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12 | le monde festival 0123

JEUDI 14 SEPTEMBRE 2017

Article paru dans Le Monde daté L’écrivain

du 24 septembre 2017. Marc Dugain,


en septembre.
JOËL SAGET/AFP

Lancelot Hamelin, 
l’attrape­rêves
Le romancier, collecteur
de songes, expérimente la vie
onirique en collectivité

rome ­ correspondant

C’
était un jeudi soir d’été romain,
écrasé de chaleur et de lumière, à la
fin juillet. Dans un recoin des jardins
de la Villa Médicis, des chaises
avaient été placées en cercle, et quelques dizaines
de personnes s’étaient assises pour écouter en
silence, durant plus d’une heure, des bribes de
souvenirs, psalmodiés au micro. Lancelot Hame­
lin, pensionnaire de la Villa, dirigeait cet étrange
rituel, scandant d’une voix presque hypnotique
les étapes de la soirée, baptisée « Nuit du rêve ».
De quoi s’agissait­il ? Concrètement, une ving­
taine de personnes, dont la plupart ne se
connaissaient pas, avaient accepté de participer à
une expérience : raconter un peu (ou beaucoup)
d’eux, puis essayer de rester ensemble, une nuit
durant, et de dormir, afin de voir au réveil com­
ment leurs rêves avaient interagi, le tout sous le
double patronage d’un écrivain et homme de
théâtre, Lancelot Hamelin, et de la neuroscienti­
fique Perrine Ruby. La rencontre, au départ
publique, s’est poursuivie par un dîner, avant
que chacun des volontaires s’endorme.
Le cadre grandiose de l’expérience avait quel­
que chose d’inédit, mais le concepteur de cette
soirée, Lancelot Hamelin, par ailleurs romancier
(dernier ouvrage, La Crête et les Vagues, Galli­
mard, « L’Arpenteur », 2016), n’en était pas à son

Marc Dugain
coup d’essai. « J’ai commencé à travailler sur le
rêve de façon un peu inattendue, en 2012, alors
que j’étais parti à Miami, avec ma compagne pho­
tographe, rencontrer les volontaires travaillant

ne s’en laisse pas conter
pour la campagne de Barack Obama. En Floride,
la situation était très tendue, et les entretiens
étaient très riches, si bien que nous avons décidé
de poursuivre dans un Etat voisin où il n’y avait
aucun suspense, la Louisiane. Et c’est là que j’ai
commencé à demander aux personnes que je ren­
contrais à quoi elles rêvaient. J’en ai tiré un article,
publié par Les Inrockuptibles, mais, pour le reste,
je ne savais pas trop quoi faire de ce matériau… » Dans « Ils vont tuer Robert Kennedy », le romancier bouscule
les thèses officielles sur l’assassinat des Kennedy. Dans le cadre
Travail sur les villes
Après plusieurs années de sommeil, le projet du Monde Festival, lors d’une rencontre sur la responsabilité
prend une autre tournure alors que Lancelot
Hamelin est accueilli comme pensionnaire à
de l’écrivain, il aborde son rapport complexe à la vérité
Nanterre, au Théâtre des Amandiers. L’écrivain

