, Pléiade, p. 495.
482
Voir le manteau de Jean Valjean, avec sa doublure à poche secrète (les
Misérables, II, IV, IV et V, Pléiade, p. 482 et 485), cité dans Poisson
soluble, p. 129. Comme pour l’oiseau d’oiseau-lyre, le texte automatique
oblitère le mot essentiel et tourne métonymiquement autour de ce vide
signifiant (l’habit fait le
483
S“ il était encore besoin de prouver que ce n’est pas là une simple
coïncidence, Hugo emploie grelot plutôt que clochette. Les Misérables, II,
V, VIII, Pléiade, p. 505 : « Il entendait depuis quelque temps un bruit
singulier. C’était comme un grelot qu’on agitait. Ce bruit était dans le jardin
(...) Cela ressemblait à la petite musique vague que font les clarines des
bestiaux la nuit dans les pâturages (...) Il paraissait évident que le grelot
était attaché à cet homme ; mais alors qu est-ce que cela pouvait
signifier ? » L’intertexte hugolien s’étend à d’autres poèmes : le village de
Cosette est nommé p. 129, et Jean Valjean p. 131 (voir les Misérables, II, II,
III, p. 405 sq.).
484
« Situation surréaliste de l’objet », in Manifestes du Surréalisme, p. 237.
485
Citée par J. Starobinski, Les Mots sous les mots, op. cit., p. 18.
486
On sait que la critique a perdu beaucoup de temps à soupçonner les
Surréalistes de savamment calculer de faux automatismes. Vieille confusion
de l’avant-texte et du texte.
487
Je cite d’après l’édition collective de 1958, Paris, Corti, qui réunit, sous le
premier titre, Liberté grande (1947), la Terre habitable (1951), Gomorrhe
(1957) et la Sieste en Flandre hollandaise.
488
J. Gracq, André Breton, Paris, Corti, 1948, p. 194.
489
Liberté grande, p. 41-52.
490
Sur le thème des sensations morbides comme instrument de mimésis de la
réalité, voir les excellentes remarques de J.-L. Leutrat, Gracq, 1966, p. 76-
77, qui cite un passage semblable. Voir aussi le chapitre XII.
491
Sans excepter la chambre à coucher. Celle-ci est plus intime, plus secrète,
mais c’est le salon, pièce de parade et salle de séjour, qui résume le plus
complètement les fonctions de la maison comme retraite, comme lieu de la
vie privée, par opposition au dehors.
492
Giraudoux, Provinciales, Paris, Grasset, 1922, p. 159-160. Voir Rimbaud,
Une saison en Enfer, « Mauvais sang » : « l’horloge ne sera pas arrivée à ne
plus sonner que l’heure de la pure douleur » (éd. S. Bernard, op. cit.,
p. 217).
493
Antiphrase surdéterminée par l’hypogramme wagon-salon ; voir la même
surdétermination engendrant la rêverie d’intimité en chemin de fer dans
Verlaine, Romance sans paroles, « Malines », Pléiade, p. 131.
494
Jean Tardieu, Le Témoin invisible, « Personne », in le Fleuve caché,
Gallimard, coll. « Poésie », p. 37.
495
Liberté grande, p. 36.
496
Pluie a deux systèmes descriptifs, selon qu’il s’agit de la saison froide ou de
la saison chaude. Si le contexte ne précise pas, le mot déclenche seulement
le système « pluie en saison froide ».
497
Les Fleurs du Mal, « Le couvercle », v. 9-14.
498
Voir l’inversion ce qui faisait vivre tue, par exemple Baudelaire, les Fleurs
du Mal, « Au lecteur », v. 23-24 : « Et quand nous respirons, la Mort dans
nos poumons/Descend, fleuve invisible (...). »
499
Sur ces mécanismes, voir le chapitre XIII.
500
Gracq se conforme donc dans la pratique aux réserves qu’il a formulées à
l’égard de l’écriture automatique dans son André Breton, op. cit., p. 171-
180. Quand je parle de justification consciente, je ne fais pas d’hypothèse
sur l’intention de l’auteur pour expliquer le texte : je constate simplement
l’existence d une intention encodée dans la phrase.
