Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
GUERRE
Roman inédit
Gallimard, 2022
REVUE DE PRESSE
Le Petit Célinien
www.lepetitcelinien.com
Sommaire
RADIO/TV
(cliquez sur le lien pour accéder à l’enregistrement)
> RTBF/RTS/Radio
Radio
Sud
Librairie
Egalité
France
Radio,
Courtoisie,
&
Inter,
Mollat,
Réconciliation,
1029
juin
avril
11
Canada/France
19
2022
juin
mai
2022
(Gibault)
2022
2022
28(Gibault
juin
(Alban
(Gibault
2022
Inter,
& Cerisier)
Fouché)
&
La > France Culture, 10 mai 2022 (Gallimard &
> CNews,francophone,
Laudelout)
librairie 1er mai 202219(François
juin 2022Gibault) Pagès)
> RTL, 3 mai 2022 > Radio Courtoisie, 13 mai 2022 (Olivier Maulin)
> Europe 1, 4 mai 2022 > Radio Courtoisie, 13 mai 2022 (David Alliot)
> France Info, 4 mai 2022 (Pascal Fouché) > Radio Notre Dame, 16 mai 2022 (Pascal
> RFI, 4 mai 2022 (Pascal Fouché) Fouché & David Alliot)
> Radio Télévision Suisse, 5 mai 2022 (Emile > France Culture, 15 mai 2022 (Pierre Benetti &
Brami) Odile Roynette)
> France Culture, 4 mai 2022 (Alliot, Fouché, > Radio Vassivière, mai 2022 (Pascal Fouché)
Roussin) > France 5, La p'tite librairie, 6 juin 2022
> France 5, 5 mai 2022 (Emile Brami) (François Busnel)
> Arte Journal, 6 mai 2022 > France Inter, 5 juin 2022
> Euronews, 6 mai 2022 (Pascal Fouché) > Radio Canada, 8 juin 2022 (Bernabé Wesley et
> Quotidien, 6 mai 2022 (François Gibault) l'écrivain Biz)
> France Inter, Le masque et la plume, 8 mai > France 3 Nord Pas-de-Calais, 15 mai 2022
2022
> France 2, Télématin, 9 mai 2022 (François
Gibault)
PRESSE ÉCRITE
Un inédit de Céline, "Guerre", publié en mai (PAPIER GENERAL) Par Hugues HONORÉ
littérature-édition PREV
29-03-2022 18:28:51
Pays : FRA
FRFR
PARIS, 29 mars 2022 (AFP) - Un roman inédit de Louis-Ferdinand Céline, "Guerre", paraîtra le 5 mai aux éditions
Gallimard alors que l'auteur lui-même croyait à jamais perdu ce récit du premier conflit mondial.
"Guerre" provient des fameux manuscrits de Céline retrouvés et révélés au grand public en août 2021.
Le roman intégrera la classique collection Blanche, dans une édition établie par l'historien Pascal Fouché et avec un
avant-propos de l'avocat François Gibault, exécuteur testamentaire de l'écrivain et spécialiste de son oeuvre.
Gallimard évoque dans sa présentation de l'ouvrage "une liasse de deux cent cinquante feuillets révélant un roman
dont l'action se situe dans les Flandres durant la Grande Guerre". Ils contiennent un "manuscrit de premier jet, écrit
quelque deux ans après la parution de +Voyage au bout de la nuit+", soit en 1934.
"Céline, entre récit autobiographique et oeuvre d'imagination, y lève le voile sur l'expérience centrale de son existence:
le traumatisme physique et moral du front", ajoute l'éditeur.
Le futur écrivain, âgé de 20 ans quand éclate la Première Guerre mondiale, est resté marqué toute sa vie par les
horreurs des combats dans la région d'Ypres (Belgique) en 1914. Il dénonce dans "Guerre" un "abattoir international en
folie", relève Gallimard.
"J'ai toujours dormi ainsi dans le bruit atroce depuis décembre 14. J'ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est
enfermée dans ma tête", dit un autre extrait divulgué par la prestigieuse maison d'édition.
Le récit s'ouvre sur le moment où "le brigadier Ferdinand" reprend conscience sur un champ de bataille où il a été
grièvement blessé. Il suit sa convalescence dans un hôpital où il se lie avec une infirmière et un souteneur, Bébert. Sa
hantise, comme celle de tous les blessés: devoir repartir au combat. Il y échappera en étant déclaré inapte et envoyé à
Londres.
- D'autres inédits -
====================
Le romancier, collaborationniste et antisémite, avait laissé ce roman parmi une immense masse de papiers lorsqu'il
avait quitté Paris pour l'Allemagne en juin 1944.
Il apprit ensuite que son appartement avait été visité et dénonça un vol. Mais à sa mort en 1961 il n'en connaissait pas
les coupables. Leur identité reste un mystère aujourd'hui encore.
En 2020, un an après la mort de Lucette Destouches, la veuve de Céline, le journaliste Jean-Pierre Thibaudat se
signalait auprès des ayants droit: il détenait ces manuscrits depuis une quinzaine d'années.
Ces ayants droit, François Gibault et une autre proche de "Mme Céline", Véronique Robert-Chovin, n'ont pas souhaité
négocier avec lui. Ils en ont récupéré l'intégralité, comme allait le révéler le journal Le Monde à l'été 2021.
La maison d'édition de Céline prévoit une exposition intitulée "Céline, les manuscrits retrouvés", à la Galerie Gallimard
à Paris, du 6 mai au 16 juillet, dont l'universitaire Alban Cerisier sera commissaire.
Suivront à l'automne deux autres inédits, "Londres", récit de son départ pour la capitale britannique en 1915, qui
devrait être bien plus long que "Guerre", et un conte médiéval, "La Volonté du roi Krogold".
Enfin, en 2023, Gallimard compte faire paraître de nouvelles éditions du roman "Casse-pipe", inachevé dans son
édition connue jusque-là, et du tome III des romans de Céline dans la Bibliothèque de la Pléiade.
En 2021, le PDG de la maison d'édition Antoine Gallimard disait vouloir établir toutes ces éditions "de façon très
scrupuleuse", alors que Céline, malgré l'immense succès que lui avait valu "Voyage au bout de la nuit", avait été réticent à
publier toutes ces oeuvres.
hh/may/or
1. « Guerre »
C’est sous ce titre que paraîtra, le 5 mai, chez Gallimard, un roman de 192 pages totalement
inédit de Louis-Ferdinand Céline (1894-1961). Dans un style à mi-chemin entre « Voyage au
bout de la nuit » (1932) et « Mort à crédit » (1936), Ferdinand y raconte comment, blessé au
front en 1914, il s’est trouvé en proie à des hallucinations et des bourdonnements incessants :
« J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête », dit-il vingt ans plus tard.
2. Trésor
« Guerre » vient des très nombreux manuscrits qui auraient été volés chez Céline, quand il a fui
Paris pour Sigmaringen en juin 1944. Un « trésor » de milliers de feuillets, qui a fait une
réapparition spectaculaire en août 2021 : l’ancien journaliste de « Libération » Jean-Pierre
Thibaudat, qui les détenait secrètement, avait contacté les ayants droit de l’écrivain pour faire
enfin publier ces textes mythiques.
3. Justice
Le ton est vite monté du côté des héritiers de Céline, dont les droits tomberont dans le domaine
public en 2031. L’avocat François Gibault et Véronique Chovin ont porté plainte pour « recel de
vol » contre Thibaudat, et récupéré les manuscrits. La justice a classé la plainte, en estimant qu’il
est impossible de prouver qu’ils ont été volés à la Libération. Tout simplement.
4. Inventaire
Gallimard a mobilisé en urgence des céliniens reconnus, comme le professeur Henri Godard :
après « Guerre », ils espèrent à l’automne sortir « Londres », qui en est la suite sur 450 pages,
mais aussi « la Volonté du roi Krogold », légende médiévale que Céline avait tenté en vain de
publier. Une version complétée de « Casse-Pipe », qui raconte la vie de caserne à la veille de
1914, est annoncée début 2023. Le « trésor » contient aussi des lettres, des documents et le
manuscrit de « Mort à crédit ».
5. Porno
Une infirmière « branleuse » qui caresse les blessés parmi les agonisants, une prostituée qui
piège les soldats anglais, un Ferdinand voyeur qui se régale… Dans « Guerre », le corps-à-corps a
moins lieu sur le champ de bataille qu’à l’hôpital et l’hôtel. Ce texte de premier jet comporte des
scènes pornographiques bien crues. La suite, « Londres », semble tout aussi cochonne.
6. Antisémitisme
Ecrivain génial, Céline est aussi sinistrement célèbre pour l’antisémitisme viscéral qu’il a
exprimé à partir de 1937 dans des pamphlets d’une violence inouïe. On n’en trouve pas trace
dans les romans retrouvés, qui sont antérieurs. Il y aurait même, dans « Londres », le très beau
portrait d’un médecin juif qui initie Ferdinand à la lecture.
LIRE AUSSI > Antisémitisme et littérature : les céliniens sont-ils des salauds ?
7. Exposition
Le 6 mai s’ouvre à la Galerie Gallimard, à Paris, l’exposition « Céline, les manuscrits retrouvés ».
Les fameux inédits y côtoieront des tirages originaux de photos de l’époque. Sur l’une, Céline
pose sagement entre ses parents. Ce qui n’empêche pas Ferdinand de dire, dans « Guerre » :
« Jamais vu ou entendu quelque chose d’aussi dégueulasse que mon père et ma mère. »
8. Fille cachée
La rumeur court. Durant la Première Guerre, l’auteur de « Voyage… » aurait eu une fille avec
Alice David, qui l’a soigné à Hazebrouck après qu’il a été blessé au bras. L’infirmière lubrique de
« Guerre » peut-elle être un double d’Alice David ? François Gibault, biographe de Céline, le
réfute fermement.
9. Fausses pistes
Mais qui a bien pu confier les manuscrits à Jean-Pierre Thibaudat ? L’ex-journaliste de « Libé »
invoque bizarrement le « secret des sources ». Dans cette histoire folle, un nom revient : Oscar
Rosembly, qui aurait perquisitionné l’appartement de Céline en 1944, puis transmis le « trésor »
à sa fille, installée en Corse, qui l’aurait à son tour remis à Thibaudat. Lui nie ce scénario. Les
feuillets sont-ils alors passés entre les mains des résistants du réseau auquel appartenait sa mère
Gilberte ? Mystère.
10. A suivre…
Une chose est sûre : Jean-Pierre Thibaudat espérait être associé à la publication de ces inédits,
qu’il affirme avoir laborieusement déchiffrés. Or Gibault, dans son avant-propos à « Guerre », ne
mentionne même pas son nom. Cette indifférence le poussera-t-elle, un jour, à parler ? Son
avocat, Emmanuel Pierrat, le laisse entendre.
Miracle, surtout, car nous n’aurions jamais dû lire ces pages. Pour comprendre
comment elles sont arrivées jusqu’à nous, un bref détour par les jours confus de
la libération de Paris s’impose. Dès juin 1944, Louis-Ferdinand Céline, auteur
de trois terribles pamphlets antisémites et proche des Allemands, sait que ses
jours sont comptés sur la butte Montmartre, où il vit avec son épouse, Lucette.
Ils ont tout juste le temps de coudre des pièces d’or dans la doublure d’une veste
et d’embarquer leur chat, Bébert, avant de filer gare de l’Est, direction Baden-
Baden, puis Sigmaringen, où ils retrouvent tous les ultras de la collaboration
autour du maréchal Pétain.
Dans sa précipitation, la mort dans l’âme, l’écrivain doit abandonner une pile de
manuscrits au-dessus d’une armoire de la rue Girardon. Ces liasses vont
mystérieusement disparaître dans la confusion de la Libération. La rumeur,
accréditée plus tard par Céline lui-même, accusera un certain Oscar Rosembly,
arrêté à l’époque pour avoir « visité » les appartements de quelques
personnalités montmartroises. Certains évoquent plutôt un pillage par un
commando des Forces françaises de l’intérieur.
Céline se plaindra amèrement de ce vol jusqu’à son dernier souffle. Durant des
décennies, tout ce que la « Célinie » compte de biographes et de chasseurs
d’autographes tentera de mettre la main sur ce trésor. En vain. Jusqu’à ce jour de
juin 2020 où, par l’intermédiaire de l’avocat Emmanuel Pierrat, un ancien
critique théâtral de Libération, Jean-Pierre Thibaudat, prend contact avec les
deux ayants droit de Céline, l’avocat François Gibault et Véronique Chovin.
L’homme leur révèle qu’il détient les 5 324 feuillets disparus à la Libération.
Depuis combien de temps ? De longues années. Qui les lui a donnés ? Mystère.
Au terme d’une petite passe d’armes judiciaire, les manuscrits sont enfin
restitués aux deux ayants droit. Le Monde avait révélé cette rocambolesque
redécouverte dans son édition du 6 août 2021.
Récupéré par des Britanniques, le blessé est transféré vers Ypres, puis
vers « Peurdu-sur-la-Lys », transposition romanesque d’Hazebrouck. Là,
Ferdinand, craignant d’être fusillé comme déserteur, va se lier à tout un petit
théâtre de personnages inquiétants : le médecin sadique ne rêvant que de
le « charcuter » pour lui ôter la balle fichée dans sa tête, l’infirmière,
Mlle L’Espinasse, qui « branle » les agonisants sous leurs draps, le souteneur
Cascade, qui malmène sa « raclure de putain », Angèle, le tout bercé par le
bourdonnement des obus de 120 à l’horizon…
Bien sûr, comme toujours avec Céline, la base du récit est totalement
autobiographique : l’écrivain a bien été blessé au bras, le 27 octobre 1914, à
Poelkapelle ; il a bien été soigné à l’Institution Saint-Jacques, à Hazebrouck, de
fin octobre à fin novembre ; il a bien subi des hallucinations auditives tout au
long de sa vie. Mais, comme toujours avec Céline également, la fiction va
sublimer la réalité. Guerre semble ainsi accréditer l’une des légendes les plus
tenaces entourant l’auteur de Voyage au bout de la nuit : il aurait été grièvement
blessé à la tête sur le front, ce qui aurait nécessité une trépanation. Une légende
pourtant démentie par ses nombreux biographes. Il n’empêche, tout au long
de Guerre, Ferdinand se promène avec « une balle au fond de l’oreille »…
Jérôme Dupuis
“Guerre”, un roman inédit de Céline à la langue inouïe https://www.lesinrocks.com/livres/guerre-un-roman-inedit-de-celine-a-l...
Horreur d’un épisode réellement vécu durant la Première Guerre mondiale par
le jeune soldat Louis Destouches, qui, blessé au bras et à la tête, se réveilla sur le
champ de bataille entouré de cadavres – il se plaindra de terribles maux de tête
toute sa vie – puis sera transporté à l’hôpital par des Anglais ; et, dès ces
premières phrases, oxygène à dose exaltante que procure la vraie littérature. Dès
la première page, on est dans l’univers d’un très grand écrivain, et on n’en
bougera plus sur plus de 150 pages, entraîné au rythme furieux des battements
de ses mots.
“C’est pour tenter d’éviter le retour de semblables horreurs que Céline a écrit
Voyage au bout de la nuit, mais ce ne sont malheureusement pas les écrivains, si
talentueux soient-ils, qui changeront le monde”, écrit Gibault dans sa préface, en
oubliant étrangement de mentionner que seulement trois ans après Guerre,
Céline écrira le premier de ces trois pamphlets violemment antisémites,
Bagatelles pour un massacre (1937), qui sera suivi de L’École des cadavres
(1938) et Les Beaux draps (1941). Trois textes de propagande écoeurante, appels
à la haine et au meurtre des Juifs, dans le contexte de la Seconde Guerre
mondiale à venir ou déclarée.
Étrangement encore, aucun de ces textes n’est pas davantage mentionné dans la
“note sur l’édition” ou le texte de fin “Guerre dans la vie et l’œuvre de l’œuvre de
Louis-Ferdinand Céline”. Or, le risque à ne pas rappeler l’existence de ces textes
est de faire de Céline une victime, et de participer à l’opération d’auto-
blanchiment orchestrée par Céline lui-même, avec son épouse, après-guerre,
interdisant la réédition des pamphlets pour mieux les faire oublier. Comme s’il
était si difficile d’admettre le paradoxe : Louis-Ferdinand Céline était en même
temps un immense écrivain et un antisémite dégueulasse, qui détestait la guerre,
mais appelait à en mener une contre les Juifs d’Europe.
04-05-2022 08:00:56
Pays : FRA
FRFR
PARIS, 4 mai 2022 (AFP) - Passer de l'écriture rageuse des manuscrits de Louis-Ferdinand Céline à une édition près
de 90 ans plus tard de "Guerre", roman étonnamment abouti, a exigé un travail d'orfèvre mené par l'éditeur Gallimard.
Ce livre, écrit probablement en 1934, est resté dix ans dans les archives du romancier, dans son appartement du
quartier de Montmartre.
En juin 1944, sentant le vent tourner, ce collaborationniste quitte Paris dans la précipitation. Direction l'Allemagne, où il
n'a pas la possibilité d'emporter ses inédits.
Des résistants s'emparent de ces 6.000 feuillets. Leur sort reste inconnu pendant une soixantaine d'années, jusqu'à ce
qu'ils soient donnés à un ancien journaliste, Jean-Pierre Thibaudat, qui contacte les ayants droit.
Ceux-ci, l'avocat François Gibault et une autre proche de l'épouse de Céline, Véronique Robert-Chovin, n'ont pas
voulu travailler avec lui. Et M. Thibaudat n'a pas eu d'autre choix que de remettre les manuscrits à la police, comme le
racontait à Europe 1 mardi son avocat, Emmanuel Pierrat.
Gallimard se montre immédiatement déterminé à publier ces inédits avant que toute l'oeuvre de Céline ne tombe dans
le domaine public, en 2032. "Le travail doit être mené de façon très scrupuleuse", dit alors le PDG de la maison d'édition,
Antoine Gallimard.
"Guerre" est le premier de la série à sortir. Dans la chronologie du narrateur et protagoniste, cette suite à "Mort à
crédit" (1936) précède "Londres", plus long, à paraître à l'automne.
Le roman "a été transcrit d'après un manuscrit de premier jet, le seul connu. (...) Le texte présenté ici en restitue le
dernier état de rédaction", écrit dans une "note sur l'édition" l'historien Pascal Fouché.
"Céline écrit beaucoup en abrégé. Avec l'habitude, on arrive à déchiffrer, mais il rature, réécrit entre les lignes, et ce
sont souvent des petits ajouts qui sont très difficiles voire impossibles à lire", explique-t-il à l'AFP. Certains mots ou
passages sont donc entre crochets.
"C'est écrit très vite, au fil de la plume. Il laisse des blancs, il y a des répétitions, il y a des maladresses qu'il aurait
forcément corrigées à la relecture. Il n'y a pas de ponctuation ou très peu. Il n'y a pas de paragraphes", ajoute-t-il.
Gallimard en a ajouté, conformément aux habitudes de l'écrivain, plutôt que de retranscrire ad litteram le flot continu
du premier jet.
Dans le contenu, le romancier tenait une ébauche très réussie. Pourquoi ne l'a-t-il jamais publiée lui-même? "On ne
peut faire que des hypothèses", d'après Pascal Fouché.
Après l'effort qu'a nécessité un "Mort à crédit" (700 pages chez Denoël) fraîchement accueilli par la critique, Céline,
préoccupé par la dégradation du climat politique, fait une pause dans son oeuvre romanesque pour devenir pamphlétaire
antisémite en 1937.
Il retournera au roman sous l'Occupation, où il écrit "Guignol's Band". "Mais à ce moment-là, est-ce qu'il a envie de
revenir sur l'autre guerre?", se demande l'historien.
Autre problème: "Guerre", au contenu sexuel très explicite, heurte la morale de l'époque. "Son éditeur lui avait
caviardé des mots trop crus dans +Mort à crédit+. Céline n'avait peut-être pas envie que ça se répète", suppose Pascal
Fouché.
hh/mch/dch
LVMH - MOET HENNESSY LOUIS VUITTON
04-05-2022 08:00:45
Pays : FRA
FRFR
=(Photo+Video)=
PARIS, 4 mai 2022 (AFP) - Les manuscrits perdus de Louis-Ferdinand Céline, réapparus dans des circonstances
mystérieuses, sont exposés à Paris et donnent lieu à la publication jeudi d'un inédit, "Guerre", qui enthousiasme la critique
littéraire.
Ces 6.000 feuillets jamais publiés avaient été abandonnés par l'écrivain quand il avait fui la France pour l'Allemagne
en juin 1944.
Récupérés par des résistants dont le nom reste gardé secret, ils ont échu dans les années 2000 à un ancien
journaliste, Jean-Pierre Thibaudat. Celui-ci a dû les remettre à la police et aux ayants droit de l'écrivain, qui ont révélé leur
existence à l'été 2021.
L'éditeur de Céline, la prestigieuse maison Gallimard, publie dans sa classique collection Blanche ce roman de
quelque 150 pages, plus illustrations et annexes.
La presse est unanime pour saluer l'événement. "La fin d'un mystère, la découverte d'un grand texte", selon Le Point.
"Un texte bref, vif, tragique et lubrique, à ranger à côté des chefs-d'oeuvre de l'écrivain" et "un miracle", d'après Le Monde.
"A couper le souffle", estime Le Journal du dimanche.
Dans la plus pure tradition du roman célinien, sombre, nerveux et cru, "Guerre" s'ouvre avec le réveil du brigadier
Ferdinand, 20 ans, miraculeusement en vie sur le champ de bataille à Poelkappelle (Belgique), une nuit de 1915.
- "Divine surprise" -
=====================
L'écrivain raconte comment un soldat anglais le sauve, puis sa convalescence non loin du front à Peurdu-sur-la-Lys
(dans la réalité Hazebrouck, en France), et enfin un départ précipité pour l'Angleterre. Le séjour outre-Manche sera le
sujet d'un autre inédit, plus long, "Londres", à paraître à l'automne.
"Guerre" a été écrit vraisemblablement en 1934, peu après le scandale du premier roman de Céline, "Voyage au bout
de la nuit" (1932).
Le tournant antisémite, dont l'écrivain ne se repentira jamais, date de 1937, avec la publication du pamphlet
"Bagatelles pour un massacre".
Fin 2017, Gallimard annonçait la publication de ce pamphlet et ses semblables, avec appareil critique. Le projet a fait
long feu, faute des "conditions méthodologiques et mémorielles (...) pour l'envisager sereinement", selon le PDG Antoine
Gallimard.
Maintenant que cette polémique s'est tassée, la réapparition de "Guerre" et "Londres" permet de célébrer une oeuvre
capitale de la littérature française du XXe siècle.
"Ces manuscrits arrivent à point nommé ou par une divine surprise, comme vous voulez, pour que Céline redevienne
un écrivain: celui qui importe, de 1932-1936", estime Philippe Roussin, chercheur spécialiste de Céline interrogé par
l'AFP.
