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Revue de l'Occident musulman et

de la Méditerranée

Les Mozarabes de Valence et d'Al-Andalus entre l'histoire et le


mythe
Pierre Guichard

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Guichard Pierre. Les Mozarabes de Valence et d'Al-Andalus entre l'histoire et le mythe. In: Revue de l'Occident musulman et
de la Méditerranée, n°40, 1985. Al-Andalus - Culture et société. pp. 17-27;

doi : https://doi.org/10.3406/remmm.1985.2090

https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1985_num_40_1_2090

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R.O.M.M., 40, 1985-2

LES MOZARABES
DE VALENCE ET D'AL-ANDALUS
ENTRE L'HISTOIRE ET LE MYTHE
par
P. GUICHARD

L'étonnant ouvrage d'Ignacio Olagûe intitulé Les Arabes n'ont jamais envahi l'Espagne
(1) m'avait fourni, il y une dizaine d'années, le prétexte d'un article sur le problème de
l'«orientalisme» des structures sociales dans la péninsule ibérique à l'époque musulmane
(2). Pour invraisemblable que puisse apparaître à un historien sérieux la négation du fait
historique de la conquête de YHispania wisigothique par les armées musulmanes en 711,
le livre d'Olagûe n'était pas un «canular», et avait certainement été écrit lui-même avec
sérieux. J'avais alors essayé de montrer qu'il ne faisait, dans une certaine mesure, que
prolonger, en les poussant à leurs extrêmes et absurdes conséquences, un certain nombre de
tendances et d'idées que l'on peut qualifier des «traditionalistes», diffuses dans le médié-
visme hispanique et répandues, sous une forme plus raisonnable et acceptable, par
certains de ses plus illustres représentants, Sânchez Albornoz en particulier (3). Le souci de
faire apparaître à tout prix de prétendues «continuités» entre l'Espagne préislamique et
les époques postérieures a donné lieu plus récemment à un livre encore plus curieux, publié
à Valence et consacré de façon apparemment innocente aux «Mozarabes valenciens», à
travers l'étude d'une communauté mozarabe particulière, celle de la ville levantine de Jâtiva (4).
Cet étrange ouvrage, qui se présente comme la reproduction et le commentaire d'une
cinquantaine de «documents archéologiques» relatifs aux Mozarabes de Jâtiva entre le VIIIe
et le XIIe siècle, est en fait le fait d'une pure invention. Les documents en question,
prétendument reproduits d'après des originaux en pierre ou en métal, n'ont jamais existé que
dans l'imagination de l'auteur qui n'en propose - et pour cause - que des dessins, sous
prétexte que la photographie n'en rendrait pas aussi fidèlement le contenu (sic)! On
reconnaît parfois, sur ces images grossières, des figures comme détachées de leur contexte, tirées
par exemple de la célèbre Pila de Jâtiva, exceptionnel relief figuratif sur pierre locale
conservé au musée de Jâtiva, que l'on date généralement du XIe siècle. Falsification bien moins
adroite que la reconstitution fictive de la phase d'islamisation de la péninsule à laquelle,
de bonne foi probablement, s'était livré Olagiie, cet autre ouvrage d' «histoire-fiction» est
inspiré de la même hantise d'une «histoire sans rupture» des sociétés ibériques. La
démonstration de la continuité des populations locales à travers la phase de «domination»
musulmane passe par la mise en évidence de l'existence d'une communauté mozarabe survivant
à l'islamisation du pays et se maintenant, si possible, jusqu'à la conquête chrétienne du
XIIIe siècle. Les sources manquant totalement pour témoigner de l'histoire de ces
hypothétiques communautés mozarabes, le plus simple est évidemment de les inventer. Cette
invention ne saurait tromper aucun historien médiocrement informé, mais elle peut avoir
quelque effet sur des secteurs moins avertis de l'opinion valencienne à laquelle elle est sans
doute destinée.
18 P. Guichard

Que l'initiative en soit individuelle ou collective, et quelque conscience précise qu'en


