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PERIODICITE :Hebdomadaire
31 janvier 2019 - N°2830

Cahier numéro un de l’édition n° 2830 du 31 janvier au 6 février 2019

L’INTERVIEW
VENEZUELA
AFR.
CFA
VÉRITÉ
DU
3800
RIVAL
DE
FCFA,
MADURO
ALG.
410
DA,
ALL. €,AND.
5,90 €,AUT.
5,50 €,BELG.
5,90 5,30€,CAN.
8,35
$CAN,
DOM €,ESP.
5,30 €,GB4,90
5,50 £,GRÈCE€,ITA.
5,50 €,LUX.
5,50 €,LIB.
5,50 9500
LBP,
MAR.
45DH, €,PORT.
PAYS-BAS
5,60 CONT. €,SUI.
5,50 7,20CHF,
TOM950XPF,
P.42
TUNISIE
6,00
DT

LAURENT
BERGER
POURQU
MACRON
DOIT
L’ÉCOUTE Portraittotal
duleaderdelaCFDT

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31 janvier 2019 - N°2830

L’HO QUE
MACRON
DOIT
ÉCOUTER
En pleinecrise des
“gilets jaunes”, la voix
de Laurent Berger
résonnecomme
la plus constante.
Pourquoi lechef
de l’Etat dédaigne-t-il
leleader de la CFDT  ?
Portrait d’un modéré
qui porte lesvaleurs
de la gauchesociale-
démocrate
Par SOPHIE
et BAPTISTE
Photos ÉRIC
FAY
LEGRAND
GARAULT

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SES
DATES
1968 Naissance à
Guérande,enLoire-
Atlantique.
Sonpèreest
soudeur surleschantiers
navalsdeSaint-Nazaire.
1991 Adhère àlaCFDT.
1995 Salariéd’une
associationd’insertion
parl’emploi.
1996 Permanent del’union
localedeSaint-Nazaire.
2003Secrétaire général
del’unionPays delaLoire.
2012 Succède àFrançois
Chérèque àlatête
delaCFDT.
2018 Réélulorsdu
congrès deRennes.

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’estl’histoired’un homme toujours en Syndicats).Chérèqueàl’est–en Meurthe-et-Moselle–et Berger