=============================
Le pamphlétaire fait l'unanimité contre lui. Mais le romancier, qu'on aime ou non sa verve populaire, occupe une place
de choix dans l'histoire du genre, pour avoir fait voler en éclats la littérature bourgeoise, la narration et le style
conventionnels, en traduisant l'angoisse de l'entre-deux-guerres.
Montrer son traumatisme de "poilu", grièvement blessé, et sa frénésie créative des années 30 est le parti pris de
l'exposition qui s'ouvre jeudi à la Galerie Gallimard, "Céline, les manuscrits retrouvés".
Des feuillets sont sous cadre, dont le premier de "Guerre", qui se termine par ce qui devrait devenir une citation culte
de Céline, emblématique du martèlement obsessionnel du canon dans le récit: "J'ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle
est enfermée dans ma tête".
"Il y a des scènes d'anthologie, et cette présence constante de la mort, de l'horreur des combats que nous rappelle
aujourd'hui la guerre en Ukraine, mais aussi du sexe... Pour un premier jet, le texte est extrêmement fort", affirme à l'AFP
l'historien Pascal Fouché, qui a établi l'édition.
Autre citation, gravée sur un mur: "Ils les ont brûlés, trois manuscrits presque, les justiciers épurateurs ravageurs!"
Celle-là, d'un Céline qui enrageait d'avoir perdu le fruit de son travail, déforme la réalité. Le bon état de conservation des
manuscrits au siècle suivant le prouve.
hh/mch/dch
Comme une comète tombée du ciel. « Guerre », récit inédit de Louis-Ferdinand Céline
(1894-1961), sort ce jeudi à un premier tirage de 80 000 exemplaires, digne d’un best-seller,
comme le diable de sa boîte. Presque au sens propre. Ce manuscrit qui a incubé pendant près de
90 ans – il date de 1933 – se trouvait dans l’une des deux grosses valises abandonnées ou
oubliées chez lui par l’écrivain en 1944, quand il a fui précipitamment Paris. Il risquait le peloton
d’exécution à la Libération après ses pamphlets antisémites parus sous l’Occupation. C’est un
article du Monde, le 4 août 2021, qui a révélé la réapparition de milliers de pages inédites que le
romancier avait souvent évoquées.
La plainte a été classée, tous les documents ayant été remis à Gibault qui signe la préface de «
Guerre », publié dans la Collection Blanche de Gallimard, comme un auteur contemporain.
Céline fait danser les mots dans l’ivresse en se moquant de la grammaire et des conjugaisons,
mais jamais du rythme ni de l’efficacité narrative. Qui, en 1933, décrit ainsi des soldats
immobilisés sur un lit d’hôpital, des « mecs » qui « se branlent » ou plutôt « se branlochent ». Le
pénis est « le zobar » ou le « zozo ». Une infirmière s’occupe d’eux de curieuse façon. Un blessé,
maquereau dans le civil, fait venir sa femme en espérant lui faire faire le tapin dans le village.
C’est du Céline, tout est atroce, mais les femmes s’avèrent de fantastiques personnages qui ne
s’en laissent pas conter, indépendantes et prêtes au pire. La vie triviale d’un village en héritier de
Flaubert et Maupassant mais avec des mots que même un San Antonio n’aurait jamais osés ou
trouvé.
L’argot, c’est Céline et personne d’autre. Des raccourcis pour aller plus vite. Faire faute pour
trouver une vérité plus profonde. Des corps meurtris mais désirants. Des âmes noires à ne pas y
distinguer la moindre lumière. Sans jamais perdre le fil, comme si l’auteur de « Mort à crédit »
racontait son histoire d’une traite sur une estrade. Un pur écrivain transformé en chair à canon,
et qui se rebelle par des mots mitraillettes contre un état-major prêt à fusiller les blessés.
Quand il écrit « Guerre », Céline n’est pas un débutant. Il vient de publier son premier chef-
d’œuvre, « Voyage au bout de la nuit », et ne sait pas comment faire mieux. Il essaie, s’essaie.
Son éditeur Robert Denoël lui refuse deux manuscrits, dont « La volonté du roi Krogold »,
roman médiéval qui fait partie de cette pêche miraculeuse retrouvée et sera publié cet automne,
comme « Londres ».
Céline écrit comme on pisse le sang. Le maréchal des logis et médecin savait de quoi il parlait.
On déteste Céline pour sa haine antijuifs et sa manière immonde après-guerre d’avoir toujours
minimisé son rôle de pousse au crime, se plaignant sans honneur ni regret. Mais ce texte
ressuscité de sa décennie prodigieuse, quand il hurle au nom des sans-voix, prouve qu’on ne se
débarrassera jamais de Céline. Le génie se compte sur les doigts d’une main. De son temps, de
son siècle, il en fait partie. « Guerre » a déjà tout l’air d’un classique.
Il nous vient du passé, « toujours saoul d’oubli » et qui prend « des petites
mélodies en route qu’on lui demandait pas ». Il paraît soixante ans après la mort
de son auteur. Songez qu’il a été écrit en 1934, deux ans après la publication de
Voyage au bout de la nuit (1932). C’est un premier jet et ceci fait tout son prix.
Nous sommes dans l’atelier de Céline, à son établi, dans sa fabrique de fiction.
Au commencement de l’oeuvre. C’est brut, expressionniste, endiablé, rapide,
violent, sexuel, drôle, très drôle souvent (notamment les scènes de sexe), terrible
aussi, brutal. Guerre témoigne de l’écriture à venir de Céline. Le texte n’a pas
encore été poli. Qu’importe et tant mieux, peut-être : le romancier de Mort à
crédit cherche sa langue, les ressorts de son écriture. Nous le voyons, nous le
lisons se chercher. Son invention romanesque est mue par sa révolte — ce sera
toujours le cas. La mort est le propre de l’homme ! Ecoutez : « Je la regardais
moi la vie, presque en train de me torturer. Quand elle me fera l’agonie pour de
bon, je lui cracherai dans la gueule comme ça. Elle est tout con à partir d’un
certain moment, faut pas me bluffer, je la connais bien. Je l’ai vue. On se
retrouvera. On a un compte ensemble. Je l’emmerde ».
Nous sommes dans les Flandres durant la Grande Guerre, dans « l’abattoir
international en folie ». Le brigadier Ferdinand a été gravement blessé. Il
reprend conscience sur le champ de bataille : « J’ai attrapé la guerre dans ma
tête. Elle est enfermée dans ma tête ». Il est convalescent à l’hôpital de Peurdu-
sur-la-Lys, soigné par L’Espinasse, une infirmière pour le moins entreprenante
et il va se lier d’amitié avec Bébert, un souteneur.
Le narrateur de Guerre nous dit très vite : « J’ai appris à faire de la musique, du
sommeil, du pardon et, vous le voyez, de la belle littérature aussi, avec des
petits morceaux d’horreur arrachés au bruit qui n’en finira jamais ». Non pas
de la belle littérature, brigadier, mais de la grande !
183 p.
BEL/LUX/ITA : 2.80 € - CH : 3.80 CHF - Canada : 3.80 $ can - Dom avion : 2.90 € - Tom avion : 850 CFP
UNION DE LA GAUCHE
Mort
du PS ?
Page 2
VENDREDI 6 MAI 2022 N° 10116 - 2,50 € www.present.fr
CÉLINE
Le premier des manuscrits
NOM
céliniens inédits, volés par
les brigades épuratrices
et réapparus de manière
rocambolesque en 2021,
vient d’être publié
par Gallimard.
Guerre est déjà un phénomène
culturel : numéro un des ventes avant
sa parution, bénéficiant d’un tirage
DE
exceptionnel…
La vengeance littéraire du docteur
Destouches est un plat
qui se déguste froid. P3
GUERRE
’:HIKKLJ=[UWZU\:?a@f@k@g@k"
M 00196 - 506 - F: 2,50 E
des éléphants
personnification d’un autre temps, qui emprunte à
tous les travers de la vieille politique ».
Commentant avec beaucoup de morgue la démission
de Bernard Cazeneuve, le député de La France in-
soumise Alexis Corbière a affirmé pour sa part que
celle-ci avait « autant d’effet que la disparition de
l’horloge parlante ».
■ Xavier Eman xavier-eman@present.fr gauche qui a imposé toutes ses conditions, cette nou- De son côté, Olivier Faure, le premier secrétaire du
velle « union des gauches » ressemble davantage à PS, assume pleinement cette « union », qui ressemble
un pathétique chant du cygne pour ses autres compo- pourtant beaucoup à une soumission, affirmant qu’elle
Après le scandale
est de illégale
au Cannet
■ Franck Delétraz
retour…
franck.deletraz@present.fr
5 MAI 2022… Il est des dates qui marquent. Celle-ci la comptabilité de Céline ! A la Libération, il se serait pré- Comme au Cannet, dans les Alpes-
restera gravée dans la mémoire des céliniens, célinistes, senté comme résistant pour perquisitionner chez Le Vigan, Maritimes, où les propriétaires d’une
célinolâtres ou tout simplement lecteurs goulus qui Ralph Soupault…, commettant des vols assez importants maison familiale mise en location at-
attendaient depuis des mois la sortie du premier inédit de pour finir en prison. Sa fille Marie-Luce, morte à Corte tendent désespérément depuis
Louis-Ferdinand Céline, tiré d’une « malle aux trésors » le 4 novembre 2020, affirmait savoir où se trouvaient les 17 mois de toucher leurs loyers ! En
(Le Figaro dixit) rendue par l’ancien critique de Libération manuscrits. Or, depuis une quinzaine d’années, c’est Thi- juin 2019, les enfants du couple
Jean-Pierre Thibaudat, toujours muet sur l’origine des ma- baudat qui les avait. Un de ses lecteurs, dit-il, s’en débarrassa Le Muet avaient en effet décidé de
nuscrits qu’il a livrés en juillet 2021 aux ayants droit de à condition qu’il ne tombe pas entre les mains de la veuve louer la villa de leurs parents, afin de
la succession Destouches. de l’antisémite. Lucette Almanzor décède en novem- pouvoir régler les frais de la maison
Et le gagnant est Guerre, le second d’une trilogie annoncée bre 2019, la voie était libre… de retraite de leur père. Or, très vite,
par Céline à Denoël en juillet 1934 sous les titres Enfance, Les deux gros ensembles retrouvés sont une suite des pre- les locataires, après avoir payé leurs
Guerre, Londres. Seule la partie « Enfance » (sous le titre miers chapitres de Casse-pipe, qui racontent, sous une loyers avec difficulté, ne devaient
de Mort à crédit) avait été publiée. D’autres suivront. Chez forme délirante, les années au 12e cuirassiers de Ram- plus les verser du tout. Au total, les
Gallimard, on ne perd pas son temps, Céline l’écrivait bouillet ; et un roman complet intitulé Londres. propriétaires n’ont ainsi pu récupérer
déjà : « Au total, si vous regardez bien, vous verrez nombre à ce jour que l’équivalent de six mois
Mais Guerre, l’inédit qui sort aujourd’hui, n’est pas pour de loyer. Devant cette situation, Syl-
d’écrivains finir dans la dèche, tandis que vous trouverez autant un extrait de Casse-pipe. Céline y revient sur l’ex-
rarement un éditeur sous les ponts… » (Entretiens avec le vain Le Muet a bien sûr fait appel à
périence centrale de son existence : le traumatisme subi la justice qui, le 20 janvier 2021, après
professeur Y). au front, « abattoir international en folie ». On le suit 14 mois de procédure, a rendu une
« C’est une découverte littéraire de la plus haute impor- depuis le moment où, gravement blessé, il reprend ordonnance de référé obligeant les
tance », écrit Marc Laudelout, directeur du Bulletin célinien, conscience sur le champ de bataille, jusqu’à son départ locataires à quitter les lieux. Mais,
en apprenant le retour en de bonnes mains des manuscrits pour Londres. A l’hôpital de Peurdu-sur-la-Lys (!), il est absurdité totale, la décision ordonnant
perdus. Et d’ajouter : « Les céliniens ont été abasourdis l’objet de toutes les attentions d’une infirmière. L’écriture, l’expulsion ne peut pas, en principe,
lorsqu’ils ont appris cette nouvelle. D’autant que beaucoup rude, est celle de la première manière, mêlant langage po- être exécutée avant l’expiration d’un
pensaient que Céline affabulait lorsqu’il évoquait tous ces pulaire et argot militaire. Des pages saisissantes et, à coup délai de deux mois, à compter de la
manuscrits volés à la Libération. » Ce qu’il fit à plusieurs sûr, du grand Céline même s’il s’agit d’un premier jet. demande de quitter les lieux. Résultat :
reprises, dans sa correspondance, ses derniers livres ou On se jettera aussi bientôt sur la nouvelle de jeunesse in- les locataires ne sont toujours pas
lors d’entretiens. titulée La Vieille dégoûtante. Les spé- partis, et les plaignants en sont au-
cialistes aimeront La Volonté du roi jourd’hui à quelque 2 700 euros de
Un parcours Krogold, fantaisie médiévale « avec frais d’huissier et 800 euros de frais
rocambolesque sylves et korrigans », comme l’écrit d’avocat. Auxquels il faut donc ajou-
Ça a débuté comme ça… Après le Philippe Alméras. ter les 26 350 euros de loyers impayés
6 juin 1944, Céline se sentait plus Reste que le milieu célinien est trou- depuis 17 mois ! w
que jamais menacé : « Y avait qu’à blé par le succès de librairie de
écouter les fenêtres !… ce qui se Guerre, en première place des pré-
beuglait des rez-de-chaussée !… pas ventes. Certains optimistes pensent
personne plus voyou pendable que qu’il s’agit d’un regain d’intérêt
moi. » Il parvint à organiser son dé- pour l’œuvre de Céline, d’autres,
part vers l’Allemagne. Restaient ses plus réalistes, pensent que le battage
archives, on parle de plus d’un mètre autour de la découverte, il est vrai
cube (peu compatible avec les trois quasi miraculeuse, de ces manuscrits
sacs de supermarché rendus par le volés il y a 77 ans a déclenché une
receleur, mais cette affaire recèle curiosité qui n’a rien de littéraire…
encore tant de mystères…). En l’ab- Signe des temps !
sence de solution, le tout fut placé l Louis-Ferdinand Céline, Guerre,
en vrac sur une armoire. Gallimard, mai 2022, 192 pages,
Au Danemark, Céline apprit que son 19 euros.
appartement du 4, rue Girardon à
Paris avait été saccagé. « … ils sont Pour accompagner la sortie de cet inédit,
montés Arlette, moi, à peine partis, l’éditeur organise jusqu’à mi-juillet une ex-
la grande Brigade épuratrice ! Ils ont
chassé ma mère aveugle, ils ont tout position : « Céline - Les manuscrits retrou-
cambriolé, brûlé dix-sept manus- vés », Galerie Gallimard (30, rue
crits… » (Féerie pour une autre fois). de l’Université, Paris). w
ACTUALITÉS
4 Présent – Vendredi
Mardi 22 6
juin
mai2021
2022
BRÈVES DE PARVIS
n Anne Le Pape. anne-le-pape@present.fr
l « J’ai demandé au cardinal Parolin, après vingt lente attaque le 29 avril dernier. International première depuis la restauration de ce lieu de culte
jours de guerre, d’envoyer le message à Vladimir Christian Concern rapporte que « quatorze assail- saccagé par le groupe djihadiste Etat islamique et
Poutine disant que j’étais prêt à aller à Moscou », lants armés ont attaqué l’école chrétienne, en- endommagé par des combats dans cette ville du
affirme le Pape. « Nous n’avons pas encore reçu dommagé les véhicules et torturé les élèves et les nord de l’Irak. Autels, représentations de la croix
de réponse et nous continuons à insister même si enseignants ». Le directeur de l’école, Simon Peter et autres symboles chrétiens dans l’église avaient
je crains que Vladimir Poutine ne puisse et ne Kaleem, explique : « Beaucoup de nos chefs reli- été saccagés par l’EI, et un tir d’obus avait traversé
veuille pas faire cette réunion à l’heure ac- gieux et politiques, lors de leurs visites dans une des voûtes. Monastères et églises sont en
tuelle » : le pape François s’exprime ainsi dans un d’autres pays, disent que les minorités et les chré- cours de restauration à Mossoul, où la reconstruc-
entretien au quotidien italien Corriere della Sera tiens sont en sécurité au Pakistan. Après ce qui tion se fait lentement.
et confie « sentir » qu’avant d’aller à Kiev, il doit nous est arrivé aujourd’hui, je ne dirai jamais ça.
l Le cardinal Robert Sarah, préfet émérite de la
se rendre à Moscou. Questionné sur les racines Notre agent de sécurité ne peut même plus mar-
Congrégation pour le culte divin, a visité le chan-
du conflit, le pape évoque « l’aboiement de cher maintenant. » « Quelques-uns parmi la
tier de la cathédrale Notre-Dame. Son prochain
l’Otan aux portes de la Russie ». Ce qui pourrait communauté musulmane voisine ont toujours es-
livre, Catéchisme de la vie spirituelle, sortira le
expliquer, selon lui, « la colère [de la Russie] dont sayé de nous empêcher de prier », a-t-il précisé.
11 mai prochain. w
je ne saurais dire si elle a été provoquée, mais
l Les chevaliers de l’Ordre souverain militaire de
peut-être – certainement – facilitée ».
Malte attendent que le souverain pontife mette un
l Samedi dernier, 30 avril 2022, une messe so- point final à leur réforme en cours. Mais d’ores et
lennelle pour le 450e anniversaire de la mort de déjà le texte du projet de nouvelle Constitution, li-
saint Pie V a été célébrée à la chapelle Sixtine de mitant de façon drastique les pouvoirs du Grand
Sainte-Marie-Majeure, à Rome, où est vénéré Maître, alimente la
son corps, par Mgr Marco Agostini, cérémo- controverse.
niaire pontifical. Jusque-là, le Grand
Maître était élu à
l Le 4 avril, le souverain pontife a accordé le
vie et exerçait une
« baisemain » aux mères de prêtres de La Voie
« autorité su-
romaine qui venaient lui demander de revenir
prême » sur tous
en arrière sur la dureté de son motu proprio
les aspects de l’or-
Traditionis custodes.
dre. Dorénavant, il
l Présent avait évoqué le départ des moines serait élu pour un
trappistes de Notre-Dame-des-Neiges, dans l’Ar- mandat de dix ans,
dèche, abbaye devenue trop grande pour leur renouvelable une seule
petit nombre (voir notre numéro du 18 janvier fois, et se verrait mis au-
2022). Huit religieuses cisterciennes de Boulaur, Croix tomatiquement à la retraite à
monastère situé dans le Gers, vont y essaimer. de l’Ordre partir de ses 85 ans. Autre nou-
Charles de Foucauld a vécu quelques mois à de Malte. veauté : le « souverain conseil » au-
Notre-Dame-des-Neiges qui en a gardé des re- rait la faculté de passer outre au veto
liques – le 26 janvier 1890, il y prit l’habit sous le du Grand Maître, par un vote à la majorité des
© Philippe Vilgier.
nom de frère Marie-Albéric – ainsi que le souve- deux tiers. Ce qui suscite d’un côté des oppo-
nir du passage de Robert Louis Stevenson. sants, de l’autre des partisans.
l L’école Global Passion School, dans la province l Des fidèles ont célébré samedi dernier une
du Pendjab au Pakistan, a été la cible d’une vio- messe dans l’église Mar Touma de Mossoul, la Le cardinal Sarah signant l’un de ses livres.
C’
EST UNE AFFAIRE qui pourrait bien qu’il connaissait. Si les arguments n’ont pas
faire jurisprudence et faire avancer la convaincu le parquet, qui a requis quatre mois de
légalisation de l’euthanasie. prison avec sursis à son encontre, le tribunal y a
été sensible et a relaxé l’accusé.
Lundi, le tribunal d’Angers a relaxé un vétérinaire
qui avait aidé l’un de ses amis à se donner la Le parquet a toutefois décidé de faire appel de
mort. Ce dernier, âgé de 59 ans, était atteint de la cette décision, le procureur de la République esti-
maladie de Charcot et avait demandé, après avoir mant qu’il n’est « pas entendable que chacun
déjà effectué trois tentatives de suicide, à ce puisse se tourner vers un professionnel de santé et
qu’on le « laisse mourir ». Le médecin lui avait qu’il puisse obtenir de lui ce genre de prescrip-
alors prescrit des substances euthanasiantes ani- tion ».
malières. Ce « suicide assisté » a eu lieu en 2019.