ai(en)t eue son (ou ses) auteur(s), les objectifs de cette publication sont, en effet, évidents,
et peuvent seuls expliquer que l'on ait pris la peine de composer ce faux grossier. Même
si, d'ailleurs, il s'agissait d'un «canular»,on ne pourrait le comprendre qu'en se référant
au climat politico-historique valencien des dix ou quinze dernières années et à
l'importance qu'y a pris la question de la «continuité» des populations locales au cours de
l'époque musulmane. Le problème soulevé est celui de l'«identité» valencieime par rapport au
centralisme madrilène et castillan d'une part, et aux revendications catalanistes d'autre part.
Les positions en présence se sont exprimées dans des luttes passionnées qui ont culminé
lors de la définition du statut d'autonomie régionale institué à partir de 1978. Les données
historiographiques du problème avaient cependant été mises en place antérieurement, à
partir de prémisses déjà présentes dans des travaux du XIXe et du début du XXe siècle.
Dans un bref opuscule sur «le peuple, la culture et la langue de Valence» publié en 1977,
un professeur d'université antiquisant, Julian San Valero, résumait ainsi les thèses
traditionalistes ou continuistes :
«La culture valencienne est un tout, un continuum, avec ceux qui l'ont développée, passant d'une
étape à une autre par des époques de transition plus ou moins bien définies dans la mesure où elles
conservent les traits anciens, traditionnels, et présentent des caractéristiques nouvelles qui finissent
par se configurer en une nouvelle phase culturelle dans laquelle, si on l'étudié bien, on peut trouver
des vestiges de l'époque antérieure. Notre valencien, par exemple, est un ensemble linguistique
constitué par des éléments dérivés fondamentalement du bas latin parlé par tout le peuple jusqu'au VIIIe
siècle, enrichi du VHP au XIIIe siècle par des arabismes, et depuis le XIIIe siècle jusqu'à aujourd'hui,
de catalanismes; provençalismes, «aragonesismes» et castellanismes... c'est-à-dire un complexe vital,
moins simple qu'on ne pourrait le croire» (5).
C'est en effet autour du problème de la langue - la nature du valencien - que se sont
cristallisées le plus fortement les oppositions. La thèse «conservatrice» d'une continuité
linguistique locale, fondement de la spécificité valencienne par rapport aux prétentions
«pancatalanistes», a été édifiée comme un barrage contre l'idée traditionnellement admise - et
scientifiquement raisonnable - que le valencien n'est qu'une variété dialectale du catalan
importé par les conquérants chrétiens du XIIIe siècle (6). Les rapports entre recherches
philologiques et préoccupations politico-linguistiques affleurent à chaque instant dans
l'abondante production consacrée depuis quelques années à ces problèmes. Evaluant par
exemple la portée de l'étude connue d'Alvaro Galmés de Fuentes sur «le mozarabe levantin»,
les auteurs - catalans - d'une récente et très bonne Historia de la llengua catalana s'en
prennent à la thèse défendue dans ce travail d'une primitive unité linguistique du Levant
péninsulaire avec les régions centrales de la Meseta castillane :
«II s'agit évidemment, avec des affirmations (de ce genre), de favoriser en la justifiant l'actuelle
tendance castellanisante : «L'histoire, pour sa part, justifie ce regroupement, puisque le Levant espagnol
se trouve historiquement uni, jusqu'à la reconquête, au centre et au sud de la péninsule» (7).
De là à considérer la castellanisation du Pays Valencien comme une correction logique de
l'anomalie historique que, pour certains, représente la catalanité linguistique de Valence, il n'y a qu'un
pas. Et si Galmés de Fuentes ne le fait pas - car on doit reconnaître qu'il ne le fait pas - il n'en pose
pas moins les bases qui permettront à d'autres, moins scrupuleux, de le faire dans les années 80» (8).
Même le vocabulaire utilisé dans ces controverses n'est pas innocent : l'expression de
«Levant espagnol» utilisée par Galmés de Fuentes, considérée comme la plus parfaite
expression consciente ou inconsciente du centralisme castillan, est abhorrée de la plupart des
Valenciens et des Catalans. Celle du «Pays Valencien», qui suggère que l'ensemble
valencien n'est qu'une partie de l'ensemble catalan est tout aussi vigoureusement rejetée par
les «valencianistes», qui prônent volontiers celle de «royaume de Valence». Une récente
histoire de Valence, pour se tirer d'embarras et n'utiliser ni l'une ni l'autre de ces
expressions controversées, s'est intitulée «Nuestra historia» (9), et la région autonome consti-
Les Mozarabes entre histoire et mythe 19

tuée par les trois provinces de Valence, Castellon et Alicante, qui correspondent au
«royaume de Valence» issu de la reconquête, s'est donnée prudemment le nom de
«Communauté valencienne».
Etroitement lié à la question de la continuité culturelle et ethnique, comme on l'aura
constaté dans les paragraphes qui précèdent, le problème mozarabe ne l'est pas,
cependant, d'une façon mécanique et univoque. L'une des «bibles» du valencianisme, l'ouvrage
du médiéviste Antonio Ubieto publié en 1975-1977 sous le titre Origenes del reino de
Valencia, affirme fortement à la fois la nouveauté de la construction politique créée au XIIIe
siècle par la volonté du roi d'Aragon Jacques Ier, et l'inconsistance historique du «mozara-
bisme», tout en insistant néanmoins sur la continuité ethnique et linguistique de la
population valencienne depuis la fin des temps préislamiques jusqu'à la reconquête des années
1230-1250 (10). L'affirmation de la persistance d'une importante communauté mozarabe
jusqu'à la fin de l'époque musulmane n'est en effet guère soutenable pour un historien
qui s'est soucié de jeter ne serait-ce qu'un coup d'ceil rapide sur l'ensemble des sources
et de l'historiographie disponibles sur le sujet. Elle n'est d'ailleurs pas liée nécessairement
à la thèse parallèle de la continuité de la culture populaire et de la langue, puisqu'il est
généralement admis, et documentairement prouvé, que les Mozarabes s'arabisèrent
rapidement (11). A la limite, et en tenant compte dé ce dernier fait, elle pourrait même
paraître dangereuse aux tenants du continuisme. Aucun historien ni linguiste sérieux ne défend
actuellement la thèse «mozarabe» dans ses formes extrêmes, et ce n'est pas là la point qui
fait véritablement problème (12). Si la question du «mozarabisme» s'est trouvée
récemment remise sur le tapis, avec des thèses nouvelles, c'est, si l'on peut dire, et comme on
le verra un peu plus loin, à partir de son autre extrémité chronologique, avec le problème
de la conversion à l'Islam des communautés indigènes dans l'Espagne musulmane.
La vision historiographique sur le fait mozarabe s'est trouvée dominée pendant des
décennies par le magistral et classique ouvrage de Francisco Javier Simonet, travail achevé
dès 1866, mais qui, déjà pour des raisons principalement idéologiques, ne fut publié qu'en
1903, après la mort de l'auteur. Partisan déclaré d'une «réhabilitation» des Mozarabes qu'il
considérait comme les «mainteneurs» de la tradition religieuse nationale face à l'«oppres-
sion musulmane», Simonet avait mobilisé pratiquement toutes les données existantes sur
les groupes chrétiens dans l'Espagne musulmane pour la réalisation d'une véritable somme
des connaissances, qui n'a été jusqu'à présent ni renouvelée ni à plus forte raison
remplacée, et constitue encore aujourd'hui l'ouvrage de référence indispensable et presque
unique sur la question (13). Les recherches n'ont guère été poursuivies que dans le domaine
doctrinal, où la question des hérésies du IXe siècle a fait l'objet d'un assez grand nombre
de travaux (14). La prolifération de déviations doctrinales et d'hérésies qui marquent
l'histoire de la chrétienté hispanique aux VIIIe et DC siècles constitue certainement l'un des
aspects les plus intéresants et les plus obscurs de l'histoire culturelle du haut Moyen Age
méditerranéen, qu'il conviendrait sans doute de mieux situer dans un contexte plus large,
englobant le Maghreb, où se multiplient également les agitations religieuses et les sectes
détachées de l'Islam (15), et peut-être également le domaine musulman dans son ensemble
dans lequel les mouvements d'idées qui agitent la communauté mozarabe à la fin du VIIIe
et dans le cours du IXe siècle semblent souvent puiser leur inspiration. Postérieurement
à Simonet, l'historiographie mozarabe s'est par ailleurs sensiblement enrichie en travaux
portant sur l'«art mozarabe», dont les manifestations si originales et souvent si proches
des préoccupations esthétiques contemporaines concernent, on le sait, non pas les
communautés mozarabes andalouses elles-mêmes, mais les régions d'émigration mozarabe, en
dehors du domaine musulman (16). On s'est attaché par ailleurs à reconstituer l'évolution
du principal groupe mozarabe réintégré à la Chrétienté à la suite de la reconquête, celui
de Tolède, grâce au très important fonds d'archives relatives à cette communauté encore
20 P. Guichard