contrôle.Trèssérieuxetplutôtavarede àl’ouest–Saint-Nazaire–sonttous deuxissusdefamillescatho-
confidences.Quand Laurent Berger, liquesengagées àlaCFDT.Le pèredeLaurent,soudeurauxChan-
50 ans,semet ànousracontertout à tiersde l’Atlantique,aujourd’huiretraité,esttoujoursmilitant. Sa
tracqu’il était leplus fragilede la fra- mèreaussi.Devenupion,puis conseilleren insertion,lefiston a
trie,l’enfantqui parlait lemoins,celui marchédansleurspas.A l’époquedesarencontreavecChérèque,
quesamère,auxiliairedepuériculture, laCFDTavaitsoutenularéformedesretraitesdu gouvernement
adû couverun peuplusquelesautres, Raffarin,au grand dam de son aile gauche,très remontée.Le
on tendl’oreille. Nazairien,jeunesecrétairegénéraldel’Union régionaledesPays
A l’écouter,il doit tout – y compris de la Loire, n’était pasde ceux-là.Il mouillait sachemisepour
samaîtrised’histoire – à la bienveil- défendrelapositiondela maison.Chérèquel’a fait venir àParis.
lance et au soutien d’une famille
ouvrière soudée,très vite relayéepar LE SYNDICATET LESINTELLOS
sescopainsde la JOC – la Jeunesse Depuis, Laurent Berger note tout sur des carnets noirs en
ouvrière chrétienne– qui lui ont fait moleskine.« J’enai toujoursun avecmoi,mêmeenvacances. Un »
passersatimiditéet donnélepiedmili- jour,ils serontversésauxarchivesdelacentrale,installéedansun
tant. Il esttout lecontraire du fort en immeublefroid desannées1980,au cœur du quartier chinoisde
thèmeà qui tout réussitsanseffort et Belleville,danslenordde Paris.Il aprisgoûtàlalecturesur letard,
quelesprofsn’oublientjamais(suivez pousséparChérèqueencore,fidèle àlatradition intellectuellede
son regard…).Il estce petit garsqui laCFDT d’Edmond Maire.Le syndicatatoujours entretenule
s’est construit, année après année, compagnonnage aveclesintellos.PierreRosanvallon,bien sûr,le
porté par « lecollectif »et tiré par un théoriciendel’autogestion,deladeuxièmegaucheet deladémo-
mentor à la carrure de rugbyman, cratieau xxi e siècle.Ou l’ami sociologueMichel Wieviorka.Ou
François Chérèque,auquel il a suc- encoreThierry Pech,unprochedeChérèque, quidirigeaujourd’hui
cédé à la tête de la CFDT en 2012. leclubderéflexionTerraNova…Maisne comptezpassurBerger
Laurent Berger en a fait le premier pour lenamedropping i:l estplutôt du genreàbutersur lepatro-
syndicatdeFrance.Il n’aqu’unregret : nymedesstarsdelibrairie.Lesjeunesintellosde laCFDTlui orga-
ne pasavoirpu partagersafierté avec nisentdesdînersinformelsChezElmer ouauTintilou, desrestos
son guide,qui a été terrassépar une sansprétentiondel’Estparisien.AvecEric Fottorino,lejournaliste
leucémieen janvier 2017. fondateurdu « 1 –»hebdoauquelBergerestabonné–et JuliaCagé,
Sa manière de parler, pondérée,le spécialistedel’économiedelapresse,pour parlerdesmédias.Ou
démarquedesgrandesgueulesdu syndi- bienpour discuterdeladémocratieàl’heuredeFacebook,avecle
calismeet l’a longtemps empêchéde se sociologueDominiqueCardon,lepetit géniedesalgorithmesPaul
faire connaîtredu grandpublic. Aujourd’hui, Duan,et lesreprésentantsd’EmmaüsConnect… « Laurentincarne
alorsque le paysest retourné par le mouvement des« gilets pourmoi lemeilleurdela traditiondu mouvementouvrier :il està
jaunes »,c’estl’inversequi seproduit. Savoix résonnecommela l’opposédel’anti-intellectualismequel’onrencontredansd’autres
plusconstante,sincèreet raisonnable.La revanchedu modéré. mouvances témoigne », Michel Wieviorkaqui pourrien aumonde
« Çameremontelemoraldelire ou d’écoutersesinterviews,s’ex- n’auraitmanquélederniercongrèsde laCFDT,enjuin àRennes,
clameuneanciennedirigeantede laCFDT.Jeme dis :enfinune oùBergeraétéréélutriomphalement.
parolesensée! La » seule–ou presque– audibleàgauche.
C’esten 2003 queFrançoisChérèquel’arepéré.« Vousaurez “TROIS BOMBESÀ RETARDEMENT”
remarquéquenousavonstouslesdeuxdesproblèmesd’élocution », Extérieurement,il esttout aussisage c: hemiseblancheimpec-
sourit Laurent Berger,qui assumeune diction un peu pâteuse, cable,costumegris, presquejamaisde cravate.« Vousn’allezpas
malgrélesséancesdemédiatraining et lesconseilsamicauxdu encoreme décrirecommeun meclisse,hyper sérieux! »,s’anime-
journalisteClaudeSérillon.Le t-il. Il sort sontéléphonepour
courantesttout de suitepassé donner lenuméro deportable
entre l’ex-deuxième ligne de de deux de ses copains, des
rugby,costaudet barbu, et le militants qui pourront « vous
joueur de foot, supporter du offrir uneautreimage ».A ses
FCNantes,pluspetit etdéjàun risqueset périls…En rigolant,
peudégarni.Ils ont beaucoup ceux-ci racontent effective-
en commun. Chérèque le ment un potache,amateurde
dyslexique se bat avec les bièresetdefarcesun peunazes
phrases.Berger le réservén’a (exemple :verserun peud’eau
jamaisaiméfairesesdevoirset sur leschaisesenplastiquequi
procrastineencoreaujourd’hui meublenttouteslessallessyn-
avantun test d’anglais(il sera dicales…).Mais il n’est plus
bientôt présidentde la Confé- Avec François Chérèqueaprès uneréunion tout à fait cejoyeux drille des
dération européenne des à l’hôtel Matignon, en novembre 2012. Paysde laLoire. Pasforcément

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Quand,pour lui faire plaisir, Laurent Berger a


voulu prendredesplacesàl’Odéon,letempledes
intellos parisiens,il s’estretrouvéavecdesbillets
pour l’Odéon…de Lyon.Il n’estpas encoreprêt
pour intégrer l’establishment et il s’en moque
bien.Retournera-t-il à Nantesle jour où il quit-
terala CFDT?Le sujet desasuccessionn’estpas
sur la table, balaie-t-il d’un geste sec,sourcils
froncés.Et puis, du moment qu’il peut aller se
ressourcerde tempsentempsàl’île deSein,il se
sent bien àParis.
Surtout,il sesentutile.Quid’autre,encestemps
agités,fait vivre lesidéesprogressistes,porte la
voix du compromis social,du vivre-ensemble?
Unetonalitéqu’onn’entendplusbeaucoup,même
à gauche.« C’estla seulevoix authentiquement
sociale-démocrate», juge Michel Sapin. « Un
repèremoral »pour Thierry Pech.Depuis long-
temps,Bergerestinquietpour sonpays.Dèssep-
tembre,il prévenait :« Il y atrois bombesà retar-
dementenFrance l:abombeécologique, la bombe
desinégalités, cellesdontparlentles“giletsjaunes”,
maisaussilesdiscriminationsàl’emploidesjeunes
desquartiers,et enfin,conséquence desdeuxpre-
mières,la fatiguedémocratique. » Il y a quelques
mois,enentendantmonterleressentimentcontre
le gouvernement dansles rangsde la CFDT, il
disaitaussi «: Sionnouspiétine,sion nenousécoute
pas,il nefaudrapasvenirnouschercherquandça
vapéter. »Prémonitoire.