La prochaine étape paraît claire : des voix s’élève-
Ne pouvant être poursuivi pour tentative d’assas- ront bientôt pour faciliter les démarches de ceux
sinat, le vétérinaire était devant la justice pour qui souhaitent abréger leurs souffrances, profitant
« faux et usage de faux ». L’accusé a reconnu les des malheurs des uns pour faire avancer leur
faits, en précisant avoir fourni ces prescriptions idéologie, comme ils le firent naguère avec l’avor-
« dans un cadre très particulier », pour quelqu’un tement. w
CULTURE DE VIE
6 Présent – Vendredi 6 mai 2022
de pédiatres pour
une approche positive Avortement
de la trisomie 21
L’American Academy of Pediatrics, association pro- Les préconisations
fessionnelle de pédiatres revendiquant 67 000 mem-
bres, demande aux médecins de féliciter les parents
des bébés touchés par la trisomie 21. « Lorsqu’il
de l’OMS
fournit des informations sur le syndrome de Down Le 9 mars dernier, l’Organi-
aux familles, le médecin doit d’abord féliciter les sation mondiale de la santé
parents pour la naissance de leur enfant », peut-on (OMS) publiait une nou-
lire dans les nouvelles recommandations de cette or- velle série de recomman-
ganisation médicale américaine. Il y est également dations concernant l’avor-
souligné qu’il est important que les médecins soient tement. L’une d’entre elle
au courant « des réalités et des possibilités pour les demande que soient « sup-
personnes atteintes du syndrome [de Down] de mener primés les obstacles poli-
Aux Etats-Unis, le gouverneur républicain de l’Okla- une vie saine et productive », et que les médecins tiques à l’avortement sé-
homa a ratifié mardi une loi copiée sur celle adoptée doivent fournir aux parents du bébé des informations curisé qui ne sont pas
l’année dernière par le Texas. « Je veux que l’Okla- à jour et s’efforcer de les mettre en contact avec des justifiés d’un point de vue
homa soit l’Etat le plus pro-vie du pays », a tweeté familles accueillant des enfants également touchés médical, tels que la crimina-
le gouverneur Kevin Stitt après avoir signé la loi par la trisomie 21 ainsi que des associations proposant lisation, les périodes d’attente
adoptée à 68 voix contre 12 par la Chambre des re- un soutien. obligatoires, l’obligation d’ob-
présentants de l’Oklahoma. La loi ratifiée mardi est tenir l’autorisation de tiers (par
entrée immédiatement en vigueur et elle limite for- exemple, du partenaire ou de membres de
tement la possibilité d’avorter au-delà de la sixième la famille) ou d’institutions, et les limites quant
semaine de gestation, ce qui correspond au moment au moment de la grossesse où l’avortement peut
où le battement du cœur de l’enfant à naître devient être pratiqué », peut-on lire sur le site de l’OMS.
perceptible. Comme au Texas, la nouvelle loi délé- En un mot : qu’il soit possible d’avorter jusqu’à
galise les avortements sur simple demande au-delà la veille de la naissance. Pour justifier cette prise
de ce délai mais ne prévoit pas de procédure pénale de position, les « experts » de l’Organisation mon-
contre ceux qui violeraient les nouvelles normes lé- diale de la santé avancent que ces limites imposées
gales. Simplement, elle permet aux particuliers d’in- empêcheraient les femmes d’avoir un accès à un
tenter une action en justice contre les avorteurs et avortement sécurisé. Toujours d’après l’OMS, pra-
toute personne favorisant un avortement, à l’exclusion tiquer un avortement à un stade avancé de la gros-
de la femme qui s’est fait avorter. L’auteur d’un viol, sesse ne présenterait pas de risque pour la femme.
d’un inceste ou d’une agression sexuelle ne pourra Si cette recommandation a de quoi choquer, elle
toutefois pas intenter une telle action. La Cour su- est en réalité tout à fait cohérente avec la politique
prême de l’Etat a refusé de suspendre l’application actuelle en matière de santé. Pourquoi autoriser
de la loi pendant que les recours du lobby pro-avor- l’avortement à 12 et pas à 24 semaines ? Le fœtus
tement sont examinés, contrairement à ce qui s’est change-t-il d’état ? Est-il plus ou moins humain
passé en Idaho où une loi similaire a vu son application en fonction de son âge ? En réalité, tant que ne
suspendue en attendant les décisions de justice. sera pas reconnue la dignité de l’enfant à naître,
Il y a un mois, le gouverneur de l’Oklahoma ratifiait qu’il ait une ou 40 semaines, toutes les dérives
une loi qui interdirait tout avortement sauf en cas de seront possibles. Sa vie a de la valeur parce qu’il
danger pour la vie de la femme enceinte, cette loi est déjà homme, avec son ADN propre, et toutes
restant suspendue à l’annulation de la jurisprudence « Ce rapport clinique est conçu pour aider le pédiatre ses facultés en puissance qui ne demandent qu’à
Roe contre Wade, par laquelle la Cour suprême des à prendre en charge l’enfant, l’adolescent et la famille se développer. Sa valeur ne dépend pas d’un pré-
Etats-Unis a imposé en 1973 la légalisation de l’avor- chez qui un diagnostic de syndrome de Down a été tendu projet parental mais bien de ce qu’il est un
tement dans les cinquante Etats de l’Union. Une ju- confirmé par une analyse chromosomique ou est sus- membre de notre espèce humaine. w A.I.
À L’OMBRE DE MON CLOCHER
8 Présent – Vendredi 6 mai 2022
LE WOKISME,
invention (hélas) française
■ Françoise Monestier traitent d’agent américain. Exfiltré, Foucault pique
francoise-monestier@present.fr une crise de nerfs sur le trottoir. Puis c’est au tour
de Gilles Deleuze et de Jean-François Lyotard de se
faire chahuter. A son tour, Guattari en prend pour
5 EUROS
+ FRAIS DE PORT
HORS-SÉRIE HORS-SÉRIE
ROBERT 1982 - 2022
BRASILLACH 40 ans
Le poète foudroyé et toutes ses dents !
Numéro double : 44 pages
5 EUROS 6,50 EUROS
+ FRAIS DE PORT
+ FRAIS DE PORT
LIVRES REVUES
Francis Bergeron LIVR’ARBITRES n°35
Alain Sanders
HISTOIRE SECRÈTE Tour de France littéraire :
LE HUSSARD
DES PRÉTENDUS La BRETAGNE
BLET
« NÉONAZIS »
(Roman) 12 EUROS
DE CHÂTEAUROUX + FRAIS DE PORT
(2001-2021)
28 EUROS
FRAIS DE PORT COMPRIS 23 EUROS
FRAIS DE PORT COMPRIS
François Brigneau,
DVD
Francis Bergeron
PRÉSENT, MON APRÈS-GUERRE SYMPHONIA,
UN DÉFI AU L’ÉPOPÉE MUSICALE
QUOTIDIEN
UN GRAND SPECTACLE SUR L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE.
28 EUROS 20 EUROS
+ FRAIS DE PORT 25 EUROS FRAIS DE PORT COMPRIS
+ FRAIS DE PORT
de CHARD
E
AVEC DÉDICAC
25 EUROS
+ FRAIS DE PORT
UN JOUR / UNE ŒUVRE Gen Paul, Portrait de Louis-Ferdinand Céline, fusain et pastel sur papier.
« Guerre », le roman inédit de Céline, témoigne de son expérience sur l... https://www.lavie.fr/ma-vie/culture/roman-inedit-de-celine-guerre-tem...
Marie Chaudey
Son Ferdinand est un homme révolté, sa langue ordurière débusque les faux-
semblants et perce tout ce qui peut faire écran à la vérité de la guerre, à la
remémoration de ce passé qui ne passe pas et se répand 20 ans après comme
une eau sale. La guerre n’est qu’une métaphore de la désespérante condition
humaine, ce combat perdu d’avance contre l’anéantissement, une mort à crédit…
Il est exigé du lecteur d’avoir un estomac bien accroché.
« Dans l’œuvre de Céline, Guerre pourrait être à la fois la suite de Mort à crédit
et la fin de Casse-pipe. Alors que Céline écrit Mort à crédit, il évoque trois
parties, « Enfance, Guerre, Londres » et n’en publie que la première. Les deux
manuscrits retrouvés, Guerre et Londres, sont donc très probablement tout ou
partie des deux thèmes suivants. Quant à Casse-pipe, tel qu’il a été publié, c’est
le récit de son expérience d’engagé dans un régiment de cuirassiers avant la
première guerre (entre octobre 1912 et juillet 1914) ; on peut tout à fait imaginer
que Céline l’ait continué avec son expérience de la guerre (d’août à octobre 1914,
date à laquelle il a été blessé). Guerre, tel qu’il se présente ici, débute fin
octobre 1914 alors que, blessé, il se réveille sur le champ de bataille et se poursuit
dans les hôpitaux où il est soigné. Il pourrait donc être vu comme la conséquence
pour les soldats d’avoir été envoyés, comme on dit, au casse-pipe.
Ce roman est en grande partie, comme la majorité de ses œuvres, tiré de
l’expérience de son auteur. Céline part d’éléments biographiques qu’il travestit,
enjolive dans certains cas et exagère dans d’autres. Marqué par la guerre dans
son esprit comme dans sa chair, il la raconte 20 ans après en y ajoutant
l’exagération romanesque à laquelle il nous a habitués par ailleurs. Hanté par la
mort, avec un érotisme débridé, le roman offre dans son écriture l’urgence à
laquelle l’écrivain semble toujours confronté, qui le conduit à cette forme de
lyrisme qui lui est propre. On se prend parfois à le lire à voix haute pour y
retrouver cette petite musique dont Céline parlera plus tard. Et ce manuscrit de
premier jet, dont la force laisse présager ce qu’il aurait pu être totalement abouti,
montre encore une fois, s’il en était besoin, la puissance de son imagination. »
À lire
*** Guerre, de Louis-Ferdinand Céline, Gallimard, 19 €.
À voir
*** L’exposition les Manuscrits retrouvés, à la Galerie Gallimard. Du 6 mai au
16 juillet 2022.
Sophie Creuz
Ce manuscrit inédit a été trouvé dans des papiers disparus ou dérobés depuis la
fin de la seconde guerre monde, au moment de la fuite de Céline pour
Sigmaringen avec le gouvernement de Vichy, et qu’un dépositaire non autorisé
a gardé sous le coude. Non par appât du gain mais parce qu’il voulait les
soustraire à l’usage qu’aurait pu en faire la veuve de Céline. Elle est morte
en 2019 et les 250 feuillets perdus ont refait surface. Parmi eux, ce roman
"Guerre" écrit en 1932 – deux ans après "Voyage au bout de la nuit" - qui revient
sur la guerre de 14-18, dans laquelle le jeune Céline de 20 ans avait combattu.
C’est donc le roman d’un poilu mais autant vous prévenir tout de suite, ce n’est
pas le style clair, lumineux, ni même humaniste d’un Charles Péguy. C’est la
guerre de tranchées dégueulasse faite par des dégueulasses, des colonels qui
envoient au casse-pipe de pauvres bougres qui eux-mêmes préfèrent sauver leur
peau que la Patrie.
Céline sera blessé à la tête et au bras dans un épisode peu glorieux qu’il va
transformer en acte héroïque. Il sera décoré par Joffre. Une médaille usurpée
donc qu’il nous raconte comme telle. Il ne brosse pas de lui un portrait plus
flatteur que celui qu’il fait des autres. Et c’est cela, en plus du style, qui est
extraordinaire chez lui. Tout le monde ici est moche, tout le monde trompe, se
trahit, ment, se plaint, abuse de l’autre. La guerre ne fortifie pas l’âme, elle
l’avilit. Et c’est bien ce qu’il écrit.
Le roman se passe chez nous, près de Ypres, mais aussi dans un hôpital de
campagne dans un lieu-dit, inventé, qu’il nomme Peurdy-sur-la-Lys, autrement
dit perdu au fond de nulle part. Il est hospitalisé et souffre de migraines,
d’acouphènes et de nausée, dans une salle commune, avec de plus gravement
blessés que lui.
Et tous tentent de s’attirer les bonnes grâces d’une infirmière, qui elle aussi
semble abuser des pauvres jeunes gars qui sont là, en les sondant à qui mieux
mieux. Au sens premier du terme…
Il y a là, dit-il, des gueulards, des geignards, des roublards et de pauvres hères,
toute une faune qui souffre et qui meurt et que Céline croque avec le talent qu’on
lui connaît, ce style à la Poulbot, au pastel gras, vif, d’une vigueur, d’une verve,
d’une inventivité stupéfiante, directe, ordurière et crue. Et les éditeurs ont gardé
les mots illisibles du manuscrit, les mettant entre guillemets quand ils ne
parvenaient pas à les déchiffrer, ce qui ajoute à la rapidité, la vivacité de ce récit.
pas un plus beau rôle, il est lâche et menteur comme d’autres pour se sortir du
lot. Il s’apitoie sur son sort mais celui des autres l’indiffère ou le met en rogne.
Il faut dire que Céline est un furieux qui déteste à peu près tout et tout le monde,
l’Etat, la famille, la bourgeoisie, les boutiquiers que sont ses parents, qu’il
méprise. Ce n’est décidément pas un type sympathique, il faut bien le dire. Pas
de trace d’antisémitisme ici mais d’autres insultes, tristement ordinaires, contre
les femmes, les conscrits d’Afrique du Nord, etc. C’est évidemment détestable,
injurieux, brutal, mais d’une vérité sans fard, celle du langage populaire qui avait
pignon sur rue, transposé dans une écriture prodigieuse, qui garde la vitalité de
l’oralité, les tournures de la rue en les hissant au rang de littérature. Parce que,
quel écrivain !
Il ne faut pas avoir froid aux yeux pour lire ce roman qui est d’une trivialité
ahurissante, et pas du tout "me too", les femmes ne sont pas mieux servies que
les autres. Pire même. Sauf qu’ici, c’est la catin qui s’en sort le mieux et triomphe
de son exploiteur avec une moralité, elle aussi, douteuse. Mais elle est belle la
traîtresse, et forte, c’est une misère triomphante. Comme ce roman hallucinant à
tous points de vue, de puissance, de sang, de boue, d’humeurs et d’autres
émulsions encore que la décence interdit de nommer ici.
Céline ressuscité
Gallimard publie Guerre, le premier des nombreux textes inédits de Céline qui ont ressurgi
miraculeusement en 2020. Un événement littéraire de premier ordre malgré la personnalité
embarrassante de l’auteur.
Côté face, un écrivain génial, radical, unique, dont les romans à la langue argotique, sonore et
hypnotique ont fait exploser les frontières de la littérature et de la grammaire. Largement
farcis de sa propre expérience et de ses traumatismes, dans l’enfance ou comme soldat, les
récits de Louis Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline, sont autant de cris
stridents contre la guerre, contre les conformismes, contre les compromissions, doublés de
réquisitoires burlesques, généreusement arrosés d’humour et de désespoir, sur la condition
humaine. On ne sort pas indemne de la lecture de Voyage au bout de la nuit ou de Mort à
crédit, deux livres qui remuent les tripes.
Côté pile, un antisémite, un raciste et un misogyne de la pire espèce, dont la haine délirante
contre les Juifs s’est déversée dans des pamphlets pousse-au-crime impardonnables dès 1937.
En particulier dans Bagatelles pour un massacre, ramassis d’ignominies et d’ordures
éructées par un esprit dérangé et rongé par la paranoïa.
Avec Céline, on peut difficilement faire l’économie d’une réflexion sur la distinction à opérer
– ou non – entre l’homme et l’artiste. Reconnaître son talent n’empêche pas de rester lucide
sur le salaud. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Cette fascination-répulsion pas
toujours simple à manipuler est réactivée aujourd’hui par la publication miraculeuse d’un
inédit de l’auteur, Guerre, qu’on pensait disparu à jamais. Du Céline pur jus (lire l’encadré),
avec ses outrances, ses provocations, ses descriptions morbides des corps fracassés, ses
poussées de violence, son style tordu, viscéral, cru, à l’oralité sidérante. Un texte
probablement écrit en 1934, soit deux ans seulement après Voyage et vingt ans après les faits
mi-autobiographiques mi- imaginaires qu’il relate ici et qui mettent en scène la convalescence
loufoque et extravagante d’un poilu blessé dans «l’abattoir international en folie».
Céline, un génie littéraire qui ne doit pas faire oublier le salopard. © GETTY
IMAGES
Cet événement éditorial est l’aboutissement provisoire (d’autres publications suivront) d’une
histoire rocambolesque digne d’un thriller. Jusqu’à sa mort en 1961, le médecin et écrivain a
toujours soutenu qu’on avait dérobé dans son appartement parisien de nombreux manuscrits
après sa fuite au Danemark à la Libération. Dont six cents pages de Casse-Pipe, troisième
volet de la trilogie dont les deux premiers éléments sont les chefs-d’œuvre absolus Voyage au
bout de la nuit et Mort à crédit. Depuis, plus aucune nouvelle de ces milliers de feuillets.
Pour les exégètes les plus avertis, qui n’ont pourtant pas ménagé leur peine pour en retrouver
la trace, le trésor était perdu à jamais.
C’est donc à la surprise générale qu’il a refait surface, en juin 2020. La date ne doit rien au
hasard. Quelques mois plus tôt, la veuve de l’auteur de Nord, l’ex- danseuse Lucette
Destouches, décédait à l’âge canonique de 107 ans. Conformément à la promesse qu’il avait
faite une quinzaine d’années plus tôt au mystérieux donateur qui lui avait confié les
documents, Jean-Pierre Thibaudat, critique et ex-journaliste à Libération, a attendu la
disparition de la femme de Céline pour révéler au monde l’existence des manuscrits. De quoi
mettre en émoi la communauté célinienne et bien au-delà. Toutes proportions gardées, c’est
un peu comme si un archéologue tombait par hasard sur la momie d’un pharaon.
Au terme d’une saga judiciaire pour savoir s’il y a eu vol et recel, les écrits sont revenus dans
le giron des ayants droit du romancier et, par ricochet, chez Gallimard, qui publiera au
compte-gouttes les meilleurs morceaux de ces manuscrits retrouvés, pour reprendre le titre
de l’exposition que la maison d’édition leur consacre en parallèle (1). Guerre aujourd’hui,
Londres à l’automne (soit le squelette déjà bien en chair d’une nouvelle trilogie), en même
temps que La Légende du roi Krogold. Avant l’intégrale de Casse-pipe et sans doute d’autres
fragments à exhumer des 5 324 feuillets récupérés, histoire de rentabiliser au maximum ce
cadeau tombé du ciel.
(1) Céline, les manuscrits retrouvés, à la galerie Gallimard, à Paris, jusqu’au 16 juillet.
Le bruit et la fureur
Même s’il s’agit d’un premier jet, même s’il manque des pages, même si certains mots sont
restés illisibles, Guerre n’est pas un fond de tiroir ou un simple brouillon. C’est bien un
roman à un stade avancé. Un roman puissant, concis, râpeux, obscène, outrancier, peuplé de
personnages croisés ailleurs dans la galaxie célinienne et truffé de mots d’argot populaire et
militaire qui fouettent la langue et transforment ce récit à la grammaire démantibulée et à la
ponctuation très personnelle en aventure humaine hallucinée. En l’occurence, celle de
Ferdinand, alter ego récurrent de l’auteur, salement amoché au bras et à la tête par une pluie
d’obus du côté de Ypres. «C’était abominable partout comme souffrance, du bas du genou au
dedans de la tête. L’ oreille c’était la bouillie sonore à part ça, les choses n’étaient pas tout à
fait les mêmes ni plus comme avant.»
Si certaines situations heurtent les sensibilités de 2022, et si définitivement Céline n’est pas
un écrivain woke, on est conquis par la puissance de feu d’une écriture en fusion, écorchée
comme le monde qu’elle décrit. L’ auteur de Voyage au bout de la nuit ampute la langue
comme la guerre ampute les corps. Il laboure les souffrances, transforme la boue en poésie
organique et triviale, moins par souci esthétique que pour refléter, jusque dans la syntaxe, le
traumatisme d’une génération transformée en chair à canon. Une lecture choc qui aurait
mérité au moins une préface éclairant la personnalité trouble de Céline, capable du meilleur
comme du pire.
C’est ici, dans son appartement de la rue Girardon, à Paris, qu’ont été volés les
manuscrits. © BELGA IMAGE
Gilles Martin-Chauffier
Céline nous rappelle que la guerre n’est qu’un carnage absurde. De quoi nous
faire passer le goût de la gloriole !
Paris s’ennuie vite. C’est tou jours la même histoire : la paix est trop longue. Il
nous faut de l’action. On peut avoir un coq pour symbole et rêver de tension. À
force de neutralité, on friserait l’impuissance. D’où notre manie d’intervenir un
peu partout. Ces jours-ci, c’est la cour d’assises de Paris qui va juger de la
culpabilité de Laurent Bucyibaruta, un ancien préfet rwandais , accusé d’avoir
organisé des massacres de Tutsis en 1994 .
À croire que les guerres nous manquent. Il nous en faut même par procuration.
C’est la France. Alors que le monde attend qu’elle le décore, qu’elle le contemple
et qu’elle l’embellisse, elle prétend le changer. Tant pis pour notre architecture,
notre littérature ou notre haute couture. Nos autorités ne peuvent pas
s’empêcher de leur voler la vedette et de sortir l’épée pour prêcher urbi et orbi.
Pas pour trancher, je vous rassure, juste pour attirer l’attention. Et tant mieux
car la guerre, on connaît. Pour ceux qui l’auraient oubliée, les éditions Gallimard
sortent justement un inédit de Céline : « Guerre » .
Il semble l’avoir écrit vers 1934. Juste après « Voyage au bout de la nuit », c’est
le récit de sa grave blessure sur le front à la fin de 1914, puis de sa convalescence
dans un hôpital proche des lignes. Son bras est en charpie, un choc terrible à la
tête lui provoque des migraines sans fin et des acouphènes assourdissants. Il a
attrapé la guerre, enfermée dans sa tête. Mais, le temps de son traitement, il va
se débarrasser de tous les scrupules qui encombraient sa conscience de bon petit
gars. Il décide qu’il ne doit plus rien à l’humanité. Son style parlé, argotique,
déstructuré, fébrile, vociférant et, pour finir, éblouissant, plonge tête la première
dans l’émotion brute. Il ne se borne pas à la façade de ses scènes, il sonde les
murs. Le récit de sa blessure et du chaos sur le champ de bataille est
apocalyptique. Et affreusement violent. L’écriture ouvre les yeux des civils à la
baïonnette. Si le plomb se transforme en encre, elle est bouillante. Ne comptez
pas sur lui pour gober le bon fourrage patriotique.
Écrit vraisemblablement en 1934, le roman se déroule dans les Flandres, pendant la Grande
Guerre. (Agence de presse Meurisse, domaine public)
Une quinzaine de jours après sa publication à 80 000 exemplaires, le morceau de lave littéraire avait déjà fait
l’objet de deux retirages à 30 000, signe d’un succès commercial d’ores et déjà acquis pour la maison
Gallimard. Un spectaculaire retour de flamme pour un auteur souvent honni mais qui ne laisse jamais
indifférent.
Ici, le cocktail de sang, de sexe et de larmes ne décevra personne, ni les fidèles lecteurs qui attendaient depuis
toujours, même sans y croire, que le puzzle de l’œuvre incandescente soit un jour complété, ni les nouveaux,
qui vont être enchantés par la puissance avec laquelle l’écrivain décoiffait déjà, voici bientôt cent ans, une
langue française que notre époque violente à tout va.
Un cri primal
Dans ce livre facile d’accès, on souffre, on crève, on jouit, on entend s’écouler bruyamment le grand fleuve du
temps et l’on voit fleurir des instants merveilleux sur le pire des fumiers. Des estropiés mal en point se
retrouvent dans un hôpital d’infortune, lui-même embourbé au cœur d’un village de Babel où des militaires
hagards de tous les pays font prospérer le « petit commerce » de la fesse.
Bref, de Belgique en Angleterre, l’espace narratif a beau être restreint et peu rebondissant (certains parlent de
monotonie), c’est la guerre 14 qui bouillonne et déborde là, la guerre éternelle et ignoble qui hurle et suinte,
c’est « Guerre » par Céline.
Et c’est le plus réjouissant des brouillons. On sait combien l’auteur de « Mort à crédit » retravaillait encore et
encore ses textes et nul doute qu’il en aurait gommé les scories et les répétitions, qu’il aurait musclé les temps
mous et affûté le tranchant de ses images avant de libérer la « bête ». Il n’empêche que jamais à ce jour l’œil
du lecteur n’avait ainsi approché cette écriture de premier jet, la fulgurance instinctive et le cri primal de
l’écrivain.
Ici, le « roi » maudit des prosateurs est encore nu, mais sa verve a quand même de l’allure. Ce diamant brut,
millésimé 1934, et ceux qui suivent, - notamment « Londres » qui sortira à l’automne et dont il se dit qu’il est
encore plus fort - apportent un fertile grain à moudre aux exégètes. Car sans le coup de pouce du destin, on
n’aurait jamais pu voir le moindre texte de Céline dans un état si embryonnaire. Au-delà des anecdotes qui ont
entouré cette résurrection, cette force littéraire en devenir est le plus formidable des cadeaux.
