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« La Religieuse » : récit et écriture du corps

Author(s): Flavio Luoni


Source: Littérature , MAI 1984, No. 54, DES NOMS ET DES CORPS (MAI 1984), pp. 79-99
Published by: Armand Colin

Stable URL: http://www.jstor.com/stable/23799971

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Flavio Luoni, Milan.

« La Religieuse » : récit et écriture du corps

La situation rhétorique

La volonté destructrice qui anime sœur Suzanne 1 tend à s'exercer sur


tout ce que ces « mémoires » décrivent. Nous connaissons d'autre part la
situation rhétorique dans laquelle s'inscrit la composition de La Religieuse,
nous savons comment la nature de cette œuvre se conforme à une finalité
pragmatique originaire : réclamer le secours et les faveurs du marquis de
Croismare, exercer à son égard une efficace captatio benevolentiae2. Ainsi
le « ton émotionnel » particulier qui caractérise le discours de la narratrice
remplirait une fonction évidente à l'intérieur d'une stratégie semblable à
une simulation d'avocat très prolongée 3, simulation qui trouve son medium
dans une forme d'éloquence du barreau proche des modèles classiques. La
narratrice met en œuvre un savoir compositif, une véritable « compétence
référentielle »4 visant à produire les effets souhaités sur le narrataire. Pour
cela il est nécessaire que la description de l'univers monastique soit telle
qu'elle suscite des « réactions sentimentales » particulièrement vives; il sera
présenté comme une prison qui tend peu à peu à se transformer en un lieu
d'horreurs.
D'autre part cette représentation (cette instauration) de l'univers conven
tuel tire son efficacité rhétorique beaucoup moins de l'exploitation narrative

1. La narratrice des « mémoires » dont le texte est constitué. Les citations renvoient à Diderot,
La Religieuse, édition établie et présentée par Robert Mauzi, Colin, 1960.
2. Il s'agit d'un rapport rhétorique qui lie la narratrice à un narrataire dont les traits originaux
sont à rechercher dans un hors-texte connexe à la genèse biographique (très célèbre) de l'œuvre.
Cf. R. J. Ellrich, « The Rhetoric of La Religieuse and Eighteenth-Century Forensic Rhetoric », in
Diderot Studies, III, 1961 ; E. Lizé, « La Religieuse, un roman épistolaire? », in Studies on Voltaire
and the Eighteenth Century, XCVIII, 1972, notamment pp. 158-161 ; Gerald Prince, « Introduction
à l'étude du narrataire», in Poétique, 14, 1973, pp. 193-194.
3. Cf. R. J. Ellrich, « The Rhetoric of La Religieuse and Eighteenth-Century Forensic Rhetoric »,
pp. 140-142.
4. Cesare Segre, Semiótica filológica, Einaudi, Turin, 1979, p. 32.

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d'une thématique spatiale de la clôture 5 que de la mise en scène des relations
qui se nouent entre les personnages et de l'insistance du discours à l'égard
des qualités singulières propres à ces relations. L'univers conventuel est peuplé,
la prison est telle beaucoup moins en tant qu'espace enfermant qu'en raison
des êtres qui s'y meuvent et des dynamiques d'existence qu'il abrite.

Perspectives

Nous voudrions donc nous occuper des personnages et de leurs relations.


Dans le texte le personnage s'identifie avec son portrait (notion rhétorique);
comme l'on sait, l'unité de ce dernier est formée par la prosopographie et par
Yéthopée, termes que l'on réservait respectivement à la description de l'« aspect
extérieur » et de la « morale », des mœurs6. Il est donc constitué par les
séquences d'énoncés descriptifs qui, à l'intérieur de la syntagmatique narrative,
assument comme réfèrent fictif des traits physiques et psychologiques. Dans
notre lecture nous considérerons les portraits en raison de leur fonctionnalité
à l'intérieur de l'espace romanesque (au double niveau du récit et de la
diégèse)7.
Nous nous placerons à l'intérieur de trois perspectives, qui définissent
respectivement: 1) La répartition des personnages, établie par le discours de
la narratrice, en deux classes inégales d'une manière voyante du point de vue
numérique et opposées sur le plan fonctionnel (les mères supérieures d'une
part, l'ensemble des religieuses de l'autre : cette répartition manquerait sans
doute d'intérêt si elle se bornait à reproduire sur le plan du récit une division
des tâches et une hiérarchie communes au niveau du «monde»; il s'agit au
contraire, en évitant de soustraire au texte sa différence, la nature et l'arti
culation spécifique de ses contenus, d'observer les formes particulières qu'elles
assument, de remarquer au moins quel est l'imaginaire que le récit y fait
circuler et agir); 2) Les attributs et les fonctions de quelques personnages
dont la présence s'oppose au principe de cette répartition et à ses effets; 3) La
nature et les modalités des relations qui unissent la narratrice aux mères
supérieures.

5. L'univers diégétique en tant que décor abritant l'action et les personnages est à peine esquissé
par quelques notations neutres et éparses. D'autant plus absent (ou presque) sera tout investissement
symbolique dont il peut être l'objet comme toute floraison de réseaux connotatifs à partir de la
description de quelque présence matérielle (l'on sait bien que pour tout cela nous devrons attendre
l'ère de la « prison romantique », dont parle Victor Brombert - La Prison Romantique. Essai sur
l'imaginaire, Corti, 1975). Ces formes thématiques se manifestent surtout dans les premières pages,
et sont liées aux contacts initiaux de la future religieuse avec le monde claustral. (Thématique à la
fois spatiale et temporelle, faisant apparaître le couvent comme une vaste machine qui assimile
rapidement l'être qui y pénètre et étouffe ses résistances. Le caractère trouble de l'espace renfermant
de la façon la plus redoutable se mêle ici à l'angoisse provoquée par une contraction singulière de
la durée vécue par la narratrice, cf. p. 7.)
6. Fontanier, Les Figures du Discours, rééd. Flammarion, 1968, pp. 425-428; Tzvetan Todorov,
Littérature et Signification, Larousse, 1967, p. 113.
7. Ces termes sont naturellement employés dans le sens que leur donne Gérard Genette
(Figures III, Éd. du Seuil, 1972, pp. 72 et 122 note).

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L'élaboration des contenus narratifs particuliers qui se regroupent sur
ces trois plans est commandée, comme on l'a dit, par une volonté visant à
la captatio benevolentiae du narrataire : l'horizon sémantique de la captivité
s'étend sur la totalité du récit, il y produit une atmosphère stable; il est
construit par la narratrice tout au long de ses « mémoires », et les choix
narratifs s'établissent en fonction de sa permanence. Ainsi, à l'intérieur de
la première perspective, nous pouvons observer les manifestations de l'autorité
de ces singuliers geôliers que sont les mères supérieures; à l'intérieur de la
seconde, les tensions propres à ces quelques personnages qui, selon des
modalités différentes, se révoltent contre l'univers claustral; à l'intérieur de
la troisième, enfin, les conflits tout à fait particuliers se produisant entre la
narratrice et les sources d'où rayonne l'autorité monastique.

L'empreinte des Supérieures

Comme nous l'avons dit, dans La Religieuse une grande opposition


sépare le champ des personnages. Mais la forme même de cette opposition
nous pousse à reconnaître, à partir de la généralité du terme « personnage »,
la nécessité d'une distinction. Les membres des deux classes auxquelles nous
avons fait allusion s'opposent entre eux en ce qui concerne la portée de
leur personnalité ou, pour ainsi dire, le volume de leur être singulier : autour
des unes se regroupent tous les signes qui définissent leur singularité (le
discours marque leur être individuel), les autres se confondent dans l'ano
nymat. Nous indiquerons les membres de la première classe par le nom
d'acteurs les unités qui composent la seconde sont au contraire des
personnages dont l'individualité est sacrifiée à l'accomplissement d'une même
fonction - et dont la pluralité indistincte les définit comme une sorte de
macro-actant.

Auprès des mères supérieures il existe un autre groupe restreint d'acteurs


il s'agit des personnages, auxquels nous avons fait allusion, qui semblent
révolter contre le principe qui commande la répartition mentionnée; po
ceux-ci s'y opposer signifiera se soustraire à l'anonymat de la fonction (coll
tive), pour se montrer en leur être individuel (contraignant ainsi le discour
produire les marques de leur singularité). Mais le recensement des acte
serait-il incomplet s'il excluait la narratrice elle-même; ce sera enfin cet acteu

8. Dans ce cas c'est l'économie de sens propre au texte même qui nous suggère l'emploi de
terme, auquel elle donne une signification qui le rapproche d'une acception pas étrangère à l'usag
commun (celui qui l'emporte, qui tranche, qui prend une fonction de relief à cause de l'évide
de son individualité). Nous pourrions dire que, employé en ce sens, le terme « acteur » conti
quelques sèmes indispensables qui s'ajoutent à ceux que Greimas a établis (rappelons que le « conte
sémantique minimal » du terme acteur est défini par la présence des sèmes : « a) entité figurativ
(anthropomorphique, zoomorphique ou autre); b) animé et c) susceptible à'individuation (concréti
dans le cas de certains récits, surtout littéraires, par l'attribution d'un nom propre) ». Du sens. Es
sémiotiques. Éd. du Seuil, 1970, pp. 255-256.