623 000ADHÉRENTS
« CommeFrançoisChérèque,il rencontrechaque
semainedeséquipeslocalesde la CFDT »,rap-
porte Véronique Descacq, son ancienne
numéro 2. Ce matinal enchaîne les visites à la
CAF de Nice,àl’hôpital deNevers,chez Frama-
tome enSaône-et-Loire,dansuneécoleprivée à
Tourcoing,dansun Ehpaddu Maine-et-Loire, à
la SNCFà Saint-Denis,chez Amundi, filiale du
Crédit agricole à Paris…« Il prendle temps de
comprendrele modèleéconomiquedu secteuret
del’entreprise.Il sentlepoulséconomiqueetsocial
du payscommepersonne », poursuit-elle. « Pour
moi, c’estunerespiration,expliqueBerger,qui ne
veut passelaisserenfermer danssonbureau du
Laurent Berger à Paris, le21 janvier. 3e étage,au milieu destikis de Polynésieou des
totemsdeNouvelle-Calédonie,souvenirslégués
par François Chérèque. On essaied’avoir un
embourgeoisé,maisun peu« parisiannisé ».Surtout depuisson regardlucidesur la société. »« On » ?Il évite toujours le « je »,
coupdefoudre pour Mireille Le Corre,laconseillèresocialedu commeun restede timidité.
Premier ministre Jean-Marc Ayrault, une énarque,maître des Cecontactavecle terrain et avecles623000 adhérentsde la
requêtesau Conseil d’Etat, crème de la crème de la fonction CFDT (bien plus nombreux que les « gilets jaunes » ou les
publique.Ils sesont mariéset forment unefamille recomposée membresdu Partisocialiste!),c’estsansdoutecequi lui apermis
desix enfants(dont leur bébé de 6mois). « Mireille estcomme d’être si percutant dansl’analysede la crise. Dès novembre,il
lui, ellevient d’un milieu populaire,desPaysdela Loire, elleest trouvelebonéquilibreentreempathieaveclesFrançaisen colère
simple et pas du tout mondaine »,note une de leurs connais- et vigilancesur lesrisquesdedérivesfactieuses.« Jenesupporte
sances.Ensemble, ils aiment aller voir les pièces de théâtre pasqu’onimposeàquelqu’und’exhiberun giletjaunepour passer
d’Alexis Michalik (« Edmond », « le Porteur d’histoire »…). un rond-point.C’estcontraireà ma conceptiondela liberté »,

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Le 10décembre, le syndicaliste rencontrait leprésident de la République avec des représentants politiques et les partenaires sociaux.

ronchonne-t-il. AlaCFDT, tranche-t-il, lesvaleursdémocra- vernement, Berger se fait entendre par d’autres
tiques ne senégocient pas.La violencen’estpasacceptable.Peu canaux.Le groupeLREM àl’Assemblée nationalel’areçuenguest-
amèneaveclegouvernement,il segardedoncd’adopteruneligne starpour saréunion de rentréele14 janvier.Plusde 200 députés
revanchardeou boudeuse.Pasquestionde jouerlespyromanesen l’entouraientdanslagaleriedesfêtesde l’hôteldeLassay.Uneleçon
appelant,commele fait laCGT,à une grèvegénéralele 5 février. magistralesil’onencroit Jean-BaptisteDjebbari,éludanslaHaute-
Dèsnovembre,il a tendu la main,en proposantun « Grenelledu Vienne, qui a beaucoup travaillé avecla CFDT et l’Unsa sur la
pouvoir devivre ».Mais àlasurprisegénérale,lePremier ministre, réformeferroviaire.Du discoursdeBerger,il retientcettephrase :
au 20-heuresdu 18 novembre,lendemaindu samedinoir sur les « Onne gouvernepaslepeupleavecunerèglebudgétaire. »Il plai-
Champs-Elysées,alittéralementbalayél’idéed’un reversdemain. sante :« Il a été tellementapplaudi qu’onaurait pu penserquele
« Moi,jen’aideméprispourpersonne », répèteLaurent Berger,qui groupeavait montéunesectionsyndicaleCFDT! »Comme le pré-
avoueavoir« halluciné »enregardantEdouardPhilippe.Unemala- sidentdu groupeGillesLegendreou lenouveaupatrondeLaRépu-
dressede formeplus qu’un problèmedefond, aurait plaidéMati- bliqueen Marche StanislasGuerini,il poussepour quelegouver-
gnon.Depuis,lesdeux hommess’ensontexpliqués.Bergerappré- nement s’appuiedavantagesur cepartenaire « pascomplaisant
ciechezPhilippelesréflexesd’élulocalqui comprendlapauvreté, maisconstructif ».Leslibéraux dela majorité,àl’imagede Sébas-
le mal-logement…Autant de sujetsqui ne font pastilt quandil en tien Maillard ou Olivia Grégoire, sont plus réservés.Comme
discuteavecEmmanuel Macron. En attendant un signedu gou- EmmanuelMacron,agacéqu’onlui rebattelesoreillesavecLaurent
Berger.« SilaCFDTavaitfait sonboulot,onneseraitpaslà »,lâche-
t-il parfois.Réponsedu Berger àla bergère :« Sila CFDTn’avait
En 1996, à l’époque où il devient permanent pasfait lejob,onseraitdansunesituationbienplusgrave!»Le syn-
de l’union locale de Saint-Nazaire. dicalistemet en gardecontre unepratique trop verticaledu pou-
voir,« uneformedepopulismelight »,pasdu tout àson goût.