C’est en effet très célinien mais avec Céline, c’est toujours comme ça. J’ai
pu m’en apercevoir en travaillant sur sa biographie. On volait de surprises
en surprises. Il pouvait toujours faire quelque chose et son contraire. Ces
paradoxes se retrouvent dans ses prises de position. C’était un anarchiste
qui aimait l’ordre, c’était un généreux qui était avare…
Céline fait plusieurs fois mention de ces manuscrits dans son œuvre. Il se
plaint de leur perte, il répète partout qu’on l’a volé à la fin de la guerre et
personne ne le croit. Comme il en rajoutait toujours dans ses romans, tout
le monde disait alors « c’est du Céline, c’est du Céline ». En fait, ce n’était
pas « du Céline », mais du vrai!
En allant voir Antoine Gallimard pour passer un contrat avec lui, nous ne
savions rien de l’ouvrage. On pouvait même craindre quant à sa qualité, et
penser que Céline, volontairement, n’avait pas voulu publier Guerre en le
trouvant mauvais ou inabouti. Or ce n’est pas le cas du tout. C’est un très
bon livre – même se l’écrivain l’aurait probablement complété et corrigé.
La critique est assez unanime, les quotidiens et les hebdomadaires ont
tous dit que c’était un excellent Céline. Ce qui fait qu’en une semaine on
en a vendu 80 000. Certains libraires ont immédiatement épuisé leur
stock.
parler comme témoin. Je suis né en 1932, mon père avait fait la guerre de
1914. Je me souviens de ce qu’il disait, lui qui partageait globalement les
idées de tous les anciens combattants. Ils revenaient de ce qu’ils
appelaient « la der des ders », ils disaient tous « plus jamais ça ». Ils
voyaient la guerre revenir, ils savaient tous qu’on allait perdre… la suite
leur a donné raison.
[1] On ignore comment ils sont passés des héritiers de Rosembly aux
mains de Thibaudat, et ce mystère reste entier NDLR.
Odile Tremblay
9 juin 2022 Chronique
Chroniques
S’il est un écrivain destiné à échouer aux tests de bonne conduite pour la postérité, c’est bien
Louis Ferdinand Destouches, alias Céline (https://www.ledevoir.com/motcle/louis-ferdinand-
celine?utm_source=recirculation&utm_medium=hyperlien&utm_campaign=corps_texte). Je possède un
exemplaire de son pamphlet Bagatelles pour un massacre en édition originale de 1937, hérité d’un
collectionneur. Édifiante lecture !
On y saisit jusqu’où la conscience humaine peut sombrer, quand la haine, l’antisémitisme et autres
démons hurlants se déchaînent pour l’égarer.
Un des plus grands écrivains du monde, pourtant. L’auteur du Voyage au bout de la nuit,
également médecin des pauvres, y aura lancé un cri d’humanisme et de désespoir à vous déchirer
les tympans à coups d’images choc, de langage parlé réinventé, d’énergie inouïe, du refus de s’en
conter, de vertige. Assez pour supposer qu’un coup à la tête lors d’une mission casse-gueule
durant la Première Guerre, en partie lié à un syndrome du stress post-traumatique, expliquerait
ses dérives idéologiques plus tard. Sans être sûrs de rien, bousculés par l’énigme du personnage,
admiratifs de son œuvre incendiaire et noire. Pas question de canoniser Céline, mais le génie et la
vertu ne font pas toujours bon ménage. Autant l’admettre.
Céline aura été emprisonné, traité de traître, de collabo, d’allumeur de violence antisémite et j’en
passe, avec raison d’ailleurs. Paria, mais ruant dans les brancards, écrivant, éructant, sa plume
trempée dans le vitriol jusqu’à sa mort à Meudon en 1961.
Or voilà ! Guerre est une pièce capitale du casse-tête célinien. Collé au Voyage au bout de la nuit
et à Mort à crédit, sa meilleure période, avec des fragments tirés du réel, d’autres visiblement très
« J’ai attrapé la guerre dans ma tête, écrit-il. Elle est enfermée dans ma tête. »
Autre thématique tonitruante : la sexualité, dont les descriptions salaces dérangeront les gens
bienséants. D’autant plus qu’une des infirmières fait subir à son alter ego Ferdinand les derniers
outrages sur son grabat de misère.
D’ailleurs, en avant-propos à Guerre, un des grands exégètes de Céline, son biographe François
Gibault, parle de cette infirmière réelle ou fictive « qui semble profiter de la situation pour se livrer
sur des blessés à des pratiques que la morale réprouve ». Sans préciser à quel point la guerre
sanglante, qui tue et estropie les soldats, constitue une pratique que la morale devrait réprouver
bien davantage. Le puritanisme de l’heure brouille la vue.
Et si certains révisionnistes enragés parvenaient un jour à faire interdire les œuvres de Céline, ce
serait peut-être moins pour les prises de position politiques infamantes des pamphlets que pour la
pornographie de ses romans.
Dans Guerre, tout Céline est là, avec les mots crus, la mauvaise foi, l’humour noir, le génie de la
langue, la misogynie, la misanthropie, les acouphènes, la cruauté, les trahisons, le chagrin devant
la mort des autres, surtout celle de Bébert, l’ami maquereau, si lâche et si fragile. L’épisode de
l’Hôpital et ses suites sont vécus en traversée d’enfer : « Pour l’expérience je vieillissais d’un mois
par semaine, résume-t-il. C’est le train qu’il faut aller pour pas être fusillé dans la guerre. » Mais
aussi, en ouvrant le couvercle de son esprit meurtri : « Je crois plus aux facilités. J’ai appris à faire
de la musique, du sommeil, du pardon et, vous le voyez, de la belle littérature aussi, avec des
petits morceaux d’horreur arrachés au bruit qui n’en finira
jamais. »
Il est plus souvent en refus de pleurer sur son sort, Céline. Gueulant, gesticulant, embrassant la
condition humaine avec son animalité, ses instincts féroces plus forts que l’ombre du début de la
raison. Sans jamais croire aux lendemains qui chantent. Le voici encore brisé comme ce miroir
tendu au monde. Sa prose nous éblouit.
La «Guerre» de Céline
Photo: Agence France-Presse Portrait de l’auteur français Louis-Ferdinand Celine datant de 1951. La publication de «Guerre» est
bel et bien un événement majeur. Une sorte de chaînon manquant dans l’œuvre de Céline, qui vient combler un vide dans la vie de
l’auteur.
Christian Desmeules
Collaborateur
Au printemps 1944, Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) est un homme traqué. Proche des
milieux collaborationnistes, pamphlétaire antisémite violent, l’auteur du Voyage au bout de la nuit
(1932, prix Renaudot), un des romans les plus forts du XXe siècle, sent la soupe chaude. Depuis
le début de l’année, les Alliés bombardent Paris, les rumeurs d’un débarquement sur les côtes de
France se multiplient et Rome est sur le point d’être libérée.
Céline, qui n’a pas la conscience tranquille, se déplace désormais dans les rues de Paris avec un
pistolet et projette de fuir. La Suisse ? L’Espagne ? Ce sera plutôt le Danemark, en passant par
Baden-Baden, en Allemagne.
Pour donner l’impression qu’il part en vacances — avec son épouse Lucette, leur chat Bébert et
deux ampoules de cyanure —, Céline quitte son appartement de Montmartre le 17 juin avec très
peu de bagages, laissant au-dessus d’une armoire une pile de manuscrits inachevés (plus de
6000 feuillets), dont ceux de La légende du roi Krogold et des fragments de Casse-pipe.
Tous ces manuscrits vont disparaître à l’heure de la libération de Paris. Près de 80 ans plus tard, à
l’été 2021, ils vont refaire surface dans des circonstances à la fois mystérieuses et
abracadabrantes.
Un chaînon manquant
Un an plus tard, la publication de Guerre est bel et bien un événement majeur. Une sorte de
chaînon manquant dans l’œuvre de Céline, qui vient combler un vide dans la vie de l’auteur. Deux
cent cinquante feuillets fiévreux et largement autobiographiques, écrits, semble-t-il, en 1934.
Gallimard annonce déjà la parution de Londres, la suite de Guerre, pour l’automne prochain.
Y montrant toute l’horreur et l’absurdité de la guerre, Céline revient plus longuement que dans
l’ouverture du Voyage au bout de la nuit sur son expérience de la Première Guerre mondiale, alors
qu’il était jeune maréchal des logis, gravement blessé au bras et à la tête en novembre 1914 en
Flandres.
« J’ai attrapé la guerre dans ma tête », raconte Ferdinand, le narrateur, au tout début de Guerre,
alors qu’il se réveille étendu sur le sol, ensanglanté, au milieu d’une « mélasse pleine d’obus qui
passaient en sifflant ». Cadavres, chevaux éventrés, odeurs de « viande avancée » et de brûlé,
acouphènes.
Hospitalisé après cette petite apocalypse, consolé de près par une infirmière, la L’Espinasse, qui
vient branler son patient préféré la nuit, Ferdinand se remet lentement de ses blessures, tout en
ayant peur de passer en conseil de guerre et d’être fusillé — ce qui arrivera à Cascade, son
compagnon de chambre, maquereau vaguement anarchiste, pour mutilation volontaire.
« J’avais appris en deux mois à peu près tous les bruits de la terre et des hommes », écrit-il à
propos de cette expérience qui sonne le glas de sa jeunesse : le chaos, l’absurdité, la souplesse
morale. Roman parfois salace, limite pornographique comme dans Mort à crédit (1936), la
sexualité y est omniprésente, comme un antidote à la mort et à la souffrance physique.
C’est à lire et c’est immense. Et c’est au diapason de la guerre telle que Céline la racontait déjà
dans le Voyage : « Une immense, universelle moquerie. »
On en avait rêvé, Gallimard l’a fait. Céline est de retour ! Et pas qu’un
peu ! Je ne vais pas abuser des points d’exclamation, ni des points de
C’est pour cela, que de se voir dans les Relay H, il aurait bougonné, la
Ferdine. Il suffit de lire sa correspondance avec La Nouvelle Revue
Française. Surtout celle après 45, quand Roger Nimier jouait les
médiateurs pour faire réhabiliter littérairement Céline, qui avait échappé
de peu, dans sa prison danoise, à l’extradition et à la condamnation à
mort. Gaston Gallimard et lui, ça tenait du mariage de raison plus que de
l’amour fou et Céline aurait sans doute préféré que ce soit le Voyage qu’on
vende par palettes à ceux qui vont prendre le train.
En tout cas, Gallimard, après son recul sur l’édition des pamphlets
antisémites, a flairé le filon après la trouvaille miraculeuse : rappelons
qu’à l’été 2020 des milliers de pages manuscrites qui avaient disparu à la
Libération puis récupérées des années après par un Jean-Pierre
Thibaudat, ont été confiées à François Gibault, l’exécuteur testamentaire
de Céline. Après Guerre, Gallimard a prévu d’éditer dès l’automne
d’autres inédits où l’on trouve le texte entier de Casse-pipe dont on ne
connaissait que le premier chapitre, un roman intitulé Londres, une
« fantaisie », la Volonté du Roi Krogold et même un gros supplément à
Mort à Crédit. De quoi révolutionner l’architecture de l’œuvre, et de
prévoir une nouvelle Pléiade à moyen terme. Céline aurait ricané devant
tant de hâte : il tombe dans le domaine public en 2032, ce qui signifie que
n’importe qui pourra l’éditer après cette date.
On peut penser que Guerre a été écrit juste après Le Voyage au bout de la
nuit qui était apparu comme un bloc d’abîme, renouvelant complètement
le genre romanesque en inventant une langue pour dire l’horreur de
l’époque. C’était en 1932 et Bardamu devenait l’archétype de l’homme seul
condamné à un nomadisme dantesque, explorant tous les cercles de
l’enfer contemporain, la boucherie de 1914, le colonialisme prédateur,
l’aliénation du taylorisme dans les usines Ford en Amérique et la misère
sociale et morale des banlieues parisiennes dans les années 30. Le Voyage
était cette épopée qui peut se lire comme un manuel d’histoire écrit par un
halluciné lyrique chez qui la compassion et la sensualité le disputaient à
une vision désespérée de la condition humaine.
Mais, encore une fois, Guerre qui développe les non-dits elliptiques de
Bardamu narrateur dans le Voyage, nous offre bien sûr ces moments de
bravoure, proprement céliniens, mais aussi beaucoup d’autres passages,
plus plats, qui nous sont annoncés comme illisibles ou manquants.
Pour l’instant, fait assez étonnant pour être signalé, pas de grandes
polémiques à propos de Guerre comme lorsque Céline fut exclu de
Jérôme Leroy est écrivain et membre de la rédaction de Causeur. Dernier roman publié:
Vivonne (La Table Ronde, 2021)
Antoine Michelland
En librairie depuis moins d’un mois, Guerre s’est déjà vendu à près de 130.000
exemplaires. Un véritable phénomène d’édition. Avec Céline, tout est célinien.
Même soixante et un ans après sa mort. À commencer par l’aventure
invraisemblable de ses fameux manuscrits volés. D’aucuns pensaient qu’il
affabulait, torrentiel paranoïaque, à accuser Oscar Rosembly, employé de mairie,
d’avoir pillé son appartement de Montmartre en août 44, deux mois après sa
fuite en Allemagne avec son épouse Lucette et le chat Bébert. Six mille feuillets
évaporés, des œuvres entières qui ne verraient pas le jour. Dont l’essentiel de
Casse-Pipe, publié de façon très parcellaire en 1949. Les manuscrits volés étaient
entrés dans la légende. Jusqu’à ce qu’ils refassent surface à l’été 2021. Là encore
de façon rocambolesque.
Que Gallimard a donc commencé à publier avec Guerre, un roman bref, récit
halluciné, construit à partir de la blessure qui, en 1914, va bouleverser la vie de
Louis Ferdinand Destouches pour faire de lui Céline, écrivain génial et honni.
Toute sa vie, il entendra un train passer dans sa tête. "T’es cassé plus qu’aux
deux tiers mais avec le bout qui te reste tu vas encore bien te marrer, laisse-toi
souffler debout par l’aquilon favorable. Dors ou dors pas, titube, trombone,
chancelle, dégueule, écume, pustule, fébrile, écrase, trahis, ne te gêne guère, c’est
une question de vent qui souffle, tu ne seras jamais aussi atroce que le monde
entier."
Trois autres ouvrages issus des manuscrits restitués sont à suivre, dont Londres
à la rentrée d’octobre 2022, tous attendus avec la même impatience et promis à
des tirages de tête. Céline n’a pas fini de nous surprendre.
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
↑
PATRIMOINE
Manuscrits retrouvés de
Céline : les révélations de
Jean-Pierre Thibaudat
Le journaliste qui a récupéré au
début des années 2000 les
manuscrits de Céline, et qui les
a fait réapparaître il y a un an, a
reporté son projet de livre
présentant sa version des faits.
Mais il promet la révélation de
ses sources dans le récit en neuf
épisodes qu'il livre jusqu’au 15
août dans son blog sur le site de
Médiapart.
« Un fabuleux voyage au bout de mes nuits », écrit l’ancien journaliste de
Libération qui partage « le poids » de ce « vertigineux secret ». Jean-Pierre
Thibaudat se livre, un an après les premières révélations sur la réapparition
formidables mais aussi des notes abominables qui n’ont jusqu’à présent pas
été révélées par les ayant-droits ». En effet, parmi la liste des documents – 6
000 feuillets en tout – dressée par le journaliste, un « dossier juif »
comprenant des « notes, lettres, documents et une feuille » avec ces mots :
« parce que mon cher ami, les juifs sont des lèches culs et des commerçants
nés. Ils racolent la jeunesse et ». De quoi « ne pas oublier qui était Céline »,
commente Me Pierrat. C’est tout l’enjeu pour le journaliste, qui répète ne pas
être « motivé par l’argent ».
Cet article de 2761 caractères est réservé aux abonnés ou disponible à l’achat
à l’acte.
jean-pierre thibaudat
Abonné·e de Mediapart
BILLET DE BLOG 9 AOÛT 2022
Depuis longtemps les « céliniens » cherchaient les documents et manuscrits laissés rue Girardon par Céline
en juin 1944. Beaucoup croyaient avoir trouvé la bonne personne en un certain Oscar Rosembly. Un
coupable idéal.
Ce fut l’une des dernières questions de l’officier de police Calmettes lors de mon interrogatoire dans les locaux de
l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels à Nanterre. Je répondis d’un mot : « Non. » Et j’ajoutai:
« Je ne connais pas cette personne. »
Sachant l’identité des personnes qui m’avait donné le trésor inestimable, je ne m’étais pas intéressé à la question de
sa provenance. Elle hantait tous les « céliniens ».
La plupart d’entre eux, à commencer par Me Gibault, l’un des ayants droit, soupçonnaient un certain Oscar
Rosembly de s’être introduit dans l’appartement que louait Céline rue Girardon à Montmartre après son départ
précipité pour l’Allemagne le 17 juin1944. Rosembly aurait ainsi mis la main sur tout ou partie des manuscrits restés
sur le haut d’une armoire.
Oscar Rosembly était le coupable idéal : louche, « d’origine israélite » (selon ses propres termes), collabo un jour, soi-
disant résistant le lendemain. Proche du peintre Gen Paul, ami et voisin de Céline, il semble que ce dernier l’ait un
temps employé comme comptable.
Oscar Rosembly sera arrêté après la Libération pour avoir « visité » des appartements de collaborateurs qui avaient
pris la poudre d’escampette, comme le formidable acteur Robert Le Vigan, longuement évoqué par Céline dans
Nord. Rosembly fera de la prison.
Plus tard, Céline le désignera, ici et là, comme celui qui lui a volé les manuscrits. Dans une lettre à Henri Mahé (26
mai 1949), Céline écrit: « Oscar Rosembly, juif corse, volait les chaussures de Popol [Gen Paul] et il est venu après mon
départ ravager mon appartement ». Et le grand célinien Henri Godard d’approuver: « Le pillard de la rue Girardon est
Rosembly. »
C’est le libraire Émile Brami, spécialisé en raretés, l’un des céliniens les plus actifs et les plus passionnés, qui, le
premier, va mener l’enquête. Il épluche les annuaires, téléphone ou écrit à tous les Rosembly. Finalement, en 1997, il
fait bonne pioche : sa fille Marie-Luce, qui vit en Corse, à Corte d’où Rosembly est originaire (il est né le 4 avril 1909
à Poggiolo). La fille de Rosembly confirme à Brami que son père (mort en 1990) avait une bicoque dans le maquis
corse où il entreposait ses archives et, parmi elles, des documents de Céline. Cependant, de dérobade en porte
fermée, jamais Brami ne rencontrera cette personne. D’autres feront le voyage, comme Jérôme Dupuis, mais tous
feront chou blanc, ne verront ni la dame ni les manuscrits.
Marie-Luce Rosembly meurt à Corte en novembre 2020, quelques mois après Lucette Destouches, emportant avec
elle ses secrets ou ses affabulations. Trois mois plus tôt, Le Monde et Mediapart avaient révélé le trésor retrouvé.
D’où un autre soupçon : et si c’était Thibaudat qui aurait, on ne sait trop comment, récupéré le magot de Rosembly
? C’est l’hypothèse que font plusieurs céliniens, dont Brami et d’abord les cohéritiers. Et c’est sur cette hypothèse
que vont travailler les policiers de Nanterre, aiguillés par les deux ayants droit. Comptes bancaires, impôts sur les
revenus, propriétés, etc., ils vont tout fouiller me concernant. Et, sur une étendue de deux ans, ils vont dresser via
mon téléphone portable la carte de mes déplacements : je suis allé partout en France (voir des spectacles ou des
amis), mais je ne me suis pas rendu en Corse. Et je n’ai jamais été en contact téléphonique avec Marie-Luce
Rosembly, ni avec son fils, un journaliste (tiens, tiens…) exerçant dans la région marseillaise.
Il n’empêche. Biographe et ayant droit de Céline, Me François Gibault est sûr de lui : c’est bien Oscar Rosembly qui a
« volé » les manuscrits, et sa famille en a hérité. « Ce que l’on ne sait pas, c’est comment ils sont passés des mains de
Mme Rosembly à celles de Thibaudat », a-t-il déclaré à L’Obs.
Ce même journal ira jusqu’à explorer une autre piste, fantaisiste, celle de ma propre famille ! Ma mère, Gilberte
Thibaudat, et mon père, René Jatteau (qui ne se connaissaient pas en 1944), étaient des résistants, elle à Paris, lui
dans le centre de la France. Le réseau de ma mère tomba. Son compagnon fut fusillé au mont Valérien, elle fut
enfermée au fort de Romainville où elle rencontra, parmi d’autres prisonnières, Charlotte Delbo. Enceinte de mon
frère aîné, contrairement à ses compagnes, ma mère ne prit pas le train pour les camps de concentration et fut
bientôt libérée. L’Obs explora cette « piste » farfelue, allant jusqu’à publier une photo de ma mère à l’époque
provenant des archives du fort de Romainville. Contacté par un journaliste de L’Obs, je répondis par un SMS sans
appel : « Le cheminement de ces archives de Céline est effectivement lié à des résistants, comme je l’ai toujours dit.
Mais cela n’a rien à voir avec le fait que mes parents, comme des milliers d’autres fort heureusement, aient été des
résistants. Si cela constitue un “lien indirect”, libre à vous de le penser, mais c’est ridicule, autant dire que les poules
pondent des omelettes sans casser des œufs. »
Le 27 juillet 2021 , un rapport de police concluait : « Aucun lien entre la famille Rosembly et M. Thibaudat n’est mis en
évidence ». Fin de la piste corse.
Fin ? Après le départ précipité de Céline, le 17 juin 1944, son appartement loué de la rue Girardon a été laissé vacant
un certain temps avant que la Résistance ne le réquisitionne et l’attribue à Morandat. Rosembly et d’autres ont pu
le « visiter » durant cette période. Les neuf premiers chapitres de Guerre manquent. Ils existaient. Ils ont disparu.
Qui les possède ? Les héritiers d’Oscar Rosembly ? Un autre « visiteur » ? Dorment-ils dans une coffre de banque ?
Ont-ils été cédés à un collectionneur privé ? Mystère.
jean-pierre thibaudat
Abonné·e de Mediapart
BILLET DE BLOG 10 AOÛT 2022
Dans ses lettres, Céline accuse Yvon Morandat d’avoir « volé » ses manuscrits. Morandat ne les a pas
volés, mais préservés. Contacté à son retour en France par ce grand résistant, le collaborateur et
antisémite Céline ne donne pas suite. Cela écornerait sa position victimaire. Alors Morandat met tous les
documents dans une malle, laquelle, des dizaines d’années plus tard, me sera con�ée.