importante au début du XIe siècle qui a pu être conservé dans cette ville et dont toutes
les possibilités n'ont sans doute pas encore été exploitées (17).
Sur les communautés mozarabes d'al-Andalus elles-mêmes, en revanche, les
connaissances ont peu progressé depuis l'ouvrage de Simonet. Il serait cependant injuste de ne
pas mentionner la synthèse d'Isidro de las Cagigas, dont les deux volumes, publiés en 1947
et 1948, sans apporter de nouveautés substantielles par rapport à Simonet, correspondent
à un effort pour mieux situer le fait mozarabe dans le contexte plus général de l'histoire
arabo-andalouse (18). Cet ouvrage, où ne manquent pas les vues suggestives, reste
toutefois très marqué par un attachement exagéré à l'idéologie «continuiste» qui imprègne trop
souvent le médiévisme hispanique de cette époque et contribue à fausser les perspectives;
y abondent en particulier les rapprochements destinés à faire ressortir la profonde unité
de l'histoire hispanique à travers la rupture apparente que représente l'époque musulmane :
l'action du rebelle andalou Ibn Hafsûn est comparée à celle du Cid, la politique
unificatrice de cAbd al-Rahman HI à celle des Rois Catholiques, et la révolte de Tolède au IXe
siècle à celle des Comuneros de Castille du XVIe siècle. Ce souci de valoriser le contenu
«national» non seulement du mozarabisme, mais de la civilisation andalouse, conduit à
des appréciations hâtives : notant par exemple que, dans les années 830, les Tolédans,
dirigés par un chef populaire appelé Hâlim al-Darrâb («le Forgeron») qui semble
effectivement avoir entraîné d'autres éléments recrutés, en particulier dans le milieu urbain des
artisans, se soulèvent contre le pouvoir cordouan et attaquent les Arabes et les Berbères
de la région centrale, il voit dans ces faits «une preuve que l'artisanat tolédan au IXe siècle
était entièrement hispanique : Mozarabes, Muwallads et Juifs» (I, p. 152). Ce qui est peut-
être vrai du point de vue des réalités ethniques, au sens physiologique du terme, ne l'est
certainement pas si l'on se situe dans une perspective d'histoire culturelle. Nous ne savons
rien des techniques ni de l'organisation des métiers qui prévalaient à Tolède à cette
époque, mais il est vraisemblable qu'elles étaient fortement influencées par le rattachement
de la ville au monde musulman, de même que le développement même de ces activités.
Dans un article sur «Le développement de la civilisation arabe à Tolède», Elias Terés a
bien souligné l'apparent paradoxe que représente la rapide assimilation par la ville de la
culture arabo-musulmane, alors même qu'elle se trouve de façon presque constante en
situation de dissidence politique vis-à-vis du pouvoir émiral cordouan. L'ambiguïté se retrouve
dans le personnage du célèbre poète muwallad tolédan feirbïb, qui d'un côté galvanise la
résistance de ses concitoyens au pouvoir central, et de l'autre compose des vers exaltant
la soumission à la volonté divine, le tout dans le cadre traditionnel de la poésie arabe, trois
quarts de siècle après la conquête musulmane, dans une cité que l'on s'accorde à
considérer comme ethniquement peu arabisée (19).
La «survalorisation» de l'élément mozarabe conduit à des inexactitudes de détail qui
contribuent à fausser les perspectives. Je n'en prendrai qu'un exemple : Isidro de las
Cagigas situe le tournant majeur de l'histoire mozarabe au début du règne de l'omeyyade
cAbd al-Rahman HI qui, écrit-il, «imprime un tour complètement nouveau à la
constitution sociale et étatique d'al-Andalus», en pratiquant une politique délibérée d'apaisement
des conflits ethnico-religieux qui avaient déchiré le pays avant son accession au pouvoir,
et en accordant aux muwallads et aux mozarabes la place qui leur revenait dans la société
et dans l'Etat andalou. Cet esprit nouveau dans les affaires de l'Etat se serait manifesté
par des mesures concrètes dès la première année du règne (912) : ayant obtenu la reddition
de la ville d'Ecija, à peu de distance de Cordoue, dont l'opposition déclarée au pouvoir
omeyyade et les sympathies pour la cause «indigène» (muwallad et mozarabe) avaient à
plusieurs reprises inquiété très sérieusement le pouvoir au cours des décennies
précédentes, «il donna une preuve de ce qui allait constituer le secret de ses triomphes en remettant
le gouvernement de la ville non pas à un Arabe ni même à un musulman, mais au moza-
Les Mozarabes entre histoire et mythe 21