LA GRANDEFAMILLEDESONG
Pour agir,Laurent Bergers’appuieaussisur lagrandefamille des
ONG.Toujoursl’obsessiondu collectif.« Ensemblenousavonsplus
dechancesd’êtreécoutés »,salueVéroniqueFayet,présidentedu
Secourscatholique. Le gouvernement l’a bien compris pour la
préparationdu grandplan anti-pauvretéprésentéenseptembre :
il s’estappuyésur lesassociations– ATD Quart Monde, laLigue
del’enseignement,Franceterre d’asile,laFondationAbbé-Pierre
–maisaussisur laCFDT.« Nousfaisonsaveceuxdespointsd’étape

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plusieurs fois par mois sur la mise en les critiques de la gauche radicale,
œuvre,note Olivier Noblecourt, délégué UNE
POSITION
COURAGEUSE prompte à qualifier la CFDT d’« idiot
interministériel à la prévention et à la utile du gouvernement ».
lutte contre la pauvreté.Laurent est un « Nous avons un devoir moral, Le président delaRépubliquel’écoute-
partenaire exigeant. »Exigeant mais pas un devoir de valeurs, celui de faire ra-t-il? Les deux hommes ne sesont pas
toujours entendu. Surla loi asileet immi- face à la détresse humaine. » C’était parlé depuis queles partenaires sociaux
gration, malgré tout le poids de la CFDT il y a tout juste un an. Au moment ont été reçus à l’Elysée,le 10 décembre.
et d’une dizaine d’ONG, Emmanuel où la majorité commençait à plancher Déroutant pour Laurent Berger, qui
Macron aàpeine bougé. sur la loi asile et immigration, s’était habitué sous le quinquennat pré-
Il faut donc être toujours plus fort. Laurent Berger prenait position cédent à être constamment consulté par
Berger veut préparer le syndicalisme avec force – notamment dans le chef de l’Etat. « François Hollande
réformiste du xxi e siècle. Il l’a dit et « l’Obs » – contre un projet qu’il comptait plussur la CFDT,sesleaderset
répété : « Les syndicats sont mortels. » jugeait déséquilibré : « Nous ne devons sa créativité,quesur leParti socialiste.A
Comme les partis politiques. Peut-on pas perdre notre âme. » Macron n’a ce point, c’était inédit. Ce nouveau pré-
imaginer qu’ils resteront une dizaine en pas apprécié. Qu’importe, Berger sident est différent », constate Philippe
France alors que nos voisins ne persiste et signe. Et lorsque le Grangeon,adhérent de la CFDT depuis
comptent souvent que deux grandes président met l’immigration au menu 1994etmembrefondateur d’En Marche!
formations? La CFDT, la CFTC d’inspi- de son grand débat national, il aujourd’hui conseiller spécial à l’Elysée.
ration chrétienne, et l’Unsa trèsimplan- proteste de plus belle. Macron a toujours été clair : aux syndi-
tée danslafonction publique, travaillent catsla négociationdansl’entreprise ;aux
souvent main danslamain. Avant Noël, leurs leadersrespectifs élus politiques la définition del’intérêt général.
– Philippe Louis, Luc Bérille et Laurent Berger – sesont encore Sera-t-il plus souple après la crise des « giletsjaunes » ?Phi-
retrouvés pour un discret séminaire de travail organisé par lippe Grangeon,àqui échoit la tâchecompliquée de rapprocher
Gilles Finchelstein à la Fondation Jean-Jaurès sur les « gilets lesdeux hommes, en estconvaincu. « Leprésidentdoit dissiper
jaunes ».« Noussommesla mêmefamille. Ensemble,nouspou- lesmalentendus. Il est largement décidéà le faire. » Il trouvera
vons êtretrois foisplusforts, trois fois plustenacesettrois foisplus une oreille attentive. « Bergerne sedétermine paspar rapport à
persuasifs »,souligne Berger.Ils ont déjà crééPlacesde la Répu- qui, mais par rapport à quoi », assure Gilles Finchelstein. Sur-
blique avecunequinzaine d’associations.Cecollectif valui aussi tout, renchérit Olivier Noblecourt, il est convaincu qu’on ne
faire vivre le grand débat.Et tant pis si cette stratégie réveille peut pas faire le pari de l’échec.

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Muriel Pénicaud, gardez-vous votre cap ou bien

DÉBAT
LE BERGER/PÉNICAUD la crise des « gilets jaunes » vous a-t-elle amenée
à reconsidérer certaines mesures ?
M. P. Le cap estlégitime puisqu’il est issud’un pro-

COMMENT
CHANGER gramme pour lequel le président, puis unemajorité
de députés,ont été élus démocratiquement. Sur de
nombreux points, ce programme contient des
réponsesqui s’attaquent à la racine des problèmes.

MODÈLE
NOTRE SOCIAL ?
Pour “l’Obs”,leleaderdela CFDTet
Parexemple,notreactionen faveurde l’éducation,de
la formation, de l’apprentissage,doit permettre de
favoriser l’émancipation et de retrouver un espoir.
Mais il y adespoints sur lesquelsnousdevonsaccé-
lérer.L’augmentationde laprime d’activitédevaitêtre
la ministredu Travail ontcroisélefer étalée sur quatre ans,nous la faisons en un an. Sur
d’autres sujetscomme la mobilité et l’accompagne-
sur la crisedes“giletsjaunes”,la réforme ment socialde la transition écologique,on peutet on
du travail etcelledel’assurance-chômage va faire mieux. Il y a un télescopageentre le temps
nécessairepour cesréformeset l’impatiencequel’on
Propos recueillis par SOPHIE FAY et BAPTISTE LEGRAND comprend pour rendre lessolutionsconcrètesettan-
Photo ÉRIC GARAULT gibles.La crisequenousvivonsmontre quepour com-