501
Éluard, Œuvres complètes, Pléiade, t. I, p. 588 et 725. Un mot (ici, parce
que l’incise n’appartient pas à la séquence engendrée par couvertures) sur le
difficile toute coïncidante à une idée d’elle-même. La phrase me semble
résulter du croisement de pur qui fait partie aussi du système descriptif de la
teneur (pureté de l’air), pur étant « motivé » sur le plan du véhicule, et d’un
jeu verbal, de nature métalinguistique, qui met en forme de tautologie la
structure même de comparaison, soulignant (et indiquant par là même
comment lire, comment comprendre le poème) le fait que l’élément de
comparaison est tiré, littéralement, de ce qui lui est comparé, soulignant
aussi par un déraillement sémantique d’idée à idée la pureté de pur. Voir
Giraudoux, Elpénor, Paris, Grasset, 1938, p. 110 : « Aucune métaphore ne
pouvait s’ajouter aux pensées ni aux mots et les alléger. Le soleil étincelait,
semblable seulement au soleil. La lune semblable seulement à la lune,
brillait. »
502
Lianes ne transforme pas l’averse en pluie sous les tropiques. Le mot est
dérivé d’embrasse en dépit de la teneur, parce qu’en code végétal seule la
liane représente un lien ; de même, dans les flores fantastiques du
Romantisme, les campanules de la digitale deviennent des clochettes.
503
Voir une dérivation identique dans « Villes hanséatiques » (Liberté grande,
p. 40) à partir d’une ressemblance initiale, confirmée comme cliché
érotique : « approfondir sur le foin coupé l’arôme d’une chevelure
étouffante, et ourler un pied et une main nue dont les doigts jouent sur les
cordes compliquées del’air », la joueuse de harpe éolienne sort du
croisement du système « arôme » et du système « air ».
504
Ibid., p. 69-70.
505
Caniche est si purement formel qu’on aboutit à un non-sens : absence
frétillante. Ce n’est pas l’hypallage de caniche frétillant, mais un simple
changement de signe de + à —. On s’étonnait de son absence frétillante est
la transformation de on ne s’étonnait pas de sa présence frétillante. La
réalité importe si peu que la négation a glissé du verbe au substantif.
506
La Terre habitable, « Intimité », p. 99.
507
Liberté grande, p. 22-23 ; voir Leconte de Lisle, Poèmes barbares, Paris,
Lemerre, p. 244-245.
508
Bien entendu les allusions simples sont fréquentes. « Gomorrhe » (p. 107)
commence par un écho de Nerval. « La Vallée de Josaphat » (p. 86)
emprunte les détails de son auberge au Verlaine de L’espoir luit comme un
brin de paille, et l’auberge, peut-être, à « La mort des pauvres » de
Baudelaire ; etc. Reconnues, elles valorisent, comme le cliché.
509
Liberté grande, la Terre habitable, p. 92.
510
Ibid., p. 58-59.
511
Une saison en enfer, « Délires II » (éd. S. Bernard, op. cit., p. 229-230) ; le
titre ne figure que dans la version des Derniers vers (op. cit., p. 155).
« Villes » (op. cit., p. 277) contient une image analogue : « Et une heure je
suis descendu dans le mouvement d’un boulevard de Bagdad où des
compagnons ont chanté la joie du travail nouveau. » L’identification est
d’autant plus facile que les textes de Liberté grande sont imprégnés de
Rimbaud : « Grand Hôtel » (p. 26) contient un écho de « Marine », « Pour
galvaniser l’urbanisme » (p. 11) cite « Dévotion », etc. Bien entendu, le
thème du matin et celui du travail recommencé sont liés chez bien d’autres
poètes, dans « Eclaircie » des Contemplations, dans le « Crépuscule du
matin », etc.
512
Ch. Cros, Le Coffret de santal, « Fantaisies en prose », éd. Forestier et Pia,
p. 123-125 : « C’est un meuble de marqueterie et voilà tout... (mais) quand
le meuble est fermé, quand l’oreille des importuns est bouchée par le
sommeil ou remplie des bruits extérieurs, quand la pensée des hommes
s’appesantit sur quelque objet positif (ou) aussitôt le regard détourné (...) les
girandoles s’allument. Au milieu de la salle, pendu au plafond, qui n’existe
pas, resplendit un lustre » et le bal commence.
