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Journal de L'exposition Aventuriers Des Mers - 0
Journal de L'exposition Aventuriers Des Mers - 0
Bézoard, Goa, Inde, 4e quart du XVIIe siècle. Bézoard, filigrane d’or, Kunsthistorisches Museum Wien, Vienne, Autriche © KHM-Museumsverband Colliers de perles vénitiennes rosetta, à sept couches, anonyme, XVe—XVIe siècle, Venise, Coll. Augusto Panini, Italie © Photo : Augusto
De nombreux peuples ont cherché à accéder aux
richesses de l’océan Indien et à s’enrichir de leur
commerce. L’or, les épices, l’ivoire, les porcelaines,
les soieries : toutes ces richesses venues d’Inde,
de Chine, de Malaisie et d’Indonésie éblouissent
les hommes du Moyen Âge et suscitent toutes
les convoitises.
Ces grands empires ont très tôt utilisé le commerce mari- navigation – à l’aide de tiges de feuilles de palmier – et que
time, plus rapide que les routes commerciales terrestres, ce sont des habitants de Malaisie qui ont peuplé l’île de
et l’océan Indien est devenu le principal marché de ces Madagascar, située à environ 6 000 kilomètres des côtes
échanges. La maîtrise de la navigation était le fait de civili- malaises au VIIIe siècle.
sations anciennes, à une époque où les Latins ne s’aventu-
raient pas plus loin que la mer Méditerranée. C’est dans la concurrence pour accéder à cet espace
convoité que se sont déroulées les grandes aventures
On sait par exemple que les Chinois utilisaient une aiguille maritimes fondatrices du monde d’aujourd’hui, entre les
indiquant le Sud pour s’orienter (la boussole sera utilisée navigations indonésiennes, persanes et arabes, les expé-
en Méditerranée à partir du XIIIe siècle), que les habitants ditions chinoises et les aventures européennes.
des îles du Pacifique construisaient aussi des cartes de
Panini Colliers de perles vénitiennes rosetta rondes, anonyme, XVe—XVIe siècle, Venise, Coll. Augusto Panini, Italie © Photo : Augusto Panini
tions possèdent des richesses sans mesure avec ce que régulièrement représenté comme une mer fermée.
l’on trouve en Occident, mais on ne sait pas localiser la
Chine et encore moins l’Indonésie. Le cœur du monde À l’autre bout de l’Orient, il est peu probable qu’on connaisse
habité est constitué des terres situées sur le pourtour de
la géographie de l’Europe avant une époque tardive. L’Em-
la mer Méditerranée. Un océan unique enferme toute la pire mongol du XIIIe siècle, qui étend son territoire du
Moyen-Orient à la Chine, a sans doute favorisé des
surface de la Terre. L’Orient se situe donc dans l’une de ses
marges encore inexplorées. échanges réciproques de savoirs et de connaissances.
Mais il est vrai que l’Europe n’exporte aucun produit manu-
Le monde musulman, qui a eu non seulement accès aux facturé vers l’Orient. C’est le monde musulman qui sert
ouvrages des géographes grecs de l’Antiquité, mais aussi d’intermédiaire en achetant des produits dans l’océan
aux connaissances des navigateurs malais et chinois, se Indien pour les revendre aux Méditerranéens.
représente un monde plus vaste : au centre des cartes
Fondazione Musei Civici di Venezia, Museo del vetro, Murano, Venise, Italie
L’invention de nouvelles routes maritimes
En Europe, le monde a changé de dimension avec la décou-
verte de nouvelles routes maritimes au xve siècle. Celles-ci
ont permis de repousser les limites du monde connu et de
Coupe sur pied, Venise, vers 1500-1550, verre azur translucide.
Planisphère pour Roger II de Sicile, dans Tabula Rogeriana (Livre de Roger), al-Idrîsî, reconstitution du XIXe siècle
Angleterre. © Victoria and Albert Museum, London.
