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S2.V282
Le point de repère initial de la question est un bref segment du plus long verset du
Coran qui, au sujet de la mise par écrit devant témoins d’une dette à échéance, précise :
« à défaut de deux hommes, un homme et deux femmes », S2.V282. De manière
globale, la grande majorité des jurisconsultes de l’Islam a vu en cet énoncé la preuve
coranique de l’infériorité de la femme en matière de témoignage. Pour s’en convaincre, il
suffit de lire les écrits du bien connu savant contemporain al–Qardawy. L’on constate
alors que les présupposés sexistes, patriarcaux et misogynes sont tenaces, même si par
souci de modernité ils s’habillent d’empathie envers la gent féminine. Voici ce que notre
éminent docte déclare quant au témoignage de la femme : « Le Coran atteste que le
témoignage de l’homme est égal à celui de deux femmes […] Cela est dû à ses
dispositions naturelles et à ses inclinations spécifiques qui peuvent exclure son
implication dans de telles affaires alors même que son attention est focalisée sur sa
qualité de mère et de maîtresse de maison.»[1] Il s’agirait en quelque sorte d’une
sagesse divine visant à la protection du sexe faible… Pour être exact, de rares penseurs
musulmans de l’âge classique n’ont pas validé cette prise de position du Droit islamique.
Comme nous le verrons, cette discrimination n’est pas coranique, mais d’origine
judaïque. En effet, selon la Loi juive, la Halakha, le témoignage de la femme n’est tout
simplement pas recevable. Aussi, n’ayant trouvé aucun verset du Coran interprétable en
ce sens, le Droit islamique s’est-il contenté, par défaut, de minorer le témoignage des
femmes par la surinterprétation de ce segment de verset.[2] De la sorte, l’on put tout de
même entériner l’infériorité de la femme conformément aux mentalités de l’époque. Pour
marquer ce préjugé au coin de la vérité, il a suffi de contourner le Coran et de controuver
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le tristement célèbre hadîth attribuant au Prophète ce propos : « …N’est-il pas vrai que le
témoignage d’une femme est égal à la moitié de celui d’un homme ? – Certes, dirent-
elles. Il répliqua : Ceci vient de sa moindre intelligence… », rapporté par al Bukhârî.
– Deuxième cas. Il concerne la procédure de séparation entre époux, laquelle doit être
faite devant témoins : « …et prenez comme témoins deux personnes intègres et
établissez le témoignage pour Dieu… »[5]
Rien n’indique en ces deux versets le genre des témoins, ils doivent seulement être tous
deux « intègres ».[6]
Au final, dans ces trois cas mentionnés dans le Coran : testament, divorce, adultère, il
n’est pas établi de différence de valeur légale entre le témoignage des hommes et des
femmes alors même que la valeur du témoignage est ici capitale. Comme nous
considérons que le Coran est cohérent, voir : Les cinq postulats coraniques du Sens
littéral, et que, si nous en tenions compte,[7] nul n’a jamais prétendu que S2.V282 ait été
abrogé, ce verset ne peut donc avoir de principe une signification qui s’opposerait à la
fois au principe général d’égalité homme/femme et à cette triple application en matière de
témoignage.
1– Ceci étant posé, notre verset débute en ces termes : « Ô vous qui croyez ! Lorsque
vous contractez une dette à terme échu, mettez-la par écrit… », S2.V282.[8] Il s’agit
d’un invariant, ce à quoi le verset a trait : la mise par écrit d’une « dette/dayn » à
« terme échu/ajal musammâ ». L’ensemble des indications qui vont par la suite être
détaillées en ce verset aura de fait uniquement trait à cette problématique : la mise par
écrit d’une dette à terme échu et aux moyens disponibles pour la garantir des visées
frauduleuses. Ainsi, quelle que soit la manière de comprendre le segment
litigieux « mais, si ce ne sont point deux hommes, alors un homme et deux
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femmes »,[9] utiliser ce verset pour en tirer une règle générale quant à la notion de
témoignage revient à passer du cas particulier fixé explicitement par le texte coranique à
sa généralisation et, ainsi, outrepasser le propos du Coran.
