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DE
MARIE-ANTOINETTE
qui dans cette fête joyeuse, où les rires fusaient avoue : « Je sentis
mon cœur bien français ».
Un bal à l'Opéra de Paris, une réception à Versailles permirent
à Georgiana de rencontrer Marie-Antoinette avant son retour à
Londres, qui eut lieu en mars 1774. Sa présence à Versailles est signa-
lée dans une correspondance du comte Esterhazy venu tout exprès
du Luxembourg, où il résidait alors auprès de l'impératrice Marie-
Thérèse. Le comte Axel de Fersen s'y trouvait. C'est en décrivant
à son père l'éclat de ces soirées que Fersen exprima pour la première
fois son admiration passionnée pour la reine. Fut-il chargé par
celle-ci, encore Dauphine, d'un message pour sa jeune amie anglaise?
On ne peut l'affirmer. Mais, i l est certain que la première rencontre
de Fersen et de Georgiana peut être située à cette date. Deux jours
après la mort de Louis X V , le beau Suédois, quittant Paris pour
Londres, assistait, le 7 juin 1774, avec le duc de Dorset et le comte
de Guines, ambassadeur de France, au mariage de Georgiana Spencer
avec le duc de Devonshire.
(1) Charles F o i , homme d'Etat anglais, chef du parti Whig, 1749-1806. — Edmond
Burke, écrivain et orateur anglais, 1729-1797.
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222 U N E AMIE A N G L A I S E DE MARIE-ANTOINETTE
ayant jeté un regard sur son habit, i l lui a présenté une manche
en lui disant : « Voici la plus jolie. » Mme de Genlis a été la maîtresse
de ce vieil ours et est maintenant la gouvernante des princesses
ses filles. » E t Walpole d'ajouter : « Qu'aurons-nous encore à
apprendre de France ? »... car les nouvelles circulaient entre Londres
et Versailles en un incessant va-et-vient. On devine aisément
avec quel déplaisir Marie-Antoinette, en assez mauvais termes
avec le duc de Chartres, apprenait les assiduités de son cousin
auprès de sa belle amie anglaise. L a paix de Versailles en détourna
ses pensées. Le comte de Fersen revenu d'Amérique associait
sa gloire à celle de Lafayette. Décoré par Washington de l'ordre de
Cincinnatus dont i l portait avec fierté l'emblème à la Cour de
France, il reçut de Louis X V I , sollicité par la reine et le comte de
Vergennes, la propriété du Régiment royal dont il devenait colonel.
En France, cette campagne victorieuse fut célébrée comme une
revanche sur le traité de 1763 que l'Angleterre nous avait imposé.
A Londres, le parti de l'Indépendance, dont Charles Fox avait
plaidé la cause à Versailles, fêta sa victoire chez la duchesse de
Devonshire. Décidé à réaliser son idéal de liberté, le marquis de
Lafayette écrivit à sa bienfaitrice un message remis aussitôt après
la paix de septembre par le comte de Fersen de passage à Londres :
2 août 1783.
Depuis longtemps paré des titres de bon Chevalier, j'ose saisir la circonstance
actuelle pour vous renouveler un hommage en servant la liberté! J'aimais à penser
qu'elle vous est chère et la plus belle cause peut encore être embellie par votre intérêt;
celui qui m'attache à vous, Madame la Duchesse, vous répond de la part que je prends
à tout ce qui vous regarde, car, en vous en offrant l'assurance permettez-moi d'ajouter
que nous connaître est mon plus précieux trésor et que rien n'égale mon empressement
à vous aller rappeler une ancienne promesse ; plein de reconnaissance pour les bontés
que Mme de Coigni m'a témoignées de votre part, je me sens encouragé à vous en
detnander la continuation et j'ose croire inutile d'assurer votre Grâce de l'attachement
du dévouement et du respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Madame la Duchesse,
votre très humble et obéissant serviteur. — Lafayette (1).
*
Des jours suivirent : faits de silence et d'ombre. Nul n'ignore
à quel point la triste affaire du « collier » fut sur la route de Marie-
Antoinette un acheminement vers la Révolution. Jeune et frivole,
la reine applaudit inconsidérément au Théâtre de Trianon les
Il est impossible, mon cher ami, de vous exprimer toute l'inquiétude que m'a
causée votre lettre. Je vois bien clair dans vos projets, vous allez joindre le
comte d'Artois; je vous conjure d'abandonner ce projet. Vous pouvez bien me croire
moi qui sais combien vos compatriotes sont injustes; vous êtes à présent l'objet de
leur haine; si le comte d'Artois a quelque projet aidez-le de vos conseils mais je vous
en conjure à genoux, ne quittez pas l'Angleterre. On vous a blâmé en France pour
le petit voyage que vous avez fait auprès de lui à Namur, cher ami, on n'ose pas comme
l'on sait que je vous aime parler ouvertement devant moi, mais comme je suis très
inquiète de tout ce qui vous regarde j'ai des moyens de savoir l'opinion publique...
vos conseils, d'où vous êtes lui feront du bien, cette présence, o ù il est lui ferait du tort.
Revenez à vous ; je sais que l'on vous guette, que même sur mer il y a des pirates, que
dans tous tes ports il y a des espions. Mr. le comte d'Artois est bon, aimable, ne manque
pas d'un certain^sprit, mais il n'a pas le caractère, le courage, le nerf qui est ce qu'il
faut à un chef de parti. Il est comme tous les Bourbons d'aujourd'hui sans assez de suite
pour conduire une grande entreprise ; vous serez la victime si vous le joignez. Qu'avez-
vous à gagner à présent ? El que n'avez-vous pas à perdre ? Vous n'êtes pas militaire,
vous n'avez qu'à rester où vous êtes jusqu'au moment d'une révolution qui sûrement ne
lardera pas ; alors vous retournerez en France, vous jouerez un grand rôle si vous
le voulez... mais, sans avoir été à Paris je n'aurais pu deviner... le peuple est à présent,
le plus fort, il a le glaive en main, il a forcé toute une nation à se coucher sous le joug.
Que fait votre poignée de nobles et de gens sensés en France ? ils ne font que gémir
et se soumettre, et vous, mon cher ami, sans avoir fondé ou d'utilité ou de succès vous allez
exposer votre vie ! Au reste si rien, si mes prières, si mon chagrin, mon inquiétude
ne vous fait rien, dites-vous que j'arrange ma dette avant votre départ; je n'ai pas
le courage de vous parler d'autre chose; si je vous ai offensé, prenez-vous-en à mon
amitié.
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ci) Voir l'article de M. R. Lacour-Gayet, dans la Revue des Deux Mondes du l"-9-1961.
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(1) L'enfant de Georgiana et de Charles Grey qui naquit en Provence reçut le nom
d'Elisa Courtenay ou Courtney et n'eut jamais accès au Devonshire-House.
(2) Réserve de la Bibliothèque Nationale.
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G. CASTEL-ÇAGARRIGA.