Fils d’ouvriers agricoles de l’Ain, devenu permanent syndical, Yvon Morandat fait son service militaire dans les
chasseurs alpins. Résistant dans l’âme, il rejoint le général de Gaulle à Londres début juin 1940 après avoir
combattu à Narvik (Norvège). Il sera plusieurs fois parachuté en France et sera chargé de rallier à de Gaulle les
syndicats de la zone libre. Le 25 juin 1944, lors de la libération de Paris, avec sa future femme Claire, elle aussi
résistante, il prend possession de l’hôtel de Matignon. Dans le film Paris brûle-t-il ?, de René Clément, cet
épisode sera interprété par Jean-Paul Belmondo et Marie Versini. Il est Compagnon de la Libération.
Socialiste, puis gaulliste de gauche, Yvon Morandat deviendra président des Charbonnages de France, membre
du Conseil économique et social. Dans le dernier gouvernement Pompidou, en 1968, il est secrétaire d’État,
auprès du ministre des affaires sociales, chargé de l’Emploi. Il meurt quatre ans plus tard, à 58ans. Un square à
Paris porte son nom et celui de son épouse Claire décédée en 1985.
C’est lui qui, avec sa compagne, occupera l’appartement réquisitionné (par la Résistance) que Céline louait
précédemment rue Girardon, laissé vacant après son départ précipité en juin 1944. Morandat y restera jusqu’en
1946.
Dans son exil danois, Céline ne va pas tarder à soupçonner Morandat d’avoir tout détruit. « Mon occupant rue
Girardon m’a foutu à la poubelle la suite manuscrite de Guignol’s et encore trois autres romans en train ! C’est un
dénommé Morandat ami de De Gaulle. Il écrit dans La Seine! L’organe des noyés ? Il me hait ce Morandat paraît-
il » (lettre à Henri Poulain, le 4septembre 1947), reprenant les termes d’une autre lettre envoyée précédemment
à son ami Milton Hindus le 29 août 1947. Céline en rajoutera quelques louches dans ses romans, ainsi dans Féerie
pour une autre fois (Gallimard, 1952): « Ils ont volé ce qu’ils pouvaient fracasser, tout ce qui était trop lourd !... / Ils
ont brûlé les manuscrits… aux poubelles aussi Guignol’s, Krogold, Casse-pipe. »
Lorsque Céline rentre en France après son exil en Allemagne et au Danemark, Morandat lui dit avoir déposé son
mobilier dans un garde-meuble et qu’il pourra tout récupérer à condition de payer la facture. Il lui propose
également de lui restituer, sans contrepartie aucune, des documents de sa main laissés rue Girardon, Céline
rejette cette proposition, parle de « pelures », de «brouillons ». L’idée que des résistants – Céline ignore ce mot,
lui préférant celui d’« Épurateurs » - aient gardé ses manuscrits sans songer à les mettre à la poubelle ou à les
vendre ne cadre pas avec la position victimaire et les engagements de l’écrivain.
Céline refuse de payer la facture du garde-meuble. « Bien sûr je ne fais, je n’écris rien, je ne paye rien. Qu’ils
vendent donc tout ce qui reste du pillage ! Pensez que j’en ai fait mon deuil de tout ceci ! Effractions, pillages, subis,
mais non consentis (embarbouillés de mensonges !). Ces meubles, ces manuscrits étaient chez moi en 44 (juin)
garantie du propriétaire – le logement lui-même a été “échangé” par Morandat sans aucun droit ! J’ai perdu, j’ai été
volé d’environ 10 millions (valeur à ce jour !) rue Girardon ! Ces voleurs veulent “régulariser” en me faisant payer
36 739 frs ! l’astuce est lourde […]» (lettre à son avocat Tixier-Vignancour, le 30 novembre 1953, citée par François
Gibault dans sa biographie).
Céline ne se départira jamais de cette position victimaire qui lui sied. Il a été pillé, un point c’est tout.
Les meubles seront vendus par la direction du garde-meuble pour solde de tout compte. Loin de les brûler, ces
documents dont Céline ne veut pas, Yvon Morandat les conserve, respect de la chose écrite. Les manuscrits et les
papiers de la rue Girardon n’ont pas été « volés » comme le serine Me Gibault, mais préservés, en un mot :
sauvés.
Comme nous le décrit Caroline, l’une des deux filles de Claire et Yvon Morandat, les documents sont entassés
dans une malle, et lorsque les Morandat quittent la rue Girardon pour une nouvelle adresse à Neuilly, la malle
suit avec l’ensemble des affaires de la famille. Elle est remisée dans le coin d’une cave et on l’oublie. Les années
passent. Morandat meurt en 1972. D’autres années passent encore. Un jour en avril 1982, à la recherche d’un
berceau d’enfant dans la cave, la malle refait surface. Caroline Lanciano-Morandat, qui habite l’appartement
avec sa famille, la retrouve dans la cave. Sa sœur Véronique résidant alors en Afrique n’en est pas avertie.
C’est là qu’intervient une personne qui va jouer un rôle décisif, Gilles Karpman. Un ami de longue date (ils se
sont connus à la fac) de ma compagne Véronique Soulé, ex-journaliste de Libération elle aussi. Gilles est un ami
de Caroline et de son époux Georges.
« Admis au concours de l’inspection du travail, j’ai rejoint l’Institut national du travail en février 1981. Parmi les
élèves avec lesquels j’ai sympathisé, on comptait Georges Lanciano.
» Georges était un peu plus âgé que moi. Il avait fait des études de sociologie, débuté me semble-t-il une thèse, mais
la conjugaison d’une envie de se frotter au concret et de la nécessité de contribuer avec son épouse Caroline à
nourrir une famille comportant déjà deux enfants, l’amena à choisir ce nouveau métier. Il semblait ne rien prendre
très au sérieux, ce qui nous rapprochait assez souvent. À mieux le connaître, ce détachement comme sa jovialité
laissaient entrevoir une forme de lassitude et de tristesse. Tous deux Parisiens, alors que notre école se situait à
Lyon, nous fîmes plusieurs trajets Paris-Lyon dans sa Renault, version break, format obligatoire pour ce papa de
deux jeunes enfants. Après l’école, je fus nommée à Beauvais et lui dans les Hauts-de-Seine.
» J’habitais toujours Paris et nous conservâmes nos habitudes de camarades de promotion, devenus amis. J’allais
régulièrement dîner chez Georges et Caroline, dans leur grand appartement de Neuilly. J’appris donc à connaître
Caroline, à l’époque membre de la direction des affaires budgétaires et financières au CNRS. J’appris aussi assez
vite que Caroline était la fille de Claire et Yvon Morandat.
» Un jour d’avril 1980, Georges m’invite chez lui pour discuter d’un problème qui les inquiète, Caroline et lui. Le
couple a découvert qu’une malle remisée dans la cave familiale contenait des documents et manuscrits de Louis-
Ferdinand Céline. Ce qu’ils pensaient être dans le garde-meuble était dans leur cave. Il semblerait qu’elle se soit
promenée entre plusieurs déménagements, dont les locaux du garde-meuble où était rassemblé l’ensemble des
affaires de Céline, sans que les parents de Caroline en soient conscients. Claire Morandat, qui devait décéder quatre
ans plus tard, est affolée par cette découverte et une possible mise en cause de son mari et d’elle-même.
» Dans ma naïveté, je ne comprenais pas pourquoi ça semblait leur peser tant ! Mais ils m’exposèrent en quoi la
situation leur semblait inextricable. Depuis quarante ans, cette caisse contenant des manuscrits de Céline se
trouvait dans la famille sans que celle-ci ne le sache vraiment. L’existence de ces écrits était connue des spécialistes.
Céline en a parlé lui-même dans différentes lettres et plusieurs fois désigné Yvon Morandat comme celui qui les
aurait “volés”.
» Pour mes amis, faire ressurgir au grand jour le contenu de cette caisse risquait de jeter l’opprobre sur la mémoire
d’Yvon Morandat ! Avait-il réellement gardé les précieux manuscrits de l’infâme génie comme ce dernier le
prétendait ? Avait-il ignoré leur importance ? Les avait-il oubliés ?
» Impossible aussi pour mes amis de rendre les documents à qui de droit, c’est-à-dire à Lucette, veuve de Louis-
Ferdinand. Après le décès de Céline, Lucette Destouches avait déployé beaucoup d’efforts pour tenter de gommer
l’ignominie antisémite de son époux. Restituer la caisse à la veuve de l’écrivain serait s’exposer, d’une part, à voir
des documents gênants pour Céline disparaître ou être interdits de publication. D’autre part, c’était voir Yvon
Morandat mis en cause dans son intégrité par certains individus dont l’intérêt pour Céline ne se limitait pas à
l’œuvre de l’écrivain, mais pouvait s’étendre à ses affinités politiques. »
Ces interrogations ont tourné dans la tête des trois amis, Caroline, Georges et Gilles. Jusqu’à ce que ce dernier
propose un jour d’en parler à Jean-Pierre Thibaudat « un ami très proche », dit Gilles qui poursuit:
« Critique littéraire reconnu, auteur, journaliste, véritable homme de lettres, quand je l’ai rencontré, j’ai vite senti
qu’il était digne de confiance et bienveillant. Bref, il était l’homme de la situation. Je propose donc à mes amis
Caroline et Georges de rencontrer Jean-Pierre pour savoir ce qu’il pense de cette “affaire”. Je téléphone à Jean-Pierre
qui me reçoit à dîner avec sa compagne Véronique. Tous deux m’écoutent avec attention, je vois un intérêt s’éveiller
dans le regard de Jean-Pierre, mais j’ai l’impression que ce n’est pas exactement pour les raisons que j’attendais.
Contrairement à moi, il connaît l’histoire des manuscrits disparus. Ce que je lis dans son regard à ce moment n’est
pas l’exaltation qu’une telle découverte doit provoquer. Je crois qu’il va accepter de rencontrer mes amis en étant
persuadé que moi ou eux ou les trois sommes en pleine mythomanie.
» Par amitié, il me dit “d’accord, tu vas leur téléphoner et on ira les voir”. Sans doute croyait-il à des errements de
ma part. Un rendez-vous chez Georges et Caroline fut convenu et j’emmenai donc Jean-Pierre à Neuilly.
» Je garderai toujours en mémoire la scène suivante. Nous entrons, salutations d’usage, mais très vite nous nous
trouvons à quatre assis autour d’une caisse emplie de papiers. Le regard de Jean-Pierre change car lui sait ce que
sont ces feuillets jaunis rassemblés par des pinces à linge en bois… Gilles n’est pas devenu victime de deux
mythomanes, il est bien dans le salon de Mme Lanciano-Morandat devant une caisse pleine de feuillets, certains
attachés par des pinces à linge ! Les pinces à linge, ça parle à tous ceux qui se sont intéressés à Céline. Nous allons
de découverte en découverte, il y a des échanges de courriers ordinaires, des versions inédites, des œuvres supposées
perdues ! Je tiens à témoigner avoir eu en main un échange de lettres entre Yvon Morandat et Louis-Ferdinand
Destouches par lequel le premier faisait savoir au second qu’il détenait des objets lui appartenant et lui demandait
de lui faire savoir comment il pouvait lui faire parvenir. Pas de “cher Monsieur” ni de “cordialement” évidemment.
La réponse de Louis-Ferdinand fut célinesque à défaut d’être célinienne : « Vous n’êtes qu’un sale prout prout
gazeux Gaulliste etc. » (de mémoire, je suis certain du ton et du “prout prout gazeux” qui ne s’invente pas). Ne
serait-ce que cet échange, il rend nulles les accusations de vol proférées par l’auteur de Voyage au bout de la nuit…
Yvon Morandat a voulu rendre ses biens à Céline qui a vertement décliné. Mais ceci ne suffisait pas à rassurer mes
amis. »
Je n’ai jamais retrouvé cet échange de lettres dont parle Gilles. Par la suite, je suis revenu voir Caroline et
Georges plusieurs fois avec ou sans Gilles. Avec l’accord et l’approbation tacites de Claire Morandat, on s’est mis
d’accord sur les principes suivants:
– le secret doit être gardé afin que nul ne puisse remonter à Yvon Morandat,
– il ne faut pas remettre la caisse à la veuve de l’écrivain, Lucette Destouches, de son vivant par crainte qu’elle ne
fasse disparaître certains documents ou empêche des travaux de recherche à partir des manuscrits et documents
contenus dans la caisse. »
Sur ces bases, je fus désigné comme dépositaire de «la caisse» qui me fut remise. Je ne me suis en aucun cas
approprié les manuscrits qui n’ont pas été volés par Yvon Morandat, lequel a tenté, dans un premier temps et
sans succès, de les restituer puis, dans un second temps, les a «oubliés» avant de mourir relativement jeune.
Nous étions donc cinq dans le secret : Caroline et Georges, Gilles, Véronique Soulé et moi. Il fut bien gardé.
Même après la mort de Claire Morandat, personne n’a songé à rompre ce pacte non écrit qui durera longtemps,
de fait jusqu’à aujourd’hui.
Quelques mois après la révélation du trésor dans Le Monde et dans mon blog Balagan abrité par Mediapart, au
cœur de l’été 2021, souhaitant mettre un point final à cette incroyable histoire en la racontant jusqu’à son terme,
je demandai à voir Caroline.
La rencontre se fit au Cadran, un café-restaurant en face de la gare de Lyon. Caroline descendait d’un train venu
du sud de la France où elle passe sa retraite avec Georges. Gilles Karpman était là. Je demandai à Caroline si,
après toutes ces années et la flopée d’articles sur le trésor où l’affabulation est allée bon train, il n’était pas
temps d’en finir avec notre secret, de dire le cheminement de ces manuscrits et, par là même, d’honorer la
mémoire de son père, Yvon Morandat, non pas voleur, mais sauveur, non pas « Épurateur », mais résistant de la
première heure. Elle accepta. Je crus entendre dans son oui un certain soulagement, d’autant qu’un faisceau de
journalistes se rapprochait de la vérité.
Yvon Morandat n’a rien « pillé ». Au contraire, il a tout préservé, il a fait œuvre de clairvoyance et de civisme.
L’histoire littéraire lui en sera reconnaissante. Pour l’Histoire, c’est déjà fait. Il est Compagnon de la Libération et
un collège porte son nom. Ce n’est pas le cas de Céline, l’antisémite et le collaborateur, même si son œuvre
littéraire est considérable, même si les manuscrits des textes retrouvés ne font qu’enrichir son œuvre, et, au
passage, enrichir ses ayants droit.
Ce trésor, dont j’avais souhaité auprès des ayants droit qu’il soit versé dans un fonds public pour être mis à la
disposition de tous, chercheurs, étudiants, lecteurs, est retourné à l’invisibilité dans un coffre de banque.
Les ayants droit ont fait publier Guerre chez Gallimard. D’autres manuscrits (Londres, La Volonté du roi Krogold,
Casse-pipe) suivront débouchant sur une refonte de certains volumes de la Pléiade consacrés à l’écrivain.
C’est aussi que le temps presse pour les ayants droit et leurs royalties. L’œuvre de Céline tombera dans le
domaine public en 2031.
L’exposition qui s’est tenue dans le hall des éditions Gallimard, en marge de l’édition de Guerre, était constituée
d’un choix d’éléments provenant du trésor. On pouvait voir, en sus, la Médaille militaire de Céline, sans préciser
le fait que, par décision de justice, l’écrivain n’avait plus le droit de la porter. En revanche, dans l’exposition ne
figurait pas l’accablant dossier juif du trésor nourrissant un peu plus, si besoin était, l’antisémitisme de Céline.
En ayant la main sur ce trésor, en ne le divulguant qu’en partie, en ne le versant que très partiellement à un
fonds public (la BNF) pour cause de dation, les ayants droit entendent maîtriser en la polissant l’image complexe
du grand écrivain collabo et antisémite. Des textes inédits vont être publiés, la Pléiade refondue, mais que
deviendra le reste du trésor, non moins passionnant?
Les ayants droit n’en disent rien. Il est plus que probable que le trésor qui constitue un ensemble unique sera
dispersé, dépiauté ou gardé dans les coffres des ayants droit. Quel gâchis!
Je fus donc le premier lecteur de ce trésor, le premier à décrypter cette folle écriture et ses repentirs dans le
secret de mes nuits, effectuant un voyage insensé au bout de ces nuits. Les ayants droit n’ont pas voulu
considérer mon travail de décryptage, c’est peut-être mieux ainsi. C’est encore plus beau. Ce que j’ai vécu, ce
tutoiement premier avec l’écriture manuscrite de Céline, ça n’a pas de prix.
jean-pierre thibaudat
Abonné·e de Mediapart
BILLET DE BLOG 11 AOÛT 2022
Premier des inédits à paraître chez Gallimard, l’édition de « Guerre », texte présenté comme une œuvre à
part entière, ne va pas de soi.
Dans une lettre à Eugène Dabit, le 14 juillet 1934, Louis-Ferdinand Céline écrit : « À propos je vais faire paraître
un premier livre dans un an c’est décidé : Enfance-La Guerre-Londres. Autrement dit j’en ai pour dix ans. » Deux
jours plus tard, il reprend le même énoncé de ce qui apparaît comme une future trilogie.
« On ne peut que faire le rapprochement avec la séquence que forment Mort à crédit (sous la forme du récit
d’enfance que nous connaissons), Casse-pipe et Guignol’s Band », note justement mais prudemment Henri
Godard dans la notice accompagnant Mort à crédit dans la Pléiade. La prudence s’impose car Casse-pipe ne parle
nullement de la guerre mais de ce qui la précède : la préparation militaire. C’est également le cas des nombreux
chapitres retrouvés et qui seront un jour publiés donnant une tout autre ampleur à Casse-pipe.
On s’en souvient, la guerre de 14 est évoquée au début de Voyage au bout de la nuit. On y croise Kersuzon, l’un
des personnages récurrents de Casse-pipe, proche du narrateur. Ferdinand évoque brièvement Kersuzon, son
compagnon de chambrée puis d’armes, « tué en sortant d’un village », « un village qu’on avait pris pour un
autre ».
Puis on voit Ferdinand se dirigeant nuitamment vers le village de « Noirceur-sur-la Lys ». Ortolan, son capitaine,
lui a confié une « mission délicate » : « Se rendre au trot avant le jour à Noirceur-sur-la-Lys », « pour s’assurer
dans la place même, de la présence de l’ennemi ». Il croise un soldat, Robinson, rescapé d’un régiment, puis
Ferdinand cogne à une porte, c’est celle du maire de Noirceur qui attend les Allemands. Les deux compères
poursuivent leur route, croisent un mort puis se séparent. « On est retournés chacun dans la guerre. Et puis il
s’est passé des choses, et encore des choses, qu’il est pas facile de raconter à présent, à cause de ceux d’aujourd’hui
qui ne les comprendraient déjà plus. » C’est la fin de la séquence (Pléiade p. 47). Quelles sont ces « choses » ?
À la séquence suivante, saut dans le temps. Ferdinand évoque en une phrase la décoration militaire qu’on lui a
attribuée pour acte de bravoure, « la blessure et tout », la médaille qu’on lui apporte à l’hôpital. En une phrase.
Une seule. Quelle ellipse ! Ce sont ces « choses » dont parle le texte publié sous le titre Guerre.
Un ensemble, un regroupement de séquences et non un texte à part entière comme l’affirment Me Gibault dans
sa préface et Pascal Fouché dans son analyse, ce dernier après avoir décrypté le tout.
Tout commence par un chapitre numéroté 10. Nous sommes sur le champ de bataille, non loin d’Ypres. Un obus
a éclaté, Ferdinand se réveille, il est le seul survivant. Kersuzon, celui dont il était le plus proche gît à ses cotés
dans l’eau, bras coupés, d’autres soldats croisés dans Casse-pipe gisent morts, explosés, démembrés tout comme
leurs chevaux.
Ferdinand a été blessé au bras et ses oreilles n’en finissent pas de bourdonner. Céline se plaindra de
bourdonnements jusqu’à la fin de sa vie. Dans son délire, Ferdinand parle du roi Krogold, référence à la légende
gaélique La Volonté du roi Krogold qui traverse plusieurs textes de Céline dont Mort à crédit. La publication de
cette légende également retrouvée est annoncée pour 2023.
« J’ai attrapé la guerre dans la tête », dit Ferdinand (écrit Céline). Dans son errance, il croise des soldats anglais
qui le conduisent à un hôpital. Tout ce « premier » chapitre unique semble être écrit par un Ferdinand
narrateur, entre mémoire et délire, sur son lit d’hôpital. Dernière phrase : « Ces choses se passèrent à l’hôpital de
la Parfaite Miséricorde le 22 janvier 1915 à Noirceur-sur-la Lys vers quatre heures de l’après-midi. »
Pascal Fouché, l’éditeur de ce texte chez Gallimard en mai 2022, a retiré cette phrase du texte, considérant que sa
place n’est pas logique dans la chronologie. Curieux raisonnement. Nous ne sommes pas dans un discours
logique mais dans un délire. Et cette phrase a toute sa place dans ce texte chaotique. Céline a bien été blessé près
d’Ypres mais à une autre date, le 27 octobre 1914 à Poelkapelle, et transféré à l’hôpital d’Hazebrouck avant de
recevoir la médaille militaire le 25 novembre et de revenir à Paris à l’hôpital du Val-de-Grâce (je renvoie à la
biographie de François Gibault en trois volumes parue au Mercure de France et à celle de Henri Godard chez
Gallimard).
Laissons de côté le serpent de mer sans fin du comparatif entre la vie et l’œuvre et revenons à Guerre.
Noirceur sur-la-Lys, bourgade déjà mentionnée dans Voyage, est un nom imaginaire (la Lys ne l’est pas), et dans
les cinq chapitres qui suivent apparaît le nom du village où se trouve l’hôpital : Peurdu-sur-la-Lys. Dans
Guignol’s Band, revenant ici et là sur cette période, Céline rétablit le nom véritable de la localité où se trouve
l’hôpital : Hazebrouck.
Ces cinq chapitres sont numérotés 1,2, 2’, 3, 4. Ferdinand raconte sa convalescence dans cet hôpital proche du
front, ses relations particulières avec une infirmière, Madame Lespinasse (ou L’espinasse). L’infirmière qui a
soigné Céline s’appelait Alice David, ils semblent avoir eu une liaison aux dires des biographes. De là à penser
qu’un enfant est né de cette liaison, il n’y a qu’un pas vite franchi par certains chroniqueurs. C’est là une
hypothèse que rien ne vient étayer même si le personnage de Madame Lespinasse semble avoir un âge similaire
à celui d’Alice David : la quarantaine. Et qu’il donne à l’infirmière le prénom d’Aline proche de celui d’Alice.
Comme toujours, Céline transfigure la réalité jusqu’à la réinventer. Lespinasse apparaît comme un personnage à
facettes, à la fois bourgeoise catholique, attentionnée et perverse. Elle aime les blessés, elle en pince pour
Ferdinand, le suce sur son lit de malade, le ménage, le protège. Elle en pince plus encore pour les mourants.