28 L’OBS/N°2830-31/01/2019 CREDIT PHOTO

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ENCOUVERTURE

pléter la démocratie représenta-


tive, colonne vertébrale de notre
république, nous avonsbesoin de la
démocratie participative, qui per-
met aux citoyens de donner leur
avisaufil de l’eau,et de la démocra-
tie sociale, que font vivre parte-
naires sociaux et associations.
Les syndicats sont eux aussi
ébranlés. Laurent Berger, quelle
est votre lecture de cette crise ?
L. B. La défiancen’est pas nouvelle,
mais elle bouscule tout le monde: politiques, syndi- Les ordonnances ont-elles fait reculer le dia-
cats,médias…Chaque institution doit donc s’interro- logue social ?
ger. Le mouvement des « gilets jaunes » est moins M. P. J’ai une vision différente. Les ordonnances ont
puissant, en termes de nombre, qu’une manifestation porté un changementculturel qui favoriseune logique “LETRAVAIL
syndicale. Mais il estpopulaire, et parce que des gens plus contractuelle, comme leréclamait la CFDT. Il y a DOITPAYER
violents y participent, il a reçu une réponse que nous désormais plus de grain àmoudre danslesentreprises :
n’avions pas eue,alors que nous avions pourtant fait dans lenouveau comité social et économique (le CSE, PLUSQUE
remonter nombre de revendications. C’est lerésultat qui remplaceàla fois lecomitéd’entreprise,leCHSCT et TOUTE
AUTRE
d’une vision prônant un rapport direct entre le poli- lesdéléguésdu personnel,NDLR), on parle de lamarche
tique et le peuple. Et c’esttrès dangereux. J’insiste: des affaires, de l’organisation du travail, du recrute- SITUATION.”
sansles corps intermédiaires, qui sont des citoyens ment, des salaires…
PÉNICAUD
MURIEL
qui s’organisent entre eux, il estdifficile de délibérer, L. B. C’estune vision idyllique très éloignée de la réa-
de hiérarchiser les revendications, de s’engagerpour lité. Chez Conforama, par exemple, il y a presque
trouver des solutions. Le risque serait de vouloir 200 magasins.Avant, il y avaitdes déléguésdu person-
repartir dans un rapport direct du président avec le nel dans chacun d’entreeux, demain il yaura 16 CSEet
peuple. La démocratie sociale est parfois fatigante, aucun représentant de proximité.
parce qu’un compromis est toujours plus difficile à Plusieurs décisions prud’homales ont cassé l’un
atteindre qu’une décision prise par quelques-uns et des points majeurs des ordonnances : le plafond
imposée aux autres. Mais elle est plus efficace. instauré sur les indemnités de licenciement.
Faut-il craindre cette relation directe avec le Est-ce un désaveu, Muriel Pénicaud ?
peuple, Muriel Pénicaud ? M. P.Le Conseilconstitutionnel ajugé le plafonnement
M. P. Je ne le crois pas. La démocratie sociale, elle des indemnités conforme à laConstitution. Le Conseil
existe. Sur l’égalité femmes-hommes, par exemple, d’Etat a considéré que le plafonnement respectait les
nous avons travaillé avec les partenaires sociaux engagements internationaux de la France. Les déci-
(voir encadré p. 30). Débattre, acter les divergences sions que vous évoquez ne « cassent »rien. Jene suis
et les convergences,trouver des solutions nouvelles, pas inquiète. Celavasemettre enplace.C’estnouveau.
nous voulons aussique cela sepasse dans les entre- L. B. C’est nouveau, mais c’estinjuste, et la CFDT l’a
prises. Les ordonnances organisent cette décentra- toujours combattu. Jerappelle qu’on parle de licencie-
lisation. ments abusifs et donc de réparation d’un préjudice.
L. B. La volonté de ne pasêtre dans un rapport direct Nous sommes en plein bras de fer sur la réforme
semesurera à une chose très simple: est-ce qu’à un de l’assurance-chômage. Que veut le gouverne-
moment donné on va travailler sur les remontées du ment ? Faire des économies ?
terrain avecles organisations syndicales, patronales, M. P.La réforme ad’abord pour but d’inciter au retour
associatives ?Oui, sur l’égalité femmes-hommes, il y à l’emploi. Le travail doit payer plus que toute autre
a eu une vraie écoute. Mais les ordonnances ont fait situation. Nous souhaitons aussi responsabiliser les
stagner,voire reculer le dialogue social. Aujourd’hui, employeurs sur l’excèsd’utilisation descontrats courts.
les entreprises s’en saisissentsurtout pour diminuer Je vous rappelle que 9 embauches sur 10 ont lieu en
le nombre d’élus des salariés. contrat court, que 90% desCDD durent trois mois,

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cipation à la négociation. Cette décision unilatérale