rabe Hamdûn b. Basil» (20). Or rien n'indique, à ma connaissance, que cet Hamdûn b.
Basil ait été «mozarabe». Tout laisse penser, au contraire, qu'il s'agit d'un membre de la
famille des Banû Basil, qui sont, comme les Banû AblcAbda, les Banû Hudayr et un
certain nombre de puissants lignages de l'époque émirale et du début du califat, d'origine
orientale. C'est évidemment l'aspect «chrétien» du gentilice Ibn Basil qui a induit Isidro
de las Cagigas en erreur. Mais se serait-il laissé abuser aussi facilement s'il n'avait pas été
démangé par le prurit de «mozarabisme» qui tracasse à la même époque la plupart des
arabisants et des médiévistes espagnols ? Tout n'est peut-être pas à rejeter dans l'analyse
qu'il fait de la politique de cAbd al-Rahman III, mais il est tout de même gênant que la
seule preuve concrète avancée pour justifier l'existence du tournant, capital à son avis,
que représenterait sa «nouvelle» politique vis-à-vis de l'élément indigène en al-Andalus repose
sur une erreur assez flagrante (21).
Simonet, de las Cagigas, Sanchez Albornoz et bien d'autres, y compris hors
d'Espagne comme Henri Pérès (22), ont entretenu l'idée que le fait mozarabe et indigène avait
pesé d'un poids considérable dans l'évolution historique et la constitution de la
civilisation d'al-Andalus. Cette croyance, fortement enracinée chez beaucoup d'historiens qui
n'auraient pas osé mettre en doute les affirmations d'auteurs aussi réputés, conduit à des
distorsions de la réalité et à de véritables impasses dont on trouve un écho amusant dans
les ouvrages d'érudits locaux, imprégnés de la bonne parole des maîtres. Ainsi dans un
travail aussi estimable que volumineux sur Tortosa paru dans les années cinquante, le
chanoine Enrique Bayerri, après avoir affirmé sur la foi des idées en vigueur, sans doute encore
exaltée par sa condition cléricale, que l'élément mozarabe représentait certainement la
majorité de la population de la cité à l'époque musulmane, s'étonne naïvement du contraste
entre «la pléiade d'écrivains et de penseurs qu'a produits la Tortosa musulmane et même
juive» et l'absence totale des témoignages culturels provenant de la communauté
mozarabe. Ce «contraste à peine croyable» et ce «silence déconcertant et énigmatique» ne
l'amènent pas à douter de l'existence de ces mozarabes, mais seulement à conclure, tristement
et honnêtement, que «le seul fait d'évidence est que l'histoire ne nous a encore révélé aucun
nom à inscrire comme représentatif de notre culture mozarabe» (23). Comment atteindre,
en effet, ces Mozarabes évanescents, dont on suppose toujours l'existence mais qui ont
laissé si peu de traces de leur présence ? Il y a déjà longtemps que l'on a tenté une
approche archéologique du problème, avec les fouilles du site andalou de Mesas de Villaverde
que l'on supposait être Bobastro, la «capitale» du célèbre rebelle andalou Ibn Hafsûn qui,
pendant des décennies, tient en échec le pouvoir omeyyade à la fin du DCe et au début
du Xe, en s'appuyant sur les éléments indigènes muwallads et mozarabes (24). Les
trouvailles - importantes - effectuées sur ce site incontestablement chrétien, n'ont cependant
pas prouvé sans doute possible qu'il s'agissait bien de l'historique Bobastro, pour laquelle
Joaquin Vallvé proposait, en 1965, une autre localisation correspondant à un site
différent, situé plus à l'est, dans la même province de Malaga (25). Plus récemment, Manuel
Riu a voulu reprendre l'examen d'ensemble des données que pouvaient apporter les sites
«mozarabes» andalous, et a étudié en particulier les habitations creusées dans le rocher
que l'on trouve dans plusieurs d'entre eux, sans démontrer cependant qu'il s'agit bien,
comme il le suppose, de villages chrétiens (26).
Les sources attestent l'existence de communautés mozarabes en Andalousie jusqu'à
une date tardive, mais ne nous disent pas grand chose de leur importance relative aux diverses
époques, ni du rythme de leur amenuisement et de la date de leur disparition, qui semble
être pratiquement totale à la fin du XIIe siècle, à la suite des transferts de populations
chrétiennes andalouses au Maghreb réalisés par les Almohades. On n'a que des bribes
d'informations sur les autres régions d'al-Andalus, dont certaines se trouvent dans des sources
qui n'étaient pas disponibles à l'époque de Simonet, comme une allusion du Rawd al-
22 P. Guichard