Ferdinand, un jour, la surprend à sucer un « bicot » qui vient de mourir. C’est la seule fois où Ferdinand, qui
l’épie, l’appelle par son prénom : Aline. Un autre jour, c’est elle qui annonce à Ferdinand qu’il est cité pour une
médaille.
À l’hôpital, Ferdinand sympathise avec un certain Bébert qui devient Cascade au fil des pages. Lui a été blessé au
pied. Ils deviennent inséparables. Cascade est un souteneur, il fait venir sa femme Angèle, qui délaisse le tapin
parisien pour celui lucratif des militaires, particulièrement celui des officiers anglais. Précisons-le : ce Cascade-
là n’est pas celui de Guignols’s Band I. Ce Cascade-là finira fusillé. Angèle sait qu’il s’est volontairement blessé au
pied pour échapper au front, leur relation se dégrade, elle le dénonce.
Dans Guignol’s Band I, on retrouve cette histoire mais les noms ont changé. Ferdinand raconte au Chinois
comment un certain Raoul Farcy a été fusillé et explique que ce dernier lui avait dit d’aller à Londres voir son
oncle Cascade. Dans Guignol’s Band II, c’est à la demande de Cascade que Ferdinand évoque Raoul qui, deux
jours avant d’être fusillé, lui avait parlé de son oncle Cascade habitant à Londres. Dans Guerre, c’est le fusillé qui
s’appelle Cascade. Dans Londres, l’oncle porte un autre nom, Cantaloup. Délices des méandres et des
métamorphoses de la fiction.
Revenons à Guerre. Cascade fusillé, Ferdinand reste seul avec Angèle et se rapproche d’elle. Devient un peu son
souteneur et son garde du corps. Ce qui nous vaut des scènes cocasses dignes du théâtre de boulevard : Angèle
demande à Ferdinand de jouer le rôle de son mari et de faire irruption dans la chambre au moment où elle baise
avec un Anglais, de faire le mari effarouché pour mieux abuser le client. Ferdinand ne se montre pas à la
hauteur. Les scènes cocasses se succèdent. Un Major anglais, Purcell, client d’Angèle, en devient amoureux, veut
l’emmener en Angleterre vivre avec elle. Angèle est d’accord mais veut aussi que Ferdinand les rejoigne. Pour ce
faire, Ferdinand demande à Lespinasse l’obtention d’un sauf-conduit lui permettant d’effectuer sa
convalescence à Londres. « Mais vous n’y pensez pas, Ferdinand », réplique Lespinasse.
Alors, comme ce dernier l’a menacée de dénoncer ses pratiques perverses (« que vous bouffez les morts »), elle
s’exécute. Céline, lui, sera d’abord transféré à l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris avant d’aller à Londres en poste
au consulat de France.
Dans Guignol’s Band I (Pléiade p. 180), Ferdinand raconte : « Une chance entre mille de me trouver comme ça à
Londres... Je raconterai comment... Une veine insolente !... Une gâterie !... Un retournement du sort !... Quelle
renversée... Cascade je peux le dire, quelle aubaine !… Tout ça par le petit Raoul !... Pauvre mec alors celui-là ! Une
malchance !... Je raconterai aussi... » Il a raconté. La preuve.
Quelle émotion d’avoir tutoyé ces lignes manuscrites de Céline, d’avoir fiévreusement décrypté ces pages où le
sublime côtoie le sordide. Ces écrits, dont même les plus férus « céliniens » ne se doutaient pas de l’existence,
sont souvent magnifiques. Des séquences comme le repas avec ses parents chez le patron de la Coccinelle (ce qui
nous renvoie à Voyage) avec Angèle et Cascade, cette journée où Cascade, pressentant que son arrestation est
proche et que ses jours de vie sont donc comptés, propose à Ferdinand d’aller à la pêche ; cet autre jour où,
séparément, l’un et l’autre vont repérer le lieu où l’on fusille les soldats condamnés à mort (désertion,
mutilation volontaire, etc.), la dernière nuit de Cascade à l’hôpital avant son arrestation, le café l’Hyperbole, la
serveuse prénommée Destinée qui partage une chambre avec Angèle, le délire de Ferdinand se réveillant sur le
champ de bataille dans le premier chapitre retrouvé, autant de pages haletantes, souvent bouleversantes.
Pour moi, leur accidentel premier lecteur, elles le furent forcément plus encore, réveillant ces lignes
manuscrites d’un long sommeil en les couchant sur mon ordinateur. Les héritiers ont dédaigné considérer mon
décryptage, qu’importe. À eux le flacon, à moi l’ivresse.
Il est juste que parmi les manuscrits inédits du trésor retrouvé, Guerre, dont on ignorait l’existence, ait ouvert
en mai 2022 le ballet de la publication des inédits. Mais c’est une publication tronquée. « Pas tout à fait », les
trois premiers mots du premier chapitre ont été biffés (et renvoyés en note) pour donner l’illusion d’une œuvre à
part entière, non sans arrière-pensée commerciale, peut-on penser.
La première page de cette première séquence du manuscrit porte en haut à gauche le numéro 10 entouré d’un
rond. C’est probablement le numéro d’un chapitre. Céline numérote ses pages en haut à droite et
habituellement le numéro du chapitre (ou séquence) en haut de la première page au milieu. Manquent donc
9 chapitres. Dans ce seul chapitre 10 il est question de Noirceur-sur-la-Lys (nom imaginaire d’un village que l’on
trouve dans Voyage au bout de la nuit).
Pascal Fouché a cru bon d’éliminer la fin du chapitre en l’arrêtant à la fin de la page 38 du manuscrit par « Ce
n’est pas d’une histoire comme ça que nous autres on a besoin... » (ajoutant au passage des points de suspension
qui ne sont pas dans le manuscrit). Il ôte la page 39 qui suit en précisant en note : « Le manuscrit comporte un
dernier feuillet qui n’est manifestement pas à sa place puisqu’on dit à Ferdinand qu’il sera opéré le lendemain, ce
qui n’interviendra que dans la deuxième séquence. » C’est doublement absurde. D’une part, la page 39 est bien la
suite de la précédente et l’écriture tout autant. D’autre part, Céline, comme souvent, n’est pas rationnel et toute
cette séquence est d’une écriture souvent hallucinée où la logique n’a pas sa place.
Enfin, il y autre chose qui n’a pas été souligné (pour d’évidentes raisons commerciales). Cette séquence 10
semble être la fin d’un récit autour de Noiceur-sur-la-Lys et du front auquel manquent les neuf premiers
chapitres. C’est artificiellement qu’il apparaît comme premier chapitre d’un ensemble baptisé Guerre tel qu’il
est présenté dans l’édition.
Les cinq chapitres qui suivent formant l’ensemble Peurdu-sur-la-Lys qui se termine par le départ pour Londres.
Il sont eux numérotés 1, 2, 2’, 3, 4, au centre de la première page (à l’exception du 2’). Additionner 10 + 1, 2, 2’, 3, 4
et décréter que c’est là une œuvre complète est un peu fort de café.
Guerre n’est pas un texte à part entière mais le résultat d’une fabrication éditoriale.
Quel statut pour ces textes ? Et à quand remonte leur écriture ? Là-dessus, les spécialistes sont loin de partager
les propositions de Fouché et Gibault et aimeraient bien pouvoir consulter le manuscrit.
Enfin, comme d’autres textes manuscrits de Céline, le déchiffrage de ses feuillets n’est pas toujours aisé. Ici et là
on bute, on doute. D’où les termes « mot ill. » et autres « quelques mots ill. » qui apparaissent, çà et là, dans
Guerre. Pascal Fouché a déchiffré certains mots sur lesquels j’avais buté. L’inverse est aussi vrai. Pour une
prochaine édition, il serait bon de restituer les phrases suivantes :
– Page 28 de l’édition Gallimard. Ferdinand se réveille sur le champ de bataille, sonné, entouré de cadavres. Sur
l’un d’eux il trouve deux bouteilles de bordeaux. Fouché transcrit : « Du volé bien sûr, du bordeaux d’officier.
Après je me suis dirigé vers l’orient d’où on était venu. » Ma transcription diffère : « Du volé bien sûr. Le bordeaux
s’apprécie. Après je me suis dirigé vers l’endroit d’où on était venu. »
– Page 71. Ferdinand décrit Peurdu-sur-la-Lys : la grande place, le marché, la foule. Fouché transcrit : « Tout ça
tournait à la tremblotte (deux mots illisibles) comme dans un cirque. »
– Page 113. Chez monsieur et madame Harnache, en présence de ses parents et d’Angèle, Cascade chante.
Fouché : « T’en veux un autre de couplet ! Je te (les) donnerai (quelques mots illisibles). Tous pour que la merde
remonte, t’étouffe. » Ma transcription : « T’en veux un autre de couplet ! Je te (les) donnerai tous... fumier de
roulure. Tous pour que la merde remonte, t’étouffe. »
– Page 145. Ferdinand dans la rue attend le signal pour monter chez Angèle. Bruits des convois. Fouché : « ...
deux mille trois cents essieux qui hurlent après la graisse, à cet écho de grèle dont toute la rue se bourre tant qu’il
n’est pas passé. » Phrase difficile lisible, qui est la suivante : « Si une automobile vient il traverse ! Tout le boucan
s’éteint sauf un cheval qui hennit. »
Par deux fois Céline a mentionné une trilogie Enfance-Guerre-Londres. L’a-t-il écrite ? Ou bien Guerre et Londres
sont-ils des « tentatives précoces » comme le pensent, avec d’autres, les Italiens Giuila Mela et Pierluigi Pellini ?
Une consultation des manuscrits permettrait d’aller plus avant, de procéder à des analyses scientifiques, et, in
fine, de dater les manuscrits (avant Voyage, après ?).
jean-pierre thibaudat
Abonné·e de Mediapart
BILLET DE BLOG 12 AOÛT 2022
Sur une chemise rose des services municipaux d’hygiène sociale de la ville de Clichy ce mot écrit au
crayon noir : « Londres ». « Londres » commence là où se termine « Guerre ». Un roman en trois parties
dont seule la première partie a été retravaillée. La parution chez Gallimard est annoncée pour cet
automne.
Guerre s’achève lorsque, depuis Boulogne, sur un bateau qui l’emmène en Angleterre, Ferdinand voit s’éloigner
les côtes françaises. Derniers mots : « C’est énorme la vie quand même. » Alors commence Londres.
À la différence de Guerre, Londres est un ensemble cohérent en trois parties. Céline a corrigé et retravaillé la
première partie (dix chapitres) les deux autres sont un tout premier jet.
Sur une chemise rose des services municipaux d’hygiène sociale de la ville de Clichy (dispensaire où Céline
assura une vacation quotidienne de médecine générale de janvier 1929 à décembre 1937) ce mot écrit au crayon
noir : Londres. Et sur trois autres chemises on peut lire Londres I, Londres II, Londres III. Dans chaque chemise,
des chapitres manuscrits.
Certains pages de Londres III sont rédigés au verso d’un formulaire vierge de certificat médical du même
dispensaire. Des trois parties de Londres, la première est la plus longue et la plus accomplie, la seule que Céline
ait retravaillée avant d’en rester là. De quand date ce manuscrit ? Est-il un morceau retiré du Voyage ? Ou un
écrit plus tardif ? Seule une étude du manuscrit pourrait aider à trouver une réponse, mais pour l’heure, celui-ci
n’est pas accessible aux chercheurs.
Dans Londres, Céline revient, sous une forme romanesque, sur les onze mois qu’il a passé dans la capitale
anglaise où il est arrivé en mai 1915 pour effectuer sa convalescence après sa blessure au front. « Sans doute la
période la plus obscure de sa vie », note son premier biographe (et aujourd’hui co-héritier) François Gibault.
Période cependant éclairée par le témoignage de Georges Geoffroy dans les Cahiers de l’Herne consacré à Céline
(p. 201-202) qui vivait alors à Londres et fréquentait le futur écrivain et médecin, partageant avec lui le goût pour
les salles des spectacles et le milieu de la prostitution tenue par des macs français, toutes choses que l’on
retrouve dans Londres. Les lettres de Céline à Joseph Garcin montrent que les connaissances de ce dernier des
milieux londoniens du proxénétisme ont pu lui servir.
Nous avons quitté Ferdinand à la fin de Guerre, lorsqu’il embarque à Douvres pour aller effectuer sa
convalescence à Londres (ce que fait Céline, après sa blessure soignée à Hazebrouck et son séjour final dans un
hôpital parisien avant d’aller travailler au consulat de l’ambassade de France à Londres). Angèle et son major
anglais Purcell, fou d’elle, l’ont précédé de quelques jours. À Londres, Purcell partage avec Angèle un bel
appartement où Ferdinand vient la voir, le plus souvent lorsque le major est en mission dans les Flandres.
Ferdinand vit à la pension Leicester que dirige madame Council et où règne en maître le souteneur Cantaloup
qui y loge ses tapins et ceux d’autres maquereaux français appelés au front. Aux yeux de Cantaloup et de son
entourage, Ferdinand apparaît, de fait, comme le maquereau d’Angèle, prenant la suite de Cascade, fusillé après
avoir été trahi (dénoncé) par Angèle elle-même.
Cette mort de Cascade et la trahison d’Angèle hantent leur relation. Vers la fin du septième chapitre de Londres
I, Céline décrit une scène de baise entre Ferdinand et Angèle. Mais, ce jour-là, « avant de jouir », Ferdinand
entend vider son sac : « Et Cascade saloperie. Tu l’as ou bien donné tiens-toi saloperie. Au bourge du conseil, hein !
Ton Farcy ! que tu l’as bien donné..hein ! Ils l’ont bien crevé hein pas ma vache, fait saigner avec les autres. Il est
dans la boite maintenant. Il est tout charogne à présent. »
Farcy ou Cascade ou Farcy Cascade ? Étonnant chassé-croisé ou comment le nom de Cascade mute ou se
métamorphose. Il y a le Cascade de Guerre, celui qui a été fusillé à Peurdu-sur-la-Lys dont l’oncle vit à Londres et
recommande à son pote Ferdinand d’aller le voir dès son arrivée à Londres, dont on apprendra, dans les
premières pages de Londres, qu’il se nomme Cantaloup. Puis il y a le Cascade de Guignol’s Band I, nom de l’oncle
du fusillé dont Ferdinand raconte l’histoire (Romans III, Pléiade p 370 ).
Le « vrai » nom du fusillé, commun aux deux romans, Londres et Guignol’s I serait donc Farcy, Raoul Farcy
comme le dit Ferdinand en apostrophant Angèle. Et dans Guignol’s I on peut lire : « Il [Cascade] se lassait jamais
de mon récit !... que je lui recommence !...et encore !... il l’aimait vraiment comme un fils.. Le Farcy Raoul !... Ça le
chahutait complètement... Voilà mon arrivée à Londres ! Les circonstances providentielles... Ma chance d’avoir
connu Raoul, le pauvre Raoul et son oncle Cascade ». Quant à Angèle, celle de Guerre et de Londres, est très
différente de l’Angèle de Guignol’s band I maquée avec Cascade alors que celle de Londres oscille entre son Major
anglais Purcell et Ferdinand.
Dans Guignol’s Band I, Céline écrit (Romans III, Pléiade p 180) : « Une chance entre mille de me retrouver à
Londres... je raconterai comment... une veine insolente... une gâterie... un retournement du sort !... Quelle renversée !
Cascade je peux le dire, quelle aubaine...Tout ça par le petit Raoul... Pauvre mec alors celui-là ! Une malchance ! Je
raconterai aussi. » Il a raconté. Et plus d’un fois. Dans Guerre, dans Londres, dans Guignol’s band I. Une fêlure
obsessionnelle quel que soit son travestissement.
Londres I
Ferdinand nous entraîne à Leicester street dans la Pension où l’on joue à la manille au salon où est admis Bijou,
un « bourre » (flic), où travaille comme bonne la petite Mabel, où Cantaloup, souteneur français et oncle de
Cascade, organise la prostitution de ses tapins, souvent des Françaises, plus rarement des Anglaises. C’est là que
Ferdinand habite.
Bientôt le narrateur-Ferdinand se lance, pour ses futurs lecteurs, dans une visite guidée de Londres, non sans
digression, « c’est moi qui vous promène, faut pas que je vous égare ». L’ex-soldat du Front s’est débarrassé de son
uniforme et n’exhibe pas sa médaille gagnée à la guerre, laquelle est loin d’être finie. D’autres personnages
apparaissent : « le gros Boro » (Borokrom) qui joue du piano, le capitaine Lawrence Gift, le colonel Horas
Marminas, etc.
Un soir, dans le cabaret de la mère Crocket, ça boit sec. Boro joue du piano, Bijou danse, Ferdinand debout sur
une table chante et raconte le roi Krogold. L’un d’eux met la main sur un sac de marin russe trouvé sous une
table, la nuit et l’alcool aidant la situation dégénère vite. Bijou est salement amoché. Boro et Ferdinand le jettent
sur une charrette et les voilà partis tous les trois en quête d’un lieu où soigner celui qu’ils croient bientôt
mourant. Ils déambulent dans la nuit. Bijou ne bouge plus, Ferdinand et Boro le croient mort.
Sous le pont Waterloo, ils frappent là à la porte de « la gare des morts ». On n’y accepte que les morts avec
papiers d’identité et d’ailleurs le mort de la charrette ne l’est pas, mort, leur assure le gardien des lieux. Il leur
donne l’adresse d’un médecin, le docteur Estroshom. Mais quand ils arrivent à l’adresse, c’est celle du Dc
Athanas Yuzenbits (Céline écrit aussi Yudenbits). Le médecin s’occupe de Bijou, l’opère, le sauve, et le couche
dans une chambre en attendant qu’il puisse marcher. De fait, Ferdinand et Boro logent également chez le
médecin.
On se serre, cela n’est pas très grand et puis le docteur n’est pas célibataire, il a épousé une Russe qui lui a donné
trois filles : Rachel qui vit à Montpellier, les deux autres sont là, Sylvie 9 ans et la petite dernière, la plus
mignonne, Sarah, 5 ans. C’est à elle que Boro raconte des tas d’histoires, tout en draguant la mère - c’est du
moins ce que soupçonne Ferdinand - quand il ne se saoule pas avec l’éther piqué dans la pharmacie du docteur.
Ferdinand n’ose pas appeler Angèle pour avoir un peu d’argent, il a peur qu’elle le dénonce : depuis peu, sa
convalescence achevée, il est considéré comme déserteur.
Ferdinand s’intéresse de près à ce que fait le docteur Yuzenbits. Il le questionne, commence à lire des livres de
médecine. Le docteur le considère. « Les premières flatteries que j’ai eues c’est avec Yudenbits. J’y aurais léché les
mains, je serais mort pour lui, sur place, moi, pour ce petit con de juif. J’y ai dit. Il s’est mis à doucement rigoler
comme il en avait l’habitude ». Bientôt Ferdinand accompagne le docteur dans ses visites aux malades.
Pour lui c’est « comme une révélation » de voir comment Yuzenbits s’y prend « pour leur faire du bien, pour les
empêcher d’avoir mal ». Il verra ainsi son premier mort, Peter, un petit enfant. Et Céline d’écrire : « Vingt ans
sont passés depuis, et pourtant, bien des choses encore, bien étranges et bien lourdes et (le) petit Peter, m’est
cependant toujours là. » Difficile de ne pas penser à l’enfant mort de Voyage au bout de la nuit et à la fin de
Rigodon (le dernier roman de Céline achevé juste avant sa disparition) où le médecin sauve des enfants de la
mort et est sauvé par eux.
Cache-purée, une des filles du Leicester, semble les avoir repérés, elle rôde dans les parages à plusieurs reprises.
La santé de Bijou s’améliore. Boro, un jour, s’en va. Quelques jours plus tard Bijou (guéri) et Ferdinand en font
autant.
Ferdinand retrouve Angèle mais il se méfie d’elle. Il craint également de revenir à la Pension, Leicester street. «
Fallait pas que je compte beaucoup sur leur confiance. Mais fallait que je les revoye quand même ». Il y retourne.
Ferdinand sent que le vent tourne, il juge que Cantaloup, un mac à la marseillaise, est un homme « fini et un peu
dépassé ». Chacun le sent : l’étau policier se resserre.
Cantaloup et Ferdinand cherchent Boro. Ils le retrouvent dans un théâtre, l’Empire. Ils y croisent aussi le
capitaine Lawrence. Après l’entracte, c’est le numéro de la famille Peacock, des lanceurs de couteaux qui ont
trouvé refuge à la Pension Leicester, une famille que Céline décrit avec beaucoup d’affection. Tous, après le
spectacle, se retrouvent dans une chambre du Savoy. Ambiance partouze. Arrivent Angèle et Bijou. La partouze
remet ça. Angèle, shootée à la coke, veut que tout le monde lui passe dessus.
Au retour à pied, Yorrick trouve un bébé dans un buisson et un chat. À la Pension toutes les filles veulent allaiter
le bébé. Cantaloup fait reconduire le nouveau-né abandonné dans un hôpital mais le chat reste. Mabel le
nomme Mioup.
Chaque soir Ferdinand va maintenant dormir chez Angèle. Purcell est de plus en plus souvent dans les Flandres.
Ses relations avec Angèle commencent à se distendre. On reparle de Cascade, on baise. Le printemps est arrivé.
Grande virée à la campagne pour une fête organisée par le capitaine Lawrence Gift. Borokrom joue de l’orgue,
dans la cheminée on brûle les meubles des ancêtres du capitaine. Des fantômes font leur apparition. « On n’a
jamais reparlé de ces choses-là » note Ferdinand.
Au retour à la Pension, mauvaises nouvelles. Des tapins ont été données et arrêtées dit Ursule, la prostituée,
compagne de Cantaloup. Et, pour tout arranger, autre changement : on ne peut plus envoyer les filles se faire
avorter à Boulogne. Ferdinand contacte Yuzenbits : il s’occupera des avortements, d’autant qu’en tant
qu’étranger ayant distribué des tracts révolutionnaires, il est sous la menace d’un ordre d’expulsion. Par ailleurs
les autorités multiplient les appels au recrutement, les souteneurs sont dans le collimateur.
Chez Angèle, Purcell fait part à Ferdinand de sa nouvelle marotte : les masques à gaz. Il a fabriqué des
prototypes. Ferdinand en emporte quelques exemplaires à la Pension : chacun et chacune les essaie.
Ainsi s’achève Londres I la seule des trois parties retravaillée par Céline. Les deux autres parties, en un seul jet,
sont aussi plus courtes.
