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Les apports techniques novateurs dans la conduite de cette cure d’enfant et dans
l’interprétation sont nombreux.
Interprétation avec et par le jeu.
Le plaisir manifeste que prend Winnicott à jouer avec la petite fille contribue à rendre la
thérapie très vivante et attractive pour le lecteur. Winnicott souligne (C13) qu’il n’est pas possible
qu’un enfant de l’âge de Gabrielle saisisse la signification d’un jeu si tout d’abord le jeu n’est pas
joué avec plaisir. Par principe, l’analyste permet toujours au plaisir de s’instaurer avant que le
contenu du jeu ne soit utilisé pour l’interprétation.
Le jeu partagé entre l’enfant et l’analyste permet donc d’explorer avec plaisir des expériences
traumatiques non intégrées dans la subjectivité, et c’est le jeu qui va permettre une appropriation
subjective de ces expériences. Le jeu sert à apprivoiser les situations vécues comme angoissantes
ou énigmatiques, en leur faisant subir une suite de transformations dont l’objectif central consiste à
les symboliser ; dans le cadre de la séance, c’est un partage de plaisir entre l’enfant et l’analyste qui
facilite leur intégration dans la subjectivité.
Winnicott note que le jeu est d’abord une communication c’est-à-dire l’expérience d’être compris, avant
de devenir un plaisir (C3). Puis le champ d’expérience du jeu se développe pour Piggle avec les
identifications croisées : « Du temps de sa mise en scène compulsive, il y avait une série d’actes où
elle devenait la mère, le père, le bébé etc. de sorte qu’il n’était pas question de s’amuser en jouant.
Désormais le plaisir était entré dans le jeu. » (C4). L’évolution du jeu de la communication au plaisir est
fondamentale et permet « la libération du fantasme » avec une possible exploration des idées
mauvaises, noires et destructrices.
Interprétation centrée sur des problématiques archaïques plutôt que sur l’Oedipe
La différence de technique avec les modalités d’interprétation classiques centrées sur la
problématique oedipienne apparaît de façon centrale : Winnicott insiste notamment sur le processus
de différenciation entre moi et non moi, corrélative de l’instauration d’un écart entre le fantasme et
la réalité. Ce qui caractérise l’évolution du travail thérapeutique est d’abord la mise en place de
l’instauration des identités, corrélative de cette différenciation entre moi et non moi. Se séparer de
Winnicott dans le transfert permet à la petite fille de naître à elle-même, en d’autres termes lui
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C 11 = consultation 11.
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permet un processus d’appropriation subjective. L’ouvrage « la petite Piggle » met en évidence le
travail de l’archaïque, centré sur cette différenciation entre moi et non moi et sur l’intégration d’un
self unitaire, préalables à des niveaux d’interprétation oedipiens Les interprétations dans le registre
archaïque et dans le registre oedipien peuvent coexister (par exemple dans la C3), mais surtout dans
dernières séances (notamment à partir de C10) où apparaît une centration de plus en plus
importante au fil des séances sur les interprétations oedipiennes. Le registre interprétatif apparaît
donc très différent de celui de Mélanie Klein ; toutefois, certaines interprétations, par exemple dans
les consultations 11 et 12, paraissent proches du style interprétatif de M. Klein, d’ailleurs citée en
C11.
L’intégration de la haine et l’accès à l’ambivalence
La petite Piggle ne parvient pas à intégrer sa haine pour sa mère et sa petite soeur, la projection
de la haine se focalise sur la mère noire qui la persécute en retour. Le travail de Winnicott consiste
à exprimer lui-même l’agressivité que Piggle ne peut pas exprimer, par exemple avec les poupées,
les bébés, il va accompagner et même provoquer chez la petite fille l’expression de cette haine qui
va se focaliser sur la mère puis, dans le transfert, sur l’analyste lui-même.
Dans la consultation 9, l’analyse permet à la petite fille d’accéder « à un nouveau stade, vers la
réalisation de l’ambivalence », sans être accablée par la culpabilité. Gabrielle dit : « Qui a tiré sur
maman ? Teddy (son ours) avait un fusil et il est cassé ; la maman noire est ma mauvaise maman.
J’aimais la maman noire ». Winnicott précise que c’est un rêve rapporté sous la forme d’un jeu.
Autrement dit, la petite fille n’est plus persécutée, elle peut rêver de la haine, en jouer et accéder à
l’ambivalence. Dans les séances suivantes, elle pourra jouer à tuer Winnicott.
Survivre à la destructivité
On constate, même si cela n’est pas dit explicitement, que la mise en place de la réalité pour
la petite Piggle coïncide avec la résistance de Winnicott à la destructivité de l’enfant : la petite
Piggle peut différencier son fantasme destructeur de la réalité de Winnicott qui reste vivant, joueur
et bienveillant. La séparation devient possible avec la survivance de l’objet.
A la consultation 15, où Gabrielle joue à tuer Winnicott, à le maltraiter sous forme de figurine, à lui dire
qu’elle le jette et que tout le monde le déteste, Winnicott souligne que la haine peut ainsi être ressentie
et mise en pratique en toute sécurité car elle ne détruirait pas la bonne expérience vécue au sein de
l’analyse.
Cet ouvrage apparaît d’une richesse inépuisable, tant pour une pratique inventive d’analyse
d’enfants que pour le renouvellement des paradigmes de la psychopathologie et de la
métapsychologie. C’est aussi un livre particulièrement émouvant par l’engagement personnel de
Winnicott dans cette cure d’enfants, et par cette rencontre entre une petite fille à l’aube de la vie et
un analyste très expérimenté qui réinvente la théorie grâce à leur créativité partagée en séance mais
qui en même temps s’achemine vers la fin de sa vie : Winnicott ajoute cette notation personnelle,
lorsqu’il joue à la naissance avec la petite fille (C14) : « Associé à cela, il y a la tristesse de devenir
de plus en plus grand et de plus en plus vieux, et de trouver de plus en plus difficile de jouer ce jeu
d’être à l’intérieur de la mère et de naître. »