2– Analysons à présent la suite du verset. L’on constate en premier lieu qu’il intervient au
sein d’une tradition et d’une culture spécifique : domination de la pratique orale, scribe
peu scrupuleux, méconnaissance de la matière juridique : « …que l’écrive devant vous
un scribe, avec probité. Et que ne se refuse pas un scribe à écrire conformément à
ce que Dieu lui a enseigné. Qu’il écrive, et que dicte celui que de droit, qu’il craigne
son Seigneur et qu’il n’en diminue rien. Dans le cas où celui qui de droit est
ignorant ou débilité ou n’est pas en mesure de dicter, alors que dicte son
représentant, avec probité. »[10] Le contexte culturel et historique évoqué par le Coran
lui-même, peu rigoureux et propice aux escroqueries, explique la nécessité d’un
témoignage lors de la mise par écrit de ce type de dette[11] : « …puis, faites témoigner
deux témoins qui soient de vos hommes… »[12]
4– Ceci étant, comment alors expliquer qu’il faille ici apparemment remplacer un homme
par deux femmes ? La réponse est directement fournie par le Coran : « de sorte que si
l’une d’elles venait à s’égarer, l’autre le lui rappellerait ».[15] Cependant, la
signification de ce segment a été construite selon plusieurs déviations de sens :
– Deuxièmement, l’Exégèse joue dans son commentaire sur un sens connexe du verbe
ḍalla pris ici pour oublier, la femme étant à ses yeux plus oublieuse que l’homme. Ceci
alors que du point de vue linguistique ce sens de ḍalla ne soit possible que lorsque le
verbe est employé transitivement, ce qui n’est pas ici le cas.
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– Troisièmement, l’on observe que la formulation est au conditionnel : « de sorte que si
l’une d’elles venait à s’égarer/an taḍilla », ce qui exprime seulement la possibilité
qu’une des deux femmes puisse “égarer” son témoignage. Or, s’il s’était agi là d’un état
d’éternelle étourderie intrinsèque à « la Femme », il ne serait pas employé le conditionnel
et, surtout, il aurait fallu envisager que les deux puissent “s’égarer ” et non une seule. En
ce cas, peu importerait au fond le nombre de témoins femmes…
– Cinquièmement, le texte coranique, quelle que soit la variante retenue, implique que
dans le cas où une des deux témoins femmes « venait à s’égarer », ce n’est que le
témoignage de celle qui « le lui rappellerait » qui, concrètement, aurait de la valeur.
Aussi, les deux témoignages validés seraient donc ceux d’un homme et d’une femme, ce
qui s’oppose logiquement à ce que le témoignage d’une femme soit inférieur à celui d’un
homme.
Nous pouvons donc répondre à la question posée : comment expliquer qu’il faille
apparemment ici remplacer un homme par deux femmes alors que nous avons montré
que le Coran considère à égalité le témoignage de l’un et de l’autre ?
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seule. En l’occurrence, si l’union fait la force, cela ne signifie pas que l’on soit de principe
individuellement faible ! Ou bien, si l’on suit la variante fa-tudhkira/alors elle est comme
un homme, son témoignage pourrait être opposé pleinement à celui de cet homme.
Aussi, quelle que soit la variante retenue, il est soutenu l’égalité de témoignage entre
hommes et femmes.