513
Liberté grande, « Scandales mondains », p. 54-55. C’est du joli est
l’équivalent de rien, n’est-ce pas, ne s’était passé dans notre poème.
514
Sans parler des décors attentifs d’Argol, on trouve, dans Liberté grande, des
villes hypnotisées qu’un son va libérer (p. 15), des forêts immobiles et
silencieuses comme deux armées avant le chant de la trompette (p. 60), des
quartiers déserts dans un silence plus prenant que celui d’une émeute avant
le premier coup de feu (p. 65).
515
La fréquence des formes joue son rôle : que les pavés reprennent leur place
dans leurs alvéoles est la preuve linguistique du fantastique puisque, dans
l’immense majorité des cas, alvéole est subordonné à des constructions
comme arracher de. Le fantastique est ici le simple renversement verbal
d’un cliché irréversible.
516
Je pense à des textes comme, dans les Contemplations, « La fête chez
Thérèse », et, dans les Illuminations, des poèmes comme « Nocturne
vulgaire » où la campagne change à vue comme un plateau d’opéra, et
encore « Scènes », « Fête d’hiver ». Il y a même des versions
humoristiques, comme ce truquage des Alpes suisses pour le plaisir et la
sécurité du touriste qu’imagine un galéjeur dans Tartarin sur les Alpes.
517
Illuminations, « Villes », « Ce sont des villes ! » (notons que le texte
contient des cortèges, et même le mot orphéonique, comme dans le poème
de Gracq). Voir Hong Kong comme coulisses de théâtre dans Cocteau, Mon
premier voyage, Paris, Gallimard, 1936, p. 134-135.
518
On trouvera dans « Paris à l’aube » (Liberté grande, p. 89-93) une
traduction de la même expérience poétique en style de raisonnement,
d’étude sociologique presque, encadrant, comme ici, des métaphores de la
vie secrète, du suspens aux confins du jour et de la nuit.
519
Le secret, exprimé déjà par Coulisses, dissimulation, et toute la
représentation de la ruine, est souligné encore un instant en code érotique :
l’observateur devient voyeur, la clandestinité devinée devient scandales
(p. 59) et l’envol dans le chien et loup de l’aurore d’un jupon de dentelles
(voir la Basilique de Pythagore, p. 62).
520
Voir un groupe bien révélateur : bestioles minuscules, ingénues (Un beau
ténébreux, p. 161).
521
Du point de vue de la genèse, cette interférence s’explique par la rencontre
du cliché cité et, dans le système descriptif du buveur (le buveur étant lui-
même la conséquence d’orphéon, faisant naître un décor de fête
municipale), du cliché dissiper les brumes de l’ivresse (l’alcool).
522
Gracq, André Breton, op. cit., p. 191.
523
Ibid., p. 186.
524
Ce sont les critères que Gracq applique à André Breton : Préférences, Paris,
Corti, 1961, p. 137.
525
Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers, Paris, Gallimard-Éd. du
Seuil, 1970, p. 111-112 ; c’est toute la démonstration qu’il faut lire, phrase
par phrase, jusqu’à la fin de cet emprunt au Parti pris des choses.
526
Entretiens..., op. cit., p.. 190-191 La phrase matricielle, comme tout
invariant structural, reste implicite, et c’est à l’analyste de l’actualiser sous
sa forme la plus simple (comme fait Ponge : « la beauté est la beauté »),
mais il est aussi possible de la trouver dans le texte, à peine cachée par la
dispersion paragrammatique, comme ici, dans l’incipit du sonnet.
527
Voir chapitres III, v et XI.
528
Pour un Malherbe, Paris, Gallimard, 1965, p. 275.
529
« Des cristaux naturels », in le Grand Recueil, t. II, Méthodes, Paris,
Gallimard 1961, p. 200.
530
En faisant l’hypothèse d’une transformation, je m’efforce de m’en tenir à
des groupes attestés dans la langue. Voir un exemple de cette transformation
d’autant plus démonstratif du caractère contraignant de la forme que le sens
de coffrer n’a plus de rapport avec trésor : « (Mallarmé) a coffré le trésor de
la justice, de la logique, de tout l’adjectif. Les magistrats de ces arts
repasseront plus tard. » (Poèmes, « Notes d’un poème », Tome premier,
p. 154).
