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DES OISEAUX
L’ I N T E L L I G E N C E
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FÉVRIER 2018
ALBINOS AFRICAINS

SATELLITES, CAMÉRAS,
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* 60 ANS D’AVENTURE ET DE DÉCOUVERTE


� L’ É D I T O D E J E A N � P I E R R E V R I G N A U D, R É DA C T E U R E N C H E F

1888-2018
��� ANS D’AVENTURES�!

G
race Young a passé quinze jours dans un labo immergé à �� m de
profondeur pour étudier les récifs coralliens au large de la Floride.
Objectif : aider à concevoir des récifs artificiels qui, une fois coulés
sur les fonds marins, pourront réparer des écosystèmes.
Genevieve von Petzinger a répertorié des milliers de mystérieux signes
géométriques tracés sur les parois des grottes européennes, voilà �� ��� à
�� ��� ans. Points, cercles, lignes en zigzag, spirales… Et si ces « marques »
avaient un sens précis ? Et si elles constituaient une forme d’écriture primitive ?,
s’interroge l’anthropologue.
Joshua Stewart a accroché, grâce à des ventouses, des caméras sur la peau
rugueuse de raies mantas. Avant de se détacher, au bout de quelques heures,
les appareils nous éclairent sur les déplacements des raies et leurs habitudes
alimentaires. De précieuses informations, qui serviront à mieux protéger ces
poissons menacés par les prises de pêche accidentelles.
Parmi tant d’autres, Grace, Genevieve et Joshua ont deux points communs.
Un : ils consacrent leur énergie et leur talent à faire avancer, au nom de
l’humanité, notre connaissance de la planète et sa préservation. Deux : ils vous
disent « Merci ! » Oui, merci à vous : en achetant votre magazine National
Geographic, vous avez contribué à financer les bourses qu’ils ont reçues pour
poursuivre leurs recherches.
Un chiffre : �� � ! National Geographic réinvestit �� � de ses revenus pour
financer des efforts de conservation et d’éducation. Une démarche unique au
monde, et qui vient de très loin : notre magazine fête cette année ses…
��� années d’existence. Et, depuis cette fameuse année ����, National
Geographic a trouvé le temps de soutenir près de �� ��� projets d’étude et de
protection. À la rédaction de National Geographic France, nous sommes très
fiers de participer avec vous à cette aventure formidable et exaltante.

ANDREW C. KOVALEV
I�SOMMAIRE
FÉVRIER 2018 • N°�221 • VOL. 38.2

58 ALBINOS, POUR EN FINIR


AVEC LES PERSÉCUTIONS
En Afrique, les albinos sont souvent victimes de discriminations et de violences.
3DU6XVDQ$JHU3KRWRJUDSKLHVGH6WHSKDQLH6LQFODLU

��� � LES ÎLES


MALOUINES, L’ARCHE
DE NOÉ RETROUVÉE
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Sud a été un territoire
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SUROLIªUHQW5«VXOWDWȗQRXVVRPPHVWRXVHVSLRQQ«V
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�� � DANS LA BANLIEUE CHIC DE KABOUL


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�� � BÉBÉS ROBOTS POUR PARENTS À L’ESSAI


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VŠRFFXSHUGHE«E«VURERWVWUªVH[LJHDQWV
3DU'DYLG%ULQGOH\3KRWRJUDSKLHVGH&KULVWLDQ5RGULJXH]
En couverture
Caméra de surveillance sur la �� � MALIN COMME UN OISEAU
façade d’une maison.
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Aujourd’hui, ils se sont ravisés.
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ESPIONS ET MANIPULATIONS
NATIONAL GEOGRAPHIC HORS -SÉRIE DÉCEMBRE 2017-JANVIER 2018 C H I N E , U N S I È C L E D E P H O TO S

HORS �SÉRIE
FÉVRIER-MARS 2018

HORS�SÉRIE NATIONAL GEOGRAPHIC SUBLIMES VOYAGES


Fondée en 1888 dans le but d’éveiller,
d’éclairer et d’instruire, la National

L’HISTOIRE SECRÈTE DE LA SUBLIMES VOYAGES Geographic Society est l’une des plus

SUBLIMES VOYAGES EN TOUTE SAISON


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ESPIONNAGE
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EN TOUTE SAISON
6DYLH]YRXVTXHSRXUWURPSHUOHVQD]LV En toute saison éducatives à but non lucratif du monde.
Confiante dans le pouvoir qu’ont la
PRÉFACE 6 science, l’exploration et le témoignage
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CALENDRIER DES ÉVÉNEMENTS 216

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INDEX 218

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES 223

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CROISIÈRE ANIMÉE PAR

D’Alaska en Colombie-Britannique
L’appel d’une nature farouche
Des espaces glacés de la mer de Béring aux parcs nationaux d’Alaska, en passant par
le mystérieux archipel des Aléoutiennes, embarquez pour une croisière Expédition
animée par National Geographic en partenariat avec PONANT.

É
crivain-voyageur, aventurier au long L’archipel volcanique des Aléoutiennes est l’un
cours, Jack London appelait cela l’appel de ces bouts du monde dont le seul nom, aux
sauvage : l’immersion dans des paysages lointains échos de tempêtes, est une invitation à
grandioses qui éveillent en chacun d’entre nous la découverte. Le village de Dutch Harbor abrite
une nature profonde. Des franges glacées de les fameux pêcheurs de crabes royaux, qui
l’Alaska aux forêts séculaires de la Colombie- défient chaque jour cette géographie dantesque.
Britannique, une croisière hors Sur l’île d’Unga, une forêt fossile
du commun va nous conduire est le témoin saisissant de l’intense
sur les traces des chercheurs d’or activité volcanique sur ces îles de
et des trappeurs, inoubliables la ceinture de feu du Pacifique, où
compa g nons de for t u ne de vivent encore des communautés
l’auteur de Croc Blanc. Dans cet aléoutes.
univers puissant, l’aventure n’est Entre lacs, sommets et glaciers
pas seulement l’empreinte des du parc national de Katmai, nous
temps anciens. C’est une réalité avons la chance d ’observer en
de tous les instants. compagnie des naturalistes de
En présence de
Au départ de Nome (A laska), bord les majestueux symboles
JEAN-PIERRE
my th ique v i l le-f rontière des VRIGNAUD de la faune sauvage d ’Alaska :
orpailleurs, L’Austral met le cap grizzlys, pygargues, élans... Dans
sur la mer de Béring. Ce navire l ’étonnante voie maritime du
d’expédition 5 étoiles, f leuron de la f lotte passage intérieur, L’Austral suit le sillage des
PONANT, est taillé pour aborder King Island, orques et des baleines au cœur d’un entrelacs
Saint-Matthieu et Saint-George, îles farouches de canaux et d’îles à la végétation luxuriante.
des confins de l’Amérique et de l’Asie, royaume Sur les rives, nous pouvons apercevoir les
des phoques, des loutres et des grands oiseaux totems dressés de populations autochtones aux
de mer, que l’on voit s’élancer de falaises traditions vivaces.
vertigineuses. À bord, le rédacteur en chef de Au fil d’une navigation sereine, rythmée par les
NATIONAL GEOGR APHIC FR ANCE, Jean- sorties à terre et de passionnantes conférences
Pierre Vrignaud, nous fait partager son savoir, à bord, nous rejoignons finalement Vancouver.
tout en initiant les passagers aux secrets de la L’une des plus belles cités du monde, écrin
conception d’un magazine de voyage. cosmopolite posé entre l’océan Pacifique et les
Soudain surgit à l’horizon la silhouette conique montagnes rocheuses, à découvrir dans toute
d’une montagne scintillant sous le soleil levant. sa splendeur en ce début d’été indien.
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PLEINS FEUX SUR
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I� N OS AC T U S

LE S U TI L I SATI ON S DU L I DA R
SOLIDITÉ DES ÉDIFICES URBANISME ACCESSIBILITÉ ÉLAGAGE
Les galeries (du métro, des /HOLGDUSHXWIRXUQLUXQH Un trottoir trop haut ou une 8QHFDUWHGHVDUEUHV
égouts…) peuvent abîmer géométrie détaillée d’une PDUFKHGHYDQWXQE¤WLPHQW GŠXQHbYLOOHSHXWLGHQWLƃHU
OHV«GLƃFHVHQVXUIDFH ville et aider à déterminer, VXƅVHQW¢HPS¬FKHUOHV FHX[TXLULVTXHQWGHJ¬QHU
Lorsque des travaux ont par exemple, où porteront SHUVRQQHVKDQGLFDS«HVGH les lignes à haute tension
lieu sous des bâtiments les ombres dans une rue, si FLUFXOHU/HOLGDUSHXWDLGHU RXTXLGHYUDLHQW¬WUH
historiques, l’examen des FHOOHFLVHUDWURSYHQWHXVH à améliorer les plans, ou «ODJX«VDYDQWXQHWHPS¬WH
ID©DGHVSDUOLGDUSHXWHQ RXHQFRUHOHSRLQWGŠHQWU«H suggérer des trajets plus pour ne pas tomber sur les
LGHQWLƃHUOHVSRLQWVIDLEOHV GŠXQHLQRQGDWLRQ adaptés viaXQHDSSOLFDWLRQ PDLVRQVRXOHVYRLWXUHV
VOIR LA TERRE EN
HAUTE DÉFINITION
GRÂCE AU LASER
Par Daniel Stone

La télédétection par laser (ou lidar,


pour light detection and ranging) offre
une vision de la Terre plus précise que
par satellite. Des impulsions laser sont
envoyées depuis un avion, un hélicop-
tère ou un drone vers des surfaces au
sol, puis le système récupère les infor-
mations renvoyées par les cibles.
Des chercheurs de l’université de
New York ont amélioré la définition du
lidar à 335 points/m2 (contre environ
50 auparavant). Il en résulte des vues
aériennes d’une précision inédite (en
zones urbaines, surtout), qui rendent
visibles jusqu’aux lézardes.
Le lidar produit une image de la réa-
lité, mais aussi un modèle géométrique
à haute définition des mouvements de
la ville. Par exemple, la légère inclinai-
son d’une chaussée révèle comment les
eaux d’une inondation circuleront, et
les concentrations locales de particules
peuvent identifier la pollution de l’air.
« Imaginons que vous travailliez dans
la santé publique et que vous sachiez
qu’il y a un fort taux d’asthme dans un
quartier donné, explique Debra Laefer,
professeur d’informatique urbaine à
l’université de New York. Vous pourriez
étudier dans quelles zones les camions
stationnent sans couper leur moteur,
et où va cette pollution. »
En général, les données aériennes
coûtent cher. Mais un scanner lidar
peut se fixer sur un appareil dédié à
L E S AVA NTAGES
d’autres utilisations.
/ŠLPDJHULH¢KDXWH Les chercheurs ont entrepris un
DOWLWXGHGH*RRJOH(DUWK
YXHGH'XEOLQFLFRQWUH 
scanner du centre de Dublin (photogra-
UHVWHDSSUR[LPDWLYH phie principale), et pourraient se pen-
/HbOLGDUFDSWXUHODWRSR cher sur d’autres villes. Les données
JUDSKLHGHSOXVSUªV pourraient aussi être transmises aux
HWbIRXUQLWGHVGRQQ«HV
VSDWLRWHPSRUHOOHVELHQ responsables politiques, aux entrepre-
SOXVbSU«FLVHV neurs et aux associations locales.

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NOS ACTUS�� URBANISME

À QUOI VONT ces anticipations dans le livre Ecotopia

RESSEMBLER LES 2121. Selon lui, « le plus important dans


l’impulsion utopique, c’est de penser
VILLES DU FUTUR ? que la situation peut s’améliorer ». Dans cette vision futuriste
Le projet « Ecotopia » est né de d’Accra (Ghana), une crue
Par Nina Strochlic a semé le chaos. Les gens
l’inquiétude de l’universitaire à propos construisent des cabanes
des séismes qui menacent sa ville natale dans les arbres des forêts
Nous sommes en 2121. À Phnom Penh, de Wellington, en Nouvelle-Zélande. alentour pour s’éloigner du
sol souvent submergé.
des maisons sur pilotis s’élèvent Prenant conscience de l’importance
au-dessus de fermes urbaines irriguées d’une architecture urbaine qui antici-
par le Mékong. Athènes ne souffre plus perait les catastrophes potentielles, il
de pollution depuis l’interdiction totale s’est demandé quel visage aurait la ville
des voitures et les familles tokyoïtes si la population adoptait des logements
vivent dans des habitations qui les pro- troglodytiques de style Hobbit, en lieu
tègent des radiations nucléaires. À et place des actuels gratte-ciel résiden-
Greenville (Caroline du Sud), des mai- tiels. « Nous utilisons l’imaginaire pour
sons indépendantes du réseau électri- aider les gens à penser autrement »,
que sont alimentées à l’énergie solaire explique Alan Marshall.
et leur toiture filtre l’eau (ci-dessous). Après des années à chercher des Des ballons à hydrogène
maintiennent les Singapou-
Ces visions de cités du futur sont dues solutions, le professeur croit de plus en
riens au-dessus de la mer,
à Alan Marshall, professeur en sciences plus que la société pourra éviter le pire. dont le niveau monte.
sociales de l’environnement. Avec des Néanmoins, il explorera les scénarios /DbYLOOHHVWDXWRQRPHȗHOOH
étudiants du monde entier, il a imaginé les plus pessimistes dans son prochain recycle l’air et l’eau,
HWbSURGXLWVDQRXUULWXUH
à quoi pourraient ressembler les villes projet, « Frankencities ». « Si nous ne
ayant réussi à s’adapter aux menaces changeons pas notre mode de vie, nos ,//8675$7,216ȗ$/$10$56+$//
ǖ(1+$87/(6'(8;Ǘȗ
écologiques du siècle à venir. Il a réuni villes seront invivables », prédit-il. $/$10$56+$//(7*,86(33(3$5,6,
NOS ACTUS���VIE ANIMALE

DES PIGEONS l’image de la cible projetée sur un écran

POUR TESTER LA à l’intérieur des armes. Les systèmes


de radioguidage les ont remplacés,
QUALITÉ DE L’AIR mais la technologie utilisée pour ces
entraînements est l’ancêtre de celle des
Par Nina Strochlic écrans tactiles modernes.
L’actuelle patrouille des pigeons a
Par un beau matin du printemps 2016, été lancée par la start-up française
dix pigeons voyageurs ont été lâchés Plume Labs, dirigée par Romain
dans le ciel londonien. Certains étaient Lacombe, pour informer le public sur
équipés de petits dispositifs pour récol- la qualité de l’air qu’il respire. Une &HVDF¢GRVO«JHUDWWDFK«
ter des données sur le dioxyde d’azote étude estime qu’à Londres, la pollution DXGRVGŠXQSLJHRQYR\DJHXU
DSHUPLVGHU«FROWHUGHV
et l’ozone dans l’air urbain. C’était la est responsable de 9 416 décès par an. GRQQ«HVVXUODTXDOLW«GHOŠDLU
première mission de la Pigeon Air Patrol Quand un responsable en marketing ¢/RQGUHV3HQGDQWOD
(« Patrouille aérienne des pigeons »). lui a soumis l’idée d’utiliser des pigeons 3UHPLªUH*XHUUHPRQGLDOH
OHVSLJHRQVWUDQVSRUWDLHQW
Depuis l’Antiquité, on a tiré parti des pour attirer l’attention sur ce problème
GHVPHVVDJHVSRXUOHV
talents d’orientation de ces oiseaux. invisible, Romain Lacombe reconnaît VROGDWVIUDQ©DLVDXIURQW
Les Romains et Gengis Khan les utili- qu’il a eu « beaucoup de mal à y croire ». FLGHVVRXV 
saient comme messagers. La France en Mais le projet a décollé. La campagne 3+2726ȗ',*,7$6/%,ǖ(1+$87Ǘȗ
$3,&+8/721$5&+,9(*(77<,0$*(6
a décoré deux des honneurs militaires Pigeon Patrol a encouragé des volon-
pour leur participation à la Première taires humains à porter eux-mêmes
Guerre mondiale. Pendant la Seconde, les dispositifs, et ils ont depuis carto-
ils ont été entraînés à guider des mis- graphié la qualité de l’air sur 2 100 km
siles en donnant des coups de bec sur de voies autour de Londres.
N OS AC T U S � � � V I E Q U OT I D I E N N E

BIENVENUE DANS En 1982, la municipalité au 1,2 mil- $XPDUFK«GHJURV


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lion d’habitants a fondé la Cité du
LE SUPERMARCHÉ commerce international de Yiwu, un
LQWHUQDWLRQDOGH<LZX

DU MONDE marché de gros tentaculaire disposant


HQb&KLQHGHVbGL]DLQHV
GHbPLOOLHUVGHbVWDQGV
de quelque 70 000 stands. ŝȗFRPPHFHOXLFLTXLYHQG
Par Catherine Zuckerman GHVFKDSHDX[ȗŝSU«VHQWHQW
Aujourd’hui, des acheteurs interna-
WRXWHVVRUWHVGH
tionaux viennent examiner les échan- PDUFKDQGLVHV¢SHWLWVSUL[
La peluche que vous venez de gagner tillons d’un peu plus d’un million de GHVSODQWHVHQSODVWLTXH
à la fête foraine est sans doute made produits, avant de passer commande. DX[EDOORQVGHSODJH
in China. Mais où, exactement ? « Chaque lot sera fabriqué à un tarif
Probablement à Yiwu, à environ trois négocié avec l’usine, située en général
heures de route au sud de Shanghai. près de Yiwu », explique le photographe
Une grande partie des marchandises Richard Seymour, auteur d’un repor-
bon marché vendues dans le monde en tage sur le site en 2014. La marchandise
sont originaires – des décorations de sera ensuite chargée dans des conte-
Noël aux accessoires pour cheveux, en neurs – plus de 1 500 sont remplis
passant par les ceintures et les jouets chaque jour – et expédiée aux quatre
en plastique pour enfants. coins de la planète pour être vendue.

ATTENTION, ÉCUREUILS NUISIBLES�!


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GXbXIXHbVLªFOHFHVURQJHXUVDUERULFROHVRQW«W«O¤FK«VGDQVGHV]RQHV
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N O S A C T U S � � � T E C H N O LO G I E

QUAND LA NATURE
INSPIRE LES
URBANISTES
Par Natasha Daly

Pour Daan Roosegaarde, le plancton


bioluminescent est une source d’ins-
piration. Cet architecte urbain, inno-
vateur et plongeur nocturne, cherche
dans la nature des idées pour rendre
les villes plus efficaces et plus belles,
sans abîmer la planète.
Afin de reproduire les émissions
lumineuses du plancton, Daan
Roosegaarde et ses collègues ont
incrusté des cailloux qui emmaga-
sinent l’énergie solaire dans la piste
cyclable photographiée ici. Cette
dernière se trouvant à Nuenen, aux
Pays-Bas, où vécut Vincent Van Gogh,
les pierres lumineuses ont été disposées
de manière à reproduire La Nuit étoilée,
l’un des chefs-d’œuvre du peintre.
L’innovateur néerlandais regrette
que l’on se focalise sur les véhicules et
que l’on néglige les voies de circulation.
Il cherche à inverser cette tendance
avec ses inventions – des routes qui
rechargent les voitures électriques ou
des bandes réfléchissantes alimentées
par l’éclairage urbain.
Rappelant que son pays se trouve
sous le niveau de la mer, Daan
Roosegaarde estime que « sans techno-
logie et conception de qualité, nous
disparaîtrions littéralement ».
La piste cyclable solaire créée par
'DDQb5RRVHJDDUGHOXLWGDQVODQXLWJU¤FH
¢bOŠ«QHUJLHFROOHFW«HSHQGDQWODMRXUQ«H
3+272ȗ0$5&%2/6,86
NOS ACTUS�� URBANISME

LA RECONVERSION
DES PIGEONS KLKLG
SUR KFOS UOJF
Par Nina Strochlic

NOUVELLES et Abu Dhabi – « ont, d’une certaine /HSKRWRJUDSKHHVSDJQRO


5RJHU*UDVDVGRFXPHQWH
manière, rejeté le passé, explique Roger
ARCHITECTURES Grasas. Avant le pétrole, ces pays
OŠmȗ«GLƃFDWLRQGŠXQPRQGH

DU DÉSERT
DUWLƃFLHODXGHVVXVGX
étaient pauvres. [Désormais,] pour eux, PRQGHQDWXUHOȗ}GDQVOHV
le neuf est synonyme de mieux. » SD\VGX*ROIH'DQVOH
Par Nina Strochlic VHQVKRUDLUHHQSDUWDQW
L’urbanisation rapide, sans consi-
GŠHQKDXW¢JDXFKHȗOHSOXV
dération pour l’histoire ou le contexte, JUDQGMDUGLQƄHXULGXPRQGH
a été surnommée « dubaïsation » par ¢'XEDL ‹PLUDWVDUDEHV
Les centres commerciaux géants et les Yasser Elsheshtawy, un ancien profes- XQLV ȗODSKRWRGŠXQHYRLWXUH
FROO«HVXUOŠDOO«HSULQFLSDOH
hôtels vertigineux ont redessiné le seur d’architecture à l’université des GŠXQK¶WHO¢0DQDPD
profil de villes du golfe Persique. Au Émirats arabes unis. Les terrains déga- %DKUH±Q ȗXQUHVWDXUDQWGH
beau milieu du désert, des pistes de ski gés ont été recouverts par des gratte- IUXLWVGHPHU¢'DPPDP
$UDELHVDRXGLWH ȗHWXQ
intérieures sont saupoudrées de neige ciel voraces en énergie qui « entraînent SDOPLHUDUWLƃFLHO¢'XUXPD
et des jardins fleurissent. inégalités et ségrégation », affirme-t-il, $UDELHVDRXGLWH 
« On construit un monde artificiel tandis que les quartiers historiques
totalement déconnecté de la nature », sont menacés.
note le photographe Roger Grasas, dont Les efforts pour protéger « les quel-
le projet Min Turab (« Venu de la terre », ques forts, palais ou souks » ont sou-
en arabe) se penche sur les paysages vent des visées touristiques, commente
particuliers nés de l’explosion immo- Yasser Elsheshtawy. Mais, selon lui,
bilière alimentée par les revenus du une pression pour préserver « le peu
pétrole. Ces villes – telles Dubai, Doha qui reste » a récemment émergé.