Londres II
Visite d’un flic à la Pension. Des filles ont été données. Cantaloup : « ils veulent nous faire à la terreur. » Angèle
veut partir loin, vivre avec Ferdinand, « refaire notre vie ». « Tout le monde se régalait de notre déchéance », note
Ferdinand. Purcell a contracté une assurance-vie pour Angèle au cas où il viendrait à mourir. Il s’éloigne d’elle,
passionné qu’il est par la mise au point des masques à gaz. Les « gagneuses » sont « coulées » une à une, le
maquereau Tresore vend la Joconde à Cantaloup, Ursule avorte et dit à Ferdinand croire que la Joconde est en
train de les donner. Ursule et Cantaloup parlent de mariage. Les « bourres » viennent à la Pension pour arrêter
Lawrence.
Le mariage a lieu, suivi d’une fête suivie, elle, d’une bagarre. Cette fois c’est Angèle qui est très sérieusement
blessée. Ferdinand : « Je veux manger la vie, le reste je m’en fous. »
Cantaloup sent que l’époque n’est plus propice, qu’une page se tourne. Il envoie Ursule et la Joconde à Rennes, et
d’autres filles à Paris, rue de Lappe. Ferdinand songe à Angèle : « si je l’avais pas rencontrée à Peurdu-sur-la-Lys,
je sais pas ce que je serais devenu ». Ses oreilles bourdonnent.
Ferdinand ne veut plus retourner chez Angèle, ni chez les autres. « Je voulais me planquer peinard si c’est encore
possible. » Il erre. Retrouve Boro et d’autres au square Berkeley. Un jour, KO debout, il sonne chez Angèle. «
Reposez-vous Ferdinand qu’elle me disait, reposez-vous, vous ne courez aucun danger ici. » Il reste.
Un jour, il part. Il apprend qu’il y a eu des arrestations, « ça sentait mauvais ». Il croise Mabel qui, elle, veille sur
Londres III
Ferdinand, Boro et d’autres ont trouvé refuge dans une villa chez un tôlier affranchi. Petites histoires. Soirée au
cabaret chez Crokett, on assiste à un numéro avec ours. Boro joue de l’harmonica pour éviter de répondre à la
question : où est passé Bijou ? « Depuis que Borokrom ne pouvait plus gueuler dans les meetings ; il changeait »,
note Ferdinand. Au début de Londres il avait vu Borokrom à Hyde Park, monté sur un petit monticule, il
haranguait la foule. Yorrick dit être surveillé. Tous le sont ou croient l’être.
Ferdinand retrouve Purcell, amaigri, méconnaissable. Il dit être revenu à Angèle toujours hospitalisée et que,
pour Ferdinand, restait « la douce Sophie ». Boro et Ferdinand accompagnent Purcell pour une démonstration de
ses masques à gaz, Ferdinand en profite pour lui taper du « pèze ». Un autre jour on retrouve Purcell dans son
usine, il est dans les vapes, comme ahuri : un employé s’est trompé dans les vannes. On le conduit en ambulance
dans sa famille : il n’a pas vu sa femme depuis six mois.
À la villa cohabitent Boro, Cantaloup, Mabel, Sophie et Ferdinand. Ce dernier et Cantaloup n’aiment pas Sophie,
ils la trouvent fausse. Ferdinand va voir Angèle à l’institut Saint-Barnabé où on la soigne. Elle est comme
ailleurs. « Elle m’a regardé le corps comme si ça lui rappelait quelque chose. » Il ne la reverra plus.
Un soir, Cantaloup, Ferdinand, Boro et d’autres entrent au Royal. Beaucoup de monde. Quelqu’un tire sur
Cantaloup qui s’écroule. Le grand et massif Boro le charge sur ses épaules et fonce vers la sortie. Yuzenbits : « On
peut pas y toucher, il a perdu trop de sang. » Cantaloup se redresse sur le divan et dit : « Ferdinand tu vois, ça y
est… »
Dans la cave de la villa, Mabel reste avec le corps. Comment s’en débarrasser ? Mabel ne veut pas qu’on l’enterre
comme un chien. Ferdinand la rassure. « T’es bon Ferdinand, t’es bon. » Il sort sa bite, la met dans la main de
Mabel, « elle me branle bien gentiment ». Sophie les rejoint à la cave et, devant le corps, chante des cantiques.
C’est alors que Mioup fout le feu en renversant des bougies. Le feu se propage vite. Les pompiers arrivent.
Ferdinand et les autres s’en vont vite. Ils dorment dans des quartiers où le mort n’était pas connu. Et songent à
partir. L’Irlande ? L’Espagne ? « Jamais je l’avais tant regretté, Cantaloup », note Ferdinand. « C’était qu’un début.
J’étais mal parti dans l’existence. C’est moche d’être né en 1898. je le dis ». Il songe à ses parents, recommande à
Boro d’aller les voir passage du Bérézina, « Tu leur diras que je vais bien. »
Dans la nuit, le chat Mioup miaule. « Ils sont partis tous les trois. Ils m’ont laissé. La brume les a pris. Il était six
heures du matin. »
jean-pierre thibaudat
Abonné·e de Mediapart
BILLET DE BLOG 13 AOÛT 2022
Céline le trésor retrouvé. Chapitre (8/9) Du roi René à « La volonté du roi Krogold »
Sa « légende », « La volonté du roi Krogold », Céline en parle dans plusieurs de ses romans, de « Mort à
crédit » à « Londres ». Il en avait écrit une première version autour d’un roi René avant que ce dernier ne
devienne le roi Krogold. Les deux versions, inachevées, font partie du trésor retrouvé et se complètent.
« Ce que je peux faire facilement c’est la chevalerie, le roman d’apparition avec des rois, des spectres » disait Céline
(Cahier Céline I p 54). Il ne se vantait pas. Pour preuve, deux textes retrouvés, le premier, dactylographié, à
propos d’un roi René, le second, manuscrit et plus récent, autour du roi Krogold.
La légende d’un roi nommé Krogold hante l’œuvre de Céline depuis Mort à crédit et on en retrouve la trace dans
plusieurs œuvres ultérieures : Féérie pour une autre fois et D’un château l’autre, par exemple, ou dans Londres
qui fait partie des manuscrits retrouvés. Dans Normance (Gallimard,1954), Céline évoque « une œuvre
commencée il y a trente ans », soit du côté de 1924.
Ce texte, La volonté du roi Krogold - Céline en donne le titre à plusieurs reprises - les « céliniens » le cherchent
depuis longtemps. « Nous n’en avons retrouvé aucune trace » notait Erika Ostrovsky dans son étude parue dans
l’épais Cahier de l’Herne consacré à Céline (1972 pour la dernière édition).
Traces il y a. Certaines sont apparues depuis. L’année Céline 1994 (Loriot /IMEC) a publié 34 brouillons épars, «
figurant au verso de divers folios utilisés pour d’autres textes » (pratique habituelle à l’auteur). Le manuscrit
existait bel et bien, mais il restait introuvable.
Dans une lettre à son éditeur Robert Denoël, le 26 mai 1938, Céline demande que, dans les nouvelles éditions de
Bagatelles pour un massacre, soit mentionnée la liste de ses livres « en préparation ». Et il mentionne « dans
l’ordre » : « 1 Casse-pipe 2 Abîmes, fredaines et soirées 3 Honny Soit 4 La volonté du roi Krogold ».
Casse-pire conservera son titre Abîmes, fredaines et soirées deviendra Féerie pour une autre fois, Honny
soit deviendra Guignol’s band et sera publié au printemps 1944. Le manuscrit du roi Krogold fait partie de
l’ensemble de textes en cours laissés par Céline en haut de l’armoire de la rue Girardon avant son départ
précipité pour l’Allemagne d’Hitler.
L’ensemble est constitué de deux manuscrits. Dans le premier, ancien et dactylographié, il est question d’un roi
René. Dans le second manuscrit, le roi René devient le roi Krogold et sur plusieurs pages volantes figure le titre :
La volonté du roi Krogold. Les deux manuscrits racontent la même histoire. Les deux versions sont incomplètes
voire inachevées, mais elles se complètent mutuellement...
La version primitive du roi René est celle que Céline envoie à son éditeur Denoël en 1933. Texte refusé par ses
premiers lecteurs, Robert Denoël lui-même et, semble-t-il, Eugène Dabit. Céline s’est sans doute rangé à leur
avis. En post-scriptum à une lettre envoyée à son éditeur le 3 août 1933, l’écrivain formule une demande : « Dès
votre retour voulez-vous m’envoyer la légende qui est chez vous, je vais l’utiliser. »
L’utiliser ? Dans Mort à crédit dont l’idée vient de prendre forme ? Oui. Le roman paraîtra en 1936. Le 4 mars
1935, Céline écrit à Eugène Dabit :
« J’ai déjà mis à profit votre premier avis au sujet de la légende. Il a fallu aussi remonter franchement tout le ton
sur le plan du délire. Alors les choses s’emboutissent naturellement. Telle est ma certitude. Et prendre dans le
cinéma tout ce qu’il a de valable. Que faire de la réalité ! » Tout ce qui sépare les deux versions de la légende, celle
qui va du roi René au roi Krogold, se résume dans ce mot : « délire ». La seconde version, celle du roi Krogold,
apparaît, à bien des égards, comme la réécriture délirante de la première quand les chapitres coïncident.
Céline travaillera-t-il à sa légende après la parution de Mort à crédit, voire jusqu’à son départ précipité de la rue
Girardon ? À tout le moins il y travaille jusqu’en 1940 voire 1944 comme on va le voir.
En février 1944, Céline séjourne à Saint Malo et cherche en vain un livre, Les légendes de la mort chez les Bretons
armoricains d’Anatole Le Braz. Le livre n’a pas été réédité par son éditeur Champion. Céline rage auprès de son
ami Théophile Briant (qui publiera la lettre dans sa revue Le Goéland)
« Au secours, Théophile, les Légendes se meurent ! mieux qu’Arthus sommeillent et ne reparleront plus ! au combat
Gwenchalann barde aux larmes de feu ! Accours et tes crapauds ! Les charniers sont ouverts ! Au trépas de vingt
siècles les bourreaux roulent et cuvent ! mufles, et goinfrent au massacre, chancellent sous les armes ! Bientôt le
moment rouge et la foudre du monde !
À toi
Louis-Ferdinand Céline »
Dans un chapitre étonnant de La volonté du roi Krogold apparaît longuement le barde Gwenchalan (avec un seul
n), un hérétique, enfermé depuis un paquet d’années dans une cage et qui, chaque dimanche, est battu par son
bourreau.
Les deux versions (dactylographie et manuscrit) se recoupent, Le roi René devient le roi Krogold, Thibaut
devient Tebaud et on retrouve dans les deux versions Joad, Gwendor, la ville de Christianie.
Les deux textes, par leurs manques narratifs respectifs, se complètent en formant ensemble une version presque
complète du déroulé de l’histoire. Presque, car dans Mort à Crédit où la légende revient comme une obsession,
Céline (Pléiade p 646) parle de « la vengeance de Wanda », la fille du roi Krogold qui « va humilier son père »
après que ce dernier ait tué Gwendor, son fiancé. Or cet épisode n’apparaît pas dans les textes retrouvés, au
contraire, Wanda, apprenant la mort de son fiancé, se place sous l’autorité de son père.
Les deux premiers chapitres manquent dans la version dactylographiée du Roi René (à l’exception d’une page)
mais figurent intégralement dans le manuscrit de La légende du Roi Krogold. En revanche ce texte s’interrompt
alors que la version du roi René va jusqu’à son terme (même si des pages manquent) selon le plan conçu par
Céline.
En effet, sur une page volante, Céline a établi - ce qu’il fait rarement - le plan de la version primitive du roi
René, les titres des chapitres en reprennent souvent les premiers mots :
« 1 Mort Gwendor. 2 Roi René et le croissant. 3 Les imagiers. 4 Entrée à Christianie. 5 Nouvelles au château. 6
Arrivée de Thibaut 6 bis L’espèce de guitare 6 ter Mon petit Joad 7 Du pilori 8 Dix chandelles 9 La rue s’était vidée
10 Le son captif 11 Départ des deux 12 Vitré 13 Un matin. Septembre. 14 Allemagne 15 Mon ami… »
Revenons sur le premier des nombreux passages (Pléiade pages 516, 519, 522, 540, 646, etc) de Mort à Crédit où il
est question de la « légende ». C’est presque le début du roman. Ferdinand, le narrateur, médecin, veut « causer
» de sa légende à son cousin Gustin Sabayot, médecin lui aussi, « expert en joli style ». « On avait retrouvé le
début sur le lit de Mireille [la nièce de Madame Vitruve, la secrétaire du narrateur]. J’étais bien déçu de la relire.
Elle n’avait pas gagné au temps ma romance. Après des années d’oubli c’est plus qu’une fête démodée l’ouvrage
d’imagination ».
Ferdinand veut toutefois l’avis du cousin. Il commence à raconter, au discours indirect, la défaite de Gwendor,
traître au roi. Et poursuit : « Gwendor a trahi...La mort arrive sur Gwendor et va terminer son boulot…Écoute un
peu ! » (MC p.522)
C’est là que Céline glisse - dans le manuscrit incomplet de Mort à Crédit retrouvé - une feuille dactylographiée
surchargée d’ajouts et de retraits provenant de la version du roi René.
Un peu plus loin dans Mort à Crédit (Pléiade p 523), comme un oubli, Céline laisse « le château du roi René »,
alors que ce château n’est autre que celui du roi Krogold.
En attendant la publication de cet ensemble, voici le déroulé de l’histoire, mixant les deux versions inachevées,
la seconde, la plus récente ayant un style plus affirmé. Céline ne reprend pas son manuscrit initial
(dactylographié) pour le corriger, il se livre à une véritable réécriture comme il le suggère dans une lettre à
Eugène Dabit : « il a fallu aussi remonter franchement tout le ton sur le plan du délire ». On est là très loin de la
version dactylographiée du Roi René même si on y retrouve pour partie la trame narrative.
Avec Krogold, Céline s’aventure dans ce que l’on peut considérer comme une tentative d’écriture moyenâgeuse
contemporaine. Cela passe par une réinvention ou restitution d’un vocabulaire. Quelques exemples : effants
(enfants), demourer (demeurer), proumesses (promesse) proufite (profite) vuide (vide), Bretaigne, moustiller,
réchauffoir, fracasserie, marcherie, passagier, ravagère , etc. Cela passe aussi par une façon de chahuter la
syntaxe, par exemple sa façon de substantiver les participes présents : les devisants, etc.
Cela passe enfin par un rythme et un enveloppement de la phrase, soit dans des plongées descriptives, soit dans
des séquences orales ou encore des entassements, des inventaires vertigineux. Tout allant crescendo au fil des
chapitres.
Nul doute que ce texte étonnant suscitera bien des commentaires, bien des études. En attendant la publication
du texte, voici le déroulé de l’histoire à travers les deux manuscrits
Mort de Gwendor
Gwendor dialogue avec la Mort. Il essaie de négocier un dernier jour de vie pour passer son épée dans le corps
du roi Krogold dont il aime la fille Wanda et ensuite apporter à la Mort son « cadavre tout bouillant, tour
écumant de lutte, paré de pourpre et d’or ». La Mort refuse délicatement ! « moi je t’aime Gwendor...c’est
tout...Viens ! Tes soldats ne t’aimaient pas... ». Gwendor maudit ceux qui l’ont trahi, reste l’amour « Wanda
m’aimait bien elle…très tendrement... ». La Mort implacable : « Nous saurons tout cela dans les songes Gwendor »
et elle l’emporte.
L’armée du roi Krogold campe un soir « à la lisière d’une vaste étendue de tourbes, de prés foulés et de limon ».
Elle revient « fort victorieuse » de trois journées de combat. Le roi a tué Gwendor « de sa propre massue », la ville
de Christianie attend son châtiment. Le roi, blessé au pied, sort de sa tente, marche dans le campement,
s’éloigne. Il se retourne : au sommet de sa tente d’apparat le croissant d’or a disparu, un cadeau d’un prince
oriental. Il le cherche, aperçoit une lueur vive, s’approche, dans la boue des marais, bientôt empoigne la tête du
voleur, lui tranche la gorge et nettoie le croisant d’or. Au retour, la fatigue l’accable, il ronfle. Alors « le rêve
s’échappa de la tente » et tout se mêle « dans le tourbillon des fantômes avec tous les occis du jour ».
Nouvelle au château
Un messager arrive à cheval au château du roi Krogold. Devant le pont-levis, il « embouche son cor d’ivoire » et
annonce la victoire du roi. On lève le pont-levis. La reine suivie de ses dames s’approche : « Chevalier que nous
mandez-vous ? » Le messager réitère : « Victoire ! ». « Le roi n’est-il point blessé ? », juste une foulure. La reine
disparaît, apparaît sa fille Wanda. Le chevalier n’ose lui dire que Gwendor est mort. Elle le devine. Wanda ne
montre aucune détresse, ordonne au chevalier d’aller auprès du roi « dame lui surtout banneret que sa fille bien
tendrement l’aime, soumise, prudente et pieuse à faire vœu deux jours et deux nuits pour la guérison de ses plaies
».
Dans le quartier Stanislas de Christianie, une gitane apporte la nouvelle : l’armée est vaincue, Gwendor est mort,
l’armée du roi Krogold approche. La ville est « bouleversée d’épouvante ». Gwendor avait « tout tant promis : Et
plus de taille ! Et plus de gabelle ! Et de battre monnaie de Cité » … Tous craignent le roi Krogold et ses soldats ; «
La peur leur secouait tripes au cou, dégueulant sur chausses ». On cherche un moyen pour amadouer le roi
vainqueur, mais qui ? Comment ? Le roi est « à trois jets d’arc du pont de ronde »…
Les imagiers
Nantis de privilèges pour avoir su naguère faire en sorte que les Turcs n’entrent pas dans la ville, les imagiers
tiennent conseil. Un vieux raconte comment, trois cents ans plus tôt, en habits bariolés et arborant des images,
ils étaient allés au-devant des Turcs et les avaient amadoués en dansant devant eux, en leur faisant boire du vin
chrétien et en les laissant violer des filles qu’ils emporteront avec eux sans espoir de retour. Et les Turcs
n’étaient pas entrés dans la ville. Alors les gens de Christianie veulent recommencer devant le roi Krogold. «
Habillons-nous chers compagnons ! Ames en peine ! Vêtissons-nous de nos babioles, barioles, vignolles, amulettes au
vent ! Chapelets grenus, images à couleurs miroitantes et dansons au-devant du roi... » Ils s’avancent vers l’armée
du roi, « dévalent effrénés... déboulinent en trombe au fond…vers les archets à l’affût ». Du vallon, monte un cri,
un autre, dix autres « Et puis on n’entendit plus rien. »
L’entrée à Christianie
Le roi Krogold et son armée entrent dans Christianie. Alors ce fut une « épouvante, une terreur, une panique
comme on n’avait jamais vu ». Le roi se dirige en musique vers la cathédrale, entouré de ses chiens. « Les
battants du grand porche pleurent, gémissent et s’ouvrent doucement » laissant voir toute une ville en prière. Le
roi a faim, on lui apporte un quartier de bœuf, « A l’os tout cru », il « dévore », les chiens bondissent « mènent
puissant vacarme tout autour en vue de la viande ». Le roi chevauche vers l’autel, la foule supplie « Pitié Krogold !
Pitié de nous » jusqu’à le flatter : « Pitié de nous vaillant Krogold ! Roi bien aimé ! ». Alors le roi lance son épée
vers l’autel, à genoux il pleure, « et ce fût grand vivat de liesse, grande félicité de rires, énorme chant jubilant tout
éclatant dessous les voûtes ». L’évêque Clodio, frère du roi, célèbre la messe.
Par un colporteur venu de Bohème avec sa guenon jusqu’à la cour pour divertir le roi Krogold, Tebaut, venu
d’Aquitaine, est en route pour Rennes « en Bretaigne » où le Parlement doit se réunir. Dans une lettre, son ami
Ecelras souhaite le voir, veut le faire venir à la cour, lui faire connaître la princesse. Le colporteur qui fait route
pour Rennes lui donnera cette lettre.
Arrivée de Tebaut
Tebaut voit la ville, Rennes, au loin. Il se repose auprès d’une borne. Il songe à Joad, son « peureux ami » de
collège, fils du procureur Morvan (dont il a peur), la famille habite dans une belle maison de notable que lui a
décrit son ami. Tebaut s’endort et fait un songe cauchemardesque que Céline décrit magnifiquement par le
menu et où il est question de meurtres commis par Tébaut et de remords. Il se réveille et s’approche du
nautonier pour traverser la rivière, la Vilaine. Mais Tebaut n’a pas l’écu que coûte la traversée. Ardent dialogue et
noms d’oiseaux multiples entre les deux sous l’œil des badauds alentour. Survient une vieille femme aux allures
de sorcière, diseuse d’avenir, avec sa chouette. Le nautonier veut bien l’embarquer gracieusement mais attend
de Tébaut son écu. Alors ce dernier se met à jouer de la musique, à chanter, à raconter des contes, une petite fille
finit par lui lancer un écu et Tébaut traverse. Il suit le chemin de halage au bord de la Vilaine et va vers la ville. Il
n’a pas vu son ami Joad depuis la fin de leurs études à la Sorbonne, deux ans auparavant. Allant par les chemins,
Tebaut, lui, est devenu baladin. « Il voulait à présent s’attacher à quelque conquérant d’envergure, saccageur et
casqué qui l’emmènerait dans de véritables aventures. » Dans Rennes, il cherche Joad. Pour payer son logeur, il
vole dans les poches d’une procession ou dérobe l’argent d’une sébile.
L’espèce de guitare
« L’espèce de guitare, luth au manche trop épais » est au pied du lit où dort Thibaud. Sur son lit il compose des
chansons. Il songe à partir vers le nord, au pays du roi René (Krogold) « au formidable renom », « mais il serait
ennuyeux d’y partir seul ». On devine qu’il songe à son ami Joad.
Dialogue entre sa mère et Joad. Elle croit lui apprendre que l’armée de Gwendor a été battue. Mais il le sait déjà.
Céline décrit un Joad mal dégrossi, un peu poltron et émotif. Sa mère vante les mérites du roi vainqueur. Entre
le père, le Président Morvan. « Joad, où étiez-vous encore ce matin ? Ici ? N’étiez-vous point sorti ? Les affaires du
parlement vous sont-elles indifférentes à ce point ? À quel jeu prendrez-vous du goût ? » lui demande son père. Il
semble vouloir que Joad entre dans les ordres mais il a trop à faire au Parlement de Bretagne pour s’y intéresser
plus avant. Après le dîner le père monte se coucher. Joad sort.
Du pilori
La mère Amelot tient un bordel devenu renommé depuis vingt ans. Elle sait « joliment bien » recruter « ses
femmes ». En vingt ans le bordel de la mère Amelot s’est agrandi d’étage en étage. Longue description de
l’établissement et de la vie de la mère Amelot. « Ce métier, en somme, aurait pu lui donner un bonheur que peu
connaissent aussi divers, aussi entraînant, s’il n’avait été troublé dans tous les instants par la crainte, qui s’effaçait
guère, du pilori. » écrit Céline.