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par excellence9 (dans ses rapports avec les acteurs-mères supérieures) qui se
trouvera au centre de notre analyse.
On connaît l'intérêt que Diderot porte au corps et à son « expressivité ».
Des traces de cette thématique (ou de cette problématique) manifestent leur
présence aussi dans La Religieuse, et nous serons ainsi amenés à observer les
formes qu'elles assument dans l'écriture narrative de ce texte. En effet La
Religieuse montre de la façon la plus sensible le rôle que la dimension
corporelle des acteurs (prosopographie) peut jouer à l'intérieur de l'économie
particulière de production du sens d'un texte narratif (au double niveau
structurel déjà mentionné). L'opposition entre les acteurs et la collectivité
anonyme apparaît comme étant déterminée en premier lieu par une mise en
évidence de la part de la narratrice des qualités et des pouvoirs de leur corps;
le passage de certains personnages (la religieuse « folle », sœur Thérèse) de la
sphère de la fonctionnalité anonyme à celle de l'individualité propre à l'acteur
se produit à la suite d'une mise en valeur de la singularité de leur corps (de
son « expressivité » ou de son désir). Enfin, une ambivalence curieuse qui
caractérise la narratrice trouve son origine dans un contraste entre ses attributs
«officiels» (c'est-à-dire rhétoriquement programmés pour soi-même) et une
propriété que « son » texte même attribue à son corps au moment où celui-ci
se trouve pris à l'intérieur des relations qui l'unissent aux corps des mères
supérieures.
Dans La Religieuse, l'opposition qui place d'un côté la pluralité des
religieuses et de l'autre les mères supérieures prend une forme et une portée
tout à fait particulières. En lisant les « mémoires » de sœur Suzanne tout
révèle comment la supérieure ne saurait être simplement identifiée avec la
limite d'une hiérarchie. C'est d'elle qu'émane la qualité même de l'existence
conventuelle, c'est elle qui en détermine les caractères et les propriétés
stables. Selon les « mémoires », les attributs qui lui appartiennent person
nellement, les obsessions qui la dominent se communiquent aux religieuses
comme dans la continuité d'une même substance. Soumis sous une forme
extrême à ce pouvoir individuel, l'ensemble des religieuses constitue un
aggloméré homogène et passif, dont au contraire toute individualité tend à
être expulsée. Il existe entre elles une contiguïté essentielle de comportements
semblables et de sensations identiques; elles forment comme un seul corps
multiple parcouru par la même agitation et ému par les mêmes passions.
(On pourrait remarquer, à propos de cette structure, de cette architectonique
actorielle, qui dans La Religieuse régit le développement de toute une
imagination dramatique l0, la proximité de certains thèmes présents dans le

9. Le projet rhétorique même qui domine les « mémoires » (projet à la suite duquel la narratrice
tend à se montrer comme un être constamment persécuté par le monde conventuel, donc à se placer
constamment au centre de son propre discours) fait de La Religieuse un récit décidément autodié
gétique.
10. Au sens donné à ce terme par Gérard Genette dans Figures. Essais. Éd. du Seuil, 1966,
p. 164.

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texte Sur les femmes Il y a donc un pouvoir transitif propre au corps de
l'acteur, pouvoir qui constitue comme le prolongement de son expressivité
naturelle (on sait combien pour Diderot le mouvement et les tensions extérieures
des corps trahissent l'intériorité affective ou passionnelle l2) : comme si cette
expressivité, outre le pouvoir de révéler une dimension intérieure, possédait
aussi celui d'en répandre activement l'influence. Ce qui en découle c'est que,
si une supérieure disparaît de la scène, sa substitution a pour conséquence
une modification globale des expériences accessibles aux religieuses. L'appa
rition d'une nouvelle supérieure provoque une autre organisation de leurs
existences quotidiennes, en produisant chez elles de nouvelles perceptions et
de nouvelles émotions.
Les scènes dans les couvents de Longchamp et de Saint-Eutrope, respec
tivement sous l'autorité de Mme de Moni, de sœur Sainte-Christine et de
Mme ***, occupant la quasi-totalité des « mémoires », apparaissent dominées
de la façon la plus voyante par cette correspondance essentielle entre les
attributs des supérieures et les formes de l'existence claustrale. Cette corres
pondance est soulignée sur le plan de l'organisation du récit par une certaine
stratégie discursive élémentaire. Elle règle la distribution, à l'intérieur de la
syntagmatique narrative, de certaines séquences de phrases qui remplissent la
fonction mimétique consistant à mettre sous les yeux du narrataire la figure
même de la supérieure en sa singularité créaturelle (qui, comme on le verra,
ne se manifeste que sous forme de valeurs de mobilité, d'expression ou
d'« ouverture »), ou bien qui se bornent à mentionner les inclinations qui la
définissent (seule cette dernière fonction remplie par l'éthopée est présente
dans le portrait de sœur Sainte-Christine). La réclusion claustrale de la
narratrice compte trois périodes marquées par la présence de trois mères
supérieures et ayant pour cadre spatial deux couvents; or chaque section de
texte qui relate les événements propres à chaque période s'ouvre invariablement
et de façon significative par un portrait de la supérieure qui y correspond et
dont la fonction est de créer chez le narrataire (et chez le lecteur) un horizon
d'attente concernant le rythme, les formes, le sens qui seront propres à ces
événements. Le portrait de la supérieure anticipe sur l'axe syntagmatique le
« portrait » de l'existence claustrale collective.
Observons donc brièvement les formes sous lesquelles se manifeste selon
les « mémoires » la correspondance évoquée. Mme de Moni13 vise à établir avec
les religieuses des relations animées par une « extase », un « transport » (p. 30)

11. Cet « essai sur la possession, le délire, l'hystérie, la manie collective - la passivité », comme
dit Philippe Lacoue-Labarthe (« Diderot, le paradoxe et la mimésis », in Poétique, 43, 1980, p. 279),
essai qui semble « motiver » à un certain endroit des situations décrites dans La Religieuse (au cours
du récit de la période à Longchamp sous l'autorité de sœur Sainte-Christine), là où cette inclination
à s'annuler dans l'homogénéité collective est attribuée aux Femmes en proie à la férocité (« Les
femmes sont sujettes à une férocité épidémique. L'exemple d'une seule en entraîne une multitude. »
Sur les femmes, in Œuvres, Gallimard, Pléiade, 1951, p. 984.)
12. En partageant en cela les croyances tant de la physiognomonie que de la « pathognomonic »;
cf. J. Proust, « Diderot et la physiognomonie », in Cahiers de l'Association Internationale des Études
Française, 13, 1961, pp. 317-319.
13. La supérieure désignée au cours de la première période à Longchamp.

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décrits en termes « mystiques » et se réalisant au cours de certaines prières
collectives, petites « séances » dont la supérieure est la figure « animatrice »,
le centre spirituel et émotionnel. La « force », l'« onction », l'« éloquence »
(p. 30) avec lesquelles Mmc de Moni se prosterne pour prier à haute voix
suggèrent une inspiration divine (évoquée par la narratrice elle-même, p. 30).
Le singulier pouvoir transitif propre au corps de la supérieure, auquel nous
avons déjà fait allusion, son étrange vertu le rendant capable de transmettre
ses propres attributs aux êtres qui l'entourent est ici affirmée d'une façon très
précise par les descriptions diderotiennes, en donnant lieu à un imaginaire
corporel assez curieux. A Mmc de Moni est attribuée un don précieux, qui
consiste en la capacité de faire pénétrer « ses pensées, ses expressions », les
« images », dont elle se sert « jusqu'au fond du cœur » des religieuses (p. 30).
Ses paroles, produisant des singuliers « tressaillements », donnent lieu à une
agitation qui se répand chez les religieuses pendant l'écoute de cet efficace
flux verbal, au bout duquel elles participent d'une extase commune (♦ d'abord
on l'écoutait; peu à peu on était entraîné, on s'unissait à elle, l'âme tressaillait,
et l'on partageait ses transports », p. 30). Le mimétisme de l'écriture didero
tienne s'évertue à décrire la dynamique de cette « exaltation » intérieure, ainsi
que ses reflets - ou ses signes - dans le volume du corps. Si bien qu'au cours
de ses expériences Mme de Moni devient peut-être étrangère à elle-même, la
narratrice lui attribue au moins une connaissance sommaire de cette dynamique
(comme le révèlent quelques phrases d'auto-analyse qu'elle prononce lors de
certains entretiens avec Suzanne, p. 33). Les tensions intérieures par lesquelles
elle atteint cette condition extatique se réduisent à un processus simple
d'« accumulation sentimentale » : il s'agit d'attendre que « les sentiments
s'accumulent dans [son] âme» (p. 33); lorsque cette «accumulation» aura
atteint son terme naturel, toute sa personne ne subira « qu'un jet, mais il est
violent » (p. 33), choc très bref la délivrant d'une sollicitation parvenue à sa
limite. Le volume du corps ne demeure pas étranger aux effets de cette
animation intérieure : à travers la gestualité diverse il en révèle la courbe des
intensités, des ruptures, des reprises (p. 33). Une petite remarque semble
d'autre part s'imposer; elle concerne la logique gouvernant le choix des zones
du corps qui doivent apparaître comme révélatrices des turbulences intérieures
- ou sujettes à celles-ci. Il nous semble qu'ici, dans le cas de Mmc de Moni, -
un être en proie à une sphère émotionnelle très chargée de connotations
« spirituelles » - une disposition analogique irrésistible et de vieille date agit
discrètement en poussant la description diderotienne à se concentrer sur les
yeux de la supérieure, en les élevant au rang d'objet-signe privilégié, yeux
dont on remarque subtilement les petites rotations significatives et dont on
magnifie les propriétés surprenantes (« Elle avait les yeux petits, mais ils
semblaient ou regarder en elle-même, ou traverser les objets voisins, et démêler
au-delà, à une grande distance, toujours dans le passé ou dans l'avenir », p. 33).
Conformément au but de notre analyse, il faut souligner comment les
« mémoires » décrivent ces expériences comme étant des formes d'unanimité