3+2726ȗ52*(5*5$6$6=220$*(1&<
NOS ACTUS���BÊTES DE SEXE

DES OISEAUX QUI Marzluff et ses collègues ont identifié


trois types de sites : réserves forestières,
SE SÉPARENT POUR zones résidentielles et « sites en muta-
FUIR LA VILLE tion », où la forêt est transformée en
zone habitée. Puis, ils ont capturé et
Par Patricia Edmonds bagué près de � ��� oiseaux d’espèces
qui, en général, restent avec le même
Lorsque les promoteurs immobiliers partenaire et dans la même zone.
rasent la végétation d’origine pour bâtir Ils ont constaté que, lorsque les pro- PARULINE À
des zones d’habitation, certains passe- moteurs enlèvent les plantes basses où CALOTTE NOIRE
reaux s’en sortent bien. Des espèces les espèces évitantes aiment nicher, ces HABITAT
adaptables trouvent de nouveaux lieux oiseaux s’exilent et se séparent de leur $LPHOHV]RQHVEURXV
VDLOOHXVHVHWERLV«HV
où nicher et, parfois, prospèrent même partenaire habituel. Quand il leur faut 6HUHSURGXLWHQ$ODVND
près des humains, selon John Marzluff, trouver un nouveau partenaire et un DX&DQDGDHWGDQV
de l’université de l’État de Washington. nouvel habitat à la saison des amours, OHbQRUGGHV‹WDWV8QLV
+LYHUQHGDQVOHVXG
Mais, ajoute-t-il, d’autres passereaux « ils échouent souvent à engendrer des GHV‹WDWV8QLVDX
s’exilent en quête d’un habitat non per- petits », observe John Marzluff. 0H[LTXHHWHQ
turbé, même si cela exige de perdre leur Les espèces évitantes ont besoin de $P«ULTXHFHQWUDOH
partenaire et leurs chances de repro- zones préservant leur habitat originel, STATUT
duction. Confrontées à l’urbanisation, souligne le biologiste. Pour autant, ‹YDOXDWLRQSDUOŠ8,&1ȗ
SU«RFFXSDWLRQPLQHXUH
les espèces « évitantes », telle la paru- nombre d’espèces « se débrouillant très
line à calotte noire (photo), déclinent. bien à nos côtés, il est important de réa- L’INFO EN PLUS

Une étude a examiné pendant douze liser que nous pouvons faire beaucoup )HPHOOHVHWP¤OHV
RQWbOHP¬PHSOXPDJH
ans l’impact de l’urbanisation sur la dans nos jardins et nos quartiers pour PDLVODFDORWWHQRLUH
répartition des espèces de passereaux. favoriser la présence des oiseaux ». QŠRUQHTXHOHVP¤OHV
3+272ȗ$/$10853+<
D E S C H E R C H E U R S S U R L E T E R R A I N�

ENTENDRE LE BRUIT
DES OCÉANS
Michel André

L’océan n’est pas silencieux. Les ani-


maux, les tempêtes, les séismes, les
navires, les forages sous-marins et le
dragage font du vacarme. Cette caco-
phonie gêne l’orientation des baleines
et des dauphins, qui utilisent les sons
pour naviguer, et pourrait à long terme
avoir un impact physiologique sur eux.
Le bioacousticien Michel André est
lauréat d’un prix Rolex, qui récompense
des projets innovants depuis 1976. Il
étudie les sons de l’océan le long des (Listening to the Deep Ocean Environ- 0LFKHO$QGU«VXSHUYLVH
voies de navigation, dans des grands ment), qui collecte des données sonores XQbSURMHWGHVXUYHLOODQFH
GHVVRQVRF«DQLTXHV
ports ou des zones reculées. « Les effets grâce à vingt-deux observatoires sous- GHVWLQ«¢bU«GXLUHOŠLPSDFW
du bruit artificiel lié aux activités marins et les compare à des schémas GXEUXLWVXUODYLHPDULQH
humaines touchent toute la chaîne ali- migratoires. Savoir où se trouvent les
mentaire », note-t-il. Il cherche à en animaux permettrait de demander aux
limiter les dégâts. Son équipe, basée en navires de modifier légèrement leur
Espagne, a mis au point le système Lido trajectoire pour faire la différence.

SAUVER LA VIE
AU FOND DES
FJORDS CHILIENS
Vreni Häussermann

La partie chilienne de la Patagonie est


l’un des lieux les plus sauvages du
monde. Mais elle connaît une mutation
effrayante, selon Vreni Häussermann,
qui y étudie la vie marine depuis 1997.
Dans les fjords, les coraux agonisent ;
l’eau est rendue boueuse par les
bateaux et les déchets ; les élevages pis-
cicoles abondent et la pollution pro-
voque des extinctions massives : en
2015, 337 cadavres de baleines ont été explorer la mer à près de 500 m de pro- /DIDXQHHWODƄRUHPDULQHV
découverts. La biologiste, lauréate d’un fondeur. Des photos et vidéos seront GHOD3DWDJRQLHFKLOLHQQH
VRQWPHQDF«HVQRWDPPHQW
prix Rolex, souhaite faire connaître la publiées sur Google Earth et YouTube. SDUOHV«OHYDJHVSLVFLFROHV
vie sous-marine des fjords afin de per- Vreni Häussermann espère que ces HWODSROOXWLRQ
mettre le sauvetage de ceux-ci. Ses images favoriseront la sanctuarisation
recherches l’ont jusqu’à présent menée de la région avant qu’il ne soit trop tard.
à 30 m sous l’eau. Désormais aidée d’un Selon elle, l’accès aux fjords devrait
sous-marin téléguidé, elle s’apprête à déjà être restreint.

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EN COUVERTURE

TOUS
La technologie et notre demande
accrue de sécurité ont tout placé
sous surveillance. Nous, et tout
ce qui existe sur la planète. La vie
privée ne sera-t-elle bientôt
plus qu’un souvenir ?

SURVEILLÉS

8QHFDP«UDKDXWHG«ƃQLWLRQVXLWXQYRORQWDLUHGDQVXQHUXHGŠ,VOLQJWRQXQTXDUWLHUGX*UDQG/RQGUHV
TOBY SMITH, SALLE DE CONTRÔLE DE LA VIDÉOSURVEILLANCE D’ISLINGTON
23
U
PA R RO B E RT D R A P E R

n samedi, vers �� h ��, à Islington, un quartier du nord


de Londres, deux hommes à cyclomoteur foncent dans
l’artère commerciale d’Upper Street. Dissimulés par leur
casque, leur blouson et leurs gants, ils se faufilent entre
les voitures, et contournent un autobus à impériale à une
vitesse suicidaire. Les automobilistes tressaillent à leur
approche. Les pilotes des deux-roues font des roues
arrière et exécutent des huit ultrarapides dans la rue très
passante. Mais ils semblent avoir autre chose en tête
qu’un simple rodéo sur des engins volés.
24
DANS LA SALLE DE CONTRÔLE
‚b,VOLQJWRQGHX[RS«UDWHXUVGH
YLG«RVXUYHLOODQFHSHXYHQWUHJDUGHU
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GXbTXDUWLHU‚/RQGUHVOHYDVWHU«VHDX
GHYLG«RVXUYHLOODQFHDSHUPLV
GŠLGHQWLƃHUOHVDXWHXUVGHVDWWHQWDWV¢OD
ERPEHGHbTXLƃUHQWPRUWV
TOBY SMITH

Trois ou quatre minutes plus tard, ils quittent fonçant dans Upper Street. Ils disparaissent du
brusquement Upper Street et s’engagent dans une champ de vision de Sal, mais Eric les repère vite
avenue résidentielle tranquille et arborée. Ils sur la caméra n° ���. Il pousse une manette pour
grimpent sur le trottoir et coupent les gaz. Mettant zoomer sur un deux-roues, jusqu’à ce qu’une
pied à terre et sans enlever leur casque, ils enta- plaque d’immatriculation arrière devienne lisible.
ment une longue conversation. Leur dialogue Sal appelle le poste de police par radio : « Nous
n’est connu que d’eux seuls. Mais il y a quelque avons deux cyclomoteurs suspects qui font des
chose que ces hommes ignorent sans doute : roues arrière dans Upper Street. »
à moins de � km de là, dans une pièce aveugle, Face à Sal et à Eric, une immense mosaïque de
deux autres hommes les observent. seize écrans transmet en direct des images du
« Ça y est, ils bougent », dit Sal à Eric. réseau de ��� caméras de surveillance d’Islington.
Ces deux hommes sont assis à � m l’un de l’autre, Preuve visuelle à l’appui, ce samedi matin est
derrière une longue console, dans la salle de plutôt tranquille. En effet, cette même semaine,
contrôle de la vidéosurveillance d’Islington. Dès un jeune homme est mort après avoir été poi-
que les deux cyclomotoristes bougent, Sal pianote gnardé dans un appartement, et un autre après
sur son clavier d’ordinateur. Les images de la avoir sauté du pont routier d’Archway Road.
caméra n° �� apparaissent à l’écran. Les revoilà, Plus tard dans la journée, les caméras passeront

���� �� ���� ��� � 25


ENFIELD

BARNET

HARROW
HARINGEY WALTHAM
FOREST REDBRIDGE
AGRANDI
CI-DESSOUS
HAVERING

HILLINGDON BRENT
HACKNEY
ISLINGTON BARKING
CAMDEN AND
DAGENHAM
TOWER NEWHAM
EALING WESTMINSTER
HAMLETS T mi s e
a
KENSINGTON CITY
AND
CHELSEA SOUTHWARK
HAMMERSMITH
AND GREENWICH
HOUNSLOW FULHAM
LAMBETH
BEXLEY
L O N D R E S
RICHMOND WANDSWORTH
LEWISHAM
Densité de la
vidéosurveillance dans
MERTON le Grand Londres
Nombre de caméras
KINGSTON par kilomètre carré
BROMLEY
CROYDON Plus de 8
SUTTON
De 4 à 8
Moins de 4
Absence de données

0 4 km

ROYAUME-
UNI
IRLANDE
Londres Caméra de surveillance
Station de métro

vers Finsbury 0 0,5 km

Ho Park
llo

SURVEILLER
wa
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Rd
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Emirates
Stadium
d.
nR

LONDRES
de
m
Ca

Les autorités de Londres ont été parmi les premières I S LI N G T O N


à mettre en place un système de vidéosurveillance
à grande échelle. Au début des années 1990, la ville
Caledonia

avait été la cible d’attentats au camion piégé. Entre


Upper S

2012 et 2015, le nombre de caméras y a augmenté


de 72 %. Londres abrite à elle seule un tiers des
Rd. n

caméras de vidéosurveillance du Royaume-Uni. Les


t.

Londoniens sont parmi les citadins les plus étroite-


ment observés du monde. Le quartier d’Islington, au Emplacement
nord du centre de Londres, compte 180 caméras. de la caméra
(page de droite)
LES DONNÉES CONCERNANT LA VIDÉOSURVEILLANCE À LONDRES ET ISLINGTON
DATENT RESPECTIVEMENT DE 2015 ET 2017. LA CARTE D’ISLINGTON NE MONTRE Emplacement
QUE LES EMPLACEMENTS DES CAMÉRAS FIXES.
du piéton pris
JASON TREAT ET RYAN T. WILLIAMS, ÉQUIPE DU NGM en photo
SOURCES : BIG BROTHER WATCH ; CONSEIL DE QUARTIER D’ISLINGTON ; ORDNANCE
SURVEY, ROYAUME-UNI
(page de droite)
UNE VISION LARGE
Pour démontrer la puissance du système de
vidéosurveillance d’Islington, les autorités locales
ont accepté de suivre un homme, embauché par
National Geographic, qui déambule dans Goswell Road.
Sur ces deux vues, une caméra à haute définition, située
à près de 400 m du piéton, effectue un zoom arrière
pour obtenir la vue la plus large possible, puis un zoom
avant pour obtenir un plan moyen du sujet.
TOBY SMITH, SALLE DE CONTRÔLE DE LA VIDÉOSURVEILLANCE, ISLINGTON (LES DEUX)

des heures à effectuer des panoramiques sur Le soir même, à quelques kilomètres de là, dans
35 000 festivaliers, à l’affût de pickpockets ou le sud-ouest de Londres, je me retrouve dans une
de bagarreurs alcoolisés. caravane. Haz, un aimable jeune homme, est assis
Pour l’heure, toutefois, les cyclomotoristes à mes côtés. Face à nous, des écrans de vidéosur-
sont la seule activité notable à Islington. Sal et veillance diffusent les images issues de dix camé-
Eric pourchassent leur objectif d’une caméra à ras dirigées sur deux discothèques voisines.
l’autre avec une efficacité routinière, mais je peux Haz travaille ici environ deux week-ends par
presque sentir leur pouls s’accélérer. Ils pensent mois. Les clubs souhaitent éviter les ennuis judi-
avoir affaire à deux membres de gangs qui ciaires dus aux clients qui dealent. Ils ont donc
sévissent à Islington depuis plus d’un an : les mal- demandé à Gordon Tyerman, un ancien policier
frats arrachent les smartphones des piétons, puis reconverti en opérateur mobile de vidéosur-
revendent les appareils au marché noir. Une cin- veillance, d’envoyer son employé – Haz – pour
quantaine de cas sont signalés chaque semaine observer la foule. « C’est le meilleur boulot, le
dans ce quartier de près de 233 000 habitants. plus passionnant que j’ai jamais eu, s’exclame
Je suis captivé par le simple spectacle de deux Haz. C’est tellement imprévisible ! Tout est calme,
personnes qui semblent totalement ignorer que, puis, tout à coup, une bagarre éclate. »
où qu’elles aillent, elles sont surveillées. Ce sont Haz reste assis dans la caravane dix heures
peut-être des délinquants. Ou des sociopathes. d’affilée, les yeux rivés sur les clients. S’il repère
Notre surveillance ne permet pas de conclure sur les prémices d’une bagarre ou d’un trafic de drogue,
ce point. Une seule chose est sûre : nous voyons il prévient la sécurité du club par talkie-walkie.
ces hommes sans qu’ils ne nous voient. Le manque de discrétion (suite page 30)

TOUS SU RVEI LLÉ S 27


SURVEILLER
LES TIREURS

Shooter Detection
Systems, une
entreprise de
Boston, a inventé un
dispositif mural
(ci-dessus) qui
repère un tireur
actif à l’intérieur
d’un bâtiment. Les
coups de feu sont
identifiés par un
logiciel acoustique
couplé à des
détecteurs à
infrarouge. Le
dispositif fournit
automatiquement
aux agents de
sécurité une carte
montrant le lieu
d’où partent les tirs.
ROBERT CLARK
SURVEILLER
(suite de la page 27) des dealers en présence Peter Gold revient dans la
des agents de sécurité l’étonne. « On leur demande : rue de La Nouvelle-Orléans
(en bas) où il s’est fait tirer
“Comment pouvez-vous être aussi bêtes ?”, rit-il.
dessus, en 2015, tandis
Et ils le prennent comme un défi. » qu’il tentait de secourir
LES DÉLINQUANTS
Ce soir, il ne se passe rien. Rien d’autre que le une femme enlevée sous
comportement écervelé et aléatoire de jeunes la menace d’une arme.
et d’ivrognes. Qui titubent en se tenant par le Gold, alors étudiant en médecine de 25 ans, était
intervenu en voyant un homme (identifié plus tard
bras jusqu’au milieu de la rue. Qui se tripotent.
comme étant Euric Cain) entraîner de force
Qui vomissent sur le trottoir. Haz a beau affirmer la femme dans un véhicule. Une caméra avait
que ce travail lui a permis d’acquérir des « compé- enregistré les faits (à droite). À l’instar du
tences inestimables », celles qu’il perfectionne commerçant qui avait installé le dispositif, de plus
pour le moment sont surtout celles d’un invisible en plus de villes et de particuliers recourent à la
surveillance de rue pour lutter contre la criminalité.
anthropologue nocturne. Il s’extasie : « On voit des
PHOTOS : MAX AGUILERA-HELWEG (CI-DESSOUS) ;
trucs sur la vidéosurveillance qui nous font POLICE DE LA NOUVELLE-ORLÉANS

penser : “Ceci n’est pas un comportement


d’adulte.” Les gens oublient souvent qui ils sont. »
Mais l’oublient-ils vraiment ? Ou oublient-ils

E
seulement qu’on pourrait les observer ?

n 1949, à une époque où le spectre du


totalitarisme planait sur l’europe,
le romancier britannique George Orwell
publiait 1984, son chef-d’œuvre dysto-
pique, avec son sinistre avertissement :
« Big Brother vous observe. » Aussi trou-
blante que fût cette idée, « observer » était
alors une activité au périmètre réduit.
C’est aussi en 1949 qu’une entreprise
américaine commercialisa le premier système de
vidéosurveillance. Deux ans plus tard, en 1951,
Kodak présentait sa caméra portable Brownie.
De nos jours, plus de 2 500 milliards d’images
par an sont partagées ou stockées sur Internet,
sans parler des milliards de photographies et de
vidéos que les gens gardent pour eux. Des dizaines
de milliers de caméras destinées à la lecture auto-
matisée de plaques d’immatriculation surveillent
les routes, afin de surprendre les auteurs d’excès
de vitesse ou d’infractions au stationnement
(mais aussi, au Royaume-Uni, de suivre les allées
et venues des délinquants présumés).
Le nombre (inconnu, mais croissant) de per-
sonnes munies de caméras portatives ne se limite
pas à la police. Il comprend aussi les personnels
hospitaliers et d’autres professionnels. Les sys-
tèmes de surveillance individuels prolifèrent éga-
lement : caméras de bord, caméras embarquées

30 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
SURVEILLER
LES VISAGES

Les techniques de reconnaissance faciale sont de plus


en plus utilisées dans les lieux sensibles (aéroports,
bâtiments officiels…). Des magasins s’en servent pour
identifier les bons clients ou les voleurs à l’étalage.

1
Retrouver X4T3 79RT A356
un visage X4T3 79RT A356

Les systèmes extraient


certaines caractéris-
tiques d’un cliché
et les comparent à un
modèle de visage.
Quand les caractéris- Les appareils individuels Les caméras des postes Autres appareils Vidéosurveillance
tiques commencent à Les smartphones utilisent de contrôle Les ordinateurs portables, Les systèmes peuvent
ressembler au modèle, la reconnaissance faciale Les clichés de visages ainsi que les caméras isoler et suivre un individu
le système signale qu’il pour des applications et la pris aux postes de contrôle vidéo et thermiques grâce à son visage, sa
s’est focalisé automati- sécurité, comme le déver- des douanes et de sécurité peuvent capturer des démarche, ou la couleur et
quement sur un visage. rouillage du téléphone. sont ensuite archivés. images faciales. le modèle de ses habits.

Les images faciales prises lorsqu’on


est fixe devant un objectif, comme
lors des contrôles de sécurité, sont
plus faciles à analyser. Les images
issues des caméras de surveillance
peuvent nécessiter des moyens
avancés et une analyse détaillée.

2
Créer le
modèle facial
Des modèles
mathématiques
utilisent des données
thermiques et/ou
géométriques Les données Les données L’analyse de la texture Les capteurs thermiques
(entre autres) afin de géométriques photométriques de la peau Ce procédé peut apporter
créer des représenta- On mesure les relations Les algorithmes peuvent Les pores, les rides et les des informations
tions numériques plus spatiales entre certains recréer un visage même si boutons sont localisés et supplémentaires – malgré
précises et riches en traits du visage, comme une photo est mal éclairée analysés ; cette technique certains obstacles, tels
informations. Ce sont le centre des yeux et le ou déformée par certains est même capable de qu’un maquillage épais
les modèles faciaux. bout du nez. angles ou expressions. différencier des jumeaux. ou un déguisement.

3
Identifier
le visage
Une fois le modèle
facial créé, il peut être
comparé aux bases de
données (comme pour
les photographies
d’identité judiciaire),
pour vérifier l’identité
d’une personne ou L’identité est
reconnaître un individu confirmée JASON TREAT ET RYAN
sur les images de T. WILLIAMS, ÉQUIPE DU NGM
vidéosurveillance. PHOTO : GETTY IMAGES.
SOURCES : US GOVERNMENT
ACCOUNTABILITY OFFICE ;
ANIL K. JAIN ET DEBAYAN DEB,
UNIVERSITÉ D’ÉTAT DU MICHIGAN
sur les casques de vélo pour filmer une éventuelle de technologie de l’information à l’université
collision, sonnettes de porte équipées d’objectifs Carnegie Mellon, « au jeu du chat et de la souris
pour identifier les voleurs de paquets. que constitue la protection de la vie privée, la per-
Mais il y a beaucoup plus problématique : les sonne surveillée est toujours désavantagée ».
milliards d’images de citoyens sans méfiance, Se soumettre simplement au jeu est déprimant ;
captées par des outils de reconnaissance faciale, mais chercher activement à protéger sa vie privée
puis stockées dans les bases de données de la peut se révéler encore plus démoralisant. « La sur-
police et d’entreprises privées. Des images sur les- veillance est souvent épuisante pour ceux qui en
quelles nous n’avons quasiment aucun contrôle. ressentent vraiment les effets sous-jacents, écrit
Quant au ciel, il se remplit de drones. Il s’en est Randolph Lewis, professeur à l’université du Texas,
vendu 2,5 millions en 2016 aux États-Unis (à des dans un récent ouvrage sur le sujet : elle nous sub-
particuliers comme à des entreprises), et environ merge avec son harcèlement constant, ses mys-
1 million en France sur les deux dernières années. tères omniprésents, ses recensements incessants
Sans compter les avions sans pilote dont use le de nos mouvements, achats et potentialités. »
gouvernement américain en zone de guerre, ou Le besoin de vie privée « est un trait humain
pour freiner l’immigration clandestine en prove- universel, à travers les cultures et les époques,
nance du Mexique, surveiller les inondations pro- souligne Alessandro Acquisti. On le retrouve
voquées par les ouragans au Texas, ou arrêter des dans la Rome et la Grèce antiques, dans la Bible
voleurs de bétail dans le Dakota du Nord. Ce à quoi et dans le Coran. Ce qui est inquiétant est que,
il faut ajouter les milliers et milliers de dispositifs si chacun d’entre nous, à l’échelon individuel,
aériens d’espionnage utilisés par d’autres pays. souffre du manque de vie privée, l’ensemble de la
On nous observe d’encore plus haut. Plus de société n’en comprendra peut-être la valeur que

