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Vocabulaire d’ancien français

Fiches à l’usage des concours

3e édition
O LIVIER B ERTRAND
S ILVÈRE M ENEGALDO

Vocabulaire
d’ancien français

Fiches à l’usage des concours


3e édition
Collection U

Linguistique

Illustration de couverture : Tapisserie de Bayeux@fotolia

© Armand Colin, 2016


© Armand Colin, 2006, pour la première édition
Armand Colin est une marque de
Dunod Éditeur 11, rue Paul Bert, 92240 Malakoff
ISBN : 978-2-200-61568-0
Introduction

Le présent ouvrage se propose de traiter dans une perspective diachronique


l’évolution sémantique de près de 400 termes usuels ou caractéristiques du
lexique et de la civilisation du Moyen Âge en France, envisagés
essentiellement à travers les sources littéraires des XIe-XIIIe siècles, c’est-à-
dire les textes auxquels les étudiants, notamment, sont le plus susceptibles
de se trouver confrontés. Précisons d’emblée que nous ne livrons pas ici le
résultat d’une recherche lexicologique approfondie, mais qu’il s’agit avant
tout d’un travail de compilation et de synthèse, à visée à la fois plus
modeste et plus utilitaire. En effet, notre intention est d’abord d’essayer de
fournir des éléments à même de satisfaire aux exigences de la traditionnelle
question de vocabulaire à laquelle les candidats aux concours
d’enseignement de lettres modernes et de grammaire doivent faire face.
Néanmoins nous espérons que tout étudiant inscrit en faculté de lettres
pourra en tirer quelque profit, par exemple dans le cadre d’un cours de
langue et littérature du Moyen Âge, et plus largement – pourquoi pas – tous
ceux qui portent quelque intérêt à la littérature et à la civilisation
médiévales françaises.

La question de vocabulaire aux concours


La question de sémantique lexicale fait partie de l’épreuve d’ancien français
(texte antérieur à 1500) au Capes et à l’agrégation externes de lettres
modernes et de grammaire. Généralement, deux termes sont extraits du
passage de l’œuvre au programme proposé par le jury et doivent être
étudiés en diachronie. Rappelons que cette question de vocabulaire est
intimement liée, comme le reste de l’épreuve, au texte que les candidats ont
à étudier tout au long de l’année et à connaître aussi bien que possible. Elle
a pour objet de susciter une réflexion sur l’évolution sémantique d’un mot
depuis son origine jusqu’au français moderne et de le situer dans l’extrait
proposé, c’est-à-dire à une période précise de son évolution. Par ailleurs, la
présentation doit être soignée, raisonnée et ordonnée. Le jury apprécie la
netteté du propos, la cohérence de l’évolution et la précision du
développement. C’est sous forme de fiche sémantique que cette cohérence
d’ensemble peut être le plus efficacement rendue.

Organisation de la fiche de vocabulaire


Traditionnellement, une fiche de vocabulaire se constitue en six étapes
successives. Il ne s’agit là que d’une coutume raisonnable régulièrement
admise mais non imposée par le format même des concours. Elle permet en
outre de n’oublier aucun aspect de la question. C’est la démarche que nous
avons systématiquement adoptée dans le présent ouvrage, en laissant
toutefois de côté la première et la cinquième étape (introduction et sens
contextuel), qui ne peuvent être traitées que dans le contexte de l’œuvre au
programme.
Dans ce Vocabulaire d’ancien français, nous proposons environ 400
entrées classées par ordre alphabétique et présentées de manière
systématique : nous envisageons d’abord l’origine ou l’étymologie du mot,
puis son ou ses sens en ancien français, son paradigme morphologique et
son paradigme sémantique, et enfin son évolution jusqu’au français
moderne. Les graphies d’un même vocable peuvent être multiples en ancien
français, d’une région à l’autre, d’un texte à l’autre, ou au sein d’un même
texte. Par souci de clarté, nous avons choisi de sélectionner des graphies
largement attestées pendant la période médiévale, mais aussi celles qui sont
les plus proches du français moderne afin que celles-ci soient plus
facilement reconnaissables, sans toutefois donner systématiquement – loin
s’en faut – toutes les variantes graphiques attestées. L’index en fin
d’ouvrage permet un repérage facile des entrées, qui sont en caractères gras
; les autres vocables présents dans l’index sont des termes qui ne font pas
l’objet d’une fiche à proprement parler mais qui entrent dans le paradigme
morphologique ou sémantique d’un ou plusieurs mots étudiés.
• Introduction
Toute fiche de vocabulaire doit commencer par l’identification précise du
terme proposé en contexte. Il s’agit ici d’en préciser, essentiellement, la
nature, le genre et le nombre. Certaines graphies sont trompeuses et il faut
bien reconnaître, par exemple, dans le terme preu de l’ancien français, un
substantif, un adjectif ou un adverbe, ce qui déterminera en partie le
contenu de la fiche de sémantique. De ce premier repérage dépend la suite
de l’explication.

• Origine
La première étape véritable du cheminement diachronique est l’analyse de
l’origine du mot à expliquer. Il convient de donner l’étymon et d’en expliquer
le ou les sens principaux. Souvent d’origine latine, le terme a parfois pris un
sens particulier en latin populaire, a modifié certains sèmes en latin chrétien.
Le cas échéant, nous explicitons toute information de ce type qui peut aider à
circonscrire les acceptions du terme lorsque celui-ci entre dans la langue
française. Les datations peuvent être approximatives, sont souvent relatives et
il n’est parfois pas aisé de donner une chronologie précise à partir d’un
étymon dont les attestations sont rares ou inexistantes. Lorsqu’un étymon est
reconstruit et non attesté, nous avons suivi la tradition qui fait précéder cette
forme d’un astérisque (*potere). On peut distinguer, pour simplifier les
choses, deux groupes d’origines étymologiques.
Origine latine. Dans les présentes fiches, comme pour le lexique
français en général, la majorité des termes étudiés provient du latin. Pour
les datations et périodes, nous avons suivi les principes suivants : lorsque le
terme est clairement attesté pendant toute la période latine, particulièrement
en latin classique, nous avons simplement signalé qu’il provenait du latin ;
en revanche, que ce soit pour des évolutions de sens, des évolutions de
forme, ou bien encore les deux à la fois, nous avons distingué chaque fois
que de besoin le latin tardif, le latin populaire, le latin chrétien et le latin
médiéval. La chronologie adoptée est volontairement simplifiée. Ce que
nous avons appelé tout simplement « le latin » englobe à la fois la période
classique à proprement parler (Ier siècle av. J.–C.) et la période postclassique
(les deux premiers siècles de notre ère), soit la langue littéraire, disons, de
Cicéron à Tacite ; le latin tardif couvre la fin de la période impériale (du IIIe
au Ve siècle apr. J.–C.) ; le latin médiéval lui succède, du VIe au XVe siècle.
Quant au latin populaire (appelé aussi vulgaire) et au latin chrétien, ils ne
relèvent pas de la même chronologie. Le latin populaire apparaît
vraisemblablement à la faveur des expansions territoriales de Rome (donc
dans une temporalité très étendue qui se superpose aux latins précédemment
datés) et regarde la langue parlée, la langue du peuple (caballus contre
equus, « cheval », focus contre ignis, « feu », par exemple). Le latin
chrétien se développe avec l’avènement du christianisme comme religion
d’État de l’Empire romain et surtout à travers les écrits des Pères de l’Église
et de leurs commentateurs, de Tertullien (IIIe siècle) à saint Thomas d’Aquin
(XIIIe siècle). Nous signalons également dans certaines fiches l’origine
grecque de mots ensuite latinisés. Les étymons latins sont le plus souvent
proposés sous la forme de l’accusatif singulier, celle qui a abouti aux
formes conservées – quand elles le sont – en français moderne.
Autres origines. Tous les termes étudiés ne proviennent pas du latin. Un
certain nombre sont d’origine germanique, et particulièrement d’origine
francique, c’est-à-dire empruntés à la langue des Francs. De manière
générale, cette dénomination regroupe les dialectes rattachés à l’ancien haut
allemand dont certains vocables ont percé la barrière lexicale à partir de
l’intégration des Francs au monde romain (aux Ve et VIe siècles) par le
truchement des invasions. Ce superstrat a laissé au français quelques
centaines de mots. D’autres origines sont connues et peuvent être signalées,
notamment le gaulois (langue celte, parlée avant l’invasion romaine de la
Gaule, au Ier siècle av. J.–C.), le norrois, langue des anciens Scandinaves, ou
encore l’arabe, mais les vocables concernés sont en nombre très limité.

• Ancien français
L’étymon sert souvent de point de départ sémantique qui justifie ou invite à
considérer le lien entre l’origine et le ou les sens attestés en ancien français.
Dans les fiches de cet ouvrage, nous donnons la date de la première
attestation en français du mot considéré et nous essayons de montrer de
quelle manière le sens étymologique a évolué vers les acceptions attestées
en ancien français, en faisant autant que possible apparaître entre eux un
lien logique, qu’il soit, par exemple, d’essence concrète, abstraite,
métaphorique ou métonymique. Ce lien n’étant pas toujours évident, il
s’agit bien sûr de faire preuve de prudence. Chaque entrée propose ensuite
un classement des sens. Par souci de clarté et de concision, nous nous
sommes efforcés de ne retenir que les sens principaux et usuels dans la
littérature médiévale française, du XIe au XIIIe siècle, sans nous sentir tenus
de mentionner toutes les acceptions spécifiques ou techniques.

• Paradigmes
Une fois les acceptions du mot circonscrites, il est nécessaire de pouvoir
appréhender les formes morphologiquement et sémantiquement proches.

Paradigme morphologique
Le paradigme morphologique relève les mots appartenant à la même famille
dérivationnelle que le terme étudié. Par exemple, esgarder et regarder
appartiennent au même paradigme que garder. L’intérêt de ce relevé est
d’ajuster le sens du vocable considéré par rapport à d’autres termes
morphologiquement proches, qu’ils lui soient directement ou indirectement
liés : ainsi le substantif ostel vient du latin tardif hospitále ; mais son
paradigme morphologique regroupe autant les mots qui en sont dérivés
directement, comme ostellerie ou le verbe osteler, que des termes dont
l’étymon est proche, comme les substantifs oste (du latin hospitem) ou
ospital (du latin tardif hospítalem). Le paradigme morphologique regroupe
en somme deux types de vocables, entre lesquels la distinction n’est du
reste pas toujours très évidente : les mots immédiatement dérivés du terme
considéré et un groupe élargi, relevant de la même famille étymologique.
Dans les fiches, nous proposons essentiellement des termes apparus entre le
XIe et le XIIIe siècle, parfois plus tôt ou plus tard (en moyen français, aux
XIVe-XVe siècles), et dans ce cas nous le précisons systématiquement.

Paradigme sémantique
Le paradigme sémantique regroupe les termes synonymes ou
parasynonymes (et éventuellement antonymes) du mot considéré. Il s’agit
ici de situer ce dernier dans le contexte sémantique dont il dépend. Cette
analyse n’est pas anodine car elle permet ensuite de mieux décrire le sens
contextuel du terme étudié. Sous cette rubrique, la fiche du verbe cuidier,
par exemple, renvoie à celle de penser et croire, verbes qui appartiennent
tous trois en ancien français au champ notionnel de la pensée. Ainsi, il est
possible de constituer des passerelles entre les fiches qui ont pour but de
montrer les liens de dépendance ou d’opposition sémantique entre des
termes proches en ancien français. Tous les termes cités faisant l’objet
d’une fiche dans l’ouvrage sont repérés à l’aide du signe (°) : cuidier°.

• Sens contextuel
Ce n’est qu’après avoir précisé son étymologie, ses sens en ancien français
et ses paradigmes que le terme peut être étudié en contexte. Dans cette
rubrique, il ne s’agit pas de se contenter d’expliciter le sens du terme par un
vague synonyme ou parasynonyme mais plutôt de justifier son emploi à
l’endroit précis du texte en fonction de plusieurs paramètres sémantiques,
morphologiques et même syntaxiques relevés antérieurement. En effet, la
syntaxe peut ici se révéler fort utile pour expliquer l’emploi d’un binôme
synonymique ou d’une construction particulière, en regard précisément des
paradigmes morphologique et/ou sémantique existants. Le jury des
concours peut proposer deux occurrences voisines d’un même terme
représenté dans l’extrait proposé. C’est alors le meilleur moyen de montrer
les nuances sémantiques qui existent au sein d’un même lexème, à une
période spécifique de la langue. En somme, il s’agit là moins de traduire ce
terme (ce doit être fait dans la question de traduction) que de justifier sa
présence. Une bonne connaissance du texte au programme permet alors de
signaler la fréquence du terme dans l’œuvre, d’autres acceptions repérées
dans des contextes distincts, etc. Pour des raisons évidentes, cet ouvrage ne
traite pas cette partie de la question aux concours.

• Évolution
La dernière partie de l’explication poursuit logiquement l’évolution globale
de la question. Il convient de prolonger l’analyse diachronique du terme
proposé, jusqu’en français moderne si cela est possible ou, le cas échéant,
jusqu’à sa disparition dans la langue. Si tel est le cas, il n’est pas anodin de
signaler la date (même relative) à laquelle le terme a disparu et les
concurrents (éventuellement cités dans le paradigme sémantique) qui
reprennent ses emplois. Il ne faut alors pas hésiter à convoquer sa
connaissance du français moderne pour affiner l’analyse et proposer des
emplois contemporains du terme étudié, délimiter l’élargissement ou la
restriction des sens, montrer le développement ou non du paradigme en son
entier ou même signaler des évolutions d’ordre graphique.

Sources et orientations bibliographiques


Pour l’élaboration des fiches qui suivent, nous avons eu recours à un
certain nombre de dictionnaires et d’ouvrages de lexicologie. Nous
indiquons ici, suivant les différentes parties de la fiche de sémantique,
ceux que nous avons principalement mis à contribution (sans souci
d’exhaustivité, donc) et qui pourront être utiles aux candidats souhaitant
étudier l’évolution de termes qui ne figurent pas dans cet ouvrage.
Avant d’entrer dans les détails, pour une mise au point générale sur
l’évolution diachronique du lexique français, on pourra par exemple se
reporter aux chapitres afférents des ouvrages suivants :
Bertrand O., Histoire du vocabulaire français, Paris, Éditions de l’École polytechnique, 2011.
Huchon M., Histoire de la langue française, Paris, Librairie générale française, 2002.
Marchello-Nizia C., Le Français en diachronie : douze siècles d’évolution, Paris, Ophrys, 1999.
Perret M., Introduction à l’histoire de la langue française, Paris, Armand Colin, 2001.
Rey A., Duval F. et Siouffi G., Mille ans de langue française, Paris, Perrin, 2007.

• Étymologie
En premier lieu, concernant les différents étymons et leurs sens (parfois
hypothétiques et sur lesquels les spécialistes ne s’accordent pas toujours),
nous nous sommes principalement appuyés sur :
le FEW ou Französisches Etymologisches Wörterbuch, mis en chantier par W. von Wartburg,
Tübingen-Bâle, 1922-1978 (en cours de révision). C’est le dictionnaire qui propose les
explications les plus détaillées concernant l’origine des mots et leur étymon.
le TLF ou Trésor de la Langue Française, publié par le laboratoire CNRS / ATILF sous la
direction de P. Imbs et B. Quemada, 1971–1994 (disponible sur cédérom et sur internet à
l’adresse http://atilf.atilf.fr). Chaque article de ce dictionnaire, qui étudie en détail le lexique
français des XIXe et XXe siècles, contient un paragraphe historique qui reprend pour l’essentiel, en
les synthétisant, les données du FEW.

Pour les étymons latins en particulier, de loin les plus fréquents, nous avons
eu recours aux dictionnaires suivants :
Gaffiot F., Dictionnaire latin-français, Paris, 1934 (et rééditions). Précieux pour vérifier le sens des
termes en latin classique et impérial essentiellement.
le Thesaurus linguae latinae, Leipzig, en cours de rédaction depuis 1900 (disponible sur
cédérom). Ce dictionnaire, monumental mais encore inachevé, est particulièrement utile pour tout
ce qui concerne le latin tardif.
Blaise A., Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens, Turnhout, 1967. Dictionnaire de
référence pour le latin chrétien.
Niermeyer J. F., Mediae latinitatis lexicon minus, édition revue par C. Van De Kieft, Leiden,
1997. Dictionnaire de référence pour le latin médiéval.

• Ancien et moyen français


On peut renvoyer à plusieurs dictionnaires pour la recherche du sens des
vocables en ancien et moyen français :
Tobler A. et Lommatzsch E., Altfranzösisches Wörterbuch, Tübingen-Wiesbaden, 1925-2002
(disponible sur cédérom). Ce dictionnaire est certainement le meilleur existant actuellement.
Les sources exploitées sont essentiellement littéraires et couvrent la période de l’ancien français
proprement dit (du IXe au XIIIe siècle), en débordant un peu sur le moyen français. Il est
particulièrement précieux pour le nombre d’exemples proposés en contexte (dont sont d’ailleurs
redevables ceux que l’on trouvera dans cet ouvrage).
Godefroy F., Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe
siècle, Paris, 1880–1902 (disponible sur cédérom). En dépit de ses divers défauts (en
particulier le rejet dans les deux volumes de supplément des termes encore attestés en français
moderne), ce dictionnaire reste utile, étant donné la période couverte et son ouverture à tout type
de documents, notamment non littéraires.
le DMF ou Dictionnaire du moyen français, publié par le laboratoire CNRS / ATILF sous la
direction de R. Martin depuis 2002 et accessible en ligne à l’adresse http://atilf.atilf.fr.
Comme son nom l’indique, ce dictionnaire, uniquement accessible en ligne et donc sans cesse
enrichi (il en est actuellement à sa sixième version), couvre précisément la période du moyen
français, autrement dit les XIVe et XVe siècles. Sa consultation n’en est pas moins précieuse pour
l’étude de l’ancienne langue dans son ensemble.
Matsumura T., Dictionnaire du français médiéval, Paris, Les Belles Lettres, 2015. Nous n’avons
pu consulter ce dictionnaire avant la réédition du présent ouvrage. Notons néanmoins que ses
dimensions (environ 3500 pages) en font a priori un bon outil de travail, à mi-chemin entre le
« petit » Greimas (voir ci-dessous) et les très volumineux Tobler-Lommatzsch ou Godefroy.

Pour plus de détails sur le vocabulaire spécifique à la civilisation


médiévale, on peut consulter en outre :
Fédou R., Lexique historique du Moyen Âge, Paris, Armand Colin, 1980 (et rééditions).
Touati F.–O., Vocabulaire historique du Moyen Âge, Paris, La Boutique de l’Histoire, 1995 (et
rééditions).

• Paradigmes
Pour les paradigmes morphologiques et sémantiques, outre certains ouvrages
cités ci-dessus (notamment le TLF), le Dictionnaire de l’ancien français
d’A. J. Greimas (Paris, Larousse, 1968, et nombreuses rééditions) peut être
consulté avec profit mais signalons que malgré sa grande facilité d’emploi, il
doit être utilisé avec une certaine prudence en ce qui concerne les vocables
recensés ou leurs sens en ancien français.

• Évolution
Pour l’évolution sémantique postérieure au Moyen Âge, tous les
dictionnaires peuvent s’avérer utiles. Certains le sont cependant plus que
d’autres, que nous citons dans la liste suivante :
le Dictionnaire historique de la langue française, publié sous la direction d’A. Rey, Paris,
Dictionnaires Le Robert, 1992 (et rééditions). Chaque article de ce dictionnaire, unique en son
genre, retrace l’évolution d’un terme et de sa famille morphologique, des origines jusqu’à nos
jours. Il y est donc question aussi d’ancien français, mais c’est surtout pour l’évolution postérieure
au Moyen Âge que nous recommandons sa consultation. Ses données sont parfois croisées avec le
TLF.
Huguet E., Dictionnaire de la langue française du seizième siècle, Paris, 1925-1967. Attention : ce
dictionnaire mentionne uniquement les termes ou les sens attestés au XVIe siècle et disparus en
français moderne, mais il omet tous ceux qui se sont conservés jusqu’à aujourd’hui.
Furetière A., Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français, La Haye,
1690 (et réimpressions). Indispensable pour la période du XVIIe siècle.
Littré É., Dictionnaire de la langue française, Paris-Londres, 1881 (et réimpressions). Ce
dictionnaire est précieux car il donne un bon état des lieux des sens usuels du lexique français de
son époque, mais son auteur, féru d’étymologie et d’histoire de la langue, propose nombre
d’entrées déjà archaïsantes au XIXe siècle (en attestent les nombreux exemples empruntés
seulement à la langue classique). À consulter donc avec prudence.
le Grand Robert de la langue française, nouvelle édition sous la direction d’A. Rey et D. Morvan,
Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001. Ce dictionnaire donne couramment le sens des mots aux
XIXe et XXe siècles, mais présente aussi l’intérêt de signaler souvent des sens vieillis remontant aux
XVIIIe et XVIIe siècles.

Enfin, nous ne saurions clore ces orientations bibliographiques sans


manifester notre dette à l’égard de nos devanciers, que nous n’avons pas
manqué de consulter :
Andrieux-Reix N., Ancien français. Fiches de vocabulaire, Paris, PUF, 1987 (et rééditions). On
trouve dans cet ouvrage environ 70 mots traités en détail et plusieurs études d’ensemble autour de
champs notionnels. Très riche de ce point de vue.
Bellon R. et Queffélec A., Linguistique médiévale. L’épreuve d’ancien français aux concours,
Paris, Armand Colin, 1995. Une quarantaine de mots sont traités à partir de textes du Moyen
Âge. On peut donc circonscrire les sens contextuels des termes étudiés. Excellent pour
l’entraînement aux concours.
Guillot R., L’Épreuve d’ancien français aux concours. Fiches de vocabulaire, Paris, Champion,
2008. Plus de 300 mots sont étudiés selon le modèle attendu aux concours.
Hélix L., L’Épreuve de vocabulaire d’ancien français. Fiches de sémantique, Paris, Éditions du
Temps, 1999 (et rééditions). Environ 130 mots sont abordés dans cet ouvrage et parfois
regroupés par champs sémantiques.
Il existe aussi un certain nombre de rapports de jury très riches en détails
méthodologiques. On peut consulter ces rapports sur le site internet du
Ministère de l’Éducation Nationale.

Liste des abréviations


Adj. : adjectif ; adv. : adverbe ; AF : ancien français ; ex. : exemple ; fém. :
féminin ; FM : français moderne ; MA : Moyen Âge ; masc. : masculin ;
MF : moyen français ; plu. : pluriel ; qqch. : quelque chose ; qqn. :
quelqu’un ; s. : siècle ; sing. : singulier ; subs. : substantif ; v. : verbe.

Quelques repères
Dérivation : processus linguistique de création d’unités lexicales, souvent
par agglutination, à partir d’un radical autonome et d’affixes (traire >
retraire / abstraire / extraire ; chief > meschief, etc.). La dérivation
impropre est un processus par lequel un terme peut changer de catégorie
grammaticale sans que sa morphologie n’en soit modifiée (substantivation
du verbe manger > le manger, par exemple).
Déverbal : un substantif créé à partir d’une forme verbale est appelé
déverbal. Certaines grammaires utilisent aussi le terme de postverbal.
Diachronie : étude de la langue analysée dans son évolution (vs
synchronie).
Emprunt : l’emprunt est un processus linguistique (voire sociolinguistique)
qui consiste pour une langue à intégrer dans son lexique un terme lexical
d’une autre langue. Par exemple, les termes hisdeus (> hideux) et orrible
(> horrible) sont deux adjectifs attestés dès le XIIe s. mais le premier est
peut-être issu du latin hispidosus par évolution alors que le second est
emprunté au latin, c’est-à-dire en quelque sorte pris tel quel mais francisé,
à partir de la forme horribilis. Les termes scientifiques, savants ou
techniques sont souvent directement empruntés à une langue source.
Hyperonymie : le mot désigne un rapport d’inclusion du plus général
(espèce) au particulier (genre) dans une relation hiérarchique. Voir
hyponymie.
Hyponymie : le mot désigne un rapport d’inclusion entre un terme
particulier (hyponyme) et un terme plus général (hyperonyme) dans un lien
de hiérarchisation. Plus concrètement, palefroi est hyponyme de cheval en
ceci qu’il représente le genre et non l’espèce. À l’inverse, cheval est
hyperonyme de palefroi mais aussi de roncin, somier, destrier.
Lexème : le lexème est l’unité de base du lexique et désigne communément
l’unité de signification que l’on associe volontiers au « mot », ce qui n’est
pas systématique. Dans la forme cuidiez, par exemple, certains linguistes
ne verront qu’un seul lexème (correspondant au terme lui-même) alors que
d’autres analyseront la forme comme étant composée d’un lexème cuid-
(puisque c’est ce radical qui contient la charge sémantique) et d’un
morphème verbal –iez. Dans cet ouvrage, nous préférons employer le
terme de façon plus générale.
Sème : le sème (ou trait sémantique) est une unité minimale de signification
à l’intérieur d’un ensemble composant le sémème (unité dont le
correspondant formel est le lexème). Chaque lexème possède plusieurs
sèmes qui le distinguent d’autres termes proches : destrier possède le sème
de la vitesse alors que somier détient sans doute celui de la force physique.
Mais les deux termes ont un sème commun (appelé parfois sème
générique voire macrogénérique), celui d’animé non humain par exemple,
commun aux animaux. Un terme lexical peut donc être analysé par l’étude
systématique de ses traits sémantiques.
Superstrat : un superstrat est une langue qui réussit à s’intégrer dans une
autre langue (appelée substrat) de diverses manières, sans toutefois se
substituer à elle. Elle peut en revanche laisser de nombreuses traces de son
intégration : les langues germaniques, par exemple, à l’issue des invasions,
sont considérées comme des superstrats au latin dans la mesure où celles-
ci n’ont pas supplanté la langue latine mais lui ont laissé un certain
nombre de mots non négligeable. Voir dans cet ouvrage plusieurs
substantifs commençant par G, qui proviennent souvent du francique.
Synchronie : étude de la langue analysée comme un système fonctionnant à
une époque particulière de son évolution et non dans la continuité (vs
diachronie).
Pour plus de détails, voir J. Dubois et alii, Dictionnaire de linguistique et
des sciences du langage, Paris, Larousse, 1994 (première édition).

Nota : les entrées A-F ont été, à quelques exceptions près, rédigées par O.
Bertrand et les entrées G-V ont été, à quelques exceptions près aussi,
rédigées par S. Menegaldo.
A

Aage
Origine : du latin populaire *aetaticum, dérivé d’aetas, « vie », « temps de
la vie », « âge », voire « époque » et « siècle ».
Ancien français : lorsqu’il entre dans la langue française sous la forme
graphique aage ou eage dès le XIe s., le subs. conserve encore les différents
sens latins. Il signifie d’abord (1) « vie humaine », puis au XIIe s. (2) «
temps écoulé depuis lequel on est en vie » et enfin, au XIIIe s., (3) « période
particulière de la vie », désignant souvent tantôt la jeunesse ou la
vieillesse. Le sens de « majorité » est également fréquent pendant toute la
période de l’AF (estre en eage, « être majeur »). On trouve ce subs. dans
de nombreuses locutions comme jeune aage, de grant aage ou d’aage et
même avec le sens (4) « époque », « période historique », notamment dans
doré aage (« l’âge d’or »).
Paradigme morphologique : l’adj. dérivé aagé ou aagié (XIIIe s.) qualifie
une personne majeure ou bien s’applique à une longue période et signifie
alors « qui existe depuis longtemps ». On trouve également en AF le subs.
eagement, « majorité » et le v. eagier, « prendre de l’âge ».
Paradigme sémantique : on peut citer le subs. vie, et siecle° dans le sens d’«
époque ».
Évolution : le mot se généralise avec le sens de « période », dans des
syntagmes tels qu’âge de bronze, de pierre, etc., et bien sûr Moyen Âge,
qui désigne historiquement la période comprise en Occident entre
l’Antiquité et la Renaissance. Mais le subs. désigne toujours la « durée
ordinaire de la vie » et plusieurs expressions plus ou moins récentes
témoignent de ce dernier sens : être entre deux âges (XVe s.), le troisième /
quatrième âge, etc. Enfin, le sens de « durée de la vie écoulée depuis la
naissance » est usuel. Ex. : quel âge as-tu ?

Abandon / Abandoner
Origine : pour expliquer l’étymologie du groupe abandon / abandoner, il
faut partir de l’expression metre a bandon, qui au XIIe s. veut dire « mettre
à la merci ou au pouvoir de qqn. » et marque l’action de renoncement,
bandon signifiant « pouvoir, puissance ». Ce mot provient probablement
du croisement entre le francique *bannjan « bannir » et *bandjan « faire
signe », issu de *band « signe ». L’hypothèse selon laquelle le groupe
proviendrait d’a ban doner, faisant du groupe un dérivé direct de ban°, est
improbable.
Ancien français : on trouve le subs. bandon, puis abandon à partir du XIIe
s., dans des expressions comme metre en abandon, « livrer à la merci, au
pouvoir de qqn. », « exposer au danger ». Le sens premier du terme, (1) «
libre disposition » voire « puissance » reste étymologique et renvoie à la
notion de pouvoir (on le trouve notamment dans l’expression a bandon, «
à discrétion »), ce qui a donné par la suite au subs. une valeur dérivée, (2)
« permission ». Le v. abandoner est attesté dès la fin du XIe s. avec le sens
de « livrer », « lâcher », « laisser au pouvoir de », « laisser, quitter ». À
partir du XIIIe s., le v. peut aussi signifier « laisser agir », puis « s’exposer
au danger », dans sa forme réflexive soi abandonner a.
Paradigme morphologique : on notera les subs. abandonement (XIIIe s.) et
abandonance (XIIIe s.) ainsi que l’adv. abandoneement (XIIe s.). Voir aussi
le paradigme de ban°, si l’on admet une origine commune aux deux
termes.
Paradigme sémantique : pour le subs., voir merci° et, dans le sens plus fort
de « puissance », poesté, pooir ou seignorie (voir seignor°) ; pour le v.,
voir guerpir°.
Évolution : à la fin du XVIe s., le subs. perd le sens de « pouvoir » et ne
garde que celui de « renonciation ». Le sens passif que l’on trouve dans
l’expression à l’abandon date du XVIIe s. De la même manière, le v. perd
l’acception de « laisser aller librement » pour ne conserver que celle de «
laisser, quitter » et, à la forme réflexive, de « se laisser aller ».

Adouber
Origine : du francique *dubban, « frapper ».
Ancien français : le v. adouber entre très tôt dans la langue puisqu’on le
trouve dès le XIe s. dans la Chanson de Roland sous la forme adober. Si
l’on s’en tient à l’étymologie, le sens premier du v. en AF pourrait être (1)
« faire chevalier », opération donnant lieu à une cérémonie nommée
justement adoubement (XIIe s.) au cours de laquelle on donnait notamment
la colee (voir col°) au futur chevalier, c’est-à-dire un coup du plat de
l’épée sur l’épaule ; le v. est d’ailleurs souvent coordonné à faire chevalier
en emploi synonymique. Par extension, la cérémonie de l’adoubement
supposant aussi d’équiper et d’armer le jeune chevalier, le v. a pris le sens
de (2) « armer, fournir en armes » et, plus généralement, « préparer,
équiper ». Cette évolution, qui paraît relativement satisfaisante pour la
logique, est toutefois contredite par la chronologie, les attestations du sens
1 étant postérieures à celles du sens 2.
Paradigme morphologique : on peut noter adobé (XIe s.), subs. désignant le
chevalier revêtu de son armure. L’adj. correspondant signifie alors «
orné » ou « en armes ». Adoubement (XIIe) et adobeüre (XIIe) désignent
respectivement la cérémonie voire l’équipement complet et les armes que
le chevalier peut alors porter. Au XIIIe s., notons radouber, « mettre ou
remettre en état », qui est resté en FM dans le lexique de la marine.
Paradigme sémantique : voir le paradigme de conreer°, mais .on peut
également citer le v. armer (Xe s., du latin armare, dérivé d’arma), «
équiper d’armes, armer », pour un chevalier.
Évolution : le mot est sorti d’usage si ce n’est pour désigner la pratique
médiévale. Mais il n’a pas tout à fait disparu puisque par métaphore, il
désigne volontiers, surtout dans une tournure passive, un mode de
relations qui met en jeu les sèmes médiévaux de dépendance, de confiance
et de soutien associés à la cérémonie de l’adoubement. Ex. : Il a été
adoubé par le président de la République.
Afaitier
Origine : du latin populaire *adfactare, dérivé de factare, fréquentatif de
facere « faire ». Il signifie « mettre en état ».
Ancien français : le v. afaitier signifie dès le XIe s. (1) « arranger », « mettre
en ordre ». Au XIIe s., il veut également dire (2) « dresser » (pour un chien,
un faucon, etc.), puis prend le sens très général de (3) « faire », « façonner »,
« préparer ». Le participe passé affaitié (XIIe s.) est très usité en AF et a
souvent le sens de « préparé », « orné », voire « instruit ». La construction
pronominale du v. signifie « se mettre en état de ».
Paradigme morphologique : notons quelques dérivés, comme les subs.
afaiture (XIIe s.), « action de faire », afaitement (XIIe s.), « action de
préparer, d’arranger qqch. », « action de dresser », ou afaiteur, « dresseur
d’animaux », « personne qui confectionne quelque chose », et l’adv.
afaitiement (XIIe s.), « élégamment ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir conreer° ; dans le sens 2, on
peut noter duire°, drecier (XIe s.) ou aprivoisier (voir privé°) ; dans le sens
3, voir ovre / ovrer°.
Évolution : sous la forme graphique affaitier, puis affaiter, le v. s’est
spécialisé en architecture avec le sens de « préparer », « ajuster ». Vieilli
dans la langue courante, il demeure un terme de fauconnerie dans le sens
d’« apprivoiser » et il est employé en tannerie pour signifier l’action de
préparer les peaux.

Afichier
Origine : dérivé par préfixation de fichier, du latin populaire *figicare, pour
le latin figere, « ficher, enfoncer, planter, fixer » (au propre comme au
figuré), sens conservés dans l’AF fichier.
Ancien français : attesté dès le XIe s., le v. afichier conserve le sens
étymologique de (1) « fixer », « attacher, accrocher », « planter, ficher
qqch. ». En construction pronominale, soi afichier signifie « se fixer », «
s’attacher fermement ». C’est peut-être le sème concret de l’assurance
et/ou de la fermeté d’action qui conduit le v. à prendre le sens de (2) «
déclarer fermement, affirmer », et ce dès le XIe s., puis, par extension, en
structure pronominale, « se promettre », « se vanter ».
Paradigme morphologique : le subs. déverbal afiche est attesté depuis le
XIIIe s. et désigne tout ce qui attache. Il peut alors prendre les sens de «
boucle, agrafe, épingle, clou, fibule », etc. Ce n’est qu’à partir du XVe s.
qu’il prend le sens de « ce qui est affiché ». Notons aussi les subs.
fichement, « action de ficher », afichete ou aficheüre, « bijou, toute sorte de
parure » et l’adv. afichieement, « profondément ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer deux v. – tous deux
d’origine germanique mais issus d’étymons différents –, atachier (XIe s.,
dérivé de tache / teche, avec le sens d’« attacher, lier ») et estachier (XIIe s.,
dérivé d’estache, du germanique *staka, « pieu », avec en AF les sens d’«
attacher », « ficher, planter », « transpercer », mais aussi « attaquer »), qui
se sont confondus et ont abouti au FM attacher ; le v. fixer est lui plus
tardif (XIVe s., dérivé de fixe, du latin fixum, de figere également). Dans le
sens 2, notons par exemple clamer (voir crier°).
Évolution : le v. développe en MF certains sens dont « fixer un texte
officiel » et par extension, « dire publiquement », « faire savoir ».
Aujourd’hui, en emploi transitif, il désigne concrètement l’action de «
fixer qqch. » (ex. : afficher un poster au mur), mais aussi celle de « faire
connaître par voix d’affichage », « annoncer publiquement » (ex. :
interdiction d’afficher, afficher une liste de résultats, etc.). En emploi
figuré, il peut aussi renvoyer à la fixation par l’esprit, notamment en
montrant ostensiblement ses sentiments (ex. : afficher une liaison, afficher
son refus, etc.) : ainsi s’afficher possède le sème de la compromission,
notamment dans le domaine galant (ex. : regarde comme ils s’affichent,
ces deux-là !), mais conserve bien ceux de la fixation (sens 1) et de la
déclaration (sens 2) d’un sentiment.

Ahan
Origine : incertaine, l’origine du mot pourrait renvoyer au latin populaire
*afannare ou *affanare, lui-même peut-être issu de l’onomatopée han qui
marquerait l’effort. Un rapprochement serait également possible avec la
forme latine afannae, « faux-fuyants, balivernes », dont le v. serait le
dérivé ; mais ce lien étymologique est contesté.
Ancien français : dès le XIe s., le mot signifie (1) « effort », « peine » et, par
transfert métonymique, (2) « souffrance ». On trouve très rapidement dans
la langue l’expression a grant ahan, « avec beaucoup de peine », « à grand
effort ».
Paradigme morphologique : le v. ahaner (XIe s.) qui signifie « peiner, se
fatiguer », puis « travailler difficilement » et « labourer la terre », et son
dérivé ahanement (XXe s.), beaucoup plus tardif, montrent que ces termes,
peu courants, demeurent tout de même dans le lexique français assez
vivaces. Le paradigme s’est développé dans le milieu agricole à partir du
sens de « labourer » : ahenage, « labourage », aheneor, « laboureur »,
ahenable, « cultivable », etc.
Paradigme sémantique : dans le sens d’« effort, peine », avec souvent une
idée de souffrance, on peut citer labor (voir laborer°), peine° ou travail
(voir travaillier°).
Évolution : à partir du XVIe s. et surtout au XVIIe, le mot connaît une
restriction de sens et prend la seule valeur de « difficile respiration due à
un effort » mais devient vite littéraire. En revanche, le v. ahaner conserve
encore son acception de « faire des efforts physiques pénibles ».

Aidier
Origine : le v. provient du latin adjutare, « aider », fréquentatif d’adjuvare
(dont sont issus adjuvant et même adjudant en FM).
Ancien français : présent dès les premiers textes (Xe s.), notamment sous la
forme aïer, le v. possède un sens principal étymologique, celui d’« aider,
secourir », et une acception marginale, « payer l’impôt appelé “aide” ».
Dans son sens le plus courant, on le trouve souvent dans la formule se
Diex m’aït ou si m’aït Diex. Il peut avoir en AF une construction
intransitive aidier a qqch. ou a qqn. ; la forme pronominale soi aidier a
qqch. signifie « tirer parti de qqch. », alors que soi aidier de qqch. a pour
sens « utiliser qqch. ».
Paradigme morphologique : le déverbal fém. aide est très ancien (Xe s.,
sous la forme aïe) et signifie « action d’aider, secours », et spécialement «
impôt ». En construction lexicalisée, ce subs. est très fréquent (avec l’aide
de, a l’aide de, etc.). Au masc., et ce depuis l’AF, il renvoie à une «
personne qui aide », particulièrement dans le domaine militaire (en FM :
aide de camp, aide de cérémonies, etc.). L’AF connaît aussi les subs.
aidance, aidage, aidement qui ont pour sens général « aide, soutien,
secours ». L’adj. aidant (XIIe s.) signifie « secourable » et le subs. aideor
(XIIe s.) « celui qui aide », « allié, partisan ». Enfin le v. dérivé entraidier
désigne l’action de s’aider mutuellement et a développé le subs. entraide.
Paradigme sémantique : voir conforter° mais aussi secorre / secorir (Xe s.,
du latin succurrere).
Évolution : dans son emploi transitif direct, le v. aider a conservé le sens
étymologique de « prêter son concours à qqn. afin de faciliter
l’accomplissement d’un acte ou la réalisation de qqch. » et « favoriser,
faciliter qqch. ». L’emploi intransitif est vieilli, sauf dans des formules de
type aider à la reconstruction, au développement, etc.

Aire
Origine : le subs. provient probablement du subs. fém. latin aream, «
surface, sol, espace », et spécialement « espace où l’on bat le blé ». Mais
l’interférence possible avec l’ancien provençal agre (issu du latin ager, «
champ ») offre à l’AF un mot dont le genre n’est pas établi.
Ancien français : masc. ou fém. en AF, le subs. est très usité et connaît
plusieurs emplois notables à partir du XIe s. On notera surtout les sens
concrets de (1) « lieu, espace, surface », et en particulier « emplacement
non cultivé » ou encore « cour, salle » (noter la locution en aire, « par
terre »), ainsi que les sens abstraits de (2) « situation, position », d’où «
origine, souche » ou encore « sorte, espèce ».
Paradigme morphologique : on retiendra tout particulièrement debonaire°,
littéralement « de bonne race », et son antonyme deputaire.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut renvoyer aux termes
appartenant au lexique spatial comme lieu / leu (Xe s., du latin locum),
camp°, place (Xe s.) ou encore terre° ; dans le sens 2, voir ligne° ou guise°.
Évolution : le subs. est aujourd’hui fém. et d’emploi souvent vieilli mais
conserve le sens de « surface plane sur laquelle on bat le blé » (sens attesté
en AF mais marginal) et par extension « surface plane » et « espace assigné
à une activité » (aire de jeux, aire d’expansion, aire d’atterrissage, aire de
lancement, etc.). Il peut aussi endosser un emploi métaphorique ; ex. : « et
battus sur l’aire sanglante de la douleur, vous serez rejetés avec la paille »
(A. Camus, La Peste). Il reste cependant très présent dans les lexiques
spécialisés : en acoustique et anatomie, il désigne la « partie du cerveau
sensible aux signaux transmis par l’oreille » (aires cérébrales), en
astrologie, un « cercle de lumière », en astronomie, le « secteur de l’orbite
d’une planète », en commerce, un « lieu destiné à recevoir les
marchandises » (aires de dédouanement) ; il est également utilisé en
géologie (aires continentales), en physique (aire de diffusion, de
ralentissement, de migration), etc.

Aise
Origine : du latin adjacens (qui a par ailleurs donné adjacent au XIVe s.),
participe présent du v. adjacere, « être situé auprès de », substantivé en
latin tardif (comme en témoigne l’expression latine médiévale in aiace, «
près de », attestée au IXe s.), mais qui se rencontre également comme adj.
en AF.
Ancien français : la forme apparaît au XIe s. sous des graphies variées
(aeise, eese, aaise, ahaise) et avec plusieurs sens. Comme subs., aise peut
signifier (1) « demeure, résidence » mais aussi (2) « état agréable » sans
que le lien sémantique ne soit clairement établi. On le trouve aussi dans la
locution verbale avoir aise qui signifie « avoir la possibilité de » et dans
l’expression a aise qui peut prendre le sens métaphorique de « bien », «
confortablement ». En tant qu’adj., il entre dans la même expression mais
à valeur spatiale et étymologique qui signifie « proche ». Dès lors, l’adj.
aise peut aussi prendre le sens de « heureux, content », qui constitue la
base de l’expression que nous connaissons aujourd’hui être bien aise de,
avec le même sème de contentement.
Paradigme morphologique : notons le v. aisier (XIIe s.), « mettre à l’aise,
satisfaire », « aider, faciliter », qui a disparu de la langue au XVIIe s., mais
dont le participe passé a donné naissance à l’adj. aisié / aisé, puis par
dérivation à l’adv. aisément, avec un sens proche du FM. Le mot a aussi
servi à former des dérivés comme aisif (XIIIe s.) « confortable », « facile »,
ainsi que mesaise (XIIe s.) qui signifie « malheur » ou « chagrin ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir manoir° ; dans le sens 2, voir
joie°.
Évolution : le sens 1 a disparu de la langue mais aise reste vivant en FM
avec le sens 2 (ex. : mettre qqn. à son aise), surtout au pluriel dans la
locution prendre ses aises. L’adj. se rencontre toujours dans l’expression
être fort / bien aise de. Enfin, les termes dérivés malaise, malaisé,
malaisément sont très employés en FM.

Amender
Origine : le v. est issu du latin emendare qui possède deux sens principaux,
« améliorer, corriger » et « châtier, corriger ». Il a subi un changement de
préfixe très tôt dans la langue (l’italien ammendare et le provençal
amendar connaissent eux aussi une forme en a, alors que l’espagnol
emmendar conserve le préfixe étymologique).
Ancien français : les premières attestations du v. datent du XIIe s. Quatre
sens sont alors définis : (1) « améliorer, corriger » et par voie de
conséquence (2) « condamner qqn. », particulièrement lorsqu’il s’agit de
payer une somme d’argent. La notion de correction doit être liée à celle
d’expiation, puisque le v. signifie par la suite en AF (3) « réparer qqch. »,
d’où également (4) « terminer qqch. ». Le terme peut prendre parfois des
sens très précis en fonction du contexte : « expier ses fautes » (contexte
religieux), « soigner, guérir » (médecine), « se perfectionner » (morale),
etc.
Notons que amender possède un doublet émender qui est issu de la même
racine latine et signifiait en AF « améliorer ». Il demeure en FM dans le
vocabulaire juridique avec le sens de « réformer un jugement ».
Paradigme morphologique : il est assez riche, avec les subs. amende (XIIe
s.), « réparation, punition », amendise, « réparation, compensation,
satisfaction », amendement et amendance, « réparation », « pardon »,
amendacion, « correction », et enfin amendable (XIVe s.), « qui est passible
d’une peine ».
Paradigme sémantique : on peut citer ameillorer (XIIe s., dérivé du
comparatif meillor, refait au XVIe s.) ou chastier (voir blasmer°) dans le
sens 1 ; damner (Xe s., du latin damnare) dans le sens 2 ; et finer / finir
(voir fin°) dans le sens 3.
Évolution : le v. reste très présent dans la langue et développe volontiers le
sens 1, notamment dans le domaine juridique, grâce à l’emprunt à
l’anglais to amend (« modifier un texte de loi »), d’où amender un texte,
c’est-à-dire « faire un amendement, une amélioration ». De ce premier
sens est issu un usage restreint au domaine agricole : amender un sol, c’est
le « rendre plus fertile, bonifier ». Le sens 3 est lui aussi resté dans la
langue, notamment dans le domaine médical pour lequel le v. signifie «
devenir moins violent », en parlant d’une douleur ou d’un mal par
exemple. Parallèlement, le subs. amendement s’est spécialisé dans le
domaine juridique constitutionnel et dans l’agriculture. C’est enfin le sens
de « réparation » du subs. amende qui a créé au XVIIIe siècle l’expression
lexicalisée faire amende honorable « reconnaître sa faute ». Par ailleurs, le
subs. garde aujourd’hui ses sens généraux de « punition », « somme due »
parfois sous la contrainte. En atteste l’expression mettre qqn. à l’amende,
qui signifie « contraindre qqn. à payer une somme d’argent ».

Amentevoir
Origine : c’est la locution latine *(in) mente habere (de mens, « esprit », et
habere, « avoir »), « avoir à l’esprit », « se rappeler », qui est à l’origine
du v. en AF.
Ancien français : cette locution a donné en français (XIIe s.) mentevoir (ou
mentoivre) qui signifie (1) « rappeler », « mentionner », « retracer ». Puis
ce v. a lui-même formé un composé amentevoir (ou amentoivre) qui a
pour sens usuel « rappeler au souvenir ». Au sème du souvenir vient
s’ajouter celui de l’avertissement – le souvenir étant en quelque sorte
comme un rappel à l’ordre –, à l’origine des sens (2) « avertir » et «
recommander » que le v. connaît également au MA.
Paradigme morphologique : on notera surtout le subs. masc. mentivement
(XIIe s.), « mention », mais aussi le fém. amentevance (XIIe s.), « souvenir »,
et à partir du sens 2 du v., le subs. amenteument (fin XIIIe s.), «
avertissement ». Au XIIe s. est également attestée la forme ramentevoir (ou
ramentoivre), de même sens qu’amentevoir.
Paradigme sémantique : on retiendra dans le lexique du souvenir les v.
remembrer (Xe s., du latin populaire *rememorare, pour le latin tardif
rememorari, v. refait en remémorer à la fin du MA), « remettre en
mémoire, rappeler » et « se rappeler, se souvenir » en tournure
impersonnelle, et sovenir (XIe s., du latin subvenire), de sens proche.
Évolution : au XVIe s., le v. signifie encore « rappeler » et même « raconter ».
Il disparaît ensuite de la langue ainsi que son paradigme morphologique,
remplacé dans ses emplois par les tournures pronominales se souvenir et se
rappeler (déjà présent depuis le XIe s. avec le sens de « faire venir, revenir »,
au propre comme au figuré, d’où finalement la tournure pronominale
actuelle, apparue au XVIIe s.). À noter cependant que ramentevoir est encore
employé par Verlaine comme subs. avec le sens de « souvenir » ; ex. : Je
vais tout bonnement pour m’amuser du ramentevoir […] vous la raconter
par le menu (Verlaine, Confessions).

Amer / Amor
Origine : le v. provient du latin amare, « aimer », et le subs. d’amorem, «
amour ».
Ancien français : le v. entre dans la langue dès le XIe s. avec le sens de «
éprouver un sentiment passionné », « aimer », « chérir ». L’influence du
latin chrétien donne au subs. amor une inflexion religieuse très tôt dans la
langue (IXe s.), d’où le sens d’« amour de Dieu », mais aussi d’« amour
familial, fraternel, filial, etc. », d’« amour entre les sexes » et par
extension d’« amitié fidèle, fidélité » et enfin de « personne aimée ».
Notons qu’il existe en AF un adj. amer (XIIe s., du latin amarum),
homonyme du v., avec le sens précis de « qui a une saveur désagréable »,
et plus largement en AF de « pénible, douloureux ».
Paradigme morphologique : le subs. ameor (XIIe s.) désigne « celui qui
aime » tout comme son synonyme plus tardif amateur (XIVe s.), le subs.
amorete un « petit amour sans importance » mais aussi une « chanson
d’amour » ; l’adj. amoreus (XIIIe s.) prend, lui, le sens d’« amoureux » et de
« doux, aimable ». Voir également ami°.
Paradigme sémantique : on peut citer prisier° (voir pris°), et dans un sens
plus fort aorer° ou ardre° au figuré pour « brûler de désir ».
Évolution : le v. (sous la forme diphtonguée aimer) a conservé en FM son
sens étymologique. Il signifie aujourd’hui « éprouver de l’amour pour
qqn. » mais aussi, sous l’effet d’une évolution sémantique relevant de
l’atténuation, « éprouver de l’affection, de l’attachement, du goût pour
qqn. ou qqch. » : aimer les arts, aimer la montagne, aimer la bière, etc. Le
subs. amour quant à lui possède trois sens principaux en FM : (1) «
affection vive pour qqn. », (2) « passion éprouvée pour qqn. ou qqch. », et
enfin (3) « attachement particulier ou goût prononcé pour qqn. ou qqch. »
(amour de soi, amour des arts, amour de la patrie). Le paradigme entier,
sémantiquement stable au fil des siècles, est resté très riche et largement
attesté jusqu’en FM.

Ami
Origine : du latin amicum, « ami », « partisan ».
Ancien français : le subs., au masc. comme au fém., possède deux sens à
distinguer, (1) « ami(e) fidèle » et (2) « amant(e) », particulièrement dans
le contexte courtois. Le mot peut aussi être adj. et signifie alors «
apparenté », « qui appartient à » et par extension « favorable ».
Paradigme morphologique : amiet(e) au XIIIe s. désigne spécifiquement «
l’amant » ou « la maîtresse » (en rapport avec le sens 2), alors que le reste
du paradigme est partagé entre les deux sèmes : amisté (XIe s.), amistage
(XIIe s.) et amistié (XIVe s.) sont tout à la fois « l’amour » et « l’amitié »,
selon le contexte.
Paradigme sémantique : voir compaignon° et privé°.
Évolution : sous la forme substantive, le mot désigne aujourd’hui une «
personne avec qui on est lié d’une affection réciproque » et au figuré un «
partisan ». L’adj. quant à lui renvoie à la notion d’affection mais aussi
d’intérêt commun : un parti ami, par exemple en politique. Il peut aussi
signifier « propice » ou « affectueux » : on parle alors d’une main amie.

Anemi
Origine : du latin inimicum, antonyme d’amicum (qui a donné ami°), qui
signifie « ennemi privé » par opposition hostem, « l’ennemi public » (qui,
lui, a donné ost° en AF et plus tard des termes comme hostile, hostilité,
etc.). Dès la période latine et particulièrement en latin chrétien, le sens
d’inimicum se généralise et peut désigner directement et explicitement le
« démon ».
Ancien français : en AF, le terme est d’abord subs. et employé dès les
premiers textes (fin XIe s. ou début XIIe s.) avec le sens d’« ennemi privé »,
« celui qui vous veut du mal ». Mais la langue médiévale l’emploie
volontiers avec le sens de « diable ». Il produira plus tardivement un adj.
enemi au sens de « diabolique ».
Paradigme morphologique : on pensera seulement à anemistié (XIIe s.)
dans le sens d’« inimitié ».
Paradigme sémantique : dans le sens de « diable », on trouve logiquement
le subs. satan (Xe s.) emprunté au latin chrétien satanan, « esprit du mal »,
remontant à l’hébreu par l’intermédiaire du grec (le sens premier du terme
est justement « adversaire »). Notons également deable (IXe s., du latin
diabolum, « diable », également emprunté au grec), mais aussi aversaire
(XIIe s., emprunté au latin adversarium) et son doublet aversier, dont le
sens se généralisera fin XIIe s. à « celui qui s’oppose » puis « ennemi ».
Évolution : si le sens de « diable » a disparu du FM, les acceptions du subs.
se sont cependant diversifiées. Le terme désigne aujourd’hui une «
personne qui est haïe par qqn. » (il est mon ennemi) tout autant qu’une «
personne qui cherche à nuire » et plus généralement « qui a de l’aversion
pour qqn. ». Il peut être subs. ou adj. ; ex. : une bande ennemie, un
ennemi.

Angoisse
Origine : le subs. latin angustiam, « étroitesse » puis « défilé étroit », est à
l’origine du mot. En latin chrétien, il prend le sens de « tourment ». Il
provient lui-même de l’adj. angustus, « étroit », du v. angere, « serrer ».
C’est par ailleurs cette racine qui a donné l’adj. anxieux en français.
Ancien français : angoisse (ou anguisse dans les premiers textes français
au XIe s.) prend très vite le sens dérivé du latin chrétien d’« inquiétude,
tourment », en plus du sens étymologique de « défilé étroit ». Ces deux
acceptions coexistent en AF.
Paradigme morphologique : le v. angoissier (issu du dérivé latin
angustiare, « presser », qui prend en latin chrétien celui de « presser par
l’angoisse ») suit la même évolution que le subs. L’adj. angoisseus (issu
du dérivé en latin tardif *angustiosum) prend des sens variés à partir du XIe
s. : « qui souffre », « pénible », « violent », « cruel », etc. On note aussi
l’adv. angoisseusement (XIIIe), qui est assez usuel en AF.
Paradigme sémantique : voir le paradigme de dolor°.
Évolution : après la période du MF, les emplois de l’adj. deviennent
vieillis. On le trouve encore en littérature avec le sens de « qui cause
l’angoisse ». En revanche, le subs. et le v. restent bien employés dans la
langue moderne, mais avec parfois un affaiblissement notable dans l’usage
courant (ex. : angoisser pour un examen). Le sème initial de resserrement
et d’oppression reste cependant présent dans le lexique médical. En outre,
à partir de la racine commune angere, le groupe dérivé est assez tardif
mais usuel en FM : voir anxieux (XVIe s.), anxieusement (XIXe s.), anxiogène
(XXe s.), anxiolitique (XXe s.) et même angine (XVIe s.) qui est pourtant de
création moins récente. En revanche, le subs. anxiété, toujours présent en
FM, est un vieil emprunt du XIIe s.

Aorer
Origine : le v. vient du latin adorare, dérivé d’orare, « prier ». Il signifiait
« rendre un culte (aux dieux) », puis a pris en latin chrétien le sens de «
louer le Seigneur ».
Ancien français : attesté dès le XIe s., le v. aorer signifie d’abord (1) «
louer le Seigneur », « adorer Dieu », « invoquer Dieu » ; plus couramment
et par effet de généralisation, il prend le sens de (2) « adorer qqn. ou
qqch. », « aimer énormément ».
Paradigme morphologique : on rencontre par exemple en AF les subs.
aorement (XIIe s.), « prière », « culte », « adoration », ou aoreor (XIIIe s.), «
adorateur ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer les v. orer (Xe s., du
latin orare) et prier (Xe s., du latin tardif precare, pour precari), qui
signifient tous deux en contexte chrétien « adorer Dieu », « prier Dieu,
adresser des prières à Dieu », et, plus largement, « prier, demander » ; dans
le sens 2, voir amer°.
Évolution : sous l’influence du latin chrétien adorare, toujours très présent
dans la prose latine médiévale, la consonne d est réintroduite dans la
graphie française au XIIIe s., d’où adorer. Aujourd’hui le v. connaît toujours
son emploi religieux dans le sens de « vouer un culte à Dieu, à une
divinité, à un symbole divin » (ex. : adorer la croix), mais le sens 2 «
aimer fortement, à excès » est toujours très présent dans la langue ; ex. : le
chocolat, j’adore !

Apert
Origine : adj. provenant du latin apertum, participe passé adjectivé
d’aperire, « ouvrir ».
Ancien français : attesté à partir du XIe s., l’adj. s’entend aussi bien au
propre, dans le sens d’« ouvert », qu’au figuré, dans le sens de « clair,
visible », « manifeste, évident », d’où l’acception particulière, en parlant
du regard, des yeux ou du visage en général, de « franc ».
Notons qu’il existe un homographe apert provenant du latin expertum,
participe passé d’experiri. Il signifie à partir du XIIe s. « habile », « doué »
et développe des dérivés assez usuels en AF comme aperté (XIIIe s.) qui
signifie « habileté », « finesse », « exploit » et aperteté (XIIIe s.) qui prend
le sens d’« intelligence ».
Paradigme morphologique : au XIVe s., le subs. aperture est attesté avec le
sens concret d’« ouverture » puis figuré d’« ouverture d’esprit,
intelligence ». Son emploi est cependant limité. C’est le linguiste
Ferdinand de Saussure qui le remet à la mode dans une acception
linguistique : « écartement des organes au point d’articulation d’un
phonème pendant la tenue » (1916).
Paradigme sémantique : on ne peut guère citer que l’adj. cler (XIe s., du
latin clarum), qui prend le sens de « éclatant, brillant », « clair, limpide »,
ou bien l’adj. aparant (XIIe s., participe présent du v. aparoir), qui veut dire
notamment « visible, manifeste ».
Évolution : l’adj. apert, refait en appert, est aujourd’hui vieilli et réservé à
des usages littéraires dans le sens de « évident, manifeste ». Ex. : il dit que
les crimes étaient clairs et apperts, que les preuves étaient manifestes
(Huysmans, Là-bas).

Appareiller
Origine : provenant du latin tardif *appariculare, pour apparare, «
préparer, apprêter, disposer », dérivé de parare, qui a de son côté donné
parer en AF.
Ancien français : en AF, le v. appareiller prend, notamment dans le
vocabulaire technique, le sens de « préparer une chose complexe en vue
d’une utilisation précise », et plus généralement de « préparer, disposer »,
« garnir », en particulier dans le domaine culinaire. Dans le contexte
chrétien, lorsque Dieu appareille les aventures des hommes, il s’agit de la
prédestination et de l’organisation omnipotente de la figure divine : le v.
prend alors le sens d’« organiser », « disposer de qqch. ».
Paradigme morphologique : notons appareil (XIIe s.), déverbal
d’appareiller et qui signifie « préparatif », « équipement ». Sur le subs.
vont être créés d’autres dérivés comme appareillage (XIVe s.), « action de
préparer », ou appareilleur (XIIIe s.), « celui qui prépare ». Retenons, en
outre, issu du même paradigme latin, le v. parer (Xe s.), qui signifie à la
fois « parer, orner » et « préparer, équiper ».
Paradigme sémantique : voir le riche paradigme de conreer°.
Évolution : ce n’est vraisemblablement que depuis le XVIe s. que le v. prend
le sens de « se préparer au départ », particulièrement en parlant d’un
navire. C’est ce sens qui est attesté aujourd’hui en FM, mais les lexiques
techniques, notamment ceux de la chirurgie (appareiller : « munir un
organe d’une prothèse ») ou de la pêche (appareiller un filet : « préparer
un filet ») ont conservé l’acception étymologique.
En architecture enfin, le mot prend le sens de « préparation en vue d’une
utilisation précise » : ce sont d’excellents matériaux, rassemblés avec soin
pour un grand ouvrage, mais la pierre est appareillée sans soin
(Delécluze, Journal, 1825).

Ardre
Origine : le v. provient du latin ardere, « brûler », qui possède des emplois
concrets (« brûler ») et plus tard figurés (« être passionné(e) pour »).
Ancien français : c’est la forme ardoir qui est conforme à l’étymon, mais
elle coexiste avec ardre. Le v., attesté très tôt dans la langue (Xe s.), est très
courant pendant toute la période médiévale et signifie « brûler,
incendier ». Son sens demeure très concret. L’acception figurée latine
existe mais semble moins vivace ; on peut trouver cependant le v. dans la
littérature amoureuse dans le sens de « brûler de désir pour qqn. ».
Paradigme morphologique : le participe présent adjectivé ardant porte lui
aussi depuis le XIe s. un sens concret et abstrait. Le contexte religieux a sans
doute favorisé son emploi métaphorique en littérature : il signifie aussi bien
« brûlant » que « passionné », « vif », « animé » voire « violent », lorsqu’il
caractérise une personne. Dans le contexte amoureux, il signifie « brûlant
de désir ». Il faut lui attacher également le subs. ardor (XIIe s.), qui signifie à
la fois « ardeur » et « désir ». À partir du sens métaphorique de « brûlure
intérieure », il prend dès le XIIe s. celui de « ferveur religieuse », puis «
ferveur ». L’adverbe ardamment (XIIe s.), « d’une manière éclatante, vive »,
est usuel en AF.
Paradigme sémantique : à partir du sens concret, on peut envisager le v.
brusler (XIIe s.) ou le v. enflamer (Xe s.), moins courant que le précédent ;
quant à incendier, il ne date que du XVIe s. Notons que le v. brusler pouvait
en AF avoir également un sens figuré proche de celui que connaît ardre.
Mais on lui préférera les v. amer° et aorer° sous cette acception.
Évolution : le v. ardre est peu usité depuis le XVIIe s. et devient vieilli dans
la langue au profit de son concurrent brûler. En revanche, son participe
présent ardant, devenu ardent, reste bien employé, quoique surtout dans
des formules presque figées ; ex. : un feu ardent, des charbons ardents, le
buisson ardent, etc. On peut le trouver en emploi figuré (ex. : un amour
ardent, une ardente flamme) ou technique, en géologie par exemple (un
terrain ardent est un terrain « qui chauffe rapidement sous l’effet des
rayons du soleil »). L’adv. ardemment est toujours usité en FM.

Aventure
Origine : c’est le latin populaire *adventura, « ce qui doit arriver » (forme
substantivée, au plu. neutre, du participe futur du v. advenire « se
produire »), qui, au XIe s., donne en français le mot aventure.
Ancien français : le subs. aventure signifie d’abord (1) « événement, ce qui
va se produire », conformément à l’étymon. Par extension de sens à ce qui
relève de la contingence liée au futur, il prend très vite celui de (2) «
destin, destinée », voire de (3) « hasard », et finalement de (4) « danger ».
Dès le XIIe s., le mot prend aussi les sens, caractéristiques de la littérature
arthurienne et chevaleresque en général, d’« aventure accidentelle », «
action extraordinaire et inattendue », qui contiennent, évidemment, en
filigrane les sèmes de danger, de destin et de hasard.
Paradigme morphologique : son antonyme mesaventure (XIIe s.) possède
en revanche un sens restreint dès ses premiers emplois. Il désigne une «
déconvenue », une « fâcheuse aventure », un « malheur ». Le terme est
souvent corrélé à mescheance (voir cheoir°). Il n’est évidemment plus, à la
différence d’aventure, orienté vers l’avenir et perd donc les sèmes de
hasard, destin et contingence. On peut citer pour compléter le paradigme
l’adj. aventureus, qui date du XIIe s. et signifie « qui a de la chance » ou «
qui arrive par hasard », et le v. aventurer, attesté à partir du XIIIe s. avec le
sens de « s’exposer aux aventures » et d’« arriver par aventure ».
Paradigme sémantique : on peut renvoyer, autour de cette notion qui reste
toutefois bien spécifique dans l’univers médiéval, aux subs. encontre° ou
ochoison°, eur°, chance et mescheance (voir cheoir°), peril (Xe s., du latin
periculum) dans le sens de « danger » ; signalons aussi, même s’ils n’ont
pas encore leur sens actuel, les subs. destin (XIIe s., dérivé du v. destiner,
notamment « décider d’avance, fixer ») et hasart (XIIe s., de l’arabe par
l’intermédiaire de l’espagnol, qui signifie d’abord « jeu de dés », puis au
XIIIe s. un certain coup au jeu, un « mauvais coup » et finalement au XVIe s.
un « événement fortuit »). Voir enfin, puisque les deux termes sont
volontiers associés en littérature, le subs. merveille°.
Évolution : le subs. connaît aujourd’hui plusieurs acceptions très usitées,
comme celle dérivée du sens 3 médiéval, « événement extraordinaire ou
imprévu », ou une autre provenant du sens 4, « entreprise risquée ». Enfin,
le mot signifie également en FM « intrigue amoureuse », sens pour lequel
la notion de danger et/ou de secret n’est probablement pas absente.

Aviser
Origine : dérivé par suffixation du v. viser (XIIe s.), « observer, examiner »,
issu du latin populaire *visare, fréquentatif de videre, « voir », « remarquer »
(qui a donné veoir en AF).
Ancien français : le v. est attesté dès le XIe s. et signifie « regarder », «
considérer » (au sens visuel et intellectuel), mais aussi « apercevoir » et «
reconnaître ».
Paradigme morphologique : les subs. avisement (XIIe s.) et avisance (XIIIe
s.) désignent l’action de regarder ou la « vue » pendant toute la période de
l’AF, alors qu’avision (XIe s.), terme rendu célèbre par Christine de Pizan,
signifie « vision », « songe ».
Paradigme morphologique : tandis que les subs. avisement (XIIe s.) et
avisance (XIIIe s.) désignent « l’action de regarder » ou la « vue » et avision
(XIe s.), la « vision » ou le « songe », avis (XIIe s.) prend plutôt le sens
intellectuel d’« avis, opinion » (particulièrement dans l’expression ce
m’est avis, très usuelle en AF) et le participe passé adjectivé avisé, celui
de « réfléchi, intelligent ».
Paradigme sémantique : on peut citer apercevoir (XIe s.) ou choisir° au
sens de « remarquer, apercevoir » et, plus largement, renvoyer au
paradigme de garder°.
Évolution : le v. n’est plus d’usage courant dans la langue et a restreint bon
nombre de ses emplois. Il signifie aujourd’hui « apercevoir
brusquement », « tourner sa vue vers qqn. ». En revanche, on le trouve
plus volontiers dans le sens intransitif de « prendre une décision » et en
emploi réflexif (s’aviser de ; ex. : ne vous avisez pas de tricher ! ) ; il a
alors le sens d’« avoir l’idée soudaine de ».
B

Bacheler
Origine : du latin populaire *baccalarem, mot dont l’origine, probablement
gauloise ou celtique, reste discutée, mais qui est attesté sous la forme
baccalarium en latin médiéval, dans le sens de « serf » ou de « paysan ».
Ancien français : attesté depuis le XIe s., le subs. bacheler (ou bachelor)
désigne précisément un « jeune homme qui aspire à devenir chevalier », ce
qui peut en faire l’équivalent d’un « écuyer ». On peut aussi le rencontrer
en emploi adjectival, avec les sèmes de jeunesse ou de vaillance.
Paradigme morphologique : la bachelerie (XIIe s.) désigne aussi bien la «
chevalerie » en général que la « vaillance » des jeunes chevaliers au
combat.
Paradigme sémantique : on peut citer vaslet°, peut-être le plus proche
synonyme de bacheler, mais voir aussi damoisel° ou escuier (voir escu°),
ainsi que chevalier°.
Évolution : avec la perte du système féodal, le terme disparaît dans ses
acceptions premières à la fin du MA, alors que le fém. bacheliere
signifiant « jeune fille noble » est attesté au XVe s. Le terme bachelier
devient un grade universitaire surtout à partir du XIVe s. On ne le trouve
plus guère aujourd’hui que dans ce sens académique : « titre d’une
personne qui a passé le baccalauréat avec succès ».

Baer
Origine : v. d’origine obscure, on ne retrouve sa trace qu’à partir du latin
populaire sous la forme *batare au sens d’« être ouvert ».
Ancien français : le v. baer (ou beer / baier), attesté au XIIe s., se rencontre
principalement avec les sens concret d’« ouvrir », et figurés d’« attendre
impatiemment », « convoiter » et enfin, par voie de conséquence, « avoir
de mauvaises intentions ».
Paradigme morphologique : au XIIe s., on trouve le subs. fém. bee ou baiee
avec le sens de « faux espoir », « vaine attente » mais aussi « ouverture ».
On voit ainsi que tous les sens du verbe se retrouvent présents dans le subs.
Notons aussi baerie (XIIe s.), « convoitise » voire « étonnement » et baance
(XIIe s.), « désir ». L’adjectif baï ou baïf signifie quant à lui « ébahi »,
probablement à partir de l’idée contenue dans l’expression « bouche bée ».
Le sens se retrouve d’ailleurs dans le v. dérivé esbaïr (XIIe s., avec
changement de désinence à l’infinitif, sous l’influence de baï / baïf), qui
signifie principalement « étonner, surprendre » et, par extension, « effrayer »
; ainsi le participe passé du v. (adjectivé) esbahi date du XIIe s. et prend les
sens d’« étonné », « effrayé » mais aussi « troublé, embarrassé », puis «
idiot, stupide » dans certains cas.
Paradigme sémantique : baer possède un concurrent direct, le v. ovrir, qui
apparaît au XIe s. et signifie lui aussi « ouvrir » mais également «
découvrir », « montrer ». Il est issu du latin populaire *operire pour
aperire (voir apert°). Dans le sens de « convoiter », notons le v. couvoitier
(XIe s.) issu du latin populaire *cupidietare, de cupidus, « avide » : il
signifie « désirer ardemment, souhaiter » mais surtout « convoiter ».
Évolution : le v. est vieilli de nos jours et depuis longtemps concurrencé
par ovrir. Mais il est encore usité en littérature en emploi intransitif sous la
forme béer, « être grand ouvert » ou « avoir la bouche grande ouverte ».
En revanche, les participes demeurent d’emploi courant ; ex. : rester
bouche bée (c’est-à-dire « grande ouverte »), une porte béante.

Baillier
Origine : du latin bajulare, « porter sur le dos qqch. de lourd », « porter une
charge » et, par extension métonymique, « exercer une charge », puis «
gouverner » en latin médiéval.
Ancien français : baillier (ou baillir) signifie d’abord au XIIe s. (1) «
donner, confier ». Ce sens largement attesté en AF n’est pas étymologique
car le latin l’ignorait. On peut supposer qu’il s’est développé dans l’aire
gallo-romaine à partir du sens primitif de « porter », notamment par le
provençal bailar. Mais à partir du sens étymologique de « porter » se
construisent les sens (2) « recevoir, accepter », « saisir » et, par extension,
(3) « gouverner ». Les sens 2 et 3 vont rapidement perdre leurs emplois au
profit du sens 1, surtout à partir du XIIIe s.
Paradigme morphologique : l’adj. maubailli (XIIe s.) signifie « mal en point et
désorienté » et le v. maubaillier ou maubaillir (XIIIe s.), « infliger de mauvais
traitements ». Les subs. fém. baillie, « autorité », « droit d’administrer » et
masc. baillif, « agent seigneurial », « magistrat » ou « gouverneur » d’un
baillage, « juridiction », sont les principaux dérivés du v. avec le bail, «
don », et le bailleur, « personne qui donne ». Ces termes ont disparu de la
langue française usuelle. Seuls les deux derniers sont toujours employés dans
le domaine juridique (traditionnellement conservateur).
Paradigme sémantique : un v. surtout entre en concurrence avec baillier
dans son sens principal, le v. doner (du latin donare, dérivé de dare),
attesté dès le IXe s., mais on peut citer aussi otroier° ou, dans un sens un
peu particulier, vestir°.
Évolution : l’emploi du v. reste vivace régionalement mais devient
archaïque dans la langue courante après qu’il a été supplanté par donner,
surtout pendant la période du MF. Il reste présent dans la langue juridique
avec le sens de « donner à bail » ; ex. : bailler par contrat, bailler par
testament, bailler à ferme, etc.

Baisier
Origine : du latin basiare, « donner un baiser », aussi bien pour désigner un
baiser amoureux qu’un baiser de politesse ou de respect.
Ancien français : le v. baisier (ou besier) apparaît au Xe s. d’abord avec le
sens d’« embrasser », notamment sur la bouche. À partir, sans doute, de
l’idée de délicatesse contenue dans l’action d’embrasser, le v. a alors
signifié « effleurer », puis « atteindre ». Baisier a probablement développé
le sème concret et physique lié à l’acte amoureux, puisqu’en AF, le v. peut
également vouloir dire « faire l’amour ». Ce dernier sens n’est alors pas du
tout généralisé dans la langue médiévale.
Paradigme morphologique : le baisement (XIIe s.) est « l’action
d’embrasser », en somme « le baiser », subs. attesté dès le XIIe s. également
avec ce sens sous la forme baisier, alors que la forme adjective baisier,
elle aussi du XIIe s., signifie « qui invite au baiser ».
Paradigme sémantique : voir blandir°. En revanche, la valeur sémantique
du v. embracier (dérivé de bras) est avant tout « enlacer, tenir entre ses
bras », le plus souvent en signe d’affection. Ce n’est qu’à partir du XVIIe s.
qu’il prendra communément le sens d’« embrasser ».
Évolution : en emploi transitif direct et avec le sens 1, le v. baiser a
conservé ses emplois jusqu’au XVIIe s. avant d’être largement devancé par
embrasser. En FM, il peut toutefois conserver cette valeur ; ex. : le pape
baise le sol de ce pays. Mais cet emploi est largement occulté par le
dernier sens médiéval qui s’est généralisé en MF puis FM et a développé
beaucoup de dérivés. Ainsi, presque tout le paradigme relève en FM du
langage familier voire vulgaire (ex. : une baise, mal baisé(e), baisodrome,
etc.). Ronsard emploie au XVIe s. le v. baizoter pour désigner « l’action de
faire l’amour de façon monotone et routinière ». Mais dès le XVe s., le v.
prend également le sens de « tromper » et « attraper ». C’est ce sens figuré
– mais tout aussi vulgaire – que l’on retrouve dans des énoncés comme
baiser qqn. au sens de « tromper », « posséder » par la ruse ou la
fourberie.

Baler / Caroler / Danser


Origine : le v. baler provient du latin tardif *ballare, « danser », d’origine
grecque ; caroler est issu de carole, de provenance incertaine, liée
probablement au latin chorus, « chœur », du grec choros, « danse en
rond » ; enfin, danser est d’origine francique, de *dintjan, « se mouvoir ».
Ancien français : baler connaît ses premières attestations en français au XIIe
s. et possède alors le sens très générique de « danser », parfois « sauter ».
De son côté, caroler (XIIe s.) signifie plutôt, dès ses premières attestations,
« danser en rond » et « se divertir ». Enfin, danser (XIIe s.) a surtout
signifié, par opposition à baler et caroler, « s’amuser » et « tourner autour
de qqn. ».
Paradigme morphologique : au XIIe s. on trouve bal avec le sens de «
danse » mais aussi « réjouissance » en général, puis « mouvement » et «
agitation ». Les subs. balement et balerie, un peu postérieurs (XIIIe s.), sont
de même sens. Sur le v. se sont formés d’autres dérivés tels baloier (XIIe
s.), « voltiger », « s’agiter » et balochier (XIIIe s.), « se balancer ». La
carole (XIIe s.) est la « danse en rond ». C’est le subs. danse (XIIe s.) qui a
connu une diversité d’emplois très élargie : la danse au MA est à la fois
une « manière de s’amuser », un « jeu », une « danse », mais aussi le «
sort » voire la « mort ». Le mot entre dans plusieurs expressions
lexicalisées d’origine métaphorique encore en usage aujourd’hui, telles
que mener la danse et entrer dans la danse.
Paradigme sémantique : les trois v. baler, caroler et danser forment le
paradigme.
Évolution : le v. baler (puis baller au XVIIe s., par réfection étymologique)
en MF a peu à peu disparu au profit de danser. De même caroler a perdu
ses emplois mais se rencontre encore en emploi soutenu et archaïsant, chez
Sainte-Beuve, notamment. En revanche, le v. danser s’est répandu avec le
sens de « mouvoir son corps en cadence », le plus souvent au son d’une
musique et plus généralement « se mouvoir », « s’agiter ». Ex. : les nuages
dansent dans le ciel.

Ban / Banir
Origine : le v. est issu du francique *bannjan, « bannir », et le subs.
provient de *ban, « loi dont la non-observance entraîne une peine » (au VIe
s., la forme latine bannum est attestée avec le sens d’« amende infligée à
cause d’un délit contre le pouvoir public »).
Ancien français : le v. possède trois emplois bien distincts. En premier lieu,
il signifie (1) « annoncer publiquement qqch. », « rendre public un ordre »
et, par voie de conséquence, « rassembler » une foule pour proclamer
qqch. Peut-être influencé par le sème du rassemblement, dans le contexte
guerrier, le v. a pris le sens de (2) « lever des troupes ». Enfin, le sens
étymologique de (3) « bannir, exiler, condamner qqn. à l’exil » est aussi
présent.
Le subs. ban distingue quant à lui quatre emplois : (1) « territoire soumis à
une juridiction seignoriale » ; (2) « proclamation publique » ; (3) « levée
des troupes » puis « ordre », « commandement » ; et enfin (4) « exil », «
bannissement ».
Paradigme morphologique : il est très productif en AF. On peut citer, parmi
les termes qui ont subsisté jusqu’à aujourd’hui, l’adj. banal qui signifie «
soumis à la banalité, c’est-à-dire au suzerain », « commun à tous les gens
du village », et les subs. baniere (« enseigne » sous laquelle se
rassemblaient les troupes levées par un seigneur), banissement et banage
(« annonce publique », « exil », voire « suppression ») et banlieue (XIIIe s.)
avec le sens d’« espace d’une lieue autour d’une ville où s’exerçait le droit
de ban du suzerain ». On notera enfin le v. forbanir (XIIIe s.), « bannir » ainsi
que forban (XIVe), « bannissement » puis « pirate » à partir du XVIe s.
Paradigme sémantique : pour le v., voir crier°, noncier°, semondre° et
essilier dans le sens de « bannir » ; pour le subs., voir mes / message°,
comandement (de comander°) et essil (XIe s., du latin exilium).
Évolution : encore très usuel à la Renaissance, le subs. ban est vieilli en
FM. Il renvoie à la réalité historique « proclamation solennelle faite par
une autorité, dans le droit féodal ». Il entre cependant dans quelques
expressions lexicalisées, telles que ouvrir et fermer le ban, mais aussi
afficher ou publier les bans, « publier solennellement une promesse de
mariage à la mairie ou à l’église », être en rupture de ban, « avoir changé
d’occupation », etc. En revanche, l’adj. banal a développé un certain
nombre de dérivés qui sont toujours très présents dans la langue moderne :
banaliser, banalisation, banalité. Le v. bannir quant à lui ne conserve que
le sens 3 mais développe aussi en FM des emplois figurés tels que «
chasser » ou « exclure ».

Barat
Origine : mot d’origine obscure, peut-être du celte *bar, « bagarre ».
Ancien français : le subs. barat (XIIe s.) se rencontre dans des sens assez
divers. Le premier provient sans doute de l’étymon : (1) « grand bruit,
confusion », « tapage ». Le lien n’est pas clairement explicité entre ce
premier sens et celui de (2) « ruse, tromperie, fourberie » (les fourbes
cherchent souvent la bagarre ?) ; et encore moins avec celui de (3) «
élégance », « ostentation » puis « divertissement ». Tous ces sens sont
pourtant attestés en AF. C’est peut-être le sème de l’agitation, du
mouvement confus (négatif d’abord, mais aussi positif), qui fait le lien entre
les différentes acceptions du terme.
Paradigme morphologique : le v. barater (XIIe s.) est très usité en AF et
signifie « tromper », « frauder ». La baraterie (XIVe s.) n’est autre qu’une
« tromperie » et le barateor (XIIe s.) un « fripon ». Enfin, l’adj. barateus
(XIIIe s.) qualifie une personne « rusée » tout autant qu’un acte «
frauduleux ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir noise° et certains subs.
appartenant au paradigme de crier° ; dans le sens 2, voir guile°.
Évolution : le MF emploie encore le subs. mais celui-ci disparaît de la
langue peu à peu au profit de termes comme tromperie, ruse, etc. En
revanche, les mots d’emploi familier baratin et baratiner, néologismes
récents (XXe s.) issus de ce terme, sont assez courants en FM et le v.
baratter au sens de « battre le lait pour en extraire le beurre », même s’il
n’est plus guère employé aujourd’hui, semble partager la même origine, et
on y retrouve le sème de l’agitation. Dans le vocabulaire de la marine
marchande enfin, on emploie le mot baraterie avec le sens de « fraude
commise par le commandant ou l’équipage d’un navire au préjudice des
armateurs, des assureurs ou des expéditeurs des marchandises ».

Baron / Comte
Origine : les deux formes du subs. baron sont issues du francique *baro
(d’où ber au cas sujet sing.) et *barone, avec le sens d’« homme libre ».
Le subs. comte provient quant à lui de deux formes différentes du latin
comes, au nominatif (d’où cuens au cas sujet sing.), et comitem à
l’accusatif. Le subs. signifie d’abord « compagnon », « membre d’une
escorte, d’une suite », puis, en latin tardif, peut désigner un « homme de
confiance de l’empereur ».
Ancien français : baron est très usuel en AF dès le Xe s., surtout dans le
contexte militaire, où il désigne avant tout un (1) « guerrier » noble et, plus
généralement, un (2) « homme doté de qualités exceptionnelles », donc
souvent un (3) « grand seigneur du royaume », c’est-à-dire souvent un
vassal° direct du roi, qui fait partie de ses conseillers proches. Dans le
domaine privé, il signifie (4) « mari, époux ».
À l’origine, le comte (ou conte) était au VIIIe s. un administrateur royal,
responsable de l’ordre public à l’intérieur du comitatus, c’est-à-dire d’un
territoire associé à la jouissance de revenus. C’est à partir du IXe s. que la
charge et le titre deviennent héréditaires et plus tard liés à une terre.
Pendant la période de l’AF, le mot comte désigne un « grand seigneur du
royaume ».
Paradigme morphologique : pour baron, on peut noter le fém. barnece
(XIIe s.), qui désigne aussi bien la « femme de petite vie » que la « femme
de qualité » dans l’univers médiéval. L’adj. barnil (XIIIe s.) renvoie aux
sèmes de la virilité : « puissant », « fort », « viril ». Le barnage (XIe s.) ou
la baronie (XIIe s.) ont pour sens « assemblée de guerriers », « suite d’un
roi ou d’un prince », « ensemble des vassaux » ou « qualité, noblesse de
baron ». En ce qui concerne comte, notons le fém. contesse (XIe s.) et la
conté (ou comtee), qui signifie « comté ».
Paradigme sémantique : voir, puisque baron et comte le sont en général,
chevalier°, seignor° et vassal°, sans oublier pair°, qui peut servir à
désigner de grands personnages, ou encore conestable / mareschal /
seneschal°.
Évolution : avec la disparition du système féodal, le terme baron renvoie
plus volontiers à un titre nobiliaire, immédiatement inférieur à celui de
vicomte, pendant toute la période de l’Ancien Régime. Il appartient
aujourd’hui au vocabulaire historique. On le rencontre néanmoins en
emploi figuré pour désigner des personnes influentes d’un parti politique,
du monde financier par exemple. On parle alors des barons de l’économie
française, ou des barons d’un parti, etc. Quant au subs. comte, il conserve
plus longtemps le sens historique en FM (« chef militaire au MA ») et, tout
comme baron, entre dans la hiérarchie nobiliaire pour désigner une «
personne dotée d’un titre de noblesse qui se situe en dessous de celui de
marquis et au-dessus de celui de vicomte ».

Bataille
Origine : du latin tardif *bataliam, altération de battualiam, « combat », à
partir du v. battuere, « battre, frapper ».
Ancien français : la première attestation du subs. date du XIe s. mais ce
dernier devient plus courant à partir du XIIe s. Il signifie (1) « combat
général » puis « combat ». Le mot peut alors prendre le sens occasionnel
de « duel » ou « litige ». Par extension, il désigne ceux qui mènent
l’action, d’où (2) le « bataillon », le « corps de troupe » voire « l’armée »,
par opposition à l’avant-garde ou l’arrière-garde, et, plus généralement, les
« troupes en marche ».
Paradigme morphologique : le v. bataillier (XIIe s.) signifie « combattre »,
« livrer bataille » mais aussi « fortifier un lieu ». La bataillerie (XIVe s.)
n’est autre que « l’art des batailles » et le soldat qualifié de batailleus (XIIe
s.) est assurément « belliqueux ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on ne s’étonnera pas de trouver un
paradigme abondant en AF, où on retiendra notamment les termes camp°,
cembel°, estor (XIe s., du germanique sturm, « tempête »), « tumulte,
fracas » et spécialement « fracas de la bataille », d’où « mêlée, bataille »,
meslee (XIe s., dérivé du v. mesler), tornoi (voir torner°), auxquels on peut
encore ajouter guerre° ou joste (voir joster°) – combat datant du XVIe s.
Mais on peut en dire autant du sens 2, avec les subs. compaignie (voir
compaignon°), eschiele (XIe s., du germanique skara, « troupe », à ne pas
confondre avec son homonyme eschiele, « échelle »), qui sert à désigner
une « troupe » ou un « corps de troupe en ordre de bataille », ost°, rang (XIe
s., du francique *hring, « cercle »), qui sert à désigner tout « alignement de
personnes ou d’objets disposés côte à côte, en ligne » (et non en cercle !),
notamment dans une armée, ou encore route°.
Évolution : le mot a bien conservé le sens 1 au détriment du second. Il a
pour sens en FM « combat général entre deux armées, deux flottes, deux
forces aériennes » et entre dans plusieurs expressions (ex. : champ de
bataille, engager la bataille, livrer bataille, ordre de bataille, cheval de
bataille) mais aussi des locutions figurées qui rappellent plus ou moins le
désordre d’un combat guerrier ; ex. : les cheveux en bataille, bataille
économique ou politique, ou le jeu de cartes de la bataille.

Bel
Origine : du latin bellum, « beau », mais aussi « charmant, bon, délicat ».
Ancien français : l’adj. bel (biaus ou beaus avec le -s de flexion) est
attesté dès le XIe s. et désigne généralement le degré élevé d’une qualité,
quelle qu’elle soit, ou son degré de justesse. Dans le domaine esthétique,
il prend le sens général de (1) « beau ». Dans les rapports humains, il
devient un terme d’affection signifiant (2) « cher », particulièrement en
apostrophe (biaus sire), mais dans le contexte amoureux, l’adj. renvoie à
la qualité suprême de l’amant ou de la maîtresse ; il exprime l’idée
d’excellence ou de perfection et on le traduira par « bon, excellent ».
Enfin, si le subs. qu’il qualifie est une chose, il peut prendre le sème de
la complétude et signifie alors « important, considérable ». Il entre par
ailleurs dans certaines locutions comme la tournure impersonnelle estre
bel, « plaire », « convenir ». Sa forme adverbiale invariable bel signifie
« bien » et parfois « beaucoup ».
Paradigme morphologique : l’adv. belement (XIe s.) signifie « gentiment »
et « doucement », le subs. fém. belté / biauté (XIe s.), « beauté » et le v.
belir (XIIe s.), « plaire », « charmer ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, portant plus spécifiquement le
sème de la beauté, voir cointe°, gent° ou jolif°. Dans le sens 2, bel fait
partie de ces nombreux adj. qui en AF se chargent d’une valeur fortement
méliorative, mais difficile à préciser, étant donné la variété des contextes
où ils peuvent apparaître ; relèvent peu ou prou de cette catégorie les adj.
bon, chier°, cortois (voir cort°), debonaire°, gent / gentil°, noble°, plenier
(voir plain°), preu°, vaillant° et même fier° ou sage°.
Évolution : le MF connaît d’autres locutions à partir de l’adj. et de l’adv. ;
ainsi l’expression avoir beau marque l’idée de facilité. Le sème de la
douceur empreinte de modération se développe dans l’expression tout
beau ! signifiant « tout doux ! ». Plus généralement, l’adj. beau (belle au
fém. et bel devant un nom masc. sing. commençant par une voyelle ou un
h muet) signifie « qui suscite un plaisir esthétique, qui plaît par
l’harmonie de ses formes » (avec un sens plus fort que joli), mais aussi,
tout simplement, « qui plaît » ; ex. : une belle voiture, un beau match de
football, un beau raisonnement, etc. Il marque aussi en FM la
complétude ou le degré élevé d’une qualité : parler d’une belle fortune
ou d’un beau magot désigne bien la quantité plus qu’une quelconque
harmonie ou esthétique…

Besoing
Origine : du francique *bisunni, « soin », « besoin » ; en fait, le subs. est
peut-être un déverbal de besoignier, mais le v. est attesté plus tardivement.
Ancien français : plusieurs sens en AF, dont principalement celui de «
situation pressante, moment critique » et de « nécessité, indigence », «
besoin ». Le mot apparaît au XIe s. dans la langue et peut entrer dans
diverses locutions : faire besoing, « être nécessaire » ; estre besoing, «
avoir besoin » ; avoir petit besoing, « avoir peu d’expérience » ; en un
besoing, « au besoin », etc.
Paradigme morphologique : outre le v. besoignier (XIIe s., issu du
francique *bisunnjôn), qui signifie « être dans le besoin » mais surtout «
être nécessaire » et « agir », on notera le subs. très polysémique besoigne
(XIIe s.) qui a pour sens « pauvreté », « nécessité », « souci », « travail » ;
enfin le besoigneor (XIIe s.) désigne le « travailleur ».
Paradigme sémantique : on peut citer les subs. mestier° (notamment dans
l’expression avoir mestier de, « avoir besoin de »), ues (XIIe s., du latin
opus) dans le sens d’« usage, besoin », ou encore les v. appartenant au
paradigme d’estovoir°. Ajoutons que dans le sens de « situation pressante,
moment critique », besoing entre en concurrence avec encombrement (voir
encombrer°) et même avec certains sens de aventure°.
Évolution : le sème de la nécessité semble omniprésent dans l’évolution du
subs. En effet, il désigne avant tout en FM « une sensation qui porte les
êtres vivants à certains actes qui leur sont ou leur paraissent nécessaires ».
On parle alors de besoins organiques. D’une manière générale, souvent au
plu., le terme renvoie à l’idée de manque ou de privation du nécessaire ;
ex. : subvenir aux besoins de, être dans le besoin, etc. Il entre dans de
nombreuses locutions en FM.