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extatique : elles ne sont pas un privilège exclusif de Mme de Moni. Elles sont
susceptibles de se transmettre fidèlement aux religieuses (« C'était une impres
sion qu'elle prenait elle-même, qu'elle gardait longtemps, et qu'on conservait »,
p. 30). Il s'agit d'expériences collectives, au cours desquelles se produit une
adhérence essentielle entre les religieuses et la supérieure (« Ce n'est pas à
ma seule expérience que je m'en rapporte, c'est à celle de toutes les religieuses »,
p. 30). Ces expériences, tout en animant le couvent entier, donnent à l'existence
collective qu'il abrite une unité spirituelle-affective et y impriment leur sceau
émotionnel.
Ces relations particulières que Mme de Moni entretient avec les religieuses
n'impliquent pas seulement une mise en jeu, un engagement de toute sa
personne, elles exigent aussi (comme condition de leur intensité) une stricte
contiguïté des corps. Avec M™ *** la représentation de cette contiguïté tend
à être remplacée par plusieurs descriptions « scéniques » 14 qui se concentrent
sur les activités différentes de la supérieure ou bien sur les mouvements
collectifs qu'elle suscite dans les espaces conventuels. Mmc ***, dans une
mesure sensiblement majeure par rapport à ce qui se passait avec Mmede
Moni, est présentée comme un être indéfiniment voué à la mobilité gestuelle
et à l'expression d'une intériorité hautement vive. Mais tandis que la nature
des « passions » qui animaient Mmc de Moni était transparente, dans le cas de
M™ *** le contenu intérieur exprimé par la sphère du corps ne doit pas se
soustraire à l'obscurité (circonstance remarquable dans l'économie globale du
sens; nous aurons l'occasion d'y revenir). En outre, les turbulences corporelles
caractérisant Mmc de Moni étaient plus « contenues » et prises dans un réseau
significatif qui les rendait immédiatement compréhensibles et même « nobles » :
elles étaient le signe évident que l'être entier de la supérieure participait d'une
tension spirituelle active. Le pouvoir surprenant ou même troublant propre
aux excès du corps dans le cas de Mmc de Moni était comme « adouci », ces
excès étant en quelque sorte vus comme les épiphénomènes d'une puissante
activité de l'âme ; ils étaient dès l'abord absorbés dans cette finalité intérieure
excellente. Autrement, la passion qui anime Mme *** et qui inscrit ses signes
dans l'espace du corps semble n'y produire qu'un simple désordre (fréquente
mobilité fébrile et vaine, incapacité de se déplacer avec ordre parmi les objets),
une absence de coordination touchant aussi ses capacités discursives, et donnant
lieu à un curieux décalage entre parole et pensée.
L'apparition de M™ *** dans le texte de La Religieuse est immédiatement
précédée d'une déclaration de sœur Suzanne (cf. p. 106-107), déclaration
suggestive pour nous, car dans la phrase qui la contient une constante de

14. Quoique l'exhibition de l'évidence plastique totale d'un objet quelconque, ou de sa richesse
sensible, soient par définition des vertus inaccessibles au discours, l'analogie théâtrale paraît parfois
s'imposer lorsqu'il s'agit, comme dans ce cas, d'illustrer la disposition propre au récit d'insister sur
la distribution spatiale des objets et des corps à l'intérieur d'univers imaginaires limités; disposition
créant chez le lecteur, qui imagine ces univers réduits, des représentations intérieures où la spatialité
imaginée possède des qualités génériques analogues à celles qui caractérisent la « scène » théâtrale
classique, bien que ne contenant pas, naturellement, toute sa richesse empirique - observable).

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composition qui a suscité notre intérêt (la dislocation stratégique des portraits
dans l'espace textuel) semble non seulement s'élever au plan de la conscience
même de la narratrice, mais elle est tout bonnement définie comme une
véritable tentation d'écriture, comme une sorte d'urgence thématique précise.
Le but du portrait de Mmc *** (p. 107) est tout d'abord de décrire non
seulement « le décousu de son esprit » et « l'inégalité de son caractère » (tâches
propres à une éthopée pure), mais aussi la relation immédiate de ces attributs
intérieurs à la sphère du corps et du geste. Quelque chose de semblable à une
formulation explicite est ici consacrée à la liaison expressive entre intérieur
et extérieur (« Sa figure décomposée marque tout le décousu de son esprit et
toute l'inégalité de son caractère. ») La logique qui gouverne la composition
globale du portrait doit donc répondre au double soin a) de décrire certaines
modalités d'être opposées entre elles et b) de souligner comment chez la
supérieure elles s'alternent selon un mouvement oscillatoire constant et de
courte durée. Des phrases décrivant l'obsession de mobilité qui domine la
supérieure alternent avec des syntagmes qui en affirment au contraire la
redoutable immobilité; y succèdent des lexèmes se groupant en deux classes
antagonistes à partir de la présence de sèmes opposés : amabilité vs hostilité,
familiarité vs fierté, douceur vs âpreté, licence vs rigueur. Ce mouvement
oscillatoire se transmet fidèlement à l'intérieur du couvent, en rythmant les
phases de l'existence collective à Saint-Eutrope (dont le récit lui-même utilise
alternativement les membres de la première et de la seconde classe). Cette
impression d'instabilité la narratrice la ressent, et elle en manifeste à maintes
reprises la connotation douloureuse (en révélant ainsi la fonctionnalité de sa
description dans la petite « bataille » rhétorique avec le marquis). L'intention
de marquer l'influence directe qu'exerce la supérieure sur l'existence claustrale
est ici transparente, en s'inscrivant même sur le plan de la succession des
phrases : celle qui énonce le lien entre « l'inégalité du caractère » et la « figure
décomposée » est immédiatement suivie d'une phrase déclarant l'existence
d'une relation causale entre les oscillations qui inquiètent la supérieure et
celles qui déterminent les formes de la vie collective dans le couvent. Il s'agit
d'un petit segment textuel qui possède un pouvoir « scénique » très rare : il
décrit l'univers conventuel tel un vaste espace théâtral gouverné par un être
totalitaire qui se place au centre et « décrète » la représentation instantanée
d'actions, d'événements et de situations en suivant l'ordre rigoureusement
oscillant de ses pulsions ".

15. «Sa figure décomposée marque tout le décousu de son esprit et toute l'inégalité de son
caractère ; aussi l'ordre et le désordre se succédaient-ils dans la maison. 11 y avait des jours où tout
était confondu, les pensionnaires avec les novices, les novices avec les religieuses; où l'on courait
dans les chambres les unes des autres; où l'on prenait ensemble du thé, du café, du chocolat, des
liqueurs; où l'office se faisait avec la célébrité la plus indécente. Au milieu de ce tumulte le visage
de la supérieure change subitement, la cloche sonne, on se renferme, on se retire, le silence le plus
profond suit le bruit, les cris et le tumulte, et l'on croirait que tout est mort subitement» (p. 107).
Cf. aussi ce passage, qui suit immédiatement : « Une religieuse alors manque-t-elle à la moindre
chose, elle la fait venir dans sa cellule, la traite avec dureté, lui ordonne de se déshabiller et de se
donner vingt coups de discipline; la religieuse obéit, se déshabille, prend sa discipline, se macère;

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La description de cette influence émanant de la supérieure commande
aussi la construction narrative de la période centrale à Longchamp, sous
l'autorité de sœur Sainte-Christine, mais avec une différence importante. Tandis
que l'existence monastique dans le couvent que domine Mmc de Moni ou
Mmc *** apparaît marquée, selon les « mémoires », par l'empreinte des qualités
extérieures de la supérieure (gestualité, mouvements), ou bien elle est influencée
de façon décisive par les effets directs d'une animation intérieure, sœur Sainte
Christine n'agit sur l'univers claustral que de façon indirecte, par l'intermé
diaire d'une pensée (la fureur théologique), donc d'une profondeur (valeur
« mélancolique »). A l'action exercée par le geste et le corps, ou bien par une
unité émotionnelle-corporelle, se substitue chez elle la mise en œuvre rigoureuse
d'un projet pensé. De quel projet s'agit-il? Transformer le couvent en une
vaste machine de torture retenant la narratrice indéfiniment prisonnière de ses
maillons. Dans ce but les contacts directs et immédiats avec les religieuses,
tels ceux qu'établissent avec elles Mmc de Moni ou Mmc ***, s'avèrent inadé
quats. Sœur Sainte-Christine fait intervenir l'ensemble des religieuses en
distribuant leur action dans l'espace et le temps, elle fait agir l'efficacité de
mécanismes plus complexes, qui demandent des pratiques concertées et des
ententes collectives s'agençant dans une stratégie cohérente Mais à l'intérieur
de ces activités l'être émotionnel-créaturel de la supérieure est comme retiré
dans l'ombre. Entre les deux supérieures dont nous avons traité et sœur Sainte
Christine s'établit une opposition investissant morphologie et « psychologie»;
dans le choix des coordonnées typologiques où inscrire ces acteurs qui dans
La Religieuse jouent un rôle capital à côté de la narratrice, Diderot a apparenté
les supérieures qui dominent la période initiale et la finale de la petite odyssée
monastique de sœur Suzanne, en réservant des traits opposés à celle qui en
domine la phase centrale. Tandis que les portraits de M™ de Moni et de
Mme ♦»«se placent intégralement sur l'axe sémique de l'« expression » et de
l'« ouverture » n, chez sœur Sainte-Christine nous trouvons fermeture et réten
tion.

