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La matière noire
Un monde caché
aussi riche que le nôtre ?
Nanocinéma
Le nanomonde filmé
en microscopie électronique
Mimiques et intonations
Un mode de communication efficace
Les tunnels de lave
Des galeries à flanc de volcan
M 02687 - 399 - F: 6,20 E
ÉDITO
de Françoise Pétry directrice de la rédaction
POUR LA
www.pourlascience.fr
8 rue Férou, 75278 PARIS CEDEX 06
Standard : Tel. 01 55 42 84 00
Groupe POUR LA SCIENCE
Directrice de la rédaction : Françoise Pétry
Pour la Science
Rédacteur en chef : Maurice Mashaal
Rédacteurs : François Savatier, Marie-Neige Cordonnier,
Philippe Ribeau-Gésippe, Bénédicte Salthun-Lassalle,
Interactions cachées
Jean-Jacques Perrier
L
Dossiers Pour la Science e langage permet la communication entre individus, la
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin transmission des informations, la description du monde
Rédacteur : Guillaume Jacquemont
Cerveau & Psycho
environnant, mais aussi l’expression de la pensée, des sen-
Rédacteur : Sébastien Bohler timents. Il ouvre à l’imaginaire. Outre ce langage des mots,
L’Essentiel Cerveau & Psycho il en existe de multiples formes. C’est le babillage du nourrisson, les cris
Rédactrice : Émilie Auvrouin
Directrice artistique : Céline Lapert
de joie ou d’horreur, le langage symbolique, l’expression artistique, ou
Secrétariat de rédaction/Maquette : Annie Tacquenet, encore la langue des signes. Mais il existe également un langage des
Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy
signaux non verbaux: les gestes, les intonations, les mimiques accompa-
Site Internet: Philippe Ribeau-Gésippe,
assisté de Ifédayo Fadoju gnant les discours représentent un système de communication qui
Marketing: Heidi Chappes façonne les échanges entre individus. Ces signaux sociaux – une forme
Direction financière : Anne Gusdorf
Direction du personnel : Marc Laumet d’interaction cachée –, participent à la cohésion des groupes et font les
Fabrication : Jérôme Jalabert assisté de Marianne Sigogne leaders charismatiques (voir Les signaux non verbaux de la communi-
Presse et communication : Susan Mackie
Directrice de la publication et Gérante: Sylvie Marcé cation, page 44).
Conseillers scientifiques : Philippe Boulanger et Hervé This
Ont également participé à ce numéro : Eric Armengaud,
Les crocodiles utilisent aussi des interactions cachées. Quand ils
Adam Ben-Shem, Philippe Bertin, Christian Colliex, Jean Dalibard, sont encore dans l’œuf, les petits d’une même couvée émettent des cris
Bettina Debû, Muriel Fallot, Guy Germain, Évelyne Host-Platret,
Yves-Alexandre de Montjoye, Christophe Pichon, Marat Yusupov. dits de pré-éclosion qui leur permettent de synchroniser leur venue au
PUBLICITÉ France monde. Ce faisant, ils attirent leur mère qui creuse le sable où sont enfouis
Directeur de la Publicité : Jean-François Guillotin
(jf.guillotin@pourlascience.fr), assisté de Nada Mellouk-Raja les œufs ou élimine les débris qui les recouvrent (voir La communica-
Tél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97 • Fax : 01 43 25 18 29 tion acoustique des crocodiles, page 28).
SERVICE ABONNEMENTS
Ginette Bouffaré. Tél. : 01 55 42 84 04
Espace abonnements :
http://tinyurl.com/abonnements-pourlascience
Les signaux non verbaux
Adresse e-mail : abonnements@pourlascience.fr sont qualifiés d’honnêtes.
Adresse postale :
Service des abonnements - 8 rue Férou - 75278 Paris cedex 06 Des interactions cachées d’un tout autre type ont été découvertes
Commande de dossiers ou de magazines : dans l’Univers. La matière noire, cette composante invisible de l’Univers,
02 37 82 06 62 (de l’étranger : 33 2 37 82 06 62)
qui se manifeste par son influence gravitationnelle, représente l’un des
DIFFUSION DE POUR LA SCIENCE
Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, principaux Graal des cosmologistes. Jusqu’à présent, ils la considéraient
Québec, H3N 1W3 Canada. comme inerte ; les galaxies étaient supposées entourées de halos de
Suisse: Servidis: Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - Bogis
Belgique: La Caravelle: 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 Bruxelles. matière noire, subissant son influence, mais sans interagir avec elle. Or
Autres pays: Éditions Belin: 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06.
de nouveaux résultats montrent que la matière noire serait constituée de
SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief : Mariette DiChristina. Editors: Ricky diverses particules interagissant les unes avec les autres, et avec le
Rusting, Philip Yam, Gary Stix, Davide Castelvecchi, Graham Collins, Mark
Fischetti, Steve Mirsky, Michael Moyer, George Musser, Christine Soares, Kate monde visible. Cela en ferait un objet de recherche encore plus passion-
Wong. President : Steven Inchcoombe. Vice President : Frances Newburg.
nant, la matière noire formant peut-être un monde structuré et dyna-
Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou
francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents conte- mique (voir Matière noire, un univers caché, page 20).
nus dans la revue «Pour la Science», dans la revue «Scientific American», Les signaux non verbaux qui façonnent les interactions humaines
dans les livres édités par « Pour la Science » doivent être adressées par
écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06. sont qualifiés d’honnêtes. On peut mentir avec des mots, mais pas avec
© Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adap- des intonations, des signes de la tête, un froncement des sourcils,
tation et de représentation réservés pour tous les pays. La marque et le
nom commercial «Scientific American» sont la propriété de Scientific Ame- tous produits de façon inconsciente : contrairement au discours, ils ne
rican, Inc. Licence accordée à « Pour la Science S.A.R.L. ». peuvent être totalement contrôlés. Les signaux émis par les petits
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de
reproduire intégralement ou partiellement la présente revue crocodiles pour annoncer leur éclosion peuvent aussi être qualifiés
sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de d’honnêtes. Mais ceux émis par la matière noire, sont-ils des signaux
l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augus-
tins - 75006 Paris). assez honnêtes pour nous révéler la nature de cette mystérieuse
composante de l’Univers ? I
SOMMAIRE
1 ÉDITO À LA UNE
4 BLOC-NOTES
Didier Nordon
20 COSMOLOGIE
28 La communication acoustique
ÉTHOLOGIE
des crocodiles
Nicolas Mathevon et Amélie Vergne
Les crocodiles communiquent par différentes
vocalisations, émises notamment au moment
de l’éclosion des œufs. Les circuits cérébraux
et les processus neurophysiologiques sous-jacents
13 ON EN REPARLE sont proches de ceux rencontrés chez les oiseaux.
Opinions
14 POINT DE VUE 36 Génome et médecine :
MÉDECINE
16 DÉVELOPPEMENT DURABLE
Le « charbon vert »
est-il vraiment vert ?
Richard Escadafal, Antoine Cornet
et Martial Bernoux
44 Les signaux non verbaux
PSYCHOLOGIE
de la communication
18 VRAI OU FAUX Alex Pentland
Faut-il complètement Divers signaux sociaux – par exemple
décharger une batterie ? les mimiques, les intonations ou la fluidité
Patrice Simon et Mathieu Morcrette du discours – participent à la création des liens
sociaux et à la persuasion. Ils favorisent
19 COURRIER DES LECTEURS la cohésion du groupe et la prise de décision.
70 La microscopie électronique
IMAGERIE Sur la totalité des numéros:
deux encarts d’abonnement pages 24 et 25.
Encarts commande de livres et abonnement pages 76 et 77.
En couverture: © Pour la Science
fait son cinéma
Ahmed Zewail
Pilotée par de brèves impulsions laser,
la microscopie électronique offre la possibilité
de filmer les rouages internes d’une cellule
vivante ou une nanomachine en action.
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La Terre au centre de l’Univers, une conception
aberrante au XXIe siècle ? Pas pour les mouvements • Réagissez en direct
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de l’astronomie en conflit avec leurs convictions
religieuses. w w w. pou r lascien ce. fr
BLOC-NOTES
de Didier Nordon
des interprétations, des traductions, mais § ATROCITÉS ARTISTIQUES saint Sébastien, Judith exhibant la tête d’Ho-
ne sauraient critiquer Dieu pour la façon lopherne ? Les musiciens n’ont pas été en
dont il a agencé notre pauvre monde. Etc.
Notre société n’étant plus soudée autour
de valeurs communes, chacun se consti-
tue un ensemble personnel de certitudes
qui lui tient lieu de sacré. Ceux qui prônent
U n adolescent d’aujourd’hui a, paraît-
il, vu 20000 meurtres sur écran. D’où
une accusation fréquente : ce spec-
tacle permanent de la violence a une respon-
sabilité dans les passages à la violence réelle.
reste, exprimant les plus cruelles souf-
frances humaines dans des Stabat Mater
Dolorosa ou des Passions. Par l’intermé-
diaire de telles œuvres, les amateurs d’art
subliment en jouissance esthétique des
l’esprit critique comme un absolu sont soit Une telle mise en cause est partiale, atrocités subies par leurs semblables.
naïfs, soit manipulateurs. Zélateurs de l’es- en ce sens qu’elle ne s’accompagne pas Ne transformons pas les jeux vidéo en
prit critique, ils font de celui-ci une valeur d’une accusation analogue contre la res- boucs émissaires. Ils ne contribuent pas for-
qu’il est impensable de critiquer ! Et ils s’af- ponsabilité des arts classiques dans les cément plus à la violence que les arts clas-
fichent dotés d’un esprit critique universel, crimes qui tissent l’histoire. Qu’on sache, siques. De toute façon, ni les jeux ni les arts
alors que personne n’est ainsi : la stabilité ces arts ne se sont pas privés de mettre la ne sont à l’origine du goût des hommes pour
d’un esprit repose sur la censure des ques- violence en spectacle, eux non plus. Com- la violence. Ils ne font que s’en nourrir. Stig-
tions qui le troubleraient trop. bien de tableaux figurent avec réalisme, matiser les jeux, aujourd’hui, est une manière
Préconiser l’esprit critique est facile. Cri- sinon complaisance, ce supplice qu’était de se présenter subrepticement en homme
tiquer son propre esprit et les œillères dues une crucifixion, ou ces horreurs que furent dépourvu d’attirance pour la violence. C’est
à la façon dont il fonctionne ne l’est pas. le massacre des Innocents, le martyre de là se dédouaner à peu de frais. I
ACTUALITÉS
Biologie cellulaire
L’arsenic, élément d’une vie différente
Une bactérie du lac californien Mono peut, selon son milieu de vie,
intégrer dans ses molécules de l’arsenic à la place du phosphore habituel.
a b
© Science/AAAS
5 m
1 m
A c t u a l i t é s
Éthologie
Une musaraigne pollinisatrice En bref
DE L’OXYGÈNE SUR RHÉA
R ares sont les cas où des mammifères non volants pollinisent des
fleurs. L’équipe de Petra Wester, de l’Université de Stellenbosch,
en Afrique du Sud, vient d’en découvrir un nouveau. Elle
s’est intéressée au comportement alimentaire d’une musaraigne à
trompe (Elephantulus edwardii) et a montré que l’animal, pourtant insec-
Rhéa, la plus grosse lune de
Saturne après Titan, a une mince
atmosphère d’oxygène et de
dioxyde de carbone, ont révélé
les spectromètres de la sonde
tivore, aspire le nectar d’une fleur (Whiteheadia bifolia) de la famille Cassini, après son passage à
des Hyacinthaceae, celle des jacinthes. 97 kilomètres d’altitude, en
Quatre nuits durant, les zoologistes ont capturé des musaraignes mars 2010. Comme sur Europa
en les attirant avec une mixture de beurre de cacahuètes et de flocons et Ganymède, deux satellites de
d’avoine. Ils ont ensuite observé ces animaux placés dans des terra- Jupiter, l’oxygène, 5000 milliards
riums où étaient disposées des fleurs. Ils glissent leur trompe entre les de fois moins dense que sur
fleurs de l’inflorescence pour atteindre le nectar qu’ils lapent avec leur Terre, proviendrait de la décom-
P. Wester/Naturwissenschaften
langue. Ce faisant, la trompe se couvre de pollen qui fécondera une position lente de la glace d’eau,
autre fleur lors d’une prochaine visite. Selon P. Wester, d’autres abondante sur Rhéa, sous l’ef-
espèces de musaraignes à trompe sont probablement des pollinisateurs. fet des ions et des électrons de
Une musaraigne à trompe .➜ Loïc Mangin. la magnétosphère. En revanche,
aspire le nectar d’une fleur. P. Wester et al., Naturwissenschaften, à paraître, 2010 la source de gaz carbonique n’a
pas encore été identifiée.
A c t u a l i t é s
S’HABITUER AU CHOCOLAT
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ayant imaginé en manger de
grandes quantités en ont con- nécessaire de la connaître précisément pour dimen-
sommé moins que ceux qui sionner au mieux les circuits de refroidissement.
avaient imaginé en manger peu. Or jusqu’à présent, la méthode utilisée (un détec-
L’«habituation» à un aliment peut teur à semi-conducteur), peu efficace pour les Le cœur d’un réacteur nucléaire.
aussi être mentale. énergies élevées, entraînait une sous-estimation
de la contribution des désintégrations ␥. Une équipe de comparaison entre la théorie de la décroissance
internationale a pallié la difficulté en utilisant une radioactive  et l’expérience. Elles seront aussi uti-
L’ÂGE DANS LE SANG méthode de détection spectroscopique « à absorp- lisées dès 2011 dans l’expérience internationale Double
tion totale » : frappés par les rayons ␥, des cristaux Chooz, lancée en 2006 dans les Ardennes, dont l’ob-
Des chercheurs de Rotterdam à scintillation réémettent de la lumière, dont le spectre jectif est d’étudier les propriétés des neutrinos. Ces
proposent d’estimer l’âge d’une est analysé. Cette méthode permet de mesurer la particules mal connues, car difficiles à détecter,
personne à partir d’une trace de somme de toutes les émissions ␥ consécutives à une sont notamment émises lors de la désintégration .
sang. La technique repose sur la désintégration  initiale. Les physiciens ont ainsi La description plus précise de cette désintégration
production, au cours de la matu- déterminé l’énergie réelle libérée par la décroissance permettra de mieux prévoir les caractéristiques du
ration des lymphocytes T, d’an- radioactive des sept principaux produits de la fis- flux de neutrinos émis par un réacteur nucléaire – une
neaux d’ADN nommés cercles sion du plutonium 239, révisant parfois de façon étape nécessaire pour étudier, par exemple, leur capa-
d’excision thymiques, ou TREC. sévère les estimations précédentes. cité à se transformer au fil du temps.
Leur quantité diminuant de façon Ces données sont également importantes en phy- .➜ Marie-Neige Cordonnier.
linéaire avec l’âge, la quantifi- sique fondamentale, car elles fournissent un point A. Algora et al., Physical Review Letters, vol. 105, 202501, 2010
cation de l’un de ces TREC suffit
à prédire, avec une marge d’er-
reur de neuf ans, l’âge de la
personne. Le test fonctionne sur Biologie animale
des traces de sang ne compor-
tant pas plus de cinq nano-
grammes d’ADN.
Une couleur bactérienne pour pucerons
A u sein d’une même popu-
lation, les pucerons du pois
(Acyrthosiphon pisum) sont
soit rouges (couleur dominante),
soit verts. Les coccinelles tendent
En étudiant le génome de dif-
férentes populations, les biolo-
gistes ont découvert que plusieurs
lignées de pucerons de couleur
verte produisent des larves rouges
pas de couleur. Par ailleurs, ils ont
montré que l’intensité de la cou-
leur verte est corrélée à l’intensité
de l’infection par la bactérie.
La coloration des pucerons du
Shipher Wu (Université nationale de Taïwan)
à consommer les pucerons rouges, qui verdissent en se développant, pois est liée à la présence de pig-
les guêpes parasitoïdes les verts. et que la flore microbienne de ments jaune-rouge et bleu-vert. Les
Cette variation de couleur est ces pucerons contient une bacté- chercheurs supposent que la bac-
due à la présence ou l’absence rie jamais identifiée auparavant, térie ne synthétise pas de nouveaux
d’un gène codant des pigments du genre Rickettsiella. pigments verts, mais stimule, par
caroténoïdes. Mais l’équipe de En injectant la bactérie Rickett- un mécanisme qui reste à préciser,
Jean-Christophe Simon, de l’INRA, siella dans diverses lignées de la production des pigments bleu-
en collaboration avec des cher- pucerons rouges qui en étaient vert par le puceron.
Un puceron du pois adulte cheurs japonais, a révélé un nou- dépourvus, les chercheurs ont La couleur verte induite par
et quelques larves. Certaines veau facteur : la présence d’une constaté que ces pucerons pro- la présence de Rickettsiella réduit-
lignées de pucerons donnent bactérie dans le corps des puce- duisent à la fois des larves rouges elle la prédation par les cocci-
naissance à des larves rouges rons du pois modifie leur couleur, infectées et non infectées. Les pre- nelles ? Cela reste à déterminer.
qui verdissent lorsqu’elles abritent ce qui concerne environ huit pour mières deviennent des adultes .➜ Émilie Auvrouin.
une bactérie particulière. cent des individus. verts et les secondes ne changent T. Tsuchida et al., vol. 330, pp. 1102-1104, 2010
A c t u a l i t é s
D ans une cellule, le ribosome est une petite usine qui synthé-
tise les protéines, ingrédients essentiels à la vie, à partir de l’in-
formation génétique (l’ADN, transcrit en ARN messager, lequel
est lu par le ribosome). On connaît depuis 2001 la structure du ribo-
neuronaux impliqués dans l’apprentissage
et l’expression comportementale de la peur.
some de bactérie, obtenue par analyse cristallographique. Une équipe
CNRS-INSERM de l’Université de Strasbourg vient de dévoiler la struc-
ture du ribosome d’une cellule eucaryote (dotée d’un noyau), une
levure, avec une résolution de 0,415 nanomètre. Il était jusqu’alors
difficile de purifier et cristalliser des ribosomes de cellules eucaryotes,
O n ressent de la peur en pré-
sence ou dans la perspec-
tive d’un danger. Toutefois,
certaines personnes souffrent de
manifestations exagérées de la
Les neurobiologistes ont en
outre montré que le noyau central
latéral contient deux populations
distinctes, mais interconnectées, de
neurones, qui inhibent globalement
car ils sont plus gros et plus complexes que des ribosomes de bacté- peur, par exemple les sujets atteints le noyau central médian. Le son
rie. C’est désormais chose faite. de phobie ou de troubles anxieux. «conditionné» active la première
.➜ B. S.-L.. Ils présenteraient des anomalies population alors qu’il inhibe la
A. Ben-Shem et al., Science, vol. 330, pp. 1203-1209, 2010 de certains circuits neuronaux seconde, et la première population
impliqués dans la peur. Mais quels peut aussi inhiber la seconde.
sont ces circuits ? En fait, au cours du condition-
Cyril Herry, du Neurocentre nement, cette inhibition de la
Magendie à Bordeaux, et plusieurs seconde population par la première
équipes suisses et allemandes ont lève l’inhibition globale sur le noyau
identifié, chez le rat, des circuits central médian, ce qui provoque
neuronaux inhibiteurs impliqués une augmentation des réactions
dans la genèse de la peur et ses conditionnées de peur. Ces travaux
manifestations comportementales. pourraient aboutir à de nouvelles
Ils se situent dans une région céré- approches thérapeutiques chez
brale nommée amygdale, structure les patients qui souffrent de mani-
ov
us
up composée de plusieurs noyaux et festations anxieuses inadaptées.
ta Y
M
ar connue pour être le siège de la peur. .➜ B. S.-L..
©
Face à un danger, l’amygdale S. Ciocchi et al., Nature,
engendre le comportement de vol. 468, pp. 277-282, 2010
La structure d’un ribosome de levure, déterminée par cristallographie. peur via la sécrétion d’une hor-
Cette position reflète un état intermédiaire du mécanisme de synthèse mone, l’adrénaline. Mais la peur
des protéines, quand le ribosome déplace l’ARN messager sur la lettre peut aussi être une réaction
suivante pour que l’ARN de transfert apporte le bon acide aminé. acquise. On peut par exemple
apprendre à un rongeur qu’un sti-
mulus indolore – un son – annonce
Physique un événement désagréable – un
Le superphoton est né choc électrique. Au début de l’ex-
périence, l’animal ne manifeste
aucune réaction de peur quand
particules matérielles. Jan Klaers et ses collègues de l’Université de notamment son noyau latéral et
Bonn l’ont maintenant obtenue avec des photons. Les physiciens son noyau central.
ont confiné les photons dans une petite cavité très réfléchissante et Les neurobiologistes ont pré-
remplie d’un colorant dont les molécules sont excitées par laser. Réflé- cisé les circuits de la peur dans ces
Dans le cerveau, l’amygdale,
chis par les miroirs, absorbés et réémis par les molécules du colo- noyaux. Lorsqu’ils inactivaient la notamment son noyau central
rant, les photons restent en nombre constant. En outre, à chaque partie latérale du noyau central, (en vert) et son noyau latéral
interaction avec une molécule du colorant, ils échangent une petite les rats n’apprenaient plus l’as- (en jaune clair), sont le siège
quantité d’énergie, et accordent ainsi leur énergie thermique moyenne sociation entre le son et le choc des réponses comportementales
à la température du colorant. Lorsque les photons sont assez nom- électrique. En revanche, l’inacti- de peur. Des circuits neuronaux
breux, la transition de phase se produit: un condensat de photons vation de la partie médiane de ce spécifiques dans ces noyaux
naît. Un premier pas vers l’exploration de nouveaux états de la lumière? noyau ne modifiait pas l’appren- interviennent soit dans
.➜ M.-N. C.. tissage, mais inhibait la réponse l’apprentissage de la peur,
J. Klaers et al., Nature, vol. 468, pp. 545-548, 2010 comportementale de peur. soit dans son expression.
A c t u a l i t é s
Biologie cellulaire
Comment l’ovocyte rajeunit
NIGMS-NIH
rajeunissement de l’ovocyte. rents stades de la maturation de s’exprimeraient sous l’effet de
Les protéines des cellules sont l’ovocyte, ils ont découvert que signaux intracellulaires, qu’il
constamment altérées par le méta- la quantité de protéines endom- reste à identifier. Le ver nématode Caenorhabditis elegans
bolisme. Elles sont par exemple magées diminue brusquement .➜ Jean-Jacques Perrier. est un bon modèle pour étudier
carbonylées, c’est-à-dire oxydées dans l’ovocyte juste avant la fécon- Aging Cell, vol. 9, pp. 991-1003, 2010 le vieillissement cellulaire.
0,46 °C DE PLUS pour la température moyenne terrestre entre 2001 et 2010, par rapport
à la moyenne 1961-1990 : c’est le plus fort réchauffement jamais enregistré pour une décennie.
Astrophysique
Des bulles galactiques géantes
stellaire de la Galaxie elle-même La forme de ces « bulles » sug-
émet un rayonnement ␥ diffus. Il gère qu’elles se sont formées à la
est engendré par l’interaction d’élec- suite d’un dégagement d’éner-
trons accélérés avec des photons gie massif et rapide depuis le
qu’ils propulsent dans le domaine ␥ centre galactique. La source pour-
(effet Compton inverse), ou avec rait être un jet de matière émis par
des champs magnétiques (rayon- le trou noir supermassif qui y
NASA/DOE/Fermi LAT/D. Finkbeiner et al.
D
Une structure géante a été epuis 2008, le télescope spa- sément, ils ont isolé un signal dis- le centre galactique est la signa-
découverte en analysant tial Fermi observe le ciel en continu et plus intense dans la partie ture de l’annihilation de particules
les données du télescope Fermi rayons gamma (␥), la par- énergétique du spectre, émis par de matière noire, une forme mys-
pour un domaine d’énergie compris tie la plus énergétique du spectre des électrons accélérés à 500 giga- térieuse de matière. Une hypo-
entre un et dix gigaélectronvolts. électromagnétique. Le rayonne- électronvolts. La région d’émission thèse qui ne semble pas confirmée
On distingue deux lobes émergeant ment ␥ provient pour l’essentiel de correspond à deux immenses lobes par les nouvelles données du
du centre galactique et s’étendant
phénomènes astrophysiques vio- aux bords bien définis, qui s’éten- télescope Fermi.
jusqu’à 50 degrés au-dessus
lents, tels les jets des trous noirs dent sur 25000 années-lumière de .➜ Philippe Ribeau-Gésippe.
et au-dessous du plan galactique.
supermassifs. Mais le milieu inter- part et d’autre du plan galactique. Astrophysical Journal, vol. 724, p. 1044, 2010
A c t u a l i t é s
Archéomédecine
L’arrivée du typhus En bref
NOYAU EXTERNE EN STRATES
en Europe George Helffrich, de l’Université
de Bristol, et Satoshi Kaneshima,
de celle de Kyuschu, ont étudié
L e 1er novembre 1700, le roi d’Espagne Charles II des ondes sismiques se propa-
meurt sans successeur. Les deux grandes familles geant à travers le noyau externe
régnant alors sur l’Europe revendiquent le trône: de la Terre. De leurs vitesses, ils
les Bourbon, représentés par Louis XIV, et les Habs- déduisent que les 300 derniers
bourg d’Autriche, avec l’empereur Léopold Ier. C’est kilomètres de cette enveloppe
le début de la guerre de succession d’Espagne qui sont stratifiés par couches conte-
durera jusqu’en 1713. Sur le front Nord, la ville de nant de plus en plus d’éléments
Douai, à l’époque en Flandre française, fut perdue légers (jusqu’à cinq pour cent).
en 1710, puis reprise en 1712. Tung Nguyen-Hieu et Intercalé entre le noyau interne
Didier Raoult, de l’Université de la Méditerranée, à et le manteau inférieur, le noyau
Marseille, et leurs collègues, ont montré que les sol- externe est réputé composé d’un
dats y eurent affaire non seulement à leurs adversaires, alliage fer-nickel (80 et 15 pour
Un almanach montre la reconquête de Douai
mais aussi à des bactéries pathogènes dévastatrices. par les troupes du duc de Villars, le 8 septembre 1712. cent), liquide et à une tempéra-
Des tombes du début du XVIIIe siècle ont été décou- ture de 4 000 °C, avec une vis-
vertes à Douai en 1981 sur un terrain qui était vrai- Guerre mondiale chez les soldats. La seconde bac- cosité comparable à celle de l’eau.
semblablement une installation militaire. Les corps térie est responsable du typhus.
ont été déposés tête-bêche dans des fosses exiguës, Un examen plus poussé a révélé que la souche
caractéristique que l’on relie à une mortalité massive de R. prowazeki, isolée à Douai, est du même géno- UN POINT POUR EINSTEIN
et soudaine. Des lésions indiquent que cinq de ces type que celui ayant sévi les siècles suivants en La théorie de la relativité géné-
individus, enterrés ensemble, sont probablement Espagne jusqu’au XXe siècle. Ces résultats, qui mon- rale d’Einstein vient de passer
morts au combat, mais qu’en est-il des autres ? trent pour la première fois la présence du typhus en un nouveau test avec succès.
Des analyses génétiques de la pulpe dentaire des Europe au XVIIIe siècle, confortent l’hypothèse selon Depuis 1992, la position du satel-
squelettes ont mis en évidence les traces de deux bac- laquelle le typhus a été importé en Europe par les lite LAGEOS II est mesurée avec
téries, Bartonella quintana et Rickettsia prowazeki. La conquistadors espagnols à leur retour des Amériques. précision par laser pour des
première est l’agent de la fièvre des tranchées, une .➜ L. M.. études géodésiques. En analy-
maladie infectieuse fréquente lors de la Première T. Nguyen-Hieu et al., PLoS ONE 5(10), e15405, 2010 sant 13 ans de ces mesures, des
chercheurs italiens ont recons-
titué la trajectoire du satellite et
retrouvé la précession de son
Environnement périhélie (la dérive de la position
A c t u a l i t é s
Physiologie Physique
La contraction de l’utérus Des atomes d’antihydrogène
L ors de l’accouchement, le puissant muscle de l’utérus se contracte
pour expulser le bébé. Nora Renthal et ses collègues, de l’Uni-
versité du Texas à Dallas, ont identifié de nouveaux mécanismes
qui durent
moléculaires qui permettent à l’utérus de se contracter. Lors de la gros-
sesse, une hormone sexuelle, la progestérone, agit sur ses récepteurs
dans l’utérus pour rendre le muscle quiescent et l’empêcher de se
contracter: elle bloque l’activité de gènes codant des protéines qui pro-
voquent la contraction. Au moment de l’accouchement, la diminution
L es physiciens de l’expérience
ALPHA au CERN, à Genève,
ont réussi à piéger des
atomes d’antihydrogène pendant
plus de 172 millisecondes.
temporelle de 30 millisecondes
signent la présence d’antihydro-
gène. Dans plus de dix pour cent
des essais, le détecteur signale
la présence d’antihydrogène.
de la progestérone dans le sang ou l’inhibition de ses récepteurs indui- Disposer de tels atomes, où Comme le temps écoulé jusqu’à
rait les contractions utérines. Les biologistes ont identifié dans le muscle l’électron est remplacé par un posi- l’ouverture du piège à atomes est
utérin de souris et de femmes des micro-ARN miR-200, dont l’expres- tron et le proton par un antiproton, de 172 millisecondes, les physi-
sion augmente à la fin de la gestation, quand l’activité de la proges- permettrait de tester la symétrie ciens en concluent pouvoir créer
térone diminue, et leurs cibles, nommées ZEB1 et ZEB2, dont l’expression entre matière et antimatière. Si la et conserver des atomes d’anti-
diminue: les micro-ARN bloquent l’expression de ces facteurs de trans- symétrie est entière, le positron hydrogène pendant cette durée,
cription, qui inhibent la synthèse des protéines impliquées dans la d’un atome d’antihydrogène doit suffisante pour les étudier.
contraction musculaire. Résultat: l’utérus se contracte. par exemple avoir les mêmes états Notons qu’une autre expérience
.➜ B. S.-L.. d’énergie que l’électron d’un du CERN, nommée ASACUSA, vient
N. Renthal et al, PNAS, en ligne, 15 novembre 2010 atome d’hydrogène, chose encore de mettre au point une technique
jamais testée. alternative, un «piège magnétique
Dans l’expérience ALPHA, un à étranglement », qui produit des
Biologie animale essai se déroule ainsi : de nom- anti-atomes d’hydrogène et les
breux antiprotons et positrons fait parcourir un tube à vide dans
Obésité : les animaux aussi sont introduits durant une se-
conde dans un piège électrique et
le but de les étudier en vol.