Blandir
Origine : du latin populaire *blandire, pour blandiri, « flatter, caresser,
cajoler ».
Ancien français : le v. blandir est attesté dès le XIe s. avec les sens
étymologiques de (1) « caresser » au propre et de (2) « flatter » au figuré.
C’est surtout cette deuxième acception qui prévaut à partir du XIVe s.
Paradigme morphologique : outre le subs. fém. blande ou blandie (XIIe s.)
signifiant « caresse » et « flatterie », on notera les adj. blandif (XIIe s.) et
blandable (XIIe s.), qui ont pour sens « caressant » et « flatteur ». Le subs.
blandice (XIIIe s.), souvent au plu., signifie « manières, paroles délicates »,
« flatteries ». Enfin le blandeor (XIIIe s.) n’est autre qu’un « flagorneur ».
Paradigme sémantique : le v. flater (du francique *flat, « plat ») apparaît
au XIIe s. et possède, en plus du sens de « caresser » et « flatter », celui de
« jeter à plat, précipiter ». On pensera aussi à losengier (XIIe s., peut-être à
rattacher à los°), à la fois dans le sens de « flatter », mais aussi de «
médire » et « tromper », à lober (dérivé de lobe, « flatterie », «
tromperie »), ou encore à cherir (voir chier°).
Évolution : encore employé au XVIe s. avec le sens de « flatter », le v.
disparaît peu à peu de l’usage au profit de son concurrent direct flatter. En
revanche, le subs. blandices, toujours employé au plu. en FM, signifie «
caresses, flatteries destinées à tromper » : on peut parler, par exemple, des
blandices des sens, de l’amour, ou d’un testament extorqué par blandices.

Blasmer
Origine : du latin populaire *blastemare, « faire des reproches », issu de
blasphemare.
Ancien français : le v. blasmer (XIe s.) signifie « faire des reproches,
blâmer », mais développe également les sens d’« injurier, insulter » et d’«
accuser » voire « condamner ».
Paradigme morphologique : de même origine étymologique, le v.
blastemer (XIIe s.) a pour sens « blâmer », « outrager », alors que
blastengier (XIe s., provenant lui aussi du latin blasphemare, mais réduit en
*blastemiare) prend en plus le sens de « blasphémer ». On trouve bien sûr
le subs. blasme (XIe s.), « reproche », « action blâmable » mais également
« honte » et « affront ».
Paradigme sémantique : notons les v. chastier (Xe s., du latin castigare),
d’abord « corriger, amender », puis « avertir » et « blâmer, réprimander » ;
encuser (Xe s.), « accuser », « dénoncer », « blâmer » ; reprochier (XIIe s.,
du latin populaire *repropiare, « rapprocher », d’où par extension « mettre
sous les yeux, remontrer »), « blâmer », mais aussi « accuser » ; ou encore
tencier°. Plus proches de l’idée d’insulte, on peut citer les v. escharnir ou
ramposner (voir gaber°), laidir ou laidengier (voir laid°).
Évolution : en FM, le v. blâmer conserve certains de ses sèmes médiévaux.
Il signifie « désapprouver », mais surtout « réprimander » voire « infliger
un blâme officiel à qqn. ».

Blecier / Mahaignier / Navrer


Origine : blecier, mahaignier et navrer sont respectivement issus du
francique *blettjan, « meurtrir », du francique *maidanjan, « mutiler,
estropier » et de l’ancien norrois *nafra, « percer un trou, perforer ».
Ancien français : proches synonymes, les trois v. ont le sens général de «
blesser », avec quelques nuances sémantiques que l’usage ne manifeste
pas toujours avec évidence. Ainsi il semble qu’on puisse, selon leur
étymologie, distinguer blecier, « blesser en frappant, meurtrir » (première
attestation, isolée, au XIe s. : « amollir en battant (des fruits) »), de navrer
(XIe s.), « blesser en transperçant, en coupant, en infligeant une blessure
ouverte » ; mais les deux termes se recouvrent parfaitement, notamment
dans leurs emplois figurés, au sens de « blesser, porter atteinte » (ainsi
Amors blece aussi bien qu’il navre). Quant à mahaignier (ou mehaignier),
attesté au XIIe s., il se distingue dans la mesure où ses emplois impliquent
une blessure particulièrement grave ou incapacitante, d’où les sens de «
blesser grièvement, mutiler, estropier », et de « maltraiter, tourmenter » au
figuré (« se tourmenter » en tournure pronominale).
Paradigme morphologique : outre les subs. bleceüre et navreüre («
blessure »), à distinguer en partie de mahaing / mehaing (« blessure,
mutilation », mais aussi « mal, maladie » et « outrage »), on retiendra
l’adj. blet (XIIIe s., mais rare avant le XVIe s.) dans son sens actuel («
arrivé à maturité avancée », en parlant de fruits).
Paradigme sémantique : on peut citer plaiier (du latin plagare), « blesser,
meurtrir », mais voir aussi de façon plus générale grever° et ses
synonymes, ou bien ferir°, notamment en ce qui concerne les emplois
figurés.
Évolution : les trois v. connaissent une évolution nettement divergente.
Blesser reste en FM le terme le plus courant au propre comme au figuré,
tandis que navrer voit ses emplois se restreindre à partir du XVIIe s. au sens
de « causer une affliction extrême » et que mahaignier, encore employé au
XVIe s., disparaît, remplacé notamment par mutiler ou estropier, apparus en
MF. En ce qui concerne les subs., blessure seul subsiste, à distinguer
notamment du terme plaie (unique élément du paradigme de plaiier à
avoir été conservé en FM), qui aujourd’hui sert spécialement à désigner
une « petite blessure ouverte ».

Borg
Origine : le mot possède une origine germanique, *burg, latinisé en
*burgum, le terme faisant vraisemblablement dès l’origine référence à une
« place forte », un « espace fortifié ».
Ancien français : le subs. borg (XIe s.) désigne aussi bien un (1) « espace
fortifié » qu’une (2) « agglomération fortifiée autour d’un château ou d’un
monastère » et enfin il renvoie par la suite à tout (3) « quartier – souvent
marchand – entourant immédiatement la place forte d’une cité ». En
général, les habitants du bourg bénéficiaient de la protection du seigneur
du château situé au centre de l’agglomération.
Paradigme morphologique : le bourgeois (subs. masc.) au MA est avant
tout un « habitant du bourg » et s’oppose ainsi au vilain°, « paysan » qui
habite les zones rurales, et au chevalier°, qui appartient à la noblesse. Il est
souvent celui qui fait commerce au centre des villes. Le bourgmaistre est
le responsable administratif du bourg. Enfin, le forsbourg (puis faubourg
par altération et probablement confusion entre faus et fors) n’est autre que
la zone fors le bourg, c’est-à-dire celle qui se trouve en dehors du bourg
principal (fors en AF signifie « en dehors de », « à l’exception de », «
sauf »). Il désigne donc le quartier extérieur, périphérique d’une ville.
Paradigme sémantique : voir cité / vile°, ainsi que chastel° ou forterece
(de fort°).
Évolution : le mot, plus guère employé aujourd’hui, désigne une «
agglomération rurale généralement moins importante que la ville » mais
aussi, parfois, un « centre administratif et commercial regroupant des
habitations d’une commune et comprenant en outre des habitations et des
hameaux disséminés ».

Bran
Origine : du germanique *brand, « tison ».
Ancien français : attesté dès le XIe s., le subs. bran (ou brant) sert à
désigner au MA le « fer de l’épée » ou bien une « grande épée maniée à
deux mains ».
Notons que le subs. connaît un homographe bran d’origine gauloise, issu
de *brennum en latin populaire. Attesté au XIIe s. sous la forme bran ou
bren, il désigne le « son », puis la « partie la plus grossière du son », d’où,
par extension, tout « excrément », ou « ordure », et notamment la « matière
fécale », sens conservé dialectalement en FM.
Paradigme morphologique : le v. brandir (XIe s.) possède deux sens
principaux, « brandir, agiter » et « chanceler, branler, trembler ». Une
brande (XIIe s.) désigne au MA une « agitation » ou une « incertitude »,
alors que la brandele (XIIe s.) marque une « position critique », «
branlante » en quelque sorte. Notons enfin, puisqu’il renvoie au sens
étymologique, le subs. brandon (attesté au XIIe s. dans le sens de «
torche »), qui est resté en FM.
Paradigme sémantique : voir espee°.
Évolution : en MF, le mot garde ses sens médiévaux et prend celui de «
gros bâton armé de clous ». Si le subs. n’est plus attesté en FM, le v.
brandir est quant à lui très usité : « agiter, élever pour mieux frapper ou
lancer ». Au figuré, le v. signifie « présenter comme une menace » ; ex. :
je n’hésiterai pas à brandir le règlement intérieur !
C

Camp
Origine : le subs. provient du latin campum, « plaine », « terre cultivée ».
Ancien français : camp ou champ apparaît au XIe s. dans la langue avec les
sens principaux de (1) « champ, terrain » et de (2) « bataille ». Le mot a
parfois également pris le sens de « journée ». C’est peut-être la notion de
surface plane et étendue qui lie les sens 1 et 2 en AF.
Paradigme morphologique : l’adj. champel (XIe s.) est assez fréquent en
AF, notamment dans le syntagme champel bataille, que l’on trouve dans la
Chanson de Roland et qui signifie à la fois un « combat en rase
campagne » et une « bataille rangée ». Notons également le subs. champel
(XIIe s.), qui désigne un « petit champ » ou une « bataille rangée », tout
comme champois (XIIIe s.). La champaigne (Xe s.) est un « pays plat » ou un
« champ de bataille » et le v. champeler (XIIIe s.) appartient lui aussi au
vocabulaire guerrier, puisqu’il désigne volontiers l’action de «
combattre ». L’adj. champestre (XIe s.), toujours présent en FM, signifie
quant à lui « relatif aux champs ». Enfin le v. eschamper (XIIe s.), « fuir le
champ de bataille, se sauver », a produit le déverbal eschampe, puis
escampette, qui subsiste aujourd’hui dans la locution prendre la poudre
d’escampette (XVIIe s.).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, aire°, plaine (voir plain°) et terre°
; dans le sens 2, voir bataille°.
Évolution : dès le MF, probablement, le subs. possède deux formes
distinctes, camp et champ. Le sens 1 est alors conservé dans le subs.
champ, qui désigne aujourd’hui généralement une « étendue de terre
labourable » mais a pris aussi des sens figurés (sans doute à partir de l’idée
d’étendue) de « sujet », « perspective » ; ex. : les champs couverts par la
médecine, le champ de vision, etc. En revanche, la forme camp, influencée
par l’italien, désigne avant tout dans le domaine militaire un « terrain clos
et fortifié sur lequel s’installent des troupes pour se loger, s’entraîner ou se
défendre » ; mais on parle aussi aujourd’hui de camp de vacances. Cette
forme sera à l’origine de nombreux dérivés et entrera dans plusieurs
locutions ; ex. : aide de camp, lever le camp (d’abord militaire, ensuite
familier), foutre le camp (vulgaire), etc.

Celer
Origine : du latin celare, « cacher », « tenir secret ».
Ancien français : le v. conserve son acception étymologique de « cacher,
tenir secret, ne pas dévoiler qqch. ».
Paradigme morphologique : les subs. fém. celee (XIIe s.), celeison (XIIe s.)
ou le masc. celement (XIIe s.) renvoient à l’action de cacher ou à une «
cachette ». L’adj. celant (XIIe s.) est usité en AF avec le sens de « discret »
ou « secret ». Enfin, le dérivé deceler (XIIe s.) prend le sens de « dévoiler
ce qui est caché ».
Paradigme sémantique : notons les v. escondre, « cacher », cacher (XIIIe s.,
du latin populaire *coacticare, « serrer », fréquentatif de coactare «
contraindre ») ou embuschier°.
Évolution : le v. reste présent dans la langue mais ses emplois deviennent
de moins en moins fréquents, concurrencés par le v. cacher en MF et FM.
Il conserve cependant le sens de « cacher », « taire » et entre dans la
locution pour (à) ne rien vous celer, « pour être tout à fait sincère ». Il
reste également présent en littérature : S’il faut redécouvrir ce qu’il fallait
celer (Péguy, La Tapisserie de Notre Dame, 1913). À noter, en médecine
légale, le subs. celation, qui désigne l’action de cacher une information ;
ex. : une celation de grossesse.

Cembel
Origine : du latin cymbalum, « cymbale », d’origine grecque.
Ancien français : le subs. apparaît au XIIe s. avec des sens divers. Le sens
de (1) « cloche annonçant un tournoi » peut se comprendre à partir de
l’étymon. En revanche, le lien est nettement moins net pour le sens attesté
en AF de (2) « troupe destinée à attirer l’ennemi dans une embuscade » et,
par voie de conséquence, (3) « embuscade » ; y a-t-il un lien métaphorique
entre l’instrument qui attire l’oreille pour annoncer le début de la joute et
la troupe de personnes chargée d’amorcer le combat ? Ce qui est sûr, c’est
que ce dernier sens a développé, par transfert, celui qui est le plus courant
en AF : (4) « combat », « joute », chargé du sème de la provocation.
Paradigme morphologique : les v. cembeler (XIIe s.) et cembillier (XIIe s.)
signifient tous deux « jouter » ou « combattre ».
Paradigme sémantique : voir pour le sens 4, le plus fréquent, le paradigme
de bataille° ; pour le sens 3, on peut citer embusche / embuschement (voir
embuschier°).
Évolution : le doublet cymbale survit à l’AF avec le sens étymologique d’«
instrument de percussion fait d’airain », mais non cembel, qui n’est déjà
plus attesté en français classique.

Chaiere
Origine : du latin cathedram, « siège à dossier », « banc », « chaire de
professeur ».
Ancien français : dès le XIIe s. le subs. prend la forme graphique chaiere ou
chaere et signifie (1) « siège à dossier » mais aussi (2) « trône », « siège
seigneurial ou royal » ou, plus généralement, « siège honorifique ».
Paradigme morphologique : le paradigme morphologique de chaiere est
assez tardif et date surtout du MF. L’adj. chaerel (XIVe s.) est intéressant
car il signifie « assis sur une chaise », « installé » et « intronisé ». Le
chaierier (XIVe s.) est le « fabricant de chaises ».
Paradigme sémantique : le subs. siege (XIe s., du latin populaire *sedicum,
de *sedicare, dérivé de sedere, « être assis », qui a donné seoir° en AF),
désigne généralement la « place où l’on s’assied ». Pensons aussi à trône
(XIIe s.), du latin thronum, issu du grec, « siège élevé », « trône pour les
rois, patriarches, dieux, etc. ».
Évolution : c’est la langue de l’Église qui a favorisé l’usage de chaire à
partir de l’acception 2 dans le sens d’« emplacement privilégié pour la
prédication », puis « tribune d’on l’on sermonne ou professe ». C’est à
partir de ce sens que se développe ensuite, par métonymie, celui de «
charge de professeur ». Les deux formes chaire et chaise, de même
étymon, coexistent jusqu’au XVIIe s. Leurs emplois se distinguent alors. La
racine cathedra a bien sûr donné aussi l’adj. cathédral et le subs.
cathédrale.

Chaitif
Origine : du latin captivum, « captif », « prisonnier de guerre ».
Ancien français : très usité en AF dès le Xe s. et surtout à partir du XIe s.,
l’adj. signifie (1) « captif, prisonnier », (2) « esclave » et, par extension,
(3) « faible, malheureux, pauvre » et enfin (4) « mauvais » voire «
méchant ».
Paradigme morphologique : on note chaitiveté au XIIe s. avec les sens de «
captivité », « misère », « infortune », « affliction » et chaitivage (XIIe s.) ou
chaitivaison (XIIe s.), pour « esclavage » ou « pauvreté ». L’homme
chaitiveus (XIe s.) est ainsi bien « malheureux ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir prison°, et dans le sens 2,
serf°. Dans le sens 3, on peut citer les adj. povre (XIe s., du latin pauper),
feble (XIe s., du latin flebilem), ainsi que fraile (XIe s., du latin fragilem) et
son doublet savant fragile, emprunté au XIVe s. avec le sens de « peu
important ». Dans le sens 4, voir mal / mauvais°.
Évolution : l’adj. chétif a seulement conservé le sens 3 de l’AF et signifie
« faible », « fragile » et plus généralement, en parlant d’une personne, «
de faible constitution ».

Chaloir
Origine : le v. provient du latin calere, « avoir chaud ».
Ancien français : v. très employé au MA à partir du Xe s., son sens
étymologique concret est attesté, mais il développe surtout des acceptions
abstraites, probablement issues d’emplois figurés du v. (dans le sens de «
s’inquiéter »), attestés notamment chez Cicéron. L’AF connaît donc
principalement les sens suivants : « préoccuper », « importer, avoir de
l’intérêt », « falloir », surtout en tournure impersonnelle.
Paradigme morphologique : à partir du XIIe s., on trouve le subs. chaland,
qui est à l’origine le participe présent du v. au sens d’« importer », « avoir
de l’intérêt ». Il signifie en AF « ami », puis « client ». C’est à partir du
XIVe s. que le v. achalander est attesté avec le sens « fournir de la
clientèle ». L’adj. nonchalant (XIIe s.) signifie alors « insouciant », puis «
oisif », le subs. nonchalance (XIIIe s.), « manière d’être caractérisée par un
manque d’entrain » et le v. nonchaloir (XIVe s.), « négliger », « mépriser ».
Paradigme sémantique : voir le paradigme d’estovoir°, ainsi que le v.
monter dans le sens d’« importer, valoir », emploi figuré spécifique à l’AF,
à côté des autres sens attendus du v.
Évolution : le mot ne survit pas au MA. On le trouve cependant encore
dans quelques textes du XVIe s. mais il reste d’un usage littéraire. On
rencontre encore en FM l’expression peu me chaut, « peu m’importe ». En
revanche, nonchalant et nonchalance sont toujours usités.

Chambre / Sale
Origine : le premier terme est issu du latin cameram, « voûte, pièce
voûtée », puis, en latin tardif, « pièce (à dormir) » ; le second, du francique
*sal, « pièce principale (d’une habitation) » (voir l’allemand Saal).
Ancien français : que ce soit dans une demeure, un château ou un palais,
chambre (XIe s.) sert à désigner une « pièce intime, d’usage privé »
(notamment où l’on dort, mais pas seulement) par opposition à la sale (XIe
s.), « pièce principale, grande salle » d’un lieu d’habitation (sale peut
d’ailleurs désigner ce lieu lui-même, par synecdoque), espace collectif et
public où l’on vit, mange, et où l’on reçoit. Une demeure peut comporter
plusieurs chambres, mais ne possède qu’une seule sale (comme le signale
dans les textes littéraires le recours systématique à l’article défini), vaste et
de plain-pied (il arrive en effet, dans les romans du moins, qu’on y entre à
cheval, comme Perceval à la cour du roi Arthur dans le Conte du Graal).
Paradigme morphologique : aucun pour sale. Pour chambre, on peut citer
chamberier(e), « valet de chambre » ou « fille / femme de chambre », et
chamberlenc (du francique *kamerling, formé sur le latin camera), «
personnage assurant le service de la chambre d’un grand seigneur ou d’un
prince », qui a donné chambellan en FM.
Paradigme sémantique : plus riche pour la désignation des différentes
catégories de bâtiments (chastel°, manoir / maison° ou palais°), le lexique
médiéval apparaît bien pauvre en comparaison du FM pour ce qui
concerne l’intérieur. Outre le subs. degré°, désignant surtout au plu. un «
escalier », on peut citer loge° (« pièce annexe, pièce d’étage », semble-t-il)
ou les estres, terme que l’on rencontre le plus souvent au plu. et qui sert
notamment à désigner, de façon très générale, les « étages » d’un bâtiment.
Évolution : employé encore au XVIIe s. pour désigner la « pièce où l’on vit /
reçoit », le subs. salle tend de plus en plus, à partir du XVIe s., à recevoir
des compléments déterminatifs précisant sa fonction (ex. : salle de bal,
salle d’armes, salle à manger, salle de bains, etc.) ; c’est donc la
détermination et le sème de vastitude qui distinguent salle d’avec pièce°
(qui ne prend son sens actuel qu’au XVIIe s.), mais aussi d’avec chambre,
terme qui sert le plus souvent à désigner une « chambre à coucher » dans
une maison ou un hôtel, à quelques exceptions près (ex. : chambre des
machines, chambre froide, et quelques emplois analogiques comme
chambre à air).

Char
Origine : le subs. provient du latin carnem, « viande », « chair ». Le latin
chrétien a donné au mot un sens particulier : dans les textes des Pères de
l’Église, il le place en opposition à l’esprit et lui donne le sens de « nature
humaine », voire de « Dieu incarné » dans certains textes religieux.
Ancien français : char (ou car, carn en AF) désigne, à partir du XIe s. et
conformément à son étymon, un « morceau de viande » et, par extension,
la « nourriture » ou la « chair » en général, et « l’ensemble des muscles du
corps humain » en particulier. Mais comme char désigne aussi en AF le
corps humain lui-même, il possède une aptitude à renvoyer tantôt à
l’organisme (humain ou non d’ailleurs), tantôt à la nature humaine (sous
l’influence du latin chrétien). Il peut même renvoyer à la famille, au sang,
aux gènes.
Paradigme morphologique : beaucoup de dérivés sont formés sur la forme
charn / carn, ainsi charnel (XIe s.), « de chair », « de même sang », «
intime », charnage ou carnage (XIIe s.), qui signifie « viande » mais aussi «
période durant laquelle on peut manger de la viande » (ce n’est qu’à partir
du XIIIe s. qu’il prend le sens de « tuerie, massacre »), enfin charnier (XIIIe
s.), qui désigne un « endroit où l’on conserve la viande » puis un «
cimetière ». Aucun dérivé n’est en revanche formé sur la forme graphique
chair. On pensera également au v. acharner (XIIe s.), d’abord en vénerie
avec le sens de « nourrir » (de chair) mais aussi « lancer un faucon ou un
chien de chasse à la poursuite d’un gibier » et descharner (XIIIe s.) «
maigrir ». Ces deux v. se rencontrent volontiers dans les traités de
fauconnerie avant d’entrer dans la langue commune sous la forme transitive
acharner et décharner mais aussi pronominale : s’acharner et se
décharner, le premier signifiant à partir du XVe s. « poursuivre qq. avec
irritation » et le second « devenir extrêmement maigre ».
Paradigme sémantique : dans le sens de « nourriture », et non de « chair »,
voir viande° ; on peut aussi renvoyer, pour certaines acceptions de char, à
cors° ou à ligne°.
Évolution : le subs. chair possède aujourd’hui un sens physique très
concret, puisque c’est la « composante prédominante du corps humain ou
animal, essentiellement constituée des tissus musculaire et conjonctif ».
Par analogie, il est souvent synonyme de « substance ». Il entre dans
plusieurs expressions lexicalisées ; ex. : être bien en chair, avoir la chair
de poule, etc.

Chastel
Origine : du latin castellum (diminutif de castrum, « camp »), subs.
notamment attesté avec le sens de « forteresse, redoute ».
Ancien français : le terme désigne (1) une « place forte » ; (2) une « cité
fortifiée » ; (3) une « résidence royale ou seigneuriale » (souvent fortifiée).
Contrairement à cité° ou vile, le subs. chastel relève plus volontiers de
l’organisation militaire que sociale, politique ou commerciale d’une
agglomération. Il peut aussi tout simplement désigner une « belle et
grande demeure seigneuriale ». En cela, il s’oppose au manoir°, qui est de
dimension plus restreinte.
Paradigme morphologique : le diminutif chastelet, « petit château », et le
dérivé chastelain sont relativement usités en AF. On trouve également le
subs. chastellerie ou chastelainerie, « juridiction du châtelain », et le v.
chasteler, « fortifier un lieu ».
Paradigme sémantique : outre les termes cités ci-dessus, voir borg°, cort°,
forterece (de fort°) et palais°.
Évolution : le terme conserve le sens de « place forte », « forteresse »
(fonction défensive) et « grande demeure », sans que le sème de la
défense soit automatiquement présent ; il désigne alors une habitation
seigneuriale qui a fonction d’agrément. Dès lors, l’expression château fort
(XIXe s.) est employée pour désigner explicitement la fonction défensive.
Mais l’expression château d’eau existe toujours, tout comme le mot
château pour désigner « une construction élevée située à la poupe ou à la
proue et qui faisait office de défense et/ou protection sur les anciens
navires ». Le sème de défense et/ou protection est dans ce dernier cas
toujours présent.

Cheoir / Mescheoir
Origine : le v. cheoir provient du latin cadere, « tomber », « choir », «
disparaître ».
Ancien français : le v. cheoir est très fréquent en AF à partir du Xe s. avec
les sens de (1) « tomber » et (2) « advenir, arriver », notamment en
tounure impersonnelle. Quant à mescheoir (XIIe s.), dérivé préfixé par mes-
servant à construire la forme négative du v., il signifie (1) « arriver
malheur », (2) « être malheureux » et enfin (3) « se tromper ».
Paradigme morphologique : le subs. meschaement (XIIe s.) a pour sens «
malheur » et la mescheance (XIIe s.) « infortune », « malchance », «
accident ». Par ailleurs, l’adj. mescheant (XIIe s.) signifie d’abord «
malchanceux », puis « misérable » et, à partir du XIVe s., « enclin à faire le
mal ». Notons enfin le subs. fém. chance (issu du latin populaire
*cadentia, plu. neutre du participe présent du v. cadere), qui signifie «
chute » et « hasard » en AF ; malechance à partir du XIIIe s. est son
antonyme, alors que l’adj. chanceux est plus tardif (XVIe s.).
Paradigme sémantique : notons dans le sens 1 de cheoir le v. tomber (XIIe
s.), qui signifia tout d’abord « danser » et « culbuter » puis, très
rapidement, « faire une chute », mais voir aussi verser° ; dans le sens 2, on
peut citer le v. avenir (Xe s.).
Évolution : le v. choir est aujourd’hui défectif et prend le sens de « être
entraîné vers le bas par son propre poids, selon la loi d’attraction, à la suite
d’une rupture d’équilibre ». Plus guère usité en lui-même, sauf dans
l’expression laisser choir, le v. survit aujourd’hui dans ses dérivés chute
(XIVe s.), chuter (XIXe s.), parachute (XVIIIe s.) ou encore parachuter (XXe s.).
De son côté, le v. méchoir est sorti d’usage mais on le trouve encore dans le
dictionnaire Littré (XIXe s.) avec le sens archaïsant de « causer un
dommage », « tourner mal » ; ex. : il vous mécherra de cette entreprise.
Quant à méchant, chance et malchance, ils sont toujours très usuels en FM.

Cheval / Destrier / Palefroi / Roncin /


Somier
Origine : cheval est issu de caballum, forme populaire du latin equus, et
l’on suppose que le terme, avant d’être générique, aurait pu désigner un
cheval quelconque, voire un mauvais cheval. Le subs. destrier est dérivé
de l’AF destre° dans le sens de « main droite », car l’écuyer menait la
monture par la main droite, sa main gauche lui servant à mener son propre
cheval. Le subs. palefroi provient du latin tardif paraveredum désignant le
« cheval de renfort ». Quant à roncin, il a une origine plus obscure : on le
suppose issu du latin tardif *ruccinum, « cheval de charge », qui aurait
d’ailleurs donné également roussin en français. Enfin, somier provient du
latin tardif *sagmarium, « bête de somme », lui-même dérivé de sagma, «
bât ».
Ancien français : le terme cheval fonctionne en AF comme l’hyperonyme
d’un groupe largement employé dans la langue ; ce terme générique n’est
cependant pas particulièrement connoté, contrairement aux autres subs.
Dans l’univers médiéval, le cheval est un animal important. Tout
chevalier° en possède un et l’AF spécifie volontiers les caractéristiques
des chevaux en employant directement un hyponyme adéquat : destrier,
ronçin, palefroi, etc. Précisément, en AF, le destrier est un cheval de
bataille, de combat. Il possède donc plusieurs caractéristiques : il est
rapide, fougueux et solide. C’est la monture des chevaliers par excellence,
il est donc de grande valeur. En général, on lui attribue un nom et il n’est
pas rare que les couleurs de sa robe soient aussi mentionnées car les
marques distinctives accentuent la valeur unique de chaque destrier :
l’aufferant (d’origine probablement arabe, al-faras signifiant « cheval »)
est un destrier de couleur gris cendré, le baucent (c’est-à-dire le balzan, de
l’italien balzano et du latin médiéval balsanum) est tacheté brun-rouge,
l’alezan (de l’espagnol alazan, provenant lui-même probablement de
l’arabe az’ar, « brun rougeâtre ») est un cheval roux-fauve, le vair°
possède une robe de couleur gris pommelé, et enfin le saur (du néerlandais
soor, « séché ») est un destrier roux-doré. Le palefroi (XIe s) est quant à lui
– et conformément à son étymologie – un cheval de marche et de parade,
alors que le ronçin et le somier sont des chevaux de trait et de charge,
souvent de peu de valeur.
Paradigme morphologique : on peut noter le v. chevalchier (XIe s), «
chevaucher », et le subs. fém. chevalchie (XIIe s.), « équipée », «
chevauchée ». Voir aussi, évidemment, chevalier°.
Paradigme sémantique : voir ci-dessus.
Évolution : le terme cheval est resté dans la langue avec son acception
générique de « mammifère domestique appartenant à la famille des
équidés, utilisé notamment comme animal de monture ou de trait ». Le
subs. entre dans un grand nombre d’expressions idiomatiques ; ex. :
manger du cheval, être à cheval sur qqch., avoir une fièvre de cheval, etc.
En revanche, c’est la forme savante latine equus qui a donné équitation et
équestre, tandis que l’étymon grec hippos a servi à construire les mots
hippodrome, hippique et même hippocampe et hippopotame. Les subs.
destrier et ronçin, quant à eux, demeurent en FM des termes de civilisation
renvoyant presque exclusivement à l’univers médiéval. On les trouve
cependant dans quelques expressions ; ex. : un fier destrier. Aujourd’hui,
roussin peut désigner un âne, tandis que le terme sommier, depuis le XVe s.,
s’applique à un matelas puis, au XIXe s., à la « partie du lit, constituée par
un cadre de bois ou de métal muni de ressorts ou de lamelles et destiné à
supporter le matelas » : on retrouve là sans doute la notion de support
qu’avait le somier au MA.

Chevalier
Origine : du latin tardif caballarium, dérivé du latin populaire caballum,
qui a donné cheval° en AF. Il désigne en latin tardif (à partir du Ve s.) un
simple « garçon d’écurie ». La valeur guerrière du mot se construit tout au
long de la période impériale et il désigne, dès le IXe s., un « cavalier en
armes », un « soldat à cheval ».
Ancien français : le mot est omniprésent dans l’univers médiéval tel que
nous le percevons à travers la littérature de l’époque. On le trouve dès les
premiers textes (comme la Chanson de Roland) avec le sens premier de
(1) « guerrier à cheval » de rang modeste et, plus généralement, il désigne
tout noble monté qui combat l’ennemi. Le sème guerrier semble alors
définitoire. Souvent au plu., il s’oppose au vocable baron° qui sert plutôt à
désigner les grands seigneurs du royaume. Le deuxième sens du terme
renvoie à certaines valeurs : (2) « homme noble et courtois ». À partir du
XIIe s., le chevalier est non seulement un guerrier mais il devient aussi un
home lige°, le vassal° de son seignor°. La littérature des XIIe et XIIIe s.
souligne assez cette évolution du statut du chevalier, d’abord simple
guerrier, puis un homme dépendant de son seigneur et ayant des
obligations envers ce dernier. Par ailleurs, le chevalier est aussi un homme
de cour, un homme cortois (voir cort°), qui connaît et maîtrise les règles
élémentaires du savoir-vivre courtisan. En somme, c’est la notion de
chevalier qui revêt dès lors une forme d’aura idéalisée dans l’univers
romanesque. Il symbolise l’idéal social sans avoir perdu le sème originel
du guerrier faisant preuve de prouesse au combat. Le chevalier est donc
celui qui, à partir du XIIe s., doit posséder certaines valeurs : vaillance et
prouesse au combat, générosité et don de soi, courtoisie amoureuse, sans
parler des aspects chrétiens de sa mission.
Paradigme morphologique : le paradigme morphologique est assez riche.
Outre cheval°, on trouve l’adjectif chevalereus (« qui a les qualités d’un
chevalier », c’est-à-dire, notamment, « vaillant »). Mais cet adj. disparaît
progressivement au profit de chevaleresque. Au XIIIe s. on trouve
également chevaliere, « femme de chevalier », qui ne subsiste pas. Notons
enfin le subs. chevalerie, qui désigne « l’ensemble des chevaliers » ainsi
que « les qualités dignes d’un chevalier », « la vaillance » et « les
exploits ».
Paradigme sémantique : dans son acception première de « guerrier
monté », le terme n’a pas vraiment d’équivalent, et s’oppose seulement à
« soldat à pied » (voir serjant°) ; mais quand il renvoie à la notion de
noblesse et au monde féodal, chevalier entre dans le paradigme de baron /
comte°, seignor°, vassal°, ou encore de bacheler°, damoisel°, etc.
Évolution : supplanté dans son sens premier par cavalier (emprunté à
l’italien au XVe s.), chevalier devient une distinction sociale à la fin du MA
et représente, surtout sous l’Ancien Régime, le plus petit grade de la
noblesse (chevalier, baron, vicomte, comte, marquis, etc.). Il désignait
aussi les représentants d’un ordre nobiliaire d’inspiration religieuse (ex. :
chevalier de l’ordre de Malte, du Temple) et cette dénomination est
conservée aujourd’hui en français (ex. : chevalier de la légion d’honneur,
chevalier des Arts et Lettres, des Palmes académiques) où il désigne le
premier grade d’un ordre honorifique (chevalier, officier, commandeur,
grand croix). Il conserve donc l’aspect hiérarchique que lui connaissait le
MA. Le sème courtois a donné des expressions aujourd’hui lexicalisées,
comme faire le chevalier servant, « entourer une dame de soins assidus »
(l’expression étant parfois ironique cependant). Le sème guerrier est
encore présent pour exprimer une réalité historique mais a également
donné les expressions suivantes : chevalier errant, « chevalier qui parcourt
le monde en quête d’aventures », chevalier d’industrie, « homme d’affaire
qui va au-delà des limites des règles communes, aux méthodes
douteuses », parfois même « escroc ».

Chief / Teste
Origine : le subs. chief est issu du latin populaire *capum pour le latin
classique caput, « tête », « extrémité », « vie, existence », « partie
principale d’une chose, lieu principal » ; teste, lui, vient de testam qui, en
latin, signifiait « vase de terre cuite » puis, par métaphore sans doute, «
crâne » en latin tardif.
Ancien français : les deux mots suivent en AF le cheminement sémantique
de leurs étymons respectifs. Parmi de nombreux sens, chief prend
principalement celui de « tête » et par extension de « sommet », «
extrémité », « commencement », et inversement « fin », mais aussi «
chef ». Très vite le mot entre dans un certain nombre de locutions,
notamment par mon chief, qui est une formule figée de serment, ou venir /
traire° a chief, « venir à bout, finir ». On le trouve dès le XIIIe s. dans des
formes composées : chief d’ovre° désigne alors « l’ouvrage principal d’un
artisan » et le chief lieu (XIIIe s.) est le « manoir principal » d’un seigneur,
le lieu où l’on payait ses impôts, ou bien où l’on prêtait serment. Le subs.
teste, quant à lui, ne renvoie principalement qu’à la « tête » et se trouve
donc en concurrence avec chief dans son sens premier. On rencontre les
deux termes dans les mêmes textes (la Chanson de Roland par exemple)
mais il semblerait que l’aptitude polysémique de chief (qui peut
notamment endosser le sens de « sommet ») autorise son emploi abstrait
pour désigner le « siège de l’intelligence », alors que teste demeure de
sens concret et physiologique.
Paradigme morphologique : l’adj. chief (XIIIe s.) signifie « principal », «
premier ». Le v. chevir ou chever (XIIIe s.), qui a donné achever, peut-être
croisé avec le latin populaire *capire pour caper, signifie « finir, venir à
bout de qqch. » mais aussi « nourrir » et « soutenir ». La chevance (XIIIe s.)
est ce que l’on possède voire le « profit » ou « les provisions de
nourriture ». En ce qui concerne le paradigme de teste, notons le subs.
fém. testee (XIIe s.), qui signifie « coup sur la tête », et l’adj. testu (XIIIe s.),
« têtu ».
Paradigme sémantique : on peut par exemple renvoyer à vis / visage° ou
bien à fin°.
Évolution : le sens premier de chief est vieilli depuis la période classique
car depuis longtemps le mot a été supplanté par tête dans cet emploi. On le
retrouve cependant dans couvre-chef notamment. En revanche, le lien
étymologique et médiéval – par effet métonymique – est conservé dans le
sens, actuellement principal, de « personne qui est à la tête de quelque
chose » ; ex. : le chef de rang, le chef cuisinier, le chef d’état-major, le
chef de l’État, etc. Le mot tête suit partiellement cette évolution : s’il
désigne toujours concrètement la « partie supérieure du corps humain », il
prend aussi des sens figurés, suivant l’évolution de chef ; ex. : il est à la
tête de ce pays, c’est la tête pensante de cette organisation, etc.

Chier
Origine : du latin carum, « précieux, cher, coûteux », « aimé, estimé ».
Ancien français : l’adj. hérite des sens étymologiques et signifie dès le Xe s.
(1) « aimé, estimé », d’où « cher, tendre », notamment en fonction
d’adresse (ami chier équivalent à dous ami ou bel° ami) ; l’adj. peut aussi
vouloir dire (2) « précieux », « cher, coûteux ».
Paradigme morphologique : au XIe s., le v. cherir a pour sens « caresser »
et « flatter ». Le subs. fém. cherté signifie quant à lui « affection » ou «
amitié » en général et l’adv. cherement (XIe s.), « affectueusement » ou «
extrêmement ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer les participes passés
des v. amer° ou prisier° ; dans le sens 2, riche°, vaillant° (dans le sens de
« qui vaut »), ou encore l’adj. precieus (XIe s.) ; plus généralement, voir les
adj. valorisants appartenant au paradigme de bel°.
Évolution : en FM l’adj. a conservé les sens médiévaux. Il signifie
actuellement « tendrement aimé » ou « à qui on voue une tendresse ou une
affection » (ex. : un ami cher à mon cœur) et « coûteux » (ex. : un
manteau très cher).
Choisir
Origine : du germanique *kausjan, « goûter, éprouver » mais aussi «
examiner ».
Ancien français : c’est sans doute à partir de ce dernier sens que le v. (XIe s.)
a développé ses acceptions médiévales de (1) « voir distinctement » et (2)
« apercevoir, remarquer, distinguer », d’où parfois le sens de « trouver », et
enfin, dès le XIIe s., de (3) « choisir ».
Paradigme morphologique : le subs. chois (XIe s.) ou choison (XIIe s.) est
attesté avec le sens de « choix » ou « élection ». Le choisisseor (XIIe s.)
n’est autre que celui qui voit, c’est-à-dire le « spectateur ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir garder° ; dans le sens 2,
aviser° ; dans le sens 3, deviser°.
Évolution : le MF, en plus des sens médiévaux attestés, développe
volontiers ceux de « capturer », « saisir, prendre ». Mais seul le sens 3
médiéval conserve une réalité d’emplois après le MA. Il signifie en FM «
prendre de préférence » et, plus spécifiquement, « prendre qqn. ou qqch.
de préférence à un(e) autre en raison de ses qualités, de ses mérites, ou de
l’estime qu’on en a ».

Chose
Origine : le subs. provient du latin causam dans le sens d’« affaire », «
origine » mais le latin tardif lui donne celui de « chose ».
Ancien français : attesté dès les premiers textes en français (IXe s.), le subs.
fém. signifie (1) « chose », puis, par restriction, (2) « affaire » et enfin (3)
« créature terrestre », « personne ». On notera les expressions estre chose
que, « arriver que » et pour ceste chose, « pour cette raison ».
Paradigme morphologique : on peut citer le subs. diminutif chosete, « petite
chose », et le v. choser (XIIe s.), « se disputer », « injurier », « contester », et,
à partir du XVIe s., « faire l’amour ». Notons aussi le doublet savant cause
(emprunté au XIIe s. au latin causa), dans le sens de « cause juridique,
procès » et de « cause, motif, raison ».
Paradigme sémantique : rien° est le plus proche synonyme de chose, aussi
bien au sens de « chose » que de « personne » ; dans le sens 2, voir
ochoison° ou plait°, qui prennent parfois l’acception très générale d’«
affaire », comme ovre° d’ailleurs ; dans le sens 3, voir cors°, gent° ou
persone°.
Évolution : en MF, le mot étend considérablement ses emplois, notamment
au plu., choses signifiant alors « biens, possessions » mais aussi «
événements ». Le subs. est parfois désémantisé dans des constructions
telles que ne chose […] ne rien, où le phénomène de grammaticalisation
fait de ce mot une particule de renforcement de la négation. Dans des
expressions lexicalisées, il prend un sens particulier : la chose publique,
c’est la « république » (calque du latin res publica). En FM, il signifie «
tout ce qui est, sauf les êtres animés » mais aussi « événement », « fait »,
« idée », etc.

Cité / Vile
Origine : les deux subs. sont issus du latin civitatem et villam. En latin, le
subs. civitas signifie « condition de citoyen », « droit de cité » et «
ensemble des citoyens qui composent une ville ». Le terme possède donc
clairement une acception de type administratif et politique et s’oppose
ainsi à urbs, « ville » (dont le paradigme ne serait pas productif avant le
MF), et à villam qui ne désigne alors qu’une « ferme », une « maison de
campagne » ou un « hameau ».
Ancien français : alors que le terme vile conserve, jusqu’au XIIIe s., son sens
premier d’exploitation agricole, le subs. fém. cité renvoie, quant à lui, à
l’agglomération – parfois rurale, souvent urbaine – et conserve les sèmes
de l’organisation politique. Il prend les sens de (1) « ensemble
d’habitations » et de (2) « ville » puis, à partir du XIIIe s., il s’oppose au
mot vile et prend alors le sens de (3) « centre-ville » ou « vieille ville ».
Quelle que soit sa valeur, le terme possède toujours un sens juridique et
politique. Le dernier emploi le cantonne dans ce sens alors que le mot vile
prend une acception plus générale et s’impose dans la langue avec le sens
d’« agglomération importante ».
Paradigme morphologique : du côté de cité, on trouve citeain (ou citoian),
adj. ou subs. du XIIe s. qui signifie « urbain », « civil » ou « citoyen », et la
citainance (XIIIe s.), « citoyenneté ». Du côté de vile, vilel (XIIe s.), vilele
(XIIIe s.) et viloi (XIIIe s.) désignent tous trois un « village ».
Paradigme sémantique : voir borg° et chastel°.
Évolution : ville s’étant imposé dans la langue comme une « agglomération
importante », le mot cité se maintient néanmoins, par opposition, pour
désigner un « groupe d’habitations ou de bâtiments isolés ». Ainsi cité
universitaire, cités ouvrières, ou tout simplement cités employé avec
l’article défini, renvoient à des espaces urbains circonscrits. En revanche,
le FM conserve les emplois juridiques, politiques ou historiques du terme ;
ex. : les cités grecques (politique), avoir droit de cité (juridique).

Clerc
Origine : le subs. provient du latin clericum, « membre du clergé », de
clerus, « clergé ».
Ancien français : on trouve le subs. depuis le Xe s. avec les sens de (1) «
écolier », (2) « serviteur d’église », « clerc », c’est-à-dire celui qui n’est
pas lai (« laïc » : voir ci-dessous) ; enfin, à partir des sens 1 et 2,
particulièrement parce que l’Église est un lieu de savoir et de reproduction
de la connaissance au MA, le terme a désigné tout (3) « savant » ou «
lettré ».
Paradigme morphologique : le clerjon (ou clergeon) est un terme péjoratif
du XIIe s. qui désigne le « petit clerc ». En revanche, la clergesse (XIVe s.)
est une « femme lettrée » voire « habile ». Le subs. clergie (Xe s.) est un
terme désignant (1) « l’État ecclésiastique » mais aussi plus généralement
(2) « l’ensemble des clercs » et enfin (3) « l’instruction, la science, le
savoir ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer escoler (dérivé
d’escole) ; dans le sens 2, ministre° ; dans le sens 3, le subs. clerc équivaut
à des qualificatifs comme sage° ou letré. Notons enfin l’antonyme de clerc,
lai en AF, adj. qui provient du latin laicum, « commun », « qui est du
peuple », issu lui-même du grec, et qui signifie d’abord en AF « illettré »,
puis « qui n’appartient pas au clergé ».
Évolution : en FM, le terme désigne toujours, en contexte religieux, un «
aspirant ecclésiastique ». La généralisation par extension à « lettré,
savant » est également opératoire. Dans le vocabulaire juridique, il signifie
« employé d’une étude de notaire, d’avoué ».

Coart
Origine : dérivé par suffixation (en -art) de l’AF coe (ou cüe), « queue »,
du latin populaire *codam pour caudam, « queue », l’adj. signifie
littéralement « qui porte la queue basse ».
Ancien français : adj. très usité à partir du XIe s. avec les sens de (1) «
peureux, poltron, lâche » et de (2) « traître ».
Paradigme morphologique : le v. coarder (XIe s.) est également assez
fréquent avec le sens d’« agir en couard, être lâche », alors que coardir
(XIIe s.) signifie « devenir lâche » voire « s’enfuir ». Les subs. coardie (XIe
s.), coardance (XIIIe s.) et coardeté (XVe s.) signifient quant à eux «
lâcheté ».
Paradigme sémantique : dans le sens de « lâche », notons les adj. lanier
(XIIe s., avec une évolution sémantique difficile à expliquer, à partir du
latin lanarium, « en rapport avec la laine », peut-être à cause du faucon
lanier, espèce peu agressive), recreant (voir croire°) et, dans une moindre
mesure, lasche (XIIe s.), « mou, lâche ». Dans le sens 2, voir felon°.
Évolution : d’emploi moins fréquent en FM, l’adj. couard conserve
seulement le sens 1 de l’AF et signifie généralement « qui manque de
courage ».

Cointe
Origine : adj. provenant du latin cognitum, « qui est connu », participe
passé du v. cognoscere, « connaître ». Le terme acquiert un sens actif en
latin tardif, « qui sait », puis, par voie de conséquence, « sage », « avisé ».
Ancien français : employé dès le XIe s., cet adj. fréquent en AF est
polysémique et a notamment pour sens (1) « prudent, habile » et
conséquemment « sage », conformément à l’étymologie. Selon les
contextes, il devient un terme mélioratif de portée assez générale et peut
signifier alors (2) « agréable, charmant, élégant », notamment dans le
domaine amoureux, ou « brave, vaillant » dans le domaine guerrier.
Paradigme morphologique : le subs. cointise (XIIe s.) signifie « sagesse »
ou « prudence », l’adverbe cointement (XIIe s.), « habilement » ou «
prudemment » et enfin, les v. cointoier (XIIe s.) et cointir ont pour sens, à
partir du XIIIe s., « orner, parer ». On pensera aussi au paradigme lié à
accointe (XIIe s., du latin populaire *accognitum), signifiant « ami » ou «
amant » selon le contexte, mais aussi acointance (XIIe s.) et acointement
(XIIIe s.), dont les sens principaux sont « accueil » et « rencontre ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir sage° ; dans le sens 2, voir le
paradigme de bel°, avec des acceptions spécialement esthétiques ou plus
générales.
Évolution : l’adj. perd petit à petit ses emplois au profit d’adj. comme beau
ou sage et il est annoncé comme archaïque au XVIIe s. par Furetière. Il peut
toutefois se rencontrer en littérature avec le sens de « joli », « agréable » ;
ex. : quelque dame cointe et mignotte aux verdelettes beautés (G.
d’Esparbès, Le Roi.). Il subsiste aujourd’hui le terme accointance, souvent
employé au plu., avec le sens de « relations d’intérêts », parfois « relations
amoureuses ».

Col
Origine : subs. provenant du latin collum, « cou ».
Ancien français : le subs. masc. apparaît en français au XIe s. avec les sens
de « nuque » et de « cou ». Il entre dans des locutions comme a col
estendu (« ventre à terre » ou « à toute allure », le col en question étant
celui de la monture) ou jusques au col (« entièrement, totalement »).
Paradigme morphologique : le subs. coler (XIIe s.) n’est autre que le «
collier », alors que la coliere (XIIe s.) désigne le « harnais du cou du
cheval ». En revanche, une colee (XIIe s.) signifie en AF un « coup donné
sur le cou » (spécialement lors de la cérémonie de l’adoubement : voir
adouber°), puis prend le sens de « coup » de manière générale. Enfin, les
v. colier / coloier (XIIe s.) et coler (XIIIe s.) signifient respectivement «
tourner la tête » et « accoler » voire « embrasser ». Le v. acoler (XIe s.), lui,
veut dire « se jeter au cou de qqn. », « embrasser » mais aussi « frapper au
cou ».
Paradigme sémantique : le subs. nuque / nuche (XIVe s.) est avant tout un
terme médical en MF et signifie « moelle épinière ».
Évolution : à partir du milieu du XIVe s., les deux formes cou et col sont
distinctes. La première conserve les sens de l’AF alors que la seconde sert
à désigner la « partie étroite entre le corps de certains objets et la tête ou
sommet », même si on la rencontre parfois en FM avec le sens
étymologique.

Comander
Origine : le v. provient du latin populaire *commandare (cum et mandare),
« charger », « confier », pour le latin classique commendare, de même
sens.
Ancien français : lorsqu’il entre dans la langue française au Xe s., le v.
signifie d’abord (1) « donner, confier », d’où le sens particulier de «
recommander qqn. à la protection de », et de là « saluer » (a Dieu (te)
comant équivalant à « adieu ») ; puis il prend le sens de (2) « ordonner »,
« commander », « exiger ».
Paradigme morphologique : dérivé du verbe, le subs. comandement
apparaît au XIe s. et désigne à la fois « l’action de donner un ordre » et «
l’ordre » lui-même. Le subs. va développer les sens de « pouvoir », «
autorité », « gré » : la formule a mon comandement signifie en effet
d’abord « à mon gré ». La comande (XIIIe s.) a pour sens « protection », «
dépôt », « amarre » ou « commandement » et le comant (XIIIe s.) est le «
mandataire », « représentant » voire « lieutenant » d’un seigneur. Enfin, la
comandie (XIIe s.) ou comandise (XIIe s.) désigne le « commandement », la
« domination » et la « recommandation ». Le v. dérivé recomander date du
Xe s. avec le sens de « livrer qqn. », puis « conseiller ». Voir aussi mander°.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir baillier° et saluer ; dans le
sens 2, on retiendra surtout le v. ordener (XIIe s., du latin ordinare), «
ordonner, enjoindre », « mettre en ordre, régler » et « nommer, désigner »,
mais voir aussi duire° et mener°.
Évolution : le MF étend les emplois du v. en développant des sens tels que
« dompter », « maîtriser » et « dominer ». Le v. et son paradigme restent
très présents en FM (notamment commander, commandement,
commande). Le v. signifie aujourd’hui « ordonner », « avoir autorité sur »,
« dominer » et, au sens figuré, « inspirer » ou « imposer » (ex. : cet homme
commande le respect). Le sème d’autorité reste présent alors que le
paradigme de recommander conserve celui du conseil.

Compaignon / Compaignie
Origine : compaignon / compagnon (compain ou compaing au cas sujet
sing.) provient du latin populaire *companionem, « celui qui mange son
pain avec », à partir du préfixe cum (« avec ») et de panis (« pain ») ; de
son côté, compaignie est issu du latin populaire *companiam.
Ancien français : compaignon est un subs. masc. attesté à partir du XIe s.
avec les sens suivants de (1) « celui qui voyage avec qqn. » ; (2) «
personne liée par l’amitié avec qqn. » et, dans le vocabulaire amoureux, «
compagne » ou « compagnon » ; le subs. peut aussi désigner un (3) «
confrère » ou un « artisan », c’est-à-dire en somme celui qui est lié à
d’autres personnes par son statut ou sa profession (d’où, dans le
vocabulaire guerrier, notamment chez Froissart, compagnon d’armes).
Attesté dès le XIe s. en AF, le subs. fém. compaignie possède, lui, deux sens
principaux : (1) « association, communauté » ; le sens de (2) « suite d’un
seigneur », « troupe de gens armés » se développe alors peu à peu, à tel
point que l’expression tote la compaignie désigne l’armée dans son entier.
On rencontre plusieurs locutions en AF et FM, comme faire compaignie,
« établir des relations amicales », par compaignie, « par amitié », etc.
Paradigme morphologique : la compaigne (XIe s.) est « celle qui partage la
vie de qqn. » ; le mot sera concurrencé par compaignesse au XIIe s. et
compagnonne au XVIe s. Notons le v. compaigner (XIIe s.), « tenir
compagnie », « accompagner » et même « avoir un commerce intime ». Le
compaignement (XIIIe s.) est le fait de « tenir compagnie » mais désigne
aussi les « rapports sexuels ».
Paradigme sémantique : pour compaignon, voir ami° ; pour compaignie,
voir route° ou bataille°.
Évolution : les deux formes copain et compagnon ont survécu
distinctement et ont donné deux mots différents ; d’un côté, copain
signifie « camarade » en FM familier, et de l’autre, le compagnon est «
celui qui accompagne » (sens 1 médiéval) mais aussi l’« ouvrier qui
travaille pour un entrepreneur » (dérivé du sens 3 de l’AF), tels les
compagnons du tour de France. Le sens 2 est lui aussi largement attesté en
opposition de genre à compagne. Concernant compagnie, les sens 1 et 2 de
l’AF se sont largement développés par la suite. Le subs. signifie
aujourd’hui « association, assemblée, société de personnes ». On parle
volontiers en FM d’une compagnie financière, industrielle. Dans le
lexique militaire, la compagnie est une « troupe d’infanterie commandée
par un capitaine » (développement du sens 2 de l’AF).

Conestable / Mareschal / Seneschal


Origine : le premier terme est issu du latin tardif comes stabuli,
littéralement le « comte de l’écurie » ; le second, du francique *marhskalk,
littéralement « serviteur (*skalk) s’occupant des chevaux (*marh) » ; le
dernier, du francique *siniskalk, composé de *skalk, « serviteur », et de
*sinista, « le plus âgé ».
Ancien français : l’évolution de ces trois offices ou titres est assez
étroitement liée. Dans un premier temps, conestable (XIIe s.) et mareschal
(XIe s.) renvoient tous deux à des fonctions en rapport avec les chevaux, le
conestable étant le « grand officier chargé des écuries » et le mareschal
renvoyant à une fonction subalterne, du « garçon d’écurie » à « l’officier
en charge des chevaux » à la cour ou dans une armée, en passant par «
l’artisan qui ferre les chevaux, le maréchal-ferrant ». À l’inverse, le terme
de seneschal (XIe s.) désigne d’emblée une fonction très importante, celle
de « grand officier en charge de l’administration et de l’intendance » à la
cour d’un roi ou d’un grand seigneur (on en a un exemple en littérature
avec le personnage de Keu, seneschal du roi Arthur).
Au XIIe s. cependant, la puissance attachée à ce titre devient telle qu’à la
mort, en 1191, de son seneschal Thibaut de Champagne, Philippe Auguste
décida de ne pas nommer de successeur à cette charge ; le titre subsista
néanmoins jusqu’à la fin du MA (et au-delà) pour désigner un simple «
officier royal ou seigneurial » exerçant des fonctions d’administration à la
tête d’une seneschaussée, équivalent du baillif (voir baillier°). De leur côté,
en revanche, les titres de conestable et de mareschal gagnent en importance,
le premier désignant le « chef de l’armée royale » et remplaçant celui de
seneschal après sa disparition, le second, un « chef militaire » au service
d’un grand seigneur ou du roi (d’où le titre de mareschal de France).
Paradigme morphologique : le paradigme est similaire pour les trois
termes, la conestablerie, la mareschaucie / mareschauciee (qui a laissé
maréchaussée en FM, équivalent de la gendarmerie sous l’Ancien
Régime) et la seneschaucie, désignant à chaque fois la charge
correspondante. Notons cependant le v. mareschaucier, « ferrer, soigner un
cheval ».
Paradigme sémantique : pour d’autres exemples de titres appartenant à
l’univers aristocratique et militaire du MA, voir baron / comte° ou tout
simplement chevalier°. On peut citer en outre le terme amiral, emprunté à
l’arabe au XIe s., d’abord « commandant en chef chez les Sarrasins, émir »,
puis « chef de flotte, amiral », sens conservé jusqu’au FM dans le lexique
militaire (c’est le grade le plus élevé dans la marine).
Évolution : des trois termes envisagés, sénéchal est donc le premier à
disparaître, sinon du vocabulaire historique ; puis c’est le tour du titre de
connétable, supprimé en 1627 après s’être vu conféré des pouvoirs
considérables à la fin du MA et à la Renaissance ; seul donc le terme de
maréchal sert encore aujourd’hui dans le vocabulaire militaire (ex. :
maréchal des logis, maréchal de France), et garde même un souvenir de
ses origines dans le composé maréchal-ferrant (XVIIe s.).
Confire
Origine : du latin conficere (dérivé de facere), « achever qqch. », « faire
intégralement ».
Ancien français : le v., qui apparaît dans les textes au XIIe s., signifie (1) «
achever » et (2) « préparer, façonner », « fabriquer » et entre ainsi dans
divers champs lexicaux relevant de la terminologie technique, avec les
sens variés de « confire », « élaborer qqch. », « embaumer », « achever de
mûrir » en parlant des fruits, etc.
Paradigme morphologique : le subs. confit (XIIIe s.) signifie «
préparation » ou « confiture », alors que l’adj. confit (XIIIe s. également) a
pour sens « enveloppé », « uni » mais aussi « souillé » ou « teint » ;
confiture date du XIIIe s. et prend d’abord le sens assez général de «
préparation » ou « situation », puis le sens particulier d’« embaumement »
et désigne en outre au pluriel les aliments destinés à la conservation. Le v.
confiter (XIIIe s.) signifie quant à lui « arriver au terme de », « confire » en
parlant des fruits. Le v. desconfire, dérivé de confire et datant aussi du XIe
s., appartient volontiers au vocabulaire de la guerre et signifie surtout «
abattre », « mettre un ennemi en déroute », « vaincre » et « décourager » ;
ainsi la desconfiture (XIe s.) n’est autre que « l’anéantissement » de l’armée
ennemie.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir finir / finer (voir fin°) ou
chever (voir chief°) ; dans le sens 2, voir ovre / ovrer° ou tout simplement
faire.
Évolution : confire ne désigne plus aujourd’hui que l’action de « mettre les
fruits dans le sucre » ou de « mettre les légumes dans le vinaigre ». Le
paradigme morphologique est bien présent en FM ; ex. : confit, confiseur,
confiserie, confiture (« fruits cuits longuement avec du sucre »). Le v.
déconfire est vieilli mais son participe passé déconfit garde le sème de
l’anéantissement ; ex. : une mine déconfite. Enfin, la déconfiture désigne
aujourd’hui tout « échec total », quel que soit le domaine dans lequel il se
produit : politique, financier, personnel… et bien sûr militaire !
Conforter
Origine : le v. est issu lu latin confortare, « soutenir le courage de qqn. »,
issu de l’adj. fortis, « courageux, fort ».
Ancien français : il apparaît en AF au XIe s. avec les sens de « consoler,
réconforter, rassurer » et, en construction pronominale, de « prendre
courage ».
Paradigme morphologique : le subs. confort (XIe s.) a pour sens «
courage » ou « encouragement » mais aussi « réconfort », « consolation »
voire « aide ». L’adj. confortable (XIIe s.) signifie « secourable » ou «
fortifiant » et confortatif (XIIe s.), « propre à réconforter ». Le v.
desconforter (XIe s.) désigne l’action de « se décourager » ou d’« abattre »
et le subs. dérivé desconfort (XIIe s.) a pour sens « désolation » ou «
désespoir ».
Paradigme sémantique : voir les v. aidier° ou asseürer / rasseürer (de
seür°) et solacier (de solaz°).
Évolution : le v. conforter signifie concrètement, en FM, « renforcer », «
rendre plus ferme, plus solide ». Le sens abstrait a été repris par le dérivé
réconforter (XIe s.), qui a pour sens « rendre à qqn. ses forces physiques ou
morales ».

Congié
Origine : du subs. latin commeatum, « passage », « transport » et, dans
l’univers militaire, « ordre de marche » (du v. commeare, « circuler »,
dérivé de meare, « aller », « passer », utilisé notamment dans le
vocabulaire littéraire).
Ancien français : à partir sans doute du sème de mouvement et de l’idée de
passage, deux sens principaux sont attestés à partir du Xe s., à la fois (1) «
permission d’aller et venir » et (2) « autorisation de se retirer ». Dans
l’univers médiéval, les locutions demander congié et prendre congié
décrivent une règle de conduite et signifient « demander l’autorisation de
partir » et, par conséquent, « recevoir la permission de quitter un lieu ».
Paradigme morphologique : le v. congeer (ou congeier), puis congédier,
qui a d’abord voulu dire « inviter qqn. à se retirer », a ensuite pris le sens
de « renvoyer ». Il signifie aujourd’hui « mettre un terme à un contrat »
mais garde aussi son acception première d’« inviter qqn. à se retirer ».
Paradigme sémantique : le subs. permission (XIIIe s.) ne signifie en AF
qu’« autorisation de dire, faire qqch. ». Ce n’est qu’ultérieurement que son
sens s’apparente à celui de congié (ex. : une permission de soldat).
Évolution : dès le MA, donner congié a aussi voulu dire « renvoyer qqn. »,
« démettre qqn. de ses fonctions » et cette locution est restée très vivante
jusqu’en FM. À partir du XVIIe s., congé a pris le sens à peu près équivalent
et général d’« autorisation de transport », puis « action de circuler ». Dans
le domaine professionnel, demander ses congés (cette fois-ci souvent au
plu. mais pas exclusivement, ex. : prendre un congé sabbatique) renvoie
bien à la notion d’autorisation à réclamer avant un départ ; ex. : avoir des
congés, prendre ses congés, les congés payés, etc. Dans les milieux
diplomatiques par exemple, l’audience de congé correspond à la dernière
audience officielle demandée par un ambassadeur auprès d’un chef d’État
avant de quitter ses fonctions. Les sèmes de départ et de mouvement sont
donc toujours présents.

Connoissance
Origine : dérivé du v. conoistre, du latin cognoscere, « chercher à savoir »,
« apprendre à connaître », « apprendre », « étudier ».
Ancien français : attesté dès le XIe s., le subs. fém. signifie (1) « acte de
connaître », « connaissance », « savoir » ; (2) « ce qui sert à reconnaître » et,
par extension, ce qui sert à faire connaître ou savoir au peuple, d’où le sens de
(3) « ordonnance, édit ».
Paradigme morphologique : le v. conoistre ou cognoistre (XIe s.) a pour
sens en AF « reconnaître », « avouer », « confesser », « déclarer ». Un
cognoissant (XIIe s.) est une « personne que l’on connaît bien », alors que
desconoissance (XIIe s.) a pour sens « ignorance » et « ingratitude ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer la forme substantive
savoir (attestée dès 842 dans les Serments de Strasbourg sous la forme
savir), « fait de savoir, connaissance » puis, à partir du Xe s., « sagesse »,
ou le subs. sagece (voir sage°). Dans le sens 2, voir enseigne°. Enfin, au
sens 3, ordenance signifie, à partir du XIIIe s., « volonté, décision émanant
d’un supérieur hiérarchique » ; esdit, « ordonnance », n’est attesté qu’à
partir du XIVe s. seulement ; on peut renvoyer cependant à ban° ou cri (voir
crier°).
Évolution : en MF, le mot cognoissance développe quelques sens
supplémentaires, notamment ceux de « fréquentation », « expérience », «
habileté » et enfin « relation sexuelle ». En FM, il signifie « fait de
connaître une chose, de savoir qu’elle existe » et « idée exacte d’une
réalité, de sa situation, de son sens, de ses caractères et de son
fonctionnement ». Il entre dans de nombreuses locutions de sens variés ;
ex. : perdre connaissance (c’est-à-dire « perdre la conscience de sa propre
existence et de ses facultés »), avoir des connaissances en un domaine
technique particulier, faire la connaissance de qqn., etc.

Conreer
Origine : le v. est d’origine germanique, latinisé en latin populaire en
*conredare, « prendre soin ».
Ancien français : très employé en AF dès le XIe s., conreer prend les sens
de « préparer », « arranger », « mettre en ordre, mettre qqch. en bon état »,
d’où les acceptions d’« approvisionner », « armer, mettre en armes » dans
le vocabulaire guerrier, et enfin, par effet de généralisation, « parer » ou «
vêtir ». Dans les domaines techniques, le v. a également signifié « traiter
une matière », notamment le cuir (sens encore largement présent en MF).
Paradigme morphologique : notons avant tout le subs. masc. conroi (XIIe
s.) qui signifie principalement « ordre », « disposition », « soins » et entre
dans des locutions comme prendre conroi de, « prendre soin de qqn. ». On
notera également desroi (XIIe s.), « désordre », « ravage », « désarroi », «
trouble », et le v. desreer, « mettre en désordre », « sortir du droit
chemin », « déshonorer son rang » et étymologiquement « sortir du
sentier ».
Paradigme sémantique : le paradigme relevant des notions de préparation,
de disposition ou de mise en ordre – éventuellement d’ornement – est
particulièrement riche en AF et comporte des v. très usuels comme
adouber°, afaitier°, appareillier°, aprester (Xe s.), (a)rangier (XIIe s., dérivé
de rang), d’abord dans le sens de « disposer en rang », atorner (voir
torner°), garnir° et enfin ordener (XIIe s., du latin ordinare) dans le sens de
« mettre en ordre, régler ». À ces termes on peut ajouter acesmer (XIIe s.,
origine obscure), aorner (XIIe s., du latin adornare) et parer (Xe s., du latin
parare), qui signifient à la fois « parer, orner » et « préparer, équiper ».
Évolution : le v. est encore employé en MF sous la forme conroyer avec les
mêmes sens que l’AF mais disparaît ensuite, remplacé par certains de ses
concurrents, qui ne manquent pas, comme en témoigne le paradigme
sémantique. Le v. corroyer subsiste néanmoins comme vocable technique,
notamment dans le domaine de la tannerie.

Conseil
Origine : du latin consilium, « délibération », « avis », « décision ».
L’étymon possède les sèmes de la consultation et de la délibération. Il
désigne également, par métonymie, l’endroit où se déroulent ces réunions
où l’on délibère. Il prend ainsi, dès la période latine, les sens d’«
assemblée délibérante » et par extension, de « sagesse ».
Ancien français : le subs. conseil (Xe s.) possède de nombreux emplois, pour
beaucoup dérivés du latin et étendus à l’univers médiéval. Ainsi on le
trouve dans les sens de (1) « délibération » voire « décision », d’où les
expressions tenir conseil, avoir conseil, etc. À partir de ce premier sens
dérive celui de (2) « secret », notamment dans l’expression a conseil, « en
secret », puis de (3) « sagesse », dans l’expression par grant conseil, «
après mûre réflexion », ou « avis, conseil que l’on donne à qqn. » ; enfin, le
subs. désigne une (4) « assemblée qui délibère », notamment celle du roi,
dans l’expression le conseil le roi.
Paradigme morphologique : en AF, le v. conseillier prend le sens courant
de « venir en aide à qqn., secourir » mais possède aussi les autres sens
issus du subs., tels que « conseiller qqn. », « donner un avis », «
délibérer », « décider », tout autant que « parler à voix basse » ou « en
secret » (sens 2 du subs.) ; enfin, sous la forme pronominale soi conseiller,
il signifie « réfléchir ». Son antonyme desconseillier, « dissuader », est
également attesté en AF, et surtout son participe passé desconseillé, «
privé d’aide », « abandonné » voire « affligé ». Enfin, le subs. conseiller
désigne la personne qui donne des conseils.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer plait° ; dans le sens
2, secré (subs. dérivé de l’adj. secré, « secret, caché ») ; dans le sens 3,
avis (voir aviser°) ou los° ; dans le sens 4, convent (voir convenir°),
parlement (voir parler°) ou de nouveau plait°.
Évolution : le sens 3 de l’AF est particulièrement bien représenté en FM
(demander ou donner un conseil à qqn., porter conseil, etc.) ; dans ce cas
conseil veut dire en général « avis donné à qqn. pour l’aider à diriger sa
conduite ». Il en va de même pour le sens 4, très usité en FM, « assemblée
ou séance tenue par les membres d’un conseil » ; ex. : conseil de l’Europe,
conseil d’administration, conseil des ministres, conseil de classe, etc. Il
peut laisser la place au subs. conseiller, sauf dans le domaine juridique qui
demeure conservateur : un conseiller financier, mais un conseil juridique.
Le verbe conseiller quant à lui ne conserve que le sens de « donner un
avis » et son antonyme déconseiller, celui de « dissuader ».

Conter
Origine : du latin computare, « calculer, compter ». Les sens du v. en latin
tardif se sont beaucoup développés : à partir de « compter », il a signifié «
estimer qqch. », puis « considérer » et enfin « avoir l’intention de ».
Ancien français : attesté depuis le XIe s. en français, le v. possède d’abord le
sens étymologique de (1) « calculer, compter », et de là « escompter,
supposer ». Mais il prend aussi le sens de (2) « conter, raconter » voire «
réciter », acception qu’il faut peut-être rattacher à l’idée d’énumération
d’un ensemble d’éléments (paroles, événements). En tout cas ces deux
sens ne supposent pas l’existence de deux v. différents et on rencontre
indistinctement en AF et surtout en MF les deux graphies compter et
conter.
Paradigme morphologique : le conte (ou compte en MF), subs. du XIe s.,
signifie « calcul » et « récit », de même que le conteor (XIIe s.) est à la fois
le « trésorier » et le « conteur ». Une partie du paradigme conserve la
graphie compt dans le domaine des finances : comptable (XIIIe s.), « qui
peut être compté », et l’adverbe comptant (XIIIe s.), « en payant le compte
dans son intégralité ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, calculer date seulement du XIVe s.
; dans le sens 2, voir deviser° (qui a connu un cheminement sémantique
comparable) et parler°.
Évolution : le MF continue de confondre les deux graphies du v. qui par
ailleurs étend ses emplois. Seul, il signifie « énumérer » mais en
construction syntaxique figée, il prend des sens divers ; ainsi compter qqch.
le sien signifie « considérer une chose comme sienne », compter avec qqn.
« avoir affaire à qqn. », etc. La graphie compter endosse peu à peu les
emplois qui relèvent du sens 1 médiéval. Le v. signifie aujourd’hui «
dénombrer », « faire le compte » mais les sens dérivés du MF sont toujours
présents ; ex. : je compte bien m’amuser (« être décidé à »), il va falloir
compter avec la chance, comptez sur moi, tout bien compté (« tout bien
examiné »), etc. La graphie conter quant à elle conserve les emplois du
sens 2 avec la valeur actuelle de « faire le récit de » et est ainsi confondue
avec son dérivé plus fréquent raconter, qui date du XIIe s. Notons aussi
l’expression conter fleurettes, c’est-à-dire « tenir des propos galants ».

Convenir
Origine : le v. est issu du latin convenire, « venir ensemble », à partir de
cum et venire. Dès la période latine, il prend aussi le sens de « s’accorder
sur qqch. ».
Ancien français : attesté dès le XIe s., le v. convenir (ou covenir / couvenir),
conformément à son étymologie, signifie d’abord (1) « se réunir, se
rassembler », d’où parfois le sens de « parlementer » voire « décider » et
« faire qqch. selon son désir » ; puis (2) « convenir de, falloir », en
tournure impersonnelle.
Paradigme morphologique : le subs. convent / covent (XIIe s.) a le sens de «
réunion, assemblée », « promesse » et « convention, accord », et de son
côté le subs. couvenant (ou covenant), daté du XIIe s., signifie « accord », «
promesse », « parole » mais aussi « désir ». Le convenancier (XIIIe s.) est «
celui qui conclut un accord », à ne pas confondre avec la forme verbale
homographe convenancier (XIIe s.), « promettre » ou « sceller un accord ».
Notons enfin l’adj. convenable (XIIe s.), « convenable », « qui est facile ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer les v. assembler (XIe
s.) ou conseillier (voir conseil°) ; dans le sens 2, voir estovoir°.
Évolution : le v. convenir conserve aujourd’hui des acceptions assez proches
de celles qu’il avait prises au MA, à l’exception du sème concret de
rassemblement, disparu en FM. Son acception la plus fréquente est sans
doute « agréer » (ex. : ça me convient). Mais il en possède d’autres. Ainsi, le
v. signifie aussi « être en harmonie » ; ex. : cette robe convient à votre style.
La construction convenir de est également usuelle en FM avec le sens de «
s’accorder sur » ; ex. : convenons d’une date. Enfin, la tournure
impersonnelle est toujours employée au sens de « falloir » ; ex. : il convient
désormais de faire le point.

Cors
Origine : du subs. neutre latin corpus, « corps », « chair du corps », «
individu », « cadavre ».
Ancien français : le subs. est attesté au masc. dès le Xe s. sous la graphie
cors ou corps, avec le sens de (1) « corps » par opposition à l’âme. Très
vite, il va développer d’autres sens, comme (2) « vie » ou (3) « personne
humaine ». Enfin, d’une manière générale, le mot a en AF une valeur de
pronom personnel d’insistance et vaut pour (4) « quelqu’un », « un
individu », surtout s’il est accompagné d’un déterminant possessif : mon
cors (« moi »), son cors (« lui »), etc.
Paradigme morphologique : notons corsage (XIIe s.), « buste », « tronc »,
corselet (XIIe s.), « petit corps » et « vêtement de dessus ». L’adj. corporien
(XIIe s.) signifie « corporel » et le v. corporer (XIIIe s.) « donner un corps à
qqch. ». Depuis le XIIe s. on désigne par corsaint « l’Eucharistie » ou, au
plu., des « reliques ».
Paradigme sémantique : notons le mot vie, mais surtout char°, chose°,
persone° et rien°.
Évolution : depuis l’AF, le subs. entre dans de très nombreuses locutions et
expressions : corps de logis, « bâtiment pour les logements », corps de
garde, garde du corps, etc. En FM, le mot corps signifie principalement «
toute substance organique ou inorganique » ; ex. : un corps céleste, un
corps étranger. Il a pour autre sens « partie importante d’une chose » ; ex.
: le corps de mon discours. Synonyme de « cadavre », il peut aussi prendre
le sens de « groupe » ou « corporation », comme dans esprit de corps,
corps d’armée, etc.

Cort / Cortois
Origine : le subs. cort est issu du latin tardif curtem, lui-même issu de
l’accusatif cohortem, subs. dérivé de hortus, « jardin ». En latin, ce mot
possède trois emplois principaux : (1) « enclos rural » (d’où en FM
horticulture, horticole) ; dans le vocabulaire militaire, (2) « enclos
militaire », c’est-à-dire une division du camp mais aussi le groupe de
personnes ayant quelque fonction d’autorité dans le camp (d’où cohorte en
FM, doublet étymologique de cour) ; le mot désigne enfin, par extension,
(3) tout groupe de hauts personnages entourant les seigneurs romains, des
« conseillers », une « garde rapprochée », etc. L’adj. cortois est dérivé de
cort par suffixation en - ois (ce suffixe marque généralement
l’appartenance à un groupe, une entité : françois, anglois, gallois, etc.).
Ancien français : des trois sens latins du subs., l’AF retient avant tout les
sens 1 et 3. Il désigne principalement une « cour de ferme », un « espace
ouvert entouré de murs » et plus généralement, un « domaine rural ». Par la
suite, il acquiert le sens d’« espace fortifié », « place forte » et s’applique
donc, en particulier, à la demeure d’un seigneur. Ce dernier sens s’entend
particulièrement bien avec l’acception 3, « entourage du seigneur ». Ainsi le
terme désigne très rapidement à la fois la résidence et l’entourage d’un
seigneur, du souverain. L’appellation la cort le roi représente alors l’instance
judiciaire indépendante mais aussi l’ensemble des magistrats y siégeant ; la
cort pleniere n’est autre que l’ensemble des vassaux du souverain
convoqués pour prendre des grandes décisions que le roi, seul, ne peut
prendre ; le service de cort est l’obligation qu’ont les vassaux à assister le roi
dans la conduite de la justice ; enfin, tenir cort est l’acte de réunir les grands
barons du royaume.
L’adj. quant à lui possède trois sens principaux en AF : (1) « qui vit à la
cour du roi ou d’un seigneur » ; en contexte guerrier, (2) « qui possède un
comportement valeureux » (synonyme de preu° ou vaillant°) ; dans le
contexte de la vie sociale, des relations amoureuses, etc. l’adj. finit par
prendre à partir du XIIe s. le sens de (3) « qui possède toutes les qualités
morales, physiques et sociales de l’homme de cour », c’est-à-dire du
chevalier°.
Paradigme morphologique : cort a produit le subs. cortil, « petit enclos »,
et le v. cortoier, « vivre à la cour », « séjourner à la cour du roi » ; cortois,
le subs. cortoisie, surtout associé à la notion de mesure, d’élégance morale
et de politesse. Plus tardivement, courtisan et courtisane, empruntés à
l’italien, endossent des traits péjoratifs à forte connotation dépréciative : «
personne de l’entourage mondain du roi » pour le premier et « femme
dépravée, de mœurs légères » pour le second.
Paradigme sémantique : pour cort, on peut renvoyer notamment à
chastel°, à conseil° dans le sens d’« assemblée », à chevalier°, baron /
comte° ou privé° pour les personnages constituant l’entourage d’un
seigneur ; pour cortois, voir le paradigme de bel°.
Évolution : la graphie cour s’impose à la faveur de l’influence assimilante
(non étymologique) du latin curia (« lieu des assemblées romaines ») sur
le mot cort. Mais en FM, le court (de tennis, de squash, le terme désignant
un lieu circonscrit par emprunt récent à l’anglais) a bien conservé le t final
de la forme médiévale. Le subs. possède deux sens principaux en FM : (1)
« espace ouvert entouré de bâtiments » ; (2) « assemblée délibérante » ; le
sens 3 de l’AF, « entourage d’un seigneur », ne subsiste que dans des
emplois ironiques, avec une série d’expressions de même type : faire sa
cour à qqn., avoir sa cour autour de soi, etc., où l’on retrouve la même
valeur dépréciative que celle contenue dans le subs. courtisan. Les mots
courtois et courtoisie, bien présents en FM, n’ont conservé que le sème de
la politesse de l’AF. Ainsi l’adj. ne subsiste plus aujourd’hui que dans un
sens réduit à « empreint de politesse raffinée », sauf à renvoyer à l’univers
médiéval.

Costume
Origine : le subs. est issu du latin consuetudinem, « habitude, coutume,
usage ».
Ancien français : le subs. (XIe s.) prend essentiellement le sens d’«
habitude, coutume », renvoyant aussi bien à un individu et à sa manière de
vivre qu’aux règles s’imposant à un ensemble de personnes, d’où le sens
spécial, appliqué aux finances, d’« impôt ». On note plusieurs locutions :
avoir de costume, « avoir l’habitude », avoir a costume, « user
habituellement de ».
Paradigme morphologique : costumage (XIIe s.) ou costumance (XIIIe s.)
signifient tous deux « habitude » ou « redevance ». L’adj. costumel (XIIe s.)
a pour sens « habituel ». Le v. costumer (XIVe s.) est plus tardif avec le sens
d’« avoir l’habitude ».
Paradigme sémantique : outre guise° ou maniere°, pour ce qui concerne
une « coutume » individuelle, on peut citer le subs. loi (XIe s., du latin
legem), notamment dans le sens de « loi » mais aussi de « coutume,
usage ». Le subs. impost, dérivé du v. imposer, est tardif (fin XIVe s.).
Évolution : en FM, coutume renvoie indistinctement à un « usage », une «
habitude individuelle » et, plus spécifiquement, à une « manière d’agir,
pratique consacrée par l’usage qui se transmet de génération en
génération » ; ex. : j’ai coutume de déjeuner en famille, respectons les
coutumes de chaque pays, etc.
Notons que le subs. costume provient du même étymon que coutume mais
est un emprunt à l’italien du XVIe s. avec le sens de « manière de marquer
les différences d’âge ou de condition » puis, au XVIIe s., « manière de se
vêtir conforme à sa condition sociale ou à son époque ».

Courroucier
Origine : le latin corrumpere, « détruire », a donné la forme *corruptiare
en bas latin, qui est à l’origine de la forme française.
Ancien français : le sens principal du v. courroucier (XIe s.) est (1) «
endommager », « maltraiter » ; mais il signifie aussi, avec une valeur
morale, (2) « affliger » et « irriter, mettre en colère », la colère étant
souvent mêlée à une violence (ou douleur) qui en est la cause.
Paradigme morphologique : le déverbal corroz (XIIe s.) veut dire aussi bien
« chagrin, douleur » que « colère » et l’adj. courouceus signifie « affligé » et
« irrité ». Notons aussi, directement issus du latin corrumpere, le v.
corompre et le subs. corruption.
Paradigme sémantique : voir en particulier ire° et ses dérivés pour ce qui
concerne la colère, et plus largement grever°.
Évolution : remplacé par colère, le subs. courroux sort de l’usage courant,
comme ire°, au XVIe s., mais demeure employé dans le vocabulaire étoffé
ou littéraire, en particulier pour évoquer la colère des éléments. Le v.
connaît un sort identique en FM.

Creanter
Origine : le v. est issu du latin tardif *credentare, de credens, participe
présent de credere, « croire ».
Ancien français : creanter (XIIe s.) possède souvent le sens de (1) «
promettre, garantir » mais aussi (2) « approuver » voire « ratifier » un
texte ou une décision. Enfin, il peut prendre le sens plus général d’«
accorder qqch. ».
Paradigme morphologique : le subs. creant ou creante date du XIIe s. et
signifie « promesse, garantie » voire « agrément, bon plaisir » ; le
creantement (XIIe s.) est une « promesse » et une « autorisation ». Voir
aussi croire°.
Paradigme sémantique : voir surtout le v. otroier°, mais on peut citer aussi
garantir (voir garant°), prometre (Xe s.), loer (voir los°) dans le sens d’«
approuver », ou encore le v. autorisier, « donner de l’autorité, certifier »
(dans son sens actuel, par affaiblissement, à partir du MF).
Évolution : encore employé en MF, notamment avec le sens supplémentaire
de « donner en gage », le v. perd ensuite ses emplois et disparaît de
l’usage.

Criembre
Origine : le v. est issu, avec des altérations diverses en latin populaire (voir
ci-dessous), du latin tremere, « trembler, être agité », d’où « trembler de
peur, être effrayé ». La forme tardive *cremere est probablement le résultat
d’un croisement en gallo-roman avec le radical celtique *crit–, « frisson »,
« tremblement ».
Ancien français : apparu au XIe s. sous la forme criembre, puis au XIIe s.
sous les autres formes (cremir, cremer, cremoir), le v. prend
principalement le sens de (1) « craindre, avoir peur de » et par conséquent
« se méfier », mais également, par extension, (2) « vénérer qqn. ou qqch. »
dont on a peur.
Paradigme morphologique : le subs. creme ou crime (XIIe s.) a pour sens «
crainte », « effroi », « terreur » et l’adj. cremu (XIIe s.) signifie avant tout «
redouté », « craint ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer esfreer° ou esmaier°
en tournure pronominale, douter°, trembler (XIIe s.) ou encore fremir° ;
dans le sens 2, voir aorer°.
Évolution : sous la forme craindre, le v. conserve ses sens en MF et en
ajoute quelques-uns, notamment celui de « respecter », dérivé du sens 2.

Crier
Origine : du latin populaire *critare pour quiritare, littéralement « appeler
les citoyens » (le v. est formé sur le nom Quirites, qui sert en latin à
désigner le « peuple romain »), d’où « invoquer » mais aussi « protester à
grands cris » et « déplorer qqch. ».
Ancien français : très employé à partir du XIe s., le v. connaît divers sens en
AF, dont (1) « informer publiquement, faire connaître par proclamation
publique » ; (2) « parler très fortement, hurler, pousser des cris » et enfin
(3) « accuser qqn. ».
Paradigme morphologique : le subs. cri (Xe s.) désigne la « réputation,
renommée » et une « annonce, proclamation », tandis que le criement, la
criee ou la crior (XIIe s.) prennent le sens de « clameur » ; le crieor (XIIe s.)
est le « crieur public » ; enfin l’adj. crieus qualifie à partir du XIIIe s.
quelqu’un de « criard ». Notons aussi le dérivé escrier, dont les sens sont
proches du v. simple.
Paradigme sémantique : de nombreux v. entrent dans ce paradigme,
associant souvent les notions de faire du bruit, de pousser des cris et de
proclamer, pour louer ou bien pour accuser. On peut citer braire (XIe s., du
latin populaire *bragere, d’origine gauloise), « pousser des cris », « faire
du bruit », parfois « chanter », à distinguer de son paronyme bruire (XIIe s.,
du latin populaire *brugere, probablement dû au croisement de rugire et
*bragere), « faire du bruit », « répandre un bruit » (notamment favorable,
d’où le sens de « renommée, réputation » voire « gloire » pour le déverbal
bruit), mais aussi « gronder », « hurler » ; clamer (XIe s., du latin clamare),
dans le sens de « crier », « appeler », « proclamer, déclarer » et enfin «
porter plainte » ou « réclamer son bon droit » ; huchier (XIIe s.,
probablement d’origine francique), « appeler à haute voix », « proclamer »
; huer / huier (XIIe s., probablement d’origine onomatopéique) « crier », «
couvrir de huées », « appeler à grands cris » ; glatir puis glapir (XIe s.,
origine probablement onomatopéique), signifie quant à lui « hurler », «
faire du tapage » et « aboyer, glapir ». Enfin, seulement dans le sens de «
proclamer », on peut renvoyer à banir (voir ban°) ou à noncier°.
Évolution : le v. est très présent en FM avec les sens de « pousser un cri »
mais aussi « élever la voix », « exprimer son mécontentement », «
produire un son aigu et discordant », « proclamer ». On note alors que
les sens médiévaux de crier ont largement survécu à ses concurrents, qui
ont connu un sort variable après le MA et, souvent, des spécialisations
ou des restrictions de sens importantes (témoins braire ou bruire), sans
toutefois sortir de l’usage, à l’exception de huchier.

Croire
Origine : du latin credere, signifiant proprement « confier en prêt » puis au
figuré « croire », « penser », « avoir confiance », le v. connaît très
rapidement des emplois dans le domaine religieux avec l’émergence du
vocabulaire chrétien pendant la période impériale et veut alors dire « avoir
la foi ».
Ancien français : le v. signifie « avoir la certitude » et en ceci se distingue
de cuidier° et de penser°. Il développe tous les sens du latin : (1) « être
certain, sûr » ; (2) « avoir une opinion », « juger » ; (3) « avoir confiance »
; (4) « croire en Dieu ». Il faut donc noter dans tous les cas la présence de
traits sémantiques relevant de la certitude et de l’assurance.
Paradigme morphologique : le paradigme est riche, avec le v. mescroire
doté d’un préfixe privatif, « croire à tort », « refuser de croire », et
mescreant, « celui qui croit à tort », « celui qui ne croit pas » et donc «
hérétique ». Le v. recroire (avec un préfixe qui marque le mouvement
contraire) signifie « renoncer », « abandonner », « se décourager » et, dans
le domaine religieux, « changer de religion » ou simplement « abandonner
sa religion » ; il a développé un adj. recreant, « renégat », « lâche », « lassé
d’aventures » (antonyme de preu° ou vaillant°). Enfin, le subs. fém. creance
désigne tout à la fois la « confiance » que l’on a en qqn. ou qqch. et celle
que l’on inspire, la « certitude », la « conviction », la « foi » et notamment,
dans le vocabulaire religieux, la « foi en Dieu ».
Paradigme sémantique : voir penser° et cuidier°, mais aussi aorer° pour
ce qui concerne la croyance en Dieu.
Évolution : croire conserve jusqu’en FM la plupart de ses valeurs de l’AF. Il
est bien représenté dans le domaine religieux. En revanche, le subs. creance
s’est spécialisé dans le domaine financier et juridique (créance, puis son
dérivé créancier), alors que dès le XIVe s. il prend la forme croyance pour
tous les autres sens de l’AF. Le paradigme recroire / recreant a disparu du
FM, sauf sous la forme du participe passé recru (de fatigue).

Croler
Origine : origine incertaine, peut-être d’un latin populaire *corrotulare, «
faire rouler » ou *crotalare, « agiter des crotales », à partir de crotalum
(instrument de musique).
Ancien français : le v. apparaît très tôt dans la langue (Xe s.) sous les
graphies croler, croller ou crouler avec les sens de (1) « agiter », «
secouer » mais aussi (2) « brandir ». Il développe alors ceux de (3) «
trembler » et conséquemment (4) « vaciller » et « faire écrouler qqch. ».
Paradigme morphologique : le subs. masc. crole (XIIIe s.) ou croille
désigne un « tremblement de terre » ou un « éboulement ». Le crolement
(XIIe s.) est un « écroulement » ou un « roulis ». L’adj. crolant (XIIe s.) a
pour sens « tremblant », « branlant ». Enfin le v. dérivé escroler (XIIe s.)
signifie « ébranler » ou « secouer ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1 on peut citer des v. comme
embronchier°, escorre / escodre (XIIe s.), avec le sens d’« agiter », «
secouer », et voir aussi movoir° ; dans le sens 2, voir bran° ; dans le sens
3, trembler (XIIe s.) ; dans le sens 4, voir le paradigme de verser°.
Évolution : le v. et son paradigme sont encore bien employés en MF. En
FM, il signifie en emploi concret « tomber en se désagrégeant » et au
figuré « s’effondrer », souvent accompagné de la préposition sous (ex. :
cet arbre croule sous le poids des fruits, je croule sous le travail), à
l’inverse de s’écrouler, qui s’emploie intransitivement.

Cuer / Corage
Origine : cuer provient du latin cor et corage en dérive par suffixation (*-
aticus). En latin le subs. cor est déjà très polysémique : il signifie «
cœur », « siège des sentiments », « intelligence », « esprit », « bon sens »,
etc.
Ancien français : cuer est attesté à partir du XIe s. et possède principalement
les sens de (1) « cœur » (c’est-à-dire l’organe) et, par métaphore, (2) «
sentiment, disposition de l’âme » en général, et en particulier « courage ».
Proche synonyme de cuer, le subs. corage (XIe s.) quant à lui a pour sens
(1) « sentiment, siège de la vie intérieure » et (2) « volonté, envie ».
Paradigme morphologique : citons l’adj. corageus (XIIe s.), « qui a du
courage » et l’adverbe corageusement (XIIIe s.), « avec courage » mais
aussi les v. descoragier (XIIe s.), « perdre tout courage », encoragier (XIIe
s.), « inciter à faire qqch. », et le curieux acorer (XIIe s.), littéralement «
arracher le cœur », d’où « tuer ».
Paradigme sémantique : voir talent°.
Évolution : le mot cœur en FM a conservé la plupart de ses acceptions,
témoins les expressions avoir du cœur, mettre du cœur à l’ouvrage, le
cœur battant, faire contre mauvaise fortune bon cœur, un homme de cœur,
etc. Les sens médiévaux de courage perdurent jusqu’au XVIIe s., avant de
se limiter à l’acception de « fermeté d’âme permettant d’affronter
bravement le danger, la souffrance » mais surtout à celle d’« ardeur », «
bravoure ».

