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BREVET DE TECHNICIEN SUPÉRIEUR

TOUTES SPÉCIALITÉS

CULTURE GÉNÉRALE ET EXPRESSION

SESSION 2015
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Durée : 4 heures
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Aucun matériel autorisé.

Dès que le sujet vous est remis, assurez-vous qu’il est complet.
Le sujet comporte 7 pages, numérotées de 1 à 7.

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Cette part de rêve que chacun porte en soi

PREMIÈRE PARTIE : SYNTHÈSE ( /40 POINTS)

Vous rédigerez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents


suivants :

Document 1 : Blaise Cendrars, L’Or, 1925

Document 2 : Georges Minois, L’Âge d’or. Histoire de la poursuite du bonheur,


éditions Fayard, 2009

Document 3 : Michel Onfray, Théorie du voyage, Le Livre de poche, 2006

Document 4 : Pascal Bruckner, L’euphorie perpétuelle. Essai sur le devoir de


bonheur, Grasset, 2000

DEUXIÈME PARTIE : ÉCRITURE PERSONNELLE : ( / 20 POINTS)

Selon vous, pouvoir aller partout ou connaître tous les ailleurs abolira-t-il la
part de rêve que chacun porte en soi ?

Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant


sur les documents du corpus, vos lectures et vos connaissances personnelles.

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DOCUMENT 1

Dans ce roman dont l’action se déroule au XIXe siècle, le héros, Johann August
Suter, abandonne son existence en Suisse pour se rendre en Amérique. Il commence par
tenir une ferme dans le Missouri.

Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont défilé chez lui,
les menteurs, les bavards, les vantards, les hâbleurs, et même les plus taciturnes,
tous ont employé un mot immense qui donne toute sa grandeur à leurs récits. Ceux
qui en disent trop comme ceux qui n'en disent pas assez, les fanfarons, les peureux,
5 les chasseurs, les outlaws1, les trafiquants, les colons, les trappeurs, tous, tous, tous,
tous parlent de l'Ouest, ne parlent en somme que de l'Ouest.

L’Ouest.
Mot mystérieux.
Qu'est-ce que l'Ouest ?
10 Voici la notion qu'il en a.

De la vallée du Mississippi jusqu'au-delà des montagnes géantes, bien loin,


bien loin, bien avant dans l'ouest, s'étendent des territoires immenses, des terres
fertiles à l'infini, des steppes arides à l'infini. La prairie. La patrie des innombrables
tribus peaux rouges et des grands troupeaux de bisons qui vont et viennent comme
15 le flux de la mer.

Mais après, mais derrière ?

Il y a des récits d'Indiens qui parlent d'un pays enchanté, de villes d'or, de
femmes qui n'ont qu'un sein. Même les trappeurs qui descendent du nord avec leur
chargement de fourrures ont entendu parler sous leur haute latitude, de ces pays
20 merveilleux de l'ouest, où, disent-ils, les fruits sont d'or et d'argent.

L'Ouest ? Qu'est-ce que c'est ? Qu’est-ce qu'il y a ? Pourquoi y a-t-il tant


d'hommes qui s'y rendent et qui n'en reviennent jamais ? Ils sont tués par les Peaux
Rouges ; mais celui qui passe outre ? Il meurt de soif ; mais celui qui traverse les
déserts ? Il est arrêté par les montagnes ; mais celui qui franchit le col ? Où est-il ?
25 Qu’a-t-il vu ? Pourquoi y en a-t-il tant parmi ceux qui passent chez moi qui piquent
directement au nord et qui, à peine dans la solitude, obliquent brusquement à
l'ouest ?

La plupart vont à Santa Fe, cette colonie mexicaine avancée dans les
montagnes Rocheuses, mais ce ne sont que de vulgaires marchands que le gain
30 facile attire et qui ne s'occupent jamais de ce qu'il y a plus loin.

Johann August Suter est un homme d'action.

…/…

1
Hors-la-loi, brigands (mot anglais).

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Il bazarde sa ferme et réalise tout son avoir. Il achète trois wagons couverts,
les remplit de marchandises, monte à cheval armé du fusil à deux coups. Il s'adjoint
à une compagnie de trente-cinq marchands qui se rendent à Santa Fe, à plus de 800
35 lieues. Mais l'affaire était mal montée, l'organisation peu sérieuse et ses
compagnons, des vauriens qui s'égaillèrent1 rapidement. Aussi bien Suter y aurait
tout perdu, car la saison était trop avancée, s'il ne s'était établi parmi les Indiens de
ces territoires, aux extrêmes confins du monde civilisé, troquant et trafiquant.

Et c'est là, chez ces Indiens, qu'il apprend l'existence d'un autre pays,
40 s'étendant encore beaucoup plus loin à l'ouest, bien au-delà des montagnes
Rocheuses, au-delà des vastes déserts de sable.

Enfin il en sait le nom.


La Californie.
Mais pour se rendre dans ce pays, il doit s'en retourner en Missouri.

45 Il est hanté.

Blaise CENDRARS,
L’Or, 1925

1
Se dispersèrent, s’éparpillèrent.

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DOCUMENT 2

Dans une section de son ouvrage, l’auteur étudie le rêve américain partagé par de
nombreux immigrants européens du XIXe au début du XXe siècle.

L’Amérique, terre de bonheur, une fois de plus. Le mythe est tenace. Cette
fois, ce ne sont ni les mœurs innocentes des Indiens – qu’on va parquer dans des
réserves – ni la nature luxuriante qui attire les regards, mais les possibilités
d’enrichissement offertes par le développement économique d’un immense pays
5 dans le cadre d’une législation ultralibérale. Des dizaines de millions d’Européens se
précipitent vers le nouvel Éden, où ils vont chercher le bonheur […]. L’Amérique,
c’est le bonheur par la liberté. C’est bien le sens que l’on veut donner à la statue de
la Liberté, sur laquelle sont gravés en 1903 ces mots de la poétesse juive Emma
Lazarus (1849-1887) : « Je lève ma torche devant la porte d’or » (« I lift my lamp
10 beside the golden door »). La porte de l’âge d’or, de l’Éden, qui vient de rouvrir en
cette Amérique bénie. Le rêve américain commence, avec ses mythes, ses self-
made men, les Carnegie, les Rockefeller, les Morgan, les Van der Bildt, nouveaux
dieux auto-édifiés, cent après cent, dollar après dollar.

Car ce nouvel âge d’or est en fait l’inverse du premier1, où il n’y avait ni tien ni
15 mien, où l’on méprisait les métaux précieux. Dans l’âge d’or archaïque, on était
heureux parce qu’on ne possédait rien ; dans l’âge d’or américain, on est heureux
parce qu’on est milliardaire et que les autres ne le sont pas. Le bonheur, c’était
autrefois l’égalité ; c’est maintenant la liberté, c’est-à-dire l’inégalité. C’est un
bonheur qui se gagne par un travail acharné et par la libre concurrence. Ce n’est
20 donc pas le bonheur assuré pour tous, c’est le bonheur possible pour tous, en
théorie.

L’Amérique connaît-elle vraiment l’âge d’or (Golden Age), ou n’est-ce que


« l’âge doré » (Gilded Age), l’âge du plaqué or ? C’est Mark Twain (1835-1910) qui
pose la question dans son roman de 1873, The Gilded Age. L’Amérique fait rêver,
25 mais elle ne tient pas ses promesses, son bonheur est en toc, ce n’est qu’une façade
qui cache – mal – le sort des Noirs, des Indiens, des millions d’immigrants qui ne
feront jamais fortune, un monde où les grands ne sont grands que parce qu’ils sont
juchés sur une pyramide de victimes de la libre concurrence.

Georges MINOIS,
L’Âge d’or. Histoire de la poursuite du bonheur, éditions Fayard, 2009

1
Allusion au mythe antique de l’Âge d’or.

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DOCUMENT 3

Immédiatement, on se trouve pris dans cet étrange paradoxe : le planisphère


semble petit et vaste le monde, or l’inverse est vrai : le planisphère est vaste, et petit
le monde pourtant. Car, nonobstant 1 sa nature et son éloignement, tout endroit
s’atteint désormais, modernité des transports oblige, dans des délais fort
5 convenables. Les lieux anciennement les plus éloignés – l’Inde de Marco Polo,
l’Afrique de René Caillé, l’Orient de Nerval, l’Océanie de Bougainville – s’atteignent
maintenant par des voies d’accès tracées sur les cartes définitivement débarrassées
de leurs taches blanches. Toutes les destinations sont devenues possibles –
question de temps. Dans ce champ des possibles, comment élire un lieu ? Que
10 choisir ? À quoi renoncer ? Et pour quelles raisons ? […]

Un mot, un nom, un lieu, un endroit lisibles sur la carte retiennent alors


l’attention. Celui d’un pays, d’un cours d’eau, d’une montagne, d’un volcan, celui d’un
continent, d’une île ou d’une ville. L’indistinct, le viscéral se retrouvent dans une
émotion déclenchée soudain par un nom fiché dans la mémoire : aller au Tibet, voir
15 le fleuve Amour, gravir le mont Fuji, escalader l’Etna, cheminer sur les collines de
N’Gong, nager dans l’océan Pacifique, aborder Guernesey, visiter Addis-Abeba,
marcher dans les rues de Cyrène, naviguer dans la baie d’Along – chacun dispose
d’une mythologie ancienne fabriquée avec des lectures d’enfance, des souvenirs de
famille, des films, des photos, des images scolaires mémorisées sur une carte du
20 monde un jour de mélancolie en fond de classe. Puis on passe à l’acte pour réaliser
son rêve avant de mourir : stationner en silence à l’endroit où se rejoignent l’Orient et
l’Occident, dans le détroit du Bosphore, marquer un temps d’arrêt devant la
naissance d’une piste africaine en latérite rouge, se sentir interdit dans une rue de
New York devant les jets de vapeur pulsés par les mufles de bouches d’égout,
25 retenir son souffle en survolant les lagons de l’océan Indien, constater que son cœur
bat en franchissant l’équateur ou en passant le tropique du Capricorne, frissonner
d’émotion au-delà du Cercle polaire.

Michel ONFRAY,
Théorie du voyage, Le Livre de poche, 2006

1
Malgré.

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DOCUMENT 4

Une autre vie existe, plus belle, plus ardente ! Quel enfant ou adolescent, se
morfondant au sein d'une famille monotone, n'a entendu cet appel avec un frisson de
plaisir ? Nul n'est condamné à ses conditions de naissance, à son milieu social,
parental, conjugal. Le simple fait de pressentir une destinée plus favorable permet
5 souvent de renverser les murs qui nous emprisonnent. C'est le charme des départs,
des ruptures que de nous basculer dans l'inconnu et de creuser au sein de la trame
du temps une déchirure bénéfique. Aux principes de plaisir et de réalité, il faudrait en
rajouter un troisième : le principe d'extériorité, en tant qu'il est le royaume de la
diversité, de l'inépuisable saveur des choses. […] Il faut laisser une porte ouverte sur
10 le « pays du dehors » (Lewis Carroll1), sur le mystère, l'inexploré et cette porte, la
franchir au moins une fois, répondre à l'appel des ailleurs, le désert pour les uns,
l'Orient ou l'Afrique pour d'autres, pour d'autres encore la découverte […] d'une
vocation étouffée. Alors tout est suspendu à l'imminence d'une fuite, d'un saut qui
nous délivrera des puissances asphyxiantes de la routine, de la petitesse. Moment
15 lumineux de l'échappée belle qui nous porte vers de plus beaux rivages.

Mais si l'on peut remettre sa vie en jeu comme un dé qu'on relance,


appareiller vers de nouveaux destins, il est faux qu'on puisse faire n'importe quoi,
être indifféremment n'importe qui, s'incarner tour à tour dans la peau d'un chercheur,
d'un artiste, d'un cosmonaute et que seul « le ciel soit la limite ». C'est l'attitude
20 américaine du can do, du « tu peux le faire » qui ne fixe aucune borne aux capacités
d'un individu pourvu qu'il retrousse ses manches, optimisme d'une nation pionnière
qui croit au mariage de l'efficacité et de la volonté. À la contrainte du salut dans
l'Ancien Régime2 a succédé l'ivresse des possibles dans les sociétés laïques et cet
éventail donne le tournis. Celui qui espère embrasser tous les chemins risque fort de
25 n'en étreindre aucun ; une chose est de sortir de soi, une autre de se croire soustrait
à la nécessité du choix, c'est-à-dire d'un cadre qui, en nous restreignant, conditionne
aussi notre liberté.

Pascal BRUCKNER,
L’euphorie perpétuelle. Essai sur le devoir de bonheur, Grasset, 2000

1
Romancier anglais, auteur d’Alice au pays des merveilles.
2 e
« salut dans l’Ancien Régime » : la société française du XVI siècle à la Révolution française est
marquée par les valeurs religieuses. L’homme doit veiller à son attitude terrestre pour obtenir son
salut, c’est-à-dire être sauvé et prétendre au bonheur éternel.

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