P
commence à arpenter les rues de la ville pour
recueillir les rêves des habitants. Et, en 2016, il
rencontre le comédien et metteur en scène our évoquer la considérable pas cessé d’amasser des informations me per­ sur un doute. En dépit de tous les éléments de
Duncan Evennou. Et l’entreprise change de documentation qu’il a accumu­ mettant une mise à jour permanente sur les preuves accumulés s’agissant de l’assassinat
dimension. « Jusque­là je travaillais en solitaire, je lée sur les frères Kennedy, Marc assassinats de John et Robert Kennedy. La de John Kennedy, je persiste à penser qu’il ne
prenais des notes et, inconsciemment, je mettais Dugain parle d’un évier bouché thèse du complot nous ramène à la politique peut pas avoir été tué par un tueur solitaire.
déjà ce que je recueillais “en forme”, au risque de qui se remplirait tranquillement américaine contemporaine et à son rapport Lee Harvey Oswald ne savait pas tirer, son fusil
perdre un peu de spontanéité, confie Lancelot depuis plusieurs décennies. Le au mensonge. Quand on nous explique que était le pire au monde et il se l’était fait livrer
Hamelin. Avec Duncan, nous avons commencé à remplissage avait commencé avec son qua­ l’on va en Irak pour y déterrer des armes de par la poste. Pourquoi, cinquante ans après les
enregistrer les témoignages, à solliciter une équipe trième roman, La Malédiction d’Edgar (Galli­ destruction massive alors qu’il s’agit en réalité faits, continue­t­on de défendre la thèse du
élargie. » La phase finale de l’entreprise sera un mard, 2005). Il se poursuit aujourd’hui avec de mettre les chiites au pouvoir, ce n’est pas tueur solitaire ? Cela en dit long sur le poids de
travail systématique de collecte de rêves, un son nouvel opus, Ils vont tuer Robert Kennedy exactement la même chose. On retrouve tou­ cette histoire sur celle des Etats­Unis. »
dimanche par mois à Nanterre, de janvier à (Gallimard, 399 pages, 22,50 euros). jours, nichés au cœur de l’administration amé­ En lisant et en écoutant Marc Dugain, il
mai 2017, en lien avec l’élection présidentielle. Le La Malédiction d’Edgar se présentait ricaine, des conservateurs racistes. Le slogan semble impossible de ne pas se poser la ques­
matériau récolté doit donner lieu à un ouvrage comme un livre de souvenirs attribués à “Make America Great Again” sous­entend de tion de la responsabilité de l’écrivain. Com­
collectif, qui devrait s’appeler The Light House. Clyde Tolson, le numéro deux du FBI et refaire une Amérique qui soit blanche. Si ment peut­on écrire un tel ouvrage,
En parallèle, Lancelot Hamelin a également amant de John Edgar Hoover, qui avait dirigé, les Etats­Unis ne demeuraient pas même s’il s’agit d’une fiction, alors
poursuivi à Rome un projet personnel auprès de 1924 à 1972, le principal service de rensei­ la première puissance mon­ même que les thèses para­
des enfants du quartier populaire de Tor gnement intérieur des Etats­Unis. Dans ce diale, je n’aurais au fond noïaques sur l’assassinat
Sapienza. « Ce travail sur le rêve est aussi un tra­ livre, le romancier prenait clairement le parti rien à faire de ce recours « JE NE SUIS PAS  des Kennedy ne cessent
vail sur les villes, et ça me plaisait de boucler la de la théorie du complot dans l’assassinat de permanent au mensonge. DANS UN DEVOIR  de prendre de l’ampleur
boucle de ce travail ici », confie­t­il. Jusqu’à déve­ John F. Kennedy. Le président américain était Mais c’est d’autant plus dans les sphères complo­
lopper, donc, l’idée d’une Nuit du rêve, reprenant à la fois victime de ses propres turpitudes, grave qu’on nous explique DE VÉRITÉ, MAIS DANS  tistes, particulièrement
une expérience déjà tentée par le passé à Nan­ des péchés de son père, Joseph Kennedy, et de en permanence que nous depuis le 11 septem­