Cuidier
Origine : le v. vient du latin cogitare (du préfixe cum et agitare), « agiter,
remuer des pensées ».
Ancien français : le v. cuidier (XIe s.) renvoie à une croyance mal fondée
liée à la subjectivité du locuteur. Il prend ainsi le sens de « supposer,
prétendre, croire à tort » et d’« imaginer ». On le rencontre volontiers au
subjonctif dans des constructions complexes à subordonnées complétives,
où les traits sémantiques du doute et de l’erreur sont nettement présents,
quoique dans une phrase à l’indicatif le v. puisse également exprimer une
certitude du locuteur de type « penser que ». De façon générale, dans le
sens d’« imaginer à tort », « croire sans fondement », cuidier s’oppose
aussi bien à croire° qu’à penser°.
Paradigme morphologique : cuidier (XIIe s.) est un subs. masc. désignant
la « croyance » ou la « présomption », alors que le cuideor (XIIe s.) n’est
autre que le « présomptueux » et « l’arrogant ». On notera aussi les dérivés
sorcuidance (XIIe s.) et outrecuidance (XIIIe s.) marquant la « confiance
excessive en soi » et, parallèlement, les adj. sorcuidant et outrecuidant
(XIIe s.), « arrogant, présomptueux », participes présents de sorcuidier et
outrecuidier (XIIe s.), « être présomptueux ».
Paradigme sémantique : voir croire° et penser°.
Évolution : le terme vieillit assez rapidement pendant la période du MF et
disparaît presque complètement en français préclassique. On le trouve
dans des textes archaïsants jusqu’au XIXe s. avec le sens de « croire » voire
de « chercher ». À la fin du MA apparaît le doublet savant cogiter, «
mélanger ses pensées », « réfléchir avec attention » voire « réfléchir
beaucoup sans grande efficacité », qui subsiste aujourd’hui en FM, tout
comme outrecuidant et outrecuidance, où l’on retrouve le sème de
l’erreur dans le jugement, mais appliqué à soi-même.

Culpe
Origine : subs. fém. issu du latin culpam qui signifie « faute », «
culpabilité » voire « écart passionnel », particulièrement à partir de la
période du latin chrétien.
Ancien français : attesté à partir du XIIe s. sous les graphies colpe, cope ou
culpe, le subs. prend principalement le sens de « souillure du péché », d’où
« péché », et par généralisation « faute ». Le vocabulaire chrétien a
beaucoup influencé l’emploi de ce mot : rendre sa culpe signifie « avouer
sa faute ».
Paradigme morphologique : l’adj. culpable (XIIe s.), « blâmable », « qui
peut être accusé » et le v. culper (XIIIe s.), « commettre une faute » mais
aussi « accuser qqn. », forment le paradigme morphologique de culpe, qui
connaîtra d’autres développements plus tardifs (par exemple, disculper
date du XVIe s.).
Paradigme sémantique : voir pechié°.
Évolution : le mot est vieilli en FM et signifie toujours « faute », « péché ».
On le rencontre dans l’expression figée battre sa coulpe qui a pour sens «
se frapper la poitrine en prononçant un mea culpa » ou, par extension, «
avouer sa culpabilité », « montrer ostensiblement son repentir ». En
revanche, son paradigme morphologique reste vivant en FM ; ex. :
coupable, culpabilité, culpabiliser, etc.

Cure / Soing
Origine : le premier terme vient du latin curam, « soin, souci, sollicitude » ;
le second du francique *sunni, « soin, souci ».
Ancien français : attestés tous deux au XIe s., les subs. cure et soing
(parfois soigne) partagent le sens de « soin, souci », mais le premier
prend en outre celui de « charge », et en particulier de « charge
ecclésiastique », et de « soin médical, cure ».
Paradigme morphologique : outre le paradigme de besoing (même base
francique), notons l’adj. soigneus, « soucieux » et le v. soignier, «
s’occuper de, se soucier de » ; de même, à cure correspond le v. curer, « se
soucier de » mais aussi « soigner, guérir » et « nettoyer » (ce dernier sens
étant le seul conservé aujourd’hui, avec plus précisément l’idée de «
nettoyer en grattant, en raclant »).
Paradigme sémantique : on peut citer le subs. souci, d’apparition plus
récente (XIIIe s.), déverbal de soucier (du latin populaire *sollicitare, avec
le second i long).
Évolution : dans le sens de « soin, souci », soin s’est bien maintenu jusqu’à
aujourd’hui, avec quelques variations de détail, à la différence de cure,
peut-être concurrencé par souci, qui a seulement conservé ce sens dans
l’expression vieillie ou plaisante ne pas avoir cure de. Cependant cure
conserve ses autres acceptions acquises en AF, notamment dans le
domaine médical, où il est rejoint par soin, probablement sous l’influence
du v. soignier, spécialisé à partir du XVIIe s. dans le sens concret de «
s’occuper de rétablir la santé de qqn. » (remplaçant saner et supplantant
panser), même s’il conserve en partie ses valeurs étymologiques dans ses
acceptions abstraites (ex. : soigner un travail).
D

Dam / Damage
Origine : dam provient du latin damnum, « dommage », « tort », «
détriment », « préjudice », et damage est son dérivé par suffixation.
Ancien français : dès le IXe s., le subs. dam conserve les acceptions
principales latines et signifie « dommage, perte », « tort, préjudice » et
parfois « tourment ». De même damage (XIe s.) prend essentiellement le
sens de « grande perte » aussi bien physique que morale. On le trouve
dans de nombreuses expressions, accompagné d’adj. qui expriment le
degré de la perte subie ; ex. : si grant damage, outrageus damage.
Paradigme morphologique : notons le v. damagier (XIIe s.) qui signifie «
causer du tort », « ruiner » et « endommager » et l’adj. damageus, attesté à
partir du XIIe s., qui a pour sens « dommageable » et « endommagé ».
Paradigme sémantique : on peut renvoyer globalement au paradigme de
dolor°, ainsi qu’aux subs. outrage° et tort (voir droit°) pour exprimer
spécifiquement la notion de préjudice moral.
Évolution : les emplois de dam, subs. fréquent en MF, deviennent plus
rares à partir du XVIe s. et le mot reste inusité à partir du XVIIe s. Le subs. est
désormais vieilli et conserve alors le sens de « préjudice », « faute ». Seule
la locution au grand dam de est encore employée en FM. Démotivé
également depuis le XVIIe s., dommage entre dans des locutions de type
c’est dommage, il est dommage que. Cependant le sens médiéval est
conservé dans la langue juridique, particulièrement au plu. ; ex. : les
dommages subis par les victimes de l’ouragan. Il signifie alors toujours «
préjudice » en FM. Le paradigme morphologique actuel est intéressant :
les dérivés conservent tous le sème de la perte, tels endommagé,
dommageable, dédommagement, etc., surtout s’il s’agit d’une perte
physique (accident, dégâts matériels).

Dame
Origine : le subs. est issu du latin dominam, « maîtresse de la maison », «
épouse du dominus ».
Ancien français : dès le XIe s., le mot désigne dans l’univers médiéval une
(1) « femme de haute naissance » généralement mariée, d’un certain rang
dans la noblesse. Elle est la femme du seignor°. Le terme s’oppose ainsi à
damoisele°. On lui doit hommage. Il signifie aussi (2) « toute femme
appartenant à la noblesse » sans distinction de rang ni de statut marital. Il
signifie plus généralement (3) « la femme aimée », particulièrement dans
la littérature courtoise (cf. les Cent ballades d’amant et de dame de
Christine de Pizan), mais aussi « toute femme exerçant du pouvoir sur
qqn. ou qqch. ». Dans les textes religieux, le subs. est employé pour
s’adresser à la Vierge Marie, Nostre Dame. Enfin, n’oublions pas que
madame date du XIIIe s. et fonctionne avant tout comme un terme d’adresse
puis de respect envers une personne de rang social supérieur.
Paradigme morphologique : à partir du XIIIe s., le v. damer signifie «
proclamer dame, souveraine » en parlant de la Vierge. À partir du XVIe s.,
ce v. prend le sens d’« avoir avantage sur ». On le trouve notamment chez
Rabelais dans cette acception. Le terme s’utilise encore aujourd’hui dans
l’expression damer le pion à qqn., « prendre l’avantage sur qqn. ».
Sur le paradigme étymologique domina / dominus, voir l’entrée
damoisele° ; mais on notera également dant (ou dam / dame), du latin
dominum, « maître de maison ». Ce subs. peut se trouver dans le sens
général de « maître, seigneur » mais est surtout employé comme titre
honorifique placé devant le nom propre d’une personne que l’on souhaite
distinguer. La graphie dant n’est plus attestée après le MA : à partir du XIVe
s., la forme est sans doute confondue avec l’italien et le portugais dom, de
sens proche et d’étymologie identique.
Paradigme sémantique : le subs. dame entre dans le paradigme de la
dénomination de la femme en AF, dont l’hyperonyme est fame° ; on
retrouve le sème de noblesse dans damoisele° et celui d’autorité dans
maistresse (voir maistre°).
Évolution : les emplois du subs. sont nombreux après le MA. La perte du
système féodal et l’essor d’autres classes (notamment la bourgeoisie)
favorisent la généralisation du terme en français avec le sens de « femme
d’un certain rang ». On retrouve d’ailleurs cette idée en FM dans des
expressions comme une grande dame de la chanson, jouer / faire la
grande dame. Le mot signifie en FM « personne adulte de sexe féminin »
ainsi que « personne exerçant une profession d’un certain rang ou dans des
maisons d’un certain rang » ; ex. : dame d’honneur, dame de compagnie,
etc. Nanti du préfixe ma- (par effet de grammaticalisation du déterminant
possessif et agglutination), madame renvoie volontiers à une « femme
mariée » (par opposition à demoiselle) ou à une « femme d’un certain
âge ».

Damoisel
Origine : le subs. masc. provient du latin populaire *dominicellum,
diminutif de dominus (« maître de maison »), et son équivalent fém. de
*dominicellam, diminutif de domina.
Ancien français : le fém. apparaît très tôt dans la langue (attesté depuis le
IXe s.) avec le sens de « jeune fille noble ». Tout au long du MA, le mot
possède ces trois sèmes : noblesse, jeunesse et célibat. Ce dernier trait
n’est toutefois pas systématique car beaucoup de textes du XIIIe s.
emploient le terme pour désigner de jeunes femmes mariées (et souvent de
petite noblesse). Plus généralement, damoisele s’oppose à dame° (femme
noble mariée) et à pucele° (aucune indication de statut social). Le masc.
damoisel est le gentilhomme noble non encore fait chevalier. Il est alors
synonyme de vaslet° ou bacheler° mais il prend surtout le sens plus large
de « jeune homme noble » (chevalier ou non). Il s’oppose ainsi à jovencel°
ou garçon°, qui désignent de jeunes hommes non nobles.
Paradigme morphologique : voir dame°.
Paradigme sémantique : pour damoisel, voir les termes dénotant la
jeunesse chez l’homme, tels bacheler°, garçon°, jovencel° et vaslet° ; voir
de même pour damoisele les subs. jovencele°, pucele°, et plus largement
fame°.
Évolution : le fém. a bien survécu au temps puisque le terme s’est répandu
à la bourgeoisie, puis à l’ensemble de la population, pour désigner une «
jeune femme » sans distinction sociale. Par ailleurs, l’opposition entre
dame (« femme mariée ») et demoiselle (« femme célibataire, jeune ou
non ») reste opératoire en FM. Le dérivé mademoiselle (XVIe s.) est
employé comme terme d’adresse. Le masc. désigne à partir du MF tout «
jeune noble accompagnant un seigneur en promenade, en voyage ou à la
chasse » et, à partir du XVIe s., toute « personne s’empressant avec zèle
d’aider son seigneur », puis « personne affectant de la recherche dans son
comportement ou sa façon de se vêtir ». C’est sans doute ce trait de
caractère, qui évoque une galanterie efféminée, qui fait du subs. masc.
damoiseau, archaïque en FM et souvent employé avec une certaine ironie,
un terme historique d’une part et une appellation péjorative
sémantiquement proche du terme galant de l’autre.

Dangier
Origine : le subs. provient du latin populaire *dominiarium, issu du latin
dominium, « propriété », « droit de propriété », « souveraineté ».
Ancien français : le mot entre dans la langue au XIIe s. avec les sens de (1)
« pouvoir, puissance », « autorité, domination » voire « libre arbitre,
caprice ». De ces acceptions, où l’on retrouve le sème de l’autorité ou du
bon plaisir, découlent d’autres significations tout aussi fréquentes en AF
mais souvent connotées, notamment (2) « captivité », « prison » et (3) «
refus », « résistance ». Plusieurs expressions sont attestées en AF : demener
dangier, « imposer sa volonté », a dangier, « à volonté », avoir dangier de,
« être maître de », estre en dangier, « être à la merci de qqn. », etc.
Paradigme morphologique : le v. dangerer (XIIe s.) signifie « exercer une
autorité sur qqn. », « dominer » mais aussi « craindre ». L’adj. dangereus
(XIIIe s.) signifie quant à lui « difficile », « sévère » voire « faible » dans
certains textes, sans doute à partir du sens « craindre » du v. dangerer. Il
signifie ensuite (à partir du XVe s.) « qui constitue ou présente quelque
danger », « périlleux ».
Paradigme sémantique : au sens 1, voir les termes poesté ou pooir,
maistrie (voir maistre°), seignorie (voir seignor°), ou merci° ; dans le sens
2, voir prison° ; dans le sens 3, escondit ou refus (voir escondire°).
Évolution : le MF connaît encore toutes les acceptions énumérées ci-dessus.
En revanche, le français préclassique et surtout classique voient se
développer les emplois de péril, subs. qui date pourtant du Xe s. mais
d’emploi plus restreint en AF (du latin, periculum, « essai », « épreuve ») :
on le trouve surtout dans des expressions lexicalisées comme a son peril, «
à ses risques et périls », a peril de, « au risque de », etc. Parallèlement
dangier, très polysémique en AF, réduit son sémantisme à « situation où
qqn. est menacé dans sa sécurité ou, le plus souvent, dans son existence » et
par conséquent, « ce qui constitue une menace pour la tranquillité ou
l’existence même de qqn. ».

Debonaire
Origine : adj. formé sur de bon aire, à partir de l’adj. bon (du latin bonum)
et du subs. aire°.
Ancien français : l’adj. apparaît dès le XIe s. avec le sens de (1) « de bonne
origine », « noble ». Il marque ainsi l’appartenance sociale d’une
personne. Il développe également le sens de (2) « doux, bon, aimable,
gentil », et parfois, dans un contexte guerrier, « valeureux, vaillant ». Dès
la période de l’AF, le sens 1 tend à disparaître au profit du sens 2, favorisé
sans doute par l’influence du subs. air (d’étymologie distincte, du latin
aer, « air ») qui, à partir du XVe s., prend le sens d’« apparence ». En MF et
surtout en français classique, l’adj. débonnaire ne veut plus dire que «
gentil, doux, agréable ».
Paradigme morphologique : le subs. fém. debonaireté (XIIe s.) signifie «
noblesse », puis « douceur ». Le v. debonairier (XIIIe s.) quant à lui prend
le sens de « pacifier » ou « rendre plus doux qqch. ». L’antonyme
deputaire (XIIe s.), formé à partir de l’adj. put°, est également usuel en AF :
il signifie « ignoble, vil » et « méprisable ».
Paradigme sémantique : au sens 1, voir franc°, gent / gentil° ou noble° ;
au sens 2, dans le sens de « gentil, aimable », voir notamment bon, gentil°
ou sage°, et, plus largement, le paradigme de bel°.
Évolution : en français classique, l’adj. ajoute à l’idée de douceur celle de
flegme et de passivité. Dès lors, son sens devient « qui se caractérise par une
grande bonté, une tendance à se montrer favorable et secourable à autrui »
mais aussi « qui est facile à vivre, qui se montre accommodant, conciliant
dans ses rapports avec autrui » et enfin « qui se montre excessivement
complaisant, par faiblesse de tempérament ou par bêtise ».

Decevoir
Origine : du latin decipere (dérivé de capere), « prendre », « surprendre »,
« attraper », « tromper ».
Ancien français : le v. decevoir (XIIe s.) conserve son acception
étymologique et signifie avant tout « tromper » et « trahir » ; mais il
possède également le sens de « prendre par surprise, surprendre », d’où
parfois le sens moderne péjoratif de « décevoir ».
Paradigme morphologique : le deceveor (XIIe s.) est le « trompeur » et
l’adj. decevable (XIIe s.) signifie « faux ». Le decevement (XIIe s.), de même
que la decevance (XIIIe s.), ne sont autres que « tromperie », « trahison » et
« erreur ». Notons que deception (XIIe s.) a pour sens en AF « action de
tromper ».
Paradigme sémantique : plusieurs v. sont à mettre en relation avec
decevoir en AF, comme engignier (voir engin°), traïr (XIe s., du latin
populaire *tradire, pour tradere, « transmettre »), tromper (XIIe s., dérivé
du subs. trompe désignant l’instrument de musique, qui signifie d’abord «
sonner, jouer de la trompe », puis en MF, probablement par un emploi
figuré peu explicable, « tromper »), ou encore les v. dérivés du paradigme
de guile°.
Évolution : au XVIe s., le v. conserve ses emplois médiévaux et développe
celui d’« induire en erreur ». Mais rapidement il perd son sens premier
médiéval au profit des verbes trahir et tromper. En revanche, il développe
largement le sens que l’on peut définir de la sorte en FM : « causer à
quelqu’un une déconvenue, un désappointement en ne répondant pas à son
attente, à ses espoirs, ou à ses illusions » ; ex. : sa réaction me déçoit
vraiment.

Degré
Origine : pour comprendre l’étymologie du subs. degré, il convient de
partir du subs. latin gradus, « pas », « position », « posture », « degré », «
marche », « échelle » et même « hiérarchie ». Ce mot a probablement
donné en latin tardif « degré de parenté » puis, en latin médiéval, « degré
universitaire ». Mais certains étymologistes donnent à ce subs. une origine
distincte de celle énoncée ci-dessus. Le terme proviendrait en AF du v.
dégrader, du latin chrétien degradare, « destituer qqn. », notamment un
prêtre, et l’« humilier », c’est-à-dire en quelque sorte le déclasser de la
hiérarchie sociale ou ecclésiastique. On voit bien ici le lien sémantique
avec la notion de classe et de mouvement ascendant / descendant, qu’il
soit concret ou abstrait.
Ancien français : quoi qu’il en soit, le mot degré apparaît au XIe s. avec les
sens étymologiques de (1) « marche d’un escalier » et par extension l’«
escalier » dans son entier. Il conserve aussi l’acception de (2) «
hiérarchie », « rang », et spécialement de « diplôme universitaire »,
suivant ainsi l’influence du latin médiéval dans la langue vernaculaire.
Paradigme morphologique : si l’on accepte la deuxième origine
étymologique, il faut alors prendre en compte le v. dégrader (XIIe s.), qui a
pour sens en AF « destituer », « humilier », « abaisser ». On notera aussi
le subs. fém. degradation (XIVe s.), « avilissement » ou « destitution ».
Paradigme sémantique : au sens 1, on peut noter les subs. eschelon (XIIe
s.), « échelon » et eschiele (XIIe s.), « échelle », « escalier », ou encore le
subs. fém. vis (XIe s.), qui signifie « escalier tournant ». Concernant le sens
2, on peut évoquer le subs. rang (voir bataille°), qui ne prend pas avant le
XVe s. le sens précis d’« importance » ou « autorité ».
Évolution : le mot degré a développé ses emplois à partir du sème
métaphorique de la division d’une échelle de mesure ou d’élément
minimal d’une hiérarchie. En physique, il signifie à partir du XVIe s. «
division d’une échelle servant à mesurer la température » et, plus
généralement, « unité de mesure ». Dans l’administration, par exemple, il
signifie « division administrative » ; ex. : établissement du premier degré,
du second degré. La notion d’échelle ascendante est toujours présente. Le
mot s’est généralisé, quel qu’en soit le domaine, avec le sens de « niveau »
; ex. : les degrés de l’échelle sociale, le degré de compréhension du
problème, le degré de confiance, de certitude, de doute, etc. Le sens 1 est
toujours présent mais vieilli et littéraire ; ex. : gravissant degré par degré
l’escalier (J. Giraudoux, Amphitryon 38). Il est concurrencé puis détrôné
depuis le XVe s. par le subs. escalier, emprunté au provençal.

Delitier
Origine : le v. provient du latin populaire *delictare, issu du latin diligere,
« choisir », « élire », « recruter », « cueillir », « mettre à part ». Mais le
latin connaissait aussi la forme delectare, « charmer », « faire plaisir », «
réjouir », qui n’est sans doute pas étrangère aux sens médiévaux du terme.
Ancien français : delitier (ou delicier) date du XIIe s. et prend les sens du v.
delectare, c’est-à-dire « charmer », « réjouir », « délecter », « faire
plaisir ».
Paradigme morphologique : le subs. delit (XIIIe s.) est le déverbal du v.
delitier et signifie « plaisir », « jouissance ». On le trouve régulièrement
dans la littérature courtoise avec le sens de « plaisir amoureux » ou «
jouissance érotique », alors que delice (XIIe s.), souvent employé au plu., a
pour sens « amusements », « soins », « attentions ». Le subs. fém.
delitacion (XIIIe s.) signifie souvent « affection ». Enfin, l’adj. delitable
(XIIe s.) qualifie ce qui est « charmant » ou « délicieux ».
Paradigme sémantique : le vocabulaire désignant le plaisir est riche en AF,
particulièrement dans la littérature courtoise. Pour ce qui est des v. on
retiendra deduire (voir duire°), deporter°, esbaldir°, esbanier (XIe s., peut-être
en lien avec ban°), dans le sens de « se divertir », plaisir° et les v. dérivés de
joie / hait / liece° ou de solaz°.
Évolution : le v. est encore bien présent en MF mais perd peu à peu ses
emplois au profit de jouir et de son composé réjouir ou encore faire
plaisir. Le subs. delit quant à lui 3n’est presque plus employé à partir du
XVIe s. et disparaît peu à peu de l’usage. Il est bien distinct de son
homonyme delit (XIIIe s.) que nous connaissons aujourd’hui et qui provient
du latin delictum, « faute ».

Demorer
Origine : le v. provient du latin populaire *demorare, pour demorari, «
tarder », « rester », « s’arrêter ». Il se construit sur la base de mora
signifiant en latin classique « retard, délai ».
Ancien français : le v. demorer est attesté dès le XIe s. avec le sens
étymologique de (1) « s’attarder, tarder ». À partir du sème de
l’immobilité, il développe très vite les sens de (2) « séjourner, rester » et
enfin « habiter ».
Paradigme morphologique : le subs. masc. demor (XIIe s.) et le fém.
demeure (XIIe s.) signifient tous deux « retard », « attente », et parfois «
séjour ». En revanche, le demorement (XIIe s.) ou la demoree (XIIIe s.), en
plus des sens précédents, veulent plutôt dire la « demeure ». Enfin, la
demorance (XIIe s.) prend plutôt le sens d’« excédent », « reste » et désigne
généralement en AF ce qui reste d’un décompte ou tout surplus.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer targier (du latin
populaire *tardicare, fréquentatif de tardare), « tarder, être en retard » ;
dans le sens 2, voir manoir°.
Évolution : le v. conserve tous ses sens médiévaux jusqu’à la période
classique, y compris celui de « tarder ». Mais à partir du XVIIe s., il restreint
volontiers ses emplois au sens 2 pour signifier essentiellement « rester
quelque part », « ne pas quitter un endroit ».

Deporter
Origine : le v. provient du latin deportare, « transporter », « emporter d’un
endroit à un autre » puis, plus tardivement, « divertir ».
Ancien français : c’est ce dernier sens latin qui prévaut en AF, le v.
deporter signifiant (1) « amuser, divertir, distraire », parfois « jouer », et
plus singulièrement « attendre » ou « supporter », sans que le lien soit
clairement établi avec les autres acceptions. C’est peut-être le sème de la
distraction (impliquant l’attente entre deux événements importants ?) qui
prévaut dans l’évolution sémantique du v. Quelques expressions sont
d’emploi courant à partir du XIIIe s. et surtout aux XIVe s. et XVe s. : se
deporter a signifie « s’en remettre à qqn. » et se deporter de, « renoncer à
qqch. », « s’abstenir de faire qqch. ».
Paradigme morphologique : notons le subs. deportement (XIIIe s.), «
plaisir », « façon de se comporter » et deportation (XVe s.), «
bannissement », « exil ». On notera que le subs. masc. deport (XIIe s.),
déverbal de deporter, signifie quant à lui « divertissement, jeu », « plaisir,
distraction » mais aussi « retard, délai » et « ménagement ».
Paradigme sémantique : voir delitier°.
Évolution : les sens de deporter relevant du divertissement ne survivent pas
au MA. À partir du XVe s., le paradigme se déploie dans le domaine de
l’exil : deporter prend déjà le sens d’« exiler » en MF. Le v. conserve
aujourd’hui le sème du mouvement et signifie « écarter qqch. de sa
trajectoire » (ex. : les vagues déportent le navire vers les rochers), mais on
retrouve aussi le sème de l’exil et du bannissement, pour les sens «
condamner qqn. à l’exil », « transporter qqn. hors de son pays », « interner
qqn. dans un camp de concentration », évolution sémantique suivie par le
dérivé déportation.
Notons pour finir que le subs. deport, sous la forme desport, est repris au
XVe s. dans la langue anglaise (disport) avec le sens de « jeu, distraction »
en lien avec l’activité corporelle et physique. Par troncation, le mot
devient sport et entre en français par emprunt au XIXe s. Il signifie alors «
activité physique à but non utilitaire ».

Destre / Senestre
Origine : l’adj. destre provient du latin dexterum, « qui est à droite », «
adroit » puis « favorable » ; de son côté senestre est issu de sinistrum, « qui
est à gauche », « maladroit », « défavorable ». On constate que dès la
période du latin classique, le couple dexter / sinister est opératoire dans
trois cas de figure : l’opposition « droite / gauche », « adroit / maladroit » et
enfin, dans l’interprétation des augures, « favorable / défavorable ».
Ancien français : l’AF reproduit cette distinction, au moins pour les deux
premières oppositions. L’adj. destre (XIe s.) signifie (1) « droit, qui est à
droite » et (2) « adroit ». L’adj. senestre a pour sens (1) « gauche, qui est à
gauche » et (2) « maladroit ». L’expression mener en destre signifie «
conduire son cheval par la main (droite) », c’est-à-dire marcher à ses côtés
en le tenant par la main.
Paradigme morphologique : notons que le subs. destre date du XIIe s. et
signifie « main droite » ou « côté droit ». L’expression en destre a pour sens
« en ligne droite ». Le v. destrer ou destroier (XIIe s.) signifie l’action de «
se tenir à droite de qqn. » et, par extension, « accompagner qqn. ». Enfin,
on note également le subs. destrier (XIe s.), qui désigne le cheval de bataille,
adroit et habile (voir cheval°).
Paradigme sémantique : voir l’adj. gauche (peut-être dérivé de
guenchir°), qui apparaît au XIIIe s. dans le sens de « maladroit » puis, à
partir du XVe s., « du côté gauche », ainsi bien sûr que l’adj. droit°.
Évolution : destre prend en MF la forme graphique dextre mais ne survit pas
longtemps à la concurrence de l’adj. droit° (XIe s.) dont l’un des sens est
précisément « qui est du côté droit ». Il conserve cependant son sens en
héraldique (on parle du côté dextre d’un blason) et en zoologie (il s’agit
alors du sens de l’enroulement des coquillages de gauche à droite ; ex. : un
coquillage dextre). En revanche, le subs. dextre, « main droite », « côté
droit », est encore employé (mais vieilli) en FM : par exemple, serrer la
dextre de qqn., « serrer la main ». Le dérivé tardif (XVIe s.) dextérité a gardé
le sème de l’habileté. De son côté, senestre prend la forme sinistre en
français préclassique et perd au profit de gauche (XVe s.) le sens de « qui est
à gauche », « maladroit ». En revanche, c’est à partir d’un des sens
étymologiques, « défavorable », qu’il acquiert celui de « malveillant » et «
funeste » à partir du XVe s. Le couple destre / senestre, dans ses emplois
médiévaux, a donc été remplacé en français par droite / gauche pendant la
période du MF.
Destroit
Origine : destroit vient de l’adj. latin districtum, « empêché, enchaîné,
lié », d’où « hésitant » ou « rigoureux », participe passé du v. distringere,
« lier d’un côté et d’un autre », construit sur l’adj. strictus, « étroit » mais
aussi « sévère, rigoureux » (d’où strict en FM, emprunté au XVIIIe s.)
Ancien français : destroit est un adj. et un subs. attesté fin XIe s. L’adj.
possède deux acceptions principales, l’une concrète, (1) « serré », «
pressé », l’autre abstraite, au sens psychologique soit de (2) « rigoureux »,
soit d’« affligé, angoissé, accablé ». Le subs. quant à lui signifie (1) « lieu
resserré, défilé étroit », puis « prison », où l’idée du resserrement est
toujours présente, et conséquemment (2) « contrainte », « angoisse », «
embarras, gêne » et « tourment ». Plusieurs expressions sont attestées en
AF : estre a destroit, « être en difficulté », en destroit de, « sous l’empire
de qqn. ou de qqch. », au destroit, « en détresse », mettre en destroit, «
contraindre », « opprimer ».
Paradigme morphologique : le v. destrecier (XIIe s.) signifie « empêcher »,
« serrer », « serrer le cœur » et « contenir », alors que l’adj. destreçable
(XIIe s.) a pour sens « angoissé », « cruel », « malheureux ». Le subs.
destrece, attesté aussi à partir du XIIe s., possède souvent le même sens que
destroit en AF.
Paradigme sémantique : voir en particulier angoisse° et angoisseus, qui
connaissent une évolution sémantique similaire et, plus largement, le
paradigme de dolor°.
Évolution : l’adj. disparaît du français et le subs. ne conserve plus que le
sens de « défilé étroit » dans le vocabulaire usuel, d’une part avec le sens
d’« espace de mer étroit entre deux terres, qui met en communication deux
étendues marines » et d’autre part avec celui de « passage étroit entre les
montagnes ». Ce dernier sens est cependant vieilli. C’est le subs. détresse
en FM qui a repris les acceptions 2 de l’AF destroit, notamment celles qui
relèvent soit de la psychologie (ex. : un sentiment de détresse) soit du péril
(ex. : un avion en détresse).
Devin
Origine : le subs. est issu du latin divinum, « devin », « diseur de bonne
aventure ».
Ancien français : le subs. a d’abord le sens de (1) « devin », puis il a pris
par extension la valeur générale de (2) « celui qui est capable de découvrir
ce qui est caché », et désigne alors toute personne détentrice de secrets
cachés. Sous l’influence du latin chrétien, le mot a aussi signifié très tôt
dans la langue (3) « théologien ».
Paradigme morphologique : le subs. divinité (XIIe s.) signifie proprement
« théologie » tout autant qu’« art de deviner » et enfin « divinité ». On
trouve aussi le v. deviner (XIIe s.) avec les sens de « raconter », « signifier »
mais aussi « induire en erreur par la parole ». Le devinement (XIIe s.) a pour
sens « divination », ainsi que la devinaille (XIIe s.). Enfin, le devineor (XIIe
s.) et la devinerece (XIIe s.) ne sont autres que celui et celle qui connaissent
les secrets de l’avenir.
Paradigme sémantique : on notera le subs. profete ou profite (Xe s., du
latin chrétien prophetam), qui signifie « devin » et « prophète » et
theologiien (XIIIe s.), « étudiant en théologie », « celui qui s’occupe de
théologie ». Voir aussi faé°.
Évolution : pendant la période médiévale sont en concurrence devin et
devineor (puis devineur) dans le sens de « celui qui prédit l’avenir ». Le
sens 3 de devin ne survit pas à l’AF. Aujourd’hui devin signifie « personne
qui, par le recours à des procédés occultes, à des pratiques magiques,
s’applique à découvrir ce qui est caché, ignoré, en particulier à prédire des
événements futurs ». En revanche, le v. deviner est très usuel en FM avec le
sens de « découvrir qqch. que l’on ne sait pas ».

Deviser
Origine : le v. provient du latin tardif *devisare, pour dividere, « diviser », «
partager ».
Ancien français : le v. est attesté depuis le XIIe s. dans ses valeurs
étymologiques de (1) « diviser, partager », d’où le sens de (2) « choisir ».
Le sens 1 évolue dès la période de l’AF en (3) « ranger, ordonner,
organiser ». Dès lors, le v., s’appliquant à diverses situations, prend des
sens différents et très usuels en AF, et particulièrement celui de (4) «
exposer », « raconter », c’est-à-dire en somme ordonner un propos ; ainsi,
en emploi intransitif, il signifie « parler, discourir » et, en emploi réflexif,
« se parler, s’entretenir ».
Paradigme morphologique : le paradigme morphologique est très dense. Le
subs. devise, déverbal de deviser, signifie notamment « partage », «
différence », « plan », « convention » mais aussi « désir », « volonté »
(probablement sous l’influence du sens 2 du v.). Il suit l’évolution de deviser
et désigne surtout en AF une « conversation », un « entretien ». Dans le
domaine juridique, il prend le sens de « plaidoirie », « audience » et enfin, de
manière générale, a le sens de « qualité », « genre ». De son côté, devis
(XIIe s.) est un subs. masc. attesté en AF avec le sens de « partage », «
division », puis « plan ». Mais il prend aussi les sens relevant du sème de la
parole : « propos », « entretien », « récit », « explication ». Il entre dans un
certain nombre de locutions très fréquentes en AF : faire devis, « faire
mention », a devis, « à foison », etc. Le subs. devisement (XIIe s.) signifie «
division », « parole », « volonté », et devision (XIIe s.), « partage », «
différence » mais aussi « manière », « type, sorte ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir partir° ; dans le sens 2, choisir°
; dans le sens 3, conreer° ; dans le sens 4, probablement le plus fréquent en
AF, parler°, dire ou conter°.
Évolution : le v. connaît encore tous les sens de l’AF en MF mais il est très
vite concurrencé par diviser ou partager au sens 1, par choisir au sens 2. Le
sens 4 « discourir », « s’entretenir », perdure jusqu’en FM. Aujourd’hui,
deviser renvoie à l’action de « discuter familièrement » et le v. est
synonyme de converser ; ex. : deviser entre amis. Le subs. devise restreint
ses emplois à son sens étymologique de « partage », « division » à partir du
XVIe s., notamment en matière financière, puis signifie en FM « tout actif
financier liquide libellé en monnaie étrangère » ; ex. : acheter des devises
avant d’aller à l’étranger. À partir du XVIe s. également, sans doute grâce
au sens 4 de « parole », il prend celui de « sentence », puis « ensemble
composé d’un emblème et d’une sentence ». C’est à cette acception que
l’on doit en FM le sens de « courte formule qui se rapporte à une figure
emblématique ».

Dolor / Duel
Origine : dolor (subs. fém.) et duel (subs. masc.) sont tous deux issus du
latin, le premier du subs. dolor, « souffrance physique ou morale » ; le
second du latin tardif *dolum, « douleur » (dérivé du v. latin dolere, «
plaindre », « éprouver de la douleur, souffrir »).
Ancien français : il s’agit de distinguer les emplois de ces subs., tous deux
très bien représentés dans la langue médiévale. Tandis que duel, avec le
sens de « douleur, chagrin », exprime uniquement une souffrance d’ordre
psychologique et moral (mener° grant duel en AF signifie « éprouver une
grande douleur »), dolor exprime une douleur aussi bien physique que
morale. Il est ainsi plus polysémique en AF. Attesté dès le Xe s., duel
signifie (1) « chagrin », « affliction », et (2) « douleur sentimentale », «
tourment ». En revanche, dolor, dont les premières attestations datent du XIe
s., a pour sens (1) « douleur physique causée par une blessure » mais aussi
(2) « douleur morale ». Dans ce dernier sens le subs. est alors synonyme de
duel, à cette nuance près peut-être qu’il exprime une douleur moins vive.
Paradigme morphologique : le v. doloir (de dolere) est lui aussi très ancien
(Xe s.) et signifie en AF « souffrir » physiquement ou moralement. Le
participe présent adjectivé dolent (de dolentem, « souffrant ») apparaît au XIe
s. avec le sens d’« affligé », « blessé », « désolé » mais conserve toujours le
sème moral et non physique. L’adj. doloreus (XIIe s.) possède quant à lui les
deux sens de « malheureux » et « qui souffre physiquement ». On trouve en
AF la tournure estre douloureus, « souffrir ».
Paradigme sémantique : ces deux termes appartiennent au champ
sémantico-lexical de la douleur physique ou morale, particulièrement riche
en AF. On trouve ainsi, plutôt pour le domaine physique, dam / damage°,
peine°, torment, travail (voir travaillier°), etc. ; dans le champ
psychologique et moral, angoisse°, corroz° (voir courroucier°), desconfort
(voir desconforter°), enui (voir enuier°), ire°, mal°, pesance (voir peser°),
tristece, etc.
Évolution : duel et dolor sont extrêmement fréquents en AF. Le subs. duel
a parfois pris le sens d’« affliction causée par la mort de qqn. » et c’est ce
sens qui perdure jusqu’en FM, particulièrement après la réfection
graphique (XVIe s.) du terme en deuil. Il désigne alors aussi bien la «
douleur » que le « temps pendant lequel on marque ostensiblement cette
affliction » et la « situation consécutive à cette perte » ; ex. : être en deuil,
porter le deuil, prendre le deuil, etc. Par extension, l’expression faire le
deuil de qqch. signifie « renoncer à ». En revanche douleur conserve les
mêmes sens qu’en AF. Notons que le v. doloir n’est plus employé au XVIIe
s., remplacé dans ses emplois par le v. souffrir (de sofrir°), dont le sens
principal en AF était surtout « supporter, endurer ».

Douter
Origine : le v. provient du latin dubitare, « balancer entre deux choses », «
être indécis », « douter », « hésiter ».
Ancien français : le v. apparaît en français au XIe s. avec le sens
étymologique de (1) « hésiter ». Dans ce sens, l’expression employant le
participe présent estre doutant signifie « douter », « être hésitant à faire
qqch. ». Du sentiment de doute à celui de la crainte, il n’y a qu’un pas
(l’hésitation est perçue comme une marque de faiblesse, trahissant sans
doute, au MA, la peur) et le v. prend très tôt dans la langue, probablement
dès le XIe s., le sens de (2) « craindre », « avoir peur ». C’est le sens
principal qu’acquiert le v. en AF. On le rencontre particulièrement en
construction indirecte : doter de signifie ainsi « hésiter à » ou «
appréhender de, craindre de ».
Paradigme morphologique : tout le paradigme suit la même évolution. On
trouve dans la Chanson de Roland le subs. fém. doutance, qui endosse les
sèmes du doute et de la crainte pour signifier « hésitation, doute, soupçon »,
« crainte, peur ». En AF, le subs. doute (ou dote) est fém. et date du XIe s. Il
est synonyme de doutance. On le rencontre dans des expressions comme
faire doute, « avoir peur » ou « hésiter ». Le v. redoter (XIIe s.) est un dérivé
de doter avec un sens intensif. Enfin, doutif et douteus, tous deux adj.
datant du XIIe s., signifient « craintif, peureux » mais aussi, par un effet de
renversement, « redoutable ». Ils ne qualifient plus alors celui (ou celle) qui
subit l’action mais celui (ou celle) qui la fait. Plus tardivement (XIVe s.), ils
prennent le sens d’« incertain ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut renvoyer à feindre°
(hésiter apparaît seulement au XVe s., avec le sens de « être dans un état
d’incertitude ») ; dans le sens 2, voir le v. criembre°.
Évolution : à la fin du MF, tous les dérivés de douter et le v. lui-même
perdent au profit de redouter (et ses composés) le sème de la crainte mais
conservent celui de l’hésitation. Deux paradigmes s’opposent : douter et
ses composés gardent le sens 1 médiéval (douter, doute, douteux), alors
que redouter et ses dérivés ne retiennent que le sens 2 (redouter,
redoutable, redoutablement). En FM, le v. douter connaît plusieurs
acceptions relevant du sème de l’hésitation : douter en religion signifie «
ne pas adhérer à la foi », en philosophie, « mettre en doute ce qui est
soumis à l’intelligence », etc. Le sens commun reste « être dans le doute
sur l’existence de qqch., la valeur ou la vérité d’une affirmation ».
D’autres dérivés sont construits à partir de la racine étymologique :
pensons à dubitatif (XIVe s.), qui signifiait en premier lieu « douteux », «
sujet à caution », puis « qui exprime le doute », sens que nous lui
connaissons en FM. Son dérivé dubitativement date du XIXe s.

Drap
Origine : le terme est d’origine gauloise ; latinisé pendant la période tardive
en *drappum, il désignait un « morceau d’étoffe ».
Ancien français : le subs. masc. entre dans la langue au XIe s. avec le sens
étymologique de (1) « morceau d’étoffe » puis, par effet métonymique, (2)
« étoffe » en général. En AF, il prend également le sens de (3) « vêtement,
habit ». L’acception (4) « drap de lit » date du XIIe s. mais est concurrencée
par linçol (XIIe s.), qui se charge le plus souvent de ce sens en AF.
Paradigme morphologique : le subs. draperie (XIIe s.) signifie « tissu », «
étoffe de drap » et le v. draper (XIIIe s.), « fabriquer le drap ou les étoffes ».
Le drapier (XIIIe s.) est le « fabricant de drap » et le drapel (XIIe s.), un «
morceau de drap ou de linge », parfois un « vêtement ». C’est ce drapel
qui est à l’origine de la forme graphique drapeau que nous connaissons
aujourd’hui et qui n’est autre qu’un « morceau de tissu », mais à valeur
symbolique (voir gonfanon°).
Paradigme sémantique : dans le sens 2, plusieurs mots sont attestés en AF
pour désigner des tissus ou matières spécifiques, tels par exemple le samit
ou le cendal (XIIe s.), qui s’appliquent à une « étoffe de soie ». Dans le sens
général de « vêtement », on peut citer des dérivés de vestir°, comme
vestement, vesteüre, ou bien robe°, et encore des termes désignant
spécifiquement certains types de vêtements, comme le bliaut, sorte de
tunique, le chainse, « chemise », la cote, « tunique », le mantel, etc.
Évolution : le subs. drap perd son sens 3 après le MF. Il se spécialise alors
dans des emplois relevant des sens 1, 2 et surtout 4. C’est cette dernière
acception qui est courante en FM. Le mot désigne plus particulièrement
une « étoffe résistante de laine dont les fibres sont feutrées et le tissu
lainé ». Par extension, il désigne aussi une étoffe non lainée. On parle
volontiers en FM de drap de bain (serviette), drap de poche (mouchoir),
etc. Enfin, l’expression être (se trouver, mettre qqn.) dans de beaux draps
signifie « mettre qqn. ou être dans une situation embarrassante qui peut
provoquer des désagréments ». Remarquons pour finir que le mot linceul
(linçol en AF) conserve dans certaines régions le sens de « drap de lit »
mais il est vieilli. Il signifie couramment « pièce de linge pour envelopper
un mort ».

Droit
Origine : le mot provient de l’adj. latin directum, participe passé du v.
dirigere, « mettre en ligne droite, aligner », « diriger », « disposer,
ordonner » et enfin, « régler ». L’adj. signifiait « droit », « sans courbe ».
Par extension, le mot prend pour sens « direct » et « juste ». Employé en
tant que subs., il signifie alors « justice », « ensemble des lois » en latin.
Ancien français : attesté au XIe s., le terme peut être adj., subs. ou adverbe.
En tant qu’adj., il exprime la notion de rectitude et signifie concrètement
(1) « qui est droit, qui suit la ligne droite » ; au figuré, il dénote la
rectitude intellectuelle et on le traduira par (2) « juste », « légitime » voire
« légal », mais aussi « convenable, digne de foi » ou tout simplement «
vrai ». Lorsqu’il est subs., le mot renvoie volontiers à des notions
juridiques et politiques, comme la « justice », la « règle » ou la « raison ».
L’adj. et le subs. entrent dans de nombreuses expressions ou locutions en
AF : droit ci, « ici même », dire droit, « rendre ou prononcer un
jugement », par droit que, « en conséquence légitime », en faire droit, « se
justifier », etc.
Paradigme morphologique : la droiture (XIIe s.) désigne en AF aussi bien
la « direction en ligne droite » que le « droit » et la « justice ». Les
expressions par droiture et a droiture signifient « directement », « sans
détour ». L’adj. droiturier (XIIe s.) a pour sens « direct », « droit » mais
aussi « légitime » et « naturel ». Le v. droitoier (XIIIe s.) désigne l’acte de
« rendre compte de ses actes devant le juge ». Notons enfin que l’adj.
direct, issu directement de directum, est attesté dès le XIIIe s. avec le sens
de « sans intermédiaire » mais il n’est vraiment productif qu’en MF.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir destre° ; dans le sens 2, on
peut renvoyer par exemple au mot juste (XIIe s.), qui appartient en premier
lieu au vocabulaire religieux et signifie tout d’abord « conforme à la
justice de Dieu », puis (fin XIIe s.) « conforme à la justice » et « qui agit de
façon équitable » ; voir aussi l’adj. voir° et le paradigme de raison°.
Notons en outre l’antonyme de droit, l’adj. et subs. tort (XIIe s., du latin
tortum, « tordu »), renvoyant à ce qui est « contraire au droit ». On
rencontre fréquemment cet adj. dans l’entourage lexical de droit,
particulièrement dans les expressions ne a droit ne a tort, faire tort («
nuire »), parler en tort et en travers puis, à partir du XIVe s., a tort et a
travers, etc.
Évolution : à partir de la fin du MA, l’adj. droit remplace destre° 3(devenu
dextre) dans le sens de « droit », « du côté droit », acception qui était
présente mais très peu employée en AF. Il conserve la plupart de ses sens
en FM ; ex. : voilà quelqu’un de droit, en ligne droite, suivre le droit
chemin. La notion de rectitude (ex. : un coup droit, un mur droit), tout
autant que celle de justice (ex. : un raisonnement droit, un jugement droit),
est souvent présente. Aujourd’hui le subs. désigne généralement le «
fondement des règles dans une société ». Enfin, l’adv. est aussi d’emploi
très fréquent en FM ; ex. : aller tout droit, filer droit, se tenir droit.
Dru
Origine : l’adj. provient du gaulois *druto, qui signifiait « fort, robuste,
vigoureux ».
Ancien français : attesté dès le XIe s. en français, l’adj. dru garde alors le
sens étymologique de (1) « fort, vigoureux ». Mais, par effet d’extension
sémantique, il prend aussi le sens de (2) « riche », « florissant », «
généreux ». C’est l’acception qu’il a dans la Chanson de Roland où le
syntagme nominal l’erbe drue désigne l’herbe « grasse et luxuriante ». En
littérature courtoise, il qualifie l’amant « vif » et « fort » et peut prendre
alors le sens de « fidèle ». Il se produit alors un procédé linguistique de
grammaticalisation : l’adj. change de classe grammaticale pour donner un
nom, distinct des sens 1 et 2, qui subsistent pourtant pendant toute la
période du MA et coexistent avec les sens nouveaux. À partir du sens de «
fidèle » se crée le subs. dru signifiant « amant » ou « maîtresse » puis, par
extension, « ami (e) fidèle » voire « confident ». L’expression tenir a son
dru a pour sens « considérer qqn. comme son amant ». S’il est adverbe,
dru signifie « en quantité ».
Paradigme morphologique : notons l’adv. druement (XIIe s.), « en grand
nombre », « en grande quantité », et le subs. druerie, très fréquent en AF,
qui a développé les sèmes de l’amour et de l’amitié et signifie dès le XIIe s.
« amour », « intrigue amoureuse », « plaisir amoureux » mais aussi «
amitié », « affection ». On le rencontre dans les expressions faire druerie,
mener druerie, « jouir du plaisir amoureux » et requerre druerie ne signifie
rien d’autre que « solliciter l’amour de qqn. par la séduction ». Il existe en
AF le v. drugier (XIIe s.), qui a pour sens « devenir vigoureux », « pousser
abondamment » en parlant d’une plante, et le subs. fém. druge (XIIe s.), «
multitude », « abondance » mais aussi « jeu » et « plaisanterie ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir fort° ; dans le sens 2, riche° ou
plenier (voir plain°) ; enfin pour les emplois de dru comme subs., on peut
renvoyer à ami°.
Évolution : l’adj. au sens 2 se spécialise dans le domaine botanique et
prend volontiers l’acception « dense et resserré » en parlant d’une forêt,
d’un bois, d’une végétation en général (comme l’erbe drue de la Chanson
de Roland). Grâce au sème de la vigueur, dru peut aussi n’être qu’une
marque d’intensité, surtout en emploi adverbial ; ex. : pousser dru, «
pousser généreusement et intensément, de manière serrée » en parlant de
végétaux. Mais par extension, on parle en FM de moustache drue, de
cheveux drus, de barbe drue, etc. Le subs. druerie, lui, n’est plus employé
depuis le XVIe s.

Duire / Conduire / Deduire


Origine : le v. duire provient du latin ducere, « tirer », « attirer », «
compter », « conduire », « conduire une armée », « ordonner ». Ses
dérivés sont eux-mêmes issus de conducere, « mener ensemble » (du
préfixe cum et ducere) et deducere, « emmener », « retrancher, soustraire »
(du préfixe de et ducere).
Ancien français : le v. duire est attesté dès le Xe s. avec le sens de «
conduire », « mener » voire « apprivoiser », de « gouverner » et de «
profiter de qqch. ». De son côté, le v. conduire (Xe s.) prend les sens de «
guider », « commander », « protéger », alors que deduire (XIe s.) signifie «
mener », « conduire » et surtout « divertir », « réjouir » (c’est-à-dire «
faire sortir de la vie quotidienne » ?).
Notons qu’il existe en AF un autre v. duire homographe mais
d’étymologie et de sens différents : du latin docere, il veut dire «
enseigner », « instruire » et, dans certains emplois, « dresser ». On perçoit
un rapprochement facile entre le sens « apprivoiser » du premier et «
dresser » du second.
Paradigme morphologique : c’est sans doute pour son paradigme
morphologique que le v. duire est intéressant en AF. En effet, on trouve de
nombreux dérivés très fréquents dans la langue, à commencer par duitre /
duitor, subs. masc. du XIIe s. à deux bases signifiant « guide », «
conducteur », « chef ». Notons aussi les dérivés de conduire et deduire : le
subs. conduit (XIIe s.), « escorte », « direction », « responsabilité »,
conduisance (XIIe s.), « conduite ». Deduit (XIIe s.), quant à lui, veut dire «
divertissement », « plaisir », « jeu amoureux », et deduitor (XIIe s.) désigne
la personne qui divertit. Enfin, l’adj. deduiant (XIIe s.) ou deduisant (XIIIe s.)
signifie « charmant », « agréable », « sympathique ».
Paradigme sémantique : dans le sens de « conduire, mener », on peut citer
mener° ainsi que quelques dérivés verbaux de voie°, et surtout guier (XIe s.,
du francique *witan, « montrer une direction », avec une réfection en
guider en MF), qui prend en AF le sens de « conduire, mener » dans des
acceptions plus larges que le v. guider en FM. Dans le sens de «
commander, gouverner », on peut renvoyer à comander° ou regner (voir
regne°). Dans le sens de « dresser, apprivoiser », voir afaitier°. Enfin, dans
le sens de « divertir, réjouir », voir delitier°.
Évolution : le v. duire en MF prend volontiers les sens d’« être utile », puis
disparaît de la langue. On le rencontre parfois avec le sens médiéval de «
profiter de », « plaire à », notamment en littérature mais il reste d’emploi
archaïque ; ex. : Le voyage vous duit-il ? (Aloysius Bertrand, Gaspard de
la nuit.). En revanche, les dérivés sont très présents en FM. Le v. conduire
a étendu ses emplois à « mener », « emmener », « amener vers un lieu
déterminé », « transporter qqn. » et, de façon plus métaphorique, «
diriger », « mener » ; ex. : je conduis la discussion. En construction
prépositionnelle, conduire à est aussi très fréquent avec le sens de « mener
à » mais conserve ses emplois concrets et figurés ; ex. : cette route conduit
tout droit à la capitale, ce dialogue ne nous conduira malheureusement
nulle part. Enfin, déduire a perdu le sème du plaisir mais retrouve son sens
étymologique et signifie à partir du XVIe s. « retrancher », puis « raisonner
par une suite de propositions qui découlent rigoureusement les unes des
autres » et, par extension, « découvrir une évidence à partir de la mise en
relation cohérente d’un ensemble d’indices » ; ex. : j’en déduis donc que
vous ne serez pas présent au mariage.
Notons enfin qu’en FM le v. homographe duire (de docere), bien que
vieilli, conserve toujours le sens de « dresser un animal, particulièrement
un oiseau ».
E

Embler
Origine : le v. provient du latin involare, littéralement « voler dans », « se
précipiter sur », puis « voler vers ». Le sens de « se saisir de qqch. »,
quoique plus tardif, date déjà de la période latine.
Ancien français : le v. embler a pris en AF le sème du vol et signifie avant
tout (1) « voler, dérober », (2) « ravir, enlever qqch. ou qqn. par la
violence » et parfois, en construction réflexive, (3) « s’esquiver, s’enfuir ».
Paradigme morphologique : le paradigme est assez riche en AF, avec le
subs. emble ou emblé (XIIe s.), « cachette », et l’expression en emblé, «
furtivement ». Notons aussi le fém. emblee (XIIe s.) qui signifie « vol », «
rapt » et produit l’expression a l’emblee (ou en emblee), « à la dérobée ».
Paradigme sémantique : dans les sens 1 et 2, voir proier°, rober (de robe°),
ravir (XIIe s., du latin populaire *rapire, pour rapere), « enlever, emporter »,
au propre et au figuré, et « voler », ou encore tolir° ; noter que le v. voler
(Xe s., du latin volare) ne prend pas le sens de « dérober » avant le XVIe s.
Dans le sens 3, voir guenchir°.
Évolution : productif et employé pendant tout le MA, ce v. perd ses
emplois progressivement et les dictionnaires du XVIIe s. l’annoncent
comme vieilli. Il ne disparaît pas pour autant de la langue : s’il est
archaïque, on le rencontre cependant encore au XIXe s. en littérature, chez
Balzac notamment. Il a conservé le sens de « voler, dérober ».

Embronchier
Origine : attesté antérieurement (dès le XIe s., dans la Chanson de Roland) au
v. bronchier (XIIe s.), en AF « pencher », « baisser », « baisser la tête »,
embronchier semble en être le dérivé, plus usuel que le v. simple. L’origine
de ce dernier reste incertaine. On peut noter l’existence en AF du v.
homographe embronchier (XIe s.), qui signifie littéralement « se heurter
contre une souche », « broncher », issu du subs. bronche, « tronc, souche »
(de même origine semble-t-il que broche ou broisse, du latin populaire
*brusciam, « pousse d’arbre », de bruscum, « nœud de l’érable », terme
attesté chez Pline) ; mais le lien sémantique entre les deux v. n’apparaît
guère évident.
Ancien français : le v. embronchier prend notamment le sens de (1) «
baisser la tête », d’où « faire un salut » en s’inclinant, ou encore, en
passant du mouvement à l’état psychologique qu’il est susceptible de
manifester, « s’assombrir » ; (2) « faire pencher en avant », « renverser »,
mais aussi « cacher », sens plus difficile à relier aux précédents.
Paradigme morphologique : outre le v. bronchier cité ci-dessus, retenir
l’adj. embronc (XIe s.) signifiant « baissé, penché » en parlant de la tête,
d’où « sombre, soucieux » en parlant d’une personne.
Paradigme sémantique : on notera principalement le v. baissier (XIe s., du
latin populaire *bassiare, à partir de bassus, « bas »), « se baisser », «
abaisser » ; le v. pengier (XIIIe s., pencher en FM, du latin populaire
*pendicare, de pendere, « pendre »), qui prend en AF le sens d’« être
incliné » ; voir aussi le paradigme de verser°.
Évolution : à la fin du MA c’est le v. simple bronchier qui s’impose et
prend le sens de « tomber », sans doute par amplification du sens 2 de
l’AF, puis, par voie de conséquence, « faire un faux pas » et, au XVIIe s., «
faire un faux pas en marchant ». En FM, il signifie « trébucher », «
vaciller » « tomber » ; ex. : le vaisseau bronchant à chaque vague
(Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe). Son acception la plus
courante est cependant « bouger, remuer », « réagir à une atteinte » ; ex. :
pendant son opération, il n’a jamais bronché.

Embuschier
Origine : le v. est un dérivé du subs. busche, « bois » en AF, du germanique
*busk, « baguette », latinisé en *buska, « bois, bosquet », neutre plu.
devenu fém. sing.
Ancien français : embuschier est attesté au XIIe s. avec les sens de (1) «
pénétrer dans un bois » puis (2) « embusquer ». Le lien entre les deux
acceptions n’est pas absolument évident, mais il faut peut-être considérer
le lieu (les bois), propice aux embuscades, comme l’élément moteur de
l’évolution sémantique du v., qui inclut le sème de mouvement ; d’où la
tournure réflexive soi embuschier, « se mettre en embuscade ». Enfin, à
partir de cette dernière acception, le v. prend le sens de (3) « entraver ».
Paradigme morphologique : les subs. masc. embuschement (XIIe s.) et
embusche (XIIe s.) ont pour sens « embuscade », alors que le mot embuscade
n’apparaît qu’au XVe s. avec le sens d’« action de s’embusquer ». Le mot
busche (XIIe s.), dont le v. est dérivé, a permis de construire plusieurs termes :
buscheter (XIIIe s.), « couper du bois », buschier (XIIIe s.), « bûcheron » et
buschille (XIIIe s.), « petit morceau de bois ».
Paradigme sémantique : sans que ce soient des équivalents exacts, on peut
renvoyer à celer° et gaitier°.
Évolution : la forme embuschier ne survit pas au MA. Au XVIe s., après
réfection graphique (sur l’italien imboscare), embusquer signifie alors «
cacher » et « être en embuscade ». Il se spécialise dans le vocabulaire
militaire avec le sens de « poster en embuscade », « se dissimuler pour
observer sans être vu ». Enfin, le subs. embuscade est d’emploi aujourd’hui
courant ainsi qu’embûche qui signifie « manœuvre déloyale destinée à
compromettre qqn., à lui nuire dans sa vie publique ou privée » ; ex. : un
parcours semé d’embûches, déjouer les embûches de la vie, etc.

Encombrer
Origine : v. d’origine gauloise, provenant de l’AF combre, « barrage de
rivière », et du v. combrer signifiant notamment « empêcher ». La forme
du latin médiéval combrus, « abattis d’arbres », est attestée au VIe s. à
partir de la racine gauloise *kombero, qui implique une idée de rencontre
entre plusieurs éléments entraînant une obstruction.
Ancien français : le v. encombrer (ou ancombrer) date du XIe s. et se
rencontre principalement dans le sens de (1) « gêner, embarrasser », ou
parfois dans celui, dérivé par abstraction, de (2) « entacher, souiller ».
Paradigme morphologique : il se développe au XIIe s. avec les subs.
encombrement, « embarras, inconvénient », « dommage », « danger » mais
aussi « emprisonnement », et encombrier, « lieu obstrué, passage
difficile », « ennui » et « prison », et avec l’adj. encombreus, «
encombrant », « fâcheux », « malaisé ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir les v. enuier° et peser° ; dans
le sens 2, on peut citer soillier (XIIe s.).
Évolution : en FM, le v. encombrer a réduit ses capacités d’emploi pour ne
désigner que le procès d’« obstruer », « embarrasser par la multitude des
objets » ou même « occuper en trop grand nombre » (ex. : encombrer un
couloir, une rue encombrée).

Encontre
Origine : le subs. encontre est le déverbal d’encontrer, lui-même dérivé de
l’adverbe et préposition encontre en AF, assemblage des deux prépositions
latines in et contra. L’AF connaît donc un subs., un adverbe et une
préposition.
Ancien français : le subs. encontre ou ancontre possède les deux genres en
AF et connaît ses premières attestations au XIIe s., avec les sens de (1) «
rencontre » et, en particulier dans un contexte militaire, « heurt, combat »,
puis (2) « événement incongru », « chance ». Dans cette dernière
acception, on trouvera en AF des expressions telles que bon encontre, «
bonne rencontre » ou « bonne chance », mais aussi mal encontre ou put
encontre, qui signifient « malheur » et « souhait de malheur ». L’adv.
encontre signifie « en face », « à l’encontre » et la préposition, « contre »,
« envers ».
Paradigme morphologique : les attestations du v. encontrer (XIe s.), «
rencontrer », sont antérieures à celles du subs. On trouve également
encontrement (XIIe s.) pour « rencontre », encontreüre (XIIe s.) ou encontral
(XIIIe s.) pour « obstacle ». L’expression a l’encontriere (XIIe s.) signifie
aussi bien « à la rencontre de qqn. » qu’« à l’encontre de qqch. ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer hurt ou hurteis (XIIe
s., dérivés du v. hurter), mais voir aussi bataille° ; dans le sens 2, voir
aventure°.
Évolution : le FM n’a gardé que la locution prépositionnelle à l’encontre de
qui signifie « en opposition avec qqn. ou qqch. ». En revanche, le groupe
dérivé rencontre, « jonction de personnes ou de choses se mouvant en sens
contraire », et rencontrer, « trouver par hasard ou non sur son chemin »,
attesté en MF, a repris la plupart des emplois d’encontre / encontrer.
L’idée de violence est encore présente dans le paradigme moderne : la
rencontre des troupes est précisément le moment de l’affrontement
(rencontre veut alors dire « choc »).

Enfant
Origine : du latin infantem, adj. et subs. formé sur le participe présent du v.
fari, « parler », « dire », accompagné du préfixe privatif in-. Le sens du subs.
latin est proprement « celui qui ne parle pas ». Pendant toute la période
latine il a donc désigné tout « enfant de bas âge ». Dans l’usage, il remplace
progressivement des termes comme liberi (« enfants par rapport aux
parents ») ou puer (base productive en français à partir du MF).
Ancien français : le subs. enfant (enfes au cas sujet sing.) apparaît en AF
au Xe s. dans le sens étymologiques de (1) « enfant de bas âge », « enfant
par rapport aux parents », voire « adolescent », mais aussi de (2) « jeune
homme noble non encore adoubé chevalier », ce dernier sens renvoyant
particulièrement aux pages. Pendant la période médiévale, ce terme ne
désigne pas seulement l’enfant en bas âge mais aussi tous les jeunes gens
et jeunes filles de la naissance à l’adolescence accomplie. Par ailleurs,
traiter qqn. d’enfant au MA est une insulte rabaissant la personne
apostrophée à un être dénué de parole ou de pensée. Dès lors, le terme
peut désigner « toute personne qui a la conduite d’un enfant ».
Paradigme morphologique : le subs. enfance signifie dès le XIIe s. «
enfantillage », « facétie d’enfant » voire « farce » ; enfantif (XIIe s.) est un
adj. qui a pour sens « puéril », « idiot » ; l’enfantelet (XIIIe s.) est le « petit
enfant », tout comme l’enfançonet (XIIe s.). Le mot enfantement (XIIe s.)
signifie quant à lui « action d’enfanter », tout comme enfanter (XIIe s.) «
mettre au monde », v. susceptible d’emplois figurés à partir du MF.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir notamment garçon°,
damoisel° ou jovencel°, les premiers emplois du terme adolescent au sens
de « jeune homme » ne datant que du XIVe s. On peut ajouter pour le sens 2
bacheler° ou vaslet°.
Évolution : le terme conserve ses emplois médiévaux après le MA et en
acquiert d’autres. À partir du XVIe s., le mot désigne de façon générale tout «
descendant », toute « personne rattachée par ses origines à un ancêtre, à
qqn., à qqch. » (ex. : les enfants du Seigneur, les enfants de la télé, etc.) mais
aussi « celui ou celle qui est originaire d’un lieu, d’une ville, d’une région ou
d’un milieu » (ex. : c’est un enfant de la région, les enfants de bonne
famille, etc.). Certaines locutions sont lexicalisées ; ex. : enfant de chœur,
enfant perdu (« soldat envoyé à la guerre dans une action dangereuse »),
enfant gâté, etc.

Engin / Engignier
Origine : le subs. provient du latin ingenium qui signifie proprement «
3qualités innées d’une chose ou d’un être humain ». Mais il prend aussi de
nombreuses valeurs : « intelligence », « talent », « invention ingénieuse »,
« créativité », « génie » puis, ultérieurement, « produit du talent », «
produit de la créativité », etc. Le v. engignier vient quant à lui du latin
populaire *ingeniare, probablement d’ingignere, « faire naître », dérivé de
gignere, de même sens.
Ancien français : concernant le subs. engin (ou engien), deux orientations
sont attestées à partir du XIIe s. : l’une concerne les acceptions abstraites,
l’autre les sens concrets. Le mot reprend les valeurs étymologiques latines
de (1) « intelligence », « talent », « habileté, adresse ». À partir de ces
deux dernières acceptions sans doute, les sens de « ruse » et « artifice » se
développent largement dans la langue. Connoté négativement, engin prend
alors les valeurs de « tromperie, perfidie » (notamment dans des
expressions comme mal engin). Mais le terme désigne aussi concrètement,
comme en latin, le produit de l’intelligence : (2) « ustensile », « machine »
et en contexte guerrier « machine de guerre ». On note l’expression par tel
engin, « de telle manière » ou « par tel moyen ».
Quant au v. engignier, il est attesté au XIe s. avec les sens d’« inventer », «
imaginer » et « fabriquer » dans une acception concrète ; puis, sous
l’influence probable du subs. engin, il prend le sens de « tromper », «
obtenir par la ruse » et, dans le vocabulaire amoureux, « séduire ».
Paradigme morphologique : il existe en AF un subs. fém. engine (XIIe s.)
qui a pour sens « ruse », « tromperie », tout comme le masc. engeignement
(XIIe s.), qui prend en plus les sens d’« invention » et « machine ». L’adj.
enginieus (XIIe s.) prend le sens d’« habile », « rusé ». Enfin, le subs. à deux
bases engigniere / engineor possède lui aussi de nombreux sens («
inventeur », « architecte », « trompeur », etc.).
Paradigme sémantique : dans le sens d’« intelligence » ou « habileté », voir
sen / sens° ; dans le sens de « ruse, tromperie », voir guile° ; dans le sens 2,
on peut citer les subs. ostil (XIIe s., d’un latin tardif *usitilium, altération
influencée par usare du latin utensilia), « outil, ustensile », « appareil », et
estrument (XIIe s.), « objet fabriqué dont on se sert pour une opération ». Le
paradigme sémantique du v. engignier est lui aussi très riche. On notera
d’abord le paronyme enganer (XIe s., d’origine germanique), « tromper » ou
« irriter », ainsi que decevoir° et les v. dérivés appartenant au paradigme de
guile°.
Évolution : l’acception intellectuelle du subs. engin ne survit que peu de
temps au MA. Le français classique lui préfère des mots comme
intelligence (qui pourtant date du XIIe s.), habileté (XVIe s.), talent°
(seulement à partir du XVIe s. dans son sens actuel) ou même ingéniosité
(fin XVe s.), issu du même paradigme morphologique. Les emplois concrets
du subs. ne sont guère plus fréquents après le MF. La concurrence
d’instrument, outil, machine donne un coup fatal à engin. On le trouve
néanmoins dans certains vocabulaires techniques pour désigner une
machine spécifique ; ex. : engins à pompe, engin de levage, engin de
manutention, etc. Dans le vocabulaire militaire, le mot désigne une
machine employée pour une opération spécifique : un engin de guerre peut
alors désigner aussi bien un véhicule qu’une arme, etc. Par extension, dans
la langue courante, il désigne tout « instrument » et familièrement tout «
objet quelconque » ; ex. : elle portait d’une main un sac à provisions, et de
l’autre un engin dont elle était très fière (Simone de Beauvoir,
Mandarins). Le v. engignier, de son côté, disparaît sous sa forme
vernaculaire, remplacé par la tournure savante s’ingénier à qui perd la
notion de ruse pour signifier « se donner du mal pour parvenir au but
recherché », « faire appel à son intelligence et à ses ressources pour
parvenir à ses fins ». Les sèmes de la fabrication, de l’intellect et de
l’habileté se retrouvent cependant dans les dérivés ingénieur et ingénieux
(forme graphique d’engigneus à partir du XIVe s.).

Enseigne
Origine : le subs. provient du plu. neutre latin insignia (pris comme subs.
fém.), du subs. insigne, « marque distinctive », « insigne », « enseigne »,
lui-même formé sur l’adj. insignis, « remarquable, distingué par une
marque singulière ».
Ancien français : le terme entre dans la langue au Xe s. avec les sens
étymologiques de « marque », « tache », « signe », « insigne », ainsi que «
preuve matérielle », « preuve ». Il passe également dans le vocabulaire
guerrier avec le sens d’« enseigne, étendard », puis « cri de ralliement » d’un
groupe armé, par un glissement du signe visuel de reconnaissance du groupe
(l’étendard) au signe sonore (le cri).
Paradigme morphologique : le v. enseigner (du latin populaire *insignare,
de signare, « indiquer ») date du XIe s. et signifie « marquer », « montrer »,
« indiquer ». Il suit la même évolution sémantique que le subs. et prend
également les sens de « prouver », « donner la preuve de qqch. », «
instruire » et « enseigner ». Le subs. enseignement, quant à lui, est plus
tardif (XIIe s.) et prend le sens d’« avis », « conseil », « renseignement » et
finalement « sagesse ». Enfin, l’adj. enseignable (XIIIe s.) a pour sens en
AF « doux », « docile ».
Paradigme sémantique : dans le sens de « marque », « signe », on peut
citer connoissance° ou signe (Xe s., du latin signum), qui signifie également
« enseigne », « cri de ralliement » ; dans ce dernier sens, voir aussi
gonfanon°.
Évolution : les sens « marque » et « signe » restent usuels jusqu’au XIXe s.
En revanche, enseigne perd le sens de « preuve » au XVIIIe s. sauf dans
l’expression à telle enseigne que qui signifie « la preuve en est que ». Le
sens militaire médiéval a permis de développer l’acception que le FM
connaît : « marque distinctive en devanture d’un magasin ». Au XVIe s. le
mot prend également le sens de « porte-drapeau dans un corps
d’infanterie », désignant ainsi le soldat chargé de porter le drapeau
militaire. Il est masc. dans cet emploi : un enseigne. Toujours dans le
vocabulaire militaire, mais particulièrement dans la marine, l’enseigne
prend le sens d’« officier de marine » dont le grade est immédiatement en
dessous de celui de lieutenant de vaisseau.

Entendre
Origine : le v. provient du latin intendere, « tendre vers ». Le sème figuré
a probablement permis de développer le sens de « porter son attention
vers qqch. » puis, par extension, en latin populaire, « écouter », «
entendre » et enfin « comprendre ».
Ancien français : le v. est attesté dès le XIe s. sous la forme entendre. Il a le
sens étymologique de (1) « tendre vers, s’efforcer de » mais très vite prend
celui de (2) « prêter attention à, orienter son esprit vers » et donc «
écouter ». Ce dernier sens est très fréquent en AF. Par extension, il peut
signifier aussi « percevoir par l’ouïe » : entendre est alors synonyme d’oïr,
qui suppose le plus souvent une perception passive. Le v. se trouve aussi
dans une acception intellectuelle, (3) « percevoir par l’esprit ou par
l’intelligence », « comprendre ». Notons pour finir la tournure réflexive du
v. soi entendre a qui signifie « être expert en qqch. ».
Paradigme morphologique : le paradigme est très riche. Nous ne
donnons ici que quelques dérivés dont le subs. entendement (XIIe s.), qui
est lui aussi très polysémique et signifie « jugement », « sens », «
interprétation », « avis », « opinion ». Le subs. entendance est attesté au
XIIe s. avec le sens d’« attention », « attente », « délai » et entente (XIIe s.)
prend le sens de « désir », « but » et parfois « attaque » (on le trouve
notamment dans l’expression mettre s’entente a, « consacrer ses efforts
à »). Enfin, l’adj. ententif (XIIe s.) signifie « attentif », « appliqué », «
charitable ».
Paradigme sémantique : voir surtout oïr° et escolter° mais aussi, au sens
de « saisir par l’esprit », apercevoir (XIIe s.), comprendre (XIIe s.) ou veoir.
Évolution : le v. entendre a conservé le sens général de « percevoir par
l’ouïe ». En ce sens il remplace le v. ouïr en FM. Le sens de « percevoir
par l’esprit », « comprendre » se développe à la fin du MA et est aussi
fréquent que le précédent en français classique mais il est aujourd’hui
considéré comme soutenu et fortement concurrencé par comprendre, plus
usuel ; ex. : j’entends bien votre requête. L’expression se faire entendre
peut aussi bien signifier « se faire comprendre » que « donner de la voix »
; ex. : je me suis fait entendre en parlant plus fort contre il est bien difficile
de se faire entendre quand on ne fait pas partie du cercle des initiés. La
tournure réflexive est elle aussi usuelle en FM ; ex. : il s’entend bien en
mécanique, c’est-à-dire « il s’y connaît bien ».

Enuier / Enui
Origine : le v. provient du latin tardif *inodiare, formé sur la locution latine
in odio esse, « être l’objet de haine », elle-même construite à partir du
subs. odium, « haine ». Le subs. enui est son déverbal.
Ancien français : le v. connaît ses premières attestations au XIe s. et
conserve des sens proches de son acception étymologique. Pendant toute la
période médiévale il signifie (1) « tourmenter, affliger », « nuire, fâcher »
mais aussi, par affaiblissement sémantique, « contrarier ». Dans ce sens le
v. se rencontre volontiers en tournure impersonnelle, de même que peser°.
Mais il prend également le sens concret de (2) « épuiser », « fatiguer », que
l’on retrouve dans le déverbal enui. Ce dernier garde aussi l’intensité de la
valeur étymologique et signifie au plan moral (1) « tourment », «
désespoir », « chagrin intense » ; au plan physique (2) « épuisement », «
grande fatigue ». Notons l’expression faire enui, « faire mal ».
Paradigme morphologique : à partir du XIIe s., le subs. enuiement prend le
sens de « chagrin », « contrariété » et entre dans l’expression par
enuiement, « avec insistance ». L’adj. enuieus date du XIIe s. également et
signifie « qui cause de la peine », « désagréable », « triste », alors que
enuiable (XIIe s.) prend le sens de « nuisible », « malfaisant » ou tout
simplement « fâché ».
Paradigme sémantique : voir pour le v. le paradigme de grever°, et celui
de dolor° pour le subs.
Évolution : pendant tout le MA et jusqu’à la période classique, le groupe
enuier / enui présente un sémantisme relevant de l’angoisse et du chagrin
et conserve ainsi une forme d’intensité dans l’échelle des sentiments. Mais
par affaiblissement (déjà opéré pendant la période de l’AF puis du MF), le
sème de la lassitude voit le jour (XVIIIe s.). C’est celui que nous
connaissons aujourd’hui. En effet le v. ennuyer en FM signifie « inspirer
un sentiment de lassitude » et « inspirer un sentiment de gêne, de
contrariété » ; ex. : vos paroles m’ennuient, ce spectacle m’ennuie, etc. Le
subs. ennui prend en FM le sens de « sentiment de lassitude » voire de «
découragement » ou de « tristesse » ; ex. : mourir d’ennui, tromper
l’ennui. Mais il conserve encore le sens de « contrariété », « petit
problème » ; ex. : j’ai des ennuis avec mes enfants, avec la police, etc.
Enfin, par métonymie, le terme ennui, souvent mis au plu., prend le sens
de « qui cause un sentiment de contrariété » : on parle volontiers d’ennui
technique, d’ennui de santé, d’ennui d’argent. Notons que l’adj. ennuyeux
a pris le sens affaibli du v. et du paradigme car il signifie « qui suscite un
sentiment de lassitude » ; ex. : une personne ennuyeuse, un cours
ennuyeux.

Envaïr
Origine : le v. provient du latin populaire *invadire, pour invadere, «
envahir », « saisir », « attaquer ». Ce v. est particulièrement bien
représenté en latin classique dans le contexte guerrier.
Ancien français : il entre dans la langue française au XIe s. avec le sens
étymologique d’« attaquer », « combattre » et, parfois seulement, «
harceler, presser », puis « entreprendre qqch. ». Le sens d’« envahir »
existe en AF mais se développe surtout ultérieurement.
Paradigme morphologique : notons simplement le subs. fém. envaïe (XIIe
s.), « attaque », « invasion » et envaïsseur, plus tardif (XIVe s.), « celui qui
attaque ».
Paradigme sémantique : dans le sens d’« attaquer », on renverra surtout à
assaillir (voir saillir°) ou à estachier (XIIe s., dérivé d’estache, du
germanique staka, « pieu »), « ficher, planter », « transpercer », «
attaquer », v. dont est probablement issu le FM attaquer (XVIe s.) par
l’intermédiaire de l’italien ; voir aussi escremir°. Dans le sens d’«
envahir », voir conquerre (de querre°), mais aussi gaster° et ses
synonymes (invasion rimant en général avec destruction).
Évolution : sous la forme graphique envahir, le v. développe à partir du MF
le sens de « pénétrer de force dans un territoire en vue de l’occuper », au
détriment des autres sens. Au XVe s. cependant on trouve encore
l’expression envahir de mort, qui signifie « attaquer à mort », « tuer ».
Aujourd’hui le v. conserve le sème de l’expansion puisque par métaphore,
envahir peut signifier « se répandre », « investir un lieu », sans que le
contexte militaire ou guerrier ne soit présent ; ex. : la liesse envahit le
cœur des habitants, la foule envahit la place de la République lors de
l’élection présidentielle. C’est à partir de ce sens précis que le dérivé
adjectival envahissant (XIXe s.) développe celui de « qui occupe une place
excessive ».

Errer
Origine : le v. errer du FM provient de deux homographes en AF. Le verbe
iterare, forme tardive de itinerari (formé sur le subs. neutre iter, itineris,
« voyage », « chemin », « route », « trajet ») signifiait en latin « voyager »
et a donné en français errer à partir du Xe s. Cependant, le verbe errare, «
marcher à l’aventure », a aussi signifié en latin « faire fausse route » donc,
par effet métonymique, « se tromper ». C’est avec ce sens qu’il entre dans
la langue française au XIIe s. sous la forme errer, homonyme du premier
verbe. On voit bien le rapprochement sémantique évident entre «
voyager » et « faire fausse route ».
Ancien français : le premier v. errer (de iterare) entre dans la langue au Xe
s. avec les sens de (1) « marcher », « aller », « se mettre en route ». D’où
au figuré (2) « agir », « se comporter, se conduire », particulièrement en
emploi réflexif : soi mal errer signifie « mal se comporter » ; la
construction syntaxique errer que signifie, quant à elle, « faire en sorte
que ».
Le second v. errer (de errare) signifie, lui, « errer », « s’égarer » et
conséquemment, quel que soit le contexte, « se tromper ». Mais il n’est pas
d’emploi fréquent en AF.
Paradigme morphologique : l’adj. (souvent encore participe présent en
AF) errant est très usuel dans la littérature avec le sens « qui voyage sans
cesse » (d’où le chevalier° errant des romans de chevalerie). Il ne faut pas
confondre cet adj. avec l’adv. errant (XIIe s.) qui signifie « très vite », «
rapide », « immédiatement ». D’autres adv. sont construits à partir de la
forme verbale, notamment errantment (ou erranment, XIIe s.) avec le sens
d’« aussitôt », « immédiatement ». Un errement (subs. masc. du XIIe s.) est
une « aventure » ou un « exploit » ; erre (XIIe s., subs. masc. ou fém. en
AF) signifie « voyage », « route », « allure », « distance » et « manière
d’agir » ; enfin l’errance (XIIe s.) désigne l’« action de voyager, d’errer ».
C’est là que l’on voit la confusion possible entre les deux origines
étymologiques. Pour le paradigme d’errer (d’errare), on pensera plutôt à
error (XIIe s.), « perplexité », mais aussi errance (XIIe s.), « erreur », «
détresse ». La locution mettre en errance signifie « mettre en déroute ». Là
encore, la frontière entre les deux familles n’est pas nette.
Paradigme sémantique : dans le sens de « marcher », « aller », on notera
tout simplement le v. aler, certains dérivés de voie°, ou encore cheminer
(XIIe s., dérivé de chemin), marchier (XIIe s., du francique *markôn, «
marquer »), d’abord « piétiner, fouler aux pieds », puis au XIIIe s. «
parcourir à pied » ; dans le sens d’« errer », « se tromper », on peut citer
desvoier ou forsvoier (voir voie°).
Évolution : c’est dans l’évolution des deux homographes que les deux
étymologies finissent par ne donner qu’un seul v. errer. Ses emplois
relèvent alors à la fois du sème du mouvement et de l’égarement pour
signifier en FM : « aller d’un côté et de l’autre sans direction précise », «
progresser sans retenue, sans but » ; ex. : laisser errer sa plume, errer
comme une âme en peine, etc. Mais on peut encore l’employer au XIXe s.,
notamment en littérature, avec le sens de « se tromper » ; ex. : Errer étant
humain, faillir est véniel (V. Hugo, Fin de Satan).

Esbaldir
Origine : le v. est un dérivé de baldir (XIIe s.), qui avait pour sens en AF «
enhardir », « égayer », probablement construit sur l’adj. balt (XIe s., du
francique *bald, « hardi ») que l’on trouve dans la Chanson de Roland
avec le sens de « hardi », « joyeux ».
Ancien français : attesté au XIe s. (donc avant le v. simple), esbaldir conserve
les sèmes du courage et de la joie. Il signifie « donner du courage,
provoquer l’ardeur », notamment celle des guerriers pour aller au combat.
Par voie de conséquence, en tournure pronominale il veut dire également «
s’enhardir, avoir du courage » et, plus largement, « animer », « donner de la
joie ». Probablement par métaphore, le v. peut aussi désigner le procès de «
briller », en parlant du soleil ou du jour.
Paradigme morphologique : le subs. fém. esbaldie (XIIe s.) désigne une «
joie vive » tout autant que la « bataille » ou le « tournoi » ; esbaldissement
(XIIIe s.) signifie aussi bien « courage » que « hardiesse » et «
réjouissance » ; esbaudise (XIIIe s.) est attesté avec le sens de « hardiesse ».
On peut citer encore le v. baldir, évoqué ci-dessus, ou le dérivé resbaldir,
de même sens.
Paradigme sémantique : dans le sens précis d’« encourager, enhardir » on
peut citer encoragier (voir cuer / corage°), enhardir (voir hardi°) et plus
largement movoir° et semondre° ; dans le sens d’« animer, réjouir », voir
le paradigme de delitier°.
Évolution : à partir du MF, le v. concentre ses emplois autour du sème de la
joie. Il signifie alors « s’égayer », « se réjouir », surtout en emploi
pronominal. En FM, il est d’emploi plutôt rare, toujours dans le même
sens ; ex. : nos cœurs s’ébaudissent à l’approche de l’été. L’ancienne
forme graphique esbaudir est toutefois encore présente mais son emploi
est plutôt ironique ; ex. : Ils bavachent… ils s’esbaudissent tous les
fainéants ! (L.-F. Céline, Mort à crédit.)

Escolter
Origine : le v. provient du latin tardif *ascultare pour auscultare, qui
signifiait « écouter avec attention », « écouter en cachette », « ajouter foi à
qqch. » et enfin « obéir ».
Ancien français : attesté dès le IXe s. en AF, le v. veut dire « être attentif à »,
d’où le sens le plus courant, impliquant seulement la perception auditive,
d’« écouter », parfois seulement de « percevoir par l’ouïe », ce qui fait
d’escolter un concurrent des v. entendre° et oïr° dans certains de leurs
emplois. Le sens « attendre » est également attesté, à mettre en rapport
avec l’acception « écouter en cachette » du v. latin.
Paradigme morphologique : on peut noter le subs. masc. escolt (XIIe s.), «
action d’écouter », d’où « action d’épier » ; ainsi faire escolt signifie «
prêter attention », avoir escolt, « être écouté ». Une escolte (XIIe s.) n’est
autre que « celui qui fait le guet », la « sentinelle » ou bien le lieu de la
surveillance, le « guet ».
Paradigme sémantique : voir surtout entendre° et oïr°, v. auxquels on peut
ajouter l’anecdotique oreillier (XIIe s.), « tendre l’oreille », « écouter ».
Évolution : le v. se maintient dans ses acceptions médiévales jusqu’au XVIIe
s., où il acquiert le sens supplémentaire de « se laisser guider par » ; ex. :
je n’écoute que mon cœur. D’ailleurs, en emploi réflexif, le v. signifie «
suivre son inspiration » ; ex. : si je m’écoutais, je n’achèterais que des
livres. Son acception principale en FM reste « percevoir par l’ouïe » mais
à la différence d’oïr, l’action est bien opérée par celui qui écoute (qui ne
reste pas passif) : écouter, c’est en quelque sorte agir sur la perception
auditive et non la subir.

Escondire
Origine : le v. est issu du latin tardif *excondicere, « réfuter une
accusation », « s’excuser », dérivé de condicere, « convenir de ».
Ancien français : attesté dès le XIe siècle, escondire conserve ses deux sens
étymologiques de (1) « excuser » et, en tournure pronominale, «
s’excuser », mais aussi de (2) « repousser », « refuser », « contredire ». Le
v., qui contient l’idée de refus, a pu prendre le sens de « s’opposer à »,
voire « combattre » dans certains textes.
Paradigme morphologique : le participe passé nominalisé escondit (XIIe
s.), très fréquent en AF, signifie « refus », « congé » et parfois « excuse ».
Dans le vocabulaire juridique, une escondite (XIIIe s.) n’est autre qu’un «
refus » et par voie de conséquence une « amende » ou une « réparation »
qui fait suite à ce refus.
Paradigme sémantique : on pensera aux v. refuser (XIIe s.), « repousser ce
qui est proposé », contredire (IXe s.), « refuser », « dire le contraire »,
oposer (XIIe s.), « objecter », « résister », « se mettre en opposition ».
Évolution : le v., refait en éconduire sous l’influence de conduire, est
demeuré en FM dans le sens de « se débarrasser », « congédier » une
personne. Ce sens précis, notamment dans la littérature amoureuse, date
du XVe s. L’adj. verbal issu du participe passé éconduit est encore courant
en français ; ex. : un amant éconduit.

Escremir
Origine : le v. est issu du francique *skirmjan, « défendre », « protéger », à
partir du mot *skirm « bouclier ».
Ancien français : attesté en français au XIe s. dans la Chanson de Roland, le
v. se rencontre avec les sens de (1) « défendre », « protéger »,
conséquemment de (2) « combattre, batailler » et précisément de (3) «
combattre à l’arme blanche » (sens tardif cependant).
Paradigme morphologique : le subs. fém. escremie (XIIe s.) signifie «
lutte », « combat », « exercice de joute ». Plus tardivement, l’escremisseor
(XIIIe s. et surtout XIVe s.) désigne le « maître d’armes » ; enfin escrime, au
sens de « combat », date du XIVe s.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir garir° ; dans le sens 2, on
peut citer combatre (XIe s., dérivé de batre, du latin populaire *battere,
pour battuere), joster°, tornoier (voir torner°) ; voir aussi envaïr°.
Évolution : en MF, le v. possède encore le sens de « combattre » mais est
remplacé définitivement au XVIe s. par escrimer, qui reprend ses emplois et
ajoute celui de « faire de l’escrime ». Les locutions livrer escrime, « livrer
bataille », et perdre l’escrime, « perdre la bataille », sont usuelles à cette
époque. En tournure pronominale, le v. s’escrimer a signifié « s’acharner »
puis, en FM, « lutter avec une certaine vivacité », « s’appliquer à faire
qqch. » ; ex. : il s’escrimait à prendre ce versant de la montagne pourtant
réputé infranchissable. Les sèmes du combat et de la persévérance y sont
encore présents. Aujourd’hui, l’escrime désigne un sport de combat et le v.
escrimer, qui suit l’évolution du subs., l’action de « faire de l’escrime ».

Escu / Escuier
Origine : le subs. masc. escu provient du latin scutum qui désigne le «
bouclier » de défense d’abord ovale et convexe, puis souvent long et
creux. Le subs. escuier est quant à lui issu du latin tardif *scutarium, «
soldat de la garde impériale qui portait un bouclier ».
Ancien français : le mot escu (d’abord escut dans les textes) est attesté en
français au XIe s. dans la Chanson de Roland. Il a le sens étymologique de
« bouclier », arme défensive qui évolua beaucoup, tant dans sa forme
(d’abord circulaire, puis en amande) et sa surface que dans sa matière (en
bois, couvert de peau, en métal). On trouve ainsi à partir du XIIe s.
l’expression porter escu, « se battre, combattre l’ennemi » et, au XIIIe s.,
l’expression rendre son escu, « se rendre », « être ou s’avouer vaincu ». À
partir du XIIIe s. également apparaît un sens métonymique du terme, qui
peut désigner un « homme d’armes » portant un bouclier. Par association
sans doute, le mot a ensuite désigné le « fond ou le champ représentant les
armoiries » voire les « armoiries » elles-mêmes. C’est donc à partir de la
fin du XIIIe s. et pendant toute la période du MF que le mot escu a aussi
signifié une « monnaie d’or fin ornée à l’écu de France », les pièces d’or
étant en effet frappées d’un côté aux armoiries royales.
Le subs. masc. escuier connaît aussi ses premières attestations au XIe s.
avec le sens de « personne qui porte l’écu du chevalier ». Il est tout
d’abord associé au vaslet°. Mais dès le XIIIe s., tout du moins dans les
œuvres littéraires, le rôle de l’écuyer prend de l’importance. Il est celui qui
accompagne le chevalier° à la guerre, qui porte son bouclier, qui a
l’honneur de l’armer et le désarmer. Au MA, l’écuyer est alors souvent lui-
même un jeune homme de la noblesse qui n’a pas encore été adoubé et qui
parfait son initiation auprès d’un chevalier, c’est-à-dire un bacheler°. Le
mot escuier, à partir du XIIIe s., peut donc être assimilé à un titre de
noblesse : « jeune noble n’ayant pas encore été fait chevalier », sans que
les obligations envers un seigneur décrites précédemment soient
obligatoirement remplies.
Paradigme morphologique : pensons au subs. masc. escuel (XIIe s.), « petit
écu », au fém. escuele, qui désigne le récipient, ou à escusson (XIIIe s.), «
écu d’armoirie » ou, au figuré, « défenseur d’une cause ». Le subs. fém.
escuerie (XIIIe s.) désigne quant à lui la « charge d’écuyer », la « fonction
d’écuyer », mais aussi le lieu où l’écuyer loge avec le cheval du seigneur.
Enfin, notons le rôle de l’escuage (XIIIe s.) au MA, c’est-à-dire le « service
qu’un écuyer doit à son seigneur » mais aussi le droit qu’il doit payer pour
en être exempté.
Paradigme sémantique : en ce qui concerne escu, on peut citer par
exemple le subs. targe (XIe s., du francique *targa), qui sert également à
désigner diverses sortes de boucliers ; on s’arrêtera par ailleurs sur le mot
bouclier, qui apparaît au XIe s. dans la tournure escu boucler, proprement
« écu garni d’une boucle », avant d’être employé seul et de prendre au XIIIe
s. le sens d’« arme défensive ». Quant à la fonction d’escuier, elle peut
notamment être exercée par un bacheler° ou un vaslet°.
Évolution : le MF donne au mot escu le sens de « pièce d’or » puis, à partir
du XVIe s., de « pièce d’argent » que l’on appelait d’abord escu blanc. Par
extension, le mot a désigné au cours des siècles diverses pièces de valeur
monétaire différente et même du papier de petit format portant à l’origine
un écu en filigrane. Il entre dans diverses locutions comme ne pas avoir un
écu vaillant, « être démuni ». Le mot reste également un terme historique
désignant un « bouclier souvent orné de peintures représentant des
distinctions personnelles », souvent le blason du chevalier combattant. Le
mot écuyer quant à lui a diversifié ses emplois. En effet, à partir du sème
de la noblesse, il prend le sens de « personnage remplissant pour le
royaume de hautes charges ». On parle alors d’écuyer de France. Par
extension, le terme désigne sous l’Ancien Régime toute personne ayant
une charge importante auprès d’un roi, d’un prince, d’un seigneur, etc.
Mais le Grand Écuyer de France est aussi le titre de la personne en charge
des écuries royales. Par analogie, on désigne ensuite (surtout au XVIIIe s.)
par écuyer toute personne ayant obtenu quelque responsabilité (ou
l’honneur dû à une fonction) : l’écuyer de bouche est au XIXe s. le
responsable des cuisines d’un restaurant et l’écuyer de cuisine désigne
souvent le maître d’hôtel. Le sens le plus usuel en FM reste cependant
attaché au domaine de l’équitation. Un écuyer peut être à la fois un « bon
cavalier », un « instructeur » ou un « dresseur de chevaux ».