5– La cause réelle de la disposition coranique est donc explicitement mise au jour : elle
ne disqualifie pas la femme, mais l’homme ! En ce verset, le Coran appelle en réalité à se
méfier de l’âpreté des hommes et donne aux femmes un moyen de tenter de s’en
protéger lorsqu’elles sont amenées à participer à ce type d’entreprise où l’argent aiguise
fraudes et prévarications. Selon le Coran, il ne s’agissait donc pas par le segment-clef
« mais, si ce ne sont point deux hommes, alors un homme et deux femmes » de
stigmatiser une faiblesse intrinsèque à « la Femme », mais bien de dénoncer l’injustice
faite aux femmes par les hommes ! Il n’y a là rien d’étonnant, il s’agit d’une attitude
constante dans le Coran.
Conclusion
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Nous aurons donc montré que ce très long verset s’applique uniquement au témoignage
lors d’une opération financière précise et précisée : « lorsque vous contractez une
dette à terme échu ». Aussi, à partir de l’exploitation du bref segment « si ce ne sont
point deux hommes, alors un homme et deux femmes » est-il donc contre le propos
coranique d’en tirer une loi générale relative à la faiblesse du témoignage féminin en
toute circonstance, lui imposant de la sorte un statut de mineure juridique. En cela, l’Islam
outrepasse manifestement le texte coranique tout comme il le transgresse.
Dr al Ajamî
[2] L’emprunt est plus large encore que cela puisque c’est à partir de cette même
Halakha qu’il a été soutenu diverses mesures concernant la limitation juridique de la
femme, par exemple : l’interdiction à la femme de la fonction de juge, mais la validité de
son témoignage en matière « d’affaires féminines » comme l’attestation de virginité et,
enfin, l’interdiction pour elle de régner et, par extension, d’accéder aux plus hautes
fonctions de l’État.
[3] Sur ce point essentiel, voir : Égalité homme femme selon le Coran et en Islam.
Pour mémoire : égalité ontologique : S4.V1 ; égalité intrinsèque : S7.V22-23 ; égalité en
foi : S4.V124 ; égalité en religion : S3.V194-195 ; égalité spirituelle : S3.V42-43 ; égalité
de genre : S16.V58-59 ; égalité sociale : S9.V71.
[4] S5.V106 : «… » َيا َأُّيَه ا اَّلِذ يَن َآَم ُنوا َش َه اَد ُة َبْيِنُك ْم ِإَذ ا َح َض َر َأَح َد ُك ُم اْلَمْو ُت ِح يَن اْلَوِص َّيِة اْثَناِن َذ َو ا َع ْد ٍل ِم ْنُك ْم
[5] S65.V2 : «…»…َو َأْش ِه ُد وا َذ َوْي َع ْد ٍل ِم ْنُك ْم َو َأِقيُموا الَّش َه اَد َة ِهَّلِل
[6] Cette neutralité dérangeante pour le Droit islamique et les mentalités des hommes
explique que la traduction standard ait traduit la locution non genrée « deux personnes
intègres/dhawâ ‘adlin minkum » par : « deux hommes intègres » !
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[7] Sur notre rejet critique du principe exégétique d’abrogation, voir : L’abrogation selon
le Coran et en Islam.
[8] «… » َيا َأُّيَه ا اَّلِذ يَن َآَم ُنوا ِإَذ ا َتَداَيْنُتْم ِبَد ْيٍن ِإَلى َأَج ٍل ُمَس ًّم ى َفاْك ُتُبوُه
[10]
…» َيْك ُتَب َك َم ا َع َّلَم ُه اُهَّلل َفْلَيْك ُتْب َو ْلُيْم ِلِل اَّلِذ ي َع َلْيِه اْلَح ُّق َو ْلَيَّتِق اَهَّلل َر َّبُه َو اَل َيْبَخ ْس َو ْلَيْك ُتْب َبْيَنُك ْم َك اِتٌب ِباْلَع ْد ِل َو اَل َيْأَب َك اِتٌب َأْن
ْل ْل ْل َأ َّل ًف َأ َأ َل ْل َّل
َك اَن ا ِذ ي َع ْيِه ا َح ُّق َس ِفيًها ْو َض ِع ي ا ْو اَل َيْس َتِط يُع ْن ُيِم ُه َو َف ُيْم ِل َو ِلُّيُه ِبا َع ْد ِل …« ِم ْنُه َش ْيًئا َفِإْن
[11] Nous ajouterons que la nécessité de deux témoins oraux alors qu’il est demandé de
mettre la reconnaissance de dette par écrit, s’explique et se justifie du fait qu’à l’époque
l’écriture était défectueuse. En effet, sans points diacritiques et sans voyelles de tels
textes ne pouvaient être déchiffrés que si l’on en connaissait de mémoire le contenu ;
d’où deux témoins, non pas de la rédaction de l’acte, mais de son contenu. Sur la
problématique de l’état de l’écriture durant la période péri-coranique, voir : Variantes de
récitation ou qirâ’ât.