Joad et son ami Thibaut enfin retrouvé entrent dans l’établissement. Scène de sexe violente entre Thibaut et
Angèle « une grosse blonde boulotte ». La mère Amelot lui reproche d’être une brute. « Je ne m’en dédis, mais
rarement ai-je donné mes ardeurs deux fois de suite à la même femelle, car je suis poète. » répond Thibaut. Et de
disserter sur l’amour. La grosse blonde meurtrie est sous le charme. Quand les deux amis s’apprêtent à partir,
elle rattrape Thibaut : « reste encore dit-elle, il y a de la soupe à l’oignon. »
Dix chandelles
Un café éclairé de dix chandelles. Ça boit, ça vole, ça trinque. À un prétentieux répétant « moi je suis poète et je
mange les oiseaux », Thibaut l’oblige à manger une souris.
Les processions…
Beaucoup de monde dans les rues pour assister aux fêtes célébrées à l’occasion de la réunion des États de
Bretagne. On retrouve les deux amis au cabaret Menillon. Racontars sur le roi, Gwendor et Wanda. Ils sortent.
Thibaut dit vouloir aller voir le père de Joad.
« Dessousbs les portes Modelaises », au creux d’une cave parmi des décombres, un cachot. Tout autour un marais
où pullulent bêtes à venins, serpents de nuit bavant mort, larves à fiel. Là, croupi depuis douze [?], le barde
Gwenchalan, « enchaîné debout, contre la muraille », pour injures contre les gens d’église et « les pieux mystères
». Chaque dimanche le geôlier le bastonne... et se fait insulter : « Te voilà donc porc d’Évangile ! Arrive à ton office
pissat de truie ! ». Il y en a plusieurs pages comme cela. Le bourreau est fatigué. Il remonte au jour, lance à
Gwenchalan : « Tu es maudit monstre ! Maudit ! Le diable même te rebute ! Il te déboute aux enfers ! Il ne te veut
pas ! ». À quoi Gwenchalan répond : « Je t’embrasse bourreau ! Je t’embrasse ! À bise d’âme ! Valet d’hostie ! Et sur
ta clape chicote ma gloute d’ange ! Par la putain de Nazareth gloire au Démon ! »
Tebaut au trou
En s’enfuyant Tebaut culbute un prieur, trois nonnains, trois archers « et tout l’ossuaire et le missel », tout
s’écroule. On l’arrête, on le ligote. « La foule veut le moudre en charpie ». Le moine Joaiel le sauve en disant qu’il
doit être jugé. Il finit par avoir raison. Le bourreau le met au trou auprès de celui qui y est déjà. Et une troisième
personne les rejoint : la gitane avec son hibou. Le peuple entonne alors des chants d’allégresse.
Le parlement de Bretagne
C’est une grande réunion, on vient de toute la région « tout à la fièvre du propos, cahin-caha de fondrières,
délégués nantis de coutume, bringuebalant à leurs quartiers jambonneau d’oil et flûtes à gouttes ».
Le président Morvan se prépare pour la séance du Parlement. Il demande conseil à son épouse sur sa tenue.
Dispute domestique : le président Morvan maudit son « garnement » de fils qui n’est pas rentré chez lui depuis
trois jours. La mère prend la défense de sa progéniture. « Assez madame en vos geigneries ! Portez moi toge et
bonnet ! Que je m’affuble ! Il me tarde de passer le seuil ». Le peintre Agarce, vient peindre son portait le jour
même. La femme du président Morvan assiste à la séance, dans l’ombre. Elle pleure « le cœur gros de néfaste
songe ».
Le père de Joad regarde son fils s’éloigner. Joad se retrouve place des Lices pour les tournois. Il se souvient d’une
femme qu’il avait remarquée dans un autre tournoi : Wanda qu’il savait éprise de Gwendor. Elle était
inaccessible « et pour cela Joad l’aimait ». Son père le retrouve, l’informe qu’il va donner un dîner pour les
dignitaires de l’état et l’idée d’inviter l’ami de son fils, Thibaut, pour distraire ses invités. Invitation transmise.
Thibaut sans rien dire à personne va repérer les lieux. Le soir du dîner, il se poste au pied d’un mur en bas de la
maison des parents de Joad, un pavé à la main. Quand le président Morvan se penche à la fenêtre, il lance la
pierre, le Président Morvan s’affaisse sur la fenêtre. On l’appelle, il ne répond pas, on vient le chercher : il est
mort…
Le son captif
Le lendemain de son crime Thibaut vient saluer la dépouille. Quelqu‘un l’attire par la manche, Thibaut
reconnaît la blonde boulotte de la mère Amelot. Elle l’entraîne loin du centre, lui dit « je t ‘aime, je t ‘aime bien ».
À sa demande, il l’embrasse, elle est « contre lui lourde comme un homme ». Il songe à la frénésie qu’il avait eu
pour elle, « jamais en y pensant il n’avait eu tant envie de s’en aller bien loin, ver des aventures sans tendresses,
sans faiblesses, où les pièges sont des pièges, sur une route sans fleurs, sans oiseaux, sans merci ».
La veille du départ, Joad et Thibaut font des provisions pour le voyage : médicaments, écus en nombre et
quelques bijoux à vendre. En prévision de l’hiver ils portent des gros draps car en Germanie ils n’auront point
usage de leur monnaie que les gens ne connaissent point, sauf dans quelques villes.
La mère de Joad sait qu’il est vain de s’opposer à présent aux projets de son fils. Ils partent le dimanche de la
Pentecôte. A la porte St-Mélaine, Joad quitte sa mère en l’embrassant, il s’éloigne d’un pas vif. Thibaut parle à la
mère de Joad en marchant à ses côtés. Quand elle voit son fils parti loin, elle comprend soudain tout ce qui va
arriver, et pour que cela n’arrive pas, elle aurait offert sa vie. Thibaut lui parle, elle ne l’écoute pas, déjà « seule,
absolument ».
Vitré
Le baron est parti soudain pour la guerre. Il ne reviendrait pas avant l’hiver. Alors devant le château le peuple,
les artisans dansent. Arrivent Joad et Thibaut, ils se mêlent à la danse. Thibaut prend une jeune fille par la main
et chante : « Il était une grande ville/ Corne de bœuf ! Corne de bœuf ! » …
Le matin, Septembre
Septembre. Les deux amis ont dormi dans une grange, passe une patrouille du roi René (Krogold). Joad craint
d’être pris, mais non. Ils ont faim, soif, dorment mal. Thibaut s’amuse à insulter sa culotte. Leur chemin est
encore long. Thibaut : « ce qui te manque, vois-tu Joad, pour être un vrai trouvère, c’est la simplicité ».
Allemagne
Thibaut et Joad arrivés en Allemagne, trouvent refuge dans un monastère. Le frère Prieur leur raconte
longuement l’histoire de leur très aimé protecteur, le baron Raoul de Marsafel, il leur montre sa cellule. Sans lui
le monastère aurait été pillé, les frères assassinés, raconte-t-il. Il n’a pas le temps de finir son récit, c’est l’heure
du dîner, le « bienfaiteur » les accompagne.
Mon ami...
Thibaut, en partance pour la croisade, quitte son ami Joad. Il lui a appris des tas de chansons il va pouvoir les
chanter. Joad avait souhaité cette solitude, maintenant il la redoute. La perspective de rester enfermé « des
saisons et des saisons » dans les pierres de Morelande, l’effraie. Son courage faiblit. « Wanda, il ne l’avait pas
encore vue, mais il n’avait plus très envie de la voir ». Thibaut conseille à Joad de rester auprès du chapelain
Bermudège. Ce dernier, un peu mis à l’écart, compte revenir en grâces en écrivant l’histoire du roi. « Il la
dicterait à Joad car il n’aimait pas écrire lui-même ».
jean-pierre thibaudat
Abonné·e de Mediapart
BILLET DE BLOG 14 AOÛT 2022
Dernier des manuscrits inédits : une bonne trentaine de séquences de « Casse-pipe » qui font suite à
celles que nous connaissons dans la Pléiade, dont une refonte devrait intervenir dans un proche avenir.
Dans une lettre du 4 février 1948, Céline donne son accord à Jean Paulhan pour la publication de Casse-pipe dans
les Cahiers de la pléiade. Et il précise :
« Il n’y aura jamais ni suite ni fin à Casse-pipe hélas ! Il était bon. Mes “occupants” Rue Girardon en ont foutu 15
ou 20 chapitres aux ordures ».
Deux ans plus tard (le 15 octobre 1950), dans une lettre à Roger Nimier qui a lu et aimé Casse-pipe ((texte
partiellement publié entre temps) et qui vient d’envoyer son roman Le Hussard à Céline, ce dernier lui écrit : «
Allez pas croire que Casse-Pipe c’était seulement ce préambule ! Diantre il y en avait 600 pages. »
Ces pages n’ont pas été foutues aux ordures, elles font partie du trésor qui m’a été confié et sont aujourd’hui
entre les mains des héritiers. 472 feuillets répartis en une trentaine de séquences ou chapitres de taille variable.
Un ensemble auquel il faut ajouter un certain nombre de pages volantes et de pages rayées provenant d’autres
séquences (ou pas) laissant à penser que l’état du manuscrit était sans doute plus développé. Céline n’exagérait
sans doute pas trop en évoquant le chiffre de six cents pages sachant qu’une page manuscrite de Céline
correspond à moins de quinze lignes imprimées.
Après l’extraordinaire séquence qui ouvre Casse-pipe que nous connaissons, dans ces séquences inédites, Céline
décrit la vie quotidienne dans un quartier de cavalerie à la veille de la guerre de 14. Une veillée d’armes telle qu’il
l’a connue, après s’être engagé, lorsqu’il entre au quartier du 12e régiment de Cuirassiers à Rambouillet installé
dans les anciennes écuries du roi, en bordure d’un parc dont il sera question dans l’une des séquences inédites.
Une vie racontée près de trente ans plus tard telle que la transfigure son écriture.
Toutes les séquences retrouvées racontent la vie quotidienne de ces soldats et officiers qui, bientôt, partiront à
la guerre. Le pansage des chevaux, le manège et ses frayeurs, les bitures, les sorties du dimanche, le long récit
des séances de baise de la cantinière, les officiers tançant la bleusaille, le boulot envié de garde-manège, la
fauche des étrivières, etc… Un monde où les chevaux sont mieux traités que les hommes et où le parisien
Ferdinand fait figure d’exception dans ces recrues venues de Bretagne et généralement illettrées.
L’ensemble des séquences lisibles (certaines d’entre elles très abîmées - humidité, rongeurs - ne le sont plus)
amplifie considérablement le peu de séquences retrouvées depuis la publication initiale du texte et sa reprise,
augmentée de compléments, dans la Pléiade.
Sur des chemises roses à en tête des services municipaux d’Hygiène et d’assistance sociale de la ville de Clichy,
Céline note des noms de personnages. Nombre d’entre eux figurent dans le texte de Casse-pipe tel que nous le
connaissions, on les retrouve ici tels le brigadier Le Méheu, le maréchal des logis Rancotte, le capitaine
Dugomard, le trompette Kralick (ou Karvic, Karalic) et bien d’autres. À commencer par Kersuzon, mentionné
dans Voyage au bout de la nuit et dont ici Céline va faire un personnage récurrent, le plus fidèle compagnon de
Ferdinand.
Dans une autre lettre à Roger Nimier évoquant les bretons du 12e Cuirassée, Céline écrit « ils ne bandaient pas -
pour ainsi dire jamais » et précise « une petite érection vers la cantinière...vague… à peine ». Le récit des séances
torrides avec la cantinière dans la carré par celui qui en a été discrètement le voyeur dit tout autre chose. C’est
de loin la plus longue des séquences retrouvées.
À la version du 19e feuillet de cette séquence, figure un début de lettre non datée :
« Mon vieux,
Que te répondre ?
Trouille ou pas ? Je me suis foutu bien exposé mille fois plus que notre bande de petits noyaux. Vous n’avez même
pas eu la patience, la ténacité, le tempérament, le courage, l’humanité d’acquérir une plume catégorique. Vous
labourez dans la confusion, la velléité bavarde. Allons au boulot ! Petits crabes au boulot d’abord ! Et encore et
toujours ! Voilà ce qui vous manque, l’obscure... »
L’obscur boulot, Céline connaît. Et ces pages de Casse-pipe sont pour la plupart très travaillées. En les décryptant
ligne à ligne, repentir après repentir, on en arrive à éprouver physiquement comment Céline travaillait. Il écrit,
raye, reprend, trouve un autre mot, le raye à son tour, en trouve un troisième, cherchant inlassablement le bon
mot, le bon son, le bon rythme. Souvent il lui arrive de rayer tout ou partie d’une page et de reprendre le tout
sur la suivante et de chercher encore. Ses repentirs sont fabuleux.
Céline décrit plusieurs scènes d’« école à cheval ». Mieux vaut ne pas tomber de cheval : « tu seras trépigné,
disparu dans la trombe entière des biques en folie. Tu tourneras chiure au galop, infiniment tortillé. Mieux vaut
foncer sous l’appareil tout de suite, torpiller l’obstacle, la barre, la verdure ». Céline écrit « écroule tout le catafa »,
raye, écrit « toute la catastrophe », raye, écrit « en pleine cat » raye encore pour garder : « Que tout le catafalque
croule. Suffit ! La fête est finie ».
Au crayon de papier, au crayon bleu ou encore à l’encre noire, comme à son habitude, Céline numérote ses
chapitres en haut de la première page, à gauche. Ce triple jeu de numérations correspond probablement à
plusieurs étapes du travail. Il existe plusieurs versions d’une même page. Certains chapitres, sans porter
forcément le même numéro, se recoupent voire se redoublent (l’un étant une version antérieure de l’autre) ou
bien ne correspondent pas. Certains chapitres sont complets, d’autres ne le sont pas (et pour l’un d’entre eux,
manque la première page). Plusieurs chapitres très raturés, très surchargés ou aux feuillets très abîmés rendent
périlleux voire impossible leur déchiffrement de toute façon jamais simple tant il y a de surcharges, de repentirs
sans oublier les variations d’un même nom propre. Comme toujours, Céline n’en finit pas de reprendre sa copie,
de raturer, de biffer de recommencer. Inlassablement. Tout décryptage de Céline est forcément parsemé de «
(mot ill.) » et autre « (surcharge ill.) », sans parler des repentirs parfois jusqu’à trois ou quatre pour un seul mot.
Décrypter, décrypter encore... La difficulté, le doute parfois, c’est un travail à la fois harassant et
continuellement fascinant.
Pas facile de s’y retrouver, d’ordonner les différents états de la copie, d’autant qu’il y a des trous (rien entre le
chapitre 3 et 10, notés au crayon bleu) et des faux ou vrais redoublements (le chapitre 8 dont le chiffre est noté à
l’encre noire, n’a rien à voir avec le chapitre 8 noté au crayon de papier, etc.) Céline n’ayant laissé aucun plan,
aucune consigne, l’ordre publié sera donc forcément arbitraire, même si, vaille que vaille, on parvient à suivre
une certaine chronologie.
En juin 1944, peu de temps avant de partir le 17, un peu vite de la rue Girardon et de laisser derrière lui toutes
ces pages, Céline écrit une dernière lettre à Robert Brasillach qui venait de lui envoyer Quatre jeudi. Il dit son
admiration mais fait « un petit reproche ». Céline juge que Brasillach fait « la part trop belle à la pensée et pas
assez à l’émotion. Émotion dans le sens physiologique le “Rendu émotif”. C’est de cela bourre bordel de dieu, dont
notre race et notre langue a tant besoin, si ratatinée, si sèche, si goujate, si mufle, si insensible derrière toutes ces
facettes poétiques et raisonnables ». C’est ce « cela » qui innerve les pages retrouvées de Casse-pipe.
Ces pages font suite à celles que nous connaissons dans l’édition de la Pléiade présentée, établie et annotée par
Henri Godard qui se termine par la séquence commençant par ces mots « Le brigadier Le Meheu, il était martyr
des furoncles ». Trois variantes du premier paragraphe figurent dans les pages retrouvées. Mieux, dans une autre
séquence (toutes sont sans titre), Céline donne le tempo et la visée : « Et ça défile ! Merde ! Et ça tombe ! Voici
vingt-sept ans, exact, que ces choses-là se sont passées…parole de revenant ».
De séquence en séquence, se dessine par petites touches, comme un début d’amitié entre Kersuzon et
Ferdinand. Le parisien Ferdinand ne connaît rien aux gayes, le paysan illettré Kersuzon sait tout cela depuis
l’enfance sans qu’on lui ait appris. En raison de son ignorance, Ferdinand n’a la responsabilité que d’un cheval
nommé Papillon, Kersuzon, lui, s’occupe de trois gayes et, de plus, bride et scelle Papillon. Ferdinand le paie
pour cela et lui paie à boire. C’est aussi lui qui écrit les lettres que le breton Kersuzon envoie à sa tante. Il ne sait
ni lire ni écrire mais il s’occupe des « gayes » comme personne.
Un dimanche après-midi, les punitions ayant été levées, tout le monde a quartier libre. Kersuzon et Ferdinand
sortent ensemble, ils tentent « le bobillard » mais c’est archi-comble, alors ils vont dans le parc accolé au
château. Là où les fossés forment un lac, ils tombent sur des pêcheurs. Qui leur offrent des bols de vin chaud…
Ils reviennent au château en sautant comme des cabris. Ferdinand à Kersuzon : « T’es saoul mon fils ! Tu me feras
quatre jours ».
La plus longue séquence est celle où Murbate (qui a ses entrées à la cantine), vient le soir, après la soupe, dans la
chambrée raconter les amours torrides de la cantinière. Ferdinand aime bien Murbate pour cela : il sait raconter
les histoires, il affabule un eu mais cela n’a pas d’importance à ses yeux. Ce sont toujours « des histoires de cul ».
Comment Leurbanne « tronchait » sa femme la cantinière après le déjeuner et avant d’aller faire les courses,
comment Lacadent (un adjudant-chef) arrivait dès que le mari était parti et « la crevait sous l’obstacle », etc.
Dans la chambrée en rut, le trompette Kralick se jette sur Murbate, s’en suit une mémorable bagarre, etc. Après
quoi chacun regagne son lit : dans chaque « tannière », on entend « d’énormes pétarades, fuittantes raffales de
plaisir » et Kralick n’est pas le dernier.
La plus courte séquence est sans doute celle où, un dimanche, ses parents viennent voir Ferdinand. Ils n’avaient
pas de nouvelles et pour cause : Ferdinand était souvent consigné. Ils lui apportent la grosse somme d’argent
qu’il réclamait : l’argent qu’il doit à la cantine (une scène similaire figure dans Guerre). Ils essaient de lui faire la
morale. Et partent. « J’étais un peu comme Kersuzon. Ils venaient d’un autre monde ».
Si Guerre, si deux des trois parties de Londres relèvent plus ou moins d’un premier jet, ce n’est nullement le cas
de Casse-pipe. Le manuscrit est très travaillé, les repentirs pullulent. Sans attendre une refonte de la Pléiade, une
nouvelle édition de Casse-pipe s’impose.
Au terme de cette aventure et de son récit, il me reste à réitérer le vœu fait la seule fois où j’ai rencontré les deux
ayants-droit de Louis-Ferdinand Destouches dit Céline : que ces manuscrits, cœur battant du trésor retrouvé,
finissent leur itinéraire rocambolesque dans un fonds d’archives publiques, qu’ils soient mis à la disposition des
chercheurs, des étudiants, des lecteurs. Et non dispersés, vendus, un à un, au plus offrant. Ils n’appartiennent à
personne d’autre qu’à l’histoire littéraire.
Jean-Pierre Thibaudat ayant révélé sa source, nous savons désormais que les 6000
feuillets de Louis-Ferdinand Céline réapparus l’an dernier étaient conservés par la famille
d’Yvon Morandat qui, à partir de 1945, occupa l’appartement du Dr Destouches. Les détails et les
noms donnés sur Mediapart sont trop précis pour que cette origine puisse être contestée.
Pourtant certains points méritent qu’on s’y arrête.
Jean-Pierre Thibaudat prétend ne pas se souvenir de la date à laquelle lui furent remis les
documents et n’a cessé de varier dans ses déclarations à ce propos ; on imagine cependant qu’il
est difficile qu’il ait pu oublier le jour où on lui a remis ce qu’il qualifie de « trésor » et qui
l’occupera pendant des années.
Ces documents auraient par ailleurs pu être restitués. Céline et Morandat étaient des hommes
publics, de plus ils se sont rencontrés chez Pierre Monnier dont voici le témoignage (la date n’est
pas précisée, mais nous sommes en 1952 ou peu après) :
« Un jour, accompagné de Lucette, il est venu chez moi, rue du Rocher, pour rencontrer Yvon
Morandat, ancien résistant qui n’était pas encore président des houillères. Morandat occupait
l’appartement de Céline, rue Girardon. L’entrevue a été correcte, sans plus. Il y fut question de
manuscrits et de meubles, le tout transporté dans un garde-meuble dont M. donna l’adresse.
En se quittant, ils se serrèrent la main et, je crois, ne se sont jamais revus. C. disait d’ailleurs
que les manuscrits en question n’étaient que des doubles, des premières moutures, pour lui sans
grand intérêt. » (Pierre Monnier, dans « Ferdinand Furieux », L’Age d’homme, 1979, p. 201)
Il est établi que Rosembly a perquisitionné l’appartement de Céline peu après la libération de
Paris. Ami de Gen Paul, familier des lieux, il savait ce qui avait de la valeur (par exemple, qu’en
1942, Destouches avait vendu le manuscrit de « Voyage au bout de la nuit » pour une somme
importante et un petit Renoir – nul ne sait ce qu’est devenu le Renoir, a-t-il disparu lors de la
perquisition ?). Les témoignages des visiteurs de Céline rue Girardon sont concordants, se
trouvaient sur une armoire deux manuscrits volumineux et surtout terminés, « Krogold » et
« Casse-Pipe » dont Céline disait qu’il faisait plus de 800 pages. Mon hypothèse est que
Rosembly embarque alors ce qu’il sait pouvoir monnayer, comme il le fit chez Le Vigan et Ralph
Soupault, collabos notoires et voisins de Céline sur la Butte Montmartre, qu’il a perquisitionnés.
Que serait devenu le produit des vols de Rosembly ? Les manuscrits complets de « Krogold » et
de « Casse-Pipe » ont peut-être été détruits avant leur arrestation par Rosembly et ses acolytes,
lorsque la police a commencé à s’approcher. Ou, ce qu’il faut espérer, ils ont été discrètement
vendus à un collectionneur, auquel cas, ils existent quelque part. Ou encore ils auraient été
cachés par Oscar, comme un trophée, dans la fameuse maison de Corse, ainsi que me le laissait
croire Marie-Luce Rosemby.
6000 feuillets inconnus étant surgis de nulle part, qui sait s’ils ne réapparaîtront pas un jour à
leur tour.