Esforcier / Esfort
Origine : le v. est un dérivé de forcier (XIe s), lui-même issu du latin
populaire *fortiare, du latin tardif *fortia, « force », « pouvoir ». Le v.
forcier en AF signifie d’abord « faire violence à qqn. » (notamment à une
femme ; il a pu en effet signifier « violer »), puis « prendre de vive force
une position » (militaire) et « exercer une pression morale ». Ce sont des
sèmes que l’on retrouve dans le v. dérivé esforcier au MA.
Ancien français : le v. apparaît au XIe s. en littérature avec certains sens
communs à ceux que connaît forcier. Il signifie ainsi (1) « prendre », «
saisir » ; par extension, (2) « contraindre, forcer qqn. à faire qqch. », et
spécialement « violer » ; enfin par effet d’intensification (3) « renforcer »,
« augmenter ». De son côté le déverbal esfort (XIe s.) prend surtout les sens
de « violence », « force, impétuosité », et « aide, secours » (à relier au sens
3 du v.), d’où le sens spécifique en contexte militaire de « troupes » ou de
« renforts ».
Paradigme morphologique : notons le subs. esforcement (XIIe s.) qui
signifie « puissance », « bravoure » mais aussi « violence » et « viol ». Les
adj. esforcié (XIe s.), esforcif (XIIe s.) et esforcible (fin XIIe s.) prennent
indistinctement les sens de « redoutable », « puissant », « fort ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer prendre (IXe s.) ou
saisir (XIe s.) ; dans le sens 2, constreindre (XIIIe s.) ou haster (XIe s.), dans
le sens de « presser, poursuivre » ; dans le sens 3, amender°. Pour le
subs., on peut renvoyer à force (voir fort°), aide (de aidier°) ou secors et
bataille° dans le sens de « troupes ».
Évolution : à partir du XVIe s., par métonymie, le sens d’effort glisse en
quelque sorte de l’activité d’une personne qui emploie ses forces dans un
but précis au résultat de cette activité. Il signifie aujourd’hui « mise en
œuvre des capacités pour vaincre une résistance ou surmonter une
difficulté » ; ex. : chaque effort supplémentaire à l’entraînement me
rapproche de la victoire, faire des efforts, faire un dernier effort, etc. Le
v. efforcer s’emploie en FM en tournure pronominale et a le sens de «
mettre en œuvre toutes ses capacités, tous les moyens dont on dispose
pour atteindre un but précis, pour vaincre une résistance ou surmonter
une difficulté » ; ex. : les chefs de la diplomatie s’efforcent de maintenir
la paix.

Esfreer
Origine : le v. provient du francique *frida, « paix », latinisé en latin
populaire sous la forme *exfridare, littéralement « faire sortir de la paix »
donc « refuser la paix, troubler ».
Ancien français : le v. entre dans la langue au XIe s. sous la forme esfreer. Il
signifie d’abord (1) « troubler, faire du bruit », puis (2) « effrayer » et, par
voie de conséquence, « provoquer la crainte, la frayeur de qqn. ». Le v. a
également eu en AF le sens concret de (3) « se mettre en mouvement »
lorsqu’il est employé en tournure pronominale.
Paradigme morphologique : le subs. esfroi (XIIe s.) signifie d’abord «
agitation », puis « trouble », « difficulté », « frayeur » mais aussi « bruit »
et « vacarme » ; esfreement (XIIe s.) est un subs. masc. désignant l’action
d’effrayer, alors qu’esfrance (XIe s.), esfroison (XIIe s.) et esfreor (XIIe s.)
signifient « frayeur ».
Paradigme sémantique : pour le sens 1, on peut citer bruire (voir crier°) ;
pour le sens 2, esmaier° ; pour le sens 3, voir movoir°.
Évolution : le v. et le subs. sont bien représentés en FM. Le v. effrayer
signifie toujours « remplir qqn. de frayeur » mais son sens s’est aussi
affaibli dans certains emplois modernes en « décourager, rebuter qqn. » ;
ex. : pour te dire la vérité, ces tâches ménagères m’effraient un peu. À
l’inverse, le subs. masc. effroi désigne bien aujourd’hui une « grande
frayeur ».

Esmaier
Origine : du germanique *magan, « pouvoir », v. latinisé pendant la
période tardive en *exmagare, « priver qqn. de sa force ».
Ancien français : attesté au XIIe s., le v. signifie « effrayer, troubler » et, en
emploi réflexif, « s’inquiéter, se tourmenter », par conséquent « se
désoler ». On rencontre souvent esmaier dans un contexte où le danger est
présent ou à venir.
Paradigme morphologique : le subs. esmai (XIIe s.) ou esmoi signifie
régulièrement « trouble » ou « crainte » en AF. On trouve également à la
même période le subs. masc. esmaiement (XIIe s.) ou le fém. esmaiemance
(XIIe s.), qui signifient tous deux « émotion », ainsi que l’adj. esmaiable
(XIIe s.), « effrayant ».
Paradigme sémantique : pour le sens 1, voir esfreer° ; pour le sens 2, voir
criembre° et certains v. appartenant au paradigme de grever° dans le sens de
« se tourmenter ».
Évolution : le v. disparaît de l’usage mais le subs. émoi demeure en FM,
même s’il relève de la langue un peu soutenue et signifie « agitation
intérieure », « trouble violent des sentiments ». Il a été peut-être influencé
par le paradigme d’esmovoir (voir movoir°), qui signifie en FM « saisir,
agiter par une violente émotion » mais dont l’origine étymologique est
distincte.

Espee
Origine : le terme vient du latin tardif *spatham qui désignait alors une «
large épée à deux tranchants » mais aussi une « spatule ». D’ailleurs, dans
ce sens précis, son diminutif *spathula est à l’origine du français spatule.
La spatha est à distinguer du glaive classique romain appelé gladius ou
encore ensis, ce dernier terme étant d’emploi plutôt poétique.
Ancien français : le mot espee entre dans la langue au IXe s. sous la forme
spede. Son sens est proche de l’étymon : le terme désigne donc une «
épée », arme de taille plutôt que d’estoc au MA, constituée d’une lame en
métal à double tranchant, longue d’environ un mètre (et plus encore à
partir du XIVe s.) et d’une poignée munie d’une garde. L’épée au MA est un
élément indispensable du chevalier à tel point que certaines des plus
célèbres ont un nom dans la littérature (ainsi Durandal, l’épée de Roland).
Portée généralement sur le côté gauche, l’épée est rangée dans un
fourreau, d’où l’expression traire° l’espee qui signifie « sortir l’épée du
fourreau » pour attaquer l’adversaire. Elle est l’arme protectrice et
offensive par excellence du chevalier.
Paradigme morphologique : on notera simplement le v. espeer (XIIe s.) qui
prend le sens de « transpercer d’un coup d’épée », « porter un coup
d’épée ».
Paradigme sémantique : on citera, pour s’en tenir aux armes constituées
d’une lame et d’une garde, le bran° qui désigne plutôt une « grande épée
maniée à deux mains », la dague, de longueur variable (jusqu’à cinquante
centimètres), qui semble faire son apparition vers le XIIIe s., ou tout
simplement le coltel (XIIe s., couteau au XIVe s.).
Évolution : épée demeure un terme historique conservant son sens
médiéval, même si la taille et la forme de l’objet lui-même ont beaucoup
varié au cours des siècles. L’épée est toujours utilisée dans certaines
cérémonies officielles par les militaires, certains corps de fonctionnaires,
les membres de l’Institut de France et les élèves polytechniciens. Le mot
entre dans plusieurs locutions : porter l’épée, « embrasser la carrière
militaire », noblesse d’épée, roman de cape et d’épée, passer au fil de
l’épée, « massacrer sans pitié », etc. Symboliquement, l’épée est aussi une
marque de puissance, de force menaçante, comme dans épée de feu, épée
de Damoclès et, bien sûr, le proverbe issu des Écritures saintes Qui se sert
de l’épée, périra par l’épée ! (Matthieu, XXVI, 52.)
Esploitier / Esploit
Origine : le v. provient du latin populaire *explicitare, à partir d’explicitum,
participe passé substantivé d’explicare, « accomplir ».
Ancien français : il est attesté dès le XIe s. sous la forme espleiter avec le
sens étymologique de (1) « accomplir, exécuter » et par extension « agir »
en général. Il y a dans cette acception les sèmes de la vigueur et de
l’ardeur (au combat, par exemple). Dès lors, le v. a aussi pris le sens de (2)
« se dépêcher, s’empresser, se hâter » et, dans certains textes, (3) « user
de », « jouir de ». Le déverbal esploit suit l’évolution du v. et prend les
sens suivants au MA : « accomplissement », « exécution », « action » et «
empressement » ; l’expression a (grant) esploit signifie d’ailleurs « avec
empressement », « à grande vitesse ».
Paradigme morphologique : en AF, le subs. fém. esploite (XIIIe s.) n’est
autre que le « profit », « avantage », « empressement ». La locution a
esploite veut dire « avec profit ». Le subs. esploitement (XIIIe s.) signifie «
exécution » ou « saisie » en vocabulaire juridique. Enfin, esploitable (XIIIe
s.) est à la fois « profitable » et « qui peut être saisi ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, outre faire ou mener°, on peut
citer le v. fornir (XIIe s., du francique *frumjan, « exécuter, accomplir »),
qui signifie avant tout « exécuter, accomplir », mais aussi « remplir », d’où
déjà en AF « fournir, procurer » ; dans le sens 2, voir haster (XIe s.), «
s’empresser de », « faire diligence » ; dans le sens 3, joïr (voir joie°).
Évolution : le v., d’emploi courant en MF et français classique, subit une
réfection orthographique (d’ordre étymologique) pour donner exploiter,
tout comme esploit deviendra à la même époque exploit. Mais au XIXe s., le
v. prend le sens de « se servir de qqn. ou qqch. en n’ayant en vue que le
profit et non les moyens » et par extension « abuser de qqn. ou qqch. ». Le
terme est alors connoté péjorativement. En FM, il peut encore conserver
cette coloration (ex. : c’est une honte : il exploite ses ouvriers) mais peut
aussi simplement signifier « mettre à profit » ou « tirer profit » ; ex. :
exploiter une terre, ce film est exploité par une grande compagnie
cinématographique, etc. Le subs. esploit est très fréquent en AF et, à partir
du XIVe s., il prend le sens juridique d’« acte judiciaire signifié par huissier
en vue d’assigner, notifier ou saisir » : on parle alors d’esploit de justice.
Le sens moderne a gardé le sème de la vigueur (et de l’ardeur au combat)
puisque le terme désigne aujourd’hui proprement une « action d’éclat,
courageuse, héroïque, accomplie à la guerre » et, par extension, « toute
action remarquable, exceptionnelle ». Il peut être employé ironiquement
(ex. : exploits amoureux, de piètres exploits, un bien triste exploit, etc.)
mais le subs., qui désigne un acte d’huissier, fait toujours partie du
vocabulaire juridique actuel.

Estovoir
Origine : le v. estovoir (défectif en AF) est sans doute issu de l’expression
latine impersonnelle opus est qui signifiait « il faut, il est besoin de ».
Littéralement, est opus puis *est ues, graphiquement soudée, devient en
français estuet (avec désinence de la troisième personne). C’est cette
forme qui est attestée en AF.
Ancien français : trois formes graphiques sont en concurrence, estovoir (la
plus courante), estaveir et entoveir. Le sens du v. est « falloir », « être
nécessaire » ou « convenir ». Sa construction (à la troisième personne du
singulier au présent de l’indicatif : estuet) conserve donc l’acception
étymologique et il est suivi d’un subs. au cas régime ou d’un infinitif
(comme en latin). On peut le trouver avec une complétive : estuet que, « il
faut que », « il convient de ».
Paradigme morphologique : la forme graphique estovoir est aussi un subs.
(issu de l’infinitif) attesté à partir du XIe s. avec les sens de « devoir », «
nécessité », « besoin », reprenant ainsi les principaux sèmes du v. Notons
aussi le subs. ues (XIIe s., du latin opus), dans le sens d’« usage », « besoin »
mais aussi « œuvre, ouvrage ».
Paradigme sémantique : l’AF connaît plusieurs constructions syntaxiques
impersonnelles pour exprimer l’obligation, le besoin, la nécessité, avec les
v. ou locutions estre besoing°, chaloir°, convenir°, falloir (voir faillir°) ou
estre mestier°.
Évolution : dès la période du MF, estovoir est lourdement concurrencé par
les formes citées dans le paradigme sémantique. Il ne survit pas au MA.
Les v. falloir et convenir, en revanche, ont maintenu leur sémantisme.
Pour le premier, les trois constructions syntaxiques attestées en AF sont
possibles ; ex. : il faut que tu travailles, il faut travailler, il faut du travail
pour les jeunes diplômés. En revanche, le v. convenir se construit avec une
proposition subordonnée ; ex. : il convient que vous soyez à l’heure le jour
de l’épreuve.

Estrange
Origine : l’adj. vient du latin extraneum qui exprime la notion d’extériorité.
Il signifie en latin classique « qui est étranger », « qui n’est pas de la
famille », « extérieur », « du dehors », etc.
Ancien français : attesté en AF au XIe s., l’adj. estrange prend le sens de (1)
« étranger », « de l’extérieur » et conséquemment (2) « bizarre, étrange ».
Les deux sens sont souvent connotés négativement en AF.
Paradigme morphologique : le paradigme est également coloré
négativement, notamment le v. estrangier (XIIe s.), « expulser », «
éloigner » « repousser ». En tournure pronominale, il a pour sens «
s’éloigner », « se retirer », « se séparer ». L’adj. estrangier (XIVe s.) signifie
« qui vient d’ailleurs » et le subs. estrangement (XIIe s.), « éloignement »
ou « aliénation ». Le subs. estrangeté date du XIVe s. et prend le sens de «
bizarrerie ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut considérer non pas un adj.
mais le subs. forain (XIIe s., du latin populaire *foranum, de foris, «
dehors »), qui signifie en AF « étranger » et « extérieur ». Il existe aussi
l’adj. albain (XIIe s., du francique *aliban, « appartenant à un autre clan »),
« étranger ». Pour l’anecdote, ce mot a donné albaine (XIIe s.), puis
aubaine, désignant la « succession héréditaire des étrangers » ; par
métonymie, l’aubaine est devenu l’argent, le butin récolté, avant d’entrer
dans le vocabulaire courant en FM dans le sens de « profit », « gain
inespéré ». Dans le sens 2, on peut citer l’adj. divers (XIIe s., emprunt au
latin), « divers, varié, différent », d’où « bizarre, étranger », voire «
méchant, mauvais » (avec des connotations nettement péjoratives, donc) et
l’adj. merveilleus (voir merveille°).
Évolution : à partir de l’acception 2, l’adj. estrange se rapproche de
merveilleus. En MF, il prend nettement les sens d’« extraordinaire », «
hors du commun », ce qui tend à effacer le sens 1 de l’AF. Mais il
conserve celui de « bizarre », « singulier », son sens usuel étant « qui
surprend par son caractère singulier » ; ex. : un esprit étrange, un discours
étrange. La notion d’éloignement (bien que présente dans l’esprit d’un
locuteur) a laissé la place à celle de bizarrerie. L’adj. peut aussi signifier «
extraordinaire » ; ex. : je vais vous raconter une étrange histoire qui s’est
déroulée il y a bien longtemps. C’est l’adj. estrangier, en concurrence avec
estrange dans le sens 1, qui conserve la valeur de l’éloignement
géographique (ex. : un pays étranger) ou figuré (ex. : ce problème m’est
étranger).

Eur
Origine : le subs. provient du latin populaire *agurium, pour augurium, «
augure », « interprétation des présages », puis « présage ». Par glissement
de sens probable, *agurium a signifié « sort », « condition », « destinée ».

Ancien français : le subs. eur est attesté au XIIe s. avec le sens latin de (1) «
présage, augure », sans qu’il y ait d’orientation favorable ou défavorable.
Mais au XIIIe s., par spécification, le terme signifie très vite (2) « présage
heureux », « bon augure » et enfin, (3) « bonheur, chance ». On rencontre
à cette période, et surtout à partir du XIVe s., les expressions suivantes :
avoir l’eur de, « avoir la chance de », « avoir le bonheur de », par droit
eur, « par chance », a mal eur, « pour le malheur de ». Il faut prendre
garde à ne pas confondre le subs. eur avec eure / ore (du latin horam) qui
signifie en AF « heure », « temps », « moment », « instant », ni avec ore
(du latin auram), « vent », « bon vent », « vent favorable ». Il n’est pas
exclu cependant qu’il y ait eu une influence croisée entre ces termes à
partir de l’idée de « présage heureux » et de « bonne fortune ».
Paradigme morphologique : au XIIe s., le subs. fém. eure prend le sens de
« fortune », « sort » et l’adj. euré signifie « heureux », notamment dans la
tournure bien euré, c’est-à-dire « favorisé par la chance ». Plusieurs
dérivés d’eur sont aujourd’hui très usuels : boneur (XIIe s.), qui signifiait
d’abord « fatalité heureuse », maleur (XIIe s.), « coup funeste du sort », et
l’adv. heureusement (XIVe s.), « avec joie », « dans le bonheur ». Enfin,
bienheureté (XIVe s.) a pris le sens d’« état de béatitude », particulièrement
dans le vocabulaire chrétien, mais disparaît de la langue au profit de
béatitude.
Paradigme sémantique : on notera les subs. presage (XIVe s.), « signe où
l’on voit l’annonce d’un événement futur » et chance (voir cheoir°) ; voir
plus largement le paradigme d’aventure°.
Évolution : en MF, le mot eur prend un h initial non étymologique par
réfection orthographique, sous l’influence du subs. heure, surtout dans
l’expression homonymique de bonne heure / de bon eur. Aujourd’hui,
heur n’est plus guère employé que dans la locution avoir l’heur de (ex. :
Monsieur, je n’ai pas l’heur de vous connaître), mais des dérivés comme
bonheur, heureusement, malheur, etc. restent très usuels.
F

Fable / Mensonge
Origine : le subs. fable est emprunté au latin fabulam, « propos », «
parole » et, par extension, « récit fictif », « narration », « conte » voire «
pièce de théâtre », formé sur le v. fari, « parler, dire ». Pour ce qui est de
mensonge, deux étymologies, d’ailleurs proches, sont possibles : le subs.
proviendrait en effet soit du latin populaire *mentionicam, dérivé du latin
mentio, « mention, proposition » puis, en latin tardif, « mensonge », soit
du latin populaire *mentitionem, de mentitus, participe passé de mentiri, «
mentir » en latin classique.
Ancien français : le subs. fém. fable est attesté en AF à partir du XIIe s. avec
les sens étymologiques de (1) « parole », « propos », « discours », de (2) «
conte », « histoire imaginaire », et particulièrement « récit mensonger », «
bavardage ». Le sens précis de (3) « petit récit moralisant illustré à l’aide
d’animaux » date du XIIe s. également. Le terme a alors désigné plus
généralement pendant toute la période littéraire du MA des récits
mythologiques ou allégoriques possédant une morale et ayant pour
fonction d’instruire le public. Le subs. mensonge quant à lui, à la fois fém.
(étymologiquement) et masc., apparaît en AF au XIIe s. avec le sens d’«
affirmation contraire à la vérité » mais aussi « illusion », « ce qui est
trompeur », ce qui en fait un synonyme de fable dans le sens 2.
Paradigme morphologique : notons le v. fabler (XIIe s., du latin populaire
*fabulare pour fabulari), qui signifie en AF « parler », « raconter » mais
aussi « raconter des histoires », c’est-à-dire « mentir ». En revanche, le v.
fabloier (XIIe s.) prend le sens de « bavarder ». Le diminutif d’origine
picarde fablel (XIIe s.) désigne un « petit conte » (d’où le fabliau, genre
médiéval de récit bref) et le fableor (XIIe s.), un « conteur de fables » voire
un « menteur ». Le paradigme de mensonge est constitué principalement
du v. mentir (XIe s.) et du subs. menteor (XIIe s.).
Paradigme sémantique : en tant que genre littéraire, la fable peut entrer
dans le paradigme de chanson de geste°, de conte, de lai, de roman°, etc.
Dans le sens de « propos », on renverra à parole (voir parler°) ou raison°.
Évolution : dire des fables en MF signifie encore « raconter des histoires »,
de même que l’expression tenir a fable prend le sens de « considérer une
chose comme imaginaire ». L’expression sans fable signifie « sans
exagérer ». On voit là que le terme est bien ancré dans la langue. Plus
exactement, il l’est dans des locutions figées qui ne permettront pourtant pas
au subs. de survivre dans cette acception. Aujourd’hui, seul le sens de «
récit imaginaire », « conte allégorique » demeure dans la langue,
particulièrement en littérature : pensons aux célèbres Fables de La Fontaine.
Plus généralement, il désigne un « récit symbolique dans lequel
l’imagination intervient pour une grande part ». Néanmoins, les sens de «
bavardage », « mensonge » ne sont sans doute pas absents d’une acception
secondaire actuelle du terme ; ex. : ce que vous me racontez là ne sont que
des fables, seuls les faits m’intéressent (fables étant employé ici dans le sens
de « rumeurs, mensonges ») ou il est devenu en trois jours la fable du
quartier (le « sujet de conversation principal »). De son côté, le subs.
mensonge bénéficie d’une relative stabilité sémantique jusqu’en FM et
signifie « affirmation contraire à la vérité faite dans l’intention de tromper ».

Faé
Origine : le terme, subs. ou adj. en AF, est issu du nom propre latin Fatam,
servant à désigner dans la mythologie les trois Parques, c’est-à-dire les
trois « déesses de la destinée » ; il entre ainsi dans le paradigme
morphologique latin de fatum, « destin », et fatalis, « prophétique ».
Ancien français : subs., le mot faé apparaît au XIIe s. avec les sens de (1) «
être fantastique », souvent fém., d’où (2) « magicienne » ou « fée ».
Plusieurs fées appartenant à la littérature médiévale sont restées célèbres,
notamment Morgane dans l’univers arthurien. Adj., le mot signifie (1) «
magique » et (2) « enchanté » voire « ensorcelé ».
Paradigme morphologique : notons principalement le v. faer (XIIe s.), «
enchanter », « ensorceler », la faerie (XIIe s.), qui est un « enchantement » ou
une « puissance magique », et la faee (XIIe s.), qui désigne la « magicienne »
ou la « sorcière ».
Paradigme sémantique : subs. ou adj., faé peut être mis en relation avec
mage (XIIIe s., du latin magum), « magicien », « savant » et, plus tard,
magicien (XIVe s.), mais aussi enchanteor (XIe s.), « celui qui ensorcelle,
fait des sortilèges » (le v. enchanter en AF se limite au sens d’«
ensorceler »), sorcier (du latin populaire *sortiarium, « diseur de sorts »,
dérivé de sortem), ou encore nigremancien (voir nigremance°) voire
devin°.
Évolution : le v. faer disparaît de l’usage en MF, alors que féerie est
toujours usuel dans le sens de « spectacle merveilleux, extraordinaire ». Le
terme fée, lui, reste bien ancré dans l’univers littéraire. Au XVIe s., fée
conserve les mêmes sens que ceux de l’AF, puis prend progressivement
dans la langue celui de « personnage féminin imaginaire, doté de pouvoirs
fantastiques et censé influer sur le monde des vivants » ; il y a alors les
bonnes et les mauvaises fées. Le mot est entré dans le vocabulaire usuel
pour désigner une personne douée d’une adresse manuelle exceptionnelle,
notamment dans l’expression avoir des doigts de fée. Notons enfin
l’expression vivre un conte de fées signifiant « vivre une aventure
extraordinaire ».

Faillir
Origine : issu du latin populaire *fallire, le v. provient du latin fallere, «
tromper », « échapper à qqn. ou qqch. », d’où les sens dérivés de « faire
défaut », « manquer » et finalement « commettre une faute », qui vont être
repris en AF.
Notons par ailleurs que le v. fallere a également produit en latin populaire
*fallere (avec le e de -ere long, contrairement au latin classique) et en AF
falloir (XIIe s.). L’étymologie de faillir et de falloir est donc commune.
Falloir signifie « manquer », « manquer à », « avoir besoin », « être
nécessaire » et sa conjugaison est défective. En effet, il n’est souvent
utilisé qu’en tournure impersonnelle, ce qui en fait un équivalent de v.
comme convenir° et estovoir°.
Ancien français : le v. faillir connaît ses premières attestations au XIe s. avec
les sens de (1) « manquer, échouer », « manquer à, décevoir », (2) «
commettre une faute » et (3) « finir », « prendre fin ». Plusieurs locutions et
expressions sont attestées en AF et MF ; ex. : faillir son chemin, « s’écarter
involontairement du chemin », faillir de compaignie, « fausser
compagnie », icy fault la regle, « ici la règle fait défaut ».
Paradigme morphologique : le subs. fém. faillance apparaît au XIe s. avec le
sens de « manque », « privation » ou « faute ». On le trouve dans la locution
verbale ne faire faillance, « ne pas manquer de », et dans sans faillance, «
incontestablement ». Le subs. faille (XIIe s.) signifie « mensonge », «
tromperie », « faute », « manque ». Il entre dans les locutions faire faille a,
« perdre », et a faille, « en pure perte ». Enfin, le v. defaillir (XIe s.) prend en
AF le sens de « manquer, faire défaut » et de « prendre fin ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer mescheoir (voir
cheoir°) ; en effet, les autres v. synonymes ou parasynonymes sont plus
tardifs, manquer ne prenant qu’au XVIe s. le sens de « faire défaut » et
échouer (également du XVIe s.) n’ayant pas le sens de « ne pas réussir une
action entreprise » avant le XVIIe s. Dans le sens 2, on peut renvoyer au v.
pechier (voir pechié°). Dans le sens 3, à finer / finir (voir fin°) ou chever /
chevir (voir chief°).
Évolution : le v. est encore très productif en MF. On rencontre plusieurs
locutions comme sans faillir, « sans aucun doute », estre failli, « mourir »,
etc. De nos jours, on ne l’emploie plus guère qu’à l’infinitif dans le sens
de « manquer à », « céder » ; ex. : faillir à ses devoirs, il ne faut jamais
faillir devant l’adversaire. Le sens de « commettre une faute » est
cependant toujours présent dans certaines expressions ; ex. : je n’ai
vraiment pas pu résister à la tentation et j’ai failli. Enfin, il peut servir de
semi-auxiliaire avec le sens d’« être sur le point de faire qqch. » ; ex. :
nous avons failli échouer mais la providence était avec nous.

Fame
Origine : le subs. fém. fame est issu du latin feminam, « femelle », puis «
personne de sexe féminin », « femme », « épouse ». Il existait également
en latin le mot uxor, « épouse », et mulier, « femme », « épouse », qui ont
donné respectivement en AF oissor et moillier, termes attestés tous deux
au XIe s. mais qui ne seront pas employés au-delà du MA.
Ancien français : le mot entre dans la langue sous les graphies fame, feme,
puis femme au Xe s., avec le sens de (1) « personne de sexe féminin,
femme », (2) « épouse » et (3) « femelle ». Ces trois sens correspondent à
ceux du latin. Contrairement à d’autres termes issus également du latin
(voir le paradigme sémantique ci-dessous), le mot fame est plutôt neutre
sémantiquement puisqu’il peut endosser plusieurs sèmes selon le contexte
(animé et fém. de toute manière, mais humain ou non, noble ou non, marié
ou non, etc.).
Paradigme morphologique : l’adj. femenin (XIIe s.) signifie en AF «
empreint de féminité », le subs. fém. femerie (XIIe s.), « sexe féminin » ou
« féminité », femele (XIIe s.), « personne du sexe féminin » mais surtout «
femelle de l’animal ». Le v. effeminer est attesté au XIIe s. avec le sens de «
perdre son énergie ». Au XIVe s., on note femmelette, « faible femme » ou
« femme ignorante ».
Paradigme sémantique : le mot entre dans le paradigme des
dénominations de la femme, dont il est en quelque sorte l’hyperonyme. On
peut donc se reporter à dame°, damoisele°, jovencele° et pucele°.
Évolution : en MF, le mot femme pouvait être utilisé comme apostrophe ou
entrer dans un certain nombre de locutions à caractère plus ou moins
péjoratif. Aujourd’hui, le mot conserve la valeur générique contenue dès le
MA d’« être humain de sexe féminin » mais remplace aussi, pour désigner
une « épouse », les subs. oissor et moillier (employés respectivement en ce
sens jusqu’au XIVe s). En revanche, le mot épouse (espous(e) en AF, du latin
sponsam / sponsum, participes passés du v. spondere, « promettre, engager »,
notamment dans le cadre d’un mariage) est toujours employé dans ce sens en
FM. Un emploi adjectival moderne contient le sème de la féminité ; ex. :
c’est une femme très femme (« très féminine »). Au sens de « personne de
sexe féminin », de nombreuses locutions sont créées, comme femme de
ménage, femme de tête, femme au foyer, prendre femme (contre prendre
mari), femme de mauvaise / petite vie (« prostituée »), sage-femme, etc.
Feindre
Origine : le v. est issu du latin fingere, « façonner », « pétrir, modeler », «
imaginer », puis « inventer », notamment « inventer faussement ». Le
sème de la simulation est donc déjà présent en latin.
Ancien français : le v. entre dans la langue française au XIe s. avec un sens
concret (peu employé en AF) et des sens figurés hérités du latin, soit (1) «
façonner », mais surtout (2) « imaginer, inventer », d’où « simuler », puis
(3) « hésiter », « manquer de courage » et, par voie de conséquence, (4) «
montrer de la paresse ».
Paradigme morphologique : la feintise (XIIe s.) ou le feignement (XIIe s.)
désignent la « tromperie » ou la « dissimulation » en AF. L’adj. feint (XIIIe
s.) qualifie d’abord une personne molle, paresseuse, d’où le terme feignant
(XIIIe s.), qui subit probablement l’influence du v. feindre à partir de la
forme fait neant, littéralement « qui ne fait rien » ; mais l’étymologie est
ici peu sûre et trahit l’ambiguïté des graphies feneant, faineant, feignant.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut renvoyer à confire° ou
ovrer (voir ovre°) ; dans le sens 2, à trover° d’un côté, qui peut signifier «
inventer », et dans le sens de « simuler », à sembler (voir semblant° ; le v.
simuler est plus tardif et apparaît au XIVe s.), ou bien à fabler et mentir
(voir fable°) ; dans le sens 3, voir douter° ; dans le sens 4, voir oiseus° et
ses synonymes.
Évolution : outre les sens médiévaux, le MF développe celui de «
représenter », notamment pour une œuvre artistique. En outre, la locution
se faire feindre signifie « se laisser abuser, tromper » et l’on y retrouve le
sens 2. En FM, le v. est surtout attesté dans le domaine des sentiments ou
3du comportement ; ex. : feindre l’amour, feindre la maladie, feindre la
joie, feindre l’ignorance, etc. Plus généralement, il signifie « faire
semblant de ». L’adj. feint prend le sens de « factice » à partir du XVIIe s. ;
ex. : c’est un bonheur feint.

Felon
Origine : l’étymologie du subs. et de l’adj. felon n’est pas certaine, mais on
admet en général qu’il vient d’un francique *fillo signifiant « celui qui
maltraite », « celui qui flagelle », latinisé en *fellonem. Il est possible par
ailleurs que le subs. latin fel, « fiel », « amertume », « colère », ait influencé
par sa proximité homographique le sémantisme du mot felon, en insistant
sur la dimension psychologique du qualificatif.
Ancien français : il entre dans la langue française en tant que subs. ou adj.
biforme (fel au cas sujet sing.) au Xe s. avec les sens de (1) « cruel », «
impitoyable », « pervers », « méchant », mais aussi de (2) « traître », «
déloyal », « rebelle ». Le terme est très péjoratif en AF. Le felon au MA
est une personne qui manque à son devoir consciemment, quelle que soit
sa position : dans le vocabulaire chrétien, c’est le « parjure », dans la
noblesse, « celui qui agit contre la foi due à son seigneur » et rompt ainsi
le lien vassalique. L’exemple le plus célèbre de felon au MA est celui de
Ganelon dans la Chanson de Roland, qui trahit à la fois son roi,
Charlemagne, et Roland.
Paradigme morphologique : la felonie (XIe s.) est une notion très
importante dans la société médiévale. Elle désigne précisément « l’insulte
ou la trahison commise par un vassal à l’encontre de son seigneur ou
inversement, entraînant la rupture du lien qui les unit ». Mais le mot peut
aussi renvoyer à toute sorte de « trahison », « perfidie » ou «
méchanceté ». Notons également le fém. felenesse (XIIe s.), « traîtresse », et
l’adj. feloneus (XIIIe s.), « perfide », « cruel ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut renvoyer à fier° ou à mal /
mauvais° ; dans le sens 2, à traïtor / traïtre (XIe s.) ou à coart°. Notons en
outre que l’adj. felon se trouve souvent associé à orgoilleus (voir orgueil°).
Évolution : félon (subs. et adj.) reste un terme historique du droit féodal et
signifie « (personne) qui viole les engagements contractés envers le
seigneur » et, plus généralement, « (personne) qui trahit ses
engagements » ; ex. : un serviteur félon, un officier félon. Ainsi le sens
adjectival de « qui est empreint de déloyauté » reste usité sinon usuel en
FM ; ex. : jeter un regard félon.
Ferir
Origine : le v. provient du latin ferire, « frapper ».
Ancien français : attesté en AF à partir du XIe s., le premier sens de ce v.
très usuel est tout simplement (1) « frapper », en construction transitive («
frapper qqch. ou qqn. ») comme intransitive (« frapper, porter un coup /
des coups »). On le rencontre particulièrement dans les textes épiques. À
partir du sème de la vitesse (au combat), il peut alors prendre le sens de (2)
« se précipiter avec ardeur ». On trouve l’expression ferir un tournoi, «
soutenir un tournoi » et, à partir du XIIIe s., sans coup ferir, « sans avoir à
combattre ». En outre, à partir de la fin du XIIe s., le v. peut aussi signifier,
de manière figurée, (3) « frapper le cœur de qqn. » donc « rendre
amoureux ». Il entre ainsi dans le vocabulaire de la littérature amoureuse.
Paradigme morphologique : notons simplement l’adj. issu du participe
passé feru (XIe s.), qui signifie d’abord « blessé », conformément au
premier sens du v. Au MA, un tournoi feru est un événement où les coups
pleuvent. Mais par la suite, l’adj. suit l’évolution du v. et prend le sens d’«
épris », « sensible », surtout à partir du XIVe s. D’autres dérivés sont
communs à ferir et fer (du latin ferrum), notamment ferreor (XIIe s.), qui
désigne « celui qui combat », « celui qui frappe » et signifie dans certaines
occurrences le « cheval de bataille ». Le mot ferant (XIVe s.) lui est parfois
synonyme dans le sens de « celui qui frappe ».
Paradigme sémantique : on peut considérer surtout le v. fraper (XIIe s.,
d’origine francique), « frapper, porter des coups » en AF, mais surtout «
s’élancer, se jeter sur », sens que ferir connaît également. Notons aussi les
v. boter (XIe s., d’origine germanique), « frapper » et « heurter, pousser »,
et colper / colpir (XIe s.), dérivé de colp, « coup ». Plus largement, on peut
renvoyer à blecier°.
Évolution : le v. est concurrencé par frapper, qui finit par détrôner férir ; on
ne le rencontre plus alors que comme un v. d’emploi archaïque ou dans la
locution ancienne sans coup férir. En revanche, l’adj. féru est encore
employé en FM avec le sens de « passionné pour », « épris pour »,
conservant ainsi le sème de l’attachement qu’il avait pris au XIVe s. ; ex. :
je suis féru de grammaire.
Fief
Origine : l’origine de ce mot n’est pas certaine. Il provient probablement du
francique *fehu signifiant « bétail », latinisé pendant la période du latin
tardif en *feudum, puis feum, de même sens (les formes feus et feum sont
attestées à partir du VIIIe s. en latin médiéval).
Ancien français : la forme la plus répandue à partir du XIe s. est d’abord
fieu (issue de feum). Sans doute sous l’influence du v. fiefer ou fiever (XIIe
s.), le mot a pris la forme ultérieure fief que nous lui connaissons
aujourd’hui. En AF, le subs. désigne une « dotation octroyée par un
seignor° à un vassal° à titre de récompense, en contrepartie de sa fidélité
ou d’un service rendu ». Cette dotation peut être une terre mais, à
l’origine, il semble qu’il s’agissait plutôt de biens meubles. Le fief signifie
donc tout « droit, fonction, rente et terre donnés par un seigneur à un
vassal, impliquant un ensemble d’obligations réciproques ». Ce concept
est primordial pour comprendre les relations entre seigneurs et vassaux au
MA.
Paradigme morphologique : il est assez riche. Nous avons relevé plus haut
le v. fiefer ou fiever (XIIe s.), qui signifie « attribuer un fief » mais aussi «
faire un don » et implique ainsi une relation contrainte d’obligations entre
le donneur et le bénéficiaire. Au XIIe s., fiefage prend le sens de «
possession » et l’adj. fiefé (XIIe s.) celui de « qui détient un fief » donc «
vassal ».
Paradigme sémantique : voir les termes honor° ou terre°.
Évolution : fief est devenu un terme relevant du vocabulaire de la société
médiévale et n’a pas survécu au système féodal. En revanche, par
analogie, ce mot a retrouvé un emploi courant en FM où il a pris le sens de
« propriété dont qqn. est le maître exclusif », « bien possédé en
exclusivité » ; ex. : la ville de Lille est un fief électoral traditionnellement
de gauche. Dès le XVIe s., l’adj. fieffé prend le sens de « qui possède un
grand défaut ». Cette acception, que l’on trouvait déjà sous la plume de
Rabelais, demeure en FM dans quelques expressions ; ex. : c’est un fieffé
menteur. Enfin, feudataire s’emploie encore en FM, non plus dans son
sens premier mais par analogie, et signifie « grand seigneur » ; ex. : les
grands feudataires de l’industrie pharmaceutique, de la politique, etc.

Fier
Origine : l’adj. provient du latin ferum, « farouche », « sauvage », «
cruel », notamment à propos d’animaux sauvages (et dangereux).
Ancien français : lorsque l’adj. est attesté dans la langue française au XIe s.,
c’est avec le sens étymologique de (1) « féroce, redoutable », mais il
s’applique à des combattants (dans la Chanson de Roland par exemple) et
non plus seulement à des animaux. Il conserve néanmoins le sens de (2) «
cruel », « farouche », en parlant d’une action négative ou d’un ennemi. Il va
même jusqu’à être synonyme d’« orgueilleux » et « sûr de soi ». En
revanche, en tournure positive, il prend le sens de (3) « très grand », «
excellent » voire « extraordinaire ». On note donc que cet adj. est
polysémique en AF et il convient de repérer son entourage sémantique et
lexical pour bien en comprendre le sens exact.
Paradigme morphologique : on note le subs. fierté (XIe s.), qui suit
l’évolution sémantique de l’adj. puisqu’il signifie « force », « sauvagerie »,
« vaillance », « orgueil », « assurance », etc. La fieresse (XIIe s.) désigne la
« férocité » et le v. fiercir (XIVe s.), l’acte de « devenir violent ». Signalons
enfin le subs. fierabras (XIVe s.), qui prend le sens de « faux brave ». Ce
mot est cependant attesté antérieurement dans les chansons de geste mais
comme nom propre d’un géant sarrazin.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut renvoyer à fort° ou hardi°
; dans le sens 2, à felon° ou éventuellement à orgoilleus (voir orgueil°) ;
dans le sens 3, voir le paradigme de bel°. On réservera enfin un sort
particulier à l’adj. estout (XIIe s., du francique *stolt, « orgueilleux »), dans
la mesure où, comme fier, il peut s’entendre aussi bien dans le sens
favorable d’« audacieux » ou « opiniâtre » que dans le sens nettement plus
défavorable d’« orgueilleux », « téméraire » voire « insensé »,
probablement d’ailleurs par confusion avec son homonyme estolt (XIIe s.),
du latin stultum, « insensé », « idiot », qui conserve ce sens en AF.
Évolution : l’adj. fier est très employé en MF et en français classique, avec
tous les sens énumérés ci-dessus. Mais il perd progressivement les sens 1
et 2 pour signifier aujourd’hui « qui a le souci de sa dignité », « qui se
respecte » voire « qui est satisfait », sans qu’il y ait forcément de nuance
péjorative ; ex. : je suis fier de mes origines, vous devriez être fier de vos
enfants. On parle aussi volontiers en FM d’un cœur fier, d’une âme fière,
etc. Il entre aussi dans nombre d’expressions et locutions, comme ne pas
être fier de qqch., « avoir honte », être fier comme un paon, etc. En
somme, les emplois de l’adj. se sont essentiellement restreints au domaine
psychologique, même si la valeur méliorative générale peut subsister dans
certains emplois ; ex. : avoir fière allure.

Fin
Origine : le subs. provient du latin finem, « limite », « but », « terme »
voire « degré supérieur de qqch. ».
Ancien français : le subs. est attesté au Xe s. avec le sens de (1) « fin », «
terme », par exemple dans la locution verbale prendre fin, « s’arrêter ».
Par extension et d’une manière générale, il signifie (2) « limite » et
spécifiquement, pour la vie humaine, (3) « mort » (ainsi metre a fin veut
dire « massacrer »). Le subs. a aussi signifié en AF (4) « arrangement », «
accommodement » puis (5) « argent ». Les sens 4 et 5 découlent sans
doute du sens 1, l’« arrangement » étant un moyen de mettre fin à un
conflit. Ainsi faire fin désigne l’acte de « payer », d’« en finir avec les
dettes », par exemple.
Il ne faut pas confondre le subs. avec l’adj. fin, homographe en AF et de
même origine étymologique. Le sens de cet adj. est sans doute proche de
l’acception étymologique du subs., « degré supérieur », puisqu’il peut
vouloir dire « accompli, achevé », « excellent, parfait », et de là « délicat,
raffiné ».
Paradigme morphologique : le v. finer (XIIe s.) prend le sens de « finir,
achever » et de « mourir » (de même que finir, du latin finire), mais aussi
celui de « payer, s’acquitter » voire de « se procurer ». Ainsi le mot
finance (XIIIe s.) signifie aussi bien « argent » que « fin » à cette époque.
Paradigme sémantique : notons les subs. chief° et issue (voir issir°), dans
certains de leurs emplois ; voir aussi terme (XIe s.), qui signifie d’abord «
date à laquelle doit avoir lieu qqch. », puis au XIIe s., dans le vocabulaire
financier, « date à laquelle doit avoir lieu un paiement » (sens conservé en
FM), et par extension « arrêt », « fin ». Le mot limite est un emprunt au
latin du XIVe s. et désigne en premier lieu « ce qui borne un terrain » ; ce
n’est qu’au XVIe s. qu’il prend le sens figuré de « borne », « terme », «
démarcation ».
Évolution : en MF, le mot fin conserve ses sens médiévaux. Il s’emploie
particulièrement en FM pour marquer une limite dans le temps ; ex. : la fin
du mois, la fin des examens, etc. Par extension, il désigne la limite ultime
d’un acte, d’un fait, d’une situation ; ex. : la fin d’un cours d’ancien
français, la fin d’une carrière, etc. Dans cet emploi, les bornes temporelles
peuvent être plutôt floues : la fin de journée ne désigne pas en FM
strictement la seconde précise du passage du jour à la nuit mais plutôt une
temporalité distendue ; de même pour une fin de siècle ; quant à la fin des
temps… Plus couramment, le mot renvoie à l’idée d’interruption définitive,
temporelle ou non ; ex. : c’est une fin prématurée, édifiante. On note
l’expression mettre fin à, « terminer qqch. », prendre fin, « finir », ainsi que
de nombreuses locutions de toutes sortes dont nous ne citons que quelques-
unes : faire qqch. à des fins politiques, à toutes fins utiles, à la seule fin de,
la fin justifie les moyens, etc.

Foi
Origine : le subs. provient du latin fidem, « loyauté », « confiance », «
bonne foi », « promesse », bref, tout « ce qui produit la confiance chez
qqn. ». En latin chrétien, il a signifié « croyance en Dieu ».
Ancien français : le mot entre dans la langue au XIe s. avec toutes ses
acceptions étymologiques de (1) « croyance, foi », et spécialement «
croyance en Dieu » en contexte religieux ; mais il signifie aussi (2) «
confiance », notamment celle inspirée par la parole d’autrui, d’où (3) «
fidélité à la parole donnée », « engagement moral », « parole de fidélité
envers qqn. » (notamment dans le contexte féodal) et, par voie de
conséquence, il désigne la « fidélité » en tant que « lien de confiance
réciproque entre deux ou plusieurs personnes ». On rencontre fréquemment
ce subs. dans des locutions de type par foi ou par ma foi, « sur mon
honneur », « en vérité ».
Paradigme morphologique : l’adj. feal date du XIIe s. et signifie « fidèle »,
« sincère », « loyal » ; le subs. feauté (ou fealté) en est dérivé et prend, au
XIIe s. également, le sens de « fidélité », « loyauté » voire « serment ».
Notons également l’adj. feable (XIIe s.), « à qui on peut se fier », l’adverbe
feablement (XIIIe s.), « fidèlement », et le subs. feableté (XVe s.), «
confiance ». Le v. fier (XIe s.) est issu du latin populaire *fidare, pour fidere,
et signifie en AF « avoir confiance », « assurer sur son honneur » ; il
possède un antonyme, desfier (XIe s.), « retirer sa confiance », « (se)
désavouer » et « provoquer, défier ». Le subs. dérivé fiance (XIe s.) acquiert
très vite également le sens de « confiance ». Enfin, le v. fiancer (XIIe s.) et le
subs. plu. fiançailles (XIIe s.), tous deux issus de fiance, signifient
respectivement « prendre un engagement » et « promesse de mariage ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer creance (voir
croire°) ; dans le sens 2, voir fiance puis confiance à partir du XIIIe s., mais
aussi seürance (voir seür°) ; dans le sens 3, l’adj. fidele (Xe s.) a donné le
subs. fidelité (XIIIe s.), « qualité de celui qui est attaché à ses devoirs ».
Évolution : le MF développe de nombreuses expressions (avec la graphie
ornée foy), comme faire sa foy, « jurer fidélité », faire foy de, « prouver
l’existence de », a la bonne foy, « de bonne foi », etc. Le mot est très usuel
dans la langue, et ce jusqu’en FM. C’est principalement l’idée
d’engagement qui est présente dans tous ses emplois. De manière
générale, il signifie « assurance donnée de tenir un engagement » ; ex. :
être fidèle à sa foi, trahir la foi conjugale. La locution faire foi dénote la
notion d’engagement couplée à celle du témoignage et de l’assurance ;
ex. : le cachet de la poste faisant foi. Enfin, la bonne foi est la « qualité de
qqn. qui a la conviction de se comporter loyalement ».

Fol
Origine : le mot est subs. et adj. en AF. Il provient du latin follem, «
soufflet pour le feu », « bourse de cuir », puis « ballon ». Il prend le sens
d’« idiot », « sot » en latin tardif, sans que le lien sémantique ne soit
explicite (par métaphore peut-être, la tête du fou étant vide comme un
soufflet ou un ballon ?).
Ancien français : le mot est attesté sous la forme fol au XIe s. avec un sens
proche de celui qu’avait le terme en latin tardif, à savoir « idiot », «
personne dont le comportement est léger ou déraisonnable », « futile »,
voire « frivole ». Il prend d’ailleurs dès les premiers textes le sens de «
déraisonnable » en emploi adjectival, par opposition à sage°. Plus
généralement, il signifie en AF « insensé », « fou », d’où le sens propre au
vocabulaire chrétien de « pécheur », où le terme qualifie en quelque sorte
celui dont le comportement est déraisonnable au regard de la foi. Enfin, le
fou au sens de « bouffon du prince » est surtout une figure de la fin du MA
(XIVe-XVe s.), aux attributs très reconnaissables : il est en effet « costumé de
vert et de jaune, coiffé d’une capuche surmontée d’oreilles (d’âne) cousue
de grelots, et muni de la marotte, image inversée du sceptre »11.
Paradigme morphologique : il est très riche. On peut citer le subs. folie
(XIe s.), « passion », d’où « ardeur désordonnée au combat », le v. foler (XIIe
s.), « être fou », « devenir fou » ou « tromper », alors que le v. folier ou
foloier prend le sens de « faire des folies », « s’amuser ». Enfin, foleter
(XIIIe s.) signifie « faire le fou ». Plus tardivement (XVIe s.), folatries (au
plu.) a pour sens « petits amusements », « actions frivoles », et dérive de
folastrer (XVe s.), « s’amuser ».
Paradigme sémantique : on peut citer divers adj. associant souvent les
sémantismes de la stupidité et de la folie, tels desvé ou dervé (XIe s.,
d’origine incertaine, peut-être à relier à desvoier (voir voie°), « fou,
furieux, enragé », estolt (XIIe s.), issu du latin stultum, « insensé », «
idiot », qui conserve son sens étymologique en AF, ou forsené (XIe s.),
littéralement « qui est hors du sens » (voir sen°). Le mot insensé est plus
tardif et apparaît au XIVe s. avec le sens « qui n’a pas sa raison ».
Évolution : au XVIIe s., Furetière note que la graphie et la prononciation fol
est vieillie. On lui préfère déjà la forme fou au masc. L’adj. est alors
souvent postposé au subs. qu’il qualifie et la liaison (fol contre fou devant
voyelle) n’est pas problématique ; ex. : un monde fou, un amour fou, etc.
(sauf dans quelques cas en FM : un fol entêtement). D’une manière
générale, le terme désigne un « comportement qui présente des troubles »,
« qui sort de la normalité » ; ex. : fou à lier, fou furieux, etc. Au figuré, de
nombreuses locutions qui marquent la perte (consciente ou non) de la
raison sont attestées. Les sèmes de la violence, de l’amour (raison contre
passion) sont les plus fréquents ; ex. : cette circulation me rend fou, je suis
fou d’elle, il est fou de jalousie, exprimer un désir fou, etc.

Fondre
Origine : le v. est issu du latin fundere qui signifiait « verser », «
répandre », puis « fondre un métal », « renverser » et « abattre ».
Ancien français : attesté depuis le XIe s. en français, le v. prend d’abord le
sens de (1) « s’effondrer », « être renversé », « tomber », peut-être sous
l’influence du v. fondrer (XIIIe s., du latin populaire *funderare, pour
fundare, de fundus, « fond ») ou de son dérivé esfondrer (fin XIIe s.), «
mettre / tomber au fond », « enfoncer », « s’effondrer ». Au XIIe s., il prend
celui de (2) « répandre », « verser », conforme à son étymon. Enfin, par
extension de cette acception, il signifie (3) « mêler ensemble » deux ou
plusieurs substances, notamment les liquides, d’où « rendre liquide » et «
fondre ».
Paradigme morphologique : l’adj. fondu (XIIe s.) relève du sens 1 et
signifie « détruit », « délabré », « renversé », de même que le v. confondre
(XIe s.), « détruire », « renverser ». En revanche, la fondeüre (XIIIe s.) n’est
autre que la « fonte », « action de fondre un liquide » et le font (XIIIe s.), le
« fer fondu non encore forgé ».
Paradigme sémantique : voir le paradigme de verser°, et celui de gaster°
pour des termes signifiant plutôt « détruire ».
Évolution : en MF, le sens 1 est toujours majoritaire dans les emplois du v.
La notion d’anéantissement est omniprésente. Le MF développe les sens «
réduire à néant », « détruire », « tomber », « amaigrir », « dissoudre ». Le
sens de « se laisser attendrir » date du XIVe s. ; ex. : elle a fondu en le
voyant rougir de la sorte, fondre en larmes. La locution issue du
vocabulaire de la fauconnerie fondre sur devient courante à cette époque
(surtout au XVIe s.) ; elle signifie alors « s’abattre sur », « se précipiter sur
qqn. ou qqch. ». En FM, le mot entre dans le vocabulaire scientifique de la
physique avec le sens de « soumettre un corps solide à l’action d’une
source de chaleur afin de le liquéfier » (ex. : fondre le bronze) mais
connaît beaucoup d’emplois usuels, dont « réduire », « dissoudre », « se
dissoudre » ; ex. : il faut faire fondre le beurre, ce bonbon fond dans la
bouche, en un mois de régime, j’ai littéralement fondu. Le sens 3 de «
mêler ensemble » au figuré est encore attesté en FM ; ex. : fondre deux
ouvrages en un seul.

Forbir
Origine : le v. est issu du francique *furbjan, « nettoyer ».
Ancien français : il est attesté en français à partir du XIe s. avec le sens
étymologique de « nettoyer » et s’applique à tous les domaines de la vie. Il
peut ainsi signifier indifféremment « panser », « raccommoder », « laver »,
etc. Mais dans le contexte littéraire, il renvoie particulièrement au
nettoyage des armes et signifie donc souvent « polir une arme par
frottement ».
Paradigme morphologique : le paradigme morphologique est constitué du
subs. forbeor, daté du XIIIe s., avec le sens d’« artisan qui polit et monte les
armes blanches ».
Paradigme sémantique : on peut citer tout simplement le v. laver (Xe s., du
latin lavare), mais aussi curer (voir cure°) et neteier (XIIe s., dérivé de
l’adj. net, du latin nitidum, « brillant, resplendissant »), qui donnera
nettoyer en FM.
Évolution : le v. fourbir n’est plus guère employé en français. La langue
classique l’utilise encore avec le sens de « nettoyer en frottant » mais ce
sens est aujourd’hui vieilli (fourbir la vaisselle, une fourchette, un plat se
rencontrent encore parfois en littérature). En revanche, le v. est toujours
usuel au figuré dans l’expression fourbir ses armes, « se préparer au
mieux à affronter un danger » et, par extension, « préparer qqch. avec
soin ».
Forc
Origine : le subs. masc. forc provient du latin tardif *furcum, de furca, «
fourche », « bois fourchu », puis « instrument de supplice ». Le mot furca
donne aussi en AF forche, fém. de même sens (voir ci-dessous le
paradigme morphologique).
Ancien français : le mot est attesté comme subs. masc. à partir du XIIe s.
avec le sens de « fourche » puis, au figuré, de « bifurcation », pouvant
désigner toute séparation ayant la forme d’une fourche, comme une
branche d’arbre se séparant en deux, un cours d’eau, etc. Au XIIIe s. le mot
est aussi employé comme adj. au sens de « fourchu ».
Paradigme morphologique : il faut d’abord considérer le subs. fém. forche
(XIIe s.), de même origine étymologique et de même sens en AF. Au plu.
cependant, il signifie aussi « gibet à plusieurs piliers » et désigne par
ailleurs un « instrument d’agriculture possédant un manche et deux pointes
en bois ». L’expression traiter a la forche prend le sens de « traiter qqn.
durement ». Autre subs., forcheüre (XIe s.) est un mot attesté dans la
Chanson de Roland qui signifie « endroit où qqch. commence à
bifurquer » et « endroit où les jambes se séparent » ; dans ce dernier sens,
il peut même faire partie des qualités physiques dignes d’éloge chez un
chevalier, une large forcheüre signalant un bon cavalier, un homme
vigoureux. Notons aussi le v. forchier (XIIe s.), « se croiser » ou « se
diviser ». Le v. dérivé enforchier (XIIe s.) a d’abord signifié « garnir de
pointes disposées en épis » et, plus tardivement, « monter sur une bête ».
Enfin, pensons à la forchete (XIVe s.) qui désigne d’abord une « petite arme
fourchue », puis un « ustensile de table ».
Paradigme sémantique : notons crois (Xe s.) et le subs. croisement, qui est
attesté à partir au XIIe s. avec le sens exclusif d’« action de partir en
croisade ». Ce n’est qu’au XVIe s. qu’il acquiert celui d’« action de disposer
en forme de croix ».
Évolution : dès l’AF, forc est fortement concurrencé par le fém. forche, plus
polysémique. Il disparaît à son profit en MF. Aujourd’hui fourche est
d’emploi usuel et désigne toujours un « instrument d’agriculture composé
d’un manche en bois et de deux ou plusieurs pointes en métal ou en bois ».
On notera que bifurquer (XVIe s.) et bifurcation (XVIe s.) sont tous deux
construits sur l’adj. latin bifurcus, « en forme de fourche », et signifient
respectivement « se diviser en deux branches » et « division en deux
branches ».

Fort / Force
Origine : l’adj. fort provient du latin fortem, « courageux », « fort », «
puissant ». Le subs. force est quant à lui issu du latin tardif *fortiam, «
force », « puissance ».
Ancien français : l’adj. est attesté à partir du Xe s. avec les sens
étymologiques de (1) « fort », « puissant », « robuste » et (2) «
courageux », conformément à l’un des sèmes étymologiques. Mais, à la
même époque, un sens connoté négativement est lui aussi usuel, celui de
(3) « pénible, douloureux, difficile, dur ». Le subs. force (XIe s.) suit la
même orientation sémantique et signifie (1) « force, puissance », «
autorité », (2) « courage » et enfin, (3) « difficulté ». On trouve en AF
l’expression lexicalisée a force, qui dénote le sème de la ténacité
puisqu’elle signifie souvent « beaucoup ». On notera en outre qu’au XIIIe s.,
à partir de l’adj. se crée le subs. fort, qui désigne un « lieu fortifié », mais
aussi un adverbe, d’abord dans l’expression au fort, « après tout », «
enfin », « en fait », puis employé seul avec le sens de « très », comme en
FM.
Paradigme morphologique : à partir de fort on note le subs. forterece (ou
fortelece), du XIIe s., avec les sens de « puissance », « force » mais aussi
déjà de « lieu fortifié servant à défendre un territoire ». Plus tardivement,
ce mot désignera tout édifice difficile d’accès. L’adj. fortif (XIVe s.) est plus
tardif et signifie « vigoureux ». À partir de force, on note forcier et son
dérivé esforcier°, forcible (XIIe s.), « puissant », forcerie (XIIIe s.), «
violence », et forçoier (XIIe s.), « attaquer », « contraindre ».
Paradigme sémantique : l’adj. peut être mis en relation avec dru°,
poissant, riche°, vigoureus (XIIe s.), « qui croît avec force », mais aussi
hardi°, ainsi que les adj. relevant du paradigme sémantique de dolor° ; le
subs., avec vigor (XIe s.), « force », mais aussi avec poesté (Xe s., du latin
potestatem) ou potence (XIIe s., du latin potentia), « puissance, pouvoir »,
ou tout simplement avec l’infinitif substantivé pooir (IXe s., du latin
populaire *potere, pour posse). Il n’est d’ailleurs pas rare de rencontrer en
AF le binôme parasynonymique force et pooir, qui marque à la fois le
courage et la puissance au combat.
Évolution : fort et force restent très usuels en MF puis en 3FM. Plusieurs
emplois ont été développés, notamment l’emploi adverbial (ex. : tenir fort,
« tenir bon », avoir fort à faire, « avoir beaucoup à faire », se faire fort de,
« prétendre », etc.), ainsi que de nombreuses locutions figées plus ou
moins récentes (ex. : force de frappe, force publique, être dans la force de
l’âge, à force de, etc.). Par euphémisme, on parle d’une personne forte et,
par extension, d’une forte tête et d’un fort en thème, « étudiant qui obtient
de brillants résultats ».

Fraindre
Origine : le v. est issu du latin frangere, « briser, rompre », « fracasser,
mettre en pièces » et, par atténuation métaphorique, « affaiblir », «
atténuer » puis « réduire » et « dompter ».
Ancien français : le v. est attesté au XIe s. dans la Chanson de Roland et
possède la plupart de ses sens étymologiques, soit (1) « briser, rompre », «
fracasser, détruire », d’où, au figuré, « briser la résistance de, dompter »,
puis, par le même phénomène d’atténuation, (2) « affaiblir », « faiblir » et,
par voie de conséquence, « céder », « être vaincu ».
Paradigme morphologique : au XIe s., le fraignement est une « brisure »,
alors qu’à partir du XIIe s. le frait désigne le « fracas », le « vacarme » et la
fraite, assez polysémique, renvoie à l’idée, au propre et au figuré, de
cassure, d’où les sens de « bris », « cassure », « brèche », « passage
difficile à effectuer », « difficulté ». Au XIIe s., la frainte désigne aussi bien
« l’action de briser » que le « bruit » résultant de cette action, et le fretin
(XIIIe s.) est une « fracture », un « débris ». Notons enfin le v. enfraindre
(XIe s., du latin populaire *infrangere, pour infringere), qui est employé en
AF dans des sens concrets proches de ceux de fraindre.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer brisier (XIe s.,
d’origine gauloise), « briser, rompre », rompre (XIe s., du latin rumpere) et
son dérivé desrompre, « rompre, déchirer » et renvoyer au paradigme de
gaster° pour l’acception « détruire » ; dans le sens 2, voir feblir / flebir
(XIIe s., dérivé de l’adj. feble, du latin flebilem) ou recroire (voir croire°).
Évolution : face aux nombreux synonymes (rompre, briser, fracasser, etc.),
le v. ne survit pas à l’AF. Le XVIe s. ne retient du paradigme morphologique
que le subs. frain dans le sens de « bruit ». Reste cependant en FM
l’expression menu fretin : à partir de fretin au sens de « petits débris », la
langue du XVIIe s. fait de fretin le terme collectif pour les « petits poissons
pris dans les filets que les pêcheurs rejettent à la mer ». Par extension
métaphorique, il désigne aux XVIIIe s. et XIXe s. des « gens de petite
condition dont on fait peu de cas » (ex. : le menu fretin du peuple) et
finalement fretin, employé seul, peut désigner toute chose ou personne
considérée comme insignifiante. On notera pour finir que, de son côté, le
v. enfreindre a subsisté jusqu’à aujourd’hui mais seulement dans des
emplois figurés.

Franc
Origine : l’adj. est sans doute emprunté au francique *frank, latinisé en
*francum. Il servait alors à désigner le peuple des Francs. Le contexte
sociopolitique donne une tonalité particulière à cet adj., celle de la liberté ;
il signifie dès lors « libre ».
Ancien français : attesté à partir du XIe s., l’adj. est très usuel au MA avec
le sens de (1) « libre ». Il s’oppose ainsi à serf°, qui rappelle évidemment
la notion de dépendance sociale et statutaire. Par extension, celui qui est
libre appartient en quelque sorte à la noblesse et l’adj. a très vite pris le
sens de (2) « noble ». Enfin, tout au long du MA, le sens étymologique (3)
« habitant de la Francia », « Franc », est attesté. C’est le sens qu’il a
souvent dans la Chanson de Roland.
Paradigme morphologique : il est en concurrence avec l’adj. franceis (XIe
s.), que l’on peut traduire par « français », c’est-à-dire « sujet du royaume
de France », mais qui peut aussi signifier « noble » ; francor est un adj.
plur. qui signifie « des Francs, des Français » : la langue francor, c’est la
« langue française ». Sur l’autre versant sémantique, franchise (XIe s.) est
un subs. fém. qui prend le sens de « liberté », tandis que francheté (XIIe s.)
renvoie plutôt à la « franchise » qu’à la « liberté » et signifie aussi « action
noble ». Enfin, citons le v. franchir (XIIe s.) et son synonyme dérivé
afranchir (XIIIe s.), « libérer », « délivrer », et le subs. franchissement (XIIIe
s.), déverbal de franchir, « libération ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir quite° ; dans le sens 2, voir
noble° ; dans le sens 3, voir ci-dessus.
Évolution : en MF, le sens de l’adj. se diversifie. Sa valeur laudative lui
permet d’acquérir les acceptions de « pur », « entier », « sain », « net » et, au
figuré, l’adj. va jusqu’à signifier « sincère » et « vrai ». Ainsi, quelqu’un de
franc au trait est « travailleur ». Ces valeurs se conservent en FM, tout
comme le sens de « libre », qui peut sembler vieilli mais subsiste néanmoins
dans de nombreux emplois et locutions ; ainsi, dans être franc, qui signifie en
quelque sorte « être libre de ses paroles », on retrouve le sème de la liberté
derrière celui de la sincérité (de même pour être franc du collier ou jouer
franc jeu) ; avoir les coudées franches, c’est les avoir « libres » ; enfin,
toujours à partir du sème de la liberté, des expressions comme ville franche
ou zone franche entrent dans le vocabulaire du commerce pour désigner des
lieux qui ne paient pas de droits, donc « libres » de droits. C’est aussi dans
cette direction qu’a évolué un des sens du subs. franchise : « exemption de
paiement d’impôts ». Le v. franchir a également développé le sème du
mouvement (concret puis abstrait) puisqu’il implique l’action de dépasser
(ex. : franchir un obstacle, un col, etc.), alors que son dérivé affranchir a
conservé le sens de « rendre libre », au propre comme au figuré.

Fremir
Origine : le v. est issu du latin populaire *fremire, pour fremere, «
gronder », « retentir », « faire entendre un bruit sourd ».
Ancien français : le v. fremir apparaît au XIIe s. en français avec les sens
étymologiques de « faire du bruit, retentir », « gronder », d’où, en sortant
du champ sonore, « vibrer », « trembler » ou « s’agiter ». Le v. désigne
souvent le bruit des armes pendant la bataille, des feuilles dans la forêt, du
vent qui souffle, etc. Mais il caractérise aussi une personne en proie à
l’agitation, sous l’effet de la peur, de la crainte, de l’effroi.
Paradigme morphologique : en AF, le subs. fremor (XIe s.) sert à évoquer la
« rumeur » et souvent aussi le « vacarme » en plein milieu du combat, dans
les chansons de geste. Le v. fremiller (XIIe s.) décrit une agitation et les adj.
fremillon (XIIe s.) et fremilleus (XIVe s.) signifient respectivement «
bruissant » et « impétueux ».
Paradigme sémantique : outre bruire (voir crier°) ou tentir (XIIe s.), « (faire)
retentir, tinter », on peut citer, parce qu’il associe comme fremir la notion de
bruit à celle de mouvement, le v. bondir (XIe s., du latin tardif *bombitare,
fréquentatif de bombire, « bourdonner »), « (faire) retentir », puis «
rebondir », « bondir », « sauter ». Voir aussi criembre° pour les acceptions
où l’on retrouve l’idée de « trembler de peur ».
Évolution : par affaiblissement de sens, le v. désigne à partir du MF
l’action de « être agité d’un léger mouvement qui produit un son faible »
(ex. : le vent fait frémir les arbres de la forêt) et se rapproche ainsi de
bruire. Plus généralement, il signifie « trembler », « éprouver vivement » ;
ex. : j’en frémis d’horreur, frémir de tout son corps. Enfin, en parlant d’un
liquide, le v. désigne l’approche de l’ébullition : l’eau qui frémit est en
effet sur le point de bouillir.
G

Gaaignier
Origine : du francique *waidanjan, « conduire à la pâture », formé sur
*waida, « pâturage ».
Ancien français : de (1) « mener à la pâture », gaaignier, attesté au XIIe s.,
prend d’abord en AF le sens de « cultiver, labourer », changement de sens
certainement lié à la pratique de la rotation des cultures (qui veut qu’une
partie des terres arables soit toujours laissée en jachère pour que l’on y
mène paître le bétail). D’où, par extension, le sens de (2) « faire du profit »
(employé intransitivement), « acquérir, obtenir, gagner », par le travail, par
la force (d’où aussi le sens de « conquérir, s’emparer de »), ou par un
hasard favorable. Et enfin, l’idée de profit passant au second plan, (3) «
l’emporter, être vainqueur », dans une bataille, un procès, au jeu.
Paradigme morphologique : notons plusieurs subs., dont gaaignage et
gaaignerie, qui prennent plutôt le sens de « culture », à la différence de
gaaigne et gaaing, qui signifient plutôt « gain, profit, butin » (mais parfois
aussi « culture »). Voir également gaaigneor, « laboureur, cultivateur » et
le v. regaaignier, « gagner ce qu’on avait perdu », qui donnera regain au
XVIIe s.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir laborer° ; dans le sens 2, voir
aquerre (voir querre°) ; dans le sens 3, voir conquerre ou vaincre (du latin
vincere), forme qui a supplanté en MF veintre ou veindre, « l’emporter,
vaincre » mais aussi, jusqu’au XVIIe s., « persuader » (il est ensuite
remplacé dans ce sens par convaincre).
Évolution : gaaignier perd à la fin du MA le sens de « cultiver » mais
conserve ses autres acceptions, soit « obtenir, gagner » (de l’argent,
l’estime de qqn.) et « vaincre, l’emporter », dans des contextes ludiques ou
sportifs mais aussi militaires (ex. : gagner un match, gagner la guerre).
Dans quelques emplois, on est passé toutefois de l’idée d’« obtenir » à
celle d’« atteindre », au figuré (ex. : le sommeil me gagne) ou au propre
(ex. : gagner le large).

Gaber
Origine : du scandinave gabba, « railler, se moquer ».
Ancien français : le v. gaber (XIe s.) signifie à la fois « plaisanter, faire des
plaisanteries », surtout en emploi intransitif, et « se moquer de, railler »,
également en emploi intransitif, le plus souvent avec la tournure
pronominale soi gaber (de).
Paradigme morphologique : on retiendra surtout le subs. gab (mais aussi
ses dérivés gabois ou gaberie), « raillerie, moquerie » ou « plaisanterie,
blague », qui entre notamment dans des expressions comme ne pas tenir /
faire a gas qqch. (« prendre au sérieux, faire sérieusement »).
Paradigme sémantique : on rencontre surtout en AF des termes où la
notion de moquerie frôle celle d’outrage ou d’insulte, comme c’est le cas
pour des v. comme escharnir ou ramposner, dont le sens général est «
railler en insultant » ; parmi les v. au sens plus faible, on peut citer aussi
jogler (voir jogleor°), « plaisanter ».
Évolution : encore employé au XVIe s., le terme est ensuite archaïque et
supplanté par ses concurrents railler, plaisanter (v. dérivé de plaisir°, qui
signifie « tenir des propos agréables » et, par extension, « des propos
amusants, peu sérieux »), gausser (tous apparus à la fin du MA) ou encore
moquer (XIIe s.). Notons par ailleurs que gabegie (XVIIIe s.) pourrait être un
dérivé de gaber, d’abord dans le sens de « tromperie, fraude », puis
aujourd’hui dans celui de « désordre résultant d’une mauvaise
administration ».

Gaitier
Origine : du francique *wahtôn, « surveiller, guetter » (qui a donné
l’anglais to watch et l’allemand wachten).
Ancien français : le v. (attesté à partir du XIe s.) prend, surtout en contexte
militaire, le sens de « surveiller avec attention, guetter, épier » pour se
prémunir d’un danger (gaitier en emploi intransitif signifie « monter la
garde, faire le guet ») ou, au contraire, pour apporter le danger, pour
surprendre qqn. Au figuré, le v. signifie également « attendre avec
impatience ».
Paradigme morphologique : on peut citer de nombreux dérivés, dont les
subs. gait (masc.), désignant à la fois l’« action de guetter » (l’expression
faire le gait apparaît au XIIIe s.) et l’« ensemble des personnes chargées de
la garde (de nuit) » ; gaite (fém.), la « sentinelle », le « guetteur »
(progressivement supplanté par le terme gaiteor, apparu à la fin du XIIe s.) ;
agait (masc.), l’« embuscade », en particulier dans l’expression en agait,
qui a donné aux aguets (XVIIe s.) et guet-apens (XVIe s., altération de la
locution en agait apensé, « en embuscade, avec préméditation ») ; enfin,
eschargaite (fém.), d’abord « sentinelle », puis en MF, par métonymie, «
guérite en pierre sur un rempart de château où s’abrite une sentinelle » (le
terme a donné en FM échauguette).
Paradigme sémantique : on peut citer des v. qui véhiculent la notion
d’observation active, comme espïer (même sens qu’en FM) ou garder°
(voir aussi le paradigme sémantique de ce v.). Voir également
embuschier°.
Évolution : le v. guetter conserve les mêmes sens qu’en AF ainsi qu’une
bonne partie de son riche paradigme, qui ne connaît toutefois pas de
nouveaux développements après le MA.

Garant
Origine : participe présent d’un ancien v. *garir (à distinguer du v.
homonyme garir°, garissant au participe présent), issu du francique
*warjan, « confirmer, certifier » – peut-être le même étymon qui a donné
garir°, mais ce n’est pas sûr.
Ancien français : garant est attesté au XIe s. comme subs. masc. et désigne
(1) « qqn. ou qqch. qui certifie, confirme la vérité de qqch. », d’où «
témoin, garant » (ex. : traire a garant : « tenir pour garant, prendre à
témoin »), « caution, garantie », parfois « preuve » ; de ces sens découlent
ceux de (3) « protecteur, défenseur », « défense, protection » (par exemple,
pour se prémunir contre la mort, un coup de lance ou d’épée). Notons la
locution a garant, « en sûreté, à l’abri ».
Paradigme morphologique : citons garantie / garantise (« caution,
garantie » et « protection, défense »), garantir (de) (« certifier, garantir »
et « protéger, mettre en sûreté »).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir plege (« garant, otage », «
garantie, caution »), subs. auquel correspond le v. plevir ; creant (voir
creanter°) ; mais aussi, avec le même sens qu’en FM, prueve ou tesmoin.
Dans le sens 2, voir certains dérivés de garder° ou de garir°.
Évolution : aujourd’hui, c’est surtout le v. garantir qui est employé ; il
conserve ses valeurs de l’AF, même si celle de « protéger » est plutôt
réservée à un emploi littéraire. Si l’on excepte notamment l’expression se
porter garant de (« répondre des actes de qqn., de la réalité de qqch. »),
garant et garantie se sont surtout spécialisés dans les domaines juridique
et commercial, en particulier garantie dans le sens d’« obligation de
répondre à la qualité d’un produit ».

Garçon
Origine : du francique *wrakjo, « vagabond ».
Ancien français : attesté au XIe s., garçon (gars au cas sujet sing.) désigne
d’abord un (1) « serviteur de rang inférieur, de bas étage » (notamment
dans les cuisines, à la chasse, dans une armée). Étant donné ses
connotations péjoratives, garçon est aussi employé comme terme
d’insulte, que l’on peut traduire alors par (2) « misérable, coquin, moins
que rien », etc. Enfin, les fonctions de service du garçon étant le plus
souvent occupées par des enfants ou de jeunes hommes, le terme perd
alors ses connotations péjoratives et peut désigner un (3) « enfant de sexe
masculin », sens toutefois rare en AF.
Paradigme morphologique : en dehors de garçonaille (subs. fém.), «
valletaille, ramassis de vauriens », on notera que les autres éléments du
paradigme se rassemblent autour de l’idée de libertinage ou de
comportement volage en amour (habituel aux serviteurs et/ou aux jeunes
hommes ?) ; ainsi l’adj. garçonier, « libertin, volage » ou le subs. fém.
garce, « fille de rien, traînée », qui signifie parfois simplement « jeune
fille ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir notamment ribaut°, serjant°
ou vaslet° (ces deux derniers termes n’ayant toutefois pas de connotations
péjoratives) ; dans le sens 2, voir gloton° ; dans le sens 3, enfant°.
Évolution : après le MA, le terme a donné gars (ancien cas sujet, considéré
comme vieilli ou régional à la fin du XVIIe s. et encore aujourd’hui, dans le
sens de « jeune homme, fils ») et garçon, beaucoup plus courant. Pour ce
dernier mot, le sens, rare en AF, de « jeune personne de sexe masculin »,
par opposition à fille, s’impose à partir du XVIIe s. Le terme perd ses
connotations péjoratives en même temps que s’efface, pour l’essentiel, le
sème de domesticité (son évolution est donc inverse à celle de vaslet°), qui
perdure encore au XVIIe s. mais a presque entièrement disparu aujourd’hui
(sinon dans l’acception garçon, « serveur dans un café »). Par ailleurs, dès
le XVIe s., le terme peut désigner un « jeune homme » et, plus précisément,
un « jeune homme non marié », d’où certaines expressions encore en
usage comme beau ou joli garçon, vieux garçon, enterrer sa vie de
garçon, etc., et le dérivé garçonnière (XIXe s., « logement d’un homme
célibataire »). Enfin, garce a connu une évolution un peu différente :
pouvant désigner dès l’AF une « jeune fille », le terme se trouve encore
employé dans ce sens jusqu’au XXe s., mais redevient surtout péjoratif pour
qualifier « une fille ou une femme méchante ou désagréable ».

Garder
Origine : du francique *wardôn, « porter son regard, regarder ».
Ancien français : employé intransitivement (ex. : garder vers la
montagne), le v. peut se rencontrer dès le XIe s. dans son sens étymologique
de (1) « porter ses regards, regarder », mais dès l’AF ce sens tend à passer
aux dérivés esgarder et regarder. Le sens le plus fréquent est (2) « faire
attention, surveiller, garder » (un prisonnier, une porte, etc.), d’où « veiller
à / sur qqn. ou qqch., prendre soin de / que », mais aussi « se garder de,
s’abstenir de » (cf. soi garder de). Enfin, le v. peut signifier (3) « protéger,
préserver, conserver » et, au figuré, « continuer à avoir » (ex. : garder foi
et loyauté).
Paradigme morphologique : parmi un grand nombre de dérivés, on
retiendra d’abord, avec des sens recoupant ceux du v. simple, esgarder (XIe
s., avec un préfixe à valeur intensive, « regarder avec attention,
examiner », au propre mais surtout au figuré, d’où « envisager, délibérer »
et même « choisir, décider ») et regarder (XIIe s., d’abord au sens propre de
« regarder en arrière, se retourner pour voir », puis seulement « regarder »
et, le préfixe prenant une valeur intensive, « examiner, porter son attention
sur », au propre comme au figuré). Notons aussi le subs. garde, «
surveillance, attention, protection », qui entre dans de nombreuses
locutions verbales comme (soi) prendre garde a / de, soi doner garde de
(« faire attention à »), avoir garde de (« se soucier, s’occuper de »), et
prend en outre le sens concret de « personne chargée de garder qqn. ou
qqch. » (au masc. ou au fém.) ou d’« ensemble de personnes chargées
d’une protection armée », d’où avantgarde et arieregarde, attestés dès le
XIe s.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer de nombreux v. en
plus des dérivés de garder, dont aviser°, choisir°, mirer (XIIe s., du latin
populaire *mirare, pour mirari, avec le sens en AF de « regarder,
contempler, admirer » et « se mirer » en tournure pronominale), muser° et
enfin – même si, à la différence des précédents, il marque une perception
passive et non active – veoir (Xe s., du latin videre, avec en AF les sens de
« percevoir par la vue, voir » et au figuré de « percevoir par l’esprit,
constater, considérer ») ; dans le sens 2, voir gaitier° ; dans le sens 3,
garir° ou garantir (voir garant°).
Évolution : le paradigme, qui est resté très riche en FM, établit aujourd’hui
une distinction nette entre garder, qui a perdu le sens de « regarder » mais
conserve ses autres valeurs de l’AF, et ses dérivés d’une part (cf. gardien
ou, plus récemment, gardiennage), et regarder (impliquant une perception
visuelle active, par opposition à voir) et ses dérivés de l’autre. Quant à
esgarder, il n’est plus attesté après le XVIe s. et seul son déverbal égards
reste aujourd’hui employé au plu. dans le sens de « marques de
considération, attentions particulières » ou au sing. dans quelques
expressions comme eu égard à ou à cet égard. On peut signaler enfin le
terme mesgarde (« faute d’attention »), déjà rare en AF, qui n’a subsisté
que dans la locution par mégarde.

Garir
Origine du francique *warjan, « protéger, défendre ».
Ancien français : attesté à partir du XIe s., garir signifie (1) « défendre,
protéger », « délivrer ou sauver qqn. de qqch. » et, employé
intransitivement, « se trouver à l’abri, sain et sauf, vivre en paix ». D’où,
selon les différents contextes auxquels le v. peut s’appliquer (en général
liés au bien-être physique) et en gardant l’idée de protection, (2) «
soigner, guérir », « nourrir, approvisionner », voire « satisfaire,
combler » (en particulier dans le participe passé gari, « satisfait,
comblé »).
Paradigme morphologique : citons garison (« sécurité, protection » ; «
guérison » ; « provisions »), garite (« protection, refuge », et en
particulier, dès l’AF, « abri pour sentinelle », ce qui a donné le FM
guérite), gariseur (XIVe s., « celui qui guérit » en général, puis, à partir du
XVIIIe s., « celui qui fait la profession de guérir sans avoir la qualité de
médecin »), garissable (XIVe s.) et ingarissable (XVe s.).
Paradigme sémantique : dans le sens de « défendre », on peut noter
escremir°, defendre (qui signifie aussi « interdire »), garantir (voir
garant°), garder°, proteger (« couvrir, abriter, protéger », attesté fin XIVe s.
mais rare avant le XVIIIe s., emprunt au latin protegere) ; dans le sens de «
soigner », citons curer (voir cure°), penser° et saner (du latin sanare) ;
dans le sens de « nourrir, approvisionner », voir garnir° et norrir°.
Évolution : la forme guerir apparaît dans la seconde moitié du XIIIe s. dans
les dialectes de l’Est et remplace progressivement garir (mais les deux
formes coexistent jusqu’au XVIIe s.). 3En outre, à partir du XVIe s., le v. voit
son champ sémantique se réduire fortement pour se limiter aux sens de «
soigner, guérir » et par extension, au figuré, « (se) détourner ou
débarrasser de qqch. de répréhensible ou de pénible ». Dans cette
acception, à partir du XVIIe s., guérir a pour synonyme soigner, qui prend à
cette époque le sens spécial de « s’occuper de rétablir la santé de qqn. »
(voir cure°).

Garnir
Origine : du francique *warnjan, « avertir, prévenir » (qui a donné
l’allemand warnen et l’anglais to warn, de même sens).
Ancien français : attesté au XIe s., le v. peut se rencontrer dans son
acception première de (1) « mettre en garde, avertir », mais ce n’est pas la
plus fréquente. De là, en tournure pronominale, vient le sens de (2) « se
tenir sur ses gardes, être prêt », notamment en contexte militaire (sens que
l’on retrouve dans le participe passé garni (de), « prêt (à) »). D’où
probablement le sens principal en AF de (3) « pourvoir, munir, équiper »,
notamment (toujours en contexte militaire) de provisions, d’armes, ou
encore de soldats (le sens d’« occuper » est donc possible) et, plus
particulièrement, « munir d’éléments destinés à défendre, à protéger » et «
pourvoir de tout ce qui est nécessaire », d’où le participe passé garni dans
le sens de « pourvu de tout », parfois « orné, paré » ou, au figuré, « plein
de » (ex. : de bonté, de sens garni).
Paradigme morphologique : il est composé essentiellement de subs., dont
garnement, « équipement, vêtement, ornement » et, en particulier, «
équipement d’un soldat » (d’où par métonymie, à partir du XIVe s., «
vaurien », d’abord accompagné des adj. mauvais ou méchant et,
aujourd’hui, « enfant insupportable ») ; citons en outre les trois dérivés de
sens proche garnesture, garneture et garniture, « équipement, provisions »
et, en général, « ce qui sert à garnir » (en particulier un plat, à partir du
XVIIIe s.) ; voir également garnison, « protection, approvisionnement » et
aussi, dans un sens plus précis, « ensemble de soldats défendant un lieu »
(seul sens conservé en FM).
Paradigme sémantique : pour le sens principal de garnir, voir les
nombreux termes appartenant au paradigme sémantique de conreer°.
Évolution : garnir conserve en FM son acception principale acquise dès
l’AF (avec un léger affaiblissement de sens qui tend à faire primer les
connotations de superflu sur celles de nécessaire) de « munir d’éléments,
afin de compléter, protéger ou orner ». En outre, par une extension de sens
où on retrouve le caractère d’exhaustivité attaché au procès de garnir en
AF, le v. peut signifier aussi « occuper, remplir totalement un lieu » (ex. :
la foule garnit les gradins).

Gaster
Origine : du latin vastare (devenu *wastare sous influence germanique), «
dévaster, ravager », littéralement « rendre désert », le v. étant issu de l’adj.
vastus, « désert ».
Ancien français : le v. (attesté à partir du XIe s.) conserve surtout son sens
étymologique de (1) « dévaster, ravager, ruiner » (une terre, une cité, un
pays, etc. ; le v. est parfois employé à propos de personnes dans le sens de
« tuer ») ; il peut également (à partir du XIIIe s.) prendre le sens, toujours
concret mais affaibli, de « détériorer, abîmer, gâter ». Par extension,
notamment au figuré, il signifie (2) « dépenser, gaspiller, perdre » (ses
paroles, sa peine, son temps, sa vie, etc.).
Paradigme morphologique : voir gast / gasté, « désert, inculte, désolé,
abandonné » ; gastine, « désert, solitude », « destruction, ruine » ; le
dérivé degaster (même sens que gaster) a donné au XIVe s. le déverbal
degast, « ravages », puis « dommages » (le subs. conserve ce seul sens en
FM, le terme étant toujours employé au plu.).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut renvoyer à de nombreux
synonymes dont cravanter (« détruire, abattre », du latin populaire
*crepantare, de crepare, qui a donné de son côté crever), destruire («
ravager, ruiner » mais aussi « massacrer »), essilier (du latin tardif exiliare,
« bannir », qui a gardé ce sens en AF mais signifie aussi « ravager,
ruiner » jusqu’au XVIe s. avant de revenir au sens étymologique d’«
éloigner qqn. d’un lieu et lui interdire d’y revenir ») ou encore rober (voir
robe°) ; dans le sens 2, voir despendre (« dépenser, distribuer,
employer »).
Évolution : le sens fort de gaster se rencontre jusqu’au XVIIe s., avant que le
v. ne cède devant la concurrence de termes apparus plus tardivement,
notamment en MF, comme dévaster (du latin devastare, attestations
isolées avant le XVIIIe s.), ravager (dérivé de ravage, du v. ravir), ou encore
ruiner. Ainsi, à partir du XVIe s., gaster prend surtout le sens (rare en AF)
de « détériorer, abîmer, altérer » (ex. : des fruits gâtés, le temps se gâte, ce
qui ne gâte rien) et, plus particulièrement, de « traiter un enfant avec trop
d’indulgence, au risque de le corrompre » (d’où aujourd’hui un enfant
gâté) ; par extension, enfin (avec un renversement complet du sens
étymologique), « combler qqn. de prévenances » (voir le dérivé gâterie, au
XIXe s.).

Gent
Origine : du subs. fém. latin gentem, « famille, lignée, race, peuple,
nation ».
Ancien français : employé au sing., le subs. (attesté au XIe s. et fém.
également en AF) peut conserver ses acceptions étymologiques,
notamment celles de « lignée, famille » (ex. : de basse gent fu né) et de «
nation, race » (ex. : la gent paienne, la gent de France). Employé au sing.
collectif ou au plu., gent peut désigner par extension tout (2) « ensemble
de personnes de nombre indéterminé unies par un lien commun », par
exemple de condition (ex. : la gent laie, « les laïcs » ; la gent menue, « les
petites gens » ; la gent a pié, « les fantassins, la piétaille ») ou de
dépendance à une même autorité (d’où ma gent, « mes domestiques, mes
subordonnés »). Dans sa portée la plus générale et indéterminée, gent peut
ainsi devenir l’équivalent de (3) « foule, population », ou de « personne »,
notamment avec un adj. numéral (ex. : quatre genz, « quatre personnes »).
Paradigme morphologique : voir gens d’armes (XIVe s. puis, rapidement,
gendarmes), « soldats » ou « cavaliers », le sens moderne succédant à la
création de la Gendarmerie nationale en 1792 ; entregent (XVe s.), «
aptitude à se conduire en société », qui subsiste encore dans l’expression
avoir de l’entregent, « avoir des relations utiles, profitables ».
Paradigme sémantique : quoiqu’ils soient nettement moins fréquents que
gent, on pourra retenir les subs. nacion, « naissance, extraction », «
famille, lignée » et « ensemble d’êtres humains unis par un point commun
(origine, langue) », ou pueple, « nation, peuple », « population, foule » ;
voir aussi ligne°, dans le sens de « famille, race », ainsi que home° et
persone°.
Évolution : le sens étymologique, encore en usage au XVIe s., devient
archaïque au XVIIe s. (quoique subsistant accessoirement aujourd’hui dans
la gent masculine ou féminine par exemple). C’est donc la valeur générale
qui s’impose en FM, avec complément déterminatif (à partir du XVIe s.
notamment, cf. gens de robe, de guerre, de lettres, etc.) ou sans,
notamment dans le sens d’un « ensemble de personnes indéterminées,
anonymes, inconnues ». Notons en outre que le terme passe
progressivement, à partir du XVIe s. également, du fém. sing. au masc. plu.,
des traces de fém. subsistant dans quelques expressions comme les bonnes
ou vieilles gens.

Gent / Gentil
Origine : comme le subs. gent°, les deux adj. gent et gentil sont issus du
même paradigme latin formé autour de gignere (« engendrer ») ; le
premier vient de genitum (« né », puis « bien né », en latin médiéval),
participe passé du v. pris comme adj., et le second, de gentilem (« qui est
propre à une race, un peuple, une famille »), adj. dérivé du subs. latin
gens.
Ancien français : gent et gentil sont deux adj. de sens proche, parfois
difficiles à distinguer l’un de l’autre. Au-delà du sens premier de « noble »
qu’ils possèdent tous deux (après le passage de l’idée de « né » à celle de «
bien né »), leurs acceptions peuvent apparaître malaisées à préciser, dans la
mesure où être noble implique souvent au MA d’avoir toutes les qualités,
d’où le sens possible, tout simplement, de « parfait, excellent ». Il semble
néanmoins qu’il soit possible de distinguer en général entre les acceptions
plutôt esthétiques de gent, d’ailleurs fréquemment coordonné à bel (d’où
les sens de « beau, gracieux, distingué », notamment quand il est question
du gent cors d’un personnage) et celles, plutôt sociales ou morales, de
gentil (« noble de naissance » et, par extension, « noble de sentiments ou
de comportement », « aimable, poli, courtois »). On notera que l’on
retrouve les mêmes connotations physiques et morales dans l’adj. noble°
en FM.
Paradigme morphologique : de gent viennent l’adv. gentement (même
sens que gentiment), le v. agencier, « arranger, bien disposer, embellir » ;
de gentil, les subs. gentelise et gentillece (« noblesse de naissance » et, par
extension, « de sentiments »), ou le syntagme nominal gentil home (XIe s.,
en un seul mot à partir du XVIIe s.), dans le sens spécial de « homme
noble ».
Paradigme sémantique : dans un sens plutôt esthétique, on peut citer des
adj. comme bel°, cointe°, gracieus (dérivé de grace°) ou jolif° ; dans un
sens plutôt social et moral, outre debonaire°, franc° et noble°, qui
renvoient spécifiquement à la notion de noblesse, voir de surcroît des adj.
à portée globalement méliorative comme cortois (de cort°), preu° ou
vaillant°.
Évolution : gent, sorti d’usage depuis le XVIe s., a été remplacé par des
termes comme gracieux ou joli (de jolif°). Quant à gentil, il reste employé,
après avoir perdu son sème de noblesse, dans un sens essentiellement
moral, pour qualifier tout « ce qui plaît par sa délicatesse morale, sa
bienveillance » (ex. : un gentil garçon, une gentille attention). Il ne faut pas
le confondre avec son homonyme gentil (généralement employé au plu.,
emprunté au XVe s. au latin chrétien gentiles, plu. de l’adj. substantivé
gentilis), terme restreint au vocabulaire religieux qui signifie « païen » par
opposition à chrétien.