mftâr à la communauté chrétienne de Mérida dans la seconde moitié du IXe siècle, d'où
semble ressortir son affaiblissement culturel ou du moins son profond éloignement de la
tradition latine. D'après ce texte, en effet, le gouverneur arabe de cette ville, ayant voulu
faire lire une inscription latine provenant d'un monument ancien, ne trouva qu'avec
beaucoup de difficulté un chrétien capable de le faire (27). La traduction fantaisiste que traduit
l'auteur arabe n'implique pas forcément l'inexactitude, ou du moins le caractère non
significatif de cette anecdote. Ce que nous savons de l'histoire de Mérida au IXe siècle ne
contredit pas, en effet, l'idée d'une rapide décadence de sa communauté mozarabe. Dans la
première moitié du siècle, la ville, encore importante, est le foyer de plusieurs révoltes
contre le pouvoir central (28). On sait, par une lettre célèbre de Louis le Pieux aux
Mozarabes de la ville, que ceux-ci y jouent un rôle dont on ne peut évidemment évaluer
l'importance, mais que l'on peut considérer comme notable, compte tenu de la dimension
religieuse de la ville à l'époque wisigothique (29). L'action persévérante des émirs omeyyades
finit par avoir raison de cette résistance. On sait qu'une puissante citadelle (qasaba),
destinée à abriter une garnison loyaliste, est construite en 835 (30), et qu'un dernier sursaut
d'opposition, en 868, provoque le démantèlement de l'enceinte urbaine (31). Les éléments
irréductibles, qui semblent être des muwallads bien plus que les Mozarabes dont on n'entend
plus parler, se réfugient dans la localité voisine de Badajoz, qui devient rapidement la ville
la plus importante de la région (32), et sa capitale politique à l'époque des royaumes de
taïfas, alors que Mérida, dont des éléments berbères ont pris possession à la fin du IXe
siècle, sombre dans l'obscurité (33).
Il est difficile de savoir si l'histoire de Mérida, et le rapide déclin de la ville, dont on
peut penser qu'il entraîne la décadence démographique et culturelle des Mozarabes qui
y résident, sont significatifs de l'évolution qui se produit dans les autres régions de
l'Espagne musulmane. Dans certaines régions, comme la zone levantine murcienne et valencienne,
les sources sont pratiquement silencieuses, et ne nous apportent pratiquement aucune
information sur l'existence d'éventuelles communautés chrétiennes pour les premiers siècles
de l'époque musulmane. C'est seulement à partir du milieu du XIe siècle que l'on trouve
quelques références textuelles à des chrétiens vivant dans le Sarq al-Andalus à l'époque des
taïfas et pendant le régime almoravide. Carmen Barcelo, dans un ouvrage sur les
minorités musulmanes dans la région valencienne, a rédigé récemment, sur ces survivances
mozarabes, une synthèse qui fait parfaitement le point sur cette question du mozarabisme valen-
cien (34). Une thèse «radicale», diamétralement opposée à la tendance historiographique
de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe, avait été antérieurement
présentée par un arabisant et un archéologue, Mikel de Epalza et Enrique Llobregat, au sujet
de la persistance de communautés mozarabes dans le Levant. Sous le titre «Y a-t-il eu des
Mozarabes en terre valencienne ?», ces deux auteurs ont avancé une série d'arguments qui
tendent à la négation de l'existence même de communautés chrétiennes indigènes au-delà
des tout premiers temps qui suivent la conquête musulmane. Ils réalisent, en fait, une
synthèse adroite d'idées déjà émises dans des publications antérieures, et en particulier des
thèses suggestives de Llobregat sur le très faible niveau de christianisation de la région
levantine antérieurement au rattachement de la péninsule au monde musulman. Déjà peu
nombreux et limités surtout à un milieu urbain déclinant, les chrétiens auraient eu besoin pour
se maintenir d'un encadrement episcopal qui, si l'on en juge par l'absence presque totale
de références à des sièges épiscopaux effectivement pourvus dans la région à l'époque
musulmane, leur fit défaut. L'Islam ne reconnaissant la situation de «protégés» (dimmt) qu'à des
groupes dotés d'une structure, généralement ecclésiastique, on doit postuler une
disparition rapide des chrétiens. Les rares mentions d'éléments chrétiens aux XIe et XIIe siècles
doivent concerner principalement des individus venus dans la région à une date tardive,
Les Mozarabes entre histoire et mythe 23

des commerçants et des mercenaires par exemple, avec peut-être quelques cadres
ecclésiastiques arrivés à leur suite (35).
La mise en cause globale du «fait mozarabe» dans la région levantine à laquelle se livrent
Epalza et Llobregat ne manque pas d'aspects salutaires. Elle invite à une relecture critique
de textes que l'historiographie n'avait guère questionnés en ce sens jusqu'à présent, sans
doute trop influencée par la tendance «philo-mozarabe» prédominante. Ainsi le célèbre
document de 1058 par lequel le souverain de la taïfa de Dénia, cAh~ b. Mu^âhid,
reconnaît à l'évêque de Barcelone la juridiction ecclésiastique sur les clercs et les églises de ses
Etats. Miquel Barcelo a présenté récemment une critique serrée, mettant fortement en doute
l'authenticité du document, du moins dans la forme sous laquelle il nous est parvenu (36).
J'hésiterais, cependant, à suivre Epalza et Llobregat jusqu'au bout dans leur attitude hyper-
critique. Documentairement, il me paraît difficile de contester l'authenticité d'un
ensemble de données qui sont, certes, prises isolément, fragiles et sujettes à caution, mais dont
il paraît hasardeux de récuser le témoignage si on les considère globalement, comme les
textes évoqués par Carmen Barcelo qui parlent à plusieurs reprises de «chrétiens du pays»
{rum al-baladiyyûn) ou «soumis au traité» (nasârâ). L'un des textes les plus connus est,
a cet égard, un passage du Bayan al-Mugrib d'Ibn cIdan où l'on voit le Cid, ayant occupé
Valence en 1094, en faire garder les portes par «chrétiens indigènes» (Rûm baladiyyùn) (37).
A cette problématique mozarabe, il faut rattacher les pages consacrées à l'Espagne dans
l'important ouvrage de Richard W. Bulliet intitulé Conversion to Islam in the Medieval
Period (38). Bulliet ne part pas du point de vue des communautés non musulmanes, mais
les envisage dans leur processus d'intégration à l'Umma, la Communauté des Croyants,
dont il essaie de cerner le rythme. Constatant que les généalogies de savants et d'hommes
de religion que fournissent les nombreux et abondants dictionnaires biographiques arabes
indiquent souvent, dans les pays où existe une importante population non arabisée
initialement, comme l'Iran et l'Espagne, un premier ancêtre dont le nom n'est pas arabe et qui
doit être le premier converti de la lignée, il effectue des calculs statistiques qui lui
permettent d'établir des «courbes de conversion». Il met par ailleurs, pour chaque pays, celles-ci
en rapport avec une autre courbe où figure, à chaque époque, la proportion des noms
spécifiquement musulmans, comme Muhammad, Ahmad, cÀlî", par rapport à l'ensemble
du stock onomastique utilisé à ce moment. De la comparaison de ces deux courbes, il déduit,
pour l'Iran, l'Irak, la Syrie, l'Egypte, l'Ifrïqiya et enfin l'Espagne, un certain nombre de
conclusions quant au rythme et aux modalités des conversions à l'Islam, et aux rapports
de leur évolution avec les données générales de l'histoire de l'Islam médiéval dans son
ensemble, les résultats lui paraissant tout à fait concordants d'un pays à l'autre. De cet ouvrage
séduisant, à la fois audacieux dans sa méthode et dans ses conclusions et prudent dans sa
démarche, et qui mérite sans doute une attention et une discussion beaucoup plus
approfondies, je ne retiendrai ici que ce qui concerne l'Espagne. C'est probablement la partie
la plus délicate de l'ouvrage. Le matériel généalogique sur lequel se fonde la «courbe des
conversions» n'est pas très abondant (154 généalogies commençant par des noms non
arabes), et les résultats obtenus sont d'une interprétation difficile : l'auteur, dans une
discussion serrée des données, fait preuve de beaucoup d'ingéniosité pour faire apparaître
l'identité de l'évolution avec ce qu'il a constaté pour le reste du monde musulman, en dépit
de particularités apparentes des courbes réalisées. Il fait intervenir dans son raisonnement
l'importance du peuplement berbère de la péninsule, qui donnerait lieu à une première
phase de conversions concernant surtout cet élément maghrébin venu s'établir en al-Andalus,
et antérieure au mouvement qui affecte la majorité de la population, d'origine indigène.
Chronologiquement, la «courbe de conversion» qu'il dresse pour l'Espagne musulmane
aurait son point d'inflexion un peu après le milieu du Xe siècle, en pleine époque califale :
c'est seulement alors que se serait renversé le rapport numérique entre musulmans et chré-
24 P. Guichard