ÉGALITÉ
FEMMES-HOMMES
LESATISFECIT
: sonne comme une fin de non-recevoir du patronat à la
On a entendu tant de comme la lutte contre nécessaire responsabilisation des employeurs dans la
promesses sur l’égalité les discriminations. lutte contre le recours abusif aux contrats courts. Si les
salariale entre les femmes M. P. Cela fait quarante-six délégations patronales ne reviennent pas avec des
et les hommes… En quoi la ans que la loi dit : à travail mesures concrètes, elles porteront seules la responsa-
dernière réforme sera-t- égal, salaire égal. Et bilité de l’échec de la négociation.
elle différente des quarante-six ans que ce n’est Y a-t-il des cas où les gens gagnent plus au chô-
précédentes ? pas respecté ! Il y a encore mage qu’en activité ?
L. B. Nous allons mesurer 9% d’écart à travail égal, et L. B. Les gens indemnisés par l’assurance-chômage ne
l'engagement réel d’une même 37% sur les retraites. peuvent pas gagner plus que cequ’ils touchaient lors-
entreprise à travers un index On donne trois ans aux qu’ils travaillaient. Ce n’estpas possible.
qui prendra en compte les entreprises pour se mettre M. P.Si.Le mode de calcul de l’indémnité chômage fait
écarts de salaire ou encore en conformité, faute de que les indémnités peuvent être supérieures à la
l’accès des femmes aux quoi elles pourront être moyenne de ce qu’on a gagné pendant la période de
responsabilités. Les sanctionnées à hauteur de calcul des droits. C’est minoritaire mais c’est tout de
entreprises qui ne se 1% de la masse salariale. même 20% des demandeurs d’emploi. Ces situations
corrigent pas seront Les entreprises de plus de interrogent et créent des problèmes d’équité. Par
sanctionnées. Je ne valide pas 1 000 salariés devront rendre exemple, une personne à mi-temps, au smic, estmoins
tout ce qui s’est fait depuis le publiques leurs données le bien indemnisée qu’une personne qui a un contrat de
début de ce quinquennat, loin 1er mars. Pour la Journée de deux semaines et s’arrête deux semaines. Le premier
de là, mais voilà une la Femme, le 8 mars, nous va gagner 740 euros, le deuxième 960 euros, et pour-
démarche qui pourrait aurons donc à discuter de tant, les deux personnes ont travaillé la même quantité
inspirer sur d'autres sujets, quelques cas intéressants. d’heures au même salaire horaire.
L. B. Dans le secteur médico-social ou dans l’hôtelle-
rie-restauration, certains patrons abusent de ce sys-
ou moins. Et 30%, une journée ou quelques heures. tème. Mais en dehors de cessecteurs, les demandeurs
Cela touche des personnes indemnisées par l’assu- d’emploi ne savent pas de quoi sera fait le prochain
rance-chômage quel’employeur appelle enleur disant: mois. Le chômage, ce n’estpas sefaire du gras.C’esten
vous pouvez venir demain? Certains employeurs en prendre plein lagueule. Aujourd’hui, 70% des gens qui
font un système degestion, bien au-delà dela flexibilité cumulent un travail et une allocation chômage ont
nécessaire. moins que le smic. Les gens qui profiteraient de cette
L. B.Vous demandez si lanégociation sefait souspres- règle et qui seraient riches, ça n’existe pas !
sion budgétaire. La réponse estoui : 3,8milliards d’eu- Le chômage structurel (celui qui ne baisse pas
ros d’économies sont demandées sur trois ans.Impos- quand la croissance repart) est évalué entre 7 et
sible sans qu’il y ait moins d’indemnisations à la fin du 9%. Comment s’y attaque-t-on ?
mois, et pour laCFDT, c’esthors de question ! La reprise M. P.Le chômage estpasséde 9,7%à 9,1%avecdes dis-
“LECHÔMAGE, esttrès fragile, avectoujours un fort chômage delongue parités fortes : 3,3% pour les cadres, 6% pour les per-
CEN’EST PAS durée. On a donc toujours besoin d’un filet de sécurité. sonnesqualifiées, 18%pour lesnon-qualifiées. Le sujet
Et ne croyez pas que cefilet soit doré : l’indemnisation le plus important, c’est donc celui des compétences.
SEFAIRE DU moyenne dans notre pays, c’est1 020 euros. 95% des C’est l’objet du Plan d’investissement dans lescompé-
GRAS. C’EST gens sont indemnisés à moins de 2 000 euros. tences,de la loi pour laliberté de choisir son avenir pro-
M. P.Le système porte 35milliards d’euros de dette. Il fessionnel, de laréforme de l’apprentissage. Une entre-
ENPRENDREfaut qu’il soit plus solide avant laprochaine crise.Il faut prise sur deux dit avoir des difficultés de recrutement.
PLEINLA lutter contre la précarité excessive,d’autant plus qu’elle On ne peut pas avoir plus de 300 000 offres d’emploi
coûte cher au régime, 8 milliards de déficit par an. On non pourvues et un tel taux de chômage ! En outre, les
GUEULE.” peut donc avoir une réforme vertueuse. L’assu- métiers setransforment, les besoins changent. Ainsi,
rance-chômage estun filet de sécurité essentiel. 80 000 emplois sont à pourvoir dans le numérique.
LAURENT
BERGER L. B. Il faut corriger ce qui incite les entreprises à se Nous devons aussipenser aux plus vulnérables. On ne
servir de l’assurance-chômage comme d’une caissede résoudra pas lesproblèmes de compétences si on ne va
flexibilité, c’estune évidence. Nous proposons depuis pas chercher les seniors, les personnes en situation de
longtemps, àla CFDT, des cotisations dégressives,plu- handicap,lesjeunes de quartiers prioritaires de la ville...
tôt élevéesle premier mois de contrat, et qui diminuent C’est contraire à nos valeurs républicaines.
ensuite petit à petit. L. B. Sur les grands axes,nous sommes d’accord. Mais
Mais le patronat refuse catégoriquement toute quant aux emplois non pourvus, il faut tout de même
forme de bonus malus… se poser la question de leur qualité : quand vous vous
L. B. Oui, et son obstination risque de faire échouer la dites, à propos d’un emploi, « c’estbien pour les autres
négociation ! Les organisations patronales ont annoncé mais je n’en voudrais pas pour mes gosses »,il y a un
en début de semaine qu’elles suspendaient leur parti- problème !