Ces deux avancées indiquent
ON EN REPARLE
Retour sur des sujets déjà traités dans nos colonnes
quer la forte émission de méthane des Elysium, les deux principales régions vol-
forêts tropicales. D’autres minimarécages caniques. En utilisant les données
restent probablement à découvrir. recueillies entre 1999 et 2004 par le spec-
tromètre pour émissions thermiques
embarqué sur l’orbiteur Mars Global Sur-
veyor de la NASA, des scientifiques italiens
CYCLE DU MÉTHANE MARTIEN ont montré que les volumes de méthane
dans l’atmosphère présentent un cycle sai-
OPINIONS
POINT DE VUE
L
a question de la terminologie est une conscience. Toutefois, nous pensons sens entre le mot courant et son usage
récurrente dans toutes les dis- que de tels termes sont plus que de simples biologique élargi reflète la place de l’homme
ciplines scientifiques. Le biolo- métaphores, et qu’ils permettent de repla- dans la nature. Un homme tricheur pratique
giste est déconcerté par le cer l’homme au sein du monde du vivant. une forme de tricherie biologique : il ne
vocabulaire du physicien, le géophysicien Commençons par rappeler quelques suit pas la logique sur laquelle repose le sys-
par celui du cosmologiste, tous le sont par emprunts déjà anciens et maintenant tème, et abuse de ceux qui s’y confor-
les termes utilisés par le biologiste. L’utili- stabilisés. La colonisation d’un milieu : une ment. Un homme altruiste divertit une partie
sation de termes préexistants aplanit ce espèce pionnière ne crée pas de colonie. de ses ressources en faveur des autres :
type de difficultés et, comme nous le ver- Le mutualisme – mot repris en 1875 par c’est la forme humaine de l’altruisme bio-
rons, va parfois bien au-delà de simples ima- le biologiste belge Pierre-Joseph Van Bene- logique. Tromper son partenaire, c’est faire
ges. Ainsi, la description du monde vivant den, alors que se créaient les mutuelles en sorte qu’il n’agisse pas au mieux de sa
est parsemée de termes désignant aussi ouvrières – ne vise aucunement l’entraide propre valeur sélective, en biologie, ou de
des comportements humains. sociale. Mutualisme et colonisation, utili- son intérêt propre, en société.
On parle de stratégie écologique pour sés dans le deuxième paragraphe, ne heur- Déjà, pour les botanistes du XVIIIe siècle,
désigner la façon dont une espèce coloni- tent plus un biologiste actuel. Lorsque le décrire une fleur avec des mots issus de la
se un milieu ; dans une relation à bénéfices rôle de la fleur dans la fécondation a émergé, sexualité humaine recelait une vision uni-
réciproques, ou mutualisme, un tricheur est au XVIIIe siècle, des termes issus de la vie du ficatrice du monde. Le titre complet de l’ou-
celui qui obtient des ressources d’un par- couple ont été utilisés pour la décrire. Un vrage de Linné évoqué plus haut est
tenaire sans rien lui fournir en retour. éloquent : « Préliminaire aux épou-
Quant aux altruistes, telles les four-
mis ouvrières qui sacrifient leur
LES MOTS À CONNOTATION HUMAINE sailles des plantes dans lequel [...]
la véritable analogie des plantes avec
propre reproduction à celle de la aident à penser l’unité du vivant. les animaux est montrée. » Aujour-
reine, ils fournissent un bénéfice d’hui, on considère qu’une ressem-
sans nécessairement recevoir d’avantages ouvrage de Linné sur les fleurs, en 1729, blance est soit issue d’un ancêtre commun
en échange, du moins en apparence. Un introduit aux « épousailles des plantes », (homologie), soit acquise indépendamment
signal honnête informe sur les qualités de et certains termes sont restés : le gynécée, par deux espèces au cours de leur évolution
l’individu : chez un oiseau mâle, de belles ensemble des pièces femelles de la fleur, (convergence). Linné ne pensait pas en ces
plumes indiquent qu’il est sain. L’honnêteté désignait la pièce de la maison grecque où termes, mais il rapprochait deux mécanismes
s’oppose à la tromperie : les orchidées vivaient les femmes, et le thalamus (le socle par l’emploi du même mot.
sans nectar ressemblent tant à des fleurs de la fleur), la chambre nuptiale, lieu des La sélection naturelle est née d’un glis-
nectarifères que les insectes s’y trompent épousailles. Dans la relation entre un pa- sement semblable : des amis de Darwin lui
et pollinisent la fleur sans s’y nourrir ! Enfin, rasite et son hôte, le second n’invite pas le déconseillaient le mot sélection, qui leur sem-
un gène est dit égoïste quand sa propre premier... En 1665, Robert Hooke a nommé blait personnaliser la nature. En effet, au
reproduction diminue le succès reproduc- la cellule, mais ce n’est pas une pièce de XIXe siècle, la sélection était une activité
teur de l’individu qui le porte. monastère ou de prison ! humaine. Darwin, dont la démarche partait
Un tel usage anthropomorphique des Ce réemploi de termes n’est-il pas néan- de la sélection artificielle, a tenu bon... et a
mots peut choquer, car il suggère un but ou moins maladroit ? Non, car la proximité de réussi. Aujourd’hui, la sélection est un tri
Opinions
sur une variation héritable, par les circons- différents, c’est perdre de vue les proprié- œuvre la conscience : quand on a peur, on
tances naturelles ou par l’homme: le concept tés communes. fuit; quand on voit une personne en détresse,
a été étendu, soulignant des mécanismes Plutôt que de dissimuler le risque d’an- on l’aide, sans toujours réfléchir. L’homme
semblables. Au passage, notons que l’ambi- thropomorphisme derrière des vocables dif- ne relève pas d’une nature originale qui
guïté s’efface avec le temps. C’est sans doute férents selon qu’il s’agit de l’homme ou de différerait de la nature animale.
pourquoi le langage ne distingue pas toujours la nature, nous devrions donc expliciter ce Refuser l’emploi de mots communs à
les processus conscients ou volontaires : on risque, en particulier dans les enseigne- l’homme et à la nature, c’est remplacer l’an-
parle de soins parentaux ou de chasse chez ments. Quand nous élargissons au monde thropomorphisme par une forme d’an-
l’homme comme chez l’animal, que le pro- vivant l’emploi de mots issus du quotidien thropocentrisme. En revanche, des mots
jet soit volontaire et conscient ou non. humain, nous généralisons des lois et des à connotation humaine aident à replacer
Ces emprunts sont donc moins des mécanismes naturels, valables aussi pour l’homme dans le monde naturel et à penser
métaphores que des glissements de sens. les souris ou les cèpes... Bien sûr, comme l’unité du vivant. I
Utiliser des termes identiques souligne des toutes les espèces, l’homme a ses parti-
similitudes, issues d’une origine commune cularités, dont une conscience de lui-même Marc-André SELOSSE est professeur
ou d’une convergence évolutive. Forger des et l’intentionnalité qui en résulte. Mais les à l’Université Montpellier II.
mots nouveaux spécifiques n’est pas une neuropsychologues confirment chaque jour Pierre-Henri GOUYON est professeur
au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris.
alternative : la biologie étouffe de termes un peu plus que de nombreux actes humains,
désignant le même phénomène dans des outre les fonctions autonomes telles que Réagissez en direct
contextes différents. Retenir des termes la respiration ou la soif, ne mettent pas en fr à cet article sur
www.pourlascience.fr
ÉCONOMIE
V
oici que s’ouvre l’année 2011, de relance économique par des investis- il paraît inconcevable que des spécia-
et l’économie mondiale est sements publics et des réductions d’impôts. listes divergent à ce point. Virez les écono-
toujours en récession. Plus Pour qui a été formé aux sciences exactes, mistes, et mettez des physiciens à la place :
de deux ans après l’éclate- l’économie ne doit pas être beaucoup plus
ment de la bulle hypothécaire aux États- difficile à modéliser que la météorologie ou
Unis, la confiance n’est pas revenue. Au le climat, et une fois qu’on aura trouvé le
contraire, la méfiance s’étend dorénavant bon modèle, il suffira de le faire tourner.
des banques aux États : 2008 a vu la chute Nous avons tous en tête le modèle des
de Lehman Brothers, et 2011 risque fort de gaz parfaits, où l’agitation désordonnée des
voir la banqueroute de la Grèce, de l’Ir- molécules au niveau microscopique se tra-
lande ou du Portugal. duit au niveau macroscopique par trois
Pourtant, les bons conseils n’ont pas variables, la pression, le volume et la tem-
manqué. Ils sont même contradictoires. Les pérature, liées par la loi de Mariotte PV = RT.
J.-M. Thiriet
uns préconisent une politique d’austérité, La tentation est grande d’étendre ce modèle
en vue de réduire le déficit budgétaire et à l’économie, et de supposer que les com-
la dette publique, les autres une politique portements individuels se traduisent au
Opinions
niveau collectif par des variables agré- mique soit bénéfique pour tout le monde en Des investisseurs privés, disent les uns :
gées, liées par des lois que l’économiste même temps. Pour que l’économiste fasse pour l’instant, ils sont assis sur leur argent,
se doit de découvrir. Malheureusement, l’ana- des recommandations, il lui faudra donc car aucun placement n’est suffisamment
logie est trompeuse. Les molécules de gaz faire des choix, privilégier tel groupe, ou telle sûr, mais en rétablissant le crédit des États
sont identiques et interchangeables, alors échéance, aux dépens de tel autre. Si ces par une politique budgétaire rigoureuse, on
que les individus diffèrent d’une multitude choix sont explicites, tant mieux, mais rétablira la confiance et l’argent quittera les
de manières, allant de leur physique à leur comme ils sont le plus souvent implicites, coffres des banques et les bas de laine. Du
rang dans la société. Les molécules n’agis- ils paraissent nécessaires. L’économiste secteur public, disent les autres: quand plus
sent les unes sur les autres que par des est un peu dans la situation du confesseur personne ne veut dépenser, c’est à l’État de
collisions, alors que les individus peuvent du roi : personne ne l’empêche de se reti- le faire. En finançant de grands travaux, et
s’influencer de bien des façons. L’évolution rer dans une chartreuse pour prier Dieu, des investissements d’infrastructure, il met-
du gaz ne dépend que de son état présent, ou d’enseigner la théologie dans quelque tra de l’argent en circulation, dans des condi-
alors que l’évolution de la société dépend université, mais il est tellement plus grati- tions qui feront qu’il ne sera pas thésaurisé,
aussi des anticipations que forment ses fiant de côtoyer les puissants et d’influen- et qu’il en entraînera d’autres.
membres sur son état futur. Bref, il n’est nul- cer leurs décisions ! Mais pour cela, il faut Qui a raison ? Tous les deux peut-être :
lement évident, et il est même probablement savoir se mettre à leur place et pratiquer il s’agit juste de savoir ce qu’on veut. Cha-
faux, que l’on puisse oublier toute la struc- l’art de concilier leur conscience avec leur cune de ces politiques favorisera cer-
ture fine de la société et se contenter de intérêt : cela s’appelle la casuistique. taines catégories, la première les rentiers
quelques variables macroéconomiques Revenons à la question qui nous occupe: et les financiers, la seconde les salariés et
qui suffiraient à décrire l’état de celle-ci. comment sortir de la crise ? On peut au les industriels. Les choix de nos gouverne-
Et ce n’est pas tout ! Il ne s’agit pas seu- moins signaler un progrès de la pensée éco- ments révéleront (si ce n’est déjà fait) leurs
lement de comprendre, on veut aussi agir. nomique : plus personne ne croit à la loi de préférences. I
Mais les états de la société sont complexes, Say, suivant laquelle l’offre crée sa propre
et il est bien rare qu’une politique écono- demande. D’où viendra donc la demande ? Ivar EKELAND est professeur d’économie.
DÉVELOPPEMENT DURABLE
A
lors que la concentration du L’idée est née d’observations effectuées c’est-à-dire entre 400 et 500°C, et en quasi-
dioxyde de carbone augmente dans les années 1960 sur les terras pre- absence d’oxygène. Diverses techniques de
dans l’atmosphère, diverses tasde l’Amazonie centrale. Ces terres noires, pyrolyse produisent des gaz (dioxyde et
techniques visant à piéger ce bien plus fertiles que la moyenne des sols monoxyde de carbone, hydrogène, méthane),
gaz sont à l’étude. L’une d’elles consiste à pro- amazoniens, ont entre 500 et 2 500 ans. dont certains sont combustibles et réutili-
duire et enfouir du biochar (pour bio-char- Elles résultent de l’accumulation de matière sables, et du biochar. Ce dernier a l’avantage
coal), ou charbon vert. Il s’agit d’une forme de organique mélangée à des résidus de de résister à la décomposition. Ainsi, la fabri-
charbon végétal, non pas du charbon de bois, combustion produits par des communau- cation et l’utilisation du biochar laisse-
mais un produit poreux et stable. Incorporé tés amérindiennes. raient échapper dans l’air beaucoup moins
dans les sols, il aurait deux vertus : il piége- On sait aujourd’hui obtenir un carbone de gaz à effet de serre que des résidus végé-
rait de grandes quantités de carbone durant stable comparable à celui des terras pretas taux se décomposant sur le sol ou enfouis.
des centaines d’années, tout en améliorant et incorporable aux sols. Pour ce faire, on Avant d’utiliser le biochar à grande échel-
les propriétés agronomiques des sols. brûle des résidus végétaux par pyrolyse, le, il nous faut lever plusieurs incertitudes.
Opinions
Les effets bénéfiques observés sur quel- s’inquiètent des éventuels effets biolo-
ques sols pauvres d’Amazonie le sont-ils giques du biochar incorporé dans les sols.
aussi sur d’autres terres ? En effet, la pyrolyse produit des composés
Lorsque la pyrolyse des résidus végé- aromatiques polycycliques, dont certains
taux est conduite dans une installation bien sont toxiques et seraient piégés dans le
contrôlée, les expériences réalisées ont charbon vert. Par manque d’expérimenta-
confirmé que le bilan est bien «carbone néga- tions à long terme, on ignore la destinée de
tif » : le biochar piège plus de carbone que ce ces résidus toxiques dans les sols et leur
qu’aurait permis le processus naturel de impact biologique.
décomposition des mêmes matières orga- Une autre question a trait aux effets
niques, et la fraction de dioxyde de carbone concurrentiels du biochar. Les régions sèches,
et d’autres gaz à effet de serre relâchée dans aux sols souvent pauvres, sont celles qui
l’atmosphère est donc plus faible. Quant au en auraient le plus besoin. Cependant, fabri-
bilan énergétique, il reste à déterminer, car quer sur place du biochar impliquerait de cul-
tiver des plantes dédiées à la production de
biomasse, ce qui concurrencerait les cultures
PRODUIRE DU BIOCHAR alimentaires, ou bien d’utiliser les résidus
risque-t-il de concurrencer des récoltes. Or ces derniers sont souvent
les productions alimentaires? utilisés pour nourrir le bétail. De plus, là où
la fertilité des sols a baissé, les agronomes
l’enfouissement du biochar exige un labou- proposent d’enfouir les résidus végétaux,
rage mécanique qui consomme inévitable- fumiers et composts pour stimuler la vie bio-
ment de l’énergie fossile. logique des sols ; produire du biochar ris-
Toutefois, ses bilans carbone et énergéti- querait de concurrencer cette pratique.
que ne valent que si le biochar n’a pas d’effets On pourrait certes imaginer que les
négatifs sur les sols, ou mieux s’il les amé- régions excédentaires en résidus verts
liore. Or il est difficile de déterminer globale- (pailles de riz, bagasses de canne à sucre,
ment ses propriétés agronomiques. Le produit tiges de maïs, etc.) produisent le biochar.
peut être obtenu à partir de diverses matières Mais il faudrait alors le transporter jusqu’aux
premières organiques, pas seulement végé- zones utilisatrices. En sus du processus
tales: ses qualités varient donc. de fabrication lui-même, les bilans carbone
Des mesures ont confirmé que, en com- et énergétique tenant compte de la collecte,
paraison de sols enrichis par de la matière du conditionnement, du transport et de la
organique, des sols contenant du biochar distribution seraient-ils encore positifs ?
augmentent la diffusion des éléments nutri- Selon nous, le biochar n’est sans doute
tifs vers les plantes et la biomasse micro- pas la solution que certains ont cru voir,
bienne. Mais ces effets agronomiques varient mais un des moyens qui, bien utilisés, peu-
beaucoup selon les matières premières qui vent contribuer à une gestion durable des
ont été pyrolysées. Au Congrès mondial 2010 terres et de l’environnement, tout en assu-
de science des sols, qui s’est tenu à Brisbane rant une amélioration de la production agri-
en août 2010, une vingtaine de communi- cole. Des recherches de terrain sont encore
cations ont évoqué des effets tant positifs indispensables pour s’en assurer. I
que négatifs, ou non concluants.
Le plus souvent, au début de son utili- Richard ESCADAFAL, Antoine CORNET
sation, le biochar améliore les sols pauvres, et Martial BERNOUX sont chercheurs
à l’IRD et membres du Comité scientifique
mais certaines études ont mis en évidence français de la désertification
des effets négatifs à plus long terme. Ainsi, (www.csf-desertification.org)
certains charbons verts hydrophobes ren- F. G. A. Verheijen et al., Biochar application
dent la surface des sols imperméable, favo- to soils - A critical scientific review of effects
risant le ruissellement et l’érosion. D’autres on soil properties, processes and functions,
Office of the Official Publications
nuisent aux populations de vers de terre. of the European Communities,
Par ailleurs, plusieurs équipes de recherche Luxembourg, 149 pp., 2010.
Opinions
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es batteries occupent aujour- consommés par une réaction dite de réduc- De même, complètement chargée, l’électrode
d’hui une place importante dans tion de son matériau actif. Durant la décharge, négative fonctionne dans un domaine de
la vie quotidienne (téléphones, la tension de l’accumulateur – ou différence potentiels où l’électrolyte n’est pas stable
ordinateurs portables, etc.). de potentiels des deux bornes – diminue. Lors et se réduit : une couche dite de passiva-
On aimerait tous utiliser des batteries plus de la recharge, la réaction n’est pas sponta- tion se forme à la surface de l’électrode.
performantes. Or l’autonomie et la durée de née: de l’énergie est nécessaire pour rame-
vie des batteries dépendent de la technique ner les matériaux actifs à leur état initial.
et des matériaux utilisés. Mais leurs per- Maintenir un accumulateur «rechargé»
Batteries lithium-ion
formances changent-elles selon la façon ou ne s’en servir que lorsqu’il est peu chargé La croissance de cette couche a deux effets:
dont on les utilise ? n’est pas anodin. Quand les matériaux d’élec- elle augmente la résistance interne de la
Une batterie comprend plusieurs accu- trodes sont en permanence rechargés, s’ils batterie, ce qui diminue sa puissance, et elle
mulateurs électrochimiques (ou piles rechar- sont stables et n’évoluent pas dans le temps, consomme des ions lithium, ce qui réduit sa
geables) branchés en série ou en parallèle. cela ne pose pas de problème. Mais pour les capacité. Ainsi, le vieillissement de l’accu-
Un accumulateur fournit et stocke l’énergie accumulateurs utilisant des électrodes posi- mulateur dépend de l’état de charge dans
grâce à la transformation chimique de maté- tives en nickel par exemple, à l’état chargé, lequel est stockée la batterie. Plus le matériau
riaux «actifs», qui échangent des électrons. le matériau actif est sous forme d’oxy- actif de l’électrode négative est conservé sous
Il est formé de deux électrodes composées hydroxyde de nickel de type bêta (β-NiOOH). sa forme réduite, plus il y a de réactions de
chacune d’un collecteur métallique de cou- Ce composé peut être réduit et oxydé un grand dégradation formant la couche de passivation.
rant – qui transporte les électrons –, recou- nombre de fois, ce qui confère à la batterie Et la température amplifie ces phénomènes.
vert d’un matériau actif fonctionnant à un une grande durée de vie. Mais quand le Une couche de passivation apparaît aussi
potentiel électrique donné. L’électrode posi- β-NiOOH est maintenu à haut potentiel, il se sur les électrodes positives en oxyde de cobalt
tive a le potentiel le plus élevé et est reliée à transforme en plusieurs semaines en une lithié des batteries fonctionnant à 3,9 volts.
la borne positive de l’accumulateur ; l’élec- structure différente, nommée α-NiOOH. Or ce En revanche, les nouveaux accumulateurs
trode négative a le potentiel le plus faible. composé ne se décharge que partiellement. lithium-ion qui fonctionnent à plus faible
Les électrodes sont immergées dans Garder cette batterie en état de charge élevée potentiel (3,5 volts), avec une électrode posi-
un liquide (ou un gel), nommé électrolyte, qui diminue donc sa durée de vie. Y a-t-il une solu- tive en phosphate de fer lithié (LiFePO4), ne
contient des ions. Quand l’accumulateur est tion? Décharger tous les mois la batterie au forment pas cette couche de passivation.
débranché, les électrodes ne sont pas connec- nickel évite la formation de cette phase Ainsi, une décharge complète ne resti-
tées par un circuit externe et les électrons ne indésirable. C’est ce qui était recommandé tue pas les propriétés initiales de la batterie
circulent pas. Dès que l’on branche un appa- avec les batteries nickel-cadmium, qui ne sont lithium-ion. Mais une batterie déchargée régu-
reil aux bornes de l’accumulateur, les élec- plus utilisées par le grand public. lièrement vieillira moins vite, car le risque de
trodes tendent à égaliser leur potentiel en Qu’en est-il du plus populaire des accu- formation des couches de passivation dimi-
échangeant des électrons. La continuité élec- mulateurs à lithium-ion ? Dans ce système, nue, et ce, d’autant plus que sa tempéra-
trique s’établit et un flux d’électrons est pro- les matériaux utilisés ne sont pas tous stables ture reste basse (environ 20 °C). ■
duit à l’électrode négative: le matériau actif aux potentiels de fonctionnement de l’ac-
se transforme en libérant des électrons selon cumulateur. Par exemple, l’aluminium, le col- Patrice SIMON est professeur en sciences
une réaction d’oxydation. Ces électrons tra- lecteur de courant de l’électrode positive, des matériaux à l’Université Paul Sabatier
de Toulouse, dans le Laboratoire CIRIMAT.
versent l’appareil, l’alimentant au passage, et s’oxyderait s’il n’y avait pas une couche pro- Mathieu MORCRETTE dirige le Laboratoire
arrivent à l’électrode positive où ils sont tectrice de fluorure d’aluminium très stable. de réactivité et chimie des solides, à Amiens.
. PYREX ET DILATATION. RÉPONSE D’ALAIN LÉGER pond à un autre univers que celui de l’entrée, et
Dans la dernière rubrique Idées de physique À ma connaissance, aucun satellite de planète qu’il est impossible de rejoindre celui-ci en retra-
(Le verre : attention, fragile ! Pour la Science extrasolaire n’a à ce jour été mis en évidence. versant le trou de ver. Cela étant, les trous de
n° 398, décembre 2010, En revanche, il n’est pas certain qu’une grande vers sont des objets fondamentalement instables,
http://bit.ly/pls398_idphys), les auteurs variabilité des saisons et du climat soit un fac- et il est très peu probable de réussir à en pro-
évoquent le pyrex, « trois fois moins dilatable teur si négatif pour l’émergence de la vie. Les duire un d’une taille et d’une durée de vie macro-
que le verre usuel ». Qu’est-ce que le pyrex, grandes étapes évolutives ont souvent été liées scopiques. Il semble donc qu’il y ait des raisons
et à quoi est due cette propriété ? à des catastrophes, qui ont ouvert de nouveaux indépendantes des paradoxes temporels qui
Georges Wattelse environnements pour les êtres vivants. En empêchent les trous de ver d’exister.
témoigne par exemple la catastrophe survenue
RÉPONSE DE JEAN-MICHEL COURTY il y a 65 millions d’années qui a décimé les dino-
Le verre standard est un verre sodocalcique, com- saures et permis l’essor des mammifères.
posé de 72 % de silice, 13 % de soude et 5 % de
chaux. Le pyrex est en revanche un verre borosi- . TROUS DE VER ET VOYAGE TEMPOREL.
licate, formé de 80 % de silice, 13% d’anhydride L’article Peut-on créer une machine à remonter
borique, 4 % de soude et 3 % d’alumine. Quelles le temps ? (Pour la Science n° 397,
A. Riazuelo/IAP/UPMC/CNRS
sont les conséquences de ces différences de com- novembre 2010, http://bit.ly/pls397_davies)
position ? Le composant principal du verre stan- présente un voyage relativiste du type
dard, la silice, constitue le réseau matériel de base, « jumeaux de Langevin » comme un voyage
tandis que la soude est un fondant, qui diminue dans le temps. Ne s’agit-il pas plutôt
la température de fusion: de 1730°C pour la silice d’un simple écart de temps propre ? Un trou de ver permet en théorie de voyager
pure, on peut descendre à 1 400 °C. L’ajout de Par ailleurs, avec une machine à voyager dans le temps.
soude augmente le coefficient de dilatation. dans le temps, une partie du système
Dans le pyrex, l’anhydride borique est lui disparaît pour réapparaître à une autre . À QUOI SERT LA TORRÉFACTION ?.
aussi un oxyde formateur, ou vitrifiant (il peut for- époque. L’énergie totale du système n’est L’article Les « décas » contiennent-ils
mer un verre tout seul). Son point de fusion est pas conservée. Cette violation des lois de la caféine ? (Pour la Science n° 398,
de 2 300 °C, mais il a aussi les propriétés d’un de la thermodynamique n’élimine-t-elle pas décembre 2010, http://bit.ly/pls398_cafe)
fondant en abaissant la température de fusion la possibilité d’une machine à remonter suscite chez moi la question suivante :
de la silice. Il réduit le coefficient de dilatation. le temps ? Qu’en est-il dans le cas d’un trou pourquoi torréfie-t-on le café ?
Quant à expliquer pourquoi ce changement d’élé- de ver, comme décrit dans l’article ? Armand Liégeois
ment a cet effet, il faudrait examiner de près les Pierfranck Pelacchi
potentiels interatomiques (voir Contraction ther- RÉPONSE DE MICKAËL NAASSILA
mique, Pour la Science n°371, septembre 2008, RÉPONSE D’ALAIN RIAZUELO Torréfier le café consiste à faire griller les grains
http://bit.ly/pls371_idphys). Comme l’indique l’encadré de Marc Lachièze-Rey pour en révéler tous les arômes. La réaction chi-
accompagnant l’article de Paul Davies, le temps mique de Maillard, ou caramélisation, détermine
. L’OBLIQUITÉ DES SUPER-TERRES. qui passe peut, d’un point de vue sémantique, la constitution de ces arômes. La torréfaction est
L’article Des super-Terres accueillantes être appelé un voyage dans le futur. La théorie responsable du goût du café, et plus elle est longue,
(Pour la Science n° 396, octobre 2010, de la relativité nous dit que ce voyage est certes plus le café sera corsé.
http://bit.ly/pls396_superterres) évoque sans retour, mais qu’il peut s’effectuer à des On peut acheter des grains non torréfiés,
un équilibre de l’atmosphère des exoplanètes vitesses différentes. de couleur verte; ils prendront une teinte blonde,
telluriques en fonction de leur tectonique Concernant les trous de ver, ce sont des brune ou noire selon la durée de torréfaction. Une
et de la convection dans leur manteau. objets relativement bien décrits par les lois phy- torréfaction courte donnera un café acide ; plus
Est-ce que l’obliquité a été intégrée dans siques et il n’y a pas de problème de conserva- longue, le café gagnera en amertume. Les
les modèles ? En effet, la stabilisation tion de l’énergie, puisque si la masse du trou de grains sont habituellement chauffés à environ
de l’obliquité et la régularité des saisons ver augmente quand le voyageur y pénètre, 200 °C pendant une vingtaine de minutes. Cer-
qui en découle semblent être un facteur elle va décroître à une autre époque – antérieure tains cafés bon marché sont chauffés une dizaine
important pour le développement de la vie. ou postérieure – quand le voyageur en ressort. de minutes à environ 800 °C. Le café sera ensuite
A-t-on déjà détecté des exoplanètes avec En revanche, les problèmes classiques de cau- consommé après au moins un ou deux jours de
un satellite qui, comme la Lune avec la Terre, salité du type « paradoxe du grand-père » res- repos. Les grains verts peuvent être conservés
stabilise leur obliquité ? tent d’actualité. On peut évacuer ce paradoxe en plusieurs années, mais le café torréfié craint l’hu-
Yannick Michaud supposant que la sortie du trou de ver corres- midité et la lumière.
Matière noire, énergie sombre, cosmologie, univers, physique des particules, supersymétrie, wimps, super-wimps, galaxie naine, interaction faible
Cosmologie
fiques envisagent de plus en plus sérieu- vrir des formes de matière inconnues à pourrait cependant être
sement que la matière noire, en particulier, partir du comportement de la matière plus complexe que prévu :
ne soit pas juste un paramètre d’ajuste- connue, et leurs observations sont indé- elle pourrait interagir avec
ment nécessaire pour rendre compte du pendantes des phénomènes cosmiques. elle-même ou avec d’autres
mouvement de la matière visible, mais bel Dans le cas de la matière noire, tout formes d’énergie
et bien un pan caché de l’Univers, doté a commencé par la découverte de la dés- par le biais de forces
de sa propre et riche « vie intérieure ». La intégration bêta au début du XXe siècle. inconnues. De quoi former
matière noire pourrait être constituée de Le physicien italien Enrico Fermi a cher- un monde à part,
toute une panoplie de particules incon- ché à expliquer le phénomène en postu- avec sa propre complexité.
nues interagissant via des forces nouvel- lant l’existence d’une nouvelle interaction
ÉNERGIE
SOMBRE :
73%
MATIÈRE
La matièreNON pourrait n’être: 23 %
noireBARYONIQUE
Elle n’est sensible qu’à une partie
des forces connues, ainsi qu’à
des interactions qui lui sont propres.