Tous comme les Européens, les Arabes sont fascinés par Son récit, très vivant, décrit avec une étonnante précision
les richesses des puissants empires qui se trouvent en les pays visités, leur géographie, leur histoire, les techniques
Orient. En témoigne le récit du plus grand voyageur de son découvertes, et Ibn Battûta prend plaisir à s’attarder sur les
temps, Ibn Battûta, qui vécut au XIVe siècle et parcourut coutumes, les arts culinaires et la beauté des femmes.
pendant plus de vingt ans l’Ancien Monde, jusqu’à la Chine Son histoire rend compte de ce qu’était l’océan Indien au
en passant par la Perse, l’Anatolie, l’Afrique orientale, l’Inde XIVe siècle : un espace organisé et connecté entre plusieurs
occidentale, Ceylan, les Maldives, le Bengale et Sumatra. On grandes et puissantes civilisations, le plus grand marché du
estime qu’il aurait parcouru cent vingt mille kilomètres ! monde dont les Européens prennent tout juste la mesure.
Pour aller plus loin, la librairie du Mucem vous propose : Le planisphère Sud / Nord d’Al-Idrîsî
Ibn Battûta, Voyages (3 tomes), Paris, Idrîssî, La première géographie de Christophe Picard, La mer des Ce grand planisphère est l’œuvre du géographe une représentation du monde héritée du connu se situent la Chine et des îles, peut-être
La Découverte, 1997 l’Occident, Paris, Garnier-Flammarion, Califes, Paris, Éditions du Seuil, 2015 Al-Idrîsî, qui l’a réalisé dans les années 1150 géographe Ptolémée (IIe siècle apr. J.-C.), dont le Japon. S’agissant de ses sources contempo-
pour le roi Roger II de Sicile. Il constitue une les Arabes ont traduit les ouvrages. La pénin- raines, Al-Idrîsî met au point une méthode
1999 véritable synthèse des connaissances géogra- sule Arabique, située au centre de la carte, est rigoureuse : il interroge en premier lieu les livres
phiques de l’époque. La carte nous est difficile encadrée par l’Europe et l’Afrique à l’ouest, de la géographie arabe, puis il vérifie l’informa-
à lire car elle est orientée du sud au nord, l’Asie à l’est : un monde vaste et déjà parcouru tion auprès des savants et des voyageurs expé-
conformément à la tradition cartographique par les musulmans. On reconnaît aussi les rimentés. Il écarte alors les informations
arabe 1. Le monde habitable connu comprend pays du pourtour de la Méditerranée, alors que contradictoires et dépêche des émissaires pour
l’Europe, l’Asie et une partie de l’Afrique. Un le Nord de l’Europe est esquissé avec moins confirmer les dires de ces témoins.
océan unique encercle l’ensemble des terres et de précision. Le pourtour de l’océan Indien est 1. Il faut retourner le document pour lire la carte dans le
l’océan Indien semble être une mer fermée, également précis. À l’extrémité du monde sens usuel Nord-Sud.
© The Philadelphia Museum of Art, Distr. RMN-Grand Palais/image Philadelphia Museum of Art. Céramique chinoise pour
La Carte Kangnido (dite « Carte historique des pays et des villes »), vers 1470-1480 (d’après l’original, Corée, 1402), Kyoto,
Présentation de la girafe du Bengale offerte à l’empereur Yongle en 1414, anonyme, XVIe ou XVIIe siècle, Chine
le marché musulman, anonyme, 1506-1512, Chine © Furusiyya Art Foundation. Phot : Noël Adamas
La Chine est l’une des plus grandes puissances du monde empire mongol du XIIIe siècle, qui relie l’ouest du monde
médiéval, tant par les richesses qu’elle produit (la soie, la
islamique au monde chinois, a intensifié ses échanges. Des
porcelaine, les produits laqués, etc.) que par l’étendue de
inventions techniques, adoptés beaucoup plus tard par les
son territoire. Européens—comme la boussole, le gouvernail d’étambot—
permettent de faire naviguer des bateaux de gros tonnage,
Elle commerce ainsi depuis longtemps avec les pays du avec une centaine d’hommes à leur bord.
Moyen-Orient, par voie terrestre ou maritime. L’immense
L’empire chinois lance au début du XVe siècle, sous la Il y eut sept expéditions au total, durant lesquelles Zheng
dynastie Ming, les célèbres expéditions de l’amiral Zheng He explora les côtes indiennes, le sud de l’Arabie, le golfe
He. Nommé « amiral des mers de l’Ouest », il quitta la Chine Persique ; il atteignit aussi l’embouchure de la mer Rouge
en juillet 1405 à la tête d’une flotte de 200 navires abritant et longea l’est des côtes africaines.