Cette rétention propre à sœur Sainte-Christine est marquée par une


circonstance textuelle bien déterminée : à la différence de ce qui se passe pour
les deux autres supérieures, dans La Religieuse n'apparaît aucune séquence
syntagmatique prenant pour objet ses traits physiques (prosopographie), de
même qu'il n'y a aucune « phénoménologie » minutieuse de ses manifestations
corporelles. Tout se passe, dans le texte, comme si les traits physiques
s'identifiaient sans résidus avec certaines qualités d'expression ou de mouve
ment, ou bien comme s'ils ne pouvaient accéder à l'écriture sinon sous forme

mais à peine s'est-elle donné quelques coups, que la supérieure, devenue compatissante, lui arrache
l'instrument de pénitence, se met à pleurer, dit qu'elle est bien malheureuse d'avoir à punir, lui
baise le front, les yeux, la bouche, les épaules, la caresse, la loue [...] » (pp. 107-108).
16. C'est pourquoi sous son autorité l'ensemble des religieuses paraît s'émanciper de cette
passivité absolue qui les caractérise, en acquérant un pouvoir d'exécution et de planification des
pratiques.
17. Et peu importe dans ce cas l'origine différente de leur « animation » (selon les « mémoires»,
respectivement une « inspiration divine » et une fascination érotique).

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de mobilités gestuelles expressives. Ainsi à l'ascétisme, à la fermeture énoncés
par l'éthopée concernant sœur Sainte-Christine, à l'éloignement de toute
expressivité qui la caractérise correspond, sur le plan de la prosopographie,
un simple vide d'écriture, l'absence ouverte par un texte non écrit.
Cette caractéristique textuelle, observable au niveau de la composition
rhétorique des portraits, pourrait être expliquée si nous nous rapportions à la
conception particulière de l'expressivité corporelle qui paraît dominer Diderot
(singulière cohérence, en ce cas, dans le parcours d'une sphère particulière de
la « théorie » à la pratique narrative). « Une idée commande l'application que
Diderot fait constamment de la pathognomonic, c'est que l'expression, ou
pantomime, est un véritable langage, le langage originel de l'humanité l8. » Ce
langage originel serait comme une structure mobile et décentrée qui chercherait
dans la seule perception sensible de l'autre les garanties de ses propres vertus
de communication. A l'écriture, comme système second, serait alors réservée
la tâche de réaliser par ses propres moyens une sorte de mimésis impossible
de ce système premier et authentique, de mimer les vibrations de ce corps
expressif originel. C'est là que l'on rencontre le problème du « style » diderotien,
de cette « innervation of language by emotions » dont parlait Leo Spitzer ",
style qui joue sur une particulière aptitude à faire affleurer dans le volume de
l'écriture toutes les urgences créaturelles et toute la mobilité des sensations.
D'où la réticence, dans La Religieuse, à consacrer l'extension textuelle d'une
prosopographie à un acteur que la narratrice veut étranger à toute « panto
mime ».

Nous avons dit comment, dans les « mémoires », les portraits des supé
rieures remplissaient comme une fonction anticipatrice consistant à initier le
narrataire aux événements qui se seraient présentés à lui par la suite en lui
faisant pressentir leur ton et leurs qualités. Pour conclure nous pouvons
maintenant observer comment le mimétisme impossible qu'ils sont chargés de
produire s'articule le long du récit avec cette fonction. Pour ce qui concerne
M™ de Moni, la mention de ses inclinations (éthopée) précède immédiatement
la description de sa conduite extatique qui entraîne l'ensemble des religieuses;
dans son cas la fonction anticipatrice est comme absorbée dès le début par la
fonction mimétique, dans laquelle la première paraît se résoudre comme par
une fusion intime (c'est pourquoi dans ce cas il ne s'agirait pas en fait d'une
anticipation) : c'est bien sur cet ensemble humain qui la comprend en tant
que puissance rayonnante que s'exerce le mimétisme du texte. Dans le cas de
sœur Sainte-Christine, tout facteur mimétique (prosopographique) étant exclu,
c'est la seule éthopée qui remplit une fonction anticipatrice (en projetant à
l'avance les contenus du récit successif sur l'axe sémique de la « cruauté »).

18. J. Proust, « Diderot et la physiogijomonie », pp. 324-325; cf. aussi Roger Kempf, Diderot
et le roman, ou le démon de la présence. Éd. du Seuil, 1964, p. 106 : «Tout son effort visera donc
non à accréditer le discours, mais à le neutraliser ou à le disjoindre pour affirmer l'expressivité des
valeurs corporelles»; cf. pp. 102-103, 197-198.
19. « The Style of Diderot », in Linguistics and Literary History. Essays in Stylistics, Princeton
University Press, Princeton, 1948, p. 151.

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Quant à Mmc ***, l'effort mimétique se manifestant dans la rédaction de son
portrait a pour fonction d'anticiper moins les qualités « morales » des événe
ments successifs (qualités qui se révèlent peu à peu le long du récit) que la
dynamique oscillatoire à laquelle ils sont soumis (dynamique dont, comme
nous l'avons remarqué, la narratrice souligne les effets négatifs).
La Religieuse nous présente donc la singularité d'un récit où la configu
ration thématique, les qualités ou tout bonnement la dynamique même des
petits événements racontés (des segments diégétiques) paraît déterminée (ou
soumise à une influence formante décisive) par le jeu des attributs propres à
une classe privilégiée d'acteurs. La fonctionnalité rhétorique de cette construc
tion (que nous avons décrite en ses variantes diverses) est évidente ; grâce à
elle c'est un monde saturé par une présence dominatrice qui est mis en scène,
monde où toute différence paraît étouffée, où l'homogène règne en souverain.

Les individualités rebelles

Mais à quelques exceptions près. Dans La Religieuse cet accord singulier


qui s'établit entre la supérieure et l'ensemble des religieuses ne se répand pas
de façon uniforme, en pouvant être soumis à la menace des individualités,
personnages dont le statut individuel est mis en relief. Or une particularité
significative de La Religieuse consiste en le fait que ces figures caractérisées
par un ensemble d'attributs cohérents, par une individualité que le discours
souligne sans cesse, auxquelles les « mémoires » attribuent des actions et des
vouloirs particuliers, des désirs, etc., se transforment par ces seules circons
tances en des êtres qui s'opposent à la supérieure et à l'ordre conventuel (d'où
l'importance qu'ils prennent dans l'économie du sens, en se chargeant à eux
seuls de manifester cette fonction à l'intérieur du couvent) : les acteurs, en
tant que tels, sont des antagonistes20. De plus, ils révèlent (à l'exception
comme on le verra de l'un d'entre eux, le père Lemoine) la proximité de la
fonction antagoniste et de la thématique de l'expressivité corporelle à l'intérieur
du texte diderotien.
Ces acteurs sont la religieuse « folle », sœur Thérèse et le père Lemoine21.

20. Il va sans dire qu'en employant ce terme nous n'indiquons pas une fonction qui opère au
niveau de la logique de l'action, de l'histoire - La Religieuse est un récit composé presque entièrement
de trois vastes scènes autonomes dans lesquelles ce qui se passe, les petits événements quotidiens
racontés, est porteur d'une signification stable et presque soustraite à l'influence modificatrice du
te.mps diégétique -, mais au niveau de l'économie générale du sens à laquelle participent les acteurs.
(Économie déterminée donc non pas par des actions donnant lieu à des fonctions cardinales, mais
par des significations qui émergent de comportements diffus, menus, réitérés, dont la forme les
apparente à ceux qui sont racontés par les catalyses.)
21. A côté de ces figures il y en a d'autres, dont le relief est moindre, la singularité plus terne
(soeur Ursule et dom Morel, une disponibilité amie à l'égard de la narratrice et une * sagesse » qui,
pour le couvent, ne réussissent pas à s'élever au rang des puissances insidieuses), ou bien qui se
placent au-dehors de la dimension du couvent, comme 1 archidiacre Hébert, dont les paroles
menaçantes font vaciller pour quelques instants l'autorité de sœur Sainte-Christine (p. 85), ou
M. Manouri, dont les mémoires ont une maigre incidence et qui avec l'archidiacre ne réussira qu'à
rendre possible le déplacement de la narratrice de Longchamp à Saint-Eutrope.