Matière chaude
Certaines formes
de matière, comme
les neutrinos, naissent
avec une vitesse
comparable à celle
de la lumière.
Matière froide
Certaines formes QUINTESSENCE
de matière, à leur Forme dynamique d’énergie
création, se déplacent qui pourrait avoir été induite
à faible vitesse. par les interactions ÉNERGIE DU VIDE
avec la matière. L’espace vide recélerait
Auto-interaction en fait une énergie
Les particules colossale, due
pourraient interagir aux fluctuations
entre elles beaucoup quantiques.
plus fortement qu’avec
la matière ordinaire.
réats du prix Nobel de physique Tsung- NOUVE AU T YPE DE MATIÈRE NOIRE tion faible cachée ou, plus étonnamment,
Dao Lee et Chen Ning Yang, puis, plus à une version cachée de l’électromagné-
récemment, par de nombreux autres scien- Les super- WIMP ont été le premier type tisme, ce qui signifie que la matière noire
tifiques, dont Robert Foot et Raymond Vol- de particules proposé pour enrichir le pourrait émettre de la « lumière noire ».
kas, de l’Université de Melbourne en modèle WIMP de matière noire. Leur nom Cette « lumière » nous serait bien
Australie. L’idée de ces derniers est que ce est ironique : elles sont encore plus « noires » sûr invisible, et la matière noire reste-
que les WIMP . Elles n’interagissent avec
qui nous apparaît comme de la matière rait cachée. Tout de même, des interac-
la matière ordinaire que par le biais
noire est en réalité la trace d’un monde tions nouvelles pourraient avoir des effets
de l’interaction gravitationnelle.
caché qui est le miroir du nôtre. Et en ce notables. Par exemple, elles pourraient
moment même, des physiciens et astrono- entraîner une déformation des halos de
mes invisibles de l’univers noir se deman- matière noire qui se rencontrent. Les
dent peut-être en quoi consiste leur astronomes ont recherché ce phénomène
« matière noire » dont ils observent les Baryons WIMP Super-WIMP dans le célèbre amas du Boulet (Bullet
effets, et qui serait en fait notre Univers ! Gravitation Cluster), formé de deux amas de galaxies
Cependant, des observations élémen- qui se sont traversés. Les observations
taires indiquent que cet éventuel univers Force électro- montrent que la collision n’a pas, ou
magnétique
caché ne peut être une réplique exacte de très peu, perturbé la répartition de la
Interaction
notre monde visible. En premier lieu, la faible matière noire. Les éventuelles interac-
matière noire est six fois plus abondante Interaction tions cachées ne peuvent donc pas être
que la matière ordinaire. Par ailleurs, si forte très intenses. Les chercheurs continuent
elle se comportait comme la matière ordi- Interactions d’étudier d’autres systèmes.
naire, les halos galactiques se seraient apla- sombres Des interactions noires permettraient
éventuelles
tis pour former des disques comme celui également aux particules de matière noire
de la Voie lactée, avec des conséquences Dans le modèle des WIMP (à gauche), ces par- d’échanger de l’énergie et de la quan-
gravitationnelles significatives, qui n’ont ticules amorcent directement la formation tité de mouvement, processus qui ten-
pas été observées. Enfin, l’existence de par- des galaxies. Dans le scénario des super-WIMP drait à homogénéiser les halos et les
ticules cachées identiques aux nôtres aurait (à droite), les WIMP se désintègrent en super- conduirait à adopter une forme sphéri-
WIMP, qui forment les germes galactiques
influé sur l’expansion cosmique et la que (alors que l’interaction avec la
avec un retard par rapport au modèle des WIMP.
nucléosynthèse primordiale, en modifiant matière baryonique tendrait à les apla-
notamment la quantité d’hydrogène et tir). Ce processus d’homogénéisation
d’hélium dans l’Univers primordial ; les devrait être particulièrement prononcé
mesures de la composition de l’univers pour les galaxies naines, de très petites
visible l’excluent. Toutes ces considéra- galaxies satellites de galaxies massives,
tions discréditent l’hypothèse d’un uni- où la matière noire représente jusqu’à
vers miroir de matière noire. 90 pour cent de la masse totale. L’obser-
Les WIMP Les WIMP vation que les galaxies naines sont sys-
se forment se forment
tématiquement plus sphériques que leurs
La lumière noire cousines massives serait un signe révé-
Cela dit, de nouveaux indices suggèrent lateur de l’interaction de la matière noire
qu’il pourrait effectivement exister diffé- par le biais de forces nouvelles. Les astro-
rentes particules invisibles interagissant nomes viennent seulement de démarrer
via de nouvelles forces. Dans l’une des les études nécessaires.
voies explorées par nous et d’autres cher- Les premières Les WIMP se
protogalaxies désintègrent
cheurs, il a été montré que le même cadre apparaissent en super-WIMP
supersymétrique qui conduit aux WIMP La matière noire
autorise des scénarios alternatifs dépour- couplée
vus de WIMP, mais présentant de multi-
ples autres types de particules. Dans
à l’énergie sombre
certains de ces modèles, ces particules Une autre possibilité intéressante est que
interagissent les unes avec les autres au Les galaxies Premières la matière noire interagisse avec l’éner-
moyen de nouvelles forces « noires » sup- se forment protogalaxies gie sombre. La plupart des théories exis-
posées. Nous avons calculé que de telles tantes traitent ces deux entités de façon
forces modifieraient les vitesses de créa- indépendante, mais il n’y a pas de rai-
tion et d’annihilation de matière noire dans son particulière pour qu’elles le soient
l’Univers primordial, mais il resterait effectivement. Des physiciens commen-
suffisamment de particules pour rendre cent à envisager comment la matière noire
compte de la matière noire actuelle. Les galaxies Les galaxies et l’énergie sombre pourraient interagir.
Ces modèles prédisent que la matière continuent se forment Ils espèrent en particulier que le couplage
d’évoluer tardivement
noire pourrait être sujette à une interac- entre les deux entités atténue certaines
C O M M E N T V O I R L’ I N V I S I B L E
usqu’à présent, tout ce que l’on sait de la matière noire découle de pas facile : la matière noire est par définition insaisissable. La plupart
J ses effets gravitationnels sur la matière visible. Mais on doit la détec-
ter de façon directe pour découvrir de quoi est constituée cette
des efforts sont concentrés sur les WIMP. Les trois principales straté-
gies de recherche concernent l’annihilation, la diffusion et la produc-
matière qui représente le quart du contenu de l’Univers. Cela ne sera tion de ces particules.
Observations physiques
ANNIHILATION DÉTECTION DIRECTE PRODUCTION
Quand deux WIMP se rencon- La matière noire de notre De la matière noire pourrait
trent, elles s’annihilent l’une galaxie devrait continuelle- être créée dans le grand col-
l’autre en émettant des élec- ment traverser la Terre. À de lisionneur de hadrons du
trons, des positrons (ou antiélectrons) et des rares occasions, une WIMP peut heurter un CERN, le LHC. La création de matière noire
neutrinos. Ces annihilations ne doivent pas noyau atomique et la faire reculer. Les est une annihilation « à l’envers » : si la
être trop fréquentes, sinon il ne resterait plus énergies de recul prédites sont infimes, mais matière noire peut s’annihiler en particules
aucune WIMP à l’heure actuelle. Les expé- à la portée de détecteurs sensibles. En refroi- ordinaires, elle doit aussi, par symétrie, pou-
riences en cours sont assez sensibles pour dissant les atomes, on peut ralentir leur vi- voir être produite à partir de collisions de
détecter l’annihilation d’une minuscule frac- brations naturelles et ainsi faciliter la dé- particules usuelles telles que des protons.
tion des WIMP. tection d’un recul. L’énergie déposée par une L’observation de collisions dans lesquelles
Des détecteurs embarqués en ballon et WIMP serait une clef pour identifier les pro- de l’énergie et de la quantité de mouvement
des satellites ont recherché le témoignage des priétés de la matière noire. Deux expérien- semblent disparaître serait un indice fort
électrons et des positrons.L’année prochaine, ces, DAMA et CoGeNT, ont revendiqué la dé- que des particules inertes ont été produites,
le spectromètre AMS cherchera des positrons tection d’un signal (ci-dessous), mais d’au- et se sont échappées sans que le détecteur
depuis la Station spatiale internationale.D’au- tres,comme XENON et CDMS,n’ont rien trouvé. ne les enregistre. Le LHC, conçu pour extir-
tres observatoires,comme l’expérience Super- La sensibilité de ces expériences et de leurs per les secrets du monde subatomique, pour-
Kamiokande au Japon et IceCube en Antarc- successeurs s’améliore rapidement, ce qui rait mettre au jour la forme de matière la
tique, étudient les neutrinos. promet des résultats pour bientôt. plus répandue dans l’Univers.
Les expériences SuperCDMS, XENON XENON, MAJORANA XENON, MAJORANA Spectromètre Magnétique
à venir Démonstrateur Démonstrateur Alpha
Observations astronomiques
L’amas du Boulet est l’un des indices les plus convaincants dont
disposent les astronomes pour étudier le comportement de la matière
noire. Il s’agit de deux amas de galaxies entrés en collision. La collision
n’a pas affecté les étoiles des galaxies (image visible) parce qu’à cette
échelle, elles représentent de minuscules cibles, mais les nuages de gaz
intergalactiques se sont percutés et ont émis des rayons X (en rose).
La matière noire (en bleu) trahit sa présence par son effet
gravitationnel, qui déforme l’image des sources situées en arrière-plan.
Elle est restée couplée à la matière visible, ce qui suggère
NASA
difficultés de la cosmologie. Par exem- galaxies satellites déchiquetées par leurs tes sur les modèles proposés, et en exclure
ple, la densité de l’énergie sombre est voisines massives, telle la galaxie naine une large classe.
environ le triple de celle de la matière du Sagittaire, disloquée par la Voie lac- Tous ces résultats négatifs semblent
noire. Mais pourquoi pas mille ou un mil- tée. Les astronomes pensent qu’une part décourageants. Cependant, les arguments
lion de fois plus ? Cette coïncidence de la matière noire et de la matière ordi- théoriques en faveur d’un univers sombre
dans les ordres de grandeur pourrait s’ex- naire de la Galaxie du Sagittaire se déver- complexe sont maintenant si séduisants
pliquer si la matière noire entraînait d’une sent dans notre galaxie. M. Kamionkowski que de nombreux chercheurs seraient sur-
façon ou d’une autre l’émergence de et M. Kesden ont calculé que si les for- pris si la matière noire se révélait n’être
l’énergie sombre. ces agissant sur la matière noire sont au finalement qu’une nuée indistincte de
Le couplage avec l’énergie sombre moins quatre pour cent plus intenses WIMP. La seule matière que nous connais-
permettrait aussi aux particules de ou plus faibles que celles agissant sur la sions un tant soit peu, la matière visible,
matière noire d’interagir par des méca- matière ordinaire, alors les deux compo- est formée d’un riche spectre de particu-
nismes différents de ceux de la matière santes devraient se séparer progressi- les aux interactions multiples, détermi-
ordinaire. Des modèles récents autori- vement dans des proportions détectables. nées par d’élégants principes de symétrie
sent, voire imposent, que l’énergie som- Jusqu’à présent, cependant, les don- sous-jacents. Pourquoi la matière noire et
bre exerce sur la matière noire une force nées ne montrent aucun signe de cette l’énergie sombre devraient-elles être dif-
différente de celle qu’elle exerce sur la séparation, donc de ce couplage entre férentes ? Nous avons certes peu de chan-
matière ordinaire. Sous l’influence de cette matière noire et énergie sombre. ces de rencontrer des étoiles ou des
force, la matière noire aurait tendance à Une autre idée est que le couplage planètes noires ; mais tout comme il nous
s’éloigner de la matière ordinaire avec entre la matière noire et l’énergie som- est désormais difficile de nous représen-
laquelle elle est mêlée. bre modifierait la croissance des struc- ter le Système solaire sans Pluton et la cein-
En 2006, Marc Kamionkowski, de tures cosmiques, qui dépend intimement ture de petits corps glacés qui gravitent
l’Institut de technologie de Californie, de la composition de l’Univers, y compris encore plus loin, il se pourrait qu’un jour
et Michael Kesden, de l’Institut d’astro- de sa composante sombre. Nous-mêmes nous ne puissions plus concevoir l’Uni-
physique théorique de Toronto, ont sug- et d’autres équipes avons récemment uti- vers sans une contrepartie sombre aussi
géré de rechercher cet effet dans des lisé cet effet pour déterminer des contrain- complexe que fascinante. ■
Crocodiles, alligator, crocodilien, archosaure, comportement, signaux acoustiques, bioacoustique, communication, neuro-éthologie, embryon, jeune, oiseaux
Éthologie
La communication acoustique d
1. LES CROCODILIENS SONT DES ARCHOSAURES,
comme les oiseaux actuels, les ptérosaures et les dinosaures éteints.
Sans disposer du registre vocal des oiseaux, leur communication
acoustique permet notamment aux jeunes de synchroniser l’éclosion
des œufs et d’attirer la mère.
© Shutterstock/Trevor kelly
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© Shutterstock/Trevor kelly
des crocodiles Nicolas Mathevon et Amélie Vergne
Nous exposerons les principaux traits est subdivisé en trois familles : les alliga-
du comportement social des crocodiliens, toridés (les alligators, du genre Alligator, L’ E S S E N T I E L
en particulier les soins aux jeunes et l’im- et les caïmans, des genres Caiman, Paleo-
portance qu’ont les signaux acoustiques suchus et Melanosuchus), les crocodylidés ✔ Chez les crocodiles,
pour la vie sociale. Nous montrerons com- (les crocodiles Crocodylus et Osteolaemus, les alligators et le gavial,
ment il a été possible de décrypter les rôles et les faux gavials, Tomistoma) et les gavia- les individus interagissent
des sons émis par les jeunes à l’éclosion lidés (une seule espèce, le gavial du Gange, par des vocalisations
et pendant les premières semaines de leur Gavialis gangeticus). Ces différentes espè- variées, par exemple lors
vie (voir la figure 1). Enfin, nous résume- ces ne vivent que dans les régions tropi- des parades nuptiales ou
rons ce que l’on sait du traitement de cales et subtropicales (voir l’encadré page 30). lorsqu’ils sont menacés.
l’information sonore chez les crocodiliens. Les crocodiliens interagissent lorsqu’ils
sont en concurrence pour des ressources,
✔ Les cris des embryons
matures permettent
tels un partenaire sexuel, un territoire ou
Un groupe ancien, de la nourriture, et lorsqu’une hiérarchie
de synchroniser
les éclosions d’une même
limité aux tropiques s’établit dans une population, les mâles
couvée et incitent la mère
les plus grands et les plus agressifs deve-
à aider ses jeunes
La lignée crocodilienne est vieille de nant les dominants du groupe.
à s’extraire de leur coquille.
240 millions d’années (genres Protosuchus Les comportements sociaux et repro-
et Hesperosuchus). Seules 23 espèces de cro- ducteurs se ressemblent chez toutes les ✔ Bien que le cerveau
codiliens vivent aujourd’hui, pâle reflet espèces. La défense du territoire, particu- des crocodiliens
d’un groupe beaucoup plus diversifié au lièrement marquée chez les mâles en ressemble à celui
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Mésozoïque (245 à 65 millions d’années). période de reproduction, se traduit par des des oiseaux, il reste
Cet ordre de reptiles – on parle aujourd’hui postures particulières et des vocalisations, à comprendre comment
de sauropsides, la classe qui rassemble les souvent des rugissements. En général, il traite les informations
Archosaures, les tortues, les sphénodon- les espèces habitant les marais établissent auditives.
tes et les squamates (serpents et lézards) – des territoires bien définis, tandis que les
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C. niloticus), l’Asie sept (telles C. palustris
et le faux gavial, Tomistoma schlegelii),
une espèce d’alligatoridés (A. sinensis) Alligatoridés
et un gavialidé (Gavialis gigantecus). Crocodylidés
L’Australie ne compte que deux crocodylidés Gavialidés
(C. porosus, C. johnsoni).
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creux dans le sable (chez le crocodile du ✔ BIBLIOGRAPHIE cris : les cris d’éclosion, les cris de contact,
Nil, Crocodylus niloticus). Plusieurs dizai- les cris de détresse et les cris de menace
nes d’œufs se développent dans le nid A. Vergne et al., Acoustic (voir l’encadré page 32).
communication in crocodilians :
durant deux à trois mois (84 à 90 jours from behaviour to brain, Les cris d’éclosion sont émis quelque
chez le crocodile du Nil). Il est possible, Biological Reviews, temps avant (cris de pré-éclosion), pen-
dans le cas des alligators, que la fermen- vol. 84, pp. 391-411, 2009. dant et immédiatement après la rupture
tation de la végétation des nids tumulus L. Fougeirol, Crocodiles, de la coquille (cris de post-éclosion). En
produise de la chaleur, propice à l’incu- La Martinière, 2009. comparant les cris de pré- et de post-éclo-
bation des œufs, en particulier en forêt sion de crocodiles du Nil, nous avons
dense où la lumière solaire manque (cette A. Vergne et N. Mathevon, trouvé qu’ils diffèrent : les premiers sont
Crocodile egg sounds signal
température d’incubation est importante, hatching time, Current Biology, plus courts et plus graves que les seconds.
car elle détermine le sexe des jeunes). Chez vol. 18, R513-R514, 2008. Par des expériences de play-back, où l’on
les espèces grégaires, tel le crocodile du émet les signaux sonores enregistrés préa-
A. Vergne et al., Parent-offspring
Nil, un grand nombre de femelles se communication in the Nile lablement, nous avons montré qu’ils font
partagent les zones de nidification. Chez Crocodile Crocodylus niloticus : do bouger les autres embryons du nid et les
les espèces plus solitaires, tel le caïman newborns’calls show an individual poussent eux-mêmes à émettre des cris.
noir (Melanosuchus niger), les nids sont signature ?, Naturwissenschaften, On peut donc faire l’hypothèse que les cris
vol. 94, pp. 49-54, 2007.
plus dispersés. de pré-éclosion permettent de synchroni-
ser les éclosions d’une même couvée, et
L’éclosion régulée qu’ils informent la mère de l’état de déve-
loppement des embryons. Cette fonction
par des cris ✔ SUR LE WEB est également observée chez les oiseaux,
La mère reste à proximité du nid pen- en particulier les espèces nidifuges, dont
dant toute la période d’incubation. Elle www.cb.u-psud.fr/index.html les jeunes quittent le nid après l’éclosion.
assiste les nouveau-nés en train d’éclore www.iucncsg.org/ph1/modules/ Effectivement, nous avons montré que
en creusant avec ses pattes antérieures, Home/ les cris de pré-éclosion provoquent une
dégageant les débris recouvrant les œufs. réaction de la part de la mère (voir la figure2).
www.crocodilian.com
Elle les transporte ensuite à l’eau en les Nous avons travaillé au zoo « La Ferme
saisissant délicatement dans sa gueule. www.lafermeauxcrocodiles.com aux Crocodiles» de Pierrelatte, dans la val-
Les jeunes restent près de leur mère pour lée du Rhône. Là, chaque année, plu-
www.lesanimauxmusiciens.fr/ sieurs femelles du crocodile du Nil
une durée variable – quelques semaines arte/crocodiles.html
à quelques mois en fonction des espè- établissent des nids qu’elles surveillent
ces – et apprennent seuls à se nourrir. Dans
certains cas, il semble que les jeunes puis-
sent être chassés du nid par leur mère avant
que la portée suivante n’éclose. Ce sont
parfois des événements naturels, telle la
crue de la rivière, qui séparent la mère et
ses petits. En principe, les individus d’âge
différents ne partagent pas les mêmes habi-
tats, limitant ainsi l’impact du canniba-
lisme (il arrive cependant qu’un mâle tue
et dévore un jeune).
Dans les années 1960 et 1970, les
zoologistes britanniques et américains
David Lee, Hugh Cott et Howard Camp-
bell ont montré que, comme les oiseaux,
les jeunes crocodiliens émettent des
signaux acoustiques dans l’œuf, quelques
heures, voire quelques jours, avant
Nicolas Mathevon et Amélie Vergne
a b c d
4
e
15
0
Temps (en seconde)
pendant les trois mois que dure l’incuba- Cette expérience montre que les cris émettent un troisième type de vocalisations,
tion, d’avril à juin. À la fin de cette période, de pré-éclosion des embryons de croco- des cris de détresse, dont la structure acous-
chacune des dix femelles testées a d’abord diles du Nil informent la mère et l’inci- tique est une variante de celle des cris de
été éloignée de son nid afin que l’on puisse tent à ouvrir le nid : ils déclenchent les contact. Ces cris sont cependant marqués
enterrer un haut-parleur en lieu et place premiers soins aux jeunes. Cette interven- par une modulation de fréquence plus pro-
des œufs, à 50 centimètres de profon- tion de l’adulte dès l’éclosion est vrai- noncée, une bande passante plus large, avec
deur. Toutes les femelles, à l’exception semblablement cruciale pour la survie des un renforcement de l’énergie des fréquen-
d’une seule, sont revenues sur leur nid petits. Les cris de post-éclosion renforcent ces aiguës, et un son plus intense.
en moins de cinq minutes. ce comportement maternel : une fois la Pour tester sur le terrain la valeur bio-
Au bout de 20 minutes, les femelles coquille brisée, la mère porte les petits à logique des cris de contact et des cris de
entendaient successivement deux séries l’eau en les tenant dans sa gueule. détresse, nous avons étudié avec Thierry
de stimulus acoustiques : des cris de pré- Aubin, qui dirige l’Équipe communications
éclosion préalablement enregistrés
auprès d’œufs en couveuse, et des bruits
Des cris de contact acoustiques au Centre de neurosciences
Paris-Sud, et Peter Taylor, herpétologue
de même durée et dans la même bande aux cris de détresse américain, des familles de caïmans noirs,
de fréquences. L’ordre de présentation Hors de l’œuf et durant les premières au Guyana (ancienne Guyane britannique).
des deux séries de sons variait, afin que semaines de leur vie, les jeunes crocodi- Le caïman noir est le plus grand vertébré
la moitié des femelles écoute d’abord liens émettent des cris de contact dans d’Amérique du Sud, atteignant sept mètres.
les cris, et l’autre moitié les bruits. diverses situations, lorsque les animaux Une famille se compose d’une mère et de
Toutes les femelles ont réagi aux s’alimentent ou quand ils se déplacent sa couvée, entre une vingtaine et une cin-
cris de pré-éclosion en effectuant un mou- en groupes. Brefs et peu intenses, ces quantaine de nouveau-nés. En général, les
vement de la tête ou d’une partie du cris ont une structure acoustique sem- petits sont groupés près de la rive, tandis
corps, tandis que seules quatre d’entre blable à celle des cris d’éclosion : leurs fré- que la mère reste immobile à quelques dizai-
elles ont réagi aux bruits. Elles ont été quences sont modulées et occupent une nes de mètres de là, ne tolérant la présence
toutes beaucoup plus rapides à répon- large bande passante. d’aucun autre caïman noir dans le secteur.
dre aux cris. Huit femelles se sont même Lorsque les jeunes sont menacés, s’ils Nous avons enregistré les cris de contact
mises à creuser le sable. sont saisis par la queue par exemple, ils spontanés des petits d’abord en l’absence
de perturbation extérieure. Puis nous avons ont une courte portée et servent proba- Les sons des dinosaures
reproduit une attaque de prédateur en les blement de signal de menace.
saisissant par la queue afin d’enregistrer Ces différents signaux acoustiques ✔ La plupart des Archosaures
leurs cris de détresse (ce court stress n’a rapprochent indéniablement les croco- modernes (oiseaux et crocodiliens)
aucune conséquence sur la survie des jeu- diliens des oiseaux, les autres reptiles prennent soin de leurs petits et
nes). L’analyse des signaux dans ces deux étant beaucoup plus avares de sons (quel- échangent des informations sonores.
situations a confirmé que les cris de contact ques serpents et lézards en produisent Les jeunes sollicitent leurs parents
et de détresse ont des structures acousti- ponctuellement, de même que les tortues par des cris. D’après l’observation
ques différentes. Mais on peut passer gra- à l’occasion de l’accouplement). Leur des fossiles, les soins parentaux
duellement d’un type de cri à l’autre. existence, ainsi que celles des soins paren- existaient peut-être aussi chez
Puis nous avons testé les réactions de taux chez les crocodiliens et les oiseaux, les dinosaures. On a retrouvé
la mère et des jeunes à l’écoute de ces cris. pourrait donc avoir été héritée d’un ancê- dans des nids des œufs, parfois
Un haut-parleur, positionné sur la berge à tre commun qui aurait vécu il y a plus de des jeunes, associés à un adulte.
une dizaine de mètres des petits, émettait 200 millions d’années. On ne sait hélas De plus, des données anatomiques
soit une série de cris de contact, soit une rien de ses comportements ! Des fossi- suggèrent que certains dinosaures
série de cris de détresse, soit une série de les suggèrent cependant que, dans plu- communiquaient par des sons.
bruits de même durée et de même bande sieurs lignées de dinosaures, les adultes Ainsi, la crête osseuse frontale
passante que les cris, mais sans structure restaient près du nid. Les soins paren- de certains hadrosaures constituait
harmonique définie. taux, voire la communication acoustique, un résonateur efficace capable
pourraient avoir été communs à tous d’émettre de puissants signaux
Un riche répertoire les Archosaures.
Produire des cris est une chose, les
sonores. Soins parentaux
et communication acoustique
de signaux vocaux entendre pour en tirer un sens en est une représentent donc peut-être
En réponse aux cris de contact, tous les autre. Les capacités auditives des croco- une caractéristique générale
groupes de jeunes se sont approchés du diliens restent mal connues. Des mesures du groupe des Archosaures.
haut-parleur. L’émission de cris de détresse
n’a provoqué aucun déplacement. En
revanche, les jeunes ont eux-mêmes émis
des cris de détresse. Les mères n’ont pas
réagi aux cris de contact ; mais lorsque le Télencéphale
haut-parleur émettait des cris de détresse, Cervelet
elles se précipitaient vers la berge, parfois
en rugissant puissamment. Les jeunes cro-
codiliens disposent donc d’un répertoire
de signaux vocaux qui détermine des com- Lobe optique Bulbe
portements adaptés à la situation de la part olfactif
de leur fratrie et de leur mère. Cerveau d’oiseau
Nous l’avons signalé, les crocodiliens Cerveau de crocodile
adultes vocalisent beaucoup moins que Lobe optique
© Shutterstock/Jason Maehl
Un cerveau d’oiseau
Autre ressemblance entre les deux grou-
pes d’Archosaures : le cerveau des cro-
codiliens et celui des oiseaux sont
comparables anatomiquement. Cepen-
dant, les hémisphères cérébraux des
oiseaux ainsi que le cervelet et les lobes
optiques sont proportionnellement plus
gros, et les bulbes olfactifs plus petits
que ceux des crocodiles (voir la figure 3).
Comme chez les oiseaux, le nerf audi-
tif, dont les terminaisons sont connec-
tées aux cellules ciliées de la cochlée, se
projette sur deux régions cérébrales du
mésencéphale, les noyaux cochléaires
angulaire et magnocellulaire. Comme l’a
USFWS
Par ailleurs, en plus des informations Outre les crocodiliens et les oiseaux, Pour atteindre cet objectif, nos connais-
auditives, la crête ventriculaire dorsale d’autres sauropsides, les mammifères, les sances sur les communications acoustiques
des crocodiliens reçoit des informations amphibiens et même les poissons sont des crocodiles doivent être approfondies.
visuelles et sensorielles en provenance d’au- connus pour communiquer par des sons. Nous avons d’ores et déjà montré que les
tres régions de l’organisme. Chaque moda- Certaines espèces sont des spécialistes des vocalisations des crocodiles peuvent coder
lité sensorielle se projette dans une région communications acoustiques et ont déve- une information liée à l’état émotionnel, via
particulière de la crête ventriculaire. loppé des répertoires composés de sons les cris de détresse. L’identité de l’espèce
Malgré ces connaissances, beaucoup variés, voire des capacités de transmission ainsi que des informations telles que la taille
reste à faire pour comprendre le fonction- culturelle pour les oiseaux chanteurs, cer- et le sexe semblent aussi portées par les cris
nement cérébral des crocodiliens. Là encore, tains primates et l’homme. D’autres, des adultes. En revanche, l’analyse acous-
le cerveau des oiseaux peut servir de réfé- comme les amphibiens et les poissons, uti- tique montre que l’identité individuelle
rence pour avancer. On sait ainsi que, chez lisent un nombre réduit de signaux. ne peut pas être codée par les cris des
les oiseaux, deux circuits de neurones paral- juvéniles. Avec un répertoire vocal somme
lèles partent des deux noyaux cochléaires
du mésencéphale. Le premier traite les
Un maillon toute limité, le système de communica-
tion acoustique des crocodiles semble bien
aspects temporels des signaux acoustiques, de l’histoire évolutive moins complexe que celui de la plupart des
et le second intègre informations temporel- Bien que cette diversité soit communé- oiseaux. Cette impression méritera d’être
les et informations de fréquence. On ignore ment expliquée par des contraintes phy- revue lorsque notre connaissance de la bio-
si pareille distinction peut être faite chez les logénétiques sur l’appareil vocal et la acoustique des crocodiles aura progressé.
crocodiliens. Par ailleurs, dans le cerveau circuiterie cérébrale, ainsi que par le degré Des études expérimentales tant au labo-
des oiseaux, l’aire équivalente de la crête de complexité de la vie sociale (une vie ratoire que sur le terrain permettent de relier
ventriculaire dorsale, nommée champ L, est sociale complexe exige de fortes aptitu- les comportements des animaux à leurs
connectée à des aires auditives «secondai- des à échanger des informations), un supports neurophysiologiques. Les résul-
res» du télencéphale, tel le «High Vocal Cen- tableau complet des systèmes de com- tats que nous avons exposés représentent
ter » des oiseaux chanteurs. Ces aires munication vocale des vertébrés reste à la première étape du chemin à parcourir
secondaires n’ont pas encore trouvé leurs dresser pour comprendre l’histoire évo- pour comprendre la communication sociale
homologues chez les crocodiliens. lutive de ces processus. chez les crocodiliens. ■
génome humain, séquençage, projet génome humain,médecine personnalisée, variations génétiques fréquentes, variations génétiques rares, cartographie, ADN, ARN, épigénétique, ADN poubelle, diabète,
Médecine
Génome et médecine :
la révolution
retardée Stephen Hall
bète,
variations fréquentes (c’est-à-dire celles permettait pas une telle approche et l’hy-
qui apparaissent chez au moins cinq pour pothèse des variations fréquentes offrait un
cent d’une population donnée) seraient raccourci tentant pour découvrir les gènes
assez faciles à trouver ; en outre, seul un impliqués dans les maladies.
petit nombre d’entre elles détermineraient Guidés par l’hypothèse des variations
notre sensibilité à l’hypertension, aux fréquentes, les spécialistes du génome com-
pathologies mentales et autres affections mencèrent à programmer des études à
répandues. Ces variations, ainsi que les pro- grande échelle, connues sous le nom d’étu-
téines et voies métaboliques associées, des d’association sur le génome entier.
auraient alors constitué autant de cibles thé- Ces études reposaient sur la recherche,
rapeutiques potentielles. parmi des repères dans l’ADN dénommés
polymorphismes nucléotidiques simples
ou SNP (prononcé « snips », pour single
DES ÉTUDES D’ASSOCIATION PORTANT SUR 2,2 MILLIONS nucleotide polymorphisms), de variations
de SNP chez plus de 10 000 personnes ont permis génétiques fréquentes importantes dans la
d’identifier 18 SNP associés à la maladie, maladie. Présents sur l’ensemble des chro-
mais ces sites n’expliquent que six pour cent mosomes, les SNP sont des sites de l’ADN
(pas forcément à l’intérieur de gènes) où
de la transmission héréditaire de la maladie. une seule lettre du code de l’ADN peut
différer d’un individu à l’autre. Il s’agissait
Dès le début, cependant, ce programme d’examiner de nombreux SNP variant sou-
n’a pas fait l’unanimité. En 1993, paraph- vent d’une personne à l’autre, pour détec-
rasant les propos de Léon Tolstoï sur la ter les versions fréquemment présentes chez
famille dans son roman Anna Karénine, Ken- les personnes présentant des affections par-
neth Weiss, un biologiste évolutionniste de ticulières. Les SNP ainsi associés statistique-
l’Université d’État de Pennsylvanie, met- ment à une maladie conduiraient alors les
tait en garde sur l’étendue et la complexité chercheurs à des variations génétiques adja-
de la tâche : « Les familles en bonne santé centes (héritées en même temps que
le sont toutes de la même façon ; les famil- les SNP), qui pourraient expliquer l’asso-
les malades le sont chacune à leur façon. » ciation avec la maladie.