tiens dans la partie islamisée de la péninsule, les premiers devenant seulement alors
majoritaires, alors que quelques décennies plus tôt, vers 870-880, au début de la période de crise
de l'émirat et de la révolte d'Ibn Hafsun, les trois-quarts des habitants d'al-Andalus auraient
encore été chrétiens.
Comme le souligne à plusieurs reprises Bulliet lui-même, sa démarche et son
hypothèse ne peuvent, du point de vue statistique et quantitatif où il se place, trouver de
vérification que dans leur cohérence et dans leur logique intrinsèques, aucune autre donnée
comparable, c'est-à-dire de nature également quantitative, n'étant disponible pour une telle
vérification. Sans vouloir opposer histoire quantitative et histoire qualitative, et tout en
rendant l'hommage qu'elle mérite à la séduisante et méritoire tentative que représente le
travail de Bulliet, je me demande si, en ce qui concerne du moins l'Espagne, on peut accepter
ses conclusions. J'ai relevé plus haut, à propos de Tolède, l'arabisation et l'islamisation
étonnamment rapides qui semblent marquer, y compris pour une ville en opposition quasi
constante à l'égard du pouvoir cordouan, l'évolution sociale et culturelle du IXe siècle,
et à propos de Mérida l'amenuisement également accéléré auquel semblent avoir été
soumises les communautés mozarabes. Les données relatives à l'encadrement episcopal sont
évidemment sujettes à toutes les variations d'interprétation que peuvent inspirer des
tendances historiographiques divergentes confrontées à des sources aussi pauvres. On n'échappe
cependant pas à l'impression d'une décadence également rapide des structures ecclésiales,
qui ne sont d'ailleurs guère attestées que pour l'Andalousie proprement dite. La
participation des Mozarabes aux luttes ethniques de la période de crise de l'émirat, à la fin du IXe
et au début du Xe siècle est, dans les sources du moins, peu évidente, sauf précisément
en Andalousie où l'élément mozarabe joue un rôle important dans la révolte d'Ibn Hafsûn.
Mais même dans cette région où une présence mozarabe sera encore bien attestée au XIe
et au XIIe siècle, la lecture des chroniques relatives à cette époque troublée, et en
particulier celle de la partie du Muqtabis d'Ibn Hayyân publiée par P. Chalmeta, amène à se
demander si les Mozarabes ne correspondent pas, dès cette époque, à des noyaux de population
numériquement minoritaires (39). Le silence presque total des sources sur les Mozarabes
des autres régions mérite aussi réflexion. On doit sans doute être assez prudent dans son
interprétation : nous sommes assez bien renseignés, par exemple, sur la résistance de Tolède,
et sur les conditions de sa reddition définitive au pouvoir omeyyade en 932. L'élément
mozarabe présent dans la ville n'apparaît guère dans ces événements, et c'est, en
particulier, une cité officiellement musulmane qui est alors réintégrée à l'unité de la ganiâca anda-
louse (40), alors que les sources postérieures révèlent, à la fin de l'époque des taïfas, donc
un siècle et demi plus tard, l'existence d'une communauté chrétienne plus nombreuse. Faut-il
admettre que son arabisation pratiquement totale l'intègre alors suffisamment dans l'unité
culturelle andalouse pour qu'elle passe désormais pratiquement inaperçue, comme le
suggère J.F. Rivera dans le chapitre sur l'«Eglise mozarabe» qu'il a rédigé pour l'encore récente
Historia de la Iglesia en Espaha, publiée dans la «Biblioteca de Autores cristianos» ? (41)
Essayer de répondre à cette dernière question serait difficile, compte tenu de la
pauvreté des sources utilisables, et nous entraînerait au-delà du propos de cet article qui n'avait
pour but que de faire le point sur quelques aspects de l'historiographie mozarabe,
principalement dans sa première période, et sur le problème de la conversion à l'Islam, reposé
de façon vigoureuse par la position radicale adoptée par Epalza et Llobregat, et renouvelé
dans son approche par le travail de Bulliet.

NOTES
(1) Ignacio OLAGÛE, Les Arabes n'ont jamais envahi l'Espagne, Paris, 1969.
(2) Pierre GUICHARD, «Les Arabes ont bien envahi l'Espagne», in Annales ESC, nov.-déc. 1974,
pp.1483-1513.
\
Les Mozarabes entre histoire et mythe 25