27 000 hommes (des soldats, des interprètes, de nom- On évoque souvent que l’une de ses expéditions atteignit le
breux savants). Il s’agissait non pas de conquérir, mais de cap de Bonne-Espérance, et ce plusieurs années avant sa
conduire des opérations de prestige, destinées à prendre découverte officielle par Bartolomeu Dias en 1488. L’empire
contact avec de nouveaux peuples, à acquérir des connais- chinois y met fin en 1436, considérant que ces expéditions
sances (dont la cartographie du monde connu), et à affir- coûtent plus qu’elles ne rapportent. En se retirant de l’océan
mer la puissance de l’Empire chinois. Indien, les Chinois laissent sans le savoir la place libre aux
Européens qui y pénètrent cinquante ans plus tard.
La Carte Kangnido (dite « Carte historique des pays et des villes »)
Pour aller plus loin, la librairie du Mucem vous propose : La carte Kangnido a été réalisée en 1402 en la Corée. L’Europe, l’Afrique et la péninsule qui n’est pas le cas sur les cartes européennes
Corée, à partir de cartes chinoises. Elle est Arabique sont représentées de manière de la même époque. Si la science de la
antérieure de presque cent ans aux expéditions relativement connue. La Méditerranée, cartographie est ancienne de plusieurs siècles
Timothy Brooks, La carte perdue de Timothy Brooks, Sous l’oeil des Patrick Boucheron (dir), Histoire du portugaises dans l’océan Indien. C’est l’une la péninsule Ibérique, l’Italie et l’Adriatique sont chez les Chinois, la carte Kangnido intègre
John Selden, Paris, Éditions Payot & dragons, Paris, Payot, 2012 monde au XVe siècle (2 tomes), Paris, des plus anciennes cartes asiatiques connues clairement figurées : on dénombre plus aussi des connaissances venues du Moyen-
Rivages, 2016 Pluriel, 2012 qui représente l’ensemble de l’Asie avec la de cent indications pour les seuls territoires Orient : les noms de lieux utilisés pour
Corée et le Japon, ainsi que l’Afrique et l’Europe. européens. La forme générale de l’Afrique, l’Afrique et l’Europe proviennent de l’arabe et
En son centre, la Chine occupe une place en particulier sa pointe sud, montre un continent du persan.
prépondérante et surdimensionnée, tout comme que l’on peut contourner par la mer, ce
Arrivée de Vasco de Gama à Calicut (détail). Atelier belge de Tournai, début du XVIe siècle. Tapisserie en laine et soie.
Mappemonde catalane, anonyme, Espagne, vers 1450-1460, manuscrit sur vélin, Bibliothèque Estense, Modène, Italie.
Caixa Geral de Deposito (CGD), Lisbonne, Portugal. © Bridgeman Images
Les premières expéditions portugaises
dans l’océan Indien
Trouver la route de l’Inde
L’intérêt pour la cartographie coïncide en Europe avec l’ex- musulmans et maîtriser le très riche marché contrôlé par
pansion économique de la fin du Moyen Âge. les navigateurs arabes, persans, indiens et indonésiens.
Les expéditions maritimes dans lesquelles se lancent les Les Portugais choisissent de longer l’Afrique pour trouver un
Portugais et les Espagnols sont motivées par une raison débouché sur l’océan Indien. Ce choix s’explique aussi par
unique : accéder directement aux richesses de l’Orient, l’attrait que représente ce continent, où l’on cherche un accès
contourner les routes commerciales détenues par les aux mines d’or dont parlent les récits antiques et la Bible.
Les Portugais explorent pendant environ un siècle les côtes diplomatiques avec le râja de Calicut. Celui-ci, déçu par les
de l’Afrique et installent des comptoirs tout au long de la marchandises de peu de valeur que Gama lui propose
côte. Lorsque Vasco de Gama arrive dans l’océan Indien en – miel, chapeaux, pots de chambre – refuse les avantages
1498 en contournant le sud de l’Afrique, les Portugais font commerciaux qu’il demande (expulsion des marchands
irruption sur les territoires de très anciennes civilisations. arabes, installation d’une garnison portugaise) et exige le
Ils font escale dans des comptoirs commerciaux africains paiement de taxes commerciales dont s’acquittent tous les
et indiens développés, qui commercent avec les marchands commerçants.
musulmans, mais aussi juifs et italiens, en Inde.