531
M. Spada, Francis Ponge, Paris, Seghers, 1974, p. 53-65 ; G. Genette,
Mimologiques, Paris, Éd. du Seuil, 1976, en particulier p. 377-381.
532
Entretiens..., op. cit., p. 189-190.
533
J’ai esquissé une poétique de l’humour chez Ponge dans Semiotics of
Poetry, op. cit., p. 124-138 ; voir ici même le chapitre x.
534
Je pense à Ogden Nash aux États-Unis, ou, en France, à Audiberti, qui
modifie, par exemple, nuit en nouit pour rimer à oui (« Chanson pour
mourir un jour »).
535
Le Grand Recueil, t. I, Lyres, Paris, Gallimard, 1961, p. 127.
536
Marcel Spada note semblablement à propos de la Seine que le « prétendu
échec (rhétorique) sauve (...) l’ouvrage de la banalité du guide touristique et
devient un moyen de construire un objet littéraire avec ses qualités
propres » (op. cit. p. 37).
537
Fables logiques, « De la bouche », 1924-1928, in le Grand Recueil, t. II,
p. 181.
538
Grammatical au sens large du terme : ici, conformité aux règles
distributionnelles et sémantiques du lexique.
539
Le Grand Recueil, t. II, p. 200-202.
540
lbid., p. 202.
541
Le paragramme est, ici, le genre lui-même, c’est-à-dire un système de
prévisibilités dans la séquence verbale, et donc d’expectations chez le
lecteur. L’incompatibilité peut être limitée à l’un des sens simultanément
proposés au lecteur par un seul mot, ou porter sur le fait même du jeu de
mots, sur le trope.
542
« L’asparagus », in Nouveau Recueil, Paris, Gallimard, 1967, p. 131-139 ; le
passage ci-dessus, p. 133.
543
Ibid., p. 135.
544
Ce doit être rare, mais enfin cela est : Paul Imbs, Trésor de la langue
française, s.v. -ace (t. I, 1971, p. 485).
545
« Interview sur les dispositions funèbres », 1953, in le Grand Recueil, t. I,
Lyres, Paris, Gallimard, 1961, p. 183.
546
Entretiens..., op. cit., p. 170, où il confond sémantique et étymologie : « Le
comble, pour un texte, serait que chacun des mots qui le composent puisse
être pris dans chacune des acceptions successives que le mot a eues au
cours de son histoire. » Le jeu de mots géné-analogie (ibid.) remplace
heureusement cette rationalisation à la manière d’Isidore de Séville par
« associations d’idées » hic et nunc.
547
Pour un Malherbe, p. 275.
548
Sur ce vide du non-dit, foyer de la signifiance, voir le chapitre v, p. 77 sq.
549
Le Grand Recueil, t. I, « Lyres », p. 128-134. Le texte est de 1956.
550
Ibid., p. 129 et 130.
551
« La rage de l’expression », in Tome premier, p. 226.
552
Michelet, L’Oiseau, chapitre « L’œuf » (p. 10). On peut continuer le jeu
parallèle : Ponge appelle la centrale électrique qui alimente ses « oiseaux »
l’Olympe de notre époque, habité de dieux terribles, de tonnerre. Voir aussi
les guêpes comme étincelles jaillies d’un brasier (Tome premier, p. 268).
553
« Notes prises pour un oiseau », Tome premier, p. 278.
554
Ou plutôt, les règles du titre. Sémantiquement, illuminations pose
l’invariant des variantes textuelles. Sémiotiquement, les italiques exigent la
variation ; le mot en italiques joue à dire autre chose que ce qu’il semble
dire.
555
Tome premier, p. 283.
556
Entretiens..., op. cit., p. 171 : « mort de l’objet du désir (...) du prétexte pour
que puisse naître le texte ».
557
Le Grand Recueil, t. I, Lyres, p. 25 (1932).
ISBN 2-02-005209-1
© Éditions du Seuil, 1979.
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