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Leur rôle consiste à rompre l'accord des mouvements et des pensées, l'ho
mogénéité de l'existence conventuelle; dans ces formes lisses ils produisent
des points d'attrition, de tension, de désaccord. Remarquons que, rhétorique
ment, la fonction de l'antagoniste peut varier selon les cas : a) Elle peut
intervenir (c'est le cas du père Lemoine) au niveau de Yinventio en donnant
lieu à des variations qui provoquent autant de ruptures dans l'homogénéité
sémantique du récit : en ce cas les séquences syntagmatiques qui traitent de
l'antagoniste déterminent des interruptions, des écarts propices en ce qui
autrement deviendrait une déclinaison perpétuelle des méchancetés claustrales,
ouvrant par là des vides dans le discours auquel est confiée la captatio
benevolentiae du narrataire22 ; b) ou bien l'antagoniste peut jouer comme un
élément supplémentaire en faveur de la « persuasion » du narrataire en incar
nant en soi-même les maux de l'existence monastique d'une façon exemplai
rement voyante ou sous une forme particulière (la religieuse « folle », sœur
Thérèse).
De ces acteurs, le premier qui se montre aux yeux de la narratrice c'est
la religieuse « folle » : celle-ci incarne en soi-même de la façon la plus pure
l'unité de l'antagonisme et du corps expressif. Il s'agit d'un être qui porte en
soi les signes voyants d'un désordre corporel profond. Elle se présente « éche
velée et presque sans vêtement; elle traînait des chaînes de fer; ses yeux
étaient égarés; elle s'arrachait les cheveux; elle se frappait la poitrine avec
les poings, elle courait, elle hurlait; elle se chargeait elle-même, et les autres,
des plus terribles imprécations; elle cherchait une fenêtre pour se précipiter»
(p. 10). L'apparition de cette figure en face de la narratrice provoque un
scandale dans l'ordre monastique et y est cause de préoccupation (d'où la
mise en œuvre d'une petite stratégie discursive visant à « rassurer » sœur
Suzanne); elle est le témoignage immédiat, éloquent et répulsif des effets
produits par une clôture qui prend aussitôt pour l'observatrice des traits
violemment négatifs. (Remarquons en passant comment dans le texte cité la
parataxe diderotienne sert à atteindre le but du portrait mieux que ne le
feraient les pouvoirs d'un legato discursif qui trouve dans l'enchaînement
syntaxique l'un de ses instruments privilégiés 23.)
Parmi les antagonistes intérieurs à la dimension du couvent le père
Lemoine est la figure excentrique dans la mesure où la forme assumée par sa

22. Tout cela est possible puisque le père Lemoine représente une forme d'« équilibre », une
« sagesse » religieuse (s'opposant aux cruautés ou bien aux excès claustraux), qualités qui naturel
lement ont la faveur de la narratrice.
23. Alors que nous savons que c'est précisément à ce legato que le discours confie, dans le
genre du portrait, la charge de « rendre » la totalité du corps référentiel. (Sur les expédients mis en
œuvre pour s'acquitter d'une telle charge, tous visant naturellement à masquer en quelque sorte la
contrainte constitutive du langage qui l'oblige à fractionner le corps, l'objet, en unités successives,
cf. Bernard Vannier, L'Inscription du corps. Pour une sémiotique du portrait balzacien, Klincksieck,
1972, pp. 36-41). Dans le cas que nous sommes en train d'examiner, le texte fait de cette nécessité
une vertu; ce fractionnement du discours qui donne lieu à des unités grammaticalement autonomes
et contiguës souligne avec plus d'efficacité le « scandale » produit par l'apparition du corps de la
religieuse au moyen d'une réitération qui indique comment le « désordre » voyant qui lui est propre
se révèle et se confirme progressivement dans chaque zone de sa figure visée en qualité de réfèrent
fictif.

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fonction se place entièrement sur l'axe de la parole articulée. A l'opposé de
la religieuse « folle », porteuse d'un scandale provoqué par la seule visibilité
de son corps, il est, lui, une individualité purement verbale (le moyen dont il
se sert pour remplir son rôle est uniquement discursif). Le père Lemoine
dispose d'une voix qui énonce des vérités (d'où son pouvoir), cependant d'une
façon indirecte et à partir d'une position instable 24. Il met en garde la narratrice
contre les tentatives de séduction mises en œuvre par M™ *** : le salut de
son âme serait en danger si elle cédait aux insistances de la Mère. Grâce à
ses admonitions le rapport confesseur-pénitent acquiert des pouvoirs menaçants
pour l'ordre conventuel, en intervenant directement contre celui qui lie la
religieuse à la supérieure. Cependant, la condition nécessaire pour que les
vérités qu'il communique se révèlent comme telles à l'interlocutrice, c'est
qu'aux yeux de celle-ci le lien entre le péché et la conduite corporelle de la
supérieure soit transparent. Or chez sœur Suzanne, par nécessité de cohérence
avec la constellation sémique (candeur, innocence, etc.) construite sans inter
ruption autour de son identité, cette relation doit apparaître rigoureusement
obscure. D'autre part dans les paroles du père Lemoine l'allusion au lien entre
les attentions de la supérieure et la destinée de l'âme de la narratrice est
ponctuellement éludée. D'où l'effet de comique que produisent sur le lecteur
ces colloques, effet allant de pair avec la perception d'une triple complicité
(fondée sur un savoir commun) qui s'établit entre ce lecteur, l'acteur Lemoine
et, derrière la scène, l'ombre orchestratrice de l'auteur de La Religieuse. Cet
effet se double à l'instant où sœur Suzanne informera à son tour la supérieure
des admonitions prononcées par le père Lemoine. Le principe de cohérence
déjà évoqué, régissant la construction de la sphère sémique où se place la
figure morale de la narratrice, entraîne son incompétence en ce qui concerne
l'interprétation des discours du confesseur : ils lui apparaissent comme les
verbalisations d'autant de fantaisies d'un visionnaire. En tant que telles ils
seront rapportés à la supérieure (ce qui naturellement n'empêche pas que
celle-ci, après les avoir écoutés, reconstitue intérieurement leur signification
en y distinguant les menaces qui s'y cachent).
Revenons brièvement à la triple complicité à laquelle nous avons fait
allusion. Elle s'établit aux dépens de la narratrice, par effet du mode même
de son discours narratif. Dans la section du texte consacrée à la période passée
au couvent de Saint-Eutrope, le récit traitant des relations entre sœur Suzanne
et Mmc »** se borne à ne faire apparaître que leur dimension corporelle (il est
caractérisé par une focalisation externe stable, qui dans un récit autodiégétique
correspond à une situation où au narrateur-protagoniste est soustraite toute
connaissance des pensées ou des intentions propres aux personnages qui
l'entourent). Jamais la parole désignant le désir sexuel de la supérieure n'est
prononcée (c'est la condition nécessaire pour que le récit se prolonge sur le

24. En tant que simple confesseur il peut être éloigné par la supérieure, qui de surcroît peut
faire valoir le prétexte qu il habite à dix lieues de distance, raison pour laquelle « il est un embarras
que de le faire venir, on ne l'a pas quand on veut ».

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même registre « corporel ») ; la mention des mobiles et des intentions est
indéfiniment retardée. Mais le sens n'en circule pas moins sous les yeux du
lecteur (et du narrataire) : les admonitions du père Lemoine le confirment en
définissant d'une manière implicite ce qui était déjà connu et qui avait été
l'objet d'un amusement léger (auquel doit correspondre chez le narrataire,
selon le projet de sœur Suzanne, la persistance de son indignation).