Gesir
Origine : du latin jacere, « être étendu, couché ».
Ancien français : attesté au XIe s., le v. conserve son sens étymologique, (1)
« être étendu, couché » (se gesir, « se coucher, s’allonger »). Plus
particulièrement, selon les contextes où il est employé, il peut signifier (2)
« coucher, passer la nuit, dormir » ; « vivre, habiter » ; « coucher avec
quelqu’un » ; « accoucher » ; « être alité, malade » ; « être étendu mort,
dans la tombe » (d’où la formule d’épitaphe ci gist) ; et, dans un sens
figuré, « se trouver (dans telle ou telle situation ou état) » (ex. : gesir en
prison, en pechié, en dolor) ou enfin « consister en ».
Paradigme morphologique : voir agesir, « accoucher » ; gesine, «
alitement, accouchement » (estre en gesine : « être en train d’accoucher »)
; gisement et giste, « lieu où coucher, gîte ».
Paradigme sémantique : pour le sens général du v., on peut citer colchier
(« étendre, coucher, être couché ») et acolchier (« se coucher, s’aliter,
accoucher »).
Évolution : considéré comme archaïque au XVIIe s., gésir est aujourd’hui un
verbe largement défectif et d’emploi surtout littéraire, dans le sens de «
être étendu mort ou comme mort » (animés), « être tombé, dispersé sur le
sol » (inanimés) ou, au figuré, « se trouver, résider dans » (ex. : c’est là
que gît la difficulté). Certains éléments du paradigme ont toutefois connu
une meilleure fortune, comme gîte (surtout pour les animaux ; le terme a
toutefois été réactivé aux XIXe et XXe s. avec gîte d’étape ou gîte rural), à
distinguer de la gîte (XIXe s., « inclinaison latérale d’un navire ») ;
gisement, désignant à partir du XVIIIe s. la « disposition des couches de
minéraux dans le sous-sol », puis toute « masse minérale importante,
propre à l’exploitation » (ou autre que minérale, au figuré) ; ou encore
gisant (XXe s., dans le sens précis de « statue représentant un mort
étendu »).

Geste
Origine : du latin gesta « actions, hauts faits, exploits », participe passé
neutre plu. substantivé de gerere « accomplir », devenu fém. sing. en latin
tardif.
Ancien français : attesté dès le XIe s., geste conserve ses acceptions
étymologiques (1) « actions, exploits » mais prend surtout le sens (déjà
attesté en latin tardif) de (2) « récit de hauts faits », « récit héroïque »
(entrant dans des syntagmes comme chanson, chanter ou conter de geste),
à la fois véridique (d’où la possibilité de traduire geste par « histoire » ou
« annales ») et lié à un personnage donné associé, éventuellement, à sa
lignée (ex. : la geste de Guillaume, de Pepin, de Roland). D’où un dernier
sens, dérivé du précédent, (3) « race, parenté, engence ».
Paradigme morphologique : aucun dérivé en AF.
Paradigme sémantique : dans le sens 1 on peut citer esploit (voir
esploitier°) ; dans le sens 2, estoire, « récit, histoire » et, plus
particulièrement, « récit écrit, véridique » (la vérité étant volontiers liée à
l’écriture au MA) ; dans le sens 3, voir ligne°.
Évolution : le sens étymologique subsiste jusqu’au XVIIe s. et encore
aujourd’hui dans l’expression les faits et gestes, où gestes est volontiers
confondu avec son homonyme du FM geste (emprunté au XIIIe s. au latin
gestus). La locution chanson de geste, qui appartient au vocabulaire
spécialisé de l’histoire littéraire, refait son apparition au XIXe s.

Gloton
Origine : du latin gluttonem « glouton, goinfre », de gluttire « avaler,
engloutir ».
Ancien français : quoique attesté à partir du XIIIe s. dans son sens
étymologique, gloton (glot au cas sujet sing.), à la fois subs. et adj.,
apparaît surtout et d’emblée (dès le XIe s.) comme un terme d’insulte, que
l’on peut traduire par « canaille, coquin », ou « lâche » (dans un contexte
guerrier) et rapprocher d’autres vocables injurieux, comme bricon, culvert
(voir serf°), musart (voir muser°), ou mieux encore, lecheor (dérivé de
lechier°, où l’on retrouve le même lien entre injure et goinfrerie), sans
oublier le toujours actuel fils a putain.
Paradigme morphologique : il comprend l’adj. glot (« glouton, avide »), le
subs. glotonie ou glotonerie, ou encore le v. glotir (« engloutir, avaler ») et
ses dérivés englotir et deglotir.
Paradigme sémantique : aux termes cités ci-dessus on peut ajouter
garçon° et ribaut°, qui toutefois ne sont pas nécessairement injurieux.
Évolution : gloton peut encore avoir un sens injurieux au XVIe s. mais il le
perd ensuite pour servir essentiellement à qualifier qqn. qui mange avec
avidité ou excès, sens pour lequel il entre en concurrence à partir du MF
avec des adj. comme avide, goinfre et, dans une moindre mesure,
gourmand ; ce dernier terme, d’abord synonyme de gloton, voit en effet
son sens s’affaiblir à partir du XVIe s. en « qui aime la bonne nourriture et
sait l’apprécier », le sème d’avidité ou d’excès tendant à s’effacer.

Gonfanon
Origine : du francique *gundfano, « étendard de combat », composé de
*gund « bataille, combat » et *fano « morceau d’étoffe », qui donnera
fanon et fanion en FM.
Ancien français : le gonfanon (XIe s.) est un « étendard », une « bannière de
guerre » susceptible de prendre des formes diverses (carrée, rectangulaire,
triangulaire, avec ou sans pointes) et fixée à une hampe ou à la lance°,
pour servir en général de point de ralliement pendant la bataille.
Paradigme morphologique : le seul terme usuel est le subs. gonfanonier,
« porte-drapeau ».
Paradigme sémantique : il est particulièrement riche, avec des termes
comme baniere (dérivé probable de ban°), « enseigne » sous laquelle
marchaient ceux qui devaient le service militaire à leur seigneur ; enseigne° ;
estandart (du francique *standhard, « solidement fixé, planté »), «
enseigne » fichée en terre (souvent sur une hauteur, pour être visible de loin,
notamment pendant la bataille, où elle sert de point de ralliement) ;
oriflamme (XIIIe s.), altération de l’AF orie flambe, attesté en 1080 (peut-être
de l’adj. orie, « doré » et de flambe dans le sens de « petite flamme », sur le
modèle du latin flammula, « petite flamme » mais aussi « petit drapeau »),
calquant le latin médiéval aurea flamma, auriflamma, qui désigne d’abord la
bannière de Saint-Denis, puis celle des rois de France ; ou encore penon
(dérivé de pene, du latin penna, « plume »), qui désigne un petit drapeau
triangulaire fixé à la lance d’un chevalier (par opposition à la baniere du
seigneur, de rang supérieur). Quant au terme drapeau (dérivé de drap°), qui
désigne d’abord un « morceau d’étoffe », il ne prend son sens moderne qu’à
partir du XVIe s.
Évolution : le terme est encore employé au XVIe s. (sous la forme gonfalon,
attestée dès le XIIIe s.) dans son sens premier, et au XVIIe s. dans celui, plus
restreint, de « bannière ecclésiastique ». Puis gonfalon rentre dans le
vocabulaire historique.

Grace
Origine : du latin gratiam, subs. fém. signifiant « faveur, complaisance » et
« reconnaissance, gratitude » et désignant donc à la fois la faveur que l’on
reçoit et celle que l’on retourne, ainsi que « charme, agrément » (de la
silhouette, du visage ; ex. : gratia corporis, gratia in vultu).
Ancien français : grace (XIIe s.) conserve essentiellement ses trois sens
étymologiques de (1) « faveur, complaisance » que l’on accorde, et le fait
de l’accorder, d’où « permission, bon vouloir », notamment dans
l’expression par la grace Deu ; (2) « reconnaissance, remerciement »
(surtout au plu., notamment dans l’expression rendre graces) ; et enfin, (3)
« faveur, qualité innée, naturelle », d’où « charme, grâce ».
Paradigme morphologique : voir gracieus (surtout dans le sens d’«
agréable, charmant, gracieux ») et gracier « accueillir favorablement,
remercier ».
Paradigme sémantique : dans les sens 1 et 2, voir gré° (issu de la même
racine latine mais avec une idée de volonté plus marquée) ou merci° ; dans
le sens 3, vertu° et biauté (voir bel°).
Évolution : grâce (l’accent circonflexe apparaît au XVIIIe s., signe d’un
allongement analogique ou expressif) conserve aujourd’hui tous les sens de
l’AF, surtout dans des locutions comme être dans les bonnes grâces de qqn.,
faire à qqn. la grâce de qqch., faire qqch. de bonne / mauvaise grâce, rendre
grâce à qqn. / qqch., etc., sans oublier la locution prépositive grâce à. Mais
le paradigme reste riche, avec gracier (aujourd’hui spécialisé dans le sens de
« faire grâce à un condamné », déjà attesté en MF), gracieux (qui prend en
MF le sens de « qui accorde ses faveurs, sa grâce », en particulier dans le
domaine judiciaire, d’où Sa Gracieuse Majesté ; puis, au XIXe s., de « qui est
accordé sans contrepartie, gratuit »), disgrâce (XVIe s., emprunt à l’italien) et
disgracieux (XVIe s.), etc.
Gré
Origine : du latin gratum, neutre de l’adj. gratus, « agréable, cher » et «
reconnaissant » (impliquant donc, suivant la même logique que gratia, à la
fois le sentiment que l’on suscite et celui que l’on éprouve), substantivé en
AF.
Ancien français : attesté dès le Xe s., gré (subs. masc.) prend le sens de (1)
« ce qui plaît, ce qui est agréable », et peut se traduire par « agrément »,
voire « désir, volonté », dans des expressions comme faire le gré de qqn.,
venir a gré (« convenir, plaire »), de gré ou de bon gré (« volontiers,
spontanément », de gré se trouvant fréquemment coordonné avec
volentiers), etc. D’où le sens de (2) « reconnaissance, gratitude » (cf. ce
qui se passe pour grace°), dans des expressions comme savoir gré («
éprouver de la reconnaissance », à distinguer d’avoir gré, « obtenir de la
reconnaissance ») ou rendre gré (équivalent de rendre graces°).
Paradigme morphologique : citons les v. greer, agreer (« convenir,
satisfaire », « accorder, consentir ») et maugreer (« manifester son
déplaisir », aujourd’hui, plutôt de façon orale, sous l’influence probable de
verbes comme grogner ou grommeler) ; les adj. greable, agreable (« qui
convient, qui plaît ») et desagreable ; la préposition maugré (composée de
mal et gré), puis malgré, « contre la volonté de » (notons que maugré est
également un subs. en AF).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir desir, plaisir°, talent°,
volenté ; dans le sens 2, grace°, merci°.
Évolution : le paradigme, surtout restreint à la notion de plaisir, reste très
vivace avec agréer, agréable, agrément, agrémenter, désagrément, etc.,
mais le subs. gré en lui-même n’apparaît plus que dans des expressions
figées comme de bon / mauvais gré, bon gré, mal gré ou savoir gré, ce
dernier cas étant le seul où subsiste la notion de reconnaissance, que l’on
trouve plutôt en FM dans des termes comme gratitude, reconnaissance ou
remerciement (dérivé de merci°).

Grever
Origine : du latin gravare, « imposer une lourde charge (au physique
comme au moral), alourdir, accabler, affliger », issu de l’adj. gravis, «
lourd, grave, sérieux, pénible ».
Ancien français : se détachant partiellement de ses acceptions latines, le v.
(XIIe s., également attesté sous la forme grevir) prend le sens général de «
faire mal », au sens physique (« blesser, meurtrir, maltraiter ») et au sens
moral (« tourmenter, accabler, nuire », ou parfois, dans un sens moins fort,
« ennuyer, embarrasser »). En construction pronominale, se grever signifie
« se donner du mal, s’efforcer ».
Paradigme morphologique : on peut citer grief (adj., « lourd, difficile,
pénible, grave »), griefment et engrever (même sens que grever).
Paradigme sémantique : le paradigme de la souffrance, aussi bien nominal
(voir dolor°) que verbal, est particulièrement riche en AF. Avec le sens
général de « faire souffrir, faire mal », on retiendra, au sens plutôt
physique (mais aussi moral, la séparation n’étant jamais absolument
nette), les v. blecier°, peiner (dérivé de peine°), tormenter (qui a plutôt le
sens plus fort de « torturer ») ou travaillier° ; et, au sens surtout moral,
angoissier (voir angoisse°), courroucier°, enuier° et peser°. Notons enfin
le paronyme gregier (du latin populaire *graviare), de même sens que
grever.
Évolution : jusqu’au XVIe s., grever conserve ses acceptions médiévales
avant de retourner à sa signification étymologique d’« accabler sous un
fardeau », puis « soumettre à de lourdes charges », en particulier
financières ; d’où le seul sens conservé aujourd’hui dans grever un buget,
grever l’économie d’un pays (et dans les antonymes dégrever,
dégrèvement, XVIIIe s.). Le reste du paradigme voit aussi ses emplois se
restreindre suite à la formation, à partir du XIVe s., d’un nouveau paradigme
directement emprunté au latin gravis (cf. grave, gravité, gravement) : grief
devient un subs. et s’emploie surtout au plu. dans le sens de « motif de
plainte » (XVIe s.) ; griefment donne grièvement, dont l’emploi est limité à
des locutions figées (ex. : grièvement blessé).

Guenchir
Origine : du francique *wenkjan, « obliquer ».
Ancien français : attesté au XIIe s., guenchir signifie (1) « obliquer,
tourner » (guenchir la resne : « tourner bride ») mais aussi, l’idée de
mouvement oblique passant au second plan, (2) « se déplacer dans une
certaine direction en changeant son mouvement premier, tourner, se diriger
vers » ; enfin, (3) « se détourner, s’écarter de, éviter ».
Paradigme morphologique : il est peu développé, mais on peut noter le
subs. guenche, « changement de direction, détour », « esquive, feinte »
(souvent coordonné avec tour dans ce dernier sens).
Paradigme sémantique : dans les sens 1 et 2, voir torner° ; dans le sens 3
« éviter », mais aussi « fuir, échapper », on peut notamment citer gandir,
eschiver (du francique *skiuhjan, « craindre », et qui a donné
indirectement, par réemprunt à l’espagnol ou à l’italien au XVIIe s., le FM
esquiver), estordre (du latin extorquere, « arracher », d’où « s’arracher, se
tirer de »), voire tout simplement fuir.
Évolution : à partir du XVIe s. le v. n’est plus guère employé que sous la
forme guincher (de guenchier, autre forme médiévale du v.), dans le sens
de « détourner, pencher, balancer », qui donnera diverses lexies régionales
et, au XIXe s., les termes familiers guincher (« danser »), guinche et
guincheur. Il est cependant possible (pour gauche, gaucher, gaucherie),
sinon probable (pour gauchir, gauchissement), que de guenchir soient
issus d’autres paradigmes en FM, où l’on retrouve les sèmes de la
déviation ou de l’obliquité.

Guerpir
Origine : du francique *werpjan, « jeter, lancer » (qui a donné l’allemand
werfen).
Ancien français : guerpir (XIe s.) signifie « laisser, abandonner, quitter,
renoncer à », au sens propre (par exemple dans l’expression guerpir la
sele ou les estriers : « vider la selle / les étriers ») comme au figuré (ex. :
guerpir Mahomet et ses lois).
Paradigme morphologique : outre les subs. guerpine et guerpiment,
exclusivement dans l’acception juridique de « cession d’un bien, d’une
possession », on retiendra le dérivé deguerpir, attesté dès le XIIe s. dans le
même sens que guerpir mais d’emploi plus rare.
Paradigme sémantique : notons abandoner (voir abandon°), laschier (XIe
s., du latin populaire *laxicare, fréquentatif de laxare), « lâcher,
abandonner », laissier (Xe s., du latin laxare, « détendre, relâcher »), «
laisser de côté, négliger », et quiter (dérivé de l’adj. quite°).
Évolution : encore employé au XVIe s., guerpir est vieilli au XVIIe s. et ses
emplois se restreignent au vocabulaire spécialisé du droit, dans le sens d’«
abandonner la possession ou l’usage d’un bien (pour se soustraire à une
servitude qui y est attachée) ». Quant au dérivé déguerpir, qui possède
également cette acception juridique (appartenant aujourd’hui à l’histoire
du droit), il développe au XVIIe s., employé intransitivement, le sens encore
en usage d’« abandonner précipitamment un lieu ».

Guerre
Origine : du francique *werra, « querelle, conflit » (qui a donné l’anglais
war). Le latin classique bellum, supplanté, comme souvent en ce qui
concerne la chose guerrière, par la langue germanique, devra attendre la
fin du MA avant de faire sa réapparition avec des termes comme
belliqueux (XVe s.), belligérant (XVIIIe s.) ou bellicisme (XIXe s.).
Ancien français : avec la signification générale de « lutte armée entre deux
ou plusieurs groupes humains », guerre, attesté au XIe s., s’entend souvent
dans l’acception globale et abstraite de (1) « guerre, conflit », par
opposition à pais°, entrant notamment dans de nombreuses locutions
comme faire / prendre / movoir / mener guerre, mais aussi dans celle plus
ponctuelle et concrète de (2) « bataille, combat » ; par ailleurs, le terme
peut aussi prendre le sens psychologique de (3) « sentiment accompagnant
un conflit, sentiment d’inimitié, de haine » (ex. : se haer de mortel
guerre).
Paradigme morphologique : voir guerrier (subs. et adj., « guerrier,
ennemi »), guerroiier (« faire la guerre, combattre »).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir ost° ; dans le sens 2, voir
bataille° ; dans le sens 3, haïne ou anemistié, subs. dérivé d’anemi°.
Évolution : tout en conservant sa signification première de « guerre, conflit »,
guerre a plus précisément pris aujourd’hui le sens de « vaste ensemble
d’opérations militaires (impliquant un grand nombre de participants et une
certaine durée) », par opposition à bataille ou combat. Le paradigme ne s’est
guère enrichi depuis le MA, sinon du v. aguerrir (XVIe s., « accoutumer aux
dangers de la guerre », et par extension « aux choses pénibles »), guérilla et
guérillero étant empruntés au XIXe s. à l’espagnol guerilla, diminutif de
guerra (de même origine que guerre).

Guerredon
Origine : du francique *widarlôn « récompense », croisé avec le latin
donum, d’où la forme widerdonum, attestée au IXe s.
Ancien français : le subs. guerredon (XIe s.) sert précisément à désigner une
« récompense », une « gratification » qui est donnée ou reçue en retour
d’un service rendu, en contrepartie d’autre chose ; c’est cette idée de
retour ou de réciprocité qui permet de distinguer le guerredon du simple
don (ex. : mes ancor vos vuel querre un don, dont je randrai le
guerredon).
Paradigme morphologique : notons surtout le v. guerredoner, «
récompenser, gratifier » (mais guerredoneor ou guerredonance sont
également attestés).
Paradigme sémantique : outre don, on peut citer de nombreux termes
renvoyant à l’idée de récompense ou de rémunération, comme loier (voir
le v. loier°), merci° (rare dans ce sens), pris°, soldee (voir sou°) ou encore
salaire (XIIIe s., « rémunération d’un travail », du latin salarium, d’abord «
ration de sel (sal) », d’où « solde (pour acheter du sel) » et « solde,
salaire »).
Évolution : encore employé au XVIe s. (sous la forme guerdon), le terme
apparaît vieilli au XVIIe s. et disparaît, concurrencé par des vocables tels que
gratification et rémunération, empruntés au latin en MF, ou récompense
(dérivé de recompenser, du latin tardif recompensare, qui prend au XVIe s.
le sens actuel de « dédommager »).
Guile
Origine : probablement du francique *wigila, « astuce, ruse ».
Ancien français : guile (XIIe s.) prend le sens de « ruse », aussi bien « acte
de tromperie exercé à l’encontre de qqn. » qu’« art de tromper, capacité à
tromper ». En AF le terme, de même que la plupart de ses synonymes, se
charge en général de connotations péjoratives.
Paradigme morphologique : on peut citer guiler « tromper, duper » ou
guileor « trompeur, fourbe ».
Paradigme sémantique : très riche, il comprend une série de termes
apparus au XIIe ou au XIIIe s. et dont l’étymologie reste bien souvent
incertaine. Tous ont le sens (plus ou moins péjoratif) de « ruse, fourberie »
: barat°, boisdie (du v. boisier, « tromper, trahir »), briche (qui a donné le
terme d’insulte bricon), lobe, tricherie, trufe ou encore voisdie (qui peut
également vouloir dire « habileté, finesse », dans un sens plus positif) ;
voir aussi engin°.
Évolution : guile sort d’usage à la fin du MA, remplacé par des termes
d’apparition plus récente, comme astuce (XIIIe s., rare en AF), tromperie
(XIVe s., dérivé de tromper, probablement à partir d’un emploi figuré, mais
peu explicable, de ce v. dérivé de trompe et signifiant « sonner de la
trompe ») ou encore ruse (XIIIe s.) ; ruse, dérivé du v. reüser / ruser, «
repousser, faire reculer, reculer », du latin recusare, « refuser », est
d’abord un terme de vénerie désignant les « détours (faits de reculs) » du
gibier pour tromper le chasseur, avant de désigner tout « articifice » ou «
ruse » visant à tromper. Guile subsiste cependant dans des parlers
régionaux et dans l’adj. guilleret, attesté au XVe s. dans le sens de «
pimpant », puis au XVIe s. dans son sens actuel de « gai, réjoui ».

Guise
Origine : du germanique *wisa, « manière, façon ».
Ancien français : attesté dès la fin du Xe s., guise prend surtout le sens de «
manière, façon d’être ou d’agir », d’où des locutions comme en / a guise
de (« en manière de, comme »), a ma guise (« selon mon plaisir ») ; mais
il signifie parfois aussi « sorte » (ex. : flors i avoit de maintes guises) et «
apparence » (d’où le v. desguiser) :
Paradigme morphologique : citons desguiser, « changer de manières,
d’apparence » et, en construction pronominale, « se transformer, se
déguiser » (notons le participe passé desguisé, « voyant, remarquable »,
sens qui dérive probablement de l’acception « présentant telle ou telle
apparence ») ; en revanche desguisement est rare en AF.
Paradigme sémantique : voir notamment estre, « condition, manière
d’être », infinitif substantivé du v. estre ; façon, XIIe s., du latin factionem,
dérivé de facere, « manière de faire, comportement » et « manière d’avoir
été fait, apparence » ; maniere° ; ou encore, semblant (de sembler°).
Évolution : outre déguiser (qui développe au XVIe s. les significations
figurées de « modifier pour tromper » et « dissimuler ») ou déguisement,
guise reste encore employé aujourd’hui mais seulement dans des locutions
figées, comme à ma / ta / sa guise ou en guise de, à l’inverse des termes
manière ou façon, largement répandus.
H

Hardi
Origine : étymologie discutée mais il semble plausible de voir dans hardi le
participe passé d’un v. hardir (dont les attestations sont rares et tardives,
début XIIIe s.), issu du francique *hardjan, « rendre dur ».
Ancien français : conformément à son origine supposée, hardi a peut-être
d’abord eu le sens d’« endurci » mais, très rapidement (dès les premières
attestations, fin XIe s.), il prend son acception actuelle et sert à qualifier
qqn. de « courageux », « hardi », « audacieux », à l’inverse de son
antonyme coart°. On notera dans ce sens la fréquence des comparaisons
hardi come lion / liepart / sengler.
Paradigme morphologique : voir enhardir, « donner du courage, rendre
plus hardi » ; hardement (subs. à ne pas confondre avec l’adv.
hardiement), « courage, audace » et aussi « action audacieuse » (dans la
tournure fere grant hardement), beaucoup plus fréquent en AF que
hardiece, de même sens.
Paradigme sémantique : hardi est l’un des adj. en AF – avec corageus
(voir cuer / corage°), fort° et, dans une certaine mesure, fier° – qui
renvoient spécifiquement à la notion de courage, notamment guerrier, à
côté de termes comme preu ou vaillant (voir preu°), susceptibles de
prendre le même sens mais portant le sème plus large de valeur, guerrière
ou non.
Évolution : si l’on excepte la disparition, courant XVIe s., de hardement,
éliminé par hardiesse, le paradigme morphologique n’évolue guère, non
plus que le sens de hardi, à la grande différence du paradigme sémantique.
En effet, des adj. empruntés en MF au latin, comme audacieux, intrépide et
téméraire, marquent de façon générale qu’aujourd’hui la notion de courage
n’est plus associée à l’activité guerrière, et plus guère à l’idée de valeur en
général (en dépit de valeureux, XVe s.).

Hauberc
Origine : du francique *halsberg, « haubert, cotte de mailles »,
littéralement, « ce qui sert à protéger (*bergôn) le cou (*hals) ».
Ancien français : partie de l’armement défensif du chevalier, le hauberc,
qui fait son apparition entre le XIe et le XIIe s., est une longue cotte de
mailles à manches et à pans, descendant jusqu’à mi-cuisses, et comportant
en général un capuchon. Il s’agit donc d’une protection souple et
relativement légère couvrant une grande partie du corps, constituée de
mailles de métal entrecroisées, d’où la mention fréquente, dans les textes
littéraires narrant des combats, de haubers desrompus ou desmaillés.
Le hauberc est d’une seule pièce, exception faite de la ventaille (dérivé du
subs. vent), élément fréquemment mentionné dans les textes mais dont la
définition exacte est malaisée, quoiqu’on puisse toujours la rattacher à son
paradigme dans le sens d’« élément laissant passer l’air ». Il semble que le
terme ventaille pouvait désigner soit la partie inférieure du capuchon de
mailles, partie mobile (d’où le lien avec le subs. vent) qu’il fallait délacer
pour enfiler le hauberc et qui était ensuite rabattue sur le menton pour le
protéger ; soit la partie inférieure du heaume°, mobile ou non, par laquelle
le chevalier respirait (d’où encore le lien avec vent). Enfilé par-dessus le
gambais ou le gambison (pourpoint rembourré de toile ou de cuir), le
hauberc peut lui-même être recouvert par une cote d’armes ou une cote a
armer en tissu, éventuellement pourvue de motifs héraldiques.
À partir du XIIIe s., le hauberc évolue : on lui ajoute des parties métalliques
rigides couvrant les épaules, les coudes, les genoux, etc., constituant une
armure de plates (c’est-à-dire de « plaques de métal », le terme se trouvant
essentiellement au plu., d’où unes plates, « une armure »), jusqu’à
l’armure des XVe et XVIe s., entièrement rigide, articulée et épousant plus ou
moins les formes du corps.
Paradigme morphologique : notons quelques dérivés peu courants comme
les subs. hauberjon (« haubert court ») ou haubergier (« fabricant de
haubert »), à ne pas confondre avec le v. haubergier, « revêtir d’un
haubert ».
Paradigme sémantique : un autre type de protection, antérieur à
l’apparition du hauberc, continuera à être utilisé jusqu’à la fin du MA (en
particulier pour les soldats à pied, le hauberc étant de facture coûteuse), la
broigne / brunie, tunique de toile ou de cuir garnie de rivets, d’écailles ou
de lames de métal. Outre broigne, on peut retenir le (hauberc) jaserenc /
jaserant (adj. signifiant « d’Alger », du nom arabe d’Alger, al-Djaza’ir ; il
s’agit d’une cotte de mailles faite à la mode arabe). Notons par ailleurs
qu’armeüre, terme rare en AF qui peut désigner aussi bien des armes
offensives que défensives, ne prend son sens actuel qu’au XVIIe s.
Évolution : le hauberc disparaît avant la fin du MA, remplacé par l’armure
entièrement rigide des XVe et XVIe s. Le terme haubert ne subsiste donc plus
que dans le vocabulaire historique.

Heaume
Origine : du francique *helm, « casque » (qui a donné l’allemand Helm et
l’anglais helmet).
Ancien français : partie de l’armement défensif du chevalier, le heaume est
constitué, avant le XIIIe s., d’un casque conique couvrant la tête et d’un
nasal (dérivé de nes, « nez »), partie métallique protégeant le nez ; le
casque n’étant pas fermé, la ventaille, partie mobile du hauberc°, permet
de couvrir le menton.
À partir du XIIIe s., le heaume évolue et prend la forme d’un grand casque
fermé cylindrique pourvu de fentes pour les yeux, éventuellement
d’éléments de protection et de décoration supplémentaires et d’une
ventaille mobile formant une visière. Comme on le trouve souvent précisé
dans les textes, le heaume est lacié, rattaché au hauberc° par des lanières
de cuir.
Devenu progressivement trop lourd, le heaume sera remplacé à partir du
XIVe s. par le bacinet (du latin populaire *baccinum, qui a aussi donné
bassin) et d’autres types de casque plus légers, qui faisaient déjà partie de
l’armement du fantassin.
Paradigme morphologique : citons quelques dérivés peu usités, comme
heaumet, « petit heaume » ou heaumier, « fabricant de heaumes ».
Paradigme sémantique : voir ci-dessus.
Évolution : en même temps que le heaume cesse d’être employé, le terme
lui-même disparaît pour se cantonner au vocabulaire historique. C’est au
XVIe s. qu’apparaît le mot casque, emprunt à l’espagnol casco, « casque »
mais aussi « crâne » et « tesson » (il s’agit à l’origine du déverbal de
cascar, « briser » ; le terme a donc connu une évolution similaire à celle
du français teste : voir chief°).

Herbergier
Origine : du francique *haribergôn, composé de *hari « armée » et de
*bergôn « protéger ».
Ancien français : d’abord rattaché à un contexte militaire, avec le sens de
« camper, cantonner », herbergier (XIe s.) prend rapidement le sens général
(actif et passif) d’« héberger, (se) loger », c’est-à-dire de « trouver ou
donner un abri temporaire pour passer la nuit » ; par extension, le v. peut
prendre également les sens plus rares d’« occuper de gens, peupler » et de
« pourvoir de bâtiments, bâtir ».
Paradigme morphologique : plusieurs subs. proches par le sens, tels
herberge, herberjage, herbergement ou herbergerie, renvoient aussi bien
au « fait d’être hébergé » (sens abstrait) qu’au « lieu où l’on est hébergé »
(sens concret), notamment dans un contexte militaire (il s’agit dans ce cas
d’un « logement temporaire et démontable », c’est-à-dire en somme d’une
« tente », comme pavillon° et ses synonymes, et au plu. d’un «
campement ») ; plus rarement, il peut s’agir du « lieu (spécifique) où l’on
est hébergé, hôtellerie, auberge ». Quant à auberge, le mot est bien issu du
même paradigme mais il s’agit d’un emprunt plus tardif (XVe s.) au
provençal aubergo, qui ne prend son sens moderne qu’au XVIIe s.
Paradigme sémantique : sémantiquement proche de logier (voir loge°) et
osteler (voir ostel°), herbergier s’en distingue cependant dans la mesure
où le premier ne peut renvoyer qu’à un logement temporaire en pleine
nature et que le second peut aussi référer à un logement permanent.
Évolution : progressivement supplanté par loger après la fin du MA (et ce
malgré la disparition d’osteler, probablement en MF), héberger se
maintient néanmoins jusqu’au FM mais tend à restreindre ses acceptions à
celle de « loger qqn. chez soi », essentiellement en emploi transitif.

Home
Origine : du latin hominem, « être humain, individu ». En latin tardif, homo
tend à se substituer au latin vir et notamment à prendre le sens d’« homme,
soldat ».
Ancien français : attesté dès 842 dans les Serments de Strasbourg, home
(huem / hom au cas sujet sing.) prend le sens de (1) « individu qui
appartient à l’espèce humaine, être humain » ; (2) « homme, de sexe
masculin et adulte », d’où « guerrier, soldat » dans un contexte militaire
(reprenant une acception déjà attestée en latin) ; (3) « homme qui dépend
d’un autre, vassal », d’où le dérivé homage (XIIe s.).
Notons que du même subs. latin est issu le pronom indéfini on, que la
graphie ne permet pas toujours de distinguer du subs. avant le XVIe s.
Paradigme morphologique : citons homage, « hommage, engagement
solennel par le vassal° ou l’home lige° de servir son seigneur » (pour plus
de précisions, voir vassal°) ; ce sont les emplois métaphoriques d’homage,
dans les domaines amoureux ou religieux, qui sont à l’origine du sens
actuel de « marque de vénération, de respect ». Citons aussi homicide (des
deux subs. latins homicidam, « homicide, meurtrier », et homicidium, «
homicide, meurtre », dont l’évolution a abouti à deux homonymes), qui
désigne à la fois la personne qui commet le meurtre et le meurtre lui-
même, comme en FM.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, le plus général, voir gent° ou
persone° ; dans le sens 2, on peut citer de nombreux synonymes ayant en
commun le sème masculin, tels que garçon°, vaslet°, etc. ; dans le sens 3,
voir vassal°.
Évolution : le terme perd à la fin du MA sa signification spécifiquement
féodale, tout en conservant l’idée de soumission (dans un contexte militaire
par exemple, en parlant d’un officier qui a mené ses hommes à la victoire).
Tous les autres sens sont conservés.

Honor
Origine : ce subs. provient du latin honorem, « témoignage de
considération et d’estime, hommage » et « charge, magistrature ». Au plu.,
le terme désigne les « honneurs suprêmes » que l’on doit à une personne
remplissant par exemple une haute fonction et, plus généralement, les «
fonctions publiques ». En latin tardif, il signifie aussi bien une fonction
que des biens héréditaires ; il est probable qu’une assimilation tardive
entre honor (« fonction ») et beneficium (« avantages matériels liés à la
fonction ») se soit produite, et l’AF hérite de cette confusion.
Ancien français : honor (ou enor / onor), très polysémique et fréquent en
AF, est attesté au Xe s. avec les sens étymologiques de (1) « honneur dans
lequel qqn. est tenu », « considération », l’expression faire onor a qqn.
signifiant « rendre hommage à qqn. ». Par voie de conséquence, le mot
prend ensuite les sens de (2) « sentiment que l’on a de sa dignité » voire «
mérite », d’où, logiquement, le sens concret d’« avantages matériels liés à
une charge ». Plus généralement, le terme signifie (3) « règne » ou «
pouvoir » et enfin le bien possédé : il prend alors le sens de (4) « terre », «
fief », « pays » voire « royaume ».
Paradigme morphologique : le v. enorer ou onorer date aussi du Xe s. et a
pour sens « rendre hommage », « gratifier ». Apparu au XIIe s., le subs.
masc. onorement désigne « l’action de rendre hommage » ou même le «
domaine seigneurial », et le subs. fém. onorance, le « respect », la «
vénération » ou encore « l’action d’honorer qqn. » ; l’adj. onorable
signifie, quant à lui, « digne d’estime ». On notera enfin l’antonyme
desonor (XIe s.).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on notera los°, pris° ; dans le sens
2, le subs. merite (XIIe s., souvent fém. en AF), qui signifie d’abord «
récompense », puis « ce qui donne droit à une récompense » et enfin, plus
tardivement (surtout à partir du XVIIe s.), « qualité morale remarquable » ;
dans le sens 3, voir regne° ; dans le sens 4, voir fief°, regne° et terre°.
Évolution : un certain nombre de valeurs disparaissent avec la fin du
système féodal. Les sens concrets (sens 3 et 4) faisant du subs. un
synonyme de fief° ou de regne° ne sont plus attestés. Le terme honneur
conserve néanmoins le sème de la considération de façon abstraite (ex. :
l’honneur de la famille, de la patrie, etc.) comme de façon concrète (ex. :
recevoir les honneurs, rendre les honneurs). Il désigne aussi bien en FM
un « principe moral qui porte une personne à avoir une conduite conforme
à une norme sociale » (ex. : avoir un sentiment d’honneur envers son pays,
un code de l’honneur) que la « considération que l’on accorde à une
personne qui s’est distinguée par ses qualités morales » (ex. : faire
honneur à qqn. ou qqch.). Il entre à ce titre en FM dans des locutions
verbales fréquentes et variées, comme mettre un point d’honneur, donner
sa parole d’honneur, etc.

Honte / Honir
Origine : les deux termes sont issus du même paradigme d’origine
francique ; le premier vient du subs. *haunita « raillerie, insulte », le
second du v. *haunjan « railler, insulter ».
Ancien français : honte (XIe s.) se rencontre dans la plupart des cas avec un
sens beaucoup plus fort qu’en FM, soit « déshonneur, outrage,
humiliation » (en actes ou en paroles, d’où les expressions dire honte, «
insulter », et faire honte, « déshonorer, outrager »), soit « sentiment
pénible d’indignité, d’humiliation » (d’où avoir honte, « être déshonoré »).
Le sens concret de « dommage » ou de « mauvais traitement » peut se
rencontrer mais il est plus rare.
De même que le subs., le v. prend le sens également très fort de «
déshonorer, outrager, humilier » au niveau moral et, au niveau physique,
celui de « maltraiter, tuer qqn. », « endommager, dégrader, souiller qqch. »
voire « déshonorer » au sens sexuel du terme.
Paradigme morphologique : on peut retenir le subs. hontage, synonyme de
honte ; l’adj. honteus, signifiant à la fois « qui suscite / éprouve de
l’humiliation » ; le v. hontoier ou honter, qui veut dire « outrager,
humilier » mais aussi « éprouver de la honte ».
Paradigme sémantique : pour honte, on retiendra surtout desonor (voir
honor°) et vergoigne (XIe s., du latin verecundiam, qui qualifie aussi bien
l’acte que le sentiment mais semble avoir un sens un peu plus faible que
honte), ou encore outrage° (mais le terme désigne plutôt une « humiliation
verbale », une « insulte ») ; pour honir, on peut citer avilier (dérivé de vil),
desonorer, laidir (voir laid°), ainsi que vergoignier.
Évolution : à l’inverse du v. honnir, plus guère usité aujourd’hui (mais qui
a conservé un sens fort), honte reste très courant, parfois encore dans le
sens fort de « déshonneur » (notamment dans les expressions être / faire la
honte de), mais surtout dans celui, nettement affaibli, de « sentiment de
gêne, de confusion » ou « sentiment de pudeur, de retenue » ; dans ce sens,
apparu à partir du XVIe s., il a supplanté vergogne, qui ne s’emploie plus
que dans des tournures négatives comme sans vergogne (mais dont le
dérivé dévergondé reste usuel).
I

Image
Origine : du latin imaginem, au sens concret, « image, représentation,
reproduction » et « portrait » (en particulier les portraits d’ancêtres en cire
que l’on conservait dans les maisons romaines) ; au sens abstrait, « copie,
imitation » et « représentation par la pensée, évocation ».
Ancien français : image (XIIe s.) conserve pour l’essentiel ses acceptions
étymologiques, d’où en premier lieu le sens concret, le plus usuel, de (1)
« représentation, reproduction matérielle en deux ou trois dimensions de
qqn. ou qqch. », donc « image, dessin, peinture », mais aussi « statue » ;
et, en second lieu, les sens abstraits de (2) « reproduction exacte ou
analogique, image » (ex. : il plut a Dieu former l’homme a son ymage) et
de (3) « représentation par la pensée, image mentale ».
Paradigme morphologique : notons imagier, « peintre, sculpteur » ;
imagination, terme qui désigne à la fois l’« image mentale », au sens de
représentation purement psychique et non concrète, et la « faculté de
produire des images mentales » ; imaginer (XIIIe s., emprunt au latin),
d’abord « représenter concrètement (par le moyen de la peinture,
sculpture, etc.) qqn. ou qqch. » et « former dans son esprit l’image de qqn.
ou de qqch. » puis, à partir du MF, « avoir l’idée de qqch., inventer,
imaginer ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, peinture, portraiture (voir traire°)
réfèrent à une représentation en deux dimensions, par opposition à idole
(« représentation figurée d’une divinité, idole »), statue (attesté en AF,
mais rare) et entaille / entailleüre dans le sens de « sculpture », le plus
souvent en trois dimensions ; dans le sens 2, voir semblant (de sembler°) ;
dans le sens 3, avision (voir aviser°), ou songe.
Évolution : c’est le développement et la progressive spécialisation des arts
qui a entraîné une spécialisation parallèle du vocabulaire, qui ne fait
d’ailleurs que s’accroître après le MA. Ainsi, quand il n’est pas employé
comme hyperonyme, image, au sens concret, a vu sa signification se
limiter à une « représentation en deux dimensions, de petite taille » (ex. :
un livre d’images), tout en développant ses emplois figurés ; imaginer et
imagination, qui forment couple, se sont restreints à leurs acceptions
abstraites autour de la faculté de produire des images mentales ou, plus
généralement, d’inventer. Quant aux autres types de représentations, en
fonction de leur nature (en deux ou trois dimensions, matière, support,
etc.), ils ont progressivement gagné un vocable spécifique permettant de
les distinguer entre eux avec précision, ce que ne faisait pas le subs. image
au MA.

Ire
Origine : du latin iram, « colère ».
Ancien français : attesté dès le Xe s., le terme ire (parfois iror), de sens fort,
recouvre deux significations essentielles, pas toujours aisées à distinguer,
celle de (1) « colère, fureur » et celle de (2) « peine, affliction, désespoir ».
Paradigme morphologique : on peut relever deux dérivés d’ire, l’adj. ireus
(« irrité », « affligé ») et le v. irier (« irriter », mais le participe passé a les
mêmes sens qu’ireus) ; notons aussi les v. iraistre et aïrier, issus du même
paradigme latin.
Paradigme sémantique : en AF, le plus proche synonyme d’ire recouvrant
ses deux acceptions est corroz (voir courroucier°) ; dans le sens 1
seulement, on peut citer malgré (voir gré°), maltalent (voir talent°) voire
rage ou furor ; dans le sens 2, on trouve de nombreux termes, dont dolor°.
Évolution : usuel jusqu’au XVIIe s., le terme apparaît ensuite vieilli et
appartient surtout à la langue poétique, de même que courroux, supplanté
dans l’usage courant par colère (XIIIe s., emprunté au latin cholera, « bile,
maladie bilieuse », la colère étant tenue pour un échauffement de la bile,
puis le sens d’« état affectif violent » l’emporte sur le sens premier, qui
disparaît progressivement à partir du XVIe s.). Le paradigme reste
néanmoins vivace avec des emprunts plus ou moins tardifs au latin,
comme irriter (XIVe s.), irritation (XVe s.), irritable (XVIIIe s.), etc.

Isnel
Origine : du francique *snel, « rapide, prompt, agile » (qui a donné
l’allemand schnell).
Ancien français : fréquent en AF à partir du XIe s., le terme conserve
exactement son sens étymologique où domine le sème de la rapidité, d’où
(1) « rapide, vif », à propos d’un être humain, d’un animal (et notamment
d’un cheval, par ex. plus isnel qu’espervier ne arunde, « plus rapide que
l’épervier ou l’hirondelle ») ou d’un objet ; et, avec une nuance d’agilité
supplémentaire, (2) « prompt, agile », le plus souvent à propos d’une
personne.
Notons par ailleurs la locution assez fréquente isnelepas, « sur le champ,
tout de suite » (en fait, littéralement, en es le pas, « dans le même pas »,
qui a été compris comme isnel le pas).
Paradigme morphologique : on peut retenir isnelement et isneleté /
isnelece.
Paradigme sémantique : même si isnel apparaît très usuel, dès l’AF on
relève de nombreux synonymes avec le sens de « rapide », dont hastif («
rapide » mais aussi « impétueux, impatient »), legier° (plutôt dans le sens
d’« agile »), rade (du latin rapidum, « rapide, impétueux » mais surtout à
propos de qqch., comme une rivière par exemple, et également «
vigoureux, violent ») ou viste (XIIe s., d’origine obscure, « rapide, agile,
habile » ; ce terme s’emploie couramment jusqu’au XVIIe s. comme adj.,
puis comme adv.).
Évolution : encore attesté, mais vieilli, au XVIIe s., le terme sort d’usage,
concurrencé par de nombreux synonymes, certains existant dès le MA,
comme vite, d’autres étant apparus en MF après un emprunt du latin,
comme agile ou rapide (XVIe s., doublet savant de rade).

Issir
Origine : du latin exire, littéralement « aller (ire) hors de (ex) », d’où «
quitter (un lieu), sortir » et, au figuré, « sortir de, provenir de, aboutir ».
Ancien français : le v. issir (XIe s.) conserve ses acceptions étymologiques
avec un sens propre, (1) « quitter (un lieu), sortir » (issir de / fors de, «
sortir de ») ; deux sens figurés, celui de (2) « sortir de, s’écarter de, ne pas
suivre, abandonner » (notons l’expression usuelle issir del sens pour «
perdre la raison ») et celui de (3) « sortir de, provenir de, naître de ».
Paradigme morphologique : on ne retiendra guère qu’issue, « sortie, issue,
lieu par où l’on sort » et « sortie, action de sortir » (notamment dans un
contexte militaire), à côté de deux sens plus rares, « fin » et « revenu,
rente ».
Paradigme sémantique : le v. n’a pas vraiment d’équivalent. En effet, en
AF, sortir (XIIe s., du latin sortiri) signifie d’abord, conformément à son
étymologie, « prédire (par le sort) », « tirer au sort, fixer par le sort » et «
décider, choisir » ; le passage au sens concret de « sortir de », qui se fait en
AF mais ne s’imposera qu’à partir du XVIe s., s’explique probablement par
l’influence du v. resortir (dont l’origine reste incertaine), qui prend en AF
les sens de « rebondir » (en parlant d’un objet, épée, flèche, etc.), «
reculer » et « (se) sortir de, (se) dégager de », au propre comme au figuré.
Évolution : supplanté par sortir, qui prend donc son sens actuel à partir du
XVIe s., issir sort d’usage au XVIIe s. et ne subsiste plus aujourd’hui que sous
la forme du participe passé issu(e) (« sorti, né de » et, au figuré, «
provenant, résultant de ») et dans le subs. fém. issue, substantivation du
précédent, qui s’emploie encore au propre (en concurrence avec sortie)
mais surtout au figuré, dans le sens de « moyen de se sortir d’une
situation ».
J

Jogleor
Origine : appartenant au même paradigme latin qui s’est constitué autour
de jocus « plaisanterie, badinage », le subs. jogleor est issu de joculatorem
(« plaisantin, railleur »), et le v. jogler de joculari « plaisanter, badiner »,
tous deux dérivés du subs. à valeur diminutive joculus. Notons que du
même paradigme latin sont issus le subs. jeu et le v. joer.
Ancien français : s’il est d’usage de désigner le jogleor de l’AF par le FM
« jongleur », il ne faut pas pour autant oublier que le statut ainsi désigné
n’a que peu à voir avec le jongleur d’aujourd’hui. Au MA en effet, et en
particulier aux XIIe et XIIIe s., par jogleor (ou menestrel°) il faut entendre le
professionnel du divertissement, en général itinérant, qui va de villes en
châteaux pour distraire son public aussi bien par des acrobaties, des tours
de magie ou de dressage que par des chansons ou des récitations
poétiques, et certainement aussi des saynètes ou des pièces de théâtre que
l’on appellera à la fin du MA des farces.
Paradigme morphologique : outre les deux subs. jogleis « plaisanterie » et
joglerie (« équipement, activité de jongleur »), on peut retenir le v. jogler,
avec les sens de « pratiquer une activité de jongleur, faire le métier de
jongleur » et de « plaisanter, se moquer » (il faut y voir probablement à la
fois un retour au sens étymologique et l’influence du v. jangler).
Paradigme sémantique : au moins jusqu’au XIVe s., menestrel (voir
ministre°) est le synonyme le plus courant de jogleor, mais on peut citer
d’autres termes, comme joeor (dérivé de joer) par exemple, ou harpeor et
vielleor (noms d’agents dérivés de noms d’instruments mais qui peuvent
avoir un sens plus général). Il faut signaler aussi le paronyme jangleor (XIIe
s., issu du v. jangler), « bavard » et « menteur », volontiers rapproché dans
les textes et parfois confondu avec jogleor, étant donné leur proximité à la
fois morphologique et sémantique (le jogleor se définissant par son art de
la parole) ; c’est d’ailleurs probablement d’un croisement entre ces deux
termes que résulte la forme moderne jongleur.
Évolution : l’évolution du terme est à relier à la progressive disparition, à
partir du XIVe s., du jogleor polyvalent et à la spécialisation des activités
qui pouvaient auparavant être pratiquées par un seul et même
professionnel. Le lexique du MF s’enrichit ainsi de nouveaux vocables
établissant des distinctions entre ce qui relève des acrobaties et des tours
d’adresse, qu’exécutent le jongleur (le sens actuel de « personne qui lance
adroitement des objets en l’air » est acquis au XVIe s.) ou le basteleur ; du
jeu théâtral, spécialité du farceur ; de la musique, discipline du menestrel
ou du menestrier (puis du musicien à partir du XVIIe s.) ; enfin, de la poésie
et de la littérature, affaire de l’acteur, de l’escrivain ou du poete.

Joie / Hait / Liece


Origine : tandis que l’étymologie de hait reste discutée, joie et liece sont
tous deux issus du latin, respectivement de gaudia, neutre plu. de gaudium
« plaisir, joie », « plaisir des sens, volupté », pris à basse époque pour un
fém. sing. (mais le subs. masc. joi, directement issu de gaudium, est attesté
en AF), et de laetitiam « joie, allégresse », « grâce, charme ».
Ancien français : joie (XIe s.), hait (XIIe s.) et liece (XIe s.) sont
sémantiquement proches en AF et recouvrent tous trois la signification
générale de « gaieté, joie, allégresse ». On peut néanmoins, dans certains
emplois, distinguer entre hait, avec le sens moins fort de « contentement,
satisfaction » mais aussi d’« ardeur, enthousiasme » (en particulier dans la
locution a / de hait, « avec ardeur, de bon cœur ») ; liece, qui prend
seulement le sens de « joie, allégresse » ; et joie, qui peut marquer un
sentiment plus fort, que ce soit une « jouissance, volupté » dans le
domaine physique et plus précisément sexuel (le sens étymologique de
gaudium est donc partiellement conservé en AF) ou une « exaltation,
exultation », notamment dans le contexte religieux ou dans la poésie
amoureuse des troubadours et des trouvères.
Paradigme morphologique : à ces trois subs. correspondent trois adj.,
volontiers associés dans les textes, joiant, lié (du latin laetum) et haitié
(participe passé du v. haitier, « plaire, satisfaire, contenter », apparaissant
notamment dans l’expression sain et haitié, « en parfaite santé, sain et
sauf »). On retiendra aussi les v. suivants : joïr (du latin populaire
*gaudire, au lieu de gaudere), « tirer de la joie de qqch., jouir, profiter
de » (notamment au sens sexuel) et « manifester de la joie, se réjouir,
accueillir avec joie » (les dérivés conjoïr, esjoïr et resjoïr sont de sens
proche) ; leecier et esleecier, « (se) réjouir » ; haitier et ses dérivés de
même sens enhaitier et rehaitier. Notons enfin l’existence d’un antonyme
de hait, deshait (« tristesse, affliction », terme entrant souvent dans la
formule (mal) deshait ait, « maudit soit » ou « malheur à »), qui a encore
donné deshaitier (« rendre malade », « (s’)attrister, affliger »).
Paradigme sémantique : on peut ajouter à ces trois synonymes des termes
moins fréquents, comme gaieté, gaudie (dérivé de gaudir, emprunté au latin
populaire *gaudire, qui a aussi donné joïr) ou encore revel (voir noise°).
Pour hait dans le sens d’« ardeur, enthousiasme », on peut ajouter ardor
(voir ardre°) ou desir. Enfin pour joie renvoyant au plaisir (éventuellement
amoureux), ce ne sont pas les subs. qui manquent, comme deduit (voir
duire°), delit (de delitier°), deport (de deporter°), plaisir°, solaz°, etc.
Évolution : les trois termes connaissent un sort assez différent à partir de la
fin du MA. Encore employé au XVIe s. dans des locutions comme à son
hait (« à son gré ») ou de bon hait (« de bon cœur »), hait disparaît ensuite
avec l’ensemble de son paradigme, sauf à supposer qu’il subsiste dans le v.
souhaiter et ses dérivés, mais il ne semble pas, en fait, que l’on puisse
rattacher souhaiter (sohaidier en AF) et hait à une même origine.
Considéré comme vieilli au XVIIe s. et aujourd’hui d’emploi littéraire (dans
le sens précis de « joie débordante et collective »), liesse est le seul
survivant de son paradigme.
À l’inverse, joie reste un mot d’usage courant en FM, néanmoins avec un
sens un peu affaibli qui ne renvoie plus à l’idée de joie ou de plaisir
extrêmes, ni au moral ni au physique. Seule l’expression vieillie fille de
joie conserve un lien avec le plaisir amoureux, sème passé pour l’essentiel
aux dérivés jouir et jouissance, aujourd’hui nettement distincts de réjouir
et réjouissance.
Jolif
Origine : peut-être de l’ancien norrois jôl (nom d’une fête d’hiver), augmenté
d’un suffixe et employé dans le sens de « festif », mais cette étymologie
n’est pas assurée.
Ancien français : l’adj. est attesté au XIIe s., d’abord dans le sens de (1) «
gai, joyeux », en particulier en matière amoureuse, d’où (2) « amoureux,
ardent » ou bien, en mauvaise part, « voluptueux, lascif » ; enfin, par un
glissement de sens analogue à celui de riant en FM, on passe de l’idée de
gaieté à celle de beauté, d’où le sens de (3) « plaisant, joli ».
Paradigme morphologique : citons jolieté ou joliveté, « gaieté, bonne
humeur », « volupté, luxure » (formes supplantées en FM par joliesse,
avec un autre sens) ; quant à joliver puis enjoliver en MF, ils reprennent
les deux orientations sémantiques principales du subs., la joie (« se réjouir,
s’égayer ») et la beauté (« rendre joli, parer »).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir haitié, lié, joiant (voir joie°) ;
dans le sens 2, on peut citer amoreus (voir amer°) ou ardant (voir ardre°) ;
dans le sens 3, voir bel° ou gent°.
Évolution : à partir de la fin du MA, c’est essentiellement le dernier sens qui
s’impose, celui d’« agréable à voir ou à entendre » ; l’adj. devient un
équivalent atténué de beau, et cela vaut aussi pour le dérivé enjoliver («
rendre plus agréable par des ajouts, des ornements »). Cependant, un lien
avec le domaine amoureux subsiste encore dans l’expression vieillie faire le
joli cœur. On notera enfin que dans l’usage familier, comme beau et gentil,
joli peut prendre une simple valeur méliorative (ex. : une jolie somme
d’argent), susceptible également d’emplois ironiques et antiphrastiques (ex.
: nous voilà dans un joli pétrin).

Jor
Origine : du latin diurnum, adj. dérivé du subs. diem (« jour » de 24 heures
ou « partie éclairée du jour »), dont est également issu en AF le subs. di.
Ancien français : jor (XIe s.) est d’abord en concurrence avec di (entré dès
le IXe s. dans la langue) pour la dénomination d’un (1) « espace temporel
d’une journée », déterminé soit par une durée calculée (24 heures), soit par
la période d’éclairement (il représente alors la « partie éclairée du jour »
par opposition à nuit, d’où le sens de « lumière du jour ») ; puis, par
extension, le terme désigne tout (2) « espace de temps » (valeur durative)
ou « moment du temps » (valeur ponctuelle), d’où toz jors, « toujours », le
jor, « ce jour-là, alors » et al jor d’ui, littéralement « au jour
d’aujourd’hui » (ui étant issu de l’adv. latin hodie, « aujourd’hui »). Enfin,
en MF, le terme prend par métonymie un sens concret et signifie (3) «
ouverture laissant passer le jour » en architecture (d’où, au XVIIe s., le
dérivé ajouré et des expressions comme se faire jour ou percer à jour).
Paradigme morphologique : on peut citer jornee (subs.), « espace de
temps d’un jour », d’où « ce qui se fait en un jour, journée (de voyage, de
travail, etc.) » ; jornel / jornal, à la fois adj. (« du jour, diurne, journalier »)
et subs. (même sens que jornee). Ajoutons également quelques v. :
jornoier, « travailler à la journée, voyager » ; ajorner, « faire jour, se lever
(en parlant du jour) », « fixer à un jour déterminé », d’où le sens spécial de
« citer en justice » (le sens, à partir du XVIIe s., de « remettre à un jour
ultérieur, retarder » vient d’un réemprunt à l’anglais) ; enfin, sejorner /
sojorner, « demeurer, rester », « faire rester, accueillir qqn. » et « tarder,
s’attarder ».
Paradigme sémantique : retenons surtout di dans le sens de « jour » de 24
heures ou de « partie éclairée du jour », qui concurrence jor jusqu’au XIIIe
s. (notons la locution adverbiale, fréquente, toz dis, « toujours »), puis
n’est plus attesté que dans les termes servant à désigner, dès l’AF, un jour
particulier (lundi, mardi, etc.) ou bien une partie du jour (midi). On peut
également ajouter le subs. espace (XIIe s., masc. et fém. jusqu’en MF), «
espace de temps » (le sens spatial est moins fréquent que le sens temporel
en AF) ; piece°, dans son sens spécifiquement temporel ; tens (Xe s., du
latin tempus), « temps », au sens temporel, ponctuel et duratif, mais aussi
météorologique ; tempoire (XIIe s., du latin populaire *temporium, de
tempus), « temps, époque » ; enfin, terme et termine, « espace de temps »,
« moment du temps », plus précisément « moment du temps fixé en
fonction d’un événement donné », d’où surtout les sens de « terme, fin » et
de « délai ». Voir aussi vespre°.
Évolution : alors qu’en AF jor, jornee et jornal recouvrent tous trois la
signification dominante de « jour », leurs emplois se spécialisent après le MA.
Tandis que jour conserve tous ses sens (étendus même à quelques emplois
figurés, tels que « manière dont un objet est perçu, considéré » ou, dans
l’expression se faire jour au sens d’« apparaître »), les sens de journée se
restreignent à « partie éclairée du jour » (par extension, « travail, salaire d’une
journée ») et journal comme subs. se spécialise à partir du XVIIe s. dans le sens
de « publication quotidienne ou périodique » (c’est à travers les sens de «
registre (journalier) » ou de « livre de prières (quotidiennes) » que se fait en
MF le lien entre mise par écrit et actes quotidiens), tandis que comme adj., il
est remplacé à la fois par son dérivé journalier et les adj. quotidien et diurne,
tous deux empruntés au latin (respectivement au XIIe s. et au XVe s.).

Joster
Origine : du latin populaire *juxtare, formé sur juxta, adv. (« côte à côte,
tout près ») et préposition (« près, à côté de »).
Ancien français : conformément au sens de la préposition latine, joster (XIe
s.) prend le sens de (1) « rapprocher, rassembler, réunir » ; mais aussi, par
spécialisation dans le domaine militaire, celui de (2) « se rapprocher pour le
combat, se jeter au combat » (d’où l’expression joster bataille, avec le sens
de « livrer bataille ») et, plus spécialement encore, de « combattre à cheval
et à la lance », donc « jouter » dans le cadre d’un tornoi.
Paradigme morphologique : citons joste, « joute », c’est-à-dire un «
affrontement à la lance entre deux chevaliers », type de combat singulier
qui, sous sa forme ludique, concurrence à partir du XIIIe s. le tornoi (voir
torner°) en mêlée ; josteor, « adversaire à la joute, combattant ». Notons
également la préposition joste (directement issue du latin juxta), « auprès
de, le long de », « selon », qui a donné le v. ajoster, « approcher,
rassembler » et « ajouter ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir aprochier, asembler ; dans le
sens 2, lancier ou lanceer (voir lance°) et, de façon plus générale,
escremir° ou tornoier (voir torner°).
Évolution : à partir de la fin du MA, avec la disparition du combat à la
lance, le v. n’est plus guère employé, de même que le substantif – sinon au
figuré en parlant, par exemple, de joutes oratoires. Restent en revanche
usuels le dérivé ajouter et, dans une moindre mesure, le v. jouxter (XIVe s.,
réfection savante de joster), où l’on retrouve partiellement les sens de
joster. Notons aussi que depuis le XIXe s. juxta entre dans la composition
de divers termes, comme juxtaposer, juxtalinéaire, etc.

Jovencel / Meschin / Tosel


Origine : jovencel est issu du latin populaire *juvencellum, pour le latin
tardif juvenculum, « jeune homme », diminutif de juvencum, lui-même
dérivé de juvenem (« jeune homme / femme » selon le genre) ; meschin
vient de l’arabe miskin, « pauvre », peut-être par l’intermédiaire de
l’espagnol (mais l’aboutissement au sens médiéval ne va pas de soi : faut-
il supposer un lien sémantique entre jeunesse et pauvreté, ou bien un usage
hypocoristique du terme ?) ; tosel vient, quant à lui, du latin tonsum,
participe passé du v. tondere, « tondre » (peut-être à cause de l’habitude de
couper très courts les cheveux des enfants, en tout cas mâles, au MA).
Ancien français : ces trois termes, que l’on peut rencontrer au masc.
comme au fém. (dans ce cas jovencele / meschine / tose), servent à
désigner un « jeune homme » ou une « jeune femme » en général, sans
connotations particulières en ce qui concerne le statut social, par
opposition d’un côté à damoisel(e)° (qui associe au sème de la jeunesse
celui de la noblesse), de l’autre à garçon° et vaslet° (qui renvoient à une
situation de service), ni en ce qui concerne la situation maritale, même si
la jeunesse suppose en général le célibat (comme c’est le cas pour
damoisele ou pucele°).
Paradigme morphologique : il est peu étendu pour meschin et tosel
(notons cependant l’AF toser, « tondre ») ; pour jovencel, on peut
mentionner les termes issus du même paradigme latin, tels que l’adj.
jovene / juene (« jeune ») et les subs. jovent / jovente et jovence («
jeunesse »), « agrément, gaieté (de la jeunesse) ».
Paradigme sémantique : voir les termes mentionnés ci-dessus.
Évolution : tandis que meschin et tosel cessent d’être employés à partir de la
fin du MA, jovencel a eu une durée de vie un peu plus longue, même s’il
est aujourd’hui parfaitement vieilli. Notons cependant que l’arabe miskin
subsiste en FM dans l’adj. mesquin, par l’intermédiaire d’un nouvel
emprunt à l’italien ou à l’espagnol, au XVIIe s.
L

Laborer
Origine : du latin laborare, « travailler, se donner de la peine », « être en
peine, en difficultés, tourmenté ».
Ancien français : laborer (Xe s.) conserve son sens étymologique de (1) «
travailler », d’où, au figuré, « faire des efforts, se donner de la peine » et «
peiner, souffrir » ; cependant on le trouve plutôt dans le sens plus
particulier de (2) « travailler la terre, cultiver, labourer ».
Paradigme morphologique : on peut citer labor, « travail, activité » et «
peine, fatigue », à distinguer de laborage, surtout dans le sens de « travail
de la terre, labourage » ; laboreor, « travailleur » et « laboureur,
cultivateur » ; laborieus / laboreus, « laborieux, travailleur » et « pénible »
(à la fois donc « qui travaille beaucoup » et « qui demande beaucoup de
travail »).
Paradigme sémantique : dans le sens de « travailler » en général, voir
ovrer° (qui n’implique pas, toutefois, un travail pénible) ; dans le sens
figuré de « faire des efforts », notons divers synonymes, de sens plus fort,
tels que peiner (voir peine°) ou travaillier° ; enfin, dans le sens particulier
de « cultiver », on peut citer arer (du latin arare), cotiver / coltiver («
cultiver » mais aussi « adorer, honorer », de même que le latin colere d’où
le v. est indirectement issu), gaaignier°, et même ahaner (voir ahan°).
Évolution : à partir du XVIe s. le paradigme se scinde nettement en deux
familles. D’un côté, le v. et ses dérivés labour et labourage cessent de
référer au travail en général, concurrencés qu’ils sont par travail et
travailler, et se spécialisent dans le travail de la terre (rivalisant avec
cultiver, après disparition d’arer et changement de sens de gagner) ; de
l’autre, conservent cette référence au travail le subs. labeur et l’adj.
laborieux (qui, quoique possédant toujours ses acceptions médiévales, est
plutôt usité aujourd’hui dans un sens péjoratif, « qui sent l’effort »), ainsi
que le v. élaborer (XVIe s., emprunt au latin elaborare), dans le sens de «
concevoir, mettre au point par un travail lent et difficile ».

Laid
Origine : du francique *laith, « rebutant, repoussant ».
Ancien français : l’adj. laid (XIe s.) conserve d’abord ses acceptions
étymologiques et prend le sens fort de (1) « repoussant, horrible, hideux,
funeste, odieux », au propre comme au figuré, pouvant s’appliquer à toutes
sortes d’objets. Dès l’AF cependant se fait jour une spécialisation des
emplois dans le domaine esthétique, d’où le sens (2) « horrible, hideux »,
parfois seulement « laid » (avec déjà une tendance à l’affaiblissement
sémantique).
Paradigme morphologique : voir laid (subs.), « acte désagréable, odieux »
(synonymes : honte° ou outrage°), sens que l’on retrouve dans les dérivés
laidece et laidure, qui désignent aussi une « laideur physique » ou une «
laideur morale » ; parmi les dérivés verbaux, laidir et laidengier, «
outrager, insulter » et « malmener (physiquement) », sont synonymes et
doivent être distingués d’enlaidir qui, dès l’AF, a un sens proche de celui
qu’il a aujourd’hui.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, le plus général, voir des adj. plus
ou moins synonymes comme mal / malvais°, ort° et put° (ces deux
derniers jouant comme laid sur le plan à la fois physique et moral) ; dans
le sens 2, on peut citer hisdeus (XIIe s.) ou orrible (XIIe s., emprunt au latin),
« horrible, hideux, épouvantable », deux adj. qui, en AF comme en FM,
semblent associer au sème de l’épouvante celui de la laideur.
Évolution : concurrencé par des termes marquant un fort sentiment de
répulsion ou d’horreur mais pas nécessairement liés à une appréciation
esthétique, tels que affreux, épouvantable, hideux ou horrible, laid a connu
un important affaiblissement sémantique et, en FM, qualifie surtout, sur un
plan esthétique, « ce qui est désagréable à voir », par opposition à beau ou
joli ; on parle ainsi de laideron (XVIe s.) à propos d’une femme
particulièrement dépourvue de beauté. Néanmoins laid peut encore
s’employer au sens moral de « vil, méprisable ».

Lance
Origine : du latin lanceam, sorte de « lance », à distinguer semble-t-il du
pilum du légionnaire romain ou de la hasta, pour des raisons toutefois
malaisées à préciser (peut-être parce que la lancea n’est pas une arme de
trait, qu’elle est particulièrement longue, ou parce qu’il s’agit d’une arme
spécialement en usage chez les Celtes ou les Germains, même si l’origine
du terme reste incertaine).
Ancien français : la lance, d’abord relativement courte (moins de 2,5 m) et
susceptible d’être utilisée comme javelot ou comme pique, commence à
s’allonger au tournant des XIe et XIIe s., au moment où apparaît une nouvelle
méthode de combat à cheval ; pendant la charge, la lance est désormais
maintenue en position horizontale fixe, bloquée sous l’aisselle et tenue très
en arrière de son point d’équilibre pour avancer le point d’impact, le
chevalier étant par ailleurs dressé sur ses étriers, pour se surélever. Par la
suite, la lance, de plus en plus longue, pourra mesurer à la fin du MA
jusqu’à 5 m, avec un poids de 15 à 18 kg, ce qui peut expliquer qu’un
chevalier ait en général besoin d’un escuier (voir escu°) pour porter ses
armes.
La lance est constituée d’une hanste (terme qui peut désigner la lance elle-
même), une « hampe » en bois (d’où la possible désignation par le terme
de fust, qui peut par ailleurs référer en AF à toute « pièce de bois ») et
d’une pointe en fer (en général émoussée lors des tournois et des joutes).
À ces éléments s’ajoutent, à partir du XIIIe s., à mesure que la lance
s’allonge et s’alourdit, une rondelle d’arrêt pour la main, ainsi qu’un
arrêtoir (XVe s.) venant s’adapter à l’arrêt de cuirasse fixé sur l’armure,
permettant de solidariser cette dernière avec la hampe et ainsi de soulager
le chevalier du poids de la lance pendant la charge. Précisons que cet
arrêtoir se trouve parfois appelé fautre, terme de sens peu clair qui pouvait
semble-t-il servir aussi à désigner un élément de la selle, sur le pommeau,
permettant de faire reposer la lance (à la verticale ?) juste avant l’assaut ;
aussi l’expression lance sor fautre peut-elle se rendre par « prêt au
combat ». Enfin, attaché au sommet de la lance, on peut trouver un penon
ou un gonfanon°.
Paradigme morphologique : voir lancier, « jeter, lancer » en général et,
spécialement, « jeter des traits » ou « combattre à la lance » ; voir
également lanceis (subs. masc.), « action de lancer », « joute, combat ».
Paradigme sémantique : le subs. glaive (du latin gladium) peut servir à
désigner une « lance » mais parfois aussi une « épée » ; il prend, au figuré,
le sens de « mort par les armes » ou « mort » en général. En outre, pour
citer d’autres exemples d’armes constituées d’une hampe plus ou moins
longue pourvue d’une pointe en fer, on peut mentionner le javelot, qui est
une arme de trait assez courte (à ne pas confondre donc avec la lance,
comme le fait naïvement Perceval au début du Conte du Graal) ou
l’espiet, sorte de « pique, épieu » (« broche », en cuisine).
Évolution : aujourd’hui le terme n’appartient plus guère qu’au vocabulaire
historique, le javelot étant réservé au domaine sportif. L’importance qu’a
pu avoir l’usage de cette arme au MA a néanmoins laissé quelques
souvenirs dans des expressions comme rompre une lance / des lances avec
qqn. (« échanger des arguments » lors d’une discussion, d’une joute
oratoire) ou être le fer de lance d’une offensive, c’est-à-dire « la partie
première, la plus efficace ».

Large
Origine : fém. devenu épicène de l’ancien adj. larc (attestations isolées en
AF), issu du latin largum, « généreux, libéral », « abondant, copieux ».
Ancien français : l’adj. large (XIe s.) reste proche de ses acceptions latines
et prend le sens de (1) « généreux, libéral », pour qualifier un animé
humain, c’est-à-dire bien souvent dans la littérature un personnage noble
faisant preuve de largece (une des nombreuses qualités que se doit de
posséder la noblesse, supposée savoir dépenser son argent sans compter) ;
(2) « abondant, copieux », pour qualifier des inanimés ; enfin, dans une
acception spécifiquement spatiale, inexistante en latin, (3) « vaste » ou «
large », par opposition à lonc.
Paradigme morphologique : parmi les subs., largece et largeté se trouvent
surtout dans le sens de « générosité, libéralité », parfois « largeur », seule
acception en revanche de larjor ; du côté des v., largir (XIVe s.) est
beaucoup plus rare que le dérivé eslargir (XIIe s.), « élargir, agrandir » mais
aussi « donner largement » et, dès l’AF, « libérer ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, notons liberal (qui a déjà le sens
moderne mais signifie aussi « noble » et « libre ») ; dans le sens 2, voir
plain / plein / pleinier° ; dans le sens 3, lé (du latin latum), adj. qui
s’oppose le plus souvent à lonc en AF (il est resté en FM comme subs.
dans le lexique technique).
Évolution : à partir de la fin du MA, large supplante définitivement lé
(encore attesté au XVIe s.) ; le sème spatial devient prédominant dans l’adj.
et s’impose également dans presque tous les dérivés (largeur, élargir,
élargissement, etc.). À l’inverse, remplacé par libéral puis généreux
(emprunt au latin generosus, d’abord « de bonne race, noble », puis «
manifestant de nobles sentiments » et, en particulier, la libéralité, à partir du
XVIIe s.), l’adj., de même que l’ensemble du paradigme, perd tout lien avec
la notion de générosité, à l’exception toutefois du subs. dérivé largesse, qui
conserve le sens de « générosité » ou d’« acte de générosité ».

Lechier
Origine : du francique *lekkôn, « lécher ».
Ancien français : le v. lechier (XIIe s.) signifie (1) « lécher » au sens concret
; et, par métaphore, (2) « s’adonner aux plaisirs de la table, être
gourmand » (probablement aussi « s’adonner aux plaisirs de la chair »).
Paradigme morphologique : le subs. lecheor (lechiere au cas sujet sing.)
n’a pas conservé les significations concrètes du v. mais a développé les
significations métaphoriques de « gourmand, goinfre », de « libertin,
débauché », de « galant d’une femme mariée » ou de « parasite (de cour),
bon à rien » (avec en général des connotations péjoratives qui en font
facilement un terme d’insulte, à l’instar de gloton°). De même, le subs.
lecherie, dépourvu du sens concret, peut aussi bien désigner la «
gourmandise », la « gloutonnerie » que la « débauche », la « luxure ».
Notons pour finir que le v. alechier (FM allécher), n’appartient pas,
contrairement aux apparences, au même paradigme ; il est probablement
issu d’un latin populaire *allecticare, pour le latin allectare, fréquentatif
d’allicere, « attirer, allécher ».
Paradigme sémantique : voir gloton°.
Évolution : aujourd’hui le v. a conservé non seulement son sens propre mais
aussi ses sens figurés acquis dès le MA, autour de la notion de gourmandise
(avec la série parallèle licher, lichette, etc., développée à partir du XVe s.), et
de nouvelles acceptions sont même apparues, notamment « exécuter avec
un soin minutieux » et « flatter » (dans certaines expressions familières ou
vulgaires, comme lécher les bottes / le cul de qqn.).

Legier
Origine : du latin populaire *leviarium, pour le latin levem, « léger, peu
pesant », d’où « agile, rapide », « léger, inconsistant » (sens
psychologique) et « de peu d’importance ».
Ancien français : l’adj. legier (XIe s.) conserve quasiment toutes ses
acceptions étymologiques, avec le sens principal et concret de (1) « léger,
de peu de poids », d’où, selon les contextes et les subs. déterminés, (2) «
agile, vif, leste » (en parlant par exemple d’un esprit, d’un homme, d’une
monture, etc.), (3) « léger, superficiel, frivole », dans le domaine des
sentiments, et (4) « facile, aisé » (ex. : Rome n’est mie legiere a
conquerre).
Paradigme morphologique : on peut noter legerie / legerece / legerté, «
légèreté », « agilité », « frivolité, insouciance » ; legierement, «
facilement, sans peine, rapidement » ; enfin, le v. legier, « alléger,
soulager », nettement plus rare toutefois que son synonyme alegier.
Paradigme sémantique : on ne trouve pas vraiment d’équivalent dans le
sens 1 ; mais dans le sens 2, voir isnel° ; dans le sens 3, on peut citer jolif°
et, dans le sens 4, aisé / aisié (voir aise°).
Évolution : après le MA, l’adj. reste assez largement polysémique ; les sens
1, 2 et 3 perdurent et s’enrichissent de différentes nuances. Cependant le
sens 4, prolongé jusqu’au XVIIe s. (en particulier dans l’expression de léger,
« facilement, trop facilement »), finit par disparaître, supplanté notamment
par facile, emprunté au latin au XVe s.

Lige
Origine : peut-être du latin tardif *leticum ou *liticum, adj. dérivé du subs.
*letus ou *litus, issu du francique et désignant chez certains peuples
germains de l’époque des invasions un homme de condition intermédiaire,
entre l’homme libre et l’esclave.
Ancien français : lige (XIe s.), employé en contexte féodal, sert à qualifier
une forme particulière de lien vassalique, censé être plus étroit et avoir
priorité sur les autres en cas de liens contractés envers plusieurs seigneurs,
pratique courante au MA. Ainsi l’adj. peut qualifier le vassal° et signifier
« entièrement fidèle, dévoué », essentiellement dans le syntagme home
lige, mais il peut aussi qualifier, symétriquement, le seigneur, dans le
sens d’« entièrement libre, souverain » (ex. : grant honte fait qui traïst son
lige seignor).
Paradigme morphologique : voir ligement, « sans réserve, absolument » ;
lijance (parfois ligece ou ligeté), « fidélité, soumission absolue ».
Paradigme sémantique : comme équivalents du syntagme home lige, voir
home° ou vassal° ; dans le sens de « fidèle », on peut citer les adj. feal
(voir foi°) et loial (du latin legalem et signifiant à la fois « légal » et «
loyal, fidèle »).
Évolution : après disparition des institutions féodales, le terme n’apparaît
plus guère que dans le vocabulaire historique et dans l’expression homme
lige de qqn., pouvant servir à désigner au figuré un « homme entièrement
dévoué à qqn. ». Notons cependant le mot allégeance (XVIIe s.), issu du
même paradigme par l’intermédiaire de l’anglais.

Ligne / Lignage / Lignee


Origine : du latin lineam, au sens concret « fil de lin » (du latin linum, «
lin ») et, par extension, toute espèce de « fil » et de « ligne, trait » (au
propre comme au figuré), d’où, par analogie, le sens de « lien de parenté »,
attesté dès le latin tardif.
Ancien français : ligne (XIIe s.) et ses deux dérivés lignage et lignee servent
tous trois à désigner, avec la même valeur collective, l’« ensemble des
parents issus d’une souche commune », d’où le sens de « famille, lignage,
parenté » (au propre comme au figuré, avec la notion de parenté
spirituelle). On pourra cependant les distinguer dans la mesure où lignee, à
la différence de lignage, peut servir spécialement à désigner la «
descendance, postérité d’un individu » et que seul le terme ligne peut
également prendre les significations concrètes de « ligne, trait », comme
son étymon latin.
Paradigme morphologique : outre ces trois subs., on retiendra les v.
lignier (XIIIe s.), au sens général d’« agir en suivant une ligne » (d’où «
tracer une ligne », « mesurer », « établir, fixer selon une ligne, aligner »)
; forlignier (XIIIe s.), « dégénérer, être indigne de » (à partir du sème de
parenté) ; alignier, dont on croise surtout le participe passé alignié, avec
le sens de « svelte, élancé » (on y trouve la même idée que celle que
véhicule le FM ligne, par ex. dans l’expression avoir la ligne).
Paradigme sémantique : outre famille (rare en AF), parage (voir pair°) et
parenté (voir parent°), notons des termes comme gent° et geste°, qui
prennent parfois le sens de « lignage ». Parmi les termes qui renvoient
également à la notion de lignée, on peut encore retenir le subs. ancestre
(XIe s., du latin antecessorem), avec le sens d’« ancêtre » et qui désigne au
plu. les « Anciens ».
Évolution : après le MA, les trois subs. se maintiennent dans les
distinctions établies dès l’AF, ligne se réservant le plus large éventail de
significations autour de « ligne, trait » (avec, par extension, le sens de «
limite », « direction », « aligne-ment », etc.), tandis que lignage et lignée
se spécialisent pour désigner l’« ensemble des individus descendant d’un
ancêtre commun », le premier appartenant plutôt au vocabulaire des
historiens et des ethnologues, le second apparaissant vieilli dans le sens de
« postérité, descendance », sauf au sens figuré de « descendance
spirituelle » (voir la locution dans la lignée de). Par ailleurs, le paradigme
s’est largement développé en FM, notamment avec les v. aligner (qui a
donné alignement, XVe s.), souligner (XVIIIe s.) ou surligner (XXe s., qui a
encore donné surligneur et surlignage), le v. simple étant de son côté
devenu rare et technique, dans le sens de « marquer de lignes ».

Loge
Origine : du francique *laubja, « abri de feuillages, de branchages, hutte ».
Ancien français : loge (XIIe s.) prend le sens (1) d’« abri de feuillages, de
branchages, hutte » ; d’où (2) « abri temporaire dans la nature », « tente »,
synonyme de pavillon° et de herberge (voir herbergier°) ; puis, peut-être
par analogie, le terme désigne un abri qui n’est plus temporaire, mais en
dur, et signifie (3) « espace, pièce annexe et/ou de petite taille » et, en
particulier, « galerie » ou « petite pièce d’étage » au-dessus de la sale°
d’un château, dans une maison. Notons également un emploi spécialisé
plus tardif dans le sens (qui préfigure celui du FM) de (4) « tribune,
galerie » où prennent place les spectateurs d’un tournoi.
Paradigme morphologique : on peut retenir logier (essentiellement «
camper, loger dans la nature », par opposition à herbergier° et osteler) et
son dérivé deslogier (« lever le camp, s’en aller » et, à partir du MF, «
forcer qqn. à partir »).
Paradigme sémantique : voir herbergier° et ostel°.
Évolution : à partir du XVIIe s. le terme perd toute relation avec la nature et
se spécialise pour désigner un « petit local pour un seul individu » (en
particulier un moine, d’où le sens de « cellule », aujourd’hui disparu),
acception dont découlent les emplois actuels du terme (cf. les loges des
acteurs ou des spectateurs au théâtre ou la loge du concierge). À l’inverse,
parallèlement à logis (logeïs en AF) et logement qui développent
l’essentiel de leurs emplois après le MA, le v. loger est aujourd’hui le
vocable le plus usuel pour renvoyer à un logement temporaire (à côté
d’héberger, plus limité dans ses emplois) et peut en outre, depuis le MF,
référer à un élément non humain (notamment dans le sens de « faire
entrer » ; ex. : loger une balle).
Loier
Origine : du latin locare (de locus, « lieu, endroit, place »), « placer,
établir » et « louer, donner à loyer ».
Ancien français : attesté au XIe s., loier (ou loer, à ne pas confondre avec
son homonyme : voir los°) signifie d’abord (1) « donner / prendre à loyer,
à salaire qqch. ou qqn., louer, embaucher » ; d’où, en insistant sur la
dimension pécuniaire, (2) « payer, récompenser ».
Paradigme morphologique : on peut retenir les subs. loage et loement, «
location, loyer » (louage a subsisté en FM, à côté de location, emprunté au
XIIIe s. au latin locatio), à distinguer du subs. loier (du latin locarium), «
salaire, paiement, récompense ». Le v. aloier (qui a donné allouer en FM),
avec les acceptions diverses de « placer, louer, rétribuer, dépenser », ne
prend le sens d’« attribuer » qu’à la fin du MA.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer soldeer (voir sou°) ;
dans le sens 2, paier (voir pais°) ou guerredoner (voir guerredon°).
Évolution : concurrencé par des v. d’apparition plus tardive, comme
récompenser ou salarier, le v. louer a vu ses sens se limiter essentiellement
à « donner / prendre à loyer, en location ». Le subs. loyer suit la même
évolution, ces deux termes subsistant en face du nouveau paradigme
(locataire, locatif) directement développé à partir de locare au XIVe s.
Cependant, le sens de « donner » (en particulier une somme d’argent)
subsiste dans le v. allouer et les termes plus récents allocation (XIXe s.) ou
allocataire (XXe s.).

Loisir
Origine : du v. impersonnel latin licere, « être permis » (ex. : mihi licet, « il
m’est permis »).
Ancien français : toujours en emplois impersonnels, le v. loisir (Xe s.)
conserve son sens étymologique d’« être permis, possible » et en ce sens
peut s’employer seul ou accompagné de l’infinitif précédé de la
préposition a (ex. : il n’est pas raison qu’il me loise a venir, puisqu’il vos
desplaist). Par ailleurs, substantivé, le terme prend le sens de «
possibilité », « faculté, capacité » et, par glissement de sens, « libre
disposition, liberté » (ex. : grant loisir ont li dui amant de faire ensemble
lor talent), notamment dans les expressions a / par loisir, « à loisir, en
prenant le temps qu’il faut, tranquillement » (c’est certainement de là que
vient le sème temporel que l’on trouve aujourd’hui dans le subs.).
Paradigme morphologique : outre loisir, on notera les subs. loisier et
loisor, de même sens, et les adj. loisant et loisable, « permis, possible »
(loisible, seul à subsister en FM, est attesté à partir du XIVe s.). On peut
aussi retenir, issu du même paradigme latin, le subs. licence, « permission,
autorisation, possibilité ».
Paradigme sémantique : on peut citer plaisir° ou convenir°, en tournure
impersonnelle et, tout simplement, pooir, en tournure personnelle.
Évolution : remplacé par d’autres tournures impersonnelles avec être et un
participe ou un adjectif (notamment, du même paradigme, il m’est / t’est /
lui est loisible de), le v. cesse d’être employé à partir du XVIIe s. ; le subs., à
l’inverse, reste très usuel, essentiellement dans le sens de « temps libre, à
disposition » (XVIe s.) et par extension, au plu., « activités, distractions »
auxquelles on se livre pendant ce temps libre (XVIIIe s.). Le paradigme de
loisir n’a donc donné lieu à aucun développement postérieur au MA,
contrairement à celui de licence, avec licencier ou licenciement, apparus
en MF.

Los / Loer
Origine : issus du même paradigme latin, le subs. vient de laudes, plu. de
laus, « éloge, louange » et le v., de laudare, « louer, approuver ».
Ancien français : le subs. max. los (XIe s.) conserve ses acceptions
étymologiques de (1) « louange, éloge » mais prend aussi le sens de (2) «
réputation, honneur » (cause ou conséquence de l’éloge), ce qui en fait un
synonyme de honor° ou pris° avec lesquels on le trouve volontiers
coordonné, ainsi que le sens de (3) « conseil, avis » (probablement parce
qu’un conseil est une idée dont on fait l’éloge).
De son côté, le v. loer (Xe s.) suit une évolution comparable, avec le sens
de « louer, complimenter, approuver » mais aussi de « conseiller, inciter à,
enjoindre à » (notons également la tournure se loer de, « se louer, être
satisfait de »).
Paradigme morphologique : seul le v. loer est à l’origine d’un paradigme
où s’expriment à la fois les notions d’éloge et de conseil, avec des subs.
comme loance ou loenge, « éloge, louange », à distinguer de loement, «
approbation, conseil ».
Paradigme sémantique : dans les sens 1 et 2, on peut ajouter à honor° et
pris°, déjà cités, le subs. cri dans le sens de « réputation » (voir crier°) ;
dans le sens 3, voir conseil°.
Évolution : après le MA le paradigme perd d’abord le subs. los
(probablement victime, comme certains monosyllabes, des risques de
confusions qu’il présente) puis tout rapport avec la notion de conseil –
même si le v. loer est encore attesté au XVIe s. au sens de « conseiller » –
pour se limiter à celle d’éloge. Ainsi louer s’emploie dans le sens de «
faire l’éloge, féliciter » (« glorifier », en contexte religieux), cette
acception principale se retrouvant dans les deux subs. louange et éloge,
quoique ce dernier terme (XVIe s., emprunt au latin elogium, « épitaphe »,
pris dans le sens de « discours d’hommage » sous l’influence du grec
eulogia, puis « jugement favorable ») n’ait au départ aucun rapport avec le
paradigme de los.
M

Maistre
Origine : du latin magistrem (même base que l’adv. magis et que l’adj.
magnus), « celui qui dirige, chef » et « celui qui enseigne, maître,
professeur ». Le terme s’oppose en latin à ministrem (subs. formé sur
minus), qui a donné ministre° en AF.
Ancien français : maistre (XIe s.) peut être employé aussi bien comme
subs., conformément à son étymologie, que comme adj., par dérivation
impropre, avec les mêmes sèmes d’importance, d’autorité, de supériorité.
Comme subs., appliqué seulement à un référent animé, il prend les deux
sens proches de (1) « celui qui commande, qui dirige, qui exerce une
autorité » sur des personnes (dans ce cas il entre en concurrence avec
seignor° au masc. et dame° au fém.) aussi bien que sur des animaux ou des
biens (dans le sens de « propriétaire, administrateur ») ; (2) « celui qui fait
autorité, qui a des compétences supérieures dans un certain domaine
d’activité », en particulier savant et intellectuel (d’où le sens de «
professeur, précepteur », conservé notamment en FM dans les syntagmes
maître ou maîtresse d’école), mais aussi artisanal et professionnel, le
domaine particulier où le maistre exerce ses compétences étant souvent
précisé à l’aide d’un complément déterminatif, d’où les syntagmes maistre
d’ostel (« administrateur d’une grande maison »), maistre d’ovre («
architecte »), maistre d’armes, etc. Dans un sens comme dans l’autre,
maistre peut servir d’appellatif honorifique (de la même manière que sire),
pour s’adresser aux membres de certaines professions surtout, notamment
les médecins (dans ce cas maistre est synonyme de mire ou de fisicien).
Par ailleurs, comme adj., référant aussi bien à des animés qu’à des
inanimés, maistre prend le sens de « maître, important, principal » : ainsi
la maistre rue, c’est « la rue principale ».
Paradigme morphologique : on peut citer maistrie ou maistrise, «
puissance, domination, autorité » et « domination dans un domaine de
compétences », d’où « savoir-faire, art, science » ; maistrier, plus tard
maistrisier, « dominer, commander », « saisir, étreindre, contraindre », mais
aussi « éduquer » ; notons aussi magistre, doublet savant de maistre, dans le
sens de « professeur » (attesté dès le Xe s.).
Paradigme sémantique : pour le subs., outre seignor° (et dame°), on peut
citer chief° (par métaphore, à partir du XIIIe s.) et patron (surtout «
protecteur, saint patron »), ou des termes de sens plus précis comme
professeur, pédagogue, précepteur (tous trois empruntés au latin en MF) ou
mire, fisicien dans le sens de « médecin ».
Évolution : maître conserve l’essentiel de ses significations acquises en AF
et continue de s’employer comme adj. (essentiellement à propos de
référents inanimés et dans des syntagmes plus ou moins figés, comme
maître-autel, maître mot ou pièce maîtresse), mais surtout comme subs.,
pour désigner celui ou celle qui exerce une autorité en général (ex. : maître
de maison, maître-chien) ou possède des compétences particulières dans tel
ou tel domaine (ex. : maître de chœur, maître de conférences, ou encore
l’appellatif maître pour les avocats, les notaires, etc.). À l’inverse, le fém.
maîtresse, si l’on excepte le syntagme maîtresse d’école, voit ses emplois
se restreindre nettement ; désignant principalement une « préceptrice », une
« gouvernante » en AF, le terme se charge de connotations péjoratives pour
signifier « femme entretenant hors mariage des relations avec un homme »
et non plus seulement « femme aimée » (sens attesté en AF et conservé
jusqu’au XVIIIe s.).