terre, toujours avec le concours de Perrine Ruby. ses liens étroits avec la Mafia. Cette dernière, sommes alliés avec les LE DEVOIR D’UNE  bre 2001 ? « Dans toute
Pour quel résultat ? Au petit matin, pas grand­ la CIA et l’armée américaine avaient toutes, Américains, alors que ces
chose. « Nous nous en doutions. On ne peut pas or­ selon le romancier, intérêt à voir disparaître derniers nous regardent
RESTITUTION DE RÉALITÉ,  enquête, il y a ceux qui la
mènent et les cinglés qui
donner à son cerveau de rêver. Mais, dans les jours ce leader progressiste et moderne. comme leurs vassaux. » ET D’UN DOUTE » s’y raccrochent, répond
qui suivent, plusieurs rêves ont émergé, des liens se A la fiction d’un John Dugain. Mon livre est d’abord
sont tissés. Malika a rêvé de Sophie, Sophie elle­ Ambiguïté permanente et d’un Robert Kennedy assassi­ un roman, et je connais trop bien
même a beaucoup rêvé des autres participants. Dans son nouveau roman, Marc Dugain nés par un tueur solitaire, Marc Dugain les thèses complotistes pour ne pas tom­
Quant à Diana, qui cherchait la trace de son père poursuit son travail d’investigation et de oppose dans Ils vont tuer Robert Kennedy ber dedans. Je fais un travail d’investigation
inconnu, elle a repris ses recherches, jusqu’à ap­ remise en perspective des années 1960. Désor­ une autre fiction, celle d’un professeur d’his­ dont je me sers ensuite pour écrire une histoire
prendre qu’il était mort quelques semaines plus mais, c’est l’assassinat du frère cadet de John F. toire contemporaine de l’université de très romanesque. »
tôt… » Entre les protagonistes de l’expérience, les Kennedy qui est examiné à la loupe. Pour pro­ Colombie­Britannique, double assumé de Reste donc au romancier à ne pas manipuler
échanges se poursuivent : un mois et demi plus poser une conclusion comparable : Lee Harvey l’auteur, répondant au nom de Mark O’Du­ son lecteur en l’emmenant sur des chemins
tard, la Nuit du rêve n’est toujours pas terminée. Oswald n’est pas davantage l’homme qui a tué gain, convaincu que les suicides de ses improbables. Et en lui rappelant qu’aussi
Et une pierre va être ajoutée à cet édifice durant le John Kennedy, le 22 novembre 1963 à Dallas, parents, en 1967 et en 1968, sont liés aux dis­ fortes soient­elles ses convictions s’expri­
Monde Festival : la présence de Lancelot Hamelin que Sirhan Sirhan n’est celui qui, cinq ans plus paritions violentes des deux frères Kennedy. ment à travers une fiction et rien d’autre. 
(et de Perrine Ruby notamment) sur un thème tard, le 6 juin 1968 à l’Hôtel Biltmore, à Los Ambiguïté permanente garantie. Quelle est samuel blumenfeld
tout trouvé : « Dites­moi ce dont vous rêvez »…  Angeles, élimina son frère, Robert, qui venait la part de paranoïa et celle d’un travail rigou­
jérôme gautheret de remporter les primaires démocrates et reux chez le personnage principal d’Ils vont Conversation avec Marc Dugain :
s’apprêtait à devenir président des Etats­Unis. tuer Robert Kennedy ? « Je ne suis pas dans un la responsabilité de l’écrivain, animée
Dites­moi ce dont vous rêvez, dimanche « Pendant des années, explique l’auteur, devoir de vérité, assure Marc Dugain, mais par Samuel Blumenfeld, samedi
24 septembre, de 11 h 30 à 13 heures, à l’Opéra grâce à diverses sources dans le milieu du ren­ dans le devoir d’une restitution de réalité, et 23 septembre, de 14 heures à 15 heures,
Bastille (studio). seignement ou auprès d’universitaires, je n’ai d’un doute. D’ailleurs, mon roman se termine au Théâtre des Bouffes du Nord.
Presse écrite FRA
Famille du média : Médias professionnels Edition : Mai 2022 P.119
Périodicité : Mensuelle Journalistes : Sean Rose
Audience : N.C. Nombre de mots : 574
Sujet du média : Culture/Arts
littérature et culture générale