Nous voici donc arrivés à la troisième de nos figures rebelles : sœur


Thérèse. L'antagonisme propre à cet acteur rassemble en lui-même les dimen
sions présentes de façon unilatérale dans les figures de la religieuse « folle »
et du père Lemoine : chez lui, corps et discours sont également en jeu.
Cependant, à la différence de ce qui se passe dans le cas de la religieuse
« folle », les séquences syntagmatiques de la prosopographie visent ici à mani
fester la présence d'un désir et non pas à décrire un simple désordre corporel
significatif; contrairement au père Lemoine, elle parle le langage de la
supplication et non celui du commentaire moral (opaque). Sœur Thérèse désire
recevoir de nouveau les attentions de Mmo ***, qu'elle lui avait précédemment
réservées en exclusivité mais qu'entre-temps la supérieure a détournées sur la
narratrice. Ce désir, naturellement, pour les raisons que nous avons évoquées
plus haut à propos d'autres silences (ceux du père Lemoine), n'est pas dit en
termes le définissant de façon explicite. Sa présence, et l'action de sa force,
sont rendus manifestes par les notations étonnées de ce qui se produit dans
l'extériorité de l'acteur, sur la surface apparente de son être. Il se révèle, ici
comme toujours, à travers une certaine inquiétude du visible. Ce désir, qui,
d'autre part, il faut le remarquer, est beaucoup moins le désir d'un corps que
le désir d'un désir (l'envie que l'autre être soit soumis à notre pouvoir fascinant
tout comme nous sommes soumis au sien), c'est-à-dire à peu près une passion,
ce désir, disais-je, se manifeste en bouleversant l'équilibre du visage (rougis
sements, pâleurs, « yeux troublés », larmes, tremblements des lèvres, bégaie
ments, pp. 114, 116, 120), en altérant le son de la voix lors de l'énonciation
de mots douloureux (p. 117), en poussant à l'agitation la personne tout entière
(p. 116), la livrant à de petites stratégies pénibles visant à entraver les relations
entre la narratrice et Mmc ***. La puissance antagoniste de cet acteur est
déterminée par le conflit entre sa passion et le désir de la supérieure (soumise
à la fascination émanant de la narratrice). Ce sont deux différentes prétentions
à la jouissance qui, tout en étant incompatibles l'une l'autre, veulent toutes
deux s'inscrire dans l'instant (chacune des deux aspire à être immédiatement
satisfaite en abolissant la prétention adversaire). D'autre part, l'être de cet
antagoniste vise tout entier au rétablissement d'une situation passée, et par là
même il se soustrait à l'acquiescement à l'égard du présent conventuel pour
affirmer l'instance d'une passion singulière; mais ce qui se passe dans ce
présent, son contenu total, est gouverné par une volonté qui, en général, vise
à la jouissance exclusive de l'instant actuel (instant de jouissance, d'« expres
sion » heureuse de soi-même que M1™ *** veut à l'abri de tout passé, de toute

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mémoire, c'est-à-dire de tout obstacle, et entièrement absorbé par un objet
qui se substitue d'une manière irrévocable à celui auquel la supérieure se
consacrait auparavant). La transgression que représente cet antagoniste s'iden
tifie avec le désir de cette réversibilité (désir qui, donc - et c'est bien en cela
que réside sa dignité éminente 25 - s'oppose d'une façon très explicite à la
gestion du temps de ses propres plaisirs que la supérieure fait sienne ainsi
qu'au sens de l'irrévocable qui caractérise le déclin de leurs objets 26). Comme
on l'a dit, ce rôle structural se double d'une fonction rhétorique évidente : il
manifeste le caractère négatif de l'univers monastique (lieu propice aux passions
malsaines) aux yeux du narrataire.

Une candeur si funeste

L'acteur sur lequel nous tournerons notre attention à ce point c'est la


narratrice elle-même; nous nous occuperons de la composition de la sphère
sémique où se situe sa figure. L'analyse doit porter d'une part sur les fragments
syntagmatiques parsemés tout au long du texte et constituant son éthopée; de
l'autre sur les séquences du récit où sont décrites ses relations avec les acteurs
mères supérieures.
Le projet rhétorique qui anime la narratrice rend opportun qu'elle appa
raisse aux yeux du marquis sous les apparences de la victime. D'où une
distribution dichotomique des contenus sémiques entraînant la transformation
de l'univers diégétique en un théâtre où ce sont les forces mêmes du bien et
du mal qui s'afTrontent. Sœur Suzanne y apparaît comme l'incarnation exem
plaire du bien, tandis que toutes les puissances du mal se concentrent du côté
de l'ordre monastique. (Il faut dire que dans La Religieuse cette antithèse
fondatrice en polarise d'autres ; le mal attire extravagance, excès, caprice,
désir, homogénéité « totalitaire » ; le bien, droiture, mesure, absence de désir,
tolérance.)
Tout au long de la représentation des cruautés et des excès qui se répandent
dans l'univers conventuel la narratrice construit progressivement autour d'elle
même un « champ sémantique raphaelésque » ; « [...] angélique, viriginal, pureté,
grâce, ingénuité, placidité, joie tranquille, modestie27 ». Dans la première page
du texte, elle tient à souligner la nature « innocente » de ses « mémoires », qui
découlerait du même attribut appartenant à leur auteur, et elle précise de
façon révélatrice comment son récit se soustrairait à tout artifice et à tout
mensonge28. Par ce qui deviendrait une ruse supplémentaire, visant à éloigner
du narrataire tout soupçon virtuel quant à la « sincérité » des « mémoires », le

25. A l'intérieur de l'économie de sens qui nous occupe ici.


26. Cf. l'allusion rapide mais fort éloquente de M"" *** aux « voies sévères » (p. 118) auxquelles
elle fut obligée contre la religieuse qui avait « précédé » sœur Thérèse, et dont celle-ci répète
dangereusement l'attitude antagoniste (« Sœur Thérèse [...], je ne saurais souffrir ces prétentions
exclusives. Défaites-vous-en [...], si vous vous rappelez le sort de la sœur Agathe... », p. 118).
27. Bernard Vannier, L'Inscription du corps, cit., p. 52.
28. P. 3 ; « naturel » et « sans artifice » sont aussi les mots par lesquels le texte s'achève.

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lien entre le désir de captatio benevolentiae et la pratique d'écriture même
du texte en tant qu'adressé au marquis est « théorisé » dans un passage final
justement par la narratrice (p. 167). Il vaut la peine de le reproduire en
entier : « Disons donc que j'ai un tour d'esprit bien singulier; lorsque les
choses peuvent exciter votre estime ou accroître votre commisération, j'écris
bien ou mal, mais avec une vitesse et une facilité incroyables; mon âme est
gaie, l'expression me vient sans peine, mes larmes coulent avec douceur, il
me semble que vous êtes présent, que je vous vois et que vous m'écoutez.
Si je suis forcée au contraire de me montrer à vos yeux sous un aspect
défavorable, je pense avec difficulté, l'expression se refuse, la plume va mal,
le caractère même de mon écriture s'en ressent, et je ne continue que parce
que je me flatte secrètement que vous ne lirez pas ces endroits. » Comme
si une force obscure empêchait à l'écriture « sincère » de prendre corps sur
la page, et au contraire la « mystification » la dotait d'une merveilleuse facilité
et d'un singulier pouvoir d'écoulement. N'est-ce pas là, exprimée d'une façon
hyperbolique par la narratrice de La Religieuse29 (comme si elle révélait
pour quelques instants l'étrange condition préliminaire qui favorise - ou rend
possible - toute une production textuelle), une situation se reproduisant sur
le plan plus vaste de l'entière œuvre narrative diderotienne? La « mystifi
cation » n'est-elle pas l'attitude « qui semble être à la base de toute création
romanesque de Diderot » 30?
Au niveau rhétorique donc la figure de sœur Suzanne se place entièrement
sur l'axe sémique que nous avons évoqué. Nous pouvons nous tourner main
tenant au plan des relations actorielles. Les « mémoires » racontent la mort de
deux acteurs centraux, M"" de Moni et Mmc ***; or celles-ci (le texte l'énonce
de la façon la plus nette) périssent justement à la suite d'une influence exercée
sur elles par la narratrice. Dans le couvent de Longchamp la « mélancolie »
qui lui est propre soumet la supérieure « à des terribles épreuves »; la présence
de sœur Suzanne provoque l'interruption de « son commerce avec le ciel »,
source de ses « transports » extatiques : « J'éprouvai cependant, à l'approche
de ma profession, une mélancolie si profonde, qu'elle mit ma bonne supérieure
à de terribles épreuves; son talent l'abandonna, elle me l'avoua elle-même.
" Je ne sais, me dit-elle, ce qui se passe en moi ; il me semble, quand vous
venez, que Dieu se retire et que son esprit se taise; c'est inutilement que je
m'excite, que je cherche des idées, que je veux exalter mon âme " » (pp. 30
31). Selon les « mémoires », en effet, la seule présence de sœur Suzanne suffit
à transmettre une puissante influence négatrice sur la disposition enthousiaste
de Mme de Moni. Il s'agit d'une présence profondément décevante, obstinément
passive, qui paralyse le flux de l'« inspiration » (p. 30) (« l'accumulation des
sentiments », p. 33) que la supérieure attend avec anxiété et dont elle ne
saurait littéralement se passer. La narratrice est porteuse d'un effet de pétri

29. Cet excès apparent tient évidemment au fait que la « confession » de sœur Suzanne met
tout bonnement en cause la matérialité même de l'acte d'écriture.
30. J. Catrysse, Diderot et la mystification, Nizet, 1970, p. 11.