En d’autres termes, il y a autant de signa-
tures génétiques que de personnes mala-
des. Pour K. Weiss, les variations fréquentes
La grande déception
n’ont probablement que de très petits effets Ce programme nécessitait cependant l’éta-
biologiques; si elles provoquaient de puis- blissement d’un « atlas » des SNP humains
sants effets délétères, la sélection naturelle fréquents. Au cours de la dernière décen-
les aurait éliminées, leur porteur ayant dis- nie, les biologistes ont collecté des nom-
paru avant de se reproduire. La sensibi- bres croissants de SNP pour guider leur
lité à des maladies complexes résulterait recherche des origines génétiques des
plutôt de l’héritage de mutations rares vec- maladies ; cette collecte a commencé avec
trices de maladies, qui se compteraient le SNP Consortium en 1998 (qui a carto-
peut-être en centaines, voire en milliers, graphié ces repères sur chaque chromo-
chez chaque individu. L’argument n’avait some humain) et s’est poursuivie avec le
cependant pas convaincu grand monde. projet HapMap (qui a répertorié des com-
Pour départager les opposants, il aurait binaisons de SNP appelées haplotypes).
fallu pouvoir séquencer le génome entier Durant les cinq dernières années, des
de personnes malades et de sujets en bonne études d’association sur le génome entier
santé et identifier, à l’aide de puissants ordi- de dizaines de milliers de patients et de
nateurs, les variations apparues dans l’ADN sujets témoins ont recherché des SNP asso-
des personnes malades, et non chez les sujets ciés à des maladies parmi des centaines
témoins. À une époque où l’on n’étudiait de milliers de SNP fréquents.
le rôle d’un gène dans une maladie que si C’est là qu’est né le désaccord. E. Lan-
des données biologiques avaient par ail- der et d’autres chercheurs acclament la
leurs suggéré son influence, ces comparai- découverte de SNP fréquents associés à des
sons systématiques auraient jeté la lumière maladies : ils y voient une porte ouverte
sur tous les coupables présents dans l’ADN, sur d’importantes pistes médicales. Une
quels qu’ils soient, notamment sur ceux dont avalanche d’articles publiés par d’énormes
on ne suspectait pas l’importance aupara- consortiums de génomique viennent de
vant. Mais il y a dix ans, la technologie ne révéler des centaines de SNP fréquents
Le point de départ
Le projet Génome humain a permis d’identifier la séquence de paires de nucléotides (les constituants
élémentaires de l’ADN) du génome humain à partir de l’ADN de plusieurs volontaires. Une paire
individuelle est composée d’un nucléotide (A, C, T ou G) sur un brin de la double hélice d’ADN
et du nucléotide complémentaire sur le brin opposé (C s’apparie toujours avec G, et A avec T).
Des recherches complémentaires ont révélé de nombreux « polymorphismes nucléotidiques
simples », les SNP, sites sur les chromosomes où une paire de nucléotides peut différer
d’une personne à une autre (ci-dessous). Ces recherches ont permis d’identifier des SNP
« fréquents », c’est-à-dire qui varient chez de nombreuses personnes.
Noyau
Hélice d’ADN
Chromosome
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 Gènes
13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 X Y
Le génome humain est réparti en 22 chromosomes non sexuels
Cellule et deux chromosomes sexuels (XX ou XY). Chaque être humain
hérite d’un jeu de 23 chromosomes de chaque parent.
Paire de nucléotides
Nucléotide
SNP
Individu 1
Individu 2
Individu 3
Études et résultats
Les chercheurs espéraient identifier des variations génétiques
responsables de maladies importantes en comparant les nucléotides Allèle SNP associé Variation génétique
de SNP fréquents parmi les génomes de personnes atteintes à une maladie voisine
ou non d’une maladie donnée. Les variations au niveau d’un SNP
Malade
– les «allèles» – et les gènes adjacents codant des protéines
ont tendance à se transmettre ensemble; en traquant les allèles Malade
des SNP particulièrement fréquents chez des personnes atteintes
d’une maladie donnée, les chercheurs s’attendaient donc à repérer Malade
des variations génétiques fréquentes importantes pour la maladie. Sain
Ces études d’association sur le génome entier ont permis d’associer
de nombreux allèles de SNP à des maladies particulières. Sain
Bryan Christie
associés à des maladies telles que la schi- études actuelles d’association sur le un grand nombre de gènes distincts peu-
zophrénie, le diabète de type 2, la mala- génome entier). L’idée principale de son vent provoquer la même maladie ; par ail-
die d’Alzheimer et l’hypertension ; dans hypothèse est la suivante : les variations leurs, la majorité des mutations ayant un
une récente apparition à la télévision amé- génétiques ayant des effets importants sur impact élevé sont rares ; enfin, nombre
ricaine, F. Collins a affirmé que, pour pres- la maladie ont tendance à être rares, de variations génétiques rares constituent
que 1 000 de ces variations génétiques alors que les variations fréquentes exer- de nouvelles données par rapport à l’en-
fréquentes, les scientifiques ont compris cent presque toujours des effets négligea- semble des gènes connus. Les variations
comment elles influent sur le risque de bles ou neutres. rares identifiées chez les patients pour-
maladie et ont adapté en conséquence les Le même argument apparaît dans raient ainsi conduire à des voies molécu-
traitements du diabète, du cancer et des l’étude déjà mentionnée de M.-C. King et laires spécifiques liées à une maladie
maladies cardio-vasculaires. J. McClellan. M.-C. King (qui a trouvé des particulière et la compréhension de ces
D’autres soulignent toutefois que les centaines de variations rares dans les gènes voies pourrait suggérer de nouvelles inter-
données n’ont pas été très utiles jusqu’ici BRCA1 et BRCA2 responsables du cancer ventions thérapeutiques.
pour prédire le risque de maladie. Dans familial du sein) et J. McClellan (qui a lui À l’appui, les partisans de la recher-
le diabète de type 2, par exemple, note aussi trouvé de nombreuses variations che des variations rares citent les travaux
David Goldstein, directeur du Centre rares contribuant à la génétique de la schi- de Helen Hobbs et Jonathan Cohen, du
d’étude de la variation du génome de l’Uni- zophrénie) proposent un nouveau modèle Centre médical de l’Université du Sud-
versité Duke, à Durham, aux États-Unis, pour comprendre les maladies complexes. Ouest du Texas. H. Hobbs et J. Cohen se
des études d’association portant sur Selon eux, la plupart de ces maladies concentrent sur des patients présentant
2,2 millions de SNP chez plus de 10000 per- sont « hétérogènes », c’est-à-dire que de des formes extrêmes de la maladie: ils sup-
sonnes ont permis d’identifier 18 SNP asso- nombreuses mutations différentes dans posent que le caractère extrême de la mala-
ciés à la maladie, mais ces sites n’expliquent
que six pour cent de la transmission héré-
ditaire de la maladie et fournissent très L E S S T R A T É G I E S A LT E R N A T I V E S
peu d’informations sur les causes de la Plusieurs scientifiques recherchant les influences héréditaires sur les maladies
maladie. Pour lui, l’hypothèse des varia- militent pour des stratégies qui ne s’appuient pas sur l’analyse statistique massive
tions fréquentes et des maladies couran- de SNP fréquents : la recherche de variations génétiques rares, mais aussi l’étude
tes appartient sans conteste au passé. de l’influence de l’environnement des gènes sur leur expression.
D’autres saluent le projet HapMap, Protéines fonctionnelles qui coopèrent
sans lequel personne n’aurait su que la pour accomplir une tâche
stratégie de création d’une carte des ha- Gène 1 Gène 2
plotypes… ne donne pas de résultat. À SAIN
l’Université d’Oxford, en Grande-Breta-
Exon
gne, le généticien Walter Bodmer, un des
premiers à proposer le projet Génome Protéine endommagée
Mutation génétique
humain dans les années 1980 et un pion-
nier des études d’association, affirme que MALADE
la recherche de variations génétiques
fréquentes est une impasse, car il est quasi
impossible de déterminer les effets biolo- Protéine endommagée
giques de ces variations, et donc leur Mutation génétique
MALADE
rôle dans les maladies.
La piste
des variations rares Mutation génétique MALADE
La remise en cause de l’hypothèse des
variations fréquentes est plus qu’une sim-
Protéine endommagée
ple contestation. Elle suggère au moins
une autre manière de résoudre ce que La recherche de variations génétiques rares
beaucoup appellent le problème de la Certains chercheurs avancent que des mutations rares dans des gènes contribuent
probablement davantage à la maladie que des variations génétiques de SNP fréquents. Même si
« transmission héréditaire manquante »,
chaque personne est malade à cause d’une seule mutation rare, il est possible que nombre de
du moins à court terme. W. Bodmer, par ces mutations affectent des gènes codant des protéines qui coopèrent pour accomplir quelque
exemple, encourage les scientifiques à s’in- tâche importante dans l’organisme. L’identification des gènes touchés devrait suggérer des
téresser aux variations génétiques rares moyens de compenser la perturbation d’une telle voie. Une façon de trouver des mutations rares
(pour lui, une variation rare est une muta- importantes consiste à séquencer entièrement et comparer tous les fragments codant des
tion présente chez moins de deux pour protéines (les exons) dans les gènes de personnes malades et saines (ci-dessus). Cette
cent de la population – une fréquence bien méthode dite de séquençage des exomes est déjà mise en œuvre dans plusieurs laboratoires.
inférieure à la résolution de la plupart des
die est dû à des variations génétiques rares humain entre Craig Venter, fondateur de la
perturbant fortement la biologie, varia- Société biotechnologique Celera Genomics,
tions qui devraient par conséquent appa- et les scientifiques du NIH, H. Hobbs et
L’ A U T E U R
raître avec netteté. En outre, s’appuyant J. Cohen ont rejoint un projet intitulé Dal-
sur les connaissances en biologie, ils sélec- las Heart Study visant à découvrir les cau-
tionnent les gènes qui seront examinés ses des maladies cardio-vasculaires.
chez ces personnes. Enfin, ils séquencent J. Cohen, un physiologiste sud-africain, étu-
les gènes candidats en cherchant, d’un diait le métabolisme du cholestérol (sa syn-
individu à l’autre, des variations subtiles thèse et sa dégradation) depuis de nom-
particulièrement influentes d’un point breuses années. H. Hobbs, docteur en
de vue fonctionnel. Dans cette approche, médecine, avait mené des recherches dans
ils n’utilisent pas les associations de SNP ; le laboratoire de Michael Brown et Joseph
de fait, cette méthode peut certes indiquer Stephen HALL Goldstein, lauréats du prix Nobel de phy-
l’environnement génétique d’un gène lié est journaliste scientifique siologie et médecine en 1985 pour leur
à la maladie – la région du génome où il à New York. travaux sur le métabolisme du cholestérol;
se trouve –, mais rarement le gène lui- ces travaux avaient débouché sur le déve-
même (voir l’encadré page 39). loppement d’une classe aujourd’hui répan-
Leur histoire a elle aussi commencé dix due de médicaments hypocholestérolé-
ans plus tôt. En 2000, alors que tous les re- miants, les statines.
gards étaient rivés sur la course à la pre- H. Hobbs et J. Cohen ont orienté leur
mière ébauche de séquençage du génome recherche selon une «intuition» biologique
qui prenait à contrepied la plupart des stra-
tégies contemporaines d’étude du génome.
Ils ont recruté quelque 3500 résidents du
comté de Dallas (dont la moitié étaient
Chercher au-delà des gènes
Les études des SNP et la recherche de variations rares se concentrent sur les variations des des Afro-Américains), qu’ils ont soumis à
séquences de gènes codant des protéines et, par conséquent, sur les variations des protéines des bilans médicaux complets. Ils ne se sont
impliquées dans la maladie (a). Toutefois, d’autres processus peuvent perturber la synthèse pas seulement intéressés au génome (même
d’une protéine sans modifier la séquence d’ADN qui la code, et prédisposer ainsi des personnes s’ils ont collecté l’ADN de chacun), mais ont
à des maladies. Deux de ces processus sont décrits ici : les balises chimiques (en bas) et les recueilli des mesures précises de nombreux
brins d’ARN transcrits à partir d’ADN non codant (c). facteurs susceptibles de contribuer aux
Protéine anormale maladies cardio-vasculaires : paramètres
a biologiques du sang (y compris les concen-
Mutation trations de cholestérol dans le sang), méta-
bolisme, graisse corporelle, fonction
cardiaque, épaississement des artères (éva-
b Protéine normale lué à l’aide de techniques élaborées d’ima-
ARN messager gerie) et influences de l’environnement. En
Ribosome deux ans, ils ont constitué une base de don-
c nées volumineuse et détaillée de traits phy-
siques individuels, que les généticiens
appellent des phénotypes.
la protéine résultante sera anormale (a). et influer sur la sensibilité à la maladie. risque de maladie cardio-vasculaire.
Connaissant trois gènes impliqués dans des
troubles rares du métabolisme du choles- lipoprotéines, les LDL. Leur approche a des concentrations de LDL dans le sang
térol, ils ont comparé les séquences de ces été particulièrement fructueuse lorsqu’ils et une réduction surprenante de 88 pour
gènes chez ces patients avec celles de sujets ont analysé les séquences d’ ADN du cent du risque de maladie cardio-vascu-
ayant des concentrations élevées de HDL gène PCSK9, connu pour être impliqué laire. Chez les Américains blancs, une
dans le sang. Ils ont ainsi découvert plu- dans le métabolisme du cholestérol : deux mutation dans le même gène réduit la
sieurs variations rares associées à des mutations qui inactivaient le gène cor- concentration de LDL de 15 pour cent et le
concentrations de HDL extrêmement bas- respondaient aux faibles concentrations risque de maladie cardio-vasculaire de
ses. Ils ont également indiqué que des muta- de LDL. En analysant des données collec- 47 pour cent. Parmi les centaines d’études
tions dans les gènes touchés «contribuent tées dans des populations du Mississippi, d’association sur le génome entier, rares
de façon significative» aux valeurs faibles de Caroline du Nord, du Minnesota et sont celles qui ont permis d’identifier
de HDL dans la population générale. du Maryland sur une période de 15 ans, des gènes ayant un effet aussi important
H. Hobbs et J. Cohen ont ensuite porté H. Hobbs et J. Cohen ont déterminé que sur le risque d’une maladie.
leur attention sur des personnes de l’étude les Afro-Américains portant l’une ou l’au- Des sociétés pharmaceutiques testent
de Dallas qui présentaient de très fai- tre des mutations inactivant le gène PCSK9 déjà des molécules qui inactivent le
bles concentrations de l’autre classe de présentent une réduction de 28 pour cent gène PCSK9 ou perturbent la voie molécu-
E n ma r c h e v e rs la m é d e c i n e p e rs o n na l i s é e
usqu’en 2000,année de l’annonce inattendue notre conception de la gènes plus ou moins responsables voies physiopathologiques, d’axes
J officielle du séquençage d’une pre-
mière version du génome humain,
susceptibilité individuelle aux mala-
dies. Auparavant, nous avions une
de la maladie d’un individu donné.
C’est grâce à l’analyse des variations
de recherche totalement inattendus,
de pistes thérapeutiques nouvelles
l’identification des gènes impliqués vision héritée des approches men- fréquentes que nous sommes arri- qu’au cours des dix dernières années
dans des voies physiopathologi- déliennes de la génétique et des vés à ce constat. Les découvertes du XXe siècle.
ques et la compréhension de la sus- bases pasteuriennes de la causalité, dans ces domaines ne peuvent plus Aujourd’hui,les progrès des tech-
ceptibilité aux maladies progressaient pour lesquelles une affection devait être le fait de quelques chercheurs niques du séquençage intégral et la
lentement. L’accès public à la être liée à une ou plusieurs muta- isolés. Pour continuer à avancer, il baisse attendue des coûts nous per-
séquence du génome humain et la tions dans un gène qui devait jouer mettent d’aborder efficacement cette
montée en puissance de la bio-infor- un rôle majeur dans la maladie.Donc, complexité. Le séquençage du gé-
matique ont transformé le quoti- légitimement, nous pouvions pen- nome complet d’un individu devrait
dien des chercheurs et permis ser que la connaissance exhaustive bientôt coûter moins de 1000euros
d’effectuer,parfois en quelques jours de la séquence du génome humain et chacun pourra bientôt avoir la sé-
et dans certains cas totalement «in nous permettrait de « lire » presque quence complète de son génome dans
silico », ce qui nécessitait autrefois directement les bases de la prédis- son dossier médical.Déjà les premiers
plusieurs mois,voire plusieurs années. position aux maladies. Aussi, dans tests génétiques accompagnant la
Simultanément, depuis le milieu des l’euphorie de l’annonce du séquen- prescription ciblée de médicaments
années 1990, les ingénieurs se sont çage, de nombreux chercheurs se sont en cours d’approbation par les
emparés des outils de la recherche sont-ils plu à imaginer, avec les agences de régulation ; il est possi-
moléculaire des biologistes pour les connaissances qui étaient les leurs ble de calculer à partir de données
miniaturiser et les « industrialiser », à ce moment-là, les conséquences génomiques des scores de risque tout
Agilent technologies
entraînant un effondrement considé- de ces travaux sur notre vie quoti- au long de la vie pour certaines af-
rable des coûts des expériences. dienne, et parfois même se sont-ils fections fréquentes et d’en tirer les
La conjonction de ces deux mou- aventurés à donner des échéances conclusions préventives qui s’impo-
vements, sans précédent dans la pour leur réalisation. Détail d’une puce à ADN. Chaque sent;la convergence des informations
recherche biomédicale, a permis de Le séquençage du génome point coloré correspond à l’ana- cliniques, comportementales, géno-
passer d’une vision « séquentielle » humain et l’accès aux outils à haut lyse d’un brin d’ADN. miques,voire protéomiques,permet-
et linéaire du génome à une accé- débit nous ont permis de nous ren- tent de diagnostiquer plus précoce-
lération « parallèle » et globale de dre compte que les modèles sim- nous faut réunir des consortiums tou- ment certaines affections telle la
sa compréhension. En ce sens, la plistes que nous avions construits jours plus grands de chercheurs maladie d’Alzheimer ; des sociétés
révolution annoncée du séquençage atteignaient leurs limites.Là où nous collaborant à l’échelle des continents, commerciales vous proposent même
du génome humain est déjà derrière recherchions les effets de quelques comme les scientifiques de la phy- déjà ces services sur Internet. La
nous et totalement intégrée dans gènes majeurs sur des pathologies sique des particules savent le faire médecine personnalisée frappe à
la réflexion des chercheurs les plus ou des traits fréquents, nous avons depuis des décennies. notre porte et nous n’avons que peu
créatifs du monde entier. Et la pro- trouvé des dizaines, voire des cen- Mais le constat de cette com- de temps en tant que médecins ou ci-
chaine révolution sera celle de l’ana- taines,de gènes à effet faible au plan plexité a mis à mal les prédictions toyens pour nous préparer à son irrup-
lyse des volumes gigantesques de individuel, mais influents pour une que certains avaient pu faire il y a tion dans notre vie quotidienne.
données ainsi produits. population.Il n’existe pas «un gène» dix ans. Certes nous n’avons pas
Comme tous les grands progrès du diabète, de l’hypertension ou de encore achevé la cartographie détail- Philippe Amouyel,
en sciences, le séquençage du la maladie d’Alzheimer,mais de mul- lée de la susceptibilité aux maladies, UMR744 INSERM, Université Lille 2,
génome humain a modifié de façon tiples variations dans de multiples mais nous avons découvert plus de Institut Pasteur de Lille
laire que le gène affecte, afin de faire bais- présentes sur l’ADN et qui ne modifient pas
ser la concentration de LDL et le risque de la séquence (balises dites épigénétiques)
maladie cardio-vasculaire dans la popula- influent sur l’expression des gènes et
tion générale. Le gène PCSK9 fait désormais peuvent être modulées par des facteurs
partie des dix premières cibles de presque environnementaux au cours d’une vie.
toutes les sociétés pharmaceutiques. L’ADN ainsi balisé peut même se transmet-
Reconnaissant le faible effet des gènes tre à la descendance.
identifiés à l’aide de la méthode des varia- En d’autres termes, la définition même
tions fréquentes et encouragés par le suc- d’un gène est tributaire de multiples niveaux
cès des travaux de H. Hobbs et de J. Cohen, de complexité. Ce que l’on supposait être
D. Goldstein et sa collègue Elizabeth Cirulli une relation simple, à sens unique et de point
ont récemment proposé d’intensifier la à point entre les gènes et les caractères, est
recherche de variations rares importantes
en médecine. L’une des idées, par exem-
ple, consiste à séquencer et à comparer des
UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE TECHNIQUES
«exomes» entiers chez des personnes choi- de séquençage rapides et peu coûteuses permettra
sies avec soin. L’exome rassemble les frag- bientôt de comparer des génomes entiers et apaisera
ments de gènes chromosomiques qui
codent des protéines (les exons) et les
le débat «variation fréquente» versus «variation rare ».
régions adjacentes qui régulent l’activité
des gènes ; il ne comprend pas les sec- devenu un « problème génotype-phéno-
tions d’ADN situées entre les exons ou entre type», où la connaissance de la séquence
les gènes. E. Cirulli et D. Goldstein sug- codant telle protéine ne suffit plus à expli-
gèrent aussi de rechercher ces variations quer l’expression d’un caractère.
rares dans des familles touchées par une Dans des expériences sur animaux,
maladie ou chez des personnes partageant Joseph Nadeau, directeur du développe-
un même caractère extrême, chez qui des ment scientifique à l’Institut de biologie
différences significatives de l’ADN pour- des systèmes à Seattle, a suivi plus de
raient être identifiées plus facilement. 100 caractères biochimiques, physiologi-
Ces travaux sont déjà en cours dans ques et comportementaux ayant subi des
de nombreux laboratoires, dont celui de modifications épigénétiques et a constaté
M.-C. King. Le séquençage d’exomes est que certains changements avaient été trans-
cependant une stratégie bouche-trou, en mis sur quatre générations.
attendant qu’un séquençage de génomes J. Nadeau dispose en outre de preuves
entiers fiable et de faible coût soit dispo- expérimentales que la fonction d’un gène
nible, probablement d’ici trois à cinq ans. donné dépend parfois de la constellation
particulière de variations génétiques qui
l’entourent – un effet d’ensemble qui apporte
L’importance une nouvelle dimension aux explications BIBLIOGRAPHIE
de l’environnement génétiques de la maladie. Selon J. Nadeau,
E. T. Cirulli et D. B. Goldstein,
des gènes cela suggère que pour certaines maladies ,
on peut remonter à un très grand nombre
Uncovering the roles of rare
variants in common disease
Parmi les sceptiques, outre les partisans de de gènes dans un même réseau ou une through whole-genome
la recherche sur les variations rares, quel- même voie métabolique, dont les effets sequencing, Nature Reviews
ques voix courageuses soutiennent qu’avec dépendent des variations génétiques por- Genetics, vol. 11, pp. 415-425, 2010.
les séquences d’ADN et les protéines, on tées par les personnes considérées; la pré- J. McClellan et M.-C. King,
ne connaît que la partie émergée de la bio- sence d’une variation génétique peut par Genetic heterogeneity in human
logie humaine. La génétique classique, exemple exacerber ou contrebalancer l’ef- disease, Cell, vol. 141,
pp. 210-217, 2010.
disent-elles, ne rend peut-être pas compte fet d’un autre gène associé à la maladie.
de la complexité moléculaire des gènes et Nous ne connaissons pas encore le W. G. Feero et al., Genomic medicine
de leur rôle dans la maladie. On sait poids de ces aspects dans la contraction – an updated primer, New England
Journal of Medicine, vol. 362, n°21,
aujourd’hui que les vastes domaines de d’une maladie. En attendant, une nouvelle pp. 2001-2011, 2010.
l’ADN qui ne codent pas de protéines, autre- génération de techniques de séquençage
fois écartés comme ADN «poubelle», dis- rapides et peu coûteuses permettra bien- T. A. Manolio et al., Finding the
simulent d’importantes régions régulatrices. tôt de comparer des génomes entiers et missing heritability of complex
diseases, Nature, vol. 461,
Certaines séquences d’ADN produisent de apaisera le débat « variation fréquente » pp. 747-753, 2009.
petits fragments d’ARN capables d’inter- versus « variation rare ». Mais aujourd’hui,
férer avec l’expression des gènes, par exem- personne ne prédit un calendrier de mira- Génome humain et médecine,
Dossier Pour la Science, n°46, 2005.
ple. De plus, des « balises » chimiques cles médicaux. I
Psychologie
Les signaux
non verbaux de la
Alex Pentland
pour les échanges et les associations, mais nous prendrions les habitudes gestuelles naient des détecteurs infrarouges, des
peu apte au raisonnement abstrait. En et langagières de nos parents et de nos puces de localisation, des accéléromètres
conséquence, les capacités de communi- amis. L’utilisation des semblables pour (pour mesurer les mouvements corpo-
cation des hommes primitifs se limitaient acquérir des automatismes est un autre rels), et des enregistreurs captant la tona-
probablement à des signaux et à des gestes indice de la façon dont les anciens hommes lité et le rythme des voix. Nous avons
simples. Bien que ce système engendre tiraient profit de la signalisation sociale montré que la cohésion des groupes
de nouveaux comportements, via l’ex- pour prendre de meilleures décisions. prédisait la productivité, celle-ci aug-
périence et le mimétisme, il se limite à L’apprentissage par imitation des sem- mentant avec le degré de cohésion.
des associations de perceptions senso- blables a des conséquences. Nous avons L’homme est un animal social, et ses
rielles élémentaires (des signaux auditifs constaté que la cohésion entre employés connexions avec les pairs ont une impor-
ou visuels par exemple). améliore à la fois la productivité et la satis- tance vitale. Plus un groupe est soudé, plus
Le mode conscient aurait permis à faction. La cohésion est dans ce cas défi- les protagonistes se soutiennent et parta-
l’homme de dépasser ce fonctionnement nie par les liens que les semblables gent des connaissances, des attitudes et
associatif. D. Kahneman suppose même entretiennent. En d’autres termes, la des habitudes de travail.
que les limitations du mode inconscient meilleure façon d’augmenter la producti- Mais est-il profitable d’être confiné
auraient stimulé l’évolution du mode vité des travailleurs serait de leur accorder dans les croyances de ceux qui l’entou-
attentif. De plus, les capacités linguistiques plus de temps autour de la machine à café! rent ? Pour répondre à cette question,
nées de cette évolution ont favorisé la pro- voyons d’abord comment les mécanismes
pagation de nouveaux comportements
dans les groupes humains.