(3) Voir aussi mes Structures sociales «orientales» et «occidentales» dans l'Espagne musulmane, Paris-La Haye,
1977, pp.916. J'ai repris l'expression «traditionalisme» de James T. MONROE, Islam and the Arabs
in Spanish Scholarship, Leyde, 1970.
(4) José GIRONES GARCIA, Los Mozarabes valencianos. Xdtiva mozarabe. Estudto documentado basado
en la arqueologia, Valence, 1983.
(5) Julian SAN VALERO APARISI, Reflexiones sobre el pueblo, cultara y lengua de Valencia, Col. «Temas
valencianos», I, Valence, 1977.
(6) Manuel SANCHIS GUARNER, Introduccwn a la histona linguûtica de Valencia, Valence, 1948 (voir
en particulier p. 147).
(7) Josep M. NADAL, Modest PRAT, Histona de la Llengua catalana, I/Dels ongensfins al segle XV,
lone, 2e éd., 1983, p.231. Le travail d'Alvaro GALMES DE FUENTES, «El mozarabe levantino en
los libros de los repartimientos de Mallorca y Valencia» a été publié dans la Nueva Revista de Filolo-
gta Htspanica, IV, 1950, pp.313-346.
(8) Galmés de Fuentes fait allusion au fait que Valence fait primitivement partie de la province
que dite «Carthaginoise», dont le centre se trouve à partir du VIIe siècle à Tolède, et aux tentatives
de reconquête castillane dans le Levant, qui se manifestent en particulier avec l'action du Cid à la
fin du XIe siècle.
(9) Publiée par les éditions Mas-Ivars, Valence, 1980, sqq. Les volumes 2 et 3 concernent l'époque médiévale.
(10) Antonio UBŒTO ARTETA, Origenes del reino de Valencia, Valence, 1975 (Ie™ éd.), pp.91 et 190-191
(continuité ethnique et linguistique), 13 (création du royaume de Valence), et pp. 105-122 (problème
mozarabe). Voir aussi les pp. 167-196 de la seconde édition (1977), et dans le volume H, paru la même
année 1977, les pp. 15-36, sur le problème de la langue.
(11) Voir les célèbres plaintes d'Alvaro de Cordoue à ce sujet vers le milieu du IXe siècle, dans Ylndiculus
lumtnosus, à présent facilement accessible dans le Corpus Scnptorum Musarabicorum, 2 volumes, Madrid,
1973 (C.S.I.C.), où Juan GIL a réuni l'essentiel des textes mozarabes en latin. Le texte est cité dans
R. DOSY, Histoire des musulmans d'Espagne, Leyde, 1932, (éd. revue par Lévi-Provençal), I, p.317.
(12) Pour une mise au point équilibrée et raisonnable sur ces problèmes, voir Ma del Carmen BARCELÔ
TORRES, Mmorias isldmicas en el pais valendano: histona y dialecto, Valence, 1984, pp. 125-133.
(13) Francisco Javier SIMONET, Histona de los Mozarabes de Espana, Madrid, 1903 (rééd. Amsterdam
1967). Voir dans MONROE, Islam and the Arabs p.87, des indications sur le retard de publication
de l'ouvrage.
(14) Voir une bibliographie dans Histona de la Iglesia en Espana, II, 1°, pp.21-22, toutefois incomplète ;
voir par exemple : Manuel RIU, «Revision del problema adopeionista en la diécesis de Urgel», Anuano
de estudtos Médiévales (Barcelone), I, 1964, pp.77-96. A signaler, d'un point de vue «carolingien» :
Michel RUBELLIN, «Hérésie et parenté en Occident, fin du VIIIe - début du IXe siècle», Cahiers
d'Histoire, XXV, 1980, pp.115-147. Il faut mettre à part l'ouvrage de Edward P. COLBERT, The
martyrs of Cordoba (850-859), Washington D.C., 1962, qui est une analyse détaillée des textes
mozarabes. Tout récemment : Dominique MILLET-GERARD, Chrétiens mozarabes et culture hispanique,
Paris (Coll. : «Etudes Augustiniennes»), 1984.
(15) Tentative dans ce sens dans Isidro de las CAGIGAS, Mmorias étnico-rehgwsas de la Edad Media Espano-
la : I, Los mozarabes, tome L Madrid, 1947, pp.167-168. Voir, sur les mouvements maghrébins, Tadeusz
LEWICKI, «Prophètes antimusulmans chez les Berbères médiévaux», Boletin de la Asociaaôn
espahola
de Onentahstas, 1967, pp.143-147.
(16) Deux ouvrages récents en français : le beau livre de Henri STIERLIN, Le livre de feu : l'apocalypse et
l'art mozarabe, Paris, 1978, et Mireille MENTRÉ, La peinture mozarabe, Paris, 1983.
(17) Angel GONZALES PALENCIA, Los mozarabes de Toledo en los siglos XII y XIII, Madrid, 4 volumes,
1929-1934 ; Reyna PASTOR de TOGNERI, «Problèmes d'assimilation d'une minorité : les
Mozarabes de Tolède (de 1085 à la fin du XIIIe siècle)», Annales ESC, 1970, pp.35 1-390.
(18) Voir la référence indiquée note 15.
(19) Elias TERES SABADA, «Le développement de la civilisation arabe à Tolède», Cahiers de Tunisie, XVTJI,
69-70, 1970, pp.73-86.
(20) Los mozarabes, II, pp.303-304.
(21) Sur l'origine des Banû Basil, voir : IBN AL-ABBAR, Huilât al-siyarâ', édition Husayn Mu'nis, Le Caire,
1967, II, p.371. Cette édition n'était pas disponible lorsqu'Isidro de las Cagigas rédige son ouvrage
sur les Mozarabes; cependant, les Banû Basil paraissent difficilement séparables des autres grandes
familles de clients orientaux qui occupent les hautes charges de l'Etat omeyyade à l'époque émirale.
Le nom suggère évidemment une origine byzantine, ou en tous cas une anthroponymie influencée
26 P. Guichard