Les Portugais, suivant une logique de conquête et de colo-
Si les deux expéditions de Gama sont considérées comme nisation, mettront une dizaine d’années pour prendre, par
un succès prometteur au Portugal et dans toute l’Europe, les armes, le contrôle systématique des comptoirs com- L’atlas catalan
le voyage est un échec du point de vue des relations merciaux indiens les plus stratégiques.
Voici une mappemonde réalisée dans les cartes européennes à représenter le pouvoir son existence matérielle. Il est protégé des
années 1450 en Espagne, avant les Grandes islamique dans la région méditerranéenne. incursions par le mythique royaume du prêtre
Découvertes européennes. Elle représente Les royaumes indiens y figurent aussi en bonne Jean et, au nord, par six montagnes de dia-
Pour aller plus loin, la librairie du Mucem vous propose : l’Ancien Monde entouré d’un océan unique. place. Pourtant, le sud du continent africain mants d’où jaillissent des flammes. Adam et Ève
Des données récentes y figurent : le tracé de semble mystérieusement inachevé : après le y sont représentés debout, de part et d’autre
Sanjay Subrahmanyam, Vasco de Gama, Sanjay Subrahmanyam, L’empire Francesca Trivellato, Corail contre la Chine s’appuie certainement sur les narrations golfe de Guinée, un cours d’eau relie l’océan de l’Arbre de vie. Des créatures hybrides et
Paris, Points, 2014 portugais d’Asie, Paris, Points, 2013 Diamants, Paris, Éditions du Seuil, 2016 de Marco Polo (1254-1324) et la forme de Atlantique à l’océan Indien, mais plus bas, les inquiétantes peuplent aussi la carte, non pas
l’Afrique intègre les explorations récentes des terres sont étonnamment vierges d’information. dans les contrées inconnues d’Afrique ou d’Asie,
Portugais sur la côte ouest (découverte Plus étonnant encore, le Paradis est figuré sur mais au nord de l’Europe !
du cap Vert en 1444). Avec les portraits des la carte, dans la corne de l’Afrique. Jusqu’à la fin
maîtres du désert, c’est l’une des premières du Moyen Âge, les chrétiens sont certains de
Explorer le Nouveau Monde
Une accélération des découvertes
Après que les Portugais eurent atteint par voie de mer pour sans le savoir aux Antilles. L’exploration du nouveau conti-
la première fois le cap de Bonne-Espérance en 1488, la nent américain progresse dans les années suivantes : l’île
Planisphère de Cantino, 1502, manuscrit enluminé sur parchemin, Bibliothèque Estense, Modèle, Italie.
compétition pour la route des Indes entre l’Espagne et le de Terre-Neuve au large du Canada en 1497, le Labrador
Portugal s’intensifie en quelques dizaines d’années. Quatre en 1498, le Venezuela en 1499. Le Brésil est officiellement
ans plus tard, en 1492, Christophe Colomb, qui cherche un «découvert» en 1500…
accès aux Indes et à la Chine par la route de l’ouest accoste
Les conditions de tels voyages constituent une véritable de quelques mois de voyage et seulement une soixantaine
épreuve humaine : les équipages doivent affronter les reviennent au point de départ en ayant fait le tour du
imprévus météorologiques, les conditions climatiques monde.
extrêmes, la faim, les maladies qui déciment, les mutineries Les pertes humaines valent peu en comparaison des
durement réprimées. richesses rapportées par le seul bateau épargné : ses cales
Les pertes humaines ont été très lourdes : Vasco de Gama remplies d’épices permettent de couvrir les frais exorbi-
revient avec la moitié de son équipage ; parmi les tants de l’expédition et de dégager un bénéfice
200 marins de Magellan, soixante font demi-tour au bout substantiel.
Le Mucem est ouvert tous les jours sauf le mardi, L’exposition est réalisée en coproduction avec l’Institut
le 1er mai et le 25 décembre. du monde arabe.