Soudés, de signalisation sociale permettent à un
individu de décider s’il doit se laisser
L’une des conclusions surprenantes de donc plus performants guider par ses semblables ou suivre
nos études sur la signalisation sociale dans Dans une étude réalisée à Chicago, nous une voie différente.
des situations quotidiennes est que les avons utilisé des badges électroniques En théorie, la façon la plus simple
croyances et les actions sont contrôlées par pour suivre la signalisation sociale et les et la plus efficace d’intégrer des préfé-
les attitudes et les actes d’autrui, et non conversations de spécialistes en techno- rences individuelles dans un groupe
par la logique ou les arguments. Ainsi, logie de l’information. Les badges conte- repose sur un « marché aux idées ». Au
L’INFLUENCE LA FLUIDITÉ
La façon dont La facilité et l’expertise
un individu oriente avec lesquelles
la façon de parler d’un autre une personne s’exprime
es auteurs étudient quatre composantes de la signalisation humaine individu sur un autre correspond à la façon dont il conduit autrui à
L dans des groupes d’individus. Le mimétisme est le fait de copier
par réflexe une personne ; les protagonistes échangent sans le savoir
parler de la même façon que lui. Et la fluidité de la parole et des gestes
représente une forme d’expertise. Avec ces signaux honnêtes, les cher-
des sourires, des gestes et des interjections similaires. L’excitation cheurs en sciences sociales prédisent avec succès les résultats des
représente l’intérêt et la motivation d’une personne. L’influence d’un échanges entre individus.
grand nombre d’exploratrices indiquent contres. Les équipes chargées de créer de des problèmes complexes. Le mode de
le même site ; quand le consensus est nouvelles campagnes de marketing pré- pensée inconscient fonctionnerait mieux
atteint, la ruche se déplace en masse sentaient deux schémas de communica- quand l’esprit logique n’interfère pas; c’est
vers le nouveau nid. tion. Dans le premier, elles se plaçaient le cas par exemple pendant le sommeil
Deux mécanismes sont mis en avant au centre de multiples flux de commu- ou quand on laisse une question en sus-
dans ce processus de prise de décision nication, pour favoriser la découverte. pens. Au contraire, la pensée consciente
des abeilles : la découverte et l’assimila- Dans le second, la plupart des conversa- apporte des informations précieuses pour
tion de l’information. Ceux-ci sont essen- tions avaient lieu au sein de l’équipe. détecter des problèmes et mettre en œuvre
tiels pour toute organisation, mais ils ont Au contraire, les membres des équipes des plans d’action.
des exigences différentes. Les abeilles, de production parlaient surtout à des
quant à elles, alternent entre des réseaux
de communication d’un individu vers
membres d’autres groupes.
Une deuxième étude a montré que
Le charisme ou l’art
le groupe, qui favorisent la découverte, les équipes créatives entretenaient des de motiver les foules
et des réseaux connectés, de groupe à réseaux de communication sociale plus Si l’utilisation des mécanismes de signa-
groupe, plus efficaces pour le partage et variés, ce qui stimulait leur créativité. En lisation sociale est positive pour prendre
l’assimilation de l’information. Des d’autres termes, l’oscillation entre décou- des décisions, ce ne serait pas une bonne
groupes – d’abeilles ou d’hommes – qui verte et assimilation de l’information ren- démarche pour apprendre de nouveaux
varient dans leur structure de commu- forcerait la créativité. Pour quelles raisons? comportements. En effet, elle ne sélec-
nication selon les besoins optimisent à Une façon d’interpréter ces résul- tionne que les positions consensuelles,
la fois la découverte et l’assimilation. tats est que cette oscillation apporte à un et n’est pas sensible aux options nou-
groupe de nouvelles informations à inté- velles ou inhabituelles. Elle engendre des
grer dans leur mode de pensée habi- groupes stables et conservateurs. Cette
Différents systèmes tuel. Comme ce dernier utilise des résistance au changement soulève une
de communication associations plutôt que le raisonnement, question importante : les mécanismes de
favorisent la créativité il trouverait inconsciemment des analo-
gies nouvelles, c’est-à-dire créatives. Il
signalisation sociale ont-ils facilité la
transmission de nouvelles habitudes
Nous avons montré que ce genre d’os- prendrait connaissance d’une nouvelle véhiculées par des individus issus
cillation entre découverte et assimilation situation, la laisserait « mûrir » et pro- d’autres communautés ?
est une caractéristique des équipes de per- poserait ensuite des solutions inspirées Oui, notamment par le phénomène de
sonnes créatives. Nous avons suivi des des informations partagées. charisme. Personne n’a vraiment défini
employés de la division marketing d’une On sait que les mécanismes cognitifs le charisme, mais tous s’accordent sur
banque allemande, en enregistrant la inconscients sont parfois plus efficaces que ses caractéristiques. Le charisme est bien
signalisation sociale lors de leurs ren- les mécanismes conscients pour résoudre plus que le choix correct des mots ou des
Échanges directs
Échanges par courriels
’enregistrement en temps réel des interactions sociales exige des sus, ainsi que les communications par courriers électroniques, indi-
L outils adéquats, qui ont pu être réalisés grâce aux progrès faits en
électronique et en traitement de l’information. Des badges électroniques,
quées en bleu, sont utilisées pour représenter les échanges dans une
organisation. Cet exemple provient des observations réalisées dans
créés par les auteurs (en haut), enregistrent la tonalité de la voix d’une une banque allemande où les employés développaient une campagne
personne, sa posture et ses gestes, ainsi que sa position par rapport de publicité. L’étude a montré peu d’échanges entre l’équipe de mana-
Alex Pentland
aux autres personnes. Des smartphones (en bas) déterminent aussi la gement et développement et les membres du service clientèle, qui auraient
proximité entre individus. Les données acquises, décrites en vert ci-des- sans doute eu des informations utiles à communiquer.
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Les tunnels de
Les laves assez fluides s’écoulent
en créant des tunnels sur les flancs
du volcan. Ces tubes se vident à la fin
des éruptions, laissant des galeries pleines
de curieuses structures de lave solide.
Ils sont nombreux en Islande. lave Michel Detay et Björn Hróarsson
actifs à l'Holocène
plus élevée qu’ailleurs. du toit ou des travaux de terrassement,
(derniers 10 000 ans)
Les volcanologues en distinguent le tunnel devient visitable. Les plus célè-
en Islande, 50 pour cent
deux types, désignés par des termes bres de ces cavités volcaniques se trouvent
ont des tunnels de lave.
hawaïens : les laves aa, qui sont pauvres aux États-Unis, et plus particulièrement
en silice, très chaudes et créent des sur- à Hawaï qui a le plus long tunnel mono- ✔ Des tunnels de lave
faces rugueuses en refroidissant, et les tube connu. Alors que le dénivelé cou- existent aussi sur les autres
laves pahoehoe, qui sont très pauvres en vert par ce tunnel est de 1 102 mètres, il a planètes du Système
silice, très chaudes et créent des surfaces été exploré sur 65,5 kilomètres ! En Aus- solaire et leurs satellites.
cordées orientées dans le sens de l’écou- tralie, le système de tunnels de lave de
lement de la coulée en refroidissant. Undara a, pour sa part, été exploré sur une
3. DEUX LUCARNES DONNENT ACCÈS AU TUNNEL DE LAVE du Víõgelmir, Hulduhellir, ce qui signifie la grotte cachée. Ainsi, le Víõgelmir apparaît comme
gigantesque tunnel long de 1 585 mètres et dont le volume est de la seule partie accessible d’un réseau de tunnels qui pourrait être beaucoup
148 000 mètres cubes. C’est l’un des plus vastes connus sur Terre. Des étu- plus vaste. Les volcanologues parlent à ce propos de tunnels anastomosés,
des géophysiques par magnétométrie et par radar à pénétration de sol ont c’est-à-dire connectés entre eux comme le réseau des artères et celui des
mis en évidence une extension de son réseau souterrain. Mais pour l’heure, veines. D’autres réseaux de tunnels de lave interconnectés sont connus. Le
aucun passage vers le tunnel attenant n’a été découvert. Long de 1,2 kilo- plus vaste est celui du volcan de Undara, en Australie, où quelque 50 tun-
mètre, l’impénétrable tunnel de lave attenant à celui du Víõgelmir a été nommé nels ou sections de tunnels ont été découverts.
58] Géologie
Discipline © Pour la Science - n° 399 - Janvier 2011
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LES AUTEURS
5. CETTE EXCEPTIONNELLE COULÉE MULTICOLORE est probablement crée à l’ascension d’une falaise de plusieurs centaines de mètres de haut,
unique au monde. Elle superpose des coulées de couleurs orange, rouge, sont nécessaires pour atteindre l’entrée du tunnel de Ferlir à partir de la
jaune et verte. Des jets de lave successifs, des vitesses de refroidisse- route la plus proche. L’autre difficulté est que le tunnel a une structure
ment et des états d’oxydation différents expliqueraient sa formation. Située labyrinthique en plusieurs étages, correspondant à plusieurs phases
dans le tunnel de Ferlir, elle n’a été observée que par une vingtaine de per- d’écoulement de la lave dans l’édification du système. Un plan est
sonnes à ce jour, tant elle est difficile d’accès au sein de son labyrinthe nécessaire pour se reconnaître dans cet obscur dédale, qui constitue l’un
volcanique; en outre, trois heures de marche, dont une bonne heure consa- des plus complexes réseaux de tunnels de lave de l’Islande.
✔ BIBLIOGRAPHIE
M. Detay et A.-M. Detay, Islande -
splendeurs et colères d’une île,
Belin, 2010.
14th International Symposium
on Vulcanospeleology,
Undara & Victoria, Australie,
août 2010, actes édités par
la National Speleology Society.
Björn Hróarsson, Íslenskir hellar.
Vaka-Helgafell (Edda - útgáfa),
672 pages, 2006.
NASA/Lunar and Planetary Institute
naissance. Le même processus d’extru- est très rarement accordée, même à des ont par ailleurs découvert dans une région
sion conduit, lors du dégazage de la fins purement scientifiques. connue sous le nom de « Désert des cri-
lave, à la formation sur les parois du Ces mesures de protection se compren- mes » des traces d’occupation de cer-
tunnel de ce qui ressemble à des coulu- nent, car elles portent sur des raretés tains tunnels par des hors-la-loi dès le
res de colle sur un tube percé. Quant aux géologiques. Parmi les 200 volcans actifs Xe siècle (siècle de la colonisation scandi-
« dents de requin », il s’agit de structures à l'Holocène (derniers 10 000 ans) en nave). De même, les Polynésiens d’Ha-
communes et nombreuses, formées par la Islande, 50 pour cent d'entre eux ont des waï ont utilisé certains tunnels de leur
lave fluide encore accrochée au toit du tunnels de lave. Comme nous l’avons indi- île comme lieux d’habitation, de culte, ou
tunnel lorsque celui-ci se refroidit. qué, on en trouve aux États-Unis (Hawaï), comme nécropoles.
Les volcanospéléologues islandais ont en Australie, en Islande, mais aussi aux Les hydrogéologues étudient aussi les
très tôt pris conscience de la beauté, îles Canaries, à la Réunion, en Corée et tunnels de lave qui drainent les aquifères
mais aussi de la fragilité, des spéléothè- en Italie. En Islande, plus de 500 tunnels volcaniques, et les biologistes s’intéressent
mes volcaniques qui ornent les tunnels de sont connus. Et, chose notable, des tun- à leurs bactéries extrêmophiles. Enfin, les
lave de leur pays, et ils ont poussé leurs nels de lave ont été repérés sur la Lune, tunnels de lave extraterrestres sont bien
autorités à les protéger. Une loi islandaise sur Mars, sur Vénus, sur Mercure et sur repérés par ceux qui préparent la conquête
organise cette protection depuis 1974, tan- Io, le satellite de Jupiter (voir la figure 6). du Système solaire : ils pourraient consti-
dis que les tunnels de lave abritant les plus Aujourd’hui, les volcanologues conti- tuer de providentiels habitats pour
belles formations ne sont visitables nuent d’étudier les tunnels de lave et leurs l’homme de l’espace, qui redeviendrait
qu’avec une autorisation officielle, laquelle spéléothèmes. Les archéologues islandais ainsi un homme des cavernes… ■
Cellules souches, cellules souches pluripotentes induites, CSPi, iPSC, pluripotence, reprogrammation, différenciation, embryon, thérapie cellulaire, éthique, virus
Biologie cellulaire
L’ A U T E U R
Konrad HOCHEDLINGER,
professeur de biologie
régénérative à l’Université
Harvard, à Cambridge
(États-Unis), est chercheur
à l’Institut Harvard
sur les cellules souches,
à l’Institut médical Howard
Hughes et à l’Hôpital général
du Massachusetts.
Konrad Hochedlinger
des cellules « adultes » que j’observais, issues de souris adultes, et quelque peu sceptiques. Mais ce matin
remettent à zéro émettaient la lueur caractéristique des cel- de 2006, j’ai pu observer de moi-même ce
leur horloge interne lules embryonnaires: elles semblaient donc que produisait la «recette» de S. Yamanaka,
et quel est leur réel avoir rajeuni. et j’ai commencé à changer d’avis.
pouvoir thérapeutique. À l’époque, Shinya Yamanaka et ses Rapidement, d’autres scientifiques ont
collègues de l’Université de Kyoto venaient reproduit ces résultats, confirmant et per-
de révéler que quelques gènes ajoutés dans fectionnant ainsi la technique de produc-
des cellules cutanées de souris suffisaient tion des cellules souches pluripotentes
à les transformer en cellules ayant induites. Aujourd’hui, ces cellules font l’ob-
un comportement de cellules sou- jet de nombreuses recherches : on espère
ches embryonnaires. Ils les avaient qu’elles contribueront au traitement de
nommées iPSC (Induced Pluripotent maladies que l’on ne sait pas guérir, comme
Stem Cells), soit cellules souches plu- le diabète de type 1, la maladie d’Alzhei-
ripotentes induites (CSPi, ou encore cel- mer et la maladie de Parkinson. Qu’une
lules IPS). Depuis plusieurs années, on cellule puisse prendre une forme embryon-
s’efforçait de comprendre et de contrô- naire sous l’influence de quelques gènes
ler le potentiel des cellules souches ou protéines a également changé notre
embryonnaires afin de produire des tissus conception du développement et de l’iden-
« sur mesure » utilisables en médecine et tité des cellules dans un organisme. Pour
comprendre ces espérances et ces inter- ment des tumeurs. Il y a quelques années,
rogations, il faut revenir à ce qui rend l’em- la seule façon d’inverser l’horloge du déve-
bryon si spécial. loppement consistait à injecter le noyau
Les études actuelles sur les cellules d’une cellule, contenant son matériel géné-
souches pluripotentes induites reposent tique, dans un œuf non fécondé prélevé
sur des techniques et des concepts déve- sur un autre individu et dont le noyau, et
loppés depuis une trentaine d’années chez par conséquent l’ADN, avait été retiré. Cette
les mammifères. Au cours du dévelop- technique de clonage somatique, aussi
pement embryonnaire, les cellules devien- nommée transfert nucléaire de cellule
nent de plus en plus spécialisées et de somatique, a été développée dans les
moins en moins aptes à changer de fonc- années 1950 avec des noyaux provenant
tions : elles se différencient. de cellules embryonnaires d’amphibiens.
Puis elle a connu un renouveau à
Le pouvoir primordial Types cellulaires partir de 1996 avec le clonage de cellules
issues d’organismes adultes, aboutissant
Ce n’est que pendant une brève période, ✔ Une cellule totipotente peut à la brebis Dolly, premier mammifère né
tout au début du développement, lors- donner n’importe quel type de cellule, par clonage d’un noyau cellulaire (d’au-
que l’embryon compte quelques cellules, y compris ceux des tissus extra- tres mammifères avaient été clonés aupa-
que ces dernières peuvent se diviser embryonnaires, tel le placenta, ravant par scission d’embryon). Par cette
jusqu’à former un individu complet, ce qui assurent la survie de l’embryon méthode, l’hybride ADN-œuf formé se
qui définit la totipotence (voir l’encadré ci- dans l’utérus maternel. Seuls développe en un jeune embryon à partir
contre). L’extraction de ces cellules et leur exemples : l’ovocyte fécondé (œuf), duquel peuvent être extraites des cellu-
mise en culture produisent des cellules et les cellules du jeune embryon au les embryonnaires pluripotentes. Ainsi, la
souches embryonnaires, ou cellules ES. stade huit cellules (morula). cellule adulte subit un processus de repro-
On peut aussi les obtenir à partir de la
masse cellulaire interne d’embryons au
✔ Une cellule pluripotente grammation cellulaire.
peut engendrer n’importe quel type
stade 100 cellules, les blastocystes. Ces
cellules sont dites pluripotentes : elles
de cellule, sauf ceux des tissus extra- Au-delà du clonage
embryonnaires. Les cellules souches
peuvent se diviser en n’importe quel type Depuis que l’on a isolé les premières cel-
embryonnaires de la masse interne
cellulaire de l’organisme (soit 220 types lules souches embryonnaires humaines,
de l’embryon au stade blastocyste
chez l’homme), mais ne peuvent former en 1998, le transfert nucléaire paraissait
(100 cellules) en sont le meilleur
un individu complet. être le moyen idéal pour obtenir des cel-
exemple.
Chez un embryon à un stade plus lules pluripotentes à volonté. On pensait
avancé de son développement, les cellu- ✔ Une cellule multipotente pouvoir obtenir ainsi toutes sortes de
les souches se sont spécialisées au point peut engendrer plusieurs types cellules différenciées susceptibles de rem-
de ne pouvoir engendrer que des cellules cellulaires d’un même tissu. placer des tissus lésés. Toutefois, les bio-
spécifiques, telles celles des muscles ou de C’est le cas des cellules souches logistes n’ont jamais réussi à produire des
l’os. Ces cellules souches sont dites mul- adultes. cellules souches embryonnaires humaines
tipotentes. Chez un adulte, cette multi- par clonage somatique.
potence existe encore dans les cellules ✔ Une cellule différenciée Au Japon, en 2006, le groupe de
souches qui réapprovisionnent les tissus a une identité figée. Son évolution S. Yamanaka a alors proposé une autre
en cellules matures. Par exemple, les cel- est verrouillée : elle ne peut pas don- méthode: au lieu d’introduire du matériel
lules souches sanguines se divisent en per- ner des cellules d’un autre type. génétique d’un organisme adulte dans un
manence pour former 12 différents types ovocyte, pourquoi ne pas faire l’inverse,
de cellules sanguines et immunitaires, et c’est-à-dire transférer dans une cellule
les cellules souches cutanées renouvellent «adulte» des gènes actifs uniquement dans
la peau et les cheveux toutes les deux à l’embryon, afin de reprogrammer cette cel-
trois semaines. Les autres cellules « adul- lule dans un état pseudo-embryonnaire?
tes » sont différenciées et ne peuvent se Les chercheurs japonais ont d’abord
diviser qu’en cellules du même type. identifié 24 gènes différents qui s’expri-
En effet, chez les mammifères, dans les ment dans les cellules pluripotentes, mais
conditions normales, la dédifférenciation sont silencieux dans les cellules adultes.
d’une cellule, c’est-à-dire son retour à un Introduits dans des cellules cutanées à
type plus primitif, est impossible. Les cel- l’aide de rétrovirus modifiés, ces gènes ont
lules cancéreuses représentent la seule effectivement transformé des cellules cuta-
exception à cette règle : elles peuvent être nées en cellules pluripotentes. Après des
moins différenciées que le tissu au sein expériences complémentaires, l’équipe
duquel elles sont apparues. De surcroît, japonaise a trouvé que seuls quatre gènes
certaines se divisent indéfiniment, et for- étaient nécessaires pour produire des
Jeune embryon
(blastocyste, 5-6 jours)
a
I N V E R S E R L’ H O R L O G E B I O L O G I Q U E
ormalement, seules les cellules d’un tout jeune embryon ou les cellu-
N les de la masse interne d’un embryon de quelques jours (a) sont plu-
ripotentes, c’est-à-dire capables de se différencier en n’importe quelle
Masse
interne
cellule de l’organisme adulte. Dans un embryon plus âgé (b), les cellules for-
ment des lignées de tissus spécifiques : elles deviennent multipotentes. Dans
l’organisme adulte, les cellules souches (c) sont plus spécialisées ; elles se différencient
par exemple en cellules cutanées (d et e). Les cellules somatiques adultes (f) sont définitivement différen- b
ciées : elles ont acquis une identité verrouillée. La reprogrammation de cellules somatiques adultes en cellu-
les souches pluripotentes induites (g) déroge à cette règle. Elle remonte leur horloge interne pour les ramener
à un état pluripotent (grande flèche orange).
g f Cellules engagées
Cellules dans la différenciation
sanguines d
Cellules Cellules
musculaires cutanées
Reprogrammation
Cellules
cutanées e c
Cellules pluripotentes
Cellules multipotentes
Tami Tolpa
Cellules différenciées
cellules souches pluripotentes : les gènes Une promesse pluripotentes n’est pas sans poser problè-
Oct4, Sox2, Klf4 et c-Myc. Ils codent des mes, à commencer par le contrôle de leur
protéines qui s’associent pour réprimer
thérapeutique qualité et de leur innocuité. Bien que les
l’expression d’autres gènes. On s’est aperçu ✔ Des neurones ont été créés colonies de cellules souches induites puis-
par la suite que d’autres combinaisons de à partir de cellules pluripotentes sent ressembler à des cellules souches
protéines associant Oct4 et Sox2 ont le induites, dérivées de cellules embryonnaires sous un microscope, et pré-
même effet, sans que l’on comprenne par cutanées de patients parkinsoniens. senter les mêmes marqueurs moléculaires,
quels mécanismes. Prélever des cellules somatiques ainsi que je l’avais observé en 2006, la
adultes, c’est-à-dire différenciées, preuve sans équivoque de leur pluripo-
tence exige des tests fonctionnels: peuvent-
Crise d’identité et les convertir en cellules à l’état
elles vraiment faire tout ce dont est capable
embryonnaire, puis en n’importe quel
Plusieurs équipes indépendantes, dont la type de cellule, permet d’étudier une cellule embryonnaire pluripotente ?
mienne, ont reproduit ces résultats. Elles les mécanismes de diverses Des colonies de cellules souches embryon-
ont reprogrammé en cellules souches plu- maladies, de tester des médicaments naires peuvent contenir des cellules qui ne
ripotentes induites une dizaine de types et de produire des tissus sont pas véritablement pluripotentes. Il
différents de cellules d’organismes adul- susceptibles de réparer des lésions. pourrait en être de même dans des colo-
tes chez quatre espèces animales. D’autres nies de cellules induites.
H. Kim et L. Studer, Sloan-Kettering Institute
Rétrovirus
Cellules souches
pluripotentes
.2007-2008.
.2006. D’autres chercheurs reproduisent
Shinya Yamanaka et ses collègues utilisent Cellules souches le résultat de S. Yamanaka avec des cellules
des rétrovirus modifiés pour introduire quatre gènes pluripotentes murines et humaines. Ils montrent aussi
normalement exprimés chez l’embryon dans l’ADN que l’introduction des gènes de reprogrammation
de cellules cutanées de souris. Ces gènes à l’aide de certains virus, tels les adénovirus, dont
reprogramment alors les cellules cutanées le génome ne s’intègre pas de façon permanente
en cellules souches pluripotentes induites. dans l’ADN cellulaire, produit là encore des cellules
souches pluripotentes.
peau de souris, peuvent former un téra- ger, George Daley et leurs collègues de l’Uni- embryons développaient des tumeurs, qui
tome, une tumeur composée de plusieurs versité Harvard, entre autres, ont identi- résultaient d’une activité résiduelle des
types de cellules, étrangers à la région où fié des combinaisons de gènes qui gènes apportés par les rétrovirus.
ils apparaissent ; le troisième test, le plus s’expriment dans des cellules cutanées au Les rétrovirus (tel le VIH) ne sont pas
rigoureux, vérifie si elles sont capables cours de leur lente progression (en trois sûrs, car leurs gènes s’intègrent dans le
de contribuer au développement de tous semaines environ) vers le stade pluripo- génome des cellules hôtes et peuvent y
les types cellulaires du souriceau, y com- tent. Ces profils d’expression, caractérisés être activés. De plus, selon l’endroit du
pris de ses cellules germinales (d’où pro- par des marqueurs fluorescents, les diffé- génome où ils s’insèrent, les gènes viraux
viennent les cellules sexuelles). rencient des cellules de la même colonie risquent d’interrompre la séquence d’un
Alors que les cellules souches embryon- qui ne deviendront jamais pluripotentes. gène et de déclencher des modifications
naires passent en général tous ces tests avec cancéreuses. De nombreuses équipes ont
succès, ce n’est pas le cas de nombreuses
cellules souches induites. Une analyse plus
Les dangers donc mis au point des méthodes évitant
des insertions permanentes de gènes dans
détaillée des cellules défectueuses a révélé des rétrovirus le génome hôte.
des anomalies: les virus, vecteurs des gènes Pour des raisons éthiques, les scientifiques Dans mon laboratoire, nous avons uti-
de reprogrammation, ne sont souvent ne peuvent réaliser sur un embryon humain lisé un type modifié d’adénovirus, un des
pas correctement inactivés ; de plus, des le test de pluripotence le plus décisif, le troi- agents du rhume commun chez l’homme,
gènes importants du génome des cellules sième : ils ne peuvent lui injecter des cel- pour transférer les gènes de reprogram-
de la peau ne s’expriment pas correcte- lules souches induites. Il est donc essentiel mation dans des cellules des souris. Ce type
ment. Il en résulte des cellules ayant perdu de s’assurer que les cellules souches humai- de virus ne s’intègre pas dans le génome
leur identité de cellules cutanées sans avoir nes produites répondent aux deux autres cellulaire et ne persiste dans les cellules que
acquis celle de cellules pluripotentes. De critères de pluripotence, notamment l’inac- le temps de les convertir en cellules sou-
telles cellules partiellement reprogram- tivation totale des rétrovirus potentielle- ches. Lorsque nous injectons les cellules plu-
mées ne peuvent être considérées comme ment néfastes utilisés pour introduire les ripotentes ainsi obtenues dans des embryons
d’authentiques cellules pluripotentes. gènes de reprogrammation. L’équipe de de souris, elles s’incorporent facilement aux
Comment distinguer alors une «bonne» S. Yamanaka a en effet découvert qu’un tissus, et ne dégénèrent pas en tumeurs lors-
cellule souche induite d’une «mauvaise»? tiers des souris obtenues en injectant des que l’animal est adulte. Toutefois, cette
Ces deux dernières années, Thorsten Schlae- cellules souches induites de souris dans des méthode reste à confirmer.
.2009-2010.
On cherche à identifier, à l’aide de marqueurs
.2008-2009. fluorescents (points colorés), les différents
On obtient des cellules souches pluripotentes profils d’expression des gènes qui caractériseraient
en utilisant des rétrovirus porteurs de trois les cellules adultes se transformant (en bas)
gènes de reprogrammation, puis seulement ou ne réussissant pas à se transformer (en haut)
de deux, ou même en introduisant seulement en cellules souches pluripotentes. De là dérivent
les protéines correspondantes. des marqueurs de la pluripotence (points rouges et violets).
Tami Tolpa
En fait, les chercheurs espèrent pou- lors d’un infarctus ? Convertir des cellu- ches adultes de la moelle osseuse pour trai-
voir produire un jour des cellules souches les adultes d’un malade en cellules pluri- ter des déficits immunitaires et la bêta-tha-
pluripotentes induites sans utiliser de potentes, puis les faire se différencier en lassémie. Il reste à prouver que cette
virus, simplement en exposant des cel- cellules fonctionnelles permettrait de technique est applicable aux cellules sou-
lules d’organismes adultes à une associa- disposer de « pièces de rechange » qui ne ches pluripotentes.
tion de substances qui reproduisent les seraient pas rejetées par le système immu- De récentes expériences menées chez
effets des gènes de reprogrammation. nitaire du malade. En outre, les cellules la souris suggèrent que traiter des trou-
Sheng Ding, de l’Institut de recherche cutanées, aisément accessibles, pourraient bles génétiques par des cellules souches
Scripps, en Californie, Douglas Melton, être utilisées pour produire toutes sortes induites est réalisable. Rudolf Jaenisch, de
de l’Université Harvard, et d’autres bio- de cellules, notamment celles qui sont dif- l’Institut de technologie du Massachusetts,
logistes ont identifié des molécules qui se ficiles à atteindre dans certains organes, a montré en 2007 que de telles cellules peu-
substituent à chacun des quatre gènes comme le cerveau ou le pancréas. vent guérir l’anémie falciforme (ou dré-
de reprogrammation, chaque substance panocytose) chez l’animal. Dans cette
activant une cascade moléculaire au sein
d’une cellule. Lorsque les quatre substan-
Une nouvelle maladie, due à la mutation du gène codant
la chaîne bêta de l’hémoglobine, les glo-
ces sont testées ensemble, elles ne suffi- thérapie génique bules rouges ont une forme de faucille, et
sent pas, cependant, à produire des cellules Autre piste prometteuse : il devient envi- sont moins élastiques et plus fragiles que
pluripotentes. Le bon mélange et les sageable de prélever des cellules cutanées la forme normale. R. Jaenisch et ses collè-
concentrations correctes de substances chez un patient atteint d’une maladie géné- gues ont d’abord reprogrammé des cel-
n’ont pas encore été trouvés. tique, de les transformer en cellules sou- lules cutanées de souris en cellules souches.
La vraie question, bien entendu, est ches pluripotentes induites, de réparer ou Ils y ont ensuite remplacé le gène respon-
la suivante : pourra-t-on utiliser des cellu- de corriger in vitro les mutations respon- sable de la maladie par une version non
les souches induites pour obtenir des cel- sables de la maladie, puis de faire se dif- mutée et ont conduit les cellules réparées
lules susceptibles de réparer des lésions : férencier les cellules ainsi « réparées » en à se transformer en précurseurs des glo-
les neurones perdus dans la maladie de cellules du tissu atteint et, enfin, d’intro- bules rouges. Après transplantation à
Parkinson, les constituants de la moelle duire ces dernières dans l’organisme. Une des souris anémiques, les précurseurs sains
épinière endommagés par un traumatisme approche de thérapie génique a déjà été ont produit des globules rouges nor-
ou les cellules du tissu cardiaque détruit utilisée avec succès sur des cellules sou- maux et fonctionnels. En principe, cette
méthode pourrait s’appliquer à toute autre trophie spinale (une maladie génétique
pathologie dont le gène muté en cause a mortelle, qui affecte les neurones inner-
été identifié. vant les muscles) et de dysautonomie fami-
Les approches actuelles consistant à liale (une maladie génétique qui altère le
pousser des cellules souches embryonnai- développement du système nerveux péri-
Les c e l l u l es s o u c h es p l u r i p o te ntes : q u e l l es a pp l i ca ti o n s ?
es cellules souches pluripotentes, ces cellules pour modéliser in vitro quasi immortelles les cellules souches
L qu’elles soient d’origine embryon-
naire ou dérivées in vitro grâce à la
certaines pathologies,ce qui pourrait
contribuer à la découverte de nou-
et les cellules cancéreuses.