Mal / Mauvais
Origine : issus du même paradigme latin, mal vient de l’adj. malum («
mauvais, funeste, méchant ») et mauvais du latin populaire (attesté par une
inscription) malifatium (composé de malum et fatum), littéralement « qui a
un mauvais sort ».
Ancien français : employé comme adj. mal (Xe s.) signifie essentiellement
(1) « désagréable, funeste, mauvais » ; (2) « difficile, dangereux » ; (3) «
mauvais, méchant », en parlant de qqn. ; il entre en tant que tel dans la
formation de nombreux subs. comme maleur (voir eur°) et maltalent (voir
talent°), etc. Employé comme adv., mal, « mal » ou « malheureusement, à
tort » (c’est, comme en FM, l’antonyme de bien), est à distinguer au moins
en partie de malement, « mal » mais aussi « dangeureusement,
difficilement » et « redoutablement », à prendre dans un sens positif (ainsi
dire d’un chevalier que malement s’est desfendu, c’est signifier qu’il s’est
« très bien » et non « mal » défendu). Enfin, comme subs., mal est à
entendre dans le sens aussi bien moral de « mal » (par opposition au bien),
« malheur, acte coupable » (selon que l’on se situe du point de vue de celui
qui commet le mal ou de celui qui le subit) que dans le sens physique de «
mal, douleur, souffrance » et, spécialement, « maladie ».
Quant à l’adj. mauvais (XIe s.), qu’on peut rencontrer dans son sens
étymologique de « malheureux », il recoupe en grande partie les acceptions
de mal avec les sens de (1) « mauvais, désagréable, de mauvaise qualité »
(en parlant d’un objet), « incapable » (en parlant d’une personne) et de (2)
« mauvais, méchant, malfaisant ».
Paradigme morphologique : pour mal, outre les nombreux composés
évoqués ci-dessus, on retiendra notamment malade (issu de la tournure
latine male habitum) et maladie, avec le même sens qu’en FM, malage, «
mal, maladie, souffrance » ou encore le v. maler, « faire du mal,
tourmenter ».
Pour mauvais, notons l’adv. mauvaisement et le subs. mauvaistié, «
malignité, méchanceté » et « qualité de ce qui est mauvais » (d’où
notamment « lâcheté », en contexte guerrier), proche synonyme de malice
(emprunté au latin malitia), qui à ces sens ajoute toutefois celui de «
nocivité ».
Paradigme sémantique : pas de véritables équivalents pour mal et
mauvais, sinon angoisseus (voir angoisse°), peineus (voir peine°) ou
perilleus dans le sens de « difficile, dangeureux » ; notons tout de même
felon° ou fier° dans le sens de « cruel, méchant » et, dans le sens de «
désagréable », des adj. comme laid° ou put°, quoique de sens nettement
plus fort. Pour le subs. mal, voir au sens physique duel° ou peine°, au sens
moral maleur (voir eur°), pechié° ou tort (voir droit°). Enfin, pour le
même terme employé comme adv., on retiendra l’adv. mar (d’origine
incertaine, peut-être issu de la contraction de la locution latine mala hora),
dans le sens d’« en vain, à tort, pour mon / ton / son malheur » et dont les
emplois obéissent à une situation d’énonciation et à un fonctionnement
syntaxique bien spécifiques2.
Évolution : presque confondus comme adj. en AF, mal et mauvais voient
aujourd’hui leurs emplois plus clairement répartis, entre d’un côté l’adj.
mauvais et de l’autre l’adv. et subs. mal, qui n’est quasiment plus employé
comme adj. sauf dans certaines expressions (ex. : faire / dire qqch. de mal,
c’est mal) ou en composition (ex. : malentendu, malformation, plus
récemment malbouffe, etc.). Ce point mis à part, les deux termes conservent
l’essentiel de leurs acceptions acquises dès l’AF.

Mander
Origine : du latin mandare, composé de manus et du v. dare, avec le sens
de « confier, charger, remettre », « recommander, ordonner » et « faire
savoir ».
Ancien français : restant proche de son sens latin, le v. mander (attesté dès
le Xe s.) sert à signifier le procès de « faire savoir / faire qqch. à qqn. (par
l’intermédiaire d’un tiers) », d’où parfois le sens d’« envoyer » (également
attesté en latin tardif). En AF il prend donc essentiellement les sens de (1)
« faire savoir, informer », de (2) « commander, ordonner », de (3) «
demander, réclamer », d’où enfin le sens spécifique de (4) « faire venir,
convoquer ».
Paradigme morphologique : on retiendra surtout le subs. mandement, «
appel, message », « ordre, commandement », le terme pouvant aussi
désigner la salle ou le bâtiment, probablement par métonymie, où se
trouve le « lieu de commandement » (de même que le FM
commandement) ; voir également, issus du même paradigme latin, les v.
comander° (qui reste proche de mander, même s’il se spécialise dès l’AF
dans le sens d’« ordonner, commander ») et demander, « solliciter,
réclamer, chercher à savoir » mais aussi « reprocher ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir noncier° ; dans le sens 2, voir
comander° ; dans le sens 3, demander ou prier ; dans le sens 4, apeler ou
semondre°.
Évolution : tout en conservant ses sens acquis en AF, le v. simple (vieilli ou
d’emploi littéraire) est aujourd’hui presque sorti d’usage, à l’inverse des
dérivés commander, demander ou encore quémander (XIVe s.), dont les
liens avec mander ne sont toutefois pas assurés. Par ailleurs, le même
paradigme a connu de nouveaux développements, notamment à partir de
mandat (emprunt au latin mandatum). Ce dernier terme, qui apparaît à la
fin du MA, appartient d’abord au vocabulaire religieux, avant de se laïciser
au XVIIe s. dans le sens d’« acte par lequel une personne donne à une autre
le droit d’agir en son nom », d’où, dans le domaine politique, « charge
résultant d’une élection ». La même spécialisation prévaut pour les dérivés
plus ou moins récents mandant, mandataire ou mandater.

Maniere
Origine : fém. substantivé de l’adj. manier, du latin tardif manuarium, « de
main, que l’on tient dans la main, que l’on fait fonctionner avec la main ».
L’aboutissement au subs. maniere à partir de l’adj. latin n’est pas bien
expliqué mais doit en tout cas relever d’emplois figurés encore bien
attestés en FM pour le subs. main (ex. : de main de maître, perdre la main,
tour de main, etc.).
Ancien français : conformément à son étymologie, le sens premier du
terme, attesté au XIIe s., doit plutôt être (1) « manière, façon de faire »
(parfois « moyen »), ce qui pourrait le distinguer de guise°. Mais il prend
aussi le sens de (2) « manière, façon de se comporter, comportement » et de
(3) « sorte, espèce, genre » (ex. : quant Dieu fist et ordena le monde, il crea
deulz manieres de bestes). Notons que le terme entre dans de nombreuses
locutions comme en / par tel maniere (que), a (la) maniere de, de manieres
(« de toutes sortes »), de grant maniere (« très bien »), etc.
Paradigme morphologique : dans le même paradigme, mais sans grand
rapport quant au sens, on peut noter l’adj. manier (« qui se tient à la
main », notamment dans l’expression arc manier, « qui se fait avec les
mains » ou encore « qui sait (bien) se servir de ses mains », d’où manier a,
« apte, habile à » et « habitué, accoutumé à », à distinguer de maniable,
moins fréquent en AF) et le v. manier ou manoier, au champ sémantique
nettement plus large qu’en FM, avec notamment les sens de « toucher,
tâter, caresser », « malmener » et « tenir, manipuler ».
Paradigme sémantique : voir guise°.
Évolution : tandis que manière a conservé l’essentiel de ses sens
médiévaux et a même donné naissance à de nouveaux termes comme
maniéré (XVIIe s.) ou maniérisme (XIXe s.), le v. manier et l’adj. maniable
(qui, avec manuel, a remplacé manier) ont plutôt vu leurs significations se
restreindre à leur valeur concrète d’« utiliser ou travailler avec la main »
(même si on peut aussi manier la langue française, par ex.) ou de « facile
à manipuler, à transporter ».

Manoir / Maison
Origine : issus du même paradigme latin, les deux termes viennent, pour le
premier, du v. manere (« rester, demeurer, persister », « attendre »), pour le
second, du subs. mansionem, « fait de rester, séjour », puis, en latin plus
tardif, « lieu de séjour, habitation, demeure ». Le latin domus, remplacé en
latin populaire par casa (« cabane, chaumière », en latin), n’a donc pas
survécu, sinon dans des dérivés comme domicile ou domestique,
empruntés au latin en MF.
Ancien français : proche de ses acceptions latines, le v. manoir (ou
maindre), attesté dès le Xe s., se rencontre surtout au sens propre de «
demeurer, habiter, résider », ce qui n’empêche pas des emplois figurés au
sens de « rester, demeurer, persister » (ex. : manoir en joie / en pechié).
En relation avec le v., le subs. manoir (XIIe s.) prend le sens général de «
demeure, habitation » (dans ce cas il peut s’agir plus précisément d’une «
résidence fortifiée », plus petite néanmoins que le chastel°) ou de «
propriété, domaine ». Quant à maison (XIe s.), le terme conserve ses
significations acquises dès le latin tardif et prend également un sens
générique (« demeure, résidence, lieu d’habitation » : on notera la locution
en / a maison, « chez soi ») ; la dénomination est relativement générale,
mais là encore le subs. se différencie notamment de chastel°, de palais° ou
de manoir, en désignant plutôt un bâtiment de taille plus modeste et non
fortifié ; en outre, par métonymie, maison peut également renvoyer à «
l’ensemble des personnes vivant sous le même toit », ou plus largement à
la « famille », la « lignée ».
Paradigme morphologique : parmi un paradigme très riche, on pourra
retenir des dérivés de manoir, comme le v. remanoir (mêmes sens que
manoir mais aussi, par extension, « attendre, tarder » et « s’arrêter, cesser,
ne pas avoir lieu ») et les subs. remanance (« fait de demeurer, séjour,
résidence », « reste, reliquat ») et remanant (« restant, excédent, surplus »)
; le participe présent manant, à la fois subs. dans le sens de « résidant »
(manant ne devenant pas un synonyme péjoratif de « paysan » avant le
XVIe s.) et adj., surtout dans le sens de « riche » (par assimilation des
notions de résidence et de possession ?) ; le subs. mansion (doublet savant
de maison, emprunté au XIIe s.), « demeure, résidence, habitation », qui se
spécialise à la fin du MA dans la terminologie théâtrale ; le subs.
maisnage, « maison », « habitants d’une même maison » et « ensemble
des biens appartenant / nécessaires à une maison » (d’où les sens actuels
de ménage) ; le subs. maisnie, « ensemble des personnes vivant sous le
même toit, maisonnée » et, par extension, « serviteurs, compagnie, troupe,
armée » d’un seigneur ; ou encore le v. maisoner, « construire, bâtir » ;
signalons pour finir, dans le sens de « demeure, habitation (rurale) »
surtout, les subs. mes (du latin mansum, qui a donné aussi le provençal
mas, réemprunté au XVIe s.) et masure, qui se spécialise à partir du MF
dans le sens de « bâtiment qui menace de tomber en ruines ».
Paradigme sémantique : pour le v., on peut citer abiter (« se trouver,
demeurer » mais aussi « se tenir à proximité, approcher »), converser (voir
verser°), demorer°, ester (surtout « se tenir, s’arrêter », du latin stare, « se
tenir debout »), repairier° et rester (surtout « s’arrêter » et « résister »,
conformément à son origine latine restare, de même sens) ; pour le subs.,
dans le sens général de « lieu de résidence permanent », voir ostel° (qui
peut aussi désigner un lieu de résidence temporaire et le fait d’être logé, à
la différence de maison) ou repaire (voir repairier°) ; pour le sens de «
famille, lignée », réservé à maison, voir ligne°.
Évolution : le v. manoir, qui n’est plus répertorié comme tel dans les
dictionnaires du XVIIe s., est remplacé aujourd’hui par demeurer ou rester,
habiter ou résider ; outre le subs. manoir, certaines traces du paradigme
subsistent néanmoins en FM dans les termes rémanant et rémanance (XIXe
s., emprunt à l’anglais, qui avait lui-même emprunté à l’AF), désignant la
« persistance partielle d’un phénomène après disparition de sa cause ».
Contrairement au v., les deux subs. maison et manoir ont donc survécu
jusqu’à aujourd’hui et sont essentiellement employés pour désigner un
bâtiment d’habitation, avec le sens qu’ils avaient déjà au MA : manoir (qui
perd au XVIIe s. son sens général de « résidence, demeure ») continue ainsi de
s’opposer à maison, pour désigner une demeure relativement imposante
mais plus petite qu’un château. Par ailleurs maison, comme maisnie, est
utilisé jusqu’au XVIIe s. dans le sens d’« ensemble de personnes vivant sous
le même toit » ou de « lignée, famille », avant que les deux termes ne soient
supplantés par maisonnée, qui fait son apparition à la même époque ; on
retrouve néanmoins des traces de ce sens aujourd’hui dans l’usage de
maison comme adjectif invariable (ex. : une tarte maison).

Mat
Origine : d’origine incertaine, mat est peut-être issu du latin populaire
(attesté chez Pétrone) matum, « ivre », qui serait la forme syncopée d’un
latin populaire *maditum, participe passé du v. madere (« être mouillé,
imbibé »), d’où « qui a le vin triste » et « triste », par un possible
croisement avec l’adj. maestum, « abattu, affligé ».
Ancien français : l’adj. mat (XIe s.) a d’abord un sens moral, plus ou moins
fort, (1) « abattu, affligé, triste, sombre » (faire mate chiere, « faire triste
mine »). D’où, au sens physique, (2) « abattu, épuisé » et, en particulier
dans un contexte guerrier, « abattu, vaincu » ; pour ce dernier sens, le
croisement avec l’adj. mat (XIIe s.) est plus que probable. Ce dernier,
emprunté à l’arabe mat (« mort », dans l’expression « le roi est mort »,
employée aux échecs), signifie « mat » (au jeu d’échecs), notamment dans
des tournures du type faire / estre (eschec et) mat, volontiers complétées
en AF par en (l’)angle, c’est-à-dire dans un des coins de l’échiquier.
Paradigme morphologique : il existe notamment deux v., mater et matir,
plus ou moins confondus ; le second, seul à se rencontrer dans le sens de
« se flétrir, se fâner, dépérir », en parlant de plantes, a peut-être une autre
origine que mat ; pour le reste cependant, il se confond avec mater, « faire
échec et mat » au jeu des échecs mais aussi « vaincre, soumettre, mater »
et « fouler, écraser » au sens concret ; en FM, mater s’est imposé aux
dépens de matir, qui reste employé cependant dans le sens de «
comprimer, tasser » ou de « rendre mat ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir les subs. synonymes de
dolor° et les adj. qui en sont dérivés ; dans le sens 2, on peut citer les
participes passés des v. desconfire (voir confire°) ou veintre / veincre.
Évolution : à partir du MF l’adj. perd son sens moral et prend
conjointement le sens de « terne, sans éclat », qu’il conserve seul
aujourd’hui, par opposition à brillant en parlant d’une couleur, ou à clair
en parlant d’un son (en ce cas, mat est synonyme de sourd).

Mener
Origine : du latin minare (forme tardive pour 3le latin minari, «
menacer »), qui prend le sens concret de « chasser, pousser, conduire »,
d’abord en parlant d’animaux, puis dans un sens plus général. Le v.
menacier quant à lui est donc issu d’une autre forme appartenant au même
paradigme latin, le latin populaire *minaciare, dérivé de minacia, «
menace ».
Ancien français : attesté dès le Xe s., le v. élargit son champ sémantique et
prend essentiellement les sens de (1) « mener, conduire », voire « diriger »
ou « poursuivre », d’où au figuré « traiter qqn. de telle ou telle manière »
et « se comporter » en emploi réfléchi ; (2) « exercer, pratiquer, assurer
l’exécution », dans des tournures comme mener sa vie en luxure, mener
guerre, mener noise, etc., et plus particulièrement « manifester, montrer »
(souvent de façon particulièrement ostensible voire violente), à propos
d’un sentiment, surtout les deux sentiments opposés joie° et duel°.
Paradigme morphologique : parmi un paradigme assez riche, on retiendra
surtout les différents dérivés verbaux, comme demener, proche synonyme
de mener (en particulier, les tournures demener joie / duel sont également
fréquentes), avec néanmoins une valeur intensive, d’où aussi le sens de «
mener çà et là, secouer, maltraiter » ; amener, « conduire, mener, amener »
; malmener, « malmener, maltraiter » ; ou pormener / promener, « mener,
conduire, promener » (également en tournure réfléchie).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir duire° ; dans le sens 2, outre
au dérivé demener, on peut renvoyer à esploitier°, movoir° ou bien à
mostrer / monstrer (proche des sens de montrer en FM).
Évolution : le v. conserve aujourd’hui l’essentiel de ses sens acquis dès l’AF,
même si le champ sémantique s’est plutôt replié sur le sens concret de «
conduire, mener », en perdant par ailleurs toute relation avec la notion de
violence, que l’on retrouve en revanche dans le dérivé démener (seulement
à la forme pronominale en FM, dans le sens de « s’agiter violemment » ou
de « se donner du mal » au figuré, sens déjà attestés en AF). Le paradigme
de mener ne s’est guère enrichi après le MA mais a pu connaître des
changements de sens importants ; ainsi en va-t-il du subs. menee, que l’on
rencontre surtout dans soner (a) la menee en AF (« sonner la charge,
l’assaut »), mais seulement au plu. en FM dans le sens d’« agissements
secrets poursuivant un but nuisible ».

Merci
Origine : du latin mercedem « salaire, gratification, récompense »,
appartenant au paradigme du v. merere « mériter, gagner », qui a donné en
AF le v. merir (supplanté par meriter à partir du MF) et le subs. merite. À
partir du latin tardif, mercedem prend aussi le sens de « faveur, grâce »,
ainsi que celui de « bon vouloir », du point de vue de qui accorde la
faveur.
Ancien français : quoiqu’on puisse de temps en temps le rencontrer dans
son sens étymologique de « gratification » (parfois « dédommagement,
amende »), merci (Xe s.) recouvre essentiellement les acceptions morales et
abstraites de (1) « grâce, bon vouloir, discrétion » (dans des expressions
comme (la) merci Dieu / (la) Dieu merci, « par la grâce de Dieu », estre a /
en la merci de qqn., ou encore vostre merci, « s’il vous plaît »), parfois au
sens fort de « pitié, grâce, miséricorde » (ainsi dans por Deu merci, « au
nom de Dieu, par pitié », ou dans crier merci, « implorer la pitié ») ; le
terme signifie également (2) « remerciement », dans des tournures comme
rendre merci, « remercier », ou (grant) merci, « merci ». On voit donc que
le subs. merci entre dans de nombreuses locutions, qu’il faut tâcher de ne
point confondre.
Paradigme morphologique : on peut citer quelques v. comme mercier
(surtout « rendre grâce, remercier »), qui sera supplanté par remercier (rare
en AF), ou amercier (« condamner à l’amende », cas un peu particulier
dans le paradigme) ; l’adj. merciable, « pitoyable » et « miséricordieux » ;
et le subs. merciement, remplacé par remerciement à la fin du MA.
Paradigme sémantique : voir surtout grace° et gré° mais aussi abandon°.
Dans le sens de « gratification », on renverra à guerredon° ; dans celui de
« pitié, miséricorde », à pitié / pieté (du latin pietatem), les deux termes ne
se différenciant qu’à partir du XVIe s., ou encore à misericorde (emprunté
au XIIe s.), qui désigne cependant une qualité exclusivement divine.
Évolution : subissant la concurrence de divers termes comme grâce, pitié
ou tout simplement remerciement, merci a conservé ses significations en
FM, mais exclusivement sous forme figée, notamment dans être à la merci
de qqn., un combat sans merci, Dieu merci et, bien sûr, merci (masc.
depuis le XVIe s., probablement à cause de l’expression grand merci),
employé seul ou accompagné d’un adjectif.

Merveille / Merveilleus
Origine : c’est du même adj. latin mirabilis, « étonnant » (du verbe mirari,
« s’étonner », qui a donné mirer), que sont issus en AF l’adj. merveilleus
et le subs. merveille, ce dernier étant tiré du neutre plu. substantivé
mirabilia, « miracles, monstruosités (de la nature) » et « miracles » en
latin chrétien, pris à tort pour un féminin singulier en latin tardif.
Ancien français : conformément à leur étymologie, le subs. et l’adj., tous
deux attestés au XIe s., développent leurs significations autour de la notion
d’étonnement, sentiment subjectif suscité par un événement qui sort de la
norme. À partir de là, l’adj. merveilleus peut servir à qualifier une chose,
un être, un événement « étonnant, hors du commun, extraordinaire,
prodigieux » ; de même, le subs. merveille désigne tout « phénomène
extraordinaire, prodige », sans connotations négatives ou positives
(contrairement au sens actuel du terme). Notons que le subs. entre dans de
nombreuses expressions, comme a merveille (« extraordinairement,
prodigieusement »), c’est merveille (« c’est incroyable, prodigieux ») ou
avoir merveille (« s’étonner, être stupéfait »).
Paradigme morphologique : on retiendra surtout le verbe (soi) merveillier,
« s’étonner, être stupéfait », et le dérivé (soi) esmerveillier, de même sens,
qui supplantera le premier en FM.
Paradigme sémantique : à défaut de véritable équivalent du subs.
merveille en AF, on peut citer le terme miracle (XIe s.), d’ailleurs issu du
même paradigme latin (miraculum, de mirari), avec le sens spécifique, en
AF comme en FM, de « fait extraordinaire imputé à une intervention
divine ». Voir aussi le terme aventure°, volontiers associé à celui de
merveille dans la littérature médiévale.
Évolution : après le MA, la notion d’admiration (méliorative) l’emporte
progressivement sur celle d’étonnement (neutre), aussi bien pour le subs.
merveille, employé seul (dans le sens de « chose suscitant une intense
admiration », souvent un spectacle) ou en locution (à merveille, «
parfaitement »), que pour l’adj. merveilleux, même si ce dernier a conservé
jusqu’au XVIIe s. le sens de « surnaturel, extraordinaire », sens aujourd’hui
maintenu spécifiquement pour le domaine littéraire (le merveilleux comme
genre, par opposition au fantastique par exemple).

Mes / Message
Origine : du latin missum, « envoyé », participe passé du v. latin mittere
(qui a également donné metre en AF) substantivé dès le latin, mais surtout
en latin tardif, dans le sens d’« envoyé, messager ».
Ancien français : les termes mes (XIe s.) et message (dérivé du précédent,
attesté également dès le XIe s.) se trouvent tous deux soit dans le sens de
(1) « message, contenu d’une communication transmise par
l’intermédiaire de messagers » (communication orale et/ou écrite, revêtant
en général un caractère officiel), soit dans celui de (2) « messager » ou
bien « mission, ambassade ». Les deux termes peuvent néanmoins se
distinguer dans la mesure où message se rencontre indifféremment dans
ces deux sens, tandis que mes se limite essentiellement à celui de «
messager » mais prend aussi celui de « plat, mets » (étymologiquement, il
s’agit de « ce qui est mis sur la table », resté dans le FM mets, dont la
graphie ne s’imposera qu’à la fin du XVIIe s.).
Paradigme morphologique : on peut citer les subs. messagier (dérivé
attesté dès le XIe s.), exclusivement dans le sens de « messager », et
messagerie (XIIIe s.), d’abord « ambassade, mission » (sens disparu à la fin
du MA), puis « service chargé du transport des lettres et des colis », le
sens du terme ayant varié ensuite suivant l’évolution des moyens de
communication téléphoniques, informatiques, etc.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer les subs. brief ou
letre pour désigner un message écrit ; ban°, cri (voir crier°) ou novele
(voir novel°) pour une communication orale. Dans le sens 2, et avant
qu’ambassade / ambassadeur ne soient empruntés à l’italien en MF, on
peut renvoyer à heraut, « héraut, officier chargé d’annoncer des messages
importants », qui était peut-être initialement une sorte de messager
militaire (le mot vient en effet d’un francique *hariwald, littéralement «
qui commande (*wald) l’armée (*hari) »), avant de devenir, sans doute
parce qu’il était chargé de les annoncer, un officier spécialisé dans les
tournois (qui devait reconnaître et faire connaître les participants, régler et
commenter les affrontements, etc.) ; le terme aura son âge d’or à la fin du
MA, avant de disparaître (en FM, il n’a plus que des emplois figurés).
Évolution : tandis que mes, probablement à cause de problèmes
d’homonymie, cesse d’être employé dès le MF, message et messager
voient à la même période leurs sens se spécialiser pour désigner
respectivement la chose (qui va de la simple information à la «
communication importante faite par un messager considéré comme
inspiré », d’où le sens de « leçon, exemple », à propos du message de
Jésus par exemple) et la personne.

Mestier
Origine : mestier pourrait s’expliquer phonétiquement par le croisement en
latin tardif de deux subs. morphologiquement et sémantiquement proches,
ministerium (« service, office, fonction » et, en particulier, « service
divin », d’où « service de Dieu » en latin chrétien) et mysterium («
mystère, secret » et spécialement « rite secret en l’honneur d’une divinité,
seulement accessible aux initiés »).
Ancien français : le sens premier de mestier (Xe s.) est celui de (1) « service,
fonc-tion, office », non seulement dans le domaine religieux (le mestier
(Dieu), c’est le « service divin »), mais aussi dans le domaine laïc et
professionnel, d’où le sens actuel, attesté dès le MA, de « catégorie
professionnelle, métier, activité » (le Livre des mestiers, rédigé en 1268 par
Étienne Boileau, recense l’ensemble des règles régissant le fonctionnement
des corporations professionnelles à Paris). Puis, par extension, le subs.
signifie (2) « utilité, besoin, nécessité », surtout dans des expressions comme
avoir / estre mestier a, « être utile à », et avoir mestier de, « avoir besoin
de » (tournures équivalant au v. impersonnel estovoir° et à ses synonymes).
Enfin, par métonymie, le même terme peut aussi désigner tout (3) « objet,
instrument » utile à l’exercice d’une profession, comme un mestier servant
au tissage.
Paradigme morphologique : voir ministre / menestrel° pour des termes
formés sur le même paradigme latin. Par ailleurs, mistere est réemprunté
au latin au XIIe s. dans le sens de « mystère, secret, sens caché ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, notons ofice (également avec le
sens de « service divin »), ministere (voir ministre°) ou servise (voir
servir°) ; dans le sens 2, voir besoing°.
Évolution : à partir du XVIIe s., métier perd tout lien avec les notions de
besoin ou d’utilité et ses emplois se limitent à la sphère de l’activité
professionnelle (également au figuré, dans le sens d’« expérience » ; cf.
avoir du métier) et à certains de ses instruments de travail (ex. : métier à
tisser).

Ministre / Menestrel
Origine : les deux termes sont issus du même paradigme latin ; menestrel
(XIe s.) tire son origine du latin tardif ministerialem, adj. formé sur
ministerium (« service, office, fonction »), substantivé dans le sens de «
serviteur, artisan » ; de son côté, ministre est emprunté au XIIe s. à
ministrem, « serviteur, domestique, ministre, agent » en général, mais le
terme est souvent employé, dès le latin, en contexte religieux, d’où «
serviteur de Dieu » en latin chrétien, mais aussi « officier public » en latin
tardif.
Ancien français : ministre et menestrel ne sont pas toujours nettement
distincts en AF et peuvent prendre tous deux le sens de « serviteur,
agent », désignant de façon générale tout individu exerçant une activité
sous la dépendance et au profit d’une autre personne. Dans de nombreux
cas cependant, on peut noter une spécialisation des emplois de ministre
dans les domaines religieux (« serviteur de Dieu, prêtre ») ou administratif
et politique, par opposition à menestrel qui se restreint au domaine des arts
et de l’artisanat, d’où parfois le sens d’« artisan » – même si le terme est
beaucoup plus souvent employé pour renvoyer à la catégorie spécifique
des professionnels du divertissement, ce qui en fait aux XIIe-XIIIe s. un exact
synonyme de jogleor°, avant qu’il ne désigne plus précisément le «
musicien » à partir du MF.
Paradigme morphologique : en ce qui concerne ministre, citons ministere
(emprunt au latin ministerium), « service, office », et ministrer ou
administrer, « servir, donner, administrer » ; du côté de menestrel, notons
les subs. menestrier (XIIIe s., forme plus tardive certainement issue d’un
croisement entre ministre et menestrel), qui signifie surtout « ménestrel,
musicien » et subsiste en FM sous la forme ménétrier (vieilli, pour
désigner un « violoniste de village »), et enfin menestraudie, « activité de
ménestrel ».
Paradigme sémantique : dans le sens général de « serviteur, ministre », on
peut renvoyer à serjant° et aux dérivés de servir° ; pour les acceptions plus
précises de ministre ou de menestrel, voir clerc° pour le domaine religieux,
baillif (voir baillier°) pour le domaine administratif, jogleor° pour la partie
divertissement, ou encore deux termes peu fréquents comme artefior ou
artien, indifféremment « artiste » ou « artisan » en AF, la distinction entre
les deux domaines d’activité ne s’opérant pas nettement avant la
Renaissance (d’ailleurs artiste et artisan sont tous deux empruntés à
l’italien en MF).
Évolution : la spécialisation politique de ministre s’affirme à la fin du MA,
le terme désignant progressivement une fonction de plus en plus
importante, un « conseiller du roi » au XVIe s., puis un « homme d’État,
membre d’un gouvernement » à partir du XVIIe s. ; néanmoins le subs.
conserve son acception religieuse dans des expressions comme ministre du
culte.
Quant à ménestrel, qui subsiste encore au XVIe s. sous des formes variées
(menestreur, menestrier, menestrieur, etc.) dans le sens de « musicien », il
appartient dorénavant au vocabulaire historique.

Mostier
Origine : du latin populaire *monisterium, pour le latin tardif monasterium,
« rassemblement de moines, lieu où vit un ensemble de moines,
monastère ».
Ancien français : dès le Xe s. mostier sert à désigner toute espèce de «
bâtiment à usage religieux », qu’il s’agisse d’un « lieu de culte » ou d’un
« lieu de résidence pour religieux », d’où éventuellement le sens de «
temple » païen, mais bien plus souvent en contexte chrétien, d’« église »
ou de « couvent, monastère ».
Paradigme morphologique : on ne peut guère citer que le diminutif
mosteret.
Paradigme sémantique : dans un paradigme assez riche, mostier fait
fonction en AF d’hyperonyme à côté de divers termes de sens
éventuellement plus précis tels qu’abeie, subs. dérivé d’abé désignant une
« communauté de moines / moniales gouvernée par un abbé / une
abbesse », donc une « abbaye » ; chapele (même sens qu’en FM) ; convent
/ couvent, avec le sens général d’« assemblée, communauté » et, plus
précisément, de « communauté religieuse, établissement où vivent les
membres d’une communauté religieuse » (pour les autres sens, voir
convenir°) ; eglise (du latin chrétien ecclesia, « assemblée des fidèles » et
par métonymie « édifice rassemblant les fidèles »), qui conserve ses
acceptions étymologiques mais prend aussi le sens d’« institution
catholique » (notamment quand il s’agit de la sainte eglise) ; temple (1080,
emprunt ancien au latin templum), « édifice consacré au culte », qu’il soit
chrétien ou non.
Évolution : concurrencé dès l’AF par des termes de sens plus précis comme
abbaye, église, monastère (doublet savant de mostier, réemprunté au latin
tardif au XIVe s.) ou temple (qui désigne à partir du XVIe s. un « édifice
dévolu au culte protestant », par opposition à église), mostier sort d’usage
au XVIIe s. ; le terme subsiste néanmoins dans certains parlers régionaux et
dans des toponymes comme Noirmoutier ou Saint-Pierre-le-Moutier.

Movoir
Origine : du latin movere, « mouvoir, remuer, agiter » et, au figuré, « faire
impression, émouvoir, influencer », « provoquer, faire naître ».
Ancien français : movoir (XIe s.) conserve pour l’essentiel ses acceptions
latines et prend le sens concret de (1) « (se) mettre en mouvement,
mouvoir, bouger, remuer, agiter », d’où aussi « s’en aller, partir » ; le sens
psychologique de (2) « mettre en mouvement, faire impression,
émouvoir », d’où aussi « inciter, influencer » ; et enfin, le sens abstrait de
(3) « mettre en mouvement, causer, provoquer, faire naître, commencer »,
par exemple dans movoir guerre (« engager la guerre »), ce qui tend à en
faire tout simplement un équivalent de faire.
Paradigme morphologique : parmi les dérivés, citons le subs. movement,
« mouvement, départ, impulsion », ou l’adj. movable, « mobile, qui peut
se déplacer », à distinguer de movant, « qui se meut bien, alerte ». Par
ailleurs, on pourra retenir les v. esmovoir, proche synonyme de movoir, ou
promovoir, de même sens qu’en FM, tous deux issus du même paradigme
latin. Ajoutons également l’adj. mueble (du latin populaire *mobilem, avec
un o bref), « mobile, qui peut se déplacer », ce dernier sens étant
aujourd’hui conservé notamment dans le vocabulaire juridique qui oppose,
par exemple, les biens meubles aux immeubles (le sens général étant, lui,
passé à mobile, réemprunté au XIVe s. au latin) ; pour finir, notons le subs.
muete, « départ, expédition », « émeute, soulèvement », « troupe » et
spécialement « troupe de chiens, meute », qui a donné meute et émeute en
FM.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer des v. comme bouger
(du latin populaire *bullicare, « bouillonner », formé sur le latin bullire, de
même sens), « bouger, remuer », muer° et ses dérivés ou encore partir° ;
dans le sens 2, voir semondre° ; dans le sens 3, voir comencier, mener°
voire faire.
Évolution : après le MA le paradigme reste vivace et connaît de nouveaux
développements, notamment à partir de meuble et mobile. Par ailleurs, le
v. simple tend à restreindre ses usages au seul sens concret de « (se)
déplacer, bouger » – sens dans lequel il est en outre concurrencé par des
termes aujourd’hui d’usage plus courant, comme agiter (emprunté au latin
en MF mais rare avant le XVIe s.), bouger, déplacer ou remuer –, par
opposition à émouvoir et ses dérivés (émotion, émotif, émotivité, etc.),
limités au domaine psychologique.

Muer
Origine : du latin mutare, d’abord au sens concret de « déplacer », mais
surtout « échanger, remplacer » et « changer, modifier ».
Ancien français : comme en latin, le v. muer (XIe s.) signifie surtout (1) «
changer, modifier, transformer » (notons les locutions du type muer la
color / le cuer / le sanc, soulignant une vive émotion) et spécialement «
muer », notamment en parlant d’oiseaux de chasse (d’où les syntagmes
espervier / faucon mué) ; plus rarement, il peut prendre le sens de (2) «
déplacer, remuer ».
Paradigme morphologique : on rencontre en AF divers subs. tels que
muaison, muance, mue ou muement, « changement, mutation » et, en
particulier, « mue », parfois « déplacement », dont il ne subsiste en FM
que muance (rare) et mue (qui a déjà son sens actuel en AF) ; notons
également l’adj. muable, « changeant, éphémère, instable », qui a donné
immuable au XIVe s., et les v. dérivés remuer (surtout « déplacer, emmener,
chasser », « remuer, agiter, bouger ») ou transmuer (« métamorphoser »).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, le plus proche synonyme de muer
est changier (XIIe s., du latin tardif cambiare, probablement issu du
gaulois), « changer, transformer », « échanger, remplacer » ; mais on peut
citer aussi varier (voir vair°) et torner° en emploi figuré ; dans le sens 2,
voir movoir°.
Évolution : la concurrence dès l’AF de changer mais aussi, à partir du MF,
de termes savants empruntés au latin, comme métamorphoser, modifier ou
transformer, a entraîné une restriction considérable du champ sémantique
de muer, limité aujourd’hui au sens spécifique d’« effectuer une mue », en
parlant de certains animaux qui changent de peau ou de pelage, ou de
l’homme, dont le timbre de voix évolue à l’adolescence ; le sens général se
maintient toutefois en emploi littéraire dans la tournure (se) muer en. Le
sème du changement a également subsisté dans le reste du paradigme,
avec des acceptions plus ou moins spécifiques (pour les sens plus
spécifiques, voir par exemple les emprunts transmuer, puis transmuter au
XIXe s., ou transmutation, appartenant d’abord au vocabulaire alchimique ;
pour les moins spécifiques, voir immuable et mutation) ; le sème du
mouvement a, lui, totalement disparu, sauf dans les composés remuer,
remuement ou encore remue-ménage (XVIe s.).

Muser
Origine : de l’AF *mus, « museau » (seulement attesté sous la forme musel,
« museau » et par métonymie « visage »), issu d’un latin tardif musum,
attesté pour la première fois au VIIIe s. et d’origine obscure.
Ancien français : dérivé de *mus, muser (XIIe s.) est probablement à
entendre, littéralement, au sens de « rester le museau (le nez) en l’air » ou
de « mettre son museau (son nez) dans », d’où les emplois effectivement
attestés du v. au sens de (1) « perdre son temps, flâner » (ex. : a Paris ont
tant musé que tout leur tans i ont usé) et par extension de « réfléchir,
penser, aspirer à », et au sens de (2) « regarder, examiner ». Notons qu’en
dépit d’une possible communauté d’origine, le v. ne doit pas être confondu
avec son homonyme muser, « jouer de la muse », instrument médiéval à
vent que l’on retrouve dans le FM cornemuse.
Paradigme morphologique : il se développe dans trois directions
différentes, plus ou moins proches sémantiquement de muser. Les subs.
musage, muse ou muserie (« flânerie, perte de temps ») sont directement
liés au v. L’adj. musart (« étourdi, sot, stupide », parfois employé comme
terme d’insulte de sens assez vague, à l’image de gloton°) et le subs.
correspondant musardie offrent, comme leur suffixe l’indique, un
développement péjoratif du paradigme. Reste enfin le cas particulier
d’amuser (XIIe s.), « tromper, berner » en AF, sens bien loin de ceux de
muser et dont il est difficile de déterminer l’origine : le point de départ
pourrait se trouver dans l’idée de « faire perdre son temps à qqn. », qui
amènerait celle de « tromper » ; ou bien (ou de surcroît) il faut supposer
un croisement avec l’autre v. muser qui reposerait sur une équivalence
conceptuelle entre le fait de jouer de la musique et de tromper, déjà
attestée dans le v. tromper en AF (voir decevoir°).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir gaster / user son tens,
penser° ou foloier (voir fol°) ; dans le sens 2, voir garder°.
Évolution : muser et musarder (ce dernier étant attesté isolément en AF et
repris au XIXe s.), dépourvus de toute valeur péjorative, se conservent en
emploi littéraire, dans le sens de « flâner ». Quant au v. amuser, il prend
entre le XVIe et le XVIIe s. le sens de « divertir, distraire », d’abord en emploi
transitif, puis réfléchi ; par ailleurs il développe un riche paradigme à
partir du MF, avec amusement, amuseur, amusant, amuse-gueule, etc.
Notons enfin que c’est le même paradigme qui a laissé en FM des termes
aussi divers que camus, museau, museler ou musette (par le biais de
l’instrument).
N

Nature
Origine : du latin naturam, « nature, état naturel et constitutif d’un être ou
d’une chose », « nature, ensemble des lois régissant l’univers, ensemble
des êtres, des choses et des phénomènes, monde physique, sensible ».
Ancien français : si l’on excepte quelques sens spécifiques (« origine » ou
« sexe, parties génitales »), nature (XIIe s.) conserve ses acceptions latines
et désigne un (1) « ensemble constitutif de propriétés, de lois », le terme
pouvant caractériser un objet ou un être en particulier, d’où « nature, vertu,
caractère » et, spécialement pour un animé humain, un comportement
inné, par opposition à la norreture qui représente l’éducation, la culture
acquise (voir norrir°) ; le subs. signifie aussi (2) « ensemble des lois
régissant l’univers, le monde physique », sens que l’on retrouve
essentiellement dans la personnification de Nature.
Paradigme morphologique : parmi divers dérivés, on peut noter l’adj.
naturel (XIIe s., du latin naturalem), « naturel, de naissance, inné », d’où «
authentique, pur » en parlant d’un objet, « honnête, sincère » en parlant
d’une personne, ou encore « légitime » (notamment dans le syntagme
seignor naturel) ; le v. naturer (XIIIe s.), « former, façonner, travailler »
(c’est-à-dire faire le travail de Nature, qui forme les êtres et les choses),
terme qui sort d’usage à la fin du MA (quoiqu’encore employé au participe
passé au XVIe s.) mais qui subsiste en FM dans le dérivé desnaturer, «
changer (en mal) de nature, dénaturer, dégénérer » (dans des acceptions
morales seulement à partir du XVIIe s.).
Paradigme sémantique : dans le sens de « nature, caractère », vertu° (voir
aussi guise°) ; dans le sens de « monde (physique) », monde.
Évolution : les évolutions sémantiques que connaît le mot nature après le MA
sont avant tout liées à celles des rapports entre théologie, science et sentiment
esthétique. Ainsi, à partir du XVIe s., le lien avec la religion chrétienne se
relâchant, le terme peut retrouver son sens latin d’« ensemble des êtres, des
choses et des phénomènes appartenant au monde physique, sensible » et peut
aussi désigner à partir du XVIIIe s. le « monde physique, à l’exclusion de
l’homme et de ses œuvres », notamment en tant que spectacle et objet d’une
émotion esthétique. Par ailleurs, le paradigme connaît de nombreux
développements, avec des termes comme dénaturation, naturaliser,
naturaliste, naturisme, etc.

Nef
Origine : le mot vient du latin navem, qui signifie « navire » et, à partir de
l’époque chrétienne, la « nef d’une église », par analogie de forme et
probablement sous l’influence du grec naos (« temple »).
Ancien français : nef (XIe s.) conserve ses deux sens étymologiques, «
navire » et « nef (d’une église) », mais en prend également un troisième, là
encore par analogie de forme, quand il sert à désigner une pièce
d’orfèvrerie, un grand récipient qui peut contenir, notamment, du vin.
Paradigme morphologique : on peut citer divers termes, issus non pas de
nef mais soit de son doublet savant nave (XIIIe s., « navire »), soit d’autres
termes latins de même racine, comme les v. navier (« naviguer, traverser,
transporter sur un bateau ») et nagier (mêmes sens que le précédent, plus
celui de « naviguer à la rame, ramer », par opposition à cigler, « naviguer à
la voile » ; l’acception actuelle de nagier est attestée en AF, mais le v. usuel
dans ce sens au MA est noer), tous deux issus du latin navigare, qui sera
réemprunté en MF, d’où le FM naviguer ; mentionnons également la série,
fournie, des subs. tels que navoi, navie, navile, navilie, navire, etc., pouvant
désigner indifféremment un « vaisseau » ou une « flotte ».
Paradigme sémantique : dans le sens de « navire, bateau », on retiendra
donc nave et ses divers dérivés, ainsi que batel (dérivé avec diminutif de
l’anglo-normand bat, emprunt au vieil anglais bat, qui a donné l’anglais
boat), sans compter les termes servant à désigner des types plus ou moins
précis de navires, comme barge (qui prend notamment le sens de «
barque », barque lui-même n’étant pas attesté avant le XIVe s.), dromont ou
encore galee / galie (« galère, navire de guerre », qui a donné le dérivé
galion, attesté dès l’AF) ; pour les récipients servant à contenir un liquide,
voir vaissel°.
Évolution : nef conserve jusqu’à aujourd’hui son acception architecturale
mais apparaît vieilli ou poétique dans celle de « navire », pour laquelle il
est progressivement remplacé (du XVIe au XVIIIe s.) d’abord par vaisseau,
qui lui-même reculera devant navire, puis, surtout, par bateau. Dans le
sens de « navire » néanmoins, nef a naguère donné deux dérivés, aéronef
et astronef, aujourd’hui démodés.

Nigremance
Origine : du latin tardif nigromantiam, issu du croisement entre le latin
tardif (emprunté au grec) necromantiam, « nécromancie, évocation des
morts » et l’adj. niger, « noir, sombre » (voir le FM magie noire).
Ancien français : attesté au XIIe s., le subs. nigremance (ou ingremance), tout
en conservant le sens précis de « nécromancie, évocation des morts », peut
désigner toute espèce de « magie, sorcellerie », tout « savoir magique » qui,
dans le contexte médiéval, n’est pas forcément bien distinct d’autres formes
de connaissance à nos yeux plus « positives » (ainsi il n’est pas rare dans les
textes de trouver la nigremance rangée parmi les sept arts libéraux, au même
titre que la fisique ou l’astronomie).
Paradigme morphologique : on ne trouve que des termes peu courants
comme nigremancie, nigremancien ou nigremantique.
Paradigme sémantique : parmi un lexique remarquablement riche
renvoyant à la magie en général ou à certaines de ses pratiques, on pourra
distinguer d’un côté les termes plus ou moins conservés en FM, tels que
charme, conjuracion (mais aussi, en AF, conjure ou conjurement),
enchantement, sorcerie, dérivé de sorcier (du latin populaire *sortiarium, «
diseur de sorts », dérivé de sortem), ou encore sortilege ; de l’autre, des
termes disparus, comme artimage / artimaire, « magie », et charai(e) /
charaude, « magie », « sort, enchantement ».
Évolution : le terme disparaît à la fin du MA, remplacé, dans le sens précis de
« nécromancie », par nécromancie, réemprunté au latin au XVIe s., et supplanté,
dans le sens général de « magie », par sorcellerie et magie (XVIe s., emprunt au
latin, issu du grec).

Noble
Origine : du latin nobilem, « connu, fameux, célèbre » mais aussi « de famille
noble ».
Ancien français : l’adj. noble (XIe s.) se rencontre d’abord, peut-être en
rapport avec son acception latine première, dans le sens de (1) « supérieur,
éminent, excellent », avec une portée méliorative très générale, et peut
s’appliquer aussi bien à des animés qu’à des inanimés (ex. : un noble
chastel). Cependant, à partir du XIIIe s. et peut-être sous l’influence des
subs. dérivés où ce sens paraît se dégager plus rapidement, c’est celui de
(2) « noble, qui appartient à la noblesse » qui s’impose progressivement.
Paradigme morphologique : les trois subs. noblece, nobleté et nobilité (où
se retrouve essentiellement le sens 2 de l’adj.) peuvent indifféremment
renvoyer à la « noblesse » en général et ses qualités, à une « action
noble », ou encore à un « objet, événement magnifique ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir le paradigme sémantique de
bel° ; dans le sens 2, on peut citer gent / gentil°, ainsi que debonaire° ou
franc°.
Évolution : noble connaît une évolution en partie inverse à celle de franc°
ou de gent / gentil°, puisque c’est aujourd’hui le seul adjectif
(éventuellement avec aristocratique, emprunté au XIVe s.) à même de
référer à la noblesse en tant qu’appartenance sociale. Néanmoins la
signification première du terme est préservée dans de nombreux emplois
(ex. : un visage noble, une noble attitude, des matériaux nobles, etc.).

Noise
Origine : peut-être du latin nauseam, « mal de mer, nausée », même si cette
origine ne rend pas très bien compte de l’évolution sémantique ultérieure
(du « sentiment désagréable engendré par la nausée » à un « bruit
désagréable », puis au « bruit » en général ?). Le terme sera réemprunté au
XVIe s. dans son sens actuel.
Ancien français : du sens latin on est donc passé au sens concret de (1) «
bruit, clameur, vacarme », référant particulièrement semble-t-il à un bruit
désagréable ou fort (ex. : tel noise ai tote nuit oïe qu’or m’ere a grant
peine endormie), et au sens abstrait de (2) « protestation, querelle,
dispute » voire « conflit ».
Paradigme morphologique : on peut noter divers dérivés, dont le v.
noisier, « faire du bruit, du vacarme » et « chercher querelle », ou l’adj.
noiseus, « bruyant » et « querelleur ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir barat° et bruit (voir bruire°) ;
dans le sens 2, ochoison°, plaid° (« querelle » au sens juridique), tenson
(voir tencier°) voire guerre° ou revel (déverbal de reveler, « se révolter »,
du latin rebellare), « rébellion, révolte », « tapage, tumulte » et, par
glissement de sens (le terme pouvant servir à qualifier des manifestations
joyeuses), « joie, allégresse ».
Évolution : concurrencé par de nombreux termes au sens concret, comme
tapage (XVIIe s., dérivé de taper) ou vacarme (à partir du XVIe s. dans son
sens actuel), et au sens abstrait, comme querelle ou des emprunts savants
et tardifs tels que dispute (XVe s., dérivé de disputer, emprunté au latin
disputare, « discuter, disserter », sens courant du v. jusqu’au XVIIe s.), noise
cesse progressivement d’être employé et ne subsiste plus aujourd’hui que
dans l’expression chercher (des) noise(s), « chercher querelle » (XVIIe s.) ;
à l’inverse, c’est devenu un terme très courant dans la langue anglaise au
sens de « bruit ».

Noncier
Origine : du latin nuntiare, « annoncer, faire savoir » et « signifier,
ordonner ». Notons que le subs. correspondant nuntius « messager,
ambassadeur » n’a rien donné en AF (qui utilise dans ce sens le subs.
mes°) mais subsiste en FM, par emprunt au latin médiéval, sous la forme
de nonce (du pape), avec le sens précis d’« ecclésiastique ambassadeur du
Vatican auprès d’un gouvernement étranger ».
Ancien français : proche de son sens latin, le v. noncier (Xe s.) signifie «
faire savoir, informer, communiquer » un fait inconnu, nouveau, à venir,
en en faisant en général la publicité.
Paradigme morphologique : on peut citer divers subs. plus ou moins
synonymes, comme noncement, nonciation, noncion, avec le sens général
d’« annonce, nouvelle » et le sens spécifique d’« annonce divine », d’où «
annonciation » (c’est-à-dire le « message de l’archange Gabriel à la Vierge
pour lui annoncer sa conception miraculeuse ») ; on notera aussi, issus du
même paradigme latin, les v. anoncier (même sens que le v. simple),
denoncier (« annoncer », mais qui tend dès l’AF à se spécialiser dans le
sens de « faire connaître qqch. de mal, signaler comme coupable ») et
renoncier (« faire savoir, annoncer », « dénoncer, refuser » et « renoncer »
dans la construction renoncier a).
Paradigme sémantique : on peut citer des v. de sens plus ou moins proche,
comme banir (voir ban°), crier° ou mander°.
Évolution : encore attesté au XVIe s., le v. simple cesse d’être employé au
XVIIe s. au profit du dérivé annoncer, encore d’usage courant en FM, de
même que les dérivés dénoncer et renoncer, après fixation de leurs sens
spécifiques. Notons que le paradigme se développe encore à partir du MF,
avec l’emprunt du v. énoncer.

Norrir
Origine : du latin nutrire, « alimenter, donner à manger » à un être humain
ou un animal (et notamment « allaiter ») et, au figuré, « alimenter,
entretenir, soigner ».
Ancien français : attesté dès le Xe s., le v. possède deux sens principaux,
celui, conforme à son étymologie, de (1) « nourrir, alimenter » (mais on
précise souvent en AF norrir a la mamele, preuve que le v. a déjà pris un
sens plus large) et, de loin le plus fréquent, celui qui est issu du sens
figuré, (2) « élever, éduquer » un enfant, aussi bien en ce qui concerne le
corps que l’esprit, jusqu’à ce qu’il devienne autonome ; d’où le sens plus
général d’« entretenir », lorsqu’il s’agit de jeunes chevaliers ou futurs
chevaliers dépourvus de fiefs résidant à la cour d’un seigneur, aux besoins
desquels ce dernier subvient en échange d’un service, statut que sert à
désigner le subs. norri, que l’on peut rendre par « familier ».
Paradigme morphologique : parmi un riche paradigme, on retiendra les
subs. norreçon / norriçon (du latin tardif nutritionem), d’abord fém., «
nourriture » et « action d’élever, éducation », puis, à partir du XIIIe s., masc.
également, dans le sens d’« enfant élevé », à l’origine du sens moderne de
nourrisson (attesté pour la première fois au XVIe s.), « enfant allaité » ;
ajoutons également norreture, « nourriture, entretien », « action d’élever,
éducation », « culture » (ce terme étant fréquemment opposé à nature°) et
« famille », c’est-à-dire « ensemble des personnes nourries / élevées au
même endroit » ; norrice, « femme qui allaite / élève un enfant à la place
de sa mère », comme le FM nourrice ; et enfin, norriment et norrissement,
« nourriture, aliment ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir paistre° ; dans le sens 2, on
peut noter alaitier, « allaiter » et « téter » et, dans le sens d’« éduquer »,
afaitier° (surtout au participe passé) ou alever (d’où élever en FM).
Évolution : à partir de la fin du MA, nourrir et nourriture cessent
progressivement de référer à l’éducation et c’est le sens étymologique qui
l’emporte. Ainsi nourrir ne signifie plus en FM, sauf emplois figurés,
qu’« alimenter le corps, ingérer de la nourriture », le sémantisme de
l’éducation, même s’il subsiste jusqu’au XVIIe s., étant passé à des v.
comme élever (à partir du XVIe s. dans le sens de « nourrir » un enfant, à
partir du XVIIe s. dans le sens d’« éduquer ») ou éduquer (XIVe s., emprunt
au latin, rare avant le XVIIIe s.). Précisons pour finir que le paradigme a
connu en FM de nouveaux développements à partir du doublet savant du
subs., nutrition (XIVe s., emprunt au latin), avec dénutrition, nutritif ou
malnutrition.

Novel
Origine : du latin novellum (diminutif de novum, qui a donné nuef / neuf en
AF : voir ci-dessous), « nouveau, jeune, récent ».
Ancien français : l’adj. novel (XIe s.) reste proche de ses acceptions latines,
avec le sens général de « récemment apparu, récent, nouveau, neuf », d’où
les sens plus précis de « frais », à propos d’inanimés (ex. : l’erbe novele)
et, à propos d’animés, de « jeune, inexpérimenté » (dans ce cas novel
apparaît comme l’antonyme de vieil), ou encore de « qui remplace qqch.
arrivé à son terme », avec une idée de succession (ainsi le tens novel en
AF désigne la « nouvelle saison (qui fait suite à la précédente) », emploi
conservé en FM dans nouvelle lune, par exemple). Notons enfin que novel
se rencontre fréquemment en emploi adverbial dans le sens de «
récemment, nouvellement » (ex. : la pucele qu’il avoit novel esposee).
Paradigme morphologique : on peut retenir le subs. novele (du latin tardif
*novella, plu. neutre pris pour un fém. sing.), « annonce d’un événement
récent, nouvelle, information », parfois « parole, récit », notamment avec
des v. de perception, comme entendre et oïr, ou de déclaration, comme
conter, demander, dire, noncier, etc. ; noveleté / noveauté, « nouveauté,
innovation, changement » ; novelier, « inexpérimenté », « versatile,
changeant » et « bavard » ; notons également les v. noveler (« dire des
nouvelles, dire, raconter ») et renoveler (« renouveler, recommencer »,
parfois « ranimer » ou « répéter »).
Paradigme sémantique : on peut citer frais, même sens qu’en FM ; jovene,
« jeune » ; nuef, « nouveau, neuf » ; ou encore recent, doublet savant,
emprunté en MF au latin, de l’AF roisant, « frais » (assez rare).
Évolution : nouveau et neuf restent proches par le sens et ne connaissent pas
d’évolution sémantique importante après le MA, à ceci près que nouveau
peut désormais s’appliquer à des objets abstraits, des œuvres de l’esprit,
dans le sens mélioratif de « nouveau, hardi, original », qui apparaît en MF.
Le paradigme, déjà riche, se développe encore avec des emprunts comme
innover, novateur, ou l’entrée du terme nouvelle dans le vocabulaire
littéraire par un emprunt à l’italien de Boccace, dans le sens initial de «
récit concernant un événement présenté comme réel et récent » ; le terme
désigne aujourd’hui une œuvre se caractérisant à la fois par sa brièveté et
son appartenance à un recueil – par opposition au roman ou au récit.
O

Ochoison
Origine : du latin occasionem, littéralement « ce qui échoit », d’où «
occasion, moment favorable » puis, plus tardivement, « cause, raison,
motif » (le terme remplace alors causam, qui a donné chose° en AF).
Ancien français : attesté au XIIe s., le subs. (également graphié achoison,
probablement sous l’influence, à la fois morphologique et sémantique, du
latin accusare) apparaît assez polysémique. On peut cependant dégager
trois orientations sémantiques principales : (1) « occasion, raison, cause,
motif » ; d’où « mauvaise raison », puis (2) « prétexte, échappatoire » et «
délai, sursis » ; enfin, dans une acception plus spécifiquement juridique,
(3) « affaire (judiciaire), accusation », d’où « litige, querelle ».
Paradigme morphologique : on peut citer le v. ochoisoner, « accuser,
chercher querelle », et l’adj. ochoisoneus, « accusateur, querelleur ». Par
ailleurs un autre paradigme s’est développé à partir du doublet savant
ocasion, de même sens qu’ochoison, qui a notamment donné ocasioner
(XIVe s., d’abord « chercher querelle, accuser », puis « causer, provoquer »
à partir du XVIe s.).
Paradigme sémantique : le plus proche synonyme d’ochoison est le
doublet savant cause (emprunté au XIIe s. au latin causa), dans le sens de «
cause juridique, procès » et de « cause, motif, raison ». On peut également
citer, dans le sens 1, raison° ; dans le sens 2, essoine (« excuse » mais
aussi « délai, retard », « obstacle, difficulté, danger » ; le terme sera
remplacé à partir du MF par excuse, déverbal d’excuser, emprunté au latin
au XIIe s.) ou des subs. dérivés de demorer° ; dans le sens 3, voir plaid°
mais aussi encusement (« accusation »), noise° ou querele (« plainte,
accusation » et, plus généralement, « affaire, situation »).
Évolution : à partir de la fin du MA, ochoison sort d’usage, supplanté par
son doublet savant occasion – qui, après relatinisation, prend son sens
moderne de « circonstance (favorable) » – et par divers termes recouvrant
ses anciennes acceptions, tels que cause, raison, excuse, prétexte ou litige,
ces deux derniers étant empruntés au latin en MF.

Oïr
Origine : du latin audire, « entendre, percevoir par l’ouïe », « écouter », «
apprendre, entendre dire ».
Ancien français : dans son sens le plus courant, oïr (Xe s.) signifie «
entendre, percevoir par l’ouïe », marquant une perception passive donc,
par opposition aux synonymes entendre° ou escolter° ; au figuré, le v.
prend le sens d’« entendre parler de, apprendre » (ex. : bien le purreit oïr,
ki l’estoire lireit). On peut cependant rencontrer ce v. dans le sens d’«
écouter », impliquant cette fois-ci une perception active, notamment
lorsqu’il est employé à l’impératif au début d’une chanson de geste ou
d’un roman pour attirer l’attention de l’auditoire ; ex. : Oiez, seignor, que
Deus vos seit aidanz ! Plaist vos oïr d’une estoire vaillant, buene chanson,
cortoise et avenant ? Notons aussi la construction oïant suivi d’un animé,
« en présence de » (ex. : oïant toz, « devant tout le monde »).
Paradigme morphologique : on peut retenir le subs. oïe, « ouïe, oreille »,
« son, bruit », et, issu du même paradigme latin, le subs. audience, doublet
savant d’oïance, avec les mêmes sens de « fait d’entendre / d’être
entendu », d’où « audience ».
Paradigme sémantique : voir ci-dessus.
Évolution : probablement pour des raisons morphologiques (conjugaison
irrégulière et risques de confusion avec avoir), ouïr sort progressivement
d’usage après le MA, supplanté dans le sens de « percevoir par l’ouïe »
par entendre°. Il ne survit plus guère, à côté du subs. ouïe (désignant
précisément le « sens de la perception des sons »), que dans quelques
formules au participe passé (cf. j’ai ouï-dire, où l’on retrouve partie du
sémantisme latin) ou dans l’adj. inouï (XVIe s.). Par ailleurs le paradigme
latin d’audire reste encore vivant à travers des mots empruntés, comme
audience mais aussi auditeur, audition, auditoire, audible, etc., plus
tardifs.

Oiseus
Origine : du latin otiosum, « libre d’occupations, oisif », en parlant de
personnes, et « qui ne sert à rien, superflu », en parlant de choses.
Ancien français : l’adj. oiseus (XIIe s.) conserve ses acceptions
étymologiques avec le sens général de « qui ne fait / produit rien », d’où «
paresseux, oisif, inactif », en parlant de personnes, « vain, stérile, superflu,
inutile », en parlant de choses. Les mêmes acceptions se retrouvent en AF
dans oisdif ou oisif (XIIe s.), probablement de même origine que l’adj.
oiseus mais dont la formation est mal expliquée.
Paradigme morphologique : on ne retiendra guère que les subs. oiseuse et
oiseuseté, oisdive et oisiveté (XIVe s.), avec les mêmes sens de « paresse,
oisiveté », « parole inutile, bavardage, sottise ».
Paradigme sémantique : on peut citer pereceus (dérivé de perece, du latin
pigritiam), « paresseux, inactif », ou vain, « vain, inutile » mais aussi «
vain, léger » et « faible, sans force », et des termes nettement plus rares en
AF comme le savant acidieus ou le tardif faineant / feignant (voir
feindre°).
Évolution : les deux adj. oiseux et oisif, plus ou moins confondus en AF, se
sont progressivement différenciés après la fin du MA ; en FM, le premier
n’est plus guère utilisé qu’à propos de choses, dans le sens de « stérile,
superflu, vain » (ex. : des détails oiseux), le second à propos de personnes
mais sans connotations péjoratives, à la différence de fainéant ou
paresseux.

Orgueil
Origine : du francique *urgoli, « fierté, orgueil ».
Ancien français : dans le sens de « sentiment exagéré de sa propre valeur,
orgueil », d’où aussi bien « sujet d’orgueil » qu’« acte d’orgueil », le subs.
orgueil (graphié aussi orguil ou orgoil) apparaît d’emblée (dès la Chanson
de Roland) comme un terme péjoratif, ce qui le distingue notamment de
son synonyme fierté, « assurance, fierté » (voir fier°). Il ne faut pas oublier
que l’orgueil est au MA l’un des péchés capitaux.
Paradigme morphologique : on peut citer orgoilleus, « orgueilleux » mais
aussi, en fonction des subs. auxquels il s’applique, « impétueux, violent »
(pour un cheval, une rivière), « prétentieux, luxueux » (en parlant de
vêtements) ; l’adj. ne présente pas forcément de connotations péjoratives
(il signifie encore aujourd’hui, « majestueux », en parlant d’une
construction ou d’un élément naturel, par exemple). Le v. orgoillier /
orgoillir, surtout en tournure pronominale, « être orgueilleux », « tirer
orgueil de », subsiste seulement aujourd’hui dans le dérivé s’enorgueillir
de (déjà attesté en AF).
Paradigme sémantique : le paradigme est riche avec des termes, plus ou
moins péjoratifs, comme bobant / bobance (« jactance, vantardise,
arrogance »), bofoi (« orgueil, présomption »), outrecuidance et d’autres
dérivés de cuidier°, ou encore la série vantance / vantement / vanterie /
vantise (dérivés de vanter, du latin populaire *vanitare), qui sera
supplantée par l’emprunt savant vanité (XIIe s.). Voir aussi outrage°.
Évolution : le sens s’est à peu de choses près conservé en FM, si ce n’est
qu’orgueil a vu ses connotations nettement péjoratives s’atténuer et son
sens se partager entre valeur négative (« sentiment exagéré de sa propre
valeur »), où il rejoint des termes parfois beaucoup plus dévalorisants,
comme fatuité, outrecuidance, présomption ou vanité, et valeur positive
(« sentiment élevé de dignité »), à rapprocher plutôt de fierté (voir fier°).

Ort
Origine : du latin horridum (adj. issu du v. horrere, « se hérisser », «
frisonner, trembler »), au sens propre « hérissé, hirsute » (notamment en
parlant de cheveux), d’où « inculte, négligé », « sale, malpropre » et, au
sens figuré, « qui fait trembler », d’où « horrible, effrayant ».
Ancien français : l’adj. ort (XIIe s.) signifie principalement, au sens propre
et conformément à l’une de ses acceptions latines, (1) « sale, souillé,
immonde » (souvent associé à puant, ort apparaît comme l’antonyme
d’adj. comme monde ou net, dans le sens de « propre, pur, sans tache ») ;
au sens figuré, (2) « affreux, repoussant, immonde, répugnant » (acception
qui semble le résultat d’un croisement entre le sens propre médiéval et le
sens figuré latin).
Paradigme morphologique : on peut retenir le v. order / ordoier, « salir,
souiller » ; le subs. ordure, « saleté, souillure, ordure », surtout au plu. à
partir du MF, dans le sens d’« excréments, immondices », en général
organiques et associés au corps (encore au XVIIe s.).
Paradigme sémantique : outre put°, proche synonyme d’ort, on notera,
dans le sens 1, sale, peu fréquent toutefois en AF, ou soillié (participe
passé de soillier, « souiller ») ; dans le sens 2, voir laid°.
Évolution : probablement à cause des risques de confusion avec certains
homonymes et de la concurrence de termes plus ou moins forts, comme
sale, immonde (XIIIe s., emprunt au latin, qui prend son sens actuel à partir
du XVIe s.) ou répugnant (XIIIe s., emprunt au latin, qui acquiert son sens
actuel au XVIIe s.), ort sort d’usage à partir du XVIIe s. tandis que le subs.
ordure (essentiellement au plu., sauf emploi métaphorique et familier)
subsiste jusqu’à aujourd’hui avec quelques dérivés.

Ost
Origine : du subs. latin hostem, « ennemi (de guerre) », puis, en latin tardif,
« armée ennemie » (au plu. ou au sing. collectif).
Ancien français : ost (XIe s.) prend essentiellement deux sens en AF ; un
sens concret, (1) « armée » d’une certaine importance, levée par un grand
seigneur ou par le roi ; et, par métonymie, un sens abstrait, (2) « guerre,
campagne, expédition », là encore d’une certaine importance, par
opposition notamment à chevauchie (« coup de main, expédition
guerrière » de moindre importance), d’où des syntagmes comme service
d’ost, « service militaire » dû au seigneur par le vassal, ou crier l’ost, «
convoquer les vassaux pour le service militaire », et de là « rassembler une
armée ».
Paradigme morphologique : on peut citer ostoieor, « guerrier », ou ostoier
/ oster, « faire la guerre, combattre ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, avec la signification générale d’«
ensemble de guerriers », voir bataille° et ses synonymes ; dans le sens 2,
chevauchie (voir cheval°) et, à l’autre extrême, guerre°, ost se situant à
mi-chemin entre ces deux termes, du point de vue de l’importance du
conflit considéré.
Évolution : encore attesté au XVIIe s., le terme sort ensuite d’usage,
remplacé par guerre ou armée (employé dans son sens actuel dès le XIVe
s.). Le paradigme subsiste néanmoins dans des mots empruntés au latin en
MF, comme hostile ou hostilité.

Ostel
Origine : de l’adj. latin hospitale (« d’hôte, qui concerne l’hôte », .dérivé
du subs. hospitem, « hôte, celui qui donne ou reçoit l’hospitalité », comme
en FM), substantivé en latin tardif, probablement à partir de l’expression
hospitále (cubiculum), « chambre d’hôte ».
Ancien français : le terme ostel (XIe s.) désigne aussi bien, au sens abstrait,
le (1) « fait d’être logé, logement », l’« accueil, » l’« hospitalité » que, au
sens concret, le (2) « lieu de logement, logis, bâtiment où l’on loge » ; ce
logement peut être temporaire (dans ce cas, il s’agit d’abord du « lieu,
bâtiment réservé aux hôtes de passage » dans un établissement religieux,
d’où le syntagme ostel Dieu, puis, de façon générale, de tout « bâtiment où
l’on loge temporairement en payant, auberge ») ou permanent (« maison,
demeure »).
Paradigme morphologique : on peut citer ostage, synonyme d’ostel, qui
possède également de nombreux autres sens, dont celui de « tribut,
caution, otage » ; oste (du latin hospitem), « hôte, celui qui donne ou reçoit
l’hospitalité » ; osteler, qui signifie surtout « (se) loger » temporairement,
mais dans un bâtiment, par opposition à logier (voir loge°) ou herbergier°
; et enfin ostelerie, « bâtiment réservé aux hôtes » (le terme suit la même
évolution qu’ostel et s’applique d’abord à un établissement religieux avant
de prendre un sens plus général).
Par ailleurs, à partir du même paradigme latin (mais avec une accentuation
différente, sur le i et non sur le a) ont été formés ospital (du latin
hospítalem (domum), « maison d’hôtes » ; le subs. désigne d’abord un «
bâtiment réservé aux indigents » dans un établissement religieux, d’où la
confusion parfois avec ostel ou ostellerie, puis, le terme se spécialisant, un
« établissement de soins » à partir du XVIIe s.) et ospice, terme rare en AF,
qui ne prend son sens actuel qu’à partir du XVIIIe s.
Paradigme sémantique : parmi les termes qui désignent un « logement
temporaire » (le procès et le lieu), on peut citer gisement / giste (voir
gesir°) ou herberge (voir herbergier°) ; parmi ceux qui désignent un « lieu
de résidence permanent », voir manoir°.
Évolution : à partir de la fin du MA, le sens d’ostel (orthographié hôtel à
partir du XVIIe s.) se réduit à la dénomination d’un « lieu d’hébergement »,
soit temporaire (dans ce cas, plus précisément, « maison meublée servant
au logement payant d’hôtes temporaires », sens principalement conservé
aujourd’hui, après spécialisation d’hôtellerie, hôpital et hospice), soit
permanent, mais spécialisé dans ce sens pour désigner une demeure de
grande taille, luxueuse, appartenant à une personne riche (hôtel
particulier), ou un bâtiment à fonction administrative (hôtel de ville).

Otroier
Origine : du latin populaire *auctoridiare, pour le latin tardif auctorare /
auctorari, « s’engager, garantir ».
Ancien français : le v. otroier (XIe s.) prend principalement un sens abstrait,
(1) « accorder, accepter, consentir à » voire « assurer, garantir », mais se
rencontre parfois aussi dans le sens concret de (2) « concéder, donner
qqch. » ; de là certainement, à la forme pronominale, le sens de « se tenir,
se consacrer à qqch. », « se dévouer à qqn. » (ex. : ma chiere dame, a vus
m’otrei !).
Paradigme morphologique : on peut noter les subs. otroi / otroiance /
otroiement, qui ont tous le sens d’« accord, permission » et de « don » ;
otroi prend également le sens précis d’« autorisation donnée à une ville de
prélever une taxe sur les produits introduits dans son enceinte », pratique
en cours du XIIIe s. à 1948. En FM, seul octroi a subsisté, comme déverbal
d’octroyer.
Paradigme sémantique : outre creanter, proche synonyme, on peut citer,
dans le sens 1, garantir (voir garant°) ou sofrir° et renvoyer à baillier°
pour le sens 2.
Évolution : après réfection étymologique au XIVe s., d’après le latin
auctorare, le v. octroyer conserve en FM un sens proche de l’AF, celui
d’« accorder, concéder (à titre de faveur) » ou de « s’accorder, s’offrir
qqch. » à la forme pronominale.

Outrage
Origine : sans correspondant en latin, outrage est une création romane à
partir de l’adv. et préposition outre, « au-delà, en avant » et « tout à fait »
(terme issu du latin ultra, également adv. et préposition, « au-delà, plus
loin, en avant »), substantivé avec le suffixe -age. Notons par ailleurs
qu’outre entre en AF dans la composition de plusieurs mots, comme
outrecuidier (voir cuidier°) ou outrepasser (voir passer°).
Ancien français : à partir du sens général d’« excès » (ex. : perdre sens et
moralité et santé par outrage de vin et de viandes), que l’on retrouve
notamment dans la locution a outrage (« avec excès, extrêmement »), le
terme (attesté au XIe s.) peut prendre, en fonction des contextes, le sens de
« propos excessif » (avec le v. dire), « acte excessif », d’où « préjudice,
offense » (avec le v. faire), ou plus généralement de « comportement
excessif », qui s’écarte de la norme morale ou sociale (d’où, par exemple,
« présomption, arrogance »).
Paradigme morphologique : citons un dérivé d’outrage, l’adj. outrageus
(disparu en FM, où l’on a seulement conservé l’adv. outrageusement), «
excessif, immodéré », « offensant, insultant » et « présomptueux,
arrogant ». Formé directement sur outre, le v. outrer, dont le sens premier
est « passer au-delà, dépasser » (d’où outree, « en avant », cri
d’encouragement que s’adressent les voyageurs) et « finir, achever », se
spécialise surtout dans le contexte guerrier, au sens de « battre, vaincre par
les armes » voire « tuer, anéantir ». Notons également l’adv. outreement, «
entièrement, parfaitement, extrêmement », et le subs. outrance,
essentiellement dans la locution a outrance, dans le sens de « jusqu’à la
dernière extrémité, jusqu’à la mort », notamment à propos d’un combat
(sens conservé aujourd’hui).
Paradigme sémantique : dans le sens d’« excès », voir desmesure et aussi
orgueil° ; dans le sens de « préjudice », voir dam / damage° ; dans le sens
d’« offense », blasme ou blastenge (voir blasmer°), laidenge (de
laidengier : voir laid°), ramposne (voir gaber°) ou encore honte°.
Évolution : les différents éléments du paradigme ont connu une évolution
divergente. Le sème de l’excès se conserve dans la plupart des dérivés, tels
outrance (qui sort d’abord du 3champ sémantique de la guerre, puis
s’emploie seul dans le sens d’« excès » ou de « caractère de ce qui est
excessif »), son dérivé outrancier (XIXe s.) ou le v. outrer (employé en MF
dans le sens de « passer la mesure, exagérer », et au figuré d’« accabler,
excéder », d’où la signification actuelle du participe passé outré), ou encore
l’adv. outrageusement (ex. : une femme outrageusement maquillée) ; mais il
tend à s’effacer dans outrage, surtout employé, à partir du XVIe s., dans le
sens de « grave offense » (la notion d’excès subsistant cependant dans le
sens juridique d’« acte gravement contraire à un principe, une loi », dans
outrage aux bonnes mœurs par exemple), et dans outrager (XIVe s., d’abord
« blesser » physiquement, puis rapidement, « offenser gravement », sens
toujours actuel).

Ovre / Ovrer
Origine : issus du même paradigme latin, ovre vient d’operam, subs. fém.
signifiant « travail, activité » et « soin, attention » (probablement issu du
neutre plu. du subs. opus, « œuvre, ouvrage, travail »), et le v. ovrer du
latin tardif operare, pour operari, « travailler, s’occuper à » et « avoir de
l’effet ».
Ancien français : conservant ses sens latins, ovre (ou uevre / euvre), attesté
au XIIe s., peut à la fois signifier (1) « travail » (voire « corvée »), d’où «
résultat d’un travail, œuvre », et (2) « action, manière d’agir, entreprise »,
jusqu’au sens plus général d’« affaire, situation, chose » (d’où, dans un
contexte religieux, « action considérée dans sa valeur morale ou
religieuse », sens conservé en FM, notamment quand on parle de bonnes
œuvres).
De même, le v. ovrer (Xe s.) signifie d’abord « travailler », en particulier
dans les domaines artistique et artisanal, d’où « fabriquer, faire » (on le
voit notamment avec le participe passé ovré, « travaillé, ouvragé », en
parlant d’une matière ou d’un objet, et « brodé » à propos d’un tissu) mais
aussi « agir, opérer, œuvrer ».
Paradigme morphologique : parmi un paradigme assez riche, on peut
retenir les subs. ovrage et ovraigne, « travail, ouvrage, œuvre », ovrier, «
travailleur, ouvrier » et ovreoir, « atelier, boutique » ; voir également l’adj.
ovrable, « consacré au travail » (conservé en FM dans jour ouvrable) et
les composés manovrer (littéralement « faire / travailler avec la main ») et
manuevre.
Paradigme sémantique : on peut citer labor et laborer°, tous deux
impliquant un travail pénible à la différence d’ovre / ovrer, ainsi que
confire° et tout simplement faire. Notons aussi le subs. ues (XIIe s., du latin
opus), « œuvre, ouvrage » mais aussi « usage », « besoin » et « profit ».
Évolution : autour de la notion de travail, une bonne part du paradigme
s’est conservée avec ses significations déjà acquises (il connaît même
quelques développements avec l’apparition d’ouvrager au XVIe s. et de
dérivés de manœuvre), les notions d’action ou d’exécution étant passées, à
partir du XVe s., à un nouveau paradigme constitué à partir d’opera (cf.
opérer, opération, etc.).
En revanche, les deux termes à l’origine du paradigme ont connu une
évolution différente, en s’éloignant justement de la notion de travail.
Ainsi, sauf dans des expressions comme être à l’œuvre ou mettre en œuvre,
œuvre ne désigne plus guère que le « résultat d’un travail », surtout dans le
domaine artistique (avec le composé chef-d’œuvre, qui existe en AF, dans
le sens précis d’« œuvre que devait accomplir un artisan pour recevoir la
maîtrise dans sa corporation ») ; de plus, à partir du XVIIe s., une distinction
s’opère entre le subs. fém. œuvre et le même subs. masc. (apparu au XVIe s.
sous l’influence du neutre opera), réservé à certains emplois spécifiques
(pour désigner l’« ensemble des œuvres d’un artiste », le grand œuvre de
l’alchimie ou le gros œuvre dans le bâtiment). Quant à ovrer, remplacé à
partir du XVIe s. par travailler (voir travaillier°), phénomène probablement
favorisé par des homonymies de formes entre ovrer et ovrir, il subsiste
néanmoins en FM sous une double forme, œuvrer d’un côté dans des
emplois exclusivement abstraits (attesté dès l’AF, ce v., longtemps inusité,
a été remis à l’honneur au XXe s.), et ouvrer de l’autre, « façonner », dans
des emplois essentiellement concrets.
P

Païen
Origine : de l’adj. latin paganum (dérivé de pagus, « bourg, village » :
païen est donc à rattacher au même paradigme latin qui a donné païs /
païsan°), « villageois, paysan » mais aussi « civil », par opposition à «
militaire ». C’est d’un de ces deux sens que résulte l’évolution de
paganum en latin chrétien, désignant le « païen », soit par opposition au
chrétien considéré comme miles Christi (« soldat du Christ »), soit parce
que la religion chrétienne aurait pénétré plus rapidement les villes que les
milieux ruraux (d’où l’assimilation entre « paysan » et « païen ») ; on ne
peut guère trancher cependant entre ces deux explications, d’autant plus
qu’elles se trouvent déjà l’une et l’autre sous la plume des premiers
auteurs chrétiens (par exemple la première chez Tertullien, la seconde chez
Orose).
Ancien français : comme aujourd’hui, le terme (apparu au XIe s., à la fois
adj. et subs.) désigne précisément un « adepte du polythéisme gréco-
latin », par opposition à chrestien et, plus largement, un « païen » (il
qualifie très souvent les Sarrasins dans les textes médiévaux) ou un «
impie, qui n’a pas de religion » (mais ce sens est plutôt moderne).
Paradigme morphologique : on peut citer le subs. païenie, « terre, pays
païen » (c’est-à-dire, le plus souvent, peuplé de Sarrasins), en particulier
ou en général, par opposition à chrestienté ; voir aussi païenisme ou
païeneté, « terre païenne » ou « religion païenne », et païenor, « païen ».
Paradigme sémantique : notons essentiellement sarrasin (du latin tardif
Sarracenum, masc. sing. de Sarraceni, « Sarracènes », nom d’un peuple
arabe), « sarrasin », adj. et subs. s’appliquant particulièrement aux
musulmans d’Orient, d’Afrique et d’Espagne et, par extension, à tout «
païen » (forcément péjoratif dans une perspective médiévale occidentale,
l’adj. prend parfois le sens de « cruel, déloyal », sans faire référence à des
Sarrasins) ; voir aussi l’adj. sarrasinois, « sarrasin » et, de façon plus
générale, « oriental ». L’adj. impie a été emprunté seulement au XVe s.
Évolution : jusqu’à aujourd’hui l’adj. conserve son sens précis d’« adepte
d’une religion polythéiste, notamment des religions gréco-latines » et c’est
plutôt de façon abusive qu’il est employé dans le sens d’« impie ». Notons
par ailleurs le développement, en MF, d’un nouveau paradigme sur la
même base latine, avec paganiser (terme rare) ou paganisme, qui
remplace païenisme au XVIe s.

Pair / Parage
Origine : de l’adj. latin par, « égal, pareil, semblable » et, pris comme
subs., « compagnon, compagne », « couple, paire ».
Ancien français : comme adj., pair (Xe s.) conserve ses acceptions
étymologiques et signifie « égal, identique, pareil, semblable » ; de même,
comme subs., il prend le sens de « compagnon, ami (de même rang) »
(voir les douze pairs de Charlemagne dans la Chanson de Roland, c’est-à-
dire les vassaux considérés par le suzerain comme ses égaux),
éventuellement « époux, épouse » ; en général, le subs. se rencontre dans
un contexte particulier, chargé de certaines connotations sociales qui en
font l’équivalent de baron° ou de seignor°.
On retrouve ces connotations dans le subs. dérivé parage, qui prend
essentiellement le sens de « lignage, parenté, famille » et, plus
précisément, de « noble famille, noble lignage » (ex. : une feme de haut /
grant parage).
Paradigme morphologique : on peut noter paire (issu du même adj. latin
par, substantivé au neutre plu. et pris ensuite pour un fém., d’abord
indéclinable, puis variable en nombre), « ensemble de choses égales » (et
non forcément de deux choses égales, comme en FM) d’où « ensemble, à
égalité » en emploi adverbial, mais aussi « sorte, genre » ; le v. pairier («
apparier »), rare, est resté en FM dans le dérivé aparier, de même sens.
Paradigme sémantique : on peut citer l’adj. pareil, de même sens que
l’adj. pair (et issu du même paradigme, par l’intermédiaire du latin
populaire *pariculum), mais aussi igal, « pareil, égal, identique » et « égal,
plan, plat, uni » ; pour le subs., voir compaignon° ; pour les divers
synonymes de parage, voir ligne°.
Évolution : tandis que l’adj. n’est presque plus employé aujourd’hui, sauf
par opposition à impair, et remplacé notamment par pareil, les deux subs.
pair et paire sont toujours usités, le premier étant plus rare et se retrouvant
seulement dans quelques expressions, comme hors pair ou aller de pair,
ou dans des contextes spécifiques, le terme conservant ainsi certaines
connotations élitistes pour désigner, aux XVIIIe et XIXe s., un membre de la
Chambre des pairs, en France et en Angleterre ; en revanche, le second
reste parfaitement usuel dans le sens pris à partir du MF de « réunion de
deux choses ou êtres semblables ou qui vont ensemble ».
Quant à parage, vieilli à partir du XVIe s., il ne doit pas être confondu avec
son homonyme parages (XVIe s., emprunt à l’ancien provençal ou l’ancien
gascon), « alentours, environs » (même si parage est, certes rarement,
attesté en AF dans le sens de « contrée, région »).

Païs / Païsan
Origine : du latin tardif pagensem (qui a supplanté paganus lorsqu’il a pris
le sens de « païen » : voir païen°), adj. qui signifie littéralement « d’un
pagus », le terme pagus (dérivé du v. pangere, « établir, délimiter »)
pouvant désigner le « bourg », le « village », mais aussi le « district,
région administrative en Gaule ou en Germanie » ; d’où finalement deux
aboutissements en AF : d’un côté, un subs. qui résulterait du changement
de catégorie grammaticale de pagensem dans le sens de « région, contrée »
dans des syntagmes du type (territorium) pagense ; de l’autre, un adj. dont
la forme première païsant (XIIe s.) serait peut-être une altération d’une
forme *païsenc, dérivé avec suffixe d’origine germanique de païs.
Ancien français : païs (attesté dès le Xe s.) prend d’emblée le sens général
de « contrée, pays » et désigne une division territoriale relativement vaste
envisagée du point de vue géographique et humain (ainsi, dès la Chanson
de Roland, le terme est utilisé pour désigner la France ou l’Espagne) ; le
terme prend parfois plus précisément le sens de « pays natal ».
À l’inverse, le sème de la ruralité s’est partiellement conservé dans païsan
(XIIe s., à la fois adj. et subs.), « habitant du pays, indigène », « habitant de
la campagne, paysan » voire, dans un sens péjoratif, « rustre, imbécile ».
Paradigme morphologique : voir ci-dessous (quasi inexistant en AF).
Paradigme sémantique : pour païs, voir terre° ; pour païsan, dans le sens
le plus général, voir gent° et dans le sens de « paysan », vilain°, gaaigneor
(voir gaaignier°) ou laboreor (voir laborer°), les deux derniers termes
désignant plus précisément le « cultivateur ». Attention par ailleurs à
ruiste / ruste, qui, en dépit de son étymologie (du latin rusticum, « rural,
rustique »), se rencontre surtout en AF dans le sens de « fort, puissant,
rude, violent » (et rarement dans celui de « rustre, brutal », comme en
FM).
Évolution : après le MA, pays et paysan (ainsi graphiés à partir du XVIe s.
pour signaler le maintien du hiatus) n’ont pas évolué de façon notable ; on
soulignera seulement que, comme vilain°, paysan a fini par se charger de
quelques connotations péjoratives et qu’on lui préfère parfois aujourd’hui
le terme d’agriculteur (emprunté au XVe s.). Pays et paysan sont en outre à
l’origine de quelques dérivés comme dépayser (attesté au XIIIe s., d’abord
dans le sens de « quitter son pays », puis dans son sens psychologique à
partir du XVIIe s.), paysage (XVIe s.) ou paysannerie (XVIe s.).

Pais
Origine : du latin pacem, « paix (par opposition à la guerre) », «
tranquillité, calme », « bienveillance, faveur ».
Ancien français : le terme, attesté dès le Xe s., conserve tous ses sens latins,
celui de (1) « paix » par opposition à guerre° et, par extension, «
réconciliation, accord, entente » ; celui de (2) « tranquillité, calme,
silence », notamment dans l’expression faire pais, « rester tranquille, se
taire » ; et parfois celui de (3) « permission » ou de « satisfaction ».
Paradigme morphologique : on peut retenir quelques dérivés comme l’adj.
paisible, « paisible, calme, tranquille » et « pacifique », ou le v. paisier
(qui sera supplanté par le dérivé apaisier, attesté dès l’AF), « réconcilier,
faire la paix, apaiser », à ne pas confondre avec le v. paier (du latin
pacare, dérivé de pax), qui a également le sens d’« apaiser, réconcilier,
faire la paix » et, par spécialisation pécuniaire, celui de « s’acquitter,
payer », d’où le FM payer et le subs. paie (« paie, salaire » dès l’AF mais
aussi « paix », pais et paie n’étant pas encore nettement distingués).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir acort ou concorde, avec le
même sens qu’en FM ; dans le sens 2, silence (XIIe s., emprunt au latin) ou
coieté (dérivé de coi°).
Évolution : le terme simple n’a pas connu d’évolution sensible, à l’inverse de
son paradigme où la plupart des dérivés médiévaux ont disparu, supplantés
par divers termes empruntés, comme pacifier, pacifique et leurs dérivés. De
son côté, payer (ainsi graphié depuis le XVIe s.) s’est définitivement détaché
de ses origines latines et a permis la constitution d’un nouveau paradigme
avec paie, paiement, payeur, etc.

Paistre
Origine : du latin pascere, « alimenter, nourrir » en général, mais plus
souvent pour un animal (dans le sens de « faire paître ») que pour un être
humain.
Ancien français : comme en latin, le v. paistre (XIe s.) signifie de façon
générale (1) « nourrir, donner de la nourriture » à un animal (quel qu’il
soit, domestique ou non, herbivore ou non) aussi bien qu’à un être humain
(ex. : Tristan de veneison les chevaliers pest), d’où « se nourrir, se
repaître » en emploi pronominal et le sens de « rassasier, combler » au
figuré (ex. : ceste pensee me paist tot et replenist de joie). Mais, dès l’AF,
il tend à s’employer plus spécialement à propos d’animaux herbivores,
dans le sens de (2) « brouter », ce qui suppose une construction différente ;
ex. : le cheval paissoit l’erbe / el pré ou paissoit en emploi absolu.
Paradigme morphologique : le v. repaistre a le même sens que le v. simple
; pasture, « nourriture », « lieu où l’on se nourrit », et ses dérivés
pasturage et pasturer, comme paistre, peuvent s’employer à propos
d’êtres humains aussi bien que d’animaux, mais tendent à réserver leurs
emplois à ces derniers et, en particulier, aux animaux herbivores ;
pascuage (XIVe s.), qui signifie parfois « repas » mais en vient rapidement
à désigner seulement le « pacage », le « pâturage », est resté en FM ; enfin
past (du latin pastum), « nourriture, repas », est progressivement supplanté
par repast, qui s’emploie à partir du XVIe s., pour les hommes seulement,
dans le sens d’« ensemble d’aliments pris en une fois à heures réglées ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir garir°, norrir°, viander (XIVe
s., dérivé de viande°, rare) et mangier pour les emplois pronominaux ;
dans le sens 2, voir broster / brouter, qui peut aussi référer à des animés
humains en AF.
Évolution : suite à une spécialisation amorcée dès le latin et l’AF, paistre
voit ses sens se restreindre à partir du XVIe s. à la seule nourriture des
animaux herbivores, tandis que le dérivé repaître ne s’applique plus qu’aux
autres animaux et aux êtres humains, d’abord intransitivement dans le sens
de « prendre de la nourriture (en particulier au cours d’un voyage) » (mais
cet emploi ne dépasse pas le XVIIe s.), puis à la forme pronominale ou au
participe passé employé comme adjectif (repu), au propre comme au figuré.
Enfin, concernant l’alimentation humaine, paître est d’abord supplanté par
manger, (se) nourrir et, plus tard, par (s’) alimenter (dérivé d’aliment à
partir d’un emprunt au latin, rare avant le XIXe s.).

Palais
Origine : du nom propre latin Palatium, « mont Palatin », où se trouvait le
palais impérial, d’où, à partir d’Auguste, ce « palais impérial » et, par
extension, tout « palais » (celui des dieux, par exemple).
Ancien français : le subs. signifie d’abord (1) « résidence vaste et
somptueuse, palais » et, plus précisément, « résidence royale » (à Paris, les
rois logent dans le palais de l’Île de la Cité, résidence abandonnée par
Charles V en 1364 au profit du château du Louvre) ; en ce sens palais est à
rapprocher de manoir° ou de chastel° mais s’en distingue par la vastitude et
le luxe et par le fait qu’il n’est pas nécessairement fortifié. Parfois, par
métonymie, le subs. désigne une (2) « salle d’apparat » dans le château, le
terme étant alors synonyme de sale (voir chambre°).
Paradigme morphologique : on ne mentionnera guère que l’adj. palasin /
palatin, « qui appartient au palais, familier du palais », qualifiant en
particulier les personnages les plus importants de l’entourage du roi, d’où
les syntagmes conte / duc palasin ou palais ; en outre, ce terme, également
subs., a donné paladin, par l’intermédiaire de l’italien qui l’avait lui-même
emprunté à l’AF.
Paradigme sémantique : voir ci-dessus.
Évolution : palais conserve en FM le sens de « résidence vaste et
somptueuse », celle du roi (au XVIe s., il s’installe au palais des Tuileries)
ou de tout grand personnage ; par extension, le terme sert à désigner tout
« édifice vaste et luxueux », y compris, comme hôtel (voir ostel°), des
édifices publics (cf. palais de justice, dès le XVe s., et au XXe s., palais des
congrès, palais des sports, etc.).

Parent / Parenté
Origine : les deux termes sont issus du même paradigme latin, parent
venant du subs. parentem (surtout le « père » ou la « mère » mais aussi, au
sens élargi, les « ancêtres » ou les « parents, membres de la même
famille ») et parenté du latin populaire *parentatum, « ensemble des
parents, famille », issu du précédent.
Ancien français : parent (Xe s.) conserve ses acceptions étymologiques,
pouvant aussi bien désigner les « parents » les plus proches (soit « le père
et la mère » au plu. et le « père » seul au sing.) ou des « parents » plus
éloignés, c’est-à-dire des « membres de la même famille » (au sing. ou au
plu.). À partir de là, parenté (XIe s., subs. masc. en AF) prend le sens d’«
ensemble des parents, famille, lignage, parenté ».
Paradigme morphologique : on peut noter d’autres subs. de même sens
que parenté, comme parentage ou parentele (XIVe s., terme rare subsistant
en FM mais vieilli), ainsi que les v. parenter, « traiter en parent » (rare) et
le dérivé de même sens aparenter, dont les emplois figurés se développent
à partir du XVIIe s.
Paradigme sémantique : outre pere et mere, voir ligne° pour les
synonymes de parenté.
Évolution : parent conserve aujourd’hui ses sens de l’AF, servant aussi
bien à désigner, au plu., « le père et la mère » qu’un « parent » plus
éloigné, au sing. ou au plu. À l’inverse, parenté change en même temps de
genre (fém. à partir du XVIe s.) et de sens (même si on le trouve encore
aujourd’hui avec l’acception d’« ensemble de parents ») pour désigner le
« lien existant entre des parents », d’où au figuré, à partir du XVIIIe s., «
rapport étroit, affinité » (à relier à l’usage en FM de parent comme adj.,
dans le sens de « semblable, analogue »).