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Avant-critiques / Littérature frangaise

unique, au-delà de la passion. Pas de


sexe, là est la force de cette « romance à
trois ». Au début seulement... Entre Max
et Audrey rien n’ est plus innocent .Phi
lippe non plus ne regarde plusAudrey
pareil. Max qui organisait un traflc de
shit àl’école embarque les deux autres,
sinon dans ses frasques, dans une
vision de la vie bien plus grande que
les existences étriquées auxquelles ce
morne quotidien atavique les destine.
À la surprise de tous, Max s’engage

dans l’armée. Un jour de permission,


il est fauché par une voiture, il a 20 ans.
Le narrateur et Audrey, inconsolables,
s ’ aiment mal à l’ombre du défunt. L’un
des acteurs du trio une fois disparu, ça
ne fonctionne plus, chacun sa vie...
Au mitan de la sienne, Philippe, devenu
professeur, divorce d’avec sa femme
dont ilaeu deux filles. LuietAudrey, de
retour des États - Unis où elle s ’ était ins

tallée depuis des années, redeviennent


brièvement amants. Audrey repart.
Égaré dans un no man’s land profes

sionnel et affectif, Philippe décide de


rejoindre Audrey en Floride afin de
Passister dans ses activités de militante
démocrate dont l’enjeu est de déloger
Donald Trunrp de la Maison Blanche.
Pourquoi le narrateur a-t-il traversé

ROMANCEÀTROIS Pocéan
Max demeure
? Pour Audrey
l’angle mort
? Le
de leur
décès de
rela
tion. Ce poète maudit des années lycée
est un spectre toujours vivant. Même
pas un spectre... Audrey révèle à Phi
Du lycée au mitan de la vie, Lancelot Hamelin dessine un trio amoureux dont lippe que Max est en vie, en Amérique,
l'un des acteurs disparaît, laissant les deux autres orphelins de leur jeunesse. et qu’il s’était fait passer pour mort. Et
le livre de se muer en longue adresse au
revenant, une vibrante interrogation
sur le mystère d’un homme qui déserta
ROMAN_FRANCE_28 AVRIL des frères ennemis, une fille aimée l’idéal de leur jeunesse, à Pinstar de
Numero deus impare gaudet... Les dieux par les deux mêmes, il y avait ces liens Rimbaud qui, dans la fleur de l’âge,
aiment l’impair, croit-on dans P Anti compliqués entre l’aîné et le cadet, tourna le dos à la poésie. Sean Rose
quité, et c ’ est particulièrement le trois des antagonismes personnels et poli
qu’ affectionne le divin, car divine est la tiques exacerbés par la guerre d’Algé
triadequirégitlemonde. Surlaterre, la rie qui avaient séparé cette fratrie de LANCELOT HAMELIN
mer, les enfers règnent respectivement pieds-noirs. Dans sa nouvelle fiction, J’ai heurté, savez-vous,
Jupiter, Neptune et Pluton ; les Grâces J’ai heurté, savez-vous d’incroyables d'incroyables Florides
aussi sont au nombre de trois. Le chiffre Florides, le romancier et dramaturge
trois ne messied pas non plus aux sen né en 1972 décline à nouveau le motif GALLIMARD Lancelot Hamelin

II
J’AI HEURTÉ,
timents. Le couple s’annihile dans la du trio. Philippe, le narrateur, Max SAVEZ-VOUS,
TIRAGE: 3 000EX. D’INCROYABLES
fusion. Dans le triangle, le désir circule. et Audrey se sont connus au lycée. Au PRIX: 22,50€ ; 392 P. FLORIDES

À Lancelot Hamelin ne déplaît pas cette début, les deux garçons sont encore EAN: 9782072985096
SORTIE: 28AVRIL 2022
figure. dans les jeux d’une enfance qui se pro
Dans son premier roman, Le couvre longe. Débarque alors la jeune fille qui
feu d’octobre (Gallimard « L’arpen va dessiller leurs yeux sur les choses
teur », 2012), on avait déjà affaire à de l’amour. Au début, entre eux, c’est 9 M782072"98 5096l

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