L’
1 700 satellites surveillent notre planète. À quelque lorsque nous l’aurons perdue à jamais. »
500 km de distance, certains d’entre eux peuvent
discerner un troupeau de bétail ou suivre l’évolu- ÉTAT DE DÉSESPÉRANCE ORWELLIENNE
tion d’un incendie de forêt. Depuis l’espace, un EST-IL UN FAIT ACCOMPLI ? OU EXISTE-T-IL
appareil de prise de vues se déclenche, et un par- des perspectives plus optimistes ? Pensez
fait inconnu peut se procurer une image détaillée aux 463 pièges photographiques à infra-
de notre pâté de maisons. Et, dans ce même quar- rouge que le WWF utilise en Chine pour
tier, nous pouvons être pris en photo des dizaines suivre les mouvements du panda géant,
de fois par jour, par des objectifs que nous ne ver- une espèce menacée. Ou aux dispositifs
rons peut-être jamais, notre image étant stockée d’imagerie thermique que les gardes
dans des bases de données à des fins que nous emploient pour repérer en pleine nuit
ignorerons peut-être toujours. les braconniers dans la réserve nationale de
Nos smartphones, nos recherches sur Internet Masai-Mara, au Kenya. Ou au réseau de caméras
et nos comptes sur les réseaux sociaux dévoilent sous-marines qui suivent les déplacements du
nos secrets. Gus Hosein, administrateur de l’ONG marsouin du golfe de Californie, au bord de
Privacy International, qui milite pour le respect l’extinction. Ou encore aux caméras qui aident
de la vie privée, constate : « Au XIXe siècle, si la à protéger les forêts menacées du Sri Lanka.
police voulait savoir ce que vous pensiez, elle « Si vous désirez une image de l’avenir, imagi-
devait vous torturer. De nos jours, elle peut sim- nez une botte piétinant un visage humain…
plement le découvrir dans vos appareils. » pour l’éternité », avertissait Orwell dans 1984.
Voici donc notre « meilleur des mondes », pour Cette vision autoritaire écarte la possibilité que
reprendre le titre d’un autre écrivain britannique, les gouvernements recourent à ces outils pour
Aldous Huxley. Le fait que nous soyons conscients rendre les rues plus sûres. Ce sont les images de
de son avènement est une maigre consolation, caméras de surveillance qui ont permis d’identi-
car, déplore Alessandro Acquisti, professeur fier les auteurs des attentats (suite page 39)

TOUS SU RVEI LLÉ S 33


SURVEILLER
Dino Bertolino, de l’entreprise californienne Planet, tient un satellite
de la taille d’une boîte à chaussures équipé d’une caméra. Planet
dispose de plus de 150 de ces engins en orbite autour de la Terre,
où ils prennent deux images par seconde. Grâce à cette flotte, quand
les conditions météorologiques sont optimales, l’entreprise peut
LA TERRE photographier l’ensemble de la surface terrestre en une seule journée.
CRAIG CUTLER
1

SURVEILLER
Sélection d’images
prises par des
satellites de
la ­société Planet­
LA TERRE en fonction­le­
20 septembre­2017.­
3

1 : PARIS 2 : MOSCOU 3 : CENTRALE SOLAIRE NOOR III, MAROC

133 10 000 1,3 MILLION


Nombre de Nombre de Nombre
satellites clichés pris par d’images
transmettant des chaque satellite recueillies
images ce jour-là en un jour en un jour
23 avril 2017 26 avril 2017 27 avril 2017
SURVEILLER
LA TERRE

(suite de la page 33) du métro de Londres,


Le premier porte-avions de fabrication
entièrement chinoise est lancé à Dalian. en 2005, et du marathon de Boston, en 2013. Il
Ces images, prises par les satellites existe une multitude de cas moins connus.
de la société américaine Planet, Le port de Boston a testé une méthode conçue
montrent le navire au mouillage par deux chercheurs du Massachusetts Institute
(à l’extrême gauche), faisant marche
of Technology, Robert Ledoux et William Bertozzi,
arrière (au centre), puis à quai (à gauche).
afin de visualiser les cargaisons. L’appareil peut,
sans que le conteneur soit ouvert, effectuer une
radiographie élémentaire du contenu. Au contraire
d’une radiographie classique, qui ne révèle que la
forme et la densité, cet appareil peut différencier
une boisson gazeuse de sa version allégée, le plas-
tique des explosifs à haute énergie, et les matières
non nucléaires des matières nucléaires.
Peut-on douter qu’un monde plus étroitement
surveillé lors des cent cinquante dernières années
aurait été plus sûr ? Nous saurions peut-être qui
était Jack l’Éventreur, et si Lee Harvey Oswald a
agi seul pour tuer Kennedy. Bien sûr, la sécurité
publique a servi de prétexte pour exercer une sur-
veillance avant et depuis l’époque d’Orwell. Mais
cette technologie peut aussi servir à sauver des
vies. Les images satellitaires ont permis à des ONG
de repérer des réfugiés campant dans le désert,
dans le nord de l’Irak. Les sondes spatiales ont
permis de prouver que le climat mondial connaît
des changements spectaculaires.
Big Brother est-il capable de sauver l’humanité
au lieu de l’asservir ? Ou bien les deux scénarios

L
peuvent-ils être vrais simultanément ?

e royaume-uni a un goût pour la sur-


veillance que je n’ai constaté nulle
part ailleurs dans le monde », affirme
Tony Porter, seul homme de la planète à
porter le titre de directeur de la vidéo-
surveillance. Nous sommes assis dans la
cafétéria d’un ministère du gouverne-
ment, à Londres, sous l’œil des caméras
installées dans les coins. Ancien policier
et spécialiste du contre-terrorisme, Porter a été
recruté pour superviser un minimum les systèmes
de surveillance en pleine expansion dans le pays.
Porter et trois employés passent leurs journées
à enjoindre aux opérateurs de caméras de surveil-
lance privés et publics de respecter les codes et
directives en la matière. Mais, à part citer les noms

tous su rvei llé s 39


des personnes ne s’y conformant pas dans un le fringant espion imaginé par Ian Fleming, un
rapport adressé au Parlement, le service de Porter ancien agent du renseignement naval britannique
n’a aucun moyen de les faire appliquer. devenu écrivain. L’agent 007 est intimement lié à
Le réseau de surveillance londonien a été conçu l’image que le pays se faisait de lui­même après­
au début des années 1990, dans la foulée de deux guerre, mais aussi à une réalité traumatisante :
attentats à la bombe perpétrés par l’Armée répu­ le Royaume­Uni a été l’un des premiers pays à
blicaine irlandaise. Il s’est ensuivi une propa­ affronter la peur constante des attentats.
gation effrénée des techniques de surveillance. En matière de protection des citoyens, le gou­
« À l’époque, se souvient William Webster, vernement britannique est peut­être plus appré­
professeur de politique publique à l’université cié que celui d’autres sociétés libres. Même après
de Stirling (Écosse), le discours sur la sécurité qu’Edward Snowden, un ancien contractuel de
publique était : “Si vous n’avez rien à cacher, vous l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA),
n’avez rien à craindre.” Avec le recul, on peut dater a révélé que les services de renseignements amé­
ce slogan à l’Allemagne nazie. Mais c’était une ricains et britanniques pratiquaient une collecte
expression courante, et elle anéantissait toute massive des données de leurs propres citoyens,
hostilité vis­à­vis de la vidéosurveillance. » le Parlement s’est contenté d’entériner ces pou­
La première infrastructure de sécurité de la voirs, à la fin de 2016, avec l’Investigatory Powers
ville a été étendue, puis renforcée par la techno­ Act, sans soulever de tollé.
logie de lecture automatisée de plaques d’imma­ C’est ce que me confirme David Omand, ancien
triculation (Lapi) sur les grands axes. Aujourd’hui, directeur du Government Communications Head­
le pays compte 9 000 caméras de ce type. Elles quarters (GCHQ, quartier général des communi­
photographient et stockent entre 30 et 40 millions cations du gouvernement britannique), l’un des
d’images par jour de toutes les plaques d’imma­ services dont Snowden a montré qu’ils collectaient
triculation qui passent. des données en masse : « Dans l’ensemble, nous
Ancien coordinateur du contre­terrorisme au considérons que notre gouvernement est efficace
sein de la police écossaise, Allan Burnett souligne : et bienveillant. Il gère le National Health Service
« Il serait très difficile aujourd’hui de traverser (système de santé), l’enseignement public et l’aide
l’Écosse sans être vu par une caméra Lapi. » sociale. Et, Dieu merci, nous n’avons pas connu
« Je suis quasi sûr que nous possédons actuel­ la situation où des hommes en imperméable de
lement davantage de caméras de surveillance par cuir marron viennent frapper à votre porte à
habitant que n’importe quelle ville du monde, 4 heures du matin. Donc, quand on parle de sur­

U
estime Nick Clegg, l’ancien vice­Premier ministre veillance étatique, l’écho est différent, ici. »
britannique. En fait, cela s’est produit sans aucun
débat public ou politique sérieux. L’une des rai­ n pays plus sceptique envers un état
sons est que nous n’avons pas connu le fascisme fort, tel que les états-unis, n’est
et les régimes non démocratiques qui ont instillé, pas pour autant immunisé contre les
dans d’autres pays, une profonde méfiance vis­ dérives de la surveillance. La plupart des
à­ vis de l’État. Ici, il semble bienveillant. Or, services de police américains utilisent
comme nous l’a enseigné l’histoire, il est bien­ aujourd’hui des caméras mobiles ou
veillant jusqu’à ce qu’il ne le soit plus. » l’envisagent. Cette nouveauté a (en tout
L’omniprésence de la surveillance au Royaume­ cas jusqu’à présent) été accueillie favora­
Uni peut s’expliquer par des éléments de peur et blement par les groupes de défense des
de romanesque. L’espionnage n’a­t­il pas sauvé libertés civiles. Celles­ci y voient un moyen de
le pays ? Le musée de Bletchley Park, dédié aux réduire les violences policières.
briseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale, Les caméras Lapi sont présentes dans nombre
est très visité. Tout comme l’exposition perma­ de grandes villes américaines pour surveiller la
nente du London Film Museum sur James Bond, circulation et le stationnement. Au lendemain des

40 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
SURVEILLER
Dans les années 1960, le Corps des ingénieurs de l’armée américaine a coulé
plus de 270 croix en béton, larges de 18 m, dans le désert de l’Arizona. Leurs
dimensions étant connues, celles-ci ont permis de calibrer les tout premiers
satellites espions. Image ci-dessus : deux artistes ont photographié une croix,
LES SATELLITES puis tracé dans le ciel les trajectoires des satellites qui passent au-dessus.
JULIE ANAND ET DAMON SAUER
SURVEILLER
LA PLANÈTE

Plus de 1 700 satellites actifs orbitent autour


de la Terre, jusqu’à 150 000 km d’altitude.
Ils recueillent des images et d’autres
données, diffusent des informations, nous
ÉTATS-
UNIS
localisent, et écoutent nos conversations.
814 La plupart des satellites sont exploités
par des institutions et des entreprises
américaines. Aujourd’hui, les lancements
de satellites commerciaux sont bien plus
Planet nombreux que ceux de satellites publics.
202 satellites
La flotte de cette Les teintes plus
société ne comptait claires indiquent
encore que les satellites
4 engins en 2013. partagés avec Commerciale Observation de la Terre
Recueillir des données pour le renseigne-
un autre pays. Gouvernementale/
ment et la surveillance de l’environnement
civique/militaire
Communications
Liaisons point à point et radiodiffusion

Navigation, suivi et horaires


Suivi des navires, aide à la navigation,
CHINE synchronisation horaire informatique
205 Développement technologique
COLLABORATION Test de nouvelles techniques et dévelop-
É.-U.-RUSSIE
pement de charges utiles expérimentales
5
Science spatiale et autres utilisations
Recueillir des données spatiales et mener
des expériences scientifiques
Armée populaire
de libération
39 satellites

Ministère
de la Défense
81 satellites

RUSSIE
140
Certains satellites sont
polyvalents, comme
celui-ci, utilisé pour
observer la Terre,
pour les communications
et la science spatiale.
AUTRES
578

Les autres satellites


Une soixantaine de pays
exploitent les autres
satellites en orbite
autour de la Terre.

JASON TREAT ET RYAN T. WILLIAMS, ÉQUIPE DU NGM


SOURCE : UNION OF CONCERNED SCIENTISTS ; PLANET
attentats du 11-Septembre, New York a étendu son Elle ne se situe qu’à quatre minutes à pied du
réseau de vidéosurveillance. On y compte actuel- centre de contrôle du quartier. Quant à l’ancienne
lement quelque 20 000 caméras gérées par les demeure de Huxley, à quelques kilomètres de là,
autorités rien qu’à Manhattan. elle est sous la surveillance constante d’un impre-

J
À Paris, la préfecture de police en dénombrait nable poste de contrôle en acier renforcé.
plus de 1 100 en mars 2017. Toulouse en compte
déjà 350, et Marseille souhaite atteindre prochai- e me rends à l’hôpital de barnsley, dans
nement les 1 500. À Nice, en 2016, les plus de le yorkshire du sud. des membres du
1 250 caméras dont disposait déjà la ville réputée service de sécurité y sont équipés de caméras
la plus vidéosurveillée de France n’ont toutefois mobiles (ou « caméras-piétons »), afin de
empêché ni les repérages du terroriste ni son décourager les comportements indisciplinés
attaque au camion du 14 juillet, qui a fait quatre- des patients et des visiteurs. En Grande-
vingt-six morts. Six cents nouveaux objectifs ont Bretagne, quelque 150 000 agents de police
pourtant été installés depuis dans la ville. sont déjà équipés d’appareils de ce genre.
Des agglomérations qui n’ont pas subi d’atten- En France, Emmanuel Macron a appelé à
tats et qui affichent des taux de délinquance vio- étendre ce type de dispositifs, dans son discours
lente relativement faibles s’équipent aussi. Selon sur la sécurité intérieure du 18 octobre 2017.
l’association Villes de France, en 2016, plus de On imagine donc sans mal que d’autres repré-
80 % des villes moyennes hexagonales avaient sentants de l’autorité, comme les éducateurs ou
déjà installé la vidéosurveillance – avec 50 camé- les infirmières, en porteront bientôt. Mais,
ras en moyenne, soit deux fois plus qu’en 2010. ensuite, à qui le tour ? Au personnel navigant ? Aux
En 2005, Houston (Texas) ne comptait aucune agents des services postaux ? Aux psychologues ?
caméra. Mais Dennis Storemski, le directeur Aux responsables des ressources humaines ?
municipal de la sécurité, a visité d’autres villes. « Des autorités locales cherchent à contraindre
« C’est ce que j’ai vu à Londres qui m’a conduit à les chauffeurs de taxi à utiliser la surveillance,
m’intéresser à cette technologie », se souvient-il. me signale Tony Porter, le directeur de la vidéo-
Grâce à des subventions fédérales, Houston dis- surveillance. Si on prend cela en compte, ainsi
pose désormais de 900 caméras de surveillance, que l’emploi de caméras mobiles dans les hôpi-
avec un accès à 400 autres appareils. taux et les écoles, la question centrale me semble
Comme à Londres, les responsables ne suivent être : dans quel type de société voulons-nous
pas chaque caméra à chaque minute. De ce fait, vivre ? Trouvons-nous acceptable de circuler en
dit Storemski, « ce n’est pas de la surveillance en nous filmant les uns les autres en toute légitimité,
soi. Nous avons voulu que le public cesse de au cas où quelqu’un nous causerait du tort ? »
s’attendre à être observé ». C’est peut-être pour- Je songe à cette question lors de mes derniers
quoi le système de vidéosurveillance de Houston jours à déambuler dans les rues bien propres de
s’étendra bientôt bien au-delà du centre-ville, Londres. Inévitablement, mes pas finissent par
mais sans provoquer la moindre polémique. me conduire au célèbre pont de Westminster. Je
De même, l’acceptation des caméras par les suis englouti par des hordes de touristes de toutes
Britanniques est frappante. Vidéosurveillance et nationalités brandissant des smartphones pour
caméras Lapi (ainsi que les panneaux qui les tenter de réaliser le meilleur selfie londonien.
annoncent) s’intègrent tels de mornes compa- Je me baisse, m’excuse, me détourne, avant de
gnons à l’infrastructure de la ville. comprendre que c’est inutile. Or il ne s’agit que
Pendant trois semaines, je me promène dans d’appareils que je peux voir. Tous mes mouve-
les quartiers tranquilles de Londres où Orwell et ments sont-ils ainsi fortuitement enregistrés ?
Huxley vécurent. La maison d’Orwell, à Canonbury Quelle importance que Big Brother nous observe,
Square, à Islington, se trouve dans le champ de en réalité, dans la mesure où tout le monde
plusieurs caméras Lapi et de vidéosurveillance. observe déjà tout le monde ? (suite page 46)

tous su rvei llé s 43


SURVEILLER
LE CIEL

Au Deimos Sky
Survey, en Espagne,
trois télescopes
surveillent les
astéroïdes proches
et les débris spatiaux
dus à l’activité
humaine susceptibles
d’endommager
les satellites.
Noelia Sánchez Ortiz,
ingénieure en
aérospatiale,
et Jaime Nomen,
astronome et
directeur du site,
vérifient les
instruments.
LUCA LOCATELLI
BRACONNIER GARDE

SURVEILLER
Le cliché ci-dessus, pris dans l’obscurité totale par une caméra thermique, dans
la réserve nationale de Masai-Mara (Kenya), montre des gardes à la poursuite
d’un braconnier – qu’ils ne tarderont pas à rattraper. Fournis par le WWF à la réserve,
les appareils permettent aux gardes (page de droite, en haut) de protéger la faune
sauvage jusque tard dans la nuit. De jour, ils portent secours à un éléphanteau mâle
LES BRACONNIERS séparé de sa harde (en bas) et vulnérable aux prédateurs.
À PARTIR DU HAUT À DROITE, DANS LE SENS DES AIGUILLES D’UNE MONTRE : PETE MULLER (LES DEUX) ; WWF/MARA CONSERVANCY

(suite de la page 43) Ce phénomène social plus en plus, rien ne demeure secret. La vie privée
croissant a donné naissance à une expression deviendra peut-être une denrée réservée à ceux
en anglais : Pics or it didn’t happen (« S’il n’y a pas qui ont beaucoup d’argent – l’un des signes de
de photos, c’est du faux »). J’en ai discuté avec richesse et de pouvoir véritables. Pour tous les
deux de ses plus fins observateurs. autres, le monde entier sera vraiment un théâtre,
Chloe Combi, une ancienne institutrice, a où tout le monde jouera délibérément son rôle. »
publié Generation Z : Their Voices, Their Lives Le spectacle imaginé par Chloe Combi, où
(« Génération Z : leurs voix, leurs vies »), fruit de chacun serait à la fois exhibitionniste et voyeur,
centaines d’heures d’entretiens avec des adoles- 24 heures/24 et 7 jours/7, me paraît une version
cents britanniques. Ceux-ci faisaient preuve égalitaire (mais tout aussi dystopique) de 1984 et
d’une étonnante insouciance quant au fait d’être du Meilleur des mondes. Sommes-nous déjà par-
photographiés et filmés quasiment n’importe où. venus à l’achèvement de ce que William Staples,
« On peut regarder un documentaire sur la vie sociologue à l’université du Kansas, a appelé
entière d’une personne sur son téléphone, affirme « l’état de visibilité permanente » ? Et l’aurions-nous
Chloe Combi. Nous vivons dans un monde où, de atteint de notre propre gré, et non pas contraints

46 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
VÉHICULE
DE PATROUILLE

et forcés par les autorités ? Notre environnement britannique. Son diagnostic n’est pas moins
visuel est saturé de bébés adorables, de chatons sombre que celui de Chloe Combi. « La notion de
et d’éléphants, comme de décapitations exécutées vie privée, de privation, implique d’exclure
par Daech, de célébrités, de personnalités poli­ quelque chose, rappelle Susan Greenfield. Nous
tiques au double langage, de policiers tirant sur devons nous isoler. Tout le monde a l’air de trou­
des civils non armés. En parallèle, nous sommes ver génial d’être tout le temps connecté et visible.
vus, de tout près et beaucoup trop intimement, Mais que se passe­t­il si tout devient explicite et
par des agents de sûreté aéroportuaires, par des visuel ? Comment expliquer un concept tel que
panneaux d’affichage « intelligents » qui adaptent l’honneur quand on ne le trouve pas sur Google
leur publicité à notre apparence, et par tous ceux Images ? L’univers de l’abstrait est inexplicable.
qui connaissent qui que ce soit nous ayant vu un La nuance inhérente à la vie disparaît. »
jour où nous aurions juré être seul. En parlant une nouvelle fois avec Tony Porter,
Susan Greenfield est chercheuse en neuro­ dans la cafétéria très surveillée du ministère de
sciences, pourfendeuse de l’obsession des réseaux l’Intérieur, je me surprends à répéter quelque
sociaux et, par ailleurs, membre du Parlement chose que je lui ai déjà dit (suite page 50)

tous su rvei llé s 47


SURVEILLER
UNE CARGAISON

Les ports maritimes jouent un rôle


crucial dans la sécurité des frontières.
Dans le cadre d’un projet pilote mené
au port de Boston, des scientifiques et
des ingénieurs ont conçu un scanner
perfectionné. L’appareil peut identifier, Suspicion de
contrebande
à travers les parois d’un camion, la
composition moléculaire des matières
Suspicion de
avec une précision inédite. Par exemple, contrebande
il fait rapidement la différence entre
du sel et de la cocaïne.

C O M M EN T Ç A M A R C H E

1
Création d’un modèle 3D Densité de matière
HAUTE BASSE
Un scanner A bombarde la
HAUT 30+
cargaison de rayons X. Puis, des
Zinc et plus lourd
capteurs B mesurent le rayonne-
18-29
ment rétrodiffusé (voir « L’imagerie
Numéro De l’argon au cuivre
par rayons X », ci-dessous) pour
atomique 9-17
créer un modèle en 3D. Camion
et contenu sont classés (à droite) Du fluor au chlore
selon leur numéro atomique 1-8
moyen (le nombre de protons). BAS De l’hydrogène à l’oxygène

2
Énergie obtenue par
Détection du fret illégal fluorescence nucléaire
SEL COCAÏNE
PLOMB
Les algorithmes analysent le modèle 3D 6 électrons-volts
des numéros et densités atomiques qui CARBONE
pourraient indiquer des marchandises FER
de contrebande (explosifs, drogue…). 3
Les produits suspects sont scannés par
un détecteur C qui mesure les combinai- ALUMINIUM
sons spécifiques d’éléments d’après 0 NaCl C17H21NO4
la quantité d’énergie qu’ils dégagent.

L’I M A G ER I E P A R R A Y O N S X
Photon de L’imagerie par transmission L’imagerie rétrodiffusée
rayons X de rayons X à haute énergie
Des photons de rayons X sont Les photons de rayons X de plus haute
envoyés à travers un objet. On énergie sont diffractés ou rétrodiffusés
détermine la densité de celui-ci en par les électrons et les noyaux de l’objet.
mesurant le nombre de photons Électron Le résultat obtenu peut servir à en
qui parviennent à le traverser. rétrodiffusé préciser la densité et le numéro atomique.
3
Localisation des matières nucléaires
Quand le modèle en 3D est prêt, un détecteur D
scanne le fret à la recherche des neutrons qui
sont émis quand les rayons X interagissent avec
les matières nucléaires. En couplant ces données
au modèle en 3D, un opérateur peut localiser
n’importe quel matériau nucléaire de contrebande.

Isotope
radioactif
Neutrons
Photon

Quand des photons


heurtent la matière
Matière nucléaire nucléaire, des neutrons
détectée sont émis vers l’extérieur.

Pour éviter des doses


mortelles de radiation,
le conducteur avance
dans le scanner, se
B gare, et sort avant
que le camion ne
traverse le système.