Parler / Parole
Origine : parole (XIe s.) est issu du latin parabolam, « comparaison,
métaphore » et, en latin chrétien, « parabole, propos, parole » (du Christ
ou d’un autre personnage important ; le terme a d’ailleurs donné parabole
en FM) ; parler (Xe s.), du latin médiéval parabolare qui signifie quant à
lui « exprimer par la parole, parler ». Ces deux termes ont donc supplanté
le v. latin loqui, « parler » et le subs. verbum, « mot, parole » (verbe ayant
un sens exclusivement religieux et grammatical en AF).
Ancien français : d’emblée les deux termes ont pris des sens très proches de
leurs acceptions actuelles, « parler, discourir, converser » pour parler
(notons cependant que le v. admet des constructions transitives directes
disparues en FM, d’où une possible traduction par « dire »), « parole » pour
parole, à la fois dans le sens de « faculté d’expression orale » (et même «
voix ») et de « propos, discours » (parfois « discussion, entretien »), le
subs. entrant dans diverses expressions comme tenir la parole («
converser »), metre a / en parole (« adresser la parole »), etc.
Paradigme morphologique : le paradigme de parler est très riche et
comprend notamment de nombreux subs., dont parlement (« discours,
propos », « conversation, entretien » et enfin « assemblée délibérative »,
les caractéristiques de ce genre d’assemblées ayant bien sûr beaucoup
évolué depuis le MA jusqu’à aujourd’hui), parleüre (surtout dans le sens
de « façon de parler » et « langage, langue ») et parleor, resté en FM dans
l’expression beau parleur ; du côté des v. dérivés, on peut retenir deparler
(« parler » mais aussi « médire, insulter », de même que mauparler, tous
deux supplantés ensuite par mesdire) ou porparler (« débattre, discuter »,
d’où « convenir, décider » et, en mauvaise part, « tramer, comploter » ;
sorti d’usage au XVIIe s., le v. s’est seulement maintenu comme infinitif
substantivé, en général au plu.).
À l’inverse, le paradigme de parole est presque inexistant (on note
seulement parolier au XIXe s.).
Paradigme sémantique : pour le v., on peut citer divers v. de déclaration
comme conter°, deviser° ou tout simplement dire ; pour le subs., voir
conte, devise et raison°.
Évolution : pas d’évolution notable, si ce n’est que le paradigme de parler,
très riche en AF, s’est plutôt réduit, peut-être à cause de la concurrence
d’autres paradigmes formés par exemple autour de discuter (emprunté au
latin en MF) ou d’éloquence (emprunt médiéval au paradigme latin de
loqui et à l’origine de nombreux termes comme colloque, élocution,
loquace, etc.).

Partir
Origine : du latin populaire *partire, pour le latin partiri, « diviser,
partager ».
Ancien français : le v. partir (Xe s.) signifie d’abord, conformément à son
étymologie, (1) « diviser, séparer », « partager, répartir, distribuer » (d’où
partir qqn., « laisser le choix à qqn. », ou partir a qqch., « avoir sa part à
qqch. »). Puis, à partir de tournures comme se partir de qqn. / qqch. (« se
séparer de qqn. / qqch. »), le v. prend le sens de (2) « quitter, partir, s’en
aller » (« renoncer à » au figuré), mais l’emploi intransitif en ce sens est
rare avant la fin du MA.
Paradigme morphologique : dans un paradigme très riche, il faut d’abord
distinguer deux termes très polysémiques mais globalement proches du
FM, part, issu du latin partem, et partie, dérivé du v. ; on relève quelques
différences cependant, par exemple dans l’emploi spatial de part, « côté »,
ou de partie, « région, contrée », nettement plus fréquent qu’en FM, qui a
cependant conservé de toutes parts et nulle part ; notons en outre que
partie, en AF, regroupe l’essentiel des emplois de partie et parti en FM, ce
dernier terme ne commençant à prendre son autonomie qu’en MF. Mais on
trouve aussi des subs. comme partement, « partage, départ », ou parteüre,
« partage, choix » ; ou le v. dérivé repartir, « distribuer, attribuer », à
distinguer de departir, qui possède comme partir les deux sèmes de la
division et du départ (ainsi que ses dérivés depart et departement).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir deviser° ou doner ; dans le
sens 2, voir s’en aler, (s’en) torner° et movoir°.
Évolution : aujourd’hui, partir a perdu son sens étymologique (encore
attesté jusqu’au XVIIIe s. et toujours présent dans l’expression avoir maille
à partir, « avoir un sou à partager »), qui est notamment passé à répartir
(à distinguer de repartir avec préfixe itératif) et impartir (XIVe s., emprunt
au latin, rare), ou à d’autres v. comme diviser (réfection étymologique en
MF de deviser°), partager (XVIe s., v. dérivé de partage, lui-même dérivé
de partir au XIIIe s.) ou encore distribuer (emprunté au latin en MF).
Cependant, dans l’ensemble du paradigme, qui s’est largement développé
après le MA, la distinction est rarement absolue entre les notions de
division (ex. : département, partition) et de départ (ainsi, dans départ
justement, c’est ce dernier sème qui domine, même si la notion de
division subsiste dans la locution faire le départ entre deux choses
abstraites).

Pasmer
Origine : du latin populaire *pasmare, « avoir des convulsions », formé à
partir de spasmus, « spasme, convulsion » (la chute du s initial pouvant
s’expliquer par la contamination des deux termes grecs palmos et
spasmos).
Ancien français : le v. pasmer (XIe s.), en emploi absolu ou pronominal,
signifie proprement « défaillir, perdre connaissance, s’évanouir » et, au
figuré, « défaillir (sous le coup d’une émotion violente), s’abandonner à de
vifs transports », d’où (se) pasmer de duel / joie (avec un usage volontiers
hyperbolique dans les textes littéraires ; ex. : Florimons s’est entre ses
bras plus de quarante fois pasmez).
Paradigme morphologique : notons pasmaison, « défaillance,
évanouissement », souvent dans l’expression lever / revenir de pasmaison,
« reprendre conscience ».
Paradigme sémantique : on ne peut guère citer qu’esvanir (du latin
populaire *exvanire, pour evanescere), « disparaître, s’évanouir », « se
trouver mal, s’évanouir », sens conservés en FM.
Évolution : en FM le v., employé exclusivement en tournure pronominale,
ne conserve plus que son sens figuré et affaibli (susceptible de
connotations ironiques, comme pâmoison), le sens propre étant passé à
s’évanouir (ou défaillir depuis le XVIe s.). Notons que le latin spasmus a
également donné spasme et divers dérivés (ex. : spasmodique,
spasmophile) appartenant au vocabulaire spécialisé de la médecine.

Passer
Origine : du latin populaire *passare, « faire un pas, passer, traverser »,
dérivé du latin passus, « pas ».
Ancien français : le v. passer (XIe s.) présente d’emblée des sens proches de
ceux qu’il a conservés en FM, soit « (faire) passer (d’un lieu à un autre, à
côté, à travers), (faire) traverser » ou « dépasser » sur le plan spatial et «
passer, s’écouler » sur le plan temporel (d’où parfois « mourir »), sans
compter divers sens abstraits, dont « supporter », « surpasser », «
outrepasser, trangresser » ou encore se passer de, « se satisfaire de ».
Paradigme morphologique : parmi de très nombreux dérivés, dont
passage (« lieu où l’on passe », « droit de passage » et « action de passer,
traverser », dernier sens dans lequel il supplantera au XVIIe s. le subs.
passement) ou passable, on retiendra surtout des v., dont les sens se
recoupent plus ou moins en AF mais qui se spécialisent à partir du MF,
tels que depasser, outrepasser (avec d’abord des sens proches du v.
simple, qui se restreignent en MF à « transgresser ») ou encore trespasser
(proche du v. simple, avec préfixe marquant plus spécialement le
dépassement, la complétude ; le sens de « mourir » n’est pas plus fréquent
en AF que pour passer).
Paradigme sémantique : le paradigme est assez limité, ce qui n’est guère
étonnant vu le nombre de composés de passer ; on peut citer néanmoins
les v. traverser (voir verser°) ou transir, qui signifie seulement « passer de
vie à trépas, mourir » en AF (le v. est pourtant issu du latin transire, « aller
au-delà, passer, traverser »).
Évolution : le v. simple conserve un large spectre sémantique, au contraire
des dérivés, dont les sens se sont progressivement spécialisés ; ainsi
trépasser ne signifie plus que « mourir » à partir du XVe s. (même évolution
pour le déverbal trépas). Par ailleurs, le paradigme morphologique de
passer, déjà riche en AF, s’est encore étendu à partir du MF, notamment
avec les dérivés issus de passé au sens de « temps passé, écoulé » (XVIe s.),
passerelle (XIXe s.), sans compter les divers mots composés sur le radical
verbal (ex. : passeport, passe-partout, passe-montagne, etc.).

Pavillon / Tente / Tref


Origine : ces trois synonymes sont respectivement issus du latin
papilionem, « papillon » (le subs. médiéval peut d’ailleurs se rencontrer
dans ce sens), puis en latin tardif « tente », probablement par analogie de
couleur et/ou de forme ; du latin médiéval ou de l’ancien occitan tenda, «
tente », formé sur le v. tendere ; et enfin, peut-être du francique *trabo, «
frange » (par synecdoque, « tente ») ou du latin trabem, « poutre, solive »
(qui a donné l’homonyme de même sens tref en AF), qui aurait pu
désigner d’abord le « support de la tente » puis la « tente » elle-même.
Ancien français : ces trois termes (attestés au XIIe s., sauf tref, dès le XIe s.)
servent également (même si tente est moins usuel que les deux autres) à
désigner un « abri mobile en toile disposé sur montants », donc une «
tente » ou un « pavillon », en général de grande taille et en contexte
militaire. Certaines différences de sens (concernant la nature exacte de la «
tente » envisagée) existent peut-être entre ces termes mais elles ne sont pas
déterminantes : ainsi, le pavillon aurait plutôt une forme conique et par
ailleurs tref sert également à désigner la « voile » d’un bateau (par analogie
de forme et/ou de matière avec la tente ?). On mettra en tout cas sur le
compte des spécificités de la société médiévale (fréquence du campement
mobile, en contexte militaire ou non) l’existence de trois termes différents
pour désigner ce que l’on tient peu ou prou aujourd’hui pour le même objet.
Paradigme morphologique : aucun.
Paradigme sémantique : on peut encore ajouter deux termes proches par le
sens, herberge (voir herbergier°) et loge°.
Évolution : tandis que tref sort d’usage au XVIe s., les deux autres termes
subsistent aujourd’hui, tente servant toujours à désigner un « abri mobile
en toile disposé sur montants », tandis que pavillon n’est plus guère
employé que pour une construction en dur (caractérisée par sa petite taille,
sa simplicité, son isolement ou son environnement rural), si on laisse de
côté divers sens spécifiques (pavillon de l’oreille, d’un navire) nés par
analogie de forme (conique) ou de matière.

Pechié
Origine : du latin peccatum, « erreur, faute, acte coupable » et, en latin
chrétien, « faute contre la loi divine ».
Ancien français : pechié (Xe s.) conserve essentiellement son sens acquis en
latin chrétien de (1) « faute commise contre la loi divine » (d’où des
expressions comme pechié mortel ou veniel, attestées dès l’AF, ou pechié
originel en MF). Cependant le subs. peut aussi prendre le sens plus général
de (2) « faute, acte coupable » et de (3) « malheur, infortune ».
Paradigme morphologique : on peut noter pecheor et pecherriz /
pecheresse, « pécheur » et « pécheresse », ainsi que pechier, « pécher,
commettre une faute ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer culpe° ; dans le sens
2, culpe° également, mais aussi mal° ou tort (voir droit°) ; dans le sens 3,
maleur (voir eur°) ou mescheance (voir cheoir°).
Évolution : le sens moral et religieux subsiste seul en FM pour le subs.
(sauf dans des expressions comme péché mignon ou péché de jeunesse), le
v. pouvant conserver en emploi littéraire la signification plus générale de
« commettre une faute, une erreur » (ex. : pécher par excès de zèle / contre
la logique). Notons enfin que le paradigme a connu encore quelques
développements après le MA, avec impeccable (XVe s.) ou peccadille (XVIe
s., emprunt à l’espagnol).

Peine
Origine : du latin poenam, « punition, châtiment, peine », d’où, en latin
tardif (le châtiment impliquant la souffrance), « peine, souffrance ».
Ancien français : proche de son sens latin, peine (Xe s.) signifie (1) «
châtiment, punition, peine », au sens juridique du terme, d’où des
expressions comme peine d’argent, peine de cors ou mortel peine (« peine
de mort »). Le terme, passant, comme en latin, du châtiment à la
souffrance (aussi bien physique que morale) qu’il implique, développe le
sens de (2) « souffrance, douleur profonde, martyre » (sens beaucoup plus
fort qu’en FM). D’où, avec un certain affaiblissement de sens, (3) « peine,
effort » (c’est-à-dire une souffrance que l’on s’inflige volontairement pour
atteindre un but), notamment dans les expressions soi metre en peine de,
metre peine a ou la locution a (grant) peine, « (très) péniblement,
difficilement » (d’où « à peine »).
Paradigme morphologique : on peut retenir peiner (ou pener), « souffrir,
faire souffrir » voire « martyriser » (on dit ainsi de Jésus qu’en croiz fu
penez, c’est-à-dire qu’il a subi le martyre de la croix) et « se donner du
mal, s’efforcer de », en emploi pronominal surtout ; peineus, « pénible,
douloureux », qui sera supplanté par penible, avec sensiblement la même
signification qu’en FM, sauf quand il s’applique à qqn. au sens de « qui se
donne de la peine, dur à la peine ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut penser à certains dérivés
du v. amender° ou du v. punir (emprunté au XIIIe s.), tels punissement ou
punicion ; dans le sens 2 (où le terme désigne une douleur à la fois
physique et morale), voir dolor° ; dans le sens 3, voir ahan°.
Évolution : tandis que le sens de « châtiment, peine » s’est conservé sans
changement, le terme s’est globalement affaibli dans ses autres acceptions,
l’idée d’« effort » (ex. : prendre la peine de, se donner la peine de) ou de
« tristesse » se substituant à celle de « souffrance profonde », physique ou
morale. Notons aussi au XVIe s. l’apparition des dérivés peinard et penaud.
Penser
Origine : du latin pensare, « peser » au sens concret et « peser, apprécier,
estimer » au figuré ; penser est une forme savante assimilable à un
emprunt (Xe s.), par opposition à peser°, issu phonétiquement du même v.
latin.
Ancien français : à partir des acceptions figurées du latin, penser ou panser
(les deux graphies n’induisant aucune distinction de sens en AF) désigne
une activité intellectuelle et signifie (1) « penser, réfléchir, méditer,
songer » et, en emploi intransitif, « être plongé dans ses pensées », l’objet
de la pensée ayant en général un caractère pénible (en rapport avec le sens
concret latin) et/ou un caractère pratique, concret, actuel, par opposition
notamment à cuidier° ; d’où le second sens, référant cette fois-ci à une
activité concrète, de (2) « s’occuper de, prendre soin de », en particulier
dans le domaine des soins donnés aux animaux ou aux hommes.
L’écart se creusant entre ces deux sens va cependant entraîner, à partir du
MF, la distinction entre penser, réservé au domaine intellectuel, et panser,
qui prend en charge les seules acceptions concrètes ; mais les deux v. ne
seront pas nettement distincts par la graphie avant le XVIIe s.
Paradigme morphologique : citons pensé, pensee, pensement et penser
(infinitif substantivé), « pensée, réflexion, projet, avis » et «
préoccupation, souci » ; pensif, « pensif, préoccupé » ; on rencontre
également des v. dérivés à valeur intensive, comme apenser ou porpenser.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, avec l’idée de réflexion profonde,
notamment en emploi intransitif, penser peut se rapprocher de songier
voire de merancolier (méditer ne fait son apparition qu’au XIVe s. et
réfléchir ne prend son sens intellectuel qu’au XVIIe s.), mais se distingue en
revanche de cuidier° et de croire° ; dans le sens 2, notons curer ou
soignier (voir cure / soing°) et garir°.
Évolution : à partir du XVIIe s. la distinction est donc définitivement acquise
entre penser d’un côté, réservé à l’activité intellectuelle, et panser de
l’autre, qui s’emploie dans le domaine médical avec le sens de « soigner des
plaies » et pour désigner les soins donnés à un animal, en général un cheval.
Le paradigme des deux v. ne connaît guère de développements après le MA
en dehors de pansement (à partir du XVIe s., « soin » en général et plus
précisément, aujourd’hui, « linge (adhésif) appliqué sur une plaie »),
arrière-pensée (XVIe s.) ou encore impensable (XIXe s.).

Persone
Origine : du latin personam, « masque de théâtre », d’où « acteur,
caractère, rôle » et « individualité, personnalité » ; à partir de ce dernier
sens, le terme, perdant tout rapport avec le théâtre en latin chrétien,
signifie seulement « caractère, personnalité, dignité » et « personne,
individu » au sens physique de ces termes.
Ancien français : à partir des acceptions acquises en latin chrétien, persone
(XIIe s.) prend les trois sens principaux de (1) « personne, individu »,
homme ou femme (de là est issu l’emploi de persone comme pronom
indéfini, dans le sens de « quelqu’un », essentiellement dans une phrase
négative ou interrogative en AF) ; (2) « personne, corps physique », d’où
« allure, prestance » (ex. : un chevalier a la fiere persone) ; (3) « personne
d’importance », en particulier « dignitaire ecclésiastique, prélat ».
Paradigme morphologique : on peut citer, avant tout, personage (XIIIe s.),
d’abord synonyme de persone dans le sens de « taille, prestance » (parfois
« position, statut ») et de « dignitaire ecclésiastique », puis, à partir du XVe
s., « personne fictive » dans un ouvrage théâtral (d’où « rôle », avec un
retour au sens latin), plus tard dans une œuvre romanesque, ou bien «
figure » représentée en peinture ou sculpture ; voir également personal /
personnel, d’abord « personnel » (au sens grammatical), puis « relatif à la
personne ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, notons gent°, home° et le pronom
indéfini nul ; dans le sens 2, voir notamment cors° ; dans le sens 3, on peut
citer prelat (du latin praelatum, littéralement « placé en avant », d’où «
supérieur »).
Évolution : c’est essentiellement la première acception médiévale de
personne qui s’est conservée en FM, la seconde ne subsistant que dans
quelques expressions comme être bien fait de sa personne (XVIIe s.) et la
troisième étant plutôt passée au dérivé personnage (remarquons la
différence entre une grande personne et un grand personnage). Le
paradigme s’est par ailleurs étendu avec personnifier (XVIIe s.) et
personnification (XIXe s.).

Peser
Origine : du latin pensare (intensif de pendere), « peser » au sens concret et
« peser, apprécier, estimer » au figuré. Le même v. a donné en AF le
doublet savant penser°, emprunté au Xe s.
Ancien français : le v. peser (XIe s.) prend essentiellement le sens concret
de (1) « peser », c’est-à-dire « mesurer le poids », d’où « peser, estimer »,
et « avoir du poids » ; au sens abstrait, en tournure impersonnelle (ex. : il
me poise, ce poise moi), le verbe signifie (2) « être pénible, désagréable ».
Paradigme morphologique : on peut noter le subs. pesance, au sens figuré
surtout de « peine, chagrin, souci » ; l’adj. pesant, « lourd » mais aussi «
pénible, dur » (ex. : la bataille est merveilluse et pesant) et « peiné,
soucieux » ; des v. dérivés comme apeser, « peser, alourdir », contrepeser,
« équilibrer (avec un contrepoids), mettre en balance » et sospeser, «
suspendre, soulever, soupeser ».
Paradigme sémantique : on ne trouve pas vraiment d’équivalent pour le
sens 1 mais, pour le sens 2, on peut citer desplaire (voir plaisir°) ou enuier
(voir enui°) et grever°.
Évolution : le terme conserve aujourd’hui les mêmes sens qu’en AF, même
si les emplois figurés en tournure impersonnelle sont devenus rares. Déjà
riche au MA (notamment à partir de pesant, qui dès l’AF a donné apesantir
ou pesantor), le paradigme a continué de se développer, avec par exemple
apesanteur (XXe s.), appesantissement (XVIe s.) ou des mots composés
comme pèse-lettre (XIXe s.) et pèse-personne (XXe s.).

Piece
Origine : du latin tardif petiam, « morceau, pièce », forme latinisée d’un
terme gaulois.
Ancien français : équivalent du FM morceau ou bout (et non pièce), le
subs. piece (XIe s.) désigne un (1) « morceau, fragment indéterminé,
détaché d’un tout qui n’est pas constitué d’éléments nombrables », par
exemple du pain, du vin (la piece de vin désignant d’abord une partie de
la récolte de l’année, puis le contenant), de la terre, etc. ; avec le même
sens, mais spécialisé dans la mesure du temps (parfois de l’espace), un
(2) « espace de temps », un « moment », le mot entrant alors dans
plusieurs expressions courantes en AF comme grant piece («
longtemps ») ou piece a (« depuis longtemps », littéralement « il y a un
moment », a étant une forme du v. avoir), très tôt lexicalisé en pieça.
Paradigme morphologique : on peut noter le subs. piecete, « petit
morceau » (spécialisé dans le sens de « petite pièce de monnaie » à partir
du XVIIIe s.). Parmi de nombreux dérivés verbaux, plutôt que le peu usuel
pecier, on retiendra depecier, « mettre / être réduit en pièces, en
morceaux » (avec une gamme d’emplois très large en AF mais nettement
restreinte en FM, où le terme ne s’applique plus qu’à un cadavre animal,
éventuellement humain), et rapiecer, « réparer, raccommoder en mettant
une pièce de tissu », qui n’apparaît qu’au XIVe s.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, citons morsel (dérivé de mordre),
« bouchée », « fragment arraché à un ensemble » (d’abord essentiellement
dans un contexte alimentaire, avant que les emplois de morsel / morceau
ne s’élargissent à partir du MF), et quartier, « quart, partie d’un tout
constitué de quatre parties » et, plus généralement, « partie, morceau » ;
dans le sens 2, voir jor°.
Évolution : après le MA, pièce perd sa spécialisation temporelle (encore
attestée jusqu’au XVIIe s.) et connaît une évolution et une extension
sémantiques assez notables, dans la mesure où, sous la concurrence de
morceau, il ne désigne plus un « fragment indéterminé détaché d’un tout
qui n’est pas constitué d’éléments nombrables » (sauf dans certaines
expressions comme mettre / tailler en pièces ou bien quand on parle d’une
pièce de tissu, par exemple) mais au contraire « un des éléments
déterminés d’un tout organisé » (comme les pièces d’un jeu d’échecs, d’un
moteur, d’un puzzle, etc.), voire, dans quelques emplois, « une unité
autonome, sans référence à un ensemble » (ex. : pièce pour « pièce de
monnaie » dès le MF, puis, au XVIIe s., une pièce d’eau, une pièce de
théâtre, etc.). On peut se demander cependant si la notion d’appartenance
à un tout est absolument absente de tels emplois.

Plaid
Origine : du latin placitum, participe passé du v. placere (qui a donné
plaisir° en AF), substantivé dans le sens de « ce qui plaît, agrément,
souhait », puis, en latin chrétien, « engagement, accord, convention », et
enfin, en latin médiéval, « engagement à paraître lors d’une assemblée
(notamment judiciaire) » et cette « assemblée » elle-même.
Ancien français : attesté dès 842 dans les Serments de Strasbourg, le terme
a des sens assez divers, que l’on peut regrouper, pour simplifier, en deux
grands axes sémantiques : tout d’abord, celui de (1) « pacte, accord,
convention, résolution », puis de (2) « tribunal, assemblée (en particulier
judiciaire) » (ex. : tenir les plaiz, « tenir audience »), d’où, dans une
acception spécifiquement juridique, « procès, querelle juridique » et «
jugement », mais aussi, de façon plus générale, « querelle », « discours,
entretien », voire « affaire, situation » (le terme devenant en ce sens
synonyme d’ovre°, par exemple).
Paradigme morphologique : à la différence du terme simple, l’ensemble
du paradigme est plutôt spécialisé dans le domaine juridique, avec les v.
plaidier et plaidoier, aussi bien « faire un procès » que « plaider » et «
rendre justice », mais aussi « se disputer, se quereller » et, tout
simplement, « parler » ; voir également les subs. plaideor (« personne qui
plaide » en général, et surtout « avocat »), plaiderie ou plaidoierie, dérivés
des deux v. précédents.
Paradigme sémantique : dans le sens d’« accord », on peut se référer à
conseil° ou bien à des dérivés du v. acorder, comme acort, acorde ou
acordement ; dans le sens d’« assemblée », citons de nouveau conseil°
encore ou convent (voir convenir) ; dans le sens de « procès », voir
ochoison° (notons que procès ne prend pas son sens moderne avant le
MF).
Évolution : le subs. simple, probablement à cause de son sémantisme trop
large, a disparu après le MA, contrairement aux dérivés plaider (seulement
dans le sens de « défendre une cause » lors d’un procès, mais aussi au
figuré, « parler en faveur de »), plaidoyer et plaidoirie, la spécialisation
juridique distinguant ce dernier terme du précédent.

Plain / Plein / Plenier


Origine : le premier adj. (XIIe s.) est issu du latin planum, « plat, uni, égal »,
le deuxième (XIe s.), du latin plenum, « plein, entier » et le troisième (XIe
s.), du latin tardif plenarium, dérivé du précédent.
Ancien français : proches phonétiquement et graphiquement, ces trois adj.
(ou quatre, si l’on ajoute le dérivé de plain, plainier, apparemment peu
représenté) ne sont pas toujours nettement distingués, et certains de leurs
sens se recoupent, en particulier dans les expressions (tot) a / de plain /
plein ; il en va de même des deux adv. plainement et pleinement, qui
partagent notamment, même si ce ne sont pas les seuls, les sens de «
directement, librement, largement ». On peut néanmoins différencier les
acceptions essentiellement spatiales de plain (« plat, uni, ouvert, sans
obstacle, lisse »), renvoyant à la notion d’horizontalité, de celles de plein («
plein, rempli, entier »), renvoyant à la notion de volume, et surtout de celles
de plenier : ce dernier, tout en reprenant les sens de plein, manifeste une
extension sémantique beaucoup plus large (à l’inverse du FM) et peut
prendre des sens assez divers en fonction des termes auxquels il s’applique,
toujours cependant autour de la notion de plénitude, de totalité, associée le
plus souvent à une évaluation positive ; ainsi on pourra entendre l’adj., dans
un castel plenier, au sens de « grand, vaste, imposant » ou de « bien
défendu » (plein d’hommes en armes, donc), dans une bataille pleniere, au
sens de « violente, acharnée », dans uns chevaliers de cors mult pleniers, au
sens de « fort, vaillant », dans le païs plenier, au sens de « riche », etc.
Paradigme morphologique : outre le dérivé plainier, se rattachent
notamment à plain le subs. plain / plaine (« surface plane, espace
découvert, plaine ») et des v. peu courants comme planer (« polir, lisser »)
ou planier (« caresser, aplanir ») ; plein a essentiellement donné le subs.
plenté (du latin plenitatem), « quantité, abondance », d’où l’expression
usuelle a (grant) plenté, « en abondance ».
Paradigme sémantique : plain a pour synonyme plat (XIe s.), qui s’emploie
beaucoup en AF à propos de parties du corps, notamment de la jambe du
cheval (qui, quand elle est plate, est « droite, non cambrée »), ou encore
igal (XIIe s.), « égal, plan, plat, uni » et « pareil, égal, identique ». Pour
plein, on peut renvoyer aux adj. entier (XIIe s., du latin integer, avec en AF
les sens d’« entier, intact, complet » et de « loyal, sincère ») et large° ou
aux participes passés empli / rempli.
Évolution : à partir de la fin du MA, ces différents termes connaissent des
évolutions divergentes. Le premier, plain disparaît à partir du XVIIe s. (sauf
dans la locution de plain-pied ou dans le plain-chant), concurrencé surtout
par plat, mais aussi par plan, réemprunté au XVIe s. ; de son côté, plein reste
d’emploi très courant, tandis que plenier voit ses emplois déjà nettement
limités au XVIIe s. et ne se trouve plus aujourd’hui que dans des expressions
comme assemblée / réunion plénière, c’est-à-dire « rassemblant la totalité
des membres d’un groupe donné ».

Plaisir
Origine : du v. impersonnel latin placere, « plaire, agréer » (ex. : mihi
placet, « il me plaît, m’agrée »).
Ancien français : attesté au XIe s., le v., d’abord sous la forme plaisir (qui
est restée dans l’infinitif substantivé), puis sous celle de plaire (réfection
analogique sur les v. en -re) qui la remplace au cours du XIIIe s., conserve
son sens latin de « plaire, faire plaisir, satisfaire ». Comme en latin, plaire
s’emploie fréquemment en construction impersonnelle mais aussi
transitive indirecte (plaire a), construction qui l’emportera largement en
FM (même si l’emploi impersonnel reste parfaitement possible).
Paradigme morphologique : on peut retenir le subs. plaisance (XIIIe s.), «
plaisir, agrément », terme qui s’est maintenu en FM par la tournure de
plaisance (ex. : la navigation de plaisance) ; l’adj. plaisant, « agréable »,
puis également, à partir du XVIe s., « divertissant, risible » (sous l’influence
de plaisanter) ; le subs. plaisir, d’abord « bon plaisir, volonté », puis «
plaisir, agrément » à partir du MF, peut-être à cause du sens spécialement
sexuel de faire / avoir son plaisir de ; enfin, les v. complaire (XIIe s.,
emprunt), rare en AF, ou desplaire, de même sens qu’en FM.
Paradigme sémantique : voir delitier° et, en tournure impersonnelle,
convenir° ou loisir°.
Évolution : le v. n’a guère changé de sens depuis l’AF, non plus que le subs.
plaisir ; en outre, le paradigme a déjà connu l’essentiel de ses
développements en AF, hormis plaisanter, plaisanterie ou plaisantin (XVIe
s. malgré quelques attestations isolées en AF).

Poindre
Origine : du latin pungere, « piquer », au propre comme au figuré, d’où «
faire souffrir, tourmenter ».
Ancien français : poindre (XIe s.) conserve ses acceptions latines de (1) «
piquer », d’où procède le sens spécialisé en AF de « piquer des deux,
éperonner » et, par extension, « se précipiter » (en particulier à cheval,
mais pas seulement) ; au sens figuré, le v. signifie (2) « piquer, harceler,
tourmenter » (ex. : griement le point la jalousie). Enfin, par extension, le
v. prend également le sens (seulement concret, semble-t-il, en AF) de (3)
« pointer, saillir » (ex. : les mameletes me poignent) ou de « commencer à
pousser, poindre », en parlant de plantes (ex. : l’erbette qui point et qui
verdoie) ou de la barbe, par exemple.
Paradigme morphologique : on peut citer notamment, issus de poindre, le
v. dérivé porpoindre, « piquer, coudre » (d’où le déverbal porpoint,
désignant un vêtement de dessus) et le participe présent adjectivé
poignant, « piquant, pointu » et spécialement « au galop, à toute allure ».
On retiendra, par ailleurs, issus du latin punctum, les subs. point et pointe
qui, parmi un large éventail de sens assez proches de ceux du FM
(notamment pour point, que l’on rencontre par exemple déjà avec un sens
temporel, d’où le syntagme point del jor, certainement à l’origine des sens
actuels du v.), servent tous deux de déverbal à poindre, avec le sens de «
piqûre » (action de piquer et résultat de cette action).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer blecier° ou ferir°, et
spécialement brochier pour un cheval (ce v., issu du latin populaire
*broccam, « objet pointu », signifie « éperonner », « piquer » ou «
percer », sémantisme conservé aujourd’hui dans le dérivé embrocher mais
non pas dans brocher, dont le sens s’est notamment spécialisé dans le
domaine de la reliure). Dans le sens 2, on peut citer à nouveau blecier° ou
ferir°, ainsi que grever° et ses nombreux synonymes ; dans le sens 3, voir
aparoir / paroir.
Évolution : v. fréquent en AF, poindre est aujourd’hui d’usage surtout
littéraire et largement défectif. Toutes ses acceptions concrètes sont
passées au v. piquer (emprunté au XIVe s. au latin populaire *piccare,
d’origine onomatopéique, dans le sens de « frapper avec une pointe,
piquer »), qui le supplante progressivement à partir de la fin du MA. En
FM, poindre conserve cependant les sens abstraits de « tourmenter »
(mais, dans cette acception, le v. est beaucoup moins usuel que le participe
présent adjectivé poignant, avec le sens affaibli d’« émouvant ») et de «
commencer à apparaître », notamment en parlant de qqch. de très petit ou
de très éloigné (en particulier le jour), mais également au figuré (ex. : je
sens poindre un doute dans mon esprit).

Poison
Origine : du latin potionem, « boisson, breuvage » en général et, plus
particulièrement, « breuvage médicinal ou magique (éventuellement
empoisonné) ».
Ancien français : signifiant de façon générale « ce qui se boit », poison
(XIIe s., subs. fém.) conserve bien ses acceptions latines et désigne à la fois
une « boisson », un « breuvage » – ce qui en fait le synonyme de l’infinitif
substantivé boivre (du latin bibere), de son dérivé bevrage / breuvage et du
plus rare boisson (ces termes étant attestés seulement au XIIIe s.) – et, plus
précisément, un « breuvage médicinal ou magique » ; ses synonymes sont
alors mecine / medecine (dans le sens de « remède, médicament »,
éventuellement à boire, plutôt que remede, surtout figuré), herbé («
médecine, philtre » préparés avec des herbes, issu d’herbe dans le sens
d’« herbe médicinale ») et philtre (emprunté au XIVe s. au latin dans le sens
précis de « breuvage magique provoquant l’amour »). Enfin poison peut
aussi signifier « breuvage empoisonné », d’où le sens de « poison », qui
fait du subs. un synonyme de venin.
Paradigme morphologique : citons les v. empoisoner / empuisnier (plutôt
que poisoner, attesté mais rarissime), « faire boire » mais surtout «
empoisonner », et le subs. empoisonement, qui a même sens qu’en FM.
Paradigme sémantique : voir ci-dessus.
Évolution : à partir du MF, supplanté par boisson ou breuvage et par potion
dans le sens de « breuvage médicinal » (au XVIe s. pour ce sens, le terme
étant attesté en AF mais très rare), poison perd sa signification générale de
« ce qui se boit » pour se restreindre au sens de « poison », liquide ou non
(ce qui s’accompagne d’un changement de genre, courant XVIe s.). En ce
sens, poison a remplacé venin qui, dès l’AF, tend déjà à être exclusivement
affecté aux animaux et en particulier aux serpents.

Preu
Origine : du latin tardif prode, subs. (« profit, avantage ») et adj. (« utile,
avantageux »), d’abord employé dans le syntagme prode est, issu de la
disjonction de la forme verbale prodest, P3 du présent de l’indicatif du v.
impersonnel prodesse (« être utile », composé du v. esse).
Ancien français : comme en latin, preu (ou pro / prod / prou), attesté au XIe
s., peut être subs., avec le sens de « profit, avantage, gain » (d’où des
expressions comme metre a preu, « mettre à profit », ou torner a preu, «
tourner à l’avantage de ») ; adj., avec le sens d’« utile, avantageux » et, en
parlant d’une personne, « bon, excellent », d’où, en fonction du contexte,
« brave, vaillant », « sage, avisé » ou « vertueux, honnête » ; enfin, le
terme peut également être employé comme adv., avec le sens de « bien,
beaucoup » (d’où l’expression peu ou prou, seule survivance de cet emploi
en FM).
Paradigme morphologique : on peut citer preudome (qui vient
certainement de preu d’home, suivant une construction encore attestée en
FM dans des syntagmes comme un amour d’enfant ou un diable
d’homme), subs. qui signifie d’abord « homme de valeur, de bien » en
général, puis, par différenciation d’avec preu et spécialisation, « homme
sage, vertueux » et « homme d’expérience » (notons que le terme peut
également être employé comme adj.) ; la même spécialisation tend à se
retrouver dans deux autres subs., preudomie, « probité, sagesse,
expérience », à distinguer de proesce, surtout « vaillance, bravoure » et «
acte de bravoure, exploit ».
Paradigme sémantique : comme subs., mentionnons gaaing (voir
gaaignier°) ou profit / porfit ; comme adj., on retiendra surtout vaillant°,
qui a comme preu une extension sémantique large en AF, mais voir aussi
bel°, cortois° ou gent / gentil°.
Évolution : encore employé jusqu’au XVIIe s., preux apparaît ensuite vieilli,
remplacé comme subs. par gain ou profit, comme adj. par courageux ou
vaillant ; à l’inverse, le subs. prouesse est resté vivant, avec une valeur
souvent ironique. Quant à preudom, refait en prud’homme au XVIIe s., il
continue jusqu’à cette date à désigner un « homme vertueux, sage,
expérimenté » (sens seulement conservé en FM dans une acception
spécifiquement juridique : le conseil de prud’hommes, créé au XIXe s. et
chargé de régler les contentieux professionnels). Notons enfin que c’est de
l’équivalent fém. de preudome, preudefeme (attesté en AF dans le sens de
« femme de valeur, vertueuse »), que sont issus également au XVIIe s. les
termes prude et pruderie.

Pris / Prisier
Origine : du latin pretium, « valeur, prix » et « récompense, salaire », qui a
donné en latin tardif le v. pretiare (« évaluer, apprécier ») dont est issu
prisier.
Ancien français : le subs. pris (XIe s.) conserve ses sens latins de (1) « prix,
valeur (vénale) », au figuré « valeur » (ex. : un chevalier de grant pris) ; et
de (2) « prix, récompense », d’où au figuré « éloge, honneur ».
L’évolution est à peu près la même pour le v. prisier (XIe s. également), «
évaluer, estimer », « donner une estimation » de la valeur, du prix, du
nombre, etc., dans des tournures comme prisier l’ost a trente mile
chevaliers ou prisier qqch. a deux mille livres ; et plus particulièrement,
dans un sens mélioratif, « apprécier, priser, faire grand cas de qqch. ou
qqn. », d’où « louer, complimenter » et, en emploi réfléchi, « avoir bonne
estime de soi » (parfois en mauvaise part, avec le sens de « se surestimer,
se vanter »).
Paradigme morphologique : on peut noter le subs. prise, de même sens
que pris ; priseor, qui subsiste aujourd’hui dans commissaire-priseur ; et
les v. dérivés desprisier, « déprécier, mépriser » (encore en usage,
littéraire, en FM) et mesprisier, « mésestimer, mépriser », dont le déverbal
mespris (XIIIe s.) tend en AF à se confondre avec mesprise, issu de
mesprendre.
Paradigme sémantique : pour pris, on peut citer fuer (resté en FM dans
l’expression au fur et à mesure) ou value dans le sens 1, honor° ou los°
dans le sens 2. Pour prisier dans le sens d’« évaluer », on retiendra surtout
esmer (du latin aestimare), essentiellement « évaluer, estimer » (refait en
estimer au XIVe s.), mais voir aussi, dans le sens d’« apprécier » (plus ou
moins fortement), amer°, loer (voir los°) et, en mauvaise part, soi
orgoillier (voir orgueil°).
Évolution : en FM, prix (ainsi graphié à partir du XVe s. pour des raisons de
discrimination) se restreint surtout à ses emplois concrets, « valeur
(vénale) », « récompense, prix » et, par métonymie, « épreuve au terme de
laquelle est décerné un prix » (ex. : un grand prix automobile), sauf dans
certaines tournures comme accorder / attacher / donner du prix à qqch.
Quant au v., concurrencé par des synonymes apparus à la fin du MA,
comme apprécier (du latin tardif appretiare, où l’on retrouve pretium),
estimer ou évaluer (dérivé de value), il est aujourd’hui d’emploi littéraire
et utilisé seulement dans le sens mélioratif d’« apprécier », surtout au
participe passé (ex. : un quartier très prisé), à l’inverse du dérivé
mépriser, resté d’usage courant.

Prison
Origine : du latin prensionem, forme syncopée de prehensionem, « action
de prendre, de saisir » (subs. dérivé de prendere, forme syncopée de
prehendere, qui a donné prendre en AF). Le subs., d’abord sous la forme
preison / proison, a été très tôt refait sous l’influence du participe passé
pris.
Ancien français : même si on peut le rencontrer dans ses acceptions latines
d’« action de prendre, de se saisir de qqn. ou de qqch. » ou de « fait d’être
pris, capture », prison (XIe s.) est surtout utilisé dans le sens abstrait de «
captivité » et, par métonymie, dans les sens cette fois concrets de «
personne captive, prisonnier » ou de « lieu de détention, prison ».
Paradigme morphologique : on notera l’apparition, au XIIe s., des dérivés
prisonier (subs. et adj. à comprendre dans son sens actuel, pour lequel il
concurrence prison qu’il finira par supplanter) et emprisoner (également
dans son sens actuel) ; on peut encore citer, toujours pour l’acception «
prisonnier », le participe passé pris, en rappelant que prison se rattache
plus largement au paradigme du v. prendre, bien fourni en AF (avec
comprendre, mesprendre, porprendre, etc.).
Paradigme sémantique : pour les sens de « captivité » et de « prisonnier »,
voir chaitif° et chaitiveté ; dans le sens de « prison », on peut citer chartre
(du latin carcerem, d’où aussi le v. incarcérer, rare avant le XVIIIe s.) et
gaiole (du latin tardif caveolam, diminutif de caveam, « cage »), dont la
graphie actuelle se fixe entre le XVIe s. (geole) et le XVIIIe s. (geôle).
Évolution : supplanté en MF dans ses sens latins par prise ou capture, dans
celui de « prisonnier » par prisonier, prison sert surtout en FM à désigner
un « lieu de détention » (chartre ayant disparu au XVIIe s. et geôle étant
d’emploi littéraire), tout en conservant un peu de son sens abstrait dans
des expressions comme peine de prison ou condamner à la prison.

Privé
Origine : du latin privatum, « privé, particulier, individuel ».
Ancien français : avec le sens général de « ce qui est propre, particulier à
qqn. », « personnel, intime », l’adj. privé (XIIe s.) signifie plus précisément,
en fonction des subs. qu’il qualifie, « privé, intime » (pour un lieu), «
intime, familier, fidèle » (pour une personne), par opposition à estrange°
(et en ce sens l’adj. peut être substantivé ; ex. : il avoit mandé ses barons
et ses privés), ou encore « apprivoisé, domestique » (pour un animal), par
opposition à sauvage.
Paradigme morphologique : citons privaise / privee, « latrines », et priveté
/ privauté (la seconde forme étant une réfection calquée sur royauté), «
affaire, pensée privées », « intimité » (également au sens sexuel du terme),
qui subsiste en FM, essentiellement au plu., sous sa seconde forme, avec la
connotation péjorative d’« excès d’intimité ». Notons aussi, issus du même
paradigme latin, le v. aprivoisier, attesté au XIIIe s. dans le sens de « rendre
familier (une personne, un animal) », et le v. priver, qui n’est guère
employé avant le MF.
Paradigme sémantique : voir ami° et familier ; intime, quant à lui, est
emprunté au latin au XIVe s.
Évolution : sans changer fondamentalement de sens, privé ne s’applique
plus guère en FM à une personne (à part dans un détective privé) ni à un
animal, mais le terme a vu ses emplois s’étendre à partir du MF à la sphère
sociale et politique, privé s’opposant alors à public, officiel ou national.

Proier
Origine : du latin populaire *predare, pour le latin praedare (ou praedari),
« piller, faire du butin ».
Ancien français : attesté au XIe s., proier (ou preer) conserve
essentiellement ses acceptions étymologiques de « piller, faire du butin »,
par extension « saccager, ravager » ou encore « enlever » en parlant de
qqn.
Paradigme morphologique : proie (du latin praedam) désigne, comme en
latin, toute espèce de « proie, prise », en particulier dans le contexte de la
guerre (« butin ») et de la chasse (« gibier »).
Paradigme sémantique : dans le sens de « piller » ou « enlever », voir
embler° ; dans le sens de « ravager », voir gaster°.
Évolution : le v. disparaît apparemment dès le MF, en dépit de sa
relatinisation en preder, forme qui a rapidement été abandonnée, à la
différence d’autres éléments du même paradigme, comme prédateur,
prédation ou déprédation. Cette disparition s’explique certainement,
plutôt que par la concurrence de piller (qui prend son seul actuel à partir
du XIVe s.), par les risques de confusion que présentait le v. avec son
paronyme prier. De son côté, le subs. proie a mieux résisté, désignant en
général « tout ce dont on s’empare » ; le sens de « butin » disparaît au XVIIe
s., mais on notera que l’expression être la proie des flammes conserve une
idée de destruction.

Pucele
Origine : du latin tardif *pullicellam (attesté sous la forme pulicellam au
VIIIe s.), qui était peut-être le fém. d’un diminutif de pullus, « petit (d’un
animal) » et « poulet » (employé également comme hypocoristique), qui
aurait pu être croisé (pour le sens) avec puellam, « jeune fille ».
L’étymologie n’est pas sûre.
Ancien français : le subs. pucele (Xe s.) désigne toujours une « jeune fille
non mariée » ; il s’oppose donc, sur le plan des connotations sociales,
aussi bien à damoisele° (« jeune fille noble ») qu’à garce (voir garçon°)
et, sur celui de l’âge et/ou de la situation maritale, à dame° et fame°.
Paradigme morphologique : le sème de virginité, qui reste au second plan
dans le terme simple, devient dominant dans les dérivés pucelage, despuceler
et despucelement.
Paradigme sémantique : voir jovencele°.
Évolution : à partir du MF, pucelle tend à être remplacé par fille puis jeune
fille pour désigner une « jeune femme », le terme se limitant au sens de «
jeune fille vierge », avec prédominance du sème de virginité
(probablement sous l’influence des dérivés) ; il en va de même du masc.
puceau (XVIe s., réfection de l’AF pucel), subs. pouvant également
s’employer au figuré dans le sens de « qqn. qui n’a pas encore accompli
certains actes » (XIXe s.).

Pui
Origine : du latin tardif podium, terme d’architecture désignant un « socle,
parapet », une « plate-forme surélevée » (c’est en particulier le nom donné
au « mur épais entourant l’arène de l’amphithéâtre et dont le sommet,
formant une plate-forme, supportait les places d’honneur »).
Ancien français : dès son apparition, au XIe s., pui prend le sens d’«
élévation, éminence, hauteur, colline », ce qui en fait le synonyme de mont
et l’antonyme de val° (comme dans le célèbre vers de la Chanson de
Roland : Halt sunt li pui e li val tenebrus) ; dans certains cas, cependant, il
semble possible de marquer quelques différences entre le pui et le mont, «
colline, mont, montagne », dont l’élévation est nettement plus importante
(on monte volontiers sur un pui, pas sur un mont) et qui, par ailleurs, est
susceptible d’emplois figurés (ex. : des mons de deniers) qu’on ne
retrouve pas dans pui.
Ultérieurement, par une évolution sémantique difficile à expliquer, pui se
rencontre également dans l’acception spécifique de « société littéraire
organisant des concours de poésie » et, à partir de là, de « concours
poétique » ; peut-être s’agit-il tout simplement d’un retour au sens premier
de podium, « estrade » où les poètes exécutaient leurs compositions ou
bien où elles étaient jugées ? En tout cas, ce dernier sens reste vivant du
XIIIe s. au XVe s.

Paradigme morphologique : on peut citer les v. puier, « monter, gravir »


(« s’élever », au propre comme au figuré) mais aussi « appuyer », et
apuier, dont les nombreux sens (« soutenir, appuyer », « appliquer », en
particulier un cop, d’où « frapper », etc.) ne sont pas nettement fixés en
AF.
Paradigme sémantique : à mont on peut ajouter montaigne (du latin
populaire *montaneam, adj. fém. substantivé) ou tertre.
Évolution : à l’inverse du v. appuyer, toujours usuel, puy (graphie ornée du
XIVe s.) ne s’est plus guère conservé en FM que dans des toponymes, en
particulier en Auvergne, de montagnes de nature volcanique et à profil
arrondi (ex. : le puy de Dôme), mais aussi de villes (Le Puy-en-Velay).
Précisons en outre que le terme podium a été réemprunté au XVIe s.,
d’abord dans son sens architectural, puis, beaucoup plus tard (XXe s.), dans
celui de « petite estrade à deux degrés » où l’on fait grimper les
vainqueurs après une épreuve sportive.

Put
Origine : du latin putidum, « pourri, puant, fétide ».
Ancien français : l’adj. put (XIe s.) peut se rencontrer dans des acceptions
concrètes proches de celles qu’il a déjà en latin, à savoir « puant, sale,
infect » ; mais il est surtout employé au figuré dans le sens de « sale,
répugnant, infect, ignoble », notamment dans les syntagmes de pute aire° /
geste° / nature°, etc. (« de sale engeance, de vile origine ») ; en tout cas, il
sert volontiers de qualificatif insultant à portée assez générale, de même
que bricon, culvert, gloton°, etc.
Paradigme morphologique : on peut citer putage ou puterie, « débauche »
; pute (putain au cas régime), « prostituée, putain, femme débauchée »
(qui sert à former l’insulte fils a putain) ; ou encore deux termes où on
retrouve le sens propre de l’adj., putel (« flaque / mare boueuse /
fangeuse ») et bien sûr putois. Notons aussi le v. puir (fin XIIe s., du latin
populaire *putire, pour putere), « répandre une mauvaise odeur, puer ».
Paradigme sémantique : l’adj. pulent (XIIe s., du latin purulentem, «
purulent »), au propre (« puant, infect ») comme au figuré (« abject,
ignoble »), apparaît le plus proche synonyme de put, mais on peut citer
aussi ort° ou laid°.
Évolution : encore courant en MF, l’adj. put a aujourd’hui disparu, sauf
dans quelques dialectes de l’Est, au sens de « laid » ; à l’inverse, pute et
putain restent bien vivants, le cas sujet et le cas régime ayant abouti à
deux termes distincts, très proches par le sens, sinon par les emplois (seul
putain est employé comme interjection vulgaire marquant l’étonnement, la
colère, etc.), ainsi qu’à deux dérivés encore en usage, putassier (XVIe s.) et
putasserie (XVIIe s.).
Q

Querre
Origine : du latin quaerere, « chercher », « chercher à obtenir, se
procurer », « chercher à savoir, demander ».
Ancien français : le v. querre (XIe s.) conserve dans l’ensemble ses
acceptions latines et signifie (1) « chercher, rechercher » et, au sens
abstrait, (2) « chercher à obtenir / à savoir », d’où « désirer, vouloir » et «
demander, réclamer » (parfois « mendier », dans la locution querre pain
par ex.).
Paradigme morphologique : outre le subs. queste (« recherche, quête », «
requête, demande » et, plus spécialement, à partir du XIIIe s., « demande
d’aumône », sens conservé aujourd’hui), qui a aussi donné le v. quester, il
existe de nombreux dérivés de querre (eux-mêmes issus de dérivés latins de
quaerere), dont requerre et enquerre (deux proches synonymes du v.
simple, avec parfois le sens particulier d’« attaquer » et de « courtiser »),
auxquels on peut encore ajouter aquerre (« gagner, obtenir, acquérir » et «
atteindre ») et conquerre (« remporter, conquérir », « l’emporter sur,
vaincre »). Citons également question (XIIe s., emprunt au latin
quaestionem), « question, demande », « discussion, querelle » mais aussi «
interrogatoire » et « torture » (l’un allant volontiers de pair avec l’autre au
MA et pendant tout l’Ancien Régime).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer cerchier (XIe s., du
latin tardif circare, formé sur la préposition circa, « autour de »), «
parcourir en tous sens », « fouiller », d’où « chercher », sens qui
s’imposera à partir du XVIe s. ; dans le sens 2, on trouve de nombreux v.,
dont desirer, voloir, demander (voir mander°) ou, plus rare en AF,
questioner (XIIIe s., « interroger », « soumettre à la torture »).
Évolution : refaits en quérir, acquérir, conquérir, etc. à partir du XIIIe s., le
v. simple et ses dérivés ont connu une évolution divergente : quérir et
requérir, concurrencés par chercher (forme de cerchier attestée au XVe s.)
et rechercher, cessent progressivement d’être employés à partir du XVIIe s.
et sont aujourd’hui archaïques ou d’usage littéraire ; à l’inverse, acquérir
et conquérir restent usuels, avec leurs sens acquis dès l’AF.

Quite / Coi
Origine : les deux adj. ont une même origine, l’adj. latin quietum (« en
repos, calme, paisible »), mais seraient le résultat d’une évolution
différente, quite venant d’un latin médiéval quitus fortement accentué sur
le i par hypercorrection, pour le distinguer d’un latin populaire *quetus
accentué sur le e, d’où est issu coi.
Ancien français : quite (XIe s.) prend à la fois le sens particulier, dans le
domaine juridique, d’« acquitté, libéré » et le sens plus général de « quitte,
délivré, libéré (d’une obligation, de qqch. de désagréable) » (clamer quite,
« déclarer quitte, libérer, délivrer »), d’où aussi « libre, à disposition » (en
parlant de qqch.), voire « calme, tranquille », même si ce sens latin est
surtout conservé dans coi (XIe s., fém. coie), « en repos, calme, tranquille,
paisible ».
Paradigme morphologique : on peut citer quiter, « tenir quitte, libérer,
délivrer » et « céder, abandonner qqch. », le sens moderne de « quitter,
partir » n’apparaissant pas avant le XVIe s. ; quitee, « paix, tranquillité », «
absence de toute redevance » (ex. : terre tenue en quitee) ; quitance, « fait
d’être quitte, libéré, acquittement (d’une obligation, d’un paiement) »
(sens conservé, de façon restreinte, en FM, la quittance étant l’« écrit par
lequel un créancier reconnaît avoir eu paiement de sa créance ») et «
abandon, cession ». Pour les dérivés de coi, voir coiement («
tranquillement, doucement », « en cachette ») et coieté (« tranquillité,
calme »).
Paradigme sémantique : pour quite, voir l’adj. delivre, « libre, libéré » et
« délié, habile » (libre / livre, emprunté au latin au XIIIe s., est nettement
plus rare), ou bien franc° ; pour coi, on peut citer paisible (voir pais°).
Évolution : après le MA, le sémantisme de quitter s’élargit nettement et les
sens médiévaux du v. passent pour l’essentiel au dérivé acquitter, seul
élément du paradigme avec quittance à conserver une acception juridique.
L’ensemble de ce paradigme reste par ailleurs très usuel, sauf justement
l’adj. quitte, plus guère employé hormis dans quelques locutions avec être,
tenir, considérer.
De son côté, coi (dont le fém. a été refait en coite au XVIIIe s.) a vu ses
emplois se restreindre nettement et se limite aujourd’hui au sens de «
totalement immobile et silencieux », également en locution avec se tenir,
rester, demeurer.
Enfin, le latin quietum, réemprunté au XIIIe s., a donné naissance à un
nouveau paradigme plus productif, avec quiet, quiétude, mais surtout
inquiet, inquiétant, inquiéter, etc.
R

Raison
Origine : du latin rationem, terme couvrant un champ sémantique très large,
dont on retiendra les orientations principales, à savoir le sens premier de «
calcul, compte, évaluation » et par extension de « faculté de calculer, de
juger, de raisonner », ainsi que le produit de cette faculté, d’où «
explication, argument, raison, théorie », etc.
Ancien français : le champ extrêmement large couvert par le terme en latin
tend à se restreindre en AF, mais il reste néanmoins étendu. Pour
simplifier les choses, raison, attesté dès le Xe s., parfois avec un sens
concret (« calcul, compte », par exemple dans livre des raisons, « livre de
comptes »), sert essentiellement à désigner : la (1) « faculté de calculer, de
juger, de raisonner » (d’où la personnification de Raison, fréquente dans
les textes médiévaux) ; le produit de cette faculté, (2) « argument,
justification, raison », c’est-à-dire ce qui est conforme à l’équité, au droit
(« droit, justice, équité ») ou bien à la logique, à l’enchaînement des
causes et des effets (« raison, cause, motif »), d’où finalement la
possibilité de référer uniquement à une activité langagière, avec le sens de
« propos, discours » voire « langue, langage » (en particulier dans les
locutions rendre raison, « parler », ou metre qqn. a raison, « adresser la
parole à qqn. »).
Paradigme morphologique : on peut citer plusieurs v., dont raisnier (du
latin populaire *rationare), puis raisoner (réfection morphologique attestée
dès l’AF, comme d’ailleurs pour le reste du paradigme), « parler, adresser la
parole » (le sens actuel n’est pas attesté avant le MF) et les dérivés
araisnier / araisoner (« adresser la parole, parler », employé
intransitivement, et « aborder, attaquer ») et deraisnier, « parler,
expliquer » (avec aussi le sens spécifiquement juridique de « plaider,
défendre ») ; notons enfin l’adj. raisnable, « éloquent », « légitime, juste »,
« raisonnable », qui sera ensuite remplacé par raisonable, seulement dans
ce dernier sens.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir sen / sens° ; dans le sens 2, on
peut citer divers termes recouvrant certains sens de raison, comme droit°,
ochoison° ou parole (voir parler°).
Évolution : la polysémie de raison tend, à partir du XVIe s., à se restreindre
exclusivement au champ intellectuel et abstrait (au détriment des
significations plus concrètes de « calcul, compte » ou de « propos,
discours »), de même que déraison/déraisonner, mais à l’inverse
d’arraisonner, qui garde un sens seulement concret et spécialisé dans le
vocabulaire maritime (le sens d’« inspecter un navire » apparaît fin XVIe
s.). Notons enfin, issus du même paradigme latin, ratiociner (XVIe s. ; le v.
a d’abord signifié « exercer la faculté de raisonner » jusqu’au XVIIIe s., puis
a été repris au XXe s. dans un sens seulement péjoratif) et ses dérivés.

Regne
Origine : emprunt précoce (Xe s.) au latin regnum, « autorité royale,
royauté », « souveraineté », « royaume, empire ».
Ancien français : regne reste très proche de ses acceptions latines, avec un
sens abstrait, (1) « autorité, gouvernement, règne », et un sens concret, (2)
« royaume, terre » sous l’autorité d’un roi ou d’un grand seigneur (y
compris le regne Dieu).
Paradigme morphologique : on peut noter le subs. regnier, qui a
seulement le sens de « royaume », à ne pas confondre avec le v. regner
(emprunt au latin regnare), « exercer le pouvoir en tant que roi, dominer
sans partage », au propre comme au figuré (ex. : Luxure regne par tot, ses
pooirs ne fine de croistre), mais aussi « rester, durer ».
Paradigme sémantique : outre païs° et terre°, aux sens seulement concrets,
ou à l’inverse poesté et maistrie (voir maistre°), « pouvoir, autorité », on
peut citer des termes où se retrouve la double orientation sémantique de
regne, tels que honor°, seignorie (voir seignor°) ou encore roiame /
roiaume (du latin regiminem, dont est également issu le doublet savant
regime), plutôt au sens concret de « royaume » mais aussi au sens abstrait
de « royauté ».
Évolution : le sens concret du terme, référant à un espace ou un territoire, a
aujourd’hui disparu, sinon dans quelques cas très particuliers (ainsi, en
sciences naturelles, on parle des trois règnes minéral, végétal et animal) ;
le sens abstrait subsiste donc seul, admettant volontiers des emplois
figurés au sens de « domination, pouvoir absolus » (ex. : le règne de
l’argent).

Repairier
Origine : du latin tardif repatriare (formé sur patria), « revenir dans sa
patrie, rentrer chez soi » et, au figuré, « revenir à ».
Ancien français : le v. repairier (Xe s.) conserve ses acceptions latines, au
propre, au sens de (1) « revenir, retourner » (chez soi, à son point de
départ), comme au figuré, au sens de « revenir à un état normal », après
une maladie par exemple, ou « revenir à un sujet ». En outre, à partir de
l’idée de retours fréquents à un même endroit, repairier prend également
le sens de (2) « fréquenter (un lieu) » ou de « demeurer, résider ».
Paradigme morphologique : le déverbal repaire (le subs. repairement est
plus rare, avec essentiellement le sens de « retour ») recouvre le même
champ sémantique que le v. et signifie « retour » (notamment dans
l’expression metre el / au repaire, « s’en retourner ») et « lieu de réunion,
refuge, demeure, terrier » (s’employant aussi bien pour les hommes que
pour les animaux).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, notons retorner (voir torner°) ou
revenir ; dans le sens 2, voir manoir°.
Évolution : le v. (devenu repairer en MF) reste encore bien employé au XVIe
s., puis sort d’usage (sauf dans le lexique technique de la vénerie, dans le
sens d’« être au gîte »), tandis que repaire tend à la même époque à se
charger de connotations essentiellement négatives (« refuge » de bêtes
sauvages ou d’individus dangereux). On retrouve cependant l’acception
première du v. dans l’emprunt savant rapatrier (XVe s.) et son dérivé
rapatriement (XVIIe s.).

Ribaut
Origine : dérivé du v. riber (de l’ancien haut allemand rîban, « frotter » et,
par analogie, « faire l’amour »), peu courant en AF et qui a perdu son sens
concret pour signifier « badiner, flirter » et « se quereller, se battre » (par
des analogies similaires donc à celles qui président à certains emplois du v.
frotter en FM).
Ancien français : on ne retrouve pas exactement, dans le subs. ribaut (XIIe
s.), les significations du v., sauf parfois quand il prend le sens d’« amant »
(à la différence notable du fém. ribaude, qui recouvre essentiellement les
acceptions de « débauchée, prostituée »). En général, le terme se rencontre
dans le sens de « vagabond, gueux, vaurien » (volontiers comme terme
d’insulte) ou, plus neutre, de « serviteur de bas étage, portefaix », comme
en témoigne par exemple le Dit des ribaux de Grève de Rutebeuf.
Paradigme morphologique : voir ribauderie / ribaudie, qui signifie le plus
souvent « débauche ».
Paradigme sémantique : dans le sens de « serviteur » (souvent avec des
connotations péjoratives), voir garçon° ; pour des qualificatifs plus
insultants, voir gloton°.
Évolution : encore employé jusqu’au XVIIe s. – en parallèle, en MF, avec les
formes ribler et ribleur (« se livrer à la débauche » et « débauché ») –, le
terme apparaît ensuite vieilli et littéraire, en dépit d’une brève résurrection
du paradigme au XVIIIe et XIXe s. dans riboter (autre forme de ribauder), «
faire la noce, mener joyeuse vie », et ribote.

Riche
Origine : du francique *rîki, « puissant ».
Ancien français : l’adj. (substantivé dès l’AF) riche (XIe s.) conserve
d’abord son sens étymologique de (1) « puissant, considérable », dans une
acception large qui peut être aussi bien militaire (d’où le sens de « fort,
vaillant ») que politique, économique, sociale, morale, etc., d’où le sens
mélioratif assez vague de « noble, excellent » (ex. : riche visage, riche
parole, riche cuer, etc.). Puis, par spécialisation (la puissance impliquant
d’abord la richesse), l’adj. prend le sens de (2) « qui possède de grands
biens », « riche, prospère », par opposition à povre (en parlant d’une
personne, d’une ville, d’un pays, etc.), et « coûteux, précieux,
somptueux », en parlant d’un objet (ex. : riche mantel, riche feste). Mais
dans bien des cas (ex. : riche baron, riche chastel) la distinction entre le
sens 1 et le sens 2 n’est pas toujours nette, et ne s’impose d’ailleurs pas.
Paradigme morphologique : plutôt que le v. richir, fort rare, on retiendra
le dérivé enrichir (à distinguer de richoier, « (se) vanter ») et le subs.
richece (qui évince dès l’AF d’autres formes comme richeté ou richoise),
dont les sens, en lien avec l’adj., sont assez variés (« puissance », «
noblesse », « richesse » ou « faste, luxe »).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer dru°, fort°, plenier
(voir plain°) ou poissant ; dans le sens de « riche, prospère », manant (voir
manoir°) ; dans le sens de « coûteux, précieux », chier°.
Évolution : à partir du MF, riche perd ses acceptions étymologiques liées à
la notion de puissance pour se limiter à celles de richesse et de prospérité ;
dans ce sens, riche s’emploie surtout pour qualifier une personne ou une
collectivité, plus rarement un objet, sinon dans les expressions riche en /
de ou au figuré (une langue riche, une riche idée, etc.). Le paradigme ne
s’est guère étendu (notons enrichissement au XVIe s.) mais développe ses
emplois figurés à partir du XVIe s., avec par exemple enrichissant, employé
comme adj. à partir du XIXe s.

Rien
Origine : du latin rem, « chose » au sens le plus large (« objet, être, acte,
affaire, événement », etc.), d’où souvent la présence d’un déterminant qui
en précise le sens (ex. : res publica, « les affaires publiques, la vie
politique », res rustica, « l’agriculture »).
Ancien français : comme en latin, rien (XIe s.) peut être employé comme
subs., dans le sens général et indéterminé de « chose » (ex. : tute rien turne
en declin, tut chiet, tut moert, tut trait a fin) ou de « personne, être,
créature » (ex. : je suis une cheitive, la plus dolente riens qui vive), sens
positif donc, même si le terme apparaît le plus fréquemment en contexte
négatif (ou hypothétique, interrogatif, etc.). À cause de son
indétermination, rien en vient à être employé comme pronom indéfini,
dans le sens de « quelque chose, quoi que ce soit » (en contexte positif ou
négatif, d’où la possibilité de traduire par « rien » dans ce dernier cas) et,
exceptionnellement, « rien », sans être accompagné d’une négation (ex. :
estez, iluec por rien venez, car ja par mei n’i passerez).
Notons en outre que l’emploi adverbial de rien (ou riens), beaucoup plus
rare, est également possible, dans le sens d’« en quoi que ce soit », « en
rien », là encore essentiellement en contexte négatif (ex. : sans lui ne prise
riens sa vie).
En AF, le terme rien se trouve donc, par rapport au latin (subs. de sens
positif) et au FM (pronom de sens négatif), en position intermédiaire,
affecté à des degrés variables de positivité et de négativité.
Paradigme morphologique : aucun.
Paradigme sémantique : le plus proche synonyme de rien est chose°, à
entendre à la fois dans le sens de « personne, être » (voir aussi persone°) et
dans celui de « chose » ; à l’inverse, noiant (subs., pronom et adv.,
probablement d’un latin tardif lexicalisé *ne gentem, « pas un être
vivant »), qui a donné néant en FM, prend en AF, avec ou sans négation, le
sens exclusivement négatif de « rien » ou « en rien ».
Évolution : à partir du MF, rien n’est progressivement plus employé que
comme pronom (même s’il peut encore être substantivé ; cf. un rien, le
rien) avec le sens exclusivement négatif, quel que soit le contexte, de «
nulle chose, rien », et perd en même temps la possibilité de référer à une
personne. Le sens de « quoi que ce soit » peut néanmoins subsister dans
les tournures hypothétiques ou interrogatives (ex. : y a-t-il rien que l’on
puisse faire ?).
Robe
Origine : emprunt (XIIe s.) au germanique *rauba, « butin ».
Ancien français : conformément à son étymologie, le terme signifie
d’abord (1) « butin, dépouille de guerre » et parfois, par extension, toute
espèce de possession, de « bien (meuble) » ; puis, probablement par
métonymie (le butin pouvant être constitué de vêtements plus ou moins
précieux), robe en vient à désigner un (2) « habit, vêtement » et, plus
précisément, un « vêtement long et ample », porté aussi bien par les
hommes que par les femmes.
Paradigme morphologique : on peut citer robeor, « pillard, voleur »
(synonyme moins usuel de larron) ; roberie, « vol, pillage » ; rober, «
piller, saccager, dévaster », « dépouiller, voler », sens partagés pour
l’essentiel par le dérivé desrober (même si on peut le rencontrer dans le
sens d’« ôter la robe ») ; pour d’autres v. signifiant « voler », voir embler°.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut renvoyer à proie (voir
proier°) ; dans le sens 2, voir drap°.
Évolution : à partir du XVIe s., subs. et v. connaissent un sort différent. D’un
côté, robe perd tout lien avec l’idée de vol et voit même ses sens se
restreindre, dans le domaine de l’habillement (sauf dans le composé garde-
robe), suivant sa spécialisation dès l’époque médiévale, soit à un vêtement
féminin, soit au costume caractéristique d’une profession (magistrats,
avocats, professeurs) ; le sème général du vêtement se maintient
néanmoins dans des emplois métaphoriques (ex. : la robe d’un cheval) ou
dans le v. enrober (attesté au MA mais rare et repris seulement au XIXe s.
dans le sens d’« envelopper »). De l’autre, le sens de « voler » et, plus
précisément, de « voler furtivement » ne subsiste que dans le composé
dérober, qui a aussi donné à la dérobée (XVIe s.) ou dérobade (attestation
isolée au XVIe s., repris au XIXe s.).

Roman
Origine : du latin populaire romanice (tardivement attesté au XIe s.), adv.
formé (sur le modèle du latin latine, « en latin ») sur l’adj. romanicus et
signifiant « en langue populaire, vulgaire », substantivé peut-être par
confusion avec un complément d’objet direct dans des tournures du type
romanice loqui.
Ancien français : roman (XIIe s., surtout employé comme subs., parfois
comme adj. ou adv.) sert à désigner la (1) « langue romane, vulgaire », par
opposition au latin, mais aussi la « langue française », par opposition à
d’autres langues vulgaires ; par métonymie, le terme réfère à tout (2) «
propos, discours » tenu dans cette langue et, plus spécialement, à tout (3) «
récit en langue vulgaire », en vers ou en prose. Dès le MA cependant, en
dépit d’emplois qui n’ont rien de systématique, le terme roman tend à
désigner un genre littéraire caractérisé par une forme (d’abord
l’octosyllabe, puis la prose), un contenu (sujet lié au cycle arthurien ou à
l’Antiquité notamment, quoique sans distinction bien nette entre fiction et
histoire) et aussi par les circonstances de son apparition, dans la mesure où
ce qu’on appelle aujourd’hui le roman médiéval trouve ses origines dans
des textes latins (par exemple l’Énéide de Virgile) translatés ou mis en
roman, c’est-à-dire « traduits en français », ce qui les distingue notamment,
au départ du moins, de la chanson de geste°.
Paradigme morphologique : on peut citer le subs. romanceor / romancier,
« écrivain (en langue vulgaire) », et le v. romancier, « raconter, écrire (en
langue vulgaire) ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, notons latin, « langue latine », «
langue étrangère » mais aussi « parole, discours » ; dans le sens 2, parole
(voir parler°) ou raison° ; dans le sens 3, conte (voir conter°), escrit,
estoire (« récit, histoire » et, plus particulièrement, « récit écrit,
véridique » : voir geste°) ou encore, par synecdoque, livre.
Évolution : suite à une évolution amorcée au MA (impliquant notamment
une meilleure conscience des différences linguistiques mais aussi littéraires),
le subs. roman perd progressivement toute relation avec la notion de langue
(sauf dans certains dérivés récents appartenant au vocabulaire de la
linguistique, comme romaniste ou romanistique, à ne pas confondre avec les
dérivés de romain), pour ne plus désigner qu’un genre littéraire dont la
définition a d’ailleurs varié au cours des siècles ; c’est à ce dernier sens qu’il
faut rattacher des termes comme romancer, romancier ou romanesque (XVIIe
s., d’après l’italien). Enfin, employé comme adj., roman conserve une
acception linguistique (notamment dans l’appellation langues romanes,
c’est-à-dire issues du latin) mais s’est surtout spécialisé en histoire de l’art à
partir du XIXe s.

Route
Origine : les origines du subs. route (XIIe s.), avec ses deux sens bien
différenciés en AF, ne sont pas très claires. Il pourrait s’agir de deux
substantivations parallèles d’une même forme en latin populaire, *ruptam
(participe passé fém. sing. du v. rumpere, « rompre, briser »), la première,
pour le sens de « route », à rattacher peut-être à l’expression rumpere
viam, « ouvrir une voie » (d’où un hypothétique *(viam) ruptam), la
seconde, pour celui de « troupe », posant des problèmes plus difficiles à
résoudre.
Ancien français : le terme prend donc deux sens bien différents, difficiles à
relier l’un avec l’autre ; on trouve d’un côté celui de (1) « route, voie,
chemin », au sens propre comme au figuré ; de l’autre, peut-être par une
relation d’effet à cause, la « route » étant envisagée comme les « traces »,
la « piste » laissées par une troupe (en déplacement), celui de (2) « troupe,
groupe », référant en général à des humains (parfois à des animaux, voire à
des objets).
Paradigme morphologique : routier (subs. et adj.) conjoint les deux sens
de route, en désignant à la fois un « soldat irrégulier », un « mercenaire
(dans une troupe, une bande) » et un « voleur de grand chemin » ; le terme
a été repris au XVIIIe s. pour désigner un « conducteur sur route » et, plus
précisément aujourd’hui, un « conducteur de poids lourds sur longue
distance » ; l’adj., attesté dès l’AF, n’est guère usité avant le XIXe s. En ce
qui concerne les v., router est rare mais on rencontre arouter, « mettre en
route » et « rassembler », ainsi que desrouter, « disperser, mettre en
déroute ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir voie° ; dans le sens 2, outre
divers synonymes employés dans un contexte proprement militaire (voir
bataille°), on retiendra surtout compaignie (voir compaignon°), flote (il
s’agit en fait de deux subs. en AF, l’un issu de l’ancien scandinave floti,
dans le sens de « flotte, ensemble de navires », l’autre du latin fluctum, dans
le sens de « troupe, foule ») ou trope (et ses divers dérivés, comme tropé ou
tropel), « troupe, troupeau » (notons que troupe se distingue formellement
de troupeau à partir du XVe s. et, pour le sens, à partir du XVIIe s., troupeau
cessant de pouvoir référer à des humains).
Évolution : si, au XVIe s., on trouve encore route dans tous ses sens
médiévaux (et même dans celui de « déroute »), le subs. se limite ensuite à
celui de « voie, chemin », auquel reste attaché en FM l’essentiel du
paradigme (y compris dans l’acception uniquement figurée du dérivé
routine, XVIe s.). Le sème de la troupe subsiste néanmoins aujourd’hui dans
deux subs. : déroute (XVIe s., déverbal de desrouter), « fuite désordonnée
de troupes prises de panique ou vaincues » (au figuré, « catastrophe ») et
le peu usité raout (XVIIIe s., réemprunté à l’anglais), « grande réception
mondaine ».
S

Sage
Origine : du latin populaire *sapium (mais nesapius, « imbécile, ignorant »,
est attesté chez Pétrone), altération du latin sapidus, « savoureux, goûteux »
(le terme a donné en FM insipide et sapide) et au figuré, en latin tardif, «
sage, prudent ». L’adj. dérive du v. sapere, « avoir du goût » et, au figuré, «
avoir du jugement, de l’intelligence, être sage ».
Ancien français : l’adj. sage (XIe s.), d’extension sémantique plus large
qu’en FM, est à entendre au sens général de « qui sait, savant », avec des
variations en fonction des domaines auxquels il s’applique. Dans son
acception intellectuelle, il prend le sens de (1) « savant, instruit » (ex. : un
clerc sage d’astrenomie) et de « réfléchi, avisé, intelligent » (antonyme :
fol°) ; selon une orientation plus morale ou psychologique, celui de (2) «
raisonnable, pondéré, mesuré » (d’où le vers fameux de la Chanson de
Roland : Rollanz est pruz e Oliviers est sages) voire, dans le domaine
social, « aimable, poli, distingué ». Ainsi, faute d’un contexte
suffisamment explicite (ex. : li rois ot fame bele et sage), le sens de sage
n’est pas toujours évident à préciser, sinon qu’il prend une valeur très
nettement méliorative, un peu comme gent / gentil° ou cortois°.
Paradigme morphologique : il est peu développé, avec assagir (rare en
AF), « rendre sage », ou sagece / sageté. Notons par ailleurs que sapidum
a également donné en AF l’adj. sade (XIIIe s.), « savoureux » et, au figuré,
« doux, gracieux, charmant » (sorti d’usage à partir du XVIe s., il est resté
en FM dans maussade).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on trouve de nombreux termes,
souvent plus ou moins associés à la notion de ruse, dont apensé (voir
penser°), avisé (voir aviser°), engigneus (voir engin°), sené (voir sen /
sens°) ou sotil (du latin subtilem), auxquels on peut encore ajouter cointe°
; dans le sens 2, on peut citer raisnable (voir raison°), et, plus largement,
renvoyer à bel°.
Évolution : à la fin du MA, l’extension sémantique du terme se réduit
progressi-vement, sage se limitant essentiellement, à partir du XVIIe s.
(quoique pour Furetière « sage signifie quelquefois habile, sçavant »), au
sens moral de « réfléchi, modéré, mesuré » (d’où, à propos de choses,
l’acception péjorative de « qui manque de hardiesse, d’originalité ») ou
bien de « docile, calme », à propos d’un enfant ou d’un animal. On
rencontre quand même quelques exceptions, comme sage-femme, attesté
dès le XIIIe s, où subsiste le sème du savoir.

Saillir
Origine : du latin salire, « sauter, bondir, jaillir » et spécialement « saillir »,
au sens de « couvrir la femelle », « s’accoupler », en parlant d’un animal.
Ancien français : saillir / salir (XIe s.) conserve ses acceptions latines de «
sauter, bondir, jaillir », d’où les sens plus précis d’« attaquer, assaillir »
(sens passé rapidement au dérivé assaillir), de « sortir », de « faire saillie »
(XIIIe s.) en parlant d’un objet (ex. : une tournele d’angle qui sailloit plus
avant que les autres) mais aussi, comme en latin, de « couvrir la femelle ».
Paradigme morphologique : outre le subs. saillie, « sortie, attaque », on
retiendra surtout les v. dérivés assaillir, « attaquer » (même sème dans les
dérivés assaut, assaillie et assaillant), et tressaillir, « sauter », « franchir
en sautant », « traverser » (d’où, au figuré, « dépasser, transgresser »), v.
déjà employé spécifiquement pour référer à un mouvement lié à une cause
psychologique, d’où « s’agiter, sursauter », « frémir, tembler », «
palpiter » en parlant du cœur.
Paradigme sémantique : on peut citer, même si ce ne sont pas vraiment
des synonymes de saillir, les v. bondir (parfois dans le même sens qu’en
FM, mais surtout « retentir » en AF) et issir° (dans le sens de « sortir »).
Évolution : à partir du XVIe s., le terme sort progressivement d’usage dans
son sens général, concurrencé par jaillir (réfection au XVIe s. de jalir, «
plonger, abattre, jeter » en AF) et surtout par sauter (du latin saltare,
intensif de salire, très rare avant le XVIe s.), d’autant plus que certaines
formes conjuguées des deux v. se confondent. Ainsi, en FM, le sens du v.
se limite pour l’essentiel à deux acceptions spécialisées, celle de « faire
saillie, avancer en faisant un relief » (d’où l’adj. saillant, avec des emplois
au propre ou au figuré) et celle de « couvrir la femelle », toujours en
usage. Il en va de même pour le dérivé tressaillir, dont le champ
sémantique s’est nettement réduit (en FM, le v. signifie seulement,
employé intransitivement, « frémir, sursauter »), au contraire d’assaillir,
qui reste d’usage courant.
Par ailleurs, vieilli dans le sens d’« impulsion, élan », le subs. saillie reste
employé dans certaines acceptions spécifiques, notamment celles de « trait
d’esprit » et d’« accouplement des animaux domestiques pour la
reproduction », où l’on retrouve l’un des sens spécialisés du v.

Seignor
Origine : du latin senior / seniorem (comparatif de l’adj. senex, par ailleurs
dépourvu de superlatif), « plus âgé, aîné, vieillard », d’où « respectable,
honorable » ; souvent employé comme subs. dès le latin, le terme finit par
prendre en latin tardif le sens de « notable, chef », supplantant ainsi le subs.
dominus dans le sens de « maître, chef ».
Ancien français : le terme seignor (XIe s., sire au cas sujet singulier et
parfois sieur au cas régime) désigne le « maître », le « seigneur » qui
exerce son autorité sur d’autres personnes placées sous sa dépendance, en
particulier dans trois domaines, le domaine conjugal et familial (seignor
équivalant alors à mari, espous ou baron°), le domaine féodal (seignor
s’opposant à home° ou vassal° ; en ce sens, il peut aussi servir à désigner
un roi, d’où la possible traduction de l’appellatif sire par « sire » en FM) et
enfin le domaine religieux (cf. nostre Seignor, c’est-à-dire Dieu). En outre,
accompagné ou non d’un article possessif (ex. : mes sire, mon seignor), il
sert d’appellatif honorifique.
Paradigme morphologique : parmi de nombreux dérivés, on peut retenir
seignorage / seignorance / seignorie, « autorité, domination, pouvoir,
règne », « grandeur, noblesse, majesté » et parfois « possessions, terres » ;
seignoré / seignori / seignoril, « seigneurial, digne d’un seigneur », d’où
un sens mélioratif assez vague (« noble, excellent, important ») ; seignorer
/ seignorier / seignorir, « gouverner, commander, dominer », parfois «
récompenser, traiter en seigneur ».
Paradigme sémantique : outre les termes déjà évoqués ci-dessus, on peut
citer chastelain (voir chastel°) ; dant (du latin dominum : voir dame°), «
maître, seigneur », le terme étant essentiellement employé avec une valeur
d’adresse ; ou encore maistre°, mais ce terme, à la différence de seignor,
associe le plus souvent à la notion d’autorité celle de compétence ou de
savoir. Voir aussi chevalier°.
Évolution : après disparition de la déclinaison, les différentes formes du
subs., parfois accompagnées de l’article possessif et lexicalisées,
connaissent une évolution distincte. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime
seigneur sert à désigner un « personnage noble, de haut rang » et
s’emploie encore aujourd’hui en contexte religieux ou de façon
métaphorique (ex. : vivre en grand seigneur, XVIIe s.) ; quant à
monseigneur (encore utilisé comme terme d’adresse aux évêques), sire /
messire et sieur / monsieur (d’abord réservé aux nobles, étendu à tout
homme à partir du XXe s.), ils forment une série d’appellatifs pour certains
encore en usage, pour d’autres vieillis ou disparus.

Sembler / Semblant
Origine : du latin tardif similare, « ressembler, être semblable », v. dérivé
de l’adj. similis, « ressemblant, semblable, pareil » (qui a également donné
simulare en latin, d’où le FM simuler et ses dérivés).
Ancien français : le v. sembler (XIe s.) conserve ses acceptions latines «
ressembler, être semblable » et « sembler, paraître, avoir l’apparence de »,
étant dans ce dernier sens souvent employé en tournure impersonnelle,
comme ce / il me semble (que). Parallèlement, le participe présent
substantivé semblant (XIe s. également) peut prendre le sens de «
ressemblance » et surtout celui d’« apparence, aspect », « manière d’être /
de faire, attitude, comportement » (voire « façon de penser, avis »), le
terme n’opérant aucune distinction, en dehors du contexte, entre apparence
véridique et trompeuse (ainsi faire / montrer semblant de / que signifie
aussi bien « montrer, manifester » que « faire semblant, feindre »).
Paradigme morphologique : comme semblant, le subs. semblance renvoie
à la fois aux notions de ressemblance et d’apparence ; quant à ressembler
(ressemblance est attesté seulement au XIIIe s.), il a d’abord les mêmes sens
que le v. simple avant de se spécialiser à partir du XVe s. dans son acception
actuelle.
Paradigme sémantique : pour le v., on peut citer aparoir / paroir, plutôt
dans le sens de « devenir visible, faire son apparition » mais aussi «
sembler, paraître » (notons que le radical de ces formes, qui seront
évincées en MF par apparaistre / paraistre, subsiste en FM dans apparent
et apparemment) ; voir aussi feindre°. Pour le subs., outre semblance, voir
guise° ou figure dans le sens d’« apparence ».
Évolution : à partir du XVIe s., une distribution des sens se met en place entre
les différentes branches du paradigme, établissant une distinction entre ce qui
relève de la ressemblance, avec ressembler et ses dérivés ; de l’apparence,
avec sembler, v. auquel ne correspond en propre aucun subs., sinon
apparence (XIIIe s., emprunté au latin), semblance étant sorti d’usage au XVIIe
s. et semblant ayant vu ses sens se restreindre ; et de l’apparence trompeuse,
avec semblant justement, le subs. n’étant presque plus employé, sinon dans
l’expression faire semblant et le composé faux-semblant.

Semondre
Origine : du latin populaire *submonere (avec le e de -ere bref) pour le
latin submonere (avec le e long), au départ avec le sens précis d’« avertir
en secret » (dérivé de monere, « avertir », « engager, exhorter à »). Le
dérivé a dû tardivement supplanter le v. simple, sans postérité en AF, en
reprenant les mêmes acceptions.
Ancien français : le v. semondre (XIe s.) prend principalement deux sens (en
rapport direct avec monere), (1) « inviter, exhorter à, sommer de » (avec la
construction semondre qqn. de qqch.) ; (2) « appeler (à venir), inviter,
convoquer » (en général pour rassembler un grand nombre de personnes,
comme dans semondre l’ost par exemple).
Paradigme morphologique : on ne peut guère citer que semonse, «
exhortation, invitation, convocation », qui a donné le v. semonser, rare en
AF mais encore attesté en FM.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir movoir° ou, avec un sens plus
fort, comander° ; dans le sens 2, on peut noter apeler, banir (voir ban°),
mander°.
Évolution : le v. reste encore usuel au XVIe s. (dans le sens d’« inviter,
inviter à » mais aussi d’« avertir ») puis sort peu à peu d’usage au XVIIe s.,
contrairement à semonce, encore employé seul, dans le sens d’«
avertissement sous forme de reproche » ou dans l’expression coup de
semonce (XIXe s.), qui appartient au départ au vocabulaire de la marine et
désigne le « coup de canon tiré pour enjoindre un navire de montrer ses
couleurs ».

Sen / Sens
Origine : au départ il s’agit de deux subs. distincts, le premier venant du
germanique *sinno, « direction », d’où par métaphore « bonne orientation
(de pensée), bon sens, intelligence » (voir l’allemand Sinn) ; le second, du
latin sensum, terme s’appliquant à la fois au domaine sensoriel («
sensation, sens »), affectif (« sentiment ») et intellectuel (« manière de
penser, faculté de penser, intelligence »).
Ancien français : très proches morphologiquement et sémantiquement, sen
(XIIe s.) et sens (XIe s.) s’emploient à peu près indifféremment avec le sens
de (1) « faculté de percevoir des impressions sensibles, sensation, sens »
(renvoyant au domaine sensoriel) ; de (2) « faculté de juger, bon sens,
sagesse, intelligence », d’où aussi « manière de penser, avis » (renvoyant
au domaine intellectuel) ; et enfin, avec le sens spatial de (3) « sens,
direction », au propre comme au figuré (s’agissant par exemple du «
sens » ou de la « signification » d’un mot ou d’un texte).
Paradigme morphologique : on peut distinguer cette fois entre le
paradigme correspondant à sens, qui comprend par exemple le v. sentir
(avec une large extension sémantique, proche du FM), les adj. sensible et
sensif (« sensible, sensitif », « intelligent ») ou le subs. sentement («
sensation, sentiment », « entendement ») ; et, d’autre part, le paradigme
correspondant à sen, avec l’adj. sené, « avisé, sage », par opposition à
forsené (« fou, furieux », littéralement « hors de son bon sens ») ou le v.
assener (probablement croisé avec le latin assignare), très polysémique
mais dont la plupart des acceptions peut être rattachée à l’idée de donner ou
prendre telle ou telle direction, d’où le sens, dès l’AF, de « donner avec
force (un coup) ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on ne peut guère citer que le dérivé
sentement ; dans le sens 2, voir escient (du latin sciente, « sachant », à
partir de tournures comme me / te sciente ; le terme ne subsiste en FM que
dans l’expression à bon / mauvais escient), « intelligence, raison, sagesse »
mais aussi « avis, opinion », ou encore raison°, voire engin° ou sagece
(voir sage°) ; dans le sens 3, voir voie° et senefiance, « signification », mais
aussi « signe » ou « explication ».
Évolution : à partir de la fin du MA, sens l’emporte définitivement sur sen,
comme en témoigne la réfection de sené en sensé au XVIe s., avec des
acceptions qui restent proches de celles déjà acquises en AF ; les sens 1
(en relation avec sentir et sensation) et 3 (notamment dans le domaine de
la circulation routière, avec sens interdit, sens unique, etc.) restent
particulièrement vivants, tandis que le sens 2, le plus important en AF, ne
subsiste guère que dans des locutions comme bon sens, sens commun, à
mon sens, etc.

Seoir
Origine : du latin sedere, « être assis », « séjourner, demeurer » en parlant
de personnes, « être fixé, stable » en parlant de choses.
Ancien français : le v. seoir (XIIe s.) conserve ses acceptions latines (1) «
être assis, s’asseoir » et (2) « séjourner, demeurer » en parlant d’un être
humain, « se trouver » en parlant d’un objet (ex. : de l’autre part de l’eve
sist uns chastiaus), d’où, en particulier, à propos d’un vêtement ou d’une
arme, « se trouver, aller (bien) à qqn. » (ex. : le hiaume lace, qui mout bien
li siet). C’est ainsi qu’on en vient probablement au sens, en tournure
impersonnelle, de (3) « convenir, plaire » (ex. : si feroiz, dame, s’il vos
siet).
Paradigme morphologique : le participe présent seant, en général au
figuré avec l’adv. bien, prend le sens de « convenable, bien fait », mais se
rencontre aussi au propre dans les locutions en / sur (son) seant, désignant
la position assise, que l’on prend ou que l’on quitte ; citons aussi les v.
asseoir, « (s’)asseoir », « assiéger », « placer, poser, disposer, établir », ou
desseoir et messeoir, « nuire, desservir », « déplaire ».
Paradigme sémantique : dans le sens 2, voir manoir° ; dans le sens 3, voir
loisir° ou plaisir°.
Évolution : considéré comme vieilli au XVIIe s. (et de conjugaison difficile),
le v. simple, remplacé dans son sens propre par (s’)asseoir, n’est quasiment
plus employé aujourd’hui, sauf en tournure impersonnelle ou sous la forme
du participe passé adjectivé sis. En revanche, un certain nombre de dérivés
restent d’usage plus ou moins courant, tels séance (dans le sens de «
réunion » à partir du XIVe s.) et préséance (XVIe s.), séant (remplacé au sens
de « qui va bien » par seyant au XIXe s.), bienséant et malséant (XVIe s.),
surseoir et sursis (attestés dès le XIIIe s. mais rares), etc.