Ajoutons que les applications
par leurs parents à la recherche,il vise
d’abord à vérifier l’innocuité du trai-
tement chez six patients atteints d'in-
technique de reprogrammation,pos- veaux médicaments. d’une découverte scientifique met- suffisance cardiaque.
sèdent deux caractéristiques uni- Premier élément incitant à la pru- tent en général de nombreuses an- Ces thérapies innovantes repo-
ques : elles sont capables de dence,l’étude des cellules souches in- nées avant de gagner le chevet du sent sur l’obtention de cellules sou-
s’autorenouveler indéfiniment, et duites reste indissociable de la recher- patient.Ainsi,c’est seulement 12 ans ches par dizaines de millions, dans
elles peuvent potentiellement se dif- che sur les cellules souches embryon- après leur découverte que les cellu- des conditions de sécurité sanitaire
férencier en n’importe quel type cel- naires, car ces dernières constituent les souches embryonnaires humai- optimales. Cela nécessite une in-
lulaire. Ces propriétés ont fait passer les seuls exemples connus et bien étu- nes font l’objet de leurs premières dustrialisation des procédés qui est
le concept d’une médecine régéné- diés de la pluripotence chez l’homme. études cliniques. Deux essais vi- portée en France par des leaders
rative « personnalisée » du champ Cette recherche dépend donc d’un sant à tester l’innocuité de la pro- émergents dans le domaine,telles les
de la science-fiction à celui du pos- cadre réglementaire qui devrait être cédure sont menés depuis l’automne sociétés de biotechnologie MAbgène,
sible. Quatre ans après leur décou- révisé en France en 2011. 2010 par les entreprises américai- à Alès, et Ectycell, à Romainville. Au
verte (un délai extrêmement court De plus,avant d’envisager d’uti- nes Geron et Advanced Cell Techno- terme de ces études cliniques préli-
en recherche), plus de 800 articles liser des cellules pluripotentes indui- logies. Ils concernent le traitement minaires,qui prendront plusieurs an-
scientifiques ont été publiés dans tes en thérapeutique humaine,il nous de lésions de la moelle épinière et nées,il sera peut-être possible d’élar-
le monde sur les cellules souches plu- faut comprendre précisément,par des d’une dégénérescence de la rétine, gir l’application médicale de ces mé-
ripotentes induites,reflétant le dyna- travaux de recherche fondamentale, la maladie de Stargardt. thodes… à condition que leur coût
misme international de ce nouveau le processus de reprogrammation qui En France, l’équipe de Philippe ne constitue pas un frein supplémen-
domaine de recherche. permet de les obtenir.Des études lon- Ménasché et Michel Pucéat,de l’Unité taire à leur utilisation chez l’homme.
Il convient néanmoins de rester gues et coûteuses seront nécessai- INSERM Thérapie cellulaire en patho-
prudent quant aux progrès thérapeu- res pour en tirer le meilleur parti.Cette logie cardio-vasculaire,à l’Hôpital eu- Frank Yates,
tiques présagés par ces avancées. recherche aura toutefois un autre ropéen Georges Pompidou, à Paris, Enseignant-chercheur
Comme l’indique Konrad Hochedlin- intérêt: elle mènera probablement à a aussi débuté un essai clinique, en à Sup'Biotech, Plate-forme
ger,d’autres applications des cellules des découvertes dans d’autres domai- novembre 2010. Utilisant des cellu- cellules souches,
souches induites sont réalisables à nes,telle la cancérologie en raison des les souches issues d’embryons conçus Unité INSERM 935, AP-HP,
plus court terme, telle l’utilisation de mécanismes communs qui rendent par procréation assistée et donnés Université Paris-Sud, Villejuif
employées à grande échelle ? Il est difficile sible de déterminer pour quelles appli- ✔ BIBLIOGRAPHIE
de l’affirmer aujourd’hui. Il reste en effet cations les cellules induites peuvent
de nombreuses questions ouvertes. Par être efficaces, en les comparant aux cel- S. Yamanaka et H.M. Blau,
Nuclear reprogramming
exemple, on a montré que les cellules lules embryonnaires. En outre, comme to a pluripotent state
souches induites ont une « mémoire » de l’utilisation de cellules embryonnaires, by three approaches, Nature,
leur passé, ce qui pourrait limiter leur plu- les cellules souches induites soulèvent vol. 465, pp. 704-712, 2010.
ripotence. Cette mémoire est due à un mar- des questions éthiques. En effet, elles peu- K. Kim et al., Epigenetic memory
quage chimique, dit épigénétique, de l’ADN vent potentiellement être utilisées pour in induced pluripotent stem cells,
et des protéines qui lui sont associées. créer in vitro des spermatozoïdes ou des Nature, vol. 467, pp. 285-290, 2010.
Or des résultats obtenus en 2010 sug- ovules, qui pourraient faire l’objet de déri- M. Stadtfeld et K. Hochedlinger,
gèrent que cette mémoire influe sur la capa- ves. Néanmoins, l’état des connaissances Induced pluripotency : history,
cité des cellules souches induites à se actuelles ne permet pas de procéder à mechanisms, and applications,
développer en un type cellulaire ou en un de telles expériences. Genes Dev., vol. 24,
pp. 2239-2263, 2010.
autre. Il semble toutefois qu’en cultivant Ces réserves éthiques mises à part, la
les cellules souches induites suffisamment découverte des cellules souches pluripo- W. Li et S. Ding, Small molecules
longtemps, la mémoire épigénétique s’es- tentes induites, ainsi que l’avènement du that modulate embryonic stem
cell fate and somatic cell
tompe, ce qui rétablit sa pluripotence. clonage somatique auparavant, constituent reprogramming,
Ces travaux soulignent que le processus indéniablement une des grandes avancées Trends Pharmacol. Sci.,
de reprogrammation, par lequel quel- récentes de la recherche en biologie. Est vol. 31, pp. 36-45, 2010.
ques gènes inversent le destin d’une cel- ainsi réfuté le dogme d’une identité cel-
lule mature, reste encore mystérieux et qu’il lulaire verrouillée par la différenciation.
est nécessaire de le décrypter avant d’amor- L’identité d’une cellule adulte peut chan- ✔ SUR LE WEB
cer une application thérapeutique des ger par le jeu de quelques interrupteurs
http://www.cira.kyoto-u.ac.jp/e/
cellules souches induites sur l’homme. génétiques. Pour ma part, je pense que
http://www.hsci.harvard.edu/
Paradoxalement, répondre à ces ques- les cellules souches pluripotentes induites
bouleverseront la médecine aussi profon- http://www.istem.eu/
tions nécessitera de continuer à utiliser
des cellules embryonnaires comme réfé- dément que les vaccins et les antibiotiques http://www.stempole-idf.com/
rence de pluripotence. Il sera alors pos- l’ont fait au XXe siècle. ■ http://pfcs.free.fr
Imagerie
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la science des matériaux, phite, et la transformation de la matière Supposons que le chat se soit redressé une
les nanotechnologies d’un état à un autre. Nous avons égale- demi-seconde après avoir été lâché. À cet
et la médecine. ment visualisé des protéines et des cel- instant, sa vitesse de chute atteint cinq mètres
lules isolées. par seconde. En utilisant des éclairs d’une
Imagerie [71
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milliseconde, on est sûr que le centre de inférieure à un angström. Les atomes se neuse étant des centaines de fois supé-
masse du chat ne parcourt pas plus de déplacent souvent à des vitesses d’envi- rieure aux distances interatomiques.
cinq millimètres durant chaque exposition, ron un kilomètre par seconde dans ces Les électrons accélérés servent depuis
et que ce mouvement n’introduira qu’un transformations. Pour les observer avec longtemps à produire des images à l’échelle
léger flou. Pour décomposer la manœuvre une définition supérieure à 0,1 angs- atomique, comme dans les microscopes
acrobatique en dix images, les clichés doi- tröm, il faut donc des éclairs dont la durée électroniques, mais seulement avec des
vent être pris toutes les 50 millisecondes. ne dépasse pas dix femtosecondes. objets fixes et des durées d’exposition de
Mais pour observer le comportement l’ordre de la milliseconde ou plus. Les films
d’une molécule, quelles doivent être la à l’échelle atomique que nous cherchions
durée et la fréquence des éclairs strobos-
À la femtoseconde près à faire nécessitaient la résolution spatiale
copiques ? De nombreux changements Dès les années 1980, les chercheurs utili- d’un microscope électronique, mais avec
de structure des molécules ou des maté- saient des impulsions laser de l’ordre de des impulsions d’électrons très brèves,
riaux correspondent au déplacement d’ato- la femtoseconde pour chronométrer des de l’ordre de la femtoseconde. Les paquets
mes sur quelques angströms seulement processus chimiques faisant intervenir des d’électrons qui «illuminent» l’objet à visua-
(un angström est égal à 10–10 mètre, soit atomes en mouvement. Mais il ne s’agis- liser sont nommés impulsions sondes.
0,1 nanomètre). L’observation d’un tel sait pas de suivre la position des atomes : Un autre problème est le chronométrage
mouvement exige une précision spatiale c’était impossible, la longueur d’onde lumi- du mouvement, c’est-à-dire bien définir
Impulsion laser 1
génératrice d’électrons Une impulsion d’horloge (par exemple une impulsion
laser dont la durée est d’une femtoseconde)
déclenche à un instant zéro bien défini le processus
que l’on veut étudier.
2
2 Une impulsion laser génératrice d’électrons
est créée au même instant que l’impulsion d’horloge,
mais elle est ensuite retardée d’une durée contrôlée.
1 Impulsion d’horloge
3 3 Une impulsion contenant un unique électron
Échantillon
traverse l’échantillon à l’instant T, bien déterminé
par rapport à l’instant zéro.
Dispositif
à transfert Images à un seul pixel, pour l’instant T+ ⌬T
de charge (CCD)
+ + + + ... =
George Retseck
Images du film
l’instant où le mouvement débute. Nous lèle avec le chat n’est plus valable. En porelle, parce que les répulsions mutuelles
n’obtiendrons pas d’images utiles si tou- effet, si tout se passait comme prévu, Marey des électrons disloquent l’impulsion. Dans
tes les impulsions sondes prennent des cli- pouvait boucler son expérience en faisant les années 1980, Oleg Bostanjoglo, à Berlin,
chés avant que le mouvement commence tomber un chat une fois. Et cela n’avait est parvenu à faire de l’imagerie avec des
ou après qu’il ait fini. Pour la photogra- pas d’importance que la série d’expositions impulsions ne contenant que 100 millions
phie du chat, l’enregistrement démarre débute 10 ou 17 millisecondes après le lâcher d’électrons, mais les résolutions ne dépas-
quand on lâche le chat. Pour un enregis- du chat. En revanche, dans le cas de la saient pas quelques nanosecondes et quel-
trement ultrarapide, une impulsion fem- microscopie ultrarapide, on peut être amené ques micromètres (amenées ensuite en deçà
toseconde de déclenchement, nommée à sonder des millions d’atomes ou de molé- du micromètre par d’autres chercheurs).
impulsion d’horloge, initialise le proces- cules pour chaque impulsion d’horloge, ou Mon équipe s’est attaquée à ce défi
sus ou le matériau à étudier. à construire des images en répétant une en développant l’imagerie à un seul élec-
Même en contrôlant le départ de l’im- expérience des milliers de fois. tron, qui prolongeait nos travaux précé-
pulsion sonde et le chronométrage, le Imaginons que Marey n’ait pu pho-
problème de la synchronisation demeure. tographier qu’une mince bande verticale
Dans les expériences ultrarapides, le paral- du champ de vision à chaque lâcher de Chaque impulsion sonde
chat. Pour construire la série de clichés
complets du chat qui tombe, il aurait dû
contient un seul électron
a d
répéter l’expérience de nombreuses fois, et sa contribution
en enregistrant le long d’une bande ver-
ticale légèrement décalée à chaque fois. est donc un simple « point
Pour que les différentes bandes se com- de lumière » dans le film.
binent bien et forment une image com-
plète qui ait un sens, il aurait fallu qu’il
b e prépare le chat pour le mettre dans la dents sur la diffraction électronique
même configuration initiale à chaque ultrarapide. Chaque impulsion sonde
chute, et qu’il synchronise soigneusement contient un seul électron et sa contribu-
le lâcher avec les ouvertures de l’obtura- tion est donc un simple «point de lumière»
teur de la même façon à chaque fois (la dans le film final. Pourtant, grâce au
technique exigerait aussi que le chat bouge chronométrage minutieux de chaque
de façon identique à chaque fois. Je sup- impulsion et à une autre propriété, la
c f pose qu’à cet égard les molécules sont plus «cohérence» de l’impulsion, les nombreux
California Institute of Technology
fiables que les chats !). points s’additionnent pour former une
La précision des configurations de image adéquate de l’objet.
départ doit être d’une fraction de la taille Une prouesse similaire est parfois mise
du chat, et la synchronisation doit être d’une en avant comme l’une des bizarreries de
précision supérieure aux durées d’obtu- la mécanique quantique: des électrons qui
ration. Dans le même esprit, en imagerie passent un par un à travers un système de
Un cantilever large de 50 nanomètres, ultrarapide d’atomes et de molécules, la deux fentes créent chacun un petit point
en alliage de nickel et de titane, lumineux en un endroit aléatoire d’un
configuration initiale doit être définie
oscille après avoir été excité
par une impulsion laser. avec une résolution inférieure à l’angström, écran de détection ; mais tous les points
Les cases bleues font ressortir et le chronométrage relatif des impulsions s’additionnent pour former des motifs pré-
le mouvement. Le film complet d’horloge et de sonde doit être précis à envi- visibles alternant ombre et lumière, carac-
(voir «Sur le Web») est réalisé ron une femtoseconde près. Le chrono- téristiques des interférences d’ondes.
avec une image toutes les dix nanosecondes. métrage des impulsions sondes est obtenu L’imagerie à un seul électron était la
L’étude de ces oscillations permet de déduire en envoyant l’une ou l’autre de ces impul- clef de la microscopie électronique ultra-
les propriétés mécaniques de l’objet étudié.
sions sur une trajectoire de longueur ajus- rapide en 4D. Nous étions désormais capa-
table. Pour une impulsion se propageant bles de filmer des molécules et des
à la vitesse de la lumière, fixer la longueur matériaux réagissant à diverses sollicita-
Chaque image du nanofilm est construite de la trajectoire avec une précision de un tions, comme autant de chats effrayés se
en répétant ce processus des milliers de fois micromètre correspond à fixer la synchro- contorsionnant dans l’air.
avec le même retard, et en combinant nisation relative avec une précision de L’une de nos premières cibles fut le gra-
tous les pixels des clichés isolés. 3,3 femtosecondes. phite, dont sont faites les mines des crayons
Les chercheurs peuvent également utiliser Un autre problème majeur et fondamen- à papier. Nous avons choisi le graphite en
le microscope dans d’autres modes, tal restait à surmonter avant de pouvoir partie parce que c’est un matériau assez
par exemple avec une seule impulsion filmer avec des électrons. Contrairement exceptionnel, utilisé dans des environne-
à plusieurs électrons par image,
selon le type de film souhaité. Le mode aux photons, les électrons sont chargés et ments aussi extrêmes que le cœur des réac-
à un seul électron fournit les résolutions se repoussent mutuellement. En regrou- teurs nucléaires, et parce qu’il a des cousins
spatiale et temporelle les plus fines. per un grand nombre dans une impulsion tout aussi remarquables, tels les nanotu-
détériore la résolution spatiale comme tem- bes de carbone.
Surface
a du cristal b
2 Les images du nanocristal ont permis
de mesurer ces oscillations en différents sites
de l’échantillon. Sur quelques dizaines
de microsecondes, le mouvement initialement
chaotique du cristal (a, suggéré ici par les flèches)
a évolué en un mouvement de battement
coordonné de l’ensemble du cristal (b).
Électron du microscope
Caltech
portent de minuscules quantités du maté-
riau le plus solide que connaisse la science:
Tambour de graphite Ahmed ZEWAIL, lauréat du prix
Nobel de chimie en 1999,
du graphène, c’est-à-dire des feuillets L’analogie avec les plaques métalliques est est professeur de chimie
uniques d’atomes de carbone, dont les cher- raisonnable tant que notre « caméra » fait et directeur du Centre de biologie
cheurs étudient assidûment les propriétés un zoom poussé. Mais si la caméra effec- physique pour les sciences
et les technologies ultrarapides
électroniques (le graphène a fait l’objet du tue un zoom arrière, elle visualise une plus à l’Institut de technologie
prix Nobel de physique 2010). De plus, grande partie du minuscule cristal de de Californie, aux États-Unis.
quand on soumet du graphite à des pres- graphite. La masse frappe alors seulement
sions extrêmes, ses atomes se réarrangent une région de la plaque métallique supé-
pour former du diamant, l’une des subs- rieure, et il devient apparent que les pla-
Instant initial
tances les plus dures connues. ques se tordent, la compression et la
Afin d’étudier la réponse du graphite dilatation se propageant en ondes circu-
aux chocs mécaniques, nous avons pris des laires autour du point d’impact.
cristaux nanométriques de ce matériau (cer- Lorsque nous zoomons davantage
tains ne dépassant pas quelques nanomè- encore en arrière et que nous filmons
tres d’épaisseur, soit quelques feuillets plus lentement, une autre dynamique
atomiques) et nous les avons bombardés encore apparaît. Nous constatons que l’im-
avec d’intenses impulsions laser femtose- pulsion laser imprime un mouvement
conde, qui ont servi d’impulsions d’horloge d’oscillation à l’ensemble du cristal 200 femtosecondes
pour notre microscope. Chaque impul- (d’épaisseur nanométrique), comme une
sion laser rapprochait momentanément peau de tambour frappée par une baguette.
les couches atomiques les unes des autres, Nous avons observé que dans les pre-
ce qui déclenchait un mouvement d’oscil- mières microsecondes après l’impulsion
lation vertical (voir l’encadré page ci-contre). laser, le mouvement du cristal semblait
chaotique, mais le temps passant, le cris-
Voir vibrer tal tout entier adoptait une oscillation réso-
nante bien définie : il battait la mesure !
les couches atomiques
Cal
2 000 femtosecondes
ifor
Pour ces oscillations, la propriété qui
nia
Ins
Notre microscope électronique envoyait détermine la fréquence de résonance est
titu
te
alors ses électrons à travers ces couches oscil- l’élasticité des plans de graphite, leur
of T
lantes de graphite pour produire deux types réaction à l’étirement et à la compression ech
nol
ogy
d’images: une image dans l’espace réel (pour dans le plan. Nous avons trouvé que le gra-
ainsi dire une photographie de la surface phite résiste très bien à la déformation au
du graphite) ou une figure de diffraction, sein des plans atomiques, beaucoup mieux
qui est un motif régulier de taches lumineu- qu’il ne résiste aux mouvements de com-
ses dont la configuration renseigne sur la pression ou de séparation de ces feuillets. UN COLIBACILLE (la bactérie Escherichia coli)
disposition des atomes et leurs distances Les résultats s’expliquent en considérant a été visualisé par microscopie électronique à
mutuelles dans le réseau cristallin. En par- que les liaisons chimiques entre les ato- champ proche photo-induite. Une impulsion laser
ticulier, nous pouvions suivre les couches mes de carbone dans chaque couche sont d’une femtoseconde a créé un champ électroma-
gnétique évanescent dans la membrane de la cel-
qui oscillaient verticalement grâce au mou- beaucoup plus fortes que les liaisons entre
lule au temps zéro. En ne recueillant que les
vement des taches de la figure de diffrac- couches adjacentes. électrons du microscope ayant gagné de l’éner-
tion. Les fréquences d’oscillation allaient Certes, les études de gros échantil- gie par l’intermédiaire de ce champ, la technique
d’environ 10 à 100 gigahertz (10 10 à lons de graphite avaient déjà fourni des produit une image à fort contraste et haute
1011 cycles par seconde). Aucune expérience données similaires sur l’élasticité du gra- résolution spatiale de la membrane (en haut). Les
d’imagerie n’avait auparavant permis d’ob- phite, mais l’information que nous avons isocontours en fausses couleurs représentent l’in-
server des oscillations aussi rapides. obtenue nous en dit davantage. Elle apporte tensité enregistrée. La méthode peut enregistrer
des événements à des échelles de temps très
À partir de nos mesures, nous avons des éléments de réponse à deux types de
courtes, comme on le voit avec l’atténuation nota-
déterminé l’élasticité du graphite perpen- questions fondamentales pour compren- ble du champ après 200 femtosecondes (au
diculairement au plan des atomes, c’est- dre le comportement des matériaux à milieu). Au bout de 2000femtosecondes, le champ
à-dire caractérisé la réponse du matériau l’échelle nanométrique. Jusqu’à quelle a disparu (en bas).
échelle de longueur la description de la subs- line passer du réseau cubique centré au les en biologie, où il faut non seulement
tance en tant que matériau continu, doté de réseau cubique à faces centrées, transfor- connaître les différentes structures molé-
propriétés telles que l’élasticité, reste-t-elle mation intervenant dans de nombreuses culaires et cellulaires impliquées, mais
valable? Ensuite, peut-on extrapoler le com- applications industrielles à haute tempé- aussi leur dynamique : comment une pro-
portement aux échelles atomiques pour rature, notamment la production de l’acier. téine se replie, comment elle reconnaît
déduire les propriétés macroscopiques, En chauffant le fer de la température d’autres molécules, quel rôle joue l’eau qui
connues, d’un matériau? ambiante à près de 1 500 kelvins en une l’entoure, et ainsi de suite. Certaines fonc-
nanoseconde environ, nous avons vu deux tions biologiques font intervenir des éta-
Vers le diamant processus dynamiques se dérouler. Tout
d’abord, de petits grains de la phase cubi-
pes ultrarapides. Par exemple, dans la
vision chez l’homme comme dans la pho-
ou vers le graphène que à faces centrées se sont formés en cer- tosynthèse chez les plantes, des photons
Pour le graphite, nous avons trouvé que tains endroits du cristal, relativement de lumière déclenchent des processus dont
même des échantillons nanoscopiques lentement (à l’échelle de la nanoseconde), la durée est à l’échelle de la femtoseconde.
(quelques douzaines de couches atomiques à partir du mouvement incohérent des ato-
d’épaisseur) se comportent de façon éton-
namment semblable au matériau macros-
mes de fer. Ensuite, ces régions de la nou-
velle phase se sont étendues à la vitesse
Voir les molécules
copique. Cette description resterait-elle du son, ce qui signifie que le processus ne se déformer
valable près de la limite du graphène? mettait que quelques picosecondes Bien que de nombreuses protéines fonc-
Les films du graphite que j’ai décrits (10–12 seconde) pour gagner l’ensemble tionnent (ou dysfonctionnent) à des échel-
jusqu’ici reposaient tous sur des collisions du fer brûlant. Cette transformation à les de temps beaucoup plus longues, les
électrons-échantillon où les électrons ne propagation rapide implique le déplace- mouvements atomiques et moléculaires
perdent pas d’énergie, comme des balles ment de nombreux atomes de manière coor- des premières femtosecondes peuvent
en caoutchouc qui rebondissent sur quel- donnée, un curieux type d’« émergence » déterminer si ces macromolécules se replie-
que chose de dur. Parfois, cependant, un d’un changement à grande échelle à par- ront correctement en une structure utile,
électron sonde peut perdre de l’énergie en tir d’innombrables mouvements nanos- ou bien en une autre qui, par exemple,
excitant un électron d’un atome de carbone. copiques sous-jacents. La compréhension intervient dans la maladie d’Alzheimer.
La quantité d’énergie perdue dépend du de ce phénomène conduira peut-être à de Une étude du repliement des protéines
type de liaison dans laquelle l’électron de meilleures façons de manipuler le fer et illustre le type de technique nécessaire et
l’atome est impliqué. Une technique éprou- l’acier (et de nombreux autres matériaux) les résultats possibles. Mes collègues et moi-
vée, connue sous le nom de spectroscopie dans les processus industriels. même avons étudié la rapidité avec laquelle
des pertes d’énergie, peut mesurer de tel- L’une des applications les plus intéres- une petite longueur de protéine se replie
les pertes ; les spectres d’énergie enregis- santes de la microscopie électronique ultra- en un tour d’hélice lorsqu’on chauffe l’eau
trés fournissent de l’information sur les rapide 4D est l’observation en temps réel où la protéine est immergée (on trouve
liaisons dans un matériau et sur les élé- du fonctionnement de nanosystèmes et de des hélices dans d’innombrables protéines).
ments chimiques qui le composent. microsystèmes. Par exemple, nous avons Nous avons trouvé que les hélices courtes
se forment plus de 1000 fois plus vite que
ne le prévoyaient les chercheurs: en quel-
L’UNE DES APPLICATIONS LES PLUS INTÉRESSANTES ques centaines de picosecondes à quelques
de la microscopie électronique ultrarapide 4D nanosecondes, et non en plusieurs micro-
est l’observation en temps réel du fonctionnement secondes comme on le pensait générale-
ment. Savoir qu’un repliement aussi rapide
de nanosystèmes et microsystèmes. a lieu peut modifier notre compréhension
des processus biochimiques, notamment
En utilisant cette méthode avec notre obtenu des images des oscillations réso- ceux impliqués dans les maladies.
microscope électronique ultrarapide, nous nantes de cantilevers nanoscopiques (voir Avec notre technique 4D, l’imagerie
avons montré qu’au cours de la phase de l’encadré page 74), ce qui n’avait pas été réa- biomédicale repose souvent sur la cryomi-
compression, les liaisons au sein du gra- lisé auparavant pour des mouvements de croscopie électronique, qui consiste à plon-
phite ressemblaient de plus en plus à cel- si haute fréquence. À partir de nos résul- ger rapidement dans de l’éthane liquide
les caractéristiques du diamant. Dans la tats, nous avons déterminé un ensemble (qui bout à –89°C) un échantillon baignant
phase de dilatation, les liaisons des ato- de quantités caractérisant les cantilevers dans de l’eau. L’eau gèle alors en formant
mes de surface ressemplaient à celles du et leur mouvement, et nous avons vu qu’ils un solide vitreux qui ne diffracte pas les
graphène. La spectroscopie des pertes fonctionnaient de façon cohérente jusqu’à électrons et ne gâte donc pas les images (ni
d’énergie classique est beaucoup trop lente 1011 oscillations. Les chercheurs peuvent l’échantillon lui-même!) comme le font les
pour observer ces changements. utiliser ces données pour tester les modè- cristaux de glace ordinaires. Nous avons
Mon équipe a maintenant procédé à les théoriques qui guident la conception ainsi obtenu des images de cellules bacté-
des études en microscopie 4D sur un cer- des systèmes microélectromécaniques et riennes et de cristaux de protéines. Par la
tain nombre de matériaux autres que le gra- nanoélectromécaniques. suite, nous espérons regarder se replier et
phite. Avec le fer, nous avons fait des images La microscopie électronique ultrara- se déplier des protéines immergées ainsi
de diffraction pour voir la structure cristal- pide 4D a aussi des applications potentiel- dans de l’eau vitreuse: une impulsion laser
L’eau regèle
en glace vitreuse,
la protéine
se replie
George Retseck
d’horloge engendrera une hausse de la tem- des images de membranes de cellules bac-
pérature pour faire fondre la minuscule tériennes et de vésicules de protéines avec SUR LE WEB
gouttelette d’eau qui entoure la protéine, une résolution de l’ordre de la femtose- Les vidéos de microscopie
laquelle se dépliera, puis se repliera rapi- conde et du nanomètre. électronique relatives à cet article
dement quand l’eau se refroidira et regè- peuvent être vues sur :
www.scientificamerican.com/blog/
lera ; la molécule sera alors prête pour
une nouvelle impulsion d’horloge.
Bientôt l’attoseconde? post.cfm?id=nanomovies-ultrafast-
electron-micro-2010-08-11
Cette même approche nous permet- Ces dernières années, Ferenc Krausz, de
trait de visualiser la dynamique des flagel- l’Université Ludwig Maximilian de
les de bactéries et des bicouches d’acides Munich, Paul Corkum, de l’Université BIBLIOGRAPHIE
gras dont sont constituées les membra- d’Ottawa, et d’autres ont ouvert le domaine
A. H. Zewail et J. M. Thomas,
nes des cellules. Comme avec nos études de l’attoseconde (10–18 seconde) aux étu- 4D Electron Microscopy :
sur le graphite, la spectroscopie ultrara- des optiques à l’aide d’impulsions laser Imaging in Space and Time,
pide des pertes d’énergie devrait permet- extrêmement brèves. Pour l’imagerie élec- Imperial College Press, 2010.
tre de cartographier les modifications au tronique à cette échelle de temps, nous D. J. Flannigan, B. Barwick
niveau des liaisons. En enregistrant l’image avons proposé plusieurs dispositifs et nous et A. H. Zewail, Biological imaging
avant que le biosystème ne bouge ou se travaillons maintenant à leur réalisation, with 4D ultrafast electron
désintègre, nous devrions obtenir des ima- en collaboration avec Herman Batelaan de microscopy, PNAS, vol. 107(22),
pp. 9933-9937, 2010.
ges plus nettes qu’il n’est actuellement pos- l’Université du Nebraska à Lincoln.
sible avec la cryomicroscopie. La microscopie électronique est une A. H. Zewail, Four-dimensional
Très récemment, mon équipe a fait technique très puissante et polyvalente. electron microscopy, Science,
vol. 328, pp. 187-193, 2010.
la démonstration de deux nouvelles tech- Elle fonctionne dans trois domaines dis-
niques. Dans la première, la « microsco- tincts : les images de l’espace réel, les figu- F. J. Garcia de Abajo, Microscopy :
pie électronique ultrarapide à faisceau res de diffraction et les spectres d’énergie. photons and electrons team up,
convergent », l’impulsion électronique est En intégrant la quatrième dimension, le Nature, vol. 462, p. 861, 2009.
focalisée et ne sonde qu’un seul site, temps, nous transformons les images J. M. Thomas, A revolution in
nanoscopique, de l’échantillon. L’autre, immobiles en films, grâce auxquels nous electron microscopy, Angewandte
la « microscopie électronique ultrarapide pouvons observer le comportement de la Chemie International Edition,
vol. 44(35), pp. 5563-5566, 2005.