D
C

JASON TREAT ET RYAN T. WILLIAMS,


ÉQUIPE DU NGM
ILLUSTRATIONS : MARK GRASSA
SOURCE : PASSPORT SYSTEMS, INC.
(suite de la page 47) plusieurs mois plus tôt : comme rapporteur indépendant sur le contre -
ce réflexe de peur face à Big Brother n’est-il pas terrorisme pour le gouvernement britannique.
déjà obsolète à l’heure actuelle ? « Soit vous pensez que la technologie nous a dotés
« C’est ce que je dis maintenant dans mes d’importants pouvoirs, que le gouvernement doit
discours », me répond le directeur de la vidéo- utiliser avec des garde-fous de sécurité d’une
surveillance avec un sourire satisfait. Puis il importance égale, explique-t-il, soit vous pensez
devient sérieux. Porter s’est rendu récemment aux que cette technologie est tellement effrayante
Émirats arabes unis, une fédération de monar- qu’on doit faire comme si elle n’existait pas. »
chies qui réprime toute contestation et s’intéresse «J’appartiens résolument à la première catégo-
de près à la technologie de la surveillance. Ce qui rie, poursuit Anderson. Non pas parce que je dis
inquiète Porter. « Je comprends votre point de qu’on doit faire confiance au gouvernement mais,
vue, assure-t-il. La surveillance exercée par l’État au contraire, parce que, dans une démocratie
est intrusive, elle a une puissance de connectivité ancienne comme la nôtre, nous sommes capables
qui dépasse l’imagination la plus fertile. C’est d’ériger des garde-fous assez solides pour que les
complètement différent d’un selfie, par exemple. » avantages l’emportent sur les inconvénients. »
« Le véritable danger, poursuit-il, est la surveil- Cependant, il semble bien imprudent d’auto-
lance intégrée. La grande distribution dépense riser la mise sur un marché en grande partie non
des millions de livres sterling pour en étudier tous réglementé de toutes ces avancées technologiques.
les aspects. Je suis un quinquagénaire corpulent ; « Je pense vraiment que nos vies sont de plus en
dès que j’entre dans un supermarché, on com- plus enregistrées et suivies à la trace, estime le
mence à diffuser de la publicité pour les crois- juriste Jameel Jaffer, de l’université Columbia. Or
sants. Et si cela devient plus malveillant ? Si, à nous sommes confrontés aux conséquences de
partir de mon compte Facebook, on peut cibler tout cela depuis peu de temps. C’est pourquoi,
ma fille et demander où elle fait ses achats ? Qui avant d’adopter de nouvelles technologies ou de
va réglementer cela ? Ou bien cela n’a-t-il pas permettre à de nouvelles formes de surveillance
besoin d’être réglementé ? Le mal est-il déjà fait ? de s’implanter dans nos sociétés, nous devrions

L
La question est-elle déjà “obsolète” ? » nous interroger sur les conséquences à long terme
de ces technologies de la surveillance. »
es progrès apparemment constants Alors, que penser ? Se forger une opinion est
des technologies de la surveillance particulièrement ardu quand une avancée sou-
peuvent ressembler, aux yeux des défen- daine vient bouleverser notre façon d’envisager
seurs des libertés publiques, à un TGV fou. le monde. Or c’est déjà ce qui arrive. Une techno-
Ross Anderson, professeur d’ingénierie logie conçue par Planet, entreprise fondée par Will
de sécurité à Cambridge, tire le signal Marshall et Robbie Schingler, deux anciens scien-
d’alarme : « Nous devons anticiper sur les tifiques idéalistes de la Nasa, est capable de sur-
vingt prochaines années. Parce que nous veiller toute la superficie de la Terre au jour le jour.
aurons alors la réalité augmentée, un Le siège social de Planet est typique de la
casque de réalité virtuelle 2.0 muni d’au moins Silicon Valley. Plus de 200 geeks, pour la plupart
3 000 pixels par centimètre. Assis au fond d’une des jeunes en tenue décontractée, sont penchés
salle de conférences, vous pourrez lire le texte sur en silence sur leurs claviers dans un open space.
le téléphone de l’intervenant. En même temps, Je m’assieds dans l’une des salles de conférences
les cent caméras de vidéosurveillance présentes qui dominent la cafétéria chic des employés.
dans cette salle pourront voir le mot de passe que Will Marshall, un Britannique efflanqué, et
vous taperez sur votre téléphone. » Robbie Schingler, un Californien décontracté
Où cela nous mènera-t-il ? Il semble naïf d’ima- et large d’épaules, me rejoignent. Tous deux ont
giner la suppression délibérée de ces outils. David 39 ans. La veille au soir, ils ont fêté leurs cinq
Anderson, un avocat, a œuvré pendant six ans années de travail à temps plein chez Planet.

50 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
À la Nasa, ils s’étaient en particulier intéressés déforestation subie par un pays, les gens peuvent
à la photographie spatiale, notamment pour désormais se sentir motivés par des images mon­
réaliser des clichés de la Terre. Leur motivation trant la déforestation à l’œuvre. »
initiale était plus humanitaire que scientifique. Aujourd’hui, Planet a plus de 200 satellites en
À titre expérimental, ils ont placé des smart­ orbite, dont environ 150 sont dédiés à photogra­
phones ordinaires en orbite, confirmant ainsi phier chaque jour la moindre parcelle de terre (si
qu’un appareil photo relativement bon marché les conditions météo le permettent). Planet a ins­
pouvait fonctionner dans l’espace. tallé des stations terrestres dans des lieux aussi
« Nous nous sommes demandé ce que nous éloignés que l’Islande et l’Antarctique.
pourrions faire de ces images, se souvient Robbie Ses clients sont tout aussi variés. L’entreprise
Schingler. Comment les utiliser pour le bien de collabore avec l’Amazon Conservation Association
l’humanité ? Dressez la liste des problèmes mon­ pour surveiller la déforestation au Pérou et four­
diaux : la pauvreté, le logement, la malnutrition, nit à Amnesty International des images prouvant
la déforestation. Tous ces problèmes sont plus les attaques de villages rohingyas par les forces
faciles à traiter si l’on dispose de données plus de sécurité birmanes. En avril 2017, quand les
à jour sur notre planète. » médias ont voulu obtenir des vues de la base
« Imaginons que vous aérienne de Shayrat,
vous réveilliez dans plu­ en Syrie, avant et après
« L E V ÉRI TAB L E DANGE R E ST
sieurs années, poursuit son bombardement par
L A SURV EI L L ANCE I N TÉ GRÉ E . JE SUIS
Schingler, et découvriez l’armée américaine (en
UN QUI NQUAGÉNAI RE C ORP ULE N T ;
qu’il y a un trou dans représailles à l’attaque
DÈ S QUE J ’EN TRE DANS UN SUPERMARCHÉ ,
la forêt amazonienne. chimique d’une ville
ON COMMENCE À D IFF USE R DE L A
Que se serait­il passé si tenue par les rebelles),
P UB L I CI TÉ P OUR L E S C ROIS SAN T S. »
nous avions pu fournir ils savaient à qui
cette information plus s’adresser. Des presta­
TONY P ORTER,
rapidement au gouver­ tions effectuées à titre
D I R E C T E U R D E L A V I D É O S U RV E I L L A N C E
nement brésilien ? » AU ROYAU M E - U N I gracieux.
L’idée de départ était Planet a aussi des
de concevoir un satel­ clients payants, dont
lite relativement bon marché, puis de « lancer Orbital Insight, une société d’analyse géospatiale
la plus vaste flotte de satellites de l’histoire de de la Silicon Valley qui interprète les données des
l’humanité », m’explique Will Marshall. Au point images satellitaires. Les visuels fournis par Planet
que l’entreprise pourrait observer au quotidien permettent à Orbital Insight de suivre l’évolution
les modifications intervenant sur la totalité de de la construction de routes ou d’immeubles en
la surface de la planète. Amérique du Sud, l’expansion de plantations illé­
Le duo a lancé ses premiers satellites en 2013. gales de palmiers à huile en Afrique ou les rende­
Les images obtenues offraient un aperçu bien plus ments agricoles en Asie.
dynamique de la vie sur la Terre que les images de Dans la salle de conférences d’Orbital Insight,
cartographie planétaire disponibles jusqu’alors. James Crawford, le directeur général, ouvre
« Ce qui nous a le plus surpris, c’est que presque son ordinateur portable. Il me montre une vue
toutes les images montraient comment la Terre aérienne de réservoirs de pétrole chinois, dont les
changeait, se rappelle Will Marshall. Des champs couvercles flottants laissent deviner qu’ils sont
étaient remodelés. Des cours d’eau déplacés. Des environ aux trois quarts pleins. « Les fonds spé­
arbres abattus. Des immeubles érigés. » culatifs, les banques et les compagnies pétrolières
« Voir tout ceci modifie entièrement notre savent ce qu’il y a dans leurs propres réservoirs,
vision d’une planète statique, ajoute Marshall. dit James Crawford avec un sourire malin, mais
Au lieu de disposer d’un simple chiffre sur la pas dans ceux des autres. (suite page 54)

tous su rvei llé s 51


SURVEILLER
L’ATMOSPHÈRE

Ces minuscules drones


de la marine américaine
(de simples circuits
imprimés aérodyna­
miques) ont été conçus
pour être transportés
en altitude, puis lâchés
en nuées. Ils pourraient
avoir de nombreuses
utilisations : surveiller
les ouragans ou bien
guider des agriculteurs
qui sèment un champ.
MARK THIESSEN, ÉQUIPE DU NGM
SURVEILLER
Sur le cliché de droite, pris en exposition
longue, un avion du Service des forêts des
États-Unis tourne au-dessus d’un incendie,
près du lac Isabella, dans la forêt nationale
des Séquoias, en Californie. Il prend des
LES INCENDIES
photographies (ci-dessous) avec un scanner
thermique à infrarouge. Superposées à des
cartes (en bas), ces données précisent le périmètre exact du feu.
Les pompiers peuvent alors mieux planifier leur intervention.
DANS LE SENS DES AIGUILLES D’UNE MONTRE, À PARTIR DE LA DROITE : STUART PALLEY ; SERVICE DES
FORÊTS DES ÉTATS-UNIS, NATIONAL INFRARED OPERATIONS (LES DEUX)

(suite de la page 51) C’est pourquoi la résolu- malveillantes. Elle ne permet pas non plus à ses
tion temporelle [délai entre chaque prise de vue clients de revendiquer un droit de propriété exclu-
d’un même lieu] est capitale. » sif sur les images qu’ils achètent.
L’équipe commerciale de Planet passe ses jour- Une autre restriction importante est d’ordre
nées à regarder des clichés en se demandant qui technologique. La surveillance du monde exercée
ils pourraient intéresser. Une compagnie d’assu- par Planet à une résolution de 3 m est suffisante
rances désireuse d’évaluer les dégâts aux maisons pour discerner le contour pixellisé d’un camion,
à la suite d’inondations dans le Midwest américain, mais pas les formes d’un être humain. C’est une
par exemple. Ou un scientifique recherchant des autre société d’imagerie satellitaire, DigitalGlobe,
traces d’érosion dans les glaciers de Norvège. Mais qui offre la meilleure résolution disponible sur
que se passerait-il si un dictateur voulait pour- le marché, avec 30 cm.
chasser une armée mobile de dissidents ? Mais, pour le moment, seule Planet est capable
C’est là que les principes éthiques de Planet de fournir des images quotidiennes de toute la
entreraient en jeu, car l’entreprise pourrait refu- surface terrestre. « Pour prendre une métaphore,
ser de travailler avec un client aux motivations c’est comme si nous avions couru le 100 m en

54 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
moins de dix secondes, résume Will Marshall. faudrait un appareil de la taille d’un autobus. » De
Sauf que savoir que c’est possible ne rend pas toute façon, ajoute-t-il, si une entreprise améri-

P
la chose plus facile à accomplir pour autant. » caine cherchait à le faire, la réglementation fédé-
rale lui mettrait de sérieux bâtons dans les roues.
lanet restera l’entreprise ayant Mais la réglementation peut évoluer. Tout
ouvert la voie. d’autres suivront, comme les limites de la technologie. Il y a deux
un jour. Comment exploiteront-elles ans à peine, le propriétaire du plus grand nombre
alors la capacité de voir une aussi grande de satellites en orbite (et en fonctionnement)
partie du globe, jour après jour ? Leurs était le gouvernement américain, avec environ
objectifs seront-ils aussi bienveillants 170 engins. Aujourd’hui, Planet est plus présente
que ceux de Planet ? Tenteront-elles dans le ciel que le pays le plus puissant de la Terre.
d’obtenir une photo satellitaire à plus Alors, qui sera le prochain « Biggest Brother » ?
haute résolution et, par conséquent, Par un vivifiant soir d’automne, à San Francisco,
plus invasive ? Impossible, estime Marshall : « Pour je retourne chez Planet. Une grosse dizaine de
identifier une personne à 500 km de distance, il clients doivent s’y retrouver pour montrer de

tous su rvei llé s 55


quelle façon ils utilisent l’imagerie satellitaire
– autrement dit, pour montrer ce que cela signifie
de voir le monde en train de changer. Je slalome
entre des technophiles extatiques, rassemblés en
demi-cercles autour d’écrans. Où que porte mon
regard, le monde apparaît.
Dans l’État brésilien du Pará, de vastes étendues
vert foncé de la forêt amazonienne clignotent en
SURVEILLER
LA RUE
rouge, déclenchant l’envoi automatique de cour-
riels aux propriétaires terriens : « Avertissement !
On le surnomme le
On est en train de déboiser vos terres ! » Je vois le « cinquième service de
port de Singapour grouillant d’activité. En Syrie, renseignement » du
dans Alep ravagée par la guerre, je vois tout un monde : en Chine, plus de
réseau de routes neuves – dont l’une présente 850 000 bénévoles (des
retraités munis de gilets
d’ailleurs un nouvel obstacle, peut-être un cratère
ou de brassards rouges
causé par un attentat à la bombe. officiels) sont les yeux et
Je vois des plateformes pétrolières en Sibérie : les oreilles de leurs
17 % de plus que l’an passé. C’est le signe inattendu quartiers de Beijing.
d’une croissance de la production qui pourrait Mobilisés en nombre les
jours fériés, ils aident
entraîner une sévère correction des cours sur les
à régler la circulation,
marchés internationaux du gaz et du pétrole. renseignent les visiteurs
John Goolgasian, un grand jeune homme, veut et passent voir les
me montrer comment GeoSpark Analytics, son personnes infirmes.
entreprise née il y a moins d’un an, rapproche les Mais ils sont surtout
connus pour déceler
statistiques sur la criminalité des images de
les comportements
Planet. En quelques clics, nous voici en train suspects dans la rue.
d’observer des secteurs du Nigeria tombés aux MARK LEONG

mains du groupe extrémiste Boko Haram.

J’
Quelques clics de plus, et le littoral en forme de
croissant qui apparaît est l’un de ceux où je me
suis rendu neuf ans plus tôt. C’est Mogadiscio, en en suis à réfléchir aux conséquences
Somalie, avec les récentes cicatrices des attentats de tout cela, quand une jeune femme
à la bombe meurtriers perpétrés cette semaine-là désire me montrer quelque chose sur son
par le groupe Al-Chabab. Encore quelques clics, ordinateur portable. Ancienne de l’armée
et l’image m’est encore plus familière : c’est mon de l’air, Annie Neligh dirige aujourd’hui
quartier de Washington, à quelques pâtés de le service « solutions techniques clientèle »
maisons de chez moi – précisément, là où on vient de Planet. Et l’un des clients en mal de
de signaler un cambriolage. solution est un assureur du Texas. Celui-ci
L’équipe de Planet arrête la démonstration pour pense qu’il renouvelle des polices pour des
prononcer quelques mots. Atteindre « une cadence propriétaires qui n’ont pas déclaré l’installation
quotidienne couvrant toute la surface du globe » de leur piscine, soit une perte de 40 % sur chaque
était une chose, affirme Andy Wild, le directeur contrat pour la compagnie. Celle-ci a demandé
financier, mais, maintenant, cette technologie à Planet de lui fournir les images satellitaires de
doit être « transformée en résultats » pécuniaires. certaines maisons de Plano, au Texas.
Tom Barton, le directeur général, ajoute : « J’espère Annie Neligh me montre ce qu’elle a trouvé.
que, dans un an, nous pourrons dire, ici même : Dans un quartier de 1 500 propriétés, nous distin-
“Merde alors, on a vraiment changé le monde.” » guons nettement les formes miroitantes de

56 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
520 petits plans d’eau. Un nombre qui dépasse naturelles, mais c’est aussi une arme contre nos
de beaucoup ce qu’ont déclaré les clients de la propres démons. Les gens mentent, vous savez.
compagnie d’assurances. Annie Neligh hausse L’âge de la transparence approche.
les épaules et me lance un petit sourire. « Les En regagnant mon hôtel à pied, je repense
gens mentent, vous savez », dit-elle. aux deux cyclomotoristes d’Islington. Je me
Son client connaît maintenant la vérité. Que demande s’ils ont été arrêtés. Je me demande
va-t-il faire de cette information ? Mener une s’ils étaient coupables de quoi que ce soit, hormis
attaque surprise sur les hameaux somnolents le crime d’attirer ostensiblement l’attention au
de Plano ? Augmenter les primes ? Commander milieu d’une matinée par ailleurs ennuyeuse. Je
des images où l’on verrait des ouvriers en train me demande s’ils sauront un jour que des incon-
d’installer de nouveaux jacuzzis et des toits nus invisibles les ont observés. Un inconnu pour-
de tuiles de style espagnol ? rait m’observer en ce moment même – quelqu’un,
L’avenir est déjà là et, dans cet avenir, la quelque part, plissant des yeux devant un écran
notion de vérité n’est pas seulement un guide de vidéosurveillance pour observer une silhouette
bienveillant. C’est également une arme : contre solitaire qui marche vite dans une rue sombre et
l’abattage illégal des arbres, les cambrioleurs, déserte, par une nuit froide, sans manteau,
les poseurs de bombes fous et les catastrophes comme si elle fuyait quelque chose. c

tous su rvei llé s 57


reportage

58
L’Afro-Américaine Diandra Forrest est la première
albinos recrutée par une grande agence de
mannequins. Comme de nombreux autres albinos,
elle s’est sentie ridiculisée dans son enfance.
Sa renommée lui permet désormais de combattre
les préjugés et le harcèlement.

Albinos, pour en finir


avec les persécutions
En Afrique, les personnes atteintes d’albinisme sont confrontées au mépris,
aux discriminations, voire à des agressions brutales ou meurtrières.
PORTRAIT DE FAMILLE
Trois générations d’albinos posent dans un
temple ­hindou­près­de­Delhi,­en­Inde,­où­ils­vivent.­
Rose Turai­Pullan­(au­premier­rang)­et­sa­femme,­
Mani (au­centre),­sont­entourés­de­leurs­six­enfants,­
de leur­gendre­(au fond,­deuxième­à­gauche)­et­
de ­leur ­petit-fils,­­Dharamraj­Mariappan­Devendra.
PRIVÉS DE SORTIE
Ces élèves atteints d’albinisme portent des chapeaux
et restent à l’ombre pour le thé du matin à la Lake
View School, près de Mwanza, en Tanzanie. Ayant peu
ou pas de mélanine dans la peau, les albinos sont plus
vulnérables aux rayons ultraviolets du soleil.
Par Susan Ager
Photographies de Stephanie Sinclair

Sous un ciel blanc


et maussade, l’enfant MUTILÉS
À LA MACHETTE

au visage pâle et Mwigulu Matonange avait


9 ans et Baraka Cosmas

à l’uniforme bleu en avait 5 quand ils ont


été attaqués à la

et rouge baisse
machette dans leurs
villages tanzaniens.

timidement la tête.
Grâce à l’action du Global
Medical Relief Fund,
ils ont pu bénéficier de

Il laisse ses larmes prothèses gratuites,


posées par le personnel

couler en racontant de l’hôpital Shriners, à


Philadelphie (États-Unis).

sa terrible histoire.
Emmanuel Festo a 15 ans, mais il a passé la comme lui sont craints et méprisés, y compris par
majeure partie de son existence à apprendre à leurs familles. Désormais, on les agresse. Des sor-
vivre avec ce qu’il a perdu une nuit, en Tanzanie, ciers réclament des parties de leurs corps pour en
quand il en avait 6. Quatre hommes armés de faire des potions, des poudres ou des charmes
machettes lui ont tranché quasiment tout le bras censés apporter richesse et succès.
gauche, presque tous les doigts de la main droite, L’ONG Under the Same Sun (« Sous le même
une partie de la mâchoire, et lui ont arraché quatre soleil »), qui lutte contre la discrimination tou-
dents de devant, dans l’intention de tout vendre. chant les albinos, conserve ces horribles récits.
Aujourd’hui, « Emma », comme on l’appelle, est Depuis les années 1990, dans 27 pays d’Afrique,
l’un des meilleurs élèves de son internat privé. au moins 190 personnes atteintes d’albinisme ont
Bien qu’il bégaie, il est fort et en bonne santé, et été tuées et 300 attaquées, la plupart depuis 2008.
il a des amis. C’est aussi un artiste : il dessine des L’épicentre de cette vague criminelle, qui inclut
joueurs de football, Spider-Man et, pour moi, une l’exhumation de cadavres, est la Tanzanie.
carte détaillée de son pays en utilisant sa joue, son Il y a une dizaine d’années, les autorités du pays
menton et une épaule pour diriger les feutres. ont mis à l’abri nombre de jeunes albinos dans des
Emma est né avec l’albinisme, une maladie écoles rudimentaires destinées aux aveugles et
génétique héritée de ses parents à la peau sombre. aux handicapés. Beaucoup y végètent encore dans
Sa peau est blanc ivoire, ses cheveux rasés de près des conditions sordides. Jusqu’en 2012, Emma
sont orange pâle et sa vue est faible. Depuis long- partageait un lit superposé avec trois autres
temps, en Afrique subsaharienne, des individus garçons dans l’un de ces centres publics.