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fication qui frappe les sources mêmes de l'euphorie animant la supérieure.
«Ah! chère enfant, me dit-elle, quel effet cruel vous avez opéré sur moi!
Voilà qui est fait, l'esprit s'est retiré, je le sens» (p. 31). Effet cruel, et
capable de produire des conséquences irréversibles : « En effet, je ne sais ce
qui s'était passé en elle, si je lui avais inspiré une méfiance de ses forces
qui ne s'est plus dissipée, si je l'avais rendue timide, ou si j'avais vraiment
rompu son commerce avec le ciel; mais le talent de consoler ne lui revint
plus» (p. 31). Selon les «mémoires», la perte de ce «talent» entraînera
pour Mme de Moni sa mort même : « Cette digne religieuse sentit de loin
son heure approcher; elle se condamna au silence; elle fit porter sa bière
dans sa chambre » (p. 35).
D'une manière analogue, le texte énonce clairement l'existence d'un
lien causal entre la mort de Mmc *** et la froideur, la pétrification que la
narratrice oppose au désir de la supérieure. La dernière partie des « mémoires »,
en effet, consacrée à la permanence dans le couvent de Saint-Eutrope, est
largement occupée par le récit de cette fascination érotique (assez célèbre),
dont l'action est rendue évidente au narrataire et au lecteur à travers l'écran
d'une écriture « neutre » (ou « naïve »), c'est-à-dire occupée d'une façon
presque exclusive à « relater » de petits événements corporels, éclairés dans
leur extériorité gestuelle et soustraits à leur sens, déclaré opaque31. On
assiste ici à la magnification du corps de la narratrice par Mmc ***. A
travers certains discours « rapportés » sœur Suzanne peut écrire une proso
pographie ayant pour objet son propre corps (description physique qui fait
pendant, pour donner lieu à la totalité du portrait, à la « description morale »
que la narratrice elle-même énonce « de sa propre initiative »). Nous serions
portés à avancer qu'en adoptant cette petite stratégie oblique pour présenter
ses qualités physiques sœur Suzanne puisse faire valoir à son avantage
l'ancienne propension irrationnelle à « sentir » la complicité, l'attraction, la
convergence quelque peu fatale du beau et du bon, tout en évitant, d'autre
part, l'inconvénient d'apparaître aux yeux du marquis comme un être dont
l'inclination à approuver avec trop d'éloquence sa propre forme physique
trahirait une âme frivole, vaniteuse).
Cette fascination à laquelle est soumise Mmc *** est si vive que les
religieuses elles-mêmes en parlent dans leurs discours comme d'un phénomène
dont les effets puissants et insolites justifient leurs hypothèses (« on disait que
je l'avais fixée », p. 134). Elle tire son origine de la contemplation des qualités
sensibles du corps de sœur Suzanne. De ce corps Mmc *** a une perception

31. Rappelons d'autre part que dans quelques syntagmes parsemés le long des «mémoires»
soeur Suzanne semble trahir sinon une connaissance de la « passion » de M"" ***, du moins un
suspect - ce qui revient au même (circonstance qui a tourmenté plus d'un commentateur). N'étant
pas intéressé à répondre d'une façon quelconque à la question impossible concernant la « réalité »
de cette connaissance, nous nous occupons dans ces pages de la stratégie globale adoptée par la
narratrice à l'égard du marquis (stratégie des naïvetés qui se multiplient, de l'ignorance proclamée).
Nous aventurant nous-mêmes pour une fois dans le domaine incertain des conjectures psychologiques
impossibles nous pourrions même remarquer que la manifestation d'un suspect qui répugne peut
pousser à la benevolenlia d'une façon peut-être plus efficace que la réalité d'une ignorance absolue.

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discontinue; sur cette surface mobile elle accomplit des découpages; chaque
partie du corps sera associée à un ou plusieurs attributs excellents et toujours
appropriés : en suivant par commodité un ordre de présentation descendant
(adopté d'ailleurs presque intégralement par la narratrice elle-même), le front
sera « blanc, uni et d'une forme charmante », les yeux « brillants », les joues
« vermeilles et douces », les lèvres « fraîches et vermeilles », les dents « blanches »,
l'haleine « pure », le cou « d'une beauté [...] exquise de [...] rare », la gorge
« d'une fermeté de pierre et d'une forme admirable », les bras, « il était
impossible de les avoir mieux tournés et plus ronds », les mains « petites et
potelées » (p. 119). Ces attributs sont inlassablement déclinés par la supérieure
au cours de plusieurs énumérations dévotes (cette autodescription indirecte
constitue en même temps aussi un segment de récit itératif : il communique
au marquis ce que Mmc *** disait régulièrement; il affirme de façon explicite,
et quelque peu emphatique, que la supérieure s'abandonnait souvent, réitérant
les mêmes adjectifs, aux mêmes célébrations verbales). D'un autre point de
vue nous sommes poussés à remarquer comment la contrainte à laquelle le
langage soumet la description (en l'orientant de façon impérieuse vers une
vision analytique, une décomposition sérielle des objets et des êtres) tend ici
à se transformer en quelque chose de semblable à une ressource imprévue
(comme cela se passait, on s'en souviendra, dans le cas de la religieuse « folle »,
le long d'un axe sémique presque diamétralement opposé) : le discours amplifie
la beauté totale de la narratrice exhibant la réitération de ses excellences
ponctuelles. Ce corps célébré verbalement est aussi l'objet avec lequel la
supérieure est poussée à multiplier ses contacts physiques (* c'était toujours
un baiser ou sur le front, ou sur le cou, ou sur les yeux, ou sur les joues, ou
sur la bouche, ou sur les mains, ou sur la gorge, ou sur les bras, mais plus
souvent sur la bouche», p. 119); relations fragmentaires auxquelles se subs
tituent souvent des approches visant à parcourir rapidement avec les mains
des traits plus vastes du corps de Suzanne, comme par une anxiété synthétique
(« La main qu'elle avait posée sur mon genou se promenait sur tous mes
vêtements, depuis l'extrémité de mes pieds jusqu'à ma ceinture, me pressant
tantôt dans un endroit, tantôt en un autre », p. 123). Aspiration à une possession
tactile globale s'exprimant au mieux dans les efforts visant à produire une
adhérence totale entre les deux corps (« Elle étendit ses bras; je lui tournais
le dos ; elle me prit doucement, elle me tira vers elle, elle passa son bras droit
sous mon corps et l'autre dessus [...] », p. 137); « Aussitôt elle mit une de ses
mains sur ma poitrine et l'autre autour de ma ceinture; ses pieds étaient posés
sous les miens [...] », ibidem. Au cours de ces conjonctions de portée et
d'intensité diverses la supérieure participe d'une euphorie qui s'étend à toute
sa personne. L'évidente disposition diderotienne à écrire les effets du désir au
niveau du corps trouve dans l'invention de cet acteur un champ privilégié
pour son exercice (donnant lieu à des remarques multiples et minutieuses qui
comme toujours édifient scrupuleusement une sorte d'analytique de l'extériorité

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corporelle32) : membres qui se raidissent ou se relâchent « comme si [ils eussent
été] sans force et sans vie» (p. 120), «tremblements», locaux ou généralisés
(pp. 129, 123), soupirs (p. 120), « haleine embarrassée» (p. 120), bégaiements
(p. 123), difficultés discursives (p. 123), etc. Le plaisir de produire une écriture
« médicale » se fait particulièrement visible dans ce passage, ayant pour but
de « relater » ce qui se passe chez la supérieure au moment où son « abandon »
atteint son intensité la plus profonde : « Enfin il vint un moment, je ne sais si
ce fut de plaisir ou de peine, où elle devint pâle comme la mort; ses yeux se
fermèrent, tout son corps s'étendit avec violence, ses lèvres se fermèrent
d'abord, elles étaient humectées comme d'une mousse légère; puis sa bouche
s'entrouvrit, et elle me parut mourir en poussant un grand soupir» (p. 124).
En nous rapportant au modèle expressif que nous avons vu intervenir à
plusieurs ocçasions dans La Religieuse (modèle faisant de la dimension
gestuelle, ou « mimique », une sorte de code sensible par lequel le monde
intérieur peut se dire authentiquement), on peut aisément affirmer qu'à travers
ces soupirs, ces regards, ces tensions, ces émissions vocales troublées, à travers
toute sa conduite la supérieure du couvent de Saint-Eutrope parle, articule
matériellement, immédiatement et avec une extrême simplicité son propre
désir, aveu à la fois muet et de la plus grande éloquence, qui ne demanderait
pour être compris de son destinataire qu'une intuition facile ou tout au moins
une commune vocation à l'exercice d'une herméneutique infiniment simplifiée.
En effet, on pourrait dire qu'en apparence, à Saint-Eutrope, la supérieure peut
reconnaître en la narratrice, au moins au début, un interlocuteur sensible (dans
le double sens que l'on peut ici donner au mot) : une jeune religieuse « née
caressante » et qui « aime à être caressée » (p. 154), qui dans leurs rencontres
« s'égare », est saisie de « tremblements », de « défaillances » (p. 129), dont les
mains « s'arrêtent » et les yeux « se ferment d'eux-mêmes » (p. 126). Mais tout
cela avec une réserve essentielle : si sœur Suzanne tremble, au contact de
M™ ***, c'est parce qu'une frayeur la saisit (p. 129), si « [son] cœur palpite »,
si elle a « de la peine à respirer », c'est parce qu'elle « se sent [...] oppressée
[et] agitée » (p. 124; «j'avais peur », ibid.)\ si elle consent à « baiser le front,
les joues, les yeux et la bouche » de la supérieure, c'est parce qu'elle « ne
croi[t] pas qu'il y [ait] du mal à cela » (p. 123), ou parce qu'elle « ne demande
pas mieux que d'ajouter à son bonheur d'une manière aussi innocente » (ibid.),
en soulignant d'autre part sa croyance selon laquelle toutes les vaines agitations
qui dominent Mmc *** sont l'effet d'une «maladie» (p. 155). Décrivant les
instants où l'excitation de Mmc *** se fait particulièrement sensible ce mot ne
manque pas de faire son apparition : « Je m'aperçus alors [...] que sa maladie
ne tarderait pas à la prendre» (p. 129); alors, stupéfaite: «Je me levai

32. A travers la « naïveté » de sœur Suzanne, et en vertu des modalités narratives qui en
découlent - focalisation externe, multiplication des signifiants du corps -, n'est-ce pas une jouissance
proprement diderotienne qui s'affirme dans La Religieuse? Cas exemplaire où l'intention « architec
tonique » (concernant l'économie sémantique totale de l'œuvre) : construire la cohérence intérieure,
« psychologique », d'un acteur, se lie obliquement, par des voies détournées, jusqu'à s'y identifier,
avec la pratique d'un plaisir dircursif (le plaisir d'écrire le corps).