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P.17
PAYS :France RUBRIQUE :L obsc
PAGE(S) :3 DIFFUSION :498558
SURFACE :60 % JOURNALISTE :Dominique Nora
PERIODICITE :Hebdomadaire
31 janvier 2019 - N°2830

L’OPINION
L’étoile
de Berger
Par DOMINIQUE NORA

ourquoifaire notrecou-
LELEADER
DELACFDT
APRISUNE
verture sur Laurent
ENVERGURE
POLITIQUE,
COMBLANT

P
Berger?L’homme n’est
pas connu du grand PARTIELLEMENT D’UNE
LEVIDE GAUCHE
public ; il n’est pas SOCIALE-DÉMOCRATE
ORPHELINE.
spécialement bon ora-
teur ;ni hyper charismatique.Depuis plus (La Franceinsoumise),le syndicalisterap-
de six ans, le secrétaire général de la pelle avec constance les valeurs de la
CFDT creusaitméthodiquement son sil- gauche socialeet progressiste.Oui, il faut
lon de dirigeant syndical. En profession- qu’EmmanuelMacron renonceàun mode
nelaguerri,il défendaitlesintérêts destra- de gouvernanceverticale qui« aaccéléré ,»
vailleurs face aux représentants du selonLaurent Berger,lacolèresociale.Oui,
patronat et de l’Etat. Il animait la démo- il doit « partagerlepouvoir »aveclasociété
cratie sociale,et faisait grandir saconfé- civile, s’ouvrir aux syndicats,ONG, asso-
dération…devenue,en décembredernier, ciations,entendre laparoledes citoyens.
lepremier syndicatde France. Et l’évolution de la crise donne raison
Par ces temps de radicalisation tous au patronde laCFDT.Car mêmesi legou-
azimuts, faire tranquillement triompher vernement a balayésaproposition d’orga-
uneorganisationréformiste enéchappant niser un « Grenelledu pouvoir devivre »,
au « dégagisme » est un exploit en soi. Emmanuel Macron devrabien – s’ilveut
Alors quelaCGT restefossiliséeet queFO s’en sortir par le haut – établir la justice
aperdu son chemin,laCFDT,ancréedans fiscale,mieux répartir les richesses,gérer
le réel et misant sur le collectif, a suévo- la transition écologique,rendre la démo-
luer avecson temps.Et mieux prendre en cratie plus participative.
compte les problématiques des femmes, Ce serait dans l’esprit de la deuxième
des immigrés, ou du nouveau prolétariat gauche dont Laurent Berger,fils spirituel
des plateformesnumériques. d’Edmond Maire, est le digne héritier.
Laurent Berger a lui aussi changé. Une gauche « décentralisatrice,régiona-
Héritier de la Jeunesse ouvrière chré- liste,héritière de la tradition autogestion-
tienne, il a pris, ces derniers mois, une naire, qui prend en compteles démarches
autre envergure,politique au bon sensdu participatives des citoyens », comme la
terme. Comblant partiellement le vide décrivait Michel Rocard en 1977 au
d’une gauche sociale-démocrate orphe- congrèsde Nantes du PS.
line. En janvier 2018 déjà, dans nos Au-delà des éléments de doctrine qui
colonnes,lesecrétairegénéralde laCFDT évoluent, cette gauche-là – qui estaussi
avait appelé l’exécutif à accueillir les celle de« l’Obs »– estsurtout définie par
migrants plus dignement au nom d’un des valeurs : intégrité, rigueur, vérité,
« devoirmoral,undevoirdevaleurs,celuide modernité, inventivité, générosité.Et par
fairefaceàladétressehumaine ». Mais c’est une méthode qui articule action poli-
à l’occasion du mouvement des « gilets tique et sociale :partir du réel, négocier,
jaunes »qu’il a révélé savéritable stature donner du sens, parler vrai, agir juste.
de leader.Car dans le désarroi qui règne Pour rendre efficace le grand débatqu’il
depuisledémarragede cettecontestation s’estrésolu à lancer, Emmanuel Macron
protéiforme,Laurent Bergertient son cap doit écouter Laurent Berger, car c’est
humaniste,aveclaténacité desmodestes. précisément cette « ingénierie du dia-
Tandis que les responsablespolitiques logue » et ce talent pour la coconstruc-
de gauche restent inaudibles (PS) ou se tion qui lui font cruellement défaut.
livrent à des surenchèresdémagogiques D.N.