à champ proche photo-induite » a produit matière, des atomes aux cellules. I
Des
ess actualités
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ualités
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és quotid
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quo
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Science et société
Alexandre Moatti
1940 ont été fertiles pour la cosmologie : conception, la Terre est fixe et ne tourne
confirmation de l’existence d’autres pas sur elle-même ; elle a été créée le pre-
galaxies que la Voie lactée, découverte du mier jour de la Genèse, et le Soleil et la
mouvement de fuite de ces galaxies, hypo- Lune sont « les grands luminaires » créés
thèse du Big Bang. le quatrième jour.
Par ailleurs, la physique nucléaire Le géocentrisme fort se rattache au
(notamment avec les premières fusions Young Earth Creationism, créationnisme
d’éléments légers réalisées en laboratoire radical de certains mouvements évangé-
en 1932) a donné une explication plausible liques américains qui prônent une confor-
à l’énergie des étoiles et du Soleil. Jusque- mité totale au texte biblique, défendant
là, il n’y avait pas de modèle physique « l’inerrance biblique » – c'est-à-dire l’im-
(nature de l’énergie stellaire) ou cosmo- possibilité pour la Bible de se tromper.
logique (modèle de formation de l’Uni- Pour eux, l’âge de la Terre est de 6 000 ans
vers) capable d’expliquer un âge ancien environ (celui du Soleil est de… 6 000 ans
de la Terre. Encore à la fin du XIXe siècle, moins trois jours !) ; certains vont même
le physicien William Thomson (1824-1907), jusqu’à dater le premier jour de la Créa-
dit lord Kelvin, proposa un modèle de tion au dimanche 23 octobre 4004 avant
contraction gravitationnelle pour expli- notre ère, suivant la théologie de l’évêque
quer l’énergie des étoiles, mais cela don- anglican James Ussher (1582-1656). L’ E S S E N T I E L
nait un âge stellaire de quelques dizaines Sur le continent américain, un pion- ✔ Les mouvements
de millions d’années tout au plus, en nier du géocentrisme moderne est Wal- créationnistes s’attaquent
contradiction avec les observations ter van der Kamp (1913-1998), fondateur aux conceptions
d’étoiles toujours plus lointaines. du Bulletin of the Tychonian Society (devenu astronomiques qui gênent
À partir des années 1920-1930, la phy- en 1991 The Biblical Astronomer), qui s’ap- leurs convictions
sique nucléaire et les observations astro- puie sur le modèle datant du XVIe siècle religieuses.
nomiques ont ainsi fourni un cadre de l’astronome danois Tycho Brahe, où les
conceptuel solide, où l’âge de l’Univers planètes tournent autour du Soleil qui lui- ✔ Certains mouvements
et du Soleil se compte en milliards d’an- même tourne autour de la Terre. Gerardus s’accrochent à une lecture
nées. L’astrophysique a alors rejoint la géo- Bouw (né en 1944) a pris la suite de Van littérale de la Bible
logie uniformitariste du Britannique der Kamp. Tous deux ont pour point com- et à un géocentrisme
Charles Lyell (suivant laquelle la Terre a mun d’être des protestants d’origine néer- radical.
été façonnée par des forces persistant sur landaise ayant émigré l’un au Canada
de longues périodes de temps, et non par anglophone, l’autre aux États-Unis. ✔ D’autres tentent
des événements catastrophiques) et la théo- plus habilement d’intégrer
à leurs argumentations
rie de l’évolution de Darwin. Il s’en est
dégagé un modèle cohérent qui attribue
Vieilles lunes contre les récentes découvertes
au Système solaire et à la Terre un âge d’en- science «séculière» de l’astronomie.
viron 4,5 milliards d’années.
C’est donc à partir de 1920 que l’idée
Mais au-delà de ces exemples presque cari-
caturaux de géocentrisme radical, il existe
✔ Ces courants
exploitent la moindre
d’un Univers ancien s’est imposée dans le un courant créationniste en astronomie
interrogation ou le moindre
grand public, idée fondée sur les sciences mené par des «instituts de recherche» cou-
débat sur des points
de la Terre (géologie), de la vie (biologie vrant les sciences de la vie, de la Terre et
scientifiques pour appuyer
et paléontologie) et de l’Univers (astro- de l’Univers, tels que la Creation Research
leurs thèses.
physique et cosmologie). Mais c’est aussi Society (créée en 1963 dans le Missouri),
à cette époque que se sont cristallisés divers l’Institute for Creation Research (créé en 1972
fondamentalismes opposés à l’évolution, à Dallas), ou une scission de ce dernier,
quelle qu’elle soit. Notamment, en 1925, Answers in Genesis (très actif sur Internet,
le « procès du Singe » a vu s’opposer depuis Hebron dans le Kentucky).
en 1925, dans le Tennessee, aux États-Unis, Les « vieilles lunes » – si l’on peut s’ex-
partisans de la théorie de l’évolution et primer ainsi – de ces mouvements sont
adversaires, qui ne pouvaient admettre assez classiques. L’existence des éclipses
une parenté entre l’homme et le singe. de Soleil totales comme celle des éclipses
C’était à la même époque qu’est réap- annulaires sont présentées comme un
paru le géocentrisme. miracle. Car si la Lune était plus proche
Les courants créationnistes en astro- de la Terre, il n’y aurait que des éclipses
nomie qui nous intéressent ici sont très totales et pas d’éclipses annulaires, et si
divers, comme en biologie. Le « géocen- elle était plus éloignée, ce serait le contraire.
trisme fort » est soutenu par les mouve- La Lune aurait été donc placée à l’en-
ments les plus fondamentaux. Selon cette droit idéal, à diamètre apparent égal à celui
L’ A U T E U R du Soleil, afin que l’homme puisse obser- galaxies s’éloignent de nous, donc nous
ver les deux phénomènes. sommes au centre de l’Univers. Là encore,
L’existence de planétariums dans les la conclusion est fausse: l’argument serait
musées de science, avec leur voûte étoi- valable pour un observateur situé sur n’im-
lée qui tourne, est vue comme une confir- porte quelle galaxie, qui verrait toutes les
mation de la fixité de la Terre. Le fait que autres galaxies s’éloigner de lui.
les astronomes fassent les calculs d’éclipses Le rayonnement de fond diffus cos-
dans un repère géocentrique est interprété mologique fait l’objet d’un traitement ana-
comme une défiance de leur part envers logue. Comme il est isotrope (en première
le modèle héliocentrique qu’ils prônent, approximation), les géocentristes y voient
Alexandre MOATTI, ingénieur sur le thème «croyez ce que je dis, ne croyez une confirmation supplémentaire que la
en chef du Corps des mines, pas ce que je fais »… Il est pourtant plus Terre est bien au centre de l’Univers.
est notamment directeur
de la publication de sites publics logique, pour un phénomène observé
(www.science.gouv.fr
et www.bibnum.education.fr),
sur Terre et pour des calculs qui seraient
sinon bien plus complexes, de se rame-
Le principe
ainsi qu’auteur de livres
de vulgarisation et du blog
ner à un repère dont la Terre est le centre ! anthropique détourné
www.maths-et-physique.net. Cependant, hors ces vieilles lunes, Dans le même ordre d’idées, des travaux
Il enseigne à l’EHESS (École certains de ces mouvements créationnistes récents de Jacques Laskar, de l’Observa-
des hautes études en sciences cherchent à intégrer les résultats de la science toire de Paris, sur l’existence de dyna-
sociales, à Paris).
moderne. Par exemple, on retrouve la miques chaotiques dans le Système solaire
relativité utilisée cette fois-ci comme appui sont interprétés comme donnant tort à la
au géocentrisme. Le repère absolu newto- mécanique céleste déterministe de Laplace,
nien n’existe plus, le Soleil tourne lui-même et donc à la loi de Newton qui régit le mou-
autour du centre de la Galaxie qui se rap- vement de la Terre autour du Soleil.
proche elle-même d’autres galaxies, l’Uni- Un autre détournement porte sur le
vers n’a pas de centre : les créationnistes principe anthropique. Dans sa version
font alors ironiquement remarquer que si scientifique, c’est une forme de raisonne-
le système héliocentrique de Copernic et la ment qui a permis d’obtenir de remar-
gravitation de Newton correspondaient à quables résultats. Ainsi, le cosmologiste
la réalité, les «astronomes traditionnels» britannique Fred Hoyle avait conjecturé
(«séculiers», lit-on parfois) auraient ren- que, puisque la vie existe, il devrait exis-
forcé ces théories plutôt que les abandon- ter une raie spectrale spécifique du car-
ner au profit de la relativité d’Einstein. bone dans les étoiles, témoin de la synthèse
Même si les bases du raisonnement de cet élément ; or cette raie a été décou-
ne sont pas fausses, les conclusions qu’en verte peu après. Le principe anthropique
tirent les créationnistes sont erronées, car est réinterprété par les créationnistes
rien dans l’astrophysique moderne ne remet comme un principe à caractère métaphy-
la Terre au centre de l’Univers! On constate sique, selon lequel l’apparition de la vie
ici la capacité d’adaptation d’un mouve- n’est pas due au hasard, mais constitue
ment qui, en 1920, rejetait la relativité et la finalité de l’évolution cosmique, fruit
aujourd’hui l’utilise à son profit. Cette adap- du « dessein intelligent ».
tabilité se retrouve dans d’autres champs L’intégration et la réinterprétation des
✔ BIBLIOGRAPHIE scientifiques: ainsi, l’Intelligent Design est observations et données de la science récente
un mouvement créationniste qui ne rejette se manifestent aussi dans la théorie de «l’ap-
A. Moatti, Einstein, Un siècle pas la théorie de l’évolution, mais la déva- parence de vieillesse» que les créationnistes
contre lui, Odile Jacob, 2007.
lorise en prétendant qu’elle ne suffit pas à utilisent dans d’autres champs (par exemple
P. A. Taguieff, La foire expliquer la complexité humaine; seul un en paléontologie pour les fossiles). Com-
aux illuminés, Mille et une nuits, «dessein intelligent» serait à même de le ment se fait-il qu’il y ait des galaxies dis-
2005.
faire. La théorie communément admise tantes de milliards d’années-lumière alors
J. Dubessy et G. Lecointre (relativité, évolution) est ainsi ingérée par que l’Univers a, selon eux, été créé il y a
(sous la dir. de), Intrusions le créationnisme, voire intégrée à son propre quelque 6000 ans? Tout simplement parce
spiritualistes et impostures corpus doctrinal. que, toujours selon les créationnistes, l’Uni-
intellectuelles en sciences,
Syllepse, 2001. On est aussi étonné par l’utilisation vers a été créé avec sa «lumière en transit»!
de résultats astrophysiques récents. Ainsi, Expliquons ce que cela signifie.
D. Lecourt, L’Amérique entre le CESHE (Cercle d’études scientifiques et Reprenons leur analogie : imaginez
la Bible et Darwin, PUF, 1992.
historiques, un cercle créationniste et catho- Adam dans le jardin d’Éden, que voyez-
J. Rostand, Science fausse lique intégriste franco-belge) interprète la vous? Plutôt un homme d’âge mûr, disons
et fausses sciences, Gallimard, récession des galaxies de la façon suivante: 20-30 ans, pas un bébé ni un enfant… il
1958.
l’Univers est en expansion, toutes les vient pourtant d’être créé. Prenons main-
Sous-thème
REGARDS
HISTOIRE DES SCIENCES
L
’ancienne île de Pharos, à Alexan- jour, les chercheurs qui s’intéressent au port politain parisien, achète un terrain au gou-
drie, est un lieu d’une grande antique se fondent donc sur les descrip- vernement égyptien en 1906 pour un vaste
richesse. On en connaît aujour- tions du site laissées par Gaston Jondet, projet immobilier et donne naissance à la ville
d’hui la partie Est grâce à l’équipe sous la forme d’articles, d’un mémoire et d’Héliopolis, dans la banlieue du Caire. Alexan-
de l’archéologue français Jean-Yves Empe- de quelques notes parus entre 1908 et 1921. drie est devenue une ville cosmopolite où se
reur, qui a sorti de l’eau en 2002 le célèbre rassemble désormais une élite culturelle et
phare. On connaît moins la partie Ouest, Les premières artistique. Le romancier britannique Edward
où se trouve le port submergé. Il a été décou- Morgan Forster, qui y travaille pour la Croix-
vert au début du XXe siècle par un ingénieur descriptions du port Rouge en 1916 et 1917, s’intéresse au patri-
français des ponts et chaussées, Gaston Quand, au tout début du XXe siècle, Gaston moine égyptien et écrit un livre sur la ville,
Jondet (1866-1957), alors qu’il était en poste Jondet arrive en Égypte, sous domination bri- Alexandria, qu’il décrit en détail. C’est dans ce
à Alexandrie. Ses travaux d’une extrême pré- tannique depuis 1882, le pays est en plein contexte colonial et moderniste que Gaston
cision ont mis au jour le dessin du port essor économique et culturel: d’importants Jondet, alors conducteur des ponts et chaus-
antique de l’île, mais l’ingénieur et sa décou- capitaux étrangers ont été investis et l’in- sées au service de navigation de la Seine en
verte sont tombés dans l’oubli après une dustrie se développe sous l’influence colo- France, obtient son détachement à Alexan-
mise en cause professionnelle et politique niale de la Grande-Bretagne et d’autres drie en 1897 et redécouvre, en tant qu’ingé-
en Égypte. Depuis, personne n’a pu fouiller pays comme la France. L’Égypte dispose déjà nieur auprès du Service des phares et balises,
les fonds marins de la partie Ouest : aucun d’un réseau ferroviaire depuis 1856 reliant le port antique submergé de Pharos.
permis d’explorer n’a été délivré malgré Alexandrie au Caire. Le baron belge Édouard Le port antique était situé, avant sa sub-
les requêtes de quelques scientifiques. À ce Empain, constructeur notamment du métro- mersion, à l’Ouest du delta du Nil et se déta-
chait en avant de la côte basse à l’endroit où
Alexandrie fut bâtie. Il permettait aux marins
d’accoster et constituait apparemment un
très bon poste d’observation dans l’Antiquité.
Homère (VIIIe siècle avant notre ère) fut le pre-
mier à en donner une description, dans le
chant IV de l’Odyssée : « Il y a, en avant de
G. Jondet, Les ports submergés de l’ancienne île de Pharos, 1916
Regards
la brise fraîche ; et là se trouve un port au décrit les fonds, les sables, les murs et, dans
bon mouillage, d’où on lance vers la haute mer la rade, les influences des marées, courants
les nefs bien équilibrées, quand elles ont et vents sur les récifs et les côtes. Il établit
fait leur provision à l’aiguade profonde.» aussi que la dépression naturelle des fonds
Après Homère, le géographe grec Stra- permettait le mouillage de flottes considé-
bon (Ier siècle avant notre ère) évoqua l’île et rables dans d’excellentes conditions et que
le port dans son ouvrage Géographie : « Une les bateaux au mouillage disposaient d’un
distance de 150 stades sépare la bouche vaste espace pour leurs préparations, à l’abri
canopique de l’île de Pharos. On désigne sous du vent. Ses observations sur la rade
LES AUTEURS
ce nom un simple îlot de forme oblongue et d’Alexandrie, accompagnées d’un important
tellement rapproché du rivage qu’il forme travail de collation de cartes du site, consti-
avec lui un port à double ouverture. [...] La tuent une description exceptionnelle des
pointe qui termine la petite île de Pharos n’est fonds autour de l’île de Pharos.
elle-même qu’un rocher battu de tous côtés
Aude PIVIN est journaliste
par les flots. Sur ce rocher s’élève une tour à Une découverte et traductrice. Josquin DEBAZ
plusieurs étages, en marbre blanc, ouvrage
merveilleusement beau, qu’on appelle aussi abandonnée est historien des sciences,
chercheur au sein du Groupe
le Phare, comme l’île elle-même. » Jondet fréquente un cercle assez large d’écri- de sociologie pragmatique
Jondet semble avoir été le premier à vains et d’universitaires en Égypte et ses tra- et réflexive, à l’École
des hautes études en sciences
redécouvrir le port depuis l’Antiquité. Ses vaux sont connus du milieu scientifique et sociales (EHESS), à Paris.
travaux de reconnaissance, menés à l’aide littéraire. Ils ont même des retentissements
de lunettes d’eau (tubes optiques de en France. Son travail est notamment reconnu
quelques mètres de long) et de sondes, lui par la Société de géographie de Paris, qui lui
permettent d’établir des relevés topogra- décerne le prix Jules Girard. La revue Le
phiques et hydrographiques clairs et pré- Mercure de France signale en 1913 l’article
cis. Il détaille la configuration du port, sa de Jondet paru dans le Bulletin de la Société
situation exacte dans la rade et ses dimen- d’archéologie d’Alexandrie. Forster qualifie
sions. Il retrouve un grand brise-lames. Il d’« inégalées » toute sa série de vues et de
Regards
D e la l u n e t te d ’ea u a u p ro f i l d u p o r t a nti q u e
ous avons essayé, dans nos tieusement coté de leur section ; il graphie générale, relevé des phique et il nous a fourni des résul-
«
N recherches, de déterminer,
partout où il a été possible de le faire,
ne pouvait en être de même à l’ex-
térieur, au phare de Ras-el-Tin, où
ouvrages, auraient encore été bien
incomplets si nous n’avions dressé
tats particulièrement intéressants,
car nous avons pu préciser les condi-
la situation exacte des ouvrages et la mer est toujours agitée, mais les l’hydrographie des abords actuels tions de navigabilité et d’accès au
des restes d’ouvrages submergés dimensions principales ont été rele- de Pharos ou plutôt de la partie occi- port de Pharos ainsi que la profon-
que nous avons découverts. Pour vées avec toute la précision que per- dentale de l’île où se trouvent les deur des mouillages. »
exécuter cette reconnaissance, nous mettaient d’atteindre les conditions travaux les plus importants. Ce relevé Gaston Jondet, Les ports
employions la lunette d’eau qui est de nos recherches. […]. Cepen- hydrographique était le contrôle et submergés de l’ancienne île
cartes du port, et en reproduit même deux de grands travaux portuaires, mais mourra
dans son livre Alexandria, paru en 1922. dans l’oubli, le 11 février 1957, à Paris, et le
La carrière de Jondet à Alexandrie est souvenir de sa découverte s’éteindra avec lui.
cependant brusquement écourtée. Il avait Par cette découverte, Jondet a pourtant
obtenu du gouvernement français un congé retrouvé l’héritage de civilisations majeures
BIBLIOGRAPHIE
illimité pour entrer au service du gouverne- du passé. En particulier, il était persuadé que
G. Jondet, Les ports submergés ment égyptien et travaillait en qualité d’in- l’île était connue d’Alexandre le Grand. Avant
de l’ancienne île de Pharos, 1916. génieur adjoint au port d’Alexandrie. Il avait de créer Alexandrie, l’empereur avait visité
Version électronique sur :
http://www.lib.uchicago.edu/cg-bin/ même été promu au poste d’ingénieur en l’île, mais l’avait jugée trop petite pour ses
eos/eos_title.pl?callnum=DT57.I6 chef des ports et phares en Égypte. Mais projets, et Pharos avait été supplantée par
en 1923, le vent tourne suite à de sévères le nouveau port, souligne l’ingénieur dans
S. A. Morcos, Early discoveries
of submarine archaeological sites accusations à son encontre. Les informations son mémoire. Néanmoins, de nombreux ves-
in Alexandria, dans M. H. Mostafa sont rares à ce sujet, comme sur sa vie avant tiges de constructions ont été exhumés sur
et al. (eds.), Underwater et après son passage en Égypte. On sait seu- l’île, qu’il énumère avec des descriptions pré-
Archaeology and coastal
management. Focus on Alexandria, lement que le ministre de France au Caire a cises : citernes, nécropoles, chambres funé-
UNESCO, pp.33-45, 2000. informé le ministère des Affaires étrangères raires, que l’on aperçoit aux basses eaux,
que Jondet était impliqué par une commis- surtout quand elles sont claires.
S. A. Morcos et N. Tongring, Gaston sion d’enquête dans l’affaire dite « des tra-
Jondet. The discoverer of the
vaux du port de Suez ».
ancient harbor of Alexandria.
A sketch of his public life, L’expert accuse Jondet de sérieuses négli-
Un site en sursis
Bulletin de la Société gences, et l’ingénieur est suspendu de ses Dans l’introduction de son mémoire, Jon-
d’Archéologie d’Alexandrie,
vol. 46, pp. 179-182, 2000. fonctions le 20 juillet 1924. Son honorabilité det insiste sur l’intérêt archéologique et his-
ne pouvant être mise en doute, on lui impose torique du site : « Nous avons retrouvé, au
J.-Y. Empereur, Alexandrie une retraite anticipée, la plus faible des sanc- Nord-Ouest et au Sud de l’ancienne île de
redécouverte, Fayard, 1998.
tions, mais ses recherches sur le port antique Pharos, les restes submergés de travaux
de Pharos sont aussitôt interrompues ; le maritimes grandioses qui prouvent d’une
25 avril 1925, il quitte définitivement l’Égypte. manière incontestable l’existence de ports
Il s’impliquera ensuite dans les activités antiques [...]. Lorsqu’on examine l’ampleur
coloniales françaises en Nouvelle-Calédonie de ce projet et qu’on songe à la témérité
et aux Nouvelles-Hébrides, toujours autour de son exécution, il semble bien qu’il a été
Regards
dicté par une puissance souveraine ser- actuelle ressemble au statu quo. En 1992,
vie par une incomparable largeur de vues ; le ministre égyptien de la Culture avait été
la facilité de ses chenaux d’accès désignait alerté sur la menace immobilière qui pesait
ce port comme l’aboutissement logique des sur le site entier, Est et Ouest. L’Institut fran-
mathématiques
REGARDS
Q
u’est-ce que démontrer tion consiste à passer en revue la suite de logique mathématique modélisée avec les
en mathématiques ? La formules en s’assurant que les règles du systèmes formels. Elle a été introduite en
question paraît élé- jeu formel ont bien été respectées. Trou- informatique théorique il y a un peu plus
mentaire et l’on imagine ver une démonstration est difficile, car les d’une vingtaine d’années par Shafi Gold-
que, puisque les mathé- règles du système formel créent une explo- wasser, Silvio Micali et Charles Rackoff.
maticiens se la posent sion combinatoire de possibilités. Vérifier Elle y joue un rôle de plus en plus important,
depuis plus de deux millénaires, ils doi- une démonstration est facile, car il s’agit en particulier dans le domaine des appli-
vent savoir ce que cela signifie. En réa- d’un travail mécanique de contrôle qu’on cations cryptographiques. Notons que l’ar-
lité, ce n’est pas si simple et l’on va voir peut, en principe, confier à une machine. ticle qui introduit cette notion et qui est
que des perspectives nouvelles ont été considéré aujourd’hui comme l’un des
créées par l’informatique théorique et la Des preuves plus importants de l’histoire de l’informa-
cryptographie : nous progressons encore tique a été refusé trois fois !
dans notre compréhension de la variété dites interactives Il existe plusieurs variantes de la notion
des démonstrations mathématiques et Les mathématiciens n’écrivent pas de preuves de preuve interactive, chacune ayant son
dans l’analyse de leur capacité. formelles détaillées, car ce serait long et intérêt et nous en donnerons l’idée avec des
La logique mathématique a donné une pénible, mais seulement des esquisses de exemples. Non seulement c’est amusant,
réponse précise si on limite la question aux preuves formelles. Cela ne change pas fon- mais cela nous force à réfléchir avec un
démonstrations écrites qu’un mathémati- damentalement la situation, car à partir de œil neuf à l’idée de démonstration et aux
cien soumet sur une feuille à un autre mathé- ce qu’ils écrivent, on peut produire les preuves rôles qu’y jouent le calcul, le hasard et l’in-
maticien qui en contrôle l’exactitude. La formelles complètes. D’ailleurs, des pro- teraction. De plus, c’est utile !
notion de système formel mise au point à grammes informatiques aident à le faire si L’idée fondamentale est que trouver
la fin du XIXe siècle et au début du XXe consti- l’on y tient absolument. Retenons que trou- des preuves sera parfois difficile, mais que
tue cette réponse universellement admise ; ver une preuve est un travail difficile, alors les vérifier sera toujours assez facile. Cette
c’est la forme aboutie de la méthode axio- que la vérifier est mécanisable. fois, non seulement une machine pourra
matique dont l’origine se trouve chez Euclide. Cette conception classique – une pro- faire la vérification, mais elle pourra la faire
Des règles parfaitement précises de position, un contrôle – n’est cependant pas rapidement. La différence avec les sys-
manipulation des formules sont fixées ainsi celle dont le professeur ou le conférencier tèmes formels de la méthode axiomatique
que des axiomes, le tout représentant les fait l’expérience : il interagit avec ses élèves classique vient du fait qu’il y aura plusieurs
connaissances évidentes et collectivement ou auditeurs. Pour lui, prouver un énoncé échanges, et non un seul comme dans le
acceptées sur le domaine mathématique mathématique, c’est les convaincre de cas d’une démonstration écrite qu’un
auquel on s’intéresse. Tout cela définit un manière parfaite ou en laissant un doute mathématicien soumet à un confrère. Le
système formel. Trouver une démonstra- infinitésimal que l’énoncé qu’il leur présente « prouveur », celui qui propose un énoncé
tion consiste alors à écrire une suite de for- est vrai, et plusieurs échanges de paroles mathématique E et veut persuader de sa
mules telle que chacune est un axiome ou sont parfois nécessaires, échanges qui justesse, et le « vérifieur », le personnage
le résultat de l’application d’une des règles varient d’un auditoire à l’autre. Cette idée qu’il faut convaincre de la justesse de E,
de manipulation. Vérifier une démonstra- de preuve interactive n’est pas celle de la échangent de façon répétée des infor-
Regards
Un dialogue
prouveur-vérifieur c d
L’idée est que trouver des preuves est
plus difficile que les vérifier : le prouveur dis-
pose d’une capacité de calcul aussi grande
qu’il le souhaite, alors que le vérifieur ne dis-
pose que d’une capacité de calcul limitée.
J.-M. Thiriet
Regards
Regards
Regards
4 . Q u e l q u es c la ss es d e c o m p l e x it é
P : Les problèmes de type P sont exemple le vérifieur contrôle qu’un le vérifieur est convaincu de ce que Z K : Notée ainsi pour zero-know-
résolubles rapidement (en temps graphe est 3-coloriable en vérifiant veut lui prouver le prouveur, par ledge, ZK est la classe des pro-
polynomial). Le vérifieur n’a qu’à que le coloriage transmis par le exemple que deux graphes ne sont blèmes que l’on sait traiter avec
calculer pour vérifier l’affirmation prouveur est correct. pas isomorphes (voir la figure 2). des protocoles sans transfert de
du prouveur. connaissance.
I P : Dans ce type de problèmes, P S PA C E : Problèmes que l’on
N P : Les problèmes NP sont dif- le prouveur, qui dispose d’une capa- résout en utilisant une quantité de M I P : Même définition que la
ficiles à résoudre pour le prou- cité de calcul illimitée, dialogue mémoire polynomiale en fonction classe IP, sauf que le vérifieur
veur, mais il est facile pour le avec un vérifieur qui ne dispose de la taille des données et sans dialogue ici avec plusieurs prou-
vérifieur de contrôler que la solu- que d’une capacité de calcul poly- qu’aucune limite en temps de cal- veurs, lesquels ne dialoguent pas
tion proposée est correcte. Par nomial. À l’issue de leurs échanges, cul ne soit imposée. entre eux.
nécessaire et c’est tout. Déterminer si un mathématiques pour lesquels il existe des été résolue par Adi Shamir en démontrant
nombre est premier est un problème assez systèmes traditionnels de preuve mathé- que IP = PSPACE (nous allons expliquer
difficile en apparence, mais, grâce à un résul- matiques avec vérifieur polynomial : le prou- cette égalité), ce qui a constitué un coup
tat de 2002, on connaît des algorithmes veur calcule (parfois longuement), il transmet de tonnerre dans le domaine de l’étude des
polynomiaux qui le traitent et le problème sa preuve et le vérifieur la contrôle en temps classes de complexité.
de la primalité est donc dans P. Si un énoncé polynomial. Pour l’instant, aucune interac-
dit « N est un nombre premier », le vérifieur tion répétée n’a été nécessaire. L’interaction accroît
fait seul le calcul nécessaire. La classe IP est celle des domaines
mathématiques où un protocole d’échange le pouvoir des preuves
interactif permet à un prouveur de La classe PSPACE est la classe des pro-
La coloriabilité convaincre le vérifieur de la vérité d’une blèmes que l’on peut résoudre sans qu’au-
est un exemple affirmation. Cette fois, il y aura plusieurs cune limite sur le temps de calcul ne soit
Un graphe étant donné, il est parfois pos- échanges entre le prouveur et le vérifieur, imposée, mais où on limite la mémoire uti-
sible de le colorier avec trois couleurs et des appels au hasard seront peut-être lisable pour mener le calcul : la mémoire
sans que deux nœuds reliés par un arc du utiles. Le problème du non-isomorphisme doit être polynomiale en fonction de la taille
graphe soient de la même couleur. Avec de graphes (voir la figure 2) est dans la des données. Démontrer que IP = PSPACE
quatre couleurs, c’est toujours possible pour classe IP, car un tel protocole existe. fut donc vraiment la mise en évidence
un graphe dessiné sur un plan d’après un Ce problème n’est pas connu comme que les protocoles interactifs sont plus puis-
théorème (le « théorème des quatre cou- appartenant à NP : en effet, il semble impos- sants que les protocoles sans interaction.
leurs », qui porte sur le problème équiva- sible qu’un algorithme puisse vérifier rapi- Le lien entre IP et PSPACE est surprenant,
lent du coloriage des cartes de géographie, dement que deux graphes ne sont pas car la classe PSPACE n’avait a priori pas de
énoncé en 1852 et démontré en 1976). isomorphes, comme c’est le cas du vérifieur raison d’être identique à la classe IP défi-
Savoir si un graphe est 3-coloriable est un des problèmes NP. Il semble donc que la nie sans mention de la capacité de mémo-
problème de la classe NP (Nondeterminis- classe IP soit plus grande que NP et que l’in- risation. C’est en découvrant des résultats
tic Polynomial). Cela signifie que trouver teraction répétée offre la possibilité de faire de ce type que les mathématiciens ont le
(travail du prouveur) un tel coloriage, s’il des démonstrations que la transmission sentiment de mettre au jour des vérités
existe, peut demander énormément de cal- d’une information sans dialogue ne permet profondes sur le monde des nombres et
culs, mais que contrôler (tâche du vérifieur) pas. Lorsque le vérifieur ne dispose que d’un des structures abstraites.
si un coloriage proposé convient (deux temps de calcul polynomial, les preuves tra- Une autre question était posée, cruciale
nœuds reliés sont toujours coloriés diffé- ditionnelles des mathématiques seraient pour la cryptographie: que peut-on faire avec
remment) sera facile et rapide (polynomial). moins puissantes que les preuves interac- un protocole de preuve sans transfert de
On ne sait pas démontrer que la classeP tives. Le professeur ou le conférencier dis- connaissance? On note ZK (pour zero-know-
est différente de la classe NP (P ⫽ NP ?). pose d’un pouvoir de persuasion supérieur ledge) les problèmes ou domaines mathé-
On pense que NP est bien plus grande au mathématicien isolé qui communique matiques qu’on peut traiter avec des
que P et que, par exemple, le problème de par un seul document écrit. protocoles sans transfert de connaissance.
la 3-coloriabilité est dans NP, mais pas dans P. Qu’y a-t-il dans la classe IP, apparem- On sait aujourd’hui que, contrairement à toute
La classe NP est la classe des problèmes ment plus grande que NP ? La question a attente, ZK = IP = PSPACE : tout ce qui peut
Regards
être démontré par un protocole de preuve avec l’autre tentent en dialoguant chacun L’ A U T E U R
interactive peut l’être par un protocole de de leur côté avec le vérifieur de le convaincre
preuve sans transfert de connaissance ! de la vérité d’un énoncé E.