64 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
Emma me dit qu’il adore sa nouvelle école, près libéré !, s’écrit-elle. Il est revenu au village. » Elle
de Mwanza, où il a un lit superposé pour lui tout ajoute : « Le juge a dit que je ne pouvais pas l’iden-
seul. Quand je l’interroge sur ses problèmes actuels, tifier [ndlr : à cause de sa vue défaillante]. Mais cet
il fait cet aveu : « Aller aux toilettes. Mon ami homme a vécu près de chez moi pendant plus de
m’aide, mais parfois il ne me donne pas de papier, dix ans. Je pouvais l’identifier sans problème. »
ou juste un petit morceau, et ça ne suffit pas. » Mariamu Staford dépend d’une jeune fille qui
À 800 km de là, à Dar es-Salaam, la plus grande rend la monnaie aux clients et d’une aide-soignante
ville de Tanzanie, Mariamu Staford comprend ce à plein temps qui la nourrit, l’habille, la déshabille
à quoi Emma est confronté. Elle a perdu ses deux et la lave d’une manière que la majorité des gens
bras à 25 ans. Elle a 33 ans aujourd’hui et vend de préféreraient éviter. Par d’autres aspects, elle est
l’eau et des boissons sans alcool dans une échoppe. indépendante : elle peut lire la Bible en faisant
Son visage rond arbore un large sourire, les ongles tourner les pages avec sa langue et son menton.
de ses orteils sont vernis, et toute sa personne Comme beaucoup d’autres touchés par l’albi-
rayonne dans une robe verte scintillante dont les nisme, Emma et Mariamu ont peu ou pas de méla-
manches pendent mollement sur les côtés. nine (ou pigment) dans la peau, les cheveux et les
Deux de ses agresseurs ont été libérés ; un autre yeux. Ils sont vulnérables aux cancers cutanés. Ils
est mort avant le procès. Quand je demande ce qui souffrent des mêmes difficultés : des railleries
est arrivé au quatrième – un ancien voisin –, elle cruelles, une vue limitée et une sensibilité
ferme les yeux et plisse son visage comme si elle extrême au soleil. Mais Emma et Mariamu vivent
finissait une excellente plaisanterie. « Ils l’ont tous deux dans une région où la croyance dans les

albi no s 65
esprits et les sortilèges est commune, l’éducation
lacunaire, la pauvreté endémique et l’albinisme Les mécanismes
largement incompris. Des hommes accusent leurs
femmes d’avoir couché avec des Blancs ; des de la mélanine
parents prennent leurs nouveau-nés pour des fan- La peau, les cheveux et la couleur
tômes ; une génération plus tôt, des infirmières des yeux des humains sont contrôlés
disaient aux jeunes mères que leur enfant avait par plusieurs gènes qui déterminent
été décoloré in utero par une maladie vénérienne. la quantité et le type de pigment
Naguère, les albinos étaient souvent tués à la nais- mélanique de chaque individu.
sance ou enterrés vivants lors de rituels tribaux. Une mutation génétique héritée peut
Bien que la plus importante famille d’albinos interférer avec ce processus,
connue vive en Inde – trois générations, sans donnant peu ou pas de mélanine,
exception –, l’albinisme est plus répandu en et augmentant le risque de brûlures
Tanzanie que dans tout autre pays. Un enfant sur solaires graves, d’ulcères et de
1 400 y naît avec la peau blanchâtre, et environ cancers cutanés. « AOC-2 », le type
1 sur 17 est porteur de la mutation génétique. Dans le plus fréquent d’albinisme,
le reste du monde, l’apparition de l’albinisme est est dû à une mutation qui diminue
très variable. En Europe et en Amérique du Nord, les quantités de mélanine.
le taux est seulement de 1 pour 20 000. Chez les
Kuna, sur l’archipel de San Blas, au large de la côte
IMPLICATIONS DE L’ALBINISME
caribéenne du Panama, l’albinisme atteint une
AOC-2, qui compte pour près de la moitié
proportion stupéfiante : 1 sur 70. Mais, là-bas, des cas d’albinisme dans le monde, est
selon les habitants, les peaux sombres et les peaux particulièrement répandu en Afrique
subsaharienne. Il est quatorze fois plus
claires vivent en bonne intelligence. fréquent en Tanzanie qu’en Europe et en
Under the Same Sun paie pour l’école d’Emma Amérique du Nord. Les Kuna, un peuple
du Panama, ont l’un des taux d’occurrence
et l’aide-soignante de Mariamu. L’ONG a été parmi les plus élevés du monde.
fondée par Peter Ash, un riche homme d’affaires
canadien albinos qui est sans doute le principal Fréquence de l’albinisme AOC-2
défenseur de la cause. Il a convaincu les Nations
unies de décréter une journée internationale
de sensibilisation à l’albinisme, le 13 juin, et de
nommer une experte sur le sujet. Celle-ci s’est
rendue en 2016 au Mozambique et au Malawi,
PEUPLE KUNA (PANAMA)
où le nombre d’agressions a explosé. 1 sur 70
Presque tout le budget de l’ONG (environ
1,2 million d’euros annuel) est géré depuis un bâti-
ment clôturé et sous bonne garde, à Dar es-Salaam.
Under the Same Sun prend en charge l’éducation
de près de 320 enfants, dans l’espoir de leur faire TANZANIENS 1 sur 1 400
accéder au marché du travail et de changer le
regard porté sur eux. Il faut dire qu’en Afrique
subsaharienne, les stéréotypes sont bien ancrés :
depuis des siècles, on y considère les albinos AFRO-AMÉRICAINS 1 sur 10 000
comme des êtres maudits, indignes de vivre – trop POPULATION MONDIALE 1 sur 40 000
malvoyants pour être scolarisés, trop sensibles
au soleil pour labourer ou pêcher, trop étranges
pour être acceptés. (suite page 70) JASON TREAT, ÉQUIPE DU NGM ; MEG ROOSEVELT
ILLUSTRATIONS : BRYAN CHRISTIE
SOURCES : MURRAY BRILLIANT, INSTITUT DE RECHERCHE
CLINIQUE ET TRANSLATIONNELLE DE L’UNIVERSITÉ DE
66 WASHINGTON ; RAYMOND BOISSY, UNIVERSITÉ DE CINCINNATI
PARTIE AGRANDIE
CI-DESSOUS

Épiderme
couche
supérieure
de la peau

Derme
Protéger la peau poil couche
du soleil inférieure
de la peau
La mélanine est le principal PEAU
pigment de la peau chez NORMALE
l’homme et tous les autres
mammifères. Lorsque
le soleil atteint l’épiderme, PEAU D’UN
ALBINOS
la mélanine recouvre les
noyaux des cellules cuta-
nées et absorbe les rayons La mélanine
ultraviolets nuisibles. absorbe la lumière
solaire

La lumière
solaire
passe sans
PIGMENT PROTECTEUR obstacle
Les mélanocytes sont des
cellules ramifiées qui produisent
la mélanine dans des organites
appelés mélanosomes. Ceux-ci
migrent dans les cellules voisines
pour les protéger.

Mélanosome
Mélanocyte

GAMME DE COULEURS
La peau humaine a deux types de
mélanine : l’eumélanine, de couleur
brun-noir, et la phéomélanine, de
couleur jaune à rouge. Le mélange
de ces deux variantes détermine
la couleur de la peau.

Eumélanine Phéomélanine

Mélanosome
standard
plus sombre

Gamme
PROBLÈME de couleurs
PIGMENTAIRE de peau
DE L’ALBINISME
Bien que les mélanocytes dans
la peau des albinos produisent
des mélanosomes, ces derniers
sont totalement dépourvus
de mélanine ou en détiennent des
quantités largement inférieures
à la moyenne.
plus claire
Mélanosome
dans un cas
d’albinisme
UN CENTRE POUR PROTÉGER LES ENFANTS
Au centre de Kabanga, en Tanzanie, Yonge Kifunga
protège ses yeux sensibles. Après une série de
meurtres d’enfants albinos en 2008, le gouvernement
a décidé d’en accueillir dans des établissements pour
jeunes aveugles et handicapés.
(suite de la page 66) Après notre rencontre
avec Emma, alors que nous cahotons sur une
route, Peter Ash me dit : « Je considère ces enfants
comme des missiles lancés sur la société pour
faire exploser la discrimination. » Plus tard, il
s’installe sur le sol ombragé d’une autre école, au
milieu de quarante élèves albinos de tous âges.
Grand, robuste et sûr de lui, Peter Ash applaudit
en les écoutant clamer leur rêve d’avenir :
« avocat ! », « infirmière ! », « président ! ». Puis, il les
adoube « ambassadeurs du changement ». Bientôt,
les enfants s’attroupent autour de lui. Aux timides,
il relève le menton : « Regarde-moi. Si tu ne crois
pas en toi, le monde ne croira pas en toi. »

Les vingt-six employés tanzaniens d’Under the


Same Sun (dont plus de la moitié sont albinos) PEAU SENSIBLE
Shamima Kassimu, 8 ans,
organisent des rencontres pour expliquer ce qu’est vit au centre de Kabanga
l’albinisme, en général dans des villages où cer- avec trois de ses frères et
tains de leurs semblables ont été agressés, tués, sœurs également albinos.
ou kidnappés et jamais retrouvés. Dans ces lieux Comme elle, certains
albinos produisent un peu
reculés, toutes sortes de conseillers, guérisseurs,
de mélanine. L’exposition
sorciers ou devins, appelés waganga en swahili, au soleil leur fait dévelop-
sont consultés pour des problèmes allant de la per des taches cutanées
vache tarie à l’épouse abstinente. Les prescrip- noires bénignes.
tions peuvent inclure des racines pulvérisées,
des infusions d’herbes ou du sang d’animal.
Des personnes avides de succès – dans le travail mais ceux qui croient aux sorciers font de meil-
ou la politique – cherchent parfois des remèdes leures prises ! » Tout le monde éclate de rire et
plus puissants. Certains waganga leur disent que opine de bon cœur. L’homme poursuit : « Les sor-
la magie dont ils ont besoin prospère chez leurs ciers nous donnent quelque chose enveloppé dans
voisins à la peau couleur de craie. Les cheveux, du tissu ou du papier. » Quelqu’un dessine en l’air
les os, les organes génitaux ou les pouces des la forme d’un cigare. La chose peut coûter jusqu’à
albinos auraient des pouvoirs spécifiques. Séchés, 100 000 shillings tanzaniens – près de 40 euros –
pilés et empaquetés ou répandus en mer, ces mor- et est enchâssée dans le bateau. Je demande ce
ceaux d’humains nés blancs sur un continent à la que contient le paquet. Un homme de haute taille,
peau noire sont réputés gonfler un filet de pêche, plus âgé, répond : « Nous n’osons pas regarder. »
révéler la présence d’or dans un terrain ou faire Je dis : « J’ai entendu dire que certaines parties du
gagner des voix à un politicien. corps des albinos sont parfois utilisées pour ces
Sur la rocailleuse rive sud du lac Victoria, à charmes. » Tous froncent les sourcils avant même
Mwanza, des hommes et des garçons flânent que mon interprète ait achevé la traduction. L’un
autour de leurs pirogues grossièrement équarries. d’eux finit par lancer : « Ici, personne ne fait ça.
Quand je leur demande ce qu’ils font pour aug- C’est dans les mines qu’ils font ça. »
menter leurs chances de prendre du poisson, l’un Comment ces parties corporelles ont-elles acquis
des pêcheurs m’explique en swahili : « Nous ne leur réputation mystérieuse ? Nul ne le sait préci-
pouvons pas aller sur le lac sans une forme de sément, mais des chercheurs en situent l’usage
conseil ou de protection. Certains croient en Dieu, comme marchandise vers le début du xxe siècle,

70 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
quand les petits agriculteurs ont pensé que la La procureure tanzanienne Beatrice Mpembo
pêche ou l’extraction de l’or offraient davantage rappelle que, depuis 2007, seules vingt et une per-
d’opportunités, mais comportaient plus de risques. sonnes ont été condamnées pour le meurtre
Les agressions d’albinos – traités, entre autres, d’albinos, dans à peine six affaires. Pour la magis-
d’« argent ambulant » – impliquent souvent un trate, ce chiffre s’explique par le manque de coopé-
membre de la famille. La mère d’un enfant de 4 ans, ration des familles. Peter Ash précise qu’à peine
aujourd’hui en sécurité dans une école après que 5 % des individus arrêtés sont condamnés. Et per-
des motocyclistes ont essayé de le kidnapper sonne n’a jamais fourni les noms des instigateurs
devant sa maison, se plaint : « Je ne peux même de ces violences : les riches clients des waganga.
pas faire confiance aux membres de ma famille car
ils sont prêts à tout quand ils ont besoin d’argent. » Après avoir été pasteur, Peter Ash s’est associé
Peter Ash tente une analogie : « C’est comme si avec son frère, qui est aussi albinos. Parce qu’il
vous aviez un chien malade dans votre arrière- est considéré comme aveugle par la loi, de même
cour et que votre voisin vous offrait 1 million que la plupart de ceux qui sont atteints d’al-
d’euros pour vous en débarrasser. C’est ainsi que binisme, l’homme d’affaires emploie un chauffeur
certains parents considèrent leurs enfants à plein temps qui le conduit dans une BMW noire
albinos. Un bras peut rapporter à un sorcier dernier cri. Peter Ash porte des lunettes teintées
jusqu’à 4 000 euros. Le père en obtient 400 ou 800. à 750 euros, dont le verre gauche – son « œil
C’est beaucoup d’argent. » En Tanzanie, le salaire voyant », comme il l’appelle – est muni d’une
annuel moyen est d’environ 2 500 euros. loupe qui grossit six fois. En (suite page 74)

albi no s 71
PROBLÈMES DE VUE
Au centre de Kabanga, Melas Luge, 10 ans, Zawia,
11 ans, et Shamima Kassimu – toutes sœurs – doivent
approcher les objets très près de leurs yeux pour
les voir. Les albinos ont une vue défaillante, souvent
peu améliorée par le port de lunettes.
(suite de la page 71) 2008, à 43 ans, il avait
accumulé assez d’argent pour pouvoir utiliser le
surplus à bon escient. Un soir, après avoir tapé
« albinos Afrique » sur Google, il fut horrifié par
ce qu’il lut et fut incapable de trouver le sommeil.
À l’aube, il découvrit les reportages de Vicky
Ntetema, une journaliste tanzanienne qui diri-
geait alors le bureau de la BBC dans son pays natal.
Alertée des agressions, y compris du meurtre
du fils de 18 mois d’un instituteur, Vicky Ntetema
décida de se faire passer pour une femme d’affai-
res. Elle rendit visite à deux guérisseurs tradition-
nels et à dix sorciers dont les huttes aux toits de DE LA CRÈME
chaume, coiffés d’« antennes » constituées de SOLAIRE CONTRE
bâtons et de cauris, ponctuent le paysage rural. LES CANCERS
« Deux ont été très clairs : “Nous tuons.” Et ils À la Lake View School,
m’ont promis que, si je leur donnais une avance, Rehema Hajji, 9 ans,
applique de la crème
ils me fourniraient des bouts de corps », se rap- solaire à sa sœur cadette,
pelle-t-elle. Chaque bout, y compris les cheveux, Fatuma, 5 ans, avant de
devait lui coûter près de 1 700 euros. sortir au soleil. Des ONG
À sa grande surprise, ses reportages fâchèrent distribuent gratuitement
les Tanzaniens. Des sorciers la menacèrent de ces produits de
protection. En Tanzanie,
mort par textos. Des concitoyens s’interrogèrent de nombreux albinos
sur son patriotisme. Des membres du gouverne- meurent d’un cancer de
ment demandèrent pourquoi elle se focalisait sur la peau avant 40 ans.
la Tanzanie, alors que cela se produisait aussi ail-
leurs ? Pour sa sécurité, la BBC lui offrit un refuge
hors du pays. Peter Ash la retrouva et l’écouta le Global Medical Relief Fund, un petit organisme
parler au téléphone pendant des heures. à but non lucratif, organisait pour lui, Emma et
À l’époque, il ne savait pas situer la Tanzanie trois autres jeunes tanzaniens albinos la pose de
sur une carte du monde. Le Canadien n’avait pas prothèses à l’hôpital Shriners de Philadelphie.
voyagé plus loin que l’Europe. Jamais il n’avait Aujourd’hui, dans le hall d’un hôtel de
porté son albinisme en étendard. Mais, dit-il, Dar es-Salaam, Baraka dessine dans mon carnet
« j’avais une réponse à la question sur ce que de notes et serre l’ours en peluche que je lui ai
j’allais désormais faire de ma vie ». Le lendemain apporté avec son moignon de bras. Comme Emma,
matin, il réservait un vol pour l’Afrique. Baraka s’est débarrassé de sa prothèse, devenue
Vicky Ntetema dirige aujourd’hui l’équipe trop petite. Lui et l’une de ses sœurs albinos sont
tanzanienne d’Under the Same Sun. Elle connaît scolarisés grâce à Under the Same Sun.
presque tous les enfants par leurs noms et peut Il a vu sa mère à plusieurs reprises, mais dit
raconter leurs histoires. L’un des derniers arrivés en se renfrognant : « Mon papa est en prison. »
est Baraka Cosmas, un tout petit garçon de 6 ans Son père et un guérisseur sont accusés de l’agres-
dont le cœur tendre dément le visage grave. Sa sion. Néanmoins, Baraka est heureux et affirme
main droite a été tranchée un an plus tôt : « J’ai vu qu’il reçoit plus de baisers dans son école qu’il
le sang voler partout dans la pièce, avait-il raconté n’en a jamais reçu dans son village.
à Vicky Ntetema après cette attaque. J’ai appelé Ce soir-là, Peter Ash organise un banquet pour
mon papa, mais il n’est pas venu. » J’ai rencontré une dizaine de collégiens qui ont obtenu leur
Baraka pour la première fois en 2015, alors que diplôme et trouvé un travail grâce à une employée

74 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
de l’ONG, Godliver Gordian. Cette jeune femme Je rencontre Jeff Luande à l’institut du cancer
pleine d’entrain a su convaincre des employeurs, Ocean Road de Dar es-Salaam. Ce médecin, consi-
malgré les réticences de certains : « Ce sont des déré en Tanzanie comme le plus grand expert des
fantômes, des chiens blancs, des singes blancs, cancers de la peau chez les albinos, a découvert,
ils sont maudits. S’ils entrent dans mon entreprise, en 1990, que 12 % seulement des albinos de la
elle aussi pourrait être maudite. » métropole vivaient jusqu’à 40 ans. Le plus grand
Je rencontre une guichetière de banque, un tueur : le carcinome à cellules squameuses, faci-
journaliste, un technicien de laboratoire et un lement soigné s’il est traité à temps.
acteur de 23 ans qui était, en 2013, la vedette du Jeff Luande me conduit dans une salle où
film White Shadow – le récit d’un garçon chassé six hommes, dont deux albinos, reposent sur des
par des trafiquants d’organes. Hamisi Bazili me lits avec leurs vêtements de tous les jours. Saidi
dit que sa mère albinos est morte d’un cancer de Iddi Magera déroule avec précaution la bande de
la peau après la sortie du film. Elle avait 44 ans. gaze qui lui entoure la tête, révélant un trou à vif
dans son cou, sous l’oreille gauche, assez gros
Pour les albinos africains, c’est là un sort banal. pour laisser passer le poing d’un enfant. Le sang
Ce n’est que très récemment que les ONG se sont s’écoule sur son pantalon kaki au pli impeccable.
mises à prôner la protection solaire, en distribuant Le mal est très avancé, me confie le médecin. Saidi
gratuitement des crèmes – une marchandise rare Iddi Magera se morfond sur son lit depuis neuf
et onéreuse, à plus de 20 euros le tube – et des semaines en attendant qu’une séance de radio-
casquettes qui protègent la nuque. thérapie soit disponible. (suite page 78)

albi no s 75
AU PANAMA, UN SORT PLUS ENVIABLE
Recalina et Eralina Hernandez, deux sœurs de 28 et
de 26 ans appartenant au peuple Kuna, vivent au
Panama, sur l’archipel de San Blas. La pathologie y étant
fréquente et souvent considérée comme un don de
Dieu, les albinos locaux ne sont pas ou peu discriminés.
(suite de la page 75) À l’autre bout de la
salle, Msuya Musa reste allongé en attendant
qu’un bienfaiteur lui donne les 15 euros dont il a
besoin pour rentrer chez lui après un nouveau
traitement. Son cancer, vieux de trois ans, a rongé
une partie de son oreille gauche, et la base de son
cou n’est plus qu’une tache rouge. Aucun de ces
hommes, tous deux dans la quarantaine, ne sur-
vivra longtemps, me dit Jeff Luande.
Les enfants parrainés par Under the Same Sun
sont très disciplinés quand ils doivent s’enduire
de crème solaire : ils n’oublient ni l’arrière de leurs
oreilles ni les espaces entre les doigts. Mais, pour
eux, le soleil reste une malédiction quotidienne.
L’ONG de Peter Ash équipe ses élèves de lunettes
de soleil dès qu’ils sortent ; d’autres réalisent des COMBATTRE
tests de vision et distribuent des lunettes qui L’OSTRACISME
Dharamraj, 6 ans, joue
aident les écoliers à lire sur les tableaux noirs. au cricket à l’extérieur
Dans la majeure partie du monde, les albinos de la maison de ses
sont confrontés aux moqueries et aux vilenies des grands-parents, à Delhi.
autres écoliers, mais ils sont assez nombreux à Il est surveillé par sa tante,
travailler, et à fonder une famille. Récemment, Pooja, et son oncle, Ram
Kishan. Tous espèrent
dans certains secteurs d’activités, le physique des que les albinos vivront
albinos est devenu un atout. un jour dans un monde
Prenons l’exemple du musicien Aaron plus tolérant et ouvert.
Nordstrom, 35 ans, chanteur du groupe de metal
Gemini Syndrome, basé à Los Angeles.
« En quatrième, quand je me teignais les che- préjugés. Dans le même temps, des mannequins
veux en blond vénitien, j’avais l’air d’un Irlandais albinos commencent à se faire un nom auprès
à la sale mine. Je me maquillais même les sourcils des marques de mode internationales. Diandra
avec un crayon, me confie-t-il en gloussant, mais Forrest, une Afro-Américaine née dans le Bronx,
aussi en essuyant des larmes. Je passais ma vie à à New York, est la première albinos à avoir rejoint
essayer de me fondre dans le paysage. J’étais en une grande agence de mannequins. Sa confiance,
colère et dépressif ; sous traitement dès 12 ou dit-elle, « était en train de se bâtir, après tant
13 ans. » Huit semaines après son entrée au lycée, d’années à souffrir de moqueries et d’incompré-
Aaron Nordstrom a fait une tentative de suicide. hension ». Aujourd’hui âgée de 28 ans, elle dit
Jouer du piano et de la guitare dans des groupes qu’elle ne voudrait pour rien au monde changer
de rock lui a offert un exutoire. Il a commencé à sa beauté éthérée : « Cela ne me gêne plus d’être
écrire sa propre musique, et les applaudissements le mannequin albinos, parce qu’au moins les gens
du public lui ont donné confiance. Aujourd’hui, savent ce qu’est l’albinisme. »
il porte des dreadlocks et une barbe touffue. « Sur En Tanzanie, plusieurs personnes atteintes
scène, tout le monde est en noir, sauf moi. Je porte d’albinisme font partie de l’élite, y compris un
du blanc. » Il n’a pas besoin de maquillage pour se couple de parlementaires et Abdallah Possi qui,
distinguer. « C’est un don de Dieu. » en 2015, à l’âge de 36 ans, a été nommé secrétaire
En 2016, le Kenya a accueilli le premier d’État – le premier albinos à ce rang. Il fut aussi
concours de beauté pour les personnes atteintes le premier avocat albinos du pays et occupe
d’albinisme, dans le but de combattre les actuellement un poste d’ambassadeur.