[13]
« …َفِإْن َلْم َيُك وَنا َر ُج َلْيِن َفَر ُج ٌل َو اْم َر َأَتاِن ِمَّم ْن َتْر َض ْو َن ِم َن الُّش َه َداِء َأْن َتِض َّل ِإْح َداُه َم ا َفُتَذ ِّك َر ِإْح َداُه َم ا اُأْلْخ َر ى َو اَل َيْأَب الُّش َه َداُء
… ِإَذ ا َم ا ُد ُع وا. »
[15] «… »… َأْن َتِض َّل ِإْح َداُه َم ا َفُتَذ ِّك َر ِإْح َداُه َم ا اُأْلْخ َر ى
[17] Voir : Al muyassir fî–l–qirâ’ât al–arba‘a ‘ashra, Muhammad Fahd Khârûf, Ed. Dâr ibn
Kathîr, 4e édition, Beyrouth, 2006, p. 48.
[18] «… »… َو اَل ُيَض اَّر َك اِتٌب َو اَل َش ِه يٌد َو ِإْن َتْف َع ُلوا َفِإَّنُه ُفُس وٌق ِبُك ْم
[19] L’on pourrait se demander pourquoi donc le Coran a prévu ce dispositif uniquement
dans le cas des dettes à terme échu alors qu’en les trois autres situations mentionnées il
met directement hommes et femmes sur le même pied d’égalité. La différence provient de
ce que ces trois cas précédemment mentionnés relèvent du droit personnel : testament,
adultère, divorce, alors que notre v282 ressort du droit commercial. La protection des
intérêts des femmes justifiait donc que dès cette époque le Coran les ait intégrées
pleinement à la prise en charge de leurs droits personnels. Ce constat permet d’affirmer
que nous sommes pour S2.V282 face en un cas particulier circonstancié : le “milieu des
affaires” chez les Arabes au VIIe siècle. Précisons que nous déduisons cette contextualité
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directement de la lettre du texte et non d’une quelconque contextualisation historico-
anthropologique. Il ressort donc de l’intervention coranique que les femmes étaient à
cette époque généralement tenues à l’écart des dettes d’argent. Sur la différence
méthodologique essentielle entre contextualisation intertextuelle et contextualité intra-
coranique, voir : Analyse contextuelle.
[20] S4.V135 :
َيا َأُّيَه ا اَّلِذ يَن َآَم ُنوا ُك وُنوا َقَّو اِم يَن ِباْلِقْس ِط ُش َه َداَء ِهَّلِل َو َلْو َع َلى َأْنُفِس ُك ْم َأِو اْلَو اِلَد ْيِن َو اَأْلْق َر ِبيَن ِإْن َيُك ْن َغ ِنًّيا َأْو َفِقيًر ا َفاُهَّلل َأْو َلى ِبِه َم ا
َفاَل َتَّتِبُعوا اْلَهَو ى َأْن َتْع ِد ُلوا َو ِإْن َتْلُووا َأْو ُتْع ِر ُض وا َفِإَّن اَهَّلل َك اَن ِبَم ا َتْع َم ُلوَن َخ ِبيًر ا
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