L’article signé de sept auteurs (M. Ben- Ce résultat ne s’appuyant pas sur une
Or, O. Goldreich, S. Goldwasser, J. Håstad, conjecture non démontrée s’écrit
J. Kilian, S. Micali, P. Rogaway) qui annon- MIP = NEXPTIME : la classe MIP des pro-
çait ce résultat porte un titre frappant : blèmes dont une multitude de prouveurs
Everything provable is provable in zero- agissant pour convaincre un vérifieur est
knowledge. Toutefois, le résultat n’est la même que la classe NEXPTIME des pro-
démontré qu’en supposant vraie la conjec- blèmes qu’un vérifieur disposant d’une puis-
Jean-Paul DELAHAYE
ture selon laquelle il existe des fonctions à sance exponentielle en temps de calcul peut est professeur à l’Université
sens unique. Pour ces fonctions x → f(x), traiter. Puisque la classe NEXPTIME est vrai- de Lille et chercheur
le passage de x à f(x) est facile (il ne ment très grande, cela signifie que la force au Laboratoire d’informatique
demande qu’un calcul polynomial), alors de l’interaction se montre redoutable. fondamentale de Lille (LIFL).
que retrouver x quand on connaît f(x) Cela nous conduit donc à ajouter un
demande un long et difficile calcul. échelon à l’échelle des classes de com-
La conjecture affirmant l’existence de plexité, où 債 est le symbole de l’inclusion
fonctions à sens unique implique la conjec- au sens large :
ture P ⫽ NP et il est peu probable qu’elle P 債 NP 債 PSPACE = IP 債 MIP = NEXPTIME.
soit rapidement démontrée. Il existe cepen-
dant plusieurs exemples de fonctions dont Inutile de faire appel ✔ BIBLIOGRAPHIE
on pense qu’elles sont à sens unique et
qu’on utilise dans les protocoles crypto- à plus de deux témoins O. Goldreich,
Computational Complexity.
graphiques. La plus simple est la multipli- Le fait que deux prouveurs font mieux qu’un A Conceptuel Perspective,
cation : il est facile de calculer le produit seul a une interprétation assez naturelle, Cambridge University Press, 2008.
M ⫻ N = P à partir des entiers premiers M connue des policiers qui interrogent sépa- O. Goldreich, Probabilistic proof
et N, mais personne ne connaît de méthode rément les témoins d’une affaire louche. Le systems : a primer, Foundations
rapide pour retrouver M et N à partir de l’en- vérifieur (le policier) qui se méfie et ne veut and Trends in Theoretical Computer
Science, vol. 3(1), 1-91, 2007.
tier P (même si nous savons que M et N se laisser convaincre d’une assertion E que
sont des nombres premiers et que la décom- si elle est vraie compare ce que le prouveur 1 O. Goldreich, Foundations
position est unique). (le témoin 1) et le prouveur 2 (le témoin 2) of Cryptography, vol. 1 et 2,
Cambridge University Press,
Leonid Levin a récemment fait faire un disent. Il s’assure que ce qu’on lui raconte est 2001, 2004.
progrès important à cette énigme. Il a pro- bien cohérent et il tend des pièges aux
posé une fonction dont il a démontré qu’elle témoins dont les récits doivent coïncider ou L. Guillou, Histoire de la carte
était à sens unique sous la seule condition au moins se compléter sans se contredire. à puce du point de vue
d’un cryptologue,
qu’il existe au moins une fonction à sens Chose amusante et à nouveau inatten- Actes du Septième Colloque
unique. Autrement dit : ou bien la fonction due, un vérifieur échangeant des informa- sur l’Histoire de l’Informatique
qu’il propose est à sens unique, ou bien il tions avec deux prouveurs a autant de et des Transmissions, 2004 :
www.aconit.org/histoire/colloques/
n’existe aucune fonction à sens unique. pouvoir que s’il échangeait des informations colloque_2004/guillou.pdf
Malgré l’utilisation d’une conjecture non avec trois prouveurs ou plus. Disposer de
résolue, le résultat ZK = IP est remarquable. plus de deux témoins n’augmente pas le L. Levin, The tale
of one-way function, 2003 :
Il ne signifie pas que tout protocole inter- pouvoir de l’enquêteur mathématicien ! http://arxiv.org/abs/cs/0012023
actif est sans transfert de connaissance, Il est passionnant de voir comment
mais que s’il existe un protocole interactif, la cryptographie moderne, en envisageant J.-J. Quisquater et L. Guillou,
How to explain zero-knowledge
alors on sait comment en concevoir un qui des protocoles utiles et cruciaux pour le protocols to your children,
soit sans transfert de connaissance. bon fonctionnement de notre monde Advances in Cryptology - Crypto '89,
Peut-on se débarrasser de l’hypothèse numérique, et en essayant de les com- Springer-Verlag, pp. 628-631, 1990.
sur des fonctions à sens unique ? Une prendre mathématiquement, a réussi à S. Goldwasser, S. Micali et Ch. Rackoff,
réponse positive a été donnée à la condi- donner un sens précis à des idées natu- The knowledge complexity
tion de prendre en compte un nouveau type relles mais restées vagues, et a conduit of interactive proof systems,
de preuves où deux prouveurs (deux confé- à renouveler notre conception de la cer- SIAM Journal of Complexity,
vol. 18, pp. 186-209, 1989.
renciers) ne pouvant pas communiquer l’un titude mathématique. ■
REGARDS
D
ans la région du Moyen- Ce dysfonctionnement se traduit en
Sepik, au Nord de la Papoua- pratique par une fusion avec atrophie des ver-
sie-Nouvelle-Guinée, vivent tèbres cervicales, responsable d’un cou court
les Iatmul, une population (ou absent) et d’une sévère limitation de l’am-
d’environ 10 000 individus. Ils ont notam- plitude de rotation et de flexion de la tête. En
ment été étudiés par les ethnologues amé- conséquence, l’implantation des cheveux
ricains Margaret Mead et Gregory Bateson au niveau de la nuque est basse. D’autres ano-
dans les années 1930, époque à laquelle malies physiques de la colonne vertébrale
le peuple papou abandonna ses traditions peuvent apparaître, mais elles sont incons-
anthropophagiques ! tantes: scoliose (une déformation sinueuse
Dans cette région, plus précisément dans de la colonne vertébrale dans les trois plans
le village de Kraimbit, le marchand d’art David de l’espace) et spina bifida (absence de fer-
Godreuil a récemment collecté une statuette meture postérieure du canal vertébral, pou-
en bois polychrome, d’une vingtaine de vant entraîner une hernie de la moelle à travers
centimètres de hauteur environ ; elle appar- cette déhiscence de la paroi).
tient désormais à une collection privée. Le D’autres pathologies accompagnent par-
personnage représenté est un ancêtre mytho- fois ce syndrome : position anormale de cer-
logique stylisé (un homme adulte, compte tains os de la ceinture scapulaire (omoplates
tenu de sa barbe fournie), dont les jambes et clavicules), surdité, malformations du
sont en partie fléchies. Mais sa principale cœur, des reins ou d’autres parties du sque-
particularité est d’avoir une tête directement lette... Ainsi, le syndrome de Klippel-Feil se
posée sur le tronc: son cou est limité à la por- traduit par une diversité de symptômes. En
tion congrue, voire absent. Est-ce une figure outre, on connaît des formes à transmission
de style ou le témoignage d’une pathologie ? récessive et d’autres à transmission domi-
La question se pose en effet, car le nante : parmi les deux versions du gène, la
cas est bien documenté. Cette anomalie, normale et l’anormale, la première s’exprime
bien que rarissime (elle concerne un indi- dans le cas récessif (la maladie ne se déclare
vidu sur 50 000 naissances), est connue pas) et la seconde dans le cas dominant.
des généticiens. Héréditaire, elle a été dé- Si la description de cette maladie est ré-
crite dès 1912 par les médecins parisiens cente (moins d’une centaine d’années),
Maurice Klippel et André Feil, puis systé- les premiers témoignages de son existence
matisée par ce dernier en 1919 dans le cadre sont notablement plus anciens. Des sque-
de sa thèse de fin d’études intitulée L’ab- lettes présentant cette anomalie ont été
sence et la diminution des vertèbres cer- identifiés lors de fouilles archéologiques. Ils
vicales (étude clinique et pathogénique) ; sont étonnamment centrés dans le monde
le syndrome de réduction numérique cer- grec: un cas dans l’ossuaire de la grotte néo-
vicale. On parle désormais de syndrome de lithique d’Alépotrypa, dans le Péloponnèse
Klippel-Feil, connu aussi sous le nom KFS (un individu caractérisé par une fusion con-
ou syndrome des hommes sans cou. génitale des 2e et 3e vertèbres cervicales) ;
Regards
REGARDS
IDÉES DE PHYSIQUE
O
bserver un skateur en action skateur se penche d’un côté, par exemple haut). Puis, en s’appuyant sur les roues
sur sa planche à roulettes du côté droit de la planche, en inclinant cette arrière, le skateur fait pivoter son corps et
est toujours impressionnant. dernière. L’effet de ce déplacement du corps la planche de, par exemple, 60 degrés vers
Pour un physicien, ce senti- vers la droite est d’exercer sur le sol une la droite. La réaction du sol que l’on vient
ment se double de perplexité. Comment le poussée perpendiculaire à l’axe de la de mentionner a alors une composante diri-
skateur fait-il pour se propulser vers l’avant gée selon l’axe de la planche, qui contribue
sans appuyer le pied sur le sol ? Comment à son accélération.
s’élève-t-il de plus en plus haut sur une Dès que les roues avant finissent de
rampe en « demi-tuyau » ? Et, encore plus pivoter et touchent le sol, le skateur bloque
fort, comment saute-t-il avec son skate en la rotation, incline son corps vers la gauche,
donnant l’impression qu’il ne fait qu’un avec relève l’avant de son skate et pivote cette
la planche alors que ses pieds, simplement fois de 60 degrés vers la gauche. En pour-
posés sur la planche, ne peuvent que pous- suivant les rotations de 60 degrés alter-
ser cette dernière vers le bas ? nativement vers la gauche et la droite,
Pour répondre à ces questions, analy- rythmées par le tic-tac des contacts des
sons trois des mouvements de base du ska- roues au sol, le skateur avance le long de
teur: le «tic-tac», la «pompe» et le «ollie». la direction médiane.
À chaque fois, le skateur accélère au
moment où les roues touchent le sol, car
Tic-tac en zigzags la réaction du sol, perpendiculaire à l’axe
2 6
Montons sur un skateboard, une planche du skate, est dirigée en partie vers l’avant.
en bois d’environ 80 centimètres de long sur 5 Cette force a aussi une composante per-
Dessins de Bruno Vacaro
Regards
Regards
BIBLIOGRAPHIE le haut par le skateur et reste comme collée à plat et qui pirouette lorsqu’on frappe sur
à ses pieds. Pourtant, le skateur est en simple ses dents, le skate décolle du sol. Lorsque
M. Kunesch et A. Usunov, appui! Comment réalise-t-il cet exploit? Par- le skateur commence à s’élever, le centre
Tic-tac : accelerating
a skateboard from rest without tant d’une position accroupie sur la planche, de gravité de la planche poursuit son mou-
touching an external support, il pousse fortement sur ses jambes. S’il ne vement vers le haut et les roues arrière
European Journal of Physics, fait rien d’autre, il va décoller et la manœuvre décollent.
vol. 31, pp. S25-S36, 2010.
se limitera sans doute à retomber adroite- Il « suffit » alors d’accompagner et de
E. C. Frederick et al., ment sur le skate sans tomber. contrôler le mouvement de la planche avec
Biomechanics of skateboarding : Afin de ne pas sauter seul, toute l’as- les pieds : si la coordination est bonne, le
Kinetics of the ollie,
Journal of Applied Biomechanics, tuce consiste, après cette première impul- skateur et sa planche quittent le sol à l’unis-
vol. 22, pp. 33-40, 2006. sion, à appuyer fortement avec le pied sur son, en donnant l’impression qu’ils sont
la queue de la planche, derrière les roues solidaires ou que la planche soulève son
postérieures, et à soulever simultanément propriétaire. Cela se poursuit, après une
l’autre pied, situé à l’avant. Il en résulte un jolie trajectoire parabolique, jusqu’à l’at-
couple qui fait pivoter la planche autour de terrissage.
l’axe des roues arrière et qui relève son nez. Trottoirs, bornes et autres équipements
Ce mouvement communique au centre de ne constituent alors plus des obstacles
gravité de la planche une vitesse dirigée pour le skateur, mais des occasions de
vers le haut. Comme une fourchette posée déployer sa virtuosité. I
REGARDS
Croyances alimentaires
La croyance en la vertu des simples est... simpliste.
Le chou chinois contient des antioxydants... mauvais pour la santé !
J.-M. Thiriet
Hervé THIS
D
ans un temps où – rien n’a Les pharmaciens taïwanais ont étudié acides gras libérés sont parfois « insatu-
changé depuis Rome – le pain les composés phénoliques du chou chi- rés », avec des doubles liaisons entre des
et les jeux sont bien plus nois et, particulièrement, les cryptochinones. atomes de carbone. D’où les notations
présents que les sciences L’une d’entre elles, nommée infectocaryone, d’oméga-3 ou oméga-6, selon la position
dans les médias, dans un temps où l’on est extrêmement toxique. Autrement dit, ce des doubles liaisons. Ces divers acides gras
confond expertise et notoriété, n’est-il pas composé phénolique est antioxydant, certes, ont des effets physiologiques différents
rafraîchissant de revenir à des études solides, mais c’est un poison violent ! L’ingéniosité selon les tissus, et, comme pour les poly-
quantitatives, des croyances et des doutes? humaine en fera sans doute un médicament, phénols, il serait très hasardeux de décla-
Examinons ainsi les supposés bienfaits mais, en attendant, évitons-le. rer qu’ils sont bons pour la santé, même
des «antioxydants» prônés dans des publi- « Bon pour la santé » est ainsi une s’ils ont des actions bénéfiques sur des tis-
cités et dans des livres dont le succès dépasse expression aussi galvaudée que « Démon- sus particuliers (et en doses appropriées).
le mérite. Dans le Journal of Natural Products, tré scientifiquement». Cette dernière expres- Les acides gras de type oméga-3 semblent
Tsung-Hsien Chou et ses collègues de la Faculté sion est hasardeuse, parce que la science associés à un risque réduit de maladies
de pharmacie de Taïwan font état de leurs produit des théories, qui ne sont que des cardio-vasculaires, et les acides gras de
études de tels composés dans le chou chinois, modèles réduits de la réalité, et elle ne fait type oméga-6 ont d’autres intérêts... mais
Cryptocarya chinensis. qu’améliorer lentement les modèles qu’elle méfions-nous des corrélations : ce ne sont
Une idée simpliste de la nutrition et de propose. D’ailleurs, la science est faite de pas des causalités !
la toxicologie assimile les composés anti- réfutations, souvent dramatiques, mais qui, Alors quels corps gras consommer ? De
oxydants à des produits « bons pour la cependant, conduisent à d’extraordinaires l’huile d’olive ? Il n’a jamais été montré, par
santé », et nombre de marchands d’orviétan moyens d’action sur le monde. une étude prospective –et non seulement des
laissent croire que des extraits de raisin, ou Revenons à « Bon pour la santé ». Une corrélations – qu’une telle huile ait un effet
de myrtilles, etc, seraient bénéfiques « puis- certaine publicité simplificatrice laisse croire réel sur la durée de vie. Il n’y a qu’une éven-
qu’ils » contiennent des composés anti- que les huiles et graisses contiennent des tuelle corrélation; au mieux, on dispose d’in-
oxydants de type polyphénolique. « acides gras » et que certains de ces der- dications pour des études prospectives.
Les fruits et les légumes contiennent niers sont particulièrement bons pour la santé. N’écoutons pas les gourous et consom-
certes des composés phénoliques, tels les Or huiles et graisses ne contiennent pas plus mons de tout en quantités modérées en évi-
pigments bleus des mûres, myrtilles, les pig- d’acides gras que l’eau ne contient de dihy- tant les toxicités avérées. Désolé, la règle
ments rouges des fraises, framboises, etc. drogène et de dioxygène. L’eau est faite est plus complexe que l’injonction « Mangez
Oui, bien des composés phénoliques sont anti- d’atomes d’oxygène et d’hydrogène, mais ces des carottes » ! ■
oxydants... Mais pourquoi seraient-ils béné- atomes ont une tout autre organisation que
fiques ? Les chimistes savent se méfier de dans les molécules d’oxygène et d’hydrogène Hervé THIS dirige le groupe INRA
cette classe, trop hétérogène pour être par- gazeux. De même, l’huile n’est pas composée de gastronomie moléculaire
faitement honnête. Par exemple, les urushiols d’acides gras, mais de molécules de trigly- au Laboratoire de chimie
d’AgroParisTech. Il est aussi
sont des polyphénols toxiques présents dans cérides, assemblages de parties de trois acides directeur scientifique
les plantes de la famille des Anacardiacées. gras et d’une partie de glycérol –des assem- de la Fondation Science & Culture
D’ailleurs, pourquoi les composés phénoliques blages qui ont des propriétés chimiques bien Alimentaire (Acad. des sciences).
des plantes seraient-ils bénéfiques? La vogue différentes des composés initiaux.
naturaliste fait oublier que la plupart des végé- Ce qui est exact, c’est que la digestion Retrouvez les articles
taux ne sont pas comestibles! décompose les triglycérides, et que les fr www.pourlascience.fr
de Hervé This sur
À LIRE
nées et les jugements hâtifs sont les manie ». En d’autres termes, elle ces médecins humanistes sur les-
BIOLOGIE
plus nombreux. L’auteur fait très a quelques obsessions, des idées quels plane la figure tutélaire d’Es-
Darwin n’est pas justement remarquer que Darwin, originales, s’exprime de façon quirol, ne vont-ils pas briser cet-
celui qu’on croit entre L’Origine des espèces en 1859 grandiloquente et s’imagine par- te logique ? Non, car une méca-
Patrick Tort – où une seule phrase mentionne fois être qui elle n’est pas. Pour au- nique implacable se met en branle:
Le Cavalier Bleu, 2010 explicitement l’origine des êtres hu- tant, elle n’a rien fait… Transfé- «Enfermée parce que malade, ma-
(188 pages, 18 euros). mains – et la Filiation de l’homme rée comme indigente à la Salpê- lade parce que refusant l’enfer-
en1871, ne s’est pratiquement pas trière, puis dans divers asiles de mement ; placée parce qu’agitée,
À l i r e
sité menace alors que nous man- capables d’exprimer les gènes de ce de la collection dont fait partie
geons de moins en moins… Dans la lipogenèse. Une fois exprimés, le livre. Cette façon particulière AU NOM DE L’INFINI
cet ouvrage, il pousse une idée ces gènes se transmettent à travers donne ici un texte vivant, acces-
Jean-Michel Kantor,
simple, mais complexe à mettre les générations, renforçant la com- sible et instructif. Loren Graham
en œuvre : et si, en soignant notre posante génétique de l’obésité. Après l’échec retentissant de la Belin, 2010
corps, nous soignions la planète, Pour leur part, les oméga-3 ont des conférence des parties de la conven- (285 pages, 24 euros).
et réciproquement ? effets inverses. tion cadre des Nations unies sur les
n grand mysticisme a sous-tendu la
Certaines maladies, notam-
ment métaboliques, sont de plus
Dans notre alimentation, d’où
proviennent les oméga-6 ? Essen-
changements climatiques de Co-
penhague en décembre 2009, cette
U naissance de l’École de mathématique
de Moscou. Les deux auteurs, l’un ma-
en plus fréquentes. Pourtant, au- tiellement du maïs et du soja qui contribution étaye bien la discus- thématicien, l’autre historien des sciences,
cune autre époque que la nôtre n’a constituent la base de l’alimenta- sion publique sur le « réchauffe- reconstituent la naissance religieuse de
été aussi prolixe en conseils dié- tion du bétail, et donc par voie ment planétaire», car chacun des l’une des plus prestigieuses écoles de ma-
tétiques, en hygiène de vie pré- de conséquence de tous les pro- auteurs est un connaisseur de l’un thématiques du monde, puis son déve-
ventive et en traitements médica- duits dérivés de l’élevage. Idéale- des volets du débat. Deux d’entre loppement sous les Soviets malgré les
menteux efficaces… Si les millions ment, le ratio oméga-6/oméga-3 eux, Hervé Le Treut et Jérôme persécutions. Un document touchant.
de diabétiques, d’obèses, de car- doit être de 4 dans l’alimentation ; Chappellaz, sont respectivement
diaques et de cancéreux profitent les mesures montrent qu’il avoi- climatologue et glaciologue. Sylves-
de ces avancées, il n’en reste pas sine aujourd’hui 20. Le comble est tre Huet, journaliste scientifique
SCORPIONS DU MONDE
moins que leur nombre a quasi- sans doute que des voix scienti- parisien bien connu, connaît la
ment doublé en 20 ans…Cette ca- fiques exhortent le consommateur Roland Stockmann et Eric Ythier
tastrophe sanitaire suggère qu’en à un végétarisme «citoyen», à base N.A.P. Éditions, 2010,
matière de santé publique, nous d’huiles de palme, de tournesol, (570 pages, 75 euros).
nous trompons d’objectif. de soja et de maïs, très riches en es petits scorpions jaunes sont
Or, avec un réseau de cher-
cheurs ( INRA , CNRS , INSERM ,
saturés et oméga-6. Ce n’est donc
pas la viande en tant que telle qui
«L mortels, les noirs inoffensifs»: si
vous voulez dépasser ces clichés erro-
CERNh, Universités), Pierre Weill est néfaste pour la santé, c’est bien nés, consultez ce guide où plus de 350es-
a contribué à montrer par l’expé- la façon dont on la produit. Vous pèces sont décrites et illustrées (parmi
rience l’efficacité en termes de san- n’êtes pas convaincu ? Consultez quelque 1 900 espèces de scor-
té d’une chaîne alimentaire «revi- alors la riche bibliographie scien- pions au total). Cet ouvrage bien-
sitée ». Comment ? En y réintro- tifique du livre, qui retrace toute venu expose aussi la biologie de
duisant «à la main» la biodiversité la démarche expérimentale à la base ces animaux et la question des
qui caractérisait les modes de pro- de ce qui est exposé. envenimations, sans oublier les
conseils pour leur élevage ni les
duction traditionnels. Les résultats
. Bernard Schmitt. mythes qui leur sont associés.
de ces études l’ont conduit à créer
CERNh, Lorient
la filière Bleu-Blanc-Cœur, dont
À l i r e
Brèves question sous son angle politique, non seulement du temps des cen-
NATURE DU MONDE et Olivier Godard est un écono- turions, mais qu’il l’est toujours
DESSINS D’ENFANTS miste au fait des nombreux rap- au temps des scooters !
ports entre climat, énergie et crois- L’auteur conteste en effet l’idée
Hélène Pagezy et al. (sous la dir.)
CTHS, 2010 (259 pages, 27 euros).
sance. Chacun apporte donc son que le latin serait mort avec ceux
éclairage sur la problématique du dont il était la langue maternelle.
essine-moi ta nature.
D C’est ce que des anthro-
pologues ont demandé à des
changement climatique et sur le
fameux climate gate, l’imbroglio
On n’a pas cessé de l’écrire et de
le parler jusqu’à aujourd’hui. La
scientifique et médiatique qui a littérature latine postérieure à
enfants de 11 régions du mon-
égratigné l’image du Groupe d’ex- Rome est infiniment plus vaste que
de – Sibérie, Groenland, Guya-
ne, Gabon, Syrie… Décryptés au regard perts intergouvernemental sur celle écrite par les Romains. Elle
de leur contexte socioculturel et écolo- l’évolution du climat (GIEC) depuis reste en majeure partie inexplorée,
gique, ces dessins, rassemblés ici, offrent qu’en 2007, il a partagé le prix No-ce qui contribue à donner l’illusion
un beau voyage où l’on apprend autant bel de la paix avec Al Gore. que le latin est mort depuis long-
sur les modes de vie que sur la sensibi- Notons cependant que dans ce temps. Par ailleurs, Rome a voulu
lité des enfants à leur environnement. livre comme ailleurs, le débat est créer, comme avaient fait les Grecs,
posé dans une logique strictement un corpus classique servant de mo- nombreux à l’utiliser qu’ils finis-
onusienne. Depuis l’origine des Na- dèle définitif. Elle y est si bien sent par influer sur son évolution.
tions unies, en effet, la notion de parvenue, au Ier siècle avant notre De même, la norme du latin a fait
ANDES PRÉCOLOMBIENNES modernité étatique à l’occidentale ère, que, pour beaucoup de nous débat entre des auteurs dont il
Adine Gavazzi et Beatrice Velarde ainsi que la logique de la science la littérature latine se réduit à Ci- n’était pas la langue maternelle.
Hazan, 2010 (328 pages, 59 euros). économique occidentale sont ins- céron, Virgile et Horace. Cela ren- Le latin a montré une éton-
es auteurs de cet ouvrage magni- crites dans le système internatio- force l’illusion que le latin a cessé nante aptitude à servir tous les
L fiquement illustré privilégient une
approche fonctionnelle
nal, où elles semblent constituer
le modèle universel de ce qu’est
de vivre depuis. buts. Langue de l’administration
Quand deux savants du Moyen sous l’Empire romain (le grec étant
des vestiges architec- censé être un développement dé- Âge échangeaient en latin, ils étaient la langue littéraire). Langue sco-
turaux andins. Où l’on sormais... «durable». Or l’effet de indifférents au fait que l’Empire ro- laire à l’initiative de Charlemagne
comprend comment, au serre et la question écologique à main avait disparu. Un peu com- qui, quoiqu’étant de langue ger-
fil des millénaires, les me un Coréen, aujourd’hui, ap- manique, y a vu un moyen d’uni-
l’échelle planétaire ne faisaient pas
contraintes naturelles et partie des affaires internationales prend l’anglais des affaires sans fier un empire où se multipliaient
la diversité humaine ont lors de la fondation des Nations se soucier du fait qu’il vit loin de les métropoles nouvelles. Langue
façonné ces constructions à part.
unies… Peut-être faudrait-il pro- tout pays anglophone. L’auteur vantée pour son élégance jusqu’au
longer ces discussions en évoquant multiplie d’éclairantes comparai- XIXe siècle, mais vantée ensuite
de nouveaux points de vue? sons entre l’expansion du latin et pour sa rigueur, lorsque se ré-
KALUCHUA celle d’autres langues. Par exemple, pandaient les enseignements scien-
.Jacques Grinevald.
le grec ancien est resté mille ans tifiques. Langue de résistance
Michel de Pracontal IHEID, Université de Genève
langue internationale, alors que la des nationalistes polonais et hon-
Seuil, 2010
(190 pages, 17 euros).
domination des Hellènes a duré les grois, au XIXe siècle, qui ne vou-
12 ans du règne d’Alexandre le laient pas parler la langue des oc-
’existence de cultures ani- Grand: les langues internationales cupants (le russe en Pologne, l’al-
L males est déniée tant par
les sciences de la vie, qui négligent la di-
LINGUISTIQUE
La grande
ne sont pas la transposition lin- lemand en Hongrie), etc.
guistique pure et simple de rap- Ce livre intelligent montre que
mension culturelle, que par les sciences histoire du latin ports de forces politiques ou éco- s’intéresser au latin aide à com-
humaines, qui ignorent les travaux de
Jürgen Leonhardt nomiques. La question de savoir prendre certains aspects du mon-
l’éthologie. Pourtant, elle semble désor-
CNRS éditions, 2010 qui dicte la norme s’est posée pour de actuel. En cela, oui, le latin
mais bien documentée. Ce livre, clair et
(382 pages, 25 euros). le latin, comme aujourd’hui pour reste vivant.
vivant, en donne de nombreux exemples
chez divers singes, les baleines, les pin-
l’anglais. Ceux dont l’anglais n’est
. Didier Nordon.
sons, les mésanges... Le titre est un hom-
mage aux Japonais, pionniers des re-
cherches sur les cultures animales: kalu- M algré l’allure de péplum pas la langue maternelle sont si
arborée par l’image de
couverture, ce livre, éru-
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fr www.pourlascience.fr
chua est le terme anglais culture prononcé dit, demande un effort. L’ana-
et plus d’informations sur :
à la japonaise. chronisme de la couverture si-
gnifie que le latin était vivant
Imprimé en France – Maury Imprimeur S.A. Malesherbes – Dépôt légal 5636 – JANVIER 2011 – N° d’édition 077399-01 – Commission paritaire n° 0907K82079 du 19-09-02 –
Distribution : NMPP – ISSN 0 153-4092 – N° d’imprimeur I01/160 531 – Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé.
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