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P.18
PAYS :France RUBRIQUE :En couverture
PAGE(S) :31 DIFFUSION :498558
SURFACE :100 % JOURNALISTE :Natacha Tatu
PERIODICITE :Hebdomadaire
31 janvier 2019 - N°2830

ENCOUVERTURE

Longtemps non plus.Ils font semblant. Il eststérile, il


estdangereux d’entretenir un imaginaire
éditorialiste totalement détaché detoute pratique. Du
au “Nouvel reste,àl’échelon localou régional, laCGT
signenombre d’accords.Pour un syndicat,
Observateur”, négocieren préservant son indépendance,
l’historien revient c’estune nécessitépermanente, conforme
aux aspirations de lamassedes adhérents
sur les ambitions et des sympathisants. L’ADN syndical de
et les valeurs la CFDT, c’est donc la recherche d’un
compromis provisoire, qui laisse intacte
originelles la capacité de contester les finalités du
capitalisme.
du syndicat Celadit, par rapport aux années1970,il
réformiste y a eu réduction de l’ambition, à mesure
que lerapport des forces,à l’échelle natio-
qu’il a cofondé nale comme àl’échelle internationale, était
Propos recueillis par devenu beaucoupmoins favorableaux tra-
NATACHA TATU vailleurs. Pourtant, grâce notamment à
Edmond Maire, la CFDT a fait une place
nouvelle aux femmes, aux immigrés. Elle
Deux visionss’affrontaient. Celle défen- a l’ambition de défendre non le travail en
JACQUES
JULLIARD due par Edmond Maire mais aussiMichel
Rocard au PSU,fondée dans la tradition
soi, mais le travailleur à travers son par-
cours professionnel singulier, ses condi-
sociale-démocrate sur une alliance avec tions de travail – la pénibilité –, sa vie,
les partis de gauche; celle dont j’étais, comme consommateur et comme citoyen,

“MA
avec,notamment, Jacques Chérèque, de à l’extérieur même de l’entreprise.
la métallurgie, qui préconisait en priorité La situation est telle que, dans un
l’alliance préalable avec les syndicats, contextede domination desforces du capi-
notamment la CGT et l’ensemble des tal, le syndicalisme est menacé de mort,
forces populaires. selon les mots mêmes de Laurent Berger.
Vint Mai-68, qui régla la question en Il ne survivra qu’en élargissant le compas
notre faveur; le mouvement qui compor- et en répondant à l’ensemble des besoins


tait une forte dimension « dégagiste »était des travailleurs. Le temps n’est plus où il

CFDT
la confirmation de ceque nous pensions: s’agissait seulement, dans une optique
le mouvement populaire devait primer marxiste étroite, de lutter pour une meil-
sur les alliances politiques. leure répartition de laplus-value.
Le triptyque que nous mettions en Il faudrait d’abord pour cela que le syn-
e11décembredernier,quandj’ai avant – planification démocratique, pro- dicalisme retrouve les chemins de l’unité
appris que la CFDT était deve- priété sociale des principaux moyens de d’action. Telle qu’elle aété pratiquée dans

L
nue officiellement le premier production et d’échange, autogestion – les années1970entre CGT et CFDT, elle a
syndicatfrançais,je vousavoue était puissant et original. L’autogestion, donné des résultats spectaculaires.
avoir pleuré de joie. C’était en particulier, c’était le socialisme vu d’en Malheureusement, la CGT, tiraillée par
notre ambition: dès les lendemains de la bas. Cela signifiait que les travailleurs des courants gauchistes,est en proie au
Libération, ceque nousappelions « décon- étaient aussides citoyens; qu’ils n’étaient sectarisme et àla tentation de l’isolement.
fessionalisation »,c’est-à-dire le renonce- pas,sur leslieux de travail comme dans la Elle lanceà elle seuledes journées d’action
ment à l’épithète de« chrétien »,avaitpour cité, que des rouages, maisdes décideurs. qui passentà peu près inaperçues. Quant
but de faire de la CFDT une organisation Le mot autogestionn’estplus guère utilisé, à FO, minée par sesconflits internes, elle
démocratique ouverte à tous les travail- pourtant il nourrit toutes les aspirations à traverse une véritable crise d’identité.
leurs. Nous étions devenus,selon nos sta- la participation que l’on a vues fleurir A pratiquer une manière de corpora-
tuts, auxquelsj’avaiscontribué, un syndicat depuis. Y compris, pour le meilleur, chez tisme révolutionnaire vide de tout
seréclamantdesdifférentes formesdel’hu- les « gilets jaunes ». contenu, lesyndicalisme s’étiole.La CGT
manisme,dont « l’humanisme chrétien ». Et aujourd’hui? Ceux qui reprochent à doit sortir de son isolement, laCFDT doit
Quels étaient alors nos combats? la CFDT de pratiquer un « syndicalisme continuer à se développer. La seule voie
Œuvrer en cette fin du gaullisme pour un d’accompagnement »sous-entendent que d’avenir pour le syndicalisme, au-delà
« socialisme démocratique », expression la contestation du capitalisme n’ade sens même de la défense des intérêts des tra-
danslaquelle les communistes orthodoxes que dansune perspective révolutionnaire. vailleurs et de leur protection sociale,c’est
voyaient à juste titre un vivant reproche à C’estun leurre: Philippe Martinez (CGT) la transformation de lasociété dansle sens
l’égard du socialisme « réel ». ne prépare pas la révolution; Mélenchon d’un humanisme intégral.

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