78 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
Acquilina Sami, 28 ans, m’accueille chez elle, dans d’Under the Same Sun lui a permis d’obtenir un
un appartement à la périphérie de Dar es-Salaam, diplôme en gestion d’entreprise. Aujourd’hui,
deux pièces en béton aux fenêtres munies de bar- Acquilina est professeure à l’Institut du travail
reaux, avec un rideau de dentelle à la porte et un social (ISW), en arpente les salles de classe, fait
crucifix au mur. Grande et douloureusement participer ses élèves, discourt sans notes et utilise
mince, elle a de grands yeux noisette et un large rarement le tableau noir.
front. Son histoire commence ainsi : « Mon père « La plupart des élèves sont d’abord étonnés,
est parti quand j’avais 1 semaine. » Il accusait sa raconte-t-elle. Je leur parle un peu de moi ; je leur
mère d’être responsable de la couleur de peau du explique le b.a.-ba de l’albinisme. Et ils finissent
bébé et de son frère aîné. « Il ne voulait pas nous par m’apprécier. » Elle poursuit : « Enseigner est
voir. Il disait : “Ce ne sont pas des êtres humains.” » le travail dont je rêvais, mon bonheur : faire passer
Elle s’estime chanceuse qu’il n’ait rien fait de quelqu’un d’une étape à l’autre. »
pire. « Dans notre culture, les enfants nés ainsi Acquilina Sami pense que l’ostracisme qui
sont vite jetés dans le lac pour qu’on ne les voit touche les gens atteints d’albinisme diminue, bien
pas. Oui, opine-t-elle, c’est un fait connu. » qu’elle-même continue de rencontrer chaque jour
Une Hollandaise qui employait la mère des étrangers qui la regardent fixement en ayant
d’Acquilina Sami a payé la scolarité de l’enfant des pensées impossibles pour elle à déchiffrer.
dans une école privée. Acquilina voulait être ingé- Son objectif dans la vie est simple, mais reste
nieure, avant de réaliser qu’elle aurait affaire à des difficile à atteindre en Tanzanie : cela s’appelle
chiffres et à des symboles minuscules. Une bourse la « tranquillité d’esprit ». c

79
sur le vif

Dans la
banlieue chic
de Kaboul
En périphérie de la capitale afghane, les habitants
d’un quartier résidentiel moderne espèrent pouvoir
vivre hors de portée de la guerre.

À Kaboul, ceux qui en ont les moyens, telles


les familles de Samim Sediki (à gauche)
et de son ami Ikbal, déménagent dans le
quartier résidentiel de Qasaba. La vie y est
plus facile et plus sûre qu’en centre-ville,
menacé par les attaques des talibans.
81
PA R S U N E E N G E L R A S M U S S E N
P H O T O G R A P H I E S D ’ A N D R E W Q U I LT Y

L
e vendredi, les habitants de la rési-
dence Khwaja Rawash, en périphérie
de Kaboul, montent sur les toits pour ASIE

lancer leurs cerfs-volants. Mais, lors AFRIQUE Kaboul


d’un récent après-midi, ils ont AFGHANISTAN

assisté à un sinistre spectacle : des panaches de


fumée blanche s’élevant vers le ciel. Les talibans
avaient tiré au mortier sur l’aéroport voisin depuis
les montagnes situées au nord de la ville. EAU ET CHAUFFAGE
La résidence Khwaja Rawash, dans le quartier Dans la chambre de ses
de Qasaba, a ouvert ses portes en 2017. Elle abrite parents, Archid, 10 ans,
joue sur le smartphone
environ 9 000 locataires de la classe moyenne de son père. Trois
afghane. Celle-ci se développe depuis 2001 (date générations partagent
du début de l’intervention militaire conduite l’appartement, situé au
par les États-Unis), grâce à l’aide étrangère et aux cinquième étage, avec
contrats avec l’armée. Pour de nombreux habi- chauffage central et eau
courante – un luxe, dans
tants de la résidence, il s’agit d’une question de une ville où plus des
sécurité : depuis le départ des troupes étrangères, deux tiers des habitants
en 2015, les insurgés talibans menacent de plus ne disposent que des
en plus le centre-ville de Kaboul. équipements minimaux.
De plus, les nouveaux appartements possèdent
l’eau courante et le chauffage central, au contraire
des taudis qui, partout en ville, ne sont équipés
que de poêles à bois polluants. À Qasaba, les
femmes peuvent marcher librement dehors, et d’Aimal dans le bâtiment. Khalida fait la cuisine,
bavarder en mangeant une glace – un signe qu’il le ménage et la vaisselle, et emmène les enfants
règne là tranquillité et ouverture d’esprit. au terrain de jeux. Aimal, qui a renoncé à chercher
Abdoul Kabir Ziarkach me salue au seuil de son du travail, passe une grande partie de sa journée
appartement. Ancien communiste, ce retraité à jouer à des jeux vidéo avec les garçons.
de 71 ans a travaillé pendant quarante ans comme Des canapés en similicuir noir et argent trônent
météorologue pour l’État. Deux autres généra- dans le salon, où Ziarkach fume de minces ciga-
tions vivent là avec Ziarkach et son épouse, rettes en regardant une comédie policière indienne
Parwin : leur plus jeune fils, Aimal, et leur belle- à la télévision. Il se souvient des années 1960
fille, Khalida, tous deux âgés de 34 ans, ainsi et 1970, période de stabilité relative et de réforme
que les deux fils du jeune couple. démocratique en Afghanistan. « Ce n’était rien de
Aimal et Khalida se sont rencontrés à l’univer- moins que Paris », affirme-t-il. « Notre pays est
sité, où ils étudiaient l’informatique. À la différence détruit, ajoute Parwin. Mais nous faisons de notre
de la plupart des hommes de sa génération, Aimal mieux pour créer une bonne ambiance à la
permet à son épouse de travailler. Khalida enseigne maison. » Dans leur chambre, Archid, 10 ans, et
dans une école professionnelle pour jeunes filles. Rachid, 8 ans, dorment dans des draps Mickey. Des
Elle est devenue le soutien de famille depuis que autocollants Marvel ornent les murs. Une cage
le financement américain a cessé pour l’emploi avec deux canaris repose sur la table de chevet.

82 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8 CARTES DU NGM
L’architecture de Kaboul retrace son histoire. bourrées d’explosifs, qui semblent de plus en plus
La ville s’étend à partir de son centre ancien et chao­ puissants à mesure que les étrangers se replient
tique en un lacis de rues poussiéreuses, entre des plus loin derrière des murs pare­souffle.
enceintes rectangulaires fortifiées, tandis que les Le quartier diplomatique ultrasécurisé a plus
taudis s’agrippent à flanc de colline. La population que doublé de superficie, et une nouvelle zone à
a triplé entre 2001 et 2015, dépassant 4,5 millions circulation restreinte englobera bientôt l’essen­
d’habitants. Le centre­ville, truffé d’ambassades, tiel du reste du centre­ville et l’aéroport. Les
de quartiers généraux de l’armée et de ministères monuments comme le palais présidentiel sont
fortement gardés, est devenu quasi « inhabitable », largement inaccessibles pour l’Afghan lambda.
hormis pour une élite, assure Jolyon Leslie, un L’escalade dans la guerre entre les talibans et
architecte qui travaille en Afghanistan depuis 1989. le gouvernement soutenu par les Occidentaux
Des décennies de conflits et de techniques pourrait menacer la tranquillité de Qasaba. Les
de guerre changeantes ont façonné Kaboul. Les « mikrorayons », des projets immobiliers analo­
quartiers ne sont plus seulement la cible de tirs gues à Khwaja Rawash et qui incarnent l’époque
de roquettes extérieurs. La guerre est devenue de révolue du soutien soviétique au régime commu­
plus en plus « véhiculée », observe Leslie – depuis niste, sont devenus la cible de factions armées lors
les blindés de l’Otan forçant leur chemin à travers de la guerre civile des années 1990. Qasaba reste
le centre­ville jusqu’aux voitures des kamikazes, « très vulnérable », estime Leslie. c

Kabou l 83
ENFANTS MALGRÉ TOUT Suliman (ci-dessus, en pantalon gris) et ses frères et sœurs jouent au-dehors
de leur résidence. Les rapts se multiplient dans le centre de Kaboul. Qasaba est plus sûr, et les parents
laissent les enfants s’y promener plus librement. Des jeunes filles d’un village voisin (ci-dessous) y achètent
des glaces grâce à l’argent gagné en revendant des bouteilles en plastique à recycler.
TOUS ENSEMBLE Archid est le premier à s’installer dans la salle à manger (ci-dessus), tandis que son
père, Aimal, et sa grand-mère, Parwin, préparent un somptueux déjeuner. Le vendredi et les jours fériés, les
familles afghanes se réunissent autour de grands repas. Des garçons et des filles se rassemblent (ci-dessous)
devant l’une des deux écoles qui desservent les quelque 9 000 habitants de la résidence Khwaja Rawash.
en images

Bébés robots pour


parents à l’essai
« Un bébé ? Réfléchis bien ! » En Colombie, pour décourager
les grossesses précoces, des collégiens passent deux jours
complets avec de faux nouveau-nés animés.
À 3 heures du matin, Sara Gómez
(13 ans) prend soin de son bébé robot
chez elle, à Guamal. Conçus pour imiter
le comportement de nouveau-nés
de 1 mois, ces « bébés » permettent de
sensibiliser les adolescents aux
servitudes de la condition parentale.

87
PA R DAV I D B R I N D L E Y cours de la dernière décennie, cette région reste

I
à la traîne par rapport aux autres. En Colombie,
P H OTO G R A P H I E S D E C H R I S T I A N R O D R I G U E Z
une mère sur cinq a entre 15 et 19 ans ; les filles
l est plus de 6 heures du matin, et Jefrin issues de milieux ruraux défavorisés sont les plus
Bayona sait déjà qu’il va arriver en retard exposées aux risques de grossesse précoce.
à l’école. « J’ai à peine dormi cette nuit, Ce qui nous ramène dans les classes du collège
dit le collégien de 15 ans. Le bébé m’a public de la petite ville de Tame. Le programme
réveillé à 22 heures, à minuit et à auquel prennent part Jefrin, Alexandra et cent
4 heures. » Ici, dans les plaines rurales du nord- de leurs camarades de troisième – avec l’accord
est de la Colombie, les cours commencent tôt. de leurs parents – vise à prévenir ces grossesses.
Jefrin se passe la main sur le visage. Estiven, son En plus de l’exercice de deux jours en compagnie
fils, se tient, sans mot dire, dans un porte-bébé. du pseudo-bébé, les élèves suivent trente heures
Heureusement pour Jefrin, sa première initia- de cours, allant de l’utilisation des contraceptifs
tion à la paternité se termine aujourd’hui. Il par- à la gestion d’un budget familial, en passant par
ticipe à un programme scolaire visant à prévenir les rôles et stéréotypes de genre, et les violences
les grossesses à l’adolescence. domestiques. Les élèves doivent
Estiven est en fait un robot imitant passer un examen final sur ces
AMÉRIQUE
le comportement d’un nouveau-né DU NORD sujets, et rédiger une composition
de 1 mois, lequel exige beaucoup ou réaliser une vidéo sur leur expé-
COLOMBIE
d’attention : il pleure à intervalles rience avec les « bébés ».
réguliers, de jour comme de nuit, ce OCÉAN AMÉRIQUE « L’éducation sexuelle et l’entraî-
PACIFIQUE DU SUD
qui oblige ses « parents » à le nourrir, nement avec un faux bébé sont tous
à lui faire faire son rot et à changer les deux importants ; ils se ren-
ses couches. Leurs réactions sont forcent mutuellement, estime
observées et enregistrées, et de leur Camilla Guzmán, directrice du pro-
rapidité dépend la note des collégiens. Un robot gramme ¿ Bebé ? ¡ Piénsalo Bien ! (« Un bébé ?
laissé sans soins pendant trop longtemps s’étein- Réfléchis bien ! ») en Colombie. L’objectif n’est pas
dra, négligence qui affectera la note de l’élève. d’effrayer les élèves. Nous voulons les sensibiliser
Jefrin s’est occupé du bébé pendant les aux sujets de la sexualité et de la grossesse.
48 heures qui viennent de s’écouler, et l’adoles- Ils pourront tout à fait avoir des enfants, mais
cent d’ordinaire sociable et plein d’entrain est à quand ils seront prêts. »
l’évidence exténué. Arrivé à l’école cinq minutes Les bébés robots ont été développés aux États-
après la cloche, il transmet le « bébé » à une cama- Unis il y a plus de vingt ans, et le programme a été
rade de classe, et mère désignée, Alexandra mis en œuvre dans plusieurs pays. Mais il est assez
Guerrero (15 ans), pour les deux jours suivants. onéreux et requiert de nombreux intervenants.
Chaque année, environ 17 millions d’adoles- Néanmoins, son efficacité est avérée. Dans une
centes accouchent dans le monde. Elles sont région de Colombie où plus de 1 400 élèves ont
confrontées à des risques accrus de complications participé au programme, une étude montre que
pendant leur grossesse, ainsi qu’à des difficultés le taux de grossesse précoce a baissé de 40 %.
économiques toute leur vie durant, pour elles- Au terme de la semaine que dure le programme,
mêmes et leur famille. Études et rêves de carrière Alexandra, qui envisage des études d’ingénieur à
professionnelle sont souvent compromis. l’université bien qu’elle « souhaite surtout deve-
L’Amérique latine a le troisième plus haut taux nir une actrice », est décidée à retarder sa mater-
de grossesses adolescentes du monde. Mais, alors nité. « Peut-être quand j’aurai 25 ou 26 ans et que
que le taux mondial en la matière a diminué au j’aurai fini mes études », dit-elle. c

88 n at i o n a l g e o g r a p h i c • F é v r i e r 2 0 1 8 CARTES DU NGM
PRÉVENIR LES RISQUES Des élèves de l’école Santo Domingo Savio, à Acacías, participent pendant une
semaine à un programme d’éducation sexuelle et de prévention des grossesses précoces appelé ¿ Bebé ?
¡ Piénsalo Bien ! (« Un bébé ? Réfléchis bien ! »). Ci-dessus : Martin Reina (14 ans), Danna Álvarez (13 ans) et
Andrés Felipe Rondón (13 ans) apprennent à utiliser des préservatifs. Ci-dessous : Julián David Velázquez
(13 ans) berce un bébé robot en classe. Les élèves passent 48 heures avec leur « enfant ».
RESPONSABILISER LES ADOS Ci-dessus : Danna et sa mère, Olga Alfonso, s’occupent de deux bébés
robots jumeaux. Ci-dessous : Alexandra Guerrero (15 ans) tombe de sommeil en donnant à manger au robot
prénommé Estiven. À droite : le « parent » précédent, Jefrin Bayona, veille sur Estiven pendant qu’il dîne
chez lui, à Tame. « C’est une énorme responsabilité, dit Jefrin de la paternité. Je veux avoir des enfants, mais
seulement quand je serai plus âgé et que je pourrai bien m’occuper d’eux. »
vie sauvage

Voici Figaro, le cacatoès


de Goffin qui a appris
tout seul à fabriquer
un outil avec un bout
de carton. Alors, rayez
« cervelle d’oiseau »
de votre vocabulaire
et, désormais, dites…

MALIN COMME
UN OISEAU

Fabrication d’outils
Dans une volière, en Autriche, Figaro tient l’outil qu’il a fabriqué
pour attraper une noix de cajou. Sa première invention a été d’utiliser
un morceau de bambou pour pousser un caillou hors de la volière.

92 PHOTOGRAPHIE RÉALISÉE AU LABORATOIRE GOFFIN, INSTITUT DE


RECHERCHE MESSERLI, UNIVERSITÉ DE MÉDECINE VÉTÉRINAIRE DE VIENNE
Chasse et sens de l’orientation
En Angleterre, un autour des palombes rentre ses
ailes et se faufile à grande vitesse dans des ouvertures
étroites. Des spécialistes du vol estiment que les
rapaces sont capables d’évaluer la densité des arbres
et d’adapter intuitivement leur vitesse pour trouver
un passage sans risque de s’écraser contre les troncs.
PAR VIRGINIA MORELL
PHOTOGRAPHIES DE CHARLIE HAMILTON JAMES

Gabi, 8 ans, vit à Seattle, et les corneilles


de son quartier sont ses copines. La preuve ? Facile.
La fillette dépose une boîte à bijoux sur le bar de la
cuisine, puis en soulève le couvercle. Et là : un trésor.
Chaque compartiment recèle un cadeau que les pas le rater : sur les marches de l’arrière-cour. Gabi
corneilles ont offert à Gabi. Il y a là une perle dorée, en place les restes argentés dans une boîte en plas-
un pendentif de boucle d’oreille, une vis, une tique, colle une étiquette avec la date, et met le
brique de Lego rouge, des fragments de verre colo- tout au congélateur. Un jour, Babyface lui a offert
rés ou translucides, un os de poulet, un petit cail- une tête d’oisillon mort (« Plutôt dégoûtant ! »).
lou, un cristal de quartz, et bien d’autres choses. Cet après-midi-là, la corneille lui apporte un
Bien que portant encore des traces de terre, ces cadeau plus à son goût. Gabi et son frère sont dans
cadeaux sont tous rangés avec soin, tels des objets l’arrière-cour pour garnir la mangeoire à oiseaux.
précieux, par date et catégorie. La fillette m’en fait Elle met des cacahuètes sur l’un des plateaux et
admirer deux – ses « premiers préférés » : un porte- de la nourriture pour chien sur l’autre. Parmi les
bonheur nacré en forme de cœur et un minuscule conifères volettent deux corneilles, dont Babyface,
rectangle argenté, avec le mot « BEST (meilleur) » qui tient un objet orange dans le bec. Et la voilà
gravé sur un côté. « C’est parce qu’ils m’adorent », qui se perche sur un câble, à l’aplomb de Gabi, et
assure Gabi. Un jour, espère-t-elle, les oiseaux lui laisse choir l’objet juste à ses pieds.
offriront un porte-bonheur portant le mot « Regardez ! Un jouet ! », s’écrie la fillette. Elle
« FRIEND (amie) » : « Ils savent tout ce que j’aime, ramasse un calmar miniature en caoutchouc, et
les jouets et les choses qui brillent, parce qu’ils se met à tournoyer de bonheur sur elle-même.
m’observent. Comme des espions. »
Déjà, ce matin-là, une corneille (que le frère de Échange de bons procédés
Gabi a surnommé Babyface, reconnaissable à ses À Seattle, la jeune Gabi Mann nourrit les corneilles
quelques plumes grises) lui a apporté un cadavre de son quartier. En retour, les oiseaux lui apportent
d’épinoche, et l’a déposé là où la fillette ne pouvait des cadeaux, dont un cœur en plastique iridescent.

96 CI-DESSUS : CORNEILLE PHOTOGRAPHIÉE PAR JOEL SARTORE AU CENTRE DE


RECHERCHE AVIAIRE GEORGE MIKSCH SUTTON, À BARTLESVILLE (OKLAHOMA)
Une petite danse qui n’échappera pas à Babyface Jusqu’à récemment, les oiseaux (et la plupart
sur son perchoir. « Vous voyez, s’exclame l’enfant, des mammifères) étaient considérés comme seu-
elle sait exactement ce que j’aime ! » lement capables de réagir de façon automatique
Une corneille agit-elle comme un être humain, à ce qui leur arrivait. Des expressions telles que
offrant des cadeaux à celui qu’elle trouve gentil ? « cervelle d’oiseau » ou « tête de linotte » existaient
Peut-elle prendre ce genre de décisions ? Et les dès avant que le neurologue allemand Ludwig
autres oiseaux ? Oui, répondent les spécialistes Edinger ne publie une description erronée de
des corvidés, une famille de passereaux qui, outre l’anatomie cérébrale des oiseaux, vers 1900. Selon
corbeaux et corneilles, inclut les geais et les pies. lui, les oiseaux étaient privés de néocortex, où ont
Les ressemblances entre les humains, d’autres lieu bon nombre des opérations cognitives essen-
primates et ces oiseaux ne cessent d’étonner les tielles (mémorisation, anticipation, résolution des
scientifiques qui étudient l’origine de nos capa- problèmes) dans le cerveau des mammifères.
cités intellectuelles et celles d’autres animaux. Tout au long du xxe siècle, les chercheurs en
« Les oiseaux ont suivi un itinéraire évolutif psychologie comparée ont pourtant utilisé des
différent de celui des mammifères, mais ils sont oiseaux pour étudier les capacités cognitives des
arrivés à des solutions cognitives similaires, animaux – notamment des pigeons bisets, dont
explique Nathan Emery, biologiste spécialiste de le cerveau a la taille d’une cacahuète décortiquée,
la cognition à l’université Queen Mary, à Londres. ainsi que les canaris et les diamants mandarins,
Ils offrent donc un moyen exceptionnel de au cerveau encore plus petit. Ils ont découvert
comprendre les nécessités évolutives qui sont que les pigeons, à la mémoire impressionnante,
à l’origine de certaines aptitudes mentales. » pouvaient différencier des visages humains, des

98 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
Reconnaissance sons correspondant à des couleurs, des nombres
faciale ou des formes. Il était capable de prononcer
correctement green (« vert »), yellow (« jaune »),
En 2006, John Marzluff,
biologiste à l’université de l’État wool (« laine »), walnut (« noix ») ou banana, et se
de Washington à Seattle, et l’un servaient de ses connaissances pour communi-
de ses étudiants ont enfilé des quer avec les gens. Il savait distinguer same
masques pareils à celui-ci avant (« même ») de different, pouvait compter jusqu’à
de capturer sept corneilles. Plus
huit, et comprenait le concept abstrait du zéro
de dix ans après, si quelqu’un
enfile ce masque, les corneilles – none (« aucun »), comme il disait.
du voisinage (pas seulement les Alex usait de ses talents pour répondre à Irene
sept de l’expérience) se coalisent Pepperberg, la priant de « se calmer » quand elle
pour lui crier dessus, plonger était de mauvaise humeur. À un moment où il
vers lui en piqué ou le suivre.
était soigné chez un vétérinaire et se languissait
de la maison, il lui a demandé de « rentrer chez
lui ». Alex ne manquait jamais de souhaiter une
bonne nuit à Irene, comme il le fit la veille de
sa mort : « Sois sage, à demain. Je t’aime. »
Mais la plupart des découvertes de Pepperberg
furent longtemps ignorées ou moquées, à cause
de la méconnaissance du cerveau aviaire parmi
les scientifiques. « Certains pensaient que je
truquais les tests ou qu’Alex trichait », dit-elle.
La capacité d’Alex à imiter le langage (et,
semble-t-il, à utiliser des mots anglais dans un
contexte adéquat) a toutefois fini par relancer les
recherches sur le potentiel des perroquets. Le but
expressions faciales, des lettres de l’alphabet, et est de mieux cerner les origines de l’apprentissage
même des tableaux de Monet ou de Picasso. vocal, c’est-à-dire la capacité à imiter certains sons
D’autres recherches ont révélé la remarquable déterminés. C’est un talent que les perroquets
mémoire du casse-noix d’Amérique, du geai buis- partagent avec les passereaux, les colibris, les
sonnier et de la mésange à tête noire. Par exemple, humains, les cétacés et quelques autres espèces.
un casse-noix peut ramasser plus de 30 000 pignes Ces découvertes ont conduit une équipe inter-
de pin à l’automne et les dissimuler dans des nationale à réexaminer le modèle anatomique
milliers de minuscules cachettes, dont il doit se aviaire d’Edinger, qui faisait foi depuis si long-
souvenir au cours de l’hiver. temps. Publiés en 2005, ces travaux ont révélé
que le cerveau des oiseaux possède des structures
Comment des passereaux tels que le canari, le (le pallium) proches du néocortex des mammi-
moineau et le diamant mandarin apprennent-ils fères et d’autres zones associées à l’élaboration
à chanter ? Les études entreprises sur le sujet dans d’une pensée complexe. Les chercheurs prônaient
les années 1950 ont trouvé de surprenantes simi- l’adoption d’une nouvelle nomenclature et d’une
litudes entre les chants d’oiseaux et le langage autre approche de l’anatomie cérébrale aviaire.
humain. C’est ainsi qu’Alex, un perroquet jaco, est « Les aires du cerveau sont disposées différem-
devenu célèbre. Irene Pepperberg, professeure de ment chez les oiseaux et chez les mammifères,
psychologie comparative, lui a appris à reproduire détaille Nicola Clayton, psychologue à l’université
des sons de l’anglais (mais, souligne-t-elle, elle de Cambridge, qui étudie la cognition chez les cor-
ne lui a pas appris à parler anglais). À sa mort, vidés. Le cerveau des mammifères est composé
en 2007, à 31 ans, Alex maîtrisait une centaine de de plusieurs couches, tel un (suite page 104)

oi seau x 99
L’intelligence des oiseaux
Les oiseaux sont bien plus intelligents qu’on ne l’a cru, mais pas tous de façon
égale. Les perroquets et certains corvidés (comme les geais, les corbeaux Nom vernaculaire
Nom scientifique
et les corneilles) font partie des espèces les plus sagaces. Leur cerveau
MASSE CÉRÉBRALE
antérieur, d’un gros volume par rapport à leur taille, possède une forte densité
neuronale. Ils figurent aussi parmi les animaux les plus sociables, faisant
preuve d’un comportement relationnel qu’on attendrait plutôt des primates.
CERVEAU
ANTÉRIEUR
OU PROSEN-
CÉPHALE
Pensée complexe
Le cerveau antérieur abrite nombre des structures
liées à la cognition complexe. Or plus celui-ci est
volumineux par rapport à l’ensemble du cerveau,
plus l’oiseau serait intelligent.