Serf
Origine : du latin servum, « esclave » (subs. et adj., par opposition à liber).
Ancien français : en passant du cadre antique au cadre médiéval, serf
(subs. également employé comme adj.), attesté au XIe s., ne désigne plus
exactement un « esclave » mais un « serf » (même si la réalité n’est pas
forcément bien différente), c’est-à-dire une « personne non libre, attachée
à une terre et soumise au pouvoir du seigneur auquel cette terre
appartient » ; en dehors de ce sens particulier, le terme peut prendre
l’acception générale de « serviteur », équivalent dans ce cas à serjant° ou à
certains dérivés de servir°.
Paradigme morphologique : on peut citer servage / serveté, « servage
(condition de serf), servitude, esclavage », au propre comme au figuré ;
servaille, « troupe de serfs » ; asserver, « réduire à l’état de serf, asservir ».
Voir aussi le paradigme de servir°.
Paradigme sémantique : outre serjant° et certains dérivés de servir°, voir
vilain° et le subs. masc. culvert / cuivert (XIIe s., du latin populaire
*collibertum, dérivé du latin libertum, « esclave qui a reçu la liberté,
affranchi »), dans le sens de « serf » et, plus généralement, d’« homme de
basse extraction », qui devient par extension un qualificatif insultant («
lâche », « vil » comme adj., « coquin », « crapule » comme subs.).
Évolution : quelques emplois figurés de serf sont encore attestés après le
MA, mais aujourd’hui le mot n’appartient plus qu’au vocabulaire
historique, à la différence de servage (littéraire, dans le sens de «
servitude ») et surtout d’asservir et ses dérivés, encore vivants. Pour les
autres termes appartenant au même paradigme latin et qui subsistent en
FM, voir servir°.

Serjant
Origine : du latin servientem, participe présent substantivé du v. servire
(qui a donné servir°) désignant en latin médiéval un homme au service
d’un seigneur, un « serviteur » ou un « officier ».
Ancien français : le subs. serjant (XIe s.) sert à désigner, de façon générale,
tout (1) « homme exerçant un service, un office sous la dépendance d’un
maître », un « serviteur » ou un « officier », au statut plus ou moins élevé
mais en général intermédiaire entre les plus humbles (garçon° ou serf°) et
les plus élevés (par exemple conestable / mareschal / seneschal°). En
outre, dans une acception spécifiquement militaire, fréquente, le terme
s’applique à un (2) « homme d’armes », un « soldat », qui se déplace à
pied (par opposition au chevalier°) et n’est pas pourvu d’un armement
spécifique (par opposition par exemple à l’arbalestrier ou à l’archier).
Paradigme morphologique : on ne citera guère que serjanterie / serjantie /
serjantise, « service, office » (serjanterie pouvant aussi désigner une «
troupe de soldats »).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir les subs. dérivés de servir°,
ministre / menestrel° et, dans une moindre mesure, vaslet° (le terme
pouvant s’appliquer à un noble) ou garçon° (aux connotations nettement
péjoratives, ce qui n’est pas le cas de serjant) ; dans le sens précis de «
soldat », on peut citer le syntagme gent a / de pié ou bien pietaille,
toujours par opposition à chevalier°.
Évolution : à la fin du MA, le sergent est un fonctionnaire public (dans ce
sens il est concurrencé à partir du XIVe s. par officier et, à partir du XVIIIe s.,
par fonctionnaire), dont les charges peuvent être diverses mais se
restreignent d’abord au XVIIe s. à l’armée et à la police, puis, suite à la
disparition des sergents de ville au XIXe s., à la seule armée, le terme
désignant aujourd’hui le grade le plus bas dans la hiérarchie des sous-
officiers, situé entre le caporal et l’adjudant.

Servir
Origine : du latin servire, au sens premier « être esclave (servus), vivre
dans la servitude » mais aussi « être soumis à, dévoué à ».
Ancien français : dans le cadre médiéval, le v. servir (Xe s.) ne conserve pas
exactement son acception étymologique (qui subsiste beaucoup plus
nettement dans serf°, issu de servum), mais signifie plus généralement, en
emploi transitif ou avec la préposition a, (1) « être dévoué à, être au service
de qqn. », « accomplir un service, servir », aussi bien dans le domaine
féodal (servir son seignor, pour un vassal°, c’est s’acquitter de ses
différentes obligations envers lui, et notamment du servise d’ost, d’où
l’emploi intransitif du v. au sens d’« être soldat ») que dans un contexte
religieux (servir Dieu, c’est « servir la messe ») ou dans celui du repas («
faire le service », en emploi intransitif) ; avec la préposition de, le verbe
signifie plus particulièrement (2) « s’acquitter au moyen de », « payer de »
en mauvaise part (ex. : servir de mensonges), d’où, plutôt avec un sujet
inanimé, « servir à, être utile à ».
Paradigme morphologique : parmi un paradigme fort riche, on retiendra
les subs. servant / serveor / servitor (ces deux dernières formes étant
issues du même latin tardif servitor, la première par évolution phonétique,
la seconde par emprunt au XIe s.), au sens de « serviteur », ce qui en fait les
synonymes de serjant° ; confondus en AF, ces termes connaissent
aujourd’hui des emplois différenciés et spécialisés (le premier pouvant
également être employé comme adj., par exemple dans l’expression
chevalier servant). On ajoutera également : servise, « service, activité de
servir, obligations dues à un maître », en particulier dans les domaines
religieux (le servise (Dieu), c’est la « messe » ou le « service funèbre ») ou
féodal, et dans le cadre du repas (le terme désignant alors le « fait de servir
à table » et l’« ensemble des plats servis au cours d’un repas ») ; servitude
(on peut rencontrer les formes servitume et servitute), « servitude, état de
dépendance » mais aussi « obligation liée à un état de dépendance » (sens
conservé aujourd’hui en langage juridique) ; enfin, servisable / serviable,
qui ont le même sens qu’en FM. Notons pour finir les deux v. homonymes,
à ne pas confondre, desservir (du latin deservire, avec préfixe intensif), «
servir avec zèle », d’où « mériter », par un service rendu (voir l’anglais to
deserve), et « récompenser, rétribuer » (en FM le v. reste surtout employé
dans le sens de « faire le service d’un lieu », en parlant d’une voie de
communication ou d’un moyen de transport) et desservir (XIVe s., dérivé de
servir avec préfixe privatif), avec les deux sens précis (conservés en FM)
de « débarrasser une table » et de « rendre un mauvais service ».
Paradigme sémantique : pour le sens 1, on peut citer obeir, « obéir » mais
aussi « servir » ; pour le sens 2, voir mestier° ou encore le v. monter, qui
peut vouloir dire « servir, être utile », emploi figuré spécifique à l’AF à
côté des autres sens attendus du v.
Évolution : le v. simple, comme le subs. service, conserve aujourd’hui la
plupart de ses sens acquis dès le MA, ainsi qu’une gamme d’emplois très
variés ; quant au paradigme, il connaît l’essentiel de ses derniers
développements en MF, notamment avec servile (emprunté au latin) et ses
dérivés, serviette (au départ, « pièce de linge dont on se sert à table »),
dessert (« dernier service d’un repas ») ou desserte (doublement spécialisé
en FM dans le vocabulaire du mobilier et des communications, d’après les
deux v. desservir).

Seür
Origine : du latin securum, « tranquille, paisible », « sûr, en sécurité » ;
l’adj. latin est composé de la particule privative archaïque se et de cura,
d’où, littéralement, « sans souci ».
Ancien français : les acceptions de l’adj. seür (XIe s.) se regroupent autour
de trois notions, celle de sécurité, avec le sens de (1) « sûr, sans danger »
pour un lieu, « en sûreté / sécurité » pour une personne (d’où la locution a
seür, « en sécurité », parfois prise pour un adj., asseür) ; celle d’assurance,
de confiance, avec le sens de (2) « sûr, assuré, confiant », voire « vaillant »
en contexte guerrier ; celle de certitude, dans le sens de (3) « sûr, certain ».
Paradigme morphologique : on peut retenir asseürer, « tranquilliser,
donner de l’assurance », « garantir, certifier, assurer » et, en tournure
pronominale, « avoir confiance en, se fier à », ainsi que son dérivé
rasseürer (XIIe s., avec préfixe itératif), proche par le sens, qui signifie
littéralement « donner de nouveau de l’assurance », d’où « rassurer ». Voir
également seürance / seürtance / seürté, « sécurité, sûreté », « assurance,
garantie », « certitude » (sans qu’il y ait de différence bien nette entre les
trois subs.).
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer, à défaut de véritable
synonyme, quite / coi° ; dans le sens 2, feable (voir foi°), loial (du latin
legalem), ces deux termes signifiant également « fidèle, loyal », auxquels
on peut ajouter hardi° pour le sens de « vaillant » ; dans le sens 3, cert /
certain (du latin certum).
Évolution : seür (sûr à partir du XVIIIe s.) conserve en FM l’essentiel de ses
acceptions acquises dès l’AF. Pour ce qui est des subs., en revanche, les
différentes orientations du champ sémantique se répartissent entre sécurité
(doublet savant de sûreté, emprunté au latin au XIIe s. mais rare avant le
XVIIIe s.) pour la notion de sécurité, et assurance pour celle de confiance et
de certitude ; sûreté, aujourd’hui moins employé, reste à cheval entre les
deux (cf. mettre en sûreté mais la sûreté d’un choix).

Siecle
Origine : du latin saeculum, « génération », d’où « durée d’une génération
humaine », « époque, période », voire « longue période », notamment «
période de cent ans » ; à partir du sens d’« époque, période (présente) », le
terme prend en latin chrétien le sens de « vie mondaine, monde ».
Ancien français : empruntant ses acceptions au latin chrétien, le subs.
siecle (Xe s.) n’a pas d’abord une signification durative, ni même
temporelle. Avec un sens non duratif, il sert à désigner de façon générale
la (1) « période », l’« époque », le « temps présent ». D’où, en perdant
presque toute valeur temporelle, le sens de (2) « monde » et de « vie
mondaine », avec en général des connotations religieuses, le siecle
désignant la « vie terrestre » par opposition à la vie éternelle (d’où les
expressions trespasser le siecle ou partir du siecle, « quitter la vie
terrestre », c’est-à-dire « mourir ») ou la « vie laïque » par opposition à la
vie religieuse (dont les valeurs, à la différence de celles du monde, sont
éternelles). Enfin, à partir du XIIIe s. seulement, on rencontre aussi des
acceptions temporelles et duratives, beaucoup plus rares en AF, par retour
au sens étymologique de (3) « longue période » ; le subs. a alors une
valeur soit indéterminée (« très longue période »), soit déterminée («
période de cent ans » et, plus précisément, « période de cent ans
considérée comme formant une unité historique »).
Paradigme morphologique : notons l’adj. seculer / seculier (seculaire est
plus rare), « qui vit dans le siècle » ; à partir du XVIe s., séculaire se
distingue de séculier, le premier étant le seul à garder un sens temporel,
d’abord déterminé, puis indéterminé à partir du XIXe s. (ex. : une tradition
séculaire, c’est-à-dire « très ancienne » et non pas « vieille de cent ans »),
le second continuant de s’employer pour désigner notamment le clergé
séculier par opposition au clergé régulier (« qui suit la règle d’un
monastère »).
Paradigme sémantique : dans un sens spécifiquement temporel, on peut
citer des termes comme aage° ou tens, qui réfèrent tous deux à une période
longue et/ou indéterminée (période et époque sont d’apparition plus
tardive, respectivement au XVe s. et au XVIIe s.). Dans le sens de « monde,
univers », on retiendra, outre terre°, le subs. monde, qui peut également
prendre le sens de « vie mondaine » (issu du latin chrétien).
Évolution : après le MA, siècle conserve tous ses sens mais leur fréquence
relative s’inverse. En effet, le terme, aujourd’hui, n’est plus guère employé
avec sa valeur non temporelle de « monde » ou de « vie mondaine », sauf
en contexte religieux (sens spécial dont témoignent les dérivés séculariser
et sécularisation, XVIe s.). C’est donc la valeur durative qui l’emporte, le
terme désignant, plus précisément qu’au MA, une « période déterminée de
cent ans », sauf dans certains emplois hyperboliques, notamment au plu.
(ex. : cela fait des siècles que je ne l’ai pas vu), ou dans l’adj. séculaire.

Sofrir
Origine : du latin populaire *sufferire, pour le latin sufferre (composé du
préfixe sub- et du v. ferre), « supporter, endurer, subir ».
Ancien français : le v. sofrir (XIe s.) conserve de façon générale ses
acceptions latines de « supporter, endurer, subir », s’agissant surtout de
qqch. de pénible ou de désagréable (ex. : sofrir faim, dolor, martire), d’où
la spécialisation ultérieure de sofrir. À partir de là, le v. peut prendre plus
précisément, selon les contextes, le sens de « résister », « attendre », «
autoriser, accepter » et, dans la tournure pronominale se sofrir de, «
s’abstenir, se passer de ».
Paradigme morphologique : on pourra retenir le subs. sofrance, «
patience, persévérance, endurance », « permission », « délai, attente » (ex.
: metre en sofrance, « retarder, remettre », d’où la locution en souffrance
aujourd’hui conservée) mais aussi « souffrance » ; ainsi que les adj.
sofrable (« supportable ») et sofrant (« persévérant, endurant, patient,
indulgent » et, à partir du XVIIe s., « qui éprouve de la douleur »).
Paradigme sémantique : dans le sens de « supporter », on peut citer
endurer (« endurer » mais aussi « endurcir ») ou sostenir (subir et
supporter n’apparaissant qu’à la fin du MA). Voir aussi otroier° ou
atendre pour les sens dérivés.
Évolution : même si le sens de « supporter » subsiste aujourd’hui
ponctuellement, surtout en usage littéraire (notamment dans la tournure
négative ne pas souffrir qqn. / qqch.), c’est dans l’acception « ressentir de
la douleur » (au physique comme au moral) que souffrir est le plus
largement employé, en remplacement de v. comme doloir, sorti d’usage au
XVIIe s. (voir dolor°) ou travaillier°, qui a perdu ce sens en FM. Cependant,
comme le montre l’évolution de l’adj. souffrant (« légèrement malade »)
ou d’une expression comme souffrir le martyre, les sens du v. tendent
plutôt à s’affaiblir aujourd’hui.
Solaz
Origine : du latin solacium, « soulagement, consolation ».
Ancien français : le subs. solaz (XIIe s.) a pu conserver son acception latine
de (1) « consolation, réconfort » mais se trouve plus fréquemment dans le
sens de (2) « divertissement, distraction », voire d’« agrément, plaisir,
joie », éventuellement dans le domaine sexuel.
Paradigme morphologique : voir solacier, « réconforter, consoler », «
distraire, divertir, réjouir » et, éventuellement, « prendre du plaisir
(sexuel) », ainsi que l’adj. solacieus, « consolant », « divertissant ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, citons confort (voir conforter°) ;
dans le sens 2, on peut renvoyer aux nombreux subs. appartenant au
paradigme sémantique de joie°.
Évolution : le subs. et le v. sont encore attestés au XVIIe s., puis
disparaissent, remplacés par consolacion et consoler, directement
empruntés au latin (et attestés dès l’AF), termes où toute idée de plaisir a
disparu. Il pourrait rester néanmoins quelque chose de solaz en FM dans
l’influence à la fois morphologique et sémantique que ce terme a
probablement exercée sur l’évolution de soulager (en AF, soslegier, du
latin populaire *subleviare) et de soulagement, puisque l’on retrouve le
même sème de réconfort dans leurs emplois figurés.

Sou
Origine : de l’adj. latin solidum, « massif, solide » et « entier, complet »,
d’où, après substantivation, « solde, totalité d’une somme, solde d’une
année (d’un soldat) » et, en latin tardif, « pièce d’or (massif) » (équivalent
du latin aureus).
Ancien français : le sou (XIe s., d’abord solt, puis sol / sou, que l’on peut
traduire par « sou »), au MA et pendant tout l’Ancien Régime, constitue
une unité monétaire qui représente précisément la (1) « vingtième partie de
la livre », soit douze deniers, en or ou dans d’autres métaux. Par ailleurs,
dans une acception spécifiquement militaire que l’on retrouve dans
plusieurs dérivés, le même terme (mais toujours au plu.) conserve
également le sens latin de (2) « solde » versée aux soldats et, plus
largement, de « salaire, paie », sens toutefois rapidement passé au dérivé
(que l’on rencontre également au plu., le plus souvent) soldee / soudee ;
ainsi un chevalier a / en soldees est un chevalier « à gages », qui sert
comme mercenaire.
Paradigme morphologique : voir soldeer / soldoier / soudoier, « payer
(une solde) » et parfois, employé intransitivement, « servir comme
mercenaire », ainsi que soldoier / soudoier (subs. et adj.), « soldat,
mercenaire » (chevalier ou non) au masc. et au fém. « servante » ou « fille
à soldat, prostituée ».
Paradigme sémantique : voir ci-dessus ; on peut également renvoyer à
guerredon°.
Évolution : le sou constitue encore une unité monétaire après la Révolution
(c’est la vingtième partie du franc) et reste employé en ce sens jusqu’au
XIXe s. Aujourd’hui, le terme ne sert plus qu’à désigner, au sing., « une
(petite) pièce de monnaie » quelconque, au plu., de l’« argent » en général,
et entre notamment dans une kyrielle d’expressions (ex. : ne pas avoir /
valoir un sou, être près de ses sous, etc.).
Par ailleurs, l’évolution du reste du paradigme, à partir du MF, est
influencée, dans une mesure difficile à préciser, par l’italien, auquel est
notamment emprunté le subs. soldat (XVe s.) ; néanmoins, dans l’ensemble
du paradigme, les acceptions spécifiquement militaires se réduisent (sans
toutefois disparaître, témoins soldat ou solde) au profit de significations
plus généralement liées à l’argent : c’est le cas dans solder (un compte, une
dette, des marchandises), où l’on retrouve la notion de totalité propre à
l’étymon latin, ou dans soudoyer (attesté dans le sens de « payer une
solde » jusqu’au XVIIIe s., puis au sens péjoratif de « s’assurer le concours
de qqn. à prix d’argent »).
T

Talent
Origine : du latin talentum, « talent » (mesure de poids et unité monétaire),
d’où, en latin populaire (?), par métaphore reposant sur l’image du poids
faisant pencher la balance, « inclination » ; cette explication éclairerait
l’évolution du terme jusqu’à l’AF, mais ce sens n’est pas attesté ; on
invoque aussi, pour expliquer le passage d’un sens concret à un sens
abstrait, le rôle qu’a pu jouer la parabole évangélique dite des talents
(Matthieu, XXV, 14-30).
Ancien français : le sens étymologique, concret, attesté en AF mais rare,
laisse essentiellement place au sens figuré ; le terme signifie alors avant
tout (1) « inclination, désir, envie », notamment dans des expressions
comme avoir en talent (« désirer »), faire son talent (« agir à son gré ») ou
dire son talent (« donner son avis »), et (2) « disposition, état d’esprit,
humeur ».
Paradigme morphologique : on notera les v. atalenter et entalenter, de
sens proche (« inciter, disposer à », « inspirer le désir, plaire »), les adj.
talentif et talenteus, « désireux, empressé, ardent » (le second sera
repris au XIXe s. sous la forme talentueux) et le subs. maltalent, «
mauvaise disposition » en général (d’où « colère », « dépit », etc.),
brièvement repris au XVIIIe s. sous la forme métalent.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, voir desir, gré°, plaisir°, volenté ;
dans le sens 2, voir surtout cuer / corage° ou des dérivés de penser°, mais
aussi guise°.
Évolution : jusqu’au XVIe s., le terme conserve ses sens médiévaux avant de
se restreindre progressivement à celui de « disposition, aptitude naturelle
et particulière à réussir en qqch. ». Il n’est plus guère employé aujourd’hui
que dans le domaine artistique, où il s’oppose néanmoins au terme plus
fort de génie.

Tencier
Origine : du latin populaire *tentiare (dérivé du v. tendere, « tendre, faire
des efforts » ou temptare / tentare, « tenter, faire des efforts », « attaquer »,
ces trois formes se recoupant déjà en latin), à la fois « faire des efforts » et
« faire des efforts contre qqn. », donc « (se) quereller, combattre ».
Ancien français : tencier (XIe s.) signifie principalement (1) « (se) quereller,
disputer » et (2) « blâmer, reprocher ». Parfois, néanmoins, le v. peut se
rencontrer dans son sens premier de « faire effort » et, en particulier, de «
rivaliser d’efforts » (où on retrouve le sémantisme du sens 1).
Paradigme morphologique : on retiendra surtout tence / tenson (du latin
populaire *tentionem), « dispute, querelle, conflit » voire « rixe, combat »
(employé dans ce sens jusqu’au XVIe s., le terme tenson se spécialise
ensuite dans le vocabulaire littéraire, pour désigner une forme de débat
poétique que pratiquaient au MA troubadours et trouvères). Notons aussi
contencier, « se quereller, se battre ».
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut citer noisier ou
ochoisoner (voir noise° et ochoison°) ; dans le sens 2, voir blasmer°.
Évolution : le v. subsiste seulement en usage littéraire dans son sens médiéval
de « blâmer, réprimander », en particulier dans la locution tancer vertement.
Outre les nombreux termes issus du même paradigme latin et encore en
usage aujourd’hui (tendre, tension, tenter et leurs dérivés), on notera,
puisqu’ils conservent le même fonds sémantique, contentieux et contention
(vieilli dans le sens de « débat », le second désigne en FM la « tension des
facultés intellectuelles », retrouvant le sémantisme de l’effort propre au
latin), deux subs. déjà attestés, mais rares, en AF.

Terre
Origine : du latin terram, « terre », dans la plupart des sens du terme en
FM, c’est-à-dire « terre » en tant que matière, « sol, surface du sol », «
terre émergée » par opposition à la mer, « contrée, pays » et « globe
terrestre ».
Ancien français : le subs. terre (Xe s.) conserve l’essentiel de ses sens
latins, soit (1) « terre » en tant que matière ; (2) « sol sur lequel on
marche » (en particulier dans l’expression a / par terre) ; (3) « terre
émergée », par opposition à mer ; (4) « territoire, contrée, région, pays »
(ex. : terre de France, terre d’Espagne) ; enfin (5) « monde terrestre »,
notamment par opposition à ciel.
Paradigme morphologique : le paradigme est très riche dès l’AF avec,
d’une part, des adj. comme terrestre, terrien (voire terrestien), terreus ou
terrin, pas toujours sémantiquement bien distincts (de façon générale, ils
signifient « qui est sur terre, qui concerne la terre, terrestre », d’où « qui
concerne l’ensemble des hommes, humain ») ; des subs., d’autre part,
désignant plutôt un « rempart », une « levée de terre », un «
terrassement », comme terrace, terrail / terral ou terrier, ou un « terrain,
territoire », comme terrain (qui renvoie aussi à la « terre », par opposition
à la mer) ou terroi / terreoir ; pour finir, des v. comme terrer, « jeter à
terre », « couvrir de terre » (seulement à la voix pronominale en FM),
supplanté dans ce dernier sens par le dérivé enterrer, qui signifie en
particulier « ensevelir » (notamment un mort, d’où la spécialisation, dès
l’AF, du dérivé enterrement) et a pour antonyme desterrer, « sortir qqch.
de terre ».
Paradigme sémantique : dans le sens de « sol » ou « terrain », voir aire° et
camp° ; dans le sens de « contrée, région, pays », voir païs° mais aussi fief°,
honor° ou regne°.
Évolution : jusqu’à aujourd’hui, terre conserve peu ou prou ses sens latins
et médiévaux, hormis le sens 4 qui n’est plus guère usité (en revanche, le
sens 5 l’est encore, en dépit des évolutions qu’a connues la conception du
monde et de l’univers). Le paradigme, très riche dès l’AF, s’est encore
développé par la suite, avec des termes comme atterrir (au XVIIIe s. dans
son sens actuel) et ses dérivés. Par ailleurs divers mots, parfois mal
distingués les uns des autres, ont vu leurs emplois se préciser, comme la
série de subs. terrasse, terrier, terrine (substantivation de l’adj. terrin, «
récipient en terre ») et terroir, ou la série d’adj. terrestre, terreux et
terrien.

Tolir
Origine : du latin tollere, « soulever, élever », « enlever, supprimer ».
Ancien français : conservant pour partie ses acceptions latines, tolir (ou
toldre / toure), attesté au XIIe s., signifie « prendre qqch. à qqn., ôter,
enlever » voire « ravir, voler » et, au figuré, « empêcher, interdire », le
sème de l’élévation passant à lever (du latin levare, « alléger », d’où «
élever, soulever ») et ses composés.
Paradigme morphologique : on ne peut guère citer que quelques subs.,
comme tolage, tolement ou tolte / toute, qui expriment, de façon générale,
l’« action de prendre, d’enlever », d’où le sens de « prise, pillage » ou «
enlèvement ».
Paradigme sémantique : voir prendre ou, dans le sens plus précis d’«
enlever de force », ravir. Voir aussi embler°.
Évolution : le v. se rencontre encore au XVIe s., puis sort d’usage,
concurrencé notamment par enlever (attesté mais rare en AF) ou
supprimer (XVe s., emprunt au latin). Il survit aujourd’hui dans le subs.
tollé (réfection d’après le latin au XVIe s.), issu de l’impératif plu. tolez,
exclamation de protestation en AF que l’on peut rendre par « allons donc
! » ou « halte là ! » et qui se retrouve dans l’expression crier tollé après
qqn. au XVIe s., puis se lexicalise au XVIIe s., dans le sens de « clameur de
protestation, mouvement collectif d’indignation ». Notons enfin que du
même paradigme latin sont issus par emprunt le v. tolérer (de tolerare) et
ses divers dérivés, attestés en MF.

Torner / Tornoier
Origine : du latin tornare, dans le sens concret de « façonner au tour,
arrondir ».
Ancien français : parfois attesté dans son sens étymologique de « façonner
au tour », torner (XIe s.) peut prendre, à partir de la notion de mouvement
circulaire, des acceptions assez variées. On distinguera d’un côté les sens
concrets de (1) « (se) déplacer suivant un mouvement circulaire (ou
analogue) », d’où « changer de position, de direction, (se) tourner, détourner,
retourner » (s’en torner signifiant « partir ») ; de l’autre, le sens abstrait de
(2) « changer (complètement) d’état, transformer de telle manière » (d’où «
traduire », sens aujourd’hui disparu) ou, sans le sème de la transformation,
d’« arranger, disposer de telle manière, mettre dans tel état » (sens qui
subsiste en FM dans des expressions comme tourner un compliment).
Quant à tornoier (XIIe s.), fréquentatif de torner, il signifie « déplacer,
tourner rapidement / violemment » et « tourner sur soi-même, tournoyer »,
avant de se spécialiser rapidement dans le sens de « combattre dans un
tournoi, participer à des tournois », suite à l’apparition et au
développement (à partir du XIIe s.) du tornoi (ou tornoiement), « combat (à
caractère ludique) opposant plusieurs chevaliers en champ clos », à
distinguer de la joste (voir joster°) par le nombre de chevaliers impliqués.
Paradigme morphologique : outre torn / tor, qui a conservé à peu près tous
ses sens en FM, et tornant (« agile », « changeant, versatile »), sans parler de
divers subs. et adj. aujourd’hui disparus, on retiendra surtout les v. dérivés –
aux sens parfois très variés et plus ou moins éclairés par le préfixe dont ils
sont composés –, comme atorner (notamment « arranger, disposer », «
préparer, équiper » et, parfois, « habiller, parer », d’où le FM atours),
bestorner (« retourner, renverser complètement, mettre à l’envers »),
destorner (« (se) détourner, (s’)éloigner », « mettre de côté, protéger », «
empêcher »), retorner (avec un préfixe marquant le retour en arrière, surtout
au sens propre) et trestorner (avec un préfixe marquant l’intensité, d’où
notamment « renverser », « s’enfuir » ou « changer complètement,
transformer »).
Paradigme sémantique : relevons surtout vertir (du latin populaire
*vertire, pour vertere), où le sème de la rotation, du tour, est toutefois
moins affirmé que dans torner mais dont les sens sont proches (« se
tourner, se diriger vers, aller » et « changer, transformer ») ; ce v. a disparu
et on ne le retrouve en FM que dans ses dérivés avertir et convertir. En ce
qui concerne torner, pour le sens 1 seulement, voir guenchir° et virer («
faire tourner », au propre comme au figuré, avec une gamme d’emplois
plus large qu’en FM) ; pour le sens 2, voir muer° ; pour le sens plus précis
de « disposer », voir conreer°. En ce qui concerne tornoier, voir escremir°
ou joster°.
Évolution : en dépit de quelques évolutions de sens liées au sémantisme
très large du v. (dans le syntagme tourner un film, par exemple, le v.
faisant au départ allusion à la manivelle des caméras), tourner a conservé
dans l’ensemble les significations acquises dès l’AF et a vu son paradigme
continuer de se développer après le MA, notamment avec de nombreux
noms composés (ex. : tournebroche, tournedos, tournevis, etc.).
Quant à tournoyer, il revient à son sens premier à partir de la fin du MA,
quand les tournois disparaissent, et perd tout sémantisme lié au combat, à
l’inverse de tournoi, encore employé aujourd’hui dans le vocabulaire
sportif ou ludique pour désigner un « concours à plusieurs séries
d’épreuves ou de manches ».

Traire
Origine : du latin populaire *tragere, pour trahere, v. largement polysémique
signifiant essentiellement « tirer, attirer », « traîner, entraîner », « faire sortir,
extraire ».
Ancien français : recouvrant une grande part des emplois aujourd’hui
réservés à tirer, traire (XIe s.) articule l’ensemble de ses acceptions autour de
la notion générale de déplacement imprimé à qqch. ou à qqn., soit pour
l’éloigner du sujet de l’action, d’où « tirer, envoyer, lancer » (une épée, des
flèches, un javelot, etc.) et « lancer des projectiles » en emploi intransitif
(par exemple, « tirer à l’arc »), soit au contraire pour le rapprocher du sujet
de l’action, d’où « tirer, retirer, attirer, entraîner, arracher » (d’où procède,
dès le XIIIe s., le sens spécifique et toujours actuel de « traire » un animal) ;
enfin, en tournure pronominale, c’est sur le sujet de l’action lui-même que le
mouvement s’exerce, d’où le sens de « se déplacer, se diriger » (ex. : la
pucele s’est en avant traite). Très usuel et polysémique, le v. peut prendre
encore d’autres sens, tels que « supporter » ou « traduire » par exemple, et
fournit diverses locutions, comme traire a chief°, « mener à bien, achever ».
Paradigme morphologique : outre les subs. trait (pourvu de nombreux sens,
pour beaucoup conservés en FM, tels que « action de tirer, tir », «
projectile », « trait, ligne », « acte, coup (au jeu) », « fait de boire en une
fois », etc.) et traite (dont les emplois se développent surtout à partir du
MF), on peut signaler de nombreux v. dérivés (aujourd’hui disparus,
remplacés par des dérivés de tirer), dont atraire, « attirer, amener » et «
ajouter, rassembler » (qui a laissé attrait et attrayant en FM), detraire, « tirer
en tous sens », d’où « arracher, déchirer, écarteler » et au figuré « calomnier,
diffamer », portraire, « achever », « former, façonner », « dessiner,
représenter » (qui a laissé en FM le participe passé substantivé portrait,
remplaçant l’AF portraiture, d’abord au sens de « dessin, représentation »
en général, puis dans son sens actuel à partir du XVIe s.) ou encore retraire, «
enlever, retirer », « éloigner, dissuader, détourner », « revenir, retourner », et
même « raconter, rapporter ».
Paradigme sémantique : on retiendra surtout tirer, qui concurrence traire
dans nombre de ses acceptions dès l’AF, mais aussi sachier (« tirer,
traîner, entraîner », « secouer, arracher ») ou lancier (voir lance°).
Évolution : à partir du MF, concurrencé par tirer et ses dérivés, et
probablement handicapé par sa conjugaison difficile, traire voit son champ
sémantique se rétrécir nettement et se limiter aujourd’hui au sens de « tirer
le lait de la femelle d’un animal » (sens dans lequel il a remplacé l’ancien v.
moudre, du latin mulgere). En revanche, de nombreux autres éléments du
paradigme, qui a continué de se développer après le MA, restent d’usage
courant, tels les v. dérivés abstraire (XIVe s.), extraire (XIVe s., réfection de
l’AF estraire) ou distraire (XIVe s.), qui prend son sens actuel le plus courant
à partir du XVIe s. tout en conservant son sens premier de « soustraire » dans
certains emplois ; ainsi que les subs. trait, traite, retrait (employé comme
déverbal de retirer), etc.

Travaillier
Origine : du latin populaire *tripaliare, « torturer », formé sur le subs.
tripalium, « instrument de torture », le terme (issu de l’adj. latin tripalis, «
à trois pieux ») désignant au départ un dispositif formé de trois poteaux
permettant d’immobiliser chevaux ou bœufs pour les ferrer ou les soigner
– dispositif que l’on peut voir encore aujourd’hui à l’entrée de certains
villages, et que l’on appelle précisément en FM un travail (plu. travails) ;
ce sens technique est d’ailleurs également attesté en AF.
Ancien français : le sens premier du v. travaillier (XIe s.) est (1) « torturer,
tourmenter, faire souffrir » (et « souffrir », employé absolument), d’où le
sens d’« épuisé, exténué » pour le participe passé travailliez (dans un
emploi métaphorique comparable au FM familier crevé ou mort). Puis,
avec un glissement de sens comparable à celui du subs. peine°, on passe
de l’idée de souffrance à celle d’effort pénible (notamment lorsque le v. est
à la forme pronominale) dans l’acception (2) « se donner de la peine pour,
s’efforcer de » (ex. : se travaillier de son oste bien aisier).
Paradigme morphologique : comme le v., le déverbal travail prend
d’abord le sens fort de « tourment, souffrance », parfois affaibli en « peine,
effort » ; de même, le travailleor est d’abord le « bourreau, tortionnaire »,
avant que le terme ne prenne son sens actuel à partir du XVIe s.
Paradigme sémantique : le plus proche synonyme est le v. peiner (voir
peine°) mais on peut mentionner également laborer°, dans le sens de «
faire effort ». Voir aussi le paradigme sémantique de grever°.
Évolution : à partir de la fin du MA, l’idée de souffrance et même de peine
s’efface progressivement devant celle d’activité déployée dans un but
donné (transformation de la matière, production de richesses), le subs.
pouvant aller jusqu’à désigner seulement le résultat de cette activité (ex. :
le travail bien fait) ; le v. travailler remplace en ce sens laborer° ou
ovrer°. Cependant, le sémantisme de la douleur subsiste ponctuellement
dans une expression comme femme en travail (le subs. désignant ici «
l’activité pénible » de l’enfantement) ou dans un emploi plutôt familier du
v. (ex. : cette affaire le travaille).

Trover
Origine : du latin populaire *tropare, « composer, inventer » dans le
domaine musical, v. dérivé de tropus, « trope (rhétorique) » en latin, puis
en latin tardif par une évolution difficile à reconstituer, « mélodie, chant »
(le sens technique de « mode (musical) » étant attesté dans l’Institutio
musica de Boèce), d’où finalement le sens bien précis en latin médiéval et
propre à la musique religieuse de « paraphrase du chant liturgique par
addition ou substitution ».
Ancien français : trover (XIe s.) a d’abord le sens précis de (1) « composer,
inventer » une pièce musicale et/ou poétique (les chansons des
troubadours et des trouvères relevant conjointement de la musique et de la
poésie, de même que les chansons de geste°) ou de « composer, écrire »
une œuvre littéraire. Puis, par extension, le v. prend le sens de (2) «
découvrir, trouver » (parfois « obtenir, recevoir »), dans quelque domaine
que ce soit, et admet dès l’AF des emplois abstraits avec le sens de «
considérer comme, trouver » (ex. : molt vos ai trové bon ami).
Paradigme morphologique : on peut noter controver, « imaginer,
inventer », avec des connotations plutôt péjoratives (elles se retrouvent
dans le participe passé controuvé, encore employé en FM dans le sens d’«
inventé, mensonger ») ; retrover, « trouver de nouveau, trouver après avoir
perdu » (développement du sens 2 seulement) ; troveor (trobador en
occitan), essentiellement au sens précis de « compositeur, poète,
trouvère » (trouvère est la forme adaptée de l’AF qui s’emploie
aujourd’hui comme terme historique, de même que troubadour pour la
littérature occitane) ; et enfin trovaille, attesté au XIIe s., avec le même sens
qu’en FM.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, trover n’a pas de véritable
équivalent, sinon feindre° dans une certaine mesure, ainsi que les v.
marquant l’acte de prise de parole ou d’écriture (inventer n’est pas attesté
avant le XVe s. et imaginer ne prend le sens d’« inventer » qu’à la même
période). Pour le sens 2, choisir° peut se rencontrer dans le sens de «
trouver » (mais pas avant le XVIIe s pour descovrir, qui signifie en AF «
découvrir, mettre à découvert », « révéler, manifester »).
Évolution : trouver perd en MF le sens spécifique de « composer,
inventer » mais conserve ses autres valeurs, sans évolution significative
jusqu’à aujourd’hui hormis quelques nouveaux développements dans le
paradigme, comme retrouvaille (XVIIIe s.) ou introuvable (XVIIe s.),
beaucoup plus usuel que trouvable (XIVe s.).
V

Vaillant
Origine : participe présent du v. valoir, du latin valere, « être vigoureux, en
bonne santé » et « avoir de la valeur, valoir ».
Ancien français : en rapport direct avec valoir (qui a à peu près les mêmes
sens en AF qu’en FM), vaillant (XIe s.) prend d’abord le sens de (1) « qui
vaut, de valeur » ou de « comptant » (sens resté en FM dans l’expression
ne pas avoir un sou vaillant), puis, par extension, celui de (2) « supérieur,
excellent » et, plus précisément selon les contextes (en particulier
militaire), « solide, puissant » (en parlant d’un château), « vaillant,
courageux » (en parlant d’un chevalier), etc.
Paradigme morphologique : outre le paradigme développé autour du v.
valoir (comprenant notamment le subs. value, qui sera remplacé par valeur
mais qui subsiste encore aujourd’hui dans le composé plus-value), l’adj.
valable ou le v. évaluer (XIVe s., à l’origine d’un riche paradigme à partir
du MF), on retiendra le subs. vaillance (« valeur » en général, mais surtout
« valeur guerrière, bravoure, courage » et « acte de bravoure, exploit »).
Paradigme sémantique : comme adj. mélioratifs de valeur assez générale,
on peut citer bel°, bon, gent / gentil° ou preu° ; dans le sens particulier de
« vaillant », voir hardi° ; pour l’acception « de valeur », voir chier°.
Évolution : aujourd’hui la relation entre valoir et vaillant n’est plus perçue,
l’adj. ne référant plus à l’idée de valeur mais seulement à celle de courage,
d’ardeur, ou encore de vigueur physique (ex. : un vieillard encore très
vaillant), renouant par là avec une partie du sémantisme du v. latin ; en
revanche vaillance (« bravoure, courage ») n’a pas connu cette dernière
évolution.
Vair
Origine : du latin varium, « bigarré, tacheté » et, au figuré, « varié, changeant,
divers ».
Ancien français : l’adj. vair (XIe s.), qui peut prendre le sens général de «
varié, changeant », s’emploie plus particulièrement comme caractérisant
de couleur ou d’éclat avec le sens de « tacheté, bigarré » (précisément «
pie » ou « gris pommelé », à propos d’un cheval), de « brillant, luisant »
(souvent pour les yeux) et de « gris, gris bleu » quand il désigne une
couleur spécifique ; substantivé, l’adj. sert ainsi à désigner le « petit-gris »,
un écureuil du Nord dont la fourrure est employée dans la fabrication de
certains vêtements (par exemple un mantel (de) vair est un « manteau
fourré / doublé de petit-gris »).
Paradigme morphologique : on retiendra le dérivé vairon, « bigarré,
tacheté », encore employé en FM. Notons par ailleurs que du même
paradigme latin sont issus par emprunt, à partir du XIIIe s., le v. varier, «
changer, transformer », « s’égarer, se tromper » (dont le participe passé
varié / vairié recoupe d’abord les sens de vair avant de le remplacer à partir
du MF), les subs. varieté et variacion, ou encore l’adj. variable.
Paradigme sémantique : on peut citer divers (XIIe s., emprunt au latin), «
divers, varié, différent », d’où « bizarre, étrange » voire « méchant,
mauvais » (les connotations sont donc nettement péjoratives, à la
différence de celles de vair) ou muable (voir muer°).
Évolution : le terme est encore attesté jusqu’au XVIIe s., notamment dans le
sens de « petit-gris » (cf. la pantoufle de vair de Cendrillon, chez Perrault),
puis sort d’usage ; en FM, il subsiste seulement sous la forme vairon (« de
couleurs différentes ») qui, comme adj., ne s’emploie plus qu’à propos des
yeux (comme subs., vairon désigne aussi une espèce de poisson d’eau
douce aux couleurs variées, sens spécialisé déjà attesté en AF). Dans ses
autres acceptions, vair a été remplacé par le participe passé varié.

Vaissel
Origine : du latin tardif vascellum, diminutif de vas, « vase, récipient ».
Ancien français : le terme vaissel (attesté au XIIe s.) sert à désigner un «
récipient », plutôt de taille petite ou moyenne, en métal, le plus souvent
précieux et fait, en général, pour contenir un liquide (mais cet usage n’a
rien de systématique puisque le même terme peut notamment être utilisé
pour référer à un « cercueil ») ; par analogie, il peut également désigner un
« vaisseau », un « navire », supplantant progressivement en ce sens le mot
nef°, à partir du MF.
Paradigme morphologique : on peut citer vaissele (du latin tardif vascella,
plu. de vascellum), sing. collectif désignant l’« ensemble des plats et
récipients à l’usage de la table » et, en particulier en AF, les récipients
précieux, ce qui correspond plus ou moins à ce que recouvre le terme
argenterie en FM.
Paradigme sémantique : parmi les divers récipients et contenants dont on
se sert à table, on peut citer l’escuele, le hanap, la coupe, le pot et même le
graal, qui n’est pas seulement le mystérieux objet que l’on sait mais aussi
une sorte de « plat creux », ou encore le vase (rare en AF) ; dans le sens de
« navire », voir nef° (qui peut aussi désigner un récipient).
Évolution : jusqu’au XVIIe s., vaisseau reste employé avec les deux sens
principaux de « récipient » et de « navire », avant d’être supplanté d’un
côté par vase ou récipient (et divers termes de sens moins général), de
l’autre par navire et bateau (voir nef°) ; le terme reste cependant usuel
dans son acception médicale (attestée dès le XIVe s.) et a été repris au XXe s.
dans le syntagme vaisseau spatial.

Val / Aval / Avaler


Origine : du latin vallem, « vallon, vallée ».
Ancien français : les trois termes sont attestés au XIe s. Comme en latin, le
subs. prend le sens de « val, vallon, vallée », par opposition à mont ou
pui°. Renforcé par préfixation, val a donné l’adv. aval, « en bas, en
descendant », antonyme d’amont, qui peut également être employé
comme préposition (« en bas de, le long de », voire « à travers, dans »).
Enfin, de l’adv. est issu le v. avaler, avec le sens de (1) « faire descendre,
baisser » (ex. : avaler ses braies) et, en particulier, à propos d’aliments, «
avaler », mais aussi de (2) « descendre » (ex. : avaler des degrez ou un
mont).
Paradigme morphologique : outre valee (« vallée »), on retiendra les deux
v. dérivés devaler (mêmes sens qu’avaler, avec un préfixe marquant, de
façon peu sensible en AF, l’intensité) et ravaler (sens proches d’avaler,
impliquant toujours un mouvement de haut en bas, d’où l’acception
technique en maçonnerie apparue au XVe s. ou le sens figuré de «
rabaisser », attesté en AF).
Paradigme sémantique : en bas (issu de l’adj. bas), employé
adverbialement, est beaucoup moins usuel qu’aval. Du côté des v., il
semble que l’on puisse distinguer avaler de descendre (Xe s., emprunt au
latin descendere), qui implique un mouvement de moins grande amplitude
(descendre de cheval ou bien descendre seul, avec le sens de « mettre pied
à terre », s’oppose ainsi à avaler des degrez ou un mont) ; à l’autre
extrême, il faut différencier avaler de verser°, impliquant un mouvement
beaucoup plus violent de chute.
Évolution : concurrencé à la fois par vallée et vallon (XVIe s., emprunt à
l’italien), le subs. ne se trouve plus aujourd’hui que dans des toponymes
(ex. : le Val de Loire) ou des expressions figées (ex. : par monts et par
vaux, aller à vau-l’eau) ; de même, aval voit son champ d’application se
restreindre pour l’essentiel aux cours d’eau, à la fois comme subs. et dans
la locution adverbiale et prépositive en aval (de). À l’inverse, les différents
v. dérivés restent usuels, avec des acceptions qui se sont notamment
différenciées à partir du XVIe s. : c’est à ce moment qu’avaler voit son sens
se restreindre à « faire descendre dans le gosier », d’où la remotivation de
ravaler dans le sens d’« avaler de nouveau ».

Vaslet
Origine : du latin populaire *vassellitum, diminutif du latin médiéval
vassalum (qui a donné vassal°), probablement « petit / jeune serviteur ».
Ancien français : le subs. vaslet (XIIe s.) désigne un « jeune homme » non
marié, de condition noble ou roturière, qui dépend, en général, d’un maître
ou d’un seigneur qu’il sert, en particulier lorsqu’il s’agit d’un jeune noble
faisant son apprentissage de chevalier dans une cour (on retrouve ici le
lien avec vassal°). Le terme vaslet, qui peut s’appliquer à un 3noble,
s’oppose donc à garçon° ou serjant°, mais il se rapproche aussi de ces
derniers dans la mesure où il n’implique pas de fonction précise, à la
différence par exemple d’escuier (voir escu°), d’où parfois le besoin de
préciser l’activité exercée, comme dans le syntagme vaslet trenchant,
désignant le serviteur chargé de découper la viande à table.
Paradigme morphologique : on ne peut guère citer que le diminutif
vasleton.
Paradigme sémantique : voir, avec prédominance de la notion de service,
garçon°, ministre°, serjant° ou bacheler° (dans le sens précis de « jeune
noble faisant son apprentissage de chevalier ») ; pour le sens de « jeune
homme », voir damoisel° et jouvencel°.
Évolution : vaslet connaît une évolution exactement inverse à celle de
garçon°. À partir du MF, le terme perd progressivement tout lien avec la
notion de jeunesse pour se limiter à celle de service (d’où les syntagmes
précisant la fonction exercée, comme valet de chambre, valet de pied,
valet de ferme, etc.). Il est alors concurrencé par les dérivés de servir° ou
par domestique (utilisé en ce sens à partir du XVIe s., mais on lui préfère
aujourd’hui employé de maison) et tend à prendre, comme garçon° en AF,
des connotations péjoratives, particulièrement sensibles dans le dérivé
valetaille (XVIe s.) ou encore dans les emplois métaphoriques du terme.

Vassal
Origine : du latin médiéval vassalum, dérivé de vassus (terme d’origine
gauloise de même sens, mais que vassalum remplacera). Attesté à partir du
VIIIe s., le terme peut désigner un « serviteur » et, par la suite, plus
particulièrement, un « homme libre qui se place volontairement au service
et sous la protection d’un autre, roi ou grand seigneur ».
Ancien français : dans le cadre féodal, le vassal (XIe s.) est un « homme qui
s’est placé sous la dépendance d’un autre (son seignor°) », quel que soit par
ailleurs son rang (mais il s’agit le plus souvent d’un chevalier°). Ce lien
vassalique est institué par la cérémonie de l’homage (impliquant de la part
du vassal une déclaration sous serment et divers gestes symboliques de
soumission et de fidélité envers son seigneur) et impose des obligations
réciproques : le seigneur fournit un fief° au vassal, qui lui doit en échange
aide (militaire) et conseil. À partir de ce sens précis, vassal, d’usage très
courant, peut également s’employer avec valeur d’adresse et sert en quelque
sorte à marquer l’infériorité de l’allocutaire vis-à-vis du locuteur qui daigne
lui adresser la parole. Comme adj., il prend notamment le sens de « vaillant,
courageux » (le vassal étant souvent occupé à la guerre).
Paradigme morphologique : on peut citer vasselage, « bravoure,
vaillance », « acte de bravoure, exploit » ; vassalté (refait en vassalité au
XVIIIe s.), « condition de vassal » ; le terme vavassor (probablement issu
d’un syntagme du type vassus vassorum) désigne, lui, un rang inférieur
dans la hiérarchie féodale, soit un « arrière-vassal » (c’est-à-dire un «
vassal de vassal »), soit un « petit vassal, vassal pourvu d’un petit fief,
vassal sans vassaux ». Notons par ailleurs que vaslet° est issu du même
paradigme latin.
Paradigme sémantique : comme subs., voir home° (synonyme de vassal
dans un emploi spécialisé) ou le syntagme home lige° ; comme adj., voir
hardi°.
Évolution : depuis la fin de la féodalité, le terme n’appartient plus guère
qu’au vocabulaire historique mais reste susceptible de quelques emplois
figurés, auxquels on peut rattacher les dérivés récents vassaliser et
vassalisation. Ex. : Ne soyez le vassal d’aucune âme, ne relevez que de
vous-même (Balzac, Le Lys dans la vallée).

Verser
Origine : du latin versare (fréquentatif de vertere, dont le paradigme a donné
de nombreux termes en FM), « tourner, retourner », « remuer, bousculer,
malmener ».
Ancien français : le v. verser (XIe s.) prend surtout le sens propre, employé
intransitivement, de « tomber à la renverse, être renversé » et,
transitivement, de « faire tomber à la renverse, renverser qqn. ou qqch. »,
avec possibilité d’emplois figurés.
Paradigme morphologique : outre divers subs. comme versee ou
versement (« chute »), on retiendra surtout les v. dérivés enverser («
renverser »), traverser (« traverser » mais aussi « mettre en travers, aller
de travers », etc.) ou encore, bien distinct par le sens, converser (du latin
conversari, de versari, passif de versare, littéralement « se tourner
souvent », d’où « se trouver habituellement »), « fréquenter, demeurer »
(sens attesté jusqu’au XVIIe s., avant que celui d’« échanger des propos » ne
s’impose, sous l’influence de conversation).
Paradigme sémantique : pour « tomber » seulement, on peut renvoyer à
cheoir° ; pour « faire tomber », voir abatre ; enfin, dans le sens à la fois
actif et passif, on peut citer des v. comme croler°, fondre° ou encore
trebuchier, dont la gamme d’emploi et les acceptions se sont nettement
restreintes en FM (emplois seulement intransitifs, dans le sens de « faire un
faux pas, perdre l’équilibre »).
Évolution : concurrencé à l’intérieur du même paradigme par (se) renverser
(XIIIe s., dérivé d’enverser), verser n’est presque plus employé aujourd’hui
dans le sens de « tomber à la renverse » ou de « faire tomber » mais
exclusivement dans celui (déjà attesté en AF) de « faire couler, répandre (un
fluide) », à partir duquel il a pu développer divers emplois figurés ou
spécialisés (ex. : verser de l’argent, à partir du XVIIIe s.) ; le paradigme se
développe également avec l’apparition, notamment, de bouleverser (XVIe s.),
tergiverser (XVIe s., emprunt au latin tergiversari, littéralement « tourner le
dos ») ou déverser (XVIIIe s.) et leurs dérivés.

Vertu
Origine : du latin virtutem, littéralement « qualité distinctive de l’homme
(vir) », d’où « vigueur, énergie », « bravoure, vaillance » et, plus
généralement, « vertu, qualité distinctive de qqn. ou de qqch. ».
Ancien français : proche de ses acceptions latines, le subs. vertu (Xe s.), qui
s’applique avant tout à des animés humains, prend le sens d’abord
physique de (1) « vigueur, énergie » (notamment dans l’expression de /
par vertu, « avec force, vigueur »), mais aussi psychologique, moral et
religieux de (2) « force morale, disposition à faire le bien » en général, et
de « qualité morale, disposition à accomplir telle ou telle catégorie d’actes
moraux » en particulier (les vertus s’opposant aux visces). En outre,
comme en latin, vertu peut aussi désigner toute (3) « vertu, qualité,
propriété distinctive de qqn. ou de qqch. » (par exemple d’une pierre,
d’une plante), d’où le sens d’« efficacité, pouvoir » (ainsi les vertuz de
Dieu, ce sont les « miracles » que Dieu accomplit).
Paradigme morphologique : on retiendra l’adj. vertueus, « fort,
vigoureux », « efficace, puissant » (« magique », pour des pierres par
exemple) et « disposé au bien, vertueux », seulement à partir du XVIIe s
dans ce dernier sens.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut renvoyer à force (voir
fort°) et vigor ; dans le sens général de « qualité (morale) », citons bonté
ou valor / value ; dans le sens précis de « force, valeur morale »,
preudomie (voir preu°) ou vaillance ; dans le sens 3, nature°, poissance ou
pooir, proprieté.
Évolution : quoique vertu conserve ses valeurs physiques jusqu’au XVIIe s.,
ce sont les significations seulement morales du terme qui se développent
encore après le MA (au XVIIe s., vertu appliqué à une femme équivaut à
chasteté, d’où l’expression plus tardive une femme de petite vertu) et
finissent par s’imposer seules, le sens de « qualité, pouvoir » subsistant, de
son côté, en emploi littéraire ou dans la locution prépositive en vertu de.

Vespre
Origine : du latin vesperem, « soir ».
Ancien français : vespre (XIe s.), surtout au sing., prend le sens de (1) «
crépuscule, soir, soirée » ; au plu. il signifie, dans la liturgie catholique, (2)
« office religieux du soir », célébré autour de 18 heures ; les vespres
participent ainsi de la division temporelle de la journée, au même titre que
les autres heures canoniales signalant le moment des offices religieux dans
les monastères, qui ont lieu, en gros, de trois heures en trois heures, à
savoir matines (minuit), laudes (3 heures), prime (6 heures), tierce (9
heures), sexte (midi), none (15 heures), vespres (18 heures) et complies
(21 heures). Pour certaines de ces heures, et notamment vespre, il est
possible d’affiner le repérage temporel en précisant haut / bas vespre, soit
« tôt / tard dans la soirée ».
Paradigme morphologique : avespree ou vespree ont le même sens que
vespre ; voir également le v. avesprer, « faire nuit » (vesprer est
exceptionnel).
Paradigme sémantique : on peut citer ser / soir (adv. substantivé, de l’adv.
sero et de l’adj. substantivé serum), subs. de même sens que vespre au
sing., également employé comme adv. Voir aussi jor°.
Évolution : vêpre (au sing.) sort d’usage au XVIIe s., plus rapidement donc
que son dérivé vêprée, encore employé en FM dans le sens de « soirée »,
mais vieilli ; de son côté, vêpres (au plu.) conserve son emploi dans la
liturgie catholique, même s’il est beaucoup moins usité depuis que s’est
imposée une appréhension laïque et chiffrée du temps ; quant à l’adjectif
vespéral (XIXe s., emprunt au latin tardif), il est d’usage didactique ou
littéraire.

Vestir
Origine : du latin vestire, « vêtir, habiller », « revêtir, recouvrir ».
Ancien français : attesté dès le Xe s., le v. conserve son sens latin de (1) «
vêtir, habiller », mais prend aussi celui de « (se) revêtir de », en tournure
pronominale ou non. Au figuré, il est également employé dans le sens de (2)
« mettre qqn. en possession de qqch., investir qqn. de qqch. » (ex. : vestir
d’un fief / d’une terre). Enfin, le sens de (3) « revêtir, recouvrir » ne subsiste
guère en AF que dans le participe passé vesti (ou vestu), « recouvert,
couvert, rempli, garni » (ex. : on voit les murs et les crenniaus tous vestus de
dames).
Paradigme morphologique : on peut citer les subs. vestement, de même
sens qu’en FM, et vesteüre, « vêtement, habit » (ou, comme collectif, «
vêture, habillement, costume ») et « investiture » ; quant aux v. dérivés,
devestir signifie « dévêtir », mais aussi « renoncer à la possession de
qqch. », tandis qu’envestir (puis investir, XVe s.) et revestir recouvrent à
peu près les mêmes sens que le v. simple, avec une nette spécialisation
toutefois du dernier terme dans le domaine religieux, car ce sont
essentiellement les moines, les abbés, les évêques, etc., qui sont revestus
des habits caractéristiques de leur statut.
Paradigme sémantique : dans le sens 1, on peut renvoyer à afubler (du
latin tardif affibulare, de fibula, « agrafe »), « agrafer » et, plus
généralement, « vêtir, revêtir » (le v. subsiste en FM, avec des
connotations péjoratives apparues au XVIIe s.) ; le v. abillier (XIIIe s.) quant
à lui, qui étymologiquement n’a aucun rapport avec abit (du latin habitum,
« manière d’être », alors qu’abillier est un dérivé du subs. bille), ne prend
le sens de « vêtir », sous l’influence de ce dernier terme, qu’à partir du XVe
s. Dans le sens 2, on retiendra saisir (XIe s.), d’abord « mettre en
possession de qqch., investir », puis « prendre possession de qqch. », d’où
finalement « saisir », mais l’on peut également mentionner baillier°.
Évolution : après le MA, des distinctions se sont progressivement mises en
place entre le v. simple et les dérivés. Le premier, vêtir, s’est seulement
maintenu dans le domaine vestimentaire, fortement concurrencé toutefois
par (s’)habiller ; investir, qui a d’abord pris à l’italien son sens militaire
(XIVe s.), puis à l’anglais son sens économique (XXe s.), conserve le sens de
« mettre en possession de », notamment dans un contexte abstrait (ex. :
investir qqn. de sa confiance / d’un pouvoir exceptionnel) ; quant à revêtir,
il a pris divers sens plus précis qu’en AF, comme « se couvrir / couvrir
qqn. d’un vêtement particulier (signe d’une fonction) » (ex. : revêtir
l’uniforme), « recouvrir pour protéger ou orner » ou encore « avoir /
prendre (un aspect) » (ex. : revêtir un caractère dangereux). Le paradigme
est resté très productif, avec investiture (XVe s.), travestir (XVIe s., emprunt
à l’italien), investissement (XVIIIe s., sens économique au XXe s.),
vestimentaire (XIXe s.), sous-vêtement, survêtement, etc.

Viande
Origine : du latin médiéval vivanda, « vivres, provisions », pour vivenda,
forme substantivée de l’adj. verbal de vivere au neutre plu. (littéralement,
« choses à / pour vivre »).
Ancien français : attesté au XIe s., viande (le plus souvent au sing., parfois au
plu.) ne désigne pas la chair animale ou humaine (sens réservé à char° en
AF) mais, de façon générale, de la « nourriture », des « vivres, victuailles,
provisions », c’est-à-dire l’« ensemble des éléments ingérés permettant de
vivre », comme l’indique son étymologie.
Paradigme morphologique : on peut citer viandier / vivandier (XIIe s.,
réfection sur vivenda), « homme hospitalier, bon vivant » ; le premier terme
sort d’usage en MF, tandis que le second se spécialise pour désigner une «
personne fournissant la nourriture dans une armée ». Le v. viander (XIVe s.)
est rare et d’emblée spécialisé en vénerie où il signifie « pâturer », en
parlant des cervidés (sens conservé en FM, à côté de l’argotique se viander,
« avoir un accident impliquant un dommage corporel », à partir de
l’acception familière de viande pour « corps humain »).
Paradigme sémantique : on rencontre de nombreux synonymes, dont
garison (voir garir°), garneture et garnison (voir garnir°), ou encore
vitaille (du latin tardif victualia, neutre plu. pris pour un fém. sing. de
l’adj. victualis, « relatif à la nourriture »), employé au sing. comme au plu.
et qui a donné les dérivés avitailler (XIIIe s.) et ravitailler (XVe s.).
Évolution : à partir du XVIe s., concurrencé par d’autres termes comme
vivres (attesté dès l’AF), victuailles (réfection de vitaille au XVIe s., avec un
retour au plu. étymologique) ou encore nourriture (voir norrir°), qui prend
son sens actuel à cette époque, viande se spécialise dans la désignation de
la « chair des animaux à sang chaud, en particulier de boucherie », sens
qui s’impose dans le courant du XVIIe s., si l’on excepte quelques rares
emplois figurés.

Vilain
Origine : du latin médiéval villanum, « paysan », dérivé de villa, « domaine
rural, ferme » (qui a donné ville en AF : voir cité°).
Ancien français : employé comme subs., vilain (XIe s.) conserve le sens de «
paysan », par opposition, à la fois sur un plan social (le vilain étant de basse
condition, mais libre, ce qui le distingue du serf°) et sur un plan
géographique, au chevalier° ou au seignor° (qui sont cortois parce qu’ils
font partie d’une cort°) et au borgeois (qui habite un borg°). Le terme
possède donc des connotations péjoratives qui s’expriment particulièrement
lorsqu’il est employé comme adj., dans le sens de « roturier », « rustre,
grossier », « ignoble, infamant » et « vil, méprisable » ; il s’oppose là
encore à cortois dans ses acceptions morales et mélioratives.
Dans ses emplois comme adj., vilain a ainsi très probablement subi
l’influence de vil (du latin vilem, « bon marché », « de peu de valeur, sans
valeur »), « de peu de valeur », « misérable, lamentable ».
Paradigme morphologique : de nombreuses formes semblent résulter de
croisements entre vil et vilain, ainsi avilenir, « avilir, dégrader, humilier »
(v. remplacé en MF par avilir), vilener ou vilaner, « traiter comme un
vilain » d’où « outrager, maltraiter » et « se comporter comme un vilain,
d’une façon vile », vilenaille, « ensemble des vilains », ou encore vilenie,
« action ou parole de vilain, vilénie, injure, bassesse », « condition de
vilain, caractère du vilain, vilénie ».
Paradigme sémantique : comme subs., on peut citer païsan (voir païs°) ou
serf° ; comme adj. dépréciatif, outre vil, voir notamment laid°, mal /
malvais° et put°.
Évolution : à partir de la fin du MA, tandis que s’impose l’usage de
paysan, vilain perd tout lien avec le monde rural (contrairement à d’autres
dérivés, comme village, par exemple) et ne s’emploie plus en FM que
comme adj., avec un sens nettement affaibli, notamment dans le
vocabulaire enfantin ou dans le domaine esthétique, à l’inverse du dérivé
vilénie qui, rattaché au paradigme de vil et à ses dérivés comme avilir,
conserve un sens fort.

Vis / Visage
Origine : du latin visum (il s’agit en fait de deux subs., un visum neutre et
un visus masc., plus ou moins confondus), « action de voir, sens de la
vue », « ce qu’on voit, vue, vision », « apparence, aspect » (d’où,
particulièrement, « visage » en AF ; mais l’aboutissement à ce sens peut
aussi s’expliquer par une autre relation métonymique, de la vue au regard,
et du regard au visage).
Ancien français : vis (XIe s.), supplanté à partir du XVe s. par son dérivé
visage (pourtant lui aussi apparu dès le XIe s.), sert uniquement à désigner
la « partie antérieure de la tête d’un être humain », le « visage ». Le terme
possède de nombreux synonymes, dont chiere (XIe s., du latin tardif
caram), qui a plus précisément le sens de « mine, expression » (en
particulier dans les expressions faire / mostrer bone / bele ou male / laide
chiere, « faire bon / mauvais accueil », d’où le sens d’« accueil » pour le
subs. seul) ; face, qui signifie également « joues » au plu. (XIIe s., du latin
populaire *faciam, pour faciem, qui a aussi donné faciès au XVIIIe s.) ;
façon (voir guise°) ; viaire (XIIe s., origine peu claire, mais en lien avec
videre) ; ou encore voult (XIIe s., de vultum, terme le plus usuel en latin
pour « visage »), qui prend aussi le sens de « représentation figurée,
image, statue ».
Notons par ailleurs que vis (à partir de l’expression latine mihi visum est,
« il me semble ») et viaire peuvent aussi signifier « avis, opinion » dans
des locutions plus ou moins figées, comme estre (a) vis / viaire a (ex. : ce
m’est a vis, « il me semble, à mon avis » ; voir aussi aviser°).
Paradigme morphologique : vis a donné visiere (dévisager et envisager
apparaissent seulement au XVIe s.) ; face, lui, a donné esfacier et, plus tard,
surface (XIVe s.) ; quant à voult, qui pouvait désigner une « figure de cire
servant à l’envoûtement », il a engendré envouter et envoutement au XIIIe s.
Paradigme sémantique : pour le sens de « visage », voir ci-dessus ; pour le
sens d’« avis », voir conseil°. Notons également sembler / semblant° et
chief / teste°.
Évolution : à la fin du MA, vis disparaît (hormis dans la locution vis-à-vis,
attestée au XIIIe s.), remplacé par visage, terme principalement employé en
FM pour désigner la partie du corps humain du même nom (le subs.,
employé au sens d’« aspect », est également susceptible d’emplois figurés
à partir du MF), à côté de face (surtout comme terme de raillerie, dans des
locutions familières comme face de rat), de figure (emprunt ancien au latin
qui ne commence à désigner le « visage » qu’à partir du XVIe s.) et de tête,
par métonymie.
Quant aux autres synonymes médiévaux de vis, ils connaissent un sort
variable : viaire disparaît courant XVIe s., chiere, remplacé vers la même
époque par mine (d’origine obscure), ne subsiste plus que dans
l’expression faire bonne chère (par glissement de sens, de «
physionomie » à « accueil », et en particulier « accueil fait à une table »,
d’où « repas », sens attestés dès l’AF) et vout, par l’intermédiaire de ses
dérivés envoûter et envoûtement.

Voie
Origine : du latin viam, « chemin, route, voie » – au figuré, « voie,
méthode » – et « trajet, voyage ».
Ancien français : comme en latin, le subs. voie (XIe s.) prend le sens large
de « voie », à la fois au sens concret de « voie de communication, chemin,
route », par extension, de « route, trajet, voyage » effectué par ce moyen
(notamment dans des expressions comme se metre a la voie, « se mettre en
route », ou tenir sa voie, « poursuivre sa route »), et au sens figuré de «
voie, direction suivie, orientation », « moyen, manière » (avec des emplois
métaphoriques fréquents en contexte religieux : voir encore le FM les
voies du Seigneur).
Paradigme morphologique : parmi un paradigme très riche, on pourra
retenir voiage (du latin viaticum, qui a donné par emprunt viatique en
FM), qui ne commence à se distinguer de voie qu’en MF. Il faut citer aussi
le v. voier, « cheminer, aller », « mettre en route, envoyer », « conduire,
guider », qui a de nombreux dérivés, dont avoier (sens proche du v.
simple), convoier (« conduire, accompagner, escorter », d’où le subs.
convoi, « cortège, escorte »), desvoier (« détourner, éloigner, mettre sur la
mauvaise voie, égarer », au propre comme au figuré), envoier (« mettre en
route, envoyer », parfois « jeter ») ou encore forsvoier, qui a donné
fourvoyer en FM.
Paradigme sémantique : chemin et route° sont les plus proches synonymes
de voie, susceptibles des mêmes emplois au propre ou au figuré, mais il
existe d’autres termes de sens plus précis, comme sente / sentier (même
sens qu’en FM), rue (« rue, voie urbaine », comme en FM également),
chauciee (« voie carrossable, voie pavée », qui a donné chaussée en FM)
ou charriere (subs. dérivé de char, dans le sens là aussi de « voie
carrossable »). En outre, dans le sens de « voyage », voir erre (voir errer°)
ou jornee (voir jor°) ; dans le sens figuré de « direction », voir sen / sens° ;
dans le sens de « manière », enfin, voir guise°.
Évolution : les diverses acceptions du terme simple se sont maintenues en
FM, tandis que dans le reste du paradigme, qui a continué de se
développer après l’AF, une distinction relativement nette s’est opérée entre
les domaines concret (ex. : convoyer, voierie, voyage et ses dérivés) et
abstrait (dévoyer, notamment).

Voir
Origine : du latin verum, à la fois adj. (« vrai, véritable, réel »), adv. («
vraiment ») et subs. (« le vrai, la vérité »).
Ancien français : le terme voir (XIe s.) conserve exactement ses sens latins
et peut être employé aussi bien comme adj. que comme adv. et subs.,
entrant dans de nombreuses locutions. Qualifiant ce qui est « vrai,
véritable », il s’oppose à l’adj. faus et aux subs. fable / mensonge°.
Paradigme morphologique : on retiendra surtout les deux adv. voirement,
« vraiment, réellement, en vérité », et voire (du latin populaire *vera, plu.
neutre de verus pris comme adv.), « oui », « certes, assurément »
(aujourd’hui employé seulement dans le sens d’« et même », « et à la
limite », l’adv. a en partie perdu sa portée assertive, peut-être sous
l’influence des emplois ironiques de voire, servant à marquer le doute,
attestés notamment au XVIIe s.).
Paradigme sémantique : voir a deux synonymes principaux, vrai / verai
(du latin veracem, dérivé de verus) et vertable / veritable (dérivés de verté
/ verité), qui signifient tous deux « vrai, véritable » mais aussi « sincère,
loyal » ; on peut leur ajouter en outre cert / certain, « assuré, certain ».
Évolution : à partir de la fin du MA, voir cesse progressivement d’être
employé, même si on le trouve encore au XVIe s. comme subs. ou dans des
locutions de type de / pour voir. Il est remplacé en français courant par
vrai ou véritable, le couple vérace / véracité (emprunts au latin, XIXe et XVIe
s.) étant d’usage littéraire et rares. Du paradigme médiéval ne subsiste
donc que l’adv. voire.
Index

Les termes en caractères gras font l’objet d’une fiche complète dans cet
ouvrage.
aage 15; 246
abandon 15; 143; 180
abandoner 15; 143
acesmer 63
adouber 16; 57; 63
afaitier 17; 63; 90; 193
afichier 17
afubler 263
ahan 18; 163; 213
aidier 19; 61; 107
aire 20; 43; 78; 225; 251
aise 20
amender 21; 107; 213
amentevoir 22
amer 23; 25; 27; 53; 222
ami 23; 24; 53; 56; 58; 89; 223
amiral 60
amor 23
amuser 187
ancestre 168
anemi 24; 143
angoisse 24; 83; 86; 142; 175
angoissier 25; 142
aorer 23; 25; 27; 69; 71
apert 26; 32
appareiller 26
ardre 23; 27; 158; 159
atalenter 249
aval 259
avaler 139; 259
aventure 28; 96; 112; 181
aversaire 24
aviser 29; 53; 64; 133; 153; 237; 266
avision 29; 153
bacheler 31; 51; 77; 97; 105; 106; 160
baer 31; 32
baïf 31
baillier 32; 58; 59; 184; 200; 264
baillif 32; 59; 184
baisier 33
baler 33; 34
ban 16; 34; 35; 62; 70; 81; 139; 182; 193; 240;
banir 34; 70; 193; 240
barat 35; 144; 192
baron 36; 51; 60; 67; 204; 223
bataille 37; 42; 45; 58; 80; 94; 107; 143; 161; 199; 235
bel 37; 53; 56; 67; 78; 120; 137; 140; 159; 191; 221; 237
besoing 38; 73; 110; 183
bestorner 252
blandir 37; 39
blasmer 21; 39; 201; 250
blastengier 40
blecier 40; 118; 142; 219
boisdie 144
bondir 128; 238
borg 41; 48; 55; 265
boter 118
braire 70
bran 41; 42; 108
brandir 42; 71
brochier 219
bronchier 93; 94
bruire 70; 107; 128; 192
camp 20; 37; 43; 251
caroler 33; 34
celer 44; 94
cembel 37; 44
chaiere 45
chaitif 45; 222
chaloir 46; 110
chambre 46; 47; 199; 207
char 47; 66; 264; 267
chastel 41; 47; 48; 55; 67; 177; 191; 207; 239
chastier 21; 40
cheoir 28; 49; 112; 115; 212; 261
cheval 49; 50; 83; 199
chevalier 16; 36; 41; 51; 52; 60; 67; 102; 105; 239; 243; 260; 265
chief 53; 60; 112; 121; 149; 173; 253; 266
chier 38; 39; 53; 257
chiere 266
choisir 29; 53; 85; 133; 255
chose 54; 76
cigler 190
cité 41; 48; 54; 55; 265
clamer 18; 70; 228
clerc 55; 184
coart 56; 118; 147
coi 228; 245
cointe 38; 56; 137; 237
col 16; 57
comandement 35; 57
comander 35; 57; 58; 90; 175; 240
compaignie 37; 58; 115; 235
compaignon 24; 37; 58; 204; 235
comte 36; 51; 60; 67
conduire 90; 91; 104; 179; 267
conestable 36; 59
confire 60; 117; 179; 202
confondre 123
conforter 19; 61; 247
congié 61
connoissance 62; 98
conquerre 101; 129; 167; 227
conreer 17; 27; 62; 85; 135; 252
conroi 63
conseil 63; 64; 65; 67; 171; 217; 266
conseillier 63; 65
conter 64; 85; 138; 194; 209; 234
convent 64; 184; 217
converser 261
corage 71; 103; 147; 249
corroz 68; 86
cort 38; 48; 51; 66; 67; 137; 265
cortois 38; 51; 66; 67; 137; 221; 237; 265
costume 67; 68; 263
courroucier 68; 86; 142; 154
couvoitier 32
cravanter 135
creanter 68; 131; 200
criembre 69; 87; 108; 128
crier 18; 35; 62; 69; 107; 128; 171; 182; 193
croire 56; 69; 70; 71; 72; 122; 127; 214
croler 71; 261
cuer 71; 72; 103; 147; 186; 249
cuidier 70; 71; 72; 197; 200; 213; 214
culpe 73; 212
culvert 243
cure 73; 124; 134; 214
dam 75; 76; 86; 201
damage 75; 86; 201
dame 76; 77; 116; 173; 224; 239
damoisel 31; 51; 76; 77; 96; 116; 162; 224; 260
dangier 77
danser 33; 34; 49; 142
dant 76
debonaire 20; 38; 78; 137; 191
decevoir 79; 98; 187
deduire 81; 90
deduit 90; 159
degré 47; 79; 80
delit 80; 81; 159
delitier 80; 82; 90; 103; 159; 218
demener 179
demorer 81; 178; 195
deport 82; 159
deporter 81; 82; 159
deputaire 20; 78
desconfire 60; 179
desguiser 145
desreer 63
desservir 244
destre 49; 82; 83; 88
destrecier 83
destrier 49; 50; 83
destroit 83
desvé 123
devin 84; 114
devise 85; 209
deviser 53; 64; 84; 85; 209; 210
di 160
divers 258
dolor 25; 75; 83; 85; 86; 100; 126; 137; 142; 154; 179; 213; 246; 247
douter 69; 86; 87; 117
drap 87; 88; 140; 233
droit 75; 83; 88; 89; 175; 212; 229
dru 89; 126; 232
duel 85; 86; 175; 179; 210
duire 17; 58; 81; 90; 159; 179
embler 93; 223; 233; 251
embronchier 71; 93; 94
embuschier 44; 45; 94; 95; 131
encombrer 95
encontre 28; 95; 96
encontrer 95; 96
enfant 96; 97; 132
engignier 79; 97; 98
engin 79; 97; 98; 145; 237; 241
enseigne 62; 98; 99; 139;
entendre 99; 103; 194; 196
enui 86; 100; 215
enuier 86; 95; 100; 142; 215
envaïr 101
errer 101; 102; 267
esbahi 32
esbaldir 81; 102
eschiver 142
escient 241
escolter 99; 103; 196
escondire 78; 104
escondit 78; 104
escremir 101; 104; 134; 161; 252
escu 31; 105; 106; 260
escuier 31; 105; 106; 260
esforcier 106; 126
esfort 106
esfreer 69; 107; 108
esgarder 132; 133
esmaier 69; 107; 108
esmer 222
espee 42; 108
esploit 109; 138
esploitier 109; 138; 179
essilier 35; 135
estandart 139
ester 178
estoire 138
estolt 120; 123
estor 37
estordre 142
estout 120
estovoir 39; 46; 65; 110; 115; 183
estrange 111; 223
estrangier 111
eur 28; 174; 175; 212
fable 113; 114; 117; 267
fabler 113; 117
face 266
façon 145; 266
faé 84; 114
faillir 110; 115
fame 76; 77; 115; 116
feindre 87; 116; 197; 240; 255
fel 117
felon 56; 117; 118; 120; 175
ferir 41; 118; 219
fief 119; 151; 251; 260
fier 38; 117; 119; 120; 175; 197
fin 21; 52; 60; 115; 120; 121; 232
flater 39
foi 70; 87; 121; 132; 168; 245
fol 122; 187; 237
fondre 123; 261
forc 124; 125
force 107; 125; 262
forlignier 168
fornir 109
forsené 123; 241
fort 41; 48; 89; 107; 120; 125; 126; 147; 232; 262
forterece 41; 48; 126
fraindre 126
franc 78; 127; 137; 191; 228
fraper 118
fremir 69; 128
gaaignier 129; 163; 205; 221
gaber 40; 130; 201
gaitier 94; 130; 133
garant 69; 131; 133; 134; 200
garçon 50; 59; 77; 96; 131; 132; 139; 150; 162; 224; 231; 243; 260
garder 29; 53; 131; 132; 133; 134; 186
garir 104; 131; 133; 134; 207; 214; 264
garison 133; 264
garnir 26; 63; 134; 135; 264
garnison 134; 264
gaster 101; 124; 126; 135; 187; 223
gent 38; 54; 78; 136; 137; 150; 159; 168; 191; 205; 214; 221; 237; 243; 257
gentil 38; 78; 136; 137; 159; 191; 221; 237; 257
gesir 137; 199
geste 113; 138; 168; 225; 234; 255
glatir 70
gloton 132; 139; 166; 187; 225; 231
gonfanon 87; 89; 139; 165
grace 137; 140; 141; 180
gré 57; 140; 141; 154; 159; 180; 249
grever 40; 68; 100; 108; 141; 142; 215; 219; 254
guenchir 83; 93; 142; 252
guerpir 16; 143
guerre 37; 98; 129; 136; 143; 144; 179; 185; 192; 199; 206
guerredon 144; 170; 180; 248
guider 90
guile 35; 79; 97; 98; 144; 145
guise 20; 68; 145; 176; 189; 240; 249; 266; 267
hait 81; 158; 159
hardi 102; 103; 120; 126; 147; 245; 257; 261
hauberc 147; 148; 149
heaume 148; 149
heraut 182
herberge 149; 169; 199; 212
herbergier 149; 150; 169; 199; 212
homage 150; 260
home 51; 136; 137; 150; 167; 168; 214; 221; 239; 261
honir 155
honor 119; 151; 152; 171; 222; 230; 251
honte 40; 110; 152; 164; 201
huchier 70
huer 70
image 153
imaginer 97; 153; 154; 255
ire 68; 86; 154
isnel 154; 155; 167
issir 121; 155; 238
jangleor 157
jogleor 130; 137; 183; 184
joie 21; 81; 102; 109; 117; 158; 159; 177; 179; 192; 206; 210; 247
jolif 38; 137; 159; 167
jor 160; 216; 219; 263; 267
joster 37; 104; 161; 252
jovencel 77; 96; 116; 161; 162; 224
laborer 19; 129; 163; 202; 205; 254
lai 55
laid 40; 152; 164; 175; 198; 201; 224; 225
laissier 143
lance 139; 161; 164; 165; 253
large 121; 165; 166; 218
lé 166
lecheor 139; 166
lechier 139; 166
legier 155; 167
liece 81; 158
lige 51; 150; 167; 168; 261
lignage 168; 204; 208
ligne 20; 48; 136; 138; 168; 178; 204; 208
lignee 168
loer 69; 169; 171; 222
loge 47; 150; 169; 199; 212
loier 144; 169; 170
loisir 170; 171; 218; 242
los 39; 64; 69; 151; 169; 171; 222
losengier 39
maisnie 177; 178
maison 47; 153; 169; 173; 174; 175; 176; 199
maistre 76; 78; 173; 230; 239
mal 46; 89; 97; 100; 101; 117; 142; 158; 164; 174; 175; 212; 265
manant 177; 232
mander 58; 175; 193; 227; 240
manier 176
maniere 68; 145; 176
manoir 21; 47; 48; 81; 177; 178; 199; 207; 231; 232; 242
mantel 88; 232; 258
mar 175
mareschal 36; 59; 243
mat 178; 179
mater 179
mauvais 28; 31; 45; 46; 110; 118; 134; 174; 175
mener 34; 58; 82; 85; 90; 91; 109; 143; 179; 180; 185; 253
menestrel 156; 157; 183; 184; 243
mensonge 113; 114; 267
merci 16; 78; 140; 141; 144; 180
merveille 28; 111; 181
merveilleus 111; 181
mes 35; 177; 181; 182; 192
mescheance 28; 49; 212
mescheoir 49; 115
meschin 161; 162
message 35; 175; 181; 182; 192
messagier 182
mestier 39; 110; 182; 183; 184
ministre 55; 157; 173; 183; 184; 243; 260
miracle 181
mirer 133
mostier 184; 185
movoir 71; 103; 107; 108; 143; 179; 185; 186; 209; 240
muer 185; 185; 252; 258
musart 139; 187
muser 133; 139; 186; 187
nacion 136
nagier 190
nature 169; 181; 193; 226; 262
navrer 40; 41
nef 190; 258; 259
nigremance 114; 190; 191
noble 38; 77; 78; 96; 105; 127; 137; 166; 191; 204; 224; 232; 239; 243
noiant 233
noise 35; 158; 179; 192; 195; 250
noncier 35; 70; 176; 192; 194
norrir 134; 189; 193; 207; 265
novel 182; 194
ochoison 28; 54; 192; 195; 217; 229; 250
oïr 99; 103; 194; 196
oiseus 117; 196
ordener 58; 63
orgoilleus 118; 12; 197
orgueil 118; 120; 197; 201; 222
oriflamme 139
ort 164; 198; 226
ost 24; 37; 143; 198; 199; 221; 240; 244
ostage 19
ostel 150; 169; 173; 178; 199; 207
otroier 33; 69; 200; 247
outrage 17; 52; 54; 60; 117; 173; 201; 202; 216
ovre 17; 60; 117; 163; 201; 202; 254
ovrer 20; 73; 145; 204; 252; 253
païen 137; 184; 203; 205
paier 206
pair 36; 168; 204
pais 143; 170; 205; 206; 228
païs 203; 205; 217; 230; 251; 265
païsan 203; 205; 265
paistre 193; 206; 207
palais 46; 47; 48; 177; 207
palefroi 49
parage 168; 204
parent 168; 207; 208
parenté 168; 204; 207; 208
parer 26; 27; 56; 63
parler 64; 84; 85; 89; 113; 196; 208; 209; 217; 229; 234
parole 113; 121; 208; 209
partir 85; 185; 209; 210
pasmer 210
passer 200; 210; 211
pavillon 149; 169; 211; 212
pecheor 212
pechié 73; 115; 137; 175; 212
peine 86; 142; 163; 175; 212; 213; 223; 254
penon 140
penser 70; 71; 72; 134; 187; 213; 214; 215; 237; 241; 249
peril 28
persone 54; 66; 136; 150; 214; 233
peser 86; 95; 100; 142; 213; 215
piece 160; 215; 216
plaid 54; 64; 192; 195; 216
plaidier 217
plaiier 40
plain 38; 43; 89; 166; 217; 218; 232
plaisir 80; 81; 89; 90; 130; 141; 158; 159; 170; 216; 218; 242; 249
plein 134; 166; 217; 218
plenier 38; 89; 217; 218; 232
plenté 218
poindre 219
poison 220
porparler 209
porpenser 214
portraire 253
preu 38; 67; 70; 137; 147; 220; 221; 257; 262
preudome 221
pris 23; 136; 144; 151; 171; 221; 222
prisier 23; 53; 221; 222
prison 45; 78; 222; 223
privé 17; 24; 46; 67; 223
proier 93; 223; 233
pucele 77; 116; 162; 194; 224
pueple 136
pui 224; 259
puir 225
pulent 225
put 78; 95; 164; 175; 198; 225; 226;265
querre 101; 129; 227
quite 127; 143; 228; 245
rade 155
raisnier 229
raison 89; 113; 123; 195; 209; 229; 234; 237; 241
rang 37; 80
recreant 70
regarder 29; 132; 133; 187
regne 90; 151; 230; 251
remembrer 22
repaire 178; 231
repairier 178; 230
requerre 89; 227
retraire 253
revel 192
ribaut 132; 139; 231
riche 53; 89; 126; 231; 232
rien 54; 66; 232; 233
robe 88; 93; 135; 136; 233
roiaume 230
roman 113; 194; 234
roncin 49
route 37; 58; 101; 235; 266
sade 237
sage 38; 55; 56; 62; 78; 122; 220; 237; 241
saillir 101; 219; 238
sale 46; 47; 169; 198; 207; 225
sarrasin 203
seignor 16; 36; 51; 76; 78; 119; 189; 196; 204; 230; 238; 239; 260; 265
seignorie 16; 78; 230; 239
semblant 117; 145; 153; 239; 240; 266
sembler 117; 145; 153; 239; 240; 266
semondre 35; 103; 176; 185; 240
sen / sens 97; 123; 229; 237; 241; 267
seneschal 82; 83
senestre 82; 83
seoir 45; 242
serf 31; 45; 127; 139; 242; 243; 244; 265
serjant 51; 132; 184; 242; 243; 244; 260
servir 109; 150; 176; 183; 184; 242; 243; 244; 260
seür 61; 120; 245
siecle 15; 245
sofrance 247
sofrir 200; 246
soing 73; 214
solacier 61; 247
solaz 61; 81; 159; 247
somier 48; 50
sortir 155
sou 144; 170; 248; 257
talent 72; 97; 98; 141; 154; 174; 249
tencier 40; 192; 249
tente 149; 169; 211; 212
terre 20; 43; 119; 151; 163; 205; 230; 242; 246; 250; 251
teste 52; 149; 266
tolir 93; 251
torner 37; 63; 104; 142; 161; 186; 209; 220; 231; 251; 252
tornoier 104; 161; 251
tort 75; 89; 175; 212
tosel 161; 162
traire 52; 108; 131; 153; 253
travaillier 19; 86; 142; 163; 202; 247; 254
tref 211; 212
tromper 79
trover 117; 254; 255
ues 39; 110; 202
vaillant 38; 51; 53; 56; 67; 70; 78; 106; 137; 147; 196; 217; 220; 221; 232; 245; 257; 261
vair 50; 186; 257; 258
vaissel 190; 258
val 224; 259
vaslet 30; 77; 97; 105; 106; 132; 150; 162; 243; 260; 261
vassal 36; 51; 119; 150; 167; 168; 239; 244; 260; 261
vavassor 261
veoir 133
vergoigne 152
verser 49; 71; 94; 123; 124; 178; 211; 259; 261; 262
vertir 252
vertu 140; 189; 262
vespre 160; 262; 263
vestement 88; 263
vestir 33; 88; 263
viaire 266
viande 47; 48; 207; 264
viander 207; 264
vil 265
vilain 41; 205; 243; 265
vis 52; 80; 265; 266
visage 52; 186; 265; 266
vitaille 264
voie 90; 102; 123; 235; 241; 266; 267
voir 133; 267
voult 266
Table des matières

Introduction
La question de vocabulaire aux concours
Organisation de la fiche de vocabulaire
Sources et orientations bibliographiques
Liste des abréviations
Quelques repères

A
Aage
Abandon / Abandoner
Adouber
Afaitier
Afichier
Ahan
Aidier
Aire
Aise
Amender
Amentevoir
Amer / Amor
Ami
Anemi
Angoisse
Aorer
Apert
Appareiller
Ardre
Aventure
Aviser
B
Bacheler
Baer
Baillier
Baisier
Baler / Caroler / Danser
Ban / Banir
Barat
Baron / Comte
Bataille
Bel
Besoing
Blandir
Blasmer
Blecier / Mahaignier / Navrer
Borg
Bran

C
Camp
Celer
Cembel
Chaiere
Chaitif
Chaloir
Chambre / Sale
Char
Chastel
Cheoir / Mescheoir
Cheval / Destrier / Palefroi / Roncin / Somier
Chevalier
Chief / Teste
Chier
Choisir
Chose
Cité / Vile
Clerc
Coart
Cointe
Col
Comander
Compaignon / Compaignie
Conestable / Mareschal / Seneschal
Confire
Conforter
Congié
Connoissance
Conreer
Conseil
Conter
Convenir
Cors
Cort / Cortois
Costume
Courroucier
Creanter
Criembre
Crier
Croire
Croler
Cuer / Corage
Cuidier
Culpe
Cure / Soing

D
Dam / Damage
Dame
Damoisel
Dangier
Debonaire
Decevoir
Degré
Delitier
Demorer
Deporter
Destre / Senestre
Destroit
Devin
Deviser
Dolor / Duel
Douter
Drap
Droit
Dru
Duire / Conduire / Deduire

E
Embler
Embronchier
Embuschier
Encombrer
Encontre
Enfant
Engin / Engignier
Enseigne
Entendre
Enuier / Enui
Envaïr
Errer
Esbaldir
Escolter
Escondire
Escremir
Escu / Escuier
Esforcier / Esfort
Esfreer
Esmaier
Espee
Esploitier / Esploit
Estovoir
Estrange
Eur

F
Fable / Mensonge
Faé
Faillir
Fame
Feindre
Felon
Ferir
Fief
Fier
Fin
Foi
Fol
Fondre
Forbir
Forc
Fort / Force
Fraindre
Franc
Fremir

G
Gaaignier
Gaber
Gaitier
Garant
Garçon
Garder
Garir
Garnir
Gaster
Gent
Gent / Gentil
Gesir
Geste
Gloton
Gonfanon
Grace
Gré
Grever
Guenchir
Guerpir
Guerre
Guerredon
Guile
Guise
H
Hardi
Hauberc
Heaume
Herbergier
Home
Honor
Honte / Honir

I
Image
Ire
Isnel
Issir

J
Jogleor
Joie / Hait / Liece
Jolif
Jor
Joster
Jovencel / Meschin / Tosel

L
Laborer
Laid
Lance
Large
Lechier
Legier
Lige
Ligne / Lignage / Lignee
Loge
Loier
Loisir
Los / Loer
M
Maistre
Mal / Mauvais
Mander
Maniere
Manoir / Maison
Mat
Mener
Merci
Merveille / Merveilleus
Mes / Message
Mestier
Ministre / Menestrel
Mostier
Movoir
Muer
Muser

N
Nature
Nef
Nigremance
Noble
Noise
Noncier
Norrir
Novel

O
Ochoison
Oïr
Oiseus
Orgueil
Ort
Ost
Ostel
Otroier
Outrage
Ovre / Ovrer
P
Païen
Pair / Parage
Païs / Païsan
Pais
Paistre
Palais
Parent / Parenté
Parler / Parole
Partir
Pasmer
Passer
Pavillon / Tente / Tref
Pechié
Peine
Penser
Persone
Peser
Piece
Plaid
Plain / Plein / Plenier
Plaisir
Poindre
Poison
Preu
Pris / Prisier
Prison
Privé
Proier
Pucele
Pui
Put

Q
Querre
Quite / Coi

R
Raison
Regne
Repairier
Ribaut
Riche
Rien
Robe
Roman
Route

S
Sage
Saillir
Seignor
Sembler / Semblant
Semondre
Sen / Sens
Seoir
Serf
Serjant
Servir
Seür
Siecle
Sofrir
Solaz
Sou

T
Talent
Tencier
Terre
Tolir
Torner / Tornoier
Traire
Travaillier
Trover

V
Vaillant
Vair
Vaissel
Val / Aval / Avaler
Vaslet
Vassal
Verser
Vertu
Vespre
Vestir
Viande
Vilain
Vis / Visage
Voie
Voir

Index
1 1. Lexique historique du Moyen Âge, dir. R. Fédou, Paris, Armand Colin, 1980
2 2. Pour une rapide mise au point sur les emplois de mar, voir le Petit traité de langue française
médiévale, Paris, PUF, 2000, p. 133.
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