par l'onomastique du monde grec (voir AL-DAHABI, Al-Mustabih ft'l-rtgâl, édition cAli
Muhammad al-Bagïwî", Le Caire, 1962, 2 vol., p.391, qui mentionne deux personnages de ce nom : un
Basil al-RûmF, interprète du calife al-Rasid, et un uléma andalou du nom de Halaf b. Basil, mort en 327).
(22) Le grand médiéviste Claudio SANCHEZ ALBORNOZ présente une sorte de «condensé» de la
pective historique «continuiste» dans : «Espagne préislamique et Espagne musulmane», Revue
Historique, CCXXXVII, 1967, pp.295-338; sur le thème de la «femme espagnole» et de son influence sur
la société andalouse, thème diffusé en particulier par la Poésie andalouse en arabe classique, de H.
PÉRÈS, je renverrai à mes Structures, p.125.
(23) Enrique BAYERRRI, Histona de Tortosa, VI, 1954, pp.370 et 589.
(24) C. de MERGELINA, Bobastro, Memona de las excavaciones reahzadas en las Mesas de Villaverde. El
Chorro (Malaga), Madrid, 1927; on trouvera une description de l'église rupesjre, qui est le
monument le plus remarquable de ce site, dans Jacques FONTAINE, L'art préroman hispanique, II : l'art
mozarabe, Zodiaque, 1977, pp.73-74.
(25) Joaquin VALLVE, «De nuevo sobre Bobastro», Al-Andalus, XXX, 1965, pp.139-174.
(26) Manuel RIU, «Poblados mozarabes de al-Andalus : hipotesis para su estudio. El ejemplo de Busquis-
tar», Cuadernos de Estudios Médiévales, II-IÏÏ, 1974-1975, pp.3-35. Visions plus critiques sur le
caractère «mozarabe» de ces sites dans Patrice CRESSIER, «l'Alpujarra médiévale : une approche
archéologique», Mélanges de la Casa de Velasquez, XIX, 1, 1983, p.97.
(27) AL-HIMYARI, Rawd al-mitàr, éd. Lévi-Provençal, Leyde, 1938, notice n°166 (p.212 de la traduction).
805-813,'
(28) Révoltes en 817, 828-834 : LEVI-PROVENÇAL, Histoire de l'Espagne musulmane, I (1950),
pp.159 et 208-209.
(29) IbuL, p.228; on sait que la ville, l'une des plus considérables de l'Espagne romaine, conserve une grande
importance à l'époque wisigothique comme métropole religieuse de la Lusitanie, l'une des cinq
provinces de l'Eglise hispanique entre les Ve et VIIIe siècles.
(30) IbuL, p.209; la alcazaba de Mérida est l'un des monuments célèbres de l'architecture militaire omeyyade.
On en conserve l'inscription de fondation.
(31) Ibid., p.296.
(32) IbuL, pp.293-298 et 386.
(33) Au contraire de Badajoz, Mérida n'apparaît que très peu dans les dictionnaires biographiques de savants,
indice relativement sûr de son effacement après le IXe siècle (voir la carte de la répartition des savants
antérieurs au XIe siècle dans mes Structures, p.387, et Dominique URVOY, Le monde des ulémas
andalous du V/XI'au VII/XIII' siècle, Genève, 1978, pp.67 et 147-148). Sur les Berbères Banû Tagît,
qui contrôlent la ville à la fin du IXe siècle, voir LEVI-PROVENÇAL, Histoire de l'Espagne
musulmane, I, p.386, et le texte du volume V du Muqtabis, trad. Corriente-Viguera, pp.102 et 182-184,
ainsi que mes Structures, p. 198.
(34) Dans quelques pages de ses Mvnorias isldmicas en elpais valenaano : histona y dialecto, Valence, 1984,
pp.125-133.
(35) Mikel de EPALZA et E. A. LLOBREGAT, «Hubo mozarabes en tierras valencianas ? Proceso de isla-
mizacion del Levante de la peninsula (Sharq al-Andalus)», Revista del Instituto de estudios Ahcanti-
nos, 36 (2a época), mayo-agosto 1982, pp.7-32.
(36) Miquel BARCELO, «La qûestio dels documents d'un suposat acord entre AlF b. Mujihid de Dïniya
i el bisbe Guislabert de Barcelona», Rev. Inst. Est. Altc., 39, 1983, pp.7-29, republ. dans : M.
BARCELO, Sobre Mayurqa, Palma de Majorque, 1984, pp. 13-25.
(37) LEVI-PROVENÇAL, «La toma de Valencia por el Cid», Al-Andalus, XSL, 1948, p.27.
(38) Richard W. BULLIET, Conversion to Islam m the Medieval Period : An Essay m Quantitative History,
Harvard University Press, Cambridge (Mass.) et Londres, 1979. Le chapitre sur l'Espagne
correspond aux pages 114-127. On peut reprocher à l'ouvrage qui, pour des raisons de coût d'édition sans
doute, contient peu de notes, de ne pas justifier suffisamment le tri du matériel onomastique utilisé.
Pour al-Andalus en particulier, quels sont les noms retenus comme «indigènes» ? Les problèmes relatifs
à l'onomastique andalouse mériteraient une étude particulière, et n'ont fait encore l'objet que d'un
petit nombre de travaux (voir par exemple : Manuela MARIN, «Onomâstica arabe en al-Andalus :
ism calam y kunya», Al-Qantara, IV, 1-2, 1983). On a examiné plus haut le cas de l'anthroponyme
Basil, pris pour un nom «mozarabe» par Isidro de las Cagigas alors qu'il s'agit sans doute d'un nom
oriental, d'origine gréco-byzantine. J'ai tenté d'étudier dans d'autres travaux des noms comme Fargal-
Jts, Caiîl et dans un article sous presse, Maymûn. Des noms comme Lubb et Mantïl, que l'on
considère souvent comme indigènes, apparaissent très tôt dans des lignées que les sources qualifient de
berbères. Certains d'entre eux, comme Lubb, se maintiennent assez longtemps dans l'onomastique
courante, alors que pour Bulliet l'islamisation aurait dû les faire disparaître dès la première généra-
Les Mozarabes entre histoire et mythe 27

tion de convertis. On sait l'incertitude dans laquelle un nom comme Mardams a jeté les érudits
espagnols.
(39) J'ai développé davantage ce point dans une contribution à un volume de l'Histoire des Espagnols,
rée sous la direction de Bartolomé BENNASSAR, chapitre portant sur les premiers siècles
musulmans en Espagne. Voir IBN HAYYAN, Al-Muqtabas V, éd. P. Chalmeta et al., Madrid, 1979, et
la trad. Ma J. VIGUERA-F. CORRIENTE, Cronica del cahfa eAbd al-Rabman III, Saragosse, 1981
(par exemple les pp.58-62 de la trad., où sont relatées des opérations militaires contre des husun
(châteaux, localités fortifiées), des Alpujarras, en particulier Juviles, au cours de l'année 300/913).
(40) IBN HAYYAN, Al-Muqtabas V, p.322 (trad, p.242).
(41) R. Garcia VILLOSDADA, H, 1°, «La iglesia en la Espana de los siglos VHI-XIV», Madrid, 1982.

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