PA RT DU
P ROSE NC É P HAL E
DA N S L A MAS S E
C É RÉ BRAL E

Grand Corbeau
Corvus corax
90 % Perroquet jaco
14,5 g Psittacus erithacus
Grand Pic
9,2 g Dryocopus pileatus
7g

80 % 80 %
79 %
77 %
Canard colvert Buse à queue rousse
Anas platyrhynchos
Buteo jamaicensis
COMPORTEMENTS OBSERVÉS 5,7 g
70 % DANS DES GROUPES D’OISEAUX 9,6 g

65 %
63 %
60 %
Le plus inventif

Les canards et les oiseaux


Capacité d’innover très indépendants de la couvée
Les corvidés sont bien plus doués que sont moins innovateurs.
les autres oiseaux pour adopter de Ils n’ont pas besoin d’apprendre
nouveaux comportements permettant beaucoup de leurs parents,
de résoudre un problème. ou de leurs erreurs.

C LA S S E ME NT DE L’I NVE NTIV ITÉ


1 er 2e
3e
5e
e
9

Les comportements
des oiseaux
Beaucoup de comportements
sont instinctifs. Cependant, RÉSOUDRE UN PROBLÈME UTILISER DES OUTILS ÉTUDIER AUTRUI
certains oiseaux sont capables Certains oiseaux savent Certains savent se servir Des espèces apprennent en
d’apprendre et de s’adapter à pratiquer le raisonnement d’outils (naturels ou fabriqués) observant le comportement
leur environnement. et la déduction. pour résoudre un problème. de leurs congénères.

CES COMPORTEMENTS NE CONCERNENT QUE LES INDIVIDUS À L’ÉTAT SAUVAGE, SAUF POUR LE POULET DOMESTIQUE DE RACE LEGHORN.
LES OISEAUX NE SONT PAS TOUS REPRÉSENTÉS À LA MÊME ÉCHELLE.
Néocortex
(Pallium)
Densité neuronale
Localisés dans le cerveau antérieur, le pallium
et le subpallium sont responsables des fonctions Subpallium
cérébrales supérieures. Ils ont évolué de façon
différente chez les oiseaux et les mammifères. Cervelet
Le cerveau aviaire est plus petit, mais possède
une plus forte densité de neurones – les cellules
nécessaires aux processus intellectuels. Cervelet
Tronc cérébral
F ONC TI O NS
Capacité intellectuelle supérieure ; cognition
Cognition et sens de l’orientation ; Pallium
contrôle des mouvements volontaires
Processus cardiaques et respiratoires
Subpallium

D E NS I TÉ NE U RO NAL E Sapajou capucin Tronc cérébral


Neurones du pallium (en millions) par gramme de cerveau Cebus capucinus

Perroquet jaco
Grand corbeau
Pigeon biset
Sapajou capucin

0 40 80 120

Grand corbeau
Corvus corax

Grand Héron
Ardea herodias
9,3 g

63 %
Coucou gris
Cuculus canorus
Poulet
1,6 g Gallus gallus domesticus
2,5 g
Pigeon biset
Columba livia

56 % 53 % 2,2 g
Colibri
d’Anna
Calypte anna
On ne peut pas évaluer 0,2 g
la capacité d’innovation
des poulets, car la
48 %
domestication altère
le comportement.
43 %

4e
6e 8e 7e

APPRENTISSAGE VOCAL SOCIALISATION MÉMORISATION JEU


Des espèces apprennent des Chez certaines espèces, des Des oiseaux sont capables L’affrontement ludique et
vocalises qui leur serviront relations sociales complexes de se souvenir d’autres formes de jeu sont
dans les rapports sociaux. existent au sein des groupes. d’expériences passées. pratiqués par certains oiseaux.

MONICA SERRANO, ÉQUIPE DU NGM ; MESA SCHUMACHER


SOURCES : ANDREW IWANIUK, UNIVERSITÉ DE LETHBRIDGE, CANADA ; PAVEL NEMEC, UNIVERSITÉ CHARLES, PRAGUE ;
CHET SHERWOOD, UNIVERSITÉ GEORGE WASHINGTON ; LOUIS LEFEBVRE, UNIVERSITÉ MCGILL
Travail d’équipe
Les nestors kéas, des perroquets néo-zélandais,
sont connus pour leur curiosité – une marque
d’intelligence. Dans ce centre de recherche
autrichien, quatre individus (dont seuls trois sont
visibles) ont compris que, pour récupérer des
friandises dans une tour en bois, ils devaient
coopérer en tirant simultanément sur des chaînes.
PHOTOGRAPHIE RÉALISÉE AU KEA LAB, INSTITUT DE RECHERCHE MESSERLI,
UNIVERSITÉ DE MÉDECINE VÉTÉRINAIRE, VIENNE
(suite de la page 99) club-sandwich, alors que Capacité
celui des oiseaux ressemble plutôt à une pizza.
Toutes les pièces s’y trouvent, mais elles ne sont
de décision
Les couples de diamants
pas empilées. »
mandarins sont très fidèles,
Plus récemment, d’autres chercheurs ont au contraire de la plupart des
découvert que le système cérébral à la base de la oiseaux. Mais ces couples
mémoire à long terme et de la prise de décision peuvent-ils coordonner leur
est très semblable dans les cerveaux aviaires et conduite et résoudre ensemble
des problèmes ? Des chercheurs
mammaliens. Et de nombreuses études, en labo-
de l’université du Wyoming ont
ratoire comme dans la nature, ont montré à quel conçu un labyrinthe. Chaque
point les oiseaux sont malins. membre du couple a été entraîné
La mésange de Chine utilise son cri suraigu dans une partie différente
(pi-pi) pour avertir ses congénères de la présence du dédale. Sauront-ils mettre
en commun les savoirs qu’ils
d’un prédateur. Elle dispose d’une sorte de
ont acquis pour venir à bout
grammaire, qui combine des pi avec des dii-dii, de l’expérience ? Les résultats
signal ordonnant à la volée de fuir le prédateur. seront publiés cette année.
En Amérique du Sud, le toui été utilise des appels PHOTOGRAPHIE RÉALISÉE AU LABORATOIRE
D’ÉTUDES DU COMPORTEMENT ET DE LA COGNITION
qui fonctionnent comme des noms – il semblerait DES ANIMAUX, DÉPARTEMENT DE ZOOLOGIE
ET DE PHYSIOLOGIE, UNIVERSITÉ DU WYOMING

que les parents en assignent un à chaque oisillon.


En Nouvelle-Guinée, pour courtiser les femelles,
le cacatoès noir fabrique des baguettes avec des
brindilles et des cosses, dont il se sert pour jouer
des motifs rythmiques contre des arbres creux.
C’est le premier animal connu pour fabriquer un
instrument de musique.

Bizarrement, les cacatoès de Goffin, des perro- se montrer aussi stricte qu’une surveillante de
quets blancs d’Indonésie, fabriquent et utilisent jardin d’enfants. Il faut être ferme et constante,
des instruments en captivité, mais pas dans la car ils cherchent toujours à reprendre le dessus. »
nature. « Ils aiment vraiment les objets nouveaux La biologiste finit par faire sortir tous les
et qu’ils peuvent manipuler : les fermetures Éclair, oiseaux de la salle, sauf Muppet. De la main, elle
les verrous, les boutons de chemise », dit Alice lui demande de voler jusqu’à la plateforme de test
Auersperg, biologiste spécialiste de la cognition et d’attendre. Elle m’assure qu’on peut donner des
à l’université de médecine vétérinaire de Vienne. directives telles que « Ici », « Vas-y » ou « Reste là »
Dans sa volière de la taille d’une étable, à des oiseaux aussi aisément qu’à des chiens.
quatorze cacatoès qu’elle a élevés tournoient Auersperg pose sur la plateforme une boîte
au-dessus de sa tête. Elle les a appelés afin de me contenant une noix de cajou. Comme nous,
prouver l’ingéniosité qu’ils déploient pour ouvrir Muppet aperçoit la noix à travers une vitre de la
des serrures ou inventer des objets. Elle veut me porte de la boîte. Et la porte ne s’ouvre qu’après
montrer un cacatoès en particulier, Muppet, mais avoir ôté cinq obstacles : une aiguille, une vis, un
toute la bande se dirige vers la salle de test. verrou, une roue et une barre. Chaque obstacle
« Ooh, soupire Auersperg, si certains ont des donne accès au suivant. Il faut donc les ôter dans
problèmes pour faire venir leurs oiseaux dans les l’ordre. Dix cacatoès ont déjà réussi à ôter plusieurs
salles de test, mon problème est de les laisser à éléments. Mais Muppet et quatre autres ont atteint
l’extérieur. Ils veulent tous passer les tests ! » Avec la noix. Et tous se sont obstinés à résoudre le pro-
un long bâton, elle repousse doucement les caca- blème, y parvenant parfois au bout de deux heures
toès vers le bâtiment principal. « Avec eux, il faut – preuve d’une grande capacité de réflexion.

104 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
Pour le nouveau test, Auersperg a retiré la vis Les oiseaux, notamment les corvidés et les
(le deuxième obstacle) afin de mesurer la capacité perroquets, sont désormais considérés comme
d’adaptation de l’esprit du cacatoès. Muppet des « singes à plumes », selon le biologiste Nathan
comprendra-t-il le changement et s’attaquera-t-il Emery, qui a commencé sa carrière en tant que
directement au troisième obstacle (le verrou) ? primatologue. Il a popularisé l’expression dans
« Nous voulons savoir s’ils agissent mécanique- un article rédigé avec son épouse, Nicky Clayton.
ment, ou s’ils font attention à la manière dont Le couple avait déjà collaboré à une étude mon-
fonctionne le système des obstacles. » trant que les geais buissonniers ne changeaient
D’abord, Muppet prend le temps d’étudier la pas d’instinct les cachettes de leurs noix quand
disposition des obstacles, puis il s’attaque au ils s’apercevaient que d’autres geais les espion-
verrou. Il s’aide de son bec pour le faire glisser au naient. Ils ne déplaçaient leur butin qu’après avoir
travers de l’anneau qui le maintient en place. eux-mêmes chapardé chez leurs congénères.
Enfin, il ôte la roue et tire la barre. La porte s’ouvre. « C’est l’expérience du vol qui modifiait le com-
Muppet s’empare de la noix. portement du geai », explique Emery. L’étude sug-
« En général, m’explique Alice Auersperg, une gérait que les geais pouvaient anticiper les pensées
fois qu’ils ont saisi un problème, ils se souviennent (et les intentions) d’un autre oiseau – un type de
de la façon de le résoudre. Ils savent comment raisonnement qu’il est extrêmement difficile
fonctionne chaque obstacle, même si ces derniers d’étudier et de prouver chez d’autres espèces.
sont placés dans le désordre. Je crois qu’ils com- Si les corvidés et les primates ont développé
prennent vraiment le lien entre chacun d’entre des capacités cognitives très proches, c’est que
eux. Leur esprit est capable de s’adapter. » les deux groupes, qui ont (suite page 109)

oi seau x 105
Goût pour la musique
Arnie, un étourneau sansonnet en résidence chez
Lloyd et Rose Buck, dans le Somerset (Angleterre),
pratique l’anglais avec ses hôtes et adore quand
Lloyd se met au piano. Cette espèce semble
particulièrement apprécier la musique classique :
Mozart possédait un petit étourneau qui chantait
certains airs de son maître.
(suite de la page 105) divergé voilà 300 millions « La découverte que le corbeau calédonien est
d’années, sont confrontés à des pressions simi- lui aussi capable de fabriquer des objets, et qu’il
laires. Ils vivent en groupes sociaux, ce qui oblige possède une culture de ce savoir, est importante
à appréhender les motivations et les désirs des à double titre, souligne John Marzluff, biologiste
autres. Ils doivent trouver et transformer des ali- à l’université de l’État de Washington à Seattle.
ments, dont certains ne peuvent être obtenus que D’abord, c’est quelque chose qu’il fait naturelle-
par l’intermédiaire d’outils qu’il faut fabriquer au ment à l’état sauvage. Ensuite, cela montre que
préalable. Ce talent spécifique, seuls les chimpan- cette aptitude a évolué chez des espèces qui ne
zés, les orangs-outans et un seul oiseau, le corbeau sont pas proches. » Les corbeaux calédoniens
calédonien, l’ont développé à l’état sauvage. semblent bien « manifester l’intention de récolter
des larves » en fabriquant leurs objets. « Cela
Le corbeau calédonien est endémique de deux signifie qu’ils planifient leur acte. »
îles de l’archipel. Un jour de 1993, Gavin Hunt, un Autre similitude entre les corvidés et les pri-
écologiste néo-zélandais, a vu un individu en train mates (humains compris) : un gros cerveau par
de dissimuler un objet bizarre dans un arbre. « Si rapport à la taille. Bien que la grosseur du cerveau
je l’avais trouvé dans une fouille archéologique, ne soit pas un critère d’intelligence, nous avons
vous auriez dit que c’était l’œuvre d’un humain. » tendance à considérer qu’un animal doté d’un
Il le sort d’un carton et me le tend. L’objet, vert cerveau volumineux sera intelligent. Celui d’un
pâle, fin et flexible, long d’environ 15 cm, est large homme de 70 kg pèse environ 1,4 kg (soit 2 % de
à un bout, effilé à l’autre, avec des sortes de dents son poids) ; celui d’un corvidé peut ne peser que
de scie entre les deux. Il a été découpé dans une 14,5 g, mais c’est 1,3 % de son poids.
feuille de pandanus, un cousin du palmier. Un La taille du cerveau des corneilles et des cor-
homme se servirait de ciseaux pour le fabriquer ; beaux est d’autant plus impressionnante quand
un corbeau utilise son bec. on prend en considération la nécessité de voler.
Puis, tenant l’outil dans celui-ci, il s’envole vers « C’est pour cela que leurs os sont creux, précise
la cime d’un arbre ou d’un pandanus, en quête de Alex Taylor, biologiste de l’évolution à l’université
blattes ou d’araignées. Les corbeaux fabriquent d’Auckland, qui étudie le corbeau calédonien. Les
aussi des brindilles-crochets dans le même but, oiseaux sont contraints d’avoir de petits corps
et des bâtons pour attraper les larves de scarabée pour voler. Dès lors, découvrir de gros cerveaux
dans les bouts de bois pourrissant au sol. « Ils ont chez des oiseaux est bien plus surprenant que
des traditions, note Hunt : les outils fabriqués avec d’en découvrir chez des mammifères. »
des feuilles de pandanus et les brindilles-crochets Et, même si leur cerveau n’est pas plus gros
ont toujours la même forme et la même taille. » qu’une noix, les oiseaux ont fait un excellent usage
Rares sont les animaux capables de confection- de l’espace réduit qu’il occupe, puisqu’il abrite un
ner leurs propres outils – surtout ceux réservés à grand nombre de neurones. Des études récentes
un usage particulier. Avant que Jane Goodall ne ont montré que les corvidés, d’autres passereaux
découvre que les chimpanzés fabriquent des et les perroquets possèdent une densité neuro-
outils, les scientifiques croyaient que l’homme nale très supérieure à celle des mammifères.
était le seul animal disposant de ce talent.
Un gros cerveau reste toutefois une sorte de désa-
vantage pour les oiseaux, à cause de son poids.
Sens du rythme Alors, pourquoi en ont-ils un ? Nombre de cher-
Snowball, un cacatoès à huppe jaune, a fait un tabac cheurs estiment que, comme chez les primates,
sur YouTube et auprès des neuroscientifiques en la complexité des groupes sociaux est la véritable
dansant en mesure sur un tube des Backstreet Boys,
en 2007. Il est pensionnaire d’un centre de sauvetage source du développement d’une intelligence plus
d’oiseaux de Caroline du Sud, dont la directrice affinée. Thomas Bugnyar, biologiste spécialiste
enregistre toutes ses démonstrations de danse. de la cognition animale à (suite page 112)
PHOTOGRAPHIE RÉALISÉE PAR VINCENT J. MUSI AU BIRD LOVERS ONLY,
DUNCAN, CAROLINE DU SUD oi seau x 109
Résolution de problèmes
Comment attraper le bout de viande accroché à
cette ficelle ? Bran, un corbeau qui vit en captivité,
n’a mis que trente secondes pour comprendre
qu’il devait tirer sur la ficelle avec son bec tout en
assurant sa prise avec une patte. « Les corbeaux
sont capables d’anticiper une action avant de
passer à l’acte », selon des spécialistes de l’espèce.
(suite de la page 109 l’université de Vienne, a Capacité
voulu vérifier cette théorie. Chaque mois, il se
rend dans les Alpes autrichiennes, au Centre
d’empathie
Les poulets possèdent des
Konrad-Lorenz, où lui et ses collègues étudient le
capacités cognitives, affirment
comportement d’une troupe de quelques cen- les scientifiques. Ils vivent en
taines de grands corbeaux sauvages (de proches sociétés hiérarchisées, savent
cousins des corneilles de la petite Gabi). compter, effectuer les opérations
arithmétiques de base, et sont
capables d’émotions – de l’ennui
Un détail crucial différencie les groupes sociaux
à la frustration et à la joie. Ils
chez les oiseaux et chez les mammifères. « Chez sont aussi doués d’empathie :
les mammifères, souligne Thomas Bugnyar, le si on souffle sur les plumes des
lien social fondamental est celui qui lie la mère poussins, ce qu’ils n’apprécient
à l’enfant ; chez les oiseaux, il s’agit du lien entre pas, les battements du cœur de
leur mère s’accélèrent.
le mâle et la femelle – un lien qui se développe
à travers l’apprentissage. »
Les corbeaux commencent à développer ces
liens sociaux quand ils ont à peine 6 mois, avant
la maturité sexuelle. La plupart des couples adultes
sont hétérosexuels. Les deux individus défendent
ensemble le territoire où ils pourront nourrir et
élever une famille. Les adultes nouent aussi des
alliances avec des oiseaux hors du couple afin
de se constituer des réseaux d’entraide.
Les corbeaux apprennent à connaître les autres
membres du groupe (leur personnalité, ce qu’ils
aiment ou n’aiment pas, qui est courageux ou pas)
en s’observant mutuellement quand ils cachent ne compte que sept à dix couples. Les centaines
des objets, en donnent, ou se les volent entre eux. d’autres oiseaux se regroupent pour la nuit par
Ils surveillent les relations naissantes, et les petits groupes sur les mêmes arbres, où ils se
brisent s’ils en ont l’occasion. toilettent, jouent, se chamaillent et échangent
Sur environ 180 « interactions affiliatives » rele- des informations. « En général, note Bugnyar, ils
vées par Bugnyar et ses collègues parmi 90 grands s’éloignent peu quand ils cherchent de la nourri-
corbeaux, « un quart ont été brisées par un tiers ». ture et, semble-t-il, des occasions de rencontre. »
Pourquoi ? « Les alliances sont puissantes. Dès Les couples, eux, quittent rarement leur
qu’ils tissent un lien social, les oiseaux s’élèvent territoire. Mais les couples comme les individus
dans la hiérarchie du pouvoir. Les autres oiseaux suivent de près l’évolution des relations entre
veulent les empêcher d’accroître leur pouvoir. » leurs congénères. Ils essaient de prévoir à quel
Les corbeaux ayant de nombreux alliés sont les moment il est le plus avantageux de leur venir
premiers servis en cas de vaches maigres, disette en aide ou d’intervenir dans leurs relations.
ou raréfaction des sites de nidification. « Les corbeaux doivent apprendre à créer du
À l’instar des humains, des chimpanzés, des lien social, et à utiliser celui-ci à la façon d’un outil
éléphants et des dauphins, les corbeaux vivent en s’ils veulent se reproduire avec succès, estime
« société fusionnelle/fissionnelle ». Les groupes Thomas Bugnyar. Cela impose une forte pression,
les plus importants éclatent dès lors que les indi- et je crois que cela a favorisé le développement de
vidus s’envolent vers d’autres vallées en quête leur gros cerveau et de leurs capacités cognitives.
de nourriture, de nouveaux territoires ou pour En tout cas, je crois que c’est ce que démontreront
s’accoupler. Le groupe alpin étudié par Bugnyar les données que j’ai recueillies. »

112 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
Tout cela n’explique pas pourquoi les corneilles de l’université, et en a conclu que les corneilles
de Seattle offrent des cadeaux à une petite fille. n’oublient jamais un visage. Elles reconnaissent
« Je l’ignore, admet Thomas Bugnyar. Faire des les gens qui les ont harcelées sur les sites de nidi-
cadeaux appartient à leur répertoire naturel. Il fication des années plus tôt, et diffusent l’infor-
semble qu’elles fassent des cadeaux parce qu’elles mation à leurs petits et à d’autres corneilles.
ont vu que la fillette leur donnait à manger. » Gabi et sa famille ont déménagé de Seattle à
« C’est une forme de communication dans les Ithaca, dans l’État de New York. La fillette a effec-
deux sens, renchérit le biologiste John Marzluff. tué l’aller-retour à plusieurs reprises avant que le
Gabi leur fournit régulièrement de la nourriture, changement ne soit effectif. À chaque fois qu’elle
que les corneilles prennent comme un cadeau. est revenue à Seattle, Gabi a disposé de la nourri-
Elles lui rendent la pareille. » ture pour ses corneilles – mais chez un voisin.
Offrir des objets à des humains est un compor- Babyface et sa bande étaient là. Selon Gabi, les
tement rare parmi les oiseaux sauvages, hormis corneilles savaient quand la famille était de retour :
chez les corneilles et les corbeaux. « Quand ils le « Elles reconnaissent notre voiture. » Quand elle
font, les gens le remarquent, poursuit Marzluff, repartait, elle disait au revoir à la compagnie.
et les oiseaux sont sensibles à leur réaction. » Gabi pense que Babyface se fait du souci pour
Babyface a d’ailleurs observé celle de Gabi devant elle, tout comme elle-même s’inquiète pour la
le calmar en plastique que l’oiseau lui avait lancé. corneille. Et l’enfant souhaite à l’oiseau ce qu’elle
En outre, les corneilles connaissent la fillette, pense que l’oiseau lui souhaite : une vie heureuse,
ajoute Marzluff. En compagnie de ses étudiants, remplie d’amis, et, sur son nouveau territoire, des
il a mené une série d’expériences sur le campus cachettes pour les noix et les objets brillants. c

oi seau x 113
découverte

Les îles Malouines,


l’arche de Noé retrouvée
Otaries, dauphins, oiseaux par centaines de milliers…
L’archipel de l’Atlantique Sud est la preuve vivante
de la force fabuleuse de la nature quand elle est en paix.

114
L’île Steeple Jason, l’une des plus isolées
des ­Malouines,­abrite­la­plus­grande­colonie­
d’albatros­à sourcils­noirs.­Naguère,­bovins­
et moutons­y­pâturaient,­puis­l’île­est­devenue­
une réserve­naturelle.­Près­de­70 %­des­albatros­
à sourcils­noirs­nidifient­dans­les­Malouines.
UN NAGEUR SACHANT CHASSER
Le manchot papou est l’oiseau qui nage le plus
vite : 35 km/h. Il chasse tout le jour dans l’océan,
en général près du rivage, en essayant d’échapper
aux otaries et aux orques. Les îles Malouines
abritent le plus grand nombre de couples
reproducteurs de manchots papous du monde.
UNE EAU FROIDE MAIS RICHE
Une étoile de mer s’accroche à des algues géantes,
au large de l’île Bird. Les Malouines sont formées
par des chaînes montagneuses dont les pentes
font remonter les nutriments des profondeurs.
Ceux-ci alimentent un riche environnement marin,
qui attire poissons, mammifères et oiseaux.
Texte et photographies de Paul Nicklen

S
teeple Jason est une île isolée de l’archipel
des Malouines, et sa côte rocheuse est une
splendeur. Plus de 440 000 albatros à sour-
cils noirs (la plus grande colonie du monde)
nidifient sur les falaises. En contrebas, les
gorfous sauteurs braient bruyamment sur la plage,
tandis que les caracaras australs recherchent des pous-
sins de manchots ou des charognes à dévorer.
Les eaux glaciales accueillent des otaries à fourrure
australes, des orques, des dauphins de Commerson,
des dauphins de Peale et des rorquals boréals. Sous
l’eau, je nage au milieu d’une majestueuse forêt d’algues
géantes. Au-dessus de moi, des manchots papous filent
à toute allure, des otaries à crinière à leurs trousses.
Des galathées (crustacés aux airs de mini-langoustes)
sont alignées au fond de l’océan, pinces dressées,
comme armées pour la bataille.
Après tout, je suis dans les Malouines (Falkland,
en anglais), qui n’ont pas connu que la paix. À 400 km
au large de l’Argentine, le territoire britannique compte
plus de 700 îles et îlots, et environ 3 200 habitants. Il
est surtout célèbre pour la longue querelle territoriale
impliquant la France (en 1764, Bougainville débarqua
là les tout premiers colons, originaires de Saint-Malo,
d’où le nom de l’archipel), l’Espagne, le Royaume-Uni
et l’Argentine. Et il en garde des cicatrices.
Le dernier conflit date de 1982, quand l’Argentine a
envahi les îles, provoquant une guerre brève mais
intense avec le Royaume-Uni. Environ 20 000 mines
terrestres ont été oubliées là, des épaves d’hélicoptères
gâchent le paysage, et la Royal Air Force garde une base
aérienne active sur l’île Malouine orientale.
En dépit des combats et de l’élevage ovin intensif,
ces îles ont, étrangement, quelque chose d’idéal, de
leurs eaux riches en nutriments aux montagnes noyées
de pluies. En trente années de photographie, j’ai rare-
ment rencontré un écosystème aussi bien préservé.
Steeple Jason et sa voisine, Grand Jason, deux îles
épargnées par la guerre, témoignent sans doute de la
plus grande réussite des Malouines. En 1970, un orni-
n Bourse de la National
thologue amateur britannique a acquis ces terres inha-
Geographic Society
bitées, où ovins et bovins pâturaient depuis un siècle, Ce reportage a été en partie
et les a transformées en réserve privée. La végétation financé grâce à votre abonne-
a commencé à se reconstituer. Michael Steinhardt, un ment à National Geographic.

120 n at i o n a l g e o g r a p h i c • f é v r i e r 2 0 1 8
L’OTARIE REPREND DU POIL DE LA BÊTE Une otarie à crinière mâle (2,5 m de
long pour 350 kg) se dresse à côté d’une femelle et de deux petits. L’espèce a décliné
au milieu du xxe siècle, à cause de la chasse et d’une diminution de la nourriture due
à un réchauffement des eaux. C’est maintenant le mammifère marin le plus abondant
à la pointe australe de l’Amérique, avec 7 500 individus rien qu’aux Malouines.

malou i ne s 121
Î. Steeple Jason

Île
s J
as
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O C É A N A T L A N T I Q U E

Î. Grand Jason Î L E S FA L K L A N D
Île (ÎLES MALOUINES)
Île Saunders
(R.-U.)

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Île
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Détroi t des
Un refuge loin de tout Dé Falk lan d
tro
L’archipel est un havre pour plus it Nord
de
d’une centaine d’espèces d’oiseaux By
– marins pour la plupart. Par exemple, ro
n

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36 % des gorfous sauteurs
Hill Cove Port

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(des manchots) du monde vivent là.
San Carlos
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Île Bird des Ports Île Bleaker


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Île Barren Île des


le

Otaries

Un sanctuaire au Sud
Territoire longtemps disputé, les Malouines Colonies de reproduction, par espèce
Albatros à sourcils noirs
comptent environ 3 200 habitants. L’essentiel Manchot papou
Gorfou sauteur
de ce territoire britannique demeure à l’état
sauvage. Il est si crucial pour certaines espèces Nombre de couples reproducteurs*
d’oiseaux marins que tout dommage à cet Plus de 50 000
10 001 à 50 000
environnement peut avoir des répercussions
1 000 à 10 000
sur leurs populations à l’échelle mondiale. Moins de 1 000

0 10 km

LES DONNÉES DE LOCALISATION DATENT DE 2015. LES ESTIMATIONS DES COUPLES


REPRODUCTEURS SE FONDENT SUR LE DERNIER RECENSEMENT, EFFECTUÉ EN 2010.
LAUREN C. TIERNEY ET IRENE BERMAN-VAPORIS, ÉQUIPE DU NGM
SOURCES : FALKLANDS CONSERVATION ; SERVICE DES RESSOURCES MINIÈRES DU
GOUVERNEMENT DES ÎLES MALOUINES ; IBRU, UNIVERSITÉ DE DURHAM, R.-U. ;
INSTITUT GÉOGRAPHIQUE NATIONAL, RÉPUBLIQUE D’ARGENTINE ; ESRI

122 N AT I O N A L G E O G R A P H I C • F É V R I E R 2 0 1 8
AMÉRIQUE
DU SUD
ZONE
MAP
AGRANDIE
AREA financier de New York, a racheté les deux îles dans les
années 1990, puis, en 2001, en a fait don à l’ONG envi-
ANTARCTIQUE ronnementale américaine Wildlife Conservation
Society. Celle-ci en est désormais propriétaire et en
assure la gestion. Seuls des chercheurs et quelques tou-
ristes ont pu s’y rendre, lors de visites très contrôlées.
Aujourd’hui, la résilience de la nature y est évidente
dans la diversité qui m’entoure de toutes parts – comme
Rincon Grande si les richesses du Pacifique Nord-Ouest, des Antilles
et de l’Antarctique avaient conflué ici, dans l’Atlantique
Volunteer
Point Sud. Quarante-huit espèces d’oiseaux ont été observées
Détroit de Ber
kel
ey
sur Steeple Jason et ses 8 km2.
L’abondance naturelle des Malouines n’échappe pas
aux risques dus à l’homme : pollution, dégradation de
kha m
Hauts de Wic Stanley l’habitat, nappes d’hydrocarbures, bateaux de pêche à
Base aérienne
la traîne, mais, aussi et surtout, changement climatique.
de Mount Pleasant L’océan peut être froid autour des îles et chaud un peu
plus loin, ce qui perturbe la chaîne alimentaire nour-
rissant les oiseaux et les mammifères marins.
Détroit de
Choiseul Un équilibre délicat L’augmentation des explorations pétrolières à proxi-
Le surpâturage et l’introduction mité des îles fait aussi craindre une marée noire.
d’espèces allochtones
(comme des prédateurs pouvant Cependant, les habitants des Malouines ont de plus en
altérer l’écosystème) menacent
Île Lively plus de raisons d’embrasser la protection de la nature.
la biodiversité locale.
Avec plus de 60 000 visiteurs par an, l’écotourisme
représente désormais la deuxième source de revenus,
après la pêche et devant l’élevage ovin. Le contraste
entre les îles préservées et celles touchées par la main
de l’homme hante le biologiste de formation que je suis.
Que peut nous apprendre l’abondance de Steeple
DES REVENDICATIONS TERRITORIALES Jason ? Qu’il y a de l’espoir, et que la guérison, si nous
En 1982, la guerre des Malouines a opposé l’Argentine laissons la nature en paix, est possible. Parcourir les
à la Grande-Bretagne pour le contrôle de l’archipel.
Les tensions persistent, tandis qu’il est de plus en plus pentes herbues et les montagnes de la petite île revient
question d’exploiter les gisements de gaz et de pétrole. à faire un saut de mille ans en arrière. Dans un écosys-
tème intact. Avec des animaux sans crainte.
Revendiqué par l’Argentine
Revendiqué par le Royaume-Uni Des caracaras farceurs essaient de voler des acces-
Zones d’exploration pétrolière et gazière britanniques soires dans mon sac photo. Des albatros planent, sus-
pendus aux courants d’air ascendants qui balaient sans
OCÉAN ATLANTIQUE cesse l’Atlantique. L’un d’eux m’effleure avec une patte
ARGENTINE – délibérément, j’imagine, ces oiseaux étant très précis.
Dans quel autre endroit des animaux se sentiraient-ils
ÎLES FALKLAND assez libres pour jouer ainsi avec nous ? Plus important
(ÎLES MALOUINES)
(R.-U.) encore : comment les aider à demeurer aussi confiants ?
Terre À mes yeux, Steeple Jason est un témoignage de la
de Feu
CHILI résilience de la Terre autant qu’une alerte. Il nous faut
davantage ces lieux où nous arrêtons de mener la guerre
0 200 km à l’environnement. Et où nous rendons à la nature le
temps dont elle a besoin pour s’épanouir. c

MALOU I NE S 123
L’OISEAU EST UN LOUP POUR L’OISEAU
Des coquilles d’œufs brisées par des prédateurs tels
que les labbes antarctiques (qui mangent surtout
d’autres d’oiseaux) jonchent le sol. Sur Steeple
Jason, les oiseaux sont la menace principale pour les
albatros et les manchots, qui gardent les nids
jusqu’à ce que les juvéniles sachent se défendre.
L’ACROBATE DE L’ATLANTIQUE SUD
Près de New Island, des dauphins de Peale nagent près
de la côte, où ils viennent souvent se nourrir. Présents
dans les eaux côtières des Malouines et de la pointe
australe de l’Amérique, ces cétacés se déplacent le plus
souvent en groupes. Doués pour les acrobaties,
ils aiment surfer sur les vagues créées par les navires.
LE PARADIS DES MANCHOTS
Des manchots royaux à Volunteer Point, sur l’île
Malouine orientale. La petite population initiale,
observée dès les années 1860, augmente de façon
régulière depuis les années 1970. Un millier de
couples reproducteurs fréquentent désormais la
plage – une réserve privée depuis cinquante ans.
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N OT R E S ÉLECTI O N
L I V R E S , F I L M S , E X P O S , D V D. . . P A R M A R I E - A M É L I E C A R P I O - B E R N A R D E A U

Deux prêtres de la secte


Shingon à Kyoto expliquent
à Émile Guimet les qualités
de leur dogme, huile sur toile
de Félix Régamey, 1877-1878.

ÉMILE GUIMET, LE FOU DE RELIGIONS


Industriel et collectionneur, Émile Guimet doit sa il multiplie les entretiens avec prêtres shinto et moines
renommée au musée national des Arts asiatiques, à bouddhistes, s’appuyant sur un questionnaire écrit
Paris, auquel il a laissé son nom. À l’origine de cette précis, allant d’interrogations sur Dieu, le statut de
postérité, un intérêt précoce et approfondi pour l’Asie. l’âme ou la morale. Désireux de créer un musée vivant,
Au cours d’un périple de plusieurs mois, entre 1876 il organisa dans son établissement parisien plusieurs
et 1877, accompagné du peintre et caricaturiste Félix cérémonies bouddhiques dans les années 1890.
Régamey, il rassemble une multitude d’objets qui VU À l’exposition Enquêtes vagabondes, le voyage
nourriront ses collections et, surtout, une somme illustré d’Émile Guimet en Asie, au musée Guimet (Paris),
de connaissances religieuses inédites. Au Japon, jusqu’au 12 mars 2018.

Y A-T-IL DE LA VIE DANS CETTE MÉTÉORITE ?


1864, une météorite s’abat sur Orgueil (Tarn-et-Garonne).
C’est le début de 150 ans de controverses. Sa composition
étonne : l’astronome Camille Flammarion envisage « l’exis-
tence d’êtres organisés sur les globes d’où [elle vient] »,
Pasteur y cherche des traces de vie et, un siècle plus tard,
deux scientifiques américains disent avoir trouvé des
éléments issus de « quelque chose de vivant ». Arnaque !
La météorite aurait été contaminée avec des pollens, sans
doute pour faire croire à une vie extraterrestre.
VU À l’exposition Météorites, entre ciel et terre, au Muséum
national d’histoire naturelle (Paris), jusqu’au 10 juin 2018.

PHOTOS : RMN-GRAND PALAIS (MNAAG, PARIS)/THIERRY OLLIVIER (EN HAUT) ; CCO


350 AVANT J.-C.

En Grèce antique, la médecine était réservée aux


hommes. Mais l’Athénienne Agnodice, travestie
en garçon, obtint son diplôme et se spécialisa dans
les grossesses et accouchements. Sa renommée fit
des envieux. Accusée de violer ses patientes, elle
dut révéler son sexe au tribunal. La mobilisation
de ses clientes lui évita d’être châtiée et les écoles
de médecine furent ouvertes aux femmes.
LU DANS Elles ont osé, 100 femmes d’exception à
travers l’histoire, de Nathalie Kaufmann, éd. Glénat.

GARDER SES SECRETS


EN TEMPS DE GUERRE
« Des lèvres qui ne restent pas scellées peuvent
couler des bateaux », proclame cette affiche amé-
ricaine, placardée lors de la Seconde Guerre mon-
diale. Pendant le conflit, les différents belligérants
ont chargé des artistes de réaliser des posters de
ce genre pour enjoindre les populations au silence
– tout bavardage inconsidéré pouvant être exploité
par de possibles espions ennemis.
LU DANS « L’histoire secrète de la Seconde Guerre LES HOMMES VOILÉS
mondiale », un hors-série de National Geographic,
en kiosque le 7 février 2018.
DU DÉSERT
Contrairement aux autres sociétés musulmanes,
chez les Touaregs, ce sont les hommes qui se
FAUCON PYROMANE voilent le visage. Le tagelmust, le voile masculin,
se réfère « à un idéal de sobriété et à une exigence
Dans les légendes aborigènes, le faucon est tenu de réserve qui préconise de ne jamais montrer ses
pour générer le feu. Une croyance qui vient sans émotions », explique Cécilia Duclos, chargée
doute du fait que les hommes l’observaient sou- d’exposition. En fonction de l’interlocuteur et des
vent près des feux de brousse, le rapace en profi- circonstances, le tissu couvrira le menton, la
tant pour attraper des proies délogées par les bouche et même le nez si son porteur exprime des
brasiers. La réalité pourrait rejoindre le mythe. sentiments. « Cette retenue marque aussi la parole,
En 2015, deux chercheurs ont émis l’hypo- ajoute Cécilia Duclos. Dans la poésie tradition-
thèse que le faucon utiliserait des nelle, on ne s’exprime jamais crûment. Dans le lan-
brindilles incandescentes pour gage quotidien, on utilise beaucoup de litotes et
allumer de nouveaux foyers de métaphores. » Une sobriété véhiculée jusque
d’incendie et multiplier ainsi dans l’artisanat, avec son style épuré et son usage
les opportunités de captures. de l’argent, moins ostentatoire que l’or.
LU DANS Légendes d’oiseaux, de Guilhem DÉCOUVERT À l’exposition Touaregs, au musée des
Lesaffre, éd. Delachaux et Niestlé. Confluences (Lyon), jusqu’au 4 novembre 2018.

US NATIONAL ARCHIVES (AFFICHE) ; HARANDANE DICKO/MUSÉE DES CONFLUENCES (TOUAREGS) ; GREG C. GRACE/ALAMY
ENVIES ACTUALITÉS COMMERCIALES

Frédérique Constant Carré-Ment Rétro


Apparue dans les années 1920, la montre carrée était par-
ticulièrement populaire auprès de la gent féminine par sa
forme nouvelle. Près d’un siècle plus tard, la manufacture
horlogère suisse Frédérique Constant fait renaître cet
objet d’avant-garde pour l’époque en lançant la Classic
Carrée Automatique. Intemporel par son allure d’inspira-
tion rétro, ce garde-temps féminin affiche une ouverture
circulaire, invitant à contempler les battements de son
mouvement automatique. Distinctif à plusieurs titres, il
s’adresse aux inconditionnelles d’un porter différent.
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vagabondes : Goûtez l’excellence L’Or
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d’Emile Guimet nium, compatible avec
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du peintre et illustrateur de intenses, une mousse plus
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National Geographic Society est enregistrée à Washington, D.C. comme organisation scientifique
et éducative à but non lucratif dont la vocation est d’explorer et de protéger notre planète.

NATIONAL GEOGRAPHIC FRANCE president and ceo Gary E. Knell


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Dépôt légal : février 2018
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I PROCHAIN NUMÉRO
EN KIOSQUE LE 28 FÉVRIER

LES FABULEUSES MIGRATIONS DES OISEAUX


Des scientifiques étudient la manière dont l’activité humaine perturbe ces voyages déjà exténuants.

LA TERRE VUE D’EN HAUT


Des astronautes racontent à quoi ressemble
notre planète depuis l’espace.

LACS ÉVANESCENTS
Le changement climatique, la sécheresse
et la surexploitation épuisent certains des
plus grands lacs du monde.

SUR LA ROUTE DE LA SOIE


Du Kazahkstan à l’Ouzbékistan, le journaliste
Paul Salopek parcourt l’une des anciennes
routes commerciales d’Asie centrale.

PHOTOS : JIM BRANDENBURG, MINDEN PICTURES (OISEAUX), MARTIN SCHOELLER (ASTRONAUTE)


L’ H I S T O I R E D E R R I È R E L A P H O T O

SAISIR LA VITESSE possédait une femelle autour des


palombes, Ellie. Immortaliser cette der-
D’UN RAPACE nière en plein vol a demandé une bonne
EN PLEIN VOL dose d’ingéniosité et plusieurs essais.
« La première étape a été de trouver
Par Marie-Amélie Carpio-Bernardeau une trouée naturelle entre des branches.
Pour qu’elle passe à travers, on a ensuite
Ce cliché d’un autour des palombes appâté Ellie avec de la nourriture. Le
(Accipiter gentilis) saisi à grande vitesse défi était de créer un flou pour donner
illustre ce mois-ci notre enquête sur l’impression de vitesse, ce qui exigeait
Photographe et cadreur l’intelligence des oiseaux (voir pages un temps d’exposition long, malgré
britannique, Charlie 92-113). Le photographe l’avait en tête l’extrême rapidité de l’oiseau. Et j’avais
Hamilton James est
spécialisé dans la vie longtemps avant de le réaliser. Charlie besoin d’un ciel gris car je ne voulais
sauvage et la protection Hamilton James connaissait ce rapace pas trop de lumière dans la photo. Par
de l’environnement. pour être un as de la voltige : « Sa rapi- chance, en Angleterre, la météo est
Il collabore avec la BBC
et National Geographic,
dité et son agilité sont fascinantes ; presque toujours ainsi ! Restait à éclai-
pour lequel il a notamment elles font de lui un incroyable chas- rer l’oiseau, mais pas les arbres à
réalisé un sujet sur les seur, capable de se faufiler entre les l’arrière-plan : j’ai utilisé trois flashs
vautours (janvier 2016).
branches des arbres à une vitesse folle. alors qu’Ellie passait à travers le trou.
C’est ce que je voulais montrer. » Le plus compliqué a été de déclencher
Pour y parvenir, le photographe s’est l’appareil au bon moment. Cela m’a
rendu dans le sud-ouest de l’Angleterre, pris deux jours, et beaucoup de clichés
chez un couple d’amis fauconniers qui ratés avant d’être satisfait. »

PHOTOS : CHARLIE HAMILTON JAMES (EN HAUT) ; HECTOR SKEVINGTON-POSTLES


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