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brusquement [...], je voulais sortir, appeler» (p. 124). Il serait difficile d'ima
giner une réaction plus décevante pour Mmc ***, réaction qui, dans ce cas
comme ailleurs, révèle en sœur Suzanne un être profondément et essentielle
ment sourd au discours implicite communiqué par le corps de la supérieure,
comme si une sorte de résistance intérieure l'empêchait de vibrer en corres
pondance avec ce corps. Résistance, passivité : la narratrice oppose au désir
de Mme *** non seulement une surprenante incompétence herméneutique 33
mais une indifférence explicite au désir.
Or, c'est précisément à partir de ce refus, de cette résistance, que la
supérieure se renferme en elle-même, s'ouvrant au sentiment de sa propre
«damnation» (cf. p. 168) et s'initiant à l'aventure complémentaire de la
ségrégation, du délire, de la mort enfin ". Il s'agit d'un triste itinéraire de
dégradation. Tout comme auparavant la narratrice était occupée à décrire une
mobilité extérieure que suscitaient des dispositions vitales, positives, donnant
lieu à toute une thématique du corps euphorique (régime de l'affirmation
énergétique, de l'effusion heureuse), il lui faut maintenant « relater » l'évolution
alarmante d'un être rongé par une secrète érosion intérieure. Secrète, car
encore une fois comme presque toujours dans La Religieuse, le récit est écrit
selon une stable modalité de vision « du dehors », parallèle à la déclaration
affirmant l'inaccessibilité de l'« âme » de Mmc ***, ou du moins son opacité
essentielle (« Je ne sais ce qui se passait dans cette âme, mais il fallait que
ce fût quelque chose d'extraordinaire », p. 157). Dans cette évolution négative
que subit Mme ***, évolution à laquelle sont prêtés les caractères d'une
progression fatale, tous les « stades » parcourus par le corps de la supérieure,
à partir de l'« inquiétude » initiale, de l'insomnie (« L'inquiétude commençait
à s'emparer de la supérieure; elle perdait sa gaieté, son embonpoint, son
repos », p. 134), des yeux qui s'éteignent, de la pâleur qui devient plus visible
(«Son état me fit pitié: ses yeux étaient éteints; elle avait perdu [...] ses
couleurs», p. 157), jusqu'aux cris (« [...] elle se mit à pousser les plaintes les
plus aiguës. Je les entendis, elles me pénétrèrent », p. 158), aux vaines errances
à travers les corridors du couvent (p. 159), à la fièvre, au délire (« Son sang
s'allume, la fièvre la prend et le délire succède à la fièvre » p. 168), à la mort
enfin, tous ces stades ne font que témoigner de plus en plus, dans leur
succession, l'influence funeste qu'exerce la narratrice.
Dans La Religieuse donc les morts des deux supérieures ne sont pas
accidentelles (des « malheurs » se produisant à l'intérieur de l'univers diégé

33. Pouvant faire frissonner de plaisir la supérieure - «L'innocente! Ah! la chère innocente!
Qu'elle me plaît! » (p. 125) - ou, au contraire, ne provoquer en elle que de simples mouvements de
dépit : « Innocente! ce n'est rien; qu'allez-vous faire? Arrêtez... » (p. 124).
34. Mort annoncée à l'avance par M"" *** elle-même dans quelques phrases hyperboliques qui
ne se révélerons ensuite pas comme telles : « Un jour elle m'arrêta; elle se mit à me regarder sans
mot dire, des pleurs coulèrent abondamment de ses yeux, puis tout à coup se jetant à terre et me
serrant un genou entre ses deux mains, elle me dit ; " Sœur cruelle, demande-moi ma vie, et je te
la donnerai, mais ne m'évite pas, je ne saurais plus vivre sans toi... " Son état me fit pitié : ses yeux
étaient éteints » (p. 157). « Vous ne voulez donc pas entrer? me dit-elle. - Non, chère mère, non. -
Vous ne le voulez pas, Sainte-Suzanne? Vous ne savez pas ce qui peut en arriver, non, vous ne le
savez pas; vous me ferez mourir... " » (pp. 157-158).

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tique), ni « naturelles » (conséquences d'un choix narratif livrant des Homines
ficti35 à la mortalité). A la suite des contacts qu'elles établissent avec la
narratrice leur existence est mise fatalement en danger, et elle ne se prolonge
pas pour longtemps36. Dans les deux cas, une pétrification, un principe de
froideur, d'inertie indifférente est opposé par sœur Suzanne au principe
d'animation, à l'énergie intérieure propre aux deux supérieures (énergie qui,
une fois abolie au contact de cette présence décevante, se révèle, en raison
des conséquences extrêmes de cette abolition, comme étant le centre et la
substance même de leur être). Il faut souligner d'autre part que, dans les
« mémoires », cet effet émanant de Suzanne ne se produit que lorsque ces
contacts, ces relations engagent intensément la dimension émotionnelle-créa
turelle des acteurs 31. Ce qu'il arrive à Mme de Moni et à Mmc *** n'arrive pas
à l'autre supérieure, sœur Sainte-Christine (laquelle, pour les raisons évoquées,
s'exclut volontairement de toute intimité superflue avec la narratrice), ni même
aux confidents de sœur Suzanne dans le couvent de Saint-Eutrope (le père
Lemoine, dom Morel, dont les relations avec elle sont purement verbales).
On voit tout de suite que le champ sémantique global occupé par la figure
de la narratrice ne peut pas être réduit au seul axe des valeurs que son discours
exhibe sur le plan rhétorique. (C'est ce qui se passe dans toute la série des
interprétations de La Religieuse, interprétations dans lesquelles la fidélité à
une attitude projective 38 immédiatement idéologique détermine l'effacement
d'entières couches signifiantes du texte.) L'on perçoit la disjonction se pro
duisant entre les sens qui circulent sur ce plan et ceux que l'analyse de ces
relations actorielles projette sur la figure de sœur Suzanne : ces relations
enrichissent la sphère sémique qui représente la narratrice d'une façon tout à
fait indépendante de son autoprogrammation axiologique. A ces deux plans
correspondent deux niveaux de production du sens entièrement autonomes et
qui demandent initialement autant d'analyses qui se meuvent en des directions
hétérogènes. Si elles doivent se rejoindre ce n'est pas pour annuler l'un des
deux niveaux au bénéfice de l'autre 39 mais pour affirmer la présence d'une
disjonction sémantique productrice non réductible.

35. Pour reprendre le terme d'Edward Morgan Forster {Aspects of the Novel. Harcourt, Brace
and World, London, 1927, chap. III).
36. Que les morts de M"" de Moni et de Mn" *** soient «causées par Suzanne elle-même» a
été aussi reconnu par H. Coulet dans quelques lignes de Le Roman jusqu'à la révolution. Colin,
1967, 2 tomes, t. I, p. 501 (chose remarquablement singulière, pour qui a parcouru l'ensemble des
essais consacrés exclusivement ou de façon marginale à La Religieuse). Mais l'économie même de
son ouvrage n'a pas permis à l'auteur d'aller au-delà de ces quelques lignes.
37. Il s'agit, si l'on veut, du plan des « humeurs qui qualifient existentiellement les personnages »
(Jean-Pierre Richard, « Balzac, de la force à la forme », in Poétique, 1, 1970, p. 17), plan sur lequel
les « mémoires » organisent, entre la narratrice et les deux supérieures, un conflit significatif. Sur le
sens et sur quelques variétés de ces « " contrastes ", générateurs d'antagonismes dramatiques », cf. le
texte de Richard, pp. 17-18.
38. Cf. Tzvetan Todorov, Poétique de la prose. Éd. du Seuil, 1971, pp. 241-242.
39. C'est naturellement l'annulation du second qui s'est produite et qui a pu avoir une histoire
(évidemment en vertu de l'identification du vouloir-dire propre à la narratrice, manifesté sur le plan
rhétorique, avec celui de l'auteur, catalyseur de l'intérêt critique). Dans le cas de La Religieuse
cette identification notoirement inquiétante du point de vue méthodologique paraît particulièrement
explicable (orientant par là même toute une activité d'interprétation), et c'est justement pour cela
que l'autre direction d'analyse acquiert